Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule n° 46 - Témoignages du 7 novembre 2017 (séance de l'après-midi)
CALGARY, le mardi 7 novembre 2017
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 13 h 6, pour étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.
[Traduction]
Le sénateur Mockler : Honorables sénateurs, je constate que nous avons le quorum. La séance est ouverte. Avant de vous présenter nos témoins, je souligne la présence parmi nous du sénateur Scott Tannas, de l’Alberta. J’invite le sénateur Tannas à prononcer une brève allocution de bienvenue au Comité sénatorial permanent des finances nationales.
Le sénateur Tannas : Je vous remercie, sénateur Mockler.
Je me fais le porte-voix des Albertains pour vous exprimer notre grand bonheur de pouvoir discuter avec vous d’un sujet qui suscite énormément de débats ici. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à faire souffler notre fameux chinook. Question météo, c’est beaucoup moins fameux, et nous en sommes désolés, mais nous n’en sommes pas moins ravis de vous accueillir. Je suis heureux de me joindre à mes collègues pour les audiences de cet après-midi.
Le sénateur Mockler : Merci, sénateur Tannas.
Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick. J’inviterai maintenant mes collègues à se présenter.
La sénatrice Jaffer : Je me nomme Mobina Jaffer, et je viens de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.
La sénatrice Cools : Anne Cools, de Toronto, en Ontario.
Le sénateur Mockler : Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a été autorisé à étudier, en vue d’en faire rapport, les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne l’imposition de sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes. L’étude porte plus particulièrement sur la répartition du revenu; la détention de placements passifs dans une société privée, et la conversion du revenu régulier en gain en capital. L’ordre de renvoi prévoit en outre que le comité porte une attention particulière aux répercussions des changements proposés par le gouvernement sur les petites entreprises et les professionnels constitués en société; la croissance économique et les finances publiques; l’équité de l’imposition des différents types de revenus et d’autres questions connexes. Le comité présentera son rapport final au Sénat du Canada au plus tard le 15 décembre, et conservera tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.
Nous accueillons cet après-midi M. Kim G C Moody, directeur du secteur Canadian Tax Advisory chez Moodys Gartner Tax Law LLP.
Monsieur Moody, merci d’avoir accepté notre invitation. Je souligne, pour la gouverne des sénateurs et du public, que M. Moody a été invité à revenir devant le comité pour nous faire part de ses opinions, de sa vision et de ses recommandations au sujet des propositions présentées par le ministre des Finances du Canada.
Monsieur Moody, nous entendrons votre exposé, et les sénateurs vous poseront leurs questions par la suite.
Kim G C Moody, directeur, Canadian Tax Advisory, Moodys Gartner Tax Law LLP, à titre personnel : Merci beaucoup. J’ai été ravi de votre invitation à comparaître de nouveau devant le comité, et surtout à le faire chez moi, à Calgary.
Je vous remercie de m’offrir la possibilité de poursuivre notre discussion sur les propositions du gouvernement. Je salue également les efforts que vous faites tous pour comprendre les préoccupations véritables des Canadiens.
À ce stade-ci, vous avez certainement une bonne idée de ce qui préoccupe les milieux de la fiscalité. Vous avez aussi entendu les points de vue de certains tenants des propositions. Comme je tiens à faire bon usage du temps qui m’est alloué, je vais articuler mon exposé autour de quatre grands thèmes. J’expliquerai tout d’abord pourquoi je suis loin d’être impressionné par la manière dont les choses se passent depuis le 18 juillet. Je ferai ensuite un état des lieux après la venue du père Noël durant toute la semaine du 16 au 20 octobre, je commenterai brièvement quelques autres aspects qui suscitent des inquiétudes, puis je terminerai avec la leçon la plus évidente qui ressort des événements récents. Cette leçon est simple : le Canada doit trouver des moyens plus efficaces de modifier ses politiques fiscales.
Le premier volet sera bref. Je pense que personne ici n’a besoin que je rappelle et que je répète ce que j’ai dit lors de mon passage récent au sujet des affronts que nous avons subis et que nous continuons de subir. Cependant, pour donner un contexte au reste de mon exposé, je trouve important de redire que les belles paroles qui ont enrobé les propositions du 18 juillet ont été parmi les plus outrageantes et les plus arrogantes jamais entendues par les milieux de la fiscalité et des affaires. Les déclarations trompeuses et le repli défensif du ministre n’ont rien fait pour arranger les choses. La période de consultation écourtée de 76 jours, annoncée en plein milieu de l’été sous le couvert d’un exercice de colmatage des brèches, n’a fait qu’ajouter à l’insulte. J’entends déjà les gens : « Kim, nous avons déjà entendu tout cela. Ce n’est rien de nouveau. » Je suis d’accord, mais ce n’est pas quelque chose que nous sommes près d’oublier. À voir la forte réaction de la communauté des fiscalistes et des gens d’affaires, il est évident que le sentiment d’outrage est généralisé, et à juste titre. La colère, loin de s’apaiser, s’est transformée en méfiance à l’égard du ministère des Finances. Le Canada mérite un processus beaucoup plus transparent, honnête et ouvert de réforme en profondeur du régime fiscal. J’y reviendrai.
Et maintenant, le sujet suivant : Où en sommes-nous après le passage du père Noël durant la semaine du 16 au 20 octobre 2017?
L’abandon des propositions concernant les déductions des gains en capital et le dépouillement des surplus ont été bien accueillis. Les milieux de la fiscalité et des affaires se réjouissent à l’idée d’aider le ministère des Finances à élaborer des propositions en vue d’améliorer les transferts intergénérationnels. Certains sont contents de la réduction des taux d’imposition des petites entreprises, brandie comme une carotte, mais je ne fais pas partie de ce groupe. À mon avis, cette réduction inutile s’inscrit dans une opération de marketing dont le but unique est de jeter de la poudre aux yeux et de camoufler les véritables problèmes.
Il n’a jamais été question d’une réduction du taux d’imposition lorsque les propositions ont été annoncées le 18 juillet 2017. Son seul effet sera de compliquer certains des problèmes qui apparemment préoccupaient le gouvernement. Étant donné que notre régime fiscal est intégré, le coût fiscal global des dividendes non admissibles sera plus élevé, et le coût global de cette alléchante manœuvre de diversion sera bien moindre pour le gouvernement. Il s’est engagé à simplifier ses propositions concernant la répartition du revenu, mais nous n’avons pas encore vu les détails de son offre. Inutile de vous dire qu’ils sont attendus avec impatience.
Par ailleurs, le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre ses propositions à l’égard du revenu passif en introduisant un seuil d’exemption de 50 000 $, soi-disant pour protéger les avoirs existants, et une exemption pour les investisseurs providentiels. Là encore, nous n’avons aucun détail.
La diffusion d’information sur la politique fiscale et les projets de modifications législatives dans le cadre de séances de photo d’un goût douteux et de communiqués de presse laconiques, tout cela après avoir pris connaissance des 21 000 mémoires soumis dans un temps record de deux semaines, ont créé un climat de grande incertitude. Comme nous le savons tous, affaires et incertitude ne font pas bon ménage. Dans ce climat d’incertitude, de méfiance et de colère, beaucoup de projets d’investissement sont en veilleuse et des sommes incroyables de capitaux privés sont à la recherche de débouchés plus intéressants.
Je croule sous les projets de ce type, comme je vous l’ai déjà expliqué au début d’octobre. Où va l’argent? Vers le sud. Et j’ai bien peur que la réforme fiscale annoncée la semaine dernière aux États-Unis précipite la fuite des capitaux du Canada vers nos voisins.
La semaine dernière, lors d’une réunion du Comité sénatorial des finances que j’ai suivie avec grand intérêt, le ministre Morneau a fait des remarques qui laissaient entendre qu’il n’était pas particulièrement inquiet par la fuite de capitaux. Apparemment, les mêmes inquiétudes lui avaient été rapportées quand il a haussé les taux d’imposition sur le revenu des particuliers à revenu élevé. Dommage que le ministre ne soit pas venu travailler à mes côtés, dans mon bureau, depuis ces hausses d’impôt. Il aurait pu constater par lui-même les sommes faramineuses que mes clients ont fait sortir du Canada après ces hausses. Aucun de ces dossiers n’est public. Depuis quelque temps, le nombre de personnes fortunées en quête de nouvelles options atteint des sommets. Comme je vous l’ai dit en octobre, je suis débordé. J’aimerais vraiment que le ministre Morneau vive cette frénésie avec moi pendant une journée.
Pour simplifier les propositions relatives à la répartition du revenu, l’idéal serait que le gouvernement instaure un critère de la démarcation nette. Bon nombre des mémoires soumis le 2 octobre ou avant enjoignaient au gouvernement de laisser tomber les propositions du 18 juillet 2017 et d’adopter un critère de démarcation analogue à celui qui est appliqué aux États-Unis pour les enfants adultes jusqu’à 24 ans. À mon avis, toutes sortes de raisons justifient de soustraire les conjoints à l’application des mesures proposées. L’incertitude entourant l’abandon ou non des paragraphes 120.4(4) et (5) est pernicieuse. Si elles sont adoptées telles quelles, ces dispositions feraient en sorte que des gains en capital réalisés sur des transferts à des tiers ayant un lien de dépendance pourraient être assimilés à des dividendes imposables. Étant donné la différence importante entre les taux d’imposition des dividendes et des gains en capital, les dispositions proposées risquent d’entraîner des incidences désastreuses et très injustes pour les transferts légitimes d’actions d’une entreprise privée à des tiers ayant un lien de dépendance. À mon avis, ces propositions doivent être abolies.
Apparemment, les propositions liées à la répartition du revenu seront mises en œuvre le 1er janvier 2018, comme prévu. C’est dans deux petits mois. Je pense que ces propositions devraient être modifiées et que la mise en œuvre devrait être reportée au 1er janvier 2019. Ce serait plus juste et les contribuables auraient le temps de s’adapter aux modifications.
Mon prochain thème est celui des propositions concernant le revenu passif. Par où commencer? Je sais que vous en avez beaucoup entendu parler durant votre tournée. Les problèmes soulevés par l’exemption unique de 50 000 $ de revenu de placement sont de plusieurs ordres. Est-ce que ce montant est trop bas? Je crois que oui, pour toutes sortes de raisons que je serai heureux de vous expliquer plus en détail. Comment les gains en capital seront-ils pris en compte dans le calcul de ce montant de 50 000 $? Aucune idée. La mesure relative aux droits acquis pénalisera-t-elle l’accumulation de nouvelle richesse, étant donné l’engagement qui a été pris de protéger les avoirs existants? Si la réponse est oui, alors comment serait-ce équitable?
Combien de types de revenus faudra-t-il prévoir dans la législation pour tenir compte de certaines de ces propositions? Jusqu’à maintenant, mon cabinet a estimé qu’il en faudrait cinq. La législation sera-t-elle complexe? Sans aucun doute. Je ne crois pas qu’il sera facile de rédiger des dispositions législatives qui intégreront toutes ces propositions et, surtout, qui seront applicables. Les propriétaires de petites entreprises ont déjà du mal avec les exigences complexes qui leur ont été imposées à la suite des modifications récentes apportées au paragraphe 55(2) concernant les déductions accordées aux petites entreprises. C’est une chose de demander aux grandes sociétés de respecter des lois complexes — elles ont des services entiers qui s’occupent de tout ce qui concerne la fiscalité. C’en est une autre d’exiger que des propriétaires de petites entreprises en fassent autant. La plupart n’ont tout simplement pas les ressources nécessaires.
Toutes ces propositions sont mises en œuvre, semble-t-il, au nom de l’équité et de la neutralité. Même si des économistes remplissent des feuilles et des feuilles de calcul pour nous prouver que l’objectif de la neutralité fiscale est atteint, ce n’est pas suffisant. Nous voulons aussi savoir si les propositions feront en sorte que le régime fiscal est plus équitable, plus juste, plus certain, pas trop complexe, et qu’il favorise la croissance économique et l’efficience. Ces principes sont les fondements d’un bon régime fiscal.
J’aimerais maintenant aborder brièvement le thème de la croissance économique, et plus précisément celui de la compétitivité du Canada. Mon bon ami Jay Goodis, de Tax Templates Inc., une entreprise que certains d’entre vous connaissent, a consacré des centaines d’heures à créer un modèle afin de comparer l’efficacité des propositions liées aux actifs passifs par rapport aux dispositions actuelles du régime fiscal actuel pour des sociétés publiques du Canada, des États-Unis, de Grande-Bretagne et d’autres pays. Jay a utilisé des données aléatoires dans 2 000 scénarios selon lesquels les sociétés privées canadiennes sont imposées à un taux général et possèdent un revenu passif supérieur au seuil de 50 000 $. Dans tous les scénarios aléatoires, les sociétés privées canadiennes étaient les moins compétitives, par un écart considérable dans beaucoup de cas. Et comme si ce n’était pas déjà assez inquiétant, l’écart se creuserait si jamais les États-Unis opèrent la réforme fiscale très ambitieuse qui est proposée pour venir en aide à leurs entrepreneurs. Le coup serait fatal pour nos entreprises privées qui fournissent des emplois aux Canadiens, ne l’oublions pas. J’ai téléchargé sur mon iPad un scénario simple que Jay a créé. Dans ce scénario qui couvre une période de 25 ans, une société privée canadienne qui a un revenu annuel de 500 000 $ indexé sur la croissance, dont les bénéfices sont admissibles à la déduction d’impôt pour petite entreprise, qui réinvestit un certain montant dans l’entreprise et dans un fonds de placements passifs générant des rendements prudents, les actionnaires auraient dégagé 12,1 millions de dollars environ. Aux États-Unis, dans le régime actuel, les actionnaires auraient reçu 16,9 millions de dollars et, si la réforme fiscale va de l’avant, ils seraient enrichis de 19,3 millions de dollars. C’est un écart impressionnant de 9 millions de dollars.
Les entreprises canadiennes et leurs actionnaires ne peuvent pas fermer les yeux sur ce fossé monumental. Tous les entrepreneurs clairvoyants et avisés vont vouloir tirer profit de toutes les occasions d’améliorer leur sort à l’étranger.
Globalement, selon moi, les propositions à l’égard des investissements passifs ne répondent à aucun besoin passif. Si elles sont mises en œuvre, elles compliqueront le système et nuiront à notre croissance économique et à la compétitivité du Canada. Dans cette optique, je ne crois pas, pour reprendre les termes employés par le ministre Morneau la semaine dernière, que les promesses du père Noël permettront d’atteindre l’équilibre souhaité.
Pour terminer, j’estime que ce que nous vivons depuis le 18 juillet 2017 nous enseigne à tous une leçon qui vaut pour maintenant et pour l’avenir sur la manière de réformer le régime fiscal. Je l’ai dit tout à l’heure, le Canada doit procéder à un examen de l’ensemble du régime fiscal, pas seulement la partie qui touche les sociétés privées. L’approche décousue que nous suivons actuellement pour modifier nos politiques fiscales aboutit à d’innombrables conséquences indésirables et à une telle complexité que l’application devient impossible. Il faut prendre le temps nécessaire pour effectuer un examen complet rigoureux et réfléchi auquel participeront tous les intervenants, pas seulement des fonctionnaires et des universitaires.
La semaine dernière, le ministre Morneau a dit au comité qu’aucune réforme fondamentale de la fiscalité n’était projetée. Le gouvernement doit tendre l’oreille à tous ceux qui réclament une réforme en profondeur. Les Canadiens n’en attendent pas moins de lui. Merci.
Le sénateur Mockler : Merci.
La sénatrice Marshall amorcera la période des questions, suivie de la sénatrice Jaffer.
La sénatrice Marshall : Je vais me concentrer sur le revenu passif. Dans votre exposé, vous avez tout d’abord affirmé que le seuil était trop bas, qu’un seuil de 50 000 $ n’est pas assez élevé. Vous avez également parlé de cinq types de revenus actuellement. Ensuite, vous avez fait un assez long exposé sur le revenu passif. Quand vous avez dit que c’était trop bas, vous avez ajouté que vous expliqueriez pourquoi, que vous nous donneriez de plus amples explications.
J’aimerais donc savoir si vous avez d’autres détails à ajouter à ce que vous nous avez dit dans votre exposé concernant le revenu passif.
M. Moody : Je pourrais ajouter beaucoup de détails que je n’ai pas eu le temps de donner, mais je crois que vous voulez savoir ce que je pense de ce seuil trop bas?
La sénatrice Marshall : Oui, puisque vous avez affirmé qu’il était trop bas. J’aimerais vous entendre sur ce sujet tout d’abord.
