Aller au contenu
NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Le Comité Sénatorial Permanent des
Finances Nationales

Fasicule no 40 - Témoignages du 4 octobre 2017


OTTAWA, le mercredi 4 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 48, pour poursuivre son étude sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, président du comité. Je souhaite la bienvenue à toutes les personnes présentes dans la salle et à tous les Canadiens qui nous regardent, à la télévision ou en ligne.

Je rappelle à nos auditeurs que les audiences du comité sont publiques et accessibles en ligne sur sencanada.ca, le site web du Sénat. Vous y trouverez toute l’information concernant le comité, y compris ses études spéciales, ses rapports, les projets de loi dont il est saisi et les listes de témoins.

J’aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

La sénatrice Bellemare : Diane Bellemare, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Black : Doug Black, de l’Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La sénatrice Cools : Anne Cools, de Toronto, en Ontario.

Le président : Merci.

Je vais maintenant saluer la greffière du comité, Gaëtane Lemay, ainsi que nos deux analystes, Sylvain Fleury et Alex Smith, qui font équipe pour soutenir le comité dans ses travaux.

À la demande du Sénat du Canada, notre comité poursuit aujourd’hui son étude spéciale des modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu qui ont été proposées au cours de l’été par le ministre et qui portent sur l’imposition des sociétés privées et sur les stratégies de planification fiscale connexes.

À titre informatif, nous avons reçu hier des fonctionnaires du ministère des Finances qui nous ont expliqué l’essentiel des modifications proposées.

[Français]

Nous recevons aujourd’hui trois experts qui se sont penchés sur le document soumis à la consultation publique par le ministre. Ils vont nous donner leur opinion sur l’impact des changements proposés.

[Traduction]

Nous sommes heureux d’accueillir ce soir Kim G C Moody, directeur, Canadian Tax Advisory, Moodys Gartner Tax Law LLP; Ian Pryor, avocat fiscaliste, Pryor Tax Law; et Michael Wolfson, professeur auxiliaire à l’École d’épidémiologie et de santé publique et à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

Avant de demander aux témoins de faire leurs exposés, qui seront suivis des questions des sénateurs, j’aimerais informer les sénateurs, en tant que président, que nous poursuivrons la séance à huis clos à 20 heures pour vous faire part de travaux futurs du comité.

Je prie maintenant les témoins de faire leurs exposés dans l’ordre suivant : M. Moody, M. Pryor et M. Wolfson.

[Français]

Monsieur Moody, merci de votre présence. La parole est à vous.

[Traduction]

Kim G C Moody, directeur, Canadian Tax Advisory, Moodys Gartner Tax Law LLP, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis très heureux d’être ici pour discuter des propositions présentées le 18 juillet. Je vous en suis très reconnaissant.

Je m’appelle Kim Moody. Je suis comptable fiscaliste à Moodys Gartner Tax Law, à Calgary, comme on l’a déjà dit. Tout au long de ma carrière, j’ai exercé bénévolement toutes sortes de fonctions dans le milieu fiscal pour essayer de contribuer aux efforts, ne serait-ce qu’un petit peu, visant à améliorer l’éducation, le dialogue et l’administration du régime fiscal canadien pour qu’il continue d’être l’un des meilleurs au monde. Je suis actuellement coprésident du comité mixte de la fiscalité de l’Association du Barreau canadien et de l’Institut canadien des comptables agréés. Malgré le dépôt lundi des importantes observations du comité au sujet des propositions, je tiens à dire que mon témoignage et mes commentaires ne représentent pas les opinions du comité mixte ni d’autres associations ou fondations auxquelles j’ai eu le plaisir de contribuer. Mes commentaires ne viennent que de moi, mais ils reflètent le point de vue de nombreuses personnes à qui j’ai parlé au cours des derniers mois.

Le régime fiscal du Canada fait l’envie de nombreux autres pays dans le monde, ce qui s’explique selon moi par la coopération générale de l’ensemble des intervenants, soit les universitaires, les fonctionnaires, les bureaucrates, les tribunaux, les fiscalistes et le milieu des affaires. Ils ont tous intérêt à ce que le régime fonctionne.

Depuis le 18 juillet 2017, nous voyons que ce n’est pas aussi bien lorsque certains intervenants ne participent pas, que ce soit intentionnellement ou non, aux débats et à la mise en œuvre d’importantes modifications au régime fiscal. Le Canada mérite mieux que ce qui est proposé. Mes observations porteront sur trois aspects distincts : premièrement, le dévoilement des propositions du 18 juillet; deuxièmement, les problèmes que posent les propositions proprement dites; et troisièmement, les préoccupations quant à ce qui doit maintenant être fait.

Tout d’abord, le dévoilement. Par où commencer? Je dois dire que l’ensemble du dévoilement des plus importantes modifications fiscales visant les sociétés privées et les actionnaires depuis 1972 nous a appris ce qu’il ne faut pas faire.

Je comprends le gouvernement quand il dit qu’il examine ces modifications depuis qu’il s’est fait élire. Toutefois, du point de vue des contribuables, cela a commencé par les annonces et les observations anodines du budget fédéral de mars 2017 dans lequel le gouvernement a annoncé qu’il étudiait certains aspects de l’imposition des sociétés privées et de leurs actionnaires, soit la répartition du revenu, l’accumulation de biens passifs et la conversion de dividendes en gains en capital.

J’ai assisté à la séance d’information à huis clos du budget fédéral de 2017, à Ottawa. C’est une journée formidable pour un accro comme moi. Je suis comme un enfant dans une confiserie, mais je me gave plutôt de renseignements fiscaux. De nombreux grands fiscalistes étaient présents. Nous avions tous nos suppositions quant au contenu du document de consultation, mais peu de choses ont été dites. Nous avions des suppositions et ainsi de suite, mais il y avait vraiment peu de détails, car tout ce que le document budgétaire disait, c’est que :

Au cours des prochains mois, le gouvernement a l’intention de publier un document exposant plus en détail la nature de ces enjeux, et comprenant des propositions de réponses sur le plan de la politique fiscale.

C’est à peu près tout ce qui était dit.

Je crois qu’il est juste de dire que la publication et le contenu du document de consultation ont pris au dépourvu la vaste majorité des fiscalistes. Je vais vous expliquer pourquoi.

Premièrement, pour deux des trois éléments à l’étude, soit la répartition du revenu et la conversion des dividendes en gains en capital, une ébauche de projet de loi et des notes explicatives ont été publiées. Ce n’était pas qu’une simple ébauche de projet de loi, car elle comptait 27 pages, et il y avait 47 pages de notes explicatives.

Dans mon milieu, c’est beaucoup. Dans toute ma carrière, je peux compter sur les doigts d’une main les fois où une ébauche de projet de loi a été publiée sans être concrètement adoptée par la suite. La publication d’une ébauche de projet de loi en tant que mesure proposée était inattendue. Cela ne laissait pas envisager de consultation.

Deuxièmement, la lettre du ministre qui accompagnait le document de consultation est une des manifestations d’arrogance les plus frappantes qu’il m’ait été donné de voir pendant ma carrière. Des expressions comme « éliminer des échappatoires » étaient employées pour décrire les lois existantes. On a également eu recours à l’expression populiste « juste part », qui est utilisée dans mon milieu pour dissimuler une augmentation des impôts, car il n’y a pas de « juste part ». Tout le monde doit respecter la loi, ni plus ni moins.

Dans le passage suivant, on a également utilisé un langage courant lorsqu’il est question de la lutte des classes :

[...] notre gouvernement [...] prend des mesures pour s’attaquer aux stratégies de planification fiscale et éliminer les échappatoires qui ne sont à la portée que de certains — souvent les très riches ou les gens à revenu très élevé — aux dépens des autres.

Selon moi, cette affirmation est décevante et inutile. À mon avis, ce genre de langage utilisé dans la lettre du ministre est regrettable, car il a sans aucun doute contribué à la colère manifeste que l’on observe actuellement dans le milieu de la fiscalité et le milieu des affaires. Ce langage a donné aux gens l’impression de se faire traiter de fraudeurs de l’impôt, alors que dans les faits, la vaste majorité des propriétaires de petites entreprises essaient tout simplement de gagner leur vie et de respecter la législation fiscale. Le langage utilisé a masqué tout ce qu’il y avait de bon dans les propositions, ce qui est compréhensible étant donné que la question a été abordée ainsi.

Je crois que le langage trompeur et agressif du document a semé la confusion et qu’il explique pourquoi il a fallu attendre plus longtemps avant que le milieu des affaires se rende compte que les propositions n’éliminaient pas d’échappatoires, mais qu’elles représentaient plutôt un important changement de politique fiscale.

Troisièmement, la documentation a été publiée le 18 juillet, alors qu’une grande partie des gens d’affaires étaient en vacances ou tentaient de profiter de notre court été canadien. De nombreuses personnes m’ont dit qu’elles croyaient que c’était délibéré pour que les Canadiens se fassent prendre au dépourvu et ne soient pas disponibles. Beaucoup de personnes ont également dit que cette possible manœuvre cynique pourrait elle aussi avoir contribué à la colère manifeste au sein du milieu des affaires.

Quatrièmement, la période de consultation, qui a pris fin lundi, n’a duré que 75 jours. La dernière fois que nous avons procédé à une importante réforme fiscale, les modifications provenaient de la commission Carter, qui a entamé son étude en 1964 et publié ses résultats sans précédent deux ans plus tard, en 1966. Après avoir débattu et étudié longuement les modifications, le gouvernement les a adoptées en retenant de nombreuses recommandations, pas toutes, provenant de la commission Carter, et avec l’appui de l’ensemble du milieu des affaires, qui avait contribué à l’époque à la recherche d’un consensus.

