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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 43 - Témoignages du 31 octobre 2017 (séance du matin)


OTTAWA, le mardi 31 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 32, pour poursuivre son étude sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick. Je suis président du comité. Je souhaite la bienvenue à toutes les personnes présentes dans la salle et à toutes celles qui suivent nos délibérations à la télévision ou en ligne d’un bout à l’autre du pays. Je rappelle que les audiences du comité sont ouvertes au public, et qu’elles sont également diffusées au site web du Sénat, à l’adresse sencanada.ca.

J’invite maintenant les sénateurs à se présenter à tour de rôle, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Unger : Betty Unger, de l’Alberta.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Black : Douglas Black, de l’Alberta.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Cools : Anne Cools, de Toronto. C’est en Ontario.

Le président : Merci, mesdames et messieurs.

[Français]

J’aimerais également présenter la greffière du comité, Gaëtane Lemay, ainsi que nos deux analystes, Sylvain Fleury et Alex Smith. On m’a d’ailleurs informé, monsieur Paquet, que notre analyste Sylvain Fleury était votre étudiant. Il fait bien son travail.

Je remercie les témoins d’avoir accepté notre invitation, et j’aurai l’occasion de les présenter formellement dans quelques instants.

[Traduction]

Ce matin, le comité poursuit son étude spéciale des modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes qu’a proposées le ministre des Finances à l’été 2017.

[Français]

Aujourd’hui, nous avons invité trois experts indépendants à qui nous avons demandé leur opinion sur les impacts des changements proposés. Ces experts sont M. Éric Brassard, associé du cabinet Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés; M. Jack Mintz, chercheur émérite du recteur à l’École de politique publique de l’Université de Calgary, ainsi qu’un collègue que j’ai déjà eu l’occasion de rencontrer, M. Alain Paquet, ancien ministre et maintenant professeur titulaire du Département des sciences économiques de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal.

[Traduction]

Messieurs, nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation de venir nous faire part de vos commentaires, de vos points de vue et de vos recommandations sur le thème visé à l’ordre de renvoi que le comité a reçu du Sénat du Canada.

Nous entendrons dans l’ordre M. Brassard, M. Mintz, puis M. Paquet. Vous disposerez chacun d’un temps limité pour nous présenter vos déclarations d’ouverture, parce que les sénateurs auront des questions à vous poser ensuite.

[Français]

La parole est à vous, monsieur Brassard.

Éric Brassard, associé, Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés, à titre personnel : Bonjour. Je suis CPA et CA depuis maintenant 35 ans. J’ai enseigné durant 10 ans au niveau universitaire en comptabilité, et je suis aussi cofondateur d’une boîte de planification financière intégrée qui compte des bureaux à Québec et à Montréal. Nous travaillons régulièrement avec les fiscalistes de nos clients sur diverses questions fiscales, mais nous nous considérons toutefois comme des spécialistes autonomes quand il est question de fiscalité des placements. C’est pour cette raison d’ailleurs que nous avons produit un mémoire d’une cinquantaine de pages sur le volet des revenus passifs de la réforme du ministre Morneau.

J’aimerais vous faire part de quelques commentaires généraux sur la réforme pour laquelle, on le sait, il y a eu un problème de planification et d’organisation. Cette réforme comptait beaucoup d’aspects avec lesquels les fiscalistes étaient d’accord et qui auraient pu être mis de l’avant de façon plus correcte et moins pressée, dans des délais plus raisonnables pour une réforme d’une telle ampleur. Finalement, il y a eu une perte de temps et d’énergie importante à fournir des éléments d’explication aux clients. Disons que cela aurait pu être fait d’une façon plus coordonnée et plus structurée. S’il y avait eu consultation, il est probable que les mêmes objectifs auraient pu être atteints.

Il y a donc plusieurs volets sur lesquels les fiscalistes étaient d’accord, mais en ce qui a trait aux revenus passifs, nous avons par contre constaté dès le départ que le gouvernement faisait fausse route. Il est important de comprendre que le gouvernement est copropriétaire de tous les placements que les contribuables ont investis dans les REER et dans les sociétés. Finalement, avec la réforme proposée, il y aura une perte d’entrées fiscales et non pas de nouvelles entrées fiscales. Tous les chiffres produits dans notre mémoire proviennent des documents de consultation du gouvernement et nous n’avons rien inventé. Par exemple, si un contribuable obtient un rendement de 8 p. 100 pour son REER, le gouvernement obtient aussi un rendement de 8 p. 100 sur l’impôt qu’il accepte de retarder, et les calculs sont très clairs sur ce point.

Le même principe s’applique pour une compagnie. Si un contribuable obtient un certain taux de rendement dans une compagnie, le gouvernement obtient aussi le même taux. Il est donc faux de prétendre que l’on perd de l’argent. La preuve figure d’ailleurs au document de consultation du gouvernement, au tableau numéro 7, où est donné l’exemple d’une somme de 100 000 $ qui est gagnée soit par un salarié qui paie de l’impôt, soit par un contribuable qui gagne cette somme dans une société et qui, après avoir payé une certaine somme d’impôt, se verse cette somme sous forme de dividendes. On prend, par exemple, une somme de 100 000 $ investie à 3 p. 100 sur 10 ans, et on se rend compte qu’après 10 ans, quand l’argent a été gagné dans une société et distribué en dividendes, l’entrepreneur aura 4 800 $ de plus que l’employé. Mais ce qu’on ne dit pas dans le document de consultation, c’est que cet investissement a généré 6 700 $ d’impôt de plus. Donc, oui, l’entrepreneur s’est peut-être enrichi de 4 800 $, mais il y a eu 6 700 $ d’impôt qui ont été générés pour l’ensemble de la communauté. Le gouvernement a donc fait un rendement.

Il faut évidemment tenir compte de la valeur de l’argent dans le temps, car l’argent arrive à différents moments, mais quand on regarde les taux de rendement du gouvernement, ils dépassent le coût de sa dette. Mais on parle ici d’un taux théorique. Quand on regarde le taux réel, par exemple au Québec, ce n’est pas 4 800 $ que le contribuable reçoit, c’est 3 900 $, et le gouvernement empoche 7 300 $ au moyen des différents taux d’impôt. Il est important de le comprendre.

De plus, le gouvernement tente de dire que cette somme supplémentaire de 11 500 $ qui a été générée — 4 800 $ qui vont à l’entrepreneur et 6 700 $ qui vont dans les poches du gouvernement —, au lieu de la distribuer, il veut la retirer au complet. Le but est d’aller rechercher toute cette somme par l’entremise d’un taux d’impôt maximum qui est imposé à la compagnie et qui est non remboursable. Et c’est dangereux. Cette somme de 11 500 $ va disparaître. Si le but de la mesure est vraiment d’aller chercher tout l’argent au lieu qu’il y ait un partage, les gens vont simplement arrêter de s’incorporer ou ils vont sortir l’argent, et cela entraînera une perte.

D’autant plus qu’avec le taux d’impôt maximum non remboursable, l’hypothèse implicite est que le contribuable, avant même de sortir de l’argent de sa société, est déjà au taux maximum. Le contribuable a déjà 202 000 $ de revenus avant même d’avoir retiré les sous. Et c’est très pénalisant pour le petit entrepreneur qui est loin d’avoir 202 000 $ de revenus. C’est pourtant ce qui est impliqué.

On se rend compte que les taux d’impôt explosent à 150, 200 ou même 250 p. 100 lorsqu’on veut aller chercher tous ces montants par l’entremise d’un taux maximum non remboursable. Malheureusement, cela disqualifie donc la réforme de ce côté, parce que cela pénalise les gens, et la prémisse n’est pas bonne.

De plus, tout cela a des impacts économiques énormes. Or, on n’en parle nulle part dans le document. On ne sait pas si une étude d’impact a été réalisée. Vous savez, ce sont des milliards de dollars qui seront retirés de l’économie. Je ne sais pas si les analyses d’impact ont été faites, car ils ne nous en ont pas parlé, mais le fameux montant de 11 500 $ qui risque de disparaître, c’est du financement de moins, c’est l’effet domino de l’économie, l’effet multiplicateur de l’économie dans lequel on va retirer des sommes de l’économie. De cet aspect, on n’en parle nulle part. On parle d’équité, et c’est bien, mais on sait qu’il y avait déjà équité parce que l’entrepreneur donne une grosse part de ses revenus en impôt, mais de surcroît, on retire des sommes. Au lieu de contribuer 85 000 $ à l’économie, il y en aura 50 000 $. C’est 40 p. 100 de moins. Or, aucune étude d’impact n’a été réalisée pour l’expliquer.

Nous sommes des comptables, nous avons l’habitude de travailler dans la complexité. Mais les nouvelles règles entraînent une complexité incroyable. Il y aura donc deux séries de mesures. Déjà, les mesures actuelles ne sont pas forcément simples. De plus, on rajoute une deuxième série de mesures, parce qu’il y aura des règles transitoires pour les placements qui sont déjà dans la compagnie. On aura donc des règles transitoires avec une complexité de conciliation lorsqu’il s’agira de savoir de quelle zone il sera question. À vrai dire, ce n’est pas juste complexe; honnêtement, ce ne sera pas gérable, on ne pourra pas les concilier. Ce sera donc d’une complexité très grave.

Il y a eu des changements, récemment, pour permettre un revenu de 50 000 $, mais cela ne change rien aux faiblesses de la réforme, comme je viens de l’expliquer, compte tenu du taux maximum et de l’argent qui sera retiré de l’économie. Cela risque simplement de rajouter un état de complexité. On peut discuter des revenus de 50 000 $, ce qui est un peu insultant. Cela ajoute de la complexité aux montants et, encore une fois, cela n’enlève rien aux faiblesses déjà soulevées.

Nous croyons donc qu’il est préférable de conserver le statu quo, parce que cela amène plus de revenus au gouvernement et permet de stimuler l’économie, à moins qu’on aborde la question d’un fonds souverain, qui est un autre débat.

Pour terminer, le gouvernement a proposé une baisse des taux d’impôt de 1,5 p. 100 pour les PME. À court terme, cela peut sembler intéressant, on peut y voir de bons côtés, mais il faut comprendre qu’à la limite, c’est une hausse d’impôt déguisée, parce que quand on baisse le taux d’impôt des revenus actifs, il faut monter le taux des dividendes pour garder l’intégration. Or, le taux des dividendes est le même taux qui est appliqué aux revenus passifs. Ainsi, en réduisant le taux d’impôt des compagnies, on vient d’augmenter automatiquement de 1 p. 100 le taux d’impôt sur les revenus passifs. Cela signifie que, si le gouvernement affirme qu’actuellement il lui en coûtera une certaine somme pour financer la baisse des taux d’impôt, je suis désolé, mais c’est faux. Au contraire, il va y avoir plus d’entrées fiscales, parce que les revenus passifs viennent de subir une augmentation automatique de 1 p. 100.

Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

[Traduction]

Jack Mintz, chercheur émérite du recteur, École de politique publique de l’Université de Calgary, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis honoré que le comité sénatorial des finances m’ait invité de nouveau pour participer au débat sur les règles fiscales relatives aux sociétés privées que propose le ministre des Finances. Comme j’ai peu de temps, je serai bref.

Je suis tout à fait pour un régime fiscal simple, moins sujet aux distorsions et plus équitable. Cependant, on ne peut pas évaluer un régime d’imposition uniquement sous l’angle de l’équité, car les politiques publiques doivent concilier des objectifs parfois opposés. La croissance est aussi importante, et elle requiert notamment un régime fiscal conçu de manière à générer le moins de distorsions possible dans l’économie. Je vais revenir sur ce point.

La réforme proposée en octobre, qui annule plusieurs des propositions du 18 juillet, soulève encore deux problèmes de taille, dont le plus important touche les règles sur le revenu passif. En fait, je préfère le terme revenu passif à bénéfices non répartis, mais les deux notions sont très proches. La question des bénéfices non répartis est également centrale, bien entendu, et je vais expliquer pourquoi.

Pour diverses raisons, une règle qui permet aux contribuables de gagner un revenu passif imposé à 50 p. 100 jusqu’à concurrence de 50 000 $ par année, comme auparavant, et qui potentiellement imposerait à 70 p. 100 tout montant excédentaire, pose plusieurs problèmes.

Les flux de trésorerie que les petites entreprises utilisent pour du financement par actions leur permettent de réduire le coût du crédit. On pourrait facilement faire valoir que les investisseurs devraient pouvoir accumuler des bénéfices non répartis pour financer leurs placements ou leurs futurs besoins de retraite. Un taux d’imposition excessif de 73 p. 100 sur les revenus de placement nuira surtout à l’efficience des entreprises.

Le régime canadien d’imposition de l’effort entrepreneurial n’est pas concurrentiel par rapport à celui des autres pays, exception faite de la France. Les nouvelles règles sur l’imposition du revenu passif pousseront les entrepreneurs à faire des restructurations pour transformer leurs entreprises en sociétés privées sous contrôle non canadien. Certaines déménageront leurs pénates à l’étranger. Si la réforme fiscale annoncée aux États-Unis se réalise, les taux d’imposition de l’activité entrepreneuriale y seront beaucoup moins élevés qu’au Canada.

