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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Le Comité Sénatorial Permanent des
Finances Nationales

Fasicule no 42 - Témoignages du 25 octobre 2017 (séance du soir)


OTTAWA, le mercredi 25 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 49, en séance publique et à huis clos, pour poursuivre son étude des modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénatrices et sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, président du comité.

J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux présents ici dans la salle et à tous les Canadiens qui nous regardent, à la télévision ou en ligne. Je rappelle à nos auditeurs que les audiences du comité sont publiques et accessibles en ligne sur sencanada.ca, le site web du Sénat.

Honorables sénateurs, je vais demander à chacun d’entre vous de bien vouloir se présenter, en commençant à ma gauche.

[Français]

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec

Le sénateur Forest : Éric Forest, du Québec, région du Golfe.

[Traduction]

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, Saskatchewan.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, Ontario.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.

Le président : Merci, sénateurs. Et la vice-présidente.

La sénatrice Cools : Je suis la vice-présidente. Je suis la sénatrice Anne Cools, de Toronto. C’est en Ontario.

Le président : Merci, madame la vice-présidente. Je voudrais maintenant mentionner la greffière du comité, Gaëtane Lemay et nos deux analystes, Sylvain Fleury et Alex Smith, qui ensemble, soutiennent le travail du comité des finances.

Ce soir, le comité continue son étude spéciale des modifications proposées, au cours de l’été 2017, par le ministre des Finances, à la Loi de l’impôt sur le revenu, et qui portent sur l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Aujourd’hui, nous recevons des organisations nationales provenant du secteur de la santé ainsi qu’un médecin de Vancouver. Ils vont nous donner leur opinion sur les impacts des changements proposés.

Je remercie les témoins d’avoir accepté notre invitation à nous faire part de leurs observations, de leurs opinions et de leur analyse.

À titre de président, j’ai le plaisir d’accueillir le Dr Shawn Whatley, président de l’Association médicale de l’Ontario.

[Français]

La Dre Magalie Dubé, membre de l’Association canadienne des radiologistes.

[Traduction]

Le Dr Larry Levin, président de l’Association dentaire canadienne.

[Français]

Le Dr Laurent Marcoux, président de l’Association médicale canadienne.

[Traduction]

La présidente du groupe Concerned Ontario Doctors, la Dre Kulvinder Gill.

Et enfin, par vidéoconférence de Vancouver, la Dre Rita McCraken qui se présente comme médecin de famille et défenseure des droits en matière des soins de santé.

Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation.

Je vais demander à chacun d’entre vous de faire une déclaration d’ouverture. Nous vous accordons un maximum — non pas un minimum, mais un maximum — de sept minutes chacun afin de permettre aux sénateurs de vous poser ensuite des questions. Nous allons commencer par le Dr Whatley.

Dr Shawn Whatley, président, Association médicale de l’Ontario : Merci, monsieur le président. Je suis le Dr Shawn Whatley et je suis le président de l’Association médicale de l’Ontario ainsi que médecin de famille à Mount Albert, en Ontario. Notre association représente 30 000 médecins praticiens et défend les intérêts des médecins et des citoyens de l’Ontario dans le but de promouvoir la santé et l’excellence en matière de soins de santé. Nous remercions le comité sénatorial de nous avoir invités à prendre la parole.

Je voudrais féliciter le comité de tenir ces audiences. Les changements proposés au régime fiscal des sociétés privées sont les plus importants qui aient été apportés depuis 1972. Des changements aussi majeurs méritent un examen plus approfondi que des consultations pendant l’été et l’étude que vous réalisez est précisément ce dont nous avons besoin.

Environ les deux tiers des médecins de l’Ontario ont constitué leurs cabinets en sociétés professionnelles. Ces sociétés contribuent à l’économie. En moyenne, un médecin crée l’équivalent d’environ quatre emplois à temps plein, génère environ 205 000 $ de PIB et ses frais généraux apportent aux trois niveaux de gouvernement plus de 50 000 $ de recettes fiscales. En l’an 2000, le gouvernement ontarien a accordé aux médecins et à d’autres professions libérales la possibilité de gagner leur revenu professionnel par l’entremise d’une société et en 2005, il a de nouveau modifié la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario pour élargir la liste des actionnaires admissibles des sociétés professionnelles afin d’y inclure les membres de la famille.

Les changements que le gouvernement fédéral a proposés auront d’importantes conséquences pour les médecins dont un grand nombre se servent des économies d’impôts que leur rapporte leur société pour exploiter leur cabinet. L’élimination de cette stratégie de planification fiscale aurait des répercussions non seulement sur les médecins et leurs familles, mais surtout sur les soins que les médecins dispensent aux patients.

Les médecins sont mobiles. Ils peuvent déménager aux États-Unis ou ailleurs. D’autres pays offrent un taux marginal d’imposition plus bas, des tranches d’imposition plus avantageuses et la possibilité d’être imposé en tant qu’entité familiale. Les administrations nord-américaines se livrent une concurrence constante pour attirer et garder les médecins afin de faire face à l’augmentation et au vieillissement de la population. La suppression de ces incitatifs fiscaux dissuadera les médecins d’envisager d’exercer la médecine au Canada au détriment des soins de santé que les Canadiens sont en droit d’attendre.

En Ontario, nous avons subi les conséquences de décisions gouvernementales qui n’ont pas tenu compte des répercussions sur les soins aux patients. Dans les années 1990, nous avons terminé la décennie avec 1,2 million de patients sans médecin de famille. Ces patients se sont retrouvés dans les urgences ou les cliniques sans rendez-vous et je suis bien placé pour vous dire qu’il est devenu fréquent de diagnostiquer des diabètes aux urgences. Notre hôpital a dû mettre sur pied une clinique spéciale du diabète parce que nos patients ne pouvaient pas se faire suivre par un médecin de famille. Nous ne pouvons pas nous permettre de retomber dans cette situation.

Étant donné l’impact important que ces changements auront sur les soins que nous fournissons, nous recommandons que le gouvernement renonce à les apporter avant d’avoir réalisé une évaluation complète de leurs répercussions économiques.

En ce qui concerne les investissements passifs, nous apprécions que le ministre des Finances ait réexaminé la proposition initiale concernant la fiscalité des revenus de placements passifs d’une société privée. La plupart des médecins se servent de leur société professionnelle pour financer leur retraite de même que pour exploiter et élargir leur cabinet. Quiconque se sert d’une société privée pour se constituer un fonds de retraite à l’interne atteindra vite le seuil de 50 000 $ exempt d’impôt proposé, qui n’est pas indexé à l’inflation. Par conséquent, le seuil de 50 000 $ proposé empêcherait les médecins de se servir de leur société professionnelle pour constituer un fonds de retraite. Ce seuil présente les mêmes problèmes pour les médecins qui se servent des revenus de placements passifs pour financer leurs congés de maternité, leurs congés d’invalidité à court terme ou des congés d’éducation.

Les médecins recourent également aux revenus de leur société professionnelle pour faire des placements passifs afin de financer de futurs achats importants comme la technologie, l’installation et l’exploitation d’un système de dossiers médicaux électronique. Ces achats nous permettent d’améliorer les soins que nous fournissons aux patients. Ces propositions pourraient nous empêcher de le faire. Les sociétés ont souvent besoin de plusieurs années d’épargne pour faire ces achats très importants. Les mesures fiscales visant les revenus de placements passifs des sociétés nuiraient à ce genre de planification, car les revenus non dépensés des sociétés professionnelles seraient désormais imposés à un taux plus élevé. Nous apprécions que le ministre ait bien voulu réexaminer la proposition initiale, mais l’amendement proposé la semaine dernière présente des défis et crée un régime fiscal inutilement compliqué et punitif.

Comme je l’ai mentionné, ce sont là des changements importants. Nous ne sommes pas convaincus que le gouvernement ait fait les recherches nécessaires. Nous exhortons le gouvernement à maintenir les dispositions qui s’appliquent actuellement aux revenus de placements passifs. S’il décide d’aller de l’avant, sans écouter le secteur de la petite entreprise, nous l’implorons de relever au moins le seuil afin que cela ne se répercute pas sur les soins aux patients.

Pour ce qui est du partage du revenu, le document de consultation propose des modifications qui supprimeraient cette possibilité. Il se sert de l’exemple de Jean et Suzanne pour comparer l’impôt sur le revenu que paie un employé et celui que paie le propriétaire d’une société. Cette comparaison ne tient pas la route. On ne peut pas comparer un employé au propriétaire d’une entreprise. L’imposition des mêmes règles fiscales au propriétaire d’une entreprise constituée en société et à une employée salariée ne prendrait pas en considération les différences fondamentales entre les deux. Cette comparaison ne tient aucun compte des risques associés au lancement et à l’exploitation de l’entreprise. Pour les médecins, ces risques consistent notamment à contracter et garantir personnellement une dette pour le démarrage de l’entreprise, le recrutement du personnel, les avantages sociaux du personnel, le loyer, l’équipement et les frais généraux. Si le gouvernement décide de faire fi de la situation réelle des médecins constitués en société, nous l’exhortons à autoriser au moins le fractionnement des revenus et des dividendes avec le conjoint.

Pour conclure, en plus des 20 000 médecins de l’Ontario constitués en société, ces changements auront des répercussions négatives sur des centaines de milliers de Canadiens qui exploitent des petites entreprises. Au nom de tous les médecins de l’Ontario, j’exhorte tous les parlementaires à prendre le temps nécessaire pour examiner les répercussions que ces propositions auront sur les patients.

Je vous remercie de m’avoir accordé la parole aujourd’hui et j’apprécie tous les efforts que vous déployez pour en apprendre plus à ce sujet. Je me ferais un plaisir de répondre à vos questions.

Dre Magalie Dubé, membre, Association canadienne des radiologistes : Je m’appelle Magalie Dubé. Je suis ici pour parler au nom de l’Association canadienne des radiologistes, le porte-parole de la profession, qui compte plus de 2 500 membres. Depuis 80 ans, nous nous sommes donné pour mission de maintenir les normes de soins les plus élevées qui soient, de promouvoir la sécurité des patients et d’aider les radiologues à fournir d’excellents soins aux patients.

La radiologie est un élément clé du système des soins de santé. Nous nous spécialisons dans l’interprétation et la production des rapports de radiographie, d’ultrasons, de mammographie, d’IRM et de tomodensitométrie pour les patients de tout le Canada, en milieu urbain et rural. Notre système de santé est encore sous pression et nous nous inquiétons de l’augmentation des délais d’attente pour les patients qui ont besoin de services de diagnostic.

Je me réjouis que le Comité sénatorial permanent des finances nationales prenne le temps d’examiner à fond les changements que le gouvernement a proposés. Je suis une radiologue qui exerce à la fois à Ottawa et de l’autre côté de la rivière, à Gatineau, où j’ai acquis deux cliniques de radiologie en 2014. Je suis la mère de deux adolescents et comme beaucoup de gens, j’ai dû suspendre ma carrière pendant un certain temps pour élever mes enfants.

Lorsque ces propositions fiscales ont été annoncées en juillet, j’ai eu peur de ne pas pouvoir continuer d’épargner pour ma retraite et d’employer du personnel dans mes cliniques si elles étaient appliquées telles quelles.

De nombreux radiologues sont comme moi, des propriétaires de petites entreprises. J’emploie 15 femmes dans mes cliniques pour m’aider à fournir des soins aux patients. En tant que propriétaire d’une petite entreprise, j’assume les risques de l’entreprise. Nous faisons des investissements à la fois actifs et passifs dans l’entreprise.

Les placements passifs nous permettent d’épargner pour faire face à des imprévus et pour notre retraite. J’investis de l’argent dans un REER, mais les placements passifs m’ont permis d’élargir mon entreprise et d’offrir davantage de services à la population de l’Outaouais de l’autre côté de la rivière.

Les changements proposés me toucheraient et pourraient me dissuader d’investir davantage dans mon entreprise. Comme vous l’avez certainement entendu dire, certains de mes collègues envisageraient même de fermer leur entreprise.

Je tiens à vous remercier une nouvelle fois de votre invitation.

[Français]

Je suis vraiment honorée de pouvoir faire ma présentation devant vous aujourd’hui.

[Traduction]

Particulièrement en octobre qui est, comme vous le savez, le Mois de la sensibilisation au cancer du sein. Un grand nombre d’entre vous connaissent des femmes qui ont eu ou qui ont un cancer du sein. J’ai moi-même survécu à ce cancer. Comme pour bien d’autres maladies, il est essentiel que les patients aient accès en temps voulu à l’imagerie médicale afin que les médecins puissent formuler un plan de traitement adapté à leur cas.