On parle d’environ huit ans, et certaines de ces recommandations constituent encore le fondement de notre régime actuel. Un grand nombre de personnes m’ont dit que 75 jours ne suffisent pas pour remplacer la longue période d’étude, de débat, de mise en œuvre et de pratique qui s’est écoulée depuis 1964. Pour être franc, je suis d’accord.

Cinquièmement, le ministre et son ministère ont vigoureusement défendu les propositions par écrit et sur les médias sociaux. Les arguments présentés sont une réponse à ce que les économistes et les experts, moi y compris, ont décrit comme des préoccupations valables.

À titre d’exemple, j’ai fait allusion au compte Twitter du ministère des Finances. Si vous ne l’avez pas consulté, je vous recommande de le faire. Je n’ai jamais vu le ministère publié une telle propagande. Il se défend vigoureusement, ce qui contribue grandement au cynisme ou peut-être à la perception que la consultation n’en est pas vraiment une.

Sixièmement, certains points avancés par le premier ministre, le ministre et d’autres représentants du gouvernement sont très trompeurs, comme le passage selon lequel les propositions ne s’appliquent qu’à une minorité de bien nantis. À titre d’exemple, on a dit que ces propositions ne s’appliqueraient pas aux gens dont le revenu est inférieur à 150 000 $. Apparemment, on accuse les fiscalistes, dont je fais partie, d’avoir recours à des renseignements erronés et à des tactiques alarmistes pour semer la peur.

Cependant, la vérité, c’est que les propositions, dans leur forme actuelle, auront des répercussions sur pratiquement toutes les sociétés privées et leurs actionnaires. Cette affirmation ne vise pas à semer la peur ni à induire en erreur. C’est un fait. Mes pairs et moi ne faisons que dire la vérité.

Je serai heureux de défendre cette affirmation véridique dans le cadre de discussions approfondies, car même si le gouvernement se défend avec vigueur, on ne peut pas éclaircir cette affirmation en quelques mots. Certaines personnes ont formulé des propos ridicules concernant la dissolution de sociétés privées pour échapper aux propositions, alors que dans les faits, la vaste majorité des gens ne se servent pas des sociétés privées pour tout simplement éviter un impôt reporté. Il existe de nombreuses bonnes raisons non fiscales de constituer une entreprise en société, notamment la protection contre les créanciers. Ce genre de propos témoigne d’un manque de compréhension des propositions, car une simple dissolution ne permettrait pas d’éviter toutes les implications des propositions liées, par exemple, au fractionnement du revenu.

Enfin, une dissolution n’est pas facile. Voilà pourquoi je suis pour un prolongement de la période de consultation, qui permettrait d’évaluer l’ensemble des répercussions et des avantages.

Il est important que nous réfléchissions à tous ces points de processus — car il faut bien comprendre que c’est ce dont il s’agit. Pourquoi? Comme je l’ai dit plus tôt, on observe une colère manifeste chez les gens d’affaires et leurs conseillers en fiscalité. Lorsque des messages trompeurs sont transmis, il n’est que logique que les intervenants de première ligne réagissent mal.

Comprenons-nous bien : lorsque je parle des intervenants de première ligne, il ne s’agit pas du ministère des Finances ou de certains universitaires qui n’ont jamais été sur le terrain. Les Canadiens méritent qu’il y ait une véritable collaboration avec tous les intervenants pour que le régime fiscal canadien continue de susciter l’envie et que l’on continue à attirer des entrepreneurs et des capitaux d’investissement, surtout lorsque des concurrents de partout au monde veulent investir dans leur pays.

Je vais maintenant parler des propositions en tant que telles. Avant tout, il m’apparaît important de souligner que certaines des propositions qui ont été présentées le 18 juillet 2017 sont bonnes, en fait. Or, comme je l’ai dit plus tôt, les points de processus ont sérieusement brouillé et terni toutes bonnes mesures.

Le président : Je dois vous informer qu’il reste deux minutes.

M. Moody : Vous avez tout à fait raison. Je crois qu’on peut dire sans se tromper que les propositions législatives sont parmi les propositions les plus complexes que je n’ai jamais vues. Bon nombre de mes pairs sont du même avis que moi. C’est également ce qui est exprimé par le comité mixte.

Je le répète, la plupart des propriétaires de petites entreprises essaient tout simplement de gagner leur vie. Ils n’ont habituellement pas de gros budgets pour l’embauche de conseillers comme moi pour les aider à interpréter et à appliquer la loi. On ne parle pas ici de grandes sociétés ayant des fiscalistes à leur service. Ce sont simplement des créateurs d’emplois qui veulent bien servir leurs clients et qui espèrent recevoir une rétribution financière pour les risques qu’ils prennent.

Si j’étais égoïste, je ne dirais rien au sujet de la complexité des mesures proposées, puisque, au bout du compte, les propriétaires d’entreprises et leurs conseillers auront davantage besoin de l’aide de fiscalistes comme moi. Cependant, le Canada mérite mieux et il en est de même pour les entreprises de première ligne. Il est nécessaire que le régime fiscal fonctionne pour tous. S’il devient trop compliqué, s’il ne fonctionne pas correctement, les coûts d’observation pour l’ARC monteront en flèche, et il en est de même pour les coûts pour les contribuables.

En essayant de simplifier le régime fiscal canadien dans le cadre de ses propositions législatives, le gouvernement fait fausse route. L’adoption des propositions peut entraîner différentes conséquences : double imposition; importantes hausses d’impôt pour tous, et pas seulement pour la minorité de bien nantis; problèmes dans le transfert d’une entreprise familiale à une personne; importantes hausses d’impôt au moment du décès; imposition rétroactive; et bon nombre de problèmes techniques qui sont si complexes que je ne dispose pas d'assez de temps pour les décrire.

Les propositions législatives peuvent-elles simplement être modifiées légèrement pour poncer certains angles? Il faudra voir. Si l’on se fie à la longueur des observations du comité mixte — on parle de 150 pages —, ce sera très difficile de le faire. À mon avis, le travail de ponçage devra être très important.

Compte tenu du temps limité que j’ai, je vous dis tout de suite que ce que je préférerais, c’est que les propositions législatives soient rangées à côté du livre blanc sur les placements passifs. Voyons plutôt quels sont les bons objectifs stratégiques du gouvernement et mobilisons tout le monde. Il serait préférable qu’un tel engagement soit pris dans le cadre d’une réforme fiscale semblable à celle qui était liée à la commission Carter.

Permettez-moi de terminer ma déclaration préliminaire en faisant quelques remarques et en parlant de certaines préoccupations sur la suite des choses. Des dommages considérables ont été causés dans le processus. L’une des premières choses utiles que le gouvernement peut faire, c’est de reconnaître qu’une partie du langage utilisé dans le processus a été regrettable. Cela aiderait à panser certaines des blessures, et l’accent serait alors mis sur de bonnes politiques fiscales que le gouvernement essaie de mettre en place.

Je recommande qu’on ralentisse le rythme et qu’on fasse les choses correctement.

En gros, je m’inquiète du sort du secteur entrepreneurial canadien. Un véritable dialogue se poursuit depuis des années pour favoriser l’esprit d’entreprise. J’ai écrit au sujet de la mesure dans laquelle j’ai vu des capitaux fuir le Canada récemment en raison de hausses de l’impôt sur le revenu des particuliers. Je peux vous dire que depuis le 18 juillet 2017, le nombre de demandes de rencontres que j’ai reçues est supérieur à mes capacités à court terme. Des rencontres sont prévues jusqu’au début de 2018 pour ce qui est de la mesure dans laquelle les capitaux fuient le Canada.

On ne parle pas ici de milliers ou de millions de dollars; c’est plus que cela. Ce n’est pas bon pour le Canada et, au bout du compte, le gouvernement devrait ralentir le rythme et rétablir un climat de certitude pour notre régime fiscal. Faisons en sorte que notre régime continue de faire l’envie de nombreux autres pays. Merci.

Ian Pryor, avocat fiscaliste, Pryor Tax Law, à titre personnel : Bonsoir, sénateurs. Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de discuter avec vous des modifications fiscales proposées.

Je m’appelle Ian Pryor. Je suis avocat fiscaliste ici, à Ottawa. Nous avons également des bureaux à Toronto. On me demande souvent de participer à des conférences professionnelles et à des colloques. J’ai publié des articles dans de nombreux périodiques, et je suis coauteur d’un manuel publié par Thomson Reuters qui s’intitule Taxation of Trusts and Estates.

Notre cabinet spécialisé en droit fiscal a des clients de partout au pays. Nous avons une clientèle internationale, mais une grande partie de nos clients sont des entreprises privées canadiennes. Je pense que je suis donc bien placé pour vous parler des gens qui sont principalement visés par les propositions. Je vais vous donner de la rétroaction, dont une bonne partie n’est pas positive.

Le ministre des Finances a dit à maintes reprises qu’il entendait assurer une plus grande équité en ciblant les mieux nantis, comme l’a déjà dit Kim. Récemment, à la Chambre des communes, le premier ministre Trudeau a dit qu’il accordait de l’importance aux petites entreprises et qu’il savait qu’elles étaient au cœur même de la croissance dans ce pays. Toutefois, dans les mesures proposées, on ne fait pas de distinctions sur le plan économique. Elles visent les sociétés privées, ce qui fait en sorte que les messages communiqués manquent de cohérence.

Les propositions sont très complexes. Elles imposent des taux d’imposition punitifs aux sociétés privées et, à mon avis, elles auront des répercussions négatives sur les petites entreprises et l’économie canadienne.

Comme Kim l’a mentionné, des raisons valables ont été soulevées dans les propositions. Or, si les mesures sont mises en place dans leur forme actuelle et qu’aucun changement important n’y est apporté, je pense qu’il y aura des dommages collatéraux considérables et regrettables. Je reviens toujours à l’expression tuer une mouche avec une masse. J’y reviendrai.

