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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 48 - Témoignages du 9 novembre 2017 (séance du matin)


WINNIPEG, le jeudi 9 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 8, pour étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

[Traduction]

Le sénateur Mockler : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je vois que nous avons quorum. La séance est donc ouverte.

Nous avons le plaisir d’avoir avec nous ce matin le ministre des Finances du Manitoba. Monsieur le ministre, merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. Comme nous sommes ici à Winnipeg, au Manitoba, je vais vous présenter officiellement avant votre allocution, mais vous pourriez souhaiter la bienvenue au comité ici au Manitoba.

L’honorable Cameron Friesen, député, ministre des Finances, gouvernement du Manitoba : Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis très heureux d’être ici avec vous. La météo ne nous est pas favorable, mais nous ne ferons pas de plaisanteries à ce sujet. Le mois de novembre est habituellement agréable et chaud chez nous, mais ce n’est pas le cas cette année. Je sais que vous avez travaillé très fort pour mener ces consultations partout au pays, et nous sommes très heureux de pouvoir collaborer à cette importante initiative en vous présentant le point de vue du Manitoba. Alors je vous souhaite à tous la bienvenue et je vous remercie d’être venus.

Le sénateur Mockler : Merci, monsieur le ministre. Je m’appelle Percy Mockler et je suis sénateur du Nouveau-Brunswick. Je vais maintenant demander à mes collègues de se présenter.

Le sénateur Pratte : Sénateur André Pratte, du Québec.

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l’Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Cools : Anne Cools, de Toronto, Ontario.

Le sénateur Mockler : Merci.

Le Sénat du Canada a autorisé le Comité sénatorial permanent des finances nationales à étudier, en vue d’en faire rapport, les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes et, plus particulièrement, la répartition du revenu, la détention de placements passifs dans une société privée et la conversion du revenu régulier en gain en capital. Notre ordre de référence autorise le comité à porter une attention particulière aux répercussions des changements proposés sur les petites entreprises et sur les professionnels constitués en société, à la croissance économique et aux finances publiques, à l’équité de l’imposition des différents types de revenus ainsi qu’à d’autres questions connexes. Le comité présentera son rapport final au Sénat au plus tard le 30 novembre 2017 et conservera tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

Monsieur le ministre, avant cela, nous avons tenu à Ottawa 13 réunions publiques, nous avons entendu plus de 60 témoins et nous avons reçu plus de 30 mémoires écrits. Constatant le vif intérêt que suscite cette étude, le comité a décidé d’étendre ses consultations. Nous allons donc consulter toutes les régions du Canada. Ce premier voyage nous amène dans les régions de l’Ouest, et dans deux semaines, nous nous dirigerons vers les provinces de l’Atlantique.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, nous entendrons les gens qui ont demandé de comparaître, les personnes que des parlementaires nous ont suggéré de consulter ainsi que des membres du grand public.

Je vous présente le ministre des Finances du Manitoba, l’honorable Cameron Friesen. Il est né et a vécu à Morden, au Manitoba. Après avoir obtenu son diplôme, il a étudié la musique à l’Université mennonite canadienne et à l’Université de la Colombie-Britannique. Il est ensuite revenu dans sa province, où il a obtenu un diplôme en éducation de l’Université du Manitoba.

Monsieur le ministre, vous avez maintenant la parole. À la fin de votre allocution, les sénateurs vous poseront des questions.

M. Friesen : Merci, monsieur le président. C’est un grand honneur que de comparaître devant vous aujourd’hui. Le Manitoba traverse une période passionnante. Le gouvernement est tout nouveau. Comme vous vous en souviendrez, nous avons accédé au pouvoir en 2016, au printemps, il y a un peu plus de 18 mois. Nous avons travaillé très fort pour rétablir la stabilité financière de la province en comblant le déficit de près d’un milliard de dollars dont nous avons hérité et en nous attaquant à une dette nette qui avait presque doublé pendant les six exercices précédents.

Nous nous sommes heurtés à des difficultés liées à la qualité des services de première ligne. Nous faisons d’énormes efforts pour améliorer ces services pour les Manitobains. Notre taux de chômage se situe parmi les plus bas au Canada. Selon les statistiques que j’ai vues hier, nous avons créé 14 600 emplois à plein temps du mois d’octobre de l’année dernière à octobre de cette année.

Nos dettes moyennes par ménage sont les plus basses de toutes les provinces canadiennes. Notre taux de mise en chantier et la demande du secteur immobilier commercial sont plus élevés que jamais. Nous n’avons jamais vu un tel volume d’investissements privés et, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons réussi, au nom des Manitobains, à réduire un peu notre déficit. Les comptes publics de l’exercice précédent que nous avons publiés à la fin septembre affichent une réduction du déficit de 147 millions de dollars. Nous avançons donc dans la bonne direction.

Nous suivons une démarche équilibrée et modérée. Nous avons fait preuve de soutien pour les petites entreprises en déposant notre projet de loi 22, la Loi sur la responsabilisation en matière de réglementation, qui vise à réduire les fardeaux administratifs. Nous nous concentrons sur l’abordabilité. Nous nous efforçons de maintenir des taux d’imposition fiscale peu élevés. Nous avons indexé les tranches d’imposition. Nous avons indexé le montant personnel de base, ce qui allégera le fardeau fiscal des Manitobains de 35 millions de dollars d’ici à 2020.

En augmentant tout de suite l’exemption personnelle de base, nous éliminons plus de 2 200 contribuables du rôle d’imposition et nous révisons les crédits d’impôt de la province. Le Manitoba offre plus de 30 crédits d’impôt dont la valeur s’élève à plus de 600 millions de dollars. Nous visons à établir un système fiscal cohérent et compréhensible, simple et transparent, qui réponde à nos principaux objectifs politiques. Autrement dit, nous serons très bientôt la province canadienne la plus améliorée.

Les changements que les libéraux fédéraux envisagent d’apporter à l’imposition des petites entreprises menacent l’un des principaux moteurs de l’économie manitobaine. Le gouvernement fédéral semble ignorer les millions de Canadiens de la classe moyenne qui, depuis très longtemps, appliquent à leurs entreprises des règles de planification fiscale légitimes.

Les beaux discours du gouvernement fédéral n’ont pas apporté d’éclaircissement dans cette conversation. Ils ont insulté de nombreux propriétaires d’entreprise honnêtes et travailleurs. On les accusait de faire de la fraude fiscale même s’ils respectent depuis toujours les lois sur l’impôt. Comme vous le savez, ces lois sont en vigueur au Canada depuis la dernière réforme fiscale globale, qui a eu lieu dans les années 1970.

Dans notre province, j’ai entendu les commentaires de propriétaires de petites entreprises, d’agriculteurs, de fonctionnaires municipaux et d’autres professionnels. Ils craignent tous les répercussions négatives que ces changements auront sur leur entreprise et sur leurs employés. Soulignons que ces changements toucheront surtout les propriétaires d’entreprises de la classe inférieure et moyenne et non les citoyens canadiens bien nantis. Ces citoyens plus riches constituent le petit pourcentage de contribuables qui ont les moyens de payer beaucoup plus d’impôts que les Canadiens au revenu moyen.

Voici le tableau de notre situation présenté par Statistique Canada : le Manitoba compte environ 120 000 petites entreprises, pour lesquelles travaille 77 p. 100 de la main-d’œuvre de la province. Nous avons aussi environ 21 000 microentreprises qui ont entre un et quatre employés. Ces dernières se trouvent surtout dans les secteurs de la construction, de l’agriculture, des transports, des services professionnels et scientifiques et des soins de santé.

Nous vous avons remis une trousse dans laquelle vous apprendrez que dans notre province, comme dans toutes les autres d’ailleurs, le nombre de demandes de constitutions en sociétés augmente beaucoup. En quelques années, il a passé de 16 000 à 24 000. Nous allons discuter des raisons pour lesquelles les propriétaires d’entreprises se plaignent de ce que les mesures fiscales du gouvernement fédéral ciblent particulièrement les sociétés privées.

Nous savons que dans notre province, 56 000 petites sociétés seraient assujetties aux conditions de la proposition fiscale du gouvernement fédéral libéral et que 25 000 d’entre elles sont imposables chaque année. En outre, 25 000 particuliers du Manitoba ont reçu des dividendes imposables de petites sociétés. Cela comprend autant des dirigeants de sociétés que les actionnaires qui se partagent les revenus de ces sociétés.

À notre avis, les changements que le gouvernement propose d’apporter à l’imposition des petites entreprises leur enlèvent l’espoir et étouffe toute ambition. Nous trouvons ces changements très mal conçus. On les a aussi très maladroitement annoncés. La période de consultation a elle aussi été mal conçue, puisque l’on n’y a consacré que 75 journées au milieu des vacances d’été.

Terry Fehr, président de la société Meadowlark Honey Limited, gère une petite entreprise dans la province. Il m’a écrit pour me demander de défendre la cause des propriétaires de petites entreprises. Il m’a dit que dorénavant, il devra verser 50 p. 100 de son revenu aux impôts. Il a ajouté que d’autres entreprises seront même assujetties à des taux d’imposition plus élevés si le gouvernement applique les règles qu’il propose. Des analystes politiques et des économistes ont affirmé que lorsqu’un pays prélève plus de 50 p. 100 du revenu des contribuables, il nuit à son économie et entrave la génération de revenus.

Une agricultrice manitobaine, Amanda Layton, m’a demandé de contester les modifications fiscales du ministre Morneau pour qu’elle soit en mesure de transmettre son exploitation à la prochaine génération.

Elle a ajouté que le gouvernement fédéral devrait complètement réformer le système fiscal pour soutenir les exploitations agricoles familiales, au lieu de les détruire.

Une médecin de famille m’a décrit les réductions en heures cliniques et en personnel administratif qu’elle sera forcée d’effectuer si ces mesures entrent en vigueur. Je vous en parlerai plus en détail tout à l’heure.

Ces changements vont à l’encontre des promesses que les libéraux nous ont faites pendant leur dernière campagne électorale. Ils avaient promis de soutenir la classe moyenne et de réduire le taux d’imposition. Les propositions que nous avons ici ne visent aucunement cet objectif politique. Si les règles que propose le ministre des Finances entrent en vigueur, les propriétaires d’entreprise seront obligés de modifier leur exploitation. Certains décideront d’abandonner complètement le monde des affaires ou de s’installer ailleurs. D’autres cesseront tout simplement d’injecter dans leur entreprise les fonds nécessaires pour la faire croître en se contentant de l’administrer sans rien y changer. Nous savons tous l’effet néfaste que cette attitude aurait sur l’économie.

Selon les Manitoba Chambers of Commerce ces changements freineraient la croissance économique et la création d’emplois au Manitoba. En outre, ces changements nuiront à un autre secteur, celui des soins de santé. Ils ajouteront aux coûts que devront assumer les provinces qui, comme le Manitoba, ont beaucoup investi pour recruter des médecins et des infirmières et pour en maintenir l’effectif afin d’améliorer la prestation des soins de santé à ses collectivités. Ces changements compliqueront ces initiatives et nous forceront à modifier nos façons de faire. Ils risquent d’annuler très rapidement les gains considérables que nous avons faits jusqu’à présent.

J’ai reçu de nombreuses lettres du secteur des soins de santé sur les répercussions qu’auront ces changements sur les services aux patients. Un anesthésiologiste m’a décrit les sacrifices qu’il a dû faire ces dernières années pour obtenir son diplôme. Il a servi ses patients sans prendre de vacances et sans recevoir les avantages sociaux que les travailleurs tiennent pour acquis. Il est atterré que le gouvernement fédéral l’accuse de commettre de la fraude fiscale alors que par sa société professionnelle, il verse plus d’impôts que ses collègues. Je sais que de nombreux autres témoins vous ont parlé de ce problème.

Cet anesthésiologiste a ajouté que ces changements l’obligeraient à réduire le nombre de ses patients de 20 p. 100, ce qui allongera les temps d’attente. Il envisage sérieusement de chercher de l’emploi aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande. D’autres collègues lui ont dit qu’ils devraient eux aussi réduire leurs heures de travail. Cela augmentera le coût des soins de santé alors que le gouvernement fédéral n’accorde plus à la province le niveau adéquat de financement dans le cadre de l’accord canadien sur la santé.

Bref, les changements proposés inciteraient les propriétaires d’entreprise à prendre moins de risques, à créer moins d’emplois et à moins contribuer à la croissance et au succès de notre économie.

Voilà ce que ces changements causeraient au Manitoba. Premièrement, les petites sociétés canadiennes répartissent depuis longtemps leurs revenus entre les membres de la famille. Cela leur permet de faire croître leur exploitation. Cette méthode assure le succès des petites sociétés non seulement au Manitoba, mais dans tout le Canada. Tout le monde sait que les conjoints partagent les risques de leur entreprise et que les couples mariés y risquent leurs biens personnels. Nous savons aussi qu’il n’est pas toujours facile de vérifier le niveau de risque que courent ces petites sociétés.

À cela s’ajoute un problème administratif. En s’écartant considérablement des méthodes habituelles, cette règle sur le partage du revenu causera de nombreuses difficultés. Il sera très difficile de mesurer la valeur des contributions à la main-d’œuvre, au niveau de risque et à l’investissement en capital. J’ai entendu des experts convaincus que même si le gouvernement fédéral affirme qu’il veillera à la simplicité de cette règle, son application compliquera considérablement les tâches administratives et ajoutera à la complexité de notre système fiscal.

La définition de ce qu’on appelle le test de vraisemblance du partage des dividendes et des gains en capital demeure très ambiguë. Cela compliquera plus encore le fardeau administratif des entreprises, de l’ARC, des processus d’appel et des tribunaux.

À mon avis, il serait crucial de tenir compte de l’aspect pratique de ce test de vraisemblance. Certains experts qui s’occupent quotidiennement de ces questions m’ont assuré que ces règles exaspéreront les professionnels qui devront les appliquer. Notre système repose sur la confiance. Il dépend de la conformité volontaire à ses règles.

En lisant les lettres que mon bureau a reçues à ce sujet, j’ai bien l’impression que ces changements inciteront les gens qui ne comprendront pas comment quantifier la contribution d’une autre personne à leur exploitation décideront de continuer à suivre les règles qu’ils connaissent bien en se disant que s’ils se trompent, le gouvernement leur enverra un avis. Je trouve que ce n’est pas dans la culture canadienne d’agir de la sorte.

J’ajouterai que cette proposition risque de toucher toutes les sociétés privées auxquelles participent des membres de la famille et des actionnaires, quel que soit leur niveau de revenu. À la page 7 du mémoire que je vous remets, vous trouverez un graphique qui indique que plus de 10 000 Manitobains reçoivent des dividendes malgré leur modeste revenu de moins de 85 000 $ par année. Vous comprenez donc que ce changement au traitement fiscal des contribuables nuira à de nombreux Manitobains qui n’ont qu’un revenu modique.

Tout cela repose sur la manière de quantifier le placement d’un conjoint ou d’une épouse dans l’entreprise. Nous connaissons le contexte initial, nous savons tous que « l’impôt des enfants » a été instauré pour freiner les pratiques des années 1990, et nous savons que le gouvernement voudrait en relever le seuil. Quant à la contribution d’un conjoint dans le cadre de ces règles, il est extrêmement difficile de quantifier le placement non opérationnel de cette personne dans l’entreprise. Comment quantifier le dialogue entre les époux sur le placement à déposer dans leur petite société afin d’investir, de rembourser une dette, de faire croître l’entreprise, d’investir du capital dans l’exploitation ou d’embaucher un nouvel employé? Je suis convaincu qu’il serait difficile et coûteux d’appliquer un test à cela. De bien des façons, il me semble que cette solution créerait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait.

Nous savons, dans notre province, que cette règle ajoute au fardeau des petites sociétés. Nous savons que les planificateurs et les conseillers en matières fiscales ne sauront pas vraiment comment l’appliquer et que les propriétaires de petites entreprises, les agriculteurs, les familles et autres en seront exaspérés.

La deuxième règle proposée, sur le placement passif, a d’importantes répercussions sur les petites sociétés. Nous savons qu’elles s’en servent pendant les ralentissements économiques. Ces placements s’accumulent et soutiennent l’entreprise quand les affaires ne vont pas très bien. Mais n’oublions pas qu’ils permettent d’investir petit à petit, d’économiser en vue de faire un investissement critique ou, bien entendu, en vue de la retraite. Les propriétaires d’une société ne disposent pas des moyens de développer leur fonds de retraite dont jouissent les autres travailleurs.

Le fiscaliste manitobain Trevor Sprague affirme qu’en intégrant et en reportant des revenus de placement gagnés directement dans une société privée sous contrôle canadien, ou SPCC, les particuliers du Manitoba versent en fait 6,19 p. 100 de plus que les autres en impôts. Autrement dit, le taux d’imposition total des propriétaires de petites sociétés s’élève à 56,59 p. 100. Cela vient en sus du 20 p. 100 d’impôts sur les sociétés et du 45,75 p. 100 en impôt des particuliers. Autrement dit, au Manitoba, le revenu passif qu’une personne gagne indirectement d’une SPCC subit un taux d’imposition supérieur à celui du revenu qui ne vient pas de dividendes. Il n’y a pas là de déséquilibre à corriger.

