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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 45 - Témoignages du 6 novembre 2017 (séance du matin)


VANCOUVER, le lundi 6 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 1, afin d’étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

[Traduction]

Le sénateur Mockler : Bonjour et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Puisqu’il y a quorum, je déclare la séance ouverte. Avant d’aller plus loin, je cède la parole à la sénatrice Jaffer et au sénateur Neufeld pour un mot de bienvenue, car ils nous accueillent dans leur province. Sénatrice Jaffer, je vous en prie.

La sénatrice Jaffer : Bienvenue, chers collègues, dans ma belle ville. Je suis ravie que nous entamions les consultations ici. C’est dommage que nous ne puissions pas vous faire découvrir la région autant que nous l’aurions voulu, mais n’hésitez pas à revenir nous voir. Nous tâcherons de bien vous recevoir. Merci d’être là.

Le sénateur Neufeld : Bienvenue, tout le monde, dans la belle ville de Vancouver. C’est une ville magnifique et dynamique. J’espère que vous avez eu l’occasion de la visiter un peu hier à votre arrivée. Aujourd’hui, nous aurons une journée de travail bien remplie, puis nous allons nous diriger vers Calgary en début de soirée. Encore une fois, bienvenue à vous tous.

Le sénateur Mockler : Merci.

Je m’appelle Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, et je suis président du comité. Je demanderais à mes collègues de se présenter eux aussi, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Jaffer : Sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, Saskatchewan.

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.

La sénatrice Cools : Je m’appelle Anne Cools. Je suis la vice-présidente du comité et je suis de Toronto.

Le sénateur Mockler : Merci.

Aujourd’hui, ici, à Vancouver, le comité poursuit son étude spéciale sur les modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes. Ce sont des modifications qui ont été proposées par le ministre des Finances à l’été 2017.

À ce jour, nous avons tenu 13 séances publiques à Ottawa. Nous avons entendu un peu plus de 60 témoins. Nous avons reçu une trentaine de mémoires. Cette étude suscite beaucoup d’intérêt, et le comité a jugé qu’il était nécessaire de tenir d’autres consultations. Nous avons donc décidé de sillonner le Canada afin de sonder les Canadiens sur la question abordée dans l’ordre de renvoi émanant du Sénat du Canada.

Au courant de la journée, nous allons entendre des témoins que nous avons convoqués, des gens dont les noms ont été soumis par des sénateurs, diverses organisations et le grand public.

Honorables sénateurs, le premier témoin d’aujourd’hui est M. Duff. Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation et d’être venu nous faire part de vos commentaires et recommandations.

Honorables sénateurs, David G. Duff est professeur et directeur du programme de maîtrise en droit fiscal à l’École de droit Peter A. Allard, de l’Université de la Colombie-Britannique.

Monsieur Duff, nous vous écoutons. Les sénateurs pourront ensuite vous poser des questions.

David G. Duff, professeur et directeur du programme de maîtrise en droit fiscal, École de droit Peter A. Allard, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci, sénateur Mockler, et merci aux membres du comité de me donner la parole au sujet des modifications proposées. Ces modifications soulèvent d’importantes questions concernant les politiques fiscales et le processus entourant leur élaboration. Je vous remercie également de nous avoir amené ce beau temps automnal de l’Ontario. Il fait froid, mais le ciel est dégagé, et c’est un phénomène plutôt rare à Vancouver à ce temps-ci de l’année.

Vous le savez, les propositions du gouvernement ont suscité de vives oppositions. Je précise d’emblée que je suis favorable à l’intention derrière les modifications proposées, voire à la forme qu’on leur a donnée. Sans surprise, ce sont surtout les parties directement concernées qui se sont élevées contre cette proposition, c’est-à-dire les propriétaires de petites entreprises et les professionnels qui bénéficient des règles fiscales actuelles, les avocats en droit fiscal et les comptables qui recommandent des stratégies d’allègement fiscal fondées sur les règles actuelles, et bien sûr, les représentants d’organisations vouées à la défense des intérêts de leurs membres, dans l’un et l’autre de ces groupes.

De plus, sans surprise, ce sont ces intérêts qui ont tendance à dominer le débat public. Il n’y a rien de vil à cet égard. C’est seulement inévitable. Lorsqu’on parle de questions de politique fiscale complexes, les gens qui sont concernés par les règles les connaissent probablement mieux que les gens qui ne le sont pas. Bien entendu, ce sont eux qui ont le plus à perdre si les règles changent.

Compte tenu des témoins qui comparaissent devant votre comité, bien entendu, il semble que c’est ce qui a tendance à dominer le débat public également, et j’espère que le comité en tiendra compte. Il ne s’agit pas ici d’additionner simplement les sympathisants et les opposants, mais plutôt de servir l’intérêt public.

Pour ma part, en tant que professeur de droit qui enseigne le droit fiscal et les politiques fiscales depuis 20 ans, j’aime à penser que je ne représente pas des groupes d’intérêt; je comparais devant le comité à titre d’individu qui comprend à fond les règles fiscales qui s’appliquent aux sociétés privées, les incitatifs qu’elles créent et les principes qui sous-tendent une bonne politique fiscale.

Je parlerai donc tout d’abord des principes. Bien entendu, nous savons que concernant les critères définissant de bonnes politiques fiscales, l’accent est habituellement mis sur le caractère équitable, la neutralité et la simplicité administrative, qui est vraiment une valeur subsidiaire. Il s’agit d’essayer d’établir des règles qui soient les plus simples possible de sorte qu’elles puissent être respectées et que leur administration soit simple. Or, le but premier, c’est qu’elles soient équitables et neutres.

Je veux prendre du recul par rapport aux propositions et les placer dans le contexte de cet ensemble de questions de nature plus générale. Dans la population, nous savons, ou nous considérons traditionnellement que l’équité fiscale passe par des taux d’impôt progressif. Cela suscite évidemment des débats, mais au Canada, des taux progressifs s’appliquent depuis 1917. Nous avons adopté ce principe il y a un siècle.

En même temps, on présume souvent que l’équité et la neutralité nécessitent le même traitement pour tous les types de revenus dans une assiette fiscale. C’était ce qu’estimait la Commission royale d’enquête sur la fiscalité présidée par Kenneth Carter dans les années 1960. Certes, depuis ce temps, des arguments ont été avancés pour qu’on rende moins lourde l’imposition sur le revenu du capital que celle sur le revenu du travail, ce que le Canada fait dans une grande mesure. Les gains en capital sont imposés à la moitié du taux d’imposition qui s’applique à d’autres types de revenus. Les gains en capital sur les résidences sont exemptés. Il y a l’exonération cumulative des gains en capital. Nous encourageons l’épargne-retraite par la non-imposition des cotisations de retraite, et il y a des règles sur les comptes d’épargne libre d’impôt.

Habituellement, la neutralité signifie que nous n’essayons pas de faire de distinction entre l’imposition des dividendes et l’imposition des gains en capital, bien que les choses ne correspondent pas à cela depuis l’an 2000 lorsque le taux d’inclusion des gains en capital a été réduit, et de plus, l’exonération cumulative des gains en capital incite des gens à convertir des dividendes en gains en capital. C’est ce qui est à la base des questions liées au dépouillement des surplus visées dans un volet des propositions du gouvernement fédéral, mais on a fait marche arrière.

En outre, les principes de neutralité et d’équité sous-tendent également l’unité de base pour l’imposition qui, au Canada, est l’individu depuis 1917. Bien que les États-Unis aient adopté une unité de base fondée sur le couple en 1948, la commission Carter a recommandé l’utilisation de la famille comme unité de base, et nous tenons occasionnellement compte des liens familiaux à d’autres fins fiscales.

Dans le contexte de l’imposition des sociétés, les principes de neutralité et d’équité semblent indiquer généralement que le revenu provenant d’une société ne devrait pas être imposé différemment du revenu gagné directement par un individu, et c’est sur ce principe que repose la majoration des dividendes dans le régime de crédits d’impôt pour les dividendes que reçoivent les individus. Bien sûr, ce principe de neutralité ne s’applique que lorsque les dividendes sont versés, et dans la mesure où le taux d’imposition des sociétés est différent de celui des particuliers, il peut y avoir des écarts par rapport à la neutralité, encore une fois, dans les règles fiscales proposées par le gouvernement.

Les règles fiscales proposées par le gouvernement portent sur des modifications visant les sociétés privées. Elles ne visent pas directement les questions plus générales du taux d’imposition des particuliers, de l’assiette de l’impôt sur le revenu ou de l’entité fiscale, ou même du système d’intégration. Toutefois, ces questions sont en arrière-plan et constituent un volet important du contexte lié à ce que cible le gouvernement.

En fait, dans une certaine mesure, on pourrait dire qu’il y a des limites lorsque le gouvernement essaie de s’attaquer aux symptômes de problèmes plus profonds dans le régime fiscal qui créent des asymétries — l’asymétrie entre les taux d’imposition des particuliers et des sociétés, qui ne peut probablement pas être complètement éliminée, car il existe de bonnes raisons justifiant des taux marginaux d’impôt plus élevés, certainement en ce qui concerne le revenu du travail; les taux d’imposition du revenu des sociétés inférieurs, compte tenu de la mobilité des capitaux et d’autres questions. Cependant, je crois que les questions qui se posent concernant l’imposition des dividendes et l’imposition des gains en capital pourraient être examinées et l’ont déjà été précédemment dans l’histoire de la fiscalité canadienne. Je ne m’attends pas à ce que nous revenions sur l’utilisation de l’individu comme unité de base ou le principe des taux progressifs créant des incitatifs pour le recours au fractionnement du revenu, ce qui est également en jeu dans les propositions du gouvernement.

Les avantages fiscaux associés aux sociétés privées se résument en trois éléments : un très faible taux d’imposition du revenu des sociétés qui est gagné et conservé dans la société; les possibilités, comme je l’ai dit, de convertir en gains en capital des dividendes qui sont imposables — la question du dépouillement de surplus —; et la capacité de réduire encore plus les impôts au moyen du fractionnement du revenu avec le conjoint dont les impôts sont moins élevés et les enfants adultes, par le versement de dividendes — la personne qui reçoit les dividendes n’a pas eu à participer à l’entreprise.

Nous savons que les propositions du gouvernement fédéral ont pour objet de restreindre la possibilité de recourir au premier de ces avantages au moyen d’un impôt sur les placements passifs; au troisième de ces avantages au moyen de l’élargissement de l’impôt sur le revenu fractionné; et bien entendu, le gouvernement a abandonné les propositions qu’il avait faites au départ d’essayer de régler le problème lié au dépouillement des surplus au moyen de modifications à l’article 84.1 et de l’adoption d’une règle anti-dépouillement des surplus fondée sur une ancienne disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Puisque notre temps est limité, j’ai préparé mon exposé de manière à parler des placements passifs et du fractionnement du revenu, mais je me suis plutôt concentré sur la question des placements passifs, et si je manque de temps, je pourrai parler du fractionnement du revenu lorsque vous me poserez des questions.

Donc, pour ce qui est des placements passifs, nous savons que, comme je l’ai dit, la majoration dans le régime de crédits d’impôt ne fait que créer la neutralité entre l’impôt des sociétés et l’impôt des actionnaires lorsque des dividendes sont versés. Jusque-là, en conservant des revenus dans une société, on peut obtenir un avantage fiscal, ce qu’on appelle un report. Dans le cas du revenu passif d’une société privée sous contrôle canadien, les règles fiscales canadiennes essaient de corriger ou d’empêcher ce privilège du report avec l’impôt remboursable applicable au revenu de placement. Lorsque le revenu n’est pas un revenu de placement, mais plutôt un revenu d’une entreprise exploitée activement, nous avons la déduction accordée aux petites entreprises, qui offre un taux très bas, soit d’environ 14 p. 100 en moyenne au pays. C’est un taux beaucoup moins élevé que le taux marginal maximum de l’impôt sur le revenu des particuliers, qui est plutôt de l’ordre de 50 p. 100 ou un peu plus élevé.

Si ce taux d’imposition des sociétés est bas, c’est pour favoriser la croissance des petites entreprises en permettant aux sociétés privées sous contrôle canadien d’avoir plus de revenus après impôt à réinvestir dans l’entreprise. Toutefois, cela suscite un grand débat. Je suis sûr que vous avez discuté avec des économistes — et que d’autres discuteront avec vous —, qui se demandent si la déduction accordée aux petites entreprises fait cela, ou si elle incite les entreprises à demeurer petites; ils se demandent si ce manque à gagner ne pourrait pas être mieux utilisé à d’autres fins. On a suggéré une déduction pour placements, en quelque sorte, qui favorise l’investissement, plutôt que de simplement accorder le faible taux pour toute société privée sous contrôle canadien.

En particulier, bien entendu, pour bénéficier de la déduction accordée aux petites entreprises, du faible taux, l’entreprise n’a pas à réinvestir ce revenu dans l’entreprise ou à créer des emplois, les aspects qu’on associe généralement aux mérites de la petite entreprise. Elle est accessible, peu importe si la société privée sous contrôle canadien réinvestit dans l’entreprise ou non ou si elle embauche des employés ou non.

En dépit de ces critiques au sujet de la déduction accordée aux petites entreprises, il semble que ce soit fermement ancré au Canada, du moins pour l’instant. La question qui se pose est la suivante : comment surveiller ou limiter l’accès à cette déduction de sorte qu’elle sert aux fins auxquelles elle était destinée? Au fil du temps, diverses modifications ont été apportées aux règles. Les entreprises de placement désignées n’ont pas accès à la déduction accordée aux petites entreprises parce qu’elles font des investissements passifs. Les employés constitués en société ne peuvent pas bénéficier de cette déduction parce que c’est seulement une personne qui autrement serait un employé, et pendant une certaine période, de 1979 à 1984, les professionnels réglementés ne pouvaient pas bénéficier de la déduction accordée aux petites entreprises. Cette exclusion a été abrogée en 1984, et c’est dans une certaine mesure ce qui est en toile de fond concernant certains des changements qui sont survenus depuis et un certain nombre de préoccupations du gouvernement.

Dans ce contexte, je crois que les propositions qu’a faites le gouvernement sur les placements passifs ne devraient pas être considérées comme un changement radical par rapport aux règles existantes, mais plutôt comme des mesures qui s’inscrivent dans une série de modifications qui ont été apportées au fil du temps pour essayer de mieux orienter la déduction accordée aux petites entreprises vers son véritable objectif, soit favoriser la croissance et le réinvestissement.

En ce sens, cela cadre avec un impôt qui a été créé pour ensuite être abrogé en 1973. Il s’agissait d’un impôt remboursable sur les placements non admissibles dont l’objectif était d’augmenter le taux d’imposition du revenu des sociétés qui n’est pas investi dans l’entreprise et qui est plutôt investi aux fins d’épargne personnelle. L’objectif de cet impôt remboursable est essentiellement de faire en sorte que le revenu après impôt qu’une société peut investir soit similaire au revenu après impôt qu’aurait un actionnaire si ce dernier avait payé des impôts au taux marginal d’imposition de l’actionnaire. Encore une fois, c’est ce principe de neutralité qui sous-tend les règles.

Comme je l’ai dit, cet impôt a été abrogé avant d’entrer en vigueur, mais c’était à une époque très différente où l’écart entre le taux d’imposition des petites entreprises et celui des particuliers n’était pas aussi grand qu’il l’est aujourd’hui — c’était davantage de l’ordre de 30 ou 40 p. 100 par rapport à 50 p. 100, ou légèrement plus; comparativement à 14 p. 100 par rapport à 50 p. 100, ou légèrement plus.

Les modifications apportées au taux d’imposition des sociétés ont donc exercé beaucoup de pressions sur le régime. Bien entendu, cela a aussi encouragé l’utilisation de sociétés privées sous contrôle canadien pour des placements passifs. Dans ce contexte, je pense qu’une règle comme celle que propose le gouvernement — quoique peut-être pas exactement sous sa forme actuelle — vise à régler le problème. Il est très logique de redonner une certaine neutralité au régime et de faire en sorte que la déduction accordée aux petites entreprises, un incitatif fiscal très généreux, serve aux fins auxquelles elle était destinée, soit encourager les entreprises à réinvestir.

Il ne me reste peut-être presque plus de temps, mais je vais terminer mon exposé sur ce dernier point, et nous pourrons ensuite parler du fractionnement du revenu.

Cela dit, je pense qu’en fait, la proposition actuelle du gouvernement, soit un régime d’impôt reporté, est inutilement complexe, difficile à comprendre et probablement très difficile à administrer. Une mesure qui ressemblerait davantage à l’impôt remboursable sur les placements non admissibles qui a été créé, puis annulé, serait plus utile. Le but est clair. C’est plus facile à administrer. L’accent est mis sur ce qui différencie les placements admissibles des placements non admissibles, et je serai ravi de répondre aux questions sur la façon d’établir la distinction.

Je veux dire une dernière chose avant de terminer. Je veux prendre du recul. J’ai souligné l’importance de prendre du recul par rapport à ces règles pour parler des questions de nature plus générale, car je crois que c’est une tâche importante qui n’a pas été menée dans le processus, que toutes ces réformes touchent des questions plus générales liées au régime fiscal. Je sais qu’un certain nombre de témoins ont dit que peut-être que la réponse à ces réformes — tant pour ce qui est du processus politique que pour ce qui est, du côté du gouvernement, du recul sur certains problèmes et de leur résolution de manière fragmentaire — fait ressortir la nécessité d’analyser plus en profondeur les règles de l’impôt sur le revenu, de les revoir. Bien des années après la Commission royale d’enquête sur la fiscalité, il est peut-être temps de relancer le processus.

Le sénateur Mockler : Merci, monsieur Duff.

Je cède la parole à la sénatrice Jaffer, qui sera suivie de la sénatrice Marshall.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Duff, je vous remercie beaucoup de comparaître devant nous. J’ai deux questions à vous poser. Pouvez-vous tout d’abord nous expliquer ce que vous entendez par revenu « admissible » et « non admissible », s’il vous plaît?

M. Duff : Il y a actuellement une distinction entre les placements admissibles et les placements non admissibles dans le contexte de nos règles sur l’impôt remboursable sur le revenu de placement, et ce dernier s’applique à des revenus provenant d’un bien, et non d’un revenu tiré de l’exploitation entreprise. Comment déterminons-nous s’il s’agit de l’un ou l’autre des deux types de revenus? Eh bien, selon une partie des règles qui établissent cette distinction, si les revenus sont tirés d’un bien utilisé pour l’entreprise active, alors il s’agit de la catégorie des revenus tirés de l’exploitation d’une entreprise. L’impôt remboursable sur les dividendes ne s’applique pas. La jurisprudence a développé ce critère selon lequel si le bien est utilisé ou risqué dans l’entreprise, alors, même si cela semble passif, c’est vraiment actif et ce ne serait pas assujetti à notre régime actuel. Cette distinction pourrait être adoptée pour faire la différence entre les placements admissibles et les placements non admissibles avec un impôt sur les placements non admissibles.

Cela dit, je dirais qu’en prenant des mesures en ce sens, on met plus de pressions sur ces règles que simplement avec l’impôt remboursable sur le revenu de placement. De plus, selon la jurisprudence relative à l’impôt remboursable sur le revenu de placement, une réserve raisonnable pour les besoins de l’entreprise serait légitime. Donc des réserves pour éventualités qui constituent des actifs commerciaux ne seraient pas assujetties à l’impôt, à l’impôt remboursable sur le revenu de placement, et ne seraient vraisemblablement pas assujetties à l’impôt à payer sur les placements non admissibles.

Cependant, selon la jurisprudence, si l’on économise dans le but de mener un projet d’expansion, on ne parle pas ici d’un bien qui est utilisé dans l’entreprise. À mon avis, c’est vraiment là où, dans la mise au point de ces règles, on peut être un peu plus généreux et dire qu’un grand nombre d’entreprises mettent de l’argent de côté pendant une certaine période afin de profiter de possibilités d’investissements plus tard, et on pourrait prévoir une exonération pour que ces types d’investissements ne soient pas assujettis.