En tant que fiscalistes, nous constatons que nos clients et le public n’ont jamais été aussi en colère, anxieux et mécontents que maintenant. Comme vous le savez maintenant, ces propositions ont été divisées en trois catégories : fractionnement du revenu, dépouillement de surplus et placements passifs. Les propositions législatives qui portent sur le fractionnement du revenu sont très complexes. Il nous a fallu des mois pour les comprendre, et certains d’entre nous y travaillent encore. On parle ici des meilleurs fiscalistes au pays.

Si nous examinons les choses d’un point de vue pratique, à mon avis, la complexité des mesures n’est pas justifiée par les revenus attendus. Dans le document de consultation, on laisse entendre que la mesure entraînera des recettes d’environ 250 millions de dollars. Je crois que selon les estimations de M. Wolfson, ce serait plutôt environ 500 millions.

Si nous prenons un peu de recul et que nous examinons les données de M. Wolfson, il s’agit de 0,1 p. 100 des recettes fiscales actuelles du pays. Ainsi, si ces mesures complexes et ces règles sont adoptées, il s’agira de certaines des mesures les plus complexes de la loi. Nous faisons cela pour 0,1 p. 100 de nos recettes fiscales annuelles.

L’objectif déclaré, c’est de restreindre la capacité des propriétaires d’entreprises de payer une partie liée à un taux plus faible. Toutefois, les règles comprennent un critère du caractère raisonnable en ce qui a trait aux dividendes, ce qui permet à l’ARC de déterminer ce qui est raisonnable et approprié et ce qui ne l’est pas. Pour les petites entreprises, cette subjectivité créera beaucoup d’incertitudes, et ce sont les contribuables qui auront le fardeau de prouver que l’ARC a tort s’ils ne sont pas d’accord. Cela ne peut que mener à une hausse du nombre d’audits, d’appels et de litiges, et je ne crois pas que notre système est prêt sur ce plan.

La proposition relative au fractionnement du revenu inclut la mise en place de ce que j’appellerais une sanction pour quiconque vend son entreprise à une partie liée. Je trouve que c’est incompréhensible d’un point de vue stratégique. Je ne comprends pas pourquoi cette mesure est incluse.

Dans le contexte du critère du caractère raisonnable que je viens de vous expliquer, ce n’est pas inclus. En fait, la proposition portant sur les ventes entre des membres de la famille ou à des parties liées fait en sorte que l’exonération cumulative des gains en capital est refusée; qu’on ne peut recevoir le traitement des gains en capital; et que le taux le plus élevé concernant les dividendes est imposé. En Ontario, il s’agit d’un taux de 45 p. 100.

Nous créons des situations où une personne pourrait payer trois fois plus d’impôt en vendant son entreprise à un membre de sa famille qu’en la vendant à une partie indépendante. Évidemment, cela incitera des gens à vendre leur entreprise à une personne qui ne fait pas partie de leur famille. J’ignore quel motif sous-tend une telle mesure.

En ce qui concerne les règles sur le dépouillement des surplus, il y a des questions stratégiques valables. Plus précisément, ces règles visent des stratégies qui sont utilisées pour convertir des revenus ou des dividendes en gains en capital. J’imagine que le ministère des Finances et l’ARC ont remarqué une hausse vertigineuse à cet égard depuis que le taux d’imposition du revenu des particuliers a dépassé 50 p. 100. Il est de 53,5 p. 100 en Ontario, et je suppose que c’est ce qui est en bonne partie à l’origine de la prolifération de ces stratégies.

Pour revenir à mon analogie sur la masse, en ciblant ces stratégies précises, l’ébauche actuelle des mesures entraînera involontairement des conséquences très négatives, en particulier pour les successions. Pour l’essentiel, elles retirent l’une des techniques que nous utilisons pour réduire la double et la triple imposition lorsqu’un particulier qui détient des actions d’une société privée décède.

L’autre disposition sur le dépouillement des surplus qui a été proposée est une règle anti-évitement qui, à mon humble avis, est probablement la pire disposition proposée que j’aie vue dans ma carrière. Elle est tellement mal rédigée que même nous, les gens du milieu de la fiscalité, ne pouvons pas nous entendre quant à ce que cette disposition couvre et ne couvre pas.

Les propositions ciblant les placements passifs ont fait couler beaucoup d’encre, à juste titre. Encore une fois, les options présentées par le ministère des Finances sont complexes et, à mon avis, seront extrêmement difficiles à administrer, tant du côté de l’ARC que de celui des contribuables.

J’en ai discuté avec certains de mes collègues comptables, et les propositions sont presque inapplicables concrètement si elles devaient être mises en place dans leur forme actuelle. Or, si nous prenons un peu de recul, qu’elles soient applicables ou non, je crois qu’en raison des réalités pratiques des petites entreprises, les propositions ne sont pas justifiées.

Pour mettre les choses en contexte, je dirais que les revenus de placement tirés des SPCC — sociétés privées sous contrôle canadien — sont déjà imposés à 50 p. 100. C’est l’un des taux d’imposition les plus élevés au monde, qu’il s’agisse des particuliers ou des sociétés. Hausser le taux effectif à 73 p. 100 est une mesure tout à fait injuste. Cela ne favorise pas la neutralité et crée une grande inégalité entre les propriétaires d’entreprises et tous les autres. En fait, je ne connais qu’un seul pays au monde qui a un taux d’imposition semblable, et il s’agit de la France. Je suis persuadé que ce n’est pas une économie que nous essayons d’imiter ici au Canada.

Notre système actuel est fondé sur le concept de l’intégration. Il s’agit de s’assurer que la facture finale des impôts est la même, peu importe qu’un individu gagne un revenu en tant que contribuable, ou par le truchement d’une société. Les aspects pratiques de l’intégration fonctionnent mieux dans certaines provinces que dans d’autres, mais ce système existe depuis presque 40 ans maintenant. Le même taux d’imposition s’applique, peu importe s’il s’agit d’un revenu personnel ou s’il est gagné par une société. En Ontario, le taux est déjà d’environ 53,5 p. 100.

Lorsque j’ai lu ces choses, je me suis posé la question suivante : si nous demandions à des gens d’affaires accomplis s’ils prendraient le risque de démarrer leur entreprise aujourd’hui en sachant que le gouvernement est actionnaire majoritaire de leur entreprise, que répondraient-ils? Le gouvernement prend plus de la moitié de tout ce qu’ils gagnent, et si les propositions sont mises en œuvre, il prendra près des trois quarts de leurs revenus d’investissement.

La capacité qu’a un actionnaire de reporter l’impôt personnel au moyen d’une société a été définie comme une possibilité de recueillir des revenus pour financer des dépenses. Le ministre Morneau a présenté ce report comme étant une pratique injuste. Cependant, je vous prie de comprendre ce que je dis sur l’intégration : le taux d’imposition est le même lorsque l’argent est retiré. Il est de 53,5 p. 100.

Toute personne qui a de l’expérience en affaires sait que ce report correspond à un écart temporaire. Il permet d’agrandir l’entreprise et de réinvestir dans l’entreprise. Il permet aux entrepreneurs d’économiser pour les périodes de ralentissement, comme celle que nous avons connue en 2008, ou pour les temps difficiles. Il leur permet d’investir dans d’autres entreprises privées; les entrepreneurs investissent dans d’autres entreprises. Il leur permet de mettre de l’argent de côté pour faire des dons à des organismes de bienfaisance ainsi que d’épargner pour leur retraite et d’investir dans le marché.

M. Morneau a dit récemment que les fiscalistes et certains politiciens tenaient des propos alarmistes pour induire le public en erreur. Puisque Kim en a déjà parlé, je ne ferai pas d’autres commentaires sur l’hypocrisie de cela.

D’après ce que mes collègues disent, ils n’accepteront pas un taux punitif. Ils ne paieront tout simplement pas un impôt de 73 p. 100. L’impôt est le coût à payer pour faire des affaires, et pour réduire ces coûts, ils prendront certaines mesures dont je vais donner des exemples : faire des mises à pied; augmenter les prix; cesser d’investir dans d’autres entreprises ou dans le marché; vendre leur entreprise — des gens ont vendu leur entreprise plus tôt que prévu —; mettre la clé dans la porte; ou quitter le Canada. Comme Kim l’a dit, nous parlons d’une grande quantité de capitaux lorsqu’il s’agit de quitter le pays.

Il y a même des investisseurs étrangers qui voulaient venir au Canada et investir dans l’économie canadienne, mais qui ont changé d’idée parce qu’ils perçoivent ce qui se passe ici actuellement comme un signe d’instabilité et d’incertitude.

Enfin, en 1971, dans son discours du budget, le ministre des Finances a dit au nom du gouvernement Trudeau de l’époque qu’un régime fiscal doit non seulement être équitable, mais doit être considéré comme étant équitable. Dans leur ensemble, les propositions présentées par M. Morneau créeront un niveau inacceptable d’incertitude; compliqueront davantage les choses; augmenteront les coûts d’observation; dissuaderont les investisseurs; et feront en sorte que les capitaux sortiront du Canada et que des personnes qualifiées quitteront le Canada. De plus, il y a un risque que des contribuables perdent leur confiance envers notre régime fiscal parce qu’il ne sera pas équitable et sera considéré comme n’étant pas équitable.

Je vous remercie de votre attention, et je serai ravi de répondre à vos questions.

Le président : Merci. Monsieur Wolfson, vous disposez de 10 minutes.

Michael Wolfson, professeur auxiliaire, École d’épidémiologie et de santé publique et faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci. Permettez-moi de remercier le comité de me donner l’occasion de parler des propositions du ministère des Finances concernant les sociétés privées sous contrôle canadien.