D’anciens fonctionnaires du ministère fédéral des Finances, Scott Clark, Peter Devries et Len Farber, viennent de publier un article dans lequel ils critiquent le cheminement qu’a suivi le gouvernement fédéral pour proposer ces changements. Ils critiquent tout aussi sévèrement les changements proposés.

Je viens de recevoir une lettre d’un entrepreneur du Sud du Manitoba, qui est propriétaire d’un magasin Canadian Tire. Au sujet de la deuxième proposition, il m’écrit qu’il réinvestit une grande partie de ses profits dans son magasin pour le développer. Toutefois, il y a aussi déposé quelques placements passifs. Il explique que ces placements serviront à agrandir son magasin et qu’il se prépare à développer son capital de plus d’un million de dollars. Soulignons que cela dépasserait le nouveau seuil que le gouvernement fédéral proposait initialement.

Cet homme ajoute qu’il économise en vue de cette expansion depuis plusieurs années, et que ce n’est pas une échappatoire. Il affirme qu’il a agrandi son magasin avec prudence pour sa famille, pour son personnel et pour sa communauté. Je suis heureux de voir cet investissement, parce que je sais qu’il permettra de créer des emplois et qu’il nous générera plus de recettes. Je crains beaucoup que ce changement des règles décourage les entrepreneurs comme lui et qu’ils risquent de renoncer à faire de bons investissements. Nous nous devons de fournir la marge de manœuvre, la cohérence et la certitude dont les entrepreneurs ont besoin pour effectuer des investissements qui avantageront toute notre économie.

Les entreprises qui ne disposeront plus des capitaux nécessaires se verront probablement forcées à mettre des travailleurs à pied, à réduire leur exploitation ou même à fermer boutique. J’ai entendu ces remarques personnellement. À mon avis, le plus grand danger sera la stagnation des exploitations commerciales.

La troisième proposition est la conversion de dividendes en gains en capital. Si j’ai bien compris, cette question reste en suspens pour le moment. Nous partageons les craintes qu’expriment beaucoup de personnes au sujet de la conversion de dividendes en gains en capital. Ces mesures entraveraient le transfert des propriétés, notamment des fermes familiales, à la génération suivante. Les intervenants aux réunions de consultation prébudgétaire que j’ai organisées à la société Keystone Agricultural Producers et auprès d’autres groupes qui défendaient leurs membres n’ont pas cessé de souligner cela.

Soulignons aussi qu’au Manitoba, les taux d’imposition fiscale sur les dividendes sont élevés. Voilà pourquoi cette conversion est très importante dans notre province. Comme les fermes familiales jouent un grand rôle dans notre économie, cette question inquiète beaucoup les producteurs agricoles. Nous avons-là un exemple typique de conséquences imprévues, mais cette conversion aura des répercussions indéniables sur notre économie. Qu’il s’agisse d’une entreprise agricole ou de toute autre petite entreprise, il est clair que la Loi de l’impôt sur le revenu offre actuellement de meilleurs avantages fiscaux aux personnes à revenus multiples qu’à celles qui ont un revenu unique de niveau similaire. Tous les Canadiens reconnaissent ce déséquilibre. Il s’agit d’une observation de haut niveau, mais je suis certain que d’autres intervenants vous l’ont présentée ailleurs au pays.

Je ne sais pas comment nous en sommes arrivés là. En outre, selon ces nouvelles propositions, les familles canadiennes à deux revenus continuent de payer beaucoup moins d’impôt que les familles à revenu unique.

Les règles qui régissent les sociétés canadiennes le reconnaissent à l’heure actuelle. Elles permettent aux travailleurs autonomes canadiens d’épargner adéquatement. Il est important de se rappeler que notre régime fiscal repose sur le principe de taxer les citoyens en fonction de leur capacité de payer; c’est la raison pour laquelle nous avons des taux d’imposition progressifs. Plus vous gagnez, plus vous payez d’impôts.

Toutes les familles font face aux mêmes genres de dépenses, elles ont un même désir d’aider leurs enfants à poursuivre leurs études, et les familles qui sont au même niveau de revenu ont la même capacité de payer leurs impôts. Le gouvernement fédéral estime que le taux d’imposition des familles à revenu unique est beaucoup plus élevé que celui des familles à deux revenus. Je vous rappelle que cela inclut les Canadiens comme les mères seules qui élèvent des enfants. La proposition du gouvernement fédéral semble suggérer qu’il faudrait élargir encore plus ces propositions.

L’équité fiscale devrait viser à ne pas punir certains secteurs de l’économie. Cela devrait être une caractéristique fondamentale, car cette équité devrait établir l’équilibre et la symétrie. Ces nouvelles propositions créent un déséquilibre supplémentaire en ne reconnaissant pas les risques et les sacrifices que font les propriétaires de petites sociétés pour créer des emplois et pour faire croître leur entreprise et notre économie. Les gens nous ont dit qu’il faut que le système soit juste, mais que ce n’est pas la même chose : travailler pour un salaire n’est pas la même chose que développer une petite entreprise. Nous devons avoir une vision plus nuancée du fonctionnement de notre économie au Manitoba et au Canada. On nous répond qu’il faut créer un système équitable, mais ce n’est pas la même chose. Le travail à salaire n’est pas le même que l’effort à faire pour développer une entreprise. Il est crucial de distinguer les divers fonctionnements de l’économie du Manitoba et du Canada.

D’un point de vue plus général, nous craignons les répercussions que cette série complexe de changements aura sur les petites entreprises qui connaissent mal le fonctionnement du système fiscal. Je vous dirais que les petites entreprises n’auront pas vraiment les capacités, les ressources et le temps de comprendre et de réagir. Elles font déjà face à de nombreuses difficultés. Les lois fiscales et les lois plus complexes ne feront qu’accroître leur stress.

Dale Ammeter est un fiscaliste manitobain. Il a fait remarquer que ces changements compliquent beaucoup l’administration fiscale. Ils imposent un terrible fardeau aux contribuables et rendent difficile, même impossible, pour l’ARC d’administrer correctement les nouvelles règles. Le gouvernement fédéral s’est dit déterminé à maintenir la simplicité du processus, mais ces changements ne simplifient rien, ils compliquent les choses. On nous dit maintenant que nous ne verrons qu’une ébauche de loi à ce sujet au printemps. Je pense que cela souligne que les fonctionnaires fédéraux s’aperçoivent toujours plus de la complexité qu’ils ont créée, peut-être par inadvertance.

Quant aux répercussions exactes que ces propositions auront sur le Manitoba, le gouvernement n’a publié que des estimations des recettes supplémentaires que généreraient les dispositions relatives au partage des revenus, mais pas des placements passifs. Il n’a pas estimé les modifications que le placement passif apporterait au revenu. Il n’a pas non plus estimé les modifications liées à la conversion des dividendes en gains en capital avant d’abandonner ou de réduire ses premières propositions.

La petite entreprise est le fondement même de l’économie du Manitoba. De très nombreux Manitobains ne jouissent pas des avantages offerts aux autres Canadiens. Des millions de Canadiens ont des régimes de retraite, des régimes de soins de santé, des congés parentaux et des prestations de maladie. Nous sommes très heureux pour eux. Les propriétaires d’entreprises renoncent à certains de ces avantages pour saisir une bonne occasion d’investissement. En nous engageant dans cette voie, nous devons veiller à reconnaître aux facteurs de risque la valeur qu’il convient de leur accorder.

Il est également malheureux, et mon premier ministre a fait valoir ce point, que le gouvernement fédéral continue d’opposer la classe moyenne aux personnes à revenu élevé. Nous vous avons clairement démontré qu’à notre avis, il ne parle pas des gens qui gagnent 1,8 million de dollars par année, comme le suggèrent les documents du ministère des Finances du Canada. Le Manitoba continue de collaborer avec les autres provinces, avec les territoires, avec le gouvernement fédéral, avec le ministère des Finances du Canada et avec l’ARC pour régler des questions légitimes d’évitement fiscal, d’évasion fiscale et de transparence de la propriété des sociétés. Nous ne sommes pas contre ces enjeux, nous les avons soutenus. Nous avons parlé de ces questions lors de nos réunions fédérales, provinciales et territoriales et nous continuerons de le faire. Cependant, il ne faut pas confondre tous ces enjeux.

Permettez-moi de dire quelques mots sur la réduction du taux d’imposition. Nous reconnaissons que la réduction du taux d’imposition proposé, qui passera de 10,5 à 9 p. 100, permettra aux sociétés de conserver un revenu supplémentaire. Mais en principe, elle ne fait qu’exacerber l’écart considérable qui existe entre le taux d’imposition des particuliers et celui des sociétés. Je le demande une fois de plus, comment en sommes-nous arrivés là?

Le premier ministre et le ministre fédéral des Finances se sont dits préoccupés par le taux de constitution en société. Cependant, les règles que nous avons établies encouragent cela.

En conclusion, nous posons là des questions sérieuses, et vous entendez depuis assez longtemps de très nombreux Canadiens souligner ce que je vous ai dit. De mon point de vue, il sera crucial de simplifier le système et non de le compliquer.

Quelle est la question fondamentale à poser? Pour moi, il s’agit de la question suivante : sur qui les Canadiens comptent-ils pour créer des emplois au Canada? Qui est à la base de notre économie, les petites entreprises ou le gouvernement fédéral? Nous devons encourager les entreprises à prendre des risques afin de créer des emplois pour les Canadiens.

Au lieu de taxer l’investissement, nous devons le promouvoir afin d’encourager la croissance économique. Ce plan coûtera des emplois, il nuira aux travailleurs à revenu moyen, aux petites entreprises et aux entreprises en démarrage. Il risque de pénaliser les exploitations familiales. Ce qui nuit aux exploitations agricoles familiales nuit à l’économie canadienne et à l’économie manitobaine.

Notre premier ministre et notre gouvernement se sont unis pour mettre fin à ces propositions mal réfléchies. Nous continuons de défendre un régime fiscal équitable pour tous les Manitobains et pour tous les Canadiens, pour les familles, pour les salariés et pour leurs employeurs ainsi que pour les propriétaires d’entreprise.

À l’instar de ce que les anciens fonctionnaires fédéraux du ministère des Finances ont dit plus tôt cette semaine, je crois qu’il nous faudrait une commission indépendante de réforme fiscale semblable à la commission Carter. Elle recevrait un mandat précis et elle disposerait des ressources nécessaires pour entreprendre un examen exhaustif de nos qualités de Canadiens et de la façon dont nous considérons les droits fondamentaux comme celui de la propriété privée. Il est crucial que notre système distingue les gens qui risquent du capital pour investir dans leur propre entreprise de ceux qui travaillent pour un salaire.

J’ai commencé cette allocution en affirmant que l’avenir est prometteur au Manitoba, parce que nous en sommes convaincus. Il nous faut un régime fiscal qui maintienne cette situation. Merci beaucoup de votre attention. Je vous remercie d’être venus au Manitoba et je vous remercie de l’attention que votre comité porte à ce que je considère comme une question fondamentale et importante pour les Canadiens.

Le sénateur Mockler : Merci, monsieur le ministre. Nous allons donc passer aux questions.

La sénatrice Marshall : Bienvenue, monsieur le ministre. Je vous remercie pour cette allocution et pour le mémoire que vous nous avez remis. Vous nous avez fourni énormément d’information.

Je m’intéresse à l’économie manitobaine dans son ensemble. J’ai lu votre document budgétaire sur l’examen et sur les perspectives économiques. D’après les renseignements que vous nous présentez, il semble que votre province ait traversé une décennie quelque peu difficile, mais qu’elle soit maintenant en pleine expansion. Il vous reste encore des défis à relever, comme l’ALENA, la hausse des taux d’intérêt, la situation financière de la province et les signes actuels de ralentissement économique.

Ma question vous paraîtra peut-être un peu injuste parce que les propositions ne sont pas définitives et que nous n’en connaissons pas les détails, qui seront annoncés dans le budget de 2018. Quelles répercussions craignez-vous que ces propositions ou que des propositions futures aient sur l’économie du Manitoba? Pensez-vous qu’elles ne causeront qu’un léger retard économique ou des défis importants?

M. Friesen : Je vous remercie de poser cette question, madame la sénatrice. Certes, à un très haut niveau, ces propositions ne nous aident pas. Je pense que je ne suis pas en mesure de vous répondre entièrement, précisément parce qu’il y a tant de choses que nous ne comprenons pas, tant en ce qui concerne les propositions initiales que la révision de certaines parties de ces propositions. Nous nous efforçons de comprendre et d’évaluer ces changements et les effets qu’ils auront. Nous n’avons vu d’estimations des recettes que pour une seule facette de ces changements, et nous avons déjà constaté un écart.

Les fonctionnaires de l’impôt qui font ce travail depuis des décennies se grattent la tête en répondant qu’ils ne savent vraiment pas quoi faire, et les fonctionnaires fédéraux ne nous ont pas encore dit ce qu’ils comptent faire face à cette situation. J’ai omis de parler aujourd’hui de certains aspects de cette discussion, parce qu’il reste énormément de points d’interrogation. C’est exactement ce que nous avons dit aux Manitobains en leur promettant de bien gérer la situation. Nous avons l’intention d’être de bons gestionnaires des deniers publics, et nous devons améliorer notre gestion des dépenses. Nos prédécesseurs ont toujours été d’avis que les recettes leur permettraient de rattraper leur retard et de rétablir l’équilibre. Nous avons constaté qu’en cette époque de faible croissance que traversent toutes les provinces, les États américains et le gouvernement fédéral, il faut mettre l’accent sur la durabilité qu’assure la gestion de l’entreprise.

Cela dit, le risque se retrouve partout. Vous l’avez bien dit. Il y a ces risques et il y en a d’autres. Vous êtes au Manitoba aujourd’hui, et nous avons beaucoup de neige la première semaine de novembre. Nous sommes une province d’inondations, de feux de forêt et d’événements météorologiques violents. Je rencontre continuellement des gens du secteur privé qui me disent que leur entreprise craint avant tout les caprices de la météo. Nous faisons continuellement face à des défis. Il faut que nous nous accrochions à la certitude que l’économie du Manitoba continuera de croître.

Au gouvernement, nous devons faire tout en notre pouvoir pour appuyer les efforts de ceux qui investissent dans notre économie. Lorsque ces personnes expriment leurs préoccupations face à ces propositions, je leur réponds que nous sommes tout à fait d’accord avec elles.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Pratte : Monsieur le ministre, je vous remercie pour ce document. Il est riche en information et donc très utile.

À la page 5 se trouve un graphique qui illustre la croissance du nombre de petites et moyennes entreprises constituées en société au Manitoba. Cela correspond à l’information fournie par le ministère des Finances du Canada sur la croissance des SPCC à l’échelle nationale. On y constate, de 2006 à 2010, une augmentation considérable du nombre d’entreprises constituées en personnes morales, notamment dans les secteurs agricole et médical.

On voit à la page 12 une augmentation considérable du revenu provenant de placements passifs, surtout en agriculture et chez les médecins. Il y a une augmentation incroyable du revenu de placement passif de 2010 à 2015, ce qui est précisément ce qui a amené le gouvernement à présenter certaines de ses propositions. Il est préoccupant de constater que des entreprises utilisent la structure des SPCC non pas comme un instrument légitime pour mettre de l’argent de côté en vue d’investissements futurs, mais plutôt comme un outil pour réduire leur impôt sur le revenu, à des fins fiscales et pour préparer leur fonds de retraite. Les autres Canadiens ne disposent pas de cet outil. Comment répondriez-vous à cela?

M. Friesen : Je vous remercie pour cette remarque, sénateur Pratte. Dans notre mémoire, j’ai inclus des tableaux qui démontrent que, comme d’autres gouvernements, nous avons constaté une augmentation des taux de constitution en société. Nous savons que l’écart entre les taux d’imposition des particuliers et ceux des sociétés a encouragé bien des entreprises à le faire. Dans notre province, nous avons offert aux médecins le droit à la constitution en société pendant la négociation collective. Cela explique en grande partie cette augmentation.

Essentiellement, vous avez dit que les sociétés privées saisissent une occasion qui ne serait pas offerte aux autres Canadiens, et vous avez raison. Toutefois, le régime fiscal offre aux autres Canadiens de nombreux avantages auxquels les propriétaires d’entreprise n’ont pas droit. C’est pourquoi j’ai souligné dans mon allocution la nécessité d’adopter une approche nuancée. Nous devons comprendre que ce n’est pas la même chose. Il est crucial que nous fassions cette distinction.

Mais soyons raisonnables. Nous sommes d’avis, tout comme les personnes qui m’ont écrit ou qui sont venues à mes réunions de consultation prébudgétaire, que les changements proposés ont une portée beaucoup trop vaste pour aborder une préoccupation considérée comme étant très ciblée.

Notre mémoire montre clairement que la classe moyenne se trouve au cœur de cette question. Il ne s’agit pas d’abondance. Mais n’oublions pas que le milieu de l’entreprise ou de la microentreprise permet souvent aux médecins de faire des économies.

