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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 48 - Témoignages du 9 novembre 2017 (séance de l'après-midi)


WINNIPEG, le jeudi 9 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 13 h 6, pour étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

[Traduction]

Le sénateur Mockler : Honorables sénateurs, je constate que nous avons le quorum, alors nous allons débuter la séance. Nous recevons aujourd’hui le Dr Aaron Chiu, président de Doctors Manitoba.

Docteur, merci d’avoir accepté notre invitation de nous faire part de vos observations et de vos points de vue, au nom de Doctors Manitoba. Vous ferez votre exposé, puis les sénateurs vous poseront des questions. Merci beaucoup, encore une fois. Je vous demanderais de faire votre déclaration maintenant.

Dr Aaron Chiu, président, Doctors Manitoba : Merci, monsieur le président, et merci aux honorables membres du comité permanent du Sénat de l’invitation à comparaître aujourd’hui.

En reconnaissance de nos patients, collègues et amis autochtones, j’aimerais tout d’abord souligner que nous sommes actuellement sur un territoire du traité no 1 et sur les terres traditionnelles des Anishinaabeg, des Cris, des Ojicris, des Dakota, et sur la terre natale des Métis.

Pour respecter les traités que nous avons conclus dans ces territoires, nous reconnaissons les torts et les erreurs du passé et nous nous engageons à cheminer en partenariat avec les collectivités autochtones dans un esprit de réconciliation et de collaboration.

Comme on vous l’a dit, je suis Aaron Chiu. Je suis un spécialiste en soins intensifs néonataux au Centre des sciences de la santé et à l’hôpital Saint-Boniface, et le président de Doctors Manitoba, dont les membres comprennent tous les médecins au Manitoba, de même que les médecins résidents et les étudiants en médecine. Notre organisme s’oppose à la réforme fiscale proposée par le gouvernement du Canada le 18 juillet et modifiée la semaine du 16 octobre.

Ces changements, s’ils sont adoptés, déstabiliseront les pratiques médicales et les ressources des médecins au Manitoba. Les médecins sont un effectif très mobile. Le maintien en poste et le recrutement de médecins continuent d’être un défi de taille dans notre province. En 2015, le Manitoba se classait au troisième rang des provinces comptant le nombre le plus faible de médecins par habitant. Nos membres sont déjà préoccupés par le projet de loi provincial 28 qui empêchera la négociation et l’arbitrage de bonne foi avec notre gouvernement provincial lorsque notre entente-cadre viendra à échéance en 2019.

Près de 70 p. 100 des médecins au Manitoba sont constitués en personne morale. La combinaison d’une non-augmentation des frais, d’une hausse des coûts d’exploitation d’une pratique médicale et des changements fédéraux proposés à l’imposition des petites entreprises entraînera l’exode des médecins généralistes et spécialistes du Manitoba.

L’incidence sur nos collectivités sera encore plus préoccupante. L’Association des municipalités du Manitoba a conclu que plus de 90 p. 100 de ses municipalités seront aux prises avec une pénurie de médecins. En raison de ces changements fiscaux, il sera encore plus difficile pour nos collectivités rurales de recruter et de maintenir en poste des médecins.

En tant que propriétaires de petites entreprises, les médecins n’offriront pas d’avantages sociaux à leurs employés salariés, notamment des prestations de retraite et des congés de maladie payés. Les revenus passifs dans les petites entreprises permettent aux médecins d’épargner pour la retraite, d’avoir un fonds de réserve en cas de maladie et de financer les congés de maternité ou de paternité. Face aux inquiétudes croissantes, le gouvernement du Canada a proposé de ne pas rendre rétroactifs les changements qui ont une incidence sur les revenus passifs des petites entreprises. Ces changements bénéficieront à ceux d’entre nous, comme moi, qui pratiquent à l’heure actuelle. Mais la restriction sur les revenus passifs auront d’importantes répercussions sur les médecins résidents et les étudiants en médecine actuels et futurs.