J’ai soulevé ce point récemment dans un document publié par l’École de politique publique de Calgary. J’ai vu que vous aviez le document en main, mais je voudrais vous donner un exemple concret. Actuellement, si une petite entreprise a des actifs d’une valeur de 10 millions de dollars, et que l’on applique à la fois les taux d’imposition des particuliers et des sociétés… Soit dit en passant, un de mes reproches au document du ministère des Finances est qu’il y est question seulement de l’impôt des sociétés des petites entreprises, jamais de l’impôt des particuliers. Je vous rappelle que les taux d’imposition des particuliers sont plus élevés au Canada qu’aux États-Unis, notamment. Le taux d’imposition des petites entreprises qui ont des actifs d’une valeur de 10 millions de dollars s’établit à 42,2 p. 100 au Canada. Par comparaison, les sociétés relevant du sous-chapitre S aux États-Unis, dont la totalité des revenus est déclarée par l’investisseur, ne paient pas d’impôt puisque c’est le revenu de l’investisseur qui est imposé au taux maximal, qui est à peu près égal à celui du Canada, soit 42,1 p. 100. Si la valeur des actifs s’élève à 20 millions de dollars, ce qui correspond à une petite entreprise plus importante ou à une moyenne entreprise, le taux d’imposition effectif au Canada, y compris l’impôt des particuliers, grimpe à 47,3 p. 100. Pour les sociétés relevant du sous-chapitre S, le taux est de 47 p. 100. Bref, les entreprises prospères paient déjà plus d’impôt au Canada.

Si les États-Unis adoptent leur réforme fiscale et que nous allons vers un taux d’imposition de 9 p. 100 pour les petites entreprises canadiennes, le taux d’imposition effectif des entreprises qui ont des actifs de 10 millions de dollars passera de 42,2 à 41,3 p. 100. C’est donc assez peu. C’est une réduction minime du taux d’imposition effectif. Les sociétés relevant du sous-chapitre S… Nous en saurons un peu plus mercredi sur les taux exacts proposés par la Chambre, mais si le taux est fixé à 25 p. 100, disons, et si on ajoute les taux pratiqués par les États et les taux sur le revenu des particuliers, les sociétés relevant du sous-chapitre S seront imposées à hauteur de 28 p. 100 environ. C’est nettement inférieur au taux appliqué aux petites entreprises qui ont des actifs de 10 millions de dollars au Canada.

Les sociétés dont la taille fait le double resteront assujetties à un taux supérieur d’imposition du revenu au Canada, soit 47,3 p. 100, alors que le taux effectif pourrait chuter de 47 à 34,9 p. 100 pour les sociétés relevant du sous-chapitre S aux États-Unis. Le taux d’imposition effectif subirait une forte baisse si les Américains mènent à terme leur projet de réforme fiscale. On verra.

Le plus important à retenir est que l’impôt des petites entreprises augmente au Canada, alors que les États-Unis s’apprêtent à le réduire de manière substantielle. Je vous laisse imaginer les conséquences sur la compétitivité des entreprises canadiennes.

Le troisième aspect que je veux souligner est l’irrégularité du revenu passif, au même titre que les gains en capital ou les pertes d’une année à l’autre. À cause de cette irrégularité, je vois mal comment la règle pourra être appliquée équitablement et sans coût économique en l’absence d’un mécanisme d’étalement. Je vous donne l’exemple d’un entrepreneur qui enregistre un fort gain en capital après quelques années de revenus passifs nuls sur un placement en actions. Ce gain serait imposé au taux applicable aux revenus excédant 50 000 $.

Quatrièmement, un plafond fondé sur le revenu est inéquitable pour les entrepreneurs prospères, dont les actifs génèrent des rendements élevés. Ces entrepreneurs paieront plus d’impôt en moyenne que ceux qui ont moins de succès. Un mécanisme d’étalement corrigerait cela en partie, mais il ne réglerait pas tout.

L’essentiel est que la règle sur le revenu passif aura des incidences importantes, dont la plus préoccupante selon moi concerne l’efficience des sociétés et la compétitivité du Canada. Les secteurs de la fabrication ou du capital-risque, entre autres, seront les plus touchés et les entrepreneurs pourraient lorgner au sud de la frontière si les propositions du ministre sont adoptées.

L’autre modification proposée a trait au fractionnement du revenu ou, pour reprendre la nouvelle terminologie utilisée dans le document du ministère des Finances, à la « répartition » du revenu. J’imagine que les fonctionnaires voulaient éviter de parler de fractionnement ou de partage du revenu. S’il peut être justifié de restreindre les avantages pour les enfants adultes, c’est une autre question quand il s’agit d’appliquer la règle du fractionnement du revenu au conjoint. Le conjoint doit assumer les risques d’une entreprise, y compris celui d’une faillite. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la gestion des sphères professionnelles et privées au sein d’une famille exige une savante répartition du temps entre les conjoints. Autant en droit de la famille qu’en droit fiscal, il est admis que les conjoints entretiennent une relation spéciale, qui englobe le partage des actifs si le mariage ou l’union de fait échoue, la transférabilité du revenu, des actifs et des déductions fiscales, ainsi que le fractionnement du revenu de pension.

Pour toutes ces raisons, je crois que la règle sur le revenu passif ne devrait pas être adoptée, et que les propositions relatives au fractionnement du revenu devraient se limiter aux enfants adultes qui n’ont pas de lien avec l’entreprise.

Ma plus grande déception tient au fait que la réforme proposée ne contribue aucunement à améliorer le régime fiscal en le rendant plus simple, plus efficient et plus juste. Autrement dit, si le gouvernement voulait consacrer une partie de son capital politique à la réforme du régime fiscal des petites entreprises, il aurait pu faire un effort pour arriver à un résultat supérieur en octobre par rapport à ce qu’il nous avait offert en juillet.

Depuis quelques années, je milite pour que trois changements importants soient apportés : l’abolition des taux d’imposition sur le revenu des sociétés différenciées selon la taille, y compris l’élimination de la déduction accordée aux petites entreprises; l’égalité de traitement pour les dividendes et les gains en capital, afin de simplifier la planification fiscale et de réduire les distorsions, et l’introduction de mesures d’encouragement qui seraient plus favorables à la croissance que les déductions consenties aux petites entreprises. Si le Canada adoptait, à l’instar du Royaume-Uni, un taux unique d’imposition du revenu des sociétés, la distinction entre les dividendes admissibles et non admissibles disparaîtrait. Les taux d’imposition équivalents pour les gains en capital et les dividendes, qui représentaient un point fort de la réforme fiscale de 1972 et qui caractérisent la politique que le ministère des Finances maintient d’année en année, limitent les possibilités de transférer les revenus des sources les moins lourdement imposées aux propriétaires d’entreprise.

Les remaniements que je préconise garantiraient un régime plus équilibré, moins complexe, plus équitable et moins sujet aux distorsions, tout en favorisant l’atteinte des objectifs de croissance. Je serai heureux d’expliquer plus en détail les mesures d’encouragement qui pourraient remplacer la déduction accordée aux petites entreprises dans le cadre du débat. Pour l’instant, je m’en tiendrai à dire que la réforme proposée le 18 juillet n’allait pas dans le bon sens, et que celle présentée en octobre est aussi décevante.

Merci.

[Français]

Alain Paquet, professeur titulaire, Département des sciences économiques, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal, à titre personnel : Je remercie le comité de cette occasion de pouvoir échanger sur un enjeu qui est important, parce qu’il touche les entrepreneurs et l’ensemble des Canadiens dans la vie de tous les jours. La taxation a des effets importants sur l’économie, et différents objectifs doivent être poursuivis. Parfois, certains peuvent créer des tensions créatrices, si on peut dire. Par contre, elles ne sont pas toujours opposées les unes par rapport aux autres, en raison des différentes caractéristiques.

Mon expérience est d’abord comme professeur-chercheur, d’une part, et comme professeur titulaire de l’Université du Québec à Montréal à l’École des sciences de la gestion. J’ai aussi fait de la consultation auprès de différents gouvernements sur la gestion de la dette publique, et j’ai une expérience pratique de l’élaboration de politiques économiques au sein même d’un gouvernement, car, de 2003 à 2012, j’ai occupé diverses fonctions où j’ai agi en tant que conseiller économique auprès du premier ministre. J’ai eu différentes occasions de discuter avec les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Québec et du ministère des Finances sur la question des transferts d’entreprises.

Lorsqu’on aborde la fiscalité, il est important de la regarder sous différents angles, autant l’angle de l’expérience empirique économique que l’angle de l’expérience pratique des implications de la fiscalité, soit l’expérience pratique des fiscalistes, des avocats et l’expérience des fonctionnaires, mais il ne faut jamais oublier l’expérience de ceux qui paient les impôts et les taxes. Une personne morale est ultimement détenue par des personnes physiques, et il faut tenir compte de l’ensemble de la fiscalité pour bien en mesurer les impacts.

Dans le document de consultation du ministère des Finances paru en juillet, on soulève des situations d’iniquité qui sont réelles et qui illustrent les cas possibles de pratiques où il y a une non-neutralité du système fiscal et où, dans certains cas, par exemple, les mesures actuelles peuvent faire en sorte que quelqu’un puisse être incité à s’incorporer pour réduire ses impôts. On peut tenir un débat à savoir si les impôts sont trop élevés ou trop bas. Aussi, on peut déterminer les taux de taxation qui sont les moins dommageables pour l’économie en tenant compte de l’ensemble des objectifs poursuivis. Néanmoins, il faut essayer d’éviter que le système fiscal, de façon indirecte, crée un incitatif à changer le comportement des gens sans que ce soit leur intention et sans tenir compte de l’impact global sur l’économie.

Malgré ces exemples qui valent la peine d’être mentionnés, force est de constater que le débat qui entoure les propositions du ministre des Finances est très mal engagé. Ces iniquités peuvent susciter un appui de principe en faveur d’une plus grande neutralité du régime fiscal, là où il fait manifestement défaut.

D’ailleurs, le mois dernier lors d’une séance du Comité permanent des finances de la Chambre des communes, dans une lettre ouverte que j’ai signée, j’ai eu l’occasion de parler de la question du principe. Comme c’est souvent le cas, le diable est dans les détails. Il est important de s’y pencher pour pouvoir analyser l’impact global pour l’économie. Donc, des points importants étaient absents du document de consultation, notamment le montant des recettes fiscales attendues et une évaluation de leur impact économique.

Il y a certainement des définitions plus précises des modalités d’application des changements recherchés qui étaient nécessaires et qui demeurent nécessaires pour éviter que des interprétations laissées aux entrepreneurs et à l’Agence du revenu du Canada soient soumises à de l’arbitraire et à des incertitudes indues qui sont coûteuses sur les plans administratif et économique.

Ces imprécisions ont nourri des questionnements et des inquiétudes. En même temps, des positions difficilement justifiables ont été défendues par le gouvernement sur d’autres enjeux, notamment le choix du gouvernement de ne pas taxer Netflix, comparativement à d’autres entreprises dans le même domaine. Indirectement, ce discours a un impact bien mesuré sur la façon de faire une réforme importante de la fiscalité.

On a aussi entendu des prises de position extrêmes de l’autre côté. Parfois, on entend les gens dire que s’il n’y a pas de système fiscal favorable pour les médecins, un nombre appréciable de médecins qui sont incorporés vont disparaître. Au Québec, alors que j’étais membre de l’Assemblée nationale, le gouvernement auquel j’appartenais a permis l’incorporation des médecins. Cela n’a pas augmenté le nombre de médecins. On aurait pu prendre d’autres mesures, mais on aurait quand même une pénurie de médecins. Nous ne savons pas si, dans un système gouvernemental, les médecins qui seraient salariés avec une clientèle garantie ne disparaîtraient pas aussi. Des positions aussi extrêmes ont contribué à rendre ce débat mal engagé.

Un certain nombre d’éléments essentiels sont nécessaires pour bien camper les enjeux de la fiscalité et leurs impacts économiques, tant en termes d’efficience que d’équité. Ces principes et éléments doivent prendre racine autant dans la théorie que dans la pratique économique. La dernière grande réforme de fiscalité remonte à 1971, en réponse au rapport Carter.

Bien sûr, certains changements ont été plus importants que d’autres, notamment, la mise en place de la TPS/TVH au cours des dernières corrections ces dernières années, et l’abolition de la taxe sur le capital, une des pires taxes des années 1990 au Québec et dans l’ensemble du Canada. D’autres éléments du rapport du comité du professeur Mintz en 1997 ont amené certains changements qui ont contribué à réduire la non-neutralité de la fiscalité de certaines entreprises. Cela a été défait en partie avec le temps, d’où un besoin de revoir tout cela.

L’idée de réforme à la pièce peut représenter une occasion, mais ultimement, on ne devrait pas éviter de faire un débat global sur la réforme de la fiscalité. Ce n’est pas facile, parce que toute personne qui considère que la situation actuelle ne les désavantage pas trop ou leur offre même un avantage voudra défendre le statu quo ou éviter les changements. Tout le monde aime qu’on augmente les impôts du voisin et qu’on réduise les dépenses qui les concernent. Ce sont les débats auxquels est confrontée la réforme de la fiscalité.

Il y a des exemples internationaux, notamment celui des rapports Meadows et Mirrlees en Grande-Bretagne, démontrant qu’il y a moyen d’avoir un débat qui campe bien les enjeux d’un point de vue global ou qui réconcilie différents principes de fiscalité lorsqu’on veut avoir un système fiscal plus efficace où l’équité verticale et horizontale est maintenue ou améliorée.

Il y a des problèmes de transparence et de simplicité. Il faut conjuguer l’ensemble de ces principes pour bien arriver à une réforme de la fiscalité. Dans ce contexte, il est important de revoir ce qui est présenté actuellement avec un regard plus global et mieux calibré afin de discuter des différents impacts. Des exemples ont été donnés par mes prédécesseurs. Je n’en parlerai pas à l’heure actuelle, mais on pourra y revenir lors de la discussion.

Il faut tenir compte du principe selon lequel toutes les taxes ne sont pas équivalentes quant à leurs effets économiques. Certaines causent davantage de distorsion et de dommage que d’autres. Le principe de fiscalité optimale n’est pas de plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris, comme disait Colbert, mais plutôt de trouver les modes de taxation qui causent le moins de dommage à l’économie. Toutes les taxes encourent des dommages. Cela ne veut pas dire qu’il faut n’avoir aucune taxation, car on a besoin de programmes publics. On pourrait débattre sur les programmes à privilégier, mais il faut choisir les modes de taxation qui causent le moins de dommage à l’économie.