Comme vous le savez, la radiologie est un domaine très réglementé, à juste titre, car elle utilise des rayonnements qui peuvent être dangereux s’ils ne sont pas bien gérés. Il y a quelques mois, j’ai dû prendre la décision de remplacer mon appareil de mammographie, dans ma clinique, par la technologie la plus récente afin de respecter les normes d’agrément les plus élevées. Cela exige un investissement de 250 000 $ que mon entreprise — et non pas le gouvernement — devra assumer au cours des semaines à venir avec un rendement très limité. Néanmoins, c’est une décision difficile, car les besoins de mammographie sont énormes. À l’heure actuelle, à Gatineau, si une femme appelle pour subir une mammographie, le délai d’attente est de près d’un an. Compte tenu de mon expérience personnelle, je sais que lorsque vous avez une grosseur au sein ou un autre problème de santé, l’attente d’un test de diagnostic est une grande source d’anxiété et de désarroi pour la plupart des gens. Ma décision pourrait aussi se répercuter sur mes employés — qui sont toutes des jeunes femmes. Devrais-je investir dans un nouvel appareil de mammographie pour mieux desservir la collectivité ou devrais-je retarder cette acquisition en cette période d’incertitude financière afin de protéger le financement de ma retraite, ma famille et d’assurer le financement des études secondaires de mes enfants?

Les changements que le gouvernement propose d’apporter à la fiscalité des petites entreprises auraient un impact financier négatif pour de nombreux radiologues du pays. Un grand nombre de gens, d’organismes et de parlementaires ont fait valoir que ces propositions devaient être examinées plus longuement étant donné leurs répercussions dans de nombreux secteurs de l’économie.

Pendant que nous continuons à digérer les récents changements aux propositions fiscales que le gouvernement a annoncés la semaine dernière, voici certains faits : contrairement aux employés salariés, les médecins paient pour leur propre couverture médicale et les prestations d’assurance-maladie complémentaires et ils doivent entièrement financer leur pension de retraite; les médecins emploient du personnel administratif, des technologues en radiation médicale et des échographistes dans leurs cliniques. Dans le cadre d’une récente étude portant sur les médecins du Nouveau-Brunswick, 82 p. 100 d’entre eux ont dit qu’ils songeraient à réduire leur clientèle ou réduire leurs heures de travail si ces propositions étaient adoptées.

Après avoir consacré un certain temps à examiner les conséquences de ces changements pour les médecins et les radiologues, notre association a commencé à prendre des mesures pour faire connaître sa position aux parlementaires et aux autorités gouvernementales. Nous nous sommes associés à nos collègues de l’Association médicale canadienne pour inciter les médecins à écrire à leurs députés. Nous nous sommes joints à la Coalition pour l’équité fiscale envers les PME qui regroupe plus de 70 organismes afin de mieux faire comprendre les répercussions pour les entreprises et nous avons signé une lettre adressée au ministre Morneau. Nous avons eu des réunions avec des parlementaires, des agents du gouvernement et le Bureau du premier ministre. Nous avons demandé à nos membres de faire connaître leur situation personnelle et les répercussions que ces changements pourraient avoir pour eux.

Nous reconnaissons que les choses ont bougé un peu et que le ministre des Finances, M. Morneau, a annoncé des changements, la semaine dernière, dans le but de réduire les conséquences inattendues des changements fiscaux. Nous ne pouvons pas mesurer vraiment l’impact de ces changements avant de voir la loi. Après un examen préliminaire, nos membres continuent d’avoir de sérieuses réserves à l’égard des propositions concernant les revenus de placements passifs. La modification créant un seuil de 50 000 $ pour ces revenus ne va pas assez loin.

Monsieur le président, nous prenons cette question très au sérieux. En quelques mots, je continue de craindre qu’en raison du caractère capitalistique de nos cabinets, les médecins et les radiologues soient trop durement touchés par les changements fiscaux au moment même où nous cherchons à recruter et à garder davantage de médecins. Nous sommes également des propriétaires de petites entreprises et ces changements pourraient avoir des répercussions négatives sur les services de santé d’un bout à l’autre du Canada.

Il serait essentiel de disposer d’une évaluation complète de l’impact économique de la série des changements proposés avant de prendre toute décision financière. Examinez l’ensemble de la Loi de l’impôt sur le revenu pour voir quels autres changements pourraient être apportés et il serait utile d’exempter entièrement le conjoint des règles régissant le fractionnement tant des revenus que des dividendes.

Nous comptons sur le Sénat pour fournir des conseils avisés à la Chambre des communes. Ne mettez pas les changements proposés en œuvre, même s’ils sont modifiés, pour le moment. Examinez dans une optique plus large les politiques qui pourraient être plus rentables pour la société.

[Français]

Je vous remercie de votre invitation et du temps que vous m’avez accordé. Je suis prête à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, docteure Dubé.

[Traduction]

Dr Larry Levin, président, Association dentaire canadienne : Merci, monsieur le président et membres du comité.

L’Association dentaire canadienne est l’organe national de l’art dentaire qui représente la profession et 18 000 dentistes en exercice, de concert avec les associations dentaires provinciales du pays. Au nom de nos membres, je vous remercie de vous livrer à cette étude d’une importance cruciale et de nous permettre de vous présenter nos opinions à ce sujet.

On dit qu’en politique, une semaine, c’est long et les changements fiscaux proposés à l’égard des petites entreprises ont certainement fait de la semaine dernière l’une des plus mémorables de l’histoire récente. Depuis le début des consultations du gouvernement en juillet dernier, l’ADC et de nombreux autres organismes ont signalé qu’une période de 75 jours de consultations sur des changements qui modifieraient profondément la politique fiscale des petites entreprises canadiennes était insuffisante. Le document de discussion initial était très technique. De plus, il contenait de multiples propositions. Par la suite, il y a eu la série d’annonces que le gouvernement a faites la semaine dernière pour tenir compte de certaines des recommandations qu’il a reçues au cours de ces consultations.

Nous apprécions l’intention de l’annonce de la semaine dernière et nous reconnaissons que certains des amendements annoncés aideront à atténuer quelques-uns des aspects les plus négatifs des propositions initiales. Je crois toutefois très important de souligner que les changements qui résulteront de ce processus seront peut-être profonds, mais qu’ils restent peu clairs. En fait, certaines des propositions initiales font l’objet d’un projet de loi, mais pas toutes, si bien que l’impact de ces mesures prises ensemble et non pas isolément, reste incertain.

Étant donné que les changements aux propositions initiales qui ont été annoncés la semaine dernière ne sont pas accompagnés d’un projet de loi, nous pouvons seulement répondre aux énoncés de principe. Cela augmente encore le climat d’incertitude et nous craignons de ne plus avoir notre mot à dire au sujet du projet de loi d’ici son dépôt à la Chambre.

En outre, il semble bien que le projet de loi concernant ces changements sera présenté dans le contexte d’une loi de mise en œuvre du budget. L’inclusion de profonds changements à la politique fiscale dans une loi budgétaire ne donnera pas à la Chambre ou au Sénat le temps de s’acquitter adéquatement de sa mission qui est d’examiner la loi, ni de consulter suffisamment les parties prenantes.

Une période de consultation de 75 jours n’est tout simplement pas suffisante pour discuter sérieusement de ces changements. La semaine accordée pour examiner les changements qui pourraient être apportés aux propositions initiales est également insuffisante pour nous et certainement aussi pour le comité. Le gouvernement devrait au moins réaliser une évaluation de l’impact économique d’un ensemble de changements bien précis et il devrait retarder toute mise en œuvre en attendant que cette évaluation soit réalisée.

En plus des graves préoccupations que suscite le processus, je voudrais faire quelques remarques au sujet de la teneur des propositions.

L’idée à la base de ces changements potentiels se fonde sur une fausse équivalence, sur la comparaison entre un employé salarié et le propriétaire d’une société privée sous contrôle canadien ou SPCC. Cette comparaison ne tient pas compte des avantages supplémentaires dont les employés bénéficient et qui sont subventionnés par les employeurs tels que les congés payés, les prestations de retraite et l’assurance-emploi, entre autres. Elle ne tient pas compte non plus de la stabilité de la rémunération prévisible des employés par opposition aux fluctuations économiques auxquelles les propriétaires d’entreprise sont confrontés.

De plus, en tenant seulement compte du fardeau fiscal individuel, on ne prend pas en considération les coûts supplémentaires que représente l’établissement d’une petite entreprise et des risques que les petites entreprises assument. Cela ne tient pas compte non plus de l’activité économique que les petites entreprises génèrent et qui crée des recettes fiscales supplémentaires. Dans le cas des dentistes, cela comprend les immobilisations nécessaires pour gérer une clinique dentaire qui est, en fait, un « mini-hôpital ».

Nous avons trouvé encourageant que dans ses annonces les plus récentes, le gouvernement ait reconnu le rôle que les investissements passés jouent dans les petites entreprises. Cependant, nous voudrions discuter plus en détail du seuil de 50 000 $ annoncé pour le revenu de placements passifs. Si on permet aux petites entreprises d’investir passivement, nous croyons que c’est bon pour leur stabilité et que le gouvernement devrait faire preuve de prudence à l’égard des limites qu’il impose pour ces placements. Nous ne savons pas exactement si ce seuil serait seulement annuel ou s’il pourrait être reporté pour refléter les variations survenant au sein de l’entreprise d’une année à l’autre. Nous voudrions aussi savoir si le plafond sera ajusté ultérieurement en fonction de l’inflation. Si un plafond est imposé pour ces placements, assurez-vous qu’il est approprié et permet aux entreprises de se constituer une réserve suffisante pour faire face à des crises financières ou personnelles inattendues.

Les cabinets de dentistes sont des petites entreprises qui fournissent des emplois de moyenne catégorie à des dizaines de milliers de Canadiens. Ils achètent des fournitures et de l’équipement à des fournisseurs canadiens et contribuent largement à l’économie, tant au niveau local que national. Nous estimons que la proposition initiale du gouvernement ne tenait pas suffisamment compte des conséquences et n’a pas pris en considération les répercussions sociales et économiques profondes de ces changements sur les petites entreprises et leurs employés.

Comme nous l’avons déclaré au début du processus, l’Association dentaire canadienne estime que des changements aussi importants doivent être examinés à fond. Nous recommandons vivement que la Chambre haute reste vigilante à cet égard et que toute loi à venir fasse l’objet d’un examen très attentif de votre part.

Merci de votre attention. Je me ferais un plaisir de répondre à vos questions.

[Français]

Le président : Merci. Je donne maintenant la parole au Dr Laurent Marcoux, de l’Association médicale canadienne.

[Traduction]

Dr Laurent Marcoux, président, Association médicale canadienne : Honorables sénateurs, monsieur le président, merci.

[Français]

Au nom de l’Association médicale canadienne, je vous remercie de nous avoir invités à témoigner aujourd’hui. Je veux vous faire part de notre réponse aux propositions de réforme fiscale présentées par le gouvernement du Canada le 18 juillet, ainsi que nos réactions aux annonces les plus récentes.

Comme nous l’avons indiqué dans notre mémoire au gouvernement, l’AMC s’oppose à la proposition fiscale étant donné l’effet déstabilisant important qu’elle aura sur les cabinets de médecin et le secteur des petites entreprises. Ces cabinets emploient plus de 137 000 Canadiennes et Canadiens et fournissent une infrastructure médicale nécessaire au bon fonctionnement de notre système de santé. Partout au Canada, plus de 54 000 médecins ont constitué leur pratique en société. La question demeure alors très prioritaire pour l’AMC, et nos membres restent très préoccupés.

Au cours de la période de consultations, l’AMC a demandé au gouvernement fédéral de surseoir aux propositions touchant l’utilisation des sociétés privées sous contrôle canadien. Nous étions d’avis qu’il fallait analyser à fond les modifications, ce qui n’était tout simplement pas possible au cours de la période de consultations de 75 jours.

Nous avons aussi demandé au gouvernement de procéder à un examen détaillé afin de veiller à ce que la loi puisse répondre aux besoins d’un filet de protection et aux objectifs des politiques sans avoir de conséquences inattendues importantes. Le gouvernement a certes modifié un peu sa position initiale, mais les rajustements comportent une complexité qui les rendra à la fois difficiles à respecter, à suivre et à administrer.