Les dettes d’études pour devenir un médecin sont très élevées. Même si les frais de scolarité dans notre école de médecine provinciale sont parmi les moins élevés au Canada, les coûts pour obtenir un diplôme de premier cycle suivi d’un diplôme de médecine totalisent habituellement plus de 100 000 $ à la fin de leurs études. Il faut 10 ans d’études supérieures pour devenir un médecin de famille et au moins 12 à 14 ans pour devenir un spécialiste. Les médecins ne démarrent pas une pratique avant l’âge de 30 ans. Ce sont des dettes d’études élevées, et plus la formation médicale est longue, plus les années de pratique et de revenus diminuent pour les générations futures. Pour nos médecins résidents et étudiants en médecine actuels et futurs, cela signifie qu’ils auront plus de mal à rembourser leurs dettes et à épargner en prévision de leur retraite.

Je suis fier de dire que notre école de médecine s’assure que les inscriptions reflètent la diversité de la population du Manitoba. Nos étudiants sont issus de divers milieux; il est désormais monnaie courante d’avoir des étudiants plus âgés, des étudiants autochtones et des gens issus de milieux socioéconomiques défavorisés. Par conséquent, nos étudiants accumuleront des dettes personnelles beaucoup plus élevées que la moyenne. Cet endettement très élevé des étudiants est inquiétant et contribue au niveau élevé de stress et d’épuisement professionnel chez les médecins. S’ils n’ont pas la possibilité d’accumuler des revenus passifs dans leur clinique médicale, les nouveaux médecins disposeront de moyens limités pour épargner en prévision de la retraite, établir des fonds de réserve en cas de maladie ou offrir des prestations de maternité ou de paternité à leurs employés.

Nos membres tiennent à l’équité fiscale. Cependant, une période de consultation de 75 jours durant l’été sur les changements les plus importants ayant une incidence sur les petites entreprises en 45 ans est insuffisante et tout simplement injuste. Les changements proposés nuiront aux propriétaires de petites entreprises qui sont nos patients, aux médecins propriétaires de petites entreprises et à nos collectivités.

Nous vous remercions, mesdames et messieurs les sénateurs, de nous donner l’occasion d’exprimer nos préoccupations, et nous exhortons le gouvernement à continuer d’écouter et de consulter les propriétaires de petites entreprises au Canada. Travaillons ensemble à trouver une solution équitable.

Merci.

La sénatrice Marshall : Merci, docteur Chiu, d’être ici. Je sais qu’il y a des statistiques concernant la croissance du nombre d’entreprises constituées en société par des médecins au cours des 10 dernières années, alors je ne vais pas vous questionner là-dessus car j’espère que l’un de mes collègues le fera.

Je m’intéresse davantage aux renseignements généraux concernant les médecins. Je suis intéressée par votre école de médecine. Je me demande donc combien d’écoles de médecine vous avez. Je veux connaître le nombre de médecins par habitant. Vous avez mentionné ce point dans vos déclarations liminaires, alors j’aimerais avoir une idée du nombre de médecins que vous avez formés qui restent dans la province, de la provenance de vos médecins et des endroits où ils vont pratiquer. Vous pouvez probablement commencer par nous dire combien d’écoles de médecine vous avez.

Dr Chiu : La province du Manitoba a une école de médecine, et le nombre d’inscriptions est d’environ 110 étudiants par année.

La sénatrice Marshall : Restent-ils dans la province? Quel est le profil de vos médecins? La majorité des médecins restent-ils dans la province après leurs études?

Dr Chiu : Cela varie car de nombreux étudiants vont ailleurs pour leur formation; ils font habituellement leur résidence ailleurs, et certains reviennent. Mais le domaine qu’ils choisissent détermine où ils peuvent pratiquer. Certaines spécialités offrent très peu de postes ailleurs, alors la question n’est parfois pas de revenir dans la province où ils ont commencé leurs études, mais d’aller là où un poste est disponible.

Heureusement, parmi les médecins qui sont formés à l’école de médecine, une grande majorité d’entre eux restent pour faire leur résidence et, ce faisant, ils ont tendance à rester par la suite. Nos communautés de plus petite taille, y compris nos communautés rurales, sont aux prises en permanence avec un problème de recrutement de médecins, de médecins canadiens. Mais nos efforts en matière d’éducation pour envoyer ces étudiants dans ces communautés de plus petite taille et nouer un lien d’attachement avec la localité pendant leur formation ont été fructueux pour que certains restent.