Par exemple, lorsqu’on considère que la taxe sur le revenu de capital est plus dommageable pour l’économie que la taxe sur le revenu de travail, on pourrait éviter que les gens puissent transformer leur taxe sur le revenu de capital en taxe sur le revenu de travail. C’est un peu ce que propose le ministère des Finances. Une autre façon pourrait être de réduire l’équilibre entre les taxes sur les entreprises et les taxes sur les particuliers, tout en préservant une équité.

Il y a des éléments établis qui ont besoin d’être revus aujourd’hui à la lumière des changements auxquels l’économie est confrontée. L’économie a davantage de services et de capital physique intangible. Ce n’est pas seulement une machinerie, une pièce d’équipement ou un bâtiment; lorsqu’on parle de technologie de l’information, c’est du capital intellectuel plus intangible. Il y a donc différents enjeux qui doivent être revus pour soutenir une telle réforme.

En tant qu’économiste, je ne peux que souhaiter que le débat actuel remette justement au programme la nécessité d’une réforme plus large de la fiscalité canadienne au-delà de questions partisanes. J’ai mentionné l’exemple de la Grande-Bretagne, ainsi que d’autres exemples, d’ailleurs. J’ai récemment écrit un article avec un collègue de l’UQAM, Jean-Denis Garon. Nous avons conclu notre article en disant ceci :

Réformer la fiscalité est une tâche de grande ampleur. De telles réformes affectent le quotidien des citoyens et suscitent débats et les oppositions de certains groupes et personnes à une telle démarche. Pour augmenter les chances de succès d’une telle entreprise, et notamment sa faisabilité politique […] La proposition de réforme fiscale doit se fonder sur la science et sur les bonnes pratiques suggérées à la fois par les enseignements microéconomiques et macroéconomiques de la théorie de la taxation, ainsi que ceux tirés de la recherche empirique. Sans atteindre la perfection, tout en tenant compte des impondérables et des exigences démocratiques, un système fiscal peut être plus performant sur le plan de l’efficacité et de l’équité à la condition qu’un gouvernement fasse preuve de vision, de profondeur, de transparence et de volonté.

Avec votre permission, j’aimerais déposer ce document concernant la réforme de la fiscalité des entreprises. On aura l’occasion d’en discuter en ce qui a trait au transfert des entreprises familiales.

Le président : Il n’y a aucun problème. Merci beaucoup, monsieur Paquet.

[Traduction]

Nous en sommes à la période des questions des sénateurs.

La sénatrice Marshall : Merci d’être parmi nous ce matin.

J’aimerais aborder le thème du revenu passif, et je me rends compte que le fractionnement du revenu semble aussi problématique. Le gouvernement se plaît à dire qu’il veut rendre le régime fiscal plus équitable. Cependant, si je me fie à votre mémoire, monsieur Brassard, vous y avez mis un tableau qui indique que, dans certains cas, l’incidence réelle sur la valeur nette des entrepreneurs pourrait atteindre 105 p. 100. Cela m’apparaît comme une hausse d’impôt. Monsieur Mintz, vous avez parlé de 73 p. 100. Ces chiffres nous donnent l’impression que l’exercice vise à générer des recettes.

Quand le gouvernement a présenté son projet, il a annoncé que la mesure de fractionnement du revenu générerait 250 millions de dollars, mais il n’a pas donné d’estimation pour le revenu passif. Même dans sa révision, il ne donne toujours pas d’estimation concernant les recettes supplémentaires qu’il entend recueillir. J’imagine que l’intention est de générer des recettes, peu importe le montant. Le gouvernement a augmenté le taux d’imposition du revenu des particuliers de 29 à 33 p. 100 l’an passé, mais j’ai lu quelque part que la récolte n’a pas été aussi bonne que prévu. Nous n’avons pas reçu d’estimation, mais pensez-vous que la hausse des recettes sera aussi élevée que ce qui nous est annoncé?

Par ailleurs, que peuvent faire les gens d’affaires pour se soustraire à cet impôt supplémentaire sur le revenu? Je sais que nous parlons beaucoup d’exode des sociétés vers le Mexique ou les États-Unis, parce que les taux y sont plus avantageux, mais est-ce que c’est vraiment ce qui se produira?

J’aimerais souligner pour terminer que la semaine dernière, nous avons discuté avec des médecins des menaces perpétuelles de partir qu’ils ne mettent jamais à exécution. Ils finissent par payer leurs impôts plus élevés et tout continue comme avant. Est-ce que tout continuera comme avant? Pensez-vous que les recettes augmenteront ou que les gens d’affaires passeront à l’action? Est-ce qu’il faut craindre un exode et d’autres changements?

M. Mintz : Je crois être celui qui connaît le mieux les études économiques sur ce sujet, mais mes collègues pourront aussi intervenir, bien entendu.

Diverses études économiques ont été menées sur les conséquences d’une hausse du taux d’imposition des particuliers qui ont des revenus très élevés, qui représentent 0,1 ou 1 p. 100 des contribuables. Ces études, y compris celle relativement bien faite du ministère des Finances, ont révélé que le recul de la base imposable est toujours plus marqué quand la hausse touche les particuliers dont le revenu est très élevé. La question est de savoir comment ils y arrivent. Aucune analyse n’a répondu à cette question. Est-ce qu’ils déménagent? Est-ce qu’ils augmentent leurs investissements dans des sociétés privées? Est-ce qu’ils recourent à d’autres stratégies d’évitement fiscal de ce genre?

Personne ne sait vraiment quelle sera l’incidence réelle des règles sur le revenu passif. Il faut se rappeler que le revenu passif d’une société privée est assujetti à un taux élevé de 50 p. 100 d’imposition. Beaucoup d’entrepreneurs, quand ils n’ont pas besoin des fonds pour l’exploitation, et notamment s’ils bénéficient d’un taux marginal d’imposition inférieur à 50 p. 100 — il s’établit à 48 p. 100 en Alberta, mais il a déjà été de 39 p. 100 —, ne les laissent pas dans l’entreprise, en raison du taux très élevé d’imposition sur les rendements. Par contre, les particuliers dont les revenus sont très élevés pourraient avoir tendance à laisser un revenu passif dans une société, pour toutes sortes de raison. L’une d’entre elles est l’imposition, mais ce n’est pas la seule. Des projets d’expansion peuvent aussi justifier ce choix, ou la volonté de réduire le coût du crédit pour les petites entreprises.

Je ne peux pas dire quelle sera l’ampleur de la réaction. Je sais par exemple qu’à la suite des propositions présentées le 18 juillet, l’un de nos grands entrepreneurs canadiens — l’annonce sera faite ultérieurement — a pris la décision de déménager au Royaume-Uni, comme les oligarques russes, parce que les revenus de source étrangère sont exonérés d’impôt. Un autre de nos grands entrepreneurs et chef de file en Alberta, Murray Edwards, a déménagé à cause des hausses des taux marginaux d’imposition.

Il faut envisager cette réforme dans un cadre plus large que les promesses de recettes pour les coffres publics. Il faut penser avant tout en termes de croissance. Si nous perdons des entreprises qui sont des fleurons canadiens et qui créent des milliers d’emplois parce qu’elles ne trouvent plus leur compte ici, nos perspectives de croissance en souffriront. C’est pourquoi les politiques fiscales doivent mettre tous les objectifs en équilibre. C’est une erreur de considérer l’équité comme le seul critère d’évaluation d’une politique fiscale.

[Français]

M. Brassard : Dans le document de consultation, ils ont indiqué, pour les deux premiers volets, des entrées fiscales de 250 millions de dollars pour la répartition des revenus. Pour les revenus passifs, ils ne l’ont pas indiqué, car il ne semble pas y avoir eu d’étude sur l’impact potentiel. Pour l’entrepreneur moyen, comme l’étude le démontre, on constate qu’il y aura moins d’entrées fiscales sur une certaine période. À court terme, il y en aura peut-être un peu plus.

Disons que quelqu’un décide de ne plus s’incorporer. À court terme, il y aura plus d’impôt. À long terme, l’argent de moins qui sera dans l’économie — et on l’a démontré dans nos analyses — fera en sorte que les entrées fiscales seront moindres. Le taux de rendement qu’aura perdu le gouvernement sera supérieur au taux de sa dette, par exemple, en plus de l’argent qui sera retiré de l’économie. C’est un impact qu’il faudrait mesurer. Ce n’est pas là une simple tâche, mais c’est quelque chose à analyser. On parle de l’impact économique, mais aussi de l’impact des entrées fiscales. À court terme, effectivement, on se rendra compte qu’il y aura un peu plus d’entrées. Les gens diront qu’ils sont imposés au taux maximum, alors qu’ils ne seront même pas au taux maximum s’ils laissent ces fonds dans leur compagnie. Ils choisiront alors de ne plus s’incorporer ou de sortir l’argent. À court terme, il y aura une entrée fiscale supplémentaire. Toutefois, à moyen terme, avec le temps, tout cela va générer moins d’argent, moins d’activité économique et on sera perdant.

Le calcul l’indique clairement. Lorsqu’on regarde le tableau, on constate que l’entrepreneur s’enrichit de 4 800 $. Pour une personne qui est moins experte, il peut sembler frustrant de voir qu’il s’enrichit de 4 800 $ par rapport à l’employé. On oublie toutefois qu’il aura généré 6 700 $ en impôts répartis dans le temps. Il faut regarder les valeurs actualisées, mais beaucoup d’argent disparaîtra. Il ne faut pas penser que les gens dans le secteur immobilier accepteront de travailler en sachant que toute la plus-value qu’ils amènent est redonnée en impôt à un taux maximum non remboursable.

Les impacts n’ont pas été mesurés, et c’est une faiblesse. Il n’y a pas eu d’étude d’impact, mais on sait que cet impact peut être grave. On sort des milliards de l’économie. Il y a beaucoup d’actifs passifs, de revenus passifs. On parle de 500 milliards. Si cela ralentit, quels seront les impacts? J’aimerais bien qu’un groupe d’économiste en fasse l’analyse, car il risque d’être important et s’ajoute à la diminution des entrées fiscales pour le gouvernement.

M. Paquet : Je souscris à ce que viennent de dire mes collègues. Il est étonnant que le ministère des Finances n’ait pas fait d’étude. Je suis étonné qu’il n’y en ait pas eu même à l’interne. Vous me direz que c’est son droit. Ce ministère a beaucoup de bons économistes et une bonne réputation – et je le dis non seulement parce que certains de mes anciens étudiants y travaillent.

Dans un des budgets, il y a quelques années, on constatait une élasticité des revenus du gouvernement à la suite d’une augmentation de différents types de taxation. Cette élasticité est d’autant plus importante. Les revenus que le gouvernement collecte en imposant une taxe sont le produit de deux choses : le taux de taxation multiplié par une assiette fiscale définie dans les lois fiscales.

Lorsque le gouvernement augmente le taux de taxation effectif, et ce, directement ou indirectement en réduisant certains crédits ou exemptions, si l’assiette fiscale ne change pas, ces revenus augmentent. Cependant, si les gens décident de travailler moins ou d’investir moins, à long terme l’assiette fiscale diminuera.

Une autre façon de réduire l’assiette fiscale, c’est de trouver différentes façons de déclarer ces revenus – et je parle de le faire légalement. Malheureusement, il y a parfois de l’évasion fiscale. Même en termes d’évitement fiscal légal, à moins de transformer la façon de déclarer ces revenus – et c’est un peu ce qui se fait avec la neutralité du système actuel –, le résultat est que l’État a moins de revenus qu’il pourrait recueillir autrement. Je parle strictement en termes d’équilibre budgétaire.

De plus, cette assiette fiscale n’est pas une photo instantanée. C’est un élément dynamique. Cette décision, donc, dépend des taux marginaux et du cumul de l’ensemble de la taxation.

Avec ce qui se passe présentement aux États-Unis, où il y a beaucoup de flou, il est probable que certains éléments mèneront les Américains à comprendre que leurs taux de taxation effectifs sont trop élevés pour les corporations, et ils décideront de bouger en ce sens. Il se peut qu’ils réagissent aussi en réduisant le taux effectif, ce qui fait que la compétitivité relative diminuera. Qu’on le veuille ou non, ce revenu sur le capital est mobile. Comme toutes les taxes ne sont pas équivalentes, il faut tenir compte de l’ensemble.

Il faudrait remettre ces chiffres à jour, mais j’aimerais citer l’exemple suivant. Au sein du gouvernement du Québec, on avait analysé, en 2003, avec un modèle d’équilibre général, l’impact d’une augmentation de 1 $ de revenu collecté par le gouvernement selon différents taux de taxation. Je reprends ces chiffres comme ordre de grandeur et non à titre de chiffres exacts, simplement pour vous donner une idée. Si on augmentait, à l’époque, la taxe sur le capital, le stock de capital comme il existait, l’impact à long terme sur le PIB était une réduction du PIB réel de 1,37 $. Le PIB représente l’ensemble de la production dans l’économie, le revenu provenant autant de l’entrepreneur que des travailleurs pour l’ensemble de l’économie et toute la valeur ajoutée.

Normalement, une taxe sur les profits d’entreprises réduit à long terme de 0,89 $ le PIB à long terme. Prenons ce chiffre à titre d’ordre de grandeur et non comme chiffre exact. Une taxe sur le travail réduit de 0,76 $ le PIB réel à long terme. Une taxe à la consommation le réduirait de 0,28 $. On voit donc que toutes les taxes n’ont pas le même impact.