M. Moody : Je crois qu’il est trop bas pour toutes sortes de raisons. Pour une petite entreprise qui emploie 1 ou 2 personnes, un seuil de 50 000 $ pourrait être tout à fait acceptable. Cette entreprise serait très peu touchée si elle n’accumule pas beaucoup d’avoirs passifs… À un taux raisonnable, si vous voulez.
Je vais revenir au scénario que j’ai donné en exemple. Je suis un comptable agréé. Si j’utilise leurs chiffres, un million de dollars placés à un taux de 5 p. 100 me suffiront-ils pour me retirer sur une montagne et maintenir le même style de vie avec ma famille? Absolument pas.
Est-ce équitable? Je ne crois pas. Mettons cet exemple de côté pour le moment et appliquons ce même seuil de 50 000 $ à une entreprise de construction pour laquelle je travaille actuellement. Elle emploie 300 personnes ici, à Calgary. C’est un secteur très saisonnier. Elle amasse de l’argent tout au long de l’année et en tire un revenu passif.
La première question qui se pose est celle de savoir si c’est un revenu de placement passif. Je ne le sais pas, mais disons que oui. Dans ce cas, le revenu de placement dépasse largement le seuil de 50 000 $ par année. Est-ce que l’entreprise sera pénalisée parce qu’elle amasse de l’argent durant les périodes où les affaires tournent au ralenti? À l’évidence, la réponse est oui. Est-ce équitable? Je ne pense pas.
La sénatrice Marshall : Le gouvernement a fait une analyse et a décrété un seuil unique de 50 000 $. À la fin de notre étude, nous devrons rédiger un rapport. Nous commençons déjà à réfléchir à nos recommandations. Devrions-nous dire au gouvernement que le seuil fixé pour le revenu passif est trop bas, ou que le mieux serait de l’abolir, purement et simplement? Vous avez parlé des deux scénarios. Lequel préférez-vous?
M. Moody : Voulez-vous tenter une réponse à ma place?
La sénatrice Marshall : Oui. L’abolir.
M. Moody : Exactement. Selon moi, les propositions sur les avoirs passifs ne répondent pas à un besoin impérieux. Je comprends le principe, je ne suis pas stupide. Si vous me demandez ce que je pense de l’argumentation, je vous dirai qu’elle n’est pas très solide, sans hésitation. À mon avis, la question a été traitée à la légère.
La sénatrice Marshall : Vous avez également parlé des cinq types de revenus dont il faudra faire un suivi. Quels sont ces cinq types? Il y en avait seulement quatre jusqu’ici.
M. Moody : Oh, excellent! Vous voulez mettre mes connaissances à l’épreuve?
La sénatrice Marshall : Oui.
M. Moody : Si une mesure de protection des droits acquis est adoptée à l’égard des placements, les revenus des placements existants constitueront un premier type. Il y aura les revenus non visés par la clause de protection des droits acquis, qu’il faudra probablement ventiler entre les revenus accumulés assujettis au taux des petites entreprises et ceux qui sont assujettis au taux des sociétés, mais oublions cela pour le moment.
Les revenus provenant d’investissements dits providentiels formeront un autre type, dont nous ne savons absolument rien. Apparemment, les investisseurs providentiels seront consultés pour leur éviter d’être pénalisés. Je n’ai aucune idée de ce que cela veut dire. J’imagine que ce type de revenu sera mis à part, ou exclu. Et que se passera-t-il alors? À l’aide quelqu’un. J’implore les petits génies de la fiscalité.
Une voix : Les bénéfices accumulés.
M. Moody : Oui, les bénéfices accumulés constituent le quatrième type.
J’oublie le cinquième. J’aimerais bien que mon bras droit soit ici pour me souffler la réponse.
La sénatrice Marshall : Vous avez mentionné qu’il y aurait plusieurs types de revenus. Vous devrez commencer par le bilan d’ouverture. Est-ce qu’une ventilation a déjà été faite ou est-ce que l’entreprise devra faire cette ventilation elle-même? Quelqu’un devra faire ce travail.
M. Moody : Précisément. Les entreprises devront s’en remettre à leurs fiscalistes.
La sénatrice Marshall : Et est-ce que l’Agence du revenu du Canada fera la vérification?
M. Moody : Si vous vous souvenez de l’abolition des règles sur les fiducies de revenu adoptées en 2005 et entrées en vigueur en 2006… Un compte de revenu à taux général a été créé, appelé CRTG dans le jargon des sociétés privées. Selon les règles, un bilan d’ouverture doit être établi. Plus précisément, c’est ce que stipule l’article 89(6) de la loi — un calcul du bilan d’ouverture est exigé. À part les maniaques de ma trempe, rares sont ceux qui se conforment à la règle du calcul du bilan d’ouverture, parce qu’elle est affreusement compliquée, et il y a très peu de vérification.
La sénatrice Marshall : C’est exactement ce dont il est question, non? De la complexité d’appliquer les règles proposées par le gouvernement?
M. Moody : Tout à fait.
La sénatrice Marshall : Vous avez aussi soulevé un autre sujet qui a déjà été débattu devant le comité, hier si ma mémoire est bonne, soit la réduction du taux pour les petites entreprises. Vous avez enchaîné avec la hausse de l’impôt sur les dividendes qui en résultera.
La sénatrice Marshall : Est-ce que les deux seront proportionnelles, dollar pour dollar? Pourriez-vous nous en dire un peu plus? Je ne suis pas certaine de bien comprendre les chiffres.
M. Moody : Tout dépendra de la province, mais ce sera plus ou moins dollar pour dollar.
Le principe veut que l’entreprise bénéficie d’un taux inférieur initialement, et qu’on se reprenne plus tard avec les dividendes. Quand les dividendes sont effectivement versés, ils seront imposés à un taux supérieur, quasiment dollar pour dollar. C’est le principe, mais son application peut varier d’une province à l’autre.
La sénatrice Marshall : D’accord, mais le gouvernement n’a jamais dit qu’il augmenterait le taux d’imposition des dividendes.
M. Moody : C’est indiqué dans une note de bas de page de son annonce.
La sénatrice Marshall : Vous nous affirmez que ce taux grimpera?
M. Moody : Oui, je l’affirme. Il grimpera, c’est certain.
La sénatrice Marshall : Et la hausse d’impôt pourrait-elle être plus importante que ce qui est attendu?
M. Moody : Non, je ne crois pas.
La sénatrice Marshall : Merci.
La sénatrice Jaffer : Merci d’être venu nous rencontrer une deuxième fois.
M. Moody : Le plaisir est pour moi.
La sénatrice Jaffer : J’aimerais continuer la discussion amorcée par la sénatrice Marshall au sujet du revenu passif. Je trouve qu’il est totalement arbitraire de fixer le seuil à 50 000 $ pour toutes les entreprises. Les considérations sont tellement nombreuses! Est-ce une entreprise composée d’une seule personne? D’un seul actionnaire? Prenons l’exemple d’une entreprise appartenant à quatre frères. Est-ce que chacun devra fonder une société distincte pour se prévaloir de cette mesure, ou devront-ils se limiter à 50 000 $? Que se passera-t-il au juste?
M. Moody : C’est une excellente question. Comment les gains en capital seront-ils calculés? Est-ce qu’une moyenne sera faite? Les gains en capital sont irréguliers par nature. Un critère de lien sera-t-il appliqué, ou sera-t-il facile de contourner les règles tout simplement en constituant une autre société? Je ne crois pas que ce sera possible, ce serait trop facile. Comment la conformité sera-t-elle contrôlée? Par un critère de lien, ou de dépendance, deux notions distinctes selon la loi? Je n’en ai aucune idée.
La sénatrice Jaffer : Je n’emploie peut-être pas la bonne terminologie, mais si les frères créent une société distincte, la règle concernant les réorganisations papillon s’appliquerait-elle étant donné que tous les fonds seraient transférés à une société distincte?
M. Moody : Si je comprends bien votre question, vous me demandez si les règles classiques des réorganisations papillon s’appliqueraient si jamais les règles proposées sur le revenu passif sont adoptées? J’imagine que les règles sur les réorganisations papillon ne seraient pas touchées par les propositions, mais je devrais vérifier. C’est quand même une très bonne question.
La sénatrice Jaffer : Comment imposera-t-on — les questions sont si nombreuses et les réponses, si rares!
M. Moody : Il reste mille et une questions, en effet.
La sénatrice Jaffer : Si vous me le permettez, j’aimerais maintenant vous amener sur le sujet du caractère raisonnable et de la répartition du revenu.
Lors de leur passage devant nous, les représentants de l’Agence du revenu du Canada nous ont dit, je crois, que ce serait un peu compliqué. J’aimerais cependant vous entendre à ce sujet. Vous avez peut-être déjà répondu à cette question la dernière fois, mais j’aimerais que vous nous redisiez comment le critère du caractère raisonnable sera appliqué aux règles de répartition.
M. Moody : Telles qu’elles sont formulées pour l’instant, les mesures proposées sont les plus complexes que j’ai vues en carrière. Selon ce que j’ai entendu dernièrement… Le critère du caractère raisonnable est présent dans la Loi de l’impôt sur le revenu depuis des années.
Deux exemples de ce critère se trouvent à l’alinéa 18.1a) de la loi, selon lequel aucune dépense n’est déductible, sauf — en fait, la disposition la plus connue à cet égard est l’article 67, qui prévoit que les seules dépenses déductibles sont celles qui sont raisonnables dans les circonstances. Au fil du temps, les tribunaux en sont venus à assimiler cette restriction à un critère type de lien de dépendance.
Je peux vous affirmer que l’application de ce critère est relativement simple si l’on considère l’ensemble du régime, et que les tribunaux ont établi des normes assez efficaces à cet égard depuis une cinquantaine d’années.
En revanche, les propositions concernant l’imposition du revenu fractionné sont beaucoup plus précises. Elles exigent la prise en considération du travail accompli, des apports de capitaux, des apports historiques, et ainsi de suite. L’application du critère du caractère raisonnable à ces quatre éléments sera extrêmement complexe pour quiconque n’est pas un expert en fiscalité.
La sénatrice Jaffer : Pour poursuivre sur cette lancée, prenons l’exemple de M. A, un propriétaire d’entreprise qui fractionne une partie des revenus avec sa femme. Il verse une certaine somme à sa femme, elle reçoit du capital. Cette pratique ne sera pas autorisée par l’Agence du revenu du Canada?
Ce serait problématique, car c’est une pratique très courante. Autrement dit, il est impossible de savoir ce que l’Agence autorisera ou non.
M. Moody : À cause de la manière dont notre système fonctionne, et je peux comprendre pourquoi, le contribuable est pour ainsi réputé coupable jusqu’à preuve du contraire. Il lui revient de faire la démonstration que ce qu’il a fait est raisonnable. Les administrateurs de l’Agence du revenu du Canada font leur travail. Quand ils refusent une déduction parce que, selon leur analyse, elle n’est pas raisonnable — je pense que c’est beaucoup trop leur demander de juger le caractère raisonnable de ces quatre éléments.
C’est une chose de chercher à savoir ce qui est raisonnable. Par exemple, si je verse un salaire de 25 000 $ à mon enfant pour qu’il vide la corbeille à papier, alors que je donnerais 5 $ à quelqu’un avec qui je n’ai pas de lien, l’analyse globale sera assez facile. C’est une autre chose d’appliquer ce critère aux quatre éléments.
En passant, si vous avez des enfants, et surtout des garçons de 21 ans, ne leur versez pas un salaire de 21 000 $. Ils ne sont pas assez futés. C’est censé être drôle.
Le sénateur Pratte : Vous avez parlé des communiqués de presse du père Noël. Je crois que vous exagérez. On nous a beaucoup parlé du fait que le gouvernement n’a pas tenu de consultations et qu’il n’a pas écouté. Pourtant, il est clair qu’il a écouté puisqu’il a proposé des modifications. Elles ne sont pas détaillées, mais elles sont la preuve que le gouvernement a tenu compte de la tempête de protestations qui a accueilli les annonces. Manifestement, nous n’avons pas encore les détails, mais les principes sur lesquels reposent les modifications annoncées sont là. N’êtes-vous pas rassurés par ces principes, au moins un peu?
M. Moody : Oui, bien entendu. Mais je maintiens tout ce que je viens de dire, aucun doute là-dessus. Les trois derniers mois ont été une véritable torture, déguisée sous de belles paroles. Ne venez pas me dire que le gouvernement a eu le temps d’examiner attentivement les 21 000 mémoires qu’il a reçus. Oui, je suis content du repli, mais avions-nous vraiment besoin de passer par tout ce processus pour aboutir à la semaine d’annonces du père Noël? La réponse est non. Le gouvernement aurait dû prendre un véritable engagement dès le début. Je prends acte de ce qui a été accompli et de ce qui ne peut pas être défait, mais je peux vous dire que toute cette période a été une véritable torture pour les milieux de la fiscalité et des affaires, et ce n’est pas terminé.
Bref, est-ce que je maintiens ce que j’ai dit au sujet du père Noël? Certainement.
Le sénateur Pratte : Pour ce qui a trait au revenu passif, si j’ai bien compris, vous opteriez pour l’abandon pur et simple de la proposition. Cependant, selon ce que j’en comprends, le gouvernement a annoncé qu’il mettrait son projet de proposition en œuvre. Beaucoup de témoins nous ont dit que le seuil de 50 000 $ est trop bas, que cette mesure sera inapplicable, trop complexe ou probablement trop restrictive. D’accord, mais pourrions-nous recommander d’autres mesures qui permettraient d’atteindre les objectifs du gouvernement sans nuire aux petites entreprises, qui leur donneraient la latitude voulue pour investir leurs revenus passifs dans leur entreprise, ou d’autres?
Avez-vous des solutions de rechange à offrir au gouvernement s’il va de l’avant avec cette proposition? Le gouvernement a-t-il d’autres moyens que l’établissement d’un seuil pour imposer les placements ou les revenus passifs, qui donneraient suffisamment de marge de manœuvre aux petites entreprises quant à la façon d’utiliser ce capital passif?
M. Moody : Bien sûr, il existe d’autres moyens, et nous y avons réfléchi. Comme vous, je pense que le gouvernement ira de l’avant, et c’est bien tant pis, à cause de la complexité et de tout le reste, comme vous en avez probablement entendu parler. Avec mes collègues, nous avons discuté de quelques mesures qui nous semblent plus appropriées.
Tout d’abord, je le répète, je ne suis pas du tout d’accord avec la mesure proposée ni avec l’objectif poursuivi. Qu’est-ce que le gouvernement tente de faire au juste? Je ne suis pas certain, et je pense même que sa manière d’envisager le problème est faussée.
Cela dit, si le gouvernement décide d’aller de l’avant, et il semble que ce soit le cas, la chose la plus facile serait de fixer un montant très élevé, mais pas trop, qui lui permettrait d’atteindre l’objectif qu’il s’est mis en tête. Je ne sais pas quel serait ce montant. Est-ce que quelque chose autour de 200 000 $ serait acceptable, ou de 250 000 $ peut-être?
Le gouvernement pourrait aussi opter pour une formule plus ciblée, qui fixerait le montant à deux ou trois fois les bénéfices non distribués, ou quelque chose du genre. Une autre formule possible serait de tenir compte d’une partie ou d’un multiple des revenus ou des bénéfices. En somme, la mesure devrait cibler davantage le problème perçu.
Pour l’instant, je ne vois aucune logique dans la formule universelle proposée, qui selon ce qui est claironné, épargnera 97 p. 100 — je crois que c’est la statistique officielle — des propriétaires de petite entreprise. Très franchement, je suis loin d’être convaincu.
Le sénateur Pratte : À en croire le gouvernement, ses propositions visent — ou ciblent — les sociétés privées sous contrôle canadien qui utilisent les investissements passifs exclusivement à des fins de planification fiscale, comme les fonds de retraite, et non pour réinvestir dans leur entreprise ou ailleurs, ou dans d’autres entreprises. Les firmes professionnelles font partie des cibles privilégiées, comme votre cabinet ou les cabinets médicaux. Les médecins reviennent souvent dans les discussions. Selon vous, est-ce un objectif légitime, ou croyez-vous au contraire qu’il est déraisonnable?
M. Moody : Je crois qu’il est tout à fait déraisonnable. Je suis ouvert, ce n’est pas la question. Je me considère comme quelqu’un assez ouvert d’esprit, malgré mon franc-parler. Si je prends ma situation en exemple, je suis propriétaire d’une petite entreprise depuis plus de 22 ans. Quand j’ai ouvert mon cabinet, il y a 22 ans, les bénéfices étaient assez maigres. Je ne pouvais pas cotiser à un REER. J’ai commencé à le faire quand j’ai commencé à dégager un bénéfice, et j’avais déjà quelques années d’expérience au compteur.