Le rythme envisagé pour mettre en œuvre ces modifications nous préoccupe toujours énormément. N’oublions pas que les modifications fiscales proposées sont les plus importantes qui visent le régime fiscal des petites entreprises depuis 45 ans.

Comme il y a un manque important de renseignements détaillés, il ne serait pas prudent de mettre en œuvre les modifications telles qu’elles sont prévues actuellement. Nous comprenons certes l’objectif du gouvernement qui vise l’équité dans le régime fiscal. Cependant, nous ne pouvons appuyer des modifications ponctuelles qui risquent de déstabiliser les cabinets de médecins qui jouent un rôle crucial pour la population canadienne. Comme il n’y a pas de consensus sur la définition de l’expression « équité fiscale », nous craignons que les modifications proposées puissent être équitables pour un secteur d’activités, tout en étant injustes pour un autre.

C’est la raison pour laquelle nous continuons de demander au gouvernement de procéder à une évaluation détaillée de l’incidence des modifications proposées et de mener une consultation de fond auprès de toute la population canadienne à la suite de la publication de l’avant-projet de loi. En outre, et après une analyse préliminaire des annonces, nous croyons que les changements suivants s’imposent.

Premièrement, nous croyons que le gouvernement doit définir la législation en vigueur sur les placements passifs. Le plafonnement du revenu de placements est sans précédent. Et les petites entreprises doivent pouvoir conserver des bénéfices non répartis afin d’assurer leur viabilité pour des raisons d’affaires et pour créer un filet de protection. Le gouvernement a reconnu le rôle que joue le placement passif pour financer les congés de maladie et de maternité, ainsi que les plans de retraite à long terme, ce qui nous encourage. La question demeure toutefois une cause de préoccupation et d’incertitude pour nos membres. L’entente en vigueur qui s’applique aux traitements fiscaux des sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC) donne aux médecins du Canada les moyens de prendre des dispositions relatives à la protection autofinancée du revenu pour couvrir leurs besoins personnels, professionnels et commerciaux. Ces ententes leur permettent de fournir des soins de santé de qualité d’un océan à l’autre. Même les gouvernements provinciaux les ont encouragés et appuyés dans leurs efforts pour limiter les honoraires des médecins.

Si le gouvernement demeure déterminé à établir un seuil dans le cas de placements passifs, l’AMC insistera pour que ce seuil soit haussé. De plus, il faudrait rajuster le seuil en fonction de l’inflation et l’appliquer comme montant cumulatif. Les placements sont naturellement volatils. Nous ne croyons pas qu’il soit équitable pour une SPCC qui a un revenu passif de 50 000 $ au cours de deux exercices consécutifs de payer moins d’impôts qu’une SPCC qui n’a pas de revenu passif pendant un exercice et qui en ait un de 100 000 $ l’année suivante.

Deuxièmement, nous sommes d’avis qu’une exemption pour le conjoint est appropriée en ce qui concerne la répartition des revenus. La plupart des provinces reconnaissent les conjoints comme partenaires financiers égaux, car ils partagent les risques et les avantages que présente l’exploitation d’une petite entreprise. L’AMC et d’autres membres du milieu des petites entreprises sont d’avis qu’il faut harmoniser le régime fiscal avec cette réalité.

Troisièmement, nous devons aux Canadiens de créer un environnement plus attrayant pour les petits entrepreneurs, ce qui inclut les cabinets de médecin. Avec l’approche proposée, le Canada aura de la difficulté à attirer, à recruter et même à garder des professionnels de la médecine très qualifiés.

Enfin, nous voulons être clairs. Les rajustements annoncés la semaine dernière ne suffisent pas à dissiper les préoccupations soulevées par l’AMC et les membres de la Coalition pour l’équité fiscale envers les PME. Ces rajustements ajoutent une complexité qui ne sert aucune fin commerciale. Nous encourageons le gouvernement à continuer d’écouter. Nous poursuivons le dialogue et conjuguons nos efforts pour faire en sorte que ces propositions soient équitables au sens réel du mot, ce qui signifie qu’on ne laisse tomber aucun secteur ni aucun Canadien. Nous espérons collaborer avec les sénateurs et le Comité des finances de la Chambre des communes afin d’élaborer des politiques fiscales qui soient équitables pour les médecins, pour d’autres petits entrepreneurs et pour tous les Canadiens. Le régime fiscal fédéral du Canada, qui est appuyé par les gouvernements qui fixent les honoraires des médecins, a donné aux médecins des moyens de gérer leur vie professionnelle d’une façon qui contribue à l’économie et au bien-être du pays. Les sociétés sont des entités d’affaires légitimes qui facilitent la conformité fiscale et administrative. Les membres de l’AMC tiennent à l’équité fiscale. Nous croyons que c’est possible. L’AMC et ses membres continuent de faire part de leur point de vue à leurs représentants élus, aux sénateurs et aux dirigeants des ministères. Nous souhaitons ardemment que l’on clarifie encore davantage ces mesures fiscales.

Je vous remercie, et c’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Le président : Je vous remercie, docteur Marcoux.

[Traduction]

Dre Kulvinder Gill, présidente, Concerned Ontario Doctors : Bonsoir. Je suis une médecin de première ligne qui exerce à Brampton et à Milton, en Ontario, une éducatrice médicale, une propriétaire de petite entreprise ainsi que la cofondatrice et présidente de Concerned Ontario Doctors. Je vous remercie de me permettre de parler, ce soir, au nom de Concerned Ontario Doctors.

En 2000, l’Ontario a accordé aux médecins la possibilité de se constituer en société au lieu d’augmenter leurs honoraires. Le gouvernement avait même invité les médecins à se servir de la constitution en société pour épargner en vue de leur retraite. À l’heure actuelle, plus de 70 p. 100 des médecins de l’Ontario sont constitués en société.

Même s’ils facturent le gouvernement pour les services qu’ils fournissent aux patients, les médecins sont des travailleurs autonomes qui n’ont pas de pensions ou d’avantages sociaux. Les médecins assument eux-mêmes la totalité de leurs frais généraux qui représentent en moyenne 30 à 60 p. 100 de leurs honoraires, ils financent l’infrastructure des soins de santé et doivent généralement rembourser une dette étudiante se chiffrant en moyenne à 250 000 $, qu’ils ont accumulée pendant les 10 à 16 ans de formation universitaire.

Les médecins sont des propriétaires de petite entreprise dans une situation très particulière en ce sens qu’ils ne peuvent pas faire assumer l’augmentation de leurs frais généraux par leurs patients étant donné que le gouvernement fixe leurs honoraires. Les coupes dans les revenus des médecins réduisent donc directement les soins aux patients.

Le gouvernement libéral de l’Ontario, qui est l’administration infranationale la plus endettée au monde, a rationné les soins aux patients en réduisant unilatéralement de plus de 3,5 milliards de dollars le financement des services aux patients que les médecins de l’Ontario fournissent aux patients depuis 2015. Si l’on ajoute à cela les multiples lois provinciales sur la santé de l’année dernière qui lèsent et privent les médecins de leur autonomie et de leurs droits humains, les conditions propices à une crise dans le système de santé se trouvent réunies.

Ces dernières années, les gouvernements ont attaqué et dénigré les médecins. Soixante-trois pour cent des médecins de l’Ontario se disent épuisés, ce qui peut rapidement conduire à un manque de compassion, à de l’anxiété, à une dépendance, à la dépression et au suicide. Le taux de suicide chez les médecins est déjà deux fois plus élevé que dans l’ensemble de la population. Une proportion étonnante de 81 p. 100 des médecins disent se sentir attaqués et dénigrés par le gouvernement de l’Ontario et 70 p. 100 par le gouvernement canadien.

Trois sondages indépendants ont maintenant été réalisés auprès des médecins du Canada au sujet des changements fiscaux proposés, en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse et, malheureusement, les résultats concordent. La majorité, plus de 85 p. 100 de ces médecins canadiens, déclare que les changements fiscaux proposés les forceront à modifier la façon dont ils exercent la médecine. En Ontario, 75 p. 100 d’entre eux ont l’intention de réduire leurs heures de travail; 55 p. 100, de réduire les services aux patients; et 39 p. 100, de congédier du personnel. Depuis que ces propositions fiscales ont été annoncées au cours de l’été, le quart des médecins de l’Ontario disent avoir déjà annulé leurs projets d’expansion. Le résultat final a de quoi faire peur : davantage de patients souffriront et mourront inscrits sur des listes d’attente.

Si ces changements fiscaux sont mis en œuvre, 21 p. 100 des médecins ontariens ont l’intention de quitter le Canada; 26 p. 100, de prendre une retraite anticipée, et 11 p. 100, d’abandonner entièrement la médecine, ce qui est vraiment consternant. Une proportion alarmante d’étudiants en médecine et de médecins en résidence, soit 35 p. 100, comptent quitter le Canada. Si les médecins donnent suite à leurs intentions, cela va probablement exacerber l’incidence de l’épuisement professionnel chez les 88 000 médecins canadiens qui dépasse déjà 50 p. 100.

Les changements que le ministre Morneau a récemment annoncés la semaine dernière ne calment pas les inquiétudes des médecins.

Sous prétexte d’équité, on cible les médecins et on les traite injustement. En tant que jeune femme médecin appartenant à une minorité visible, je symbolise le nouveau visage de la médecine au Canada. Depuis 1970, le nombre de femmes qui exercent la médecine a énormément augmenté passant de 7 p. 100 à 41 p. 100. À l’heure actuelle, environ 60 p. 100 de tous les étudiants en médecine sont des femmes.

Ces changements fiscaux pénalisent surtout les femmes médecins qui doivent se servir de leur société pour financer les frais généraux de leur clinique pendant qu’elles restent à la maison pour prendre soin de leurs nouveau-nés. Cela crée des obstacles pour les femmes qui veulent devenir médecins et chefs d’entreprise. Il est absolument essentiel d’effectuer une analyse approfondie des répercussions sexospécifiques de tout changement fiscal proposé.

Les parents de nombreux médecins ont dû faire beaucoup d’efforts pour accéder à la classe moyenne et ont puisé dans leurs propres REER pour financer les études en médecine de leurs enfants. En raison des changements touchant la répartition des revenus, les parents âgés de nombreux médecins se retrouveront sans pension. Également, de nombreux médecins ne pourront plus aider à financer la retraite de leur conjoint et, sans un REEE, nombreux sont ceux qui ne pourront plus financer les études universitaires de leurs enfants. C’est injuste pour les propriétaires de petites entreprises étant donné que les employés du secteur public peuvent toujours partager leur pension avec leur conjoint.

La limite de 50 000 $ par année fixée pour les placements passifs dans la société va réduire énormément la capacité des médecins d’utiliser leur société pour constituer un fonds d’urgence, investir dans leur clinique, financer un congé de maternité ou leur retraite future. Nous ne savons pas comment les sociétés conserveront leurs droits acquis, ce qui créera un autre fardeau administratif. Le plafond annuel de 50 000 $ pénalisera surtout les médecins qui en sont au début de leur carrière et dont un bon nombre ne peuvent pas commencer à épargner pour leur retraite avant la fin de la trentaine ou le début de la quarantaine. Cette limite annuelle impose un fardeau injuste aux propriétaires de petites entreprises, car les régimes de pension du secteur public, dont l’actif se chiffre en moyenne à 3 millions de dollars, ne font l’objet d’aucune limite de ce genre ou hausse des taux d’imposition.

Les pressions qui s’exercent actuellement sur le système de santé du Canada sont beaucoup plus fortes qu’elles ne l’étaient avant l’exode massif des médecins, lors de la « fuite des cerveaux » des années 1990, vers les États-Unis. Nous nous aventurons en territoire inconnu étant donné que notre population d’aînés devrait croître de plus de 68 p. 100 au cours des 20 prochaines années. Le système de santé canadien se classe déjà au troisième rang des pays riches sur le plan de l’accessibilité aux soins; il compte plus de 5 millions de patients sans médecin de famille; les salles d’opération sont inutilisées et les patients attendent jusqu’à trois ans pour recevoir des soins spécialisés. Si vous ajoutez à cela un exode probable des médecins, il faut s’attendre à un effondrement de notre système de santé.

La pétition que Concerned Ontario Doctors a lancée dans l’ensemble du Canada pour stopper ces changements fiscaux injustes a réuni 54 561 signatures et continue de s’allonger. Les changements fiscaux que le gouvernement a proposés à l’égard des propriétaires des petites entreprises auront des conséquences néfastes sur les soins de santé au Canada. Il est essentiel d’établir une commission pour vraiment comprendre les répercussions de toute politique fiscale proposée. Les patients canadiens méritent mieux.

