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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 41 - Témoignages du 17 octobre 2017 (séance du matin)


OTTAWA, le mardi 17 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 31, pour poursuivre son étude des modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je suis Percy Mockler, un sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du comité. Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui sont présents dans la pièce en ce moment, ainsi qu’à ceux qui nous regardent partout au pays, à la télévision ou en ligne. Je rappelle à ceux qui nous regardent que les séances du comité sont publiques et qu’on les retrouve aussi en ligne, sur le site web du Sénat, à l’adresse sencanada.ca.

J’invite les sénateurs à se présenter, à commencer par ma gauche.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l’Ontario.

Le sénateur Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.

[Traduction]

Le président : J’aimerais maintenant souligner la contribution de la greffière du comité, Gaëtane Lemay, et de nos deux analystes, Sylvain Fleury et Alex Smith, qui font équipe pour soutenir le travail du comité.

Ce matin, notre comité poursuit son étude spéciale sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes. Ce sont des changements que le ministre des Finances a proposés au cours de l’été.

Aujourd’hui, chers collègues, nous allons entendre trois témoins auxquels nous avons demandé de nous donner leurs opinions sur les incidences des changements proposés.

[Français]

Nous sommes heureux d’accueillir, tout d’abord, Michel P. Coderre, avocat-directeur, De Jure, Avocats. Maître Coderre est membre des Barreaux du Québec et de l’Ontario; il est aussi comptable agréé. Il a soumis un mémoire qui contient une abondance de détails.

[Traduction]

Nous accueillons aussi, du CCPA, le Centre canadien de politiques alternatives, David Macdonald, économiste principal. Le CCPA a son bureau national ici même à Ottawa, mais il a des bureaux dans cinq autres provinces. Enfin, de la Fédération canadienne des contribuables, nous accueillons Aaron Wudrick, directeur fédéral.

Messieurs, merci d’avoir accepté notre invitation. Nous allons maintenant écouter vos exposés.

[Français]

Michel P. Coderre, avocat-directeur, De Jure, Avocats, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Mon allocution ce matin sera prononcée en anglais, mais je répondrai évidemment à toute question en français ou en anglais.

[Traduction]

Sur une note personnelle, je dois dire qu’il est bon de revenir au Sénat après 40 ans. Quand j’étais à l’université, j’ai travaillé comme page au Sénat, sous la direction du major Guy Vandelac, un héros de Dieppe qui était alors l’huissier du bâton noir. Il nous a si bien conditionnés que si l’un de vous me demande un verre d’eau, je pourrais juste bondir et aller vous en chercher un.

J’ai assez parlé de moi, alors parlons de ce qui est proposé. Mon exposé d’aujourd’hui se fonde sur les propositions du 18 juillet. Le gouvernement a annoncé hier qu’il y aurait des changements cette semaine, mais nous n’avons encore aucun détail. Mes observations d’aujourd’hui sont axées sur les paramètres et seront par conséquent utiles pour l’évaluation des changements qui viendront cette semaine.

Le gouvernement a dit de ses propositions qu’elles visent premièrement à éliminer des échappatoires fiscales, deuxièmement à imposer les Canadiens riches qui se servent des sociétés privées pour faire de l’évitement fiscal, et troisièmement à faire en sorte que la classe moyenne fonctionne mieux.

Ces trois caractérisations sont malencontreuses. Les propositions ne visent pas à éliminer des échappatoires; ce sont essentiellement des mesures fondamentales. Comme je vais le démontrer aujourd’hui, les propriétaires de sociétés privées ne sont pas tous de riches Canadiens, et les changements proposés ne visent pas une meilleure classe moyenne. Ces propositions ne mettent pas un seul dollar dans les poches des Canadiens de la classe moyenne.

Le gouvernement s’impose à lui-même une frénésie de neutralité entre les entrepreneurs et les employés, et entre les entrepreneurs prospères et les autres Canadiens. Je dirais qu’une saine politique fiscale ne cherche pas la neutralité. Elle cherche les bons choix. Le comité peut jouer un rôle crucial dans la validation des hypothèses qui sous-tendent les propositions fiscales et aider le gouvernement à faire de bons choix en matière de politiques.

Plutôt que d’accepter sans réserve ce truc de neutralité, le comité pourrait se poser la question suivante : est-ce que notre régime fiscal cadre avec les politiques industrielles canadiennes? Tandis que le premier ministre parcourt le pays pour déclarer son appui à l’innovation, à l’intelligence artificielle et à la petite entreprise, est-ce que les politiques fiscales canadiennes soutiennent cela? Voulons-nous idéaliser un régime qui, d’abord et avant tout, cherche la neutralité entre les entrepreneurs et les employés? Voulons-nous favoriser un climat commercial qui encourage les Canadiens à s’enrichir et à prendre des risques? Voulons-nous réduire les revenus de nos entrepreneurs prospères afin de prêcher l’égalité?

Les propositions visent trois aspects : les investissements passifs, le fractionnement des revenus et la conversion de revenu. Je vais parler brièvement de chacun de ces trois aspects.

Voyons d’abord les investissements passifs. Au cours de ma carrière, j’ai énormément travaillé avec de petites et moyennes entreprises. L’une des leçons les plus importantes que les entrepreneurs apprennent et qu’ils se font sans cesse confirmer, c’est que l’argent comptant est roi. Il n’y a en fait jamais assez d’argent comptant. Quand vous en avez, vous devez le protéger. Il y aura toujours de mauvais jours. Les banques et les sociétés de capital de risque ne sont pas nécessairement là quand vous en avez besoin, et pourraient ne jamais être là pour vous, en fait.

En juillet, le ministre a justifié les propositions en citant des préoccupations concernant la hausse du nombre de sociétés privées, qui était passé à 1,8 million. Cependant, le ministre n’a pas fourni de données au sujet de la composition de ces 1,8 million de sociétés, et le ministre utilise ce nombre de 1,8 million pour soutenir que les Canadiens riches ne paient pas leur juste part.

Est-ce que la situation l’exige? Est-ce justifié? Je soutiens que non.

Hier, le gouvernement a finalement publié des données à ce sujet. L’analyse de ces données est très troublante, car elle peut légitimement servir à remettre en question les raisons pour lesquelles le ministre a choisi pour ses propositions fiscales de s’armer d’un bazooka pour attaquer l’ensemble des petites entreprises canadiennes. Ce faisant, le gouvernement cause le chaos depuis trois mois parmi les petites entreprises, et il a dénaturé les travaux du Parlement.

Les données publiées hier visent l’année 2015 et indiquent que, sur les 1,8 million de sociétés, plus de 1,5 million de sociétés n’avaient pas du tout de revenu passif, et que 143 000 sociétés avaient un revenu passif de moins de 10 000 $.

Sur les 1,8 million de sociétés privées, 20 000 sociétés seulement avaient un revenu passif de plus de 100 000 $. Cela représente 1,6 p. 100 du total de 1,8 million.

En ce qui concerne les investissements passifs, 85 p. 100 des 1,8 million de sociétés n’en avaient pas du tout, alors que 1,6 p. 100 des 1,8 million de sociétés détenaient 80 p. 100 de la totalité des investissements passifs.

En fait, honorables sénateurs, je dirais que les données semblent indiquer que ce qu’il faut aux petites entreprises canadiennes, c’est une injection de capitaux. Les petites entreprises n’ont pas d’argent. Elles sont sous-capitalisées.

Cela étant dit, que pouvons-nous faire de ces 20 000 sociétés qui gagnent l’essentiel du revenu passif et qui détiennent 80 p. 100 des investissements passifs? Eh bien, nous avons deux options. L’une est de les jeter dans l’arène et de les imposer. L’autre est de les remercier abondamment de soutenir les marchés financiers canadiens et les entreprises canadiennes, et d’investir du capital de risque.

Avant de décider de l’option à choisir, je dirais que nous avons besoin de renseignements supplémentaires. Nous ne sommes pas encore prêts.

Quelles seront les répercussions sur les marchés financiers et boursiers canadiens si le gouvernement s’approprie des milliards de dollars en fonds destinés à des investissements pour les rediriger vers le Trésor? Ce qui semble ressortir aujourd’hui, c’est que les investissements passifs canadiens se situent à 400 milliards de dollars et qu’ils produisent en ce moment 28 milliards de dollars en revenu annuel.

Autre question : quelles seront les répercussions sur les ratios de prêts des banques — les ratios d’endettement — une fois qu’une importante partie de l’actif de nos sociétés aura été engouffrée dans les coffres du gouvernement? Qui s’occupera de la garantie des prêts?

Et est-ce que le gouvernement a discuté de ses propositions avec le secteur bancaire? Est-ce qu’il en découlera des défauts de paiement en application des modalités de prêt actuelles? Qu’est-ce que le gouvernement va faire avec l’argent? Après l’avoir retiré de l’économie, le gouvernement le réinvestira-t-il dans l’économie afin de remplacer les capitaux perdus?

Je vais maintenant parler de fractionnement des revenus. Je dirais qu’une mesure fiscale, pour être défendable, doit répondre à deux critères. Premièrement, elle doit être justifiée compte tenu des politiques. Deuxièmement, elle doit permettre une saine administration.

On pourrait se demander si les mesures proposées concernant le fractionnement des revenus répondent au premier critère touchant les politiques. La petite entreprise est une affaire de famille. La famille assume ensemble le stress et le fardeau. Pourquoi la famille — en particulier le conjoint ou la conjointe — ne pourrait-elle pas se partager le revenu? Ce n’est pas comme un revenu d’emploi.

Cependant, les règles de fractionnement des revenus ne répondent pas au deuxième critère relatif à l’administration fiscale. Ce que j’en dis précisément, c’est que le critère raisonnable est inapplicable et que les règles sont horriblement subjectives. La subjectivité n’a pas sa place en administration fiscale. L’ARC va s’en donner à cœur joie avec ces règles telles qu’elles sont libellées.

Bien que les règles proposées soient destinées à recueillir 250 millions de dollars, il faut soustraire de cela les coûts d’application et les coûts de résolution des différends que le gouvernement devra assumer. Les règles de fractionnement des revenus vont gravement pénaliser tout contribuable qui doit se soumettre à un audit. N’importe quel propriétaire de petite entreprise sait qu’un litige fiscal a des effets dévastateurs sur la vie au sein de la petite entreprise. Cela prend du temps, coûte de l’argent et détourne les efforts au détriment de l’entreprise. De plus, un litige fiscal peut compromettre les dispositions bancaires d’entreprise, car nous savons tous que les vérifications fiscales suscitent beaucoup de nervosité et d’inconfort chez les banques.

Je dirais en fait que l’ARC possède déjà les outils pour contrôler le fractionnement indu des revenus au sein des familles. Plutôt que d’adopter de nouvelles règles, il vaudrait mieux résoudre les problèmes à l’aide des règles existantes.

On recourt souvent au fractionnement des revenus pour financer l’éducation des enfants en âge de fréquenter l’université. Le gouvernement a-t-il pensé à l’effet ricochet que le retrait du financement de l’éducation par l’entreprise aura sur les coffres des provinces, à cause de l’augmentation des demandes de prêts étudiants?

Enfin, le gouvernement pense-t-il vraiment qu’il vaut la peine de faire de cet exercice accaparant une de ses grandes priorités nationales pour des revenus de 250 millions de dollars?

Ce sont les raisons pour lesquelles les règles de fractionnement des revenus n’ont objectivement aucun sens. Elles devraient être retirées.