Ces années de disette ont un prix, mais j’ai persévéré. Je me disais que le gouvernement du Canada m’encourageait, qu’il tiendrait compte du fait que je créais des emplois, de très nombreux emplois en fait, tout au long de ma carrière, et que je pourrais utiliser le régime fiscal à mon avantage au moment de la retraite.
Je n’y voyais aucun problème. Mais maintenant, le gouvernement veut me mettre des limites — j’aurais droit à quelque chose comme 1 million de dollars, si j’utilise ses chiffres, pour mes vieux jours. Pardon? Je serai pénalisé pour tout ce qui dépasse 1 million de dollars. C’est loin d’être juste. Le concept de la neutralité avec lequel les économistes nous rebattent les oreilles — à mon avis, c’est une vision très déformée de la neutralité.
Le sénateur Tannas : J’ai quelques questions. Tout d’abord, vous avez parlé de votre cabinet et de la frénésie suscitée par ceux de vos clients qui veulent sortir leur argent du pays. Vous avez certainement une bonne idée de l’ampleur du phénomène dans les milieux de la fiscalité de Calgary ou de l’Alberta.
Pouvez-vous nous donner une idée de ce que représente cet exode de capitaux en dollars, sur le plan global, pour la province et, si nous extrapolons, pour l’ensemble du pays?
M. Moody : Ma réponse à votre question se limitera à mon expérience, et je peux seulement répéter ce que j’ai souvent dit publiquement : selon ce que j’ai constaté dans ma pratique, les capitaux qui sortent du pays depuis 2015 ne se chiffrent pas en millions de dollars. C’est beaucoup plus, et une bonne partie de cet exode est liée directement au ras-le-bol des taux d’imposition trop élevés. C’est la cause principale. Et j’ajouterai que depuis le 18 juillet, j’ai constaté un regain d’intérêt, si je puis dire, pour l’exploration des options offertes.
Il existe deux approches. D’un côté, il y a ceux qui disent : « J’en ai marre. Sortez mon argent d’ici. » C’est la position de beaucoup de mes clients. De l’autre côté, il y a ceux qui nous demandent de préparer le terrain si jamais leurs pires craintes se réalisent. Ces gens sont assis sur la clôture, et ils attendent avant de sauter.
Je dirais que mes clients sont partagés moitié-moitié entre les deux approches. Si j’extrapole, je pense que la situation est très semblable dans les autres cabinets — le milieu de la fiscalité est très petit. Toutefois, je n’oserais pas vous donner des chiffres exacts, parce que je ne les connais pas.
Le sénateur Tannas : Selon votre description, le processus a été désastreux, ou tout simplement déplorable. Vous êtes un professionnel chevronné. Quel a été le meilleur programme fiscal à vos yeux? Sommes-nous condamnés au désastre? Pouvez-vous penser à une époque où ce n’était pas le cas? Qui s’en tire le mieux actuellement, ou qui s’en est le mieux tiré par le passé? Pouvez-vous nommer un gouvernement, ou un événement en particulier qui vous a vraiment comblé?
M. Moody : Personne n’aime payer plus d’impôt, et il y en aura toujours pour se plaindre.
Le sénateur Tannas : Toujours.
M. Moody : C’est inévitable. En 2005 et en 2006, quand la réforme sur les fiducies de revenus a été adoptée, beaucoup de contribuables ont été touchés. Toutefois, ce n’était pas comparable à ce qui se passe maintenant, et de loin.
À mon avis, les changements apportés aux politiques à cette époque étaient justifiés, mais j’ai beau chercher, je ne trouve rien qui justifie ceux qui sont proposés actuellement. À coups de beaux discours et de déclarations trompeuses, on nous a traînés jusqu’à la semaine du père Noël et, eurêka, on nous a annoncé une solution magique. C’est un exemple facile.
Un exemple moins médiatisé a été celui de la réforme des règles relatives aux fiducies testamentaires — certains d’entre vous savent peut-être de quoi je parle —, qui a tout de même fait l’objet de consultations, en 2013 ou autour. La période de consultation a duré six mois, durant laquelle le gouvernement a reçu beaucoup de mémoires. Il n’en a pas reçu 21 000, bien entendu, parce que la réforme visait un aspect assez obscur du cadre global. Si mes souvenirs sont exacts, après une analyse des mémoires qui a duré quelque chose comme quatre mois, le gouvernement a présenté un projet de loi.
Avons-nous été satisfaits du résultat des consultations? Non, parce que le gouvernement ne nous a pas écoutés. Malgré tout, il est clair que le processus a été plus transparent, plus ouvert et plus authentique.
Le sénateur Tannas : Merci.
Le sénateur Oh : Je suis content de vous revoir, monsieur Moody.
Les consultations lancées par le comité sénatorial permanent font partie des plus intenses qu’il m’ait été donné de voir. Le comité a été à l’écoute des préoccupations des Canadiens concernant la réforme fiscale proposée.
Il y a deux semaines, la sénatrice Anne Cools et moi nous sommes rendus dans un petit village à l’extérieur d’Ottawa. À notre grande surprise, notre table ronde informelle a attiré une quarantaine de participants, qui étaient tous des agriculteurs ou des propriétaires de petites entreprises. L’une de leurs préoccupations concernait la durée trop courte des consultations. Selon eux, 75 jours, ce n’est pas assez long, et ils réclament une réforme fiscale digne de ce nom au gouvernement.
À l’heure actuelle, le régime fiscal autorise la répartition du revenu d’une société privée au moyen du versement de dividendes au conjoint ou aux enfants adultes d’un actionnaire, sans égard à leur participation à l’entreprise. Croyez-vous que les membres de la famille devraient participer à l’entreprise privée en y investissant de l’argent ou en y travaillant afin de pouvoir obtenir un revenu de cette entreprise?
M. Moody : Je vais répondre à votre question de manière détournée. Instinctivement, il est tentant de penser que les membres de la famille qui ne participent pas à l’entreprise ne devraient pas toucher cet argent. C’est évident. Si vous posez la question à une personne moyenne qui n’a aucune connaissance du droit de la propriété ou du droit fiscal, ou des affaires en général, il est plus que probable qu’elle vous répondra qu’une personne qui n’a rien fait pour le mériter ne devrait pas avoir droit à un dividende de 20 000 $. Donc, instinctivement, il est tentant d’appliquer une norme du caractère raisonnable à cet aspect.
Toutefois, il faut prendre la question par un autre angle. Est-ce qu’une personne qui achète des actions de Telus doit gagner ses dividendes ? La réponse est non, sans équivoque. Pourquoi la réponse est-elle aussi claire? Tout simplement parce que le droit de la propriété est lié au droit fiscal. La norme du caractère raisonnable ne s’applique pas, et c’est tout à fait juste, parce que les dividendes sont essentiellement une forme de rendement sur les investissements. Le même principe vaut pour les membres de la famille.
Par ailleurs, est-ce que je pense que la répartition du revenu entre certains membres de la famille donne lieu à certains abus, et surtout pour ce qui concerne ceux que j’appelle les « adulescents »? Je fais des blagues au sujet de mon fils de 21 ans, que j’aime plus que tout, mais le fait est qu’il ne participe aucunement à mon entreprise. Y a-t-il des abus à cet égard pour ce qui concerne les adulescents? Oui, probablement.
Alors, est-ce que je comprends ce que le ministère des Finances tente de faire en resserrant les règles et en voulant rendre le système plus équitable? Oui, je le comprends. Est-ce que je suis d’accord avec ses objectifs? Assez. Je suis assez d’accord.
Mais je ne le suis qu’à un certain point. On ne peut pas appliquer le critère du caractère raisonnable à mon fils de 21 ans, par exemple, parce qu’il est peut-être un enfant brillant. Non, désolé, je retire ce que j’ai dit. Il est brillant.
Le sénateur Tannas : Vous allez vous attirer des ennuis.
M. Moody : Oui, en effet, je risque de m’attirer des ennuis. Peut-être qu’en réalité il participe à mon entreprise? Mais comment faut-il appliquer ce critère? Si l’on souhaite réduire les abus, en dépit des incohérences avec le droit des biens et de la propriété, alors, il faut au moins appliquer une ligne de démarcation très nette.
Quant aux conjoints, je suis contre, quoi qu’il arrive. Dans mon cas, par exemple, si je devais divorcer, est-ce que ma femme aurait droit à 50 p. 100 de mes biens? Bien entendu qu’elle y aurait droit. Donc, a-t-elle droit au rendement sur ces biens pendant toute sa vie, ou doit-elle attendre que nous ayons divorcé? À mon avis, c’est une question absurde, franchement. Donc, selon moi, elle a droit au rendement sur mes biens pendant toute sa vie. Laisser entendre que verser un dividende à un conjoint qui ne participe pas à l’entreprise est abusif peut paraître séduisant, intuitivement, mais sur le plan intellectuel, ça ne tient pas la route.
Le sénateur Oh : Les États-Unis se préparent à adopter leur propre réforme fiscale. Si nous allons de l’avant avec la nôtre, ne craignez-vous pas un exode de capitaux chez nos voisins du Sud?
M. Moody : Oui, tout à fait.
Peut-être que vous l’ignorez, mais la moitié de mon cabinet est constitué de fiscalistes américains. Près de la moitié de notre travail consiste à conseiller des Américains qui investissent au Canada, et des Canadiens qui investissent aux États-Unis. Je peux vous dire, avec la quantité de dossiers sur les capitaux qui filent vers les États-Unis, depuis la hausse du taux d’imposition en 2015, et du taux d’intérêt depuis juillet 2017, et maintenant avec les dispositions de la réforme fiscale américaine qui a été annoncée la semaine dernière, que des clients nous demandent : « Pensez-vous vraiment que ça va arriver? » Et nous répondons : « L’avenir le dira. » Mais si réellement on adopte un taux d’imposition des sociétés de 20 p. 100, par exemple, et un taux d’imposition de 25 p. 100 des revenus gagnés par le biais d’entités intermédiaires, oh, mon Dieu! Ce serait fou de ne pas se pencher sur la question.
Le sénateur Oh : Sans oublier la taxe sur le carbone qui s’en vient.
M. Moody : Ne me lancez pas sur le sujet.
La sénatrice Andreychuk : Je voudrais seulement poursuivre sur la question du père Noël. Lorsque vous en parlez, on dirait que vous voyez cela un peu comme un cadeau. Et pourtant, d’autres témoins nous ont déclaré que ces dispositions ne font que compliquer les choses. Alors, je ne vois pas où est le cadeau?
M. Moody : Je le dis avec ironie, bien sûr.
La sénatrice Andreychuk : Dans ce cas, pourquoi le formuler de cette manière? Même si ces mesures ont été abandonnées, je veux parler des transferts intergénérationnels, peut-être qu’elles ne l’ont pas été définitivement. Elles ont été abandonnées, c’est vrai. Mais la plupart des gens nous ont affirmé que la situation avait empiré. Et vous parlez d’un cadeau du Père Noël.
M. Moody : En effet, je dis que c’est un cadeau, mais de façon sarcastique, pour les raisons que vous venez de mentionner. C’est un peu comme si nous étions censés être reconnaissants que ces mesures aient été retirées, alors que, franchement, si les choses avaient été faites correctement, le gouvernement aurait consulté les personnes concernées au préalable. Il aurait consulté un large éventail d’universitaires, pas seulement un petit groupe. C’est pour cela que je parle avec ironie de la semaine du Père Noël, parce que c’est un peu comme si nous devions montrer de la reconnaissance pour ce cadeau. Je ne vois pas pourquoi nous devrions l’être.
La sénatrice Andreychuk : Juste pour faire le suivi, parce que c’est un enjeu canadien qui fera surface sur d’autres tribunes ou lors d’une élection. Nous avons entendu cette question : pourquoi une personne qui gagne 50 000 $ en tant que salariée devrait-elle être assujettie à un taux d’imposition différent et être considérée autrement qu’une autre personne qui dirige une entreprise et qui tire 50 000 $ de revenus de cette entreprise? Je mentionne en passant que tous les témoins nous ont déclaré que ce n’est pas la bonne façon d’envisager les choses.
M. Moody : Je suis d’accord.
La sénatrice Andreychuk : Ils nous ont dit que nous devrions plutôt essayer de comparer les risques et les désavantages ou les avantages qu’obtient un employé comparativement à une personne qui dirige sa propre entreprise, et que la définition des risques est différente dans les deux cas.
M. Moody : Absolument.
La sénatrice Andreychuk : La capacité d’échapper au risque est différente. Je pense que nous avons en quelque sorte vidé la question, et que nous avons pris note de quelques réflexions à ce sujet. Mais vous mentionnez autre chose, et c’est la famille en tant qu’unité d’imposition. Je ne l’avais jamais entendu exprimer de cette façon-là. C’est-à-dire qu’il faut décider si le fils d’un chef d’entreprise devrait recevoir quelque chose. Votre pauvre fils! Une fois rentré chez vous, j’espère que vous aurez une bonne conversation tous les deux.
M. Moody : Je l’adore.
La sénatrice Andreychuk : Pour revenir à la situation des conjoints. Autrefois, lorsque j’exerçais le droit, à cette époque, si le mari possédait quelque chose, c’était sa propriété personnelle. Et si la femme possédait quelque chose, cela demeurait sa propriété à elle. Il est certain que le mouvement féministe et d’autres mouvements ont poussé pour que l’on crée une unité familiale. Et c’est ce que nous avons maintenant. Il n’était pas question d’évaluer votre contribution dans la cuisine, comme on le disait à l’époque, comparativement à celle que l’on pouvait fournir sur le terrain ou ailleurs.
M. Moody : C’est exact.
La sénatrice Andreychuk : Donc, nous nous sommes battus pour obtenir une reconnaissance du partage égal de la contribution au ménage. Vous venez de dire, pourquoi attendre le moment du divorce pour partager les biens du ménage. Je me rappelle avoir prononcé ces vœux : et je partage avec toi tous mes biens terrestres. Mais, il ne faut pas croire à cela, parce qu’en réalité, ce qui est à moi, est à moi, et ce qui est à toi, est à toi.
Est-ce que nous n’allons pas à l’encontre de ce qui, à mon avis, était une bonne politique sociale, c’est-à-dire reconnaître les contributions de chacun à l’unité familiale afin que celle-ci puisse maximiser ses ressources pour élever des enfants, être productifs dans la société, et ne pas stéréotyper l’emploi de chacun? Je n’ai pas entendu beaucoup de commentaires à ce sujet.
M. Moody : Voyez-vous, madame la sénatrice, mon collègue Kenneth Keung et moi-même avons signé un blogue sur le sujet, et le texte a par la suite été publié dans la page en regard de l’éditorial du Financial Post, à la fin de juillet. La commission Carter, et je suis persuadé que vous lisez tous ses rapports durant les longs trajets en avion, parce qu’ils sont vraiment passionnants — encore un peu d’ironie de ma part — a frappé un grand coup en 1966 lorsqu’elle a suggéré qu’étant donné que la famille était l’unité économique de base de la société, elle devrait aussi être l’unité d’imposition. Et après force débats, le gouvernement du Canada de l’époque, soit en 1972, a finalement décidé que, non, ce serait plutôt le particulier.
Des économistes comme Jack Mintz ont claironné pendant des années que c’était une erreur, et que le Canada serait un jour forcé d’adopter la famille, ou une forme limitée de la famille, en tant qu’unité d’imposition, à l’instar de nos voisins du Sud. Je suis parfaitement d’accord avec lui, et c’était d’ailleurs le sujet de notre lettre publiée dans la page en regard de l’éditorial.
Je suis d’accord avec vous. Imposer le critère du caractère raisonnable aux conjoints revient à trahir les objectifs des politiques sociales pour lesquelles nos sociétés se sont battues. À mon sens, cela constituerait un recul dans le contexte des conjoints.
La sénatrice Andreychuk : Dans ce monde très turbulent, comment faire pour renverser la situation? Cette question divise les Canadiens. La plupart des gens ne connaissent rien aux lois fiscales. La majorité des avocats n’y connaissent rien non plus, sauf les fiscalistes. Nous comptons tous sur leur expertise, mais nous entendons toutes sortes de choses — c’est juste, c’est injuste, et ainsi de suite. Un segment de la société affirme aujourd’hui que ce n’est pas équitable. Et d’autres sont encore plus convaincus que tel segment a bénéficié de certains avantages alors qu’il n’aurait pas dû les avoir.
Je me demande comment fait le gouvernement pour savoir à qui il faut prêter l’oreille. Une voix affirme que ces règles fiscales sont mauvaises, tandis que d’autres réclament leur adoption. Comment allons-nous faire pour réconcilier tout le monde dans ce pays? Nous ne devrions pas être en train de gaspiller notre énergie sur cette discussion, depuis le mois de juillet, alors qu’il y a tellement d’autres facteurs qui contribuent à nous rendre vulnérables sur le plan économique dans ce monde.