Je vais illustrer cela en vous racontant une petite anecdote, si vous me le permettez. J’étais dans un avion il y a trois semaines, assis à côté d’une médecin qui revenait d’une conférence. M’ayant reconnu, elle m’a dit qu’elle voulait parler des soins de santé. En fait, elle voulait parler des propositions du gouvernement fédéral. Elle m’a expliqué qu’elle était omnipraticienne, qu’elle s’est spécialisée et qu’elle habite au Manitoba. Elle m’a dit que ces changements l’empêcheront de prendre un congé de maternité.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les petites sociétés emmagasinent du capital dans des placements passifs. Elle m’a dit que les médecins praticiens accumulent souvent une dette incroyable à la suite de leurs huit, neuf, dix années d’études postsecondaires et de leurs périodes de stages. Ils gagnent enfin un bon salaire quand ils commencent à exercer leur profession. Mais les femmes médecins de 30 ans qui veulent fonder une famille n’ont plus qu’environ cinq ans pour le faire. Selon cette médecin, le gouvernement fédéral pose la mauvaise question. Il s’arrête au revenu annuel des contribuables au lieu de s’interroger sur leur valeur nette. En effet, elle sera obligée d’accumuler du capital pendant plusieurs années afin de pouvoir quitter le marché du travail et y retourner plus tard.

Donc, ce n’est pas une réponse complète que je vous donne, monsieur le sénateur. Vous estimerez peut-être que je n’ai pas visé le cœur de la question, et j’en serais désolé, mais je crois qu’il faut aborder les choses de façon nuancée et se poser des questions importantes sur les raisons pour lesquelles les petites entreprises stockent effectivement du capital.

Le sénateur Pratte : Mon intention n’est pas de lancer un débat rhétorique, mais il se trouve que, dans beaucoup de provinces, le Manitoba inclus, au cours du processus de négociation, les médecins ont été autorisés, sinon encouragés, à se constituer en personne morale pour avoir accès à ces instruments fiscaux afin d’améliorer leur situation financière. Dans un sens, leur situation financière aurait dû s’améliorer grâce à une augmentation de leurs honoraires. Et, comme les provinces ont estimé qu’elles ne pouvaient pas se permettre une augmentation de leurs honoraires, tout cela n’a servi à rien.

C’est un processus indirect, et je ne suis pas sûr que la situation des médecins soit vraiment comparable à celle d’autres petites entreprises. Leur situation est très différente de celle de beaucoup de petites entreprises dont vous avez parlé. Le niveau de risque n’est pas le même. C’est là que nous en sommes aujourd’hui. Le gouvernement vise manifestement le corps médical, et, ce faisant, il fait du mal à beaucoup d’autres petites entreprises.

M. Friesen : Je comprends ce que vous voulez dire, et je suis d’accord. Il s’agit d’une disposition générale, et elle entraîne des conséquences indésirables. Je ne dis pas qu’il ne faut pas reconsidérer. Je crois que cela fait bien longtemps que les Canadiens n’ont pas eu ce genre de conversation générale sur ce qui fonde notre point de vue sur la fiscalité. Nous devons mener cette réflexion.

C’est une mesure spéciale. Elle est soudaine, et les complications à venir et les conséquences indésirables seront à la mesure d’une moindre réflexion collective.

Si je peux me permettre de revenir à l’anecdote dont je vous ai parlé, ce qui m’a troublé le plus dans la conversation que j’ai eue avec cette médecin est ce qu’elle m’a dit du point de vue de l’application concrète de cette mesure. Elle m’a dit : « Je me suis constituée en personne morale. Je suis non seulement médecin, mais propriétaire d’une petite entreprise. »

D’après elle, si ces changements sont adoptés, il arrivera deux choses. Premièrement, elle renverra son directeur administratif, parce qu’elle ne pourra plus se permettre de le garder, même s’il offre un service essentiel. Deuxièmement, elle rencontrera son comptable pour lui demander de tracer une ligne horizontale indiquant le seuil au-delà duquel elle n’aurait plus aucune raison de travailler puisque, tout compte fait, elle travaillerait gratuitement.

Elle m’a provoqué en disant : « Demandez-moi où est le seuil. » J’ai dit : « Où est le seuil? » Et elle a répondu : « Trente pour cent de mes heures facturables. »

Si d’autres médecins abordent ainsi les choses, je ne veux même pas imaginer les conséquences que cela aurait pour notre province du point de vue du recrutement et de la rétention de médecins. Il faudrait envisager de créer ces organismes supplémentaires dans notre système. Il ne s’agit plus de payer des heures de travail, il s’agit de trouver de la main-d’œuvre. C’est toute la question.

Le sénateur Pratte : Pourrais-je ajouter quelque chose? Je dirais, compte tenu de ce qui est indiqué à la page 13 du document distribué par le ministre, que je ne suis pas sûr que la comparaison entre les taux actuels applicables aux investissements passifs et les nouveaux taux proposés dans le cadre de la réforme gouvernementale soit valable. Selon le système actuel, ce sont les taux applicables avant la répartition des dividendes, et je ne suis donc pas sûr que ce soit comparable. On pourrait en discuter longtemps. Je crois que les taux devraient être fournis après répartition des dividendes. La comparaison serait alors beaucoup plus précise.

Le sénateur Mockler : Je vous remercie.

Le sénateur Neufeld : Merci d’être venu nous voir, monsieur le ministre. Nous vous en sommes reconnaissants. Nous avons entendu le témoignage du ministre fédéral, et vous voilà maintenant parmi nous, au nom du Manitoba. Je crois que nous avons hâte d’entendre d’autres ministres des Finances, lorsque nous irons dans l’Est du Canada. Je vous remercie d’avoir pris du temps, dans votre horaire chargé, pour venir ici.

Des fonctionnaires du ministère des Finances ont dit au comité qu’aucune étude d’impact n’a été faite avant que ces changements soient envisagés. Étant donné que ces changements ont été si mal élaborés, il vaut peut-être mieux qu’on n’ait pas fait d’analyse économique. Par ailleurs, avant d’apporter ce qu’on nous dit être les changements les plus radicaux à la Loi de l’impôt sur le revenu depuis 1972, n’auriez-vous pas, vous le ministre du Manitoba, effectué une analyse des répercussions sur l’économie du Manitoba pour avoir une idée de ce qui se passe réellement? D’après une grande partie des témoins que nous avons entendus, vous et bien d’autres, les répercussions auxquelles personne n’avait songé sont énormes, notamment pour les exploitants agricoles, les petites entreprises et les professions libérales. Est-ce que le Manitoba fait au moins une petite étude d’impact pour évaluer les conséquences éventuelles d’une modification fiscale envisagée?

M. Friesen : Merci de votre question, monsieur le sénateur Neufeld. Ce que vous dites renvoie à l’essentiel du problème, à savoir que les choses ont été faites à la hâte. J’ai dit que c’était une mesure spéciale. Elle n’est pas complète. Comparons ceci avec la commission Carter, qui avait été dotée d’un mandat exhaustif multipartite. Elle était composée de gens qui comprenaient la portée des choses et qui ont pu se rendre partout au pays, s’entretenir avec des spécialistes, parler avec des Canadiens ordinaires, et poser des questions, en gardant une hauteur de vue, sur la nation que nous voulons être. Les membres de la commission ont ensuite soigneusement réfléchi à ce dont ils devraient rendre compte. Leurs conclusions ont été examinées, et des changements ont été apportés en conséquence. Ces changements très importants ont déterminé la façon dont nous gagnons de l’argent, dont nous rémunérons les employés et dont nous nous développons collectivement.

Vous avez fait remarquer qu’il manquait une étude d’impact, et cela a certainement pris tout le monde par surprise. Nous avons essayé de comprendre l’ampleur de ces modifications, et, à certains égards essentiels, nous n’avons tout simplement pas accès à l’information utile. Nous sommes en faveur de ce point de vue plus exhaustif.

Je tiens à rappeler qu’il ne s’agit pas de dire que ce travail n’est pas nécessaire. Nous ne disons pas que le système est parfait comme il est. Ce que nous disons, c’est qu’il faut la participation des Canadiens pour écarter la politique de ce genre de choses et pour envisager les choses globalement et de façon à susciter la confiance et non pas le genre de sentiment d’irritation et d’exaspération qui s’exprime manifestement depuis plusieurs mois.

Le sénateur Neufeld : Le gouvernement dit que des professionnels se constituent en personne morale pour placer de l’argent dans des investissements passifs afin d’avoir un meilleur revenu à leur retraite. Ils l’ont fait conformément aux règles en vigueur. Ils l’ont fait honnêtement. Et pourtant, quand les gens parlent, quand on regarde la télévision ou quand on écoute certaines personnes expliquer qu’elles ont des fiducies de revenu, et c’est la même chose, on peut dire que ces gens font ce qu’ils peuvent pour protéger leur avenir et tirer parti des avantages fiscaux qui leur sont offerts. Le gouvernement défend ces mesures, mais il dit que ces propositions visent un petit segment de la population canadienne. Qu’en pensez-vous?

M. Friesen : Monsieur le sénateur Neufeld, c’est la raison pour laquelle je pense que tant de Canadiens ont réagi en disant que ces changements sont injustes. J’ai dit que c’était une mesure « spéciale », mais j’aurais aussi bien pu dire « ciblée ». Elle vise un certain secteur de notre économie.

Vous avez soulevé la question des fiducies, mais les Canadiens peuvent tirer des revenus d’autres sources. Les Canadiens fortunés peuvent structurer leurs finances par d’autres moyens. Les règles sont complexes, et les gens ont absolument le droit d’organiser leurs affaires comme ils l’entendent pour maximiser leurs économies fiscales. C’est un principe fondamental auquel nous adhérons.

C’est ce qui ouvre la réflexion souhaitée. Voici une occasion anticipée s’agissant d’une réforme fiscale qui ne fonctionne pas. M. Dale Gislason, un spécialiste de la fiscalité, ici dans la province, a dit que ces propositions tentent de mesurer l’imposition des extrants à partir des intrants, c’est-à-dire de mesurer les niveaux d’imposition à partir des efforts ou des heures investis dans l’entreprise. Mais cela ne fonctionne pas ainsi dans le monde des entreprises. On peut avoir une idée fantastique, du jour au lendemain, sur la façon de créer de la richesse et des gains dans une entreprise pour les vingt prochaines années. Vous pouvez aussi bien vous débattre, seul, à travailler 60 heures par semaine, sans aucun résultat. Je ne crois pas que les fonctionnaires de l’impôt mesurent d’emblée le degré de complexité de tout cela, d’autant qu’ils sont coupés de la réflexion générale.

Je n’aborderai pas les autres secteurs restés inexplorés, mais nous comprenons clairement qu’il suffit de se reporter à la commission Carter pour se rendre compte que des enjeux beaucoup plus vastes n’ont pas été réglés de cette façon.

Le sénateur Neufeld : Le gouvernement parle de favoriser l’innovation au Canada, de créer des emplois grâce à l’innovation et de toutes sortes d’idées intéressantes. C’est ce qu’il faut faire. D’après vous quelles sont les répercussions de ces changements sur les gens qui prennent des risques et hypothèquent leur maison, mettent en jeu toutes leurs économies, celles de leurs amis, celles de leur famille, pour investir dans une idée novatrice? Et on leur refile ça tout d’un coup. D’après vous, qu’arrive-t-il aux gens qui rêvaient d’avoir une chance au Canada et sur qui, au beau milieu de l’été, on largue ce genre de modification fiscale?

M. Friesen : Eh bien, monsieur le sénateur Neufeld, nous modifions les règles en cours de route, et, bien entendu, cela provoque de l’anxiété chez ceux qui pensaient bien les comprendre. Cela nous préoccupe. Il est clair que cela renvoie à la différence de situation. Une petite entreprise, c’est différent. C’est ce que nous devons comprendre. Tout comme la personne dont j’ai parlé, qui est propriétaire d’un magasin Canadian Tire, les petites entreprises, année après année, reversent leurs bénéfices dans l’entreprise. Cela permet de créer des emplois, et cela rapporte aussi des impôts. Jeune étudiant luttant pour me payer des études universitaires, j’ai été embauché quatre mois, un été, par une petite entreprise qui m’a donné ma chance. J’ai réussi à économiser de l’argent et à payer directement mes frais de scolarité. Je suis inquiet, sur le fond, de la détermination des entreprises à continuer d’offrir ce genre d’emploi à mes enfants, qui sont maintenant des étudiants universitaires. Il y a une différence entre le revenu annuel et l’avoir net. Il faut en tenir compte dans toute cette réflexion.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie.

Le sénateur Mockler : Honorables sénateurs, on m’informe que le ministre n’a plus que cinq minutes avec nous. Monsieur le ministre, vous avez été très généreux de votre temps, et nous vous remercions de votre exposé au nom du Manitoba.

La sénatrice Andreychuk : Merci, monsieur le ministre. Vous nous avez beaucoup éclairés et vous nous avez fait prendre conscience très concrètement de l’importance de l’aspect pratique des choses. Vous et d’autres nous avez parlé des conséquences indésirables de cette mesure. Les fonctionnaires de l’impôt ne semblent avoir songé qu’aux dollars, aux tableaux et aux courbes graphiques, dans leur recherche de sources de revenus. Et certaines de leurs conclusions font du tort aux petites entreprises.

Nous avons vu pourquoi les médecins se constituent en personne morale. Je pourrais probablement vous expliquer pourquoi les exploitants agricoles l’ont fait vers 2006. Beaucoup de gens nous ont également expliqué qu’on ne se constitue pas en personne morale uniquement pour en tirer des avantages fiscaux : on y est contraint si on a une franchise. Beaucoup d’immigrants récents qui ne peuvent pas obtenir de prêts doivent se constituer en personne morale pour avoir des revenus.

Je suis inquiète que les conséquences indésirables affectent tout le tissu social du Canada, aussi bien le système de santé, que les jeunes entrepreneurs, notre système d’éducation ou notre système d’immigration. Comment régler cela? Est-ce qu’il faut une commission Carter ou est-ce qu’il vaut mieux informer le gouvernement que les conséquences indésirables sont non seulement celles dont on nous parle à la tonne, mais aussi celles auxquelles on n’a pas encore pensé parce que les gens du Revenu n’ont pas parlé à leurs homologues du ministère de la Santé, et cetera?

Il y a aussi la question de savoir comment mesurer ce que les gens ne feront pas. Je pense que c’est un risque pour le Canada. J’aimerais avoir votre avis à ce sujet.

Enfin, est-ce qu’on vous a consulté en juillet? Ils sont toujours en train de changer la donne en matière d’impôt. Est-ce que vous étiez au courant de leurs intentions ou avez-vous été pris de cours comme les entreprises nous ont dit l’avoir été?

M. Friesen : Merci de cette remarque, madame la sénatrice Andreychuk. Je sais que nous n’avons pas beaucoup de temps. Je vais donc vous expliquer rapidement que, la première fois que j’ai entendu le ministre Morneau parler de « répartition du revenu », c’était probablement à la réunion de juin de l’année dernière, en 2016. Je venais à peine d’entrer en fonction. Mais, à l’époque, le ministre a clairement expliqué qu’il s’agissait de viser les Canadiens les plus riches, ceux qui sont susceptibles de contourner les règles et d’utiliser certaines règles de façon impropre. Nous tous ici nous intéressions à ce que nous pensions être un groupe relativement restreint de privilégiés. Ce n’est manifestement pas le cas. Vous avez entendu des témoignages qui confirment clairement que cela touche au cœur même de la classe moyenne. Ce n’est pas ce qu’on nous avait dit. Je ne dis pas qu’on n’en a pas discuté auparavant, mais c’était au moment où je venais d’arriver.

Vous avez fait remarquer le décalage actuel. J’ai décrit quelques-unes des conséquences indésirables que nous avons repérées ici dans notre économie, mais vous demandez comment mesurer ce dont il n’a pas été tenu compte. C’est le pays que nous sommes. Il y a des décisions fondamentales sur la façon dont nous comprenons notre droit d’acquérir et de posséder des biens, de faire des investissements, de planifier correctement notre retraite et notre succession. Dans ma province, où la valeur des terres agricoles a grimpé à un rythme effarant, la constitution en personne morale est une procédure importante. C’est un instrument important, et la succession l’est aussi. En effet, cette décision a pris tout le monde de court.

Je ne dirai pas que j’ai une solution à offrir aujourd’hui, mais je voudrais dire ceci : prenons du recul, adressons-nous à des niveaux supérieurs, faisons les choses comme il faut, prenons suffisamment de temps et faisons appel à des spécialistes tout en consultant les Canadiens.

Le sénateur Mockler : Honorables sénateurs, je sais que le ministre doit se rendre à l’assemblée législative. Monsieur le ministre, vous avez 30 secondes pour conclure. Je vous en prie.

M. Friesen : Merci à tous d’être ici. C’est un bonheur de vous avoir dans notre province et d’entendre ce qui, je suppose, sont des thèmes récurrents. Je suis heureux du travail qui est fait ici. Il me semble essentiel pour comprendre qu’il est important de régler cette question. Il est important de connaître l’avis des Canadiens. Quand il est question d’équité fiscale, il est important de comprendre qu’il faut être juste et prendre des précautions. Mais nous invitons instamment les Canadiens à nous dire comment on peut faire cela ensemble. En comprenant les décisions prises à l’égard de ces choix et d’autres, nous trouverons notre route. Nous pourrons ainsi comprendre qui nous sommes aujourd’hui et qui nous serons, dans nos familles, dans 30 ou 30 ans, tout comme la commission Carter nous a aidés auparavant.