La sénatrice Marshall : Pourriez-vous nous dire — je ne sais pas si vous avez les statistiques à ce sujet ou si vous avez une idée des médecins qui sont formés à votre école de médecine — le pourcentage de médecins qui restent dans la province? Est-ce 50 p. 100? Hier, en Saskatchewan, je pense que nous avons entendu que c’était environ 50 p. 100.

Dr Chiu : Ce serait semblable à la Saskatchewan : c’est légèrement au-dessus de 50 p. 100, mais plus dans certaines spécialités.

La sénatrice Marshall : Où vont les autres 50 p. 100? Vous dites que 50 p. 100 partent et 50 p. 100 restent. Où vont les autres 50 p. 100?

Dr Chiu : Certains médecins d’autres provinces déménagent ici également.

Ils vont habituellement là où des postes sont disponibles. Ils peuvent aller n’importe où au Canada, et souvent, ils sont attirés par les grands centres urbains, que ce soit en Colombie-Britannique ou en Ontario. Certains étudiants sont des résidents d’autres provinces qui viennent ici pour leur formation, puis repartent dans la province où ils ont fait leurs études. D’autres vont à l’étranger, car leur vocation les a amenés à étudier dans une spécialité qui leur permet d’aller à l’étranger pour poursuivre leur formation et continuer de travailler, que ce soit en Europe, en Australie ou aux États-Unis.

La sénatrice Marshall : Lorsque vous parlez des médecins qui vont à l’étranger, nous avons entendu d’autres médecins dire que ces changements fiscaux pourraient encourager des médecins à déménager à l’étranger. Et ils nomment habituellement les États-Unis. Y a-t-il eu dans le passé des médecins qui sont déménagés aux États-Unis? D’autres initiatives ciblaient les médecins; les gouvernements ont pris d’autres mesures dont les médecins étaient mécontents, et il y a parfois une menace qu’ils déménageront aux États-Unis. Donc, avez-vous vu un exode vers les États-Unis dans le passé?

Dr Chiu : Oui. Notre province, dans le cadre de négociations dans le passé, ont compliqué les choses pour les médecins avec notre entente-cadre. Donc, lorsque nous avons du mal à négocier des contrats, nous sommes aux prises avec un exode de médecins. Environ 6 p. 100 ont quitté la province, et il nous a fallu un certain temps pour compenser cette perte. Même maintenant, il y a parfois presque autant de médecins qui quittent la province que de médecins qui restent. Parfois, nous avons une perte nette de médecins. Nous avons donc été témoins d’un exode dans le passé.

La sénatrice Marshall : Pour ma dernière question, je veux savoir ce que les médecins vous disent concernant les changements fiscaux proposés qui sont sur la table à l’heure actuelle. Vous disent-ils qu’ils déménageront aux États-Unis ou qu’ils procéderont à des réductions dans leurs pratiques? Que vous disent les médecins? C’est ma dernière question. Merci.

Dr Chiu : Nous entendons de nombreux messages. La principale préoccupation, c’est qu’ils ne savent pas vraiment ce qui se passe. Ils ne savent pas vraiment comment les changements seront adoptés et quelles seront les répercussions. Ils ne savent pas trop comment réagir. Certains ont dit qu’ils allaient prendre leur retraite plus tôt. D’autres ont commencé à chercher des postes ailleurs. Mais on leur recommande de tenir bon jusqu’à ce que l’on sache ce qu’il en est. Cela augmente le niveau d’anxiété de nos étudiants et de nos résidents que nous voulons garder ici; c’est décourageant. La province, avec le projet de loi 28 en ce qui a trait aux négociations de l’entente-cadre, leur a donné l’impression qu’ils ne sont pas les bienvenus dans la province. Et maintenant, compte tenu du fait que les changements fiscaux ne seront pas rétroactifs pour eux, mais le seront peut-être pour ceux qui pratiquent actuellement, ils se demandent : « C’est la même chose; pourquoi laissons-nous nos jeunes payer la note? ». Ils se diront que l’herbe est sans doute plus verte à l’extérieur du pays.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Pratte : Merci d’être des nôtres. Le gouvernement décrit la situation comme étant une question d’équité entre les différents contribuables, et j’essaie de comprendre votre point de vue. Je comprends les circonstances particulières d’un médecin, et vous mentionnez que les médecins n’ont pas accès à un fonds de pension, ce qui est vrai, mais de nombreux Canadiens n’ont pas accès à un fonds de pension non plus. C’est une minorité; ce sont principalement les travailleurs syndiqués qui ont accès à un fonds de pension. Et ces Canadiens n’ont pas accès à une structure d’une société privée sous contrôle canadien, SPCC, non plus.