M. Moody : C’est une bonne question. Si j’avais une aussi bonne réponse, je pense que je pourrais faire des miracles. À mon avis, une partie de la solution consiste à mettre en place un processus d’engagement transparent de tous les intervenants en vue d’entreprendre une réforme complète de la fiscalité. Maintenant, est-ce que cela résoudrait les questions liées à l’égalisation des revenus qui se posent actuellement dans la société en général? Non. Est-ce que cela mettrait fin aux attaques contre les riches, à la diffusion de nouvelles sur les Paradise Papers et les Panama Papers, par exemple? Parce qu’en réalité il s’agit d’une attaque contre les biens nantis, avec toutes les politiques connexes.
Alors, est-ce que je pense que cela résoudrait des problèmes comme ceux-là? Probablement pas. Je suis d’accord avec votre prémisse, si je vous ai bien comprise, c’est-à-dire que nous évoluons dans une société où tout bouge très rapidement, et où il faut jongler avec des tas d’objectifs contradictoires tout le temps. Mais pour ce qui est de la fiscalité, qui se trouve être mon monde à moi, je suis persuadé qu’il est grandement temps d’entreprendre une réforme fiscale complète et qui repose sur un véritable engagement.
Le sénateur Mockler : En conclusion, sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Moody, vous voyez que nous vous écoutons tous religieusement. Aussi je pense que c’est un peu injuste à votre égard de vous poser ma prochaine question. D’ailleurs, je ne m’attends pas à ce que vous me fournissiez une réponse sur-le-champ. Mais l’une de nos tâches consiste à formuler des recommandations pour corriger et améliorer le système, aussi je vais poursuivre dans la même veine que ma collègue, la sénatrice Andreychuk.
J’ai deux questions pour vous. La première concerne l’impôt sur le revenu fractionné avec des enfants mineurs. Je comprends d’après tout ce que j’ai lu qu’il existe une ligne de démarcation très nette, et que maintenant nous la connaissons. Donc, ça, c’est clair. Maintenant, y aurait-il moyen de faire la même chose avec le fractionnement du revenu, et de rendre les choses plus claires?
Deuxièmement, que devrions-nous dire au gouvernement? Quelle recommandation devrions-nous lui faire, mis à part, d’oublier les placements passifs? Pourriez-vous nous suggérer des recommandations à faire au gouvernement?
M. Moody : Ce sont d’excellentes questions. Pour répondre à la première, je dirais que nous avons sous les yeux, avec les États-Unis, un modèle qui n’est certes pas parfait, mais qui cadre étroitement avec les objectifs que le gouvernement du Canada semble vouloir atteindre. C’est un modèle qui a fait ses preuves. En tout cas, il semble avoir fait ses preuves d’après toutes les recherches que j’ai effectuées moi-même, et les discussions que j’ai tenues avec des collègues américains. Pourquoi ne pas au moins jeter un coup d’œil sur ce modèle? Voilà quelle serait ma première recommandation.
Pour la deuxième question, sans suggérer de mettre ces dispositions au rancart, parce que vous m’avez dit de ne pas...
La sénatrice Jaffer : Il pourrait peut-être décider de ne pas le faire.
M. Moody : C’est exact. Ma suggestion serait la suivante, et je ne suis pas le seul à la faire — je pense avoir entendu un témoin formuler cette recommandation au comité, mais je peux me tromper. Ce serait d’au moins étudier cette question avec des fiscalistes, des universitaires de divers horizons, et peut-être aussi avec d’anciens bureaucrates, et des représentants du gouvernement avant de mettre en œuvre ces propositions et avant de publier l’avant-projet de loi, alors que je sais pertinemment que le gouvernement y travaille avec acharnement. Se réunir. Mobiliser la communauté afin de parvenir à modifier ce projet pour le rendre au moins en partie acceptable. Je ne pense pas que l’on n’arrive jamais à faire de ces propositions quelque chose de potable, mais on pourrait au moins essayer de les améliorer partiellement en mettant d’autres parties à contribution.
Le sénateur Mockler : Monsieur Moody, je vous remercie beaucoup. Ce fut très instructif. Nous prévoyons déposer notre rapport devant le Sénat du Canada le 15 décembre. Alors, si vous souhaitez nous transmettre d’autres renseignements, n’hésitez pas à communiquer avec la greffière.
M. Moody : Merci.
Le sénateur Mockler : Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. L’ordre de renvoi du Sénat du Canada autorise le comité à entreprendre deux voyages : l’un dans l’Ouest canadien et l’autre dans le Canada atlantique. Aussi, à Ottawa, nous avons tenu 13 assemblées publiques. Nous avons entendu près de 60 témoins et reçu plus de 30 propositions écrites. Cette étude suscite beaucoup d’intérêt, et le comité a pensé qu’il fallait tenir d’autres consultations. Nous avons donc décidé de traverser le Canada pour aller entendre les Canadiens et les représentants de différentes associations ainsi que de l’industrie et de divers secteurs.
À tous les témoins, je vous remercie beaucoup d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant le Comité sénatorial des finances nationales pour nous faire part de vos opinions, de vos commentaires, et de vos recommandations en vue du dépôt de notre rapport.
Nous accueillons, de chez Ernst & Young LLP, M. Warren Pashkowich, associé, Fiscalité transactionnelle, et M. Barry Munro, associé, président d’Ernst & Young Orenda Corporate Financial Inc. and Ernst & Young Corporate Finance (Canada) Inc.
Et également, de Catalyst Group LLP, nous accueillons M. Cam Crawford, associé, et M. Carl Scholz, associé fiscaliste.
Monsieur Pashkowich, je vous en prie.
Warren Pashkowich, associé, Fiscalité transactionnelle, Ernst & Young LLP : Honorables sénateurs, je suis très heureux de m’adresser à vous aujourd’hui. Pour vous situer, je suis comptable professionnel agréé et dirigeant national de la fiscalité transactionnelle chez Ernst & Young. Mon champ de spécialisation est la fiscalité des fusions et acquisitions de sociétés, tant ouvertes que privées.
Par souci de transparence, je vous informe que je mène des activités comptables à titre d’associé de l’entreprise Ernst & Young et que je mène ces activités par l’entremise d’une société privée sous contrôle canadien qui m’appartient personnellement.
Ces dernières semaines, un grand nombre de Canadiens sont venus vous faire part de leurs points de vue sur les nouvelles règles. Ils vous ont expliqué à quel point il sera compliqué de faire en sorte que ces nouvelles règles fonctionnent correctement et à quel point il sera difficile pour l’ARC d’administrer ces règles et de les faire appliquer à l’échelle du pays de façon uniforme. Ils vous ont déclaré aussi qu’une hausse des taux d’imposition pour les entreprises privées entraînera des répercussions négatives sur les petites entreprises et leurs propriétaires. En effet, les petites entreprises devront assumer des coûts d’emprunt plus élevés parce qu’elles disposeront de moins d’actifs à donner en garantie à leurs prêteurs. Les petites entreprises seront moins en mesure d’absorber les ralentissements cycliques, et par conséquent, il sera plus difficile de maintenir la main-d’œuvre en poste pendant de longues périodes. Des impôts plus élevés auront pour effet de réduire globalement les actifs disponibles pour l’investissement. Au moment opportun, on réinvestira moins d’argent dans l’économie, notre productivité nationale en souffrira et, contrairement aux objectifs du gouvernement, toute la situation contribuera à réduire les débouchés pour les Canadiens de la classe moyenne.
À mon avis, chacun de ces énoncés est intrinsèquement vrai pour les raisons que vous avez déjà entendues. Plutôt que de revenir à la charge avec ces raisons, je voudrais axer mes commentaires sur deux points : l’équité fiscale et la compétitivité canadienne.
J’ai commencé à exercer dans le domaine de la fiscalité en 1987. Au cours des 30 dernières années, j’ai été à même de voir diverses modifications importantes apportées à notre Loi de l’impôt sur le revenu. Je peux affirmer que je n’ai pas le souvenir d’aucune autre modification de politique ayant suscité autant d’indignation chez ceux qui étaient les plus touchés. Et cette indignation s’explique en bonne partie par le fait que des propriétaires de petites entreprises, qui travaillent fort, qui réussissent, et qui paient honnêtement leurs impôts sont décrits comme des contribuables ayant recours à des échappatoires et qui ne paient pas leur juste part.
Je ne connais pas beaucoup de Canadiens qui contesteraient l’idéal de l’équité fiscale et de l’obligation pour chacun de payer sa juste part. La mise en place d’un régime fiscal qui est clair et équivalent pour tous les contribuables et qui cherche à limiter la quantité de dispositions et de règles législatives qui favorisent un segment des contribuables au détriment des autres est tout simplement la bonne chose à faire.
L’idéal de l’équité fiscale est intrinsèquement subjectif et peut être vu à la fois en termes absolus et relatifs. Un employé et le propriétaire d’une petite entreprise font face à des risques différents, gagnent des types de revenus différents, et chacun peut bénéficier de déductions différentes au moment de calculer son revenu, mais chacun est imposé selon la méthode des impôts exigibles et au même taux. On pourrait qualifier chaque système d’inéquitable en se fondant sur qui en profite ou qui est traité différemment, et on pourrait aussi dire qu’il est équitable en ce sens qu’il est uniforme et qu’il applique une méthode rationnelle de l’imposition sur chaque source de revenus. Les deux systèmes comportent d’importants avantages et désavantages sur le plan fiscal et non fiscal, qui ne sont pas offerts aux deux parties, et qui sont susceptibles d’empêcher une équité absolue. Mais si on considère chaque système dans son ensemble comparativement à l’autre, on constate qu’une équité relative est possible et, à mon avis, qu’elle est largement appliquée aujourd’hui. Autrement dit, le système actuel est imparfaitement parfait.
Les règles relatives à l’impôt sur le revenu fractionné et sur le revenu d’un portefeuille de placements passifs sont destinées à corriger des iniquités réelles ou perçues dans notre régime fiscal. Du point de vue de la politique fiscale, la justesse des propositions relatives à l’impôt sur le revenu fractionné repose sur l’opinion de chacun eu égard à ce qui constitue l’unité d’imposition correcte. Si l’unité d’imposition correcte est le particulier, dans ce cas, les propositions sont susceptibles de nous faire avancer vers l’atteinte de l’objectif qui consiste à mettre en place une politique fiscale objective. Toutefois, si l’unité d’imposition correcte est la famille, dans ce cas, les propositions sont complètement inappropriées. Des gens raisonnables et bien informés pourront avec raison afficher leur désaccord en ce qui consiste l’unité qui devrait être privilégiée.
Mais, il serait difficile pour n’importe quel Canadien de se disputer au sujet d’une proposition selon laquelle un ménage où les deux conjoints travaillent, chacun recevant un salaire de 50 000$, devrait disposer concrètement d’un revenu disponible plus élevé qu’un ménage semblable où l’un des conjoints gagne 90 000 $ et l’autre, 10 000 $, mais en réalité, c’est ce que fait notre régime actuel.
Les stratégies fiscales consistant à fractionner le revenu, comme au moyen de versement sélectif de dividendes, ont été élaborées par les conseillers en fiscalité en vue d’éliminer l’iniquité relative qui existe dans notre régime fiscal. Si on peut faire valoir que les stratégies de planification fiscale sont allées trop loin en fractionnant le revenu avec des enfants mineurs, il reste indéniable que notre régime actuel n’a pas réussi à atteindre l’équité absolue ou l’équité relative en matière fiscale.
J’aimerais rappeler aux honorables membres de ce comité que l’imposition de l’unité familiale a déjà fait l’objet d’un débat par le passé, en 1999, et qu’on l’avait rejetée pour diverses raisons, incluant la perte de recettes fiscales. J’aimerais dire à ce comité que si l’objectif stratégique de l’imposition du revenu fractionné est motivé par l’équité, dans ce cas, il faudrait reconsidérer l’unité d’imposition dans le contexte d’une réforme fiscale de plus grande envergure, et songer à combler les coûts pour les coffres du gouvernement par d’autres moyens.
La proposition relative à l’imposition du revenu fractionné, dans sa forme actuelle, introduirait un degré de complexité et de subjectivité absurde dans notre régime fiscal. Elle imposerait aux contribuables un fardeau administratif et en lien avec la conformité sans pour autant conférer à notre régime fiscal un plus grand degré d’équité relative. Si le gouvernement ne veut pas reconsidérer d’entreprendre une plus grande réforme fiscale, alors ma recommandation la plus ferme serait de limiter tous les changements au système actuel aux dispositions relatives aux enfants âgés de 18 à 24 ans, et de laisser le reste du système inchangé.
La deuxième proposition vise les bénéfices non répartis d’une société qui sont faiblement imposés lorsqu’ils sont considérés comme des placements passifs. D’après le livre blanc du gouvernement, « L’avantage fiscal accordé aux sociétés privées — à savoir le taux d’imposition moins élevé — n’est pas censé servir à accroître l’épargne personnelle. »
Même si beaucoup hésiteraient à croire que les gouvernements qui se succèdent depuis 45 ans ne savaient pas et n’acceptaient pas que c’était exactement à cela que devait servir et servait effectivement le faible taux d’imposition sur le revenu, à mon sens, la question la plus importante est de savoir si cet avantage offert aux sociétés privées est inéquitable si on le considère dans le régime fiscal pris dans son ensemble.
Les reports d’impôt qui s’appliquent aux entreprises permettent aux sociétés privées qui n’ont pas besoin de leur revenu après impôt pour le réinvestir immédiatement dans l’entreprise, de l’accumuler dans un portefeuille de placements pour les aider dans le cas d’un éventuel ralentissement, pour financer une expansion future de leurs activités, ou pour constituer des fonds de retraite pour les propriétaires. Je dirais que ces avantages, comparativement à d’autres avantages qui existent dans notre régime fiscal, ne sont pas disproportionnés au point d’en devenir relativement inéquitables.
Un peu comme pour les règles visant le fractionnement du revenu, ces propositions introduiraient un degré absurde de complexité et de subjectivité dans notre régime fiscal et imposeraient aux contribuables un important fardeau administratif et sur le plan de la conformité, sans pour autant contribuer à élever de quelque degré l’équité relative de notre régime fiscal.
Le gouvernement revient souvent sur l’importance de l’équité dans le régime fiscal. Comme bien des commentateurs l’ont suggéré, prenons ces déclarations au pied de la lettre, et entamons une discussion sur ce que devrait être un régime équitable en 2017 et au-delà.
J’aimerais formuler quelques commentaires sur l’importance de la compétitivité avant de céder la parole à mon collègue. Nos sociétés canadiennes sont les plus importants créateurs d’emplois, de croissance économique et de prospérité pour les Canadiens de la classe moyenne. Elles doivent compétitionner dans le monde entier pour le capital financier, intellectuel et humain. Dans le monde d’aujourd’hui, le capital, quelle qu’en soit la forme, est extrêmement mobile. Inévitablement, il se dirigera vers l’administration qui offre le meilleur rendement corrigé du risque après impôt. Nous avons été les témoins de ce flux des capitaux dans les années 1970 et 1980 lorsque notre secteur manufacturier a quitté le Canada pour des administrations où les coûts étaient moindres. Et tout récemment, nous avons assisté au départ de notre secteur du GNL en plein essor parce que les capitaux nécessaires pour construire de nouvelles installations de liquéfaction s’étaient déplacés vers des administrations où les coûts sont moindres, comme les États-Unis et l’Australie.
Forts de cette expérience, nous les Canadiens, savons que les capitaux sont essentiels au développement d’une économie et à la création d’avantages à long terme pour les Canadiens. Les capitaux créent de l’emploi pour les Canadiens de la classe moyenne et permettent aux entreprises canadiennes d’adopter la technologie la plus récente, de fournir des outils aux travailleurs et de mettre au point de nouveaux produits et services pour l’économie mondiale. Lorsqu’une entreprise décide d’investir, elle s’attend à ce que ces investissements soutiennent les opérations pendant de nombreuses années. C’est pourquoi lorsque des capitaux sont attirés vers le Canada, ils génèrent des revenus pour les travailleurs et les fournisseurs pendant des années, de même que des recettes fiscales pour les gouvernements. La semaine dernière, l’agence responsable des impôts aux États-Unis a publié ses propositions de réforme fiscale attendues depuis longtemps. L’ampleur de ces réformes est tout simplement stupéfiante. Le ton qu’adopte l’administration américaine envers les entreprises contraste de façon frappante avec celui du Canada.