Merci de prendre le temps nécessaire pour étudier les profondes répercussions de ces mesures. Je me ferais un plaisir de répondre à vos questions.

Dre Rita McCracken, médecin de famille et défenseure des droits en matière de soins de santé, à titre personnel : Merci de m’avoir invitée. Je suis médecin de famille à Vancouver, en Colombie-Britannique. J’ai possédé et exploité trois petites entreprises, y compris mon cabinet médical actuel. Je suis ici pour parler de la teneur d’une lettre que plus de 490 médecins et étudiants en médecine du pays ont signée.

Les signataires de cette lettre sont pour les changements proposés aux politiques fiscales concernant les sociétés privées sous contrôle canadien. Nous appuyons ces changements parce que nous croyons que ceux qui gagnent plus d’argent devraient payer plus d’impôts afin de réduire les inégalités de revenu au Canada.

Néanmoins, notre soutien n’est pas inconditionnel. Nous demandons également une approche plus complète de la réforme fiscale, notamment en ce qui concerne les règles spéciales d’imposition des options d’achat d’actions dont bénéficient certains des Canadiens les mieux rémunérés.

La Colombie-Britannique est un bel endroit où vivre et après avoir vécu en Ontario, à l’Île-du-Prince-Édouard, en Alberta et au Québec, je suis ravie de m’y être établie et d’y élever ma famille. Néanmoins, un enfant sur cinq vit dans la pauvreté en Colombie-Britannique, et ce pourcentage n’a pas changé depuis plus de 20 ans. Je vois souvent, dans ma clinique rémunérée à l’acte, des patients qui n’ont pas les moyens de payer les traitements non pharmaceutiques dont ils ont besoin tels que des services de counseling en santé mentale. La semaine dernière, j’ai vu une femme âgée fragile qui arrive tout juste à se maintenir à domicile. Son loyer a augmenté, ce qui l’oblige à choisir les aliments qu’elle peut se permettre d’acheter. La crise des opiacés fait rage dans ma ville et tue des pauvres en mauvaise santé.

Par contre, la majorité des médecins continuent à faire partie des 1 p. 100 à 5 p. 100 des contribuables canadiens les plus riches. Le rapport de l’ICIS de septembre 2017 révélait que le médecin canadien moyen gagnait un revenu brut de 339 000 $, soit 2,5 p. 100 de plus qu’en 2015. Même si un médecin a d’importants frais généraux — par exemple, de 30 à 40 p. 100 —, il reste bien au-dessus du revenu médian canadien, qui était de 34 000 $ en 2015.

Les signataires de la lettre reconnaissent qu’il faut disposer de recettes fiscales suffisantes pour financer d’importants programmes sociaux tels que le logement abordable, la sécurité alimentaire, l’aide juridique, le traitement des toxicomanies et l’ensemble du système de soins de santé. Ces programmes ont des effets directs sur la santé de nos patients et nous avons besoin de recettes fiscales pour les financer. En tant que hauts salariés, nous croyons avoir l’obligation de contribuer à leur viabilité grâce à une assiette fiscale adéquate.

Les médecins sont dans une situation très particulière en ce sens qu’ils sont financés par l’État, mais que la plupart d’entre eux travaillent à leur compte. Contrairement à un grand nombre de nos autres collègues du secteur de la petite entreprise, nous avons des honoraires négociés avec la province et un payeur unique à qui nous pouvons nous fier pour être rémunérés.

Cela dit, nous croyons que la structure de travail des médecins suscite certaines préoccupations légitimes, par exemple en ce qui concerne le manque de prestations d’assurance-maladie complémentaires, de vacances et de congés parentaux adéquats. Nos périodes de formation sont longues et la dette étudiante a grossi de façon fulgurante au cours des deux dernières décennies. Nous entrons tardivement sur le marché du travail avec très peu de formation en affaires et les taux d’épuisement professionnel et de suicide sont élevés, comme l’a mentionné ma collègue, la Dre Gill. Néanmoins, la préservation de ces règles fiscales ne réglera pas ces problèmes et nous croyons que nos collèges et nos associations professionnelles doivent militer pour obtenir des solutions directes, efficaces et économiques.

Même pour les médecins, les avantages fiscaux actuels présentent une iniquité inhérente. Sur les 117 000 personnes qui se servent actuellement du fractionnement des revenus au Canada, seulement 1 sur 73 — soit moins de 2 p. 100 — est une femme alors qu’en 2016, 41 p. 100 des médecins canadiens étaient des femmes.

En Colombie-Britannique, presque tous les médecins doivent travailler en tant que propriétaires d’entreprise même s’ils souhaitent généralement disposer de plus d’options. Ils préféreraient, par exemple, être salariés et travailler en équipe dans une clinique. Seulement 60 p. 100 des médecins du Canada sont constitués en société. De nombreux médecins sont célibataires ou ont des enfants qui n’ont pas le bon âge, ou encore des dettes très lourdes, ce qui les empêche de bénéficier en partie ou en totalité des avantages fiscaux qu’offrent actuellement les SPCC. Même si 40 p. 100 des médecins non constitués en société représentent une minorité, c’est une grande partie de la profession qui a peut-être une contribution importante à faire à ce débat et qui n’a pas été beaucoup entendue dans les médias ou dans les communications de nos associations professionnelles. Je mentionnerais que les signataires de notre lettre comprennent à la fois des médecins constitués en société et d’autres qui ne le sont pas.

Même si nous avons qualifié d’injustes les politiques fiscales existantes, nous ne les jugeons pas illégales ou insidieuses. Ce sont des mécanismes légaux que certains de nos collègues utilisent actuellement pour réduire leurs impôts et qui ont obtenu un appui solide de la part de nos associations professionnelles et de MD Financial au service de l’AMC. Comme je l’ai dit, les signataires de la lettre appuient les changements proposés au départ, mais demandent un plan de transition qui ne pénaliserait pas les collègues proches de la retraite qui se sont servis de ces mesures légitimes pour épargner. Les modifications récemment annoncées à la proposition initiale répondent peut-être à ce besoin.

Mais surtout, nous avons constaté la nécessité de réexaminer la situation des médecins en tant que propriétaires d’entreprises dans le Canada d’aujourd’hui et nous avons souligné notre désir d’avoir un examen plus approfondi de la politique fiscale dans le but d’assurer l’équité pour tous les Canadiens. Merci.

Le président : Merci, docteure.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup de vos exposés et des documents que vous avez fournis. C’était très intéressant.

Plusieurs d’entre vous ont mentionné qu’il n’y avait pas eu d’évaluation d’impact. C’est vrai. Nous n’avons rien vu ici, au comité des finances. Chacun d’entre vous a parlé des répercussions que ces propositions fiscales auraient, mais tout le monde n’est pas convaincu qu’elles se matérialiseront, car ces dernières années, des changements ont été apportés sans l’aval des médecins qui ont dit alors : « Les médecins vont partir au sud de la frontière ou ils travailleront moins d’heures. »

On a l’impression, je pense, que les changements vont être apportés, que les médecins s’y adapteront et que le gouvernement pourra percevoir des recettes supplémentaires. Les médecins vont examiner toutes ces répercussions, s’y adapter et tout ira pour le mieux.

Y a-t-il eu, au cours des 10 ou 15 dernières années, des changements que les médecins n’ont pas approuvés et qui ont eu des effets concrets que vous pouvez vraiment constater? S’est-il passé quelque chose? Je sais qu’en 2000, les médecins ont obtenu le droit de se constituer en société. À l’époque, ils ont dû avoir des désaccords avec le gouvernement provincial. Y a-t-il eu un exode massif des médecins vers les États-Unis ou vers un autre pays?

Avez-vous la preuve qu’il y aura des répercussions, que cela ne va pas simplement s’intégrer dans le système des soins de santé?

Dr Whatley : Je pense que cette question en contient, en fait, quatre ou cinq, mais comme vous avez demandé des données, nous allons essayer de vous en fournir. Après une décennie de ce qu’on a appelé le contrat social en Ontario, les années 1990 — oui, et dans d’autres provinces, je suppose —, nous avons eu 1,2 million de patients qui ne pouvaient pas trouver de médecin de famille. Un grand nombre d’entre vous se souviennent peut-être des gens qui demandaient autour de vous : « Connaissez-vous un médecin? Quelqu’un accepte-t-il des patients? » Cela a des répercussions d’abord sur le genre de soins que les médecins peuvent fournir, puis sur la façon dont ils gèrent leur cabinet et, enfin, sur leurs plans de carrière.

On peut le résumer en une phrase : si on réduit le nombre de médecins ou que l’on réduit leur rémunération ou augmente leurs impôts, cela aura un effet direct sur les soins aux patients. C’est inévitable. C’est mathématique. Je vais vous donner un exemple concret. Si je n’ai pas les moyens de remplacer mon vieil appareil dans mon cabinet, je ne pourrai pas vous faire passer d’électrocardiogramme dans ma clinique rurale, et vous serez donc obligé d’aller à l’hôpital, et, dans ce cas, c’est l’hôpital qui devra payer pour ce service et embaucher son propre personnel. Il n’y a rien de plus efficace qu’un petit cabinet de médecin. C’est un exemple de ce qui se passe dans une petite clinique privée. Les patients auront moins accès aux tests dans leur propre localité, il y aura moins de personnel pour les soutenir, et les cliniques où ils iront n’auront probablement pas été rénovées depuis bien longtemps.

Le deuxième point est que les médecins choisissent le lieu où ils exercent. Quand j’ai obtenu mon diplôme, en 2000, je savais à coup sûr que je n’ouvrirais pas un cabinet. J’ai travaillé à l’urgence pendant au moins 17 ans. Mes collègues faisaient la même chose en exerçant comme médecins hospitaliers, médecins légistes, médecins d’urgence — n’importe quoi pour éviter d’ouvrir une petite clinique privée. Nous voulions travailler dans un hôpital pour ne pas avoir à nous soucier des frais généraux. Qu’est-ce que cela veut dire pour les patients? Cela veut dire qu’il y a moins de cliniques et moins de médecins à proximité.

Enfin, on nous parle aussi, et les médias adorent en discuter, de la fuite des cerveaux. Tout le monde va s’en aller. Mais, même au moment où ce phénomène a été le plus important, dans les années 1990, nous n’avons perdu que quelques centaines de médecins par an. On en a perdu 500 ou 600 une certaine année. Nous pourrons vous fournir les données exactes. Mais, dans l’ensemble, les gens qui vivent en Ontario et au Canada aiment le Canada. Nous aimons le Canada. Nous aimons l’Ontario. Nous y avons nos racines. Nous y avons nos familles. C’est donc en dernier recours que cela se produit. Ce qu’on voit d’abord, c’est que les gens qui peuvent prendre leur retraite le font. Les gens qui peuvent réduire leurs activités le font. Beaucoup de cliniques ont été contraintes de fermer parce qu’elles ne pouvaient plus absorber leurs frais généraux. Donc, ces médecins changent leur façon de travailler, changent leurs plans de carrière, et cela finit par se répercuter sur les patients.

Les patients doivent être au centre de la discussion. Si chaque dollar que l’on prend aux médecins devait financer directement les soins aux patients, je parie que les opinions seraient différentes autour de cette table. À ma connaissance, aucune mesure de ce genre n’a jamais été prise. Par ailleurs, il faudrait alors se demander s’il est vraiment juste d’améliorer les soins de santé aux dépens des seuls médecins.

Donc, je pense que vous posez les bonnes questions au sujet des patients, et nous avons vécu tout cela dans les années 1990. Nous commençons à peine à en sortir. Je vous en prie, ne nous y ramenez pas.

La sénatrice Marshall : Mais on a généralement l’impression que, oui, on va attendre, mais qu’on finira par voir un médecin et que, oui, les urgences sont remplies, mais que les choses se règlent. Vous pouvez bien sortir des statistiques — vous nous avez donné des chiffres sur notre système de santé comparativement à d’autres pays —, mais les gens ont quand même l’impression qu’ils finiront par pouvoir voir un médecin. On réglera le problème des urgences, tout le monde sera content, et le gouvernement aura les revenus supplémentaires qu’il veut.

Dr Whatley : Il y a une liste d’attente de deux ans pour les remplacements de hanche dans mon domaine. Est-ce que c’est correctement assuré? De jeunes femmes inscrites sur des listes d’attente succombent à des maladies qui sont curables. Il y a des gens recroquevillés sur eux-mêmes, par terre, dans la salle d’urgence de Winnipeg, et on dit : « Oh, mais c’est qu’ils ont des réactions excessives à cause d’un mal de tête. » En fait, c’est une hémorragie cérébrale. Je pourrais vous donner des tas d’exemples.