De façon générale, quand un gouvernement veut mettre un frein à la planification fiscale agressive ou abusive, et que cela signifie que l’impôt augmentera pour tout le monde, on peut s’attendre à ce que les gens râlent. Quand ceux qui vont subir les augmentations d’impôts font partie de la population aisée, ils vont se faire entendre encore plus. Certaines des situations de fait que j’ai entendues font ressortir des questions fiscales techniques importantes et des conséquences non voulues plausibles, mais je suis sûr que les sénateurs peuvent comprendre qu’il y a beaucoup de propos alarmistes des deux côtés.

Je vais concentrer mes brefs propos sur quatre questions. Est-ce que le fractionnement des revenus est injuste? Est-ce que la petite entreprise est le moteur de la croissance économique du Canada? Est-ce que les petites entreprises devraient bénéficier d’un traitement fiscal spécial leur permettant d’accumuler un revenu passif? Enfin, comment pouvons-nous être renseignés là-dessus; avons-nous la preuve qu’il faut au Parlement et à la population canadienne?

Je remercie la greffière d’avoir distribué les graphiques, et je remercie votre personnel pour la traduction.

En ce qui concerne la première question, à savoir si le fractionnement des revenus est injuste, il y a à la première page des calculs produits par une firme indépendante de conseillers fiscaux qui illustrent cela. On compare l’impôt exigé sur le revenu reçu par une personne à titre de simple salaire à l’impôt exigé sur le même montant de revenu d’une personne qui recourt à une société privée et qui, la même année, verse ce revenu sous la forme de dividendes à une conjointe ou un conjoint ou, comme dans la colonne mise en évidence, à une conjointe ou un conjoint et à deux enfants d’au moins 18 ans n’ayant ni l’un ni l’autre d’autres revenus.

Je présume qu’on a mis une première rangée à 73 000 $ à cause de ce qu’ont prétendu Dan Kelly et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante — que les deux tiers des petites entreprises ont des revenus inférieurs à 73 000 $. Ce n’est pas explicite, mais on sous-entend que toutes ces petites entreprises seront durement frappées par les propositions du ministre des Finances.

La personne qui a un revenu de 220 000 $ pourrait économiser plus de 30 000 $ en impôt par année. Plus vous avez de personnes auxquelles distribuer les dividendes, plus vous économiserez de l’impôt.

Le Centre canadien de politiques alternatives a récemment publié les résultats d’une analyse minutieuse se fondant sur le modèle de simulation de politiques sociales de Statistique Canada. Il estime que près de la moitié des avantages du fractionnement des revenus, soit 47 p. 100, sont allés aux personnes se situant dans la tranche de 5 p. 100 des revenus les plus élevés, soit celles qui ont des revenus de plus de 216 000 $ par année. À l’opposé, seulement 3 p. 100 des avantages sont allés à la tranche de 70 p. 100 des revenus inférieurs, soit les personnes ayant des revenus de moins de 99 000 $.

Le graphique suivant montre le pourcentage de personnes qui détiennent plus de 10 p. 100 des actions de SPCC, selon les fourchettes de revenus. Quatre-vingt-dix pour cent des personnes avaient, en 2011, des revenus totaux de moins de 68 800 $, et nettement moins de 10 p. 100 étaient des propriétaires. De plus, certains de ces propriétaires d’actions de SPCC à revenu faible ou moyen étaient les conjoints ou les enfants du principal propriétaire de la SPCC. Donc, sur le plan du revenu du ménage, ces personnes faisaient partie de ménages ayant des revenus nettement supérieurs.

Il est assez clair que les SPCC sont disproportionnellement détenues par la tranche supérieure de 1 p. 100, dont les revenus en 2011 étaient de plus de 163 300 $ par année.

Dans les trois graphiques suivants, qui se trouvent à la page 3, je montre le nombre de SPCC de 2001 à 2011, dans quatre provinces, pour chacune de trois classifications industrielles, soit les restaurants, les avocats et les médecins. Le nombre de SPCC augmente graduellement concernant les restaurants, mais c’est relativement stable, alors que les SPCC ont augmenté constamment dans les quatre provinces au cours de la décennie, du côté des avocats.

Dans le graphique de droite, cependant, la croissance du nombre de SPCC détenues par des médecins en Ontario est plus spectaculaire. En 2005, dans le cadre de la négociation des honoraires avec l’OMA, l’Ontario Medical Association, le gouvernement de l’Ontario a apporté un changement obscur à son droit des sociétés afin de permettre aux membres des familles des médecins et des dentistes de posséder des actions de leurs sociétés privées. Ce changement a été bien caché au grand public, mais il a dû procurer de réels avantages pour les positions fiscales des médecins et de leurs familles, car le nombre de SPCC a décuplé au cours des années qui ont suivi.

Ce changement apporté au droit des sociétés de l’Ontario a permis à des médecins ayant des revenus élevés qui établissent des SPCC d’économiser des dizaines de milliers de dollars en impôt sur le revenu, sans vraisemblablement donner lieu à des avantages sur le plan de la croissance économique réelle. Utiliser les SPCC pour fractionner les revenus est injuste aussi bien horizontalement, entre des personnes ayant les mêmes revenus qui sont capables ou incapables de faire transiter ces revenus par une société, que verticalement, en érodant la progressivité du régime d’impôt sur le revenu du Canada.

L’inégalité croissante des revenus ressort depuis quelques années, avec l’attention qui est portée sur les parts du revenu de la tranche supérieure de 1 p. 100. L’analyse que nous avons réalisée et décrite dans un document antérieur semble indiquer que ce degré d’inégalité est pire que ce que les statistiques existantes nous révèlent, car celles-ci ne tiennent pas compte des revenus perçus et conservés au sein de ces sociétés privées. Quand nous avons levé le voile de la personnalité morale et ajouté ces revenus cachés à la part de la tranche supérieure de 1 p. 100 en 2011, l’augmentation a été d’un tiers, et elle a été de la moitié pour les 10 p. 100 supérieurs de la tranche supérieure de 1 p. 100.

Je vais maintenant aborder mon deuxième point. Jusqu’à maintenant, j’ai parlé des SPCC et des personnes qui en sont propriétaires, mais dans le discours public, on a majoritairement parlé de « petites entreprises ». Ce terme évoque des sentiments positifs, mais il est aussi lié aux prétentions qui veulent que la petite entreprise au Canada soit le moteur de la croissance économique et crée la plupart des emplois.

Fouiller les données est un peu complexe, mais la conclusion générale veut que ce soit tout simplement faux. Pour commencer, on peut voir le nombre de sociétés sur le graphique intitulé « Nombre de sociétés par taille de l’effectif ». Le nombre de petites entreprises de moins de cinq employés est très important et atteint presque un million, alors qu’il n’y en a qu’un peu plus de 1 000 qui comptent 500 employés ou plus.

Mais combien d’employés ces sociétés comptent-elles? Le graphique suivant, sur la part de l’emploi, montre comment l’emploi est réparti entre sociétés de tailles différentes. Bien qu’il y ait environ 1 000 fois plus de sociétés comptant de 1 à 50 employés que de sociétés comptant plus de 500 employés, dans l’ensemble, le nombre d’employés est le même. Dans les deux cas, l’emploi était très stable pendant la période montrée, de 2001 à 2015.

Cette tendance indique clairement que les petites entreprises n’ont pas créé plus d’emplois que les grandes entreprises au pays.

De plus, la situation de l’emploi dans les petites entreprises est beaucoup plus turbulente que dans les grandes entreprises. Il est facile de voir que j’ai passé beaucoup de temps à Statistique Canada et que je suis un peu accro aux données. Je suis désolé si vous n’êtes pas très portés sur les graphiques et les statistiques. Les deux graphiques suivants montrent, premièrement, la progression brute de l’emploi, et deuxièmement, les pertes d’emploi brutes, dans les deux cas selon la taille de l’effectif. Avec l’augmentation de la taille de l’effectif, les pourcentages de gains et de pertes diminuent d’une année à l’autre.

Dans le débat dont les propositions des Finances ont fait l’objet, beaucoup d’arguments ont été lancés voulant que les propriétaires de petites entreprises aient besoin d’allègements fiscaux spéciaux parce qu’ils prennent des risques particuliers et, en fait, énormes. Comme ces données le montrent, c’est aussi le cas de leurs employés. De plus, leurs employés ont rarement d’avantages sociaux spéciaux couvrant les congés de maternité — s’ils peuvent même avoir ce genre de congé —, et n’ont généralement pas de régime de retraite de l’employeur.

Une croissance économique véritable et productive dépend de l’innovation et de l’investissement, ce qui présente des risques inhérents. Mais afin de stimuler la croissance économique, je ne pense pas qu’il soit avantageux que la politique publique canadienne récompense les joueurs ou les entreprises n’ayant aucun potentiel de croissance.

Tout cela m’amène à ma troisième question. Pourquoi les propriétaires de SPCC devraient-ils profiter d’un traitement fiscal spécial afin d’accumuler un revenu passif? Parmi les raisons citées — dont certaines il y a quelques minutes seulement —, c’est pour payer l’éducation des enfants, pour épargner en vue d’un congé de maternité, pour épargner en prévision de la retraite, pour épargner en prévision de mauvais jours et — la dernière raison, mais non la moindre — pour financer la croissance économique future. Seule cette dernière raison est fondée, et ce, très faiblement.

Pourquoi la constitution en société devrait-elle faciliter l’épargne pour l’éducation des enfants ou pour le congé de maternité? En tant que statisticien, je n’aime habituellement pas utiliser des anecdotes, mais l’expérience m’a montré qu’elles sont souvent bien plus évocatrices que les données statistiques. J’ai deux filles, qui travaillent pour de grandes sociétés du centre-ville de Toronto. Elles font un bon salaire. Elles doivent toutes deux épargner pour leur congé de maternité.