De plus, si nous comparons les médecins à d’autres petites entreprises, ils ont une source de revenus garantie et non pas les mêmes risques auxquels sont confrontés d’autres propriétaires de petites entreprises. Donc, j’imagine que le gouvernement juge, dans le cas des médecins, que la structure d’une SPCC est peut-être utilisée strictement à des fins de retraite. Pour avoir recours à une structure d’une SPCC à des fins fiscales seulement et à des fins de retraite, je dirais que cette utilisation n’est peut-être pas celle pour laquelle la structure a été conçue. J’aimerais vous entendre à ce sujet, s’il vous plaît.

Dr Chiu : C’est une excellente question, sénateur. Les médecins viennent de différents horizons. Nous avons donc des membres qui sont des médecins salariés qui ont des avantages sociaux. La grande majorité de nos médecins n’en ont pas cependant. La majorité des médecins qui travaillent dans une pratique privée en sont propriétaires, ce qui signifie qu’ils doivent louer un espace, embaucher du personnel et payer les frais généraux. Ils exploitent donc une petite entreprise et doivent pouvoir réinvestir dans leur entreprise pour pouvoir continuer leurs activités. Dans leur pratique, ils doivent s’assurer qu’ils ont des fonds disponibles pour pouvoir investir. Ils doivent notamment mettre de l’argent de côté dans un fonds de réserve ou un fonds de pension; c’est la réalité.

Pour d’autres médecins et dans d’autres provinces, le rôle de la constitution en société a été recommandé, dans le cadre des négociations, plutôt qu’une hausse salariale. C’est une proposition qui a été formulée par le gouvernement provincial. Et dans d’autres provinces, cette mesure est déjà utilisée comme moyen pour épargner et pouvoir prendre sa retraite. Vous avez donc raison à cet égard. Mais la grande majorité des médecins de famille et des généralistes qui sont dans une pratique privée exploitent une petite entreprise: ils ont un bureau et du personnel et doivent avoir un moyen de payer ces frais.

Le sénateur Pratte : À la mi-octobre, le gouvernement a présenté des changements à la répartition du revenu et aux mesures relatives aux revenus passifs. En ce qui concerne les revenus passifs, ils ont établi un seuil de 50 000 $, ce qui, à 5 p. 100, correspond à des capitaux investis d’un million de dollars. J’imagine que c’est beaucoup d’argent pour la majorité des gens. Ce seuil est-il suffisant, d’après vous, et s’il ne l’est pas, une augmentation de ce seuil serait-elle satisfaisante? Et dans la négative, vaudrait-il mieux adopter une méthode de rechange pour calculer le seuil?

Dr Chiu : Je salue le gouvernement d’avoir écouté les préoccupations et de suggérer ce changement. Je ne sais pas si le seuil sera avantageux. Je ne suis pas certain des répercussions qu’il aura sur les médecins dans les pratiques et s’ils devront avoir des capitaux suffisants pour poursuivre leurs activités. Je ne sais pas s’il est raisonnable de fixer un seuil d’investissement de 50 000 $. Je suppose que bon nombre de nos membres ne connaissent pas et ne comprennent pas vraiment les règles qui sont appliquées et les répercussions sur leur pratique.

Je suggérerais donc que si c’est une mesure que nous adoptons, nous devrions examiner quelle incidence elle aura sur les entreprises médicales mais sur d’autres entreprises également, et voir si c’est un seuil raisonnable.