Notre système n’a pas de résilience suffisante pour qu’on lui demande de faire plus avec moins. On a coupé et coupé, et encore coupé, dans nos ressources. En Ontario, la rémunération a été réduite de plus de 6 p. 100. Pour le revenu net, c’est en fait plus près de 30 p. 100. Au final, il n’y a plus de réserves dans le grenier.

Nous ne voulons pas en arriver à être obligés de recruter des gens à l’étranger, et, sinon, je ne vois pas ce que nous pourrions faire. On ne peut pas faire de coupures à ce point sans compromettre les soins aux patients.

Dre Gill : J’exerce à deux endroits, Brampton et Milton. La triste réalité est que j’ai commencé à prendre la défense des droits de nos patients il y a deux ou trois ans. Cela a commencé quand une de mes patientes m’a raconté que son mari en phase terminale était décédé au service d’urgence local parce que c’était le seul endroit où il pouvait recevoir des soins palliatifs. Ma mère a reçu des soins palliatifs après une longue et courageuse bataille contre le cancer du sein. En fait, elle a eu la chance de recevoir des soins palliatifs. Mais notre système de santé n’est pas au service des plus vulnérables. Les patients ne reçoivent pas les soins dont ils ont besoin. Ils ont accès à une liste d’attente, pas aux soins essentiels. Ce n’est pas un système de santé enviable.

À chaque fois que nous parlons de la qualité de notre système de santé, pour une raison ou une autre, nous le comparons à celui des États-Unis, qui est tout aussi lamentable que le nôtre. Il faut regarder ailleurs et voir ce qui se fait de bien dans d’autres pays, et il y en a beaucoup. Il faut commencer à innover. Il n’y aura aucun moyen d’innover si nous nous contentons de lutter pour garder le système en vie en colmatant les fuites.

Le moral est bas. Les médecins sont attaqués et vilipendés. Quand on sait, par exemple, que 11 p. 100 des médecins songent aujourd’hui à quitter le métier… Pensez-y. Après avoir consacré 15 ou 16 ans de leur vie à se former, contracté un quart de million de dollars de dette, passé des centaines d’heures sur appel, sacrifié votre vie de famille, voilà qu’ils disent qu’ils en ont assez. Ils veulent privilégier leur santé mentale et leur famille et ils ont l’impression qu’ils ne peuvent pas répondre aux besoins de leurs patients, même dans le cadre du système tellement celui-ci ne fonctionne plus.

Selon nos résultats de sondage, 45 p. 100 des médecins se débattent pour répondre aux besoins de leurs patients, et 50 p. 100 disent que leur pratique privée est déterminée par des politiques gouvernementales et non par des faits cliniques. Il faut absolument comprendre que ces chiffres sont réels et qu’on ne peut prendre ces nouvelles mesures fiscales sans tenir compte du reste, parce qu’il est passé énormément de choses dans le domaine de la santé depuis deux ans.

La sénatrice Marshall : Les statistiques dont vous venez de parler, d’où viennent-elles? Est-ce qu’il y a eu un sondage?

Dre Gill : Nous avons fait un sondage auprès des médecins et stagiaires de l’Ontario au début de septembre.

Le président : Si je peux me permettre d’intervenir, est-ce que d’autres médecins souhaitent répondre? Pourriez-vous fournir ces renseignements au greffier?

Dre Gill : Oui, c’est dans la documentation.

Le président : Merci, docteure Gill.

[Français]

Dr Marcoux : J’aimerais ajouter quelques commentaires à ces très éloquentes présentations.

Je vous ferai remarquer que la population du Canada, en général, est vieillissante, et qu’elle souffre de plus en plus de maladies chroniques. Et vous conviendrez avec moi que la salle d’urgence n’est pas un endroit pour traiter des patients âgés qui souffrent de maladies chroniques. Ici, on ne permet pas à notre profession, à travers des entreprises d’affaires, de continuer à prendre en charge les patients en dehors des hôpitaux.

Je présenterai demain à la Chambre des communes l’argument que les patients âgés ont de plus en plus besoin de soins à domicile. Or, pour permettre aux médecins de fournir ces soins à domicile, on doit avoir des entreprises comme celle dont on vient de parler.

On compte aujourd’hui davantage de personnes âgées de 65 ans et plus que de personnes âgées de 0 à 14 ans, et ça va en augmentant. Les gens porteurs de maladies chroniques n’ont pas à être traités dans les urgences. Ils ont plutôt besoin d’être réajustés et stabilisés à domicile.

[Traduction]

Le président : Docteure McCracken, avez-vous un commentaire à formuler?

Dre McCracken : Oui, j’aimerais parler des sondages portant sur l’intention de médecins de quitter la médecine ou d’exercer des moyens de pression. J’ai pu y jeter un coup d’œil et je dois dire que la chercheuse que je suis s’inquiète de la façon dont les questions ont été formulées. Je crois qu’il serait bon de pouvoir faire valider les questions et les résultats de ces sondages.

Le président : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci infiniment de vos témoignages qui sont fort instructifs. J’ai deux brèves questions. La première s’adresse à la Dre Dubé et au Dr Levin. Vous avez parlé de l’exemption de 50 000 $ quant aux revenus liés aux capitaux passifs et du fait qu’elle était insuffisante, compte tenu de la nature même de vos activités. Selon vous, à quelle hauteur se situerait une imposition suffisante?

Dre Dubé : Je sais que le 50 000 $ n’est pas suffisant, mais je n’ai pas évalué le montant potentiel en fonction de ma pratique personnelle. Si j’avais à faire cet exercice, il faudrait absolument que je contacte mes consultants, mes experts et mon comptable pour obtenir les bons chiffres.Pour en avoir parlé avec des comptables et des experts, je sais que 50 000 $, ce n’est pas suffisant. Malheureusement, je n’ai pas de chiffre en tête.

Le sénateur Forest : Est-ce qu’il serait possible de nous faire parvenir, compte tenu des spécificités de votre pratique, un ordre de grandeur pour ce montant? Nous avons comme responsabilité de produire un rapport. Donc, des balises pourraient nous éclairer.

Dre Dubé : Oui.

[Traduction]

Dr Levin : Je n’ai pas non plus de chiffre précis. Je crois que la recherche nécessaire pourrait être réalisée rapidement et vous en donner une idée. Il faut l’envisager dans la perspective d’une vie entière d’impôts et de dépenses et non pas comme un élément isolé, comparé dans l’abstrait. Il faut être très attentif à ne pas nous fier à un chiffre magique, parce qu’il n’y en a pas. Il faut tenir compte du contexte général.

[Français]

Le sénateur Forest : Mon intention n’est pas d’obtenir un diagnostic très précis, mais plutôt d’avoir un examen général afin de situer un montant d’exemption raisonnable, tout en tenant compte de votre pratique. Vous mentionnez qu’il pourrait y avoir, compte tenu de ces modifications au régime fiscal, un danger important de migration de nos médecins spécialistes, et ce, particulièrement vers les États-Unis. Quels seraient les grands changements fiscaux qui motiveraient vos collègues à transférer leur pratique aux États-Unis?

[Traduction]

Dr Whatley : Excellente question. Je suis heureux que vous ayez rappelé qu’un changement quel qu’il soit n’est pas une décision facile à prendre pour les gens qui sont déjà ici. Il s’agit de trouver un moyen de rendre l’Ontario, dans le cas qui me concerne, mais aussi le Canada aussi intéressants que possible pour nos gens les plus doués. Lorsqu’ils doivent choisir entre une offre exceptionnelle de l’Université Johns Hopkins et l’Université de Toronto, ils tiendront compte du coût de la vie, du taux d’imposition marginal et des possibilités d’emploi du conjoint.

C’est encore plus vrai quand il s’agit de recruter des gens dans de petites villes de l’Ontario et notamment dans les zones rurales. Il est très fréquent que le conjoint ne puisse pas trouver d’emploi et doive renoncer à sa carrière. Si, toutes choses étant égales par ailleurs, il est préférable de vivre en ville parce que le conjoint peut faire carrière, plutôt que de vivre dans une petite ville, sans possibilité de fractionnement du revenu, il devient difficile d’attirer des gens dans ces endroits. Il y a donc deux enjeux : la répartition au sein d’une province, mais aussi la répartition entre les pays.

Mais vous avez tout à fait raison, et, pour répondre à la question d’un autre sénateur, on en arrive aux limites, parce que les gens qui sont déjà ici vont en supporter beaucoup, mais ce n’est pas la meilleure façon d’inciter des gens de talent à choisir le Canada et à y vivre 30 ou 40 ans pour y offrir les soins hyperspécialisés dont nous avons besoin. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

Le sénateur Forest : Oui, tout à fait.

[Français]

Dr Marcoux : Les médecins canadiens veulent être autonomes et pouvoir créer leur pratique eux-mêmes. C’est une motivation importante également. Ils n’aiment pas être soumis à des listes d’attente interminable. Ils veulent pouvoir innover, créer et s’investir dans leur pratique pour pouvoir offrir de meilleurs services à leurs patients. Cela a été vérifié à plusieurs occasions.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Il y a aussi parfois le problème de l’étendue du Canada.

J’aimerais ajouter à ce dont vous parlez. Hier, nous avons entendu des agriculteurs et des représentants d’associations agricoles. M. Ray Orb, président de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities, a soulevé une question intéressante en disant : « Au Canada, la plupart des médecins sont aussi des propriétaires de petite entreprise qui créent des emplois locaux, achètent du matériel et des fournitures, louent ou achètent des bâtiments et paient des impôts. » Il a ajouté : « Nous manquons de médecins dans les zones rurales, non seulement en Saskatchewan, mais dans tout le pays. Si leur situation devient encore plus difficile, ils finiront par quitter le Canada. »

Je suis consciente, par ce que j’ai entendu et lu en plusieurs endroits, de ce que réclament à cor et à cri les médecins exerçant dans des zones éloignées ou rurales, surtout dans le Nord. Avez-vous quelque chose à ajouter à ce qu’il a dit?

Dr Whatley : Je suis content que vous posiez la question. J’exerce moi-même en milieu rural. Je travaille dans un village de 2 500 habitants. Il y a une toute petite pharmacie au village. Si je cesse mes activités, la pharmacie aura des difficultés. Si je ne peux pas procéder à des tests dans ma clinique, mes patients âgés devront prendre l’autobus. Il faut environ deux heures et demie pour se rendre à la ville la plus proche et y faire faire un électrocardiogramme ou une prise de sang.

La raison pour laquelle je vous donne ces exemples est que ce sont les petites cliniques, notamment dans les villages, qui occupent les limites des soins de santé. C’est ce que j’ai expliqué quand j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le ministre Morneau. Il n’arrêtait pas de dire : « Oh, mais tous ceux qui gagnent moins de 150 000 $ ne seront pas touchés, il n’y aura aucune répercussion sur eux », mais, en fait, beaucoup de médecins de l’Ontario se trouvent dans ce groupe ou à l’extrémité inférieure du spectre, mais leurs marges sont si faibles que le moindre changement les contraint à se demander si cela vaut la peine de continuer à exercer en milieu rural ou s’ils ne devraient pas chercher une clinique plus grande dans une ville plus grande pas très loin. Ce n’est pas bon pour nos patients.

La sénatrice Eaton : J’aimerais bien que vous nous expliquiez cela plus en détail. Je siège au conseil de la fondation d’un hôpital de soins tertiaires de Toronto. Une chose a attiré mon attention il y a quelque temps, et c’est que le gouvernement va payer les briques et le mortier, mais pas l’équipement hospitalier. Il faut trouver de l’argent pour la recherche et l’équipement. Vous avez parlé tout à l’heure de votre appareil à électrocardiogramme. S’il est vieux et usé, vous devez vous en payer un autre. Ce n’est pas le gouvernement qui va payer.

Dr Whatley : Vous soulevez une question importante. J’ai siégé au conseil de la fondation d’un grand hôpital, moi aussi. Vous mélangez deux problèmes de financement distincts. Dans le secteur hospitalier, les coûts des biens d’équipement peuvent être assumés par les fondations d’hôpitaux, des organismes de bienfaisance, et cetera.

La sénatrice Eaton : Par le secteur de la santé. Je pense que la plupart des gens pensent que c’est le gouvernement qui achète cela.