Même si l’écart n’est pas aussi grand, même si on pouvait débattre de la valeur exacte des chiffres, il y a un impact différencié selon les types de taxation. Il faut donc prendre en ligne de compte l’ensemble de la taxation. Or, malheureusement, c’est cet aspect qui est absent du débat actuel. Dans certains exemples où on a raison de dire que le système n’est pas neutre et qu’il faudrait revoir certaines choses, l’impact, c’est que le taux effectif sur le revenu de capital pourrait augmenter suffisamment, mais il est difficile de dire de combien, sauf dans certains exemples d’application. Ceux-ci sont possiblement réalistes, mais sont-ils généralisés? Je ne saurais le dire à ce moment-ci sans avoir une meilleure analyse de ces chiffres et de ces impacts.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Nous obtiendrons peut-être des suppléments d’information dans les réunions qui suivront, mais nous savons que les recettes attendues du fractionnement du revenu s’élèvent à 250 millions de dollars. Il n’y a pas eu d’analyse des recettes pour la mesure sur le revenu passif, ni des incidences économiques de la réforme. Merci.

Le sénateur Black : Messieurs, je vous remercie énormément d’avoir pris la peine de venir à notre rencontre. Vos exposés nous seront d’une grande utilité pour nos délibérations. Je tiens également à remercier chacun d’entre vous de contribuer à l’amélioration de la gouvernance, qui est à mon avis notre objectif ultime à tous.

Les questions que je veux poser sont à mon avis très simples et très directes. En écoutant vos trois excellents exposés, j’ai déduit deux choses. Je vais vous demander de confirmer mes déductions. La première est que les propositions que le ministre Morneau a présentées en octobre, ses retouches aux retouches du régime fiscal, devraient être rejetées. La deuxième est que vous réclamez tous les trois une refonte complète du régime fiscal canadien, pour corriger tous les défauts qui s’empilent depuis 20 ou 30 ans. Le temps est venu de revoir le régime de fond en comble. C’est ce que vous avez tous dit, ou est-ce que je me trompe?

[Français]

M. Brassard : Effectivement, tout s’est fait trop vite et, de plus, en plein été. Il n’y avait qu’une période de 75 jours pour réagir à certaines dispositions, qui devaient être mises en application immédiatement, et sur d’autres, qui devaient être mises en oeuvre dès le 1er janvier prochain.

D’autres réformes ont déjà eu lieu pour lesquelles il fallait des années avant d’y arriver, telle la réforme sur l’assurance. Pendant deux ou trois ans, on a pu voir quelles étaient les intentions, et une discussion a pu avoir lieu afin d’aboutir à quelque chose en 2016 qui était finalement correcte.

Mais pour le cas qui nous occupe, tout est allé trop vite, et plusieurs dommages collatéraux se présentaient. Ils ont inséré des dispositions sans en mesurer les effets sur ceci ou cela, comme pour la disposition sur le décès. Finalement, à force de se le faire dire, ils ont reculé sur certains aspects.

Effectivement, il faut qu’ait lieu une réflexion plus globale. Je l’ai dit lors de mes remarques introductives : il y avait des points dans le cadre de cette réforme avec lesquels la plupart des fiscalistes sont d’accord. Mais on a procédé trop rapidement avec cette réforme sans prévoir un temps de réaction suffisant; des gens sont décédés avant, des gens décèdent après, et il y a des effets lis aux décès. Il y a des effets sur des transactions qui ont eu lieu en plein milieu du débat. Il faut revoir tout cela et effectuer une réforme plus globale sur une durée d’un an ou deux. Il faut prendre le temps de consulter les gens correctement. Ce serait, à mon avis, une façon gagnante de faire les choses, au lieu de le faire de façon précipitée en entraînant des effets imprévus, et de faire des propositions pour devoir reculer ensuite.

Même aujourd’hui, on ne sait pas. Le 1er novembre est demain; des dispositions doivent entrer en vigueur le 1er janvier prochain et on ne dispose toujours pas des règles. On nous a dit que cela pourrait tarder jusqu’à la fin du mois de novembre; cela nous laissera alors deux ou trois semaines pour réagir. C’est exagéré comme impact et cela semble un peu improvisé.

M. Paquet : Le temps d’une réforme globale est arrivé, et cela pourrait être l’occasion de revoir les choses de façon globale en tenant compte de l’ensemble de leurs impacts.

Lorsqu’on parle de fiscalité et d’impact sur l’économie, la question de prévisibilité est importante. Les gens doivent savoir à quoi s’attendre. Les décisions que les agents économiques prennent en termes d’investissements ne dépendent pas strictement du passé. On hérite évidemment d’une situation passée, mais comme il faut se tourner vers l’avenir, lorsqu’on décide d’investir pour l’éducation, d’investir dans une entreprise ou d’agrandir l’entreprise, de prendre des risques, on doit tenir compte à cet égard du rendement anticipé escompté.

On ne peut pas le prévoir parfaitement, mais il faut être en mesure de prévoir que sera le rendement après impôt qui pourra être retiré, étant donné les risques que l’on assume. Si le critère de prévisibilité est absent ou si, par la suite, une rétroactivité est appliquée, les règles du jeu changent après que le jeu a commencé. Cette situation a des impacts, et pas seulement à court terme. Par exemple, on pourrait décider de taxer à 100 p. 100 les profits accumulés dans le passé puisqu’ils sont déjà accumulés et que cela n’a plus d’impact sur l’avenir. Quelque chose de ce genre a déjà été suggéré en Grande-Bretagne à l’époque; heureusement, on n’y a pas donné suite. On voulait financer la guerre non pas par dette, mais en augmentant les taxes de près de 100 p. 100. On parle alors de prélèvement sur le capital.

Dans ce que l’on fait à court terme dans la vie personnelle comme dans les décisions politiques ou les affaires, le problème, c’est que les bonnes décisions n’ont pas d’effet instantané, mais que les mauvaises décisions ont des effets qui durent longtemps. Cela a pour effet, par exemple, que si les investisseurs et les entrepreneurs croient que les changements actuels sont un signal que d’autres changements similaires auront lieu à l’avenir et que cela menace la prévisibilité, cela aura un impact sur la croissance économique, sur l’emploi et sur les revenus des gens qui sont déjà à l’emploi, même s’ils ne perdent pas leur emploi. Dans ce contexte, il semble qu’on y va de façon trop rapide à certains égards. Il y a encore trop de flou quant à certaines mesures annoncées.

Par exemple, lorsqu’on parle du traitement de la contribution d’un conjoint dans une entreprise, pourquoi un entrepreneur pourrait-il répartir ses gains en capital avec des gens, même des membres de sa famille, qui n’ont pas directement contribué à l’entreprise? En effet, le système fiscal reconnaît déjà le fait que, étant donné les risques, le taux d’imposition sur les corporations est en pratique plus bas que les taux qui s’appliquent sur le revenu de travail.

On pourrait se dire, effectivement, que cela n’a pas d’allure et comprendre qu’il y a là une façon de diminuer ses impôts. Par exemple, à titre de consultant, j’aurais pu gagner un revenu, m’incorporer et diminuer le revenu d’un contrat de consultation en versant des dividendes à ma fille, qui était à l’époque aux études secondaires. J’aurais pu faire cela de façon légale. On voit bien qu’une situation comme celle-là ne représente pas ce qui devrait être fait. Mon exemple pourrait nous amener à penser qu’il faudrait donc changer les choses.

De la même façon, lorsqu’on parle du traitement fiscal pour un conjoint ou une conjointe, effectivement, un conjoint ou une conjointe assume une partie des risques de l’entreprise et il y a une question beaucoup plus large qu’il faudrait peut-être revoir à cet égard. Aux États-Unis, par exemple, le contribuable ou le conjoint peut faire un choix fiscal, à savoir être taxé sur une base individuelle ou sur une base familiale. Ne serait-ce pas une avenue à considérer?

Je ne voudrais pas prendre une position ferme à ce sujet aujourd’hui, mais c’est le genre de questionnement qu’on aurait aimé voir dans le document de consultation, qui éclairerait le débat et qui permettrait de bien mettre en perspective les différents enjeux.

[Traduction]

M. Mintz : Merci beaucoup, sénateur Black, de poser cette question. J’y répondrai en mettant l’accent sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, les propositions du ministre. Je pense que la seule chose acceptable — on pourrait en discuter, mais je crois que ce serait juste — serait l’application de ce qu’on a appelé la taxe des marmots jusqu’à l’âge de 28 ou 30 ans, ou quelque chose du genre. C’est à peu tout ce que je conserverais des propositions, et j’écarterais le restant.

Oui, notre régime fiscal mérite un bon examen. Il faut réfléchir à l’orientation que nous voulons lui donner dans les prochaines années. La dernière fois que le fédéral s’est prêté à l’exercice, c’était en 1997, c’est-à-dire 20 ans en arrière. Je présidais alors le groupe que l’honorable Paul Martin avait chargé d’étudier la réforme de l’impôt des sociétés. Ce travail a préparé le terrain, du moins pour ce qui est de l’impôt des sociétés, à une réflexion sur l’orientation souhaitée pour le régime. De fait, certaines modifications opérées depuis une vingtaine d’années, ou en tout cas jusqu’en 2012, découlent du rapport du groupe. Selon moi, nous avons fait quelques pas en arrière, si je pense par exemple à la déduction pour amortissement accéléré dans le secteur de la fabrication, mais la philosophie générale du rapport a été respectée. Il a contribué, je crois, à orienter l’action des gouvernements, autant celles du fédéral que celles des provinces.

Il est grand temps de faire un examen global du régime fiscal des sociétés et des particuliers, mais également du régime de la TPS. L’École de politique publique a publié plusieurs documents d’analyse de la TPS, que l’Association canadienne d’études fiscales a repris à son compte. Savez-vous que notre cadre de taxation de la valeur ajoutée recueille la moitié seulement de l’assiette des taxes à la consommation en raison de toutes les exemptions prévues? Ce n’est pas une mesure efficace. Je ne comprends pas pourquoi nous pensons qu’elle est extraordinaire. Si une hausse des taux est envisagée, il faudra tout d’abord redresser ce régime. Beaucoup de ses éléments devraient être révisés, y compris la composition des recettes fiscales et les éléments pris en compte, afin de guider adéquatement les actions du gouvernement.

J’aimerais parler de la réforme fiscale annoncée aux États-Unis, qui prendra une importance capitale au cours des prochains mois. Si les remaniements majeurs prévus sont adoptés… Malgré le cafouillage des derniers temps sur la scène politique aux États-Unis, beaucoup d’experts sont d’avis que la réforme verra le jour. Nous devrions le savoir d’ici quelques mois. Une chose est certaine, la fiscalité des sociétés est un véritable chaos aux États-Unis, et un redressement s’impose. Tant les démocrates que les républicains l’ont compris, et tout indique que les taux d’imposition des sociétés baisseront de façon marquée aux États-Unis.

Selon notre modélisation, si les États-Unis adoptent un taux d’imposition du revenu des sociétés de 20 p. 100, et c’est d’après moi ce qui sera annoncé à la Chambre cette semaine, à peu près tous les avantages fiscaux que le Canada a créés pour les entreprises ces 20 dernières années disparaîtront. L’avantage fiscal consenti aux grandes entreprises disparaîtra. Si les États-Unis réduisent comme il est prévu le taux d’imposition du revenu des petites entreprises, et que le plafond pour le revenu des particuliers est abaissé à 25 p. 100 au fédéral, les conséquences seront énormes pour le Canada, et nous devrons nous en inquiéter.

Concrètement, nous n’aurons peut-être pas le choix de réformer notre fiscalité. Nous devrons prendre du recul et nous demander comment garantir un régime fiscal équitable, en sachant que l’équité n’est pas le seul objectif. Nous devons aussi abolir les obstacles à la croissance. Comment? En privilégiant les mesures fiscales moins nuisibles, en corrigeant certains effets nuisibles des mesures actuelles qui freinent la croissance, et en gardant à l’esprit les enjeux liés à la compétitivité qui sont devenus des réalités incontournables en raison de la mobilité mondiale des capitaux, mais aussi des compétences.

Le président : Monsieur Paquet, vous vouliez ajouter quelque chose.

[Français]

M. Paquet : Il y a eu des avancées importantes, notamment, dans le cadre des travaux du comité Mirrlees, en Grande-Bretagne. Depuis longtemps, les économistes mentionnent que, toutes choses étant égales par ailleurs, il est préférable de taxer la consommation différemment à un taux plus élevé par rapport aux autres formes de taxation. Même le rapport Godbout, à Québec, qui était plus limité dans son étendue, allait vers cela. Il y a eu des changements, par la mise en place de la TPS et de la TVH, qui ont été faits sur plusieurs années, où le Québec a été un peu à l’avant-garde par rapport aux autres provinces qui ont fait des avancés en abolissant la taxe sur les produits manufacturiers qui avaient une assiette fiscale plus étroite. Effectivement, il y a encore du travail à faire à cet égard.

Lorsqu’on parle de la taxation des entreprises, la taxation des rendements du capital est souvent traitée de façon insensible dans le rapport du comité Mirrlees, où on soulignait les bienfaits d’un système fiscal qui est neutre à deux égards. Je cite un extrait d’un document que j’ai préparé :

D’abord, la fiscalité ne devrait pas influencer le moment où les ménages décident de consommer plutôt que d’épargner. Ensuite, elle ne doit pas influencer les types d’actifs sélectionnés, notamment en ce qui concerne la prise de risque.

Il y a la question, encore une fois, de la neutralité.

Un système fiscal traitant indistinctement les rendements du capital et les autres sources de revenus n’est pas neutre quant à la planification temporelle des décisions d’épargne. Taxer un rendement ”normal“ pénalise les ménages qui désirent reporter leur consommation, incluant ceux qui désirent la lisser tout au long de leur cycle de vie. Le deuxième type de neutralité consiste à traiter tous les véhicules d’épargne de la même façon, y compris les gains en capital ou les revenus de pension. Cela dit, la taxation des rendements du capital s’avère être une politique redistributive, ce plus spécifiquement lorsqu’elle s’applique à l’excédent du rendement normal du capital. Tous ces éléments pris ensemble justifient une politique où les rendements du capital, indépendamment de leur source, pourraient être taxés au même taux que les autres revenus, mais avec une exemption accordée pour un rendement normal, qui serait à déterminer.