En ce qui a trait à l’épargne pour la retraite, le Canada offre déjà une aide fiscale très généreuse par l’entremise des REER, des RPA et des CELI. Avant, la contribution maximale variait grandement pour le REER et le RPA, mais on a rehaussé le plafond des contributions du CELI de manière importantes il y a plusieurs dizaines d’années afin d’équilibrer les choses pour les personnes dotées d’un bon régime à prestations définies. Si vous êtes propriétaire d’une SPCC et que vous souhaitez vous prévaloir de ce type d’épargne-retraite donnant droit à une aide fiscale, donnez-vous un salaire et cotisez à un REER ou, si vous êtes très rusé, engagez un actuaire et établissez un régime de retraite individuel au sein de votre SPCC. Ainsi, lorsque vous serez plus âgé, vous pourrez profiter d’un allègement fiscal sur votre épargne-retraite qui oscillera autour du double des limitées associées au REER.

Il s’agit de la seule raison plausible pour accumuler un revenu passif au sein d’une SPCC pour encourager la croissance économique et profiter d’avantages fiscaux. Or, même dans ce cas, les préoccupations sont importantes : comment le système de l’impôt sur le revenu peut-il veiller à ce que les avantages émanant du revenu accumulé, qui sont associés à un taux d’imposition beaucoup moins élevé, servent réellement à financer la croissance économique?

Comme nous l’avons vu dans l’un des tableaux précédents, depuis 2001, les petites entreprises n’ont pas généré beaucoup d’emplois, mais elles sont plus risquées.

Je vais vous raconter une autre anecdote personnelle. Mon fils a travaillé pour 5 petites entreprises différentes au cours des 10 dernières années environ. Si les entreprises ne fonctionnent pas, il en subira les conséquences, mais si elles ont du succès, il ne profitera probablement pas des avantages connexes. Pourquoi devrait-on privilégier les risques que prennent les propriétaires de SPCC alors qu’ils cumulent des portefeuilles qui serviront peut-être un jour à de vrais investissements, mais qui, souvent, ne servent pas du tout à améliorer l’économie du Canada?

Les propositions du ministère des Finances, qui ajoutent à la complexité de la Loi de l’impôt sur le revenu, ont soulevé des préoccupations générales. C’est le résultat inévitable de la tentative d’atteindre une cible précise en matière d’allègement fiscal. Pourquoi utiliser des dispositions détournées du système d’imposition pour y arriver? Pour encourager l’innovation des petites entreprises, il faudrait utiliser la porte avant, comme le font les États-Unis avec leur programme Small Business Innovation Research, ou orienter l’approvisionnement du gouvernement vers les petites entreprises de manière plus explicite en utilisant un critère comme l’état de préparation de la technologie.

Je vais maintenant aborder rapidement le quatrième et dernier point. Les deux premiers graphiques que je vous ai montrés visaient une période prenant fin en 2011. Lorsque nous avons entrepris notre recherche en 2013, il s’agissait des données les plus récentes disponibles. Il nous a fallu deux ans pour regrouper les données qui ont permis d’obtenir ces résultats. Je suis très fier de savoir que notre recherche a permis de jeter la lumière — pour la toute première fois de l’histoire — sur un volet sombre de la politique fiscale canadienne.

Malheureusement, ces découvertes relatives au régime fiscal sont rares. Comme l’a fait valoir le vérificateur général dans son rapport du printemps 2015, les dépenses fiscales :

[…] n’étaient pas systématiquement évaluées et […] l’information fournie n’appuyait pas adéquatement le Parlement dans sa fonction de surveillance.

Bien que le Parlement puisse examiner chaque sou dépensé par la porte avant dans le Budget principal des dépenses, on examine à peine les diverses dépenses détournées, faites par l’entremise des préférences fiscales — ou les dépenses fiscales, comme le dit le vérificateur général —, lorsqu’elles sont présentées dans le budget.

De plus — et c’est ainsi que je vais conclure —, la capacité d’analyse du gouvernement fédéral a été gravement érodée au cours des 10 dernières années. Le gouvernement précédent était reconnu pour faire ce qu’il voulait, sans égard aux données probantes ou aux analyses, surtout lorsqu’elles le contredisaient, ce qui a donné lieu à l’affaiblissement des groupes d’analyse des politiques du gouvernement. Il faut moins d’un an pour détruire l’un de ces groupes, mais jusqu’à 10 ans pour recruter et les rebâtir. Je crains qu’une partie des problèmes de communication associés à ces propositions financières soit le signe que le ministère des Finances, ce géant de l’expertise en matière d’analyse pendant des décennies, se soit lui aussi érodé.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Wolfson.

La sénatrice Marshall : J’ai plusieurs questions à vous poser, mais je vais commencer par la plus importante.

Nous avons entendu beaucoup de gens parler de l’incidence de ces mesures sur la succession. Pourriez-vous nous donner une idée des conséquences qu’elles entraîneront, et nous dire comment fonctionne la structure fiscale actuelle et comment fonctionnera la structure proposée?

M. Pryor : Permettez-moi de vous l’expliquer. Nous avons parlé des deux — voire trois — couches d’imposition. Donc, si une personne détient des actions d’une société et meurt, alors il y a impôt sur les gains en capital au décès de cette personne.

Ensuite, il y a la société. Ces actions font partie de la succession. Si la famille dit qu’elle souhaite retirer tous ses actifs de la société afin de les liquider, il y a une autre couche d’impôt sur les gains en capital.

La troisième couche d’imposition est appliquée lorsqu’on retire l’argent de la société. On impose alors les dividendes. C’est donc trois niveaux d’imposition.

La sénatrice Marshall : Est-ce que c’est…

M. Pryor : Selon notre système actuel. C’est exact. Pour éviter une double imposition, on a recours à ce qu’on appelle le pipeline. Ce qu’on fait — et l’ARC l’accepte année après année —, c’est qu’on élimine ou on réduit l’impôt sur les dividendes. On obtient donc un taux pour les gains en capital au décès et peut-être un taux pour les gains en capital à la liquidation.

Selon les propositions, on éliminerait la capacité d’utiliser…

La sénatrice Marshall : J’aimerais revenir à l’ancien système. Quel serait le taux d’imposition en vigueur selon le système actuel?

M. Pryor : Cela varie beaucoup d’une société à l’autre.

La sénatrice Marshall : D’accord.

M. Moody : Mais si vous utilisez la stratégie du pipeline, comme l’a fait valoir Ian, il ne reste qu’une couche d’imposition des gains en capital. Disons qu’il s’agit d’un taux de 25 p. 100. Ce serait le meilleur scénario.

La loi compte une disposition relative à l’atténuation. Pour les mordus de l’impôt, il s’agit du paragraphe 164(6) de la loi. Si vous créez une perte pour la première année d’imposition de la succession, vous pouvez reporter cette perte au gain final et être imposé sur les dividendes de la succession. Ce serait une mesure intermédiaire acceptable.

Si vous ne faites pas cela, alors vous êtes doublement imposé; une fois pour le gain final et une autre pour l’extraction des dividendes, et le taux pour cela est d’environ 60 p. 100.

C’est selon la loi actuelle.

La sénatrice Marshall : D’accord.

M. Moody : Dans les propositions, on élimine la possibilité d’une imposition à un seul niveau. On élimine le meilleur scénario possible.

Il reste donc le scénario intermédiaire, où l’on paie de l’impôt sur les dividendes, et le pire scénario. Dans certains cas, les choses peuvent être pires encore.

La sénatrice Marshall : D’accord. Monsieur Wolfson, vouliez-vous faire un commentaire?

J’ai une question à vous poser, au sujet du revenu passif. Les représentants du ministère des Finances ont témoigné devant nous hier et quelqu’un a parlé de 250 millions de dollars pour le fractionnement du revenu. C’est le montant qu’obtiendra le gouvernement si l’on applique les modifications relatives au fractionnement du revenu.

J’ai essayé de savoir combien d’argent les autres initiatives allaient donner au gouvernement. Le revenu passif m’intéresse. Vous en avez parlé dans votre discours préliminaire.

A-t-on une idée du montant qu’obtiendrait le gouvernement fédéral si les modifications proposées…

M. Wolfson : Je suis désolé. Je ne le sais pas. J’ai lu la transcription du témoignage des représentants du ministère des Finances d’hier, et ils n’ont pas pu vous le dire, parce que les propositions n’étaient pas assez précises.

Selon ce que je comprends, le directeur parlementaire du budget étudie la question. Il émettra des hypothèses et pourra vous en faire part.

La sénatrice Marshall : Avez-vous une idée de l’importance de ce montant? Les représentants du ministère des Finances ne peuvent pas me donner de chiffre. Je trouve cela louche. Ce pourrait être des milliards de dollars.

M. Wolfson : C’est possible. Comme je l’ai dit à la fin de mon discours préliminaire, je m’inquiète de la capacité d’analyse des personnes responsables de ces dispositions. Ma recherche portait uniquement sur le fractionnement du revenu. Pour être franc, j’ai été surpris de voir que le document de travail visait deux autres mesures également.

Or, si vous me donnez le temps — plus de temps que n’en a le comité — ou si vous attendez le rapport du DPB, je crois que vous obtiendrez des estimations raisonnables.

La sénatrice Marshall : Est-ce que les 250 millions de dollars pour le fractionnement du revenu vous ont semblé raisonnables?

M. Wolfson : Oui. Il ne faut pas oublier que les 250 millions de dollars dont on parle dans le document de travail visent le gouvernement fédéral, tandis que les 500 millions de dollars dont j’ai parlé visent le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Les estimations ne sont donc pas si différentes l’une de l’autre.