Nous pensons qu’il est temps de faire une longue pause et de reprendre la conversation avec les Canadiens au sujet de ces changements.

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Honorables sénateurs, le prochain groupe de témoins comprend Mark Jones, membre du conseil d’administration de la Chambre de commerce de Winnipeg, et Chuck Davidson, président-directeur général de Manitoba Chambers of Commerce.

À vous deux, merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation à partager votre point de vue, vos remarques et vos recommandations avec le Comité sénatorial permanent des finances nationales.

On m’a dit que M. Jones serait le premier à parler, puis que M. Davidson suivrait. Le temps de parole est de cinq minutes. Je dois dire que nous avons été très généreux avec le ministre, mais il parlait du Manitoba, et je sais que vous allez en parler également. Donc, à vous la parole, monsieur Jones.

Mark Jones, membre du conseil d’administration, Chambre de commerce de Winnipeg : Bonjour et merci beaucoup. Je vous souhaite la bienvenue à Winnipeg et vous remercie de nous donner la possibilité d’être ici ce matin. Je suis membre du conseil d’administration de la Chambre de commerce de Winnipeg, mais aussi associé au cabinet de comptables agréés Olafson & Jones.

Un mot, pour commencer, sur la Chambre de commerce de Winnipeg. Fondée en 1873, elle est plus ancienne que la municipalité de Winnipeg elle-même et c’est l’une des plus anciennes chambres de commerce du Canada. Elle compte plus de 2 100 membres représentant 90 000 employés et elle est vraiment le porte-parole des entreprises de Winnipeg.

Je suis heureux d’être ici aujourd’hui pour vous parler d’une question qui a chamboulé la Chambre de commerce et les entreprises cet été. Je parle des changements proposés par le ministère des Finances au système fiscal applicable aux entreprises privées.

Lorsqu’on parle d’entreprises privées, on parle en fait de petites entreprises. Elles sont plus de 1,1 million au Canada, dont 95 p. 100 ont moins de 50 employés et près de 75 p. 100 ont moins de 10 employés. Ces propriétaires de magasins locaux sont nos voisins, nos amis, les bâtisseurs de notre collectivité et des créateurs d’emplois.

Entre 2005 et 2015, le secteur privé a créé plus de 1,2 million d’emplois au Canada, dont 1 million, soit environ 90 p. 100, ont été créés par les petites entreprises. Comme on l’a entendu à ce comité et comme ses membres l’ont dit de nombreuses fois, les petites entreprises constituent la véritable échine dorsale de l’économie.

Les changements à l’étude sont vastes et d’une portée considérable, par conséquent, ils entraînent des effets imprévus.

La Chambre de commerce de Winnipeg était ravie de constater que le gouvernement a apporté des changements à sa proposition initiale en octobre. Il n’y a aucun doute que ceux-ci constituent des améliorations, cependant, nous sommes inquiets de l’absence persistante de détails dans les annonces faites et du fait qu’on n’ait pas encore abordé certains des risques les plus importants.

Toutes les entreprises accumulent un excédent qui peut être utilisé pour saisir des occasions de croissance ou d’expansion, ou encore pour résister aux fléchissements de l’économie.

Pendant la crise financière de 2008, par exemple, il y a eu 30 000 fermetures d’entreprise de plus que de lancements au Canada. Environ 30 p. 100 de toutes les entreprises lancées ne font pas 2 ans et près de 40 p. 100 ne se rendent pas à 3 ans. Il est déjà très difficile de démarrer une entreprise et de maintenir ses activités de façon rentable. Si on l’empêche d’accumuler une réserve financière, son risque d’échec s’en trouvera accru lors des prochains ralentissements économiques.

Si le gouvernement frappe les revenus d’investissement d’un impôt de 73 p. 100, les propriétaires d’entreprise perdront la motivation de conserver des biens excédentaires dans l’entreprise. Nombre d’entre eux seront forcés de prendre de mauvaises décisions d’affaires dans le seul but d’éviter de perdre les trois quarts de ces biens excédentaires.

Le ministre a annoncé un seuil de revenu passif de 50 000 $, seuil sous lequel ces revenus passifs ne seraient pas imposés à des taux plus importants. Il s’agit là d’une amélioration par rapport à l’annonce initiale. Cependant, ce seuil plus bas ne permet pas d’économiser en vue d’importants investissements en capital. Cet impôt punitif ferait en sorte que les entreprises investissent moins, plafonnent leurs économies et possèdent des actifs moins productifs. Ceci signifie qu’il leur faudra plus de temps pour économiser à des fins d’expansion ou de croissance. Au bout du compte, ceci aura un effet sur la création d’emplois.

De plus, la complexité de tout cela serait prodigieuse. Le gouvernement dit que les investissements existants seraient protégés, alors il faut supposer qu’il y aurait une date d’évaluation à laquelle il faudrait rendre compte des investissements existants, de même que des exigences permanentes en matière de rapport, afin de distinguer les investissements faits après la date de l’évaluation et les revenus connexes.

L’un des principes du gouvernement dans ce processus est d’éviter de créer des formalités administratives inutiles pour les vaillantes petites entreprises. De toute évidence, ce changement va à l’encontre de ce principe et fera en sorte d’augmenter la charge administrative des petites entreprises. Les changements proposés et l’incertitude qui les entoure suscitent d’importantes préoccupations dans le milieu des affaires.

Au sujet de la répartition du revenu, le gouvernement a expliqué que l’on jugerait du caractère raisonnable des demandes des membres de la famille à l’aune de plusieurs critères, dont sa contribution par le travail, son apport de capital, le risque financier qu’il a encouru ou ses contributions antérieures dans l’un des trois domaines mentionnés ci-dessus.

Une fois de plus, une grande incertitude demeure quant à l’évaluation de ce caractère raisonnable et quant à l’absence de directives à ce sujet de la part de l’Agence du revenu du Canada. Ceci équivaut à conduire sa voiture sur l’autoroute sans connaître la limite de vitesse jusqu’à ce qu’un agent vous interpelle. À titre d’exemple, si l’un des époux a un revenu de 50 000 $, mais que l’ARC évalue son travail à 30 000 $, comment une personne peut-elle prouver la valeur de cette contribution? Il est certain que le fait d’avoir à justifier la valeur du travail de l’époux alourdira le fardeau administratif des petites entreprises.

Des changements à la répartition du revenu doivent entrer en vigueur le 1er janvier 2018, donc dans quelques semaines à peine. Les entreprises ont besoin qu’on leur donne les règles du jeu, puis qu’on leur donne un délai de planification afin qu’elles puissent s’adapter au nouveau cadre réglementaire, et non qu’on les propulse dans l’inconnu et qu’on leur demande de croire aux contes de fées.

Il y a également une question d’équité : pourquoi les propriétaires d’entreprise ne pourraient-ils pas fractionner leur revenu? Pour la vaste majorité des petites entreprises, ce sont les économies de la famille qui ont servi d’investissement initial. Ces économies auraient pu être investies dans un REER, qui aurait bénéficié d’un report d’impôts sur la totalité et qui serait, lors de son retrait au moment de la retraite, admissible au fractionnement 50-50 avec un époux après l’âge de 65 ans, sans avoir à passer l’épreuve du caractère raisonnable. Si l’intention est de faire en sorte que les conditions soient équitables pour tous, pourquoi ne pas permettre aux propriétaires d’entreprise de bénéficier d’un traitement similaire à celui auquel ont droit les détenteurs d’un REER?

De nombreux concurrents du Canada envisagent de réduire leurs impôts. La France vient d’amorcer une réforme fiscale majeure, tandis qu’aux États-Unis, les républicains du Congrès sont bien décidés à aller de l’avant avec la plus importante réforme fiscale des 30 dernières années. Ils envisagent d’appuyer les créateurs d’emploi, tandis que notre gouvernement fédéral fait le contraire. Les changements proposés ont envoyé un message consternant au milieu des affaires et la façon dont ils ont été annoncés a instauré un climat de conflit dans la conduite des affaires. On a annoncé ces changements le 18 juillet et depuis lors, nous avons assisté une croissance nulle du PIB en juillet et une contraction de 0,1 p. 100 en août. Bien que les facteurs qui influencent le PIB soient nombreux, l’ensemble des données actuelles démontre que le seul spectre de ces changements n’a pas aidé notre économie.

Le régime fiscal du Canada devrait favoriser les investissements dans des actifs productifs et dans la croissance des entreprises. Au lieu de pénaliser l’épargne passive, le Canada devrait offrir des incitatifs à la croissance des entreprises.

Nos membres s’inquiètent de leur capacité à faire croître leur entreprise si ces changements venaient à être adoptés. C’est pourquoi la Chambre de commerce de Winnipeg recommande que le gouvernement fasse ce qui suit : premièrement, qu’il retire ces propositions; deuxièmement, qu’il lance une période de consultation plus importante. Plus de 21 000 mémoires ont été reçus pendant la trop courte période de consultation initiale de 75 jours. Les Canadiens en ont long à dire sur le sujet, de toute évidence, et il faut plus de temps. La réflexion approfondie et l’étude exhaustive qu’offre le Sénat sont exactement ce qu’il faut. Troisièmement, il faut des simulations économiques actuelles, claires et transparentes aptes à illustrer les différentes répercussions de ces changements. Finalement, et le plus important, il faut établir une commission qui entreprenne l’examen exhaustif de notre régime fiscal afin de garantir qu’il soit plus juste, plus simple et plus concurrentiel. La Chambre de commerce de Winnipeg serait ravie de contribuer à un tel examen.

S’il y avait un examen indépendant, le Canada pourrait concevoir un régime fiscal pour les entreprises qui soit compétitif à l’échelle internationale, qui rétribue l’entrepreneuriat, attire les capitaux et encourage les entreprises à investir et prospérer. J’aimerais vous remercier d’avoir donné à la Chambre de commerce de Winnipeg l’occasion de venir s’exprimer ce matin et je serais ravi de répondre aux questions.

Le sénateur Mockler : Merci.

Monsieur Davidson?

Chuck Davidson, président-directeur général, Manitoba Chambers of Commerce : Merci beaucoup. Je voudrais saluer le comité, qui a pris l’initiative de venir parler aux propriétaires d’entreprise de tout le Canada. Je crois que cela est bien reçu, qu’il était grand temps de le faire et que c’est particulièrement opportun, étant donné le sujet. Nous croyons que c’est un processus tout à fait bénéfique.

Manitoba Chambers of Commerce a été fondée en 1931 — elle est donc plus jeune que la Chambre de commerce de Winnipeg — et elle est l’organisation qui chapeaute le mouvement des chambres de commerce du Manitoba. Elle compte parmi ses membres les 71 chambres de commerce locales de la province, de même que des entreprises membres sans intermédiaire. Notre organisation est le groupe de lobby d’affaires le plus vaste et le plus diversifié au Manitoba. Elle représente plus de 10 000 entreprises et dirigeants locaux.

Cette année, à la mi-juillet, Finances Canada a lancé une consultation pour recueillir des propositions afin de contrer les stratégies fiscales d’entreprises utilisées dans le but d’obtenir des avantages fiscaux injustes.

Premièrement, il est regrettable que le gouvernement fédéral ait choisi de situer l’enjeu en termes d’« équité » et d’« échappatoires ». Les stratégies fiscales en place datent des années 1960 et ont été raffinées et éprouvées sur plusieurs décennies. Il est préoccupant que le gouvernement fédéral tienne un discours qui divise le pays en déclarant que les propriétaires de petites entreprises ne contribuent pas au bien-être du pays. Ceci suppose qu’ils ont failli, s’ils utilisent des stratégies de planification fiscale établies depuis longtemps qui favorisent la croissance, la viabilité, l’innovation et l’entrepreneuriat et rétribuent les propriétaires de petite entreprise en fonction du risque plus élevé qu’ils encourent pour leur entreprise, comparé au risque encouru par un employé.

Depuis l’annonce des mesures proposées, Manitoba Chambers of Commerce a eu l’occasion d’avoir une série de conversations avec des propriétaires d’entreprise et des experts en fiscalité afin de mieux comprendre les répercussions potentielles de ces changements. Il apparaît, à la suite de ces discussions, que les changements proposés au régime fiscal des entreprises sèment de plus en plus d’inquiétude et exigent un effort immédiat et concerté pour informer les entreprises des changements en question et faire en sorte que le gouvernement entende leur point de vue.

Nous croyons, à la suite de ces discussions avec des propriétaires d’entreprise et avec des experts en fiscalité, que ces changements auront des effets importants en augmentant les impôts et en augmentant la charge administrative de milliers d’entreprises dans tout le Canada.

Je vais parler pendant un moment de discussions que j’ai eues avec certains membres de Manitoba Chambers of Commerce et de quelques-unes des inquiétudes qu’ils ont soulevées. Je ne prétends aucunement être un expert en fiscalité. Je serai direct : comprendre les changements qui sont imposés aux entreprises ne relevait pas de notre domaine d’expertise, mais nous avons réuni des experts autour d’une table pour mieux concevoir la direction que nous devions prendre avec plus d’information en main.

Un membre manitobain de Manitoba Chambers of Commerce a dit que, selon son estimation, il passait une à deux heures par jour à expliquer à des clients les changements potentiels auxquels ils pouvaient s’attendre. Dans chacun des cas, il a dû clarifier qu’il s’agissait là de l’information basée sur les annonces faites jusqu’au jour précédent et que cela pouvait changer d’une journée à l’autre. L’incertitude constitue l’obstacle le plus important pour les entreprises manitobaines actuellement.

Les points soulevés par les experts en fiscalité incluent les suivants : nous ne voyons aucun besoin pressant de réglementer le revenu passif et nous recommandons que ces règles soient retirées complètement ou, du moins, mises de côté jusqu’à ce qu’une étude d’impact exhaustive soit faite.

Il est fort probable qu’il y ait des conséquences inattendues, et il ne sert à rien de se presser. Si on insiste pour aller de l’avant, on devrait augmenter le seuil et il ne devrait pas être le même pour tous. Différentes sociétés et différentes industries ont des besoins variables en fait de capitaux et si la logique derrière la limite de revenus hors exploitation de 50 000 $ est d’imiter les revenus d’épargne dans un régime de retraite, alors ne devrait-on peut-être pas imposer la même limite à une SPCC à un actionnaire qu’à une SPCC à 10 actionnaires.

Également, au sujet des règles sur le revenu hors exploitation, si le gouvernement dit qu’un million de dollars peuvent être épargnés dans la société à différentes fins, incluant la retraite, alors on devrait pouvoir fractionner ce revenu avec un conjoint lors de son retrait. Ce n’est que simple justice, puisque les employés qui disposent d’un régime de retraite peuvent fractionner leur revenu de retraite avec leur conjoint.

En ce qui a trait à l’impôt sur le revenu fractionné, nous avons des inquiétudes quant à l’évaluation du caractère raisonnable. Le ministre dit que ce test est utilisé dans d’autres domaines de la loi et que cela ne posera pas problème. Cette personne n’est pas d’accord. Ce test n’est pas effectivement utilisé dans ce genre de situation familiale. Nous voyons qu’il y a un test pour les salaires, mais il n’est pas souvent pertinent ou utilisé, car les sociétés paient plutôt des dividendes aux membres de la famille, souvent pour éviter les problèmes qui surgiraient si on devait prouver le caractère raisonnable des salaires.

On s’inquiétait également des règles sur l’impôt sur les revenus fractionnés qui auraient des répercussions sur les structures existantes, par exemple, les actions privilégiées détenues par les parents, qui ont été gelées et qui sont maintenant rachetées.

Dans l’ensemble, selon les discussions que nous avons eues, il semble que trois questions préoccupent une majorité des comptables-fiscalistes pour l’avenir : l’une, le travail supplémentaire exigé des clients et des comptables afin de se conformer aux règles proposées dans leur application générale, particulièrement en ce qui a trait aux investissements passifs; la deuxième, les problèmes potentiels de responsabilité et leur coût pour les comptables; troisièmement, la question des impôts sur des revenus fractionnés.

Un autre expert en fiscalité avec qui je me suis entretenu a mentionné qu’il avait parlé à ses clients, qui s’inquiétaient de la façon dont ils allaient se préparer pour le 31 décembre 2017 et pour les années subséquentes. On leur a donné des renseignements généraux, mais aucun détail particulier.

L’incertitude est tellement grande qu’il leur est impossible à l’heure actuelle de faire quelque planification fiscale ou de fournir des conseils professionnels à des clients. Ces nouveaux changements, ajoutés à tous les changements de 2016 pour les impôts de sociétés particuliers, lient les déductions des petites entreprises aux dividendes entre sociétés, font que bien des comptables s’inquiètent de donner des conseils erronés avec le risque de conséquences juridiques que cela suppose.

Il me semble clair que les changements que le gouvernement fédéral propose pour le régime fiscal ont suscité plus de questions qu’apporté des réponses, ont créé une grande incertitude et ont instauré des dissensions entre le gouvernement et le milieu des affaires qui ne sont pas nécessaires.

Lors de la dernière réunion annuelle de la Chambre de commerce du Canada à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, le réseau des chambres a débattu de ce problème pendant la journée et nous exhortons le gouvernement fédéral à prendre les mesures suivantes si son désir d’instaurer un régime fiscal équitable pour tous les Canadiens est authentique. Premièrement, prolonger la période de consultation afin de garantir une vaste participation des PME canadiennes. Le réseau des chambres de commerce a donné l’occasion au ministre Morneau de tenir des réunions dans tout le Canada et il serait heureux de faire partie de ce processus.

