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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 49 - Témoignages du 20 novembre 2017 (séance du matin)


ST. JOHN’S, le lundi 20 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 3, pour étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

[Traduction]

Gaëtane Lemay, greffière du comité : Bonjour, honorables sénateurs. Par suite de la motion adoptée par le Sénat le 7 novembre dernier, la composition du Comité sénatorial permanent des finances nationales se retrouve à 12 membres dès aujourd’hui, et nous vous avons présenté les nouveaux membres.

Voici donc la liste actuelle des membres, par ordre alphabétique : les honorables sénateurs Andreychuk, Black, Campbell, Cools, Day, Eaton, Forest, Jaffer, Marshall, Mockler, Neufeld et Pratte.

Honorables sénateurs, à titre de greffière du comité, il m’incombe de présider l’élection d’un ou d’une présidente. Je suis prête à recevoir une motion à cet effet.

Y a-t-il des mises en candidatures?

La sénatrice Cools : Oui, j’ai quelqu’un à proposer.

Chers collègues, invités et observateurs, j’ai l’honneur et le plaisir de proposer un sénateur distingué et très aimé, Percy Mockler, comme candidat à la présidence du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Nous avons appris à le connaître et à l’aimer et nous avons développé une grande affection pour le sénateur Mockler en travaillant avec lui jusqu’à présent. En outre, il s’est acquitté pendant très longtemps de ce rôle avec une grande noblesse.

Je peux assurer les honorables sénateurs que le sénateur Mockler servira le Sénat et le Canada avec beaucoup de distinction.

Mme Lemay : Avez-vous d’autres candidats à proposer?

La sénatrice Andreychuk : Je propose la clôture des mises en candidature.

Mme Lemay : L’honorable sénatrice Cools propose que l’honorable sénateur Mockler assume la présidence de ce comité.

Plaît-il au comité d’adopter cette motion?

Des sénateurs : Oui.

Mme Lemay : Je vous invite, sénateur Mockler, à prendre place au fauteuil.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

Le président : Vous me pardonnerez, honorables sénateurs et chers collègues, mais même avec mes années d’expérience, ce processus m’intimide encore.

La sénatrice Cools : Votre anxiété s’atténuera avec le temps.

Le président : Je vous remercie, chers collègues, de me faire encore confiance. Je vous promets de servir le comité de mon mieux. Je sais que je peux compter sur vous tous, car nous formons une excellente équipe. Vous avez toujours fait preuve de passion et d’intérêt en appuyant le mandat que le Sénat du Canada nous a confié.

Honorables sénateurs, je vous suggère de ne pas élire les vice-présidents en ce moment. Comme notre comité est en voyage, loin d’Ottawa, quelques-uns de ses membres ne sont pas avec nous aujourd’hui. Alors si vous êtes d’accord avec moi, nous pourrions ajouter l’élection des deux vice-présidents à l’ordre du jour de notre première réunion à Ottawa. Je crois qu’elle aura lieu le mardi 28 novembre à 9 h 30.

Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord que nous élisions les vice-présidents à notre retour à Ottawa?

Des sénateurs : D’accord.

Le président : Cette proposition est adoptée à l’unanimité. Par conséquent, l’élection des vice-présidents figurera au premier point à l’ordre du jour de notre première réunion à Ottawa.

Maintenant que notre comité est dûment constitué, je propose que nous observions une minute de silence à la mémoire de notre collègue et ami, l’honorable Tobias Enverga Jr., qui est décédé jeudi dernier, le 16 novembre, alors qu’il voyageait en Colombie avec une délégation parlementaire. Levons-nous pour observer une minute de silence.

[Minute de silence.]

Merci beaucoup, mesdames et messieurs.

Je vais maintenant demander à la greffière d’inviter le premier témoin à venir s’asseoir à la table. Je vais le présenter dans une minute.

Les sénateurs vont maintenant se présenter, puis la sénatrice Marshall nous souhaitera la bienvenue à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. Commençons les présentations à ma gauche, s’il vous plaît.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, Saskatchewan.

La sénatrice Cools : Anne Cools, de Toronto, en Ontario, au cas où quelqu’un ne le savait pas.

Le président : Je m’appelle Percy Mockler, président et sénateur du Nouveau-Brunswick.

Notre sénatrice de Terre-Neuve-et-Labrador, la sénatrice Marshall, va maintenant souhaiter la bienvenue au comité.

La sénatrice Marshall : Je souhaite la bienvenue à tous mes collègues sénateurs qui sont ici ainsi qu’au personnel et aux fonctionnaires qui nous ont accompagnés pour faciliter la tenue de cette audience. Je remercie très spécialement nos invités d’être venus. Je vois quelques témoins dans l’auditoire aussi. Nous avons hâte d’entendre ce que vous avez à nous dire.

Je vous souhaite la bienvenue dans notre région. À Terre-Neuve-et-Labrador, les gens sont très fiers de leur province. Apparemment, certains d’entre vous sont arrivés hier soir et ont eu l’occasion de visiter Signal Hill.

La sénatrice Cools : Oui.

La sénatrice Marshall : Vous avez certainement joui de notre hospitalité chaleureuse. Nous sommes habitués au brouillard que vous voyez dehors. Il nous donne la sensation d’être vraiment chez nous. L’audience d’aujourd’hui sera merveilleuse, et j’espère que notre avion pourra quitter l’aéroport de Halifax ce soir.

La sénatrice Cools : Autrement, nous resterons chez vous une journée de plus.

La sénatrice Marshall : En attendant, je suis sûre qu’il fait beaucoup plus chaud ici que ce que nous avons eu dans l’Ouest. Il fait six degrés ici aujourd’hui.

Alors je vous souhaite la bienvenue une fois de plus. Nous sommes vraiment heureux de vous avoir avec nous aujourd’hui.

Le président : Merci, madame la sénatrice Marshall.

Vous voyez aussi à la table notre analyste, Sylvain Fleury, et notre greffière, Gaëtane Lemay.

