Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule n° 44 - Témoignages du 1er novembre 2017 (séance du soir)
OTTAWA, le mercredi 1er novembre 2017
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 15 h 30, afin de poursuivre son étude sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées.
[Français]
Le sénateur Mockler : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Aujourd’hui, nous entamons la 12e réunion publique portant sur l’étude des modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées.
Aujourd’hui, nous avons l’honneur d’accueillir le ministre, M. Morneau, et son sous-ministre, M. Rochon.
[Traduction]
Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, président du comité.
J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux présents ici dans la salle, de même qu’aux téléspectateurs de l’ensemble du pays qui nous regardent à la télévision ou en ligne. Je rappelle à nos auditeurs que les audiences du comité sont publiques et accessibles en ligne sur SenCanada.ca, le site web du Sénat.
Je demanderais maintenant à tous les sénateurs de se présenter, à commencer par le sénateur qui se trouve à ma gauche.
Le sénateur Black : Monsieur le ministre, monsieur le sous-ministre, je suis le sénateur Doug Black, de l’Alberta.
[Français]
Le sénateur Éric Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.
Le sénateur André Pratte : André Pratte, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Moncion : Sénatrice Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.
La sénatrice Cools : Anne Cools, de Toronto, en Ontario.
Le sénateur Mockler : Je vous présente également la greffière du comité, Gaëtane Lemay, et nos deux analystes, Sylvain Fleury et Alex Smith, qui aident le comité dans ses travaux.
[Français]
Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur les modifications proposées, au cours de l’été 2017, par le ministre des Finances du Canada à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées.
[Traduction]
Aujourd’hui, honorables sénateurs, nous recevons l’honorable Bill Morneau, ministre des Finances du Canada.
Il est accompagné de son sous-ministre, M. Paul Rochon.
Honorables sénateurs, vous aurez tous l’occasion de poser une question et une question supplémentaire au besoin, et vous disposerez de cinq minutes pour le faire. Je demanderais au ministre de ne pas prendre trop de temps et de répondre brièvement aux questions. J’interviendrai au besoin pour donner à tous l’occasion de participer à la réunion.
Monsieur Morneau, vous pouvez faire votre déclaration préliminaire. Les sénateurs vous poseront ensuite des questions.
[Français]
Encore une fois, monsieur Morneau, nous vous remercions de votre présence. La parole est à vous.
[Traduction]
L’honorable Bill Morneau, C.P., député, ministre des Finances : Merci. Honorables sénateurs, je suis heureux d’être ici aujourd’hui. Je vous remercie de prendre le temps d’étudier les propositions du gouvernement qui visent à appuyer les petites entreprises et à améliorer l’équité fiscale pour la classe moyenne et tous les Canadiens.
[Français]
Ces changements font partie de nos efforts pour renforcer la classe moyenne et assurer une croissance économique forte.
[Traduction]
Le gouvernement est d’avis que les petites entreprises sont le pilier de notre économie; c’est pourquoi nous avons récemment annoncé notre intention de réduire le taux d’imposition des petites entreprises à 10 p. 100 dans deux mois, puis à 9 p. 100 un an plus tard, le 1er janvier 2019.
Nous voulons faire tout en notre pouvoir pour aider les petites entreprises à croître et à créer de bons emplois pour les Canadiens, mais nous devons aussi veiller à ce que notre système d’imposition soit juste.
Le système dont nous avons hérité encourage les personnes qui réussissent déjà à se doter de la personnalité morale simplement pour payer moins d’impôts personnels. Cette situation, nous le savons, est injuste et nous voulons la régler.
[Français]
Nous devons nous assurer que les avantages d’un taux d’imposition de 9 p. 100 aillent aux entrepreneurs et aux petites entreprises et non aux mieux nantis de notre pays à des fins d’avantages fiscaux.
[Traduction]
Les mesures que nous proposons, et qui sont abordées dans notre énoncé économique de l’automne, permettront de veiller à ce que le statut de société privée sous contrôle canadien ne soit pas uniquement utilisé pour réduire les obligations fiscales personnelles des contribuables à revenu élevé, mais plutôt pour encourager les petites entreprises.
Il importe de souligner que la vaste majorité des sociétés privées du Canada ne seront pas touchées par les mesures proposées par le gouvernement. Comme vous le savez peut-être, nous avons tenu au cours de l’été et de l’automne des consultations sur les stratégies de planification fiscale utilisées par les sociétés privées et nous avons entendu les entreprises, les professionnels et les intervenants de partout au pays. Ils nous ont demandé de veiller à ce que les changements que nous proposons n’entraînent pas de conséquences imprévues.
Ce que je peux vous dire, c’est que nous les avons écoutés.
[Français]
Les mesures que nous proposons reflètent les commentaires recueillis aux quatre coins du pays.
[Traduction]
Je veux vous présenter les changements que nous allons apporter à notre plan, qui sont le résultat direct de nos consultations auprès des Canadiens.
Tout d’abord, en ce qui a trait au fractionnement du revenu, le gouvernement entend simplifier la proposition visant à restreindre la capacité des propriétaires de sociétés privées de réduire leurs impôts personnels en répartissant leur revenu parmi les membres de leur famille. Nous allons toutefois veiller à ce que les changements n’affectent pas les membres de la famille qui contribuent de manière significative aux petites entreprises.
En ce qui a trait au revenu de placement passif, nous avons l’intention d’aller de l’avant avec les mesures qui limitent les possibilités de report de l’impôt offertes aux sociétés privées. Toutefois, nos consultations nous ont fait comprendre à quel point les propriétaires de petites entreprises se fiaient à ces investissements passifs, non pas seulement pour leur entreprise, mais aussi pour leur famille dans de nombreux cas.
Alors que nous irons de l’avant avec ces mesures, nous allons veiller à offrir une plus grande souplesse aux propriétaires d’entreprises en ce qui a trait à l’épargne au sein de leur société privée. Cette souplesse leur permettra d’amasser un coussin de sécurité qu’ils pourront utiliser en fonction de leur situation, que ce soit pour l’expansion de l’entreprise, des besoins personnels comme un congé parental ou la retraite.
Dans le cadre de nos consultations avec les Canadiens, nous avons aussi entendu les investisseurs qui appuient les entrepreneurs et innovateurs du pays. Pour répondre à leurs préoccupations, notre approche veillera à ce que les investisseurs en capital de risque et les investisseurs providentiels continuent d’investir dans la prochaine génération de Canadiens novateurs.
Enfin, nous avons entendu les agriculteurs et les pêcheurs de partout au pays. Nous tenons à les protéger. Nous voulons aller de l’avant d’une manière qui leur permettra de protéger leur capacité de léguer leur entreprise à leurs enfants. Nous n’allons donc pas adopter les modifications visant la conversion des revenus en gains en capital.
[Français]
Je tiens à remercier les Canadiens et les Canadiennes qui nous ont fait part de leurs commentaires.
[Traduction]
Le plan du gouvernement — renforcer la classe moyenne et s’assurer que les Canadiens disposent du soutien, des ressources et de la confiance dont ils ont besoin pour réussir, créer des emplois et assurer la croissance de notre économie — fonctionne. Nous avons fait beaucoup de progrès au cours des dernières années.
J’ai témoigné pour la première fois devant le comité en juin 2016. À ce moment-là, le Canada ressentait encore les effets de la grande récession de 2008 et de 2009, bon nombre d’années plus tard.
[Français]
Nous avons actuellement une économie qui a la croissance la plus élevée de tous les pays du G7.
[Traduction]
Nous prévoyons une croissance de 3,1 p. 100 cette année au Canada. Le taux de chômage du pays est à son plus bas en 10 ans. L’économie du Canada a créé plus de 450 000 emplois depuis 2015; nous devrions être très fiers du faible taux de chômage dont je viens de parler.
De plus, l’Allocation canadienne pour enfants présentée par le gouvernement a aidé environ 300 000 enfants canadiens à se sortir de la pauvreté. À la fin de cette année, on aura réussi à réduire la pauvreté infantile d’environ 40 p. 100 par rapport à 2013.
[Français]
Notre gouvernement a fait des investissements historiques en infrastructure, a bonifié le Régime de pensions du Canada et a mis plus d’argent dans les poches des personnes âgées à faible revenu.