C’est l’un des principes importants qui figure dans l’ensemble du document du rapport Mirrlees, et je pense qu’il mériterait d’être revu à la lumière de l’expérience canadienne. C’est le changement qu’on pourrait apporter globalement, pour compléter la réponse à la question du sénateur Black.

Le dernier élément, c’est la question de taxer la rente économique, soit le fait de posséder un attribut ou une ressource qui procure une rente qui pourrait être taxée différemment. Ce sont des enjeux complexes, mais qui méritent d’être examinés et pour lesquelles la science et la pratique économiques montrent qu’il y a des avancées qui peuvent être faites. On le voit dans les pays scandinaves à cet égard avec la taxe sur les encaisses, tout en tenant compte du fait qu’ils taxent moins le revenu de capital que la consommation ou d’autres sources de revenus. Ils sont capables d’atteindre un meilleur équilibre.

Le sénateur Forest : Merci beaucoup de vos témoignages forts instructifs. Cela consolide la pertinence des consultations que le comité doit mener dans le cadre de sa tournée canadienne. Monsieur Brassard, dans le fameux dossier des revenus passifs, nous sommes tous d’accord que le système fiscal d’une instance comme le Canada doit être équitable et efficace afin d’être concurrentiel. Il doit être équitable, parce qu’il faut attirer aussi des familles. Il doit aussi être efficace pour que les PME soient incitées et motivées à venir s’installer au Canada et à se développer.

Quant aux revenus passifs, on nous a indiqué que 85 p. 100 d’entre eux étaient détenus par 1,6 p. 100 des entreprises. C’est l’un des éléments majeurs de cette réforme. On a rencontré les représentants de jeunes entreprises. Je pense encore à un témoin qui a été fort éloquent la semaine dernière, un jeune entrepreneur de 30 ans qui dit qu’il veut capitaliser. Avec tous les transferts d’entreprises qu’il y aura au cours des prochaines années, il a dit qu’il voulait avoir la liquidité nécessaire pour être capable de faire des acquisitions. J’ai trouvé que c’était un jeune homme allumé. Le sénateur Pratte l’a très bien souligné dans un article de La Presse paru en fin de semaine.

Avec 1,6 p. 100, il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui détiennent 85 p. 100 de la capitalisation. On parle d’environ 255 milliards. Y aurait-il moyen de soustraire du placement passif les éléments qui serviront non pas à soustraire ces sommes de l’impôt, mais à les affecter à des fonctions de développement des entreprises? Il s’agirait de les capitaliser pour le remplacement des technologies, dans le cadre du fonds de roulement, et, éventuellement, en vue d’une retraite. Tout le monde nous parle des 1,6 p. 100 d’entreprises qui détiennent 85 p. 100 de ces capitaux. Comment pourrait-on arriver à soustraire de ces capitaux des sommes affectées à des fonctions particulières?

M. Brassard : On pourrait discuter de l’ampleur des chiffres.

Le sénateur Forest : Je ne mettrais pas ma tête à couper sur l’ampleur des chiffres qu’on nous a donnés.

M. Brassard : Il y a beaucoup d’entrepreneurs qui détiennent beaucoup de sommes. J’aimerais connaître l’ampleur des chiffres, parce que, parfois, dans les placements passifs, on y met bien des choses, entre autres, de l’immobilier qui peut servir aussi à titre de revenu actif. Par contre, nous demandons dans notre mémoire quelle est la définition d’un revenu passif. C’est effectivement ce que vous soulevez. Pour les gens qui gèrent de l’immobilier, pour certains, comme on le dit à la blague, ce n’est pas toujours passif. Aller changer l’eau qui coule et tout, pour les gens, c’est du « revenu passif », mais bon...

Le sénateur Forest : C’est actif.

M. Brassard : On oublie que dans les revenus passifs il y a beaucoup d’immobilier qui génère des rendements forts intéressants, mais est-ce vraiment un revenu passif? Selon la loi, ça devient un revenu actif lorsqu’on a cinq employés et plus, mais dans les faits, c’est discutable.

Si on enlève une grosse quantité du stock dont vous parlez, on soulève le point des gens qui font des placements privés sous forme de dettes ou sous forme de capitaux dans de petites entreprises. Peut-être que la personne qui donne les sous n’est pas active dans l’entreprise, mais elle fait un placement privé dans cette entreprise. Donc, le monsieur dont vous parlez qui veut capitaliser pour acheter des entreprises, c’est de l’argent qui va servir à l’économie. Est-ce du revenu passif? C’est à discuter.

C’est la même chose pour une petite compagnie publique. Oui, c’est un placement passif dans le sens où c’est un titre coté en bourse, mais cela reste une petite entreprise. Si on coupe ce financement et qu’on empêche les gens de s’incorporer et qu’on enlève 40 p. 100 des sommes sur le marché pour payer la dette du gouvernement ou pour dépenser plus dans un domaine, il y a des risques, effectivement.

Il faut définir le revenu passif. Actuellement, un revenu de location est considéré comme passif, peut-être, peut-être pas. Une fois qu’on a enlevé cette quantité d’actifs, il reste les autres et les autres et, si on commence à jouer avec ça, on joue avec de grosses sommes.

On n’a rien contre l’équité, mais si elle fait en sorte que tout le monde est plus pauvre, on n’a rien gagné. Il faut mesurer la compétitivité, les impacts économiques sur la croissance. En voulant régler un problème, on peut en créer d’autres. Il faut donc effectivement définir ce qu’est un placement passif. Cela n’a pas été fait, cela n’a pas été dit, et cela mériterait d’être précisé. Il y a une section dans notre mémoire qui le précise, et il faut que ce soit fait avant d’aller plus loin. Cela fait partie de la réflexion globale qu’on devrait faire.

Le sénateur Forest : Un peu comme son impact économique, d’ailleurs.

[Traduction]

M. Mintz : Ne vous laissez pas berner par le chiffre de 1,6 p. 100 lancé à tort et à travers. Même si cela semble peu, ce taux représente quand même 30 000 entreprises environ. La question qu’il faut se poser est qui sont ces entreprises?

Je l’ai déjà dit, les entreprises dont le revenu est très faible, disons moins de 200 000 $, sont très peu susceptibles de laisser un revenu passif dans la société, à cause du taux d’imposition très élevé sur les revenus de placement. Dans les faits, les entreprises sont plus susceptibles d’accumuler un revenu passif quand elles grossissent. Ce que je veux savoir, c’est si ces 30 000 entreprises englobent les entreprises en croissance? Est-ce que ce chiffre comprend celles qui pourraient devenir des moyennes entreprises, ou même des grandes entreprises à long terme? Nous n’avons pas de données à ce sujet.

Il ne faut pas minimiser le rôle que peuvent jouer les règles sur le revenu passif dans la croissance économique.

[Français]

M. Paquet : Idéalement, si on avait à définir ce qu’est le revenu passif, on voudrait exclure les fonds mis de côté pour le développement. Encore une fois, le diable est dans les détails, parce que ce qu’on qualifie de développement pour l’un ne l’est pas pour l’autre. Donc, l’un des problèmes de la proposition actuelle du ministre est qu’on ne sait pas encore jusqu’où ils iront dans le détail, et ce, à quelques mois de son application. C’est donc un des enjeux.

Lorsque je mentionnais tout à l’heure que les économistes disent souvent qu’il est préférable de taxer la « consommation », tout en tenant compte de l’élément de redistribution qui est important, on n’a pas en tête que la TPS; il faut détaxer l’épargne. Parce que la consommation, c’est le revenu gagné sous toutes ses formes, par les travailleurs, les entreprises, et cetera, moins la consommation. Et donc, autrement dit, détaxer l’épargne est justement un gage de croissance économique, parce que l’épargne, ce n’est pas quelque chose qu’on oublie et qu’on enfouit dans le sol. L’épargne, c’est la consommation de demain, c’est le niveau de vie futur des Canadiens et des Canadiennes. Il faut donc tenir compte du rendement qu’on peut cumuler. D’où l’idée, d’ailleurs, des REER et du CELI, malgré que la mécanique en soit différente, et de permettre qu’on cumule un rendement à l’abri de l’impôt sur les fonds existants.

La question est de savoir comment faire en sorte que le même objectif et la même idée soient traités de façon équitable, autant au niveau du cumul du rendement qui se fait à l’intérieur d’une entreprise qu’au niveau d’un salarié, tout en tenant compte des différences du risque qui est assumé. Et c’est là que se trouvent les enjeux qui doivent être pris en ligne de compte.

Le sénateur a fait référence à la question des transferts d’entreprises. Dans le document de consultation du ministère des Finances, on ouvrait la question en disant qu’il serait intéressant, dans les consultations qui auront lieu au cours des prochaines semaines, de parler davantage de ce qu’on pourrait faire au niveau du transfert d’entreprises. Le vieillissement de la population dans l’ensemble du Canada, mais particulièrement au Québec, est un enjeu. Au sein de nombreuses entreprises qui sont des propriétés familiales, souvent des petites entreprises en termes de taille, les gens vont prendre leur retraite, vont essayer de trouver un acheteur ou, sinon, ils vont fermer la boîte.

L’un des enjeux présentement, dans le système fiscal actuel au Canada, qui a commencé à évoluer au Québec au cours des dernières années, c’est que si vous êtes propriétaire d’une entreprise et que vous transférez votre entreprise à un tiers qui n’a aucun lien familial, ou à un employé plus près de l’entreprise, à ce moment-là, vous avez une déduction pour gain en capital qui était de 750 000 $, et je pense que c’est maintenant 800 000 $ à vie. C’est un montant qui est indexé, ce qui donne environ 835 000 $. Je peux vous dire que j’ai participé à des débats sur ce sujet au Québec, entre 2005 et 2012, au sein du gouvernement, où j’ai débattu avec les fonctionnaires du ministère du Revenu à l’époque — maintenant l’Agence du revenu du Québec — et du ministère des Finances. Ils ne voulaient pas du tout qu’on bouge sur cet aspect, et la demande était pressante pour les jeunes entrepreneurs en particulier, mais aussi pour des entrepreneurs expérimentés qui songeaient à prendre leur retraite. Il y a donc une iniquité qui fait en sorte que nos entreprises et le transfert des entreprises sont menacés. Ce sont des entreprises qui risquent d’être vendues potentiellement à des gens à l’extérieur du Canada. Or, ils en ont le droit, il n’y a rien d’illégal, mais en même temps, on ne devrait pas avoir un système qui favorise un type de transfert par rapport à un autre qui pourrait menacer directement la croissance économique au Canada. À cet égard, malgré la résistance ressentie au sein du ministère des Finances du Québec et du ministère du Revenu, que j’ai pu observer de l’intérieur, résistance de la part de gens très brillants, d’ailleurs, des changements ont été effectués.

D’ailleurs, dans les documents que je me suis permis de vous soumettre, il y a un document que j’ai écrit en 2013, mais il y a aussi des avancées, notamment, dans notre Bulletin d’interprétation de février 2017, dans l’extrait du plan économique du Québec et dans le document additionnel du budget de 2016-2017. On y énonce des mesures qui ont été prises qui démontrent que même si le gouvernement fédéral n’a pas encore bougé, au Québec, il est possible de transférer une entreprise à un membre de la famille de façon à ce que cela ne soit pas traité de façon inéquitable ni d’une façon qui décourage un transfert d’entreprise qui pourrait avoir lieu. Je pense qu’il serait bien que le comité ou le ministère se penche sur cette question.

Le sénateur Forest : Il est totalement inéquitable et incompréhensible qu’il y ait une résistance aussi grande au sein de nos institutions qui devraient porter ces valeurs d’équité. Je n’en reviens tout simplement pas.

À court terme, advenant le scénario où la réforme fiscale du ministre Morneau nous sera présentée dans le projet de loi sur les crédits en décembre —

La sénatrice Moncion : Il a été présenté hier.

Le sénateur Forest : … ou dans le budget de mars, ce que je constate, c’est qu’il y a, à très court terme, une forme d’acceptabilité plus grande de la réforme depuis quelques semaines, mais la grande interrogation est de savoir quelles en sont les modalités d’application.Il faut absolument qu’on en arrive à définir précisément ces modalités d’application. Selon mon interprétation, à moyen ou à long terme, dans le contexte de la mondialisation, dans la nouvelle réalité du Canada du XXIe siècle, il faut repenser notre régime fiscal de façon beaucoup plus globale.

Le sénateur Pratte : J’aimerais pousser davantage la question d’une réforme fiscale ou d’un examen plus approfondi. J’aimerais que vous me disiez ce qu’on devrait regarder si on faisait un examen global du régime fiscal. Il y a un grand nombre de témoins qui nous l’ont dit, mais il serait intéressant que vous nous disiez ce qu’une commission ou un comité qui examinerait cet aspect devrait regarder en priorité.

[Traduction]

Monsieur Mintz, vous avez présidé le dernier comité qui a étudié le régime, du moins en partie. J’aimerais que vous me disiez sur quels aspects, outre la TPS, un comité devrait s’attarder. J’aimerais aussi savoir quelle formule serait la plus efficace pour mener cet examen. Devrait-on le confier à un comité technique, un peu comme celui que vous avez piloté il y a 20 ans, ou constituer une nouvelle commission Carter, qui s’est avérée un exercice très ambitieux? Un groupe de travail, peut-être? Monsieur Mintz, puis-je vous demander de répondre en premier?

M. Mintz : Si vous me le permettez, avant de répondre à votre question sur le processus, je vais commencer par donner un petit historique du groupe d’étude qui a siégé en 1996 et 1997, et parler de ce qui a mené à sa formation.