Il faut émettre plusieurs hypothèses pour en arriver à ces chiffres.

La sénatrice Marshall : Pour revenir à ce qui arrive en cas de décès, est-ce que les modifications visent l’article 84.1?

M. Pryor : Celles dont nous venons de parler?

La sénatrice Marshall : Oui.

M. Pryor : C’est l’une des deux dispositions.

M. Wolfson : L’une d’entre elles, oui.

La sénatrice Marshall : C’est l’une des deux? Où se trouve l’autre? J’essaie de suivre.

M. Pryor : Il s’agit du paragraphe 246(1).

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.

Le sénateur Pratte : J’ai deux questions pour vous. La première a trait au nombre de sociétés qui seraient touchées par ces changements.

Monsieur Moody, je crois que vous avez dit que presque toutes les sociétés privées seraient touchées et je crois que la plupart de vos collègues disent la même chose. Hier, les représentants du ministère ont dit que le fractionnement du revenu toucherait 50 000 petites entreprises et que le revenu passif toucherait entre 130 000 et 140 000 sociétés. Donc, selon eux, c’est une minorité de SPCC. Qui a raison?

M. Moody : Je vais dire que j’ai raison, parce que je suis arrogant, je suppose. Pour vous donner un exemple, rapidement — et ce sera consigné au compte rendu —, combien d’entre nous vont mourir? La réponse, c’est 100 p. 100, n’est-ce pas? Selon la forme actuelle des propositions, toutes les personnes qui détiennent des actions dans une société seront touchées.

Le sénateur Pratte : Oui, mais nous ne sommes pas tous propriétaires d’une SPCC.

M. Moody : Je parle des gens qui détiennent des actions dans une société privée. C’est ce que j’ai dit. Toutes les personnes qui détiennent des actions dans une société privée seront touchées par ces propositions.

Lorsqu’on examine la situation selon une base annuelle, par exemple, le fractionnement du revenu ne touche que X personnes et le revenu passif touche Y personnes. À mon avis, c’est une vision trop étroite.

Le sénateur Pratte : Le fait est que, d’après ce que je comprends, M. Wolfson a démontré que la plupart des propriétaires de SPCC étaient riches et donc que la plupart des gens touchés seraient des gens riches.

M. Moody : Je n’accepte pas la prémisse, pour commencer. Je peux vous dire que je travaille pour de nombreuses personnes qui détiennent des parts d’une société privée, mais qui ne sont pas riches. C’est l’une des choses qui me frustre à propos du message du ministère. Il dit que seuls les riches seront touchés. Ce n’est pas vrai. Toutes les personnes qui ont des parts dans une société privée seront touchées.

M. Pryor : Il y a beaucoup de très petites entreprises, comme les magasins du coin, qui fonctionnent par l’entremise d’une société pour des raisons non fiscales, n’est-ce pas? Il y a la responsabilité. La protection en matière de responsabilité, le financement de la banque… si vous êtes constitué en société vous pouvez… c’est plus facile de gagner la bataille et d’obtenir un prêt de la banque.

Certaines de ces personnes font très peu d’argent, mais elles pourraient être touchées par le fractionnement du revenu. Un propriétaire d’entreprise peut payer sa femme parce qu’elle travaille avec lui. Si je me fie à ma clientèle et à celle de mes collègues, ces propositions toucheront presque tout le monde d’une manière ou d’une autre.

M. Wolfson : J’aimerais corriger une chose. Ce que j’ai dit — et ce que montrent les données —, c’est que ces mesures sont utilisées de manière disproportionnée par les personnes dont le revenu est élevé. De nombreux propriétaires de SPCC ont un revenu moins élevé. Cela comprend toutefois aussi l’époux ou les enfants du propriétaire.

De plus, ce ne sont pas les propriétaires du magasin du coin qui font beaucoup d’argent ou qui réalisent de grandes économies d’impôt avec cela. Comme l’a dit Ian, ces gens se constituent en société non pas à des fins de planification fiscale, mais bien à des fins de responsabilité.

Selon les données du Centre canadien des politiques alternatives, 3 p. 100 des avantages associés au fractionnement du revenu vont à la tranche de 70 p. 100 des revenus inférieurs, soit les personnes ayant des revenus de moins de 99 000 $. Je suis un peu surpris de la décision de certains de se constituer en société, puisque les coûts pour ce faire et pour produire la déclaration de revenus pourraient être supérieurs aux économies d’impôt.

Le sénateur Pratte : Hier, le ministre des Finances était au Sénat pour la période de questions et il a parlé des changements qu’il était prêt à apporter. Je ne sais pas si vous avez vu, entendu ou lu cela.

Êtes-vous satisfait de ces changements — si vous en avez pris connaissance — ou croyez-vous qu’il soit possible d’atténuer vos préoccupations? Ma question s’adresse à M. Pryor et à M. Moody.

M. Moody : Comme je l’ai dit dans mon discours préliminaire, le diable est dans les détails. Dépendamment de la façon dont on adoucira les propositions — pour le fractionnement du revenu, par exemple, les rumeurs veulent qu’on trace la ligne à un certain âge, prenons l’âge de 24 ans, par exemple… C’est le modèle utilisé aux États-Unis présentement. C’est la plus grande administration au monde, alors il serait bon de s’en inspirer, de façon générale. Ainsi, on éliminerait les préoccupations relatives à la subjectivité, au critère du caractère raisonnable. On serait objectif.

Bien franchement, je ne crois pas que vous verriez des gens comme Ian et moi se plaindre d’un tel changement. Pour reprendre les mots de mon ami, on râlerait si les époux ou les conjoints de fait se retrouvaient coincés, parce qu’il y a des arguments convaincants qui donnent à penser que ce pourrait être le cas. C’est une chose.

Une autre option serait s’assortir les règles d’investissement passif d’un critère de minimis. Ce serait une forme assez rudimentaire de justice. Ce pourrait être un peu approximatif, mais il vaudrait peut-être la peine d’y réfléchir.

L’élément qui me dérange vraiment, c’est le dépouillement de surplus, qui a des conséquences tellement vastes. Je ne sais pas trop comment on pourrait en atténuer les effets.

Le sénateur Pratte : Monsieur le président, pourrions-nous demander aux témoins, à tous les témoins qui comparaîtront devant nous, en fait, s’ils pourraient faire parvenir leurs commentaires au comité lorsque le ministre publiera ses propositions finales? Seriez-vous prêt à le faire?

M. Moody : Avec plaisir.

Le président : C’est une excellente demande. Nous serons ravis d’y donner suite par l’intermédiaire de notre greffière.

Le sénateur Black : Je vous remercie tous de votre présence ici aujourd’hui. C’est extrêmement intéressant. Je tiens à vous remercier de votre engagement envers le Canada, parce que vous n’avez aucune raison de prendre la parole comme vous le faites, et vous l’avez bien souligné. Je vous en suis donc très reconnaissant, tout comme mes collègues également, j’en suis certain.

Nous essayons d’être constructifs, comme vous essayez tous d’être constructifs. Pour continuer dans la même veine que le sénateur Pratte, si le ministre des Finances vous appelait aujourd’hui, n’importe lequel d’entre vous, que lui diriez-vous de faire de ces propositions, dans un esprit constructif?

M. Moody : Eh bien, comme je l’ai mentionné dans mon allocution, sénateur, la première chose serait de retirer ces mots regrettables, ce qui mettrait déjà un baume sur les plaies, parce que beaucoup de dirigeants d’entreprise se sentent comme des fraudeurs fiscaux. La colère est palpable.

Ensuite, je lui recommanderais de retirer intégralement ses propositions et de retourner à la planche à dessin. Sinon, s’il ne semble pas avoir de volonté en ce sens, il devrait mandater des gens de bien analyser ce qu’il essaie d’accomplir. Souhaite-t-il s’attaquer aux médecins, aux comptables et aux avocats? Cela en a tout l’air. Bien que je ne sois pas d’accord avec cela, si c’est bel et bien le cas, il faut trouver une solution qui fonctionne pour chacun de ces piliers.

M. Pryor : Je suis en très grande partie d’accord avec les observations de Kim. Nous avons besoin de certitude concernant le fractionnement du revenu. Je suis d’accord avec l’âge de 24 ans avancé par Kim. Ce n’est pas une chose que j’aurais recommandée d’entrée de jeu, mais je pense que cela pourrait vraiment calmer le jeu.

Concernant le fractionnement du revenu, ce serait une solution facile, mais il faudrait tout recommencer. La première ébauche est assez faible, à mon avis, mais ce serait là un correctif facile à apporter. Je pense que ce serait une possibilité pour atténuer les effets négatifs sur les biens immobiliers.

Concernant le revenu passif, mon opinion diverge un peu de celle de Kim. J’ai très peur pour l’économie. Je n’ai pas de données empiriques sur lesquelles me fonder pour le justifier. Je me fie strictement à l’écho que je reçois de mes clients et à tous les capitaux que je crains de voir fuir le pays. Ce pourrait être la goutte qui fait déborder le vase.

Le sénateur Black : Que feriez-vous?

M. Pryor : Je retirerais cette proposition.

Le sénateur Black : Merci.

M. Wolfson : Premièrement, quand j’ai commencé à attirer l’attention des médias, j’ai commencé à recevoir ce que mes amis appellent des « lettres d’amour ». Dans l’une d’elles, quelqu’un me reprochait l’utilisation du mot « échappatoires ». Vous constaterez que je ne l’ai pas utilisé du tout dans mon témoignage, que j’ai cessé de l’utiliser. Je comprends la sensibilité qu’il éveille.