[Traduction]
Nous avons doublé le nombre d’emplois financés par le programme Emplois d’été Canada et avons pris des mesures pour promouvoir un marché du logement dynamique au pays. Nous savons que l’économie est en croissance et que notre plan fonctionne, mais il y a encore beaucoup à faire.
Comme je l’ai annoncé dans notre énoncé économique de l’automne, le gouvernement augmentera l’Allocation canadienne pour enfants afin qu’elle suive l’augmentation du coût de la vie. À compter de juillet prochain — soit deux ans plus tôt que prévu —, les montants de l’allocation, qui sont à l’abri de l’impôt, augmenteront chaque année en fonction de l’inflation. Pour l’année 2019-2020, les prestations offertes aux parents seuls dont le revenu annuel est de 35 000 $ et qui ont deux enfants augmenteront de 560 $, ce qui les aidera à couvrir les coûts liés à l’éducation des enfants.
Nous avons aussi promis d’accroître la prestation fiscale pour le revenu de travail afin d’offrir plus de soutien et de possibilités aux personnes qui travaillent fort pour rejoindre la classe moyenne. Le gouvernement propose d’augmenter cette prestation de 500 millions de dollars par année, à compter de 2019.
Nous voulons continuer de travailler pour créer de bons emplois et réduire davantage le taux de chômage au pays.
Cela s’ajoute à l’augmentation annuelle d’environ 250 millions de dollars qui devrait entrer en vigueur en 2019 dans le cadre des améliorations apportées au Régime de pensions du Canada négociées avec les provinces en 2016.
Ensemble, ces mesures augmenteront les dépenses totales du gouvernement relatives à la prestation fiscale pour le revenu de travail d’environ 65 p. 100 en 2019.
Nous tenons aussi à vous dire, à vous et aux Canadiens, que nous investissons de manière responsable. Nous avons le plus bas ratio de la dette par rapport PIB de tous les pays du G7 et, selon l’enquête auprès des économistes du secteur privé de septembre 2017, le ratio de la dette nette par rapport PIB pourrait être à son plus bas depuis 1977 d’ici cinq ans.
Les modifications proposées que vous étudiez contribueront à un régime fiscal plus juste.
[Français]
Dans un souci d’équité fiscale pour la classe moyenne, notre gouvernement compte réduire le taux d’imposition des petites entreprises en le faisant passer à 9. p. 100 par rapport au taux de 2015, qui était à 11 p. 100.
[Traduction]
La réduction du taux d’imposition des petites entreprises à 9 p. 100 permettra à la petite entreprise moyenne d’économiser 1 600 $ par année et permettra ainsi aux entrepreneurs et aux innovateurs de réinvestir dans leur entreprise, dans l’emploi et dans notre pays.
[Français]
C’est notre devoir, en tant que parlementaires, d’assurer que les bienfaits d’une économie en croissance soient partagés avec la classe moyenne.
[Traduction]
Je tiens une fois de plus à vous remercier de m’avoir invité à vous parler de notre plan. Je serai heureux de répondre à vos questions.
[Français]
Le sénateur Mockler : Je vous remercie, monsieur le ministre.
[Traduction]
La sénatrice Marshall : Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur le ministre.
Je voulais revenir à votre déclaration préliminaire pour commencer. Vous avez dit que les petites entreprises étaient le pilier de notre économie. Les modifications que vous proposez affecteront les petites entreprises de manière considérable. Vos représentants ont témoigné devant le Comité sénatorial des finances plus tôt et nous ont dit que votre ministère n’avait pas procédé à une analyse de l’incidence économique des modifications fiscales proposées.
Les propositions d’origine, que vous avez présentées en juillet, ont dû être considérablement modifiées. Je crois que deux d’entre elles ont été tablettées. Tout cela a grandement affecté la crédibilité du gouvernement et de votre ministère.
De plus, lorsqu’ils ont témoigné, les propriétaires de petites entreprises et les experts en fiscalités ont dit que les petites entreprises étaient confrontées aux graves répercussions des modifications fiscales. Ils voient aussi un ralentissement de l’économie à l’horizon. Ils prévoient une augmentation des taux d’intérêt. De plus, l’ALENA est incertain. Ce sont là quelques exemples des conséquences négatives à venir.
De façon spécifique, les règles relatives au revenu passif affecteront considérablement les petites entreprises, et nuiront grandement à l’économie.
Ma question est la suivante : pourquoi le ministère des Finances n’a-t-il pas réalisé une analyse approfondie des répercussions économiques de ces changements avant de les présenter en juillet? Il aurait ainsi pu s’éviter de devoir modifier les propositions et de devoir en tabletter certaines, ce qui est gênant.
M. Morneau : Je vous remercie de votre question. Vous avez abordé de nombreux sujets. J’aimerais d’abord parler de la situation actuelle des petites entreprises — et de toutes les entreprises — du Canada.
Je sais qu’en début d’année, les propriétaires d’entreprises se préoccupent d’attirer les clients et de faire croître leur entreprise. Le taux de croissance de notre économie est le plus élevé de tous les pays des G7, ce qui est encourageant. Nous avons créé plus de 450 000 nouveaux emplois au cours des dernières années; c’est aussi encourageant.
Les mesures que nous avons prises et celles que nous souhaitons mettre de l’avant — qui font l’objet d’une étude par le Sénat — auront une incidence positive sur les petites entreprises. La plus importante conséquence est bien sûr la réduction du taux d’imposition de toutes les petites entreprises. Je parle ici de toutes les entreprises dont les profits nets sont de 500 000 $ ou moins. Comme elles devront payer moins d’impôts, elles pourront investir davantage.
Ce sera le cas pour toutes les entreprises. Bien sûr, comme vous le savez, environ 85 p. 100 des petites entreprises n’ont aucun investissement passif. Elles profiteront d’une baisse d’impôt et leur revenu de placement passif ne sera pas touché. Or, le pourcentage d’entreprises qui se retrouveront dans une situation positive est encore plus important. En effet, environ 97 p. 100 des petites entreprises n’atteindront pas le seuil que nous avons fixé.
Nous savons qu’environ 1,7 ou 1,8 p. 100 des petites entreprises du pays sont des entités constituées en personne morale. C’est donc environ 29 000 entreprises sur un total de 1,8 million. Ce sont elles qui détiennent environ 80 p. 100 des investissements passifs du pays. Donc, pour ces entreprises, nous disons que les possibilités de report d’impôt se limitent à 1 million de dollars pour l’avenir ou à environ 50 000 $ de revenus de placement par année.
En ce qui a trait aux conséquences, nous croyons qu’elles seront très positives pour toutes les petites entreprises et, bien sûr, que le régime fiscal sera plus équitable parce que nous n’offrirons pas d’avantages à ce petit ensemble d’entreprises qui profitent des possibilités de report d’impôt dont les autres Canadiens ne peuvent profiter.
La sénatrice Marshall : Les propriétaires de petites entreprises auxquels nous avons parlé ne partagent pas votre optimisme. Je vous remercie de votre commentaire, mais ce ne sont pas uniquement les modifications fiscales qui les préoccupent. Ils s’inquiètent aussi de la façon dont elles seront mises en œuvre et du fait que le ministère des Finances n’a pas fait le travail préparatoire qu’il aurait dû faire avant de procéder.
J’aimerais aussi vous poser une question au sujet d’une entrevue que vous avez accordée au Globe and Mail plus tôt cette année, dans laquelle vous dites que le gouvernement visait des milliards de dollars « d’argent qui dort ». Lorsqu’on lit l’article, on comprend que vous parlez des bénéfices non répartis des entreprises. Vous avez fait référence à la récession de 2008. Les entreprises canadiennes ont su passer au travers parce qu’elles avaient un coussin de sécurité. Avec vos propositions, vous forcez les sociétés à verser des impôts supplémentaires sur le revenu passif au-delà d’un certain montant. Or, il ne faut pas oublier que ces bénéfices non répartis permettent aux propriétaires d’accroître leur entreprise et d’obtenir un meilleur taux de crédit. C’est un coussin de sécurité pour les imprévus.
Pourquoi parlez-vous continuellement d’argent qui dort?
M. Morneau : Bien entendu, nous savons qu’il est important de nous assurer que notre politique fiscale incite les entreprises à faire ce que, à mon avis, chacun d’entre nous souhaite, c’est-à-dire investir dans notre économie, créer des emplois et favoriser une croissance économique durable.