Pour établir cette distinction concernant l’impôt sur les placements non admissibles, on pourrait commencer avec les règles actuelles qui font une distinction entre le revenu tiré d’une entreprise exploitée activement et le revenu de biens. Or, il s’agit probablement de les modifier de différentes façons pour que des exonérations s’appliquent, comme je l’ai dit, pour les investissements qui serviront à de futurs projets d’expansion, les investissements pour des éventualités, les investissements — les médias en ont parlé également — pour des congés parentaux. Toutes ces raisons sont liées à l’entreprise. Je crois qu’il faut faire la distinction entre les investissements liés à l’entreprise et les investissements dans une société qui sont faits à des fins personnelles, pour de l’épargne personnelle ou l’épargne-retraite. C’est la distinction à faire si l’on veut élaborer des règles qui établissent une distinction.

La sénatrice Jaffer : Merci de cette explication, monsieur. Je tiens juste à préciser qu’il faut que notre président et le comité directeur veillent à ce que nous entendions un éventail de témoins. Nous ne devons pas entendre que des personnes qui ne sont pas de notre côté.

M. Duff : Je sais, et je comprends cela. Je ne mettais absolument pas le comité en doute.

La sénatrice Jaffer : Non, je sais.

M. Duff : C’est une partie inévitable du processus politique, quand des gens savent des choses, et d’autres, non, et quand des gens prennent des enjeux à cœur, contrairement à d’autres.

La sénatrice Jaffer : Ma question la plus importante porte sur l’équité. Je suis vraiment préoccupée par le seuil de 50 000 $ que le ministre propose maintenant pour le revenu passif. D’après moi, on ne peut pas fixer le seuil à 50 000 $ pour toutes les entreprises. Certaines pourraient avoir un seuil de 20 000 $, et d’autres, de 50 000 $. Pour d’autres encore, le seuil pourrait être de 100 000 $. Je pense que ce devrait être un pourcentage, car comme vous le savez bien sûr, les entreprises ne sont pas toutes pareilles. J’aimerais votre opinion, surtout parce que vous avez parlé d’équité, au début.

M. Duff : Oui. Je suis du même avis. La beauté d’un seuil en dollars, c’est qu’il est simple et clair, et qu’on peut l’appliquer de manière universelle. J’ai tendance à préférer l’idée de catégories d’exception, comme je l’ai dit, une exception pour les placements passifs détenus pendant un certain temps, puis réinvestis. On pourrait donc avoir un seuil d’exonération de trois ans pour l’investissement, ou quelque chose de ce genre. C’est un seuil axé sur une catégorie plutôt qu’un seuil en dollars. Vous pouvez combiner cela à un seuil en dollars, ce qui compliquerait encore plus les choses; ou vous pourriez avoir des placements passifs pour le congé parental.

Je crois qu’il faut, pour l’essentiel, essayer de distinguer le but de l’investissement. Si l’on fait cela, je pense qu’on a un principe supérieur qui guide l’établissement des limites. Ce n’est pas toujours facile à faire, mais les lois fiscales doivent constamment le faire. C’est une façon plus juste et plus fondée sur des principes de le faire, plutôt que de simplement imposer un seuil arbitraire en dollars qui risque de dépasser ce qui est nécessaire dans certaines circonstances, et ne pas suffire dans d’autres.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Marshall : Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Jaffer. Le gouvernement a modifié la proposition afin qu’il y ait maintenant un seuil de 50 000 $, mais il n’a donné aucun détail concernant les droits acquis. Il parle de droits acquis. Qu’est-ce que vous suggéreriez? Quelle serait votre préférence concernant la façon de mettre en œuvre le seuil de 50 000 $ pour le revenu passif?

M. Duff : Sur la question des droits acquis, je pense que l’approche axée sur le report de l’impôt que le gouvernement a suggérée rend la transition beaucoup plus compliquée, car vous avez des investissements qui sont déjà dans une société et qui, quand ils en seront retirés, seront peut-être soumis, ou non, au report de l’impôt. Encore une fois, le problème avec cela, c’est en partie qu’il faut suivre les différentes sources de revenus dans le système, ce qui est d’après moi extrêmement compliqué et pénible à gérer.

Comme vous le dites, la façon de mettre en œuvre le seuil de 50 000 $ est très vague, alors je n’en ai aucune idée. Je crois cependant que plus on se penche sur cette question, plus on a tendance à préférer un impôt initial, comme l’impôt à payer sur les placements non admissibles qui a été abrogé. Cela ne s’appliquerait que de façon progressive, et la transition s’en trouverait nettement facilitée, car on l’imposerait à la date de prise d’effet sur les nouveaux investissements passifs, peu importe leur définition.

La sénatrice Marshall : Compte tenu de ce que vous venez de dire et de vos propos, précédemment, sur la simplicité, pensez-vous qu’avec le nouveau seuil proposé de 50 000 $, le gouvernement va être en mesure de mettre cela en œuvre? Pensez-vous plutôt que parce que c’est trop complexe, il sera incapable de le mettre en œuvre?

M. Duff : Je crois que ces personnes astucieuses peuvent concevoir des règles qui fonctionnent en principe, comme nous le voyons dans la partie du document qui comporte le régime d’impôt reporté. Je pense simplement qu’en pratique, il est très difficile pour un grand nombre de petites entreprises de se conformer à ces règles. Cela va exercer encore plus de pression sur elles puisque c’est déjà dans le système et qu’elles vont être obligées d’en faire le suivi, alors que si c’était progressif, vous pourriez dire : « Eh bien, en l’absence d’investissements passifs, il n’y a pas à s’inquiéter de cela. »

La sénatrice Marshall : Non.

M. Duff : Ils évitent cela. Je pense donc que c’est faisable, mais c’est compliqué.

La sénatrice Marshall : Oui. Mais ce qu’il y a là maintenant doit être divisé en groupes différents, n’est-ce pas?

M. Duff : Oui.

La sénatrice Marshall : Donc, pour certaines entreprises, cela signifie qu’il faut revenir plusieurs années en arrière pour déterminer la catégorie qui s’applique.

M. Duff : Oui, pour déterminer la source du revenu qui a servi aux investissements.

La sénatrice Marshall : L’un des autres aspects abordés lors d’autres audiences du comité, que nous n’avons pas vraiment exploré, c’est la réponse du gouvernement concernant la réduction de l’impôt des petites entreprises. Certains témoins ont indiqué que cela ne change rien, parce que quand le revenu prend la forme de dividendes, l’impôt sur le revenu augmente, sur ces dividendes. Donc, en réalité, dans le contexte général, cela ne va pas se traduire en économies pour les petites entreprises et leurs propriétaires. Pouvez-vous nous parler de cela?

M. Duff : Oui. C’est lié à la question du report, tant et aussi longtemps que le revenu peut rester dans une société. Il est vrai que, lorsque le revenu est sorti, le système de majoration et de crédits d’impôt est conçu pour que le système soit neutre entre…

La sénatrice Marshall : C’est intégré…

M. Duff : … une société ou directement. Mais ce pourrait être de très nombreuses années. Dans l’intervalle, le revenu peut être réinvesti, dans des actifs commerciaux ou dans des investissements passifs, ce qui représente un avantage. Tout fiscaliste vous dira que le report, s’il est assez long, est un bon moyen d’exempter quelque chose.

Donc, l’avantage du report est considérable. La réduction du taux de 11,5 p. 100 à 9 p. 100 ajoute à cet avantage.

Je dois dire que cela augmente aussi la pression sur le système. Les propositions du gouvernement se situent dans une grande mesure dans le contexte d’un système qui exerce de la pression sur le régime — avec des taux de l’impôt des particuliers élevés et des taux de l’impôt des entreprises bas —, en encourageant les gens à se constituer en société. Nous avons vu le nombre de SPCC augmenter, et cetera. Donc, je dois dire que je trouve inquiétant de continuer à réduire les taux de l’impôt des petites entreprises, car je pense que cela exerce beaucoup de pression sur le régime. Puis nous essayons de dissimuler les problèmes avec ces types de règles.

La sénatrice Marshall : Si vous ignorez l’avantage du report, pendant un certain nombre d’années comme vous l’avez dit, est-ce un dollar pour un dollar? Autrement dit, pour un dollar de réduction de l’impôt de la petite entreprise, finissez-vous par payer le dollar additionnel quand vous le retirez?

M. Duff : Je dirais qu’un dollar aujourd’hui n’est pas égal à un dollar dans 20 ans.

La sénatrice Marshall : Non, je le sais. Ne tenez pas compte de cela.

M. Duff : Alors la réponse serait oui et non. Oui, peut-être un dollar, mais j’aimerais mieux payer un dollar dans 20 ans qu’un dollar maintenant. Ce n’est vraiment pas le même dollar.

La sénatrice Marshall : Oui. Je comprends cela, mais si on ne tient pas compte de cela, le report et l’avantage, c’est un dollar pour un dollar? Cela ne fonctionne pas ainsi, n’est-ce pas?

M. Duff : Vous m’avez dit de ne pas tenir compte de cela, mais le report est tellement au cœur de tout ce qui est en jeu et de la politique fiscale que je ne peux pas ignorer cela. Vous me demandez de ne pas tenir compte de l’essence de la chose.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Mockler : C’est au tour du sénateur Pratte, qui sera suivi du sénateur Neufeld.

Le sénateur Pratte : Bienvenue au comité. J’aimerais revenir sur un commentaire initial. Vous avez mentionné qu’il y aura plus de mobilisation du côté des gens opposés aux propositions et connaissant les questions fiscales que du côté des personnes qui sont pour les changements. Vous avez exprimé le souhait que le comité ne se contente pas d’entendre des gens qui s’opposent aux changements pour ensuite en faire rapport. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que vous entendez par là et ce que vous voulez que le comité fasse.

M. Duff : De toute évidence, le comité doit refléter dans son rapport les voix qu’il entend, mais je pense qu’il doit reconnaître le fait, comme je l’ai dit, qu’il est tout simplement inévitable que vous entendiez davantage les opposants que les tenants. Ce n’est pas votre faute. Ce n’est la faute de personne. C’est tout simplement ainsi que la politique fonctionne, en particulier quand vous avez des règles très compliquées.

D’après moi, c’est une des raisons pour lesquelles il faut approcher différemment une politique fiscale importante. D’une certaine façon, une politique fiscale importante est presque quasi constitutionnelle, et il est important de prendre du recul par rapport à la politique au jour le jour qui infecte le processus, afin d’avoir des discussions éclairées fondées sur les principes qui sous-tendent une solide politique fiscale. Comment y arriver? Eh bien, les comités comme celui-ci sont en mesure de le faire. D’autres processus permettent de prendre du recul par rapport au quotidien et de se concentrer sur les principes sous-jacents. Je pense que nous nous imposons généralement de faire ce qui est bien quand nous nous concentrons sur les principes plutôt que sur les intérêts immédiats que des changements particuliers aux règles fiscales peuvent servir.

Le sénateur Pratte : S’il devait y avoir cet examen approfondi du régime fiscal entier, ce que vous semblez favoriser — et bien des témoins que nous avons entendus ont exprimé l’avis qu’il est temps de faire cet examen, 40 ou 50 ans après la commission Carter —, qu’est-ce qui devrait faire partie du mandat d’une telle commission royale ou commission d’experts?

M. Duff : L’un des principaux enjeux, dans ce débat à propos des sociétés privées, c’est l’imposition relative du revenu tiré du travail et du revenu du capital. La perspective de la commission Carter, c’était qu’un dollar est un dollar, qu’il fallait adopter un impôt sur le revenu complet et qu’il fallait imposer le revenu tiré du travail et le revenu du capital de la même manière. Certains principes d’équité favorisent cela.

En même temps, dans le contexte de mondialisation que nous connaissons aujourd’hui, il y a des principes d’équité et des raisons pragmatiques qui favoriseraient dans bien des circonstances un impôt différent pour le revenu du capital et pour le revenu du travail, et bien des questions complexes pour l’administration de cela. Mais nous avons vu cela évoluer avec les réductions du taux d’imposition général des sociétés d’un niveau qui correspondait beaucoup plus au taux marginal maximal des particuliers, à l’époque de la commission Carter, à un taux qui est maintenant de 27 p. 100 par rapport à 50 p. 100.

Dans les faits, nous avons donc évolué vers un tel système, mais il n’est pas cohérent. C’est un processus plutôt erratique. C’est un enjeu important qui mérite qu’on y revienne et qu’on se penche sur des modèles comme le régime fiscal double de l’hémisphère Nord, qui a un taux différent pour le revenu du capital et le revenu du travail. Il pourrait comporter beaucoup d’avantages, notamment sur le plan de l’équité, en particulier, dans la mesure où les pertes passives ont tendance à être séparées et à se retrouver dans le revenu du capital, sans pouvoir servir à d’autres genres de revenus. Il y a beaucoup de cela dans notre régime aussi. Je pense donc que c’est un aspect essentiel qu’il faut envisager, de même que le rôle de l’impôt des sociétés par la même occasion.

Je crois qu’il y a un autre enjeu dans ce débat, et c’est le choix de l’unité fiscale et la façon dont nous traitons le fractionnement et l’attribution du revenu. Encore là, les règles de notre régime sont fragmentaires. Nous avons adopté des règles d’attribution qui étaient des exceptions dans le contexte des sociétés privées dans le sillage d’un arrêt rendu dans les années 1990 par la Cour suprême. Le gouvernement a réagi de manière fragmentaire à l’impôt sur le revenu fractionné qui ne s’appliquait qu’aux enfants. Maintenant, il veut en étendre la portée à d’autres, et l’approche est fragmentaire, plutôt que de se fonder sur des principes liés à l’unité fiscale, au fractionnement du revenu plus généralement, et à la réponse pertinente à cela. Je voudrais donc que ce soit aussi sur la table.

Le sénateur Pratte : Vous avez mentionné qu’un régime fiscal devrait être aussi simple que possible, et nous avons entendu beaucoup de gens, même des experts en fiscalité, dire que le régime fiscal est devenu très complexe. Est-il possible aujourd’hui, parce que la réalité est si complexe, d’avoir un régime fiscal plus simple que celui que nous avons maintenant et d’avoir des propositions qui permettent l’atteinte des objectifs du gouvernement sans rendre encore plus complexe notre régime fiscal?

M. Duff : Je dirais que oui. Premièrement, l’une des clés est d’essayer de réduire au minimum les asymétries du régime. Vous pouvez vous débarrasser d’une bonne partie de la complexité entourant les règles de dépouillement du surplus si le taux d’imposition réel sur les gains en capital est semblable au taux d’imposition réel applicable aux dividendes. Le Canada l’a fait dans une grande mesure de 1972 à 2000, en l’absence de l’exonération cumulative des gains en capital, qui a causé quelques accrocs dans le régime. Mais cela mis à part, tout était équilibré. Quand le taux d’inclusion des gains en capital a été réduit à 50 p. 100 en 2000, cela a de nouveau déséquilibré le régime, ce qui a causé des pressions, car maintenant, les gens veulent des gains en capital plutôt que des dividendes. On pourrait donc simplifier les choses en réduisant ces asymétries. Vous ne pourrez pas réduire toutes les asymétries.

Un impôt sur le revenu à deux taux qui traite le revenu du capital différemment du revenu du travail serait une autre façon de réduire certaines de ces asymétries. Cela fait apparaître une nouvelle asymétrie, mais une seule plutôt qu’une pléthore d’asymétries fragmentaires. Vous auriez alors une méthode nettement plus simple pour l’impôt des sociétés et les dividendes, et il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter autant des impôts sur les investissements passifs ou sur les investissements qui ne sont pas admissibles.

Il serait aussi bon d’éliminer complètement le taux applicable aux petites entreprises et d’avoir un seul taux d’imposition des sociétés qui serait peut-être plus élevé que le faible taux actuel, mais quand même inférieur au taux applicable en ce moment aux sociétés; c’est l’orientation qu’a choisie le Royaume-Uni. Encore une fois, vous réduisez les asymétries et vous pouvez faciliter la simplicité. Cela étant dit, comme vous le dites, le monde est plus compliqué qu’avant, l’impôt est compliqué, et il y aura toujours un certain degré de complexité.

Je pense que l’impôt sur le revenu fractionné est particulièrement complexe, et je trouve malheureux l’arrêt rendu en 1998 par la Cour suprême. Je l’ai critiqué, à l’époque. Nous aurions un régime plus simple avec des décisions judiciaires servant à surveiller le régime si cela ne s’était pas produit. Mais nous avons maintenant un impôt très complexe sur le revenu fractionné.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le sénateur Mockler : C’est maintenant au sénateur Neufeld, qui sera suivi par la sénatrice Andreychuk.

Le sénateur Neufeld : Le sénateur Pratte a posé des questions au sujet de la simplicité du régime fiscal que nous avons maintenant. Vous avez parlé d’un examen plus approfondi. Pour résumer cela un peu, conviendriez-vous avec moi que ce qui devrait se produire, c’est que compte tenu de la complexité des changements proposés au milieu de l’été, quand la plupart des gens n’y étaient probablement pas attentifs, il vaudrait mieux reculer et amorcer un examen plus approfondi visant un processus très complexe de réforme fiscale? Conviendriez-vous de cela?

À mon avis, ce qu’il nous faut, c’est inscrire dans notre rapport des observations de personnes comme vous qui s’y connaissent, des observations utiles, pas nuisibles, pour progresser, surtout, et nous parlons maintenant de la structure fiscale.

M. Duff : C’est évidemment une question importante et délicate, pour laquelle…

Le sénateur Neufeld : Oh, ne vous en faites pas pour la nature délicate de la question.

M. Duff : … il faut dire des choses que je ne veux pas particulièrement dire. Je sais toutefois qu’on a grandement critiqué la façon dont les propositions ont été présentées au cours de l’été, après une période de consultation relativement courte, qui a maintenant été prolongée de facto, en fin de compte, comme c’est invariablement le cas dans ce genre de circonstances.

Cela dit, bien sûr, nous savons également que la pratique qui consiste pour un gouvernement de mettre en œuvre une réforme fiscale sans l’avoir préalablement annoncée dans un budget remonte à longtemps, n’est-ce pas? Donc, de ce point de vue, on pourrait dire que le gouvernement s’est montré un peu plus ouvert et transparent que ce qu’on voit souvent. On peut penser à la réforme fiscale du soir de l’Halloween, il y a de nombreuses années, pour ce qui est des fiducies de revenu, qui a été adoptée d’un coup dans un projet de loi d’exécution du budget.

J’hésite donc un peu à aller trop loin en critiquant un gouvernement parce qu’il essaie d’apporter des modifications pour résoudre, comme je l’ai dit, des problèmes symptomatiques. Renoncer à faire face à ces problèmes en disant tout simplement que nous allons attendre encore cinq ans le dépôt d’une sorte de rapport volumineux avant de nous attaquer aux questions structurales dont ces problèmes constituent les symptômes… J’hésite un peu à m’engager dans cette voie parce que je vois actuellement des problèmes auxquels on doit s’attaquer selon moi, même de manière provisoire, et j’appuie en principe certains des efforts visant à régler ces problèmes. Je ne voudrais donc pas voir le gouvernement tout simplement y renoncer pour l’instant et attendre encore cinq ans avant de faire quoi que ce soit. Je crois que cela aggraverait les problèmes que nous avons maintenant. Ce n’est probablement pas exactement la réponse que vous vouliez entendre de ma part.