Le sénateur Pratte : Si vous me le permettez, monsieur le président, j’aimerais soulever un dernier point. En ce qui concerne la répartition du revenu, nous avons entendu de nombreux témoignages, surtout d’agriculteurs, qui nous ont dit que le gouvernement aura du mal à mesurer la contribution, et plus particulièrement celle de l’épouse, lorsqu’elle prend soin des enfants, par exemple. Ils soutiennent que le fait de prendre soin des enfants fait partie de l’entreprise, surtout dans le cas d’une ferme. Je ne suis pas certain de voir le parallèle avec les médecins. Je sais que prendre soin des enfants fait évidemment partie de l’entreprise. Mais dans le cas d’un employé d’une entreprise qui travaille de longues heures et dont l’épouse prend soin des enfants, il n’est pas en mesure de partager son salaire avec son épouse. Donc, est-il justifié d’offrir aux médecins le partage ou la répartition du revenu?

Dr Chiu : C’est vraiment une excellente question. Je vois des personnes investir dans l’avenir professionnel de leur conjoint qui étudie la médecine. Comme vous l’avez entendu, il faut attendre longtemps avant qu’un étudiant en médecine obtienne son diplôme et exerce son métier. Son conjoint, lorsqu’il en a un, lui procure une stabilité financière pour lui permettre de poursuivre ses études, ce qui signifie que l’investissement dans la carrière du futur médecin commence dès le départ. Je sais qu’en cas de divorce et de la séparation des revenus, le conjoint obtient à vie une partie du revenu du médecin comme s’il y avait eu un partage du risque que représentaient les études, comme si le conjoint possédait une partie du cabinet de médecine constitué en société. Je vois donc cela comme si l’autre conjoint avait investi dans le cabinet, ce qui explique pourquoi il doit recevoir quelque chose en contrepartie.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le sénateur Neufeld : Merci d’être ici, docteur. Je vous suis reconnaissant d’avoir trouvé dans votre horaire chargé le temps de répondre à des questions et de faire un exposé.

On a déjà posé certaines de mes questions sur le revenu passif, et je ne vais donc pas y revenir. Je ne sais pas en quelle année le Manitoba a encouragé les médecins à constituer leur cabinet en société, comme s’il s’agissait d’une forme de rémunération, je suppose. Mais que faisaient-ils avant? Comment prévoyaient-ils l’achat de l’équipement dont ils ont besoin dans leur cabinet? Comment prévoyaient-ils ce genre de choses, en vue de leur retraite et ainsi de suite, pour lesquelles nous disons maintenant qu’il faut constituer une société? Je vous prie de m’aider un peu à comprendre.

Dr Chiu : Merci, sénateur Neufeld. Nous procédions de la même façon que les autres petites entreprises. Nous contractions des emprunts, demandions l’aide de membres de la famille et obtenions des fonds en recourant aux autres moyens possibles. C’est, c’était et cela demeure une entreprise. Les médecins dirigeaient une entreprise, et ils devaient soit s’endetter, soit emprunter pour investir dans leurs activités professionnelles. Lorsqu’ils constituent leur cabinet en société, il l’exploite ainsi, comme toute autre petite entreprise dans cette situation. La façon dont ils maintenaient et exploitaient leur entreprise et y investissaient de l’argent n’était pas vraiment différente que ce que font les autres petites entreprises.

Le sénateur Neufeld : Je vois. Donc, avant que le Manitoba encourage les médecins à constituer leur cabinet en société, ils empruntaient de l’argent à leur famille, à leurs amis ou — je ne sais pas — à des investisseurs providentiels et ainsi de suite pour pouvoir gérer leurs activités. Cependant, dès qu’ils ont pu constituer leur cabinet en société, tout cela a changé, et vous vous en sortez bien. J’ai un petit peu de difficulté à comprendre l’analogie. Je n’ai peut-être pas posé la question correctement la première fois.

Dr Chiu : Au lieu de laisser les médecins assumer le risque de l’exploitation de leur cabinet de médecine, ce risque se retrouve maintenant dans la société. C’est donc une entité distincte. Le médecin est un employé et un actionnaire de la société. C’est donc très semblable aux autres petites entreprises, dans lesquelles le risque assumé par un particulier est dorénavant assumé par une personne morale.

Le sénateur Neufeld : J’ai une autre question. Le seuil de 50 000 $ est-il suffisant?

Dr Chiu : Je ne sais pas. Je ne sais pas à quoi ressemblera le seuil de 50 000 $ pour ce qui est des placements passifs. Votre collègue a dit qu’à 5 p. 100 du revenu, cela signifie que le montant serait de 1 million de dollars. Cela dépend du cabinet. Certains cabinets sont plus gros que d’autres et ont besoin de beaucoup plus de liquidités, et les revenus de placement en font partie. D’autres cabinets ont besoin de très peu de liquidités, et ils peuvent devenir un outil d’investissement en vue de la retraite ou à d’autres fins. Mais je ne sais pas s’il y a une réponse universelle.