Dr Whatley : Effectivement. Donc, ce que l’hôpital finit par assumer, si je ne fais pas l’électrocardiogramme, ce sont les coûts salariaux, les locaux, et cetera. C’est en fait l’article budgétaire le plus important dans la plupart des grands hôpitaux. Mais je suis content que vous en ayez parlé.

[Français]

Dr Marcoux : Ce qui apporte des services à la population, ce sont les services de proximité. De plus en plus, on va en parler, parce que la population âgée n’aime pas se déplacer jusqu’à l’autre bout du monde pour recevoir ses services et aime être reconnue. Actuellement, les infrastructures que les médecins créent dans les régions rurales sont en perte de vitesse. Les médecins en milieu rural sont très importants. La médecine de proximité crée une médecine à l’échelle humaine et apporte plus de services, de confiance et de satisfaction aux patients. Je sais que dans les hôpitaux, c’est également très important. Cependant, ce ne sont certainement pas les hôpitaux, comme le Dr Whatley et moi l’avons fait dans notre pratique, qui installeraient une clinique dans un milieu rural, apporteraient des outils d’investigation — primaires, mais importants — et feraient une évaluation des patients.

[Traduction]

Dre Gill : L’essentiel de l’infrastructure de soins de santé en dehors des hôpitaux est entièrement financé par les médecins. Ils financent aussi la dotation en personnel.

On peut s’intéresser à ce qui se passe de l’autre côté de l’océan et examiner ce qui se passe dans le système de santé en Angleterre. Le nôtre est en retard de quelques années. Là-bas aussi, les coupures ont été drastiques dans les soins de première ligne, et là-bas aussi, les médecins sont vilipendés. Une étude y a été effectuée l’année dernière : les médecins quittent le système de santé publique au rythme de 400 par mois. Près de 6 000 médecins de famille ont déjà quitté le système de santé publique.

La sénatrice Eaton : Mais il y a un régime à deux vitesses en Angleterre, non?

Dre Gill : Exactement.

Il faut aussi comprendre que les médecins n’ont pas besoin de quitter le pays ou la province pour que les patients subissent des répercussions. Selon les résultats du sondage, et c’est ce qui s’est passé aussi dans les années 1990, les médecins cessent tout simplement d’offrir des services couverts par le RAMO. Ils se mettent à faire plus de travail en dehors du RAMO pour pouvoir facturer ce que les services leur coûtent réellement. Environ 70 p. 100 des médecins ayant répondu au questionnaire prévoient diminuer leurs services couverts par le RAMO, et cela aura d’importantes répercussions directes sur les patients.

Je crois que ce serait bien malencontreux aussi de nier la validité de ces sondages. Ce sont des sondages, pas des études, mais c’est ce que pensent les médecins. Trois sondages effectués dans trois provinces différentes par trois groupes différents donnent des résultats semblables. Je crois qu’il serait malavisé de ne pas en tenir compte.

Je voudrais ajouter que la lettre indique que cela a été signé par environ 400 médecins. Quand on examine la liste des signataires, on constate que beaucoup ne sont pas des médecins, mais des stagiaires. Ce sont des étudiants en médecine ou des internes. Et, si l’on fait le calcul, le nombre de gens qui ont signé cette pétition représentent 0,1 p. 100 de toute la profession médicale, et beaucoup sont des salariés ou font du travail non clinique et ne possèdent pas leur petite entreprise.

Le président : Pour terminer cette série, à vous la parole, docteure McCracken, je vous en prie.

Dre McCracken : Merci de me donner l’occasion de répondre.

Je suis d’accord avec bien des remarques de mes collègues médecins. Là où je suis d’un avis très différent, c’est que je ne crois pas qu’on réglera nos problèmes en nous agrippant aux vieilles politiques fiscales sur les SPCC. Ces enjeux exigent des solutions directes.

La très grande majorité de nos nouveaux diplômés des 10 dernières années n’ont pas envie d’avoir un cabinet privé. Ils veulent exercer la médecine dans toute l’ampleur de leurs compétences. Il n’y a pas de transition au sein de la collectivité médicale où il soit possible d’être simplement médecin et non à la fois propriétaire d’entreprise et médecin en même temps.

Le sénateur Pratte : Quand on fait des comparaisons, par exemple quand on parle des SPPC gérées par des médecins et qu’on dit qu’il s’agit de petites entreprises comme les autres, je comprends bien qu’il y a beaucoup de similitudes, mais il y a aussi, à mon avis, beaucoup de différences importantes, eu égard au risque par exemple. Les autres entreprises peuvent faire faillite. Elles n’ont pas de source de revenus garantie comme les médecins. C’est une différence importante. Je sais bien qu’il y a le risque associé à l’achat d’équipement et ainsi de suite, mais, quand vous êtes médecin, à moins d’être un très mauvais gestionnaire, il n’y a pas de risque. Le revenu est garanti, et la clientèle est garantie aussi. Les médecins ont plus de clients qu’ils ne peuvent en servir. Il me semble que c’est une différence importante, surtout quand on parle de répartition du revenu. L’une des justifications du fractionnement du revenu est que le conjoint partage le risque. Je ne suis pas sûr que cette logique s’applique aux médecins. Je soulève la question et j’aimerais avoir votre point de vue. Je suis perplexe.

Il y a aussi la façon de comparer une SPCC à revenus élevés, ce qui est certainement le cas d’une SPCC professionnelle exploitée par un médecin et d’autres Canadiens. On les compare généralement avec des travailleurs canadiens syndiqués à l’emploi d’un gouvernement et profitant d’avantages sociaux généreux, et cetera, financés par le gouvernement. Mais il s’agit d’une minorité de Canadiens. La plupart des Canadiens ne sont pas syndiqués et, par conséquent, ne profitent pas de généreux avantages sociaux ou prestations de retraite financés en grande partie par leur employeur. Ils n’appartiennent donc pas à cette catégorie privilégiée de Canadiens. Ce sont des gens de la classe moyenne ou de la classe moyenne inférieure pour qui l’équité est importante. On devrait comparer ces gens avec les médecins et autres qui représentent les 3 p. 100 visés par la réforme fiscale. Je ne dis pas que je suis d’accord avec la façon dont cette réforme est prévue, mais ce sont les gens avec lesquels on devrait comparer les médecins. J’aimerais connaître votre avis sur ces questions.

[Français]

Dr Marcoux : Vous soulevez des points qui touchent au coeur même de ce qu’est l’équité. Vous affirmez que les petites entreprises n’ont pas de risques à assumer. Or, chaque entreprise a ses propres risques. Certaines entreprises ont le risque de ne pas avoir assez de clients — ce n’est pas un problème qui nous touche. Je peux vous parler de l’expérience de plusieurs entreprises en milieu rural et même en milieu urbain. Quand on met sur pied une clinique, le risque est lié à beaucoup de choses, comme l’innovation. La pratique médicale est en mutation. Il faut surveiller les risques et se moderniser. Ces équipements coûtent très cher. Lorsqu’on parle du revenu moyen des médecins, on inclut nos amis radiologistes. Toutefois, sachez que les tomodensitométries, les résonances magnétiques et les échographies coûtent des millions de dollars. Les médecins reçoivent ces sommes sous forme de salaire brut, mais ils les redonnent à la société. Ils ont aussi le risque lié à la gestion des employés.

Que fait-on à la fin d’une carrière? Est-on assuré que quelqu’un reprendra cet investissement massif? Je parle particulièrement des cliniques rurales. J’aurais aimé que le Dr Whatley soit là pour me dire ce qu’il compte faire avec sa clinique lorsqu’il prendra sa retraite. Ce sera peut-être une perte. En milieu rural, c’est souvent une perte — en milieu urbain, c’est un peu moins le cas. Ces facteurs ne sont pas soutenus par les fonds publics et posent une forme de risque.

Je suis d’avis que ces risques ne sont pas les mêmes d’un milieu à l’autre. Les agriculteurs ont des risques liés à la température et aux éléments, d’autres n’ont pas ces risques. Chacun a ses risques. Il y a, pour les petites entreprises médicales, des risques associés au personnel et aux collègues qui se joignent à l’équipe. La demande est grande, il y a pénurie de médecins. En médecine générale, si nous sommes trois médecins, qu’il en faudrait cinq et que l’un d’entre eux nous quitte, cela crée un stress. On a parlé plus tôt de santé mentale. Ce facteur représente souvent un stress pour les médecins. Il y a le stress de se sentir coincé et de ne pas pouvoir offrir les services que la population réclame intensément.

Les fonds de réserve sont aussi utiles pour les petites entreprises médicales. On doit innover et moderniser l’équipement. Il y a beaucoup de choses à gérer dans une clinique, quelle que soit la clinique. L’exemple le plus flagrant est celui des cliniques de radiologie. Les dentistes aussi ont plusieurs frais, bien que ce soit un domaine que je connaisse moins. On ne peut pas garder les mêmes équipements pendant 20 ans. Nos professions évoluent. Nous vivons une ère de changements et de modernisation, nous devons rester à jour, et cela pose un risque. On le voit chez les jeunes médecins qui entrent en pratique. Ceux-ci sont conscients du risque à tel point qu’ils hésitent à devenir propriétaires d’une petite entreprise.

Cette situation m’inquiète. Qui va prendre la place de ces médecins en milieu rural si les jeunes médecins, comme disait la Dre McCracken, ne désirent pas être entrepreneurs? Est-ce qu’ils s’installeront avec le concours des hôpitaux qui leur fourniront les infrastructures nécessaires? Je ne crois pas qu’on soit rendu là; ils ont de la difficulté à suivre le train qui va vite pour eux aussi à l’intérieur de leur propre établissement.

Nous sommes de vrais entrepreneurs. Nous avons notre part de risque à gérer, et c’est pour cela que nous réclamons que la société, à laquelle nous retournons une bonne part de cet argent en employant des gens, en faisant travailler des gens et en achetant des équipements, nous considère comme de libres entrepreneurs.

Si on veut que l’économie canadienne continue de croître, l’épine dorsale de l’économie canadienne, ce sont les petites entreprises. Il y a quelques grandes entreprises et cela impressionne beaucoup, mais ce ne sont pas elles qui emploient le plus de gens. Ce sont les petites entreprises qui innovent et qui travaillent quotidiennement à servir la société.

Dre Dubé : J’aimerais parler des radiologistes canadiens. Dans le domaine de la radiologie, pour posséder une clinique, nous devons acheter une licence; on peut comparer cela en quelque sorte aux licences que doivent se procurer les chauffeurs de taxi. Nous sommes donc les chauffeurs de taxi de la médecine au Canada. Nous devons acheter des licences d’un autre radiologiste qui avait auparavant ces licences, et c’est ainsi que cela se passe de génération en génération.

Pour ma part, j’ai acheté deux licences du côté de l’Outaouais. Il y a trois licences en Outaouais, et je suis propriétaire de deux licences. Ce sont des licences qui sont passées d’un propriétaire à l’autre depuis les années 1970. Ces licences ont donc un coût et il faut les acheter. J’ai déboursé une grosse somme d’argent pour les obtenir. Ce sont des risques que j’ai pris. J’ai même dû mettre en garantie la maison familiale pour acheter ces licences. Les risques existent. C’est la même chose pour tous mes collègues radiologistes qui ont des cliniques. Je suis la présidente des cliniques de radiologie du Québec, et je sentais le besoin de commenter cette question, parce qu’il s’agit d’un risque important que nous devons prendre.

L’autre risque que nous encourons dans le domaine de la radiologie est en rapport avec le fait que nous travaillons en équipe. Nous employons des technologues qui sont des professionnels et qui se rattachent eux aussi à un ordre professionnel. Ces technologues effectuent les examens et nous les interprétons. Ces technologues sont aussi des gens qui peuvent tomber malades, qui partent en congé de maternité ou en congé parental et qui sont difficiles à recruter. Nous sommes en compétition avec les hôpitaux pour les recruter. Si demain matin ma technologue d’échographie est malade, je ne n’ai plus personne pour faire des échographies. Il y a encore là un risque, et ce sont des professions pour lesquelles il est difficile de recruter du personnel. Je peux vous dire que je prends grand soin de mes technologues afin qu’elles restent avec moi. Les risques sont vraiment présents. Ma sœur est aussi une entrepreneure, mais dans un service funéraire. Nous discutons souvent ensemble et nous vivons les mêmes risques et les mêmes inquiétudes.