Le comité a reçu son mandat le 26 septembre 2017. Si les honorables sénateurs me le permettent, je vais faire inscrire au compte rendu que le Sénat du Canada a autorisé le Comité sénatorial permanent des finances nationales à étudier, en vue d’en faire rapport, les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes et, plus particulièrement, la répartition du revenu, la détention de placements passifs dans une société privée et la conversion du revenu régulier en gain en capital. Le comité devra porter une attention particulière aux répercussions des changements proposés sur les petites entreprises et sur les professionnels constitués en société, à la croissance économique et aux finances publiques, à l’équité de l’imposition des différents types de revenus ainsi qu’à d’autres questions connexes. Le comité présentera son rapport final au Sénat au plus tard le 15 décembre 2017 et conservera tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

Sachez que nous entamons la 22e réunion publique à ce sujet. Cet automne à Ottawa, nous avons tenu 13 réunions publiques au cours desquelles nous avons entendu près de 60 témoins. Il y a deux semaines, nous avons tenu dans l’Ouest du Canada des réunions qui ont suscité énormément d’intérêt dans le monde des affaires. Nous y avons entendu des témoins des secteurs de la santé et de l’agriculture ainsi que du grand public canadien.

Ce matin, notre premier groupe de témoins se compose de M. Leonard Wade Locke, de l’Université Memorial de Terre-Neuve. M. Locke est professeur titulaire d’économie à l’Université Memorial. Il est expert de l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que de l’économie des ressources, des finances publiques, des politiques publiques, des indicateurs d’innovation, de l’évaluation des répercussions économiques et des analyses de rentabilité. Il a publié un très grand nombre d’ouvrages.

Monsieur Locke, merci d’avoir accepté notre invitation.

Je vous présente aussi le témoin qui accompagne M. Locke ce matin, le professeur Doug May. Merci d’être venu à cette réunion.

Monsieur Locke, je vais vous demander de présenter votre allocution. Ensuite, les sénateurs vous poseront leurs questions. Je suis sûr que la première question vous viendra de la sénatrice Marshall.

Wade Locke, professeur d’économie et directeur de département, Département de science économique, Université Memorial de Terre-Neuve, à titre personnel : Je tiens à souligner que j’ai préparé cette allocution avec l’aide de M. May. Permettez-moi aussi de souhaiter la bienvenue à votre comité dans notre province. Le volume d’information que vous devrez traiter est énorme. Votre tâche ne sera pas facile.

Nous vous remercions de nous avoir permis de vous présenter des observations sur ce sujet important. Nous le ferons du point de vue de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Je suis certain que vous entendez des observations très semblables un peu partout. Vous avez aujourd’hui deux ou trois témoins qui vous aideront à les comprendre. Au lieu de nous concentrer sur cet aspect du sujet, nous avons décidé d’examiner des données propres à Terre-Neuve pour que vous compreniez mieux les problèmes auxquels notre province fait face à l’heure actuelle.

Nous nous excusons de vous présenter notre allocution dans ce format. Nous envisagions de faire une présentation PowerPoint, alors c’est ainsi que nous l’avons conçue. Comme vous en avez des copies, nous indiquerons de quelle diapositive nous parlons tout au long de notre allocution.

Nous en sommes à la deuxième diapositive. D’après le document de consultation de Finances Canada, vous vous penchez avant tout sur les problèmes de répartition du revenu, de détention de placements passifs dans une société privée et de conversion du revenu régulier en gain en capital.

Passons à la troisième diapositive. Il semblerait qu’en partie, les changements proposés visent à protéger certains enjeux et à les rendre plus équitables pour la classe moyenne. Il nous a semblé que le titre de cette diapositive, « Hollowing Out », ou « Érosion », vous intéresserait. Vous avez là une illustration schématique de la transformation qu’a subie la classe moyenne à Terre-Neuve, au Canada et aux États-Unis de 2000 à 2014. Cette illustration se fonde sur la définition que le FMI propose pour le terme « classe moyenne », c’est-à-dire la part de la population dont le revenu est de 50 à 150 p. 100 du revenu moyen équivalent des ménages.

Selon cette définition, la classe moyenne du Canada ne s’érode pas du tout. Vous le constatez en comparant la hauteur des petits bonshommes de l’image. Ils n’ont pas rapetissé. Le rouge représente la population de 2014, le bleu, celle de 2000. Ils ont à peu près la même hauteur. Selon cette définition, la classe moyenne du Canada ne s’est pas érodée.

Si vous regardez Terre-Neuve, la taille de sa classe moyenne représente un pourcentage de la population légèrement plus petit que celle du Canada. Elle a légèrement diminué de 2000 à 2014. Vous voyez cependant que celle des États-Unis s’est beaucoup érodée et qu’elle est beaucoup plus petite que la classe moyenne du Canada.

Vous comprenez donc pour quelles raisons on en parle tant. On ne voit pas très bien si la taille de la classe moyenne a changé très légèrement ou pas du tout. On se demande ce qui a précipité ces propositions de changement visant à protéger la classe moyenne ou à la traiter plus équitablement.

À la diapositive 4, vous voyez un graphique de l’indice de polarisation et un coefficient de Gini pour les États-Unis, pour le Canada et pour Terre-Neuve. La simulation que nous avons effectuée avec les données de 2016 donne des indices de polarisation et un coefficient de Gini moins élevés pour le Canada et pour Terre-Neuve. Nous en concluons que la taille de la classe moyenne augmente.

Nous proposons ces changements pour protéger la classe moyenne, mais tous ces indicateurs soulignent qu’elle ne s’érode pas. En fait, ces deux indices démontrent qu’elle augmente autant à Terre-Neuve qu’au Canada.

Passons maintenant à la diapositive 5. Nous avons demandé à Statistique Canada de nous permettre de consulter les données que Wolfson et ses collaborateurs ont utilisées pour leur étude publiée dans la Revue fiscale canadienne et qui sont à la base des changements que l’on propose d’apporter à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Nous avons obtenu l’accès aux données sur les sociétés privées sous contrôle canadien. Vous voyez à la diapositive 5 le nombre de déclarants terre-neuviens qui, entre 2001 et 2011, détenaient 10 p. 100 ou plus des actions d’une société privée sous contrôle canadien. Je vais utiliser le sigle SPCC pour désigner ces sociétés, si vous me le permettez, pour gagner un peu de temps. Ce nombre a augmenté de 2,85 à 3,85 p. 100. Le nombre de déclarants terre-neuviens qui détenaient 10 p. 100 ou plus des actions d’une SPCC a augmenté d’un pour cent. La propriété d’actions d’une SPCC ne semble donc pas avoir beaucoup de répercussions dans cette province. Vous remarquerez cependant qu’à Terre-Neuve, le nombre de ces actionnaires a considérablement augmenté après 2006 lorsque l’économie a changé. Celle-ci a commencé à croître, alors le revenu des gens a augmenté. C’est ainsi que nous expliquons cette augmentation.