Troisièmement, et brièvement, je vais parler de la conversion des revenus. Les règles visant la conversion des revenus ont été proposées par le gouvernement en réponse à ce qui serait perçu comme des abus fiscaux prenant la forme de la conversion de dividendes en gains en capital. C’est très technique. En réponse à cela, le gouvernement a publié des règles qui semblaient faussement simples, mais qu’on peut interpréter, après un examen approfondi, comme étant un virus omniprésent s’attaquant aux transactions courantes des entreprises canadiennes.

Le 2 octobre, le Comité mixte sur la fiscalité de l’Association canadienne du Barreau et de Comptables professionnels agréés du Canada a publié un document de 60 pages montrant comment ces règles sont omniprésentes dans les transactions des petites entreprises, comme les affaires commerciales, le financement des entreprises et la planification de succession.

Dans le milieu des affaires, il ne faut pas tout prendre pour un dividende, et il n’y a pas lieu de le faire non plus. Il y a des activités d’investissement en immobilisations qui ne devraient pas s’accompagner de charge fiscale, en particulier pour le remboursement de capital. Bref, les règles proposées risquent de convertir tout ce qui bouge en dividende. C’est pourquoi il faut les retirer.

Donc, en conclusion et en résumé, pour les fonds passifs, nous avons une approche qui utilise un bazooka et qui s’appuie sur des hypothèses non fondées et sur une analyse incomplète. Pour ce qui est du fractionnement des revenus, nous avons des règles dont la justification est discutable et qui ne répondent pas au critère relatif à l’administration. Pour la conversion des revenus, nous avons des règles techniques qui mènent à toute une panoplie de conséquences non voulues sur les transactions des entreprises en général.

Je remercie le comité de m’avoir donné la chance d’être entendu. C’était ma déclaration liminaire.

Le président : Merci, monsieur. Nous allons maintenant écouter M. Macdonald.

David Macdonald, économiste principal, Centre canadien de politiques alternatives : J’aimerais remercier le comité de m’avoir invité à cette séance.

Des trois mesures proposées, compte tenu du temps que j’ai, j’aimerais me concentrer principalement sur la proposition visant le fractionnement des revenus. Je serai cependant ravi de répondre à des questions sur les deux autres aspects.

Je vais parler de mon récent rapport, intitulé “Splitting the Difference : Who Really Benefits from Small Business Income Sprinkling?” Ce rapport contient une analyse plus détaillée que je vais vous résumer aujourd’hui.

Les données du rapport, que je vous présente aujourd’hui, ont été traitées à l’aide du logiciel de modélisation fiscale de Statistique Canada, ce qui mène à la détermination de répercussions statistiquement viables du fractionnement des revenus.

Ce qui ressort clairement et immédiatement, c’est à quel point les avantages du fractionnement des revenus sont concentrés parmi les familles les plus riches au Canada. La tranche de 20 p. 100 des familles se situant au sommet des revenus obtient 91 p. 100 des avantages du fractionnement des revenus. La tranche de 5 p. 100 des familles qui gagnent plus de 216 000 $ obtient la moitié des avantages du fractionnement des revenus. La tranche de 70 p. 100 des familles ayant les revenus les plus faibles, soit moins de 100 000 $ — ce qui comprend toutes les familles de la classe moyenne, soit dit en passant — obtient globalement 3 p. 100 des avantages du fractionnement des revenus. Les familles qui profitent du fractionnement des revenus sont principalement dirigées par un homme.

Malgré tout le cas qu’on en fait, les avantages sont incroyablement restreints, même pour les familles qui obtiennent des dividendes de SPCC. Des 904 000 familles économiques recevant des dividendes de sociétés privées, 13 p. 100 pourraient recourir au fractionnement des revenus, bien qu’on puisse présumer que les dividendes ne répondent pas dans tous les cas au critère du caractère raisonnable, ce qui représente la limite supérieure des répercussions. Autrement dit, au moins 87 p. 100 des familles de petits entrepreneurs ne peuvent pas profiter du fractionnement des revenus.

D’autres précisions révèlent que seulement 5 p. 100 environ des familles de petits entrepreneurs recourent activement au fractionnement des revenus en guise de stratégie fiscale et ne respecteraient vraisemblablement pas le critère du caractère raisonnable. Cela représente 0,3 p. 100 de l’ensemble des familles canadiennes.

Le coût estimatif du fractionnement des revenus en 2017 pour le gouvernement fédéral est de 280 millions de dollars, montant auquel s’ajoute un coût provincial additionnel de 110 millions de dollars pour toutes les provinces.

Chose intéressante, l’avantage fiscal moyen est inférieur à ce qu’on veut bien laisser entendre dernièrement, même pour les familles de la tranche supérieure de 1 p. 100, qui gagnent plus de 416 000 $. L’avantage moyen du fractionnement des revenus n’est que de 10 000 $ pour ceux qui l’obtiennent.

Les professionnels sont ceux qui risquent nettement plus de recourir à cette stratégie fiscale, plus vraisemblablement nos familles dont le chef travaille dans le secteur des soins de santé. Ceux qui en profitent sont les médecins, dentistes, chiropraticiens, physiothérapeutes — ce genre de choses —, et ce sont 26 p. 100 des familles qui vont vraisemblablement tirer plus de 10 000 $ du fractionnement des revenus. Au deuxième rang se trouvent les professionnels en général, ce qui comprend les avocats et les comptables. Arrivent au troisième rang les intervenants du secteur de l’immobilier et de l’assurance.

Ce n’est généralement pas à eux qu’on pense quand on parle de petites entreprises traditionnelles. En fait, si on regarde du côté du secteur agricole, avec les fermes familiales, ou du côté du secteur des services d’hébergement et d’alimentation, avec les restaurants familiaux, ces gens-là risquent 2,5 fois moins de tirer plus de 1 000 $ du fractionnement des revenus, par comparaison avec les familles du domaine des soins de santé.

En ce qui concerne la proposition visant le revenu passif, c’est aussi très circonscrit, comme nous l’avons vu dans les nouvelles données publiées hier, car environ 3 p. 100 des sociétés privées détiennent plus de 1 million de dollars et tirent environ 88 p. 100 de tous les avantages associés au revenu passif. Par conséquent, tout changement fiscal n’aurait des incidences que sur un nombre très limité de sociétés privées. C’est un groupe très restreint, et il est aussi très restreint concernant le fractionnement des revenus. Comme pour le fractionnement des revenus, 85 p. 100 des sociétés privées n’ont pas du tout de revenu passif. Des changements relatifs au revenu passif n’auraient aucun effet sur la grande majorité des petites entreprises.

Fait intéressant, il semble que le gouvernement fédéral envisage de réduire le taux d’imposition des petites entreprises en guise de compensation des changements, dans une certaine mesure. Nous ne connaissons pas les détails des changements relatifs au revenu passif. Une fois la mise en œuvre terminée, le coût de la réduction du taux d’imposition des petites entreprises sera d’environ 855 millions de dollars en 2020. L’annulation du fractionnement des revenus pourrait permettre de recueillir environ 280 millions de dollars. Le coût net de l’élimination des échappatoires fiscales serait, curieusement, de 575 millions de dollars. Bien sûr, l’élimination des échappatoires fiscales est censée permettre de percevoir de l’argent. Dans ce cas, cela nous coûte de deux à trois fois plus que ce que nous économisons.

Par conséquent, compte tenu de la concentration des avantages parmi les familles canadiennes les plus riches, j’encourage le comité à appuyer les propositions, en particulier concernant le fractionnement des revenus, ainsi que des mesures visant le revenu passif, bien que les choses ne soient pas encore claires en ce moment.

J’encouragerais aussi le comité à pêcher de plus gros poissons, quand il est question de dépenses fiscales, notamment la déduction pour option d’achat, qui s’applique aux PDG et aux personnes qui ont des revenus nettement supérieurs à ceux de la plupart des propriétaires de petites entreprises, et à se pencher sur des enjeux plus vastes comme le taux d’inclusion des gains en capital.

J’encouragerais le comité à demander un vaste examen public des dépenses fiscales. Le comité parlementaire des finances a certainement mené un examen théorique interne sans que le rapport soit rendu public. Je pense qu’un vaste examen public des dépenses fiscales serait de mise.

Je vous remercie de votre temps. Je répondrai à vos questions avec plaisir.

Le président : Merci.

Aaron Wudrick, directeur fédéral, Fédération canadienne des contribuables : Bonjour. Il se trouve que c’est mon anniversaire aujourd’hui. Pour un défenseur fiscal, il n’y a rien de mieux que de fêter son anniversaire en parlant d’impôts. Merci beaucoup de l’invitation.

Évidemment, compte tenu de ce que le gouvernement a annoncé hier et des autres détails à venir cette semaine, le contexte de la discussion sur ces changements a quelque peu changé. Je suis ravi de constater que le gouvernement a reconnu bon nombre des problèmes liés à ses propositions, et j’ai hâte d’en analyser les détails lorsqu’ils seront rendus publics cette semaine.

J’aimerais d’abord parler de la mesure déjà annoncée, à savoir le retour de l’engagement du gouvernement à ramener le taux d’imposition des petites entreprises à 9 p. 100. En tant que groupe qui préconise de faibles taux d’imposition, loin de nous l’idée de nous plaindre d’une réduction d’impôt, mais nous croyons en revanche que toutes les baisses d’impôt ne sont pas égales. Comme dans le cas du gouvernement précédent, nous aurions préféré des déductions fiscales inférieures et généralisées, plutôt que la panoplie de mesures spéciales mises en place. Nous sommes également préoccupés du coût de renonciation et des conséquences imprévues découlant de l’écart qui se creuse entre le taux d’imposition des particuliers et celui des petites entreprises.

Sénateurs, rappelez-vous que la principale raison que le gouvernement a lui-même invoquée d’emblée pour entreprendre ces réformes était la hausse rapide du nombre de sociétés privées sous contrôle canadien, ou SPCC, au cours des 15 dernières années.

Cette augmentation du nombre de SPCC était attribuable à l’écart grandissant entre le taux d’imposition des particuliers et celui des petites entreprises. Pour les revenus supérieurs, le taux marginal d’imposition du revenu des particuliers peut atteindre 50 p. 100, tandis que le taux d’imposition des petites entreprises combiné aux taux provinciaux est beaucoup plus faible, généralement de l’ordre de 15 p. 100. Bien sûr, cela incite fortement les gens à essayer de structurer leurs affaires de façon à avoir accès au taux inférieur.

Dans ce contexte, le gouvernement Trudeau a accentué l’écart en introduisant une nouvelle tranche d’imposition de 33 p. 100, un taux pour les particuliers à revenu élevé, et il réduit maintenant le taux des petites entreprises à 9 p. 100. Il est en quelque sorte en train d’exacerber le problème même qui avait été identifié au départ.

Il faut aussi préciser que l’augmentation du nombre de SPCC n’est pas un problème; du point de vue du gouvernement, ce n’est un problème que si la hausse est surtout attribuable à des gens qui font le même travail de la même manière, mais en payant moins d’impôt.

J’ai très hâte de voir si le gouvernement prendra des mesures pour régler le problème entourant certains usages des SPCC. Je pense que mon ami David l’a bien exprimé en disant qu’il s’agit principalement de professionnels qui ouvrent de telles sociétés principalement dans le but de réduire leur fardeau fiscal individuel.