À cette époque, le groupe d’étude a été mis sur pied par des représentants externes du ministère des Finances. Je souligne que son mandat n’incluait pas l’examen de la fiscalité des particuliers. Le ministère estimait qu’il pouvait s’occuper de ce volet, et que le vrai problème venait de l’impôt des sociétés. Nous assistions alors à une intensification de la mondialisation. Le monde était en plein changement. Ces bouleversements suscitaient de sérieuses inquiétudes au Canada, en raison du taux d’imposition du revenu des sociétés de 43 p. 100, l’un des plus élevés dans le monde, et des nombreuses distorsions du régime. Il était évident qu’il fallait corriger la structure d’imposition des sociétés.

Le groupe d’étude a été créé. On l’a appelé comité technique, et je dois admettre que c’est moi qui l’ai désigné ainsi, en partie pour dégonfler les attentes à l’égard du comité, plutôt que de l’appeler commission ou quelque chose de similaire. En fin de compte, il a réellement fonctionné comme un groupe d’étude, et nous avons produit un rapport assez important. Il était prévu que le comité ne tienne pas lui-même de consultations à grande échelle. Nous avons bien effectué quelques consultations, mais seulement afin de recueillir les idées ou les points de vue de différents groupes d’entreprises, mais en réalité, l’objectif de l’exercice était de créer un document qui serait mis à la disposition du ministre ultérieurement.

Il faut effectivement entreprendre un examen plus vaste du système et ne pas se limiter au régime d’imposition des sociétés. L’examen consisterait en partie à répondre à deux types de questions. L’une des questions porterait sur la composition des recettes fiscales : Devrions-nous modifier la composition des recettes fiscales? Serait-il préférable de compter davantage sur la TPS, par exemple? Devrions-nous hausser le taux de la TPS, et réduire l’impôt sur le revenu des particuliers et l’impôt sur le revenu des sociétés? C’est une approche qui a été retenue dans plusieurs pays, et que l’on pourrait envisager.

Je vous mentionne la réforme de la TPS parce que nous avons tendance à ne pas en tenir compte, et pourtant, il me semble que c’est une autre question dont il faudrait s’occuper et qu’il faudrait trouver des moyens de l’améliorer. En Nouvelle-Zélande, par exemple, presque 100 p. 100 des produits de consommation sont visés par la TPS, ou taxe sur la valeur ajoutée comme ils l’appellent, alors que nous n’imposons que 50 p. 100 des produits. Donc, nous pourrions faire mieux, et devrions nous poser quelques sérieuses questions. En fait, nous avons fait un calcul selon lequel on pourrait abaisser le taux de la TPS du gouvernement fédéral de 5 à 3 p. 100, si on éliminait une série d’exonérations et si on mettait en place un régime comme celui de la Nouvelle-Zélande. Cela vous donne une idée de l’importance de ces exonérations. La situation actuelle permet à beaucoup de particuliers à revenu élevé de bénéficier de ces exonérations.

À mon avis, dans le régime fiscal des sociétés, il faut se pencher sur deux enjeux vraiment importants. Le premier, c’est le traitement fiscal des petites entreprises. Avons-nous mis en place les bonnes mesures incitatives? Serait-il possible de faire mieux que de simplement abaisser les taux d’imposition, ce que nous faisons depuis près de 45 ans, maintenant, soit depuis 1972? Existe-t-il un meilleur moyen d’organiser la fiscalité des petites entreprises, ce qui nécessiterait un examen de beaucoup plus grande envergure ou de se pencher sur un ensemble de questions beaucoup plus large que ce qui est indiqué dans ces propositions.

Et il faut également se pencher sur le régime fiscal des sociétés. Il s’est produit beaucoup de faits nouveaux. Aujourd’hui, il se fait beaucoup de financement accréditif par l’entremise de partenariats, de fiducies et d’entités semblables, et les règles que nous avons adoptées s’appliquent à certaines sociétés, et pas à d’autres.

Le gouvernement fédéral n’impose pas de droits sur la cession immobilière, mais les droits sur la cession immobilière peuvent constituer un énorme problème lorsque vous tentez d’imposer une propriété commerciale. Cette situation pourrait représenter davantage un souci pour une administration provinciale, mais lorsqu’on commence à regarder le secteur des entreprises, il faut se rappeler qu’il existe divers types d’organisations. Comment procéder pour s’assurer de mettre en place un système qui s’applique uniformément sans créer de distorsion dans le choix des structures retenues par les entreprises?

Quant au taux d’imposition des sociétés, nous sommes arrivés pratiquement à mi-chemin. En réalité, nous nous situons un peu au-dessus du taux moyen de l’OCDE actuellement. Notre taux frôle les 27 p. 100, tandis que le taux moyen de l’OCDE se situe autour de 25 p. 100. Il faut se rappeler que nous ne disposons pas d’une grande marge de manœuvre ici, à moins d’être prêt à accepter qu’un grand nombre d’entreprises rentables quittent le Canada pour d’autres cieux, si nous décidions d’élever le taux encore d’un cran. Mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas examiner quelques mesures incitatives dans le régime. De fait, j’ai effectué quelques calculs d’après lesquels il serait possible d’abaisser le taux d’imposition des sociétés à 23 p. 100 au Canada, en éliminant l’abattement pour les petites entreprises, un certain nombre de mesures incitatives, et en élargissant quelque peu l’assiette fiscale, ce qui nous donnerait finalement un taux d’imposition encore plus bas que si nous voulions fonctionner sur la base d’une imposition sans incidence sur les recettes.

Il faut aussi se pencher sérieusement sur l’impôt sur le revenu des particuliers.

Sur le plan des revenus de retraite, il faut se poser la question suivante : avons-nous mis en place les mesures incitatives appropriées en ce qui concerne les revenus de retraite eu égard aux limites imposées aux comptes d’épargne libres d’impôt et aux limites imposées aux REER et aux pensions de retraite? Nous avons fait de l’excellent travail pour ce qui est de l’intégration des systèmes au Canada, contrairement aux États-Unis et à d’autres pays qui ont adopté des systèmes différents qui s’appliquent à des types différents d’employés. Nous nous en sommes très bien sortis à cet égard.

Nous devons aussi nous poser des questions sur l’ensemble de l’imposition des revenus de la propriété, des revenus d’investissement, des gains en capital et autres choses semblables. Est-ce que l’exonération cumulative des gains en capital devrait continuer? Existe-t-il un meilleur moyen d’offrir un encouragement à l’épargne retraite pour les petites entreprises, les agriculteurs, les pêcheurs et ainsi de suite?

Il y a toute une série de questions entourant la possibilité de réduire les distorsions dans le régime fiscal des sociétés et le régime fiscal des particuliers. C’est aussi une façon de rappeler aux administrations que certaines mesures incitatives qu’elles mettent en place ne donnent pas les résultats escomptés, comme le crédit d’impôt pour capital de risque de travailleurs, que j’ai été très déçu de voir adopter dans un budget en 2015, et ce, après toutes les études ayant montré à quel point ils sont dommageables pour les marchés du capital de risque. Pour ce genre de mesures, une étude telle que celle-ci devrait devenir, en quelque sorte, une bible pour les gouvernements, afin de leur rappeler les mesures qui fonctionnent, et celles qui ne fonctionnent pas.

[Français]

M. Brassard : Ce sont là plusieurs points de vue que je partage également. On a soulevé aussi, dans les grands thèmes de réforme, les questions liées à la famille. Le fractionnement du revenu existe ailleurs que dans les corporations. Les revenus de pension peuvent être partagés. Un fonctionnaire peut partager son revenu avec sa conjointe ou son conjoint, alors que d’autres personnes ne peuvent le faire. Dans les sociétés, si c’est organisé, on peut le faire aussi. Avec les réformes, c’est en partie ce qu’on veut gérer. En général, les fiscalistes sont d’accord à ce qu’il y ait des guides pour restreindre un peu cette pratique. Peut-être, comme le font d’autres pays, devrait-on avoir un revenu de conjoints ou de couple? C’est une réflexion qu’on devrait tenir. Au-delà de ce que M. Mintz a mentionné, je parle effectivement de revoir les taux d’impôt corporatifs et de revoir la TPS. Le rapport Godbout, au Québec, avait insisté beaucoup, afin de donner plus d’impact à la taxe à la consommation, sur le fait de revoir, un à un, tous les programmes. Il y a une multitude de crédits qui ne servent qu’à très peu de personnes et qui sont, en général, peu efficaces. Il s’agirait aussi de revoir la fiscalité personnelle.

Dans les corporations, effectivement, il faudrait se pencher sur l’exonération. Est-ce vraiment logique qu’un entrepreneur puisse partager 16 exonérations et les renvoyer à sa petite nièce de 4 ans qu’il a vue pendant 10 minutes? Ce n’est pas une blague, il est possible en ce moment de le faire. Ce sont des aspects avec lesquels les fiscalistes étaient d’accord, mais qu’ils ont toutefois abandonnés, ce qui est un peu bizarre. Pour l’exonération relative au gain en capital multiplié, il est normal que dans l’unité familiale on puisse en discuter. Je suis aussi un contribuable, et devant cette possibilité, je me dis que c’est un avantage.

Il y aurait des choses à revoir globalement pour ce qui est des sociétés et de la famille. Il faudrait revoir tous les crédits et les incitatifs qui ne donnent pas de résultats. La TPS et la TVQ seraient aussi une belle avenue à revoir. Bref, il faudrait quelque chose de plus global qu’une réforme faite à la hâte comme celle-ci.

M. Paquet : J’aimerais ajouter un point au sujet de la taxe à la consommation. L’élément un peu limité dans le rapport Godbout, c’est qu’on parle de la taxe à la consommation comme étant la TVQ ou la TPS. Pour revenir à la définition exposée plus tôt, la consommation, c’est le revenu, moins l’épargne. Autrement dit, si on déclarait notre revenu gagné et notre revenu épargné, la différence entre les deux serait le revenu dépensé. Taxer le revenu dépensé ne veut pas dire augmenter la taxe à la consommation ou la TPS. Les enjeux à la frontière sont les biens que l’on peut consommer au Canada, aux États-Unis ou ailleurs. Il y a deux façons d’élargir davantage la fiscalité de la consommation et de détaxer l’épargne, et donc d’encourager la croissance économique. Cela n’a pas été examiné de façon détaillée ou même préliminaire, notamment dans le cadre du rapport Godbout ou d’autres travaux au Canada. Il vaudrait la peine qu’on s’y intéresse.

Il ne s’agit pas nécessairement d’alourdir le fardeau fiscal des particuliers d’un point de vue global, mais plutôt de réduire les taux marginaux d’imposition effectifs. Un des problèmes, lorsqu’on parle de taxer les particuliers, c’est que les gens ont en tête les fourchettes d’impôts qui figurent dans les tables officielles d’impôts, que l’on trouve maintenant sur Internet ou encore en annexe aux formulaires d’impôt. On peut penser au taux effectif que quelqu’un paie, par exemple, avec les crédits d’impôt auxquels certains ont droit s’ils gagnent un revenu de 19 000 $ ou 20 000 $ – on ne parle pas de gens très riches. Lorsque le revenu augmente de 1 000 $, ils perdent droit à certains crédits d’impôt et redistributions de services soit fédéraux ou provinciaux. Le taux effectif marginal d’imposition est beaucoup plus élevé que le taux des tables officielles.

Au Québec, par exemple, on a mis en place un bouclier fiscal qui règle en partie le problème au niveau provincial. Cela ne règle pas tout, mais c’est un pas dans la bonne direction. Au niveau fédéral, à ce que je sache, il n’y a pas vraiment eu d’analyse détaillée récente sur cet enjeu. Il vaudrait la peine de s’y attarder, car le taux effectif d’imposition pour les gens qui gagnent 30 000 $ et pour qui il y aurait une augmentation de 30 000 $ à 31 000 $, c’est-à-dire une augmentation de 1 000 $, ferait en sorte que ces gens se retrouvent avec moins d’argent dans les poches, parce qu’ils vont perdre des crédits auxquels ils avaient droit. Ce n’est pas parce que les gens deviennent paresseux ou font quelque chose d’illégal. On les pénalise de vouloir une augmentation de salaire ou de travailler davantage. Cela a un impact sur l’économie, autant en matière d’efficacité que de redistribution. C’est aussi inéquitable. C’est donc un enjeu qui vaut la peine d’être réexaminé.

Lorsqu’on parle de défi, c’est de revoir et d’améliorer la cohérence du système de taxation indirect. Lorsqu’on parle des entreprises intermédiaires financières, telles les banques et autres institutions, des propositions ont été faites au FMI et dans le rapport Mirrlees qui parlent notamment de favoriser la mise en place d’une taxe sur le flux de trésorerie qui serait appliquée sur la rente économique des institutions financières, avant même que l’impôt des sociétés ne soit perçu. Il y a plusieurs méthodes qui mériteraient d’être regardées.

Il y a aussi la question de la taxation environnementale. C’est un élément important avec des objectifs louables. La plupart du temps, les taxes proposées par le gouvernement ont certains objectifs louables, mais on oublie l’impact global que cela amène.

M. Brassard : Évidemment, on n’a pas parlé de la question des paradis fiscaux, qu’on devrait attaquer de front. On parle ici de milliards de dollars. Au lieu de s’attaquer aux gens d’ici, on devrait peut-être consacrer notre énergie à cette question. On en parle de plus en plus, mais les gestes concrets ne sont pas toujours là.

Il ne faut pas oublier, dans toutes ces questions de réforme, de faire attention à la complexité. On parlait des taux effectifs marginaux d’imposition et, dans la réforme proposée, entre autres, pour les revenus passifs, c’est inimaginable, même pour des comptables, la complexité que cela peut impliquer en nombre d’heures de conformité, de tenue de livres, de perte de temps, d’inefficience et de discussions avec les gens de l’agence.