Passons maintenant à la diapositive 6. Nous visons ici à illustrer qu’en comparant le nombre de déclarants qui détiennent des actions d’une SPCC au nombre total de déclarants, on constate qu’ils ne sont pas très nombreux. Dans le graphique de gauche, qui est bleu avec une petite ligne rouge, cette petite ligne se tient très près de l’axe horizontal. Comme le diagramme précédent, il illustre que cette population de déclarants terre-neuviens a augmenté de deux virgule quelque chose à trois virgule quelque chose pour cent.

Les chiffres ne sont pas très élevés eux non plus. Nous voyons que le nombre de déclarants a augmenté de 12 000 ou 13 000 à 17 600. Il y a donc environ 5 200 déclarants de plus, alors que le nombre de déclarants a augmenté de 23 400. En 2001, sur les 90 p. 100 des déclarants terre-neuviens qui ont déclaré le moins d’impôt, 1,9 p. 100 seulement détenaient 10 p. 100 ou plus d’actions de SPCC. Soulignons que ce chiffre est bien moins élevé que ceux qui figurent dans le rapport de Wolfson et de ses collaborateurs. En règle générale, l’utilisation de SPCC ne semble pas constituer un bien gros problème à Terre-Neuve à l’heure actuelle.

Passons donc à la diapositive 7. Vous voyez les différences de propriété de SPCC entre les différents déciles de revenu ou, dans ce cas-ci, par tranches de revenu brut. Du côté gauche de la diapositive, vous voyez la proportion de ces déclarants par rapport à la population totale en 2001 et en 2011. Nous disposons de ces chiffres pour toutes les années, mais aux fins de cette présentation, nous avons simplement comparé ceux de 2001 à ceux de 2011. Je vais souligner quelques points importants. Dans le cas de toutes les catégories de revenu, les barres rouges dépassent les vertes. Autrement dit, dans toutes les catégories de revenu, la propriété a augmenté à Terre-Neuve. Elle n’a pas augmenté uniquement chez les riches. Tout simplement, les déclarants du décile supérieur, ou le groupe des mieux nantis, utilisent cette propriété plus que les autres. Nous voyons ici que dans le cas des déclarants du décile supérieur, elle a augmenté de 7,2 à 10,1 p. 100. Cette augmentation est beaucoup plus élevée que celle des autres déciles. Autrement dit, les contribuables les mieux nantis qui paient le plus d’impôts choisissent cette option plus que les autres.

La prochaine diapositive montre le dixième décile dans les deux graphiques du haut. Regardons maintenant la diapositive 8. Wolfson et ses collaborateurs ont subdivisé le décile supérieur en tranches de 90 à 95 p. 100, de 95 à 99 p. 100, de 0,9 p. 100 et de 0,1 p. 100 pour montrer que plus les déclarants sont riches, plus ils choisissent cette option.

Par exemple, dans le groupe des déclarants du groupe supérieur de 0,01 à 1 p. 100, 47,6 p. 100 sont propriétaires d’une SPCC. Soulignons cependant que ce groupe représente 200 déclarants d’un groupe global d’environ 450.

La sénatrice Cools : Oh! Ce n’est pas énorme.

M. Locke : Le pourcentage est élevé, mais pas le nombre, pour vous donner une idée de la situation.

Passons rapidement à la diapositive 9. On y voit l’évolution de l’utilisation des SPCC par tranche de revenu et par décile. Je ne vais pas m’arrêter sur chaque diapositive, mais vous voyez que la proportion des propriétaires dans les groupes les moins nantis n’est que d’environ 1 p. 100. Ces chiffres ont augmenté très lentement. La proportion s’est accrue d’un peu plus de 1 p. 100 avec le temps. Elle a augmenté un peu plus dans les tranches de revenus plus élevés, mais pas énormément.

L’augmentation n’est que d’environ 1 p. 100 dans le deuxième décile, d’un peu plus de 1 p. 100 dans le troisième décile et de nouveau de 1 p. 100 dans le quatrième décile. Les personnes qui ne gagnent pas beaucoup et qui ne paient pas beaucoup d’impôts n’utilisent pas vraiment les SPCC.

À la diapositive 10, vous voyez cette augmentation du cinquième au huitième décile. Les chiffres sont un peu plus élevés. Dans le cinquième décile, la proportion des déclarants passe de 1,3 à 2,0 p. 100. Dans le huitième décile, elle passe de 3,6 à 4,3 p. 100. D’un décile à l’autre, on constate une augmentation du nombre de contribuables qui utilisent les SPCC.

À la diapositive 11, nous avons le dixième décile dans le coin supérieur gauche et le 0,1 p. 100 au revenu le plus élevé dans le coin inférieur gauche. Vous voyez que les contribuables qui utilisent le plus les SPCC sont ceux du groupe au revenu le plus élevé, de 0,1 à 1 p. 100, que l’on voit dans le coin inférieur gauche, soit environ 200 déclarants en 2011. Plus on isole les contribuables au revenu le plus élevé, plus la proportion de ceux qui utilisent les SPCC est élevée. Ces proportions sont moins notables que celles que l’on observe dans tout le Canada, c’est sûr. On constate une augmentation de l’utilisation des SPCC de 2001 à 2011. Elle a passé de 32,9 à 47,6 p. 100 dans ce groupe de contribuables. Soulignons à nouveau qu’il ne s’agit que de 200 déclarants à Terre-Neuve en 2011.

Nous voulions également attirer votre attention sur la notion de progressivité, à la diapositive 12, parce qu’elle est en partie liée à l’équité qui, à son tour, est liée à ce qu’on appelle l’équité verticale ou l’équité horizontale. L’équité verticale est généralement associée à une structure fiscale progressive. Plus elle est progressive, plus elle vise à corriger un certain degré d’iniquité verticale. En gros, l’équité verticale suppose que les personnes qui ont une plus grande capacité de payer paient relativement plus d’impôts.

Il est important que votre comité comprenne que la notion d’équité verticale relève du jugement de valeur. C’est une opinion. Elle n’est ni bonne ni mauvaise. Cela dépend de ce qui, pour nous, est bon ou mauvais. C’est une question d’équité et, bien souvent, l’équité est une notion subjective.