En ce qui concerne la répartition du revenu, le gouvernement a dit qu’il proposera des critères plus simples pour déterminer si une personne peut toucher un revenu de l’entreprise. À mon avis, il est juste d’affirmer que peu de gens accepteraient qu’une personne sans le moindre lien avec une entreprise soit autorisée à être rémunérée dans le seul but d’alléger le fardeau fiscal de l’entreprise. Ce qui est délicat, c’est lorsque la contribution à l’entreprise est subjective ou moins évidente.

Par exemple, un point litigieux a été de déterminer si les conjoints qui ne travaillent pas directement pour l’entreprise ont le droit de recevoir un revenu, dans le cas où ils ont assumé un risque financier, comme la responsabilité conjointe d’une marge de crédit personnelle avec le conjoint qui dirige activement les affaires. Bien sûr, ces personnes ont pris un risque en contractant le prêt.

En ce qui concerne les investissements passifs, je me réjouis également que le gouvernement semble tenir compte du fait que de nombreux propriétaires de petites entreprises utilisent ces investissements pour financer des congés de maternité et des départs à la retraite, par exemple. Adopter une démarche énergique pour les restreindre peut entraîner des conséquences graves, négatives et involontaires.

Dans l’ensemble, j’aimerais préciser aux sénateurs que nous sommes d’accord sur l’objectif général du gouvernement en matière de réforme fiscale. Nos préoccupations se rapportent plutôt aux propositions particulières qui ont été formulées. Notre code des impôts est trop complexe. Il compte un million de mots et 3 000 pages, mais il pourrait en être autrement.

Je sais que mon ami David et moi serons en profond désaccord sur le montant des recettes que nous aimerions que le gouvernement adopte, mais je suppose que nous conviendrions qu’il faut le faire de la façon la plus efficace, la plus simple et la plus équitable possible.

L’erreur que le gouvernement a commise, en plus d’avoir commandé l’année dernière une étude sur les dépenses fiscales fédérales dont les résultats n’ont pas été rendus publics, c’est d’avoir adopté une vision trop étroite de la réforme fiscale, et non pas l’inverse. C’est comme si le gouvernement décidait de nettoyer le grenier, mais qu’il se limitait à une seule boîte dans le coin portant la mention « SPCC ».

Le gouvernement fédéral ne produit aucune donnée sur plus de 90 crédits fiscaux et dépenses fiscales. Selon les estimations de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, ces mesures pourraient atteindre 140 milliards de dollars par année et comprendre de grandes choses comme les régimes de retraite et les REER, jusqu’à des exemptions de la TPS sur l’épicerie, en passant par des cotisations syndicales, des dons à des partis politiques et des crédits d’impôt pour la production télévisuelle et cinématographique.

Par conséquent, plutôt que de préconiser un abandon de la réforme, notre groupe demande une commission d’enquête sur la réforme fiscale, à l’instar de la commission Carter dans les années 1960. Nous pensons que le problème n’est pas que la réforme fiscale est trop profonde, mais plutôt qu’elle ne l’est pas assez. Comme le gouvernement l’a vite appris, il peut être très problématique sur le plan politique de s’attaquer à certaines personnes tout en ignorant les autres.

Je serai heureux de répondre aux questions.

Le président : Merci.

J’aimerais demander à la vice-présidente de se présenter.

La sénatrice Cools : Bonjour. Je m’appelle Anne Cools, et je suis sénatrice, comme vous pouvez le voir. Je viens de Toronto, à l’instar de mon ami. Je dois vous dire que je suis très heureuse d’entendre votre témoignage.

Vous soulevez des questions fort importantes, dont la plus importante est le droit des gouvernements. Les gouvernements ont-ils le droit absolu d’imposer des taxes et de puiser dans les poches des contribuables dès qu’ils en ont envie?

C’est une question politique, morale et économique très profonde, mais qui soulève des débats parmi les parlementaires depuis des siècles. C’est pourquoi nous avons un principe selon lequel « il n’y a pas d’impôt sans représentation ». Le concept même de la Chambre des communes est né en raison de ces principes, à savoir les limites à l’intérieur desquelles le gouvernement peut augmenter les impôts.

La sénatrice Eaton : Ma question s’adresse à Michel Coderre. Ma collègue, la sénatrice Marshall, a demandé l’année dernière au ministre Morneau de lui énumérer les critères de ce qui constituait revenu de la classe moyenne. Il ne l’a pas fait.

Pourriez-vous me dire quels sont d’après vous les critères d’un revenu de la classe moyenne au pays, à l’heure actuelle, pour que nous ayons un point de départ? Qu’est-ce qu’on entend par là?

M. Coderre : Je l’ignore, sénatrice. Nous savons que nous avons différentes tranches d’imposition. Qu’est-ce qu’un revenu de la classe moyenne? Je ne le sais pas. Je dirais toutefois que l’orientation apparente des propositions visant à améliorer la classe moyenne laisse à désirer. On ne définit nulle part qui appartient à la classe moyenne. Qui ciblons-nous? Comment le ministre définit-il la classe moyenne? Est-elle composée de personnes qui paient des impôts et qui n’en paient pas?

La sénatrice Eaton : Parlons-nous de gens qui gagnent entre 30 000 et 90 000 $ par année?

M. Coderre : Non. Je dirais que la classe moyenne se caractérise par un salaire individuel de 50 000 à 60 000 $, et par un revenu familial combiné de l’ordre de 50 000 à 100 000 $. Voilà ce qu’est la classe moyenne à mon avis.

La sénatrice Eaton : Il est important de définir le concept, car nous saurons alors de qui ils parlent, puisque le gouvernement, et tous les gouvernements, je suppose, n’hésitent pas à parler de la classe moyenne.

Joyeux anniversaire, monsieur Wudrick. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur une chose que M. Coderre a mentionnée, à savoir la répartition des revenus contre laquelle le gouvernement veut sévir — l’idée que ce soit une mesure très subjective étant donné qu’un conjoint peut être réceptionniste dans un cabinet médical, et que la femme d’un agriculteur peut l’aider en conduisant un tracteur? C’est très subjectif. Comme vous le dites, les gens contractent des prêts conjoints sur la maison familiale.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Qu’en pensez-vous?

M. Wudrick : Bien sûr. Il y a deux volets importants. En premier lieu, le portrait que le gouvernement a tenté de dresser se rapporte à une situation où une personne reçoit un salaire, souvent un enfant d’âge adulte qui n’a aucun lien avec l’entreprise et qui vit peut-être même dans une autre ville. C’est très difficile à justifier. Il s’agit de payer une personne qui n’a aucun rapport avec l’entreprise dans le seul but de réduire le fardeau fiscal. Ce cas est évident.

Mais beaucoup d’autres cas sont plus ambigus. L’exemple qui est souvent donné est celui d’un conjoint qui ne travaille pas dans l’entreprise au quotidien, mais qui est responsable d’une marge de crédit personnelle visant à financer l’entreprise. Dans d’autres cas, le conjoint travaille à temps partiel dans l’entreprise tout en s’acquittant d’autres tâches, comme un travail à temps plein ou à la maison.

On se demande non seulement comment le gouvernement pourra tracer des lignes claires à ce chapitre, mais aussi quelle est l’ampleur du fardeau de la conformité pour les entreprises qui doivent prouver la contribution du conjoint pour que celui-ci soit admissible. Il faut ensuite fixer une valeur convenable. La tenue de livres à temps partiel vaut-elle 20 000 $? Est-ce qu’un salaire de 25 000 $ est trop? Ces questions soulèvent beaucoup d’incertitudes.

L’autre volet se rapporte à une incohérence générale du code des impôts : quelle unité voulons-nous imposer? Souhaitons-nous imposer la personne ou la famille? En règle générale, nous imposons les particuliers dans notre système, mais comme nous l’avons constaté, il y a des cas où… Le gouvernement précédent l’a fait avec le fractionnement du revenu. Cette mesure est toujours permise pour les personnes âgées, qui peuvent bénéficier du fractionnement du revenu de pension. Évidemment, des programmes comme l’ancienne mesure fiscale du gouvernement pour les services de garde, l’Allocation canadienne pour enfants, que nous appuyons, étaient fondés sur le revenu du ménage plutôt que sur le revenu individuel.

Ce que je veux dire, c’est que le gouvernement doit prendre position : souhaite-t-il imposer des particuliers ou des familles? Il devra ensuite s’y conformer dans l’ensemble du code des impôts.

La sénatrice Eaton : Je poursuivrai au prochain tour.

Le sénateur Pratte : J’ai deux questions.

[Français]

Ma première question s’adresse à M. Coderre à propos des investissements passifs. Vous avez cité les chiffres publiés par le gouvernement hier qui indiquent que les investissements passifs importants sont le fait d’une toute petite minorité de sociétés privées. Cela indique tout de suite une possibilité qui s’ouvre pour le gouvernement et qui sera peut-être annoncée cette semaine, c’est-à-dire limiter la nouvelle imposition à 1,6 p. 100, ou même moins, aux entreprises qui font des investissements substantiels. Est-ce une proposition qui vous plairait davantage ?

M. Coderre : Dans un premier temps, il faudrait voir avant de taxer quoi que ce soit si cela se justifie sur le plan économique. Il faudrait qu’il y ait une certaine justification au fait d’imposer ce capital privé.

Je proposerais une règle toute simple qui aurait valeur de précédent pour d’autres textes de loi. Par exemple, avec les taxes provinciales sur le capital des sociétés et la taxe fédérale sur les grandes sociétés, on a établi un seuil. La taxe sur les grandes sociétés qui figure à l’article 181.1 de la loi offre une déduction aux sociétés visées de 50 millions de dollars. Donc, on pourrait établir un seuil quelconque et, dans le cas des sociétés privées qui répondent à certaines conditions, on pourrait prendre leur capital soi-disant passif et établir une présomption. On pourrait leur offrir une déduction de base, que ce soit 1 million, 5 millions, 10 millions ou 50 millions de dollars. Il faudrait alors calculer la déduction, à savoir si c’est en pourcentage des actifs. Dans un souci de paix sociale ou fiscale, on pourrait offrir une déduction de base comme celle-là qui rapporterait un peu d’impôt au gouvernement.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Ma deuxième question se rapporte au témoignage de M. Wudrick. Vous parlez d’une commission d’enquête. Je ne sais pas si c’est la bonne formule, car les commissions d’enquête sont des procédures assez vastes. Mais depuis le début du débat, beaucoup de gens ont soulevé l’idée d’une étude approfondie de la Loi de l’impôt sur le revenu, puisqu’elle est devenue extrêmement complexe. Nous n’avons pas eu ce genre d’examen approfondi depuis la commission Carter.

Pourriez-vous préciser ce que cette commission d’enquête ou ce comité d’experts pourrait étudier exactement? Peut-être que d’autres témoins pourraient aussi nous dire brièvement s’ils seraient en faveur d’un tel examen de la Loi de l’impôt sur le revenu.

M. Wudrick : Merci, sénateur. Le gouvernement a chargé un groupe d’experts d’examiner les dépenses fiscales du budget de 2016. Cet examen est complété, mais il n’a pas été rendu public. Ce serait un premier pas tout à fait simple.

Je dis cela parce que le plus difficile, comme je l’ai mentionné dans mon exposé, c’est que les gens ont l’impression d’être attaqués. Si nous voulons faire du ménage dans le code des impôts parce qu’il est trop complexe… Il est important de noter que pendant trop longtemps, le débat sur la taxation s’est limité à une hausse ou une baisse d’impôts. Nous avons tous notre opinion là-dessus, mais les dispositions sont également trop compliquées. Il ne devrait pas être important que vous vouliez monter ou baisser les impôts. De toute évidence, nous avons tous intérêt à ce que ces revenus soient perçus de la manière la plus efficace et la plus simple possible.