Nous avons constaté qu’à l’heure actuelle, le système incite des gens à conserver leur argent, ce qui, évidemment, s’explique par la différence entre le taux d’imposition des petites entreprises et celui des particuliers.
Nous souhaitons ardemment encourager les gens à conserver de l’argent dans leur société privée s’il est investi dans leurs activités. Voilà en fait notre objectif.
La réduction du taux d’imposition des petites entreprises leur permettra de réinvestir davantage dans l’entreprise. Toutefois, nous voulons nous assurer que parallèlement, nous ne créons pas des avantages particuliers pour les gens qui réussissent déjà bien auxquels personne d’autre ne peut accéder. Ainsi, nous voulons éviter les situations où une personne qui démarre une petite entreprise constate qu’une personne qui a déjà une entreprise est en mesure de conserver beaucoup d’argent, non pas pour le réinvestir dans l’entreprise, mais pour sa retraite ou pour son épargne personnelle; c’est un comportement que nous ne voulons pas encourager.
Nous croyons avoir trouvé un équilibre. Nous avons abaissé le taux d’imposition des petites entreprises de sorte qu’elles puissent investir davantage, mais nous avons mis une limite pour ce qui est des revenus d’investissements passifs qui correspond aux besoins de la grande majorité, soit plus de 95 p. 100 des entreprises. Les sociétés privées qui ont plus d’argent pourront continuer à investir dans leurs activités. Or, ce sont les investissements passifs qu’elles pourront avoir.
La sénatrice Marshall : Le seul problème à cet égard…
Le sénateur Mockler : Merci, sénatrice. Nous devons passer à un autre sénateur, s’il vous plaît.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci, monsieur le ministre, de votre présence à notre comité. Ce sujet préoccupe énormément la population canadienne. De votre côté, selon nos informations, vous avez reçu plus de 21 000 mémoires à la suite de l’annonce de cette réforme. De notre côté, après plus de 12 réunions, les membres de notre comité ont entendu un grand nombre de témoins qui sont préoccupés par cette réforme, plus particulièrement en ce qui a trait à quatre grands thèmes : le revenu de placements passifs, la répartition et le fractionnement du revenu, le transfert intergénérationnel et le gain en capital.
Comme vous le savez, notre comité s’apprête à faire une tournée dans l’Est et l’Ouest du Canada. Bien que les modifications que vous avez apportées à votre projet de loi aient apporté un peu d’optimisme, nous pensons que l’interprétation des balises et des règles d’interprétation de la loi fera l’objet de grandes préoccupations. C’est ce que nous avons vécu jusqu’à maintenant au sein de notre comité. Dans le but de produire un rapport pertinent et précis et afin de vous aider à bonifier ce texte de loi, nous aimerions être en mesure de fournir quelques règles d’interprétation plus précises aux gens que nous allons rencontrer. Pouvez-vous nous donner de plus amples renseignements à ce sujet?
Comme le dit l’expression, « le diable est dans les détails ». Un grand nombre de témoins nous ont exprimé leurs inquiétudes en ce qui a trait aux règles et aux balises d’interprétation.
M. Morneau : Je vous remercie de votre question. Ce n’est jamais facile de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu. À notre avis, vos rencontres avec les Canadiennes et les Canadiens sont très importantes. Cela est absolument nécessaire si on veut que notre système fonctionne bien.
Les principes généraux ont été expliqués dans notre énoncé économique de l’automne, mais il reste encore beaucoup à faire. Nous pourrons fournir un peu plus d’information au sujet du fractionnement du revenu au cours des deux prochains mois. Les gens qui travaillent dans une entreprise familiale auront toute l’information nécessaire afin de bénéficier du fractionnement du revenu. Nous voulons que les familles puissent travailler ensemble.
Je comprends également qu’il manque encore beaucoup d’explications au sujet des investissements passifs. C’est la raison pour laquelle votre étude est importante. Nous comptons sur votre rapport pour nous aider à bonifier la loi. Une ébauche de projet de loi sera déposée en janvier prochain et vous pourrez en faire l’examen. Nous espérons que cela fera partie de notre budget de 2018.
Cela prend un peu de temps, mais avec l’aide des Canadiennes et des Canadiens, nous croyons pouvoir améliorer la situation. C’est la raison pour laquelle j’ai appuyé pleinement votre décision de faire cette étude.
Le sénateur Forest : Je réitère mon souhait : si on avait plus de précisions, nos travaux seraient encore plus pertinents et réalistes. Je vous remercie.
[Traduction]
Le sénateur Black : Monsieur le ministre, monsieur le sous-ministre, je vous remercie de votre présence. Monsieur le ministre, avant que je fasse une observation, qui sera suivie d’une question, je veux vous remercier — je ne crois pas que vous receviez beaucoup de remerciements ces jours-ci —, car lorsque je vous ai écrit durant l’été pour vous demander de prolonger le processus de consultation et vous indiquer que le Sénat serait peut-être l’endroit tout désigné pour l’étude de ces questions, vous avez très rapidement appuyé l’initiative. Il faut donc rendre à César ce qui appartient à César. Vous comparaissez devant nous aujourd’hui parce que vous étiez d’avis que c’était une bonne idée de le faire.
M. Morneau : Nous pouvons tous nous féliciter mutuellement. Nous prendrons peut-être un cocktail plus tard.
Le sénateur Black : Monsieur le ministre, je regrette de devoir dire qu’il est devenu on ne peut plus clair pour nous que les intentions du gouvernement qui, je n’en doute pas du tout, sont bonnes, sont insuffisantes. Selon de nombreux témoignages que nous avons entendus, les mesures sur le revenu passif nuisent aux entreprises et c’est d’une complexité sans précédent; en fait c’est plus que complexe, c’est ingérable, et il en résultera une perte de recettes fiscales et de milliards de dollars pour l’économie.
Nous avons entendu le témoignage de M. Jack Mintz, et je sais que vous avez déjà travaillé avec lui. Il a dit que nous devons tenir compte de cela également compte tenu, peut-être, des taux d’imposition inférieurs aux États-Unis, ce qui risque de créer une situation où au Canada, les entreprises deviendront encore moins compétitives.
En ce qui concerne la répartition du revenu, vous avez dit aujourd’hui que vous aviez l’intention de simplifier le système. Or, monsieur le ministre, avec tout le respect que je vous dois, vous êtes le seul témoin qui nous amènerait à croire que ce que vous proposez simplifiera les choses. Si vous me le permettez, même les représentants de l’ARC, qui ont comparu devant nous hier, ont dit que c’est très complexe, qu’il est presque difficile de concevoir comment déterminer la valeur des fermes familiales et la contribution des conjoints.
Cela dit, monsieur le ministre, il semble qu’un consensus se dégage, c’est-à-dire que malgré les bonnes intentions, les mesures proposées devraient être abandonnées. Il n’y a rien de honteux à avoir essayé ni à avoir échoué. Un consensus se forme, à savoir que les mesures proposées devraient être abandonnées et que nous devrions, en fait, examiner le régime fiscal canadien dans son ensemble — ce qui n’a pas été fait en 20 ans — pour déterminer ce qui correspond à un régime équitable pour une économie moderne.
J’aimerais donc que vous donniez votre point de vue sur l’idée d’abandonner les propositions et de mener un examen accéléré du régime fiscal.
M. Morneau : Je vous remercie de la question. De toute évidence, nous avons présenté des mesures qui, à notre sens, rendront notre régime plus équitable. Nous avons dit que notre régime comporte certains éléments qui ne le rendent pas équitable, et nous voulons procéder de manière à ce que les gens puissent continuer d’investir et de réinvestir dans notre économie. Tel était le but au départ.
Nous croyons avoir trouvé un équilibre qui nous permettra d’atteindre ce but.
Concernant certaines de vos questions et de vos observations, lorsque nous en serons à la prochaine étape des propositions, nous aiderons les gens à comprendre les répercussions positives que cela aura sur les recettes. L’approche que nous avons adoptée quant à la répartition du revenu aura des répercussions positives sur les recettes. Il y aura des répercussions positives quant à l’approche que nous avons adoptée concernant le revenu de placements passifs.