Je crains que, si le gouvernement recule trop, il perde ces principes d’équité de base et qu’il ne puisse plus rien faire en bout de ligne, donc je crois intimement qu’il doit aller de l’avant, au moins en partie.

Concernant le fractionnement du revenu, la question que j’ai étudiée le plus parmi celles-ci, je ne suis pas d’accord avec sa proposition. Le fait de fixer le seuil à 24 ans serait un début, mais c’est bien loin d’être assez. Cette question me préoccupe beaucoup.

Ma femme s’emporte très vite quand je lui en lis des extraits, quand elle entend que, en tant que mère au foyer, elle ne mérite pas d’avoir droit au fractionnement du revenu, alors qu’une autre personne le mériterait parce qu’elle exerce une profession quelconque et qu’elle est incorporée. Je ne pense pas.

Je vais m’arrêter là.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous trois d’être ici malgré le court préavis. Vous nous donnez beaucoup de matière à réflexion. Vous êtes des experts. Pour moi, il y a beaucoup de choses à digérer.

Il y a une chose dont vous avez tous parlé et qui est sur toutes les lèvres, c’est-à-dire les échappatoires. Il y a ceux qui disent qu’il y a des gens qui profitent d’échappatoires, et il y a ceux qui ne les ont jamais vues comme des échappatoires, qui considèrent que c’est de la planification de la vie fiscale et des affaires.

Pour ma part, je crains que le ministre et son ministère ne ciblent la personne qui travaille, qui touche un salaire, des prestations de maternité et autres et qui a un régime de retraite, même si elle ne gagne pas de très gros salaire, mais il y a là un modèle établi. Puis il y a le cheminement des preneurs de risques, de la personne qui investit, qui prend toutes sortes de risques, mais qui n’a droit à aucun avantage ni à aucune prestation.

Cette personne ne me fait pas pleurer, c’est une question de choix. Chaque personne choisit comment elle souhaite organiser sa vie.

Dans le document de consultation que vous avez vu, il est écrit que deux Canadiens font chacun un investissement ponctuel de 100 000 $ avant impôt. L’un est employé et l’autre, propriétaire de société privée. Le propriétaire de société privée obtient 15 p. 100, donc 85 p. 100, alors que l’employé paie 50 000 $. Cela s’arrête là, cela ne montre pas que l’un investit, alors que l’autre a d’autres idées. Il n’y a pas de bon ni de mauvais choix. Je pense que c’est quand on fait le parallèle entre les deux et qu’on dit qu’il y en a un qui profite d’une échappatoire, qui fraude peut-être l’impôt que la discussion s’embrouille.

J’aimerais vous entendre tous les trois à ce sujet.

M. Wolfson : Le moment où l’on paie ses impôts est souvent considéré sans importance, mais le report d’impôt constitue vraiment un avantage fiscal. C’est une chose. Cela fait partie de l’exemple du ministère des Finances.

L’autre chose qui me dérange, c’est que ceux qui prétendent qu’ils devraient pouvoir utiliser 85 cents par dollar dans leur entreprise tandis que tous les autres doivent s’organiser avec 50 cents par dollar après impôt se justifient en disant qu’il est bon pour le Canada que les entreprises puissent conserver ces revenus.

Comme je l’ai dit dans mon exposé, je ne suis pas d’accord. J’entends toutes sortes de raisons pour le justifier qui n’ont rien à voir avec cela, comme d’épargner pour les études des enfants ou un congé de maternité.

Si l’on se demande ce que le Canada devrait faire pour stimuler réellement la croissance économique, il y a beaucoup d’autres possibilités. Les incitatifs fiscaux… Je déteste utiliser cette métaphore, mais c’est un peu comme de pousser sur une ficelle. Il y a d’autres façons de faire. J’en ai donné deux exemples qui me sembleraient plus efficaces, plus raffinés et plus judicieux : le gouvernement pourrait cibler l’innovation dans les petites entreprises dans son mode d’approvisionnement et il pourrait se doter d’un programme de subventions ciblées comparable à celui des États-Unis.

J’en parlais avec l’un de mes amis qui travaille pour une entreprise de haute technologie qui emploie 150 personnes. Il me disait justement : « Toute cette question du revenu passif ne change pas grand-chose pour nous. »

M. Pryor : Je suis d’accord avec vous. Je pense, comme Kim l’a mentionné, que les mots et la rhétorique utilisés ont vraiment irrité les gens. Mais au-delà de cela, il y a un refus de reconnaître le risque. En tant que pays, nous devrons prendre une décision. Voulons-nous que des gens prennent le risque de fonder des entreprises et d’employer d’autres personnes? Michael, c’est ce qui procure un emploi à votre fils. Est-ce que nous voulons encourager ceux qui le font ou voulons-nous simplement que tout le monde devienne fonctionnaire fédéral?

Voilà qui mérite réflexion à mon avis, parce que, si on élimine les avantages qu’il y a à remettre l’impôt à plus tard — car c’est bien de cela qu’il s’agit —, c’est le moment où l’impôt est prélevé qui fait foi de tout. Le taux d’imposition est le même, la seule chose qui diffère, c’est le moment où l’impôt est prélevé. Si vous éliminez cet avantage, vous allez perdre des gens. Ce choix appartient aux décideurs et au gouvernement. Dans le secteur privé, nous sommes toujours partis du principe que c’était une pratique encouragée. Peut-être que les temps changent.

La sénatrice Jaffer : Cette remise à plus tard ne sert pas seulement à payer les études des enfants, selon ce que j’ai compris et l’expérience que j’ai des petites entreprises. L’argent accumulé ne sert pas juste à payer ceci ou cela; il sert aussi à faire prendre de l’expansion à l’entreprise.

M. Pryor : Tout à fait.

La sénatrice Jaffer : Comment les entreprises pourront-elles croître si on leur retire cette possibilité? Les chefs d’entreprise essaient d’économiser tout ce qu’ils peuvent dans le but de prendre de l’expansion. Si on leur retire cet avantage, que leur reste-t-il?

M. Pryor : Je suis d’accord à 100 p. 100.

M. Moody : Moi aussi. Je suis d’accord avec Ian sur toute la ligne.

J’ai ici le communiqué qu’a publié le ministère des Finances hier. La citation du ministre Morneau m’a quelque peu interpellé. La voici :

Le régime fiscal actuel est injuste. Un professionnel constitué en société…

— Je signale qu’on parle bien d’un « professionnel constitué en société ». —

… et gagnant des centaines de milliers de dollars par année qui tire profit des règles actuelles pourrait, au bout du compte, se retrouver avec un taux d’imposition moins élevé que celui d’un salarié de la classe moyenne. Nous allons corriger cette situation…

Comment? C’est impossible d’en arriver à un taux d’imposition inférieur à celui d’un salarié de la classe moyenne si on tient compte de l’impôt payé plus tard.

Maintenant, s’agit-il d’un avantage, pour répondre à votre question? Absolument, et il n’y a aucun doute possible. Il s’agit d’un avantage que d’accumuler des revenus passifs. Or, selon les calculs et le document de consultation, il peut s’agir d’un avantage, mais en y regardant de plus près, il peut aussi s’agir d’un désavantage, parce qu’au Canada, l’intégration est déficiente. Avoir plus de temps, je pourrais vous expliquer plus en détail ce que je veux dire.

Quant à l’exemple utilisé dans le communiqué d’hier, il est choquant, c’est le mot. Il déforme la réalité, parce que, lorsqu’un chef d’entreprise retire son argent de sa société, celui-ci est imposé au même taux global. Même chose s’il meurt ou s’il cesse d’habiter au Canada.

Le président : Monsieur Wolfson, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Wolfson : Un mot, si vous permettez. Le communiqué parle-t-il des revenus passifs ou du saupoudrage?

M. Moody : Il ne mentionne rien de précis. Voyez vous-même.

M. Wolfson : Dans le cas du saupoudrage, c’est bel et bien une possibilité, comme le prouvent les exemples que j’ai donnés plus tôt. Les professionnels constitués en société qui partagent leurs revenus avec leur conjoint ou conjointe et leurs enfants de plus de 18 ans qui n’ont pas d’autre revenu se retrouvent avec un taux d’imposition nettement inférieur à celui de contribuables gagnant des salaires beaucoup moins élevés. C’est très simple à prouver.

M. Moody : Je ne veux pas m’embarquer dans cette discussion-là avec vous, mais je vais vous dire une chose : si votre professionnel gagne des centaines de milliers de dollars, il faudrait qu’il en ait 15, des enfants.

M. Wolfson : Quatre enfants, 40 000 $ chacun.

Le président : Ce sera peut-être le sujet d’un autre débat. Tenons-nous-en au mandat que nous a confié le Sénat du Canada.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J’avais quelques questions à poser, mais comme le temps passe, je vous poserai concrètement une question en rapport à un commentaire que vous avez fait, monsieur Moody. Vous vous disiez très heureux que le Sénat fasse ces consultations dans le contexte actuel. Quel autre expert pensez-vous que nous devrions voir? Est-ce qu’il y a des groupes en particulier que nous devrions nous assurer de rencontrer? Je pose la question à vous tous parce que je comprends que c’est un sujet très complexe puisqu’on touche aux inégalités du revenu. On veut les réduire, et le gouvernement s’y est pris de cette manière, mais peut-être auriez-vous d’autres suggestions à faire. Dans le cadre des consultations de ce comité, est-ce qu’il y a des personnalités ou des groupes que nous devrions rencontrer afin d’avoir une vue d’ensemble de la problématique?

[Traduction]

M. Wolfson : Je suis sûr que vous avez déjà accès à une longue liste de fiscalistes. Le comité doit évidemment s’intéresser aux aspects techniques de la fiscalité, mais je l’encourage aussi, si ce n’est pas déjà dans ses projets, à solliciter le point de vue d’économistes afin de bien comprendre les tendances et les cycles en matière de croissance économique. Quels sont les déterminants? Quel effet la déduction accordée aux petites entreprises a-t-elle eu?