[Traduction]

Dr Levin : Il est clair que les dentistes incarnent la petite entreprise. Ils obtiennent leur diplôme après de nombreuses années d’études universitaires et ont souvent accumulé une dette de 300 000 à 400 000 $. Ils ouvrent alors un cabinet, qui peut leur coûter facilement entre un demi-million et 750 000 $ à équiper de tout le matériel nécessaire pour traiter le premier patient. Quand on examine ce genre de petite entreprise, on se dit qu’il faut beaucoup de compétences et d’expertise pour en assurer la gestion financière. Ils se lancent dans l’aventure avec la conviction que le cadre fiscal les aidera à prospérer.

Si, le jour où ils obtiennent leur diplôme, on change ce cadre sans y avoir sérieusement réfléchi, on risque de provoquer sans le vouloir des conséquences désastreuses pour les jeunes diplômés qui s’ouvrent un cabinet. La façon dont ils préparent leur avenir et dont ils peuvent prévoir la baisse des coûts d’installation et la réduction de la dette est tout à fait axée sur la gestion d’une petite entreprise.

Ce que demande l’Association dentaire canadienne, c’est qu’on fasse une analyse approfondie de la question pour mesurer les conséquences fiscales sur une entreprise, de l’ouverture jusqu’au moment où le médecin prend sa retraite. Quel est le contexte général? Est-ce que, dans ce contexte, il y a effectivement équité? Sinon, que faut-il faire pour équilibrer les choses? Aucun membre de l’Association dentaire canadienne ne dirait que nous ne voulons pas d’équité fiscale et que nous ne voulons pas payer notre juste part. Nous voulons seulement qu’une analyse globale soit entreprise pour évaluer efficacement les choses d’un point de vue équilibré.

Dre McCracken : Je voudrais revenir sur le genre de risque dont il est effectivement question. En 2016, le Canada a enregistré 66 256 faillites, dont douze de médecins et huit de dentistes. Je pense qu’on peut dire que le taux de risque est très faible.

Dre Gill : À ce sujet et avant d’ajouter mon propre commentaire, je dirais que les médecins ne font pas faillite : ils préfèrent quitter le pays.

Une dette d’un quart de million de dollars est un énorme risque. Un prêt étudiant d’un quart de million de dollars est un énorme risque. Lorsque des médecins diplômés commencent à exercer, il ne leur suffit pas d’enfiler leur blouse pour avoir des clients. Il faut des années pour se bâtir une clientèle. Il faut faire d’autres emprunts pour s’offrir l’infrastructure nécessaire au démarrage d’une carrière.

Nous n’avons plus de garanties. Les médecins de l’Ontario sont sans contrat depuis quatre ans. Au cours des deux dernières années, les coupes de 3,5 milliards de dollars ont été unilatérales, ce qui veut dire que cela vient juste d’être annoncé. Et, dans quatre mois, on en annoncera d’autres. Tous les mois, quand les médecins de l’Ontario facturent le gouvernement, ils indiquent la somme à facturer, mais il y a toujours une nouvelle ligne sur le formulaire, tous les mois, pour soustraire ce que le gouvernement a décidé unilatéralement de récupérer. On ne sait donc pas quelle sera la prochaine coupe unilatérale.

Des médecins ne sont pas seulement au chômage, mais sous-employés, dans cette province, et ce n’est pas parce qu’on n’en a pas besoin. C’est parce qu’on rationne les soins aux patients. Nous avons beaucoup de chirurgiens orthopédistes sous-employés en Ontario. Nous avons beaucoup de spécialistes et chirurgiens en otorhinolaryngologie sous-employés. Il y a une immense liste d’attente de patients, mais il n’y a pas assez de salles d’opération disponibles parce que des salles d’opération sont fermées, toutes lumières éteintes, parce que le gouvernement ne peut pas financer leur fonctionnement.

Il faut comprendre qu’il y a énormément de risque non seulement à exercer la médecine, mais aussi à ouvrir un cabinet, et puis il a cette énorme incertitude que crée le gouvernement.

Le président : Merci.

Le sénateur Neufeld : Certaines de mes questions ont déjà été posées, mais j’en ai d’autres.

Je vis dans une région rurale de la Colombie-Britannique et j’ai vécu presque toute ma vie dans une petite collectivité de 3 500 habitants et dans une collectivité un peu plus grande, de 20 000 habitants, au nord-est de la province. Ces collectivités ont un mal fou à attirer des médecins.

J’ai aussi passé du temps au gouvernement de la Colombie-Britannique. Je sais ce qui se passe autour d’une table lorsqu’il est question de budget, de financement des soins de santé et des moyens de financer tous les services dont Dre Gill a parlé.

Quand j’apprends ou que je vois que le gouvernement fédéral— et il fournit du financement aussi, je ne dis pas qu’il ne le fait pas — que le gouvernement fédéral, donc, s’engage dans une voie qui nous empêchera de trouver des médecins dans les zones rurales de la Colombie-Britannique, cela m’embête vraiment, parce que ses mesures fiscales ont une cible. Je ne sais pas comment l’expliquer autrement. Nous avons parlé aux fonctionnaires du ministère des Finances et nous allons parler au ministre ici aussi dans un moment, mais il est uniquement question de chercher de l’argent.

Le premier ministre et le ministre ont tous les deux parlé des échappatoires, de faire payer plus aux riches, et cetera, en disant que tout sera équitable. Est-ce qu’on peut d’abord me dire s’il y a eu des consultations auprès de vos groupes avant juillet, quand tout cela a été rendu public? Est-ce que l’un de vous a été consulté par le gouvernement? Sinon, dans quelle mesure vous a-t-on consultés depuis les formalités définies en juillet? Est-ce que cela a été fructueux?

Vous pouvez aussi répondre à ma dernière question. Ces histoires d’échappatoires, d’argent mort, et cetera, me semblent problématiques, parce que ce n’est pas vrai. Si on veut que les riches paient leur juste part, pourquoi vise-t-on un petit groupe en particulier? Qu’en est-il des gens qui ont des fiducies? Vous voyez ce que je veux dire. Pourquoi ne pas avoir visé ces riches-là? Je ne fais que supposer qu’ils sont riches, je ne connais rien aux fiducies. Ma fiducie à moi, c’est mon chèque de paye mensuel. Je ne connais rien aux fiducies, mais il y en a beaucoup. Pensez-vous que, si on doit équilibrer les règles du jeu, comme on dit, et être plus représentatif et soutenir la comparaison, on ne devrait pas viser toutes sortes d’autres gens?

Je ne vais pas m’étendre sur le sujet, mais pourquoi ne pas viser les banques et exiger d’elles la juste part d’impôt qu’elles devraient verser? Nous savons, car nous avons les renseignements utiles, qu’une banque paie en trois trimestres autant qu’elle va retirer de ce qu’elle fait actuellement. C’est intéressant.

J’aimerais connaître votre point de vue sur tous ces aspects, s’il vous plaît.

[Français]

Dre Dubé : Ce que vous venez de dire, c’est vraiment très intéressant et il est rafraîchissant de voir cette ouverture d’esprit et de sortir des sentiers battus. Oui, les médecins se sentent ciblés. Nous nous sentons ciblés de part et d’autre. Ce serait important, comme vous avez dit, de regarder le portrait dans son ensemble et de voir où l’on pourrait aller chercher de l’argent sans nécessairement nuire à la population générale. Parce qu’avec les médecins, c’est ce qui risque d’arriver : ce sera la population du Canada qui finira par vivre une coupure.

Pour revenir à votre première question à savoir si nous avions été consultés, notre association, l’Association canadienne des radiologistes, n’a pas eu de consultation avant juillet. Nous avons reçu des invitations avec deux heures de préavis pour participer à des tables rondes dans la région d’Ottawa. On m’a demandé de participer, mais, malheureusement, j’avais des patients à voir, et ma priorité, c’est mes patients. Donc, je n’y suis pas allée. La consultation a donc été minimale ou absente.

[Traduction]

Dr Levin : En dehors de ce que les médias nous ont appris et du rapport publié ensuite par le gouvernement, il n’y a pas eu de consultation. Nous avons eu droit à une consultation de 75 jours, comme tout le monde au Canada. Nous avons présenté notre mémoire. C’est tout, et ce n’est en aucun cas suffisant pour avoir le temps d’absorber l’information et de réfléchir à une décision d’une telle importance nationale et aux problèmes que pourraient causer des conséquences non prévues.

Je suis content d’apprendre que vous avez soulevé la question des échappatoires et de la façon dont cela a été abordé par le gouvernement. Il est absolument inadmissible et plutôt insultant de conclure que, si vous avez profité d’un système applicable à tous les Canadiens et que vous avez respecté les règles et fait ce que suggérait le gouvernement, vous êtes maintenant suspect d’avoir profité d’échappatoires. C’est ce qui nous arrive en ce moment.

Je comprends votre point de vue et le partage.

[Français]

Dr Marcoux : Pour notre part, oui, l’Association médicale canadienne a été consultée par le ministre Morneau à la fin août. Nous avions peu de choses à mettre sur la table, peu de faits objectifs. Nous avons eu une rencontre d’une heure avec M. Morneau. Ce que nous lui avons transmis, c’est que nous voulons plus de temps pour analyser en profondeur les conséquences probables et néfastes des modifications à la loi. Nous sommes toujours à demander que cette loi sur la taxation, qui existe depuis 45 ans, soit renouvelée et revue. Nous sommes d’accord, si cela peut apporter plus d’équité, mais il faut prendre le temps de le faire. Il y a tellement de conséquences vicieuses qui peuvent arriver et qu’on va regretter, et il sera très difficile de remettre le train sur ses rails, car on aura brisé un lien. Si, par exemple, dans une clinique, certains médecins prennent leur retraite plus tôt et que d’autres quittent leur poste, cela découragera les jeunes de prendre en charge ces cliniques et de les gérer. Comment allons-nous leur redonner confiance? Qu’allons-nous leur offrir afin qu’ils trouvent intéressant d’offrir ces services-là à la population?

[Traduction]

Dre Gill : Merci beaucoup de vos commentaires, monsieur le sénateur. Malheureusement, les médecins de première ligne, ici en Ontario, n’ont pas été consultés avant la présentation des mémoires. Lorsque les propositions sont sorties, nous nous sommes adressés au cabinet du ministre Morneau à plusieurs reprises et nous avons aussi assisté à l’une de ses assemblées publiques pour pouvoir lui parler. Au début, son cabinet a semblé intéressé, mais, par la suite, on ne nous a même jamais promis une réunion téléphonique. Nous avions espéré parler au ministre non seulement au nom des médecins de première ligne, mais aussi, à l’époque, au nom des 50 000 Canadiens qui avaient signé notre pétition.

Je suis bien d’accord, il y a beaucoup de lacunes à combler dans notre système fiscal actuel. C’est pourquoi j’estime qu’il faut désigner une commission. La lacune relative aux PDG, dont vous avez parlé, faisait partie de la plateforme électorale du gouvernement actuel. C’est une promesse non tenue qui coûte aujourd’hui aux contribuables 840 millions de dollars pour cette seule année, et, selon les estimations, les modifications du système fiscal rapporteront environ 250 millions de dollars. C’est une mesure qui aura des répercussions sur des millions de patients au Canada.

Il faut comprendre que, quand les médecins sont touchés, les patients le sont aussi, non seulement sur le plan du temps d’attente, mais aussi sur le plan de l’accès aux soins. Nous employons beaucoup de Canadiens, mais, quand ils seront licenciés, leur famille en subira les conséquences. Les patients qui devront attendre plus longtemps d’être soignés sont des membres productifs de la société qui restent chez eux parce qu’ils souffrent. Et c’est autant de recettes fiscales en moins pour le gouvernement. Il faut examiner les répercussions à long terme de ces mesures, et c’est pourquoi on a besoin d’une commission.

Dre McCracken : Je m’adresse à vous à titre personnel, et je n’ai pas été consultée par le ministre Morneau.

J’aimerais cependant dire, pour répondre directement au sénateur, que je suis très sensible au problème du recrutement dans les zones rurales de la Colombie-Britannique et du Canada en général. J’ai commencé un travail de recherche pour essayer de comprendre tout cela et trouver des moyens de mesurer les progrès.

Je ferai remarquer que, en Colombie-Britannique, les médecins ont le droit de se constituer en société depuis les années 1970. Cela n’a pas réglé le problème du recrutement en zone rurale, et je dirais même que cela a pu contribuer à l’empirer.