Le sénateur Neufeld : Je ne vous demande pas non plus de critiquer le gouvernement. Je ne suis pas ici pour cela. Ce que je veux savoir, c’est comment nous pouvons aller de l’avant de manière rationnelle? Ce que je veux dire, c’est que je souscris partiellement aux mesures prises, mais qu’elles entraîneront d’autres problèmes complexes plus tard. Je demande s’il y a une façon d’aller de l’avant que nous devrions recommander. Je ne critique pas le gouvernement. Tous les gouvernements changent les règles fiscales, et vous avez parfaitement raison de dire qu’il arrive parfois que ce soit fait d’un coup, sans que personne l’ait vu venir. Y a-t-il une mesure qui peut être prise pour que le public, les petites entreprises et les gens touchés aient l’impression d’être écoutés? Je demande seulement s’il y a une solution facile à ce problème complexe pour faire avancer les choses de manière à ce que cela profite à un plus grand nombre de personnes dans l’ensemble du régime fiscal, d’une meilleure façon que ce que nous faisons actuellement. Ou allons-nous continuer de discuter de ce petit aspect de la question, à propos duquel je suis d’accord? Je vais toutefois également aborder cette question plus vaste et m’en plaindre. C’est là que je veux en venir. Je ne veux pas critiquer. En fait, l’idée est de trouver une porte de sortie pour les gens du gouvernement.

M. Duff : Une façon de les sortir du pétrin.

Le sénateur Neufeld : Je dirais, et je pense que vous êtes d’accord avec moi, que pour se montrer critique, on peut dire que la baisse du taux de 11,5 à 9 p. 100 avait pour but d’essayer de les sortir du pétrin. C’est donc ce qu’ils essaient de faire. Pourquoi ne pas recommander une façon de les sortir du pétrin?

M. Duff : On a déjà renoncé aux propositions relatives au dépouillement des surplus. Il n’en est plus question pour l’instant. Si l’on me posait la question, je dirais que les propositions relatives au revenu passif, tout d’abord, sont moins développées que les autres; et elles devraient vraiment tenir compte, de manière approfondie, de la façon dont nous imposons le revenu du capital par rapport au revenu du travail, ce qui est selon moi l’une des principales questions qu’il faut régler lorsqu’on examine de plus près l’impôt sur le revenu. Donc, sous cet angle, on devrait peut-être y renoncer pour l’instant.

Je pense que la question du fractionnement du revenu est plus problématique. Je crois que les iniquités constatées alors que certaines personnes peuvent fractionner leur revenu et payer des dividendes de 50 000 $ en franchise d’impôt à des enfants adultes qui vont à l’université sont beaucoup plus problématiques et plus pressantes.

La croissance des sociétés privées sous contrôle canadien depuis 2000, plus particulièrement à cause des provinces qui autorisent dorénavant la présence dans ces sociétés d’actionnaires non professionnels de la santé, constitue un problème plus grave. En regardant les propositions, je dirais qu’il faut renoncer pour l’instant à la mesure relative au revenu passif et procéder à un examen plus approfondi. Il faut adopter maintenant une solution limitée pour ce qui est du fractionnement du revenu, et procéder ensuite à un examen plus approfondi de ces questions.

Le sénateur Neufeld : Vous avez parlé du taux d’imposition des petites entreprises, et je conviens comme vous que la réduction du taux de 11,5 à 9 p. 100 creuse l’écart qu’on a essayé de combler plus tôt. C’est dire à quel point c’est ridicule lorsqu’on commence à vouloir régler de petites questions de manière ponctuelle. Donc, pour essayer de faire en sorte que le public les voit d’un œil favorable, on a réduit le taux d’imposition, et toutes les choses que le gouvernement a prônées, comme l’équité, ont pris le bord.

Vous avez dit que vous n’étiez pas favorable à un taux d’imposition plus faible pour les petites entreprises. Vous avez parlé un peu de la possibilité d’avoir le même taux d’imposition pour les sociétés. Vous pourriez peut-être parler un peu de ce qui constituerait selon vous un taux d’imposition équitable pour les petites entreprises.

M. Duff : À titre d’exemple, le Royaume-Uni a opté pour un taux uniforme d’imposition des entreprises. On se débarrasse donc ainsi de ce genre d’asymétrie. Un taux uniforme d’imposition des entreprises devrait probablement être plus élevé que le taux d’imposition des petites entreprises. Il pourrait peut-être se situer autour de 20 p. 100 pour l’ensemble des sociétés. Il s’agirait alors, si c’était combiné à d’autres sortes d’encouragements à l’investissement ou à un taux plus faible d’imposition du revenu du capital, d’un genre de compromis qui fonctionnerait même pour les petites entreprises. Cela nous permettrait également, je crois, de revenir à un système où nous pourrions avoir un taux d’inclusion des gains en capital qui correspond au taux de retenue sur les dividendes. Le taux de 20 p. 100 a bien fonctionné avec le taux d’inclusion des trois quarts des gains en capital.

Je pense donc qu’une série de mesures qui augmenterait le taux d’inclusion des gains en capital, diminuerait le taux d’imposition des grandes sociétés et hausserait le taux d’imposition des petites entreprises, permettrait de créer un régime qui comporte moins d’asymétries du genre. Un tel ensemble de réformes pourrait être intéressant. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a toujours des gagnants et des perdants à la suite d’une réforme fiscale, mais je pense que cette série de mesures pourrait être intéressante dans son ensemble.

De plus, les économistes diraient que ce serait aussi probablement bon pour l’économie du Canada, plus neutre, que cela favoriserait vraisemblablement la croissance dans différents contextes.

Le sénateur Neufeld : Merci.

Le sénateur Mockler : C’est au tour de la sénatrice Andreychuk, qui sera suivie du sénateur Oh.

La sénatrice Andreychuk : Je suis un peu perplexe. Vous nous avez donné des solutions à de petits problèmes, et vous dites ensuite comment nous pourrions régler la question en adoptant une approche plus globale.

Le gouvernement a annoncé qu’il veut qu’un employé salarié jouisse de la même équité fiscale qu’une petite entreprise constituée en société. La semaine dernière, le ministre Morneau a ensuite dit qu’il est question de l’équité entre les petites entreprises constituées en société et celles qui ne le sont pas.

À votre avis, quelle politique publique a poussé le gouvernement à isoler les petites entreprises, à s’attaquer aux trois domaines en question et à laisser tout le reste en suspens, ou du moins à ne pas avoir élaboré de réplique politique? Avez-vous compris ce qu’il faisait? Bien entendu, comme vous l’avez souligné, il y a de la justice et de l’injustice un peu partout. Par conséquent, pourquoi le gouvernement a-t-il adopté cette approche après s’être occupé de la tranche supérieure de 1 p. 100 et avoir échoué?

Est-ce idéologique de dire que cela fait croître la classe moyenne, ou y avait-il un élément déclencheur dans le monde de la fiscalité?

M. Duff : Dans le document du gouvernement, des données démontrent le nombre croissant de sociétés privées sous contrôle canadien, dont l’exploitation active est responsable d’une proportion accrue des revenus en pourcentage du PIB. Des incitatifs ont donc encouragé le recours aux sociétés privées sous contrôle canadien, plus particulièrement parmi les professionnels, et peut-être pas dans le but premier, qui est de faire croître une petite entreprise.

Par conséquent, je suis d’avis que le gouvernement a probablement examiné cette information, qu’il a tenu compte de la question de la neutralité. Dans cette optique, on pourrait donc se demander pourquoi une personne qui possède une société privée devrait avoir droit à des avantages considérables qui ne sont pas à la portée des entreprises non constituées en société ou, comme vous le dites, des employés salariés, donc aux deux.

Mais de quels avantages parlons-nous? Je ne pense pas que le gouvernement ait déjà dit qu’il veut éliminer le faible taux d’imposition des sociétés lorsque le revenu est réinvesti dans l’entreprise. Donc, en ce sens, je ne crois pas que le gouvernement ait déjà affirmé qu’il veut traiter les petites entreprises de la même façon que les employés salariés. Je pense qu’on reconnaît la situation différente des petites entreprises, à savoir qu’elles font face à des risques plus élevés, qu’elles doivent réinvestir dans leurs activités. L’accent a été mis sur le revenu passif et l’épargne en vue de la retraite, sur le risque d’offrir un avantage auquel les autres n’ont pas accès.

Nous avons beaucoup de dispositions très intéressantes pour encourager l’épargne en vue de la retraite, et il ne fait aucun doute que les personnes qui ont déjà versé le maximum permis peuvent obtenir d’autres avantages au moyen d’une société privée. Je crois que cela renvoie aux préoccupations du gouvernement concernant les contribuables à revenu élevé qui ont accès à des avantages fiscaux hors de la portée de la classe moyenne, à l’effort déployé pour essayer de régler le problème en examinant non seulement les taux, mais aussi les autres moyens qui permettent aux contribuables à revenu élevé de se soustraire aux taux plus élevés qui ont été adoptés à l’aide du fractionnement du revenu et de placements passifs en vue de la retraite dans une société privée sous contrôle canadien. Il ne fait aucun doute que ces méthodes sont à leur disposition. On ne l’a peut-être pas expliqué aussi bien qu’on le pouvait, ou on a peut-être perdu de vue l’objectif en s’engageant dans trop d’avenues différentes, mais je pense qu’il y a des préoccupations légitimes en matière d’équité et de neutralité.

La sénatrice Andreychuk : Eh bien, l’objection que j’entends, c’est qu’on ne s’est pas constitué en société pour obtenir un avantage fiscal, et que ce n’est pas une échappatoire si cet avantage existe. C’est à des fins légitimes, et on en tire parti puisqu’il existe. Ce n’est donc pas une échappatoire, un mauvais emploi du régime fiscal, et ce n’est certainement pas illégal. On a donc l’impression de se faire léser, car les entreprises n’ont pas été constituées en société pour obtenir un avantage fiscal. Certaines entreprises ayant de bonnes ressources l’ont fait pour cette raison, mais elles sont nombreuses, par exemple parmi les entreprises franchisées, à s’être constituées en société parce qu’elles ont récemment connu une forte croissance. C’était nécessaire pour beaucoup de ces entreprises. Ce n’était pas nécessairement par choix. Dans certains endroits, les établissements de crédit ne font pas affaire avec une entreprise non constituée en société. C’est là que réside la différence dans ma province. Lorsqu’une entreprise est au bord de la faillite et qu’elle doit se défaire de ses biens, elle veut enregistrer un manque à gagner, ce qu’elle ne peut pas faire à défaut d’être constituée en société, car deux lois l’interdisent. Nous protégeons les personnes qui pourraient devenir insolvables.

J’ai donc de la difficulté à comprendre pourquoi le gouvernement a proposé ce morceau de l’ensemble du régime. Plus vous parlez, plus je pense qu’il faut aborder la question globalement. Ce n’était pas une politique sociale, et pas plus une politique gouvernementale. Pourquoi prendre cette mesure et mettre l’accent sur l’équité fiscale alors que, dans les faits, notre système de santé et nos médecins, les professionnels dont vous parlez, seront touchés, ce qui pourrait avoir un effet d’entraînement sur notre système de santé. Nous n’aurons peut-être pas les médecins que nous voulons dans nos régions rurales, les spécialistes que nous voulons. Pourquoi ne comprend-on pas le risque dans le domaine de l’agriculture? Vous savez qu’il s’agit vraiment de cellules familiales. On ne peut donc pas aborder la question de façon individuelle. Il aurait fallu tenir compte d’un très grand nombre de politiques sociales et de politiques gouvernementales globales.

J’ai consacré la majorité de mon temps à des questions commerciales, et il y a toutes sortes d’incitatifs pour faire croître la classe moyenne, mais nous devons également comprendre que les PME sont le moteur de notre économie.

Ce n’est pas ce que j’entends. Cela paraît négatif plutôt que positif. Si vous dites que 3 p. 100 des petites entreprises constituées en société sont vraiment au sommet, leur réplique est qu’elles sont là parce qu’elles veulent continuer de croître, de créer des emplois, de nouvelles industries et ainsi de suite. Je saute maintenant un peu d’un sujet à l’autre, comme le gouvernement.

M. Duff : Y a-t-il une question?

La sénatrice Andreychuk : Serait-il préférable de proposer une mesure qui tient non seulement compte de l’assiette fiscale, mais aussi de la façon dont nous devrions nous positionner dans l’économie de l’avenir?

M. Duff : Vous avez dit beaucoup de choses, et vous avez terminé en demandant des mesures plus globales. Ce n’est pas mon domaine de compétence. Je me concentre évidemment sur la politique fiscale. Idéalement, la politique fiscale devrait cadrer avec les autres politiques.

Je veux parler du point que vous avez abordé plus tôt, à savoir que ce n’est pas une échappatoire. Ce n’est pas un recours abusif à la disposition. Bien entendu, si ces stratégies étaient mal utilisées ou utilisées de manière abusive, le gouvernement interviendrait au moyen d’une disposition générale anti-évitement, en s’adressant aux tribunaux. Le gouvernement n’a pas dit que ces choses constituent un usage abusif du régime fiscal actuel, mais cela ne signifie pas que la disposition doit demeurer à jamais en vigueur si elle présente des problèmes. Le gouvernement a cerné à juste titre des problèmes dans le régime actuel. Les gens ne doivent pas avoir droit indéfiniment à des règles fiscales avantageuses lorsqu’elles entraînent des problèmes.

Je pense plus particulièrement au fractionnement du revenu qui était impossible avant la décision prise en 1998 par la Cour suprême dans l’affaire Neuman c. M.N.R. C’est une pratique récente. Les gens s’habituent aux possibilités de ce genre, mais je ne pense pas qu’ils doivent y avoir droit indéfiniment quand elles ne constituent pas vraiment de bonnes politiques fiscales, comme dans ce cas-ci selon moi.

Comme vous le dites, la plupart des entreprises ne se sont pas constituées en société pour obtenir ces avantages. Certaines l’ont fait, et je pense que c’est le cas pour certains professionnels à revenu élevé. Mais le fait qu’une entreprise ne se soit pas constituée en société à cette fin ne signifie pas qu’elle devrait le faire, qu’elle doit avoir droit à des avantages fiscaux qui ne sont pas vraiment nécessaires à sa croissance. Après tout, le fractionnement du revenu fonctionne seulement lorsqu’on prélève de l’argent dans l’entreprise, pas lorsqu’on y réinvestit l’argent. Je voulais plus particulièrement aborder ce point, qui se rapporte à la politique fiscale. Je ne suis pas qualifié pour parler d’un grand nombre des autres points que vous avez soulevés.

Le sénateur Mockler : Nous terminerons notre première série de questions avec le sénateur Oh.

Le sénateur Oh : Merci de votre présence ici, monsieur.

Bon nombre de questions ont été posées, mais j’aimerais aller dans une autre direction.

En 1917, lorsque la Loi de l’impôt sur le revenu a été adoptée, il n’y avait que six pages. Aujourd’hui, en 2017, cette loi en compte maintenant 1 412. Dans votre exposé, vous avez mentionné que ce système fiscal est inutilement complexe, difficile à comprendre et très difficile à exécuter. Les citoyens canadiens seraient-ils traités équitablement par l’ARC si une telle réforme fiscale complexe était mise en œuvre? Seraient-ils traités équitablement par l’ARC? Personne ne souhaite recevoir la visite de vérificateurs lorsque nous savons que le résultat dépend de leur bon vouloir.

M. Duff : Eh bien, mon impression générale de l’ARC à titre d’agence gouvernementale est qu’elle essaie majoritairement d’accomplir un bon travail. L’agence est souvent à court de personnel; les employés ne connaissent peut-être pas les règles aussi bien que certains spécialistes du secteur privé. Nous l’entendons de ces spécialistes qui se disent frustrés, parce que certains employés ne connaissent pas les règles aussi bien qu’eux et qu’ils ont peut-être adopté une interprétation avec laquelle ils ne sont pas d’accord, mais nous avons des tribunaux pour démêler le tout.

Cependant, pour l’essentiel, je crois que l’ARC essaie d’accomplir un bon travail; si nous la comparons à d’autres organismes fiscaux dans le monde, elle accomplit certainement un bon travail. La complexité du régime n’aide pas l’ARC à faire un bon travail, et c’est vrai que la Loi de l’impôt sur le revenu est beaucoup plus complexe qu’elle l’était en 1917, mais le monde est aussi plus complexe qu’il l’était en 1917.

Je crois que la tâche de l’ARC devient plus facile si les règles sont simplifiées autant que possible. Bref, je crois que c’est un objectif important pour l’ARC qui doit appliquer les règles et les contribuables qui cherchent à se conformer aux règles et à éviter, autant que faire se peut, des litiges coûteux qui peuvent être nécessaires pour régler ces problèmes.

C’est la meilleure façon dont je peux répondre à votre question. Je ne sais pas si vous avez l’impression que cela y répond.

Le sénateur Oh : Merci.

Le sénateur Mockler : Nous avons le temps pour une deuxième série de questions, mais votre question devra être courte. La sénatrice Marshall a la parole.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup, monsieur le président.

Hier soir, il était beaucoup question à la télévision des Paradise Papers. Il est question des propriétaires de petites entreprises, et bon nombre d’entre eux font partie de la classe moyenne. Ces personnes voient des contribuables qui ont des revenus beaucoup plus élevés et qui sont en mesure d’utiliser des fiducies à l’étranger à leur avantage. Avez-vous une opinion à ce sujet? Par exemple, dans quelle mesure notre régime fiscal est-il équitable?

M. Duff : J’ai abordé la question lors de la publication des Panama Papers. Il semble que nous vivions à une époque où il y aura régulièrement des fuites de renseignements sur les personnes qui investissent dans des paradis fiscaux. Le Canada possède des règles relativement strictes concernant l’imposition des fiducies à l’étranger et des sociétés étrangères. Le problème, c’est l’information, et voilà pourquoi ces fuites nous fournissent tout d’un coup ces renseignements.

Le monde a réalisé d’importants progrès au cours de la dernière décennie en ce qui concerne l’échange de renseignements sous le leadership de l’OCDE. Il est important d’adopter des règles, mais il est tout aussi important d’avoir de l’information qui nous permet de déterminer qui se cache derrière une entité étrangère et qui est le véritable propriétaire d’une fiducie à l’étranger ou d’une société étrangère. Selon moi, c’est le principal enjeu à l’échelle internationale. C’est en cours. Ce que nous avons vu jusqu’à présent, ce sont ces vieilles structures, dans un certain sens, qui ont précédemment été établies. Nous échangeons des renseignements dans une grande mesure, et je suis d’avis que cela, autant que n’importe quoi d’autre, permettra d’améliorer la donne.

La sénatrice Marshall : Vous connaissez assez bien la Loi de l’impôt sur le revenu. Croyez-vous que les règles ayant trait aux fiducies et à ces autres formes de structures fiscales doivent faire l’objet d’une réforme au même titre que les règles relatives aux petites entreprises et au recours à des sociétés privées?

M. Duff : Comme je le dis, par exemple, je crois que nos dispositions concernant le revenu étranger accumulé tiré de biens pour les sociétés sont relativement solides, pourvu que nous ayons l’information. Les règles ayant trait aux fiducies ont été modifiées il y a quelque temps, mais je crois qu’elles sont également efficaces de manière générale.

Le gouvernement a en fait proposé des règles relativement aux sociétés de placement étrangères passives, mais il a fini par laisser tomber l’idée. Étant donné que le gouvernement a fait marche arrière à ce sujet, la jurisprudence indique que les tribunaux sont réticents à appliquer de manière agressive ces dispositions. Bref, c’est peut-être un élément qu’il vaudrait la peine d’examiner.

Comme je le dis, je crois que, pour l’essentiel, nos règles ne sont pas mauvaises. C’est l’information pour les appliquer qui est le gros problème. Le gouvernement a investi dans l’ARC en vue d’obtenir ces renseignements, et l’échange de renseignements automatique devient de plus en plus la norme à l’échelle internationale.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Mockler : Monsieur Duff, votre témoignage a été très instructif. Merci beaucoup.