Nous avons décidé de faire une simulation à l’aide du modèle de simulation de politique sociale pour les données de 2016 afin de voir dans quelle mesure les taux d’imposition varient selon la catégorie de revenus. Nous avons pris en compte la totalité des familles terre-neuviennes, c’est-à-dire les 257 228 familles de la province, que nous avons classées selon les impôts qu’elles ont payés comparativement au montant des transferts que vous voyez sur le graphique. Le terme « impôts » comprend l’impôt sur le revenu et les taxes à la consommation.

Dans le diagramme de gauche, vous voyez les familles qui ont payé des impôts peu élevés par rapport aux transferts versés et celles qui ont payé des impôts élevés par rapport aux transferts. Vous constatez que plus le revenu, représenté par la ligne bleue augmente, plus le montant des impôts payés est négatif. Nous indiquons que l’impôt est négatif, mais ces familles paient plus d’impôts. Nous avons traduit ce montant en taux d’imposition pour vous. C’est le diagramme de droite, la ligne rouge en pointillé.

Vous voyez une structure relativement prononcée et progressive à mesure que le revenu augmente. Il y a un certain degré de progressivité. En revanche, l’équité horizontale suppose que les personnes considérées comme étant égales devraient être traitées de la même manière. Le terme « égales » est sujet à interprétation, mais si des personnes sont égales selon une définition établie, elles devraient être traitées de la même manière.

La sénatrice Andreychuk : Quand vous parlez d’impôts, vous parlez de l’impôt provincial et de l’impôt fédéral?

M. Locke : Oui. Des taxes à la consommation et de l’impôt sur le revenu.

Le sénateur Oh : La TVH et l’impôt fédéral et provincial sur le revenu.

Le président : Je vous demanderais de bien vouloir conclure afin que nous passions directement aux questions.

M. Locke : Bien sûr. Il ne reste plus que deux diapositives.

La diapositive 13 indique ce qui se produit lorsque nous incorporons les transferts. Quelle est l’incidence sur la progressivité? Le graphique de gauche intègre les transferts figurant sur le graphique précédent et la ligne verte en pointillé à droite de la diapositive indique la progressivité moins les transferts, les impôts moins les transferts. Il faut comparer cette ligne à la ligne rouge en pointillé parce que c’est celle que vous avez vue dans le diagramme précédent. Vous constatez que si on tient compte des transferts, les impôts deviennent beaucoup plus progressifs.

Nous vous signalons que la moitié des familles de Terre-Neuve prises en compte dans cette simulation ne sont pas des contributrices nettes. La moitié l’est et l’autre moitié ne l’est pas. Les familles qui ne contribuent pas perçoivent environ 76 p. 100 des transferts et les familles contributrices perçoivent 23,47 p. 100. La part des impôts est de 42 p. 100 pour les familles non contributrices et de 86 p. 100 pour les familles contributrices. La moitié seulement des ménages sont des contributeurs nets.

À Terre-Neuve, les impôts sont beaucoup plus progressifs lorsqu’on tient compte des transferts. Cela peut avoir une incidence sur l’équité verticale et sur l’équité horizontale. Cela peut déterminer si les changements visant les SPCC sont justifiés ou non. Il est important de considérer les changements fiscaux dans un cadre global plutôt qu’isolément.

Permettez-moi de terminer par nos conclusions à la diapositive 14. Nous vous remercions de nous avoir donné le temps de vous présenter notre point de vue. Le recours aux SPCC à Terre-Neuve suit la même tendance qu’ailleurs au Canada, tout en étant un peu plus faible. La situation est comparable. La tendance est similaire sur un diagramme, sauf qu’elle est plus faible.

Terre-Neuve est comparable au reste du Canada, en ce sens que le recours aux SPCC augmente parallèlement aux revenus. Ce modèle est surtout utilisé par un dixième de 1 p. 100 des contribuables, un groupe peu nombreux à Terre-Neuve. Nous parlons de 200 déclarants.

Le système fiscal de Terre-Neuve est déjà progressif. Doit-il l’être davantage, comme il le serait avec les changements visant les SPCC? C’est une question d’opinion ou un jugement de valeur.

Les transferts accentuent le degré de progressivité dans le régime fiscal terre-neuvien et peuvent avoir des répercussions sur l’équité horizontale. Même si la classe moyenne ne s’est pas érodée au Canada et seulement un peu à Terre-Neuve, notre simulation de 2016 laisse supposer qu’elle est en croissance au pays et dans la province.

Le problème avec la répartition du revenu, c’est que le particulier est considéré comme l’unité d’imposition. Le problème pourrait être réglé si la famille était l’unité d’imposition, comme c’est le cas dans d’autres contextes. Par exemple, le revenu familial équivalent est le paramètre utilisé pour l’élaboration d’une stratégie de réduction de la pauvreté au Canada.

Les exemptions relatives à l’investissement passif et aux gains en capital semblent nuire à l’équité horizontale. Elles doivent être corrigées d’une manière ou d’une autre, à l’intérieur ou à l’extérieur des SPCC.

Il serait peut-être temps de procéder à un nouvel examen plus approfondi de notre régime d’imposition des particuliers, plus de 50 ans après la création de la commission Carter. Je vous remercie.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup. J’allais dire que votre exposé était intéressant, mais je dirais plutôt qu’il était fascinant. C’est probablement parce qu’il s’agit de ma province. On dit que le diable est dans les détails. Lorsque les chiffres sont plus petits, nous avons vraiment une meilleure idée de ce qui se passe.

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi nous ne suivons pas la même voie que le reste du Canada? Pourquoi y en a-t-il moins chez nous? Est-ce à cause de notre économie? Pourquoi nos chiffres sont-ils plus faibles? Nous ne sommes pas aussi représentatifs dans les SPCC par habitant. Il semble y en avoir moins. Pourquoi? Est-ce attribuable à l’économie?

M. Locke : Oui, madame la sénatrice, c’est parce que l’économie terre-neuvienne n’est pas aussi développée qu’ailleurs. Avant 2006, notre économie n’allait pas bien. Avant 2009, nous recevions des paiements de péréquation parmi les plus élevés du pays par habitant et ce, durant une longue période. Au moment de l’effondrement de l’industrie de la pêche en 1992, 12 p. 100 des habitants ont quitté la province. Nulle part dans ce pays ou dans le monde avons-nous constaté un exode de cette ampleur.