En affaires, il y a le fardeau de la conformité et il y a de l’incertitude. La création d’échappatoires fiscales se traduit par la mise sur pied d’une industrie artisanale qui consiste à essayer d’éviter de payer des impôts.

On parle beaucoup du recours abusif aux mécanismes fiscaux — et le terme « échappatoires » est considéré comme péjoratif — tant au pays qu’à l’étranger. Le fait d’avoir un code fiscal simple diminue le risque d’abus.

C’est très important. Même si nous sommes mécontents d’une grande partie des mesures proposées par le gouvernement, nous ne voulons pas le dissuader de réformer le régime fiscal. S’il tourne maintenant le dos à cette réforme, nous nous retrouverons avec un code fiscal de 3 000 pages qui comporte un million de mots. Rien ne justifie qu’il soit aussi compliqué.

M. Macdonald : Je suis d’accord avec Aaron pour ce qui est d’examiner les dépenses fiscales, en particulier, car c’est vraiment ce qui complique le code fiscal, du moins pour les particuliers. Le code fiscal des entreprises est entièrement différent.

Dans le cas du code fiscal des particuliers et de sa liste de dépenses fiscales annuelles, le montant des recettes fiscales auxquelles nous renonçons est le même que celui des impôts que nous prélevons. Autrement dit, en éliminant l’ensemble des dépenses fiscales, nous doublerions le montant de l’impôt sur le revenu des particuliers que nous prélevons. C’est une dépense importante du point de vue du gouvernement fédéral.

Les dépenses fiscales sont habituellement créées, inscrites dans un rapport poussiéreux et conservées à jamais. On ne les réexamine jamais pour voir si elles permettent d’atteindre les objectifs auxquels on s’attendait, contrairement aux programmes, qui sont réexaminés tous les 5 à 10 ans, pour voir s’ils font ce qu’ils sont censés faire.

Chose certaine, un examen approfondi des dépenses fiscales et un engagement à éliminer certains ensembles de dépenses fiscales, disons 5 ou 10 par année, contribueraient grandement à limiter la capacité des gens, notamment des particuliers à revenu élevé, à se servir des échappatoires fiscales pour payer moins d’impôt que les membres de la classe moyenne qui n’ont pas les bons comptables ou les bons revenus pour en profiter.

[Français]

Le président : Monsieur Coderre, souhaitez-vous ajouter des commentaires ?

M. Coderre : Non, je vous remercie.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Je voulais parler du coût global du taux d’imposition de 9 p. 100 des petites entreprises et des recettes supplémentaires que le gouvernement engrangera grâce aux modifications fiscales proposées.

Le taux d’imposition de 9 p. 100 des petites entreprises aura un coût pour le gouvernement. Il semble que la répartition du revenu, d’après ce qu’on nous a dit, permettra de recueillir autour de 250 millions de dollars.

J’ai demandé à d’autres témoins d’estimer ce que le gouvernement prélèvera selon eux à l’aide des modifications relatives au revenu passif. Je n’ai pas réussi à obtenir un chiffre, mais compte tenu de la situation financière du gouvernement, il ne peut pas continuer de réduire les impôts, comme pour le taux de 9 p. 100. La réduction à 9 p. 100 aura un coût pour le gouvernement, et les recettes devront donc venir d’ailleurs.

J’aimerais avoir votre opinion sur la provenance de ces recettes. Je sais qu’il y aura une taxe sur la marijuana et une taxe sur le carbone, mais je les ai un peu mises de côté. J’essaie d’examiner les modifications qui sont maintenant proposées. Permettront-elles d’atteindre un équilibre? Le gouvernement percevra-t-il des recettes supplémentaires grâce à certaines des modifications, alors que les autres lui coûteront de l’argent?

D’après ce qu’on voit aujourd’hui, il semble qu’une augmentation des impôts sera nécessaire. Je regarde la proposition relative au revenu passif, et je sais, maître Coderre, que vous y avez fait allusion plus tôt dans un témoignage antérieur. Je n’ai pas encore vu d’annonce jusqu’à maintenant, mais on pourrait croire que les modifications de transition pour le revenu passif pourraient servir à engranger des recettes supplémentaires. Il semble qu’environ 20 000 sociétés seraient visées.

Je réfléchis juste à l’avenir en me disant que c’est ainsi qu’ils obtiendront les recettes nécessaires pour aider à financer le taux d’imposition de 9 p. 100 des petites entreprises, mais je regarde ensuite ce qui s’est passé l’année dernière, lorsqu’ils ont fait passer à 33 p. 100 le taux d’imposition des hauts salariés, ce qui devait procurer des recettes supplémentaires. Cela ne s’est pas concrétisé.

Je regarde où nous en sommes maintenant, et je me demande où le gouvernement veut en venir exactement en procédant ainsi. Cherchons-nous à accroître le déficit, ou pensez-vous que la proposition relative au revenu passif permettra de prélever beaucoup d’argent, car il y a des milliards de dollars dans les comptes de placement passif?

J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Coderre : Sénatrice Marshall, je ne pense pas avoir les données nécessaires pour vous présenter des chiffres précis. Je peux seulement formuler des observations générales.

Je n’ai pas encore vu le vilain mot « rétroactif » pour ce qui est des investissements passifs, et j’espère donc que nous ne proposerons pas d’imposer le capital de départ. Si le capital de départ est de 400 milliards de dollars, j’espère que son éventuelle imposition ne sera pas rétroactive.

La sénatrice Marshall : Mais le gouvernement n’a pas pris cet engagement. Il a laissé la porte ouverte, ce qui veut dire que l’imposition pourrait être rétroactive.

M. Coderre : C’est possible. Je ne sais pas dans quelle mesure un montant de 400 milliards de dollars augmente chaque année. En théorie, s’il augmente de 20 milliards de dollars, l’impôt viserait les 20 milliards de dollars, pas les 400 milliards. Ce n’est qu’une hypothèse. Je ne sais pas comment cela fonctionnerait.

Pour ce qui est du taux d’imposition des petites entreprises, il ne faut pas sauter aux conclusions. Le gouvernement accorde une réduction supplémentaire d’impôt d’un point et demi. Si nous allons de l’avant avec cette mesure, nous pouvons effectivement nous demander à quoi servira l’argent. Certaines entreprises, espérons-le, pourrons le réutiliser pour stimuler leur croissance, investir dans des actifs et ainsi de suite, ce qui serait souhaitable sur le plan économique.

D’autres entreprises, qui ne sont pas aussi rentables ou qui sont à court d’argent, pourraient juste prendre cet argent et le distribuer aux actionnaires, ce qui veut dire que le gouvernement le récupérerait, qu’il en récupérerait une plus grande partie, grâce à des salaires ou à des dividendes plus élevés, et le coût fiscal net serait alors de zéro.

Dans d’autres cas, si l’entreprise a de l’argent, et que la réduction de 1,5 point de pourcentage est un boni, je suppose que l’argent s’ajoutera aux investissements passifs, qui seront imposés par le gouvernement. Je soupçonne que le gouvernement en est bien conscient.

La sénatrice Marshall : Mais nous semblons tourner en rond, car le ministre Morneau était très préoccupé par l’augmentation du nombre de ces sociétés privées. Si nous diminuons maintenant le taux d’imposition des petites entreprises, je crois que cela inciterait d’autres personnes à constituer la leur en société. Vous savez, nous semblons tourner en rond. Les mesures prises aujourd’hui ne permettent pas d’atteindre l’objectif fixé hier.

M. Coderre : D’une certaine façon, oui. Je soupçonne que certaines sociétés parmi ces 1,8 million de sociétés se réjouissent parce qu’elles n’ont pas besoin de l’argent et sont très heureuses de l’avoir et de l’investir dans leur portefeuille, en espérant que les règles visant les investissements passifs n’entreront pas en jeu. Mais oui, sans aucun doute.

La sénatrice Marshall : À l’heure actuelle, les 20 000 personnes qui possédaient les grands comptes de revenu passif doivent être très nerveuses.

M. Coderre : Elles doivent l’être. Je ne sais pas. Je répète que nous ne savons pas où se trouve l’argent. Pourquoi y toucher s’il soutient le marché boursier canadien?

La sénatrice Marshall : L’argent se traduira par des retombées.

M. Coderre : Pourquoi alors y toucher?

M. Macdonald : Il semble que tout le revenu passif qui se trouve actuellement là serait protégé, ce qui signifie que le gain net pour le gouvernement fédéral serait essentiellement nul au cours des deux ou trois premières années. Il serait très faible. Bien entendu, nous n’avons pas de proposition concrète, et il est donc difficile de dire que ce serait hypothétiquement ainsi.

Le revenu passif imposable qui est généré par les sociétés privées au Canada se chiffre à environ 20 milliards de dollars par année. La proposition concernant le revenu passif a pour principal objectif de compenser, pendant la première année, la différence entre le taux d’imposition des petites entreprises d’environ 15 p. 100 et le taux d’imposition personnel d’environ 50 p. 100 appliqué au revenu passif pendant la deuxième année.

Hypothétiquement, si nous appliquions au revenu passif cette différence, qui est d’environ 30 p. 100, et que nous l’avions déjà fait, si bien que rien de tout cela n’aurait été considéré comme un droit acquis et aurait été appliqué de façon prospective, elle vaudrait très cher. Elle générerait entre 5 et 6 milliards de dollars par année de recettes supplémentaires grâce à l’imposition du revenu passif. Elle serait très axée sur 3 p. 100.

Cela vous donnerait une idée générale, hypothétiquement, de sa valeur potentielle dans 20 ans. Je pense que cette année, ou pendant les deux ou trois prochaines années, sa valeur sera essentiellement nulle.

C’est donc dire que si nous ne limitons que les modifications apportées au taux d’imposition des petites entreprises, nous obtenons une incidence négative nette pour le gouvernement, ce qui crée des dépenses supplémentaires d’environ 5 millions de dollars une fois que les modifications auront été pleinement mises en œuvre dans plusieurs années.

La sénatrice Marshall : Merci.

M. Wudrick : Je pense que c’est clair que, des trois propositions, c’est la plus importante. Il est indéniable qu’elle se chiffre en milliards. C’est très difficile à dire étant donné que nous ne connaissons pas le montant clair du stock de placements passifs existants, nous ne connaissons pas la base prospective et nous ignorons ce que diront les règles. Si on en juge à la fois par la réponse des intervenants et le crédit du gouvernement, il est évident qu’ils font preuve d’une prudence accrue en ce qui concerne les placements passifs. Ils ont été beaucoup plus clairs et n’ont pas présenté la chose en termes aussi concrets que dans le cas des deux autres. Il est difficile de vous donner un chiffre ferme, mais il très probable que ce soit dans les milliards de dollars.

[Français]

Le sénateur Forest : En fait, les placements passifs sont l’un des enjeux fort importants de cette réforme. La très grande majorité, plus de 85 p. 100 de la capitalisation des placements passifs, est entre les mains de 6 p. 100 des 1,8 million de l’entreprise.