Je ne sais pas si c’est une bonne idée de s’aventurer de ce côté-là — ce serait très gros, comme changement —, mais un certain nombre d’économistes de renom, de gauche comme de droite, croient qu’on devrait éliminer la déduction accordée aux petites entreprises et mieux comprendre les répercussions du régime fiscal. Que sait-on? Comment mesure-t-on les effets que ces dispositions peuvent avoir sur l’esprit d’entreprise et la croissance économique? Selon moi, les changements envisagés sont loin de constituer le meilleur moyen de parvenir au but recherché.

[Français]

La sénatrice Bellemare : De toute façon, je suis certaine que vos suggestions seraient bien accueillies par le comité, si vous aviez des noms à nous proposer.

M. Wolfson : Oui, je peux les proposer.

[Traduction]

M. Moody : Certains économistes comme Jack Mintz pourraient certainement vous aider. Ce ne sont pas les fiscalistes qui manquent, alors à moins que vous y teniez, je ne nommerai personne en particulier. Il y a tout plein d’autres gens et d’autres organismes qui s’intéressent activement à la question, comme celui dont il a été question l’autre jour, le Conseil canadien des affaires, dont font partie quelques-uns des plus grands noms du milieu canadien des affaires. Voilà un organisme que vous devriez consulter. Je vous transmettrai ses coordonnées avec plaisir.

Le président : La question était : pouvez-vous nous fournir…

M. Moody : Et la réponse est oui.

M. Wolfson : De mon côté, je pense aussi à l’Association des infirmières et infirmiers du Canada et aux médecins favorables à la réforme envisagée.

Le président : C’est au tour de la sénatrice Andreychuk, après quoi nous entamerons la deuxième série de questions avec les sénateurs Pratte et Black. Les témoins pourront nous envoyer l’information relative à certains points précis avant que nous passions à huis clos.

La sénatrice Andreychuk : Je m’excuse d’être arrivée en retard, mais j’ai dû m’occuper d’un projet de loi sur le point d’être adopté. C’est maintenant chose faite, et je suis bien contente. Je me sens surtout moins coupable d’avoir manqué la première partie de la réunion. Peut-être avez-vous déjà répondu à mes interrogations.

Nous voulons encourager les gens à prendre des risques. Je fais aussi partie du Comité des affaires étrangères, et là aussi il est question de stimuler l’esprit d’entreprise et des moyens à prendre pour y parvenir. Or, comme on nous répète sans cesse que les Canadiens sont allergiques aux risques, ça finit par s’imprégner dans l’esprit des entrepreneurs du pays, notamment ceux qui veulent aller voir à l’extérieur de nos frontières. Alors à quoi mesure-t-on le risque? Je ne l’ai jamais su. Tout est une question de sécurité. À l’époque où je suis sortie de l’école, on pouvait soit créer sa propre entreprise, soit entrer dans la fonction publique, parce que c’était synonyme de sécurité d’emploi.

La notion de justice n’est jamais définie autrement que par le revenu. Je suis vraiment troublée d’entendre certaines personnes dire qu’elles auraient pu choisir une carrière moins risquée, quitte à faire moins d’argent. Les risques ne reposent pas seulement sur leurs épaules à elles. Ils reposent aussi sur les épaules de leurs proches. J’ai fait carrière comme juge de tribunal de la famille. Quand une entreprise est en difficulté, le mari l’est aussi, tout comme sa femme, ses enfants et toute la famille élargie. On peut définir le risque de toutes sortes de manières, tout comme on peut définir la sécurité de toutes sortes de manières, mais personne n’a encore abordé ces deux questions. Vous me répondrez peut-être que je déborde de votre champ de compétence, mais c’est la question qui me vient en tête.

J’aimerais aussi parler des agriculteurs. L’exploitation agricole est un métier extrêmement risqué, et ce, pour toutes sortes de raisons totalement indépendantes de la volonté des agriculteurs. Vous aurez beau avoir toutes les spécialités du monde, ça n’empêchera pas la météo et les marchés internationaux d’être contre vous. Selon moi, ce n’est pas du saupoudrage de revenu, mais plutôt un moyen d’avoir un coussin et de garantir que les fermes et les produits qui en sortent demeurent dans les mains des gens qui se soucient de la terre et de la vie de famille. Voilà ce qui me préoccupe.

Qu’en est-il de la relève? Trop de jeunes gens quittent la ferme. Comment pouvons-nous envisager d’avoir de la relève familiale sur une ferme si nous éliminons la répartition du revenu?

M. Wolfson : Permettez-moi d’abord de répondre à votre première question concernant les menaces et les risques pour la sécurité, ou le risque et la récompense. Je n’ai pas employé ces termes exacts, mais je pense que les données que j’ai présentées ont montré que nombre d’employés sont confrontés à beaucoup de risques. Ainsi, ce ne sont pas seulement les personnes qui se lancent en affaires qui font face à des risques.

Je ne veux pas dire que nous habitons dans une bulle ici, à Ottawa, avec la fonction publique fédérale, mais les données que j’ai montrées représentent les employés dans tout le Canada, et non les fonctionnaires ou les personnes qui travaillent pour les grandes banques. Les employés sont aussi confrontés au risque, comme le risque du ralentissement. À titre d’exemple, une des entreprises pour lesquelles mon fils a travaillé a fait faillite. Il a dû chercher un autre emploi. Donc, il a assumé le risque. Voilà la partie où, d’après moi, il faut trouver un juste équilibre.

On utilise souvent l’expression « risque et récompense ». La question est de savoir comment s’assurer que les récompenses conviennent au risque qui a été pris. Je suppose que cela nous amène à la question du revenu passif. Je crains que ce ne soit pas bien ciblé, dans la situation actuelle. C’est une partie du problème.

M. Moody : En toute déférence, je trouve que cela n’a aucun sens de comparer les risques des employés à ceux des propriétaires d’entreprises ou des agriculteurs. À moins d’être la personne de première ligne confrontée au risque, on ne peut vraiment pas le comprendre. Heureusement, au fil des ans, la Loi de l’impôt sur le revenu et les responsables de la politique fiscale qui l’ont élaborée et qui la comprennent ont créé des possibilités de report d’impôt, comme les taux d’imposition pour les entreprises qui sont inférieurs aux taux d’imposition des particuliers et qui permettent d’atténuer les risques.

C’est l’un des réels problèmes de ce document. La définition d’« équité » est injuste, à mon avis. C’est le premier problème.

Le deuxième, j’en conviens avec vous, concerne la relève familiale, en agriculture et dans les domaines non agricoles. Donc, oui, je suis tout à fait d’accord avec ces préoccupations.

M. Pryor : Je suis tout à fait d’accord avec les commentaires de M. Moody. Les fermes ont certainement été identifiées comme étant plus à risque que la plupart des entreprises, en raison des problèmes de transition et du fait que beaucoup de jeunes quittent la ferme. La majorité d’entre nous considèrent que les fermes sont partie intégrante de la société canadienne.

Les mêmes risques, ou les mêmes problèmes touchent toutes les autres entreprises, mais les fermes sont particulièrement vulnérables aux questions dont nous traitons ici, qu’il s’agisse du transfert intergénérationnel lorsque la personne est encore en vie, ou après son décès, car ces nouvelles règles visent les deux situations.

La sénatrice Marshall : Les témoins peuvent répondre plus tard, par écrit, à ma question. Le gouvernement a publié sur son site web les prochaines étapes qu’il entend poursuivre, en fonction de cinq grands principes. Les témoins pourraient-ils donner suite, par écrit, en nous donnant leur point de vue sur ces cinq principes?

Le président : Les témoins sont-ils d’accord pour le faire?

M. Moody : Oui.

Le sénateur Pratte : Une chose dont j’ai beaucoup entendu parler et au sujet de laquelle j’ai beaucoup lu dans les soumissions, et je pense que M. Moody y a fait allusion, est que, peu importe ce qui arrive avec les propositions, il faut effectuer un examen approfondi de la Loi de l’impôt sur le revenu, de sa complexité, peut-être même de toute cette idée d’équité, et ainsi de suite. Pourriez-vous nous envoyer votre avis concernant ce besoin d’effectuer un examen approfondi de la Loi de l’impôt sur le revenu, et concernant les aspects de la loi qu’il devrait examiner, les sujets qu’il devrait aborder, et la forme qu’il devrait prendre?

M. Moody : Je serai heureux de le faire. Je suis certain que M. Pryor serait aussi heureux de le faire.

Brièvement, je dirai que la chose positive qui est ressortie de tout ce débat et de toute cette controverse au cours des derniers mois est la sensibilisation à cette question particulière, car cela fait au moins 10 ans, sinon plus, que les professions demandent un examen approfondi de la loi.

Le sénateur Pratte : Je vous en remercie.

Le sénateur Black : Mon commentaire est identique à celui du sénateur Pratte. Je vous invite aussi à dire si vous estimez que cela vaudrait la peine de créer une nouvelle commission royale, comme nous l’avons fait il y a longtemps, pour effectuer une analyse intégrale du régime fiscal du Canada. J’aimerais connaître l’opinion de chacun de vous à ce sujet.

Enfin, est-ce que chacun de vous pourrait nous envoyer un paragraphe pour nous faire connaître votre opinion des effets des propositions existantes sur l’innovation et sur les innovateurs au Canada?

Le président : Messieurs les témoins, je vous remercie de votre présence. Si vous avez d’autres commentaires à ajouter, n’hésitez pas à les envoyer à la greffière avant que nous ne déposions le rapport du Comité des finances.

Honorables sénateurs, nous poursuivrons à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page