Le sénateur Neufeld : Merci. C’est essentiellement ce que nous ont dit presque toutes les personnes qui sont venues témoigner. Le seuil de 50 000 $ est sorti de nulle part, car personne ne sait d’où vient le chiffre, à l’exception du ministre des Finances qui a décidé un jour de déclarer que le seuil serait de 50 000 $. Vos propos vont toutefois dans le même sens que ce que nous ont dit d’autres propriétaires de petites entreprises et des agriculteurs, à savoir que cela dépend entièrement de la situation de l’entreprise, de sa constitution en société, de sa petite ou grande taille. Vous convenez donc que la mise en place d’un seuil ne fait que compliquer énormément le processus plutôt que de régler des problèmes prévus, que cela se traduira probablement par des problèmes plus graves que ceux que nous avons maintenant, n’est-ce pas?

Dr Chiu : Je ne suis pas comptable professionnel agréé.

Le sénateur Neufeld : Moi non plus.

Dr Chiu : Je ne suis vraiment pas certain des répercussions fiscales et de la façon dont ce sera géré. Je sais seulement que mes collègues me disent que même si le montant de 50 000 $ paraît formidable, ils ne savent même pas s’il est raisonnable; et que le cabinet soit grand ou petit, il ne semble pas y avoir de chiffre magique inférieur ou supérieur qui paraît sensé.

Le sénateur Neufeld : Merci beaucoup.

La sénatrice Andreychuk : Merci. Je veux poursuivre la discussion sur la constitution ou la non-constitution en société. D’après ce que je comprends de la profession médicale, en tant que médecin, on ne peut aucunement déléguer sa responsabilité. C’est réglementé et contrôlé, et il faut avoir une assurance. Ce que la constitution en société a rendu possible, c’est tenir compte des risques associés à l’exploitation d’une entreprise dans une façon de prêter de l’argent, d’en obtenir et ainsi de suite. Ai-je bien compris? Donc, quand vous parlez de dettes, un emprunt pour pouvoir terminer ses études est une chose — vous savez, vous y avez probablement consacré plus de temps que moi pour mes études en droit. Cependant, au moment de contracter une dette pour se lancer en affaires, louer un bureau ou un immeuble et ainsi de suite, on se tournait vers les établissements de crédit lorsqu’on n’avait pas de famille capable d’offrir un soutien. Est-ce la différence entre l’avant de l’après, à savoir que vous représentez un meilleur risque sur le plan commercial après avoir constitué une société?

Dr Chiu : Oui. Les prêteurs voient ces cabinets constitués en société comme des entités distinctes. Et vous avez également raison pour ce qui est des dettes. Je faisais allusion aux dettes d’études, qui sont considérées comme une dette à la consommation non déductible. Mais lorsqu’on commence à exercer, et il faut s’endetter pour pouvoir le faire, c’est une chose que la société peut assumer, et des avantages fiscaux y sont associés.

La sénatrice a raison à propos de la responsabilité médicale. Mon cabinet est constitué en société, mais je suis personnellement responsable de tout ce que je fais sur le plan médical. La société ne se rapporte vraiment qu’à l’aspect commercial de la profession, qu’à l’activité qui consiste à exploiter un cabinet médical, mais elle ne me dégage pas de ma responsabilité d’exercice professionnel. Or, pour exercer ma profession dans le cadre d’une société, je dois obtenir l’approbation de mon collège de médecine qui s’assure que mon dossier est en règle, que je ne fais rien de ridicule en procédant ainsi, et que je suis autorisé, à la suite d’une évaluation annuelle, de continuer d’exercer et d’avoir un cabinet de médecine constitué en société.

La sénatrice Andreychuk : Le ministre et ses collaborateurs ont récemment comparu devant nous, et ils ont fait remarquer que cette structure et cette imposition du revenu passif ne devraient pas servir à assurer la retraite. Dans l’éventualité où le gouvernement limitait votre capacité à recourir à cet argent, que ce soit de manière progressive ou lorsque vous avez utilisé tout le reste et que vous vous apprêtez à prendre votre retraite — vous pourriez vous en servir ainsi —, de quelle façon financeriez-vous votre retraite si la catégorie des placements passifs n’était pas une option?