Lorsqu’on parle de quelque chose de « raisonnable », c’est une expression qui arrive de partout. « Raisonnable » signifie des procès en cour qui n’en finissent plus et des discussions avec les fonctionnaires sur ce que constitue un revenu raisonnable. Il faut faire attention à la question de la complexité. À la base, la fiscalité n’est pas simple, mais il faut que cela devienne un objectif. Sinon, on y perd beaucoup d’énergie.

La sénatrice Moncion : J’ai deux questions assez différentes. Il y a eu la crise des papiers adossés à des d’actifs de 2008 et, depuis cette période, il y a eu une diminution des prêts consentis par les institutions financières dans le milieu des entreprises. On a vu aussi une croissance importante des placements passifs dans les entreprises et des taux d’incorporation d’entreprise qui auraient pu mener aux échappatoires fiscales. Pouvez-vous commenter cette question, s’il vous plaît?

M. Brassard : Je pourrais soulever un point qui est traité dans un mémoire de mon collègue, Paul Ryan, sur le niveau des incorporations. On pense que c’est mal abordé, car, effectivement, depuis 10 ans, il y a davantage d’incorporations, parce que l’Office des professions du Québec l’a permis. La question à se poser est la suivante : qu’est-ce qui est anormal, la situation d’aujourd’hui ou celle d’avant? Pourquoi un cabinet d’avocat d’il y a 20 ans avec 30 employés ne pouvait-il pas s’incorporer? C’est plutôt la situation d’avant qui était anormale. Au Québec, on a permis aux professionnels de s’incorporer. Aujourd’hui, un professionnel, c’est un entrepreneur aussi. Il ne faut pas l’oublier. Donc, c’est sûr qu’il y a eu plus d’incorporations, parce que c’est permis aujourd’hui. Cela ne fait pas longtemps que c’est permis. Par le passé, ce n’était peut-être pas normal qu’il n’y ait pas autant de compagnies et qu’on fasse une discrimination sous prétexte qu’on était un bureau de comptable ou autre. Pourquoi n’étaient-ils pas traités comme des entrepreneurs? On peut parler des médecins, c’est un autre débat.

Lorsqu’on dit qu’il y a davantage d’incorporations aujourd’hui, c’est peut-être un retour à la normale. Ce sont des entrepreneurs au même titre que d’autres professions qui avaient le droit de s’incorporer. Donc, oui, il y a plus d’incorporations, mais est-ce incorrect qu’il y en ait davantage? Il ne faut pas les voir comme une nuisance.

La sénatrice Moncion : Ce n’est pas le cas.

M. Brassard : Cela amène plus de revenus. L’argent travaille plus. Peut-être que l’entrepreneur s’enrichit davantage, mais il donne 50 ou 60 p. 100 de son revenu en impôts. Les chiffres sont clairs.

Il ne faut pas voir cela comme un abus. Si l’on dit qu’un entrepreneur a le droit d’engager des employés, si l’on veut réduire les taux pour ceux qui n’engagent pas d’employés, comme l’a fait le Québec, en demandait 5 500 heures, cela devient une question de politique fiscale où l’on détermine que quelqu’un aura droit à un petit taux s’il génère des emplois. Mais le fait de refuser l’incorporation et de dire que ce n’est pas correct, c’est le retour à une situation anormale. Ce sont des entrepreneurs au même titre que les autres.

[Traduction]

M. Mintz : Pour commencer, en ce qui a trait à la question sur la période après 2009, l’un des concepts les plus nuisibles à avoir été élaboré est celui du capital oisif, qui traduit une incompréhension totale du rôle de la trésorerie et des bénéfices non répartis dans les sociétés.

En réalité, l’une des bonnes choses au sujet du Canada et de quelques autres pays, c’est que nos sociétés n’affichaient pas un niveau d’endettement très élevé lors de la crise financière de 2008. De ce fait, nous n’avons pas connu les faillites ni les autres répercussions qui se sont produites en Europe et aux États-Unis. Il y a quand même eu un ralentissement, et cela nous a fait passablement de tort, mais nos sociétés s’en sont beaucoup mieux tirées parce qu’elles pouvaient compter sur des liquidités.

Comme je siège à des conseils d’administration, je peux vous dire que j’ai consulté les données. On a constaté une croissance de la trésorerie, mais deux raisons expliquaient pourquoi les entreprises fonctionnaient de cette manière, à ce moment-là. En réalité, elles ne rachetaient pas nécessairement les actions. Elles gardaient leur capital parce qu’elles savaient qu’elles pourraient réaliser des acquisitions intéressantes ou des achats d’actifs lorsque le marché amorcerait sa reprise, et elles souhaitaient se doter de la marge de manœuvre pour pouvoir le faire. L’autre chose, c’est qu’elles s’inquiétaient réellement au sujet des liquidités au cas où l’économie connaîtrait un autre ralentissement important.

Les choses n’allaient pas très bien, même après 2009, du point de vue de la croissance générale de l’économie mondiale. On s’inquiétait pour l’Europe, qui traversait des tensions très difficiles après 2010. Les États-Unis se trouvaient toujours dans une période de reprise très lente. Les gens se demandaient s’ils n’allaient pas plonger de nouveau dans une récession. En 2012 ou 2013, nous avons connu un ralentissement qui n’a pas mené à une récession, mais ce ne fut pas une bonne année pour la croissance de l’économie mondiale. On sentait beaucoup de nervosité, et c’est l’une des raisons qui explique pourquoi les entreprises retenaient autant de trésorerie.

Quand on regarde les études économiques sur l’investissement, on constate que cela a été démontré à maintes reprises que les flux de trésorerie peuvent se révéler une importante source de financement par capitaux propres pour les sociétés, et effectivement, il s’agit de leur source de financement au meilleur compte. C’est l’un des arguments que je donnerais contre celui de la neutralité évoquée dans les propositions du 18 juillet. Certains ont fait valoir qu’en un sens, cela n’avait pas d’importance que l’argent soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la société. Mais, au contraire, cela a de l’importance. Lorsque les bénéfices non répartis sont conservés dans la société, cela lui procure une source de financement au meilleur compte en vue de l’expansion des investissements. De fait, bon nombre d’études ont montré que c’était bien le cas.

La théorie financière en fait beaucoup mention, parce que lorsque les entreprises doivent avoir recours au marché externe, soit en empruntant de l’argent ou en se procurant de nouveaux capitaux, les gens de l’extérieur ne connaissent pas la société aussi bien que ceux de l’intérieur. Compte tenu de cette asymétrie de l’information, elles ont tendance à exiger un rendement plus élevé sur les investissements en raison des risques potentiels. L’une des raisons pour lesquelles j’ai toujours été contre les nouvelles mesures incitatives en lien avec les capitaux propres, c’est parce qu’elles encouragent les mauvaises entreprises à entrer sur le marché, et qu’elles nuisent aux bonnes entreprises qui essaient de réunir des capitaux. Ces modèles montrent que si l’on s’attend à éprouver un problème d’information asymétrique sur les marchés, on pourrait souhaiter imposer le signal, et le signal est que seules les entreprises ne disposant pas de bonnes ressources internes vont sur les marchés pour trouver du financement. Si vous commencez à subventionner cela, vous allez encourager trop de mauvaises entreprises à venir sur le marché.

De fait, je pense que cet argument au sujet du soi-disant capital oisif est nuisible. Et j’ai trouvé honteux que des personnes haut placées aient eu recours à cet argument, d’autant que ce sont des gens qui comprennent comment fonctionnent les investissements effectués par les entreprises et les enjeux connexes.

L’une des raisons pour lesquelles les fiducies de revenu étaient un si mauvais véhicule pour le secteur des entreprises tient au fait qu’elles privaient les entreprises de leur trésorerie. Dès qu’un ralentissement se pointait à l’horizon ou qu’un compétiteur survenait et s’emparait de parts du marché, parce que la fiducie de revenu ne cessait de distribuer de l’argent à ses investisseurs, qui n’avaient pas de trésorerie, elles ont constaté qu’elles ne pouvaient pas se procurer d’argent auprès de sources extérieures, et se retrouvaient en fâcheuse position. Selon moi, l’une des meilleures choses qui se soit produite est l'Halloween 2006. Nous célébrons cet anniversaire aujourd’hui, mais à l’Halloween en 2006, nous nous sommes débarrassés de la structure des fiducies de revenu ou du moins, nous avons éliminé les mesures incitatives à leur égard. Si nous avions continué jusqu’en 2008 ou 2009, et si nous avions laissé de nombreuses fiducies de revenu continuer d’exercer leurs activités au Canada, nous nous serions retrouvés en très fâcheuse position dans ce pays, parce que de nombreuses compagnies se seraient retrouvées à court d’argent.

Pour ce qui est de la constitution en personne morale, il faut entreprendre une étude sérieuse à ce sujet, parce que je ne pense pas que nous comprenions les raisons pour lesquelles le nombre de constitutions en sociétés privées a tellement augmenté au fil des années. Il me vient à l’esprit au moins quatre bonnes raisons pour l’expliquer. Premièrement, il y a eu des changements sur le marché du travail et les entreprises ont embauché moins d’employés, en partie pour réduire les dépenses et se soustraire de tous les règlements qui y sont rattachés, et elles se sont plutôt tournées vers de la main-d’œuvre contractuelle. Si l’on engage de la main-d’œuvre contractuelle, bon nombre de travailleurs autonomes vont vouloir se constituer en société, peut-être pour des raisons d’ordre fiscal, mais aussi compte tenu de la responsabilité limitée qui vient avec, et aussi parce qu’ils souhaitent réduire les responsabilités qu’ils sont susceptibles de devoir assumer.

La deuxième raison est que depuis 2009, bon nombre de provinces ont permis aux professionnels — notamment les médecins, les avocats, les comptables, les chiropraticiens, les vétérinaires et les travailleurs sociaux — de se constituer en société. Cela ne met nullement fin à leurs responsabilités en matière de pratique, mais bien entendu, cela comporte d’autres aspects positifs en matière de responsabilité limitée. À titre d’exemple, j’ai vu mon médecin l’autre jour, et il m’a confié qu’à une certaine époque, il avait sa propre pratique privée. Il a mentionné qu’il avait alors neuf employés. Il ne pouvait retirer aucune somme tant que tout le monde n’avait pas été payé. Il ne pouvait donc pas mettre du pain et du beurre sur la table tant qu’il n’avait pas payé tous ses employés. On constate donc qu’il y a toujours un certain risque en cause, mais on a tendance à minimiser une partie de ce risque dans le cadre de la constitution en société, comparativement aux responsabilités inhérentes lorsque l’on n’est pas constitué en société.

Encore une fois, il se peut qu’il existe d’autres raisons sur le plan fiscal qui encouragent la constitution en société, mais étant donné que, tôt ou tard, les capitaux sont entièrement imposables lorsqu’ils sont retirés de la société, le véritable avantage pour les particuliers tient au fait que tant que l’argent est immobilisé dans la société, l’impôt est reporté.

La troisième raison, que nous avons tendance à oublier, est que de nombreuses corporations publiques ont été radiées et sont devenues des sociétés privées sous contrôle canadien. Cela se produit depuis le début des années 2000. De fait, depuis la loi Sarbanes-Oxley et les autres modifications qui lui ont été apportées, qui incitaient de nombreuses sociétés à devenir des sociétés privées, et si elles étaient directement ou indirectement sous contrôle canadien, elles devenaient des sociétés privées sous contrôle canadien. Je serais curieux de voir les données concernant le nombre de nouvelles sociétés qui deviennent des sociétés privées sous contrôle canadien; j’aimerais savoir combien parmi elles étaient de grande envergure, et par conséquent, susceptibles de produire un important revenu imposable.

La quatrième raison tient à la disparité qui existe entre les taux d’imposition des sociétés et des particuliers. Il faut se rappeler, si on remonte jusqu’en 2000, que le taux maximal d’imposition des particuliers à l’époque se situait autour de 46 p. 100, et que le taux d’imposition des petites entreprises était d’un peu moins de 20 p. 100. Il y avait déjà un écart de 26 p. 100 dans les taux d’imposition à l’époque. Il est vrai que cet écart s’est creusé encore davantage, mais la vraie question est, quelle part de cette hausse est due à cela, plutôt qu’à d’autres facteurs? Il nous faut une étude sur ce sujet plutôt que de tenter de sauter aux conclusions et d’adopter des politiques sans connaître vraiment tous les faits.

[Français]

M. Paquet : L’exemple qui vient d’être donné illustre bien toute la question de l’économie, qui est de plus en plus une économie de services à bien des égards, une économie très diversifiée, et toute la question de ce qu’est véritablement un revenu passif sur le type de services. Il y a une série d’enjeux à considérer.

C’est tout à fait compatible avec la réflexion des économistes sur la question d’une taxe sur un excédent de rendement normal. Tout un débat pourrait être soulevé sur ce sujet. En parallèle ou, enfin, en s’auto-alimentant, d’un côté la science économique a évolué dans une direction, d’un autre côté l’économie réelle a aussi évolué dans une autre direction, ce qui demande une réflexion plus globale.

[Traduction]

La sénatrice Moncion : Vous avez également mentionné qu’il y aura une réforme du régime fiscal aux États-Unis cette année. Est-ce que nos voisins ne font que commencer le travail ou ont-ils déjà commencé depuis plusieurs années, et s’apprêtent-ils à mettre la réforme en œuvre? Vous avez indiqué qu’une fois qu’ils auront effectué leur réforme, cela pourrait avoir une incidence majeure sur ce qui se fait ici, au Canada. J’aimerais bien comprendre ce que vous entendez par là.