Je remercie notre deuxième groupe de témoins ce matin d’avoir accepté notre invitation. C’est un grand honneur d’entendre vos commentaires, vos opinions et vos recommandations. Comme vous le savez, le Comité sénatorial permanent des finances nationales a été autorisé par le Sénat du Canada à étudier, en vue d’en faire rapport, les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes. Il était question en particulier de la répartition du revenu, de la détention de placements passifs dans des sociétés privées et troisièmement de la conversion du revenu en gain en capital. De plus, l’ordre de renvoi du Sénat du Canada demande au comité de porter une attention particulière aux répercussions des changements proposés sur les petites entreprises et les professionnels constitués en société, la croissance économique et les finances publiques, l’équité de l’imposition des différents types de revenus et d’autres questions connexes. Nous déposerons notre rapport au Sénat du Canada au plus tard le 15 décembre.

Honorables sénateurs, voici nos témoins : M. Iain Black, président-directeur général du The Greater Vancouver Board of Trade, Anita Huberman, chef de la direction du Surrey Board of Trade,, et Val Litwin, président-directeur général de la BC Chamber of Commerce.

La greffière vous a informés que vous avez cinq minutes pour faire votre exposé, puis les sénateurs vous poseront des questions.

Monsieur Black, veuillez faire votre exposé, puis ce sera le tour de Mme Huberman et de M. Litwin.

Iain Black, président-directeur général, The Greater Vancouver Board of Trade : Sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de vous faire part ce matin de certaines réflexions en ce qui concerne la réforme fiscale et en particulier les sociétés privées sous contrôle canadien ou, comme nous les appelons, les petites entreprises et les entrepreneurs.

J’ai le privilège d’être président-directeur général du Greater Vancouver Board of Trade, qui est un organisme sans but lucratif et strictement non partisan. Cet organisme représente depuis plus de 130 ans les intérêts du milieu des affaires de Vancouver et il est aujourd’hui l’une des associations de gens d’affaires les plus dynamiques, diversifiées et influentes au Canada. Nous comptons plus de 5 000 membres dans la région du Grand Vancouver, et plus de 80 p. 100 d’entre eux se considèrent comme des petites et moyennes entreprises. Nos membres emploient ensemble environ le tiers de la population active de la Colombie-Britannique.

Je présume que certains d’entre vous trouveront également intéressant de savoir, pour vous donner encore plus de contexte, que j’ai été élu à deux reprises député provincial et que j’ai été ministre dans la province, notamment ministre des Petites Entreprises et ministre du Développement économique. De plus, comme autre élément pertinent à nos discussions, je dirige également cinq entreprises.

La Colombie-Britannique entretient une relation très spéciale avec les petites entreprises; vous n’en êtes peut-être pas conscients, mais c’est important dans le cadre de nos discussions d’aujourd’hui. Près de 6 emplois sur 10 en Colombie-Britannique sont dans le secteur des petites entreprises, et plus du tiers du produit intérieur brut découle du secteur des petites entreprises. Dans chaque cas, c’est le pourcentage le plus élevé au Canada.

Nous avons connu quatre mois intéressants. Les modifications fiscales proposées au début juillet peuvent tout simplement être qualifiées d’idées irréfléchies et fondées sur des renseignements erronés. Le gouvernement a très mal procédé en la matière et a imposé un échéancier comprimé qui était totalement inadéquat, compte tenu de la réaction négative qui en a découlé partout au pays. Cette réaction négative a été alimentée par l’authenticité, les faits et le contexte, soit trois éléments qui faisaient défaut, selon bon nombre d’intervenants, dans les propositions et la démarche.

L’histoire récente et les lacunes dans les idées proposées au départ ont été très bien débattues; je ne vais donc pas m’attarder davantage aujourd’hui sur des éléments précis ayant trait aux idées proposées au départ ou au drame qui en a découlé.

Cependant, j’aimerais mentionner que la réaction de nos membres a été tout simplement sans précédent. Par l’entremise d’un formulaire d’envoi de courriels sur notre site web, nous avons invité nos membres à exprimer leurs points de vue aux députés fédéraux de la Colombie-Britannique. Nous anticipions qu’environ 5 000 courriels seraient envoyés au cours du mois. Nous avons atteint le nombre de 11 000 courriels en 5 jours; à la fin du mois, il y en avait 28 800. C’était sans précédent au sein de notre organisme.

Toutefois, nous prônons depuis longtemps la compétitivité fiscale et la prudence financière. Ce sont les bases d’une économie canadienne prospère. Nous sommes vraiment inquiets que l’ensemble de la réforme fiscale présentée par le ministère des Finances nuise directement au premier élément, soit la compétitivité fiscale, et mette aussi indirectement en péril le deuxième élément, soit la prudence financière, en raison du ralentissement des activités commerciales qu’entraînerait l’adoption des modifications proposées, même en tenant compte des changements annoncés par le ministre des Finances dans la semaine du 16 octobre.

Cependant, ces changements laissent les entreprises touchées dans de nombreux secteurs de l’économie canadienne dans un état d’incertitude en ce qui a trait aux autres modifications que proposera le ministère des Finances. Cela signifie que de nombreuses petites et moyennes entreprises, qui stimulent une grande partie des investissements et de la création d’emplois, se retrouveront dans les faits dans l’incertitude durant une bonne partie de l’année en ce qui concerne leurs stratégies en matière de planification fiscale, d’investissements, de succession et de retraite.

Nous avons néanmoins participé au processus du ministère des Finances qui a pris fin le 2 octobre pour présenter nos commentaires. Nous avons souligné quatre principes ou domaines qu’il devrait examiner. Cela portait sur des éléments comme les propriétaires et les employés et le manque de distinction entre les deux groupes. Nous avons exprimé des préoccupations concernant le coût du respect des règles et de l’incertitude et le manque de flexibilité et d’innovation, ce qui n’est pas du tout cohérent avec le propre programme du gouvernement. Nous avons souligné que les modifications toucheront négativement un nombre disproportionné de femmes propriétaires d’entreprises en ce qui concerne le fractionnement du revenu et le congé de maternité autofinancé.

Par contre, avant de conclure, je tiens à mettre l’accent sur des inquiétudes vraiment de plus haut niveau. Premièrement, cela concerne l’écart flagrant et clair entre les faits du ministre des Finances et les faits présentés par les conseillers, les fiscalistes, les comptables et les spécialistes en plans de succession et de relève de centaines de milliers de propriétaires de petites entreprises de partout au pays. Les faits étaient tout bonnement erronés sur le plan arithmétique.

Deuxièmement, il semble y avoir une démarche ambivalente ou cavalière en ce qui concerne la modification de ce que je qualifierais de relation sacro-sainte entre le gouvernement et les petites entreprises, soit une relation bien définie qui fonctionne très bien depuis près de cinq décennies.

Enfin, nous avons exprimé des inquiétudes concernant les solutions faciles qui ont été annoncées dans la semaine du 16 octobre et qui ont probablement été élaborées en vue d’essayer de rendre plus acceptables les modifications fiscales proposées au départ. Il y a beaucoup de détails entourant cette réforme, et je présume que mes collègues et amis en aborderont certains également, mais nous pouvons le faire durant la période de questions et de réponses, si vous le souhaitez.

En terminant, outre les recommandations formulées sur la question par la Coalition pour l’équité fiscale envers les PME, qui comptent maintenant 80 très grandes organisations de partout au pays, et celles de la Chambre de commerce du Canada, dont notre organisation est un membre très fier et très actif, nous souhaitons formuler les recommandations suivantes au comité et au ministère des Finances : premièrement, mettre les changements proposés sur la glace. Les réformes fiscales proposées, même dans leur version modifiée, ne doivent pas être mises en œuvre. Deuxièmement, lancer une étude approfondie de la fiscalité des entreprises au Canada. La fiscalité des entreprises, et la fiscalité en général, doit faire l’objet d’une conversation importante et réfléchie toutes les trois ou quatre décennies. Il y a longtemps qu’une telle conversation n’a pas eu lieu. Il est temps et nous souhaitons y participer. Nous devons prendre le temps d’avoir cette conversation, car, je tiens à vous le rappeler, la dernière s’est étirée sur deux ans et demi, et non sur 72 jours.

Nous encourageons la tenue d’une telle conversation et toute évaluation qui pourrait en découler devrait être détaillée et réfléchie, se faire lentement et inclure de véritables consultations auprès des Canadiens concernés, notamment les membres que nous représentons.

Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître.

Le sénateur Mockler : Merci, monsieur Black.

Madame Huberman, vous avez la parole.

Anita Huberman, chef de la direction, Surrey Board of Trade : Merci beaucoup de m’avoir invitée à comparaître.

Le Surrey Board of Trade représente environ 6 000 contacts d’affaires, 2 500 entreprises et environ 60 000 employés. Nous souhaitons envoyer un message clair au gouvernement du Canada au sujet des changements proposés au régime fiscal fédéral. À notre avis, s’ils sont mis en œuvre, les changements proposés, même dans leur version modifiée, nuiront à la capacité des petites entreprises à se développer en tant que leviers économiques pour le développement urbain.

Surrey est en voie de devenir la plus grande ville de la Colombie-Britannique. Les changements proposés au régime fiscal fédéral nuiront aux petites et moyennes entreprises. Nous comptons le plus grand nombre de fabricants en Colombie-Britannique. Nous formons une communauté de petites et moyennes entreprises. Entre juillet et septembre, le Surrey Board of Trade a cherché à obtenir l’opinion de ses membres par l’entremise de sondages et de consultations en personne. Comme l’a souligné Iain Black, du Greater Vancouver Board of Trade, la très grande majorité des répondants, un ensemble de membres représentant une industrie très diversifiée, s’oppose aux changements proposés au régime fiscal fédéral, même la plus récente version modifiée.

Surrey se développe rapidement. Le développement résidentiel, commercial, industriel et institutionnel a entraîné une augmentation considérable de l’emploi dans la population. Les PME forment le noyau du secteur commercial de Surrey et seraient durement touchées par une augmentation des impôts. Cela aurait un effet d’entraînement négatif sur l’investissement dans l’emploi, à Surrey, et empêcherait les entrepreneurs à réinvestir dans leur propre entreprise.

Les changements proposés s’attaquent à un symptôme, et non à la raison pour laquelle les propriétaires de petites entreprises utilisent de plus en plus des moyens légitimes pour réduire leurs impôts. Le gouvernement cherche à éliminer certaines mesures dans le but d’uniformiser les règles pour les petites entreprises constituées en société, d’une part, et les entreprises non constituées en société et les employés salariés, d’autre part. Cette comparaison n’est pas raisonnable. En raison de ces changements, les propriétaires de petites entreprises y réfléchiraient à deux fois avant de redoubler d’efforts ou de prendre un risque supplémentaire et investir dans l’innovation, surtout si le gouvernement leur retire plus de la moitié de leurs récompenses monétaires.

Le Surrey Board of Trade juge également problématique que le gouvernement ait choisi d’introduire ces problèmes au cours des mois d’été jusqu’en septembre. Les propriétaires d’entreprises s’inquiètent beaucoup que les changements proposés au régime fiscal les empêchent injustement d’accumuler des économies en vue de leur retraite, entraînent une baisse des économies de leurs entreprises et rendent plus difficile le transfert de propriété des entreprises familiales à la prochaine génération. D’ailleurs, la première journée que les changements proposés ont été annoncés, j’ai reçu plusieurs appels de propriétaires d’entreprises, la plupart des entreprises de fabrication comptant entre 40 et 50 employés, et tous m’ont dit qu’ils fermeraient les portes de leur entreprise, mettraient à pied leurs employés et s’installeraient ailleurs.

Les changements proposés au régime fiscal auront des conséquences négatives sur la croissance des affaires et la création d’emplois. En vérité, il est déraisonnable de comparer les entrepreneurs et propriétaires de petites entreprises aux employés salariés. Chaque jour, les biens immobiliers personnels et commerciaux des propriétaires sont exposés aux risques liés à des indemnités bancaires et à des titres. Ils travaillent beaucoup plus que l’employé moyen sans toucher de rémunération supplémentaire. Ils ne reçoivent aucune prestation d’assurance-emploi si leur entreprise ferme ses portes et ils n’ont aucun régime de pension. Les sommes qu’ils investissent dans leur entreprise constituent un investissement en vue de leur retraite.

La solution? Le Surrey Board of Trade croit qu’une réforme fiscale est nécessaire, mais que celle-ci devrait avoir lieu dans le second mandat du gouvernement fédéral. Cette réforme devrait être suffisamment exhaustive pour régler le problème fondamental des taux marginaux d’imposition punitifs imposés aux contribuables à revenu élevé. Une approche pourrait être d’examiner la possibilité de modifier le taux d’imposition des petites entreprises et les règles sur les dividendes et d’offrir aux propriétaires de petites entreprises des stimulants fiscaux pour les encourager à investir dans leur entreprise. De telles mesures permettraient de simplifier le régime fiscal plutôt que de le rendre plus complexe, comme le feraient les changements proposés. De plus, elles continueraient d’inciter les propriétaires de petites entreprises à travailler fort et à prendre les risques nécessaires pour développer leur entreprise et participer à la croissance économique et pour concurrencer à l’échelle mondiale.

Le gouvernement doit procéder à une réforme exhaustive équilibrée qui permettra d’éloigner certaines des préoccupations soulevées plutôt que d’opposer deux groupes. Cela laisserait le temps au gouvernement de dégager un consensus et de proposer des réformes lorsque le budget sera équilibré et qu’il y aura moins de pression pour maximiser les revenus.

Le gouvernement du Canada doit savoir que les propriétaires d’entreprise à Surrey, en Colombie-Britannique, sont suffisamment inquiets, comme je l’ai souligné plus tôt, qu’ils sont prêts à fermer les portes de leur entreprise si les réformes fiscales proposées sont mises en œuvre. Les changements proposés décourageraient les propriétaires d’entreprise à investir dans leur commerce, entreprise agricole — le tiers du territoire de Surrey est constitué de terres agricoles —, boulangeries, garages, entreprises en construction et cliniques. Ils imposeraient un fardeau injuste aux travailleurs canadiens qui verraient leurs revenus de placement être touchés par deux fois.

Il est clair qu’un groupe tiers ou une commission royale quelconque doit revoir le régime fiscal du Canada afin de le rendre moins lourd.

En terminant, nous tenons à souligner que nous étions heureux de voir que les changements proposés ont été annoncés dans le cadre de la semaine des petites entreprises, en octobre. Toutefois, nous attendons toujours les détails concernant la mise en œuvre de ces changements proposés au régime fiscal. Comme vous le savez, 2018 est à nos portes. Merci beaucoup.

Le sénateur Mockler : Merci.

Monsieur Litwin, de la BC Chamber of Commerce, vous avez la parole.

Val Litwin, président-directeur général, BC Chamber of Commerce : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour et merci.

La BC Chamber of Commerce est l’organisation d’affaires la plus importante et la plus diversifiée de la province. Elle représente la perspective de plus de 120 chambres et bureaux de commerce, dont deux sont représentés ici ce matin, et plus de 36 000 membres à l’échelle de la province.

Je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des finances nationales de nous avoir donné l’occasion de partager la réflexion des petites entreprises en ce qui a trait aux changements proposés au régime fiscal fédéral.

Pendant des décennies, on a louangé les petites entreprises et entrepreneurs comme étant le moteur de l’économie et des exemples de l’esprit créatif canadien et vanté leur rôle dans la croissance économique, la création d’emplois et la prospérité. Pourtant, en juillet dernier, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de mettre en œuvre des changements radicaux au régime fiscal, des changements qui nuiraient aux petites et moyennes entreprises, notamment en Colombie-Britannique où l’économie repose sur leur réussite.

Puisque les PME jouent un rôle aussi important dans le rendement économique global, les changements proposés par le gouvernement fédéral au régime fiscal viendraient compliquer la tâche de ces propriétaires d’entreprise qui souhaitent poursuivre leurs activités et développer leur entreprise. En modifiant la capacité de ces entrepreneurs à partager leur revenu avec les membres de leur famille qui mettent souvent l’épaule à la roue, et ce, gratuitement lorsque les temps sont durs et de continuer à faire des placements passifs dans leur entreprise, le gouvernement fédéral retire à ces propriétaires certains des outils qu’ils utilisent pour atténuer le risque associé à l’exploitation de petites entreprises et économiser un peu plus pour les études de leurs enfants ou, peut-être, leur propre retraite.

Le gouvernement fédéral croit que ces changements visent les plus riches, mais, au bout du compte, ils auront un impact négatif sur la majorité des propriétaires d’entreprise qui sont clairement dans la classe moyenne. Selon Statistique Canada, les deux tiers des propriétaires de petites entreprises gagnent moins de 73 000 $ par année, et la moitié d’entre eux gagnent moins de 33 000 $ par année. Maintenant, le gouvernement propose de changer les règles fiscales qu’utilisent ces propriétaires d’entreprise depuis des décennies.

Mesdames et messieurs les membres du comité, je suis convaincu que vous connaissez les faits et les données relatifs au secteur des petites entreprises. Donc, avec le temps qu’il me reste, je vais plutôt vous raconter l’histoire d’une propriétaire de petite entreprise qui fait partie du réseau de la BC Chamber of Commerce. Melissa Dobernigg est une agricultrice dans le nord de l’Okanagan. Elle et son conjoint sont des pomiculteurs de troisième génération et les propriétaires de BX Press Cidery and Orchard, à Vernon. La seule raison pour laquelle ils ont pu hériter de l’exploitation agricole du beau-père de Melissa, c’est que ce dernier a pu profiter de l’exonération cumulative des gains en capital. Sans cette exonération, il n’aurait pas pu payer les impôts nécessaires pour transférer la propriété de l’exploitation agricole. Comme ils le disent si bien eux-mêmes : « Nous avons risqué de perdre notre entreprise agricole lorsque plusieurs prêteurs ont refusé de nous soutenir. » Selon Melissa, et je la cite : « Nous travaillons sept jours semaine, toute l’année, du matin au soir, sans prendre de vacances. Nous n’avons aucun régime de pension ni filet de sécurité et versons des cotisations importantes à l’assurance-emploi et au RPC pour nos employés. »

Melissa et BX Press Cidery contribuent également à l’économie locale. « Nous avons des employés à temps partiel et à temps plein qui touchent un salaire bien plus élevé que le salaire minimum. Nous soutenons des organisations locales à but non lucratif grâce à notre salle de dégustation. Nous soutenons des entreprises locales, des entreprises de transport de marchandises, des musiciens, des traiteurs et de nombreux métiers grâce aux constructions nécessaires à notre entreprise, à l’entretien continu et à l’élargissement possible de nos activités. Nous avons énormément aidé le tourisme à Vernon et favorisé la croissance de l’industrie du cidre artisanal en Colombie-Britannique. »

Il est important de souligner que Melissa ne se plaint pas de l’engagement nécessaire pour exploiter avec succès une petite entreprise. Comme elle le dit elle-même : « Notre entreprise nous tient à cœur et nous aimons notre travail. » Mais, pour Melissa, et encore une fois, je la cite : « Si le risque accru lié à l’investissement ne nous rapporte aucune récompense financière, à quoi bon prendre ce risque? Des changements aussi radicaux nuiraient à la base de l’économie canadienne et aux familles qui travaillent très fort pour gagner leur vie. »

Ce n’est que l’un des milliers d’histoires qui nous sont rapportées d’un peu partout dans la province, à nous et à nos chambres locales. La perte de petites et moyennes entreprises en Colombie-Britannique ou le fait de nuire à leur productivité aurait un impact sur l’avenir de la province et du pays.

Il s’agit ici des changements les plus radicaux proposés à l’impôt des entreprises au cours des 50 dernières années et ils ont été proposés malgré très peu de consultations. Les propriétaires de commerce indépendants de la Colombie-Britannique me disent tous que ces changements risquent de décourager les entrepreneurs à se lancer en affaires et pourraient nuire à l’emploi et à la croissance, car les propriétaires d’entreprise chercheront de nouvelles façons de contrebalancer les coûts additionnels pour eux et leur entreprise.