Si les États-Unis réussissent dans leurs efforts en lien avec cette réforme fiscale, le taux d’imposition des sociétés sera abaissé de 35 à 20 p. 100, et le taux d’imposition des revenus d’entreprise bien mérités des créateurs d’emploi locaux seront réduits et ne dépasseront pas 25 p. 100. Les pays comme le Canada jouissent actuellement d’un avantage concurrentiel par rapport aux États-Unis, mais ils devront à l’avenir repenser leur régime fiscal et lui apporter des modifications pour pouvoir demeurer compétitifs dans la recherche de capitaux.
Il faudra attendre des années avant de pouvoir mesurer pleinement l’impact des décisions que nous prenons aujourd’hui concernant l’imposition des sociétés privées. Posez-vous la question. Est-ce que nos institutions financières continueront de prêter de l’argent à des entreprises à la capitalisation restreinte parce qu’il n’est plus avantageux de conserver les bénéfices non répartis dans une entreprise? Si le régime fiscal canadien pénalise injustement les créateurs d’emplois de tous les jours, est-ce qu’à l’avenir on assistera à la constitution et à l’accumulation des capitaux dans des administrations plus favorables, comme aux États-Unis? Est-ce que nos enfants décideront de créer une entreprise au Canada ou bien seront-ils incités à le faire aux États-Unis ou ailleurs? Avec les progrès technologiques grâce auxquels nous pouvons exercer nos emplois à partir de n’importe où et à n’importe quel moment, est-ce que nos professionnels, nos médecins, nos avocats, nos comptables, nos ingénieurs, choisiront d’exercer au Canada ou dans une autre administration qui leur permet de conserver une plus grande partie de l’argent durement gagné?
Je vous remercie de m’avoir permis de témoigner.
Le sénateur Mockler : Merci.
Monsieur Munro.
Barry G. Munro, associé, président d’Ernst & Young Orenda Corporate Financial Inc. and Ernst & Young Corporate Finance (Canada) Inc., Ernst & Young LLP : Je vous remercie de me donner l’occasion de vous rencontrer aujourd’hui. Je sens que c’est un moment particulier. En 1980, au printemps, je suis allé au Forum pour jeunes Canadiens. Je ne sais même pas si l’organisme existe toujours, mais il administre un programme axé sur les politiques publiques. En tant que jeune personne naïve originaire de Swift Current, en Saskatchewan, il m’avait semblé que c’était le grand monde. Il m’a fallu attendre près de 38 ans pour avoir de nouveau l’occasion de parler de questions de politique.
Je suis, moi aussi, comptable agréé, comme Warren, et j’ai eu la chance d’avoir été accepté comme associé. J’ai accumulé près de 34 années d’expérience chez Ernst & Young, mais aucune dans le domaine fiscal. Par conséquent, mon angle d’attaque aujourd’hui sera complètement différent.
Je dirige actuellement ce que nous appelons le secteur du financement des sociétés, c’est-à-dire des fusions et acquisitions, de la mobilisation de fonds, des transactions, de l’immobilier, ainsi que notre infrastructure de services-conseils dans tout le Canada. J’ai donc régulièrement l’occasion de m’entretenir avec des gens de Victoria et même de Terre-Neuve, et je voyage énormément.
Par le passé, j’ai assumé la direction du secteur de l’exploitation pétrolière et gazière pour Ernst & Young au Canada et j’ai visité autour de 25 pays dans ce contexte. J’ai travaillé avec des intervenants de classe mondiale qui souhaitaient investir au Canada, et j’ai occupé le poste d’associé directeur d’Ernst & Young, à Calgary.
De plus, du point de vue des services à la communauté, je travaille avec le YWCA, Centraide, la Calgary Economic Development, ainsi que la Calgary Stampede Foundation. Tout cela pour dire que je pense que mon point de vue traduit une perspective assez large et représentative de ce qui tient à cœur aux Canadiens sur cette question particulière. Et aussi, parce que je réfléchis, en ces temps difficiles, à ce qui se passe dans le monde, et à la dynamique de division qui prévaut ailleurs. Comme je l’ai déjà dit, mon angle d’attaque ne sera pas celui d’un comptable fiscaliste. Je consacre ces jours-ci pratiquement tout mon temps à conseiller des entrepreneurs sur les décisions importantes qu’ils doivent prendre au sujet de leur capital : le coût du capital, l’affectation de ce capital, et le prix de ce capital, et pendant toute la durée du cycle de vie transactionnel, de la création de l’entreprise jusqu’au moment de sa vente. Nous nous occupons principalement des entreprises du marché intermédiaire. Habituellement, nous ne transigeons pas avec des sociétés constituées d’une ou deux personnes, mais plutôt avec des entreprises dont la valeur se situe entre 25 et 250 millions de dollars. Des entreprises qui, lorsque nous les mettons en vente, attirent des acteurs de classe mondiale autour de la table.
Par souci de transparence, comme Warren, je tiens à vous informer que les intérêts que je détiens dans l’organisation mondiale de sociétés membres d’Ernst & Young le sont par l’entremise d’un ordre professionnel, et que je suis le seul actionnaire.
Mon seul intérêt est de participer à ce débat et à ce dialogue et d’apporter ma contribution au rôle important que joue le Sénat. Je vais faire de mon mieux pour répondre à la question qui a été posée à M. Moody et qui consiste en fin de compte à formuler nos recommandations.
Il me semble, comme vient tout juste de le mentionner Warren, qu’en dépit des révisions importantes qui ont été apportées en octobre — des révisions qui, à mon avis, n’ont pas été faites pour des raisons de politique publique, mais plutôt à la suite de pressions politiques — nous avons laissé passer l’essentiel. En effet, nous avons laissé passer l’essentiel de cette grande discussion, parce qu’au cœur même du débat, il est question d’un choix important en matière de politique publique, et d’importants enjeux. Je vais vous parler de trois de ces enjeux, des enjeux qui, selon moi, n’ont pas été examinés. Et peut-être que le comité sénatorial pourrait se saisir de ces enjeux pour remettre en question la bonne façon de procéder pour le compte des Canadiens. À certains égards, je pense que la responsabilité du Sénat en la matière pourrait être la plus grande qu’il ait eue à assumer depuis un certain temps, parce que ces enjeux revêtent tellement d’importance d’un bout à l’autre du pays.
Les trois grands enjeux en question tournent autour de la stratégie fiscale, et je vais aussi vous poser quelques autres questions. Elles portent sur la perception et l’à-propos des recettes fiscales, et sur la compétitivité à l’échelle mondiale. Warren en a parlé et je vais seulement revenir un peu sur le rôle des impôts dans la création d’un pays compétitif sur la scène mondiale. Troisièmement, et c’est un sujet qui me tient beaucoup à cœur, et qui prend beaucoup trop de mon temps, je vais vous parler des moyens de soutenir l’entrepreneuriat, ce qui revient en fait à soutenir la création d’emplois, et en fin de compte, la création de richesse et la prospérité d’un pays. C’est ce qui sous-tend réellement l’idée que les impôts ont une incidence sur les investissements des entreprises et sur la croissance.
Lorsque je pense à ces trois points, il y a d’importantes questions que j’aimerais pouvoir poser aujourd’hui dans le cadre de mon exposé. Encore une fois, je ne pense pas être le mieux placé pour répondre aux questions sur les propositions détaillées. Je préférerais me concentrer sur les questions de politiques.
Concernant la stratégie fiscale, j’ignore la réponse, mais la question est la suivante : Existe-t-il des données probantes montrant que le régime actuel comporte des échappatoires importantes, lesquelles si j’ai bien compris, justifieraient les modifications proposées qui nous entraîneraient bien au-delà d’un régime qui, comme Warren l’a déjà dit, fonctionne?
Deuxièmement, vous avez posé la question, et Kim Moody y a répondu : S’il y a des abus dans le système actuel, quel rôle les mesures d’exécution devraient-elles jouer en se concentrant sur les contrevenants? Si notre système ne fonctionne pas correctement, peut-être devrions-nous nous pencher sur la question de savoir si les dispositions relatives à l’application sont bien ciblées.
Et enfin, du point de vue de la politique fiscale, je dirais, dans le contexte démographique du Canada, tandis que nous nous dirigeons structurellement vers une population qui vieillit rapidement, quel devrait être le juste équilibre aujourd’hui entre une plus grande assiette fiscale et des recettes fiscales plus élevées dans le futur? En tout cas, ce dont il est réellement question, c’est à quel moment le revenu sera-t-il imposé, de sorte que, en fin de compte, les impôts finiront par être payés. La question qui se pose, c’est où l’argent pourrait-il être accumulé et à quel moment devrait-il être distribué. Dans mon esprit, toute la question se résume à déterminer à quel moment ces impôts seront payés.
Pour revenir au soutien de l’entrepreneuriat, il me semble que les données probantes nous suggèrent que la majorité des emplois et la majeure partie de la croissance économique réelle sont générés par les petites et moyennes entreprises. Je pense que tout le monde sera d’accord avec cette affirmation. Je les appelle les entrepreneurs. Alors, du point de vue de la politique fiscale, selon moi, la question que l’on devrait se poser, c’est quel rôle le gouvernement devrait-il jouer et quel rôle la politique fiscale devrait-elle jouer pour venir en aide à l’entrepreneuriat? À quoi ressemble l’entrepreneuriat? Quel rôle la politique fiscale devrait-elle jouer pour faire en sorte qu’il y ait suffisamment de capitaux pour investir dans les preneurs de risques et dans les entrepreneurs qui prennent ces risques, et comment en bout de ligne une politique fiscale positive pourrait créer un avantage concurrentiel pour les entrepreneurs canadiens lorsqu’ils doivent mener cette concurrence à l’échelle internationale?
Du point de vue de la compétitivité mondiale, j’aimerais faire une observation. Il me semble, et je pense que vous serez d’accord avec moi, que les perturbations vont en s’accélérant. Les perturbations dans le monde entier s’accélèrent à un rythme qu’aucun d’entre nous n’a jamais connu. Mais en fin de compte, nous nous dirigeons vers une économie fondée sur le savoir et les services. Cette situation entraîne de graves répercussions eu égard au lieu où ces services seront dispensés. Par conséquent, dans ces modèles économiques, le capital ne voit pas les frontières comme une contrainte, parce qu’il peut résider là où il choisit de le faire, et qu’il peut se déplacer entre ces frontières. Dans une économie axée sur le savoir ou sur les services, il devient plus difficile d’imposer les actifs matériels.
Ce qui se passe aussi au Canada, c’est que tous les ordres de gouvernement ont commencé à lever des impôts. C’est ce que l’on entend lorsque l’on se déplace pour des organismes comme Centraide pour demander des dons. Les donateurs nous disent souvent avoir l’impression de financer des services sociaux essentiels, alors même que leurs impôts montent en flèche. Mais, toutes les administrations au Canada se sont mises à percevoir des taxes à un moment donné, et comme l’a fait remarquer Warren, à une époque où ailleurs dans le monde on cherche plutôt à les réduire. Donc, partout ailleurs dans le monde on s’efforce de réduire les taxes, pendant que le Canada concentre son attention sur des moyens de les augmenter.
Il faut ajouter à cela le fait qu’au Canada, nous avons pris l’habitude de réglementer de plus en plus, dans tous les secteurs et dans toutes les industries, et ce, de toutes les manières possibles, et tous les ordres de gouvernement s’en mêlent. Je le répète, cela se produit au moment même où bon nombre de nos plus grands compétiteurs sont très occupés à rationaliser leurs réglementations et à essayer de stimuler la compétitivité.
Les enjeux qui ressortent de ce contexte de compétitivité mondiale au chapitre de la politique fiscale sont les suivants : un, quel rôle la politique fiscale joue-t-elle pour que le Canada demeure concurrentiel et que l’on puisse attirer et retenir les meilleurs talents possible, et par conséquent, les capitaux qui soutiendront ces talents? Deux, quel rôle la politique fiscale joue-t-elle pour stimuler les investissements des entreprises et le réinvestissement? Warren a mentionné le secteur du GNL. C’est l’un de ces secteurs critiques pour lesquels on pourrait se servir de la politique fiscale pour améliorer les stratégies. En fait, il y a eu des révisions, si vous vous en souvenez, pendant le processus au cours duquel les règles ont été changées pour les déductions pour amortissement. Comment dans ce cas la politique fiscale encourage-t-elle la prise de risque du point de vue de la compétitivité mondiale? En en terminant, comment pourrait-on utiliser efficacement la politique fiscale pour créer un écosystème de l’innovation qui serait un chef de file mondial? Si le monde évolue vers cette économie fondée sur le savoir, et si dans cette économie, l’important n’est pas de savoir qui possède les actifs matériels, mais plutôt qui détient le capital intellectuel pour tirer parti réellement de ces actifs, alors comment une politique fiscale pourrait-elle contribuer à conserver le savoir qui est le principal facteur de réussite? Bon, je pense que ces enjeux traduisent mes trois sujets de préoccupation.
De manière générale, je pense que ce que j’aimerais demander au comité sénatorial ou ce que j’aimerais qu’il fasse — comme l’ont déjà indiqué M. Moody, et d’autres personnes et Warren aussi —, c’est qu’il reconnaisse l’importance essentielle pour nous tous ici au Canada de faire une pause, surtout dans le contexte de ce qui se passe aux États-Unis, et d’entreprendre un débat dynamique et réfléchi autour de la politique fiscale. Qu’essayons-nous d’accomplir? Comment allons-nous procéder pour protéger les emplois canadiens et les citoyens canadiens? Nous devons tenir ce dialogue et ce débat avant la mise en œuvre de toute autre modification. Effectivement, ce qui s’est passé depuis les modifications apportées en octobre, c’est que les entrepreneurs de partout au pays sont plus confus aujourd’hui qu’ils ne l’étaient auparavant, au début de juillet. À ce moment-là, ils n’avaient pas encore réalisé que leur monde serait bouleversé à cause de quelques propositions bâclées. Nous avons reculé sur quelques dispositions. Nous avons déclaré que d’autres renseignements étaient à venir. C’est ainsi que l’on crée de l’incertitude.
Et le résultat de l’incertitude, c’est que l’on retarde la prise de décisions. Le Sénat doit absolument, et il se trouve devant une formidable occasion de le faire, entamer une conversation réfléchie et approfondie sur la politique fiscale au Canada. C’est un exercice qui n’a pas été entrepris depuis 1972, à l’époque où Warren, et mon ancien associé Walter Gordon, ont introduit la Loi de l’impôt sur le revenu.
Merci.
La sénatrice Cools : Walter Gordon était un homme très apprécié et d’une excellente réputation.
Le sénateur Mockler : Monsieur Crawford, je vous en prie, et ensuite, M. Scholz.
Cam Crawford, associé, Catalyst Group LLP : Je vous remercie beaucoup de l’occasion que vous m’offrez aujourd’hui. Je tiens à vous dire que j’apprécie le travail que vous faites pour la population du Canada. Je vais essayer de faire vite parce que je sais que nous voulons vous laisser le temps de nous poser des questions.
J’exerce mes activités dans le Sud de l’Alberta depuis près de 35 ans. Chez Catalyst, nos clients sont pratiquement tous des propriétaires d’entreprises privées, de petites et moyennes entreprises, et la plupart sont des entreprises familiales. Elles ont été considérablement touchées par les propositions de modifications à la Loi de l’impôt.
Comme M. Munro, je ne suis pas un comptable fiscaliste, mais je les consulte à l’occasion, dans le cadre de mon travail, qui consiste principalement en transactions d’achat et de vente, en planification de reprise d’entreprise, en conseils pour des projets stratégiques, et encore une fois, surtout avec des entreprises privées et dans le contexte de la famille.
Je ne suis donc pas ici aujourd’hui pour faire des commentaires techniques et pour citer les autorités. Je voudrais plutôt vous faire part de mes réflexions sur l’état de paralysie générale qui a été amené par l’incertitude. Une paralysie qui s’est emparée des entreprises privées à la suite de ces modifications. J’aimerais vous confier quelques réflexions sur ce qui me semble être le sentiment des entreprises actuellement, du moins dans cette partie du Canada, en ce qui concerne ces changements, et aussi dans un contexte un peu plus large.
En tant que consommateur de conseils professionnels en matière de fiscalité, j’ai moi-même six désignations professionnelles et plus de 35 années d’expérience. Mais je vais être franc avec vous, je me sens dépassé par la situation présente, concernant ce qui, à mon sens, est sans doute un élément relativement inoffensif de la fiscalité. Je pense que la situation est le résultat de l’exagération d’un faux problème. Vous pouvez facilement imaginer comment les clients se sentent pour travailler dans un tel contexte.
Je vais vous donner quelques exemples. L’un de mes clients souhaite effectuer un transfert intergénérationnel d’une exploitation agricole d’une certaine importance. La transaction est sur la glace parce que l’on n’arrive pas à interpréter les modifications apportées à la loi, et à comprendre quels en seront les effets. Et pour ce qui est de la relation de cause à effet, on doit maintenant composer en plus avec des difficultés relationnelles qui ont été suscitées entre les membres de la famille, en partie à cause de ce délai.