Bien entendu, comme vous l’avez constaté, notre objectif, c’est de nous assurer que nous maintenons un équilibre entre ces répercussions positives et ce que nous pouvons faire pour les Canadiens qui, dans certains cas, ont du mal à joindre les deux bouts, et les gens qui essaient d’investir dans notre économie. Nous avons donc dit que nous allions remettre cet argent dans l’économie. Veiller à ce que le taux d’imposition des petites entreprises soit moins élevé fait en sorte qu’on peut investir davantage dans l’économie. En allant de l’avant avec l’indexation de l’Allocation canadienne pour enfants, nous pouvons aider des familles à joindre les deux bouts. L’augmentation de la Prestation fiscale pour le revenu de travail fait en sorte que les travailleurs canadiens retirent plus de valeur de leur travail.
Cela correspond donc parfaitement à ce qu’est en train de faire notre gouvernement. Bien sûr, nous savons que toute modification fiscale présente des défis. Ces modifications ne plairont pas à certains s’ils pensent qu’elles les touchent personnellement. Bien entendu, notre travail consiste à être à l’écoute des gens, comme nous le sommes, à nous assurer que nous apportons des changements nécessaires et à trouver un équilibre, ce que nous croyons avoir fait. À notre avis, le critère du seuil de revenu passif annuel de 50 000 $ est assez facile à appliquer. Cette information est accessible. Certaines personnes ne sont peut-être pas du même avis, mais elles ne sont pas nécessairement en mesure de bien comprendre les choses quant à la capacité de l’appliquer.
Nous savons que le critère du caractère raisonnable est utilisé depuis des décennies au pays, et nous proposons de le simplifier, mais puisqu’un tel critère existe déjà pour de nombreux volets de notre code fiscal, nous trouverons un moyen de le simplifier. D’autres règles seront présentées dans un avenir pas trop lointain.
Il est difficile de trouver un équilibre. Nous proposons des mesures pour rendre le régime fiscal plus équitable et continuer à favoriser les investissements au pays, de sorte que nous maintenions le rythme.
Il y a deux ou trois ans, j’ai fait face à des questions similaires lorsque des gens ont dit que si l’on réduisait les impôts de la classe moyenne et qu’on augmentait ceux de la tranche de 1 p. 100, que tous les Canadiens quitteraient le pays et que l’augmentation de l’Allocation canadienne pour enfants n’aurait pas nécessairement d’effet.
Où en sommes-nous deux ans plus tard? Nous sommes dans une situation où les Canadiens de la classe moyenne ont un meilleur revenu disponible. Cela a stimulé notre économie. Nous devrions être fiers de dire que notre économie se porte très bien. Notre objectif est maintenant de continuer à favoriser cette croissance, ce que nous essayons de faire en continuant d’investir dans la classe moyenne du pays.
Le sénateur Mockler : J’aimerais souligner la présence du sénateur Day, du Nouveau-Brunswick, qui vient de se joindre à nous, et de la sénatrice Andreychuk, de la Saskatchewan.
Le sénateur Tannas : Je vous remercie de votre présence, monsieur le ministre. J’ai eu une discussion avec vos collègues lorsqu’ils ont comparu devant le comité et j’ai une question.
Je viens de l’Alberta. J’ai passé ma carrière à bâtir une entreprise dans le secteur des services financiers. Je me suis toujours demandé pourquoi les grandes banques canadiennes ne semblaient jamais payer des impôts au taux que les entreprises autres que les petites entreprises payaient concernant l’impôt sur le revenu des sociétés.
J’ai fait quelques recherches, et nous avons eu des échanges sur cette question, mais je suis toujours perplexe. Les cinq grandes banques canadiennes paient en moyenne un impôt d’environ 19 p. 100 sur leurs revenus nets. Le taux imposé aux plus petites banques et institutions financières qui ne mènent pas d’activités à l’étranger est d’environ 26 p. 100.
Cela m’a amené à croire alors que le taux qui est imposé aux cinq grandes banques dans l’autre pays, soit les États-Unis, est inférieur. La vaste majorité de leurs activités à l’étranger sont menées aux États-Unis, et votre gouvernement et les gouvernements précédents disent que les taux d’imposition sont plus élevés aux États-Unis qu’au Canada. « Comment est-ce possible », me suis-je demandé? J’ai examiné ce qu’il en était pour un certain nombre de grandes banques aux États-Unis. Le taux d’imposition est effectivement plus élevé : 32 p. 100.
Je ne suis pas comptable, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi nos banques sont imposées à 26 p. 100 aux États-Unis. Les banques américaines sont imposées à 33 p. 100, et nos banques qui mènent des activités tant au Canada qu’aux États-Unis sont imposées à 19 p. 100. Je pense qu’il y a une fuite quelque part. Si l’on fait les calculs, on se rend compte que c’est une fuite qui représente des milliards de dollars chaque année.
Lorsque vos collègues ont comparu devant nous, ils ont parlé de cette initiative concernant les petites entreprises, du montant de 250 millions de dollars. Quand je pense à toute cette charge menée contre les petits entrepreneurs et les créateurs de richesses et d’emplois, et à toute la colère et l’insécurité que ressentent maintenant les gens, qui se demandent ce qui viendra après, je me demande pourquoi vous n’allez pas chercher l’argent là où il faut, et je parle ici des grandes banques. Si nous pouvions faire en sorte qu’elles paient ce qui devrait constituer une moyenne raisonnable entre les activités aux États-Unis et celles au Canada, nous en serions à des milliards de plus. Je ne comprends pas pourquoi d’une année à l’autre, seuls les gens de Bay Street ont un taux spécial.
Puisque vous venez de Bay Street, vous pourriez peut-être m’aider à cet égard.
M. Morneau : En fait, je n’ai jamais vécu sur Bay Street. Mon siège social n’y était pas établi, mais je peux expliquer quelques éléments.
Nous examinions certains aspects de notre code fiscal qui créent des iniquités et une dynamique qui allaient rendre le défi plus important au fil du temps. Les iniquités actuelles sont relativement faciles à décrire lorsqu’il s’agit de la mesure sur la répartition du revenu. Par exemple, si une femme se constitue en société et qu’elle a des enfants de 19 ou 20 ans et qu’une autre femme fait la même chose, mais que ses enfants ont 13 et 14 ans, il ne semble pas vraiment que quelqu’un concevra un code fiscal pour que le taux imposé à la première femme soit inférieur à celui qui est imposé à la seconde. S’il y avait une raison à cela, cela m’apparaît accidentel. Il est certain que ce n’est pas logique à long terme.
Il y a d’autres avantages concernant les investissements passifs. Nous remarquons une tendance vers la constitution en société. Cela signifie que l’écart entre les situations des deux femmes, ou d’autres personnes qui sont dans la même situation, s’accroît parce que, au cours des 15 dernières années, le nombre de cas de constitution en société a augmenté de 300 p. 100. Évidemment, nous ne voulons pas que cette situation se perpétue. Par conséquent, l’idée de favoriser la croissance de la taille d’un groupe qui jouit d’un traitement fiscal préférentiel parce qu’il se constitue en société ou parce qu’il est en mesure de le faire n’est pas nécessairement sensée. C’est ce que nous envisagions de corriger pour rendre le régime plus équitable.
Ce faisant, nous nous sommes penchés sur certains avantages. Nous avons vu cette mesure sur la répartition du revenu et les coûts de 250 millions dollars, mais nous ne vous avons pas encore informés des recettes par rapport aux investissements passifs parce que l’étape de l’élaboration n’est pas encore terminée. Cela nous permettra donc de vous fournir des renseignements supplémentaires sur ce que coûte le report d’impôt dont profitent des Canadiens déjà favorisés.
Je vous demande donc de mettre de côté votre incrédulité pour quelques mois jusqu’à la présentation du budget. Nous croyons que c’est quelque chose qu’il est important de poursuivre parce qu’autrement, à long terme, nous nous retrouverons dans une situation plus difficile. Cette question est différente de celle qui concerne les impôts que devraient payer nos grandes sociétés ou nos banques. Nous avons un taux d’imposition qui s’applique aux grandes entreprises qui est beaucoup plus élevé que celui qui s’applique aux petites entreprises. Je suis sûr que vous avez fait le travail qu’il faut pour obtenir ces données, et je ne les remettrai pas en question.