M. Mintz : Les républicains ont amorcé les travaux à cet égard avant les élections de 2016, et cela s’est traduit dans le projet de budget présenté à la Chambre l’an dernier. Il s’agit d’un document brillant dans lequel on affirme que le taux d’imposition des sociétés passera, au niveau du gouvernement fédéral, de 35 à 20 p. 100, et que les taux d’imposition sur les revenus des entreprises et des particuliers seront plus bas. Il était également question d’inclure ce que l’on appelle des « instruments d’ajustement frontalier », mais lorsque l’on entre dans les détails, on constate qu’il s’agissait d’un moyen détourné d’introduire aux États-Unis une taxe sur la valeur ajoutée sans l’appeler par son nom, parce que ce ne serait jamais accepté si on la qualifiait ainsi. Bien entendu, cela ne s’est pas produit. Mais l’an dernier, un groupe de membres républicains de la Chambre des représentants, du Sénat et de l’administration ont travaillé ensemble — dont quelques sénateurs et membres clés de la Chambre des représentants du parti républicain, ainsi que des employés de la Maison-Blanche — ont travaillé sur la réforme fiscale.

Nous allons être à même de constater mercredi les résultats de ces travaux menés l’année dernière, lorsque la Chambre présentera un plan détaillé pour la première fois. Les plans qui avaient été présentés auparavant — et on peut difficilement les qualifier de plans, mais plutôt d’intentions — en vue d’abaisser les taux d’imposition, de réduire le nombre de tranches ainsi que d’apporter quelques modifications, ne comportaient pas beaucoup de précisions quant aux moyens retenus pour élargir l’assiette fiscale.

Ce sur quoi l’on s’est entendu, toutefois, c’est que l’on acceptera — au Sénat, mais aussi à la Chambre — une perte de 1,5 billion de dollars en revenus au cours des 10 prochaines années. Ces mesures figurent dans le budget qui a été adopté depuis par la Chambre et le Sénat. Mais actuellement, la perte de revenus associée aux réductions du taux d’imposition des sociétés et des particuliers se chiffre à plus de 5 billions de dollars sur 10 ans. L’administration devra combler le manque à gagner.

Diverses solutions sont examinées, par exemple, une taxe ponctuelle sur ces énormes sommes d’argent conservées à l’étranger, soit des liquidités de 2,5 billions de dollars appartenant à des multinationales américaines à l’étranger. De fait, une taxe de 5 p. 100 permettrait d’amasser un joli magot de revenus sur 2,5 trillions, ou même de 10 p. 100, et c’est de cela qu’il est question. Le gouvernement américain envisage de faire disparaître une série de déductions et de crédits d’impôt. Il est question de réduire éventuellement les taux d’imposition des particuliers, mais aussi d’introduire une nouvelle tranche supérieure de l’impôt sur le revenu qui pourrait être fixée à plus de 1 million de dollars et pour laquelle le taux d’imposition serait effectivement — au niveau du gouvernement fédéral, plutôt que de 39,6 p. 100, il pourrait atteindre un chiffre encore plus élevé, dans les 40 p. 100. Ce taux s’appliquerait au revenu imposable supérieur à 1 million de dollars. Juste un petit rappel, en dollars américains, notre taux d’imposition supérieur s’applique aux alentours de 160 000 $. Vous voyez qu’il y a une différence notable.

La Chambre représente seulement la première étape, et compte tenu de l’adoption du budget, le projet de loi sur le régime fiscal pourrait être adopté par le Sénat avec une majorité simple de 50 voix, en vertu de la procédure de réconciliation mise en place. La Chambre des représentants prévoit adopter quelque chose d’ici la fête de l’Action de grâces aux États-Unis. Nous verrons si cela se concrétise. Par la suite, le projet de loi sera renvoyé au Sénat qui mènera ses propres études, et pour finir, on trouvera un compromis entre la Chambre et le Sénat. Les Américains espèrent avoir conclu l’ensemble du processus d’ici janvier, mais franchement, je doute qu’ils y parviennent dans un laps de temps aussi court.

La sénatrice Andreychuk : Je vous remercie tous d’avoir réuni des arguments irréfutables pour nous prouver que parfois, en voulant corriger un problème, on ne parvient qu’à en créer beaucoup d’autres et que le moment est venu de nous pencher sur tout le système, pas seulement pour le rendre plus équitable, mais aussi pour qu’il soit compétitif dans tout le pays. Je pense que c’est le message que vous essayez de nous transmettre.

J’aimerais revenir à la question de la politique publique avec laquelle toute cette discussion a démarré. Certains ont déclaré qu’il était injuste de pouvoir se constituer en personne morale et de payer moins d’impôt que les salariés. C’est vraiment ce que les gens me disent sans arrêt; ils me répètent qu’ils trouvent cela injuste que j’aie pu me constituer en personne morale, et ils font la comparaison entre un employé salarié et un particulier doté de la personnalité morale. L’essentiel de leur revendication est cette latitude accordée à certains professionnels. D’autres ont déclaré que c’était peut-être pour pouvoir lever des impôts ou des taxes, et vous nous avez fourni encore d’autres raisons.

Dans le cas présent, il faut établir si les mesures prises par le gouvernement ont été utiles ou nuisibles, et formuler des recommandations. Quel est l’enjeu de politique publique dont nous devons nous occuper en priorité dans le cadre de l’évaluation de ces modifications?

M. Mintz : Permettez-moi de vous dire — et je reviens sur un point que j’ai déjà mentionné — que lorsque le taux d’imposition pour la tranche la plus élevée est passé de 29 à 33 p. 100, le gouvernement n’a pas récolté beaucoup de recettes fiscales en 2016. De bonnes raisons expliquent cette situation. De fait, beaucoup de gens avaient anticipé que le taux supérieur allait monter d’un cran et ils ont opté pour la capitalisation de leur entreprise ou encore, ils ont inscrit leurs gains en capital en 2015 et ont payé l’impôt à ce moment-là à un taux moindre. Ils ont aussi fait en sorte que leur corporation verse des dividendes et ils ont sorti leurs bénéfices non répartis pour éviter de se retrouver dans la tranche supérieure d’imposition. C’est l’une des explications du manque à gagner pour le gouvernement. Selon moi, ce fut en partie motivé par des questions de revenus. Le gouvernement était déçu du fait qu’en voulant serrer la vis aux personnes à revenu élevé, il n’avait pas obtenu les résultats escomptés, ce qui n’a rien de vraiment surprenant.

C’est devenu un enjeu d’équité, parce que l’objectif consistait à faire payer les riches davantage. J’ai fait un petit calcul. Les particuliers qui gagnent plus de 100 000 $ par année, ce qui représente près de 7,8 p. 100 des contribuables au Canada, paient plus de la moitié des impôts des particuliers au fédéral et au provincial, alors on peut s’interroger sur la question de l’équité. Peu importe comment vous faites le calcul, le Canada s’est doté d’un régime fiscal progressif. La vraie question est la suivante : voulons-nous faire en sorte qu’il soit plus progressif encore ou autre chose?

Il est certain que l’équité est devenue un élément important, mais les recettes fiscales comptent aussi pour beaucoup. Ce que l’on semble avoir oublié, et qui me ramène à mon point, c’est la croissance. Quand on commence à frapper même les riches avec des impôts plus élevés, cela risque d’avoir des répercussions sur l’économie, et je pense que cela nous ramène à certains commentaires formulés par Alain au sujet du coût marginal des fonds publics et de l’incidence sur l’économie. De fait, comme l’ont illustré de nombreuses études — notamment, celle de ma collègue, Bev Dahlby, de l’Université de Calgary —, lorsque l’on hausse les impôts, cela entraîne des coûts très élevés pour l’économie, surtout lorsque le taux d’imposition marginal est très élevé pour les particuliers, parce que les gens tentent alors de se soustraire à l’impôt, et c’est ce que les études sur le sujet montrent.

J’essaie de faire valoir qu’il faut envisager la réforme fiscale sur une plus grande échelle. Il faut en outre se rappeler qu’une bonne politique fiscale comporte plusieurs objectifs, pas seulement l’équité ou la production de recettes. En réalité, habituellement, l’exercice se déroule comme suit : le gouvernement a besoin d’un certain montant à dépenser, et c’est ce qui détermine le montant des recettes fiscales qu’il souhaite récolter, autrement dit, le montant qu’il voudrait pouvoir dépenser. Après cela, il faut déterminer quelle est la meilleure structure d’imposition pour en arriver à ce montant de recettes, et c’est l’angle sous lequel il faut envisager une réforme fiscale.

[Français]

M. Brassard : Être équitable ne veut pas dire être égal.

Lorsqu’on compare un entrepreneur et un employé, il faut faire attention d’arriver à des conclusions rapides pour dire que cela doit arriver. Il y a des questions de risques. On parlait de croissance et on se rend compte que, avec les compagnies privées, la société canadienne ne se prive pas de revenus. C’est ce qu’on essaie de démontrer. Il y a davantage d’entrées fiscales si on laisse les gens participer à la croissance grâce à leurs projets. Il faut que cela arrive égal et, pour cela, on pénalise plein de monde et l’ensemble de la population, finalement.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie beaucoup pour vos déclarations. Elles nous sont très utiles.

J’ai beaucoup de questions à poser, mais nous manquons de temps. L’une des choses qui m’ennuie, c’est le revenu passif. Professeur Mintz, vous avez abordé la question. La manière dont le ministre et d’autres personnes ont décrit le revenu passif est insultante, parce que si vous êtes en affaires, il arrive fréquemment, comme vous l’avez mentionné, que l’on mette de l’argent de côté, soit en vue de prendre de l’expansion, ou pour la retraite, ou pour d’autres fins. Comment définiriez-vous le « revenu passif »? J’ai beaucoup d’autres questions, mais je vais m’en tenir à celle-ci.

M. Mintz : Eh bien, je ne vais pas…

La sénatrice Jaffer : Permettez-moi de vous dire comment je le définirais. J’ai grandi au sein d’une famille de petits gens d’affaires. Mon père mettait de l’argent de côté pour pouvoir prendre de l’expansion parce que les banques n’étaient pas disposées à assumer le risque pour le genre de projet qu’il souhaitait mettre de l’avant. En tant que petits gens d’affaires, dans ma famille, nous économisions afin de pouvoir prendre les risques que les banques n’étaient pas prêtes à assumer avec nous.

M. Mintz : Très bien, je pense que l’expression elle-même « revenu passif » véhicule une certaine forme de propagande. C’est d’ailleurs pour cette raison que parfois on utilise plutôt l’expression « revenu d’investissement ». Le régime fiscal fait bien la distinction entre le revenu provenant d’une entreprise exploitée activement, qui est tiré de l’effort de travail, et les investissements réels et d’autres éléments comme les machines et la rançon des affaires. Revenu de la propriété, revenu de placement ou revenu passif qualifient plutôt les revenus de vos investissements et portefeuilles, et ils n’ont pas réellement d’incidence sur votre entreprise.

J’aime rappeler à mes interlocuteurs que ce sont les bénéfices non répartis dans une corporation dont il est question. Je pense que si on dit souhaiter imposer davantage les bénéfices non répartis, cela semble beaucoup plus problématique que si on dit vouloir imposer le revenu passif, ce qui sonne comme si vous disiez : « Vous n’avez pas réellement besoin de ce revenu. Il ne sert à rien. Il est un revenu passif. C’est de l’argent oisif. »

C’est la raison pour laquelle j’aime rappeler à mes interlocuteurs qu’il s’agit effectivement d’un impôt sur les bénéfices non répartis, parce que nous savons que les bénéfices non répartis dans une corporation comportent tous les aspects positifs que vous venez de mentionner. Ils permettent en effet de donner de l’expansion à l’entreprise, d’obtenir du crédit à bon compte, de se constituer une réserve en cas d’imprévus, et autres usages semblables. C’est la raison pour laquelle les bénéfices non répartis existent dans les corporations, et aussi pourquoi ils jouent un rôle très important.

Je me suis penché sur les sociétés ouvertes, et si vous calculez leur revenu passif non réparti ou leurs bénéfices non répartis, le revenu qu’elles tirent de leurs bénéfices non répartis tourne autour de 11 ou 12 p. 100 du revenu provenant d’une entreprise exploitée activement. Pour les petites entreprises, le taux est de 16 p. 100. Donc, il est un peu plus élevé dans les sociétés privées, mais je ne dirais pas que c’est exceptionnellement élevé.

La sénatrice Cools : Tout d’abord, j’aimerais remercier chacun d’entre vous de partager avec nous votre lucidité et vos années de recherche sur ces questions.

Ma question s’adresse à M. Mintz. Monsieur, votre mémoire à notre intention se termine par la phrase suivante : « J’ai bien peur que nous soyons allés dans la mauvaise direction avec les propositions du 18 juillet. » Je pense que beaucoup de gens sont d’accord avec vous. Sans devoir consulter une boule de cristal, pensez-vous qu’il existe une possibilité raisonnable que le gouvernement abandonne la direction qu’il a empruntée et opte pour une nouvelle approche?

M. Mintz : Je ne peux pas parler pour le gouvernement ou au sujet des politiques qu’il entend prendre, mais la règle relative au revenu passif doit être abandonnée. Ça ne marchera jamais. Et cela nuira considérablement à l’économie. Il faut laisser tomber. Finalement, il ne reste plus que la proposition relative au fractionnement du revenu, et je suis toujours convaincu que c’est une mauvaise idée de l’appliquer aux conjoints. Si on retire ce volet aussi, il ne reste en fin de compte que la proposition en lien avec l’imposition des dividendes versés aux enfants et à l’appliquer aux enfants adultes.

La sénatrice Cools : Hier soir, j’assistais avec le sénateur Oh à une réunion de personnes relativement à l’aise, et j’ai senti que le malaise et l’anxiété sont profonds. On sent que la population canadienne commence à se méfier du gouvernement. Ce n’est jamais une bonne chose. En tout cas, je vous remercie beaucoup pour vos opinions.

Le président : Je vous remercie, honorables sénateurs. Je remercie aussi beaucoup les témoins d’être venus partager avec nous leurs recommandations et leurs commentaires éclairés.

(La séance est levée.)

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