Deuxièmement, comme cela a été mentionné à maintes reprises, établir une commission royale afin d’entreprendre un examen exhaustif des lois fiscales, guidé par les principes de simplification et de modernisation, de même que par l’objectif de réduire les coûts nécessaires pour s’y conformer, afin que le Canada ait à nouveau un régime fiscal concurrentiel.

Troisièmement, établir un comité permanent avec une représentation active du milieu des PME pour appuyer la commission en surveillant les changements de façon continuelle et en faisant rapport publiquement sur les progrès sur une base annuelle.

En conclusion, il s’agit d’un problème dont m’ont parlé pratiquement toutes les 71 chambres de commerce de la province, et nombre de leurs membres sont inquiets de l’incidence qu’il aura sur l’économie d’entreprise. Si nous sommes tous d’accord qu’il ne serait pas souhaitable que des personnes fraudent le régime fiscal, il n’y a aucune raison de diffamer d’honnêtes propriétaires d’entreprise. Le gouvernement fédéral doit repenser les propositions fiscales. S’il le fait, il aura le soutien du milieu des affaires pour concevoir des mesures pour sévir contre l’évasion fiscale sans heurter au passage les entrepreneurs et décourager la création d’emploi.

Le processus devrait donner lieu à une discussion franche et ouverte sur la façon dont les Canadiens sont imposés et sur la façon de soutenir la croissance des entreprises. Pour atteindre cet objectif, il faut recueillir et communiquer aux fonctionnaires des finances des faits sur les conséquences directes de ces changements sur les propriétaires de petite entreprise, les entrepreneurs et ceux qui cherchent à amener leurs idées dans le monde, des idées qui enrichiront la vie des Canadiens. La meilleure façon pour le gouvernement de lancer un dialogue sur l’équité fiscale est de montrer qu’il agit lui-même équitablement.

Merci beaucoup de m’avoir entendu.

Le sénateur Mockler : Merci.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup de votre présence ici, aujourd’hui. Vous disiez qu’il n’y avait aucune proposition concrète, alors tout le monde prenait ce qu’il avait sous la main et essayait d’y lire ce que nous voulions. Alors je m’intéresse à ce que vos membres disent, car tout le monde est dans le flou. Que disent vos membres? Que font-ils à présent? Je ne m’intéresse pas à ce qu’ils feront à l’avenir. Nous allons recevoir des propositions concrètes, le ministre Morneau dit que cela est en train de se faire, alors il en ressortira quelque chose. Mais ce que nous entendons ou ce que nous avons entendu de la part de certains témoins est que certaines sociétés et certains contribuables qui en ressentiront les effets passent à l’action dès maintenant : ils empruntent de l’argent et font le plein d’investissements passifs dans le but de jouir d’un droit acquis.

Alors, ma première question est : que font-ils dès à présent pour se préparer à ce qui sera annoncé dans le budget de 2018? Je vous poserai la deuxième partie de la question au sujet de ce qu’ils planifient de faire après, mais que font-ils en ce moment? Est-ce qu’ils sont en réunion avec leur comptable, comme vous l’avez dit?

M. Jones : C’est une excellente question. On passe de la simple inaction à quelques tentatives incertaines en y allant à tâtons, à la panique pure et simple. Nos membres posent tous des questions et le problème est l’incertitude. Donnez-nous les règles. Laissez-nous planifier en fonction des règles, de sorte que nous nous y conformions, que nous sachions quoi faire. Il y a tellement de variables inconnues en ce moment et il y a tellement de temps gaspillé. Je suis également membre de Manitoba Chambers of Commerce et comme l’a mentionné Chuck, nous passons des heures au téléphone avec nos clients, qui nous demandent : « Comment allons-nous réagir à cela? » En vérité, nous ne le savons pas. Nous ne connaissons pas les changements qui nous attendent. Certains tentent de deviner et certains agissent en fonction de ce qu’ils pensent. C’est difficile de conseiller des gens à propos de règles quand on ne connaît tout simplement pas la réponse.

Cela a créé de l’incertitude au point qu’on a délaissé les activités de l’entreprise. La gestion de l’entreprise a pris le pas sur les activités nécessaires à la rentabilité de l’entreprise.

La sénatrice Marshall : Monsieur Davidson?

M. Davidson : On entend parler de jeunes entrepreneurs qui envisagent de lancer une entreprise. Quand ils consultent des fiscalistes et entendent parler des changements imminents, ils ont tendance à y repenser en se demandant : « Est-ce vraiment une bonne idée de m’engager dans ce processus, en sachant que les premières années de démarrage de l’entreprise seront excessivement difficiles? Est-ce que cela ne serait pas plus sensé de travailler pour quelqu’un d’autre et de gagner un salaire stable? » C’est une inquiétude importante que j’entends, nous sommes en train de perdre l’esprit d’entreprise, il est très affecté par tout cela.

Ensuite, j’entends parler aussi de propriétaires d’entreprise qui sont déjà bien établis et qui décident de l’orientation à long terme de leur entreprise en fonction de ce qu’ils entendent et des changements annoncés. Comment peuvent-ils léguer l’entreprise familiale à leurs enfants? Un propriétaire d’entreprise, en affaire depuis 30 ans, m’a confié qu’il arrive enfin au point où son entreprise est à peu près rentable pour eux. Ils craignent maintenant d’être pénalisés pour les années qu’ils ont investies dans la construction de leur entreprise. Voici qu’ils vont maintenant subir un grave préjudice, et doivent donc décider combien ils veulent continuer d’investir dans l’entreprise.

C’est là la grande préoccupation — l’incertitude. S’il y a une chose que l’entreprise déteste, c’est bien l’incertitude. Donnez-leur les règles, elles sauront bien s’y conformer, comme elles l’ont toujours fait. Mais si vous créez de l’incertitude, elles commenceront à décider de ne pas investir dans le capital, de ne pas investir dans les personnes, de ne pas embaucher de personnel, et de cesser d’investir. Autre chose qu’on oublie également, c’est l’argent qu’elles injectent dans les collectivités, par leurs investissements, leurs commandites et leurs équipes de hockey; lorsque vous leur prenez cet argent dans leurs poches, où va-t-il comme par le passé? Telles sont les décisions qu’elles ont à prendre aujourd’hui.

Nous avons besoin d’un second examen objectif. Nous avons grand besoin de voir avec les propriétaires d’entreprise ce que pourraient être les conséquences.

La sénatrice Marshall : Quelles sont les grandes décisions, par exemple, qu’ils envisagent?

Quelque chose s’annonce pour le budget de 2018. Que pensent-ils faire après le dépôt du budget et l’entrée en vigueur de certains changements? À quoi songent-ils? On nous parle de fuites des capitaux et du déménagement de certaines parties de l’entreprise aux États-Unis. Qu’est-ce que vous disent vos membres au juste?

M. Davidson : Nous entendons parler de ces choses-là. Le problème à l’heure actuelle est que cette politique semble changer tous les jours. Les fiscalistes nous le disent aussi, lorsqu’ils donnent des conseils — que nous ne sommes pas absolument certains, et qu’il est difficile de prévoir où cela est censé aller.

La plupart des petites entreprises ne perdent pas beaucoup de temps à s’inquiéter des changements fiscaux qu’apporte le gouvernement fédéral. Mais je peux vous dire que, sur cette question précise dans le réseau des chambres de commerce, nous n’avons jamais vu d’entreprises s’inquiéter davantage d’un problème. Typiquement, un ou deux propriétaires d’entreprise soulèvent des craintes sur un point précis. Sur ce point, des milliers de propriétaires se sont donné la peine de faire part de leurs inquiétudes à Ottawa au sujet des conséquences que cela pourrait avoir sur leurs affaires. Je m’inquiète également de ce qui va se passer si la politique actuelle ne change pas et est appliquée telle quelle. Je suis très inquiet des répercussions que cela pourrait avoir sur les entreprises manitobaines, et canadiennes, d’après ce que nous disent nos membres. J’ai travaillé 15 ans dans le réseau des chambres et je n’ai jamais vu le réseau s’énerver autant à propos d’une question.

La sénatrice Marshall : Monsieur Jones, vos membres vous font-ils des commentaires semblables? Je sais que certains membres appartiennent aux deux organismes. J’aimerais connaître vos vues sur ce que vous entendez.

M. Jones : D’accord, aucun n’a suscité autant de commentaires ou d’inquiétude que celui-ci. Nos membres sont très préoccupés par l’inconnu et par ce qui arrivera. Pour vous répondre, nous savons que quelque chose s’annonce, mais nous ne savons pas quoi. Il y a tellement d’incertitude que cela a provoqué de l’angoisse et une pause dans ce que l’entreprise va faire. Il est impossible de faire quoi que ce soit à cause de l’inconnu. La propriété d’une petite entreprise comporte son lot d’incertitude et de risques, ce qui ne fait qu’empirer le climat. C’est très difficile.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.

Le sénateur Pratte : Merci de votre présence aujourd’hui. Je comprends votre souhait de voir ces propositions reportées, mais le ministre nous dit qu’il ira de l’avant avec ce qui reste des propositions initiales parce que le gouvernement pense que l’objectif est légitime. Je cherche donc un moyen d’apaiser certaines craintes, d’améliorer les propositions afin d’atténuer certaines des craintes.

Vous avez mentionné que l’une de vos craintes est que les petites entreprises n’auront pas le temps de s’adapter lorsque seront connus les détails des propositions. Par exemple, pour la répartition du revenu, le gouvernement a annoncé que les nouvelles règles entreront en vigueur le 1er janvier 2018, dans cinq ou six semaines. Une autre date, comme le 1er janvier 2019, par exemple, serait-elle préférable? Serait-ce une possibilité? Si oui, comment réagiriez-vous?

Quant au seuil de revenu passif, qui est maintenant fixé à 50 000 $, je crois, monsieur Davidson, que vous avez cité un expert selon qui un des problèmes est que l’approche universelle est contre-indiquée.

Y aurait-il, ou avez-vous entendu quelqu’un proposer, une autre approche, un autre seuil, un seuil plus élevé, ou une autre façon de mesurer le revenu passif; par exemple, en pourcentage du revenu total?

M. Jones : Pour ce qui est de la date, non. Je reviens à ce que j’ai dit tantôt : la petite entreprise doit avoir les règles pour les comprendre et avoir le temps de faire sa planification. Je sais que quelque chose s’annonce, mais je dois réitérer la nécessité de prendre un peu de recul et d’examiner la question à fond. L’incertitude qui naît de tout cela ne fait que souligner la nécessité d’une commission d’enquête sur la réforme fiscale. Nous devons nous demander si nous voulons agir vite, ou si nous voulons agir bien. Donc, le choix arbitraire d’une autre date inquiète moins que le processus, que l’annonce des règles, que le préavis que l’on aura pour s’y adapter.

Si vous me le permettez, j’aimerais aussi parler du revenu d’investissement passif. Le problème que pose l’approche universelle de ces investissements passifs est qu’elle oblige 100 p. 100 des petites entreprises à les déclarer. On a dit et répété que seulement 3 p. 100 des petites entreprises seront touchées par cette règle; c’est peut-être bien vrai, mais je ne peux le confirmer ni le nier. Mais 100 p. 100 des petites entreprises auront une nouvelle date d’évaluation et seront tenues de commencer à faire une déclaration. En outre, ces 50 000 $ seront-ils indexés? Qu’arrivera-t-il dans 10 ans lorsque ce million de dollars aura augmenté? Est-ce que ce sera 75 000 $ qui sera permis, ou pas? Si vous connaissez une bonne année — disons que vous avez acheté des actions de Facebook et que vous avez connu une année faste lorsque vous les avez revendues, puis que vous reveniez à une stratégie d’investissement plus conservatrice. Toutes ces choses-là sont incertaines et inconnues. C’est vraiment ce qui fait naître beaucoup d’incertitude et qui souligne encore une fois la nécessité de prendre un peu de recul pour bien faire les choses.

M. Davidson : Mes commentaires sur la date également… J’ai toujours appuyé l’idée que, lorsque le gouvernement établit sa politique et que tout le monde connaît toutes les règles et qu’il n’y a plus d’incertitude quant aux répercussions possibles, il devrait y avoir un délai d’au moins six mois avant la mise en place de la nouvelle politique, pour donner le temps aux entreprises de se préparer. Nous voudrions qu’il en soit ainsi pour différents enjeux, afin de pouvoir nous adapter. Si le changement doit arriver dans six semaines, cela va-t-il donner un temps des Fêtes très occupé aux propriétaires de petite entreprise, et aux comptables du Canada? Absolument, oui. Lorsqu’on apporte des changements fiscaux comme ceux-là, qui, selon certains, ne se sont pas vus en près de 30 ou 40 ans, l’échéancier doit céder le pas à la nécessité de bien faire les choses.

Je vais me faire l’écho des commentaires de Mark sur les niveaux. Je n’ai pas de chiffre, et je n’ai pas entendu ce que devrait être le niveau de revenu passif. D’après ce que j’entends, la solution universelle ne convient pas nécessairement dans la perspective de l’entreprise.

Le sénateur Pratte : Si vous me permettez de reprendre la conversation, monsieur Jones, la difficulté que nous avons est que de nombreux témoins ont proposé que le gouvernement prenne du recul et mette sur pied une commission royale d’enquête quelconque, un exercice à long terme pour faire une étude approfondie de la Loi de l’impôt sur le revenu. Personnellement, je conviens que c’est nécessaire. Mais si nous recommandons au gouvernement de préférer cette approche aux propositions actuelles, je pense qu’il y a de très fortes chances qu’il refuse. Il pourrait bien accepter, mais pas comme solution de remplacement des propositions. Il ne reculera pas sur au moins une partie de ce qu’il veut faire, parce qu’il croit que c’est légitime. Son objectif est légitime. C’est pourquoi je cherche un moyen d’améliorer les propositions actuelles, en proposant une commission royale d’enquête ou un examen rigoureux de la Loi de l’impôt sur le revenu.

M. Jones : Je ne dis pas qu’il faille abandonner complètement la proposition d’imposer différemment l’investissement passif; peut-être faudrait-il repousser la date et que cela devrait faire partie intégrante de l’analyse.

Il ne fait aucun doute qu’un changement s’impose. Ni l’un ni l’autre d’entre nous ne prétend qu’il n’est pas nécessaire de changer quoi que ce soit, mais c’est la façon de procéder. Vous pourriez revenir en arrière et dire : « Ce n’est manifestement pas une bonne idée. Votre point de vue se défend, mais ce n’est sûrement pas une bonne idée. La partie immédiate de cet examen doit tenir compte du revenu passif, mais il faut le faire de la bonne façon. »

Il m’est difficile de dire que cela devrait arriver tel quel en 2019 ou 2020. Le projet comporte toujours des déficiences fondamentales. Il n’est pas sans mérite, mais la méthodologie proposée est fondamentalement déficiente.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le sénateur Neufeld : Merci beaucoup, messieurs, de votre présence. Je voulais vous dire ce que nous ne cessons d’entendre dans tout le pays depuis que nous avons commencé à Vancouver. Avant cela, nous avons tenu quelques audiences à Ottawa pour faciliter la participation de témoins de l’Ontario et du Québec. Nous irons dans l’Est canadien, mais nous entendons essentiellement les mêmes idées, en d’autres mots.

La sénatrice Jaffer, qui n’est pas ici, pose toujours la même question au sujet de la lutte des classes, et qui oppose différents organismes et groupes les uns aux autres : certains disent : « Hé, il est temps que cela arrive », et d’autres : « Non, nous avons respecté les règles, et nous avons fait tout ce que la loi fiscale nous permet de faire. » Mais on nous dit qu’ils exploitaient les échappatoires et qu’ils étaient probablement des fraudeurs.

Pensez-vous que le gouvernement fédéral a lancé une sorte de lutte des classes, qu’il devra examiner également lorsque viendra le temps de voir ce qu’il a fait de ces propositions?

M. Jones : Je suis persuadé que le ton de ces annonces et la façon de les faire ont créé un environnement difficile. Je viens d’entendre ce matin que les propriétaires de petite entreprise qui se sont conformés aux règles se font maintenant dire qu’ils ont fraudé l’impôt, comme s’ils étaient dans les Panama Papers. Encore une fois, je pense que cela fait ressortir la nécessité de cette commission pour écarter la lutte des classes. Il ne s’agit pas d’imposer les riches ou d’imposer les contribuables de telle ou telle catégorie. Il faut une répartition équitable du fardeau fiscal pour favoriser la croissance, favoriser l’entrepreneuriat, récompenser l’investissement, reconnaître le risque de manière que tout ne soit pas identique, et soutenir l’économie canadienne. C’est là le danger; la façon dont les choses se passent aujourd’hui n’a pas donné le bon ton à l’entreprise canadienne face au gouvernement, si vous voulez.