Je m’occupe aussi du règlement d’une transaction concernant un bien matrimonial qui repose sur la restructuration d’une très petite entreprise privée, qui vaut quelques millions de dollars. Cette transaction est elle aussi en suspens. En lien avec les aspects commerciaux de cette affaire, il y a une question entourant la garde de deux jeunes enfants. Cela aussi est en suspens. Il y a aussi la vente d’une importante entreprise qui pèse dans la balance, mais qui se trouve aussi dans une impasse en raison des incertitudes suscitées par les effets des modifications proposées à la Loi de l’impôt. Je suis venu vous dire que ces effets sont bien réels. Et que de vraies personnes en souffrent. Ces effets font du mal à des Canadiens bien réels, à tellement de niveaux, et cette situation est totalement inappropriée.
La meilleure description que je puisse donner de l’état d’esprit actuel de nos clients est un état d’angoisse et une méfiance sans cesse plus grande à l’égard du gouvernement. Pour ce qui est de ce processus, je crois savoir que plus de 21 000 mémoires ont été soumis en réponse aux réformes fiscales, dont la plupart ont été rédigés par des gens éminemment intelligents. Je peux seulement imaginer où nous en serions aujourd’hui si nous avions consulté ces gens éminemment qualifiés avant de publier les réformes proposées, au minimum, sans parler de l’impasse où nous nous trouvons aujourd’hui.
J’ai fait un petit calcul rapide. À mon avis, 50 personnes auraient dû travailler pendant un an pour que cela équivaille à la quantité de temps qui a été investie dans la préparation de ces mémoires. Si nous avions 50 des personnes les plus intelligentes du Canada qui avaient à cœur les intérêts supérieurs du Canada et s’évertuaient pendant un an à examiner fondamentalement les principes de l’imposition, je pense que nous serions alors en bien meilleure posture que c’est le cas aujourd’hui.
Il y a six éléments dont j’aimerais vous parler, dont la plupart d’entre vous ont sans doute déjà entendu parler.
Le premier est que juste n’équivaut pas à identique. Et je crois qu’il y a une tare fondamentale dans ce qui semble être la principale raison d’être des réformes fiscales envisagées; à savoir qu’un particulier dans une entreprise qui lui appartient doit être traité sur un pied d’égalité à des fins fiscales par rapport au particulier employé par une entreprise qui ne lui appartient pas. Ces deux contribuables doivent être traités avec justice, ce qui ne veut pas dire de manière identique. À mon avis, le contraste entre ces deux situations est saisissant. Je sais que vous avez reçu de nombreux mémoires à ce sujet, mais à mon avis, c’est un point qui mérite d’être répété.
Le particulier qui est l’unique employé ne court aucun risque pour l’essentiel, à part peut-être la perte de son emploi en raison d’un ralentissement de l’activité économique ou de sa propre inconduite. Autrement, les choses vont plutôt bien. Ces particuliers jouissent souvent de la protection d’une convention collective, leurs salaires sont garantis, les avantages sociaux sont significatifs et garantis, les congés et les vacances sont garantis, la durée des semaines de travail est fixée, les retraites sont versées et ces personnes jouissent de beaucoup d’autres paramètres de certitude et de stabilité.
L’entrepreneur individuel qui possède sa propre entreprise est dans une situation radicalement différente. La majeure partie, sinon la totalité de l’avoir net de la famille est en jeu et à risque, la rémunération est le plus souvent fondée sur les bénéfices et elle est incertaine, les avantages sociaux sont souvent inexistants, et la plupart ajouteront, « De quoi s’agit-il? » si on leur pose une question sur leurs congés. L’horaire est souvent de 24 heures par jour, 7 jours par semaine, et en général, ces personnes sont exposées à beaucoup d’incertitude et d’instabilité.
Je ne suis pas en train de dire qu’un employeur-employé doit avoir droit à des allègements fiscaux lucratifs. Tout ce que je veux dire, c’est que ces deux situations sont radicalement différentes. Affirmer catégoriquement que ces deux segments de contribuables doivent être traités sur un pied d’égalité et fonder les règlements fiscaux sur cette hypothèse est une logique viciée, à mon avis. Aspirons plutôt à une politique fiscale qui soit juste pour ces deux segments de contribuables. Je puis vous assurer qu’elle ne sera pas identique.
Mon deuxième argument a trait à une massue et un clou de finition. D’après ce que j’ai pu lire et tirer des discussions avec mes collègues qui pratiquent le droit fiscal, je crois comprendre que certaines des préoccupations apparemment les plus légitimes des réformes prévues auraient pu être résolues moyennant des changements relativement mineurs de la législation actuelle. Les réformes prévues ont été comparées à l’utilisation d’une massue pour enfoncer un clou de finition. La massue, bien entendu, cause de gros dégâts dans le processus, comme un taux d’impôt sur le revenu de 70 p. 100 dans certains cas, me semble-t-il.
La justification de l’utilisation d’une massue semble être également pure rhétorique de la part du gouvernement sur l’élimination des échappatoires et sur le fait que les propriétaires de petites entreprises sont des fraudeurs fiscaux. Même si cette rhétorique peut plaire à certains auditoires, une telle argumentation est bien entendu aberrante. Les propriétaires d’entreprises se sont tout bonnement prévalus des stratégies de planification fiscale autorisées par la loi. J’ose affirmer que cela n’équivaut pas à un acte criminel.
Mon troisième argument va plus loin, et j’ai grandement apprécié la question posée par le sénateur à M. Moody au cours de la séance précédente afin de déterminer quels sont les enjeux systémiques, profonds et sociaux que nous semblons devoir affronter avec ce retour de flamme. Mon argument numéro trois a donc pour titre le respect du milieu canadien des entreprises. Il me semble que l’introduction de ces réformes fiscales et la position du gouvernement qui les accompagne est un exemple frappant de diabolisation systémique des entreprises qui semble remporter la faveur du public à l’heure actuelle.
J’aimerais paraphraser quelque chose qui a été écrit récemment par l’un des dirigeants d’affaires les plus illustres de Calgary.
[…] je refuse de rester les bras croisés alors que les gens et les organismes qui ont investi lourdement pour […] créer des emplois et favoriser la croissance économique sont à ce point frappés d’irrespect et littéralement fustigés.
Dans cette conjoncture économique, nous ne pouvons pas nous permettre de constamment élire des hommes et des femmes politiques qui ne considèrent pas [les membres] du milieu des affaires pour ce qu’ils sont véritablement : des partenaires et des alliés.
La seule manière […] d’aller de l’avant […] consiste à œuvrer ensemble et à se traiter les uns les autres avec respect. Or, ce n’est pas du tout la situation qui prévaut aujourd’hui.
[…] il ne faut absolument pas […] souscrire à l’idée que […] le milieu des affaires est en quelque sorte mauvais. En définitive, nous sommes tous confrontés à la même situation, et nous ne devons pas nous soustraire à cette période économiquement difficile en fustigeant ceux et celles qui versent leur sang, leur sueur et leurs larmes pour assurer la croissance de leurs entreprises, qui paient des impôts, qui créent des emplois pour assurer la croissance de l’économie, sans parler de la générosité des dons philanthropiques. »
En tant que société, il me semble que les Canadiens se mettent en quatre pour s’assurer que la voix de tous est entendue et que nous sommes tous traités avec équité, dignité et respect. C’est tout à fait extraordinaire, et c’est l’une des caractéristiques de l’identité canadienne sur l’échiquier mondial. Je puis vous affirmer que le milieu des affaires dans cette région du Canada, et peut-être même ailleurs, ne ressent absolument pas cet amour. Ces réformes fiscales sont tout bonnement un autre élément de ce phénomène.
Mon argument numéro quatre, et vous en avez sans doute entendu parler : il s’agit de la certitude, de la prévisibilité et de la clarté. Ce sont trois éléments indispensables à la réussite des entreprises canadiennes. Et j’ose ajouter que nous n’avons pas connu une période marquée par tant d’incertitude, d’imprévisibilité et de manque de clarté.
Argument numéro cinq : Vous l’avez déjà entendu, à quelque chose, malheur est bon. Je ne comprends pas tous les chapitres et les versets de la législation fiscale et du code fiscal, mais si quelque chose de valable doit émaner d’une telle situation, ce tollé et toutes les objections qui ont été soulevés seront sans doute la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ce que nous constatons, c’est cet outrage latent que suscite la mosaïque de lois, d’interprétations, de processus et de politiques qui constituent le régime fiscal canadien. J’ose affirmer qu’il est grand temps de procéder à une refonte en profondeur.
Mon dernier argument, une fois de plus, n’a rien de nouveau, mais je l’appellerai mon indifférence optique. Il s’agit de ma conviction inébranlable selon laquelle le principal objectif de la politique fiscale canadienne doit être d’assurer la compétitivité. Vous avez entendu toutes sortes d’arguments à ce sujet. De bonnes choses qui, à mon avis, favorisent une saine prospérité sociale émanent d’une économie forte, et la politique fiscale a beaucoup de choses à voir avec cette compétitivité.
Nous avons abondamment entendu parler de la situation qui règne au sud de la frontière en ce qui concerne les taux d’imposition. Si cet écart dans les taux d’imposition s’élargit entre les États-Unis et le Canada, nous assisterons à une fuite de capitaux en dehors du Canada, qui sera loin d’être négligeable. Les capitaux qui servent à la création d’emplois et qui sont une source de prospérité partiront à la recherche de pays qui ont une politique fiscale concurrentielle et délaisseront les juridictions qui n’en ont pas.
Je vous remercie infiniment de l’occasion qui m’a été donnée de prendre la parole devant vous aujourd’hui.
Le sénateur Mockler : Je vous remercie.
Monsieur Scholz, s’il vous plaît.
Carl Scholz, associé fiscaliste, Catalyst Group LLP : Bonjour à tous, et merci de m’avoir invité ici aujourd’hui. Je m’appelle Carl Scholz et je suis associé fiscaliste chez Catalyst LLP. Je suis ici au nom de mes clients que l’on peut considérer comme de petites à moyennes entreprises privées. Nos clients nous font confiance et nous demandent des conseils sur les questions de fiscalité.
Je peux affirmer que depuis près de 20 ans que je pratique le droit fiscal, il est de plus en plus difficile de prodiguer des conseils à nos clients compte tenu du niveau d’incertitude qui règne et également de la complexité du système. Ce sont les deux éléments dont j’aimerais vous parler aujourd’hui : incertitude et complexité.
Je commencerai par l’incertitude. Comme nous le savons tous, certaines des propositions de juillet sur les sociétés privées ont été soit réduites soit éliminées dans les annonces que le gouvernement a faites durant la semaine du 16 octobre. Cependant, il y a eu d’autres réformes dans le paysage fiscal en dehors de celles qui ont été annoncées au mois de juillet qui ont eu de profondes répercussions sur les sociétés privées.
À compter du 21 avril 2015, le gouvernement a modifié divers paramètres des règlements fiscaux qui permettent ou qui interdisent aux sociétés apparentées de payer des dividendes libres d’impôt entre sociétés. À l’instar des propositions actuelles sur les sociétés privées, ces modifications ont abouti à la présentation de mémoires au ministère des Finances pour souligner les problèmes de telles modifications et les secteurs passibles d’amélioration. Entre autres choses, les modifications ont créé de l’incertitude en ce qui a trait aux paiements de dividendes discrétionnaires entre sociétés apparentées. En guise de réponse, l’Agence du revenu du Canada a proposé diverses interprétations techniques. Les conclusions de l’ARC dans certaines des interprétations techniques étaient tout à fait imprévues et pendant un certain temps, on n’a pas su s’il était possible de payer un dividende libre d’impôt entre sociétés sans encourir de risques. Le risque a été jugé tellement élevé par un grand cabinet comptable que celui-ci a conseillé à ses clients de ne pas payer de dividendes entre sociétés tant qu’on n’aurait pas plus de clarté sur les règlements.
Nous disposons maintenant des propositions de juillet relatives aux sociétés privées, parallèlement aux annonces faites dans la semaine du 16 octobre. Nous savons que les propositions de répartition du revenu iront de l’avant à compter du 1er janvier 2018, sans savoir toutefois exactement de quelle façon le gouvernement entend simplifier les critères de caractère raisonnable ou si d’autres dispositions controversées dans l’avant-projet de loi seront également adoptées.
En ce qui concerne l’incertitude et les règlements prévus de fractionnement du revenu, ne devrions-nous pas savoir exactement où nous en sommes, étant donné que ces règles doivent entrer en vigueur dans 54 jours? Nos clients se tournent vers nous pour nous demander conseil, et nous en sommes parfaitement incapables.
Les contribuables et leurs conseillers sont à la recherche de clarté et de certitude.
J’en viens maintenant à la question de la complexité. Dans le contexte des revenus de placement touchés par une société privée sous contrôle canadien, il existe divers concepts dans la Loi de l’impôt sur le revenu qui cherchent à atteindre l’intégration. Parmi ces concepts, je mentionnerai : la portion remboursable de l’impôt de la partie 1, l’impôt de la partie 4, l’impôt en main remboursable au titre de dividendes, le remboursement au titre des dividendes et le compte de dividendes en capital. Appelons cela le système actuel de revenus de placement gagnés par une SPCC.
Passons maintenant aux règles sur les revenus de placement passifs, où une société, et indirectement l’actionnaire, sont limités à 50 000 $ par an de revenu de placement pour ne pas être assujettis au taux punitif d’imposition de 73 p. 100. Pour atteindre un tel résultat, le revenu de placement de 50 000 $ gagné par la société doit être assujetti au système actuel. Tout revenu de placement qui dépasse ce plafond de 50 000 $ est alors assujetti à un système différent ou élargi, qui n’a pas encore été conçu par le ministère des Finances.
La complexité législative qu’il y a à bien gérer cela est préoccupante. À mon avis, la situation a été aggravée par l’adoption du seuil de 50 000 $. La législation régissant les placements passifs devra, en termes très généraux, assurer le suivi du rendement de l’investissement en place au moment où les règles sur les placements passifs seront adoptées, étant donné que le gouvernement a fait savoir qu’il ferait bénéficier des droits acquis les placements existants en vertu des règles en question; qu’il autoriserait le changement et le remplacement des investissements pour assurer que les capitaux de placement jouissent de droits acquis; qu’il ferait une distinction entre différentes sources de capitaux de placement; qu’il préciserait les types de revenus dont il tiendra compte pour calculer le seuil de 50 000 $; qu’il créerait vraisemblablement des règles pour empêcher la multiplication du seuil de 50 000 $ là où il existe plus d’une société de portefeuille dans la structure de l’entreprise, qu’il créerait des dispositions de commande lors du paiement des dividendes; qu’il autoriserait la conversion des sociétés en exploitation en sociétés de placement qui existaient au moment où les règles sur les placements passifs ont été adoptées; et qu’il créerait des exceptions dans les règles sur les placements passifs lorsque des investissements sont engagés dans d’autres sociétés en exploitation, c’est-à-dire les entreprises naissantes.
Il y a bien d’autres éléments techniques qu’il faut inclure dans une telle initiative. En effet, la complexité ne cesse de prendre de l’ampleur.
En guise de conclusion, les sociétés privées, leurs actionnaires, nos clients, continueront de faire face à un niveau de complexité sans précédent dans l’administration de leurs affaires fiscales. Depuis avril 2015, nos clients s’évertuent à comprendre les modifications apportées aux règles sur le paiement de dividendes entre sociétés et les modifications aux règles sur la déduction accordée aux petites entreprises. Il leur faudra, à compter du 1er janvier 2018, percer le mystère des règles sur le fractionnement du revenu et en définitive les règles sur les placements passifs.
Peut-être que le moment est venu de cliquer sur le bouton « Pause » et de déterminer s’il existe un meilleur moyen de procéder.
Merci.
Le sénateur Mockler : Les questions débuteront par la sénatrice Marshall, suivie des sénateurs Pratte, Jaffer et Tannas.
La sénatrice Marshall : Je ne sais pas vraiment où commencer. Quelqu’un dans ses observations préliminaires a employé le mot « accablant », et tandis que vous parliez, je me suis moi aussi sentie accablée par ce que vous disiez. J’ai pensé que cela avait quelque chose d’effrayant. Je sais pertinemment que nous nous penchons sur les petites entreprises et sur ces propositions fiscales, mais ce que vous disiez avait quelque chose de révélateur. L’an dernier, nous avons vu passer à 33 p. 100 le taux d’imposition des particuliers à revenu élevé. Je sais que le taux d’imposition de ce que l’on considère comme des particuliers à revenu moyen a baissé, alors que leurs impôts ont en réalité augmenté, comme en témoigne l’étude réalisée par l’Institut Fraser. Et il en est allé de même des particuliers.