Nous devons nous assurer que toutes les sociétés paient des impôts au taux qui convient. Si nous avons adhéré à l’approche de l’OCDE concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, c’est entre autres parce que nous voulons nous assurer que les grandes sociétés, de manière inappropriée, ne dépensent pas dans des États où les impôts sont élevés et ne font pas des profits dans des États où les impôts sont peu élevés. Nous ne voulons pas d’une telle situation. Nous voulons que les règles forcent les gens à payer des impôts dans les pays où les activités sont menées.
Nous faisons plus d’une chose à la fois. C’est ce à quoi on s’attend de notre part.
Par ailleurs, au cours des deux dernières années, nous avons énormément investi dans l’Agence de revenu du Canada, soit environ 1 milliard de dollars, pour faire en sorte que les entreprises et les particuliers paient les impôts qu’ils devraient payer. Cet effort correspond à ce que nous croyons juste. Cela nous montre toujours que nous pouvons nous assurer que les gens paient suffisamment d’impôts. J’ignore s’ils font partie du groupe de sociétés dont vous avez parlé, car je ne connais pas leur situation, mais nous continuerons à veiller à ce que les gens paient leur juste part et ne fassent rien d’inapproprié.
Le sénateur Mockler : Je voudrais souligner la présence de la sénatrice Jaffer, de la Colombie-Britannique, qui vient de se joindre à nous. Merci.
Le sénateur Pratte : Je veux revenir sur la question du caractère complexe, parce que tous les témoins qui ont comparu devant nous et bien d’autres personnes avec qui j’ai discuté en ont parlé.
Qu’il s’agisse de fiscalistes ou de petits entrepreneurs, tous les gens nous ont dit que, à leur avis, ces propositions alourdiront beaucoup trop le fardeau en matière d’observation. Puisqu’ils le trouvaient déjà lourd, ils estiment qu’il le sera encore plus. Les fiscalistes disent que les propositions feront en sorte que leur travail sera ingérable, et on parle ici de gens qui sont stimulés par les éléments complexes. Les représentants de l’ARC ont dit qu’ils trouveraient cela difficile, ce qui n’est pas rassurant. Ils ont mentionné que le critère du caractère raisonnable, par exemple, existe déjà, mais il semble que pour la répartition du revenu, cela compliquerait les choses.
Quel genre d’engagement pouvez-vous prendre pour toutes ces personnes qui sont convaincues que ce sera terriblement compliqué? Comment pouvez-vous vous engager à rendre cela le plus simple possible à administrer pour eux, le plus simple possible à gérer pour les petites entreprises?
M. Morneau : Je vous remercie de poser la question, et je veux juste saluer le principe de base de votre question et les observations des gens qui s’adressent forcément à vous pour vous dire qu’il est louable de chercher à rendre notre régime fiscal moins complexe. Nous aimerions y parvenir. Ce n’est pas un objectif facile à atteindre et, bien entendu, des personnes gagnent leur vie, comme il se doit, en songeant à des façons d’aborder le régime fiscal de manière à ce que leurs clients soient dans la situation la plus avantageuse possible tout en étant dans la légalité. C’est ainsi que le système fonctionne.
À mesure que nous trouvons des difficultés ou des problèmes qui ne cadrent pas avec l’intention initiale, on essaie évidemment de les résoudre, ce qui rend les choses complexes. Je comprends.
Dans les propositions qui suivront, nous tâchons de simplifier le système autant que possible. À propos des trois points abordés dans le cadre des consultations, nous avons entre autres fait marche arrière pour un de ceux qui présentaient une bonne dose de complexité.
Nous avons eu un nombre plutôt élevé d’intervenants qui ont parlé de la planification fiscale qui s’est faite pour des choses comme le projet d’oléoduc et pour autres choses qui allaient être remises en question parce que nous sommes passés du revenu ordinaire à une approche axée sur les gains en capital. Même si des gens se servent encore de cette approche d’une façon qui n’était pas nécessairement prévue, nous ne voulions pas de conséquences imprévues, et c’est la raison pour laquelle nous avons fait marche arrière, ce qui a évidemment grandement réduit la complexité de ce que nous faisons maintenant.
En ce qui a trait à la répartition des revenus entre membres d’une famille, nous avons énoncé certains des thèmes abordés pour aller de l’avant. Je soupçonne que vous êtes probablement au courant. Comme je l’ai dit, nous avons l’intention d’aller de l’avant et d’essayer de simplifier cette mesure autant que nous le pouvons. Ce sera fait bientôt.
Pour ce qui est des revenus de placement passifs, nous n’avons pas réussi à élaborer une règle qui dit que vous pouvez arbitrairement avoir des placements de 1 million de dollars dans votre société privée, car nous ne faisons pas de suivi des placements; nous surveillons plutôt les revenus de placement. Le revenu de placement passif est donc une chose dont on peut faire le suivi.
Je sais que les gens se diront préoccupés par la complexité de la mesure. Nous le sommes également. Nous allons essayer de bien faire les choses. Lorsque nous établissons de nouvelles règles et que nous protégeons les droits acquis en vertu de vieilles règles, les gens sont nécessairement confrontés à un certain degré de complexité, et nous allons essayer de le minimiser le plus possible. Nous espérons que vos conseils et les conseils des gens assis à cette table nous aideront à y parvenir lorsque nous aurons présenté l’ébauche de projet de loi.
Le sénateur Pratte : Si vous le permettez, je vais vous faire part d’un exemple de répartition du revenu que quelques propriétaires de petites entreprises nous ont donné. L’ARC examinera les contributions antérieures d’un époux, par exemple, sous forme de main-d’œuvre, de capital ou de risques. Vous pouvez facilement imaginer le genre de travail que l’entrepreneur devra faire pour essayer de prouver les contributions antérieures en matière de main-d’œuvre, de capital ou de risques alors qu’il faut trouver les documents qui prouvent ce que l’époux a fait pour l’entreprise il y a 10 ans, alors qu’on ne se doutait aucunement que cette mesure serait proposée. Je comprends que les propriétaires de petites entreprises soient préoccupés par cette difficulté.
M. Morneau : Nous nous penchons précisément là-dessus. Nous comprenons le problème. Nous ne l’écartons pas du tout, mais l’objectif dans ce cas-ci est plus général. De nombreuses entreprises se constituent en société afin de répartir les revenus d’une façon qui, selon nous, n’aidera pas notre économie à long terme. En effet, lorsqu’une personne fait de son entreprise une société dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal dont les autres ne peuvent pas tirer parti, nous ne croyons pas que c’est propice à un environnement équitable. C’est l’objectif. Nous devons songer à la meilleure façon de procéder pour l’atteindre. Nous y travaillons, et nous comprenons que les gens veuillent que nous procédions de manière à ce que le système soit le plus simple possible. Nous pourrons en dire plus long bientôt.
La sénatrice Batters : Monsieur Morneau, depuis des mois, les Canadiens sont perplexes quant à la façon dont le premier ministre Trudeau et vous, en tant que ministre des Finances, pouvez même proposer les modifications fiscales draconiennes que vous avez présentées en juillet. Les rapports indiquent que des bureaucrates de Finances ont proposé deux fois les mêmes modifications fiscales injustes au ministre conservateur des Finances, Jim Flaherty, et il les a catégoriquement refusées. Vous y avez pourtant prêté une oreille plus attentive.
Votre document de travail de juillet contenait des mesures que les comptables ont très rapidement considérées comme étant tout à fait déraisonnables. Je vais en donner deux exemples frappants : premièrement, les transferts intergénérationnels selon lesquels un agriculteur ou le propriétaire d’une petite entreprise doit payer un taux d’imposition de 45 p. 100 pour transférer sa ferme ou son entreprise à ses propres enfants, mais un taux de seulement 25 p. 100 lorsqu’il la vend à un étranger; et deuxièmement, le fait de rendre rétroactives à juillet 2017 les importantes modifications apportées aux placements passifs, selon ce qui était prévu dans vos propositions lorsqu’elles ont été publiées.
Après les fortes pressions exercées sur vous et sur votre gouvernement par l’opposition conservatrice et des Canadiens d’un bout à l’autre du pays, vous dites maintenant que vous faites marche arrière pour ces deux mesures déraisonnables, mais vous n’avez reculé qu’après avoir forcé des agriculteurs et des propriétaires de petites entreprises de partout au Canada à endurer trois mois de stress, d’inquiétude et d’angoisse considérables par rapport à leur gagne-pain, et de surcroît pendant les récoltes.