Les possibilités d’emploi sont très peu nombreuses à l’extérieur de la fonction publique et des secteurs des ressources. Certaines personnes se sont donc bien tirées d’affaire et se sont enrichies, mais ce n’est pas le cas de la majorité. Par conséquent, peu de gens profitent de la situation, à en juger par le nombre de SPCC. Ces entreprises sont moins nombreuses et notre population est vieillissante, ce qui risque de créer de nouveaux problèmes pour nous.

La sénatrice Marshall : Lorsque vous parlez du 0,1 p. 100 ou des 200 déclarants, pouviez-vous dire quelles professions ils exercent? Je ne sais pas si on peut dire que certaines professions sont ciblées, mais la profession médicale est l’une d’elles. Pouvez-vous dire qui fait partie de ces 200 personnes et quelles professions elles exercent?

M. Locke : La réponse est oui, c’est possible. Nous ne disposions pas des données pour le faire, mais nous allons examiner la question.

La sénatrice Marshall : Pourriez-vous obtenir ces données?

M. Locke : Oui. Par exemple, nous pouvons obtenir des chiffres sur les médecins ou les personnes qui travaillent dans des cabinets médicaux. Nous pouvons en obtenir sur les travailleurs de la construction. Toutes ces données qui vous intéressent, vous pouvez y avoir accès.

La sénatrice Marshall : Les personnes qui gagnent un revenu très élevé représentent le 0,1 p. 100 qui y ont le plus recours. Il serait intéressant de savoir si ce sont des médecins ou des propriétaires d’un autre genre de petites entreprises. Ce serait très intéressant de le savoir.

Pensez-vous que les changements fiscaux proposés auront une incidence sur les petites entreprises, qu’il s’agisse de médecins ou d’autres entrepreneurs? Ces changements fiscaux auront-ils une incidence sur les SPCC de Terre-Neuve-et-Labrador? Nous n’en avons pas beaucoup actuellement. Nous sommes sous la moyenne nationale. Croyez-vous que ces changements auront des répercussions négatives sur ces entreprises?

M. Locke : Voici ce que je peux dire à ce sujet, madame la sénatrice. Il est clair que les changements auront une incidence négative sur les petites entreprises de notre province, de toutes les provinces, en fait, pas seulement de la nôtre. Le but de ces changements est de percevoir plus d’impôts auprès de ces entreprises, de les empêcher de garder les économies à l’intérieur de l’entreprise et, en général, de réduire la part de revenu qu’elles pourraient investir. C’est très clair. Voilà l’impact que ces changements auront. Ceux qui pensent qu’ils n’auront aucune incidence se trompent, à mon avis.

La sénatrice Marshall : Il serait intéressant de savoir de quel genre d’entreprises il s’agit parce que cela nous permettrait de savoir si elles sont mobiles et risquent de déménager dans d’autres provinces ou d’autres pays. Il serait intéressant de savoir si ce sont surtout des médecins.

M. Locke : Ces changements accentueront la progressivité de l’impôt sur ce groupe particulier. Leur taux d’imposition fédéral sera plus élevé. L’écart avec les taux provinciaux se creusera. Cela entraînera une certaine redistribution des revenus et de la population d’une province à l’autre, une éventualité peut-être non prévue par cette mesure législative.

La sénatrice Marshall : À la diapositive 11, le graphique en bas à gauche indique que les déclarants terre-neuviens possèdent plus de 10 p. 100 des SPCC. Voyez-vous où les chiffres changent? Pourquoi y a-t-il des creux et des pics? Avez-vous une idée?

M. Locke : Ce sont les années de récession.

La sénatrice Marshall : Oh, c’est pour cela, c’est vrai. Il y a ensuite eu un début de reprise, en 2009, et un nouveau déclin en 2011.

M. Locke : Oui.

La sénatrice Marshall : Nous sommes en récession.

M. Locke : En 2011, nous n’étions pas en récession, mais les prix commençaient à fléchir.

Doug May, professeur d’économie, initiative Collaborative Allied Research in Economics (CARE), Université Memorial de Terre-Neuve, à titre personnel : Je confirme ce que vient de dire M. Locke. Lorsqu’il produit sa déclaration T2, le déclarant indique son numéro d’entreprise qui est transmis à Statistique Canada. Il est donc possible d’identifier le secteur. Il n’est toutefois pas possible d’identifier la profession, mais en général, des professions sont associées à un grand nombre de secteurs, notamment celles de médecin, de dentiste ou d’autres. En fait, il est facile de retracer ces données.

Je remercie les fonctionnaires de Statistique Canada qui savaient que nous allions témoigner ici lundi matin. Ils se sont empressés de faire cette analyse, mais ils pourraient aussi la pousser plus loin.

La sénatrice Marshall : J’aimerais faire un dernier commentaire. À la diapositive 6, j’ai été vraiment étonnée par le nombre de déclarants à Terre-Neuve-et-Labrador. Il y en a 450 000 pour une population de seulement 500 000 habitants. Est-ce une indication de la faible population de jeunes? C’est bien cela, n’est-ce pas?

M. Locke : Oui. Dans bien des cas, il faut présenter une demande pour obtenir certaines prestations.

La sénatrice Marshall : D’accord, il faut présenter une demande.

La sénatrice Andreychuk : Merci. Au début de votre exposé, à la diapositive 3, vous avez fait quelques observations au sujet de la classe moyenne. L’une des difficultés que nous avons, c’est justement de définir la classe moyenne. De votre côté, vous avez parlé de protéger la classe moyenne. Vous pensez également que c’est le but de ces changements.

Comment déterminez-vous la classe moyenne dans vos graphiques et vos tableaux et comment en êtes-vous arrivés à certaines de vos conclusions?

M. Locke : Je vais laisser M. May répondre à cette question.

M. May : Premièrement, il est clair qu’il n’existe pas de définition précise de la classe moyenne. Chaque groupe a sa propre définition. Dans ce document, nous cherchons à comparer la situation de notre province et du Canada à la situation internationale.

Notre analyse a largement porté sur l’inégalité croissante des revenus aux États-Unis. Le Fonds monétaire international, ou FMI, a rédigé un document à ce sujet. Nous avons simplement utilisé la même définition que le FMI et, je présume, l’OCDE et d’autres organisations. Avant d’adopter cette définition, j’ai consulté des fonctionnaires de la Division de la statistique du revenu de Statistique Canada. Ce sont eux qui ont publié les nouveaux chiffres la semaine dernière. Voilà comment nous en sommes arrivés à cette définition pour faire ces comparaisons internationales.