M. Davidson : J’abonde dans le même sens. Je suis un expert en politiques publiques, et je pense que le processus que nous avons suivi pour l’élaboration de cette politique publique n’est pas celui que nous devrions appliquer, surtout pour quelque chose d’aussi important que ceci. Typiquement, dans un processus de politique publique, on dépose un livre blanc, on tient des consultations et on discute avec les propriétaires d’entreprise avant de préparer les documents. Cela n’a pas été fait. La proposition est arrivée en plein été, en même temps que l’annonce d’une date ferme pour la fin des consultations. Tout le monde n’a pas été invité à participer au processus, non plus.

Je n’ai aucun doute que le gouvernement voulait prendre cette direction. Et il n’a pas tenu compte du retour de fouet qu’il allait provoquer de la part du monde des affaires à ce sujet, surtout parce que le monde des affaires estimait que cela créait une division inutile.

Le gouvernement et les entreprises veulent un Canada prospère propice à la croissance des entreprises et à la création de la richesse pour tous les Canadiens, à la création du Canada que nous voulons. Or, nous avons reculé un peu de ce côté-là. Le monde des affaires se méfie aujourd’hui des intentions du gouvernement. Parfois, lorsqu’on n’applique pas les bonnes politiques, il y a des conséquences auxquelles on n’a pas songé, mais dont il aurait fallu tenir compte avant d’adopter la politique.

Vous savez que le gouvernement a apporté certains changements à cette politique afin d’atténuer certains des problèmes. Je crois, toutefois, qu’il doit faire un autre pas en arrière, et tenir d’autres discussions et consultations avec les propriétaires d’entreprise, les agriculteurs et les autres Canadiens sur les répercussions éventuelles de cette mesure pour les entreprises canadiennes.

Le sénateur Neufeld : Le temps presse, mais je vais poser une deuxième petite question.

Le gouvernement a parlé d’innovation et d’incitations à l’investissement. L’innovation, c’est habituellement des gens qui ont une idée qui n’a pas encore mûri, qui n’a pas rapporté d’argent. Ces gens-là ont besoin d’investisseurs providentiels, de proches et d’amis pour investir et aussi de suite. C’est très bien; c’est ce qui fait vibrer notre pays. Comme vous l’avez dit, messieurs, c’est l’épine dorsale des petites entreprises au Canada. Où que vous alliez, ce sont eux qui font tourner la roue et qui créent de l’emploi.

Si vous voulez promouvoir l’innovation en tant que gouvernement dans un pays, pourquoi iriez-vous cibler certaines personnes, et ce, de façon très énergique comme l’a fait le gouvernement actuel, tout en pensant que vous continuerez d’avoir de l’innovation au Canada? Pensez-vous que cela a refroidi beaucoup de ceux qui voudraient faire quelque chose de mieux peut-être pour le Canada, pour eux-mêmes et, à long terme, pour leurs enfants?

M. Davidson : Il est évident que cela a créé un niveau d’incertitude; cela a créé un problème en ce sens que les entrepreneurs hésitent à s’engager dans cette voie. Vaut-il la peine d’être entrepreneur au Canada s’il y a tant d’obstacles? Certains termes qui ont été utilisés plus tôt au sujet des échappatoires, des fraudeurs de l’impôt et ainsi de suite pour annoncer que cela s’en venait… Je ne vois pas trop pourquoi on voudrait s’engager dans cette voie : ce n’était pas des échappatoires, c’était le régime fiscal alors en vigueur. Les entreprises pensaient se conformer aux règles existantes; elles ne se voyaient pas comme des fraudeurs de l’impôt, et l’étiquette leur allait mal.

Selon moi, il faut continuer de créer ce climat au Canada, et au Manitoba, pour stimuler l’innovation, encourager les entrepreneurs, faire croître les entreprises, et créer un vigoureux climat d’affaires ici au Canada. Du point de vue des entreprises, du gouvernement, nous devrions tous être sur la même longueur d’onde. C’est malheureux, mais nous ne le sommes pas pour ce qui concerne notre orientation et la création de ce climat au Canada. En tout cas, cela n’a pas aidé. Selon moi, il est encore possible de faire des ajustements, et je féliciterai le gouvernement fédéral de le reconnaître et d’être disposé à faire certains ajustements dans le sens de la rétroaction et des réactions négatives que lui ont servies les Canadiens et le monde des affaires. Nous demandons d’aller un peu plus loin.

M. Jones : Le risque a-t-il paralysé l’économie? Il y avait un élément dans cet investissement passif spécifiquement pour les investisseurs providentiels, et le gouvernement a dit qu’il veillera à mettre en place des méthodes qui ne dissuaderont pas les investisseurs providentiels, ne bloqueront pas les fonds de démarrage et ainsi de suite. Je crois que le ministre des Finances a demandé à votre comité de suspendre son incrédulité face à ce genre de propositions et ces types d’allocations.

Personne n’acceptera aussi facilement qu’avant d’investir dans les entreprises en démarrage que vous avez mentionnées. On ne peut pas risquer son argent en espérant que cela marchera. Nous devons voir les règles, et savoir qu’il y a un cadre en place pour assurer la sécurité de votre argent.

Le sénateur Neufeld : Merci.

La sénatrice Andreychuk : Monsieur Jones, une des réponses que vous avez faites au sénateur Pratte est que les propositions du gouvernement en matière de revenu passif sont valables.

C’est la première fois que j’entendais un témoin parler ainsi. La plupart ont dit que le gouvernement ne devrait pas s’ingérer dans la façon dont nous investissons notre argent pour l’avenir, et, malgré le débat en cours sur la question de savoir s’il s’agit d’un véhicule à utiliser pour la planification à long terme des régimes de retraite, c’est peut-être autre chose. Mais vous semblez dire que c’est valable.

Étant donné que les entreprises font des choix — et vous semblez dire qu’il y en a certains qu’elles ne devraient pas faire — quelle est la partie valable, et laquelle ne l’est pas.

M. Jones : Merci de votre question. Je précise que nous ne disons pas nécessairement que l’ensemble du changement n’est pas approprié. Nous ne disons pas que ces choses-là ne doivent pas être examinées; donc, quand je dis qu’il y a lieu de les examiner, je veux dire qu’il y a lieu d’examiner le code des impôts et la structure fiscale dans cette commission royale d’enquête. Selon moi, les propositions actuelles ne sont pas les bonnes; il faut plutôt les retirer et les remettre à l’étude. Il se pourrait qu’il faille examiner ce scénario. Pour répondre à la question du sénateur Pratte, disons que le gouvernement est bien résolu et croit qu’il y a là un problème. Ma foi, réglons-le, de la bonne façon. Donc, les propositions ne sont pas valables. Merci.

La sénatrice Andreychuk : Je suis heureuse de cette clarification. Je me demandais si nous avions une recommandation.

M. Jones : Non, je comprends.

La sénatrice Andreychuk : L’autre point, encore une fois au sujet de l’intervention du sénateur Pratte, est le calendrier. Pour moi, janvier, c’est comme Noël, et certains d’entre nous fêtent Noël dans la première quinzaine de janvier plutôt que le 25 décembre; les Manitobains connaissent cela, le Noël orthodoxe. À mon sens, 2019 serait un délai raisonnable, pourvu qu’il y ait un échéancier indiquant quand les propositions seraient connues, combien de temps nous aurions et quels seraient les rajustements à faire. Autrement dit, il ne suffira pas de repousser le délai, mais il faudra un échéancier réaliste pour une véritable consultation. Les tribunaux ont beaucoup parlé de consultation sérieuse dans le domaine autochtone et ailleurs. Et certaines entreprises ont dit qu’il ne suffit pas de cocher une case pour dire 75 jours de consultation. Donc, si cette année-là était utilisée efficacement avec un délai de réponse raisonnable pour un milieu d’affaires, serait-ce la bonne façon de procéder, mis à part tout le code des impôts? Pour amorcer le dialogue avec le gouvernement sur ces enjeux plus vastes concernant la façon dont vous aidez l’économie, des modes de valorisation des entrepreneurs, et de ce que cela signifiera pour notre système de santé… Voilà le genre de consultation à mener.

M. Jones : Je suis parfaitement d’accord. Pour cela, il faut tenir des consultations, et annoncer les règles et le cadre, puis la date limite. Je ne saurais être plus d’accord avec vous.

La sénatrice Andreychuk : J’ai une sous-question. Le gouvernement a dit que c’est ce qu’il fait parce qu’il n’est pas juste — je ne parlerai pas des échappatoires — que les travailleurs salariés jouissent de cet avantage sur les travailleurs autonomes. Il reconnaît qu’il faudra corriger la méthodologie qu’il a pu utiliser. Pourtant, la semaine dernière, le ministre a reparlé de l’injustice entre ces deux groupes. Cela va-t-il constituer un obstacle à de véritables consultations?

Le ministre va-t-il reconnaître que tout n’est pas identique, pour reprendre vos mots?

M. Jones : Absolument. Qui dit équitable ne dit pas nécessairement identique, et vous avez tout à fait raison. Le fondement de tout cela est qu’il faut tenir compte du facteur de risque. Le ministre Friesen en a parlé, et vous en avez sûrement entendu parler dans toutes vos réunions; il faut tenir compte du risque que prend le propriétaire d’une petite entreprise, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, du capital à risque et des économies familiales qui sont à risque. Ce doit être une considération importante dans toutes ces propositions.

La sénatrice Andreychuk : Cela ne signifie pas moins qu’il pourrait y avoir des risques pour les employés, et il faut les aborder différemment.

M. Jones : L’employé assume un risque différent. Nous avons d’excellents employés au Manitoba; ils sont très engagés. La réalité est qu’ils n’ont pas mis leur âme dans l’entreprise, qu’ils n’en sont pas propriétaires si vous voulez. En cas de faillite de l’entreprise, il y a le filet de l’assurance-emploi, il y a diverses possibilités, et ils peuvent toujours dénicher un nouvel emploi. Le propriétaire dont l’entreprise fait faillite perd une partie des économies de toute une vie, a donné sa caution personnelle pour certaines dettes, et doit s’occuper des problèmes qui restent à régler. Tout à fait comme les pommes et les oranges.

La sénatrice Andreychuk : Merci.

Le sénateur Oh : Merci beaucoup aux témoins pour leur présence. Je vais droit au but. Pour le critère du caractère raisonnable, comment proposeriez-vous que l’ARC mesure les contributions intangibles des conjoints; par exemple, faut-il engager sa femme aujourd’hui pour s’occuper des enfants et de la maison afin de pouvoir la rémunérer tout de suite et plus tard? Qu’en pensez-vous?

M. Jones : Cet intangible est très difficile à mesurer. Je pense à nos membres. Mettons qu’un des conjoints gère l’entreprise; à la fin de la journée, les deux conjoints se racontent ce qui se passe, parlent des risques et parlent d’investissement. L’épouse s’occupe de la gestion du ménage. Ce genre d’intrants et ce genre d’aide sont difficiles à mesurer. Il y a des règles en place sur le fractionnement du revenu pour les mineurs, et il y en a d’autres sur le revenu pour les conjoints; il faut que le revenu soit équitable. Quant à l’investissement familial, honnêtement, je ne saurais dire comment le mesurer ni dire comment cela peut être aussi subjectif.

La réalité est que vous allez en avoir une règle — vous avez demandé à l’ARC comment elle le mesurera. Tel fonctionnaire de l’ARC le mesure d’une certaine façon, et tel autre le mesure autrement. C’est une mesure subjective. Il est difficile, sinon impossible, d’avoir de l’uniformité ou même de planifier. Et c’est vraiment au cœur des préoccupations concernant le fractionnement du revenu.

M. Davidson : Ce sont là exactement les mêmes commentaires que nous avons recueillis. Qu’est-ce qui est raisonnable et comment allez-vous procéder? Et le fait que différents fonctionnaires de l’ARC ont une interprétation subjective et différente est un énorme problème. En parlant aux experts, j’ai pu dresser une liste d’une vingtaine de questions sur ce seul problème, sur ce qu’ils trouvent difficile à comprendre, ou sur les problèmes que présenterait cette proposition, et sur la façon d’appliquer le processus. La question est fort complexe; et il est vraiment difficile de voir ce que cela signifie.

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup aux témoins.

Honorables sénateurs, notre prochain témoin est le président des Keystone Agricultural Producers of Manitoba, Dan Mazier.

Monsieur Mazier, votre exposé, je vous prie. Il sera suivi de questions des sénateurs.

Dan Mazier, président, Keystone Agricultural Producers of Manitoba : Bonjour, et merci de me recevoir ce matin.

Je suis Dan Mazier, président des Keystone Agricultural Producers, qui est l’organisme de politique agricole générale au Manitoba. Nous sommes financés et dirigés par nos membres et très fiers d’être la voix des agriculteurs du Manitoba.

Nous sommes là aujourd’hui pour discuter d’une série de propositions fiscales qui, au départ, ont vivement inquiété nos agriculteurs membres. Dans leur forme initiale, les propositions fiscales que le gouvernement a présentées en juillet 2017 étaient extrêmement troublantes pour les agriculteurs, surtout ceux qui sont constitués en société. Près d’un quart des fermes manitobaines sont constituées en société, de sorte que toute réforme en profondeur de la législation touchant le mode d’imposition des sociétés privées est cause d’anxiété, on le conçoit facilement.

Les limites proposées pour l’exonération cumulative des gains en capital et les nouvelles règles visant à empêcher la conversion du revenu en gains en capital sont extrêmement préoccupantes. Environ 98 p. 100 des fermes du Canada sont toujours des fermes familiales. Ainsi donc, la possibilité de léguer leur exploitation agricole à la génération suivante revêt la plus haute importance pour préserver cette caractéristique déterminante de l’agriculture canadienne.

Nous sommes très soulagés que le gouvernement ait annoncé récemment qu’il n’ira pas de l’avant avec ces deux propositions. Par contre, il est malheureux qu’il ait fallu beaucoup de protestations publiques pour faire comprendre au gouvernement que ses propositions initiales représentaient un préjudice indu pour les fermes familiales.

Des consultations poussées avant l’annonce des propositions initiales auraient mis au jour les conséquences négatives pour les fermes familiales et tempéré les protestations du public. Pour nous, cela démontre clairement la nécessité d’une meilleure consultation lors de la rédaction de nouvelles règles. Nous recommandons également la tenue de consultations sur le reste des changements proposés.

Les changements fiscaux qui touchent toutes les sociétés privées auront des répercussions différentes sur différents types d’entreprises. Il faut des consultations avant et pendant la rédaction pour faire ressortir toutes les conséquences probables et voir si certains secteurs seront plus touchés que d’autres. Si nous avions été consultés avant l’annonce des premières propositions, nous aurions pu alerter le gouvernement aux problèmes que les changements liés aux gains en capital auraient causés aux fermes familiales.

Par conséquent, nous recommandons vivement au gouvernement de mener désormais ses consultations avant de faire des propositions comme celles-ci. Nous lui recommandons également de nous consulter pendant la rédaction des nouvelles règles sur la répartition du revenu et l’investissement passif.

Nous sommes ravis de voir que le gouvernement a reconnu les problèmes associés à ses propositions initiales sur la répartition du revenu et l’investissement passif et qu’il a annoncé des modifications en conséquence. Cela dit, nous avons encore des réserves à ce sujet. J’aimerais vous en expliquer quelques-unes aujourd’hui.

Je commencerai par la question de la répartition du revenu et du mode de calcul de ce qui constitue une contribution raisonnable de la part des membres de la famille qui reçoivent des dividendes de la société. Notre premier souci est le fardeau de la conformité et des coûts à absorber par l’agriculteur pour comptabiliser toutes les contributions des membres de la famille, ainsi que la subjectivité et le pouvoir discrétionnaire individuel des vérificateurs de l’ARC que permettrait la proposition.

Le gouvernement a modifié ses propositions initiales pour étendre la norme au-delà du caractère raisonnable pour les employés sans lien de dépendance.

Il a annoncé que la nouvelle norme sera axée sur les « contributions notables ». On nous a promis un critère simplifié servant à déterminer quel genre de dividendes versés à la famille serait admissible pour une contribution notable. Mais nous ne savons pas encore à quoi ressemblera le critère ni quels seront les paramètres d’une contribution notable.

Nous pensons qu’au lieu d’essayer d’établir ce qu’est une contribution notable au moment de décider d’appliquer les règles pour l’impôt sur le revenu fractionné, il serait plus simple de concevoir les règles de manière qu’elles s’appliquent uniquement dans les cas où il est clair qu’il n’y a eu aucune contribution. Cela allégerait le fardeau de la conformité pour les agriculteurs et réduirait le niveau de subjectivité lorsque viendrait le temps d’établir si le dividende devrait être traité comme un revenu fractionné et imposé comme tel.

Nous tenons également à souligner l’importance des activités supplémentaires, comme le temps consacré aux soins des enfants et à la gestion du foyer familial, ainsi que des contributions antérieures des membres de la famille au moment d’évaluer si un dividende se justifie.

La définition ou la quantification des contributions des membres de la famille dans le contexte de la ferme familiale pose de gros problèmes. Les fermes familiales sont des entreprises complexes qui nécessitent de nombreux types de contributions de la part de nombreux membres de la famille. Tenter de démêler les diverses contributions et de mesurer chacune d’elles serait difficile, injuste et onéreux. Nous vous incitons à prendre cela en considération et recommandons d’appliquer ces règles uniquement lorsqu’il est clair qu’un membre de la famille qui touche un dividende ne fait aucune contribution directe ou indirecte à la société.