Les fonctionnaires du ministère des Finances, le gouvernement et vous auriez dû comprendre d’entrée de jeu que ces deux mesures, plus particulièrement, étaient tout à fait déraisonnables, avant même d’avoir été proposées.
Par conséquent, monsieur Morneau, qui assumera la responsabilité d’avoir même pensé à ces mesures au départ, les fonctionnaires de Finances, le premier ministre ou vous-même? Si ces propositions proviennent de votre ministère, qui sont ceux qui perdront leur emploi pour les avoir proposées?
M. Morneau : Nous continuerons d’aller de l’avant grâce à des mesures qui garantiront un régime fiscal équitable. Nous croyons que les Canadiens nous ont élus pour faire croître l’économie et pour faire en sorte que les avantages qui découlent de cette croissance ne reviennent pas de manière disproportionnée à ceux qui sont déjà avantagés.
Nous avons été clairs pendant la campagne. Nous n’avons rien dissimulé. Nous avons dit que nous augmenterions les impôts de la tranche supérieure de 1 p. 100 afin de pouvoir diminuer ceux de la classe moyenne. Nous avons dit que nous allions prendre l’Allocation canadienne pour enfants dont bénéficiaient des familles comme la mienne pour plutôt procéder à un examen des ressources afin de donner plus d’argent aux familles qui ont plus de difficultés à élever leurs enfants.
Nous avons compris qu’il y a des avantages à constituer une entreprise en société privée et nous avons voulu examiner ces avantages, et nous avons ainsi l’occasion de diminuer le taux d’imposition des petites entreprises.
Nous croyons donc que donner suite à nos engagements est exactement ce que les Canadiens attendent de nous. À notre avis, la démocratie consiste à entamer un processus de consultation pour parvenir à un résultat qui nous permet d’atteindre les objectifs, tout en reconnaissant que nous ne voulons pas de conséquences imprévues. Si vous dites dans votre question qu’il aurait été préférable que nous nous contentions d’annoncer des mesures sans avoir mené de consultation, nous ne souscrivons pas à cette approche. Nous avons déterminé — comme il se doit, je crois — que la bonne chose à faire est d’écouter les Canadiens. Cette approche nous a menés au point où, comme je l’ai dit, nous allons pouvoir atteindre l’objectif qui consiste à avoir un régime fiscal plus équitable, ce qui nous permettra d’encourager les petites entreprises à continuer d’investir, de créer des emplois et de faire croître notre économie.
La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, à vrai dire, ma question portait sur deux mesures précises : le transfert intergénérationnel, c’est-à-dire l’importante différence entre un taux de 45 p. 100 pour ses propres enfants ou de 25 p. 100 pour un étranger; et la rétroactivité de l’application des modifications visant les placements de revenus passifs qui se trouvait dans les changements proposés en juillet. Qui en est responsable? Je crois que tout le monde s’entendrait maintenant pour dire que ces deux mesures étaient tout à fait déraisonnables.
M. Morneau : Nous ne voyons certainement pas le monde comme vous le laissez entendre. Nous donnons suite à des propositions qui auront un effet positif selon nous. Nous savons que lorsqu’il est question de modifications à notre régime fiscal, les gens sont très catégoriques, comme il se doit. Pour parvenir au bon résultat, nous devons les écouter, et c’est ce que nous avons fait.
Nous sommes maintenant rendus à l’étape où nous tenons à entendre ce que le Sénat a à dire, et nous avons hâte d’entendre ce que vous aurez à dire lorsque nous inscrirons nos propositions dans un projet de loi. Nous pourrons ainsi progresser comme il se doit.
[Français]
La sénatrice Moncion : Je vous remercie, monsieur le ministre, d’être avec nous pour répondre à nos questions.
[Traduction]
Au cours de nos 12 dernières séances publiques, nous avons entendu parler de problèmes liés aux modifications proposées. On nous a dit que la consultation n’avait pas été assez longue, que les modifications étaient trop complexes, et que notre système fiscal est trop complexe et devrait être revu. À propos de ce dernier point, Jack Mintz a mentionné hier que les États-Unis procèdent à une refonte de leur régime fiscal.
Ma question concerne l’examen du régime fiscal canadien, pour savoir si cela fait partie de votre plan, si les modifications que vous proposez visent à régler des problèmes pressants et si le gouvernement fédéral envisagera un examen global de cette loi, qui a 41 ans.
M. Morneau : Merci. Un certain nombre de points ont été soulevés. Nous savons que tout au long du processus, des gens nous ont dit que la période de consultation était courte. Je leur ai rappelé que, à la page 80 de notre programme électoral de 2015, nous avions indiqué que nous allions procéder ainsi. J’ai rappelé aux gens que dans le cadre du budget de mars 2016, nous avions demandé à un conseil consultatif de déterminer comment nous pouvions améliorer les parties de notre code fiscal qui ne fonctionnaient pas comme nous le voulions.
Dans le budget de 2017, qui date du mois de mars de l’année en cours, nous avons indiqué les trois endroits où nous voulions apporter des modifications, ainsi que les règles précises que nous avons présentées dans deux cas, au moyen d’une proposition de mesure législative, en juillet, pour permettre aux gens de formuler des observations. Comme je l’ai dit, nous avons encore des mesures législatives à venir pour ce qui est des revenus de placement passifs.
Les gens ont différents points de vue sur le processus. Le nôtre, c’est que nous avons à maintes reprises indiqué ce que nous allions faire. Nous avons procédé de façon à ce que les gens puissent faire entendre leur point de vue, et ils ont encore le temps — y compris les parlementaires — de se faire entendre dans le cadre du processus législatif.
Tant que nous formerons le gouvernement, nous allons continuer de mettre l’accent sur ce qui permet d’assurer le fonctionnement efficace et le caractère équitable du code fiscal. Pendant notre processus budgétaire annuel, nous examinons toujours les mesures fiscales pour nous assurer qu’elles fonctionnent efficacement. Cela fait partie de la responsabilité qui nous incombe, et ce sera donc notre approche à long terme.
À propos des États-Unis, notre objectif est de demeurer concurrentiels. Nous allons toujours observer les États-Unis — un pays qui est si important pour les Canadiens et les entreprises canadiennes — et tenir compte de la voie qu’ils empruntent. Bien entendu, nous n’avons rien à dire à ce sujet à défaut d’avoir l’information nécessaire pour tirer des conclusions, mais je tiens à vous assurer que nous prêtons activement attention à ce qui se passe sur le plan fiscal aux États-Unis et que nous examinons, à chaque étape de leurs délibérations, ce qu’ils proposent de faire et ce qui pourrait se concrétiser, et nous tenons compte des répercussions possibles sur notre économie, qu’elles soient positives ou négatives.
La sénatrice Moncion : Vous ne songez donc pas à faire un examen global de la loi, qui a 46 ans?
M. Morneau : Comme les gouvernements qui nous ont précédés, nous allons continuer de nous concentrer sur la façon d’avoir un système qui permet d’atteindre les objectifs que nous avons établis pour les Canadiens. Nous croyons que les Canadiens s’attendent à ce que nous faisions le nécessaire pour que le système n’avantage pas qu’une minorité de bien nantis. Nous allons donc maintenir l’accent là-dessus. Nous allons également nous pencher chaque année sur des mesures d’efficacité. Nous n’envisageons pas de réforme en profondeur du régime fiscal à ce stade-ci.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je vous remercie, sénateur Mockler, de nous avoir donné la chance de rencontrer le ministre, même si je ne suis pas membre de votre comité.
Monsieur le ministre, le sénateur Mercer et moi sommes membres du Comité de l’agriculture, et nous aurions aimé vous inviter, mais nous avons compris que vous ne pouviez pas faire le tour de tous les comités.
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts a mené des consultations non pas en lien avec la fiscalité, mais plutôt sur la future taxe sur le carbone. Malheureusement, nous avons été rattrapés par la tangente qui se dégage de la nouvelle fiscalité agricole. Le 16 octobre dernier, vous avez quand même annoncé une bonne nouvelle. Les agriculteurs en sont conscients. Cependant, les agriculteurs nous ont demandé comment le gouvernement comptait collaborer avec les entreprises familiales. Ils veulent savoir dans quel sens vous allez collaborer avec eux pour le transfert des fermes familiales. Vous savez fort bien que les fermes, petites et grandes, sont prises par la fiscalité lors d’un transfert à un membre de leur famille. Il s’agit d’une préoccupation et d’une réalité majeures dans le monde agricole.