C’est la moitié de la médiane et cela correspond vraiment à ce que vous pourriez trouver ailleurs comme mesure du faible revenu, un paramètre parfois utilisé pour mesurer la pauvreté. Le taux grimpe ensuite à 150 p. 100. Il pourrait y avoir une légère variation en haut de l’échelle, mais c’est la définition utilisée par les organisations internationales.

La sénatrice Andreychuk : Nous entendons beaucoup de commentaires politiques visant la croissance de la classe moyenne, on prétend qu’elle est en péril et ainsi de suite. Dans votre rapport, vous semblez convenir que cela pose problème, mais que ce problème n’est pas présent à Terre-Neuve ou au Canada autant qu’on l’a prétendu, si j’ai bien compris votre diapositive trois.

M. Locke : C’est exact, madame la sénatrice. Nous ne le voyons pas. Si c’est le but premier de ces changements, ce n’est donc pas une raison solide.

La sénatrice Andreychuk : Dans son témoignage devant notre comité, M. Morneau a publiquement affirmé que la classe moyenne était l’une des raisons de ces changements. De plus, on a fait valoir qu’une personne qui touche un salaire de 50 000 $ ne devrait pas avoir à payer autant d’impôts qu’une entreprise privée constituée en société.

Que pensez-vous de cela? Cet argument est-il juste? Un salarié et un entrepreneur ne prennent pas les mêmes risques. Les employés prennent des risques, mais d’une toute autre nature. Est-il juste de dire qu’ils devraient payer un impôt comparable?

M. Locke : Si la personne qui fait cette comparaison prend en compte la totalité des transferts, le revenu et le montant de l’impôt payé puis tire la conclusion que vous venez juste de faire, cela serait juste. Deux personnes identiques par rapport à des critères qui nous semblent importants seraient considérées comme des unités familiales équivalentes. Elles devraient payer un impôt identique. C’est exact. Cette partie du raisonnement serait juste, mais il faut également prendre en compte un certain nombre de critères, surtout en ce qui a trait aux transferts, à la taille de la famille et à l’unité familiale.

M. May : Il faut être prudent, madame la sénatrice, avant d’avancer des arguments du genre parce que la Loi de l’impôt sur le revenu devient terriblement complexe. Par exemple, si vous touchez un salaire de 50 000 $, et oublions le reste, votre revenu imposable dépend de la composition de votre famille. Prenons, par exemple, le cas d’une jeune personne seule qui gagne 50 000 $. Ce cas est bien différent de celui d’une personne âgée avec 10 enfants à sa charge.

Il existe différentes définitions. Quant à la déduction applicable, c’est encore une autre histoire. La déduction est une question d’opinion, mais nous voulons éviter que l’impôt ne fasse retomber les gens dans la pauvreté.

La sénatrice Andreychuk : Nous avons entendu des histoires incroyables dans d’autres provinces, à part l’exemple que vous nous avez donné d’un entrepreneur qui prend des risques et n’a pas de régime de pension ni aucun autre type de pension, contrairement à un employé.

Le risque devrait être évalué de la même manière; les bénéfices non répartis sont ainsi utilisés à de nombreuses fins, notamment pour assurer l’expansion ou la croissance d’une entreprise. L’entrepreneur doit utiliser ses actifs personnels comme hypothèque ou garantie de prêts. Tous ces facteurs doivent être pris en compte afin que la comparaison entre un travailleur salarié et un entrepreneur ne relève pas d’un jugement de valeur.

M. Locke : Ce sera toujours un jugement de valeur, mais la question de l’indemnisation et de la prise en compte du risque dans le système fiscal est importante. Si vous n’offrez pas de compensation pour le risque, les gens en prendront de moins en moins. Ils investiront moins. Toute diminution de l’investissement et de la croissance se traduira par une baisse du niveau de vie.

Nous ne sommes pas en train de dire que le risque ne devrait pas être pris en compte dans un régime fiscal équitable. Ce que nous disons, c’est que la capacité des SPCC à faire des économies passives offre un gros avantage aux personnes qui participent à l’entreprise. Vous pourriez changer les autres systèmes à l’extérieur afin de permettre aux personnes qui ont de l’argent non placé dans une SPCC de l’investir dans leur avenir.

Prendre des risques, c’est une chose. Économiser pour sa retraite, c’est une chose tout à faire différente qui peut se faire à l’extérieur des SPCC. C’est un avantage considérable, à notre avis, mais c’est une question de comptabilité. Ce sont les comptables qui pourront vous répondre, madame la sénatrice.

La sénatrice Andreychuk : J’ai oublié à quelle page c’était, mais le graphique indique que plus vous grimpez les échelons dans une société privée, plus vous payez d’impôts et que certains des principaux utilisateurs se trouvent en haut de l’échelle. Est-ce exact?

On a constaté ailleurs que, dans le privé, on commence petit et on prend de l’expansion. Cela dit, si, par cet amendement du ministre, vous ciblez la tranche supérieure des 3 p. 100, ne craignez-vous pas de mettre un frein à l’essor des entreprises? Elles pourraient ne pas vouloir bouger, souhaiter rester où elles sont et ne pas chercher à prendre de l’expansion. Elles pourraient ne pas chercher à exporter.

M. Locke : Je ne me sens pas à l’aise d’essayer de répondre à cette question. Vous allez bientôt accueillir Mme Keating de la Chambre de commerce de St. John’s. Elle sera en mesure de vous dire, du point de vue des entreprises, s’il s’agit ou non d’un obstacle susceptible de dissuader les entrepreneurs de faire de leur petite entreprise une grande entreprise.

Toute mesure prise pour gruger à l’extrémité supérieure aura un effet modérateur sur les incitatifs. Nous sommes d’accord sur ce point.

La sénatrice Cools : Je vous remercie beaucoup, messieurs les professeurs, de nous avoir fait part de cette information. Je dois vous dire que j’ai beaucoup de respect pour les modélisateurs et les modèles de simulation et ce grand respect, je le dois à mon mari qui œuvrait dans ce domaine.

J’ai été très impressionnée par l’information que vous nous avez présentée et je suis heureuse que Terre-Neuve s’en tire bien, comme vous l’avez constaté. Je me demande simplement s’il est possible que ce soit plus qu’un résultat uniquement de Terre-Neuve que vous nous avez présenté.