Nous vous demandons aussi de reporter au moins au 1er janvier 2019 la mise en œuvre des règles sur la répartition du revenu, afin de donner aux agriculteurs le temps nécessaire pour analyser et comprendre les nouvelles règles qui, pour l’instant, restent à déterminer et pour s’y préparer.

Un autre enjeu dont nous aimerions parler est celui des investissements passifs. Encore là, nous avons été heureux de voir le gouvernement modifier ses propositions initiales. Les décisions de protéger les investissements antérieurs et le revenu qu’ils produisent et de permettre un revenu de placement de 50 000 $ par année avant d’appliquer un taux d’imposition supérieur sont des pas dans la bonne direction. Signalons quand même qu’il y a de nombreuses raisons pour lesquelles une ferme constituée en société pourrait vouloir utiliser le revenu d’investissement passif, et notamment les projets d’expansion de l’entreprise. Comme nous le savons, la valeur des terres agricoles a explosé ces dernières années, ce qui a propulsé le coût de l’acquisition de nouvelles terres. Nous recommandons donc d’appliquer un taux d’imposition supérieur seulement dans les cas où le revenu d’investissement passif est versé sous forme de dividendes ou à des actionnaires qui les utilisent à des fins personnelles. Si le revenu d’investissement demeure dans l’entreprise, les nouvelles règles ne devraient pas s’appliquer.

Nous déplorons également la façon dont le revenu de la location des terres agricoles peut être traité selon les nouvelles règles. Nous recommandons vivement de le considérer comme revenu d’une entreprise exploitée activement et non pas comme revenu d’investissement passif. La location de terres agricoles est une pratique courante pour stabiliser et diversifier les revenus de l’exploitation et nous ne voudrions pas qu’elle soit considérée comme une forme de revenu de placement passif.

Enfin, nous recommandons que le gouvernement établisse soigneusement les règles pour la différenciation des investissements protégés par des droits acquis et des nouveaux investissements. Si les règles sont mal structurées, les agriculteurs dont la société a de tels investissements pourraient être affligés par des coûts d’administration et de conformité élevés.

Nous espérons que vous tiendrez bien compte de nos autres préoccupations entourant la conception et l’application des règles sur le fractionnement des revenus et l’investissement passif. Nous sommes généralement satisfaits des modifications apportées aux propositions initiales, mais nous incitons le gouvernement à structurer soigneusement les nouvelles règles en consultation avec les agriculteurs avant de les mettre en œuvre.

Une meilleure consultation avant et pendant la rédaction du nouveau projet de loi nous aidera tous à éviter des situations comme celle découlant des propositions initiales. Elle nous donnera l’occasion de faire part de nos préoccupations au gouvernement de façon constructive. Nous souhaitons tous la croissance du secteur agricole au Canada, mais elle n’est possible qu’au prix d’une communication et d’une concertation entre le gouvernement et les agriculteurs. Merci de votre temps et de votre attention.

La sénatrice Marshall : Merci, monsieur Mazier. Comme vous pouvez l’imaginer, nous avons entendu de nombreux témoins cette semaine. Hier, nous avons reçu — j’essaie de ne pas confondre votre organisation avec d’autres — l’Agricultural Producers Association of Saskatchewan. Est-ce une organisation sœur?

M. Mazier : C’est l’organisation agricole générale de la Saskatchewan.

La sénatrice Marshall : Vous avez probablement répondu à ma question dans votre déclaration préliminaire, mais j’étais occupée à chercher le nom de notre témoin d’hier. Quelle est la dimension des fermes au Manitoba, et combien y en a-t-il? Donnez-moi un peu de contexte pour me permettre de voir où elles se situent dans le grand plan. Quelles sont leurs caractéristiques? Voilà, c’est ce que j’essaie de dire.

M. Mazier : Très bonne question. Nous sommes vraiment très différents de la Saskatchewan, de l’échelle même de la Saskatchewan. La Saskatchewan a 30 millions d’acres ensemencés et le Manitoba, 10 millions.

La sénatrice Marshall : Très bien.

M. Mazier : Pour vous donner une idée, nous entrons dans le Bouclier canadien juste au nord de Winnipeg, et nous arrivons en quelque sorte à Swan River à un angle de 45 degrés avec la frontière de la Saskatchewan. Nous avons différentes barrières au nord d’ici, alors que nos voisins, eux, peuvent aller jusqu’à Saskatoon ou remonter jusqu’à Carrot River, pas mal plus au nord. Ils ont donc beaucoup plus de zones plantables.

Nous sommes beaucoup plus diversifiés au Manitoba également. Nous faisons beaucoup plus de transformation pour l’importance de notre collectivité agricole. Nous avons des fabricants comme MacDon Industries Ltd. à Winnipeg. Il se passe des choses au Manitoba qui dépassent l’imagination, juste par leur ampleur. Nous avons une gestion de l’offre beaucoup plus vigoureuse et active au Manitoba, toutes proportions gardées, ce qui permet d’avoir une très bonne base au Manitoba.

De même, nous avons une production porcine, deux grands fabricants, des transformateurs : Maple Leaf à Brandon et HyLife — je crois que c’est son nom — à Neepawa. J’ai une ferme dans la région de Brandon, à deux heures à l’ouest d’ici. Nous avons tendance à voir beaucoup de fermes mixtes au Manitoba. Nous sommes des entités différentes; l’agriculture mixte est très répandue au Manitoba. Et l’échelle n’est pas la même. Nous avons des problèmes de nids-de-poule, nos terres varient certainement beaucoup plus que celles de la Saskatchewan — il n’y a rien là-bas. Mais il y a encore des agriculteurs qui achètent des semoirs de 80 pieds et des tracteurs de 600 chevaux et ce genre de choses. Ils se trouvent dans différentes régions de la province. Historiquement, la vallée de la rivière Rouge est plutôt plate et draine beaucoup d’eau vers le lac Winnipeg.

La sénatrice Marshall : Pourriez-vous nous donner une idée de certains des défis auxquels vos membres ont dû faire face avant la publication des propositions? Et puis, après la publication des propositions, je suis sûre que d’autres sont venus s’y ajouter. J’essaie simplement de comprendre l’impact de ces propositions sur vos membres.

M. Mazier : En ce qui concerne les défis, chaque fois qu’un régime fiscal intervient, je pense que les entreprises aiment vraiment la stabilité et qu’elles aiment savoir ce qui leur arrive. Donc, le genre d’enjeux qu’il y avait avant, évidemment ce revenu passif; des dispositions ont été prises parce que le système existait. Les plus grands défis sont apparus après l’annonce des changements proposés. Je pense que beaucoup de gens ont été surpris de voir à quel point ils transformeraient fondamentalement leur entreprise.

Puis, il y a eu d’autres changements. L’un de ceux qui me préoccupaient le plus, c’était quand ils ciblaient les jeunes de 18 à 24 ans qui quittaient la ferme et qui ne pouvaient toucher un revenu de dividende pour, disons, aller à l’école. Il y avait de bonnes choses dans cette loi qui permettaient que cela se produise, de sorte qu’ils n’avaient pas à obtenir une bourse d’études. Peut-être qu’ils ont apporté leur contribution en grandissant dans une ferme. Ainsi, avec la façon dont les choses se déroulaient avant, nous avions l’impression que nos enfants apprenaient quelque chose à propos de la valeur du travail et de la paye et tout cela, dans les limites de la ferme; inutile d’aller en ville pour se chercher du travail. Ces propositions ont tout changé.

Le fait de positionner les propriétaires d’entreprise contre les salariés a soulevé tout un tollé. Et, bien sûr, les agriculteurs sont pris au piège parce que nous sommes tous les deux; nous avons une famille qui travaille dans nos fermes parce que c’est comme ça, et c’est ainsi que notre modèle d’affaires fonctionne. Je pense donc que les enjeux se sont multipliés après les changements proposés.

Or, sur une note plus positive, nous en avons tous appris beaucoup sur le mode de fonctionnement de l’agriculture. Comment un gouvernement peut-il proposer des choses du genre sans en mesurer l’impact sur l’agriculture? Je pense que je suis incapable de le comprendre. C’est à nous, les groupes d’agriculteurs, d’agir et d’en faire connaître les conséquences pour nous.

Nous appartenons tous à la Fédération canadienne de l’agriculture qui a, je pense, présenté un mémoire en notre nom. Vous savez, ce sont ceux qui en ont pris l’initiative qui méritent les remerciements pour avoir coordonné le tout, s’être présentés devant le gouvernement, avoir apporté ces changements et en avoir fait la promotion.

La sénatrice Marshall : Nous ne connaissons pas encore la teneur exacte des propositions; nous n’en avons qu’une idée. Cependant, le ministre Morneau tient absolument à ce que des changements soient apportés. Même s’ils ne savent pas exactement ce que seront ces changements, vos membres prennent-ils des mesures pour s’y préparer?

M. Mazier : Nous travaillons avec la Fédération canadienne de l’agriculture, qui est notre principal groupe de pression à Ottawa et qui observe très intelligemment l’impact que cela aura sur les agriculteurs. Je dois dire que l’autre secteur d’activité qui a vraiment fait un bond en avant, c’est celui de la comptabilité, MNP. Je ne sais pas si j’ai le droit de mentionner différentes entreprises. C’est avec eux que je travaille, et ils ont fait un travail fantastique en expliquant aux entrepreneurs ce que ces répercussions signifiaient, surtout pour les agriculteurs. Ils ont fait un travail fantastique pour nous. Et, en fait, beaucoup d’agriculteurs et d’entrepreneurs ne s’intéressent pas vraiment aux questions fiscales. À moins qu’ils ne fassent de la planification de la relève ou des processus qui vont changer leur entreprise, ils ne comprennent pas vraiment les conséquences fiscales de cette situation. Ils s’en remettent à leur comptable et les comptables ont fait du bon travail, du moins, ici, au Manitoba.

La sénatrice Marshall : Ces mesures ont des répercussions non seulement pour les agriculteurs, mais aussi pour leurs partenaires.

M. Mazier : En ce qui me concerne, je ne suis pas inscrit en société, mais mon frère, oui, et nous exploitons du matériel en commun. J’ai posé des questions et on m’a répondu que n’étant pas inscrit en société, ces mesures ne me touchaient pas. Or, oui, parce que je travaille avec une société. Je suis donc mêlé à tout cela, que je le veuille ou non. Parfois, le gouvernement ne pouvait répondre aux questions soulevées et nous commencions tous à réaliser qu’il s’agissait de modifications d’envergure qu’il ne pouvait expliquer.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie.

Le sénateur Pratte : Merci, monsieur Mazier. Plus tôt ce matin, le ministre des Finances du Manitoba était ici et nous a remis un document contenant des statistiques à propos des petites entreprises du Manitoba. Il y a des données très intéressantes dans ce document indiquant notamment que le nombre d’entreprises constituées en société dans le secteur agricole au Manitoba a augmenté considérablement entre 2006 et maintenant. On y apprend aussi que le revenu de placement passif gagné au Manitoba par des sociétés privées, en particulier dans certains secteurs dont celui de l’agriculture, a augmenté depuis 2006. Je me demandais si quelque chose s’est produit dans le secteur agricole qui expliquerait l’augmentation, la croissance du nombre de SPCC, dans les entreprises constituées en société dans le secteur agricole et l’augmentation du revenu passif du secteur agricole depuis 2006.

M. Mazier : C’est une très bonne question et oui, il y a eu un changement phénoménal. J’ai commencé à travailler sur la ferme en 1985 avec mon frère et mon père. Jusqu’en 2001, je faisais de l’agriculture à temps partiel et j’avais un emploi à temps plein parce qu’il n’y avait pas d’allocation et pas de place pour moi dans notre ferme. Mon père est en fait décédé; il a dû d’abord mourir pour que je puisse entrer dans la ferme parce qu’il n’y avait pas beaucoup de terres. Pendant ce temps, j’achetais des terres et j’essayais de rattraper le temps perdu à la ferme.

Quand on remonte aux années 1980 et 1990, la situation dans le secteur agricole était terrible. En fait, si l’on se penche sur certaines catégories d’âge, il manque essentiellement une génération entre 1985 et 1995, si l’on se fie aux données démographiques. La raison est simple : l’avenir de l’agriculture n’était pas reluisant dans l’ensemble du Canada. C’est la raison pour laquelle le gouvernement de l’époque a instauré divers programmes, notamment en gestion d’entreprise. Entre les guerres commerciales, les désastres et les projets de loi agricoles adoptés aux États-Unis, bien des événements secouaient le monde et nos produits ne valaient pas tant. Nous tenions le coup, de peine et de misère.

Puis, l’année 2006 est arrivée et a probablement façonné le reste de la décennie pour en arriver où nous en sommes aujourd’hui. À ce moment-là — je vais m’exprimer en boisseau par acre ici — un boisseau de canola valait 5 $, peut-être 5,50 $ et un boisseau de blé, à peu près 2,50 $. Les prix étaient à peu près les mêmes depuis 20 ans. Ils fluctuaient un peu à la hausse et à la baisse, mais la situation était assez déprimante. Entre-temps, dans le reste du monde, la vie poursuivait son cours. Nous ne nous sommes pas retournés depuis 2007 ou 2008; il y a même eu une crise financière en 2008.

Le monde de l’agriculture a fait volte-face et il y a eu ce moment important où, je pense, nous avons tous réalisé que certains aliments étaient en demande ailleurs. Depuis, le prix de notre boisseau de canola n’a jamais été inférieur à 10 $, ce qui fondamentalement est le double; le prix de nos produits de base a doublé.

Un autre petit facteur entre en jeu : nous arrivons à maturité comme industrie. Nous investissons plus d’argent dans notre industrie. Bien entendu, les coûts augmentent tout comme la valeur des denrées que nous cultivons et nous pouvons concurrencer. De plus, les agriculteurs ont aujourd’hui 55 ou 56 ans, en moyenne. Il y a donc plusieurs agriculteurs d’un bout à l’autre du pays qui sont à la recherche d’une relève. Que fait-on à 55 ans quand on a travaillé toute sa vie? Quelles sont les options qui nous sont offertes? C’est la raison pour laquelle, à mon avis, vous songez à un nombre appréciable de personnes qui planifient l’avenir pour leur retraite.

Quelle est la meilleure stratégie, vendre, déménager? C’est une possibilité. On peut aussi former une société et demander aux membres de la famille et aux proches comment s’y prendre pour convaincre quelqu’un de participer afin d’assurer la survie de l’entreprise. Je pense que la constitution en société est une façon très utile d’y parvenir. Mon frère, par exemple, cultive la terre depuis qu’il a 18 ans. De mon côté, je n’ai commencé qu’à 36 ans. Je ne me suis pas inscrit en société, lui, oui. Il l’a fait pour diverses raisons; il en était à une autre étape dans sa vie d’entrepreneur. Je pense que cela explique le changement majeur; les gens planifient d’avance.

Le sénateur Pratte : Merci. Je veux aussi vous remercier d’avoir présenté certaines suggestions pour améliorer les modifications proposées par le gouvernement. Vous avez suggéré certains changements concernant le revenu passif. Vous n’avez pas fait, je pense, de commentaires au sujet du seuil de 50 000 $ que le gouvernement a fixé à la mi-octobre. Corrigez-moi si je me trompe, mais dois-je comprendre que si le gouvernement devait apporter les changements que vous suggérez concernant le revenu passif, par exemple, accepter de considérer le loyer foncier comme un revenu actif plutôt que passif, et la protection des droits acquis, un seuil de 50 000 $ serait alors acceptable, suffisant pour votre organisme?

M. Mazier : Je pense que nous avons demandé de le relever.

Le sénateur Pratte : Je suis désolé; je pense que ce détail m’a échappé.

M. Mazier : En fait, pour résumer, si l’intention du revenu passif est de le réinvestir dans l’exploitation agricole, il faut alors le considérer comme un revenu actif.

Le sénateur Pratte : Comme un revenu actif.

M. Mazier : C’est l’intention, peu importe le seuil, peu importe ce que vous faites avec ce montant. Donc, dès que vous en faites un revenu passif, c’est un revenu passif actif. Or, si vous pensez à la retraite, si c’est ce que vous visez, il s’agit alors de toute une autre paire de manches.

Le sénateur Pratte : Qu’en est-il alors, disons, des revenus de retraite? Est-ce aussi, à votre avis, un revenu actif?

M. Mazier : Tout dépend de l’étape à laquelle vous en êtes rendu dans votre cycle d’entrepreneur et de vos intentions ou de votre plan. Quand on prépare un plan d’entreprise, quand on fait de la planification fiscale, il y a habituellement une intention; on le fait pour une certaine raison. Il est possible de suivre assez bien la situation grâce aux logiciels comptables, notamment. Ainsi, à mon avis, il faudrait définir un peu plus l’intention de ce revenu passif ou de cet investissement. Qu’allez-vous faire avec cet argent, cet argent supplémentaire dont vous disposez? Il faut en préciser un peu plus la définition.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie.

Le sénateur Neufeld : Merci, monsieur, de votre exposé. Le sénateur Pratte a posé une question au sujet du revenu de placement passif; je veux approfondir un peu la question. Avant l’annonce du gouvernement, aucune limite n’était imposée au revenu de placement passif. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous seriez d’accord qu’un plafond quelconque soit fixé pour le revenu de placement passif?