Cette année, nous voyons toutes ces propositions fiscales concernant les petites entreprises. Je m’attends donc à voir prochainement quelque chose qui cible les grandes entreprises.
Je crois que vous avez tous parlé de la compétitivité du Canada, des capitaux qui sont mobiles et des particuliers et des sociétés qui songent à déménager au sud de la frontière. Je regarde tout cela et je pense qu’il ne s’agit pas seulement des propositions fiscales, mais de tout le reste — c’est-à-dire de l’ALENA, de l’incertitude, de tout ce qui s’est abattu sur le contribuable individuel.
Je me penche également sur les entreprises cotées en bourse au Canada. Beaucoup d’entre elles font des affaires aux États-Unis, en Australie ou au Mexique. Et nous voyons toutes ces pressions qui s’exercent sur les taux d’imposition : l’ALENA, la réforme de la réglementation, et même ce que vous avez appelé l’attitude du gouvernement à l’égard des entreprises, de l’environnement, et le fait qu’il traite les entreprises de fraudeurs fiscaux. Il ne s’agit pas seulement des petites entreprises. D’après ce que vous dites, cela concerne tout le monde. Cela va finir par déborder. Nous avons déjà eu des problèmes avec les particuliers. Nous avons maintenant des problèmes avec les petites entreprises. Et je peux d’ores et déjà prévoir que cela va déborder sur les grandes entreprises.
Qu’en pensez-vous? N’y voyez-vous pas pratiquement une tendance? Cela n’est pas limité aux seules petites entreprises, le problème est beaucoup plus vaste.
M. Crawford : Cela s’inscrivait dans la grande majorité de nos remarques. Tout ce que je peux faire, c’est de faire bénéficier cette table de mon expérience pratique de ce qui se passe. J’aimerais notamment parler d’un client qui participe à un merveilleux plan communautaire de conservation, de conception et d’aménagement dans la région de Calgary. Nous avons un partenaire multinational qui, jusqu’à tout récemment, avait investi 125 millions de dollars de capitaux en Alberta. Ce projet allait exiger un autre montant de 75 millions de dollars. Cette société voulait en fait investir 200 millions de dollars de capitaux en Alberta. On lui demande aujourd’hui de réduire les capitaux investis en Alberta à moins de 100 millions de dollars. S’agit-il d’un incident isolé? Je n’en crois pas un traître mot. C’est tout ce que je peux faire, vous faire part de mon expérience pratique. Tout ce que je sais, c’est que dans ce cas, 100 millions de dollars de capitaux vont disparaître de l’Alberta.
La sénatrice Marshall : Vous n’avez donc que de mauvaises nouvelles. Vous parlez uniquement de certains éléments. Je songe aux pipelines qui ne seront pas construits. Vers quoi s’oriente notre économie à long terme? Allons-nous connaître le même sort que Jeff Ban? Jeff Ban est maintenant stagnant depuis des décennies.
M. Crawford : Vos observations préliminaires étaient fort justes, car il s’agit d’un certain nombre d’enjeux. Dans mes observations, j’ai parlé de la goutte d’eau qui fait déborder le vase, et c’est précisément ce à quoi cela ressemble. Il y a trop de paramètres que nous négligeons, et nous essayons d’affronter une tempête dans un verre d’eau au sujet de ces réformes fiscales intéressant les petites entreprises qui, en définitive, ne sont pas plus graves que cela, même si elles suscitent un vif mécontentement.
Le sénateur Mockler : Monsieur Munro.
M. Munro : Effectivement, je vous remercie à nouveau, Cam a déjà parlé de toute cette question dans une optique politique. Si la question avait porté sur la manière de créer une économie canadienne concurrentielle susceptible d’attirer des capitaux et des emplois et de créer de la richesse pour que tout le monde en profite, vous n’auriez pas créé une structure fiscale complexe qui profite à nous quatre, pour être parfaitement honnête, car la complexité signifie que le temps consacré aux services professionnels est colossal.
Je dirais, comme Cam, que dans pratiquement toutes les régions du pays au cours des six derniers mois, nous avons constaté une paralysie des investissements en capitaux et une aggravation du niveau de colère des propriétaires d’entreprises à propos de qui achètera leurs entreprises, de comment ils peuvent se permettre de planifier la relève, de comment ils peuvent financer la croissance, et du rendement total des risques qu’ils assument. Nous avons donc créé beaucoup d’incertitude, qui est alimentée partiellement par le fait que nous n’avons pas engagé un dialogue politique robuste sur la manière de créer une économie concurrentielle. Nous avons agi dans un contexte où notre plus important partenaire commercial s’affaire à défaire pratiquement tout ce que nous pensions être la vérité d’un point de vue historique. Pourquoi serions-nous les premiers à amorcer ce débat, tout simplement parce que nous n’avons pas à être les premiers?
Je négocie pour gagner ma vie. J’aide les gens à acheter et à vendre des sociétés. Vous avez toujours une tactique de négociation. Vous ne dévoilez pas votre position si vous n’avez pas à le faire. Nous pouvons donc observer ce qui se passe aux États-Unis. Ce serait le lieu le plus logique où écouler nos capitaux. Respectueusement, Carl et Warren peuvent vivre au Montana et néanmoins servir leurs clients, car Internet le leur permet.
Je ne vois donc pas pourquoi, dans une optique politique, nous devrions faire le premier pas. Certes, nous devons nous inquiéter. Cam, vous avez raison. Nous devons vraiment nous inquiéter. C’est la raison pour laquelle je pense que la tâche de ce comité et son importance ont sans doute pris de l’ampleur depuis trois semaines, tandis que nous réfléchissions à leurs répercussions.
La sénatrice Marshall : Je ne connais pas aussi bien l’autre société représentée ici, mais Ernst & Young est une grande entreprise. Vous ne traitez pas seulement avec de petites entreprises, mais avec des particuliers et de grandes entreprises ainsi que des entreprises cotées en bourse. Vous pouvez donc observer toute la panoplie. Et que voyez-vous? Constatez-vous qu’il y a une véritable contagion, où tout le monde se sent nerveux. Tout le monde se sent-il nerveux?
M. Munro : Tout ce que je peux voir, c’est le mouvement des capitaux. Chaque entreprise pétrolière et gazière mondiale a vendu ses principaux actifs sur ce marché. Nos plus grandes sociétés de pipeline ont effectué des acquisitions aux États-Unis et ailleurs.
Quant aux banques canadiennes, elles déploient leurs capitaux ailleurs.
La sénatrice Marshall : Elles se tiennent prêtes à agir.
M. Munro : Tout le monde agit pour une raison. Ces gens sont des esprits réfléchis, ils s’inquiètent de la situation.
Les risques commerciaux que vous encourez commencent dès que vous assistez à un exode des cerveaux du siège social. Vous perdez les créateurs et les générateurs de richesse, et c’est un grand risque que nous courons tous.
La sénatrice Marshall : J’aimerais savoir ce que tous les membres du comité en pensent. Monsieur Pashkowich, vous avez été le premier à prendre la parole. Vous m’avez en quelque sorte fait réagir et incitée à vous écouter pour commencer. J’aimerais entendre les observations de chacun, car il s’agit plus que de simples propriétaires de petites entreprises.
M. Pashkowich : Dans mon secteur d’activité, j’agis pour le compte d’un certain nombre de sociétés financières privées dont le siège est à New York. Les sociétés financières privées sont tout bonnement de vastes réservoirs de capitaux prêts à être investis dans une entreprise. Si vous remontez cinq ans dans le temps, c’était sans doute la plus importante source individuelle de capitaux pour les entreprises canadiennes. L’an dernier, c’était la taxe carbone et la mesure dans laquelle la taxe carbone s’applique aux entreprises; l’augmentation des taux d’imposition des sociétés, aussi bien en Colombie-Britannique qu’en Alberta, qui sont désormais les plus élevés au Canada; l’augmentation de l’impôt des particuliers et des cadres supérieurs, tout cela a entraîné la paralysie du flux de capitaux vers le Canada. Tout le monde fait marche arrière et observe la conjoncture évoluer.
Un certain nombre de grandes entreprises possédant de vastes capitaux voulaient venir au Canada pour y créer une industrie du GNL. Toutefois, lentement mais sûrement, que ce soit à cause d’embûches réglementaires, des protestations d’une minorité de gens au Canada, des municipalités, nous ne voulons plus entendre parler de la construction de pipelines. Nous n’assistons plus à la construction d’infrastructures de GNL. Les capitaux ont un autre obstacle à surmonter avant de pouvoir entrer au Canada. Et maintenant, ce sont les responsables de capitaux privés qui décident d’observer une pause et qui disent : « Je ne suis pas sûr de vouloir investir au Canada aujourd’hui. »
M. Crawford : Je n’ai pas grand-chose à ajouter, en dehors d’une chose, qui n’a même pas été effleurée. Il s’agit de la notion selon laquelle, si la politique fiscale américaine réussit à imposer un impôt forfaitaire, 10 p. 100 est le taux dont nous avons entendu parler, sur le rapatriement des capitaux qui se trouvent aujourd’hui à l’étranger — nous avons appris beaucoup de choses à ce sujet au cours des 48 dernières heures, grâce à certaines révélations — si on laisse ces capitaux n’être imposés qu’à hauteur de 10 p. 100 et qu’ils sont rapatriés aux États-Unis, il y aura alors cette masse colossale de capitaux que les États-Unis utiliseront pour stimuler leur économie. Cela sera comme le plein de carburant dans le réservoir. Si nous avons un contexte fiscal concurrentiel, entre autres choses, au Canada, il se peut que certains de ces capitaux se frayent un chemin jusqu’ici. Je peux vous garantir que cela ne se fera pas sous le régime actuel.
M. Scholz : Je me contenterai d’ajouter très vite quelques observations. Les clients avec lesquels je travaille sont d’assez petite envergure. Il s’agit de petites sociétés privées et de moyennes entreprises. La majorité d’entre elles sont des entreprises familiales. Ce sont les circonstances familiales qui les maintiennent au Canada. Elles ne veulent pas non plus nécessairement déménager à l’étranger. Je ne pense pas qu’elles déménageront uniquement en raison des impôts. Si elles déménagent, c’est en général à cause du climat plus clément plutôt que des impôts.
Je peux vous le dire et cela n’a aucun rapport avec les propositions relatives aux sociétés privées, cela s’est produit quand le taux fédéral d’imposition du revenu est passé à 33 p. 100. Juste avant cela, il y a eu un changement de gouvernement en Alberta avec l’arrivée du NPD alors que le taux maximal était de 15 p. 100. Nous avons eu plusieurs entretiens avec un client très riche qui souhaitait s’installer aux États-Unis — parce qu’il en avait ras-le-bol de payer ces taux d’imposition exorbitants. La seule chose qui l’ait incité à rester au Canada est que s’il déménageait aux États-Unis, il serait alors vulnérable à l’impôt successoral des États-Unis.
Le sénateur Pratte : J’ai une ou deux questions bien précises, mais je tiens à répéter que je comprends parfaitement l’inquiétude et la colère suscitées par le langage employé par le gouvernement le 18 juillet et dans les semaines qui ont suivi au sujet de l’argent et de tout le reste. Nous devons néanmoins reconnaître que le gouvernement a modifié son langage, et que les propositions ont radicalement changé dans la semaine du 16 octobre. Les détails ne sont pas là, mais il y a eu un profond changement, et je pense que nous devons l’admettre.
M. Crawford a prétendu que le gouvernement utilisait une massue pour enfoncer un clou de finition. Je crois que le ministre, qui a comparu devant nous la semaine dernière, a dit clairement que le gouvernement irait de l’avant avec ce qu’il reste de ses propositions sur les revenus passifs et le partage des revenus ou la répartition des revenus.
Je me demande si vous avez des recommandations que nous pourrions présenter au gouvernement à propos d’autres outils qu’il pourrait utiliser au lieu d’une massue, quelque chose qui pourrait être utile à l’atteinte de ses objectifs et qui ciblerait mieux ce type de revenu, ces gens ou ces entreprises qu’il cible par la répartition des revenus, et également par les revenus passifs.
M. Crawford : Je me contenterai d’une brève observation puisque c’est à moi que vous avez adressé votre question, mais elle ne portera que sur le processus. Je laisserai le soin à mes collègues de parler des subtilités techniques de ce qui risque d’être modifié. C’est cette idée d’absence de consultations qui nous a conduits là où nous en sommes aujourd’hui. Je ne comprends vraiment pas comment des réformes fiscales comme celles qui ont été publiées le 18 juillet peuvent l’avoir été sans la moindre consultation des citoyens les plus brillants qui ont apporté une précieuse contribution tout récemment à la résolution de ces problèmes.
Mais le problème, c’est que nous n’avions pas besoin d’une massue. Tout ce dont nous avions besoin, c’était d’un petit marteau pour enfoncer le clou de finition. Quelqu’un aurait dû penser il y a longtemps qu’on n’avait pas besoin d’une massue, mais d’un plus petit marteau.
Je vais demander à mes collègues s’ils ont des réflexions à ce sujet. Si j’ai bonne mémoire, votre question portait sur les autres moyens qui pourraient servir à atteindre ce résultat.
M. Scholz : Je savais que la question allait m’être posée, aussi y ai-je quelque peu réfléchi. J’ignore si j’ai la bonne réponse au sujet des propositions relatives aux placements passifs. Il y a un certain nombre d’années, nous avions une taxe sur le capital imposable en vertu de laquelle le capital d’une société était assujetti à un faible taux d’imposition. J’appartiens à divers groupes d’étude sur la fiscalité, et nous nous sommes réunis pour discuter de ce que pourraient être les éventuelles propositions. J’ai pensé qu’il pourrait y avoir une sorte de capital imposable. Manifestement, cela existait pour les grandes entreprises publiques autrefois, et quelqu’un de plus intelligent que moi a décidé que ce n’était pas une bonne taxe, et on l’a donc abolie. Je me demande s’il est vraiment logique d’y songer à nouveau aujourd’hui pour ce qui est des sociétés privées. C’est la meilleure réponse que je puisse donner au sujet des règlements sur les placements passifs; il se peut néanmoins que cela soit impossible. Il s’agira d’un type de calcul que les comptables fiscaux ont déjà vu au préalable, au lieu de créer un nouveau système. Pour être franc, le calcul du capital imposable existe toujours au sein de la loi, car dans la mesure où l’assise financière de votre société privée dépasse 15 millions de dollars, elle entrave votre accès à la production des petites entreprises.
Pour ce qui est des propositions relatives à la répartition du revenu, je partage entièrement l’avis de Kim. À mon avis, il est parfaitement logique de cibler les particuliers âgés de 18 à 24 ans. Le gouvernement a publié un graphique ou tableau dans son document de consultation qui révèle une pointe dans le revenu attribué à ces tranches d’âge. Pour ma part, ce serait une cible facile. Ce serait un critère de démarcation nette fondé exclusivement sur l’âge de la personne.
J’éprouve des doutes cependant au sujet des conjoints dans les propositions relatives à la répartition du revenu. À l’heure actuelle, les conjoints agissent dans une large mesure dans les coulisses. Et bien entendu, vous avez également les aspects du droit de la famille. Je ne souscris pas du tout à l’idée qu’un conjoint qui, par exemple, s’est tenu aux côtés de son conjoint et a appuyé l’entreprise pendant, disons, 15 à 20 ans, alors que cette entreprise ne cessait de croître, soit aujourd’hui la victime de ces conséquences fiscales préjudiciables; cela est pour moi tout à fait inexcusable.
M. Pashkowich : J’ai deux observations à faire. Je les ai brièvement mentionnées dans mes remarques préliminaires. Je pense que l’unité fiscale qui convient le mieux au Canada est celle de la famille, à l’exclusion des enfants mineurs. J’estime que si un mari, une femme ou un couple est considéré comme une seule unité fiscale, cela élimine et neutralise tous les avantages de la répartition des revenus.
Je pense qu’il existe une taxe sur le fractionnement du revenu qui s’applique aux moins de 17 ans. Il suffirait de l’élargir pour y inclure les 18 à 24 ans. Je crois que cela résout la grande majorité des préoccupations d’ordre politique que l’on éprouvait à ce sujet.