Il y a là une situation très préoccupante. J’aimerais pousser un peu la réflexion au sujet de ce que vous avez dit, maître Coderre, en parlant d’établir des seuils. Comment est-il possible de définir des seuils? Il y a une pertinence importante dans le placement passif et il y a un problème de déséquilibre dans la concentration actuelle. Comment définir le seuil d’un type d’entreprise quant au renouvellement du parc technologique ou à la liquidité nécessaire pour les jours moins florissants? Qu’est-ce que fait une PME dont les propriétaires n’ont pas de fonds de retraite si ce n’est que ce placement passif?

Selon votre expérience, comment pourrait-on à définir des balises qui nous permettaient d’être plus équitables en ce qui a trait à l’effort fiscal et de ne pas soustraire 85 ou 86 p. 100 des placements passifs des entreprises canadiennes qui sont dans les mains de 1,5 ou1,6 p. 100 des entreprises? Qu’est-ce qui permettrait en même temps à ces entreprises d’avoir une capitalisation en placements passifs adéquate, compte tenu de leur type d’opérations?

M. Coderre : Vous posez une excellente question, sénateur Forest, à laquelle il n’y a pas de réponse facile. S’il y en avait une, je crois que le gouvernement l’aurait déjà proposée. Toutefois, je peux vous dire que la question du seuil est une solution possible. Il s’agit bien sûr d’une solution simpliste qui n’est pas parfaite.

Une autre approche qui pourrait être envisagée, seule ou de concert avec celle d’un seuil de base, serait de permettre aux sociétés détentrices de ce portefeuille passif de déduire des investissements dans des secteurs économiques identifiés. C’est un peu comme l’approche adoptée en 1972 à la suite de la commission Carter, où on permettrait des déductions pour des investissements admissibles.

Par exemple, on pourrait dire que tout investissement dans une PME canadienne n’est pas compté ou est retranché de la cible d’imposition. On pourrait également dire que tout investissement en capital de risque est exclu, que tout fonds de capital de risque est exclu et que toute entreprise active dans le domaine du prêt l’est également.

On en arriverait peut-être à une résultante nette correspondant aux investissements en titres liquides sur les bourses ou sur autre chose, investissements qui pourraient bénéficier de la déduction du capital. De cette façon, du moins, on aurait un peu mieux taillé la déduction afin de permettre une concentration du capital dans des secteurs privilégiés de l’économie.

Le sénateur Forest : Il est clair que la notion de seuil...

Le président : M. Macdonald aimerait aussi répondre à la question.

[Traduction]

M. Macdonald : C’est une excellente question que celle de se demander comment déterminer qui se sert des sociétés privées pour réduire le taux d’imposition sur ses placements de retraite, méthode à laquelle les autres Canadiens n’ont pas accès. Je dois investir dans un REER ou un CELI. Je ne peux pas profiter d’un taux d’imposition de 15 p. 100 sur mes avoirs et de les garder pour le restant de mes jours, mais les propriétaires de sociétés privées peuvent tout à fait le faire.

Comment faire la distinction entre les sociétés qui économisent de façon légitime pour faire des placements ou pour traverser les périodes de vache maigre — ce que l’on veut encourager — et celles qui se servent de leurs entreprises uniquement comme structure fiscale pour créer leur propre régime de retraite privé qui ne suit pas les règles que tout le monde doit respecter?

Grosso modo, il y a deux façons de le faire. La première approche consisterait à limiter à, par exemple, à 50 000 $ par année, les retraits des sociétés à même le revenu passif. Si vous retiriez plus que ce montant du revenu passif, vous vous verriez imposer une surtaxe additionnelle, si bien que les sociétés seraient libres d’accumuler du capital au sein de l’entreprise. Cependant, si leur objectif était d’épargner pour la retraite, elles seraient surimposées au moment du retrait, ce qui les dissuaderait d’utiliser les SPCC comme structure d’épargne-retraite et les encouragerait plutôt — espérons-le — à utiliser des REER et des CELI comme tous les autres.

L’autre approche serait de limiter les ajouts au capital privé au-delà d’un certain montant. Une fois que vous avez accumulé un certain montant de capital privé dans votre société — disons 1 million de dollars, ou quelque chose du genre — si vous ajoutez un montant additionnel, vous paierez une surtaxe sur le revenu actif, les 15 p. 100 que vous payez, si bien que chaque année, votre revenu se retrouvera dans la fourchette du taux d’imposition de 50 p. 100, ce qui équivaut en gros à ce que vous paieriez sur votre revenu passif après la première année.

Je ne sais pas quelle est la meilleure option pour encourager les sociétés à épargner pour les périodes de vache maigre et leur permettre de le faire, mais ce sont deux options générales que vous pourriez employer pour dissuader les gens d’utiliser les SPCC comme instrument d’épargne-retraite.

[Français]

Le sénateur Forest : J’ai deux idées simplistes, en dépit du fait que la simplicité n’est pas la qualité première de la fiscalité. Nous savons tous que c’est un domaine plutôt complexe. En fait, disons qu’un seuil sur le plan de la capitalisation passive ainsi qu’un plafond quant au retrait éventuel d’entreprises seraient des balises intéressantes à explorer.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Monsieur Coderre, pouvez-vous parler au comité de la réaction de vos clients au document de consultation publié par le ministre des Finances le 18 juillet?

Ma seconde question s’adresse à tous les témoins. Le présent gouvernement est au pouvoir depuis deux ans, et il n’a encore imposé aucune politique économique concrète. Tout l’argent qu’il a dépensé se trouve ailleurs et pas au Canada. Croyez-vous que de nombreux actionnaires de sociétés privées sous contrôle canadien se préparent à réduire leurs investissements au Canada en réponse à la modification proposée par le ministre le 18 juillet?

M. Coderre : Sénateur Oh, mes clients sont plutôt des propriétaires de petites et moyennes entreprises. Je ne fais pas autant affaire à des grands fonds d’investissement.

Mes clients sont abasourdis. Ils sont insultés. Ils ne comprennent pas. Ils travaillent fort. Ils essaient de joindre les deux bouts. La façon dont les modifications leur ont été présentées, et chaque fois qu’ils ont regardé les nouvelles au cours des trois derniers mois, ils ont entendu dire que les Canadiens fortunés se servent de sociétés privées pour déjouer le système fiscal. C’est incroyable. Le message du gouvernement a été catastrophique. La réaction est très négative.

Ce qui est particulièrement troublant est qu’ils ont paralysé bien des décisions d’affaires. Depuis trois mois, la collectivité des petites et moyennes entreprises attend de voir ce qui va se passer. La planification fiscale fait partie du quotidien et elle a cessé à l’échelon des petites entreprises. Ce n’est pas bon.

Mes clients ne quittent pas le Canada; ils sont ici pour rester. Ils ne font pas partie du groupe qui quitterait le pays, mais je pense que nous avons un grave problème avec cette clientèle.

Le sénateur Oh : Merci.

M. Macdonald : Compte tenu du manque de clarté d’un certain nombre de ces mesures et des difficultés à communiquer ces nouvelles mesures dès le départ, je ne pense pas qu’il soit particulièrement surprenant que les propriétaires de petites entreprises ne soient pas certains de vouloir investir et accroître leurs opérations à court terme. C’est un cercle vicieux pour le gouvernement en ce sens qu’il est bon de tenir des consultations sur les répercussions potentielles des points que vous proposez, en particulier concernant le revenu passif qui n’est pas du tout aussi bien défini que la répartition du revenu. Cependant, en même temps, vous ne voulez pas faire traîner les choses sur une longue période et ne pas donner aux petites entreprises de clarification pour qu’elles sachent comment investir.

Je ne vois pas les modifications du taux d’imposition des petites entreprises comme un incitatif, en tant que tel, pour encourager les entreprises à déménager. Si elles devaient le faire, il y a des endroits au pays, comme le Manitoba, qui n’ont pas de taux d’imposition des petites et moyennes entreprises. Le taux d’imposition est nul à l’échelon provincial. Si toutes les petites entreprises étaient uniquement motivées par le taux d’imposition, elles auraient déjà déménagé au Manitoba. Le taux d’imposition des petites entreprises peut jouer un rôle pour encourager les sociétés à réinvestir leurs profits dans l’entreprise plutôt qu’à seulement les utiliser comme revenu.

Dans ce sens, j’espère que le gouvernement arrivera rapidement à une conclusion sur ces mesures et passera à d’autres dépenses fiscales qui ne touchent pas les petites entreprises, comme la déduction pour option d’achat d’actions.

M. Wudrick : Pour enchaîner sur ce que M. Coderre a dit, la paralysie est peut-être ce qui est arrivé de plus troublant dans ce cas. Je comprends l’argument de David concernant votre désir de tenir des consultations, mais le gouvernement a présenté des idées à moitié formulées et a permis à chaque avocat fiscaliste et comptable au pays d’imaginer des scénarios dans lesquels, si ces idées se cristallisent d’une certaine façon, cela pourrait causer du tort. Ils ont eu le pire des deux mondes. S’ils avaient simplement publié un article dans lequel ils avaient manifesté leur intention d’examiner cette longue liste de choses et de tenir des consultations à son sujet, je ne crois pas qu’ils auraient créé cette paralysie.

La sénatrice Moncion : Je suis un peu surprise de votre dernier commentaire, car j’ai lu le document proposé par le gouvernement et, à tous les égards, il précise ce que cherche et demande le gouvernement. Il proposait différentes choses et demandait des renseignements sur la façon de les améliorer ou de les régler. Je suis un peu surprise de votre dernier commentaire concernant le fait que le gouvernement a provoqué le chaos en présentant un document mal préparé. Je ne l’ai pas perçu ainsi. Ce n’est pas ma question, mais j’aimerais que vous vous prononciez là-dessus.

M. Wudrick : Je ne laisse pas entendre que le gouvernement n’a rien préparé. Il s’agit d’un document de 60 pages. Il contient des points. L’ennui, c’est qu’il y a bien des choses dont il n’a peut-être pas tenu compte. Il a des conséquences involontaires. C’est là que nous avons vu le conflit dans le débat public entre les économistes, les fonctionnaires du ministère, les comptables et les avocats fiscalistes. C’est une question de conflit entre la théorie et la pratique. C’est ce qui a suscité bien des incertitudes.

La sénatrice Moncion : Je suis d’accord avec vous en ce qui concerne l’incertitude. Je ne suis pas nécessairement d’accord avec tous les commentaires qui ont été formulés. Il s’agit d’un document de consultation. Si j’en juge par ce que j’ai lu et ce que j’ai reçu, on ne nous a pas envoyé beaucoup de corrections ou de propositions pour l’améliorer. Des gens nous ont écrit pour nous dire qu’ils n’aimaient pas ce qu’on proposait, mais ils ne nous ont suggéré aucune modification, légère ou non. J’ai entendu parler de deux à quatre choses qui pourraient facilement être peaufinées et avec lesquelles le gouvernement pourrait travailler.

Ma question porte sur une autre modification légère concernant la répartition ou le fractionnement du revenu. Pourriez-vous me dire ce que vous pensez de ce qu’on fait aux États-Unis, où on aborde le fractionnement du revenu au niveau des familles, contrairement au Canada, où on l’aborde au niveau des particuliers?

Monsieur Macdonald, vous avez écrit tout un article à ce sujet. Je l’ai lu et je l’ai aimé. Il portait seulement sur une des trois choses.

M. Macdonald : La situation aux États-Unis est très différente en ce sens que vous êtes tenus de présenter une déclaration à titre familial. En conséquence, le fractionnement du revenu comme on l’envisage au Canada est simplement la nature de la loi fiscale. Le fractionnement du revenu s’applique simplement à tous les types de revenus.