Dr Chiu : Nous investissons dans des REER, comme tout le monde. Je peux donc cotiser à un REER au moyen de mon salaire, mais c’est impossible avec l’argent qui ne constitue pas un salaire. Il m’est donc impossible de reporter l’impôt à ma retraite. Par contre, la constitution en société d’un cabinet médical permet de reporter l’impôt en vue de la retraite. Les montants qui demeurent dans la société sont encore imposés, et nous sommes imposés lorsque nous les retirons. Nous parlons de l’impôt prélevé lorsque les fonds se trouvent dans la société, et la modification proposée a une incidence à cet égard.

Mais dans les faits, si je devais prendre de l’argent dans la société, les taux combinés de l’impôt et l’impôt sur le revenu des particuliers sont parfaitement identiques. C’est juste une question de laisser les fonds dans le cabinet médical constitué en société pour les éventualités. Si je tombe malade, je n’aurai plus de salaire; je ne recevrai pas de prestations. Mais les fonds qui s’y trouvent me permettent d’être prêt si jamais je tombe malade ou lorsque je prendrai ma retraite; cela me permet de me constituer une réserve en vue de ma retraite. L’argent sera toutefois imposé lorsque je vais le retirer, et pratiquement au même taux que si je le prenais sous forme de dividendes, ou en tant que salaire.

La sénatrice Andreychuk : Comme je viens de la Saskatchewan, je suis très préoccupée par la prestation de soins de santé dans les régions rurales. Chaque médecin qui s’installe dans une petite collectivité en devient réellement l’élément vital à mesure que nous vieillissons et que nos services sont regroupés compte tenu des spécialités que nous avons maintenant. Nous transportons donc les gens par avion jusqu’au point de services le plus proche. Il n’empêche que l’élément vital de la collectivité est le médecin qui y engage des infirmières et des aidants naturels, qui assure le fonctionnement des foyers et ainsi de suite. Donc, à votre avis, la cellule familiale est-elle essentielle selon vous dans les municipalités ayant un seul ou même deux médecins, où ces médecins ont des patients? Cela ressemble beaucoup à la situation observée à une autre époque.

Dr Chiu : Je vois beaucoup de médecins déménager avec leur famille dans une petite ville, et leur conjoint contribue au cabinet d’une certaine façon, que ce soit à titre de gestionnaire du bureau ou pour accomplir toutes les tâches nécessaires dans un petit cabinet composé d’un médecin. Par ailleurs, il arrive également souvent que deux médecins qui sont conjoints ouvrent un cabinet ensemble. Je vois donc la famille en tant qu’ensemble.

De plus, comme nous l’avons dit, la constitution en société d’un cabinet médical est une activité qui consiste pour une personne à investir dans la carrière de son conjoint médecin. Cet investissement ne prend pas fin lorsqu’il exerce sa profession; il se poursuit. Que ce soit pécuniaire ou sous forme d’efforts, c’est une contribution du conjoint. Je vois donc un avantage à ce que le conjoint profite également sur le plan financier du cabinet médical constitué en société.

La sénatrice Andreychuk : Merci.

Le sénateur Oh : Merci d’être ici, docteur Chiu.

Ma question porte sur les observations faites par le ministre à propos de son engagement à terminer une évaluation de l’incidence selon les sexes. Nous avons entendu de nombreux témoins, y compris des médecins comme vous, au sujet de l’incidence de ces propositions sur leur famille. Hier, on nous a parlé des médecins des régions rurales de la Saskatchewan et du nombre de conjoints qui ont sacrifié leur carrière pour que ces médecins puissent y soigner des gens. Est-ce un problème courant au Manitoba? Et qu’en est-il des jeunes médecins qui ont des enfants? Leurs enfants ont-ils accès à des garderies agréées pour que ces médecins puissent prodiguer des soins de santé?