M. Morneau : Nous avons expliqué, il y a deux semaines, que nous voulions nous assurer qu’il n’y ait pas de problème pour les fermiers ni de nouveaux problèmes pour ceux-ci lors du transfert de leur ferme à leur famille. C’est important pour nous. C’est pour cette raison que nous avons décidé de modifier le système des compensations régulières pour des compensations de gains en capital. Donc, vous voulez quelque chose de plus. J’en suis conscient. Il y a toujours des demandes qui sont formulées pour qu’on apporte des modifications à notre système d’imposition. Il y a toujours des idées partout. C’est pour cela que nous allons continuer d’examiner l’efficacité de notre système chaque année. Je n’ai rien à expliquer pour le moment. Bien sûr, nous savons qu’il est toujours important d’avoir un bon système pour les fermiers, pour les pêcheurs. Nous continuerons à nous assurer que la situation soit favorable pour tous.
Le sénateur Maltais : Je vous remercie, monsieur le ministre.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup, monsieur le ministre, de votre présence et de vos réponses. Si une leçon a été apprise, c’est à cause des échappatoires dont vous avez parlé.
C’était des médecins contre des infirmières. Dans ma province, la Colombie-Britannique, il y a encore beaucoup de dissension. Je regrette que les échanges se soient déroulés ainsi. C’est très différent en vous écoutant aujourd’hui; cette discussion suscite beaucoup de dissension.
J’ai deux questions très précises, des questions brèves. Il semble que les règles que vous proposez en matière de revenu de placement passif visent à comparer les sociétés privées aux particuliers au nom de l’équité fiscale. Pensez-vous qu’il est juste que les sociétés publiques continuent de profiter d’avantages fiscaux que l’on refuse actuellement aux sociétés privées? Craint-on que les sociétés publiques se servent de ces avantages fiscaux pour avaler les sociétés privées?
M. Morneau : Nous tâchons de ne pas avoir une mesure qui encourage les gens à constituer leur entreprise en société privée pour obtenir un avantage ainsi qu’une mesure qui peut seulement profiter aux entreprises qui ont déjà du succès dans ce contexte.
C’est la raison pour laquelle nous avons établi un seuil sous lequel nous limitons le montant total des placements qu’une personne peut avoir dans une société privée.
La situation des petites entreprises diffère beaucoup de celle des grandes entreprises, comme l’a mentionné le sénateur Black, je crois, qui est parti. En moyenne, les grandes entreprises au Canada ont un taux d’imposition d’environ 27 p. 100; 26,7. C’est pour cette raison que vous avez des sous-ministres, car son chiffre est 26,7, et je pensais que c’était 27 p. 100.
C’est très différent du taux des petites entreprises. Nous avons des dispositions avantageuses pour les petites entreprises. Nous avons des taux d’imposition différents et plus élevés pour les grandes entreprises. Nous allons travailler sans relâche pour nous assurer qu’il y a des possibilités pour les gens au pays qui ont l’esprit d’entreprise. À notre avis, c’est ce que nous encourageons. Nous pensons que c’est d’autant plus important face aux défis auxquels nous serons probablement confrontés à l’avenir dans différents types d’emplois.
Cela demeure donc important. Il y aura toujours un équilibre à atteindre pour faire en sorte de créer un environnement concurrentiel pour les grandes entreprises et de ne pas mettre en œuvre des incitatifs qui ne sous-tendent pas cet objectif. Ces entreprises doivent toutefois payer un taux d’imposition plus élevé que celui des petites entreprises.
La sénatrice Jaffer : Dans le cadre des échanges, vous n’avez pas fait de rapprochement avec les sociétés publiques, mais je n’ai qu’une seule minute pour vous poser une question sur les sociétés privées ayant plusieurs actionnaires. Selon ce que je comprends de votre modèle, le montant dans l’entreprise serait de 50 000 $. J’en déduis qu’il n’y a qu’un seul propriétaire. Cependant, s’il y a plusieurs actionnaires comme, par exemple, quatre frères, il semble que l’entreprise devrait se contenter de 50 000 $. Les règles n’ont pas été précisées, mais c’est l’impression que cela donne.
Est-il convenable alors de s’attendre à ce que les actionnaires doivent assumer des honoraires professionnels considérables, au départ et de façon continue, pour établir des sociétés de portefeuille individuelles afin de transférer les actifs hors exploitation, surtout compte tenu des règles sur les réorganisations papillon qui interdiraient le transfert d’actifs avec impôt différé qui ont déjà pris de la valeur? Je pense qu’on créerait ainsi des structures suffisamment complexes pour que des personnes tirent parti de l’exemption visant le montant de 50 000 $.
M. Morneau : Nous sommes conscients qu’il y a encore du travail à faire avant de rédiger la mesure législative sur les placements passifs. Nous avons déjà traité de la question par le passé, parce que des gens ont évidemment essayé de faire en sorte que le taux d’imposition des petites entreprises s’applique à plusieurs personnes ou d’avoir de nombreuses sociétés qui forment en fait une seule société pour multiplier les avantages qui s’offrent aux petites entreprises. Ce n’est donc pas un nouveau défi. Nous devons bien faire les choses. Nous nous penchons sur la question, et nous pourrons fournir de plus amples renseignements dans un proche avenir.
La sénatrice Andreychuk : Merci, monsieur le ministre, de comparaître de nouveau en vue de poursuivre les discussions. L’un des problèmes est que vous avez dit que vous l’avez inclus dans vos consultations, mais cela a suscité beaucoup d’incertitude. À mon avis, ce n’est pas bon pour les affaires, en particulier compte tenu du contexte actuel. Nous ne savons pas ce qui se passe quant à l’ALENA; nous ne savons pas l’ampleur des recettes que nous perdons vraiment avec tous ces nouveaux transferts à l’étranger qui sont maintenant en ligne. Votre régime fiscal a beaucoup de problèmes.
Vous dites encore vouloir que le régime soit équitable. Vous prenez une personne qui se constitue en société et une personne qui ne le fait pas pour sa petite entreprise et vous essayez de les rendre égales. Être équitable ne veut pas nécessairement dire être égal. Le régime va dans tous les sens. Vous tentez de dire que l’égalité est le problème dans un secteur, mais mes collègues ont souligné des situations où ce n’est pas égal pour les sociétés fermées, les sociétés ouvertes, les grandes sociétés, les partenariats, et cetera. Cela continue de me déranger. C’est peut-être le langage qui me dérange. C’est le ton qui est utilisé pour laisser entendre, d’une façon ou d’une autre, que la constitution en société est une mauvaise chose, alors que ce n’est pas le cas.
Les petites entreprises ne se constituent pas en société tout simplement pour profiter des allégements fiscaux; elles le font pour une vaste gamme d’autres raisons, comme la question de la responsabilité. Je pourrais vous en donner d’autres. Nous avons entendu que c’était la seule raison de se constituer en société.
Je ne sais pas comment nous pouvons passer de cela à une discussion sur l’équité du régime fiscal. Je vous demande de vous pencher sur les petites et moyennes entreprises. Elles ont besoin d’argent, et elles ont besoin de conserver leur argent pour leur croissance. En ce qui concerne les exploitations agricoles, nous ne savons pas ce que seront les récoltes l’année prochaine. Nous ne savons pas ce que seront les prix. Selon la Bible, nous connaissons sept bonnes années suivies de sept mauvaises années. Les agriculteurs doivent donc conserver leur argent.
Dans le même ordre d’idées, que faites-vous si vous êtes un médecin dans une petite ville et que la province ferme l’hôpital et que vous êtes là? Voulez-vous continuer d’éprouver des difficultés? Les bénéfices non répartis représentent beaucoup plus qu’un « stratagème pour tromper le fisc », parce que c’est ce que vous laissez croire. Nous revenons encore aux beaux discours.