Au Canada, le fractionnement du revenu s’applique actuellement au revenu de pension. Vous pouvez fractionner les revenus au sein d’une entreprise privée. Jusqu’à 2015, nous avions le fractionnement du revenu pour les familles avec des enfants, mais cela s’est arrêté là.

Dans certains cas, vous pouvez fractionner le revenu, mais dans d’autres, vous ne pouvez pas le faire.

La situation aux États-Unis est différente. Elle est aussi très différente pour les sociétés. Ce pays est beaucoup plus susceptible d’avoir des entreprises individuelles qui ne conservent pas les revenus de la même façon que les entreprises canadiennes. En conséquence, comme on n’y conserve pas les revenus, le revenu passif n’est pas vraiment problématique aux États-Unis parce que ce n’est pas ainsi que fonctionne la structure d’entreprise.

La question au Canada est de savoir si les propriétaires de sociétés privées devraient jouir d’avantages dont ne bénéficient pas les propriétaires des sociétés non privées. Le fractionnement du revenu en est un bon exemple. Nous avons décidé en 2015 que le fractionnement du revenu n’est pas un avantage dont peuvent se prévaloir les particuliers qui ne reçoivent pas de dividendes des petites entreprises.

Je ferais valoir que, en ce qui concerne l’équité horizontale, vous essayez de faire en sorte que les groupes semblables soient traités de la même façon. Cependant, c’est une mesure qui devrait être élargie pour englober aussi les petites entreprises.

La sénatrice Moncion : Vous avez aussi parlé de cette question?

M. Wudrick : L’important est d’être cohérent. Nous devons appliquer cette règle uniformément.

Les questions soulevées par certains propriétaires d’entreprise concernant les limites imposées à la répartition du revenu, qu’ils perçoivent comme un type de fractionnement du revenu, sont les suivantes : Pourquoi les aînés peuvent-ils fractionner leur revenu de pension? Pourquoi certaines prestations gouvernementales sont-elles fondées sur le revenu du ménage plutôt que le revenu des particuliers?

Le gouvernement a simplement besoin de décider s’il traitera les unités économiques comme des particuliers ou des ménages, et d’être cohérent pour l’ensemble du code des impôts.

La sénatrice Moncion : Merci.

M. Coderre : Le fractionnement du revenu est une question très étroite qui se rapporte plutôt aux conjoints. Par définition, il n’y a pas fractionnement du revenu si votre enfant gagne déjà un salaire. Le fractionnement du revenu cherche à combler un vide lorsqu’un des conjoints ne paie aucun impôt et que l’autre en paie 50 p. 100. Ce concept n’offre aucun avantage si quelqu’un d’autre a un revenu. C’est donc plutôt une question qui touche les conjoints.

En ce qui concerne les enfants, c’est plus une préoccupation lorsqu’ils sont à l’université. Une fois qu’ils commencent à gagner leur vie, il n’y a pas de fractionnement du revenu.

En réalité, nous avons le fractionnement du revenu et nous l’avons toujours eu. À l’échelon des petites entreprises, l’ARC tolère que quelqu’un verse un salaire à l’autre dans un contexte d’affaires. La règle ne s’applique pas aux employés, mais un propriétaire d’entreprise pourrait verser un salaire raisonnable à son conjoint ou à sa conjointe ou à ses enfants. Nous devons être raisonnables, mais cela se produit depuis des années.

La question qui se pose est la suivante : est-il plus efficace de verser un salaire ou un dividende? Nous ne parlons pas ici d’un montant d’impôt très élevé. Nous faisons allusion à des cas très précis. En réponse à cela, le gouvernement a proposé une solution qui ne fonctionne tout simplement pas.

La sénatrice Cools : J’aimerais remercier les témoins encore une fois pour leur présence. Avant de vous faire part de mes préoccupations, j’aimerais dire que je siège au Sénat depuis 33 ans. Pendant cette période, j’ai voté sur pas mal de ces questions de « réforme fiscale ». Celle qui se démarque le plus dans ma mémoire est la question de la TPS, le projet de loi C-62. Je me souviens encore du numéro. C’était il y a longtemps. Je peux vous dire qu’à l’époque, le Sénat jouissait d’un appui extraordinaire de la part du public. Les sénateurs libéraux, qui formaient alors l’opposition, étaient tout à fait déterminés à rejeter le projet de loi en raison de l’attitude du public.

Chaque fois qu’on apporte des changements prévisibles à un système, on peut s’attendre à provoquer du mécontentement. Cependant, ce qui me préoccupe est que ce ne soit pas du mécontentement que je perçois actuellement, mais bien un malaise profond et de l’incertitude, ce qui est bien différent.

Je me demande si vous avez perçu cette attitude. Le comité se rendra bientôt dans l’Est et dans l’Ouest du Canada, et je me réjouis à cette perspective; je pense que nous avons tous hâte d’y aller. Avez-vous une idée de la raison pour laquelle c’est ainsi que tant de Canadiens se sentent?

M. Coderre : C’est le message qui est à l’origine de cette attitude, sénatrice Cools, que certains propriétaires de petites entreprises ont trouvé très insultant. Le message n’est pas tout du passé. Il a échoué dès le départ. Il a été lancé au milieu de l’été alors que personne n’y faisait attention. Franchement, une fois qu’on a examiné les propositions, on constate qu’elles sont extrêmement complexes et très difficiles à comprendre. Nous essayons toujours d’y arriver tant elles sont compliquées.

L’attitude, l’abus de confiance et le sentiment que le gouvernement ne comprend tout simplement pas ce que les gens vivent sont problématiques. « Vous ne comprenez pas le stress quotidien que nous vivons et vous nous dites que nous nous servons de nos entreprises pour vous priver de vos recettes fiscales? Allons donc. C’est ridicule. » C’est l’essence même du problème.

Si le gouvernement avait dit : « Écoutez, dès le départ, nous sommes ici pour appuyer les petites entreprises. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider. Nous avons deux ou trois préoccupations bien ciblées, et nous aimerions les aborder pour voir s’il existe des réserves importantes de capitaux qui ne sont pas productives pour l’économie et que nous voulons imposer, et pour déterminer si la répartition du revenu est quelque chose que nous pouvons peaufiner et s’il y a conversion des revenus. » Si tel avait été le but de l’exercice, personne ne s’en serait plaint.

La sénatrice Cools : Merci de vos précisions.

M. Macdonald : Les inquiétudes viennent en partie, surtout pour ce qui est du revenu passif, du fait qu’il n’y a pas de proposition concrète; on consulte sur un sujet particulier. On ne sait donc pas quelle incidence cela aura sur les entreprises.

Pour ce qui est de la répartition du revenu, l’incidence sera moins grande que ce qu’on croit à l’heure actuelle. Parmi les propriétaires de petites entreprises, il n’y en a qu’un petit nombre qui a recours à la répartition du revenu pour réduire leurs impôts. Il n’y en a probablement que 5 p. 100, soit environ 45 000 familles, qui utilisent activement ce moyen pour réduire leur facture d’impôt.

Le critère du caractère raisonnable s’applique déjà aux salaires. On ne peut pas verser un salaire à quelqu’un s’il ne travaille pas pour une entreprise. On ne peut pas le faire à l’heure actuelle. Le critère du caractère raisonnable a déjà été légitimé. L’ARC l’utilise, mais il faut que l’infraction soit grave pour qu’elle intervienne.

L’application du critère du caractère raisonnable des salaires aux dividendes, où il n’est pas appliqué actuellement, peut se baser sur l’historique de son application aux salaires. Si une personne reçoit un dividende, mais qu’elle n’a aucun lien avec l’entreprise, l’ARC y verrait désormais un problème, comme c’est le cas pour les salaires.

Les choses se compliquent assurément quand il faut tenir compte de la contribution en capital, qui ne s’applique pas, bien sûr, aux salaires, comme l’a mentionné Aaron précédemment. Il faudrait bien détailler le tout.

Cela étant dit, le critère du caractère raisonnable a pris des proportions exagérées quand on a commencé à dire que l’ARC irait vérifier dans les entreprises si les gens y travaillaient bel et bien, et que les salaires ou les dividendes versés à l’épouse ou aux enfants travaillant dans l’entreprise allaient obligatoirement être versés à un seul salarié et ainsi faire grimper le taux d’imposition. Cela ne s’est assurément pas produit pour les salaires, où ces règles s’appliquent déjà, alors il n’y a aucune raison de croire que cela s’appliquera aux dividendes.

Je pense que les problèmes viennent du fait qu’on comprend mal le critère du caractère raisonnable, car tout le monde pense que cela s’applique à eux et que l’ARC viendra vérifier et les imposera davantage, ce qui ne sera assurément pas le cas.

J’espère qu’il deviendra clair, au fur et à mesure que nous aurons plus de détails, que l’incidence sera limitée à un très petit groupe d’entreprises qui se prévalent de ces mesures pour créer leur propre système d’imposition pour la retraite, ou comme moyen de fractionner le revenu, ce qui est illégal pour nous tous.

M. Wudrick : Je veux dire un mot au sujet du malaise qu’on sent au pays, et j’irais même plus loin, de la colère pure et simple qu’on sent dans certains cas.

Nous sommes une organisation d’action sociale et nous passons beaucoup de temps à informer nos sympathisants — nous en avons plus de 130 000. Nous essayons de les sensibiliser aux questions touchant l’impôt. Dans le cas présent, nous n’avons pas eu à le faire. C’était la situation inverse, car je devais répondre à ce que je qualifierais presque de révolte. Je n’avais jamais vu cela. J’aimerais que nos sympathisants soient toujours aussi sensibilisés à tout ce qui touche l’impôt, mais ce n’est pas le cas

On peut dire qu’il y a eu parfois une réaction excessive, et un état de panique, et une mauvaise compréhension. C’est un bon point, mais les gens ont quand même beaucoup réagi.

Si on ajoute à cela les communications, on peut dire que la situation a atteint un point tel que je me demande si un abandon total des propositions pourra réparer les dommages qui ont été causés. C’est préoccupant.

J’espère que le gouvernement, pendant le reste de la semaine, quand il aura clarifié ses intentions, et qu’on aura tous les détails — car, rappelez-vous, il dit de ne pas s’en faire, que très peu de gens seront touchés. C’est ce qu’il disait au cours des derniers mois. On disait aux gens qui s’inquiétaient de ne pas s’en faire, que cela ne les toucherait pas, puis hier, le premier ministre a annoncé que, cette fois, le gouvernement avait la solution.

Nous allons attendre de voir les détails avant de dire que la situation s’est améliorée.

La sénatrice Cools : Merci beaucoup.

La sénatrice Eaton : Vous avez soulevé un point intéressant dans votre exposé. Notre code d’impôt devrait s’harmoniser avec notre politique industrielle. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, en donnant quelques exemples, si possible?

M. Coderre : Je suppose qu’on entre dans mon système de croyances personnelles et qu’on s’éloigne des détails techniques du système d’imposition.

La sénatrice Eaton : C’est bien. Nous avons tous notre système de croyances personnelles ici.

M. Coderre : La politique fiscale ne fait jamais cavalier seul, à mon avis. Elle fait partie d’un écosystème qui comprend notamment la politique industrielle, la politique économique, la politique sur les marchés financiers et la politique sociale. J’ai vérifié hier, et la Loi de l’impôt sur le revenu fait plus de 3 000 pages, sur deux colonnes, alors c’est bien plus qu’un mécanisme de collecte. Je pense qu’il faut se dire que chaque fois qu’on change quelque chose à l’impôt, cela aura des effets sur l’économie.