M. Mazier : C’est une bonne question. Je suppose que je vais revenir au principe de base. Si nous voulons nous présenter ici comme une collectivité agricole ou comme des propriétaires d’entreprise et que nous affirmons que nous allons réinvestir cet argent dans l’exploitation agricole, alors c’est ce qu’on doit faire. Si on met l’argent supplémentaire accumulé dans une société de côté pour la retraite, il faudrait peut-être alors envisager de fixer un genre de tranche de revenu à cette fin pour la planification de la relève.

Nous devons nous pencher sur tout le problème des agriculteurs qui ont à peu près 55 ans dans ce pays. La richesse qui sera transférée ici au cours de la prochaine décennie est énorme. Donc, que vous appeliez cela un revenu passif ou un revenu actif, je m’en fiche. Qu’adviendra-t-il de l’exploitation agricole familiale dans 10 ans? Comment allons-nous gérer la situation? Allons-nous remercier les gens en leur rappelant qu’ils vont payer de l’impôt et qu’ils ont travaillé toute leur vie pour cela? Comment allons-nous régler cette question? C’est l’objet de toute cette conversation, non? Je pense que nous passons à côté, en particulier dans l’optique d’un agriculteur.

Certaines sociétés agricoles familiales ont des installations de transformation; de nos jours, il est possible de faire tant de choses avec les aliments sur place grâce à la technologie et à la science. Avant, nous devions acheminer les marchandises à Toronto ou même à Winnipeg. Il y a beaucoup de manœuvres qui peuvent maintenant être exécutées sur la ferme parce que nous pouvons compter notamment sur l’eau et l’électricité. Nos fermes évoluent donc. Devrions-nous avoir le droit d’épargner pour ces jours-là afin de permettre ce changement? Je pense que oui, surtout dans le cas d’une ferme.

Maintenant, si vous parlez de revenu de placement passif et que c’est une autre façon de reporter l’impôt parce que vous voulez vivre quelque part dans le Sud, par exemple, c’est une autre question. Je pense que tout le monde doit vraiment se demander ce qu’est un revenu passif et quelle est l’intention visée. Qu’allez-vous en faire en tant qu’entreprise?

Le sénateur Neufeld : La plupart des agriculteurs nous ont dit que presque tout leur argent est réinvesti dans leur ferme. Je présume aussi que si vous voulez exécuter plus de manœuvres sur la ferme, comme vous le dites, devinez où va votre argent. Je pense cependant qu’une limite arbitraire, qu’il s’agisse d’une ferme ou de toute autre petite entreprise, fixée à 50 000 $ par année restreint beaucoup ces manœuvres que vous dites pouvoir faire. De plus, il ne s’agit que d’une taxe de 71 à 73 p. 100. Où ailleurs dans le monde est-il question d’un taux d’impôt de 73 p. 100? Nulle part, mais peut-être que je n’écoute pas assez attentivement. Mais je n’en ai jamais entendu parler dans le monde entier.

Donc, on a une famille d’agriculteurs. Si maman et papa qui ont travaillé toute leur vie à la ferme peuvent transférer leur exploitation agricole à l’un des membres de la famille qui veut continuer à cultiver, mais qu’ils veulent prendre leur retraite après avoir travaillé tant d’années à la ferme, devraient-ils être empêchés d’avoir une bonne retraite dans le Sud? Je veux dire que les gens qui ont des fiducies de revenu peuvent le faire; ceux qui ont d’autres capacités fiscales au Canada peuvent le faire. Qu’y a-t-il de mal à ce que la ferme familiale le fasse? Je suppose que c’est là ma question.

M. Mazier : Bon point. En ce qui concerne les limites, il s’agit de déterminer l’intention de cet investissement. À mon avis, épargner pour agrandir ou diversifier et économiser pour la retraite sont deux raisons totalement différentes. Je trouve intéressant que personne n’y ait vraiment pensé. Je pense qu’au niveau de la ferme, nous supposons que tout l’argent est réinvesti. La FCA m’a dit que la question du revenu de placement passif n’est vraiment pas un gros problème lorsque l’on considère le niveau très élevé de revenu dans l’ensemble du Canada, car nous utilisons tous nos revenus pour réinvestir dans la ferme. On ne pense pas comme ça. Ça ne nous échappe pas. Mais vous avez raison, une limite restreindrait les choses que nous voulons faire. C’est pourquoi je pense que l’intention doit être un peu mieux définie.

Le sénateur Neufeld : Je crois comprendre. Lorsque nous étions en Saskatchewan, le député nous a dit que le plafond serait probablement bon pour 50 p. 100 des fermes, mais pas pour les autres 50 p. 100. Cela varie en fonction de votre exploitation agricole ou de votre petite entreprise; par conséquent, je pense qu’il est assez difficile d’imposer un plafond arbitraire à tout le monde.

M. Mazier : Oui.

Le sénateur Neufeld : Je pense que vous l’avez dit. Je l’apprécie. Merci.

La sénatrice Andreychuk : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la situation locative et les problèmes de ce genre? À votre avis, ils ne devraient pas être considérés comme des revenus de placement passif. Ce sont des revenus vraiment actifs parce qu’on évolue, c’est-à-dire que pour s’efforcer de conserver une exploitation agricole, il faut parfois louer, surtout avec les générations. Il s’agit donc maintenant de revenus passifs, et je crois que le gouvernement a ciblé certains des problèmes.

L’autre domaine est celui de l’éducation; je trouve très curieux que partout dans notre société, nous parlions d’éducation permanente, de retour et d’acquisition de certaines compétences. Le fait que ces enfants soient partis, c’est comme toute autre entreprise qui permet aux gens de s’absenter pour poursuivre leurs études afin d’acquérir de meilleures compétences pour faire ce qu’ils font. L’agriculture a vraiment pris de l’expansion quand nous avons commencé à envoyer tous ces enfants dans des écoles professionnelles d’agriculture. Je pense que c’est la raison pour laquelle ils sont entrepreneurs aujourd’hui.

M. Mazier : Je suis l’un d’eux.

La sénatrice Andreychuk : Ce que je crois, c’est que l’agriculture n’a pas vraiment été prise en compte lorsque ces propositions ont été présentées, en juillet. Est-ce que c’est ce que vos membres disent, que les changements ne leur conviennent pas?

M. Mazier : Oui. C’est tout ce qu’il y a à dire. Nous avons essayé de le dire gentiment. Au fur et à mesure que la conversation se déroulait en juillet et en août, il était assez évident que le ministère des Finances ne comprenait pas vraiment les répercussions que cela aurait sur l’agriculture. Entre-temps, nous avons un ministère de l’Agriculture et un gouvernement qui disent vouloir faire croître l’agriculture. Clairement, on ne comprenait pas les conséquences de ces modifications si on voulait faire croître une industrie. Mais vous savez, le gouvernement a changé. Je pense que tout le monde s’est renseigné sur cette question, et il y a des choses qui doivent être réglées. J’ai découvert que si vous êtes consultant, vous pouvez former une société; il y a des choses que les particuliers peuvent faire avec nos lois fiscales et gagner très bien leur vie. Je n’y avais jamais pensé. En tant qu’agriculteur, je pensais que vous deviez avoir une entreprise, une véritable entreprise d’exploitation et produire quelque chose. Mais je suppose que les consultants peuvent former des sociétés.

Donc c’est une réalité. Cela étant, vous avez raison et nous espérons être appelés à participer à d’éventuelles consultations. Si le gouvernement veut savoir quoi que ce soit sur l’agriculture, nous travaillerons en plus étroite collaboration avec le ministère des Finances et lui ferons passer ces messages.

Au début, j’ai entendu que, même en agriculture, certains de ces changements en ont surpris plus d’un. Ce n’est pas la première fois que cela se produit ou que l’agriculture est exclue des décisions prises par un ministère autre que celui responsable du secteur agricole. C’est la vie, et nous allons continuer d’avancer.

La sénatrice Andreychuk : Vous affirmez donc que le ministère des Finances a fait quelque chose sans prendre en considération l’aspect agriculture.

M. Mazier : Oui.

La sénatrice Andreychuk : Et qu’il a fait fi de la chaîne alimentaire, de la sécurité alimentaire et de la compréhension de la façon dont les affaires ont évolué dans le secteur de l’agriculture. Vous avez indiqué que beaucoup plus de choses sont en train de se faire au Manitoba qu’auparavant. Avant, nous cultivions du blé que le gouvernement expédiait tel quel. Maintenant, on mise davantage sur la valeur ajoutée et sur l’expédition de produits traités.

M. Mazier : Nous misons aussi sur l’exportation de produits non transformés qui constituent encore 80 p. 100 de nos expéditions du Manitoba. Certes, il est toujours intéressant de miser sur la valeur ajoutée; les gens sont davantage conscients des retombées de ce type de produits. La question est de savoir si l’on multiplie par trois ou par six le prix du produit de base. De quoi le Manitoba aurait-il l’air alors? Je pense que ce gouvernement en particulier examine vraiment la question et analyse la façon de faire progresser l’agriculture pour que nous puissions tous en bénéficier.

La sénatrice Andreychuk : Je me souviens des discussions du début des années 1970 : à l’époque, on incluait les fermes parce qu’elles étaient de petites exploitations. Le débat à l’époque était de savoir si elles étaient viables en comparaison des grandes exploitations. Le transfert des terres au sein des familles était alors important parce que les petits exploitants risquaient d’être avalés par les gros, notamment parce qu’ils ne pouvaient pas se permettre de moissonneuses-batteuses ou autres. Donc, le système fiscal de l’époque a donné un coup de pouce aux agriculteurs qui ont pu poursuivre leurs activités grâce au concept de revenu passif. Ils pouvaient constituer des réserves pour les mauvais jours.

S’il restait quelque chose à la fin, si l’exploitation était rentable — si Dieu est avec nous, comme nous avions l’habitude de dire — alors, on avait un petit quelque chose pour la retraite. Vous avez soulevé aussi le problème de la transmission de la propriété au sein de la famille, plutôt qu’à un tiers, et nous sommes encore aux prises avec ce problème. Comment faire valoir ce point au gouvernement? L’agriculture est-elle si différente des autres secteurs qui gardent une poire pour la soif? On ne peut pas savoir ce qui peut arriver, dans le meilleur des cas, ce pourrait être la retraite.

M. Mazier : C’est tout le paradoxe

La sénatrice Andreychuk : Vous avez donc besoin d’un fonds pour affronter n’importe quelle crise, et vous espérez qu’il en reste quelque chose.

Ce n’est pas comme un employé qui épargne tant chaque mois et qui a une garantie. Si je comprends bien, le gouvernement semble considérer que le secteur agricole et d’autres PME doivent se comporter comme un employé qui doit planifier sa retraite dès le premier jour. Dans quelle mesure est-ce réaliste? Et comment convaincre le gouvernement que ce n’est pas le bon choix? Nous sommes prêts à risquer la retraite pour lancer une entreprise, mais nous savons que 40 p. 100 des entreprises échouent.

M. Mazier : Alors la question consiste à savoir quel message transmettre au gouvernement.

La sénatrice Andreychuk : Comment dire au gouvernement que, dans le long terme, ce n’est pas ainsi que les choses se passent, que cela s’apparente à de la gestion de crise?

M. Mazier : Cela peut être le cas, mais on espère que non.

La sénatrice Andreychuk : Mais c’est le cas! C’est cela le risque. Vous ne savez pas à quoi vous attendre. On a une idée de ce qu’il faut faire en agriculture, comme remplacer le blé par le canola, ou se lancer dans l’élevage porcin. Comment tenir compte de cela pour parvenir à un système logique? Autrement dit, je me demande quelle recommandation nous pourrions faire au gouvernement afin de résoudre le problème sans compromettre l’agriculture, qui est si essentielle pour le Canada.

M. Mazier : Eh bien, c’est une question très complexe. L’agriculture est différente. J’ai du mal à comparer les salaires d’un employé et d’un propriétaire d’entreprise. Cela me met mal à l’aise. En fait, j’ai été salarié et aussi propriétaire d’entreprise. Je comprends parfaitement, je travaillais dans mon exploitation agricole. On vous dit que votre investissement se limite à votre boîte-repas. Mes voisins m’ont posé des questions du genre : quel genre d’intérêt as-tu? Et, en passant, c’est parfois ce que nous disons aussi à nos enfants : tu n’as encore aucun intéressement dans cette ferme; c’est moi le patron. C’est ainsi que les choses se passent dans la vie, n’est-ce pas?

Je me suis souvent posé la question en voyant passer ces plans de succession, en ma qualité de dirigeant agricole, parce qu’on parle beaucoup des agriculteurs. En regardant ce que font d’autres entreprises, quand on entame un plan d’affaires, on trouve habituellement une voie de sortie. Ce n’est pas le cas dans le secteur agricole, je ne sais pas pourquoi. Je pense qu’au Canada, nous avons développé l’agriculture d’une manière pionnière. Mes grands-parents sont venus et ont commencé une nouvelle vie au Canada. Nous avons des immigrants qui continuent d’arriver chez nous. Vont-ils s’intéresser à l’agriculture? Je ne sais pas. Peut-être devrions-nous les inciter. Peut-être qu’il conviendrait d’attirer des gens prêts à investir dans le secteur de l’agriculture, dans la terre. Il se peut que ce modèle n’ait pas été mauvais. Je ne sais pas.

Mais je pense que lorsque nous examinons une entreprise, qu’il s’agisse d’une ferme, d’un détaillant privé ou d’une société privée, il y a habituellement une voie de sortie. Les entreprises cotées en bourse sont totalement différentes, mais je pense que, dans le monde des affaires, nous devrions peut-être réfléchir ouvertement sur ce qu’est une voie de sortie, et ce pour toute entreprise. J’ai posé la question suivante sur un sujet différent il y a environ cinq ans, dans une école de commerce : qu’est-ce qu’un plan de ressources humaines? Quel est le plan de sécurité pour cette entreprise? Or la sécurité agricole est vraiment un gros problème en ce moment. Nous ne sommes pas du tout hors de danger. Il n’y a pas de réponse pour le secteur agricole jusqu’à présent, il n’existe pas de plan de sécurité. Idem pour la voie de sortie des entreprises, en particulier en agriculture. On a tendance à supposer qu’on va transmettre l’exploitation à la génération suivante.

Le sénateur Oh : Merci, monsieur Mazier. Je vous pose ma question d’entrée de jeu : quel conseil donneriez-vous au ministre Morneau? Nombreux sont les témoins qui nous ont dit que le gouvernement devrait renoncer aux propositions et entamer un examen de la réforme fiscale. Alors qu’en pensez-vous? Qu’avez-vous à nous en dire?

M. Mazier : Quand j’ai pris la parole, j’ai bien dit consultez-nous, parlez-nous. Parlez-nous des changements que le gouvernement envisage actuellement pour nous expliquer pourquoi il veut faire ce genre de choses. Peut-être qu’il est possible, sans parler de marge de manœuvre, d’aborder certaines questions. Mais ne venez pas avec 75 p. 100 de taxe. Ne nous retirez pas nos gains en capital et ne niez pas les plans qui ont été faits il y a des lustres. Et ne dites surtout pas : « D’accord, 70 jours sont écoulés, c’est fini, passez une bonne journée. » Ce n’est certainement pas comme cela qu’on traite d’un système financier.

Alors, je conseillerais qu’on nous parle et qu’on nous informe des conséquences de ces changements. Travaillons ensemble pour trouver un moyen terme.

Le sénateur Oh : Plus tôt, le ministre nous a dit que la communication et la consultation ont été mal menées. Il pense que si le gouvernement applique cette proposition, on ne fera qu’ajouter à la complexité du système. L’approche est très importante, et il voyait de l’improvisation dans cette approche.

M. Mazier : Vous parlez de ces amendements?

Le sénateur Oh : Oui, de la proposition. Pour être plus précis, c’est ce que le ministre provincial a dit ce matin.

M. Mazier : D’accord, alors il estime que ça sent l’improvisation?

Le sénateur Oh : Que la proposition obéit à une approche improvisée.

Le sénateur Mockler : Permettez-moi, monsieur Mazier, de vous inviter à prendre note de ce que le ministre a dit ce matin en réponse aux questions du comité, plutôt que de nous laisser aller à des déclarations. Je l’apprécierais pour nous en tenir aux faits. Nous vous avons posé des questions très pertinentes concernant les recommandations et nous vous avons remis le document que le ministre nous a remis ce matin. Pour répondre à cette question du sénateur Oh, pourriez-vous nous faire parvenir votre réponse par l’entremise de la greffière?

M. Mazier : Quelle était la question?

Le sénateur Mockler : Sénateur Oh, voulez-vous la reformuler?

Le sénateur Mockler : Je faisais un simple commentaire sur ce qu’a dit le ministre parce que vous n’étiez pas là quand le ministre des Finances du Manitoba a témoigné ce matin. Il a trouvé que la proposition dentait l’improvisation, et je voulais simplement savoir ce que vous en pensiez.

Le sénateur Mockler : La greffière vous transmettra la question du sénateur Oh et vous pourrez lui communiquer votre réponse. Sommes-nous d’accord là-dessus?

M. Mazier : Bien sûr.

Le sénateur Mockler : Chers collègues, nous reviendrons ici à 13 heures; je déclare la séance levée.

(La séance est levée.)

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