Le sénateur Neufeld : Je voudrais dire une chose. Je peux vous assurer que, quelles que soient les mesures prises par le gouvernement fédéral pour réduire un service offert par les médecins de la zone rurale où je vis et que je connais — mais je sais que, dans toutes les zones rurales de la Colombie-Britannique, ce n’est pas différent de chez moi, où, dès 6 h 30 le matin, on peut voir une queue se former devant la seule clinique sans rendez-vous du coin. Les médecins vont recevoir le maximum de gens possible, et les autres rentreront chez eux pour revenir le lendemain. Peut-être pourront-ils arriver plus tôt le lendemain matin.

Je ne dis pas que la constitution en société règle tout cela; ce que je dis, c’est que cela existe depuis un certain temps et que, d’après ce que nous avons appris, les médecins modifieront leurs habitudes d’une certaine façon. Peut-être qu’ils ne quitteront pas le pays, mais ils vont modifier leurs façons de faire. Ils vont prendre leur retraite ou en faire moins, peu importe. Et cela a des conséquences sur ma famille et sur tous les gens que je connais là où j’habite. Quand le gouvernement fédéral commence à prendre ce genre de mesures pour trouver 400 ou 500 millions de dollars alors qu’on parle d’un budget de 250 milliards de dollars, si on ne peut pas trouver cet argent dans les restes de ce budget, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Je ne sais pas pourquoi on attaque ce qu’on a déjà. On pourrait bien commencer à perdre des médecins simplement en annonçant qu’on va imposer les riches, et c’est tout ce que j’ai à dire, monsieur.

Le président : J’ai pensé un instant, sénateur Neufeld, que vous aviez une question à poser.

Le sénateur Neufeld : J’étais sur le point d’en poser une, mais je savais que vous ne me laisseriez pas faire.

La sénatrice Andreychuk : Compte tenu de ce qui a été dit au cours de la dernière heure, je voudrais seulement faire un commentaire et vous demander votre point de vue. Ce que je ne comprends pas, évidemment, c’est qu’on vise les professionnels. On gagne plus d’argent dans certaines professions que dans d’autres, et certaines personnes gagnent plus que d’autres, soit. Il me semble donc trop facile de dire : « Voilà des gains excédentaires sur lesquels nous pouvons prélever ».

Ce qui me trouble, c’est que le gouvernement n’a pas pris conscience des répercussions non intentionnelles. Et j’estime que ces répercussions touchent non seulement les médecins dans l’exercice de leur métier, mais tout le système de santé. Les médecins jouent un rôle central dans le système de santé, comme les infirmières, comme les dispensateurs de soins, comme les responsables de soins palliatifs. On parle beaucoup, au Canada, du vieillissement de la population et des besoins des personnes âgées.

Je ne comprends pas vraiment. Est-ce que vous leur avez parlé du risque que des médecins partent et que cela va nuire, alors que cela va fragiliser un système de santé déjà précaire? Pourquoi n’avez-vous pas été consultés d’après vous? Ou plutôt : pourquoi ne vous a-t-on pas considérés comme des agents de changement dans le système médical, puisque nous pensons tous que les choses doivent changer, au lieu de vous considérer comme la source de 250 millions de dollars, alors que, en fait, je crois que, dans ma province, on dépense beaucoup plus d’argent par an à essayer de recruter des médecins, à construire des hôpitaux, à garder des hôpitaux dans les zones rurales d’où les médecins sont partis? C’est impossible. Il n’y a donc pas de coordination.

On semble avoir visé une source de revenus plutôt que de s’être interrogé sur le rôle des médecins dans notre société. Je me demande si quelqu’un peut m’éclairer, mais c’est ce qui me trouble, notamment quand on parle des collectivités rurales. Je viens de la Saskatchewan, qui est entièrement rurale.

[Français]

Dr Marcoux : Vous avez tout à fait raison. Vous nous demandez quasiment de porter un diagnostic sur les intentions de ce gouvernement, chose que je ne voudrais pas faire.

[Traduction]

La sénatrice Andreychuk : Vous ne le leur avez pas demandé?

[Français]

Dr Marcoux : Vous pouvez le leur demander, mais je sais que ces changements nuiront certainement aux Canadiens. Des changements beaucoup plus légers ont été faits par le passé, comme des entrées en médecine. Un avis de la part du gouvernement fédéral indiquait qu’il devait y en avoir moins et les provinces ont suivi cet avis. On a perdu 800 médecins, ce qui équivaut à quatre productions de médecins en deux ans. Les gens voulaient aller ailleurs et ne voulaient pas être soumis à ces règles. La pratique médicale est une pratique qui se veut autonome, à tort ou à raison. On veut avoir cette autonomie pour pouvoir offrir le meilleur service à nos patients, et c’est ce qu’on voit tous les jours, même pour les médecins qui ne sont pas incorporés. Ce sont tous les médecins. Avant que je devienne président, je demandais à chaque jeune médecin que je rencontrais pourquoi il voulait devenir médecin malgré tout ce méli-mélo. La réponse était qu’ils voulaient servir les gens. Jamais la réponse n’a été qu’ils voulaient faire de l’argent. Ils savaient que c’était bien rémunéré, mais la première réponse était qu’ils voulaient servir les gens, et je savais que c’était la vérité. C’est l’âme et l’ADN du médecin que de servir les gens. Nous en sommes convaincus. Nous comptons plus de 86 000 membres et il y en a plus de 100 000 au Canada.

Un jour, alors que j’étais au restaurant, j’ai fait la connaissance de mon voisin de table. Il portait un insigne de l’Ordre du Canada. Il était médecin. Je lui ai demandé pourquoi il avait choisi cette profession et il m’a répondu la même chose. Je l’ai fait pour les mêmes raisons, ma collègue aussi, l’autre aussi. On doit laisser cette autonomie aux médecins d’apporter les meilleurs soins et de se dépasser, avec tout ce que cela peut entraîner. Les médecins se dépassent et, en se dépassant, ils sont frustrés, et c’est tout le problème de la santé mentale des médecins actuellement qui nous préoccupe. Les contraindre dans leur pratique et les embrigader serait-il une solution? Je crois que ce sera pire et cela m’inquiète. La santé mentale de ces gens qui se dévouent quotidiennement m’inquiète. Pensez à votre médecin, vous verrez ce que je veux dire.

Dre Dubé : Je vais me permettre de répondre à votre question.

Quand je questionne les gens autour de moi, ils me disent aimer leur médecin de famille. C’est quelqu’un de précieux pour eux. Lorsqu’on parle des médecins en société, ils n’ont pas bonne réputation. Les médias n’arrêtent pas de faire des annonces sur les salaires des médecins, les médecins qui ne travaillent pas assez, et l’image est toujours négative. Qu’il s’agisse du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial, nous sommes des cibles faciles, parce que la population générale ne nous appuie pas en tant que groupe. Je crois que c’est en partie la raison pour laquelle nous sommes ciblés.

[Traduction]

Dr Levin : Au sujet de votre question sur l’intention de tout cela, je crois, comme nous l’ont dit des témoins, que nous faisons ce métier parce que nous l’aimons. Nous voulons aider les gens. Mais je dois aussi penser que les fonctionnaires font carrière, comme vous et d’autres, exactement pour les mêmes raisons. On veut ce qu’il y a de mieux pour les Canadiens. Je crois que ce qui s’est passé, c’est que le gouvernement, lorsqu’il s’est demandé comment trouver de l’argent, avait une certaine idée, n’a pas fait les consultations qu’il aurait fallu, en a fait trop vite la promotion et s’est retrouvé face à des conséquences imprévues. Et, avec raison, il a fait marche arrière. On peut espérer qu’il réexaminera toute la question correctement. Je pense que ces répercussions sur la profession n’étaient pas voulues et qu’elles exigent un examen complet.

Dre Gill : Merci de soulever cette question importante. Les médecins de première ligne, les dispensateurs de soins de première ligne, les infirmières, tous les fournisseurs de soins veulent faire partie de la solution, et nous voulons pouvoir collaborer avec le gouvernement pour trouver des solutions qui permettront de régler ce qui ne va pas dans notre système de santé. En première ligne, on peut voir les failles de notre système jour après jour. On sait très bien que, avec le vieillissement de la population et la croissance démographique, les choses vont empirer, parce que notre modèle actuel de système de santé ne peut tout simplement pas durer.

Ce que l’on constate en Ontario depuis quatre ans, c’est un gouvernement provincial qui n’écoute pas et qui ne collabore pas avec les médecins de première ligne. Quant aux conseillers, comme on le sait, beaucoup sont passés au bureau fédéral. J’aimerais qu’il y ait plus de collaboration, parce que nous voulons vraiment faire partie de la solution.

Malheureusement, les médecins sont déshumanisés. Mais nous sommes des personnes comme les autres, nous faisons face au stress, nous faisons face à la dépression. Notre profession est affligée d’un taux de suicide qui est le double de celui de la population générale, c’est un réel problème. Il y a des obstacles énormes, il y a des stigmates, mais l’obligation de signalement des collèges empêche les médecins de chercher l’aide dont ils ont besoin. Les gouvernements doivent commencer à considérer les médecins comme des êtres humains. Ils doivent commencer à les considérer comme de vrais collaborateurs, avec lesquels on peut se mettre au travail pour régler ces problèmes.

Le sénateur Oh : Merci, mesdames et messieurs médecins. Vous êtes en haut de la liste de ceux en qui nous pouvons tous avoir confiance et que nous pouvons respecter.

Au Canada, comme dans le reste du monde en général, les femmes font le plus gros du travail non rémunéré au foyer et dans la main-d’œuvre rémunérée. Cette situation continue d’être soulignée dans nos discussions sur les changements que l’on propose d’apporter au régime fiscal, notamment parce que le terme « travail » reste généralement compris comme une activité rémunérée liée au marché. Ne pensez-vous pas que le gouvernement fédéral devrait faire plus pour reconnaître les activités économiques et productives des conjointes qui ne sont pas activement engagées dans l’exploitation quotidienne d’une entreprise privée? Il me semble que, malgré l’engagement à examiner les répercussions de cette proposition sur les hommes et les femmes, le gouvernement fédéral a oublié que les conjointes fournissent le travail collectif nécessaire à la croissance et au succès des petites et moyennes entreprises.

[Français]

Dr Marcoux : Je crois que le partage des revenus auquel vous faites allusion avec les partenaires des médecins est enchâssé dans ce qu’est la profession elle-même. Cela touche surtout nos collègues féminins, parce que leur pratique est composée d’heures très irrégulières. Ce ne sont pas les gardiennes ou les grands-parents qui vont s’occuper des enfants la nuit lorsqu’elles sont appelées ou qu’elles sont de garde. C’est le lot de tous les médecins.

C’est un peu comme les risques dont on parlait tantôt. Ce ne sont pas les mêmes collaborations. Ce sont des collaborations très importantes. Un médecin peut faire sa pratique médicale s’il est seul, mais s’il a une famille, il ne peut sacrifier sa famille pour sa profession. Ils ont besoin d’une collaboration intense. Tous les médecins, particulièrement les médecins féminins, en ont besoin, ainsi que les médecins en milieu rural, parce que les conjoints et conjointes qui suivent les médecins dans les milieux ruraux sacrifient une bonne part de leur vie pour permettre que cette population rurale reçoive les services dont elle a besoin. Cela me touche beaucoup, et je trouve que c’est un grand don qu’ils font. Même si ce n’est pas par des contrats ou en signant des papiers, ils aident concrètement leur conjoint à pratiquer sa profession. On travaille selon des heures de garde, des heures irrégulières, des appels, des urgences, c’est très fréquent, et ça demande une collaboration intime du conjoint.

Dre Dubé : Je pourrais vous donner un exemple d’un couple de médecins que je connais très bien. La femme reste à la maison, c’est une décision de couple qu’ils ont prise. Lui est urologue à l’hôpital Queensway Carleton à Ottawa. Ils ont trois enfants qui vont à l’école avec les miens, et Chloé, comme je vous disais, est à la maison. Elle ne passe pas ses journées à regarder des émissions à la télévision. Elle fait le taxi, conduit les enfants à leurs activités, leur fait faire leurs devoirs, s’occupe de la maison et, quand son mari est de garde et qu’il doit partir pour faire des chirurgies pendant la nuit, c’est elle qui s’occupe d’eux. Elle pourrait difficilement avoir un travail à l’extérieur. Je pense qu’un couple comme celui-là doit être reconnu parce que, ensemble, ils forment l’entreprise.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs les témoins, merci de ce que vous avez partagé avec nous aujourd’hui. Cela a été très instructif et, dirais-je, très important au regard de l’ordre de renvoi que nous avons reçu du Sénat du Canada. Merci beaucoup.

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