Nous remercions le gouvernement fédéral d’avoir démontré une volonté d’écoute et d’avoir proposé des changements. Toutefois, les réformes proposées au régime fiscal risquent tout de même de causer beaucoup de tort aux Britanno-Colombiens et Canadiens qui prennent le risque de démarrer une entreprise. Ces changements auront pour effet de ralentir la croissance économique, l’innovation et la création d’emplois.

Donc, en terminant, la BC Chamber of Commerce se range derrière ses collègues et membres de la Colombie-Britannique et du pays et demande au ministre et au gouvernement fédéral de continuer à travailler avec la communauté des affaires avant d’apporter quelques changements que ce soit, et de régler les lacunes de la politique fiscale actuelle sans que cela ait de conséquences injustes pour les entreprises indépendantes. Merci.

Le sénateur Mockler : Merci.

Nous commencerons par le sénateur Neufeld, puis ce sera au tour de la sénatrice Jaffer, suivie de la sénatrice Marshall, et enfin le sénateur Pratte. Sénateur Neufeld, allez-y s’il vous plaît.

Le sénateur Neufeld : Merci à tous de vos excellents exposés. Nous en avons entendu pas mal jusqu’à maintenant qui se ressemblent beaucoup, peu importe la région du Canada. Nous ne sommes pas allés dans l’Est encore, mais nous avons entendu des témoins à Ottawa pour connaître le point de vue des gens en Ontario et au Québec, et maintenant c’est au tour de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba; puis dans quelques semaines, nous irons dans l’Est. Nous avons certainement entendu, c’est à tout le moins mon cas, les mêmes commentaires.

On répète toujours que la Loi de l’impôt sur le revenu est très complexe et qu’on peut la simplifier. Comme je fréquente les milieux gouvernementaux depuis un certain temps déjà, je sais que c’est parfois plus facile à dire qu’à faire.

J’ai déjà posé la question suivante à nos témoins précédents, et je crois que vous me donnerez tous la même réponse. Diriez-vous que ce que le gouvernement fédéral devrait faire après tout ce qu’il a fait jusqu’à maintenant — apporter des changements en juillet quand les gens ne prêtent pas vraiment attention à ce qui se passe au gouvernement, puis en octobre, annoncer qu’il fera de nouveaux changements —, c’est d’annuler tous ces changements, et de procéder à un examen exhaustif de la Loi de l’impôt sur le revenu, une commission royale, peu importe comment on l’appelle, pour simplifier la loi le plus possible et la rendre plus équitable? De plus, je ne suis pas d’accord pour attendre un deuxième mandat; je préférerais que cela se fasse maintenant. Êtes-vous d’accord avec moi? Je demanderais à chacun de répondre.

M. Black : Bien sûr. Un bref commentaire en passant, vous avez mentionné être au début d’un assez long voyage. J’ai été membre de comités comme ceux-ci et j’ai voyagé partout dans la province et au pays. Ce n’est pas un travail prestigieux, alors je vous remercie de servir les intérêts du pays. Ce que vous faites est d’une importance cruciale.

Sénateur, quatre changements ont été proposés : la réduction pour les petites entreprises, le seuil de revenu passif de 50 000 $, l’élimination de la conversion en gains en capital, puis la répartition des revenus. Selon nous, comme je l’ai mentionné un peu plus tôt, il s’agissait davantage d’une réaction aux éléments négatifs que d’une politique réfléchie. Le Greater Vancouver Board of Trade est donc d’avis — et c’est un point de vue relativement unanime partout au pays — que tous les changements qui ont été apportés devraient être suspendus et qu’aucun d’eux ne devrait être mis en œuvre, pour être bien clair, jusqu’à ce qu’on ait procédé à une analyse approfondie du régime fiscal, pour les particuliers et les entreprises, au Canada. Nous appuyons fermement la tenue d’une telle analyse aussitôt que possible.

Mme Huberman : Le Surrey Board of Trade abonde dans le même sens. Le problème n’était pas seulement que les changements ont été annoncés pendant l’été, mais surtout qu’ils étaient tellement compliqués pour les petites et moyennes entreprises qui, par exemple, fabriquent de l’équipement et qui sont très occupées à vendre leurs produits ou leurs services. Il faut qu’il y ait un examen complet du régime.

M. Litwin : Sénateur, je suis tout à fait d’accord avec mes collègues et, en fait, j’irais même plus loin que mon bon collègue, M. Iain Black, lorsqu’il dit qu’il faut appuyer sur le bouton « pause ». Je pense qu’il faut appuyer sur le bouton « remise à zéro », et il faut suspendre tous les changements jusqu’à ce qu’on procède à un examen complet du régime fiscal. C’est ce que nous disent nos entreprises, et elles sont des dizaines de milliers à parler d’une seule voix. C’est donc sans aucune hésitation que nous disons oui à une suspension de tous les changements qui ont été apportés, ainsi qu’à un examen approfondi du régime.

Le sénateur Neufeld : Est-ce que l’un d’entre vous pourrait me dire quelle raison aurait le gouvernement de prendre des mesures à l’égard d’une si petite partie de la Loi de l’impôt sur le revenu qui attaquent essentiellement les fermes familiales et les autres petites entreprises?

Après avoir vu, tout comme les propriétaires de petites entreprises et les agriculteurs, le reportage de la CBC hier soir sur les Paradise Papers, je pense qu’ils doivent se demander si cela s’applique à eux lorsque le gouvernement dit qu’il veut assurer l’équité fiscale. Ils s’attaquent ici aux petites entreprises et aux agriculteurs. Quand on pense aux fiducies de revenu et aux autres activités du même genre, aux Caraïbes, à l’argent qu’on déplace d’un pays à l’autre, ne croyez-vous pas que c’est là justement où le gouvernement devrait concentrer ses efforts, ou sur les grandes banques, pour les empêcher de faire transiter l’argent par des canaux partout dans le monde — je veux dire, c’est compliqué — pour payer moins d’impôt que le taux des entreprises?

M. Black : Je ne répondrai pas à toutes les questions, mais à deux, si vous le permettez.

Premièrement, en ce qui a trait aux motivations du gouvernement, nous ne pouvons pas parler, et ne parlerons pas, de l’aspect partisan des politiques comme tel. Toutefois, je dois dire objectivement qu’il est juste de dire que le gouvernement a été élu avec le mandat d’agir dans ce domaine, étant donné toute la rhétorique sur l’équité et l’imposition, et sur le cliché de la classe moyenne et de ceux qui souhaitent en faire partie, même si je dois l’admettre, je ne suis pas certain de ce que cela veut dire. Toutefois, même si le gouvernement était armé de ce mandat, je pense qu’il a été tout simplement mal informé à propos des changements. Je pense que cela semblait une bonne idée sur le coup. Il devait y avoir quelques dossiers d’idées sur un bureau. Pour donner suite à son mandat, il a pris quelques-unes des idées, mais il a été tout simplement mal informé. Tout cela était hors contexte.

M. Litwin a parlé des propriétaires de petites entreprises qui font en moyenne 75 000 $ par année. Eh bien, les comptables et les planificateurs fiscaux de ces propriétaires qui tirent un revenu entre 75 000 $ et 125 000 $ de leurs petites entreprises — pendant les bonnes années, car ne l’oublions pas, car ce n’est pas garanti —, leurs conseillers, donc, leur ont dit sans hésiter que, oui, ils allaient être touchés par les changements proposés, contrairement au discours du gouvernement fédéral voulant que seuls ceux gagnant de 200 000 $ à 250 000 $ par année, et je cite « qui ont déjà versé le maximum dans leurs REER et leurs CELI » seraient touchés. Tout ce que les experts ont dit n’était tout simplement pas vrai. Ce n’est pas exact, du point de vue mathématique. Je pense donc qu’on a lancé des idées sans que les devoirs aient été faits.

Au sujet de votre deuxième point sur les Paradise Papers, je pense, en fait, que cela fait partie du vaste débat sur la compétitivité fiscale. Je pense que si nous avons un régime fiscal compétitif, pour les particuliers et les entreprises, petites et grandes, les gens ne sentent pas le besoin de faire ce genre de choses, et s’ils enfreignent quand même les règles, on leur impose alors des sanctions, de lourdes sanctions. Nous sommes de fervents défenseurs du moins de règles possible, mais de leur application, pour qu’elles aient un sens. Les chambres de commerce, nous tous, nous n’aimons pas les fraudeurs, jamais, point final. Il faut suivre les règles et faire la chasse à ceux qui ne les respectent pas.

Toutefois, si nous avons des règles qui encouragent le genre de comportements qu’ont révélés les Paradise Papers au cours de la fin de semaine, c’est qu’il faut probablement se demander si notre régime fiscal est compétitif et si les particuliers et les entreprises pensent contribuer de bonne foi au financement des services sociaux très importants que nous avons au pays. Je pense que c’est possible, mais je ne pense pas que nous en soyons là aujourd’hui.

Mme Huberman : J’ajouterais simplement que le but de l’exercice était de rendre les règles équitables, mais la tâche n’est pas facile quand on est en présence d’autant d’entreprises différentes. Vous avez des gens qui respectent les règles et d’autres qui ne le font pas. C’est pourquoi il faut procéder à une réforme fiscale en profondeur, et suspendre les changements proposés. Les entreprises fonctionnent toutes différemment. Le but des réformes était de rendre les règles équitables, mais c’est un exercice très difficile.

M. Litwin : Sénateur, pour répondre à la première partie de votre question, je ne pense pas qu’il serait utile de ma part de présumer des raisons du gouvernement pour instaurer ces changements, mais je dirais que beaucoup de nos membres ont l’impression que le message du gouvernement fédéral n’est pas très clair à l’heure actuelle. Nous savons que le gouvernement mise beaucoup sur l’innovation. Il encourage les investissements en ce sens. Bon sang, en Colombie-Britannique, si on pouvait amener plus de nos petites entreprises dans la catégorie des moyennes et grandes entreprises, ce serait la voie à suivre. Si on arrivait à trouver la formule pour le faire, on pourrait accroître la richesse et la prospérité de façon incroyable partout au Canada.

En ce moment, toutefois, ces changements empêchent, en fait, les entreprises d’investir dans l’innovation. Nous avons beaucoup de données ici en Colombie-Britannique qui indiquent que la technologie verte recèle des possibilités en or pour notre économie. Beaucoup de nos membres, peu importe leur secteur d’activités, sont d’avis que notre succès à venir repose en très grande partie sur la technologie verte et sur l’innovation dans ce secteur.

À l’heure actuelle — et je le répète, je ne suis pas un expert en fiscalité — quand on regarde certains changements et ce que cela voudrait dire pour un investisseur en capital risque qui veut investir dans une petite entreprise en démarrage prometteuse ici, dans le secteur des technologies propres, cela l’empêcherait d’obtenir les fonds dont il a besoin pour faire croître l’entreprise, créer une impulsion, et grossir notre part du gâteau, si on veut, dans l’économie de la Colombie-Britannique.

Je pense donc que la communauté de gens d’affaires de la Colombie-Britannique ne comprend pas très bien le message du gouvernement. D’un côté, il accorde de l’importance à l’innovation, et de l’autre, il veut apporter des changements fiscaux qui vont nuire, de toute évidence, aux investissements et à l’innovation.

Le sénateur Neufeld : Merci.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les trois d’être avec nous. Je vous connais tous, et je tiens à vous remercier pour le travail que vous faites dans notre province. Vous êtes assurément de dignes représentants des petites entreprises en Colombie-Britannique.

Je crois que les changements ont vraiment causé de l’instabilité. Ils ont fait perdre la foi aux gens qui travaillent très fort, et pire encore, ils ont monté les employés travaillants contre les propriétaires. On n’avait jamais entendu parler « d’échappatoires » et d’un sentiment d’opposition entre employés et propriétaires de petites entreprises. Je pense que le ministre des Finances a causé beaucoup de tort dans nos collectivités en tenant ce genre de discours. Beaucoup d’employés ont un revenu fixe. Vous avez dit que certains ont un fonds de pension, des congés, et cetera. Nous, les propriétaires de petites entreprises, vous le savez tous, n’avons pas de fonds de pension, d’heures fixes, d’avantages sociaux, et nous cotisons à l’assurance-emploi, et j’en passe. Les avantages et les enjeux sont différents, et on compare des pommes et des oranges.

Ma première question s’adresse à vous tous. Monsieur Black, vous avez dit avoir reçu quelque 11 000 courriels en 4 ou 5 jours, ce qui n’est pas normal. Ce qui s’est passé, c’est que nous avons monté les uns contre les autres dans nos collectivités. Le ministre des Finances a causé beaucoup de tort dans nos collectivités, et j’aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.

M. Black : Quand on tient un discours qui divise, on finit par s’éloigner des éléments pertinents du débat, et comme le témoin précédent l’a mentionné, ce n’est pas rare de voir des politiques fiscales devenir accrocheuses. On peut donc très facilement avoir un discours plus émotif. Les politiques fiscales sont très importantes, mais quand on a un discours qui divise, c’est un problème.

Je vais vous parler très rapidement de la réaction de nos membres. Ils étaient indignés. Ils étaient blessés. Ils n’ont pas aimé qu’on les traite de fraudeurs, ou qu’on le laisse entendre, si ce ne sont pas les mots exacts. Je pense que leur indignation venait du fait qu’on laissait souvent entendre que des propriétaires de petites entreprises au Canada tiraient parti d’échappatoires ou de mécanismes dont le « Canadien moyen ne pouvait pas profiter ».

L’Institut C.D. Howe a vertement réfuté cela. Le gouvernement n’a pas fait la preuve que les propriétaires de petites entreprises ont ou utilisent, ou si on veut, utilisent à mauvais escient, des avantages fiscaux auxquels n’ont pas accès le reste des Canadiens. Cette logique ne tenait pas la route, en particulier pour les hommes et les femmes qui signent des chèques de paie, qui mettent leur maison, leurs épargnes en jeu, pour en fait créer des emplois. Malheureusement, cela a créé beaucoup de frustrations qui nous ont empêchés d’entamer un dialogue très important sur la réforme fiscale et d’avoir ensuite la conversation raisonnable et réfléchie qui devrait en découler.

Mme Huberman : Le sujet en était assurément un très émotif pour nos membres. On parle ici d’entreprises familiales qui se donnent corps et âme pour fabriquer leurs produits ou offrir leurs services.

Je pense toutefois qu’on peut corriger le tir. Le gouvernement peut profiter de l’occasion pour dire aux entreprises qu’il les a entendues. Dans notre centre d’affaires, nous avons beaucoup d’entreprises appartenant à des immigrants. La moitié de notre population a une langue maternelle autre que l’anglais. C’est à Surrey, en Colombie-Britannique, qu’on trouve le plus grand nombre de réfugiés, et ils sont nombreux à vouloir créer leur entreprise, plutôt que de chercher un emploi. Ils nous disent maintenant qu’ils vont attendre de voir ce qui va se passer avec la réforme fiscale, parce qu’ils ne savent pas ce qui va arriver. Je pense donc qu’il y a place à un changement de discours.

M. Litwin : Je vous remercie de poser la question, sénatrice. L’avantage de parler en dernier est que je peux me faire l’écho de mes collègues, et je peux poursuivre sur leur lancée.

Vous avez tout à fait raison. On a tenu des propos négatifs et on a créé une dichotomie. En gros, si vous êtes propriétaire d’une petite entreprise et que vous fraudez l’impôt en profitant d’échappatoires, vous faites partie de la classe élite et vos employés sont dans une classe tout à fait différente, et on a maintenant une sorte de conflit entre les classes. Je ne veux pas exagérer à l’excès la dichotomie, mais je pense que c’est en fait l’idée qui court partout dans la province et au pays à ce sujet, et c’est malsain.

En Colombie-Britannique, où les petites entreprises emploient 54 p. 100 de la main-d’œuvre, la morale de l’histoire est que le gouvernement, en tenant ces propos négatifs, vient de compliquer la vie des entreprises pour demeurer en affaires et continuer à offrir plus de 50 p. 100 des emplois dans la province.

Toutefois, pour faire écho à ce que Mme Huberman vient de dire, je pense qu’il est possible de renverser la vapeur, de panser les plaies, pour ainsi dire, car je crois que les propriétaires d’entreprises sont blessés; stupéfaits; et je pense qu’ils ont l’impression d’avoir reçu un coup. Le gouvernement fédéral devra maintenant s’appliquer à changer le ton et la nature de la conversation.

La sénatrice Jaffer : Ma deuxième question est plus pointue. J’ai entendu des gens dire que les propriétaires de petites entreprises peuvent utiliser leurs REER, qui sont plus destinés aux gens à l’emploi qu’aux propriétaires de petites entreprises, et on compare cela à un revenu passif. Nous savons tous — et je ne vous apprends rien — que les règles des REER sont très limitatives, et qu’on ne peut pas vraiment y avoir accès. On les retire plutôt au moment de la retraite, une sorte de revenu différé, de revenu passif, auquel on peut avoir accès instantanément. Si la performance de votre entreprise laisse à désirer, vous pouvez avoir accès à ce revenu ou vous pouvez miser sur l’innovation pour la faire croître. Les gens que vous servez vous ont parlé du revenu passif et j’aimerais que vous nous parliez tous les trois de ce qu’ils vous ont dit.

M. Black : Je vais être très bref. Pour qu’un propriétaire de petite entreprise puisse profiter de ses REER et CELI, il faut au préalable qu’il ait fait des profits et qu’il ait été en mesure de tirer des liquidités de son entreprise. Il ne faut pas oublier que 50 p. 100 des entreprises font faillite au cours des cinq premières années et que celles qui restent feront faillite au cours des cinq années suivantes, comme les 50 p. 100. Ce n’est pas tous les jours qu’une petite entreprise arrive au niveau difficile à atteindre de la profitabilité, à un flux de trésorerie positif, qui lui permet de tirer des liquidités de son entreprise, que ce soit sous forme de dividende ou de salaire. Je pense que la question des CELI et des REER est un peu sans intérêt, car il n’y a pas de constance à cet égard.

Le danger quand il est question du revenu passif — et, je le répète, les petites entreprises ont de bonnes et de moins bonnes années, et honnêtement, plus de moins bonnes que de très bonnes —, c’est qu’il faut qu’elles aient de l’argent en réserve pour pouvoir traverser les moins bonnes années, sans avoir à mettre à pied d’employés, et sans avoir à réduire les investissements dont elles ont besoin pour rester en affaires ou être concurrentielles.

Il est fréquent pour un petit fabricant d’acier d’acheter, disons, une grosse pièce d’équipement pour son entreprise de 50 employés. La pièce d’équipement peut coûter quelques millions de dollars, 3 millions ou 4 millions. Donc, si on suppose que ce propriétaire de petite entreprise a pu économiser ces 3 millions ou 4 millions, il a dépassé largement le 1 million et le revenu de 50 000 $ qui est proposé comme changement, et ce en partant. Tout ça pour dire que ce que propose maintenant le ministre des Finances, soit le 1 million environ qui peut être conservé en revenu passif pour produire le seuil de revenu de 50 000 $ est très bas, et il ne répondra pas aux besoins de la grande majorité des petites entreprises qui doivent acheter de grosses pièces d’équipement.

Mme Huberman : Sénatrice, toutes ces questions entourant les REER rendent la situation très compliquée pour les propriétaires d’entreprises. Comme je l’ai mentionné, ils s’investissent corps et âme dans leurs entreprises. S’ils ont 50 employés, ils épargnent pour les beaux jours. C’est possible pour les employeurs — et chaque entreprise a ses propres succès — et il leur revient de décider du moment d’investir. Ils ne devraient pas être imposés sur leur revenu passif de placement. Ils ne devraient pas être pénalisés.

Comme je l’ai déjà mentionné, un tiers de notre assise territoriale est composée de terres agricoles. Nous avons des agriculteurs qui en arrachent encore, notamment pour ce qui est de l’agro-innovation et des nouveaux besoins en capital humain dans la nouvelle économie. Il faut donc que tout le concept entourant les REER soit écarté des discussions quand il est question de la propriété d’entreprise. Les placements passifs sont ce qui incite les propriétaires d’entreprises à investir, au moment qui leur convient, dans l’avenir.