Pour répondre plus précisément à votre question, j’ai des réserves, personnellement, quand j’entends dire : « On veut créer un système d’impôt pour la classe moyenne .» À mon avis, ce n’est pas un objectif très ambitieux. Cela le serait si on disait, par exemple, qu’on veut créer un système d’impôt qui encourage l’entrepreneuriat, qui stimule l’innovation.

La sénatrice Eaton : Ou la productivité.

M. Coderre : Un système qui permet de développer des entreprises de classe mondiale, qui leur permet de devenir plus concurrentielles ou de mettre en commun des capitaux — ce qui manque cruellement aux entreprises à l’heure actuelle —, et cetera. C’est ce que j’appelle une politique industrielle. On utilise le système d’imposition pour stimuler, pour bâtir le genre de pays dans lequel on veut vivre, au lieu d’avoir une phrase vide, en tout respect, comme celle que le ministre ne cesse de répéter, voulant qu’un système qui fonctionne pour la classe moyenne, c’est tout le pays…

Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais je ne pense pas qu’il faille penser en termes de classe moyenne, mais plutôt de croissance.

La sénatrice Eaton : Vous avez parlé de libérer le revenu passif, mais n’encourageons-nous pas les entreprises à innover, à investir dans du nouvel équipement, à prendre de l’expansion? Si on commence à imposer le revenu passif, est-ce qu’on se prive en partie de cet incitatif? Est-ce qu’on rend cela plus difficile pour les gens d’investir dans l’innovation, dans la nouvelle machinerie? Je pense que notre faible productivité est un de nos problèmes au Canada.

M. Coderre : Vous avez tout à fait raison, sénatrice Eaton.

Je vais vous donner un exemple. Si je suis propriétaire d’une entreprise — disons une grande entreprise qui dispose de 100 millions de dollars. Quand on regarde le bilan de l’entreprise, on voit que 20 millions sont investis dans un fonds de capital-risque, un autre 20 millions dans une petite entreprise, puis une autre tranche est prêtée, et une autre encore est investie, oui, dans des titres négociables, et des actions canadiennes et le marché de la dette.

C’est pourquoi je vous ai posé cette question très légitime. D’accord, admettons que cet argent provient en grande partie du report d’impôt de 35 p. 100. C’est bien. Avouons-le. Est-ce que cela veut dire que nous devons ramener ce 35 p. 100 dans les coffres du gouvernement, ou sommes-nous heureux de le laisser là où il se trouve pour qu’il serve comme il le fait actuellement?

C’est la question de savoir en fait comment l’argent est utilisé précisément, et il faudrait peut-être avoir une déduction qui serait accordée à tous, peu importe à quoi sert l’argent. Ce serait une analyse de base.

La sénatrice Eaton : Ou les entreprises pourraient dire... Par exemple, une compagnie pourrait dire qu'elle investit 20 millions dans ceci, 20 millions dans l’innovation, 30 millions dans du nouvel équipement, et que 30 millions restent dans la caisse de retraite, n’est-ce pas?

M. Coderre : Tout à fait. Mais au lieu de cela, le gouvernement envoie le message qu’il y a tout cet argent qui se trouve là, dans les comptes d’épargnes personnels des riches canadiens. Il s’agit d’une généralisation et d’une simplification à outrance.

La sénatrice Eaton : Merci.

Le sénateur Pratte : On a beaucoup parlé du critère du caractère raisonnable, et vous y avez fait allusion, monsieur Macdonald. Les fiscalistes disent depuis le début que ce critère ne serait pas applicable.

[Français]

Je crois, monsieur Coderre, que c’est un peu ce que vous avez dit aussi.

M. Coderre : Oui.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Hier, le gouvernement en a parlé et dans son communiqué, il s’est engagé à simplifier, et je cite :

... les mesures proposées dans le but de rassurer les membres de familles qui contribuent aux entreprises familiales. Plus particulièrement, le gouvernement œuvrera à réduire le fardeau d’observation relatif à la détermination des contributions des conjoints ...

Il semble que le gouvernement ait entendu le message et qu’il veuille simplifier le critère afin que le fardeau, le fardeau de la conformité ne soit pas trop lourd.

Est-ce que cela vous semble satisfaisant? Ma question s’adresse à tous les témoins, en particulier M. Coderre et M. Wudrick. Croyez-vous qu’ils ont entendu le message et qu’ils peuvent simplifier les choses?

M. Coderre : Ils ont entendu le message. Il faut toutefois attendre de voir ce que les règles disent.

Le problème avec la rédaction des règles fiscales — et c’est le cas actuellement —, c’est qu’elles sont rédigées par les fonctionnaires des Finances. Ils pensent qu’elles fonctionnent. Puis, quand elles sont appliquées aux transactions, on se rend compte que ce n’est pas le cas. Il faudra attendre de voir les règles.

Le sénateur Pratte : Pour revenir sur un point de M. Macdonald — je ne veux pas lancer un débat ici —, le critère du caractère raisonnable qui s’applique actuellement aux salaires pourrait s’appliquer de la même façon aux dividendes. Est-ce exact?

M. Coderre : Cela ne pourrait pas se faire, à mon avis. Ce n’est pas la même chose. Détenir des actions n’est pas un contrat d’emploi. Détenir des actions n’est pas un contrat pour des services. Détenir des actions, c’est un investissement. Les règles ne peuvent pas être les mêmes.

En tant qu’actionnaire, j’ai droit à mes actions même si je ne fais aucun travail. C’est le propre de l’actionnaire, et c’est le fruit de centaines d’années de droit des sociétés.

On ne peut pas faire cela. On ne peut pas mélanger les concepts. C’est le problème.

M. Wudrick : C’est en fait un point important qui a été soulevé à plusieurs reprises. On tente de greffer des règles qui s’appliquent au revenu à la propriété, car c’est cela détenir des actions. Si vous appliquez les mêmes règles aux deux, vous vous retrouverez avec toutes sortes de conséquences non prévues. Je pense que c’est là où se trouve la difficulté.

M. Macdonald : Les actions dans une société publique ne valent pas, habituellement, 1 $ ou 5 $. Des risques sont pris au nom de l’actionnaire. Dans le cas d’une société privée, on peut souvent acheter des actions à 5 $, une valeur nominale, alors il n’y a pas vraiment de capital à risque.

On mélange les concepts, et c’est vrai, mais la petite entreprise est en quelque sorte un mélange de concepts entre la société publique et le travailleur autonome.

Je pense qu’il y a certainement des complications pour ce qui est des contributions en capital. Si vous avez fait une contribution en capital à une SPCC, par exemple, en mettant votre maison en garantie pour créer une petite entreprise — ce qui est très fréquent, l’une des façons les plus fréquentes de financer une petite entreprise — comment peut-on en tenir compte dans l’application du critère du caractère raisonnable?

En ce qui a trait à l’emploi, je crois que nous pourrions tout à fait appliquer le même critère du caractère raisonnable qui s’applique déjà quant aux salaires au sein des petites entreprises, et les comptables fiscalistes comprennent bien ce critère. Ils n’iraient probablement pas à l’encontre du critère du caractère raisonnable en ce qui concerne les salaires et pourraient donc appliquer les mêmes règles dans le cas des dividendes.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup. J’aimerais parler de nouveau des revenus passifs. Selon le document se trouvant sur le site web du ministère des Finances et même les témoignages des représentants devant le comité à ce sujet, le ministère avance que, si vous avez une personne qui a 100 000 $ à investir et qu’une autre a la même somme dans une société privée, la société privée offre de nombreux avantages. Il a donné des exemples et les a chiffrés en dollars.

Toutefois, les mémoires que nous recevons maintenant de fiscalistes contestent cette analyse. Certains d’entre eux affirment que l’avantage est négligeable et qu’il n’y a même aucun avantage dans certains cas; ils mentionnent qu’un contribuable ferait mieux d’investir cette somme comme particulier plutôt que de détenir cet argent comme revenus passifs dans une société privée.

Les membres du comité doivent évidemment déterminer qui dit vrai entre les représentants du ministère des Finances et les fiscalistes.

L’un d’entre vous a-t-il de l’expérience dans ce domaine? Avez-vous des renseignements à nous fournir à ce sujet?

M. Macdonald : L’avantage des revenus passifs est que durant la première année les revenus sont imposés en fonction du taux des petites entreprises et non du taux des particuliers. Le taux d’imposition d’une petite entreprise sera d’environ 15 p. 100, tandis que le taux d’imposition pour un particulier sera de 55 p. 100. Bref, vous avez au départ plus d’argent la première année. Ensuite, vos revenus sont imposés en fonction du taux d’imposition des particuliers, même si vos investissements se trouvent dans une société. Il n’y a donc aucun avantage à investir l’argent à l’intérieur ou à l’extérieur d’une société. Il y a seulement un avantage la première année, et cela concerne le capital de départ.

Si nous comparons une petite entreprise, par exemple, à un REER ou à un CELI, soit les options qui s’offrent à tous les autres, cela dépend de vos types d’investissements. Vos investissements généreront-ils plus de gains en capital ou plus de versements de dividendes à long terme? Serait-il plus avantageux pour vous d’investir dans un REER plutôt qu’une société privée? En ce sens, ce n’est pas facile de dire ce qui serait le plus avantageux, mais cela dépend de vos hypothèses, et il arrive parfois que le marché ne corresponde pas à ce que vous aviez prévu.

De manière générale, il est plus avantageux d’investir en utilisant une certaine structure qu’en n’en utilisant aucune. Si vous conservez votre argent à l’extérieur d’un REER, d’un CELI ou d’une petite entreprise, ce sera moins avantageux que si vous choisissez l’une de ces options. À mon avis, si vous conservez cet argent dans une petite entreprise, ce sera plus avantageux pour vous que de tout simplement le conserver dans une structure non à l’abri de l’impôt à titre de particulier. En ce sens, une personne a avantage à placer son argent dans une société privée plutôt que de le conserver à l’extérieur d’une structure. Cependant, si elle investissait plutôt son argent dans un REER ou un CELI, ce n’est pas certain que ce sera avantageux.

Les autres avantages de détenir des placements dans une société privée sont évidemment que vous profitez d’une plus grande flexibilité en ce qui concerne le retrait de votre argent par rapport à un REER. Dans le cas d’un CELI, vous pouvez retirer vos investissements, mais vous devez payer de l’impôt sur l’argent que vous retirez d’un REER.

L’autre grand avantage est qu’il n’y a aucune limite. Il n’y a aucune limite quant au montant maximal que vous pouvez investir dans une société privée en vue de l’épargne-retraite contrairement aux REER et aux CELI. Si vous voulez investir 50 000 $ dans un CELI, vous ne pouvez pas le faire; mes droits de cotisation à un CELI sont de 5 000 $ par année.

Bref, ces autres avantages peuvent venir brouiller les cartes. Si vous avez 50 000 $ par année à investir, cela dépasse largement le plafond pour un REER ou un CELI et cela dépasse même le maximum déductible qui serait d’environ 31 000 $ cette année. Dans un tel cas, il est vrai qu’une société privée serait une meilleure option pour vous qu’un REER ou un CELI; c’est certainement une meilleure option pour vous que de conserver votre argent à l’extérieur d’une structure. Cependant, cela dépend des circonstances. Voici la véritable question que nous devons nous poser. Offrez-vous des avantages aux propriétaires de petites entreprises auxquels tous les autres Canadiens n’ont pas accès pour l’épargne-retraite?