Est-il possible que ce soit une tendance des Maritimes et de l’Atlantique? Se peut-il que ces provinces commencent à bien se débrouiller de beaucoup de façons et que nous n’en soyons pas au courant? Est-ce possible?

M. Locke : C’est possible. Notre expertise ne s’étend pas aussi loin.

La sénatrice Cools : Elle ne s’étend pas aussi loin.

M. Locke : Nous sommes limités géographiquement et spatialement.

La sénatrice Cools : Je comprends. Les Maritimes sont de très belles provinces et la beauté compense donc. J’ai pensé qu’il serait utile de trouver ces données. C’est un constat que nous ne devrions jamais perdre de vue, en particulier parce que, au bout du compte, cette partie du Canada est vraiment une région en soi. Vraiment.

M. Locke : Les données que nous avons ici sont disponibles pour chaque province. Nous avons demandé les données concernant Terre-Neuve parce que notre exposé, nous le faisons à une séance qui se déroule à Terre-Neuve.

La sénatrice Cools : Oui, vous présentez le point de vue de Terre-Neuve.

M. Locke : Oui.

La sénatrice Cools : Merci beaucoup. Revenez nous voir souvent.

Le président : Le sénateur Oh remplace le sénateur Neufeld et je donne maintenant la parole au sénateur Oh pour les questions.

Le sénateur Oh : Hier soir, je partageais un repas avec des Terre-Neuviens qui m’ont tous dit que la province est riche. Elle est supposément riche à tous les égards. Vous avez tout ici, mais le problème aujourd’hui, c’est que Terre-Neuve-et-Labrador est sur le point de faire faillite.

Les modifications fiscales proposées auront-elles encore davantage de répercussions sur cette province?

M. Locke : C’est à Terre-Neuve que le revenu par habitant est le plus élevé du pays. C’est aussi à Terre-Neuve que les dépenses par habitant sont les plus élevées du pays. Malheureusement, nos dépenses par habitant sont plus élevées que notre revenu par habitant, ce qui explique la situation financière difficile dans laquelle nous nous retrouvons.

Dans la mesure où les SPCC augmentent la progressivité du régime fiscal, la province en tirera profit, car elle percevra plus de recettes sur une base maintenant élargie. Dans la mesure où nous avons un taux d’imposition relativement élevé et ce, à bien des égards et que nous en relevons une composante encore d’un cran, cela aura pour effet de rendre la province pas mal moins intéressante. C’est un fait indéniable.

Vous m’avez dit que vos amis étaient médecins, je pense. Il y a peut-être pour eux des possibilités ailleurs au pays et dans des pays voisins. Si nous augmentons leurs impôts et réduisons leur revenu après impôt, cela ne présage rien de bon à long terme pour la région. Je pense qu’on peut le dire.

Le sénateur Oh : Y a-t-il eu beaucoup de petites entreprises qui ont fermé leurs portes au cours des dernières années?

M. Locke : Je le répète, vous allez vous entretenir avec Dorothy Keating, de la chambre de commerce. Elle peut répondre à ces questions mieux que nous.

La sénatrice Marshall : Les graphiques sont très intéressants. Vous pourriez peut-être nous donner quelques explications, mais je reviens aux graphiques de la page 11 où il est question de 0,1 p. 100 et même de 1 p. 100 dans la tranche supérieure. Vous disiez qu’il n’y a que 200 déclarants dans ce groupe, n’est-ce pas?

M. Locke : Oui.

La sénatrice Marshall : À 53 p. 100, il y aurait 106 déclarants, puis ce chiffre recule de 11 à 95 déclarants. Il serait très intéressant de connaître les branches d’activité dans lesquelles œuvraient les petites entreprises. Vous n’en avez aucune idée. C’est ce que vous dites?

M. Locke : Ce que nous avons dit, c’est que nous examinons actuellement la question. Nous allons mettre cet exposé à la disposition du public en l’affichant sur le site web de CARE, Collaborative Applied Research in Economics.

Nous avons l’intention d’aller plus loin et de nous pencher sur les industries et sur les structures d’où elles proviennent. Nous nous engageons, après avoir terminé, à transmettre l’information à votre comité.

La sénatrice Marshall : Des détails supplémentaires.

M. Locke : Nous pensons que c’est important et qu’il vaut la peine d’y mettre le temps.

La sénatrice Marshall : Oui, en effet. J’ai une autre question. Vous avez dit que 50 p. 100 des contribuables contribuent et 50 p. 100, ne contribuent pas.

M. Locke : Il s’agit de 50,4 p. 100 qui ne contribuent pas plus qu’ils ne reçoivent sous forme de transferts.

La sénatrice Marshall : D’accord.

M. Locke : Cela comprend l’impôt sur le revenu et les taxes de vente.

La sénatrice Marshall : Est-ce que cela inclut aussi l’Allocation canadienne aux enfants?

M. Locke : Oui, tout cela.

La sénatrice Marshall : Je voulais juste m’assurer de bien comprendre les données.

Le président : Messieurs les professeurs Lock et May, merci beaucoup de vos recommandations. J’estime qu’elles ont été très instructives et très importantes pour le travail du comité.

Nous allons déposer notre rapport au Sénat du Canada le 15 décembre; si, d’ici là, vous voulez ajouter quelque chose, n’hésitez pas à faire parvenir de l’information supplémentaire par l’entremise de la greffière du comité, Mme Lemay.

M. Locke : Nous vous remercions de nous avoir donné l’occasion de prendre la parole.

Le président : Mesdames et messieurs, dans notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons Dorothy Keating, présidente de la Chambre de commerce de St. John’s ainsi que Bill Stirling, directeur général de la Newfoundland and Labrador Association of Realtors. Je vous remercie tous les deux d’avoir accepté notre invitation.

La greffière m’a informé que le premier témoin sera Mme Keating et le deuxième, M. Stirling. Je vous prie de ne pas dépasser cinq minutes pour que les sénateurs aient le temps de vous poser des questions.

La parole est à vous, madame Keating.

Dorothy Keating, présidente, Chambre de commerce de St. John’s : Bonjour, monsieur le président et membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de venir à St. John’s pour écouter les préoccupations du milieu des affaires et des contribuables en général. Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui.

La Chambre de commerce de St. John’s existe depuis plus de 40 ans. Nous représentons plus de 800 petites entreprises de la province. Ces entreprises emploient des milliers de Terre-Neuviens et Labradoriens. Jamais, dans l’histoire de la Chambre de commerce de St. John’s, nos membres ont autant protesté en attendant le projet de loi déposé en juillet 2017. Ces changements ont une telle portée et sont si vastes et ambitieux et ont tellement de conséquences imprévues.