M. Litwin : Je vais être bref, car mes collègues ont couvert la question.

Pour tout dire, le propriétaire qui pense à investir dans des REER est à l’étape rare du succès. Moins de 5 p. 100 des entreprises atteignent le 1 million de revenus, et elles ont souvent sué sang et eau pendant des années pour y arriver.

Selon nous, la question concerne le niveau d’investissement en capital qui est requis pour lancer, et faire croître, et rendre profitable une entreprise. Le seuil de 50 000 $ par année, pour l’exploitant d’une cidrerie dans l’Okanagan, ne sera pas suffisant pour remplacer le toit de sa grange. Je pense que le gouvernement fédéral n’a pas la moindre idée de ce que ça prend pour faire croître une petite entreprise, et il ne faut pas oublier ici qu’on ne dépasse même pas le 1 million de dollars de revenus rêvés, si on veut. C’est très rare.

La sénatrice Marshall : M. Morneau, le ministre des Finances, est venu témoigner la semaine dernière, et il est catégorique sur le fait que les propositions modifiées vont aller de l’avant. Au sujet du revenu passif et du seuil de 50 000 $, il a mentionné que l’on connaîtrait les détails dans le budget de 2018. Que devrions-nous avoir à l’esprit, nous, les sénateurs, lorsque nous examinerons le projet de loi d’exécution du budget l’an prochain pour réduire le plus possible les effets sur les petites entreprises, et pour les réduire le plus possible sur l’économie de la Colombie-Britannique? J’essaie de me projeter dans le temps, car je sais que nous n’aurons qu’un certain nombre de semaines pour examiner le projet de loi, et nous ne reviendrons pas en Colombie-Britannique pour d’autres audiences. Donc, que devrions-nous avoir à l’esprit, car je crois que le gouvernement est bien décidé à voir ces propositions aller de l’avant.

M. Litwin : Il y a deux éléments qui nous inquiètent beaucoup, et je répète que nous ne souhaitons pas seulement qu’on appuie sur le bouton « pause » mais bien sur le bouton « remise à zéro » pour un examen au grand complet. Nous demandons encore que tous les changements proposés soient suspendus, et nous pensons qu’il faut qu’il y ait d’abord un examen complet de la loi.

La sénatrice Marshall : D’accord. D’après ce qu’il a dit la semaine dernière, il n’est pas favorable à l’idée d’un examen complet…

M. Litwin : Je comprends.

La sénatrice Marshall : … et les propositions vont aller de l’avant. D’accord.

M. Litwin : Je voulais simplement m’assurer que le compte rendu reflète encore notre position. Les deux éléments que je recommanderais au comité de continuer à surveiller sont le seuil et son caractère adéquat. Je pense qu’il est beaucoup trop bas. En effectuant une très courte analyse, une étude de cas auprès de même seulement 100 petites entreprises, sur les investissements en capital ou les investissements tout court qu’elles ont faits au cours des cinq dernières années pour développer leur entreprise, vous constateriez, je crois, que cela dépasse largement les 50 000 $ par année pour celles qui choisissent d’investir. J’examinerais de très près les critères entourant les investissements qu’elles font, encore une fois, pour les aider à croître.

J’ai regardé quelques mises à jour sur le site web du ministère des Finances, et on y trouve des explications, une phrase, sur les recommandations très complexes qui s’en viennent. Comment continuer d’encourager des investissements qui ne seront pas imposés au taux des particuliers?

La sénatrice Marshall : Pour ce qui est du caractère adéquat du seuil, avez-vous de l’information — je ne pense pas que vous ayez fait une analyse scientifique — basée sur votre expérience et sur la position que vous défendez à l’heure actuelle? Diriez-vous 1 million de dollars, ou 100 000 $? Auriez-vous une idée du niveau que devrait avoir le seuil?

M. Litwin : Eh bien, je ne veux pas paraître sans-gêne, mais vous me demandez de fixer une limite aux rêves d’un entrepreneur. De combien a-t-il besoin pour investir dans la croissance? Je ne pourrais le dire. Ça devrait être des millions.

M. Black : C’est ce que pense aussi, et j’ajouterais ceci : je chercherais dans le projet de loi des indices révélant que des études récentes ont été réalisées pour répondre à la question même que vous venez de poser à M. Litwin. Faute de ces indices, je le rejetterais, parce que, d’après moi, c’est quelque peu arbitraire.

Nous ne sommes pas une organisation sans but lucratif, ce qui signifie que nous avons l’obligation chaque année de rentrer dans nos frais et d’épargner un peu, en cas de besoin. Qu’on me comprenne bien, c’est de l’investissement passif. Nous sommes un organisme sans but lucratif qui essaie d’épargner pour s’éviter des mises à pied d’employés en cas de pépin.

Notre formule se fonde sur la masse salariale. Si en cinq, six, sept ou huit années, notre petit fonds de prévoyance s’accroît suffisamment, si tout va bien, on y aura accumulé plus d’un ou de deux millions de dollars, ce qui, très rapidement, me rapproche de l’objectif dont nous parlons justement ici. Nous sommes un organisme sans but lucratif. Nous ne fabriquons pas d’équipement, nous ne construisons pas de toitures sur les granges de la région de l’Okanagan, dans un secteur agroalimentaire essentiel. Voilà pourquoi je chercherais d’abord l’origine des seuils trouvés par les rédacteurs du projet de loi.

Ensuite, je chercherais une sorte de, il faut bien le dire, motivation pour accroître la compétitivité fiscale. Si vous envisagez, et il faut aussi le dire, de pénaliser l’investissement passif, que je préfère appeler fonds de prévoyance, pour éviter d’insulter l’ensemble des petites entreprises qui épargnent pour les mauvais jours. Ce n’est pas une caisse noire qui permet des combines payantes. C’est de l’argent dont on aura besoin quand les choses iront de travers.

J’ajouterais une incitation ainsi formulée : « Si vous décidez de construire cette toiture de grange ou d’acheter cette machine d’usine, nous vous accorderons un amortissement de 100 p. 100 pour l’année dans laquelle l’investissement se fait. » Autrement dit, donnant donnant, c’est-à-dire que, au lieu d’imposer — c’est l’idée, n’est-ce pas? —, l’argent qui dort dans les petites entreprises et qui ne fait pas tourner l’économie, encouragez son emploi à de bonnes fins pour réaliser ces investissements, en accordant un amortissement généreux de ces investissements réels.

Mme Huberman : Un petit détail, sénateur, dans le projet de loi fiscal à venir l’année prochaine, nous devrons déterminer le moment où les amendements auront lieu. Actuellement, il règne tellement d’incertitude dans le milieu des affaires et même chez ceux qui veulent lancer leur petite entreprise. Il faut examiner de très près ce moment, et éviter la rétroactivité prévue dans la première réforme proposée en juillet 2017. Ensuite, en quoi l’Agence du revenu du Canada investira-t-elle? Elle entreprendra des tests de vraisemblance. Elle n’inspire pas vraiment confiance aux entreprises. Alors, quels investissements fait-elle pour être présente à leur côté, pour assurer la poursuite de leurs activités nécessaires?

La sénatrice Marshall : Dans son témoignage, le ministre n’a pas vraiment répondu à la question, mais ses adjoints ont confirmé qu’aucune analyse de l’impact économique n’avait porté sur les répercussions économiques des propositions. Vous avez tiré dans diverses directions dans vos déclarations préliminaires. Quelqu’un a prédit des fermetures d’entreprises, des mises à pied et la fin de l’innovation. Beaucoup d’incertitude règne dans le milieu des affaires.

Quand les médecins sont venus témoigner, il y a quelques semaines, j’ai notamment dit que les changements font prédire tout et n’importe quoi, y compris que le ciel va nous tomber sur la tête. En réalité, il semble seulement, après coup, que tout revient à la normale et que chacun apprend à supporter les nouvelles règles. D’après vous, qu’arrivera-t-il vraiment en Colombie-Britannique, si ces nouvelles règles fiscales sont adoptées? Pensez-vous qu’on s’adaptera simplement et qu’elles seront sans conséquence sur l’économie ou les entreprises?

M. Litwin : Je pense que le verbe « adapter » décrirait mal la réaction. On s’en sortira, avec moins de petites entreprises. Des entreprises tomberont et ça exigera d’elles un véritable effort.

Le sénateur Mockler : Madame Huberman, avez-vous des observations?

Mme Huberman : Beaucoup d’entreprises, à Surrey, ont moins de 50 employés, et si le projet de loi ou la réforme fiscale sont trop compliqués, elles sont disposées, et elles nous l’ont bien dit, à fermer. Elles se demandent : « À quoi ça sert de continuer? Peut-être irons-nous ailleurs? »

M. Black : Sans compter le fait que ceux qui ne se sont pas encore lancés dans les affaires y réfléchiront plus longtemps, ce qui serait une véritable tragédie, parce qu’il faut tenir compte des coûts de substitution, un peu difficiles à mesurer.

Je ne voudrais pas sous-estimer la résilience de nos entreprises. Elles s’y connaissent très bien en survie. Mais ne confondons pas cette caractéristique et l’équité fiscale. Si l’objectif de cet exercice est de rendre équitable le code fiscal, l’épreuve décisive ne devrait pas être la capacité de survie des petites entreprises à une politique néfaste.

Le sénateur Pratte : À vous entendre, vous et d’autres témoins, j’ai l’impression que cette réforme fiscale touchera beaucoup de petites entreprises. Pourtant, quand les fonctionnaires du ministère des Finances ont comparu, les chiffres qu’ils nous ont communiqués semblaient montrer que c’est une petite minorité de petites entreprises qui sera touchée. Sur la répartition des revenus, ils ont dit que sur 1,8 million de sociétés privées sous contrôle canadien, 50 000 seront touchées et, sur les investissements passifs, avec le seuil de 50 000, que moins de 3 p. 100 de toutes ces sociétés seront touchées, celles qui, effectivement, sont au-dessus du seuil de 50 000 $.

Apparemment, votre impression façonnée par la réaction de vos membres est que ce n’est pas une petite minorité. Beaucoup de vos membres seront touchés. J’essaie donc de comprendre le si grand écart entre la réaction de vos membres et les statistiques très détaillées que le ministère nous a communiquées. Pourquoi est-il si grand?

M. Black : Je ne peux pas en expliquer l’existence, mais je peux absolument la valider. C’est le même groupe qui informait, on pourrait le supposer, le ministre et le premier ministre pour employer ce qu’on nous a raconté sur cette question, pour qu’ils racontent cette histoire que ces mesures ne toucheraient personne à moins qu’ils n’aient des revenus annuels de 200 000 ou de 250 000 $ et qu’ils n’aient atteint leur limite de cotisation à leurs REER ou qu’ils n’aient fait le plein de leurs comptes d’épargne libre d’impôt. Pourtant, tous les fiscalistes du pays, notamment les grandes firmes comme Deloitte, KPMG, Ernst & Young, et cetera, ont catégoriquement affirmé que c’était faux et que la fourchette se situait entre 75 000 et 125 000 $. Aucun doute n’est donc permis.

Quant au seuil de 50 000 $ de revenu passif, si le rendement est de 5 p. 100, ça signifie que le capital disponible pour le produire s’élève à 1 million en liquidités. Beaucoup d’organismes sans but lucratif disposent d’un tel montant, y compris nous. Or, la notion selon laquelle une petite entreprise de 50 personnes disposera d’au moins 1 million de dollars, ce qui, je l’espère, est bien — le problème, c’est de l’avoir dénigré — dans le fonds de prévoyance ou dans le fonds d’investissement de 6 ou de 20 millions de dollars, épargnés pour créer plus d’emplois et investir davantage dans la propre économie de l’entreprise, la notion selon laquelle ce ne serait qu’un si petit pourcentage n’est simplement pas fondée dans la réalité et elle ne tient pas compte du grand tollé que nous avons entendu chez nos membres.

Mme Huberman : Dans la troisième semaine d’octobre, la chambre de commerce de Surrey a rencontré individuellement, face à face, chacun de nos députés à Surrey, et l’écart dont vous parlez existe indéniablement. Pourquoi? Je n’en ai aucune idée. Comme vous, ils m’ont dit que seulement 1 p. 100 des entreprises serait touché. Ce n’est pas seulement des comptables, mais aussi des entreprises qui ont des comptables généraux licenciés, des comptables accrédités en management, qui disent que ce sera très difficile pour elles de transmettre la propriété d’entreprises familiales à la prochaine génération à cause de ces nouvelles conséquences fiscales. Ça conduira à la réduction des économies dans leurs entreprises, à l’érosion des investissements et ce sera dissuasif pour eux. Pourquoi cet écart? Je l’ignore. Mais, comme nous l’avons dit plus tôt, il faut un examen exhaustif de ce projet de loi fiscal.

M. Litwin : Vous nous avez posé une excellente question et je vous remercie de nous avoir donné l’occasion d’y répondre.

Il y a un certain nombre d’années, devant le comité parlementaire des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées chargé de l’examen du Programme pour l’embauche de travailleurs étrangers temporaires, j’ai dit que nos données ne correspondaient pas à celles de Statistique Canada sur ces travailleurs dans les marchés ponctuels de l’emploi de la Colombie-Britannique. D’après mon expérience, ce n’est donc pas la première fois que des données et des statistiques fédérales ne correspondent pas à la réalité des affaires sur le terrain, et je le dis en tout respect, parce que le volume de données rassemblées est immense. Cependant, elles n’ont pas toujours été fidèles à nos constatations en temps réel sur le terrain, que nous avons pu valider dans ces marchés ponctuels. Voilà donc ma première affirmation.

Sur la question des investissements passifs et du seuil de 50 000 $, je pense que vous avez dit que moins de 50 p. 100 des entreprises seraient touchées. Ça en fait encore beaucoup. De plus, ça ne tient pas compte de celles qui espèrent faire partie un jour de la catégorie de celles qui peuvent épargner 50 000 $, puis d’en faire partie une journée de plus. Je pense donc, en tout respect, que c’est un peu discutable que d’affirmer que moins de la moitié des entreprises serait touchée par ce seuil de 50 000 $.

Le sénateur Pratte : Ce serait moins de 3 p. 100, d’après le gouvernement.

M. Litwin : Moins de 3 p. 100… Désolé si j’ai mal saisi. Je dirais donc que 3 p. 100, ça semble peu pour le point de vue fédéral. Pour nous, en Colombie-Britannique, il est sûr que cet ensemble de petites entreprises croîtra à pas de géant dans les décennies à venir, parce que nous avons reconnu que l’une des plus grandes occasions qui leur sont offertes est de croître en passant par cette catégorie. Actuellement, dans notre province, nous mettons sur pied des programmes, des infrastructures, des occasions d’investissement qui nous permettront de stimuler cette croissance. Le moment est maintenant très approprié pour jeter un œil très critique sur ce seuil de 50 000 $.

Le sénateur Pratte : Seriez-vous d’accord pour dire que, dans ce vaste groupe de sociétés privées sous contrôle canadien, un groupe plus restreint, celui des professions libérales peut-être, peut présenter une difficulté? C’est l’exemple que le gouvernement a cité le plus souvent, particulièrement celui des médecins, ce qui ne correspond pas vraiment à votre description des entrepreneurs, des preneurs de risques, qui investissent dans les machines et ainsi de suite. Les médecins ne prennent pas vraiment de risques… D’accord, ils investissent dans l’équipement, mais c’est certainement moins risqué, avec des revenus garantis par l’État et ainsi de suite. L’État pourrait-il viser des groupes à l’intérieur de la grande catégorie des sociétés privées sous contrôle canadien, en épargnant les entrepreneurs, des groupes qui, peut-être, se servent de la catégorie des sociétés privées sous contrôle canadien à des fins fiscales et non pour faire croître leurs entreprises?

M. Litwin : Notre grand espoir est qu’il se fasse un examen plus réfléchi et plus complet des recommandations actuelles; qu’on envisage une méthode d’une précision plus chirurgicale. Nous ne sommes contre aucune méthode particulière, mais que ça ne se fasse tout simplement pas sur le coin du bureau du ministre des Finances. Il faudrait un examen très exhaustif pour bien cibler les bons contribuables.

Mme Huberman : L’objectif originel, garantir à tous une situation équitable, est impossible à atteindre. Comme je l’ai dit, il faut examiner chaque groupe, ce qu’il vend, produit ou service, et les cas particuliers. J’ignore comment l’Agence du revenu du Canada est censée soumettre chaque produit ou service vendu à des critères de rationalité. Je pense que le gouvernement a vraiment l’occasion de simplement s’abstenir de ces impôts et de vraiment examiner les groupes particuliers qu’il a dans sa mire.

M. Black : Très rapidement, c’est tout à fait possible; c’est certainement une histoire qui s’est amplifiée au cours des quatre derniers mois, et il se peut tout à fait que les médecins aient été une cible des modifications projetées. Il est sûr que cette histoire a circulé. Dans ce cas, que le gouvernement agisse, mais avec discernement. Allez-y, souscrivez à l’histoire qui correspond à ce défi. Le sujet est très délicat parce que c’est d’abord le gouvernement fédéral qui, il y a 30 ans je crois, a incité les médecins à se constituer en sociétés. Vous devez donc avouer l’avoir fait et vous occuper des suites. Je veux dire que c’est une conversation pour adultes, mais soyez transparents.

Ensuite, vous avez conclu des ententes particulières avec certaines provinces — l’Ontario, par exemple — sur les sociétés — incontestablement un écheveau complexe. Mais si c’est la véritable intention de cette mesure, engagez-vous-y dans la transparence et attaquez-vous de même au problème. Sinon, vous entraînez dans cette histoire des millions de propriétaires innocents de petites entreprises et leurs familles. Un cauchemar dans lequel ils n’ont rien à voir, et, si elle est vraie, elle dépasse d’abord les intentions du gouvernement.

Le sénateur Mockler : Chers collègues, un autre groupe de témoins attend.

Mesdames et messieurs les témoins, vous avez été très généreux de vos renseignements et de vos lumières. D’ici le dépôt et la présentation de notre rapport au Sénat, le 15 décembre, si vous voulez l’enrichir, je vous prie de ne pas hésiter à communiquer avec notre greffière. Merci beaucoup.

Chers collègues, on m’a informé que M. Seeman doit nous quitter à 11 h 30 exactement. Nous lui demanderons donc de nous livrer son exposé en moins de cinq minutes, après quoi nous entamerons immédiatement la période de questions. Nous passerons ensuite à M. Etsell.

Bob Seeman, chef de la direction, Clera Inc., à titre personnel : Sénateurs, je vous remercie. Je suis un entrepreneur du domaine des technologies depuis les 20 dernières années. J’ai fait démarrer cinq entreprises privées dans les domaines des produits pharmaceutiques, de la saisie des données, de l’exploitation minière, des logiciels et de la publicité. Je ne possède ni régime de retraite, ni REER, ni domicile. J’ai, à la place, tout investi dans mes entreprises dont je tire, quand elles peuvent me le verser, un revenu modeste.

Mon but est de faire en sorte qu’une de mes entreprises, à tout le moins, soit extrêmement prospère. Les entreprises de technologie présentent des risques très élevés. C’est à prendre ou à laisser. Le recours à une société à responsabilité limitée sert principalement à me protéger contre la responsabilité personnelle en cas d’échec, ce qui est fort probable. Une société à responsabilité limitée est également nécessaire pour pouvoir vendre des actions à des investisseurs disposés à prendre des risques. Les entreprises de technologie ont besoin de beaucoup d’investissements pour travailler à la création d’une technologie pendant de nombreuses années avant qu’elles ne deviennent rentables.