Pour ce qui est du revenu passif, à défaut d’abolir précisément ce que le gouvernement envisage de faire, s’il veut vraiment introduire quelque chose, je crois que ce qui importe avant tout est de limiter les dégâts. Par limiter les dégâts, je signifie à un million de dollars. Un million de dollars peut sembler une grosse somme, mais par rapport à certaines entreprises existantes, un million de dollars est un petit montant. Il faut donc augmenter ce plafond à un montant qui frappe les super riches. Tout le monde affirme que ce sont les riches qui évitent de payer des impôts. Essayons de rehausser ce niveau à un point où il a des répercussions sur un moins grand nombre de gens. Ceux et celles qui seront le plus sérieusement touchés par ces règles et par leur complexité sont ceux-là mêmes qui ne sont pas en mesure de comprendre ce qu’il y a dans ces règles. Ils n’ont pas les moyens qu’il faut pour payer des gens pour les aider à comprendre ce qu’il y a dans ces règles.
Une telle complexité va d’une part aboutir à une foule de cas de non-conformité, car les gens ne comprennent tout bonnement pas ce qu’il y a dans les règles; et en deuxième lieu, cela va vraiment obliger les gens à distribuer prématurément leur revenu en dehors de leur société pour éviter le problème dans sa totalité.
Il faut donc cibler un moins grand nombre de gens et augmenter le seuil.
Le sénateur Pratte : D’aucuns ont insinué par exemple que nous devrions avoir un seuil qui représente un pourcentage de quelque chose, un pourcentage des bénéfices non répartis ou un pourcentage du revenu ou de quelque chose d’autre. Cela est-il une possibilité dans votre esprit?
M. Pashkowich : Une fois de plus, chaque fois que vous vous mettez à parler d’échelles mobiles ou de pourcentages, cela est sujet à manipulation, et cela ne fait que complexifier le système. À mon avis, il suffit de sélectionner un seuil, disons 15 ou 20 millions de dollars de bénéfices non répartis. Je me souviens d’une époque où les gens estimaient qu’il était bon d’avoir des bénéfices non répartis dans une société. Cela témoignait du dynamisme de l’entreprise, de son succès. Aujourd’hui, il semble que le vent ait tourné et que ce soit une mauvaise chose.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Scholz, à propos de revenu passif, vous avez mentionné divers détails sur ce que cela doit être à votre avis. J’ai bien suivi ce que vous avez dit, mais je n’ai pas réussi à savoir quelle recommandation faire. Nos excellents experts s’en chargeront. Si je pouvais comprendre comment en faire une recommandation, cela me serait fort utile. Monsieur Munro, je dois malheureusement m’en aller, mais vous avez parlé d’un débat. Lorsque vous parlez de débat, entendez-vous une commission royale? Il serait utile de savoir ce que vous entendez par là.
M. Munro : Personnellement, je créerais une commission royale. C’est une question importante pour la compétitivité de ce pays, et nous devons tirer parti d’une structure dont nous sommes convaincus qu’elle permet aux gens d’engager un bon débat à ce sujet, sans compter que vous parviendrez aux bonnes réponses grâce à ce processus.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Mockler : Sénatrice Andreychuk, avant de vous laisser partir, vous aviez une question à poser.
La sénatrice Andreychuk : Je tenais juste à remercier les conférenciers. Ils ont très calmement exposé certains des enjeux et l’ont fait de manière constructive. Ce qui nous préoccupe maintenant, c’est de faire comprendre au gouvernement toute l’importance de ce sujet. Il ne s’agit pas de piéger le gouvernement ou de le plonger dans l’embarras. Nous en avons entendu d’autres déclarer qu’ils tentaient honnêtement certaines choses, mais leurs conséquences imprévisibles sont trop graves. C’est précisément ce contre quoi le comité va devoir lutter. Comment convaincre le gouvernement qu’il est important de bien faire les choses, non seulement en raison des impôts et des familles impliquées, mais pour le Canada sur le plan stratégique?
Le gouvernement fait d’excellentes choses dans d’autres lieux. Je siège au sein du comité des affaires étrangères, où nous nous penchons sur la compétitivité avec d’autres pays, nous avons examiné les accords de libre-échange et comment faire de petites entreprises des entreprises moyennes pour qu’elles soient concurrentielles sur le marché mondial.
Il y a donc toutes ces excellentes propositions du gouvernement, mais cela risque de dénouer tout ce qu’il a déjà fait. Je pense que nous devons réfléchir à la façon de convaincre le gouvernement que la situation est aussi grave qu’elle l’est. Peut-être cela veut-il dire que vous quatre devrez parler au premier ministre ou au ministre plutôt qu’à nous; mais je vous remercie.
Le sénateur Mockler : Sénatrice Cools, et puis j’ai moi aussi une question.
Le sénateur Neufeld emboîtera le pas à la sénatrice Cools.
La sénatrice Cools : Je tiens à vous remercier, messieurs, de vos exposés extrêmement cohérents et limpides. Je pense que vos déclarations d’aujourd’hui sont parmi les meilleures que nous ayons entendues jusqu’ici sur le sujet.
Cette chose, peu importe ce qu’elle est, qui s’est emparée du Canada et du gouvernement du Canada est extrêmement sérieuse. À mon avis, à moins que nous ne trouvions une approche ou une porte pour ouvrir la voie à certaines solutions, nous risquons de plonger dans une crise économique très grave; et en deuxième lieu, dans une crise constitutionnelle. La fiscalité, après tout, est l’une des principales obligations constitutionnelles d’un gouvernement, quel qu’il soit. D’après ce que je vois et ressens un peu partout dans le public, et je vais au-delà de la colère et de la rage qui se sont exprimées en premier lieu, c’est tout bonnement de l’inertie et de la paralysie. Personne ne semble savoir comment réagir.
Nous avons choisi cette cause et avons décidé d’étudier cette question il y a quelques semaines, car nous pensions être en mesure de le faire, que cela était nécessaire et que quelqu’un devait s’y attaquer. Cette question est extrêmement grave et, je dois vous l’avouer, elle suscite en nous de vives inquiétudes. Personne ne veut voir un gouvernement échouer, pas plus que nous ne voulons voir un gouvernement s’effondrer dans le mépris ou le manque de respect du public.
J’espère ne pas sembler trop alarmiste, mais la situation est grave.
Le sénateur Mockler : Quelqu’un a-t-il des observations à faire sur les commentaires de la sénatrice? Je pensais que nous avions une question.
La sénatrice Cools : Eh bien, je peux vous en poser une ou deux ou trois.
Le sénateur Mockler : Monsieur Munro?
M. Munro : J’aimerais dire, au nom de nous tous, que vous avez totalement raison. Il s’agit d’une question d’importance névralgique.
La sénatrice Cools : Sérieusement.
M. Munro : Je pense effectivement que la tâche qui nous attend est plus ardue aujourd’hui qu’elle l’était il y a deux semaines.
La sénatrice Cools : Il y a deux semaines, effectivement.
M. Munro : Ou il y a trois semaines. Ce qui s’est passé il y a deux ou trois semaines était une réaction face à d’intenses pressions politiques, exprimées avec respect et honnêteté. La difficulté maintenant est que cela nous a laissés à mi-chemin. Lorsqu’il s’adresse à ses clients, Carl ne peut toujours pas leur fournir des réponses importantes.
Au Canada, nous sommes fiers, à juste titre, de notre confiance dans les institutions gouvernementales. Si vous perdez la confiance des institutions gouvernementales dans un segment crucial de votre économie, je crois que vous êtes alors en péril. Nous devons proposer un cheminement au parti qui nous gouverne afin de reformuler les questions clés, car il en pose de très bonnes.
Comme je l’ai dit, ces questions sont à mon avis les suivantes : comment créer une économie concurrentielle, comment favoriser et assurer la croissance des entrepreneurs et quelle démarche devons-nous adopter pour notre régime fiscal? Que devons-nous imposer? Que devons-nous exonérer d’impôts? Quand devons-nous imposer? Comment cela influence-t-il notre population qui vieillit rapidement? Ce sont là des questions importantes qu’il ne faut pas prendre à la légère.
La sénatrice Cools : Je vous remercie infiniment.
Le sénateur Mockler : Sénateur Neufeld, s’il vous plaît.
Le sénateur Neufeld : Je vous remercie.
Cela a été un débat fort intéressant. Je partage certains des mêmes sentiments que la sénatrice Marshall, à savoir que cela ne concerne pas seulement les petites entreprises, mais beaucoup d’autres choses.
Monsieur Crawford, vous aviez déclaré que nous pourrions apporter certaines modifications mineures pour résoudre les problèmes. Vous n’avez pas à répondre aujourd’hui, mais si vous pouviez fournir au greffier ce que vous-même ou l’un d’entre vous considèrent comme ces changements mineurs, je vous en serais très reconnaissant. Si vous fournissez vos réponses au greffier, nous en obtiendrons tous une copie.
Nous avons parlé et entendu parler du langage employé lorsque cette proposition a été formulée pour la première fois, et nous admettons que le langage a changé. J’ai posé la question, uniquement pour allumer des feux : pourquoi l’a-t-on employé en premier lieu?
Pendant que vous parliez, cela m’a rappelé ce qui s’est passé en Colombie-Britannique dans les années 1990. Je suis originaire de laColombie-Britannique. Je vis à Fort St. John. Un gouvernement NPD y a été élu, en utilisant essentiellement le même refrain, les entreprises doivent payer leur juste part. Nous avons adopté l’impôt fédéral des sociétés dans les années 1990. Nous sommes passés du plus faible taux d’imposition fédéral sur le revenu des particuliers au plus élevé. Ce sont là les éléments dont vous avez parlé. Nous sommes passés du plus faible taux d’imposition des sociétés et des petites entreprises au taux le plus élevé. Nous avions le plus faible taux d’endettement par tête de toutes les provinces du Canada, et nous avons atteint le taux le plus élevé sous cette administration, et les entreprises ont fui massivement. À titre d’exemple, Finning International Inc., qui avait son siège social à Vancouver depuis des temps immémoriaux, a fait ses caisses, quitté l’édifice et déménagé en Alberta. Je connais des gens qui sont nés et qui ont été élevés à Fort St. John où ils ont monté une entreprise, ou dont l’entreprise familiale a été montée par leurs parents qui en ont assuré l’exploitation, avant de déménager à Grande Prairie. Le secteur d’activité le plus occupé était celui des déménageurs. Celui-ci nous a conduits vers une province abandonnée en l’espace de huit ans. Voilà ce qui se produit lorsque quelqu’un dit : « Eh bien, il faut bien que tout le monde paie sa juste part ».
C’est un peu ce phénomène qui se produit en ce moment. J’ai éprouvé un certain embarras lorsque vous avez exposé ce qui se passe, et je pense qu’il s’agit d’un excellent témoignage.
Monsieur Munro, que pensez-vous de l’annulation du projet d’oléoduc Énergie Est? Quel rapport cela a-t-il avec le pipeline Kinder Morgan qui va jusqu’en Colombie-Britannique? Vous avez parlé du GNL et de ce type de choses. Qu’en pensez-vous? Est-ce le résultat non seulement du prix du pétrole ou d’autres facteurs, mais également d’autre chose. Peut-être pourriez-vous éclairer notre lanterne.
M. Munro : Eh bien, nous avons raté une occasion en or avec Énergie Est, et celle-ci n’avait rien à voir avec le prix du pétrole. Cela avait plutôt à voir avec les choix stratégiques des Canadiens quant à l’endroit où ils entendent acheter leur pétrole.
TransCanada n’a pas abordé le projet à la légère. La compagnie a investi 1 milliard de dollars de capitaux des actionnaires dans un processus de réglementation qui a continué d’évoluer. Le fait est que TransCanada a la possibilité de répartir ses capitaux de multiples façons. L’entreprise a une entreprise de pipelines aux États-Unis. Effectivement, en vertu d’une décision d’ordre politique, nous avons déplacé nos bénéfices aux États-Unis, car les raffineries américaines ne dédaignent pas de nous voir acheminer notre pétrole par Keystone. C’est ainsi qu’un pipeline sera construit et que le pétrole s’y écoulera et sera vendu moyennant rabais. Voilà où réside le grand défi.
Pour ce qui est de Kinder Morgan, nous devons vraiment nous soucier de la complexité et savoir si les gens croient vraiment dans les institutions démocratiques et si les processus réglementaires fonctionnent, car nous sommes passés par là et que le pipeline a été approuvé. En fin de compte, les actifs seront achetés et vendus au Canada. Ils vaudront moins cher. Ils se négocieront à rabais. Le monde regorge de capitaux. De sorte que les actifs se négocieront à rabais au Canada si vous avez un taux d’imposition plus élevé et des coûts plus élevés, car tout ce que les gens veulent, c’est un rendement de leur investissement et ils fixent le prix des actifs en conséquence. C’est un peu comme le vieil adage qui dit que c’est lorsqu’un restaurant est vendu pour la troisième fois qu’il finit par dégager des bénéfices.
Dans l’optique de la création de richesse économique, le défi tient au fait que lorsque vos actifs valent moins cher, vous gagnez moins d’argent et vous avez moins d’argent à partager.
Je me rends à Fort St. John deux fois par an. Nous avons une série de clients pour lesquels nous organisons des tables rondes d’entrepreneurs.
Le sénateur Neufeld : Vous devriez me faire signe.
M. Munro : Je comprends très bien la situation de Fort St. John. Je pense seulement que ce que vous voyez de nouveau se produire dans le dossier de l’énergie est véritablement l’affectation des capitaux à l’échelle mondiale qui se déroule sous nos yeux.
Le sénateur Neufeld : Je vous remercie.
Le sénateur Mockler : Je tiens à dire aux témoins que leurs exposés ont été fort instructifs, éducatifs et révélateurs. N’hésitez surtout pas à ajouter des données complémentaires tandis que nous avançons pour déposer notre rapport le 15 décembre.
Monsieur Munro, j’ai une question pour vous. Celle-ci a été effleurée par le sénateur Neufeld, et il s’agit d’Énergie Est. Je suis originaire du Nouveau-Brunswick, qui possède la plus grande raffinerie du Canada. Je répondais également à des questions alors que j’exerçais une autre profession à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, pour le compte du gouvernement. Celui-ci parlait sans cesse d’une installation de GNL dans cette région du Canada. À mon avis, le Canada est dynamique lorsque toutes les régions le sont collectivement. C’est effectivement le meilleur pays du monde.
Il y a actuellement des délibérations entre la nouvelle administration et les États-Unis. Il y a également un débat avec les hommes et femmes politiques du nord-est des États-Unis, selon lesquels il pourrait y avoir un nouveau couloir énergétique qui irait jusqu’au Vermont et au nord du Maine, contournant le Québec et le Nouveau-Brunswick. Le pipeline, c’est-à-dire ce couloir énergétique, irait plus ou moins du Vermont à Calais, dans le Maine; et de là, il franchirait la frontière jusqu’à St. Stephen, au Nouveau-Brunswick. La longueur du pipeline serait de 99 kilomètres. Nos ressources canadiennes arriveraient enfin à la plus grande raffinerie du Canada. Et nous savons le rôle que ce genre d’établissement joue dans l’économie canadienne.
Cela étant dit, à propos du couloir énergétique, pensez-vous que la nouvelle administration et les hommes et femmes politiques, comme les gouverneurs d’autres États, appuient ce projet ou se laisseront persuader lorsqu’ils connaîtront les faits qui s’y rapportent?
Je me suis indéniablement penché sur l’imposition ou l’impôt sur le revenu que cela aurait injecté au Québec, en tenant compte de l’environnement, et en ne faisant pas cas du ouï-dire, mais de données scientifiques.
Je vous le demande, monsieur, qu’est-ce qui est allé de travers et est-il possible de justifier le couloir énergétique dans le Nord des États-Unis.
M. Munro : Mon Dieu, c’est un sujet passionnant.
Voici la difficulté que nous éprouvons aujourd’hui. Nous avons une seule certitude à propos des États-Unis, que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre de vue, c’est que ce pays agit entièrement dans son propre intérêt. Chaque décision et chaque mesure qu’il prend est dictée par ses propres intérêts. Peut-être y avait-il un processus progressif en place avant cela, mais c’est essentiellement là où ce pays en est aujourd’hui. Nous allons devoir y faire face avec l’ALENA, et avec chaque projet énergétique lancé.
La difficulté que posent les couloirs énergétiques transfrontaliers, dans l’optique du Canada, est que nous aurons toujours l’arrière de nos talons sur le sol, car notre partenaire commercial agira plus vite, avec un moindre fardeau réglementaire et de moindres coûts, et qu’il agira dans son propre intérêt. S’il s’agit d’exporter du gaz naturel de Pennsylvanie vers le Canada atlantique, tout le monde y sera favorable, car ils en perçoivent déjà les retombées économiques.
Dans l’optique du Canada, notre propre intérêt n’est malheureusement pas notre pays, mais plutôt chacune de ses régions. Et il semble se déplacer vers les municipalités qui ont aussi à cœur leur propre intérêt. Et cela représente un grand risque dans un monde de compétitivité croissante.
Le sénateur Mockler : Je remercie infiniment tous les témoins.
(La séance est levée.)