Mon dernier point que vous voudrez peut-être réfuter est le critère du caractère raisonnable. Il est vrai que la Loi de l’impôt sur le revenu se fonde sur le caractère raisonnable. J’en suis au courant. Cependant, vous pouvez comparer des entreprises pour déterminer leurs dépenses d’accueil, le nombre de voyages éducatifs qu’elles font, et j’en passe. Cependant, avec le critère du caractère raisonnable, je croyais que nous avions inclus quelque chose dans le régime fiscal pour reconnaître que les petites entreprises sont des entreprises familiales. Nous avons sciemment évité de définir la famille. La famille peut prendre diverses formes. Par conséquent, comment pouvons-nous parler des agriculteurs et des médecins et laisser l’ARC se débrouiller avec le critère du caractère raisonnable? C’est injuste envers l’ARC de lui demander de prendre position sur le cadre social du fonctionnement des petites entreprises, et nous voulons veiller à leur croissance pour notre économie.
J’ai encore l’impression que vous n’avez pas compris le message. Ces gens veulent que vous les écoutiez, et nous avons encore le temps de le faire d’ici janvier.
Le sénateur Mockler : Aimeriez-vous faire un commentaire, monsieur le ministre?
M. Morneau : J’aimerais souligner que ce commentaire concernant l’incertitude sera toujours un défi. Évidemment, c’est important de tenir compte de la situation actuelle. Notre situation économique est actuellement très bonne. Nous avons grandement amélioré le climat de confiance au sein des familles canadiennes en améliorant leur situation. Cela fait une décennie que nous n’avons pas connu une meilleure situation économique. Nous croyons avoir trouvé une manière de maintenir les avantages de la constitution en société pour les petites entreprises ou les particuliers jusqu’à un certain seuil pour éviter que des gens utilisent tout bonnement les sociétés fermées pour se procurer un avantage fiscal.
C’est une question d’équilibre. Nous croyons que l’équilibre que nous avons trouvé nous permettra de continuer d’avoir des investissements au pays, de stimuler la croissance et d’éviter de créer des mesures qui incitent des gens à profiter d’avantages fiscaux alors qu’ils sont déjà prospères.
J’aimerais vous remercier, monsieur le président, de m’avoir accueilli ici aujourd’hui. J’espère que vous m’inviterez de nouveau à un autre moment. J’ai déjà 10 minutes de retard pour ma prochaine réunion, mais je serais ravi de revenir discuter avec le comité à un autre moment.
Le sénateur Mockler : Monsieur le ministre, nous avons trois autres sénateurs. Accepteriez-vous de nous accorder cinq autres minutes? Si vous ne le pouvez pas, je respecterai votre décision.
M. Morneau : Oui.
Le sénateur Mockler : Vous nous avez accordé plus de temps que ce que votre bureau avait dit à notre greffière, et nous vous en sommes reconnaissants. Acceptez-vous de le faire, monsieur le ministre?
M. Morneau : Avec plaisir.
Le sénateur Oh : Monsieur le ministre, je vous remercie de nous accorder un peu plus de temps. Vous avez maintes fois répété que les petites entreprises sont l’épine dorsale de l’économie canadienne. Par ailleurs, de nombreuses grandes entreprises étaient en fait de petites entreprises à leur début.
Votre projet de réforme fiscale sème un vent de panique au sein des petites entreprises. Nous avons aujourd’hui avec nous le propriétaire d’une petite entreprise d’hélicoptères pas très loin d’ici à Casselman, en Ontario. Il m’a dit plus tôt aujourd’hui qu’il a demandé à son comptable de préparer des plans pour demeurer au Canada, mais aussi d’établir une stratégie de retrait. C’est très inquiétant.
Des entrepreneurs comme lui stimulent l’innovation et la croissance dans les petites villes canadiennes. En particulier, les jeunes entrepreneurs sont de plus en plus éduqués, motivés et mobiles. Êtes-vous inquiets qu’il soit autant question de stratégies de retrait?
M. Morneau : Pourrions-nous entendre les trois questions?
Le sénateur Mockler : Je vous remercie.
Le sénateur Mercer : Monsieur le ministre, je siège au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts depuis 14 ans, dont la moitié à titre de vice-président. L’un des messages que nous entendons sans cesse de la part d’agriculteurs, en particulier de jeunes agriculteurs, concerne le transfert intergénérationnel d’exploitations agricoles entre la mère et le père et la fille ou le fils. C’est un problème qui persiste.
Lors de notre récente étude sur l’acquisition des terres agricoles, l’enjeu n’a cessé d’être soulevé. La réflexion de vous et de votre ministère au cours de l’été a causé une certaine panique dans le secteur. Je suis de la Nouvelle-Écosse; je peux donc dire que cette situation a également causé certains problèmes dans le secteur des pêches.
Monsieur le ministre, comme vous êtes un nouveau député, comme bon nombre de vos collègues, vous êtes en train de comprendre que la perception dans notre milieu devient rapidement la réalité. Nous devons calmer un peu le jeu.
Dans le cadre de l’étude sur l’acquisition des terres agricoles, le comité a été informé de l’augmentation de la valeur des terres agricoles et des défis que cela pose. Les nouveaux agriculteurs dans le secteur ressentent cette augmentation. En 2011, selon un recensement de l’agriculture, la valeur totale des terres agricoles et des bâtiments était évaluée à 276 milliards de dollars. Croyez-vous que l’exonération cumulative des gains en capital devrait être augmentée pour contrer les obstacles que pose l’augmentation de la valeur des terres agricoles?
La sénatrice Cools : J’ai une question et une suggestion. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous vouliez dire lorsque vous avez dit que le gouvernement a investi 1,2 milliard de dollars dans l’ARC? Pouvez-vous nous l’expliquer?
Ma suggestion est quelque chose qui me trotte dans la tête depuis plusieurs années. Je me disais que vous et le gouvernement devriez envisager de redonner le statut de ministère à l’ARC. À une certaine époque, cela relevait du ministère du Revenu national et de sa ministre. C’est maintenant une agence. Monsieur le ministre, à mon avis, il serait préférable de confier la perception de l’impôt et la réglementation fiscale à un ministère plutôt qu’à une agence.
Le sénateur Mockler : Monsieur le ministre, vous avez été excessivement généreux de votre temps. Voulez-vous répondre aux questions?
M. Morneau : Je suis heureux d’y répondre. Le sénateur Oh a posé trois questions ayant trait à l’inquiétude que des entreprises quittent le Canada.
La meilleure réponse que je peux donner, c’est que nous avons un excellent pays. J’ai l’immense privilège dans mon rôle de voyager partout dans le monde au nom du Canada. Tout ce que je peux dire, c’est que les gens se tournent vers le Canada pour avoir des exemples de la manière de réussir à trouver un équilibre pour s’assurer que la croissance se poursuit et que les avantages offerts profitent à un large éventail de personnes.
Nous continuerons d’aller de l’avant et d’offrir le plus bas taux d’imposition des petites entreprises parmi les pays du G7, ce qui avantage certainement les petites entreprises, et un niveau de vie extraordinaire. J’espère vraiment que cela encourage les propriétaires d’entreprises ainsi que les autres Canadiens à investir au Canada. Je crois que cela porte des fruits actuellement.
En ce qui concerne le transfert intergénérationnel d’exploitations agricoles, j’aimerais souligner le contexte déjà très avantageux. Nous avons le plus bas taux d’imposition des petites entreprises parmi les pays du G7. L’exonération cumulative des gains en capital dont vous avez parlé a été bonifiée. Elle a été bonifiée au fil des ans à 1 million de dollars, ce qui est considérablement plus élevé pour les agriculteurs que les petites entreprises.
Nous savons que des gens aimeraient que nous envisagions d’autres modifications fiscales. Nous n’excluons rien, mais nous continuerons d’examiner régulièrement les enjeux.
Enfin, je crois avoir dit que nous avons investi 1 milliard de dollars dans l’Agence du revenu du Canada au cours des dernières années dans nos deux premiers budgets. Nous continuons de voir qu’il y a encore des occasions pour nous de nous assurer que les contribuables paient ce qu’ils sont censés payer; voilà pourquoi nous le faisons. L’ARC relève de la ministre, et je vais lui poser la question que vous m’avez posée, mais ce n’est pas quelque chose que nous envisageons actuellement.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie encore une fois énormément de m’avoir accueilli ici aujourd’hui. Nous continuerons de travailler en votre nom et au nom des Canadiens pour essayer de maintenir les résultats économiques très positifs que nous connaissons depuis quelques années. Merci.
Le sénateur Mockler : Merci beaucoup de votre temps. Nous vous inviterons peut-être à un autre moment si nous avons besoin d’autres renseignements.
(La séance est levée.)