Il est certainement important de faire la distinction entre les gens qui utilisent les sociétés privées pour épargner, investir, les aider à s’en sortir durant une période difficile et aider des gens à conserver leur emploi. Vous devez continuer d’encourager cela, mais vous devez faire la distinction entre ces personnes et celles qui utilisent les sociétés privées comme régime d’épargne-retraite. C’est l’un des défis lorsque vient le temps d’établir quelque chose de précis en ce qui concerne les revenus passifs.

La sénatrice Marshall : N’empêche que l’argent sera un jour sorti de la société privée et que le gouvernement touchera sa part, n’est-ce pas?

M. Macdonald : Oui, potentiellement. Voici le problème. Si vous investissez plus d’argent au départ dans une petite entreprise, vous avez au départ un plus gros capital qui n’est pas imposé la première année. Ce sera peut-être plus avantageux pour vous, mais cela dépend de ce que vous pensez que seront vos gains en capital et vos versements de dividendes. Vous devez créer une feuille de calcul. Cela jouera parfois en votre faveur, et parfois en votre défaveur.

La sénatrice Marshall : Dans un tel cas, le gouvernement recevra une plus grosse part, n’est-ce pas?

M. Macdonald : Peut-être, peut-être pas. En fin de compte, si vous imposez les revenus passifs, vous avez permis à des gens d’investir plus d’argent au départ et, par conséquent, de payer moins d’impôt sur l’investissement de ce capital à long terme. Vous voulez restreindre cette possibilité, parce que la majorité des Canadiens n’ont pas accès à cette structure. Par conséquent, les recettes fiscales du gouvernement seraient évidemment plus élevées à long terme. C’est un élément de l’argument.

M. Wudrick : Sénatrice, vous soulevez un point important. Du point de vue du gouvernement, la question n’est pas de savoir s’il recevra ses recettes, mais bien quand il les recevra. Les recevra-t-il maintenant ou plus tard?

D’un côté, il est difficile de prétendre que les gens qui profitent de cet avantage que personne d’autre n’a s’en mettront plein les poches. Si la fortune leur sourit, le gouvernement en profitera également. Dans le cas contraire, le gouvernement en sortira aussi perdant. Leur destin est lié en ce sens.

Lorsque nous examinons s’il y a un avantage à utiliser les investissements passifs plutôt que d’autres instruments de placement, il ne faut pas seulement regarder l’avantage financier. Il faut également penser à la flexibilité que cela procure. C’est un aspect que bon nombre de propriétaires de petites entreprises ont souligné. Lorsqu’il est question de leur épargne-retraite et que des gens disent qu’ils n’ont qu’à utiliser les REER ou les CELI comme tous les autres pour ce faire, je demande aux propriétaires de petites entreprises ce qu’ils en pensent. Ils me répondent que c’est une question de prévisibilité, qu’ils ne peuvent pas hypothéquer leur REER pour emprunter ou retirer de l’argent de leur REER et que ces placements ne sont pas aussi liquides que certains de leurs autres...

Une voix : Personne ne le peut.

M. Wudrick : J’en suis conscient. Voilà pourquoi les propriétaires d’entreprises disent que, si vous êtes un salarié et que vous avez une source de revenus prévisibles, c’est plus facile pour vous de déterminer le montant que vous pouvez investir dans un REER, alors que, si vous êtes dans une entreprise et que vous n’avez pas les moyens de vous verser un salaire une année, cela ne permet pas d’augmenter vos droits de cotisation à un REER.

Bref, je crois que les situations sont différentes. David a raison de dire que ce n’est pas tout le monde qui a accès à un tel instrument d’épargne. Cependant, il faut retenir que les propriétaires de petites entreprises vivent des situations que d’autres ne vivent pas. Ils avancent par conséquent qu’ils ont besoin d’une flexibilité dont d’autres n’ont pas besoin.

M. Coderre : C’est un enjeu complexe, comme vous l’avez évidemment déjà entendu.

Je vais essayer de vous l’expliquer ainsi. Disons que j’ai un client et que c’est une petite entreprise. Je lui mentionne que c’est la période des impôts et je lui demande s’il veut investir de l’argent ou contribuer à son REER. Le client me répond très souvent qu’il n’a malheureusement pas d’argent et qu’il préfère conserver son argent dans son entreprise. S’il retire 26 000 $... Il me dit qu’il a vraiment besoin de cet argent pour son entreprise et qu’il préfère attendre.

Ce que le client essaie de dire de manière indirecte, c’est que sa vie est son entreprise et que son revenu de retraite est son entreprise. S’il réussit ou non dans la vie, cela dépendra de son entreprise. Son entreprise est en fait son régime de retraite, son avoir et tout ce qu’il a.

Le gouvernement rétorque que cette personne utilise sa société privée comme régime d’épargne-retraite et que c’est mal.

Le gouvernement pourrait plutôt décider de tenir des consultations. Si nous voulons parler de l’épargne, regardons l’épargne dans l’ensemble. Il y en a dans les entreprises privées. Nous comparons souvent la situation à celle d’employés. Regardons la situation des employés. Penchons-nous sur l’assurance-vie. L’assurance-vie est un avantage offert aux employés, et tous les Canadiens y ont accès.

Le report d’impôt associé à l’assurance-vie, aux REER, aux CELI et aux Régimes enregistrés d’épargne-études est énorme. Les Canadiens ont actuellement accès à tous ces instruments pour planifier leur retraite et leur épargne, et le gouvernement finance tous ces instruments. Cependant, au lieu de regarder tous ces instruments et de nous demander s’il y a vraiment une grande inégalité entre les sociétés privées et les employés qui profitent des autres instruments, le gouvernement vise uniquement les sociétés privées. L’analyse est incomplète.

[Français]

La sénatrice Moncion : J’aimerais continuer à parler du revenu passif. Les sociétés ne font pas toutes beaucoup d’argent. Je suis d’accord avec certains éléments de votre commentaire, mais je le suis moins avec d’autres, parce qu’on prend des exemples très isolés.

Quand on regarde, par contre, l’ensemble des chiffres présentés, on constate que des 1,8 million de sociétés privées, il y en a environ 40 000 qui profitent vraiment du système au niveau du capital patient. J’ai beaucoup aimé les différentes mesures que vous avez proposées lorsque les entreprises achètent ou investissent dans du capital-actions, dans du capital pour favoriser la croissance d’autres entreprises, et cetera. Cependant, on sait aussi que certaines entreprises ne le font pas et qu’elles utilisent les sociétés privées pour mettre de l’argent de côté afin d’éviter d’investir dans autre chose que leur richesse personnelle. C’est ce groupe que vise le gouvernement. Le gouvernement veut récupérer la portion d’impôt de ce groupe.

Comme je vous l’ai dit, j’aime beaucoup vos propositions et j’espère que vous les avez soumises au gouvernement pour qu’il puisse au moins les étudier et les analyser. Cependant, il faut faire attention aux exemples; on va isoler un ou deux exemples, quand on sait que la majorité des PME n’ont même pas les moyens d’investir dans les REER, les fonds d’études, et cetera. Il y a des limites partout dans ce contexte.

À la fin, on examine — je vais le dire en anglais, parce que M. Wudrick l’a mentionné :

[Traduction]

Taxation issues versus fairness issue.

[Français]

C’est là où on tente de voir ce qu’on est en mesure de régler en ce qui a trait à l’impôt et à l’équité pour les Canadiens en général.

Avez-vous autre chose à proposer pour ceux qui n’investissent pas, qui ne font pas d’investissements ailleurs que dans leur richesse personnelle?

M. Coderre : Premièrement, il faudrait bien définir ce qu’est un « investissement pour la richesse personnelle », en présumant qu’on réussira à le définir, parce que ce n’est vraiment pas facile. Si vous me demandiez d’écrire cette règle de droit aujourd’hui, j’aurais beaucoup de difficulté.

On sait qu’on peut déjà travailler avec les structures qui existent dans la loi pour bien cibler ce que l’on permet et ce que l’on ne permet pas. Il y a un concept fondamental en droit fiscal qui est bien défini dans la loi et bien commenté par la jurisprudence depuis des décennies, et c’est le concept de l’entreprise active. C’est une définition de la loi. Ce concept existe déjà dans plusieurs structures législatives en vertu de la loi. L’exemption sur le gain en capital de 800 000 dollars est permise seulement en entreprise active. Si, en partant, on déterminait que le montant qu’une société de portefeuille investit dans l’entreprise active n’est pas assujetti à l’impôt additionnel, on pourrait très bien en arrêter l’impact.

Ce que je préconisais un peu plus tôt, c’est que si, par exclusion, on arrivait à une résultante en disant qu’il reste tant de millions de dollars investis passivement, on pourrait ensuite arriver à une conclusion qui ne serait sûrement pas parfaite ni entièrement pure en présumant que ce montant est fondamentalement un fonds personnel de retraite. Encore là, il faudrait le comparer à d’autres instruments qui sont disponibles à tous et voir s’il est juste et équitable de l’imposer.

Tout cela se règle. Les définitions existent, les concepts aussi, ce n’est pas la première fois qu’on y pense. On connaît très bien les concepts et on pourrait très bien arriver à une solution qu’il faudrait construire sur mesure. Elle pourrait être construite.

La sénatrice Moncion : Je vais aller un peu plus loin. Les entreprises et les sociétés qui sont capables d’investir dans les fonds de retraite ont aussi accès au rendement caché à l’intérieur des sociétés, parce qu’elles reçoivent des rendements sur ces placements, qui sont mis sous le sceau des revenus de l’entreprise, ce qui fait que le taux d’imposition est beaucoup plus bas.

M. Coderre : Non. Vous savez, quand on gagne du revenu de placement à l’intérieur d’une société par actions, on est imposé à 50 p. 100 aujourd’hui. Il n’y a aucun avantage. Si j’investis personnellement un montant de 100 $ aujourd’hui, je vais payer 50 p. 100 d’impôt sur ce montant. Si j’investis ce même 100 $ dans une société par actions, je vais payer 50 p. 100 sur le revenu.

La sénatrice Moncion : Et l’individu?

M. Coderre : C’est 50 p. 100 pour l’individu et 50 p. 100 pour l’entreprise. Le taux d’imposition est effectivement le même. C’est pour cela qu’on dit qu’il n’y a pas d’avantage marquant à investir dans une société par actions par rapport à un investissement personnel.

[Traduction]

Le président : Y a-t-il d’autres questions? S’il n’y en a pas d’autres, chers sénateurs, je vous rappelle que nous avons une réunion cet après-midi dans la même pièce de 14 h 15 à 16 h 15.

Messieurs les témoins, si vous souhaitez nous fournir d’autres renseignements durant notre étude ou jusqu’à ce que nous déposions notre rapport au Sénat avant Noël, n’hésitez pas à communiquer avec nous.

Le sénateur Pratte : Après le dévoilement par le gouvernement de ses dernières modifications, il serait intéressant que les témoins fassent parvenir leurs commentaires à la greffière lorsque nous connaîtrons les derniers détails des modifications.

M. Coderre : Avec joie.

Le président : Nous vous en serions reconnaissants. Merci, sénateur Pratte. Sur ce, honorables sénateurs, je déclare maintenant la séance levée.

(La séance est levée.)

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