Quand on démarre une entreprise qui comporte des risques, la façon habituelle de recueillir des fonds consiste, tout d’abord, à solliciter de l’argent auprès de sa famille. Ma femme gagne un revenu en tant que professionnelle et elle investit généralement son argent au tout début, lorsque l’entreprise n’est qu’une idée, avant même l’étape d’élaboration d’un plan d’affaires. Elle investit donc à un très faible cours des actions. D’autres membres de ma famille pourraient également investir leur propre argent à ce stade-ci.

Si jamais le plan d’affaires et la technologie de l’entreprise progressent avec succès, il faut alors recueillir des fonds, à un cours plus élevé des actions, auprès d’amis et de proches collègues. Lorsque la technologie évolue encore plus, la valeur des actions augmente davantage, et il faut recueillir beaucoup plus de fonds. À cette étape, tous les investisseurs sont tenus, aux termes des lois sur les valeurs mobilières, de posséder un million de dollars en liquidités nettes. C’est ce qu’on appelle des « investisseurs avertis ». Seulement 1 p. 100 des investisseurs à qui j’ai parlé au sujet de mes entreprises ont décidé d’y investir. Presque tous les fonds de démarrage des entreprises de technologie proviennent de ces investisseurs avertis.

La probabilité d’échec étant très élevée, les lois sur les valeurs mobilières sont là pour empêcher les entreprises en démarrage de solliciter des investissements auprès du commun des mortels. Les lois sont là pour protéger le citoyen moyen. Dans le cas de mes entreprises, j’ai recueilli un total de 8 millions de dollars auprès d’investisseurs avertis. Si l’une de mes entreprises devient prospère, elle rapportera probablement des dizaines de millions de dollars. J’investirais alors ces profits dans d’autres entreprises. J’espère que mon investissement pourra également assurer le succès de ces entreprises. Il s’agit là d’un cycle de renforcement essentiel qui existe dans la Silicon Valley.

Je crains que les propositions créent, au moins à trois égards, des obstacles de taille à la capacité de recueillir des fonds d’investissement pour les entreprises en démarrage comme celles que j’ai travaillé si fort à mettre sur pied. Premièrement, l’attaque contre les investissements passifs détenus dans les entreprises privées réduira le montant d’argent que les investisseurs avertis, qui sont habituellement eux-mêmes des entrepreneurs prospères, pourront investir dans les jeunes entreprises de technologie.

Deuxièmement, les propositions visant à étendre l’impôt sur le revenu fractionné décourageront les gens d’investir dans des entreprises qui appartiennent aux membres de leur famille immédiate et élargie ou qui sont exploitées par ces derniers. Ils seront dissuadés de le faire par crainte que leurs investissements soient imposés au taux maximum applicable aux particuliers. Dans sa forme actuelle, l’exonération prévue en cas de rendement raisonnable du capital investi par un particulier est trop incertaine. Qui nous dit que l’Agence du revenu du Canada serait d’avis que tout profit tiré par ma femme, mes frères ou mes parents, qui ont investi à un très faible cours des actions lorsque l’entreprise n’était qu’une idée, constitue un rendement raisonnable de leurs investissements?

Enfin, même si je ne vois vraiment pas comment les propositions seront mises en pratique, une chose est très claire. Les propositions sont terriblement complexes, et même les experts ont du mal à comprendre comment elles seront appliquées. Cette complexité ne peut qu’entraîner une augmentation marquée des frais juridiques et des coûts de conformité en matière de comptabilité pour les entreprises en démarrage. De tels coûts posent un gros problème aux jeunes entreprises déjà à court de liquidités et réduisent le montant d’argent des investisseurs que l’on peut consacrer au vrai travail de développement commercial et technologique.

Je vous remercie.

Le sénateur Mockler : La première intervenante sera la sénatrice Jaffer, suivie de la sénatrice Andreychuk.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup, monsieur Seeman, de vous être libéré pour nous. Il est important que nous prenions connaissance des difficultés auxquelles vous faites face.

Ce qui est très clair pour moi, c’est que vous travaillez jour et nuit. Vous n’avez pas nécessairement des actifs pour montrer le travail que vous accomplissez. Ensuite, vous entendez les modifications que le ministre souhaite apporter. Comment cela influe-t-il sur votre moral? Jusque-là, j’imagine que vous comptez sur la stabilité, c’est-à-dire que vous avez la certitude d’obtenir un résultat au bout du compte, malgré les risques énormes que vous prenez. Maintenant, cet espoir est anéanti, ou trouvez-vous que j’exagère?

M. Seeman : Vous faites valoir un excellent point. Je prends des risques élevés, tout comme ma femme et les membres de notre famille. Nos investisseurs prennent, eux aussi, des risques importants et ils espèrent obtenir un rendement. Ils veulent que je sois aussi motivé que possible. Mes employés le veulent également afin que l’entreprise soit prospère.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Andreychuk : J’aimerais vous poser deux questions. Vous avez dit qu’au regard des investissements initiaux effectués par vous, votre femme et votre famille élargie, tout intervenant du milieu des investissements disposera d’au moins 1 million de dollars. Vous devez avoir 1 million de dollars pour attirer ces investisseurs. Pourriez-vous expliquer ce que vous vouliez dire au juste?

M. Seeman : Ce que je voulais dire, c’est que quand vous démarrez une entreprise, il faut suivre une progression. Tout d’abord, vous obtenez des fonds auprès de votre famille, parce que vos amis ou vos collègues dans le milieu des affaires n’investiront pas dans votre entreprise à moins que votre famille ne l’ait déjà fait. Ensuite, les investisseurs avertis dont vous parlez, ceux qui ont des actifs nets de 1 million de dollars, n’investiront pas à moins que vos amis et votre famille ne l’aient déjà fait. Enfin, les fonds de capital de risque n’investiront pas tant que les investisseurs avertis ne l’auront pas fait. Par conséquent, la confiance s’accroît à mesure que les fonds recueillis augmentent.

La sénatrice Andreychuk : Ai-je raison de croire que vous assumez le risque le plus élevé? Lorsque vous avez une idée, vous devez d’abord convaincre votre famille, et vous poursuivrez sur cette lancée à condition de pouvoir franchir la première étape.

M. Seeman : C’est juste. Tout commence par là. Si vous n’avez pas la première tranche de 10 000 $ pour payer, en grande partie, les frais juridiques, vous n’irez nulle part.

La sénatrice Andreychuk : Et vous parlez du secteur de la haute technologie, qui est très concurrentiel à l’échelle mondiale.

M. Seeman : Exactement.

La sénatrice Andreychuk : Y a-t-il plus de risques dans les domaines de la technologie, étant donné que vous pourriez plier bagage et vous établir en Californie ou en Inde? Les services de technologie de l’information, nous dit-on, ne sont pas tributaires des frontières géographiques.

M. Seeman : C’est un excellent point. La propriété intellectuelle est transférable instantanément. C’est moins difficile que dans le contexte des entreprises manufacturières, comme nous l’avons entendu aujourd’hui. Les entreprises liées à la propriété intellectuelle ont certainement beaucoup plus de facilité à se déplacer.

La sénatrice Andreychuk : Est-ce donc dire que les jeunes entrepreneurs dont vous parlez, ceux qui ont une excellente idée, voudraient ou ne voudraient pas poursuivre leurs activités ici s’ils voient un avantage dans un autre pays?

M. Seeman : Tout à fait.

La sénatrice Andreychuk : D’ailleurs, cela rejoint le communiqué de presse du ministre Champagne, dans lequel il est question de la main-d’œuvre diversifiée du Canada, et cette diversité pourrait justement pousser les gens vers d’autres pays.

M. Seeman : Oui.

La sénatrice Andreychuk : D’accord, merci.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup d’être ici ce matin. C’est intéressant, parce que vous êtes un entrepreneur.

Je suis consciente des répercussions des changements fiscaux en ce qui concerne la répartition du revenu, mais j’aimerais que vous parliez de l’incidence des propositions concernant le revenu passif. Est-ce attribuable au seuil?

M. Seeman : À propos du premier point sur le revenu passif et les investissements passifs, bon nombre de nos investisseurs placent leur argent par l’entremise de leur société. Par conséquent, ils disposeront de moins de fonds s’ils investissent par l’intermédiaire de leur société dans des entreprises comme les nôtres. Ensuite, ce sont des gens riches; donc, même s’ils placent leur argent à titre personnel, ils auront moins de fonds à investir.

La sénatrice Marshall : Je comprends. Le dernier budget du gouvernement était axé sur l’innovation. Nous avons pris connaissance des propositions fiscales et nous avons vu le document du budget de l’innovation, publié l’an dernier. Les mesures proposées au chapitre de l’innovation ont-elles des effets positifs, ou bien ces avantages sont-ils annulés en raison de la teneur des propositions fiscales? Peut-on concilier les deux? Ils ne semblent pas conciliables.

M. Seeman : Ils ne sont pas conciliables. Les politiques en matière d’innovation adoptées par le gouvernement au cours des 20 dernières années ont été de plus en plus néfastes pour l’innovation. Les subventions gouvernementales ne sont pas une bonne idée pour les entreprises de technologie. Quand un investisseur ou une société de capital de risque voit qu’une entreprise a obtenu une subvention gouvernementale, au lieu d’avoir recueilli des fonds auprès d’investisseurs avertis qui connaissent à fond le domaine, cette société de capital de risque regarde ailleurs. Elle investira plutôt dans l’entreprise qui a obtenu des fonds auprès d’investisseurs avertis. L’argent du gouvernement évince l’argent des investisseurs avertis. Les contribuables en paient le prix. Ce n’est pas une bonne idée.

La sénatrice Marshall : Pourquoi en est-il ainsi?

M. Seeman : Ce qui se passe, c’est que les moins bonnes entreprises n’arrivent pas à amasser des fonds. Ces entrepreneurs sont moins doués. Ils passent tout leur temps à remplir des formulaires et à présenter des demandes de financement au gouvernement. Les décisions sont prises par des fonctionnaires ou des universitaires, lesquels connaissent très peu le monde des affaires. Les investisseurs en capital de risque disent perdre 90 p. 100 de leurs capitaux investis. Je n’ai jamais vu les chiffres concernant les fonds accordés par les bureaucrates, mais je peux imaginer que 99 p. 100 de l’argent des contribuables finit par être perdu. Ce qui se passe, c’est que les mauvaises entreprises obtiennent les fonds. Les entrepreneurs qui ne prennent pas l’argent du gouvernement livrent concurrence à des sociétés financées par le gouvernement et, quand les subventions gouvernementales prennent fin, ces entreprises échouent.

La sénatrice Marshall : Je dois dire que j’ai parlé à un certain nombre de propriétaires d’entreprises qui obtiennent du financement dans le cadre de la stratégie de l’innovation. Ce que vous me dites, dans le fond, c’est que les perspectives ne sont guère optimistes pour ces entreprises. Merci.

Le sénateur Mockler : S’il n’y a pas d’autres questions, monsieur Seeman, nous allons vous remercier des renseignements que vous nous avez fournis. Encore une fois, si vous voulez ajouter quoi que ce soit avant que nous déposions notre rapport en décembre, veuillez faire parvenir l’information à la greffière.

Maintenant, chers collègues, nous allons inviter M. Etsell à faire son exposé.

Garnet Etsell, ancien président, British Columbia Agriculture Council : Bienvenue en Colombie-Britannique. Nous sommes heureux de vous accueillir ici.

Je suis ici aujourd’hui pour représenter le B.C. Agriculture Council. Il s’agit de l’organisme-cadre des exploitations agricoles de la province, et notre conseil est également membre de la Fédération canadienne de l’agriculture. Je sais que la fédération va vous remettre un mémoire. Nous en avons vu une version préliminaire, d’où sont tirées certaines de mes observations d’aujourd’hui. Nous souscrivons totalement à la position de la fédération.

L’annonce initiale faite par le ministre Morneau en juillet 2017 a créé beaucoup d’angoisse chez les agriculteurs. C’était surtout attribuable aux propositions ayant trait à l’exonération cumulative des gains en capital et à la conversion de revenus en gains en capital. Le gros problème dont personne n’osait parler, c’est que le ministère allait commencer à miner la capacité bien établie d’effectuer des transferts intergénérationnels d’actifs agricoles avec report de l’impôt. Nous avons donc été ravis d’apprendre que ces propositions ne seront pas mises en œuvre.

Toutefois, un climat d’inquiétude et, donc, d’incertitude continue de régner en raison de la possibilité que le gouvernement veuille relancer la discussion à l’avenir. Les remarques que vous avez entendues sur la nécessité de mener un examen approfondi me préoccupent un peu, car cela laisse entendre qu’une telle éventualité finira par se concrétiser.

J’aimerais parler un peu de l’agriculture et du recours à des sociétés privées. Parmi les exploitations agricoles canadiennes, 98 p. 100 appartiennent à des familles qui en assurent la gestion. Bon nombre d’entre elles — en 2016, c’était 25 p. 100, et ce chiffre ne cesse d’augmenter — ont recours à des sociétés privées comme moyen d’investissement. La principale raison, c’est que ce mécanisme offre un processus administratif efficace lorsqu’une entreprise appartient à plusieurs propriétaires, et c’est justement le cas dans le contexte des entreprises familiales. Cela commence par les conjoints, et on finit par inclure les enfants. Le modèle constitue également un mécanisme efficace pour les transferts intergénérationnels parce qu’il permet de transférer les actions plutôt que les biens individuels.

L’agriculture est une activité à très forte concentration de capitaux. Un vieil adage dit que les agriculteurs sont riches en actifs, mais pauvres en liquidités, et c’est généralement vrai. Les entreprises agricoles sont des investissements à long terme, qui s’étendent souvent sur une génération. Les exploitations agricoles ont besoin de prendre de l’expansion et, pour y arriver, elles doivent miser sur des actifs prenant de la valeur et réinvestir les profits afin de maintenir leur compétitivité. À quelques exceptions près, il n’y a aucune accumulation massive de liquidités et, lorsqu’il y en a, c’est pour l’un des trois objectifs suivants : d’abord, la gestion des risques par la création d’un fonds de prévoyance pour atténuer les répercussions d’un ralentissement des affaires; ensuite, la viabilité grâce aux investissements futurs, à la croissance et à la diversification, qui sont tous des éléments essentiels; enfin, c’est pour faciliter la retraite des actionnaires du troisième âge, ce qui est probablement l’option la moins fréquente.

Contrairement aux propriétaires d’autres entreprises, les familles agricoles vivent généralement là où elles travaillent. Par conséquent, le travail agricole fait partie intégrante de leur vie quotidienne, et ce, à un jeune âge. Les enfants de familles agricoles commencent à contribuer de mille et une façons à l’exploitation agricole dès un jeune âge, ce qui leur permet d’acquérir les compétences pratiques dont ils auront besoin pour prendre la relève plus tard. Ensemble, les membres de la famille travaillent à exploiter l’entreprise, en y contribuant souvent de manières indirectes et à un rythme que bien des gens à l’extérieur du milieu agricole seraient loin d’accepter. Les heures sont longues, le travail est difficile, mais les efforts sont récompensés par la production d’aliments que la nature nous permet de cultiver, et cela en vaut la peine.

Les dispositions sur le report d’impôt sont essentielles pour maintenir les fermes familiales. Sans cette capacité, le transfert intergénérationnel et la ferme familiale telle que nous la connaissons cesseront d’exister. C’est parce que les agriculteurs seraient alors obligés de vendre leur exploitation afin de pouvoir payer l’impôt sur les produits réputés, à défaut de fonds excédentaires. Par ailleurs, ils auraient à mettre de l’argent de côté au fil du temps, limitant ainsi leur capacité de faire croître leur entreprise agricole et de soutenir la concurrence, dans le but de payer la taxe successorale.

Les exploitations agricoles sont de grands détenteurs de biens immobiliers, et elles peuvent être facilement vendues. Les acheteurs étrangers veulent placer leur argent dans des actifs stables. C’est d’ailleurs ce que nous commençons à observer en Colombie-Britannique. Sans la possibilité d’effectuer des transferts intergénérationnels avec report d’impôt, je ne crois pas qu’il soit exagéré d’affirmer que la sécurité alimentaire et le contrôle par des Canadiens posent un problème bien réel.

Dans son budget de 2017, le gouvernement a reconnu, à juste titre, que le secteur agricole est un important moteur économique. Si nous ne faisons pas tout en notre pouvoir pour préserver la ferme familiale, nous tuerons la poule aux œufs d’or.

J’ai quelques observations, que je ne répéterai pas ici, sur la répartition du revenu et les investissements passifs. Elles figurent dans le document que je vous ai remis. Permettez-moi toutefois de faire une remarque sur les investissements passifs, parce que j’aimerais attirer votre attention sur un type d’investissement en particulier : la location de terres agricoles. Il s’agit souvent d’un outil pour faciliter la relève agricole, et les revenus de location procurent à l’agriculteur qui prend sa retraite une source de revenus, tout en permettant à la nouvelle génération de gérer la propriété à un coût abordable. Nous proposons que cela soit considéré comme un revenu tiré d’une entreprise exploitée activement, et non pas un revenu passif. Je vous remercie.

Le sénateur Mockler : C’est le sénateur Neufeld qui va démarrer la période des questions, suivi de la sénatrice Jaffer.

Le sénateur Neufeld : Je peux comprendre pourquoi le milieu agricole est préoccupé par certaines des choses que le gouvernement a dit vouloir faire. Le dernier groupe que nous avons entendu nous a dit qu’il aimerait que le gouvernement prenne une pause, qu’il fasse marche arrière sur tous les changements proposés et qu’il repense la Loi de l’impôt sur le revenu dans son ensemble. Vous dites que cela crée une certaine agitation. S’agit-il d’une agitation bien réelle ou est-ce quelque chose que la communauté agricole pourrait accepter comme étant une solution idoine, plutôt que de recourir à ces interventions ponctuelles qui finissent par mettre le gouvernement dans l’embarras et susciter la grogne chez les agriculteurs?

M. Etsell : J’ai assisté à toutes les délibérations depuis ce matin, et je les ai trouvées captivantes. Il faut faire attention à ce que l’on souhaite, n’est-ce pas? Oui, la perspective de tout arrêter et de tout réexaminer depuis le début suscite une certaine nervosité. Par ailleurs, si c’est ce qui doit se passer — et je n’en écarte pas la nécessité —, nous voulons y participer.

Voici ce qui est important : ne faites pas cet examen tout seuls dans votre coin. Intégrez la communauté des affaires et la communauté agricole à la discussion.

Le sénateur Neufeld : Diriez-vous que, de façon générale, les agriculteurs sont satisfaits du régime fiscal qui s’applique à eux à l’heure actuelle? Je veux dire, d’une façon globale… Je sais que vous ne pouvez pas parler de tous les moindres détails.

M. Etsell : C’est intéressant, parce qu’il y eut un temps où beaucoup d’articles de la Loi de l’impôt sur le revenu concernaient directement les agriculteurs. Nous avions la possibilité d’étaler les revenus. Cette possibilité a été supprimée.

Il y a présentement une mesure fiscale pour les exploitations agricoles à temps partiel qui est traitée séparément, ce qui ne se fait pas dans d’autres secteurs d’activités. Vous pouvez exploiter une entreprise à temps partiel, sauf en agriculture, et l’on vous permettra d’appliquer vos pertes éventuelles à d’autres revenus. Or, vous n’avez pas le droit de faire cela avec des revenus agricoles. Bref, nous avons constaté une régression des avantages que nous avions aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu. Celui-là a été supprimé. L’un des derniers avantages qui nous restent est la possibilité de reporter l’impôt sur les transferts intergénérationnels.

Le sénateur Neufeld : L’autre chose que vous avez dite et qui m’a frappé, c’est que les agriculteurs sont d’importants propriétaires fonciers, que ces propriétés peuvent être vendues facilement et que c’est ce que nous commencions à voir en Colombie-Britannique. Pourriez-vous nous donner des chiffres? Dans l’optique où, si je ne m’abuse, l’âge moyen des agriculteurs oscille entre 60 et 65 ans, pourquoi certaines de ces exploitations agricoles ne font-elles pas l’objet de transferts intergénérationnels?