Dr Chiu : Merci, sénateur Oh. Les médecins des régions rurales que je connais personnellement savent vraiment à quel point leur conjoint a contribué à leur carrière, et ils sont d’avis qu’il est normal qu’il continue de bénéficier des avantages de la constitution en société de leur cabinet de médecine compte tenu de leur investissement. Je souscris donc également à ce que vous avez entendu en Saskatchewan.

À propos des programmes de garderies subventionnées pour les médecins, je ne suis pas en mesure de répondre. Il y a un si grand éventail de médecins et de cabinets de médecine que, lorsque des enfants entrent dans l’équation, les façons de s’en occuper varient grandement, et je ne suis donc pas en mesure de répondre.

Le sénateur Oh : Par conséquent, les modifications fiscales proposées forceraient-elles le mari, par exemple, à verser un salaire à sa femme qui reste à la maison pour lui prêter main-forte, pour s’occuper des enfants? Est-ce que cela serait raisonnable?

Dr Chiu : Si vous posiez la question à ma femme, elle vous dirait que cela ne fait aucun doute, et je pense que la majorité des conjoints serait du même avis. Cependant, je ne suis pas certain si c’est une chose, c’est-à-dire la présence au domicile du conjoint pour s’occuper de la maison et des enfants, que notre société a examinée, non seulement pour ce qui est des médecins, mais aussi pour les autres travailleurs. Je ne suis pas certain que nous nous soyons entendus là-dessus en tant que société, sans parler des médecins.

Le sénateur Oh : Je pense que si votre femme reste à la maison pour s’occuper des enfants et des tâches ménagères, elle joue alors un rôle important à vos côtés.

Dr Chiu : Nous partageons les tâches. Ma femme est médecin de famille, et nous nous partageons donc également l’entretien ménager, la vaisselle, la lessive et le changement de couches.

Le sénateur Neufeld : Je n’ai qu’une brève question, docteur. Vous avez dit que vous cotisez à votre REER comme tout le monde. Pouvez-vous me dire, ou en avez-vous une idée, à combien se chiffre la proportion de médecins qui investissent dans des REER plutôt que dans des placements passifs en vue de leur retraite? Pouvez-vous nous donner un chiffre ou une idée?

Dr Chiu : Je ne peux pas. Cela dépend beaucoup des conseils fiscaux donnés aux médecins et de la structure de leur cabinet. Ces règles fiscales sont beaucoup trop complexes pour que nous puissions les comprendre en tant que médecins. Nous nous fions à nos conseillers fiscaux. Donc, certains investissent également dans leur régime d’épargne-retraite, et ils essaient d’investir dans leur société ce qu’ils ne peuvent pas investir dans leur régime d’épargne-retraite. D’autres suivent les recommandations de leurs comptables ou de leurs conseillers financiers et investissent uniquement dans leur société, pas dans un régime d’épargne-retraite.

Le sénateur Neufeld : Merci.

Le sénateur Mockler : Merci, docteur Chiu. Vous avez été fort instructif. Vous avez enrichi une grande partie de nos réflexions, formulé des recommandations et exprimé vos points de vue. Si vous voulez contribuer davantage à notre étude avant que le Comité sénatorial permanent des finances nationales dépose son rapport le 15 décembre, veuillez le faire par l’entremise de la greffière.

Chers collègues, je vous prie de m’accorder votre attention pendant moins d’une minute. Comme nous arrivons à la fin de notre voyage dans l’Ouest et de la première semaine de délibérations, au nom des sénateurs, j’aimerais prendre une minute pour remercier les personnes présentes qui travaillent en coulisses pour nous permettre de faire notre travail.

C’est un exercice que les Canadiens attendaient. Nous profitons de l’occasion, les sénateurs et les membres du comité, pour remercier les deux greffières présentes dans la salle, Joëlle et Gaëtane, ainsi que l’équipe à Ottawa, qui appuient nos activités quotidiennes de consultation des Canadiens. Nous voulons également remercier les deux analystes, les interprètes, les sténographes, l’équipe de la logistique, le personnel de soutien de nos bureaux, les techniciens et l’équipe des communications; nous vous remercions tous.

Chers collègues, la prochaine séance aura lieu à l’autre bout du Canada lors de notre passage dans les provinces de l’Atlantique, pendant la semaine du 19 au 24 novembre. Nos premières délibérations auront lieu à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador.

(La séance est levée.)

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