M. Etsell : Ce nombre a toujours été élevé. Il l’était déjà quand j’ai commencé à étudier au Olds Agricultural College.

Le sénateur Neufeld : Il ne change pas?

M. Etsell : Je vais essayer d’expliquer pourquoi il est élevé en me servant de ma famille comme exemple. Je viens d’avoir 65 ans. Ma femme en a 60. Nos deux enfants sont dans la trentaine. Ils sont actifs sur la ferme, mais ils n’en sont pas propriétaires. Je crois que c’est cette réalité que les données croquent. Bien souvent, le transfert des biens ne se fera qu’une fois que maman et papa auront pris leur retraite, sauf que les agriculteurs prennent rarement leur retraite. Ils le font à leur mort, et c’est à ce moment-là que les biens agricoles sont transférés. Je crois donc que les statistiques sur l’âge des agriculteurs sont en quelque sorte trompeuses. Comme je l’ai dit, nos enfants participent « intimement » à l’exploitation de notre ferme. Dans cette optique, l’âge moyen est probablement plus près de 40 ans que de 60 ou 65 ans.

Le sénateur Neufeld : Pouvez-vous nous donner des statistiques sur le transfert des terres?

M. Etsell : Non, je ne le peux pas. Ce que je peux vous communiquer pour l’instant, c’est ce que je tiens de ma propre expérience.

Le sénateur Neufeld : En fait, si vous en avez, pouvez-vous les faire parvenir à la greffière du comité, qui s’occupera de nous les relayer? Ce serait très apprécié.

M. Etsell : Comptez sur moi. Ma femme était directrice générale du British Columbia Blueberry Council, et nous avons constaté, surtout dans l’industrie du bleuet, que beaucoup d’étrangers venaient en Colombie-Britannique pour acheter des fermes.

Le sénateur Neufeld : Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur Etsell, de votre présence. Nous ne nous sommes pas présentés, alors il se peut que vous ne me connaissiez pas. Je suis Mobina Jaffer et je suis de la Colombie-Britannique. Je suis, moi aussi, propriétaire d’une exploitation agricole. Je voulais apporter ces précisions afin que vous sachiez que c’est quelque chose qui me concerne aussi.

Il vient un temps où vous devez vendre — alors que vous avez travaillé si fort et que vous ne gagnerez pas autant d’argent que vous le feriez dans d’autres domaines — et puis surgissent tous ces problèmes avec les propositions fiscales. Bien sûr, les gens vont venir de l’extérieur pour acheter nos terres, mais ce qui m’inquiète le plus, c’est le risque que la ferme disparaisse après avoir été vendue avec un énorme profit. Je crois qu’il y a des enjeux plus importants que cela. Je ne vois pas d’objection à ce que les étrangers achètent les fermes et en poursuivent l’exploitation. Le problème, c’est que nous avons la possibilité de vendre nos fermes pour des sommes ahurissantes. Toutefois, ce n’est pas ce que nous voulons faire. Or, si cela continue, il se peut que nous y consentions.

Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il y a un danger bien réel de perdre beaucoup de terres agricoles, surtout dans la vallée du bas Fraser et dans le sud de la province. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Etsell : Je suis d’accord avec vous. Je vais essayer de rassembler les statistiques que vous m’avez demandées pour rendre compte de cette réalité, plutôt que d’y aller de ma propre expérience. Ce que vous décrivez est bien réel. C’est quelque chose de particulièrement fréquent dans les exploitations agricoles où, compte tenu des maigres dividendes, la nouvelle génération n’est pas plus intéressée qu’il faut à prendre la relève. Dans ces cas-là, les propriétaires sont très attirés par la possibilité de vendre leurs biens agricoles, et c’est très facile pour eux de le faire.

Le sénateur Mockler : La parole est à la sénatrice Marshall. Elle sera suivie par la sénatrice Andreychuk.

La sénatrice Marshall : Vous dites que vous représentez 14 000 agriculteurs. Le revenu fractionné et les placements passifs sont les deux seules propositions sur la table, bien que — je suis d’accord avec vous — les propositions qui ont été retirées pourraient très bien être relancées un de ces jours. Ces propositions ont-elles vraiment une incidence sur les agriculteurs? Je crois bien que c’est le cas du revenu fractionné en tout cas.

M. Etsell : Le diable est dans les détails. Le gouvernement a effectivement dit, et je cite : « Les sociétés formées de membres d’une même famille qui apportent une contribution notable à l’entreprise ne seront pas touchées. » Mais le diable est dans les détails. Comment détermine-t-on cela?

La sénatrice Marshall : Il y a une chose que je peux vous dire. Des représentants du ministère des Finances ont témoigné devant le comité, et celui qui s’est exprimé sur la participation du conjoint à l’entreprise n’était pas très chaud à l’idée de permettre le fractionnement du revenu entre époux. C’est de mauvais augure pour le milieu agricole. Alors oui, je suis d’accord avec vous.

Vous disiez que les agriculteurs sont riches en actifs, mais pauvres en liquidités. Je présume que vous parlez de la terre, des équipements, et cetera. Quelle incidence les placements passifs proposés auront-ils sur vos membres?

M. Etsell : Ce qui est important en ce qui concerne le revenu de placement passif c’est d’éviter que la conservation du capital à l’intérieur de la ferme décourage les investissements futurs. C’est ce dont il faut se méfier. Vous savez, le seuil de 50 000 $ me pose problème.

Certains de nos membres croient que ce seuil est adéquat. Après tout, quel propriétaire d’exploitation agricole réussit à accumuler un million de dollars en argent comptant? Par ailleurs, l’attrait du seuil, c’est que c’est simple. J’ai tendance à être du même avis que le professeur Duff : au lieu de regarder le seuil, nous devrions nous intéresser à ce que l’on compte faire avec ces économies.

La sénatrice Marshall : Quoi qu’il en soit, avez-vous une idée du nombre de personnes parmi vos membres qui seraient touchées par le seuil de 50 000 $ proposé actuellement?

M. Etsell : Non, je n’en ai pas idée. Je crois que ce qui aura la plus grande incidence sur nos membres, c’est la répartition du revenu.

La sénatrice Marshall : Ce ne serait pas seulement le conjoint, n’est-ce pas? Cela pourrait s’appliquer à d’autres membres de la famille, mais surtout au conjoint.

M. Etsell : Je ne me souviens plus si c’était dans le dernier groupe d’experts ou dans celui d’avant, mais quelqu’un a dit quelque chose que j’ai trouvé intéressant. Il s’agissait de verser des dividendes aux enfants qui vont à l’université. Je crois que c’est une rétribution légitime pour les enfants qui ont contribué à la ferme familiale pour un salaire symbolique — quand ce n’était pas sans rémunération aucune. Maintenant, ces enfants sont à l’université, possiblement pour y étudier l’agriculture avec l’objectif de revenir à la ferme. Pourquoi ne leur verserions-nous pas des dividendes afin de les aider dans leurs études et leur permettre de revenir à la ferme avec une éducation?

C’est une bonne façon de voir les choses. Vous démarrez une entreprise et vous n’avez pas de liquidités. Avec le temps, vous commencez à en avoir un peu, alors il semble tout à fait normal de rétribuer les membres de la famille, vous-même, votre conjoint et vos enfants pour les services rendus jusque-là. Bien entendu, il y a toujours la question de la raisonnabilité, mais pour peu que cela soit raisonnable, pourquoi ne pas l’autoriser?

La sénatrice Marshall : L’impôt sur le revenu fractionné aurait une incidence sur la presque totalité de vos membres, n’est-ce pas?

M. Etsell : Absolument.

La sénatrice Marshall : Merci.

La sénatrice Andreychuk : Pour poursuivre sur cette lancée, nous avons peut-être un trop long historique en agriculture, mais la ferme familiale a toujours été comprise par les générations successives de dirigeants au Canada. Je me souviens des mécanismes mis en place dans les années 1970 pour reconnaître la ferme familiale, pour veiller à ce que nous continuions d’avoir une base agricole, une base agricole concurrentielle. Je me rappelle que l’université pour les étudiants a été établie à l’Université de la Saskatchewan, et que nous avions des diplômes de formation en agriculture. On ne se contentait pas de vous enseigner l’agriculture et la recherche. Ces enseignements étaient appliqués aux fermes. Les étudiants arrivaient à l’université après les récoltes et repartaient avant la saison des semences. On parlait abondamment des façons de préserver les structures de la ferme.

Aujourd’hui, l’accent est plutôt mis sur la compétitivité de notre secteur agricole. Il faut outiller la relève pour qu’elle soit mieux en mesure de réussir dans l’agriculture du futur. Certaines de ces manœuvres fiscales — si vous voulez les appeler ainsi — nous ont aidés à rester à la page. Je sais que dans ma province, on cultivait le blé, l’avoine, l’orge et le seigle. Maintenant, on cultive les pois chiches et les lentilles. Il faut tenir compte des changements climatiques. On nous dit qu’une différence d’un degré signifie que nous aurons des cultures autres que celles que nous avons présentement. Pour le bien de tous les Canadiens, nous devons former la prochaine génération pour lui permettre d’assimiler les bases de ce qui constitue un système agricole équilibré.

De quoi les agriculteurs de la relève ont-ils besoin pour être concurrentiels dans le monde entier? Vous êtes dans la culture du bleuet. Nous ne connaissons pas cela, mais nous sommes en train de développer la culture des amélanches de Saskatoon. Que vous faudrait-il pour continuer à être vraiment concurrentiel sur le marché mondial?

M. Etsell : Eh bien, personne n’est plus inventif qu’un agriculteur.

La sénatrice Andreychuk : Tout à fait.

M. Etsell : Acculez-nous au pied du mur et nous allons trouver une façon de nous en tirer. Assurément, l’éducation y est pour beaucoup. Il nous faut un régime fiscal prévisible et stable. Cela renvoie à la question de départ : voulez-vous vraiment faire ces changements, car vous savez, nous sommes passablement habitués à ce que nous avons? Cela dit, si nous pouvions avoir des échanges sains et approfondis sur la question, cela pourrait être rafraîchissant et nous pourrions nous retrouver avec une plateforme stable qui conviendrait pour au moins les 30 prochaines années. Il y a la stabilité, il y a l’éducation. Les agriculteurs pourront se débrouiller avec le reste.

Vous avez absolument raison de dire que le pois chiche et tout ce qui s’est passé dans les Prairies ont sauvé l’industrie céréalière. Il y a 10 ans, notre dépendance au blé et à l’orge a bien failli nous faire perdre notre secteur céréalier.

La sénatrice Cools : Vous avez dit que vous étiez menacé de perdre quelque chose?

M. Etsell : Eh bien, oui.

La sénatrice Cools : La terre, les sols, est-ce bien ce que vous avez dit?

Le sénateur Mockler : Votre dernière observation disait « il y a 10 ans et dernièrement ».

M. Etsell : Oh, pardonnez-moi. Vous parlez de la nécessité d’un fonds pour les mauvais jours et de constituer des placements passifs. L’agriculture est très cyclique et il y a des moments où vous devez essuyer d’importants revers sur le plan financier. C’est ce qui s’est produit au Canada, il y a environ 10 ans. La surproduction dans d’autres pays avait tiré vers le bas le secteur céréalier et les prix internationaux. Cette conjoncture économique avait vraiment menacé d’anéantir notre secteur céréalier.

La sénatrice Cools : Le secteur céréalier, dites-vous?

Le sénateur Mockler : C’est exact.

La sénatrice Cools : Oui, c’est ce que vous avez dit. J’ai cru un moment que vous aviez parlé de nos sols.

Le sénateur Mockler : La parole est au sénateur Pratte, suivi du sénateur Oh.

La sénatrice Andreychuk : Je voulais seulement ajouter que le prix des terres avait aussi chuté à ce moment-là.

M. Etsell : Oui, c’est exact.

Le sénateur Pratte : Vous vous êtes dit préoccupé quant à la subjectivité du critère du « caractère raisonnable » administré par l’Agence du revenu du Canada, l’ARC. Nous avons parlé de cela avec les représentants de l’ARC à l’occasion de leur témoignage de la semaine dernière, et ils ont dit — comme l’a aussi fait le ministre, je crois — qu’ils se servaient déjà d’un critère semblable pour les contributions des travailleurs. Ils semblaient dire qu’en comparaison, il serait passablement plus compliqué d’appliquer un critère comme celui-là aux dividendes. Bref, ils ont dit que le critère de caractère raisonnable pour les dividendes allait être passablement plus complexe que celui dont ils se servent à l’heure actuelle pour les travailleurs. Qu’en pensez-vous?

M. Etsell : Dans le contexte des entreprises agricoles familiales, les contributions peuvent être très diversifiées. Permettez que je me serve à nouveau de l’exemple des enfants. Ils vont commencer à participer au fonctionnement de la ferme alors qu’ils sont encore jeunes. Comment peut-on calculer cette contribution pour une période donnée? Dans le cas d’un adulte, vous pouvez dire que la personne a travaillé tel nombre d’heures et qu’elle mérite tant de l’heure, mais comment procède-t-on lorsqu’il s’agit d’un enfant qui a entre 12 et 18 ans? Voilà un aspect où la subjectivité entre en jeu.

Et comment calcule-t-on la valeur de la contribution de l’épouse, de la conjointe qui prend soin de la ferme et des enfants afin que l’autre puisse consacrer plus d’heures qu’un emploi à temps plein à la bonne marche de l’entreprise? Je crois que ce sont les zones grises auxquelles nous pensons, la subjectivité occasionnée par les contributions de ce type.

Le sénateur Pratte : Pardonnez-moi si je fais erreur, mais si un agriculteur devait verser un salaire à sa conjointe — pas des dividendes, mais un salaire —, l’ARC utiliserait un critère pour vérifier le caractère raisonnable de ce salaire. Ce que je dis, c’est que le critère du caractère raisonnable est quelque chose que l’ARC utilise déjà.

M. Etsell : Eh bien, il est toujours possible d’utiliser des calculs pour établir des équivalences quant à la valeur d’un salaire. Même s’il s’agit de « dividendes », il est quand même possible de trouver ce à quoi cela correspond en termes de salaire.

Le sénateur Pratte : Votre première recommandation à l’égard des revenus de placements passifs, c’est que tout impôt afférent ne devrait être perçu que lorsque ces revenus sont distribués aux actionnaires à des fins personnelles par l’intermédiaire de dividendes et non sur une base annuelle pendant qu’ils sont gardés à l’intérieur de l’entreprise. Comment cela fonctionnerait-il exactement?

M. Etsell : Une partie du problème avec les mesures proposées, c’est que nous en ignorons les détails. Il serait relativement facile de garder la trace de l’évolution de ce revenu en se servant d’un compte d’impôt. En fait, l’une des autres recommandations stipule que, pour tenir compte des replis, cela ne devrait pas être un simple seuil annuel, mais plutôt un seuil cumulatif, comme pour un REER ou un CELI. Je veux dire, 1 million de dollars maintenant pourront peut-être générer 50 000 $, mais étant donné le fonctionnement des marchés, il faut s’attendre à des fluctuations. Il se peut qu’il y ait un recul de 30 000 $ l’année suivante. Dans cette optique, il devrait être possible de prendre cette différence et de l’ajouter au seuil. Il serait relativement aisé de suivre cette évolution à la trace.

Le sénateur Pratte : J’essaie simplement de comprendre l’objectif d’une telle recommandation. Si vous avez un revenu de placements passifs et que ce revenu n’est pas imposé tant qu’il reste dans l’entreprise, mais qu’il l’est au moment d’être versé à titre de dividende…

M. Etsell : Eh bien, en présumant que l’entreprise est imposable, le revenu sera imposé selon le taux marginal d’imposition applicable à ce moment-là. Il faut garder à l’esprit que l’objectif global principal, c’est d’éviter de décourager les gens de faire des économies pour l’avenir, ce qui est exactement ce qui se passe quand vous imposez les revenus générés à l’intérieur de l’entreprise. Vous allez décourager les gens d’économiser en prévision des trois choses dont j’ai parlé.

Le sénateur Mockler : La parole est au sénateur Oh. Il sera suivi de la sénatrice Marshall, notre dernière intervenante de la séance.

Le sénateur Oh : Le Canada est un pays d’une telle importance. En agroalimentaire, nous sommes probablement au quatrième ou au cinquième rang sur la liste des plus importants exportateurs à l’échelle mondiale. En octobre, le gouvernement a proposé une modification aux changements proposés en matière d’impôt. Certains intervenants nous ont dit que c’était un bon signe, même s’ils attendent toujours de connaître les détails des règles sur la répartition du revenu. D’autres représentants du milieu agricole ont fait valoir que les changements devraient être complètement abandonnés parce que de nombreuses exploitations agricoles sont des entreprises familiales et que l’augmentation des besoins en capital des entreprises agricoles exige d’importants investissements passifs pour se préparer à des projets de développement ou aux périodes de ralentissement. Quels effets auraient les changements proposés sur les entreprises agricoles dans votre région?

M. Etsell : Eh bien, comme je l’ai dit, le diable est dans les détails. Nous avons accueilli favorablement les modifications mises de l’avant en octobre. Sauf que c’est un peu comme si l’on remerciait le ciel d’avoir retiré le grand enjeu épineux des mesures proposées. Ils ont parlé de la répartition du revenu en précisant qu’elle ne toucherait pas ceux qui contribuent de façon importante à l’entreprise. Nous avons reconnu qu’il se pourrait très bien que des abus soient commis, mais pour peu que ce principe soit maintenu, nous estimons que la proposition est acceptable. C’est bien réel, mais c’est le diable dans le détail.

Le sénateur Oh : Si la disposition sur le revenu de placements passifs n’est pas modifiée, croyez-vous que les exploitations agricoles familiales seront plus nombreuses à se convertir en sociétés?

M. Etsell : Comme je l’ai dit, seulement 25 p. 100 ont choisi d’être des sociétés, et il se pourrait bien que le nombre de conversions cesse d’augmenter.

La sénatrice Marshall : J’ai une question d’intérêt général. Quel chemin la communauté agricole prendra-t-elle au cours des 20 prochaines années? Croyez-vous que c’est la fin des fermes familiales? Croyez-vous qu’elles vont se faire acheter par de grandes sociétés?

M. Etsell : C’est une bonne question. Au sud de la frontière, le modèle le plus en vogue est celui de la grande société agricole. Il y a encore beaucoup de fermes familiales, mais ce sont presque essentiellement de grandes sociétés agricoles. Si j’avais un modèle à choisir, je choisirais quand même le système canadien. Je pense que le fonctionnement du modèle américain donne lieu à des problèmes environnementaux. Les risques sont énormes. Nous sommes actifs dans l’industrie du dindon. Cela fait partie de ce que nous faisons. Or, une exploitation avicole américaine donnée aura autant de poulets qu’il y en a dans l’ensemble de la Colombie-Britannique. Les risques de maladie sont énormes. Si quelque chose arrive à cette exploitation, vous pouvez dire bonsoir à une bonne partie de votre production. Quelque chose de semblable s’est produit aux États-Unis il y a environ deux ans lorsque l’influenza aviaire a frappé l’industrie du dindon. Cela a eu d’énormes répercussions au Canada, car nous n’étions plus en mesure de nous procurer les dindonneaux dont nous avions besoin. Je crois donc que la plupart des agriculteurs à qui vous allez parler vont vous dire qu’ils attachent une grande valeur au modèle de la ferme familiale.

La sénatrice Marshall : Croyez-vous que les changements proposés vont ouvrir la porte à une recrudescence des exploitations agricoles de plus grande envergure?

M. Etsell : Comme je l’ai dit, aussi longtemps que nous garderons la possibilité de faire des transferts intergénérationnels avec report d’impôt, nous serons en sécurité.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup de nous avoir fait part de vos observations au nom du British Columbia Agriculture Council.

(La séance est levée.)

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