En réponse aux modifications fiscales de juillet et à la demande de consultation, la chambre a soumis un document de 28 pages dans lequel elle a mis en lumière les préoccupations précises de nos membres avec des exemples précis provenant des membres de la façon dont ces conséquences imprévues les toucheraient.

Les entreprises familiales portent ce nom spécifiquement parce qu’elles ressemblent à chaque restaurant et usine de transformation du poisson à Terre-Neuve-et-Labrador. Dans tous les cas, des membres de la famille y travaillent.

Conformément à une saine pratique financière, une entreprise devrait dresser un bilan rigoureux comprenant notamment des économies pour lui permettre de prendre de l’expansion ou de croître ou éventuellement, de résister à un ralentissement économique.

La semaine du 16 octobre, deux semaines seulement après la date limite pour soumettre une réponse à la consultation, le gouvernement a annoncé des changements à ses propositions dans une série de communiqués et de conférences de presse. Bien que les mesures de suivi semblent représenter un pas en avant, ces propositions continuent de soulever de nombreuses questions et préoccupations chez nos membres.

Contrairement à l’annonce du 18 juillet, il y avait peu de détails ou de précisions permettant de bien comprendre les éventuelles conséquences des modifications pour nos membres dans ce qui a été annoncé en octobre. Il y a un grand manque de clarté à propos des propositions qui seront mises en œuvre, de celles qui seront modifiées et de celles qui seront abandonnées. De plus, les mesures de suivi sont vagues quant à la date de prise d’effet des diverses propositions.

Les entreprises doivent donc composer avec une grande incertitude. La chambre de commerce sait que s’il y a une chose dont l’entreprise a besoin pour prospérer et croître, c’est de certitude en matière d’imposition. Le climat fiscal actuel que le gouvernement a créé a intensifié cette incertitude. Ce n’est pas bon pour notre économie, pour la santé financière de notre province et pour la santé financière de nos petites entreprises.

Les annonces faites en octobre soulèvent de nombreuses questions sans réponse. Prenons la question de l’imposition du fractionnement du revenu. Dans notre mémoire, nous avons amplement illustré au moyen d’exemples de nos membres la façon dont ces changements ont eu des conséquences imprévues. À la suite des consultations et des exposés d’octobre et des changements que le gouvernement a apportés aux mesures proposées, nous ne voyons pas de changement important dans la façon dont ces préoccupations ont été prises en compte.

Bien qu’il s’agisse certainement d’un pas dans la bonne direction, compte tenu de l’information fournie dans les annonces récentes, il est difficile de comprendre comment ces règles seront simplifiées. Encore une fois, les gens d’affaires sont laissés dans l’incertitude. Des questions subsistent.

Pourquoi les conjoints ne devraient-ils pas être autorisés à partager le revenu, surtout si leurs biens personnels, la maison, la voiture et l’épargne familiale sont donnés en garantie de ces entreprises en cas d’échec? Si l’un des conjoints travaille 12 heures par jour, l’autre doit prendre le relais à la maison. L’effort du conjoint pour soutenir l’entreprise à la maison n’a-t-il aucune valeur pour le gouvernement?

Y aura-t-il des consignes sur les montants qui sont raisonnables? Qu’entend-on par membres de la famille qui contribuent de façon significative à une entreprise familiale? Qu’entend-on par contribution?

Quand ce nouveau projet de loi simplifié sera-t-il publié et quand prendra-t-il effet? Les contribuables ne peuvent pas planifier rétroactivement. Pourquoi le gouvernement devrait-il les imposer rétroactivement?

Qu’est-ce que les entreprises seront tenues de présenter pour satisfaire aux exigences en matière de documentation afin de démontrer cette contribution raisonnable, et à quel coût pour ces entreprises? La conversion des gains en capital en dividendes ordinaires restera-t-elle dans la nouvelle législation simplifiée?

La section des propositions portant sur les revenus passifs suscite beaucoup de discussions; le 18 juillet, le gouvernement a proposé d’augmenter l’impôt sur les placements passifs des sociétés financés avec les revenus d’entreprise après impôt. Comme la chambre l’a démontré dans son mémoire du 2 octobre, avec cette nouvelle disposition d’imposition, le taux d’imposition effectif des propriétaires des petites entreprises de la province de Terre-Neuve-et-Labrador passerait à 73 p. 100.

En octobre, le gouvernement a réagi en proposant qu’une nouvelle augmentation d’impôt ne s’applique qu’aux revenus passifs qui dépassent un seuil annuel de 50 000 $. Dans un communiqué de presse du ministère des Finances, cela correspond à une épargne d’un million de dollars affichant un taux de rendement hypothétique de 5 p. 100.

Nous ne comprenons pas la raison d’être de cette ligne arbitraire tracée dans le sable. Le gouvernement a dit que cela ne s’appliquerait que sur une base prospective. Aucun projet de loi n’a été publié. Encore une fois, les petites entreprises se demandent ce que cela signifie pour elles.

Beaucoup de questions demeurent sans réponse. Cette mesure s’appliquera-t-elle uniquement aux SPCC ou à toutes les entreprises? Quand cette mesure prendra-t-elle effet et les petites entreprises auront-elles le temps de se réorganiser? Le seuil annuel de 50 000 $ au titre des revenus passifs sera-t-il appliqué à chaque actionnaire ou les actionnaires de l’entreprise devront se le partager?

Le gouvernement a dit qu’il y aura des droits acquis. En quoi consistent les droits acquis? Est-ce un critère relatif aux actifs? Est-ce un critère relatif aux bénéfices non répartis? Combien de temps la clause des droits acquis sera-t-elle autorisée? Y a-t-il un prélèvement obligé sur les placements assujettis aux droits acquis?

Qu’est-ce qui sera considéré comme un investissement passif, particulièrement lorsque des placements sont faits dans d’autres sociétés privées? Comment la règle de l’investissement passif influe-t-elle sur le capital de risque et l’investissement providentiel?

Comme vous pouvez le constater, malgré le mouvement visant à permettre qu’un certain niveau de revenu passif arbitraire continue d’être imposé au niveau actuel, l’intention du gouvernement n’est toujours pas claire.

La modification fiscale ne devrait pas avoir pour effet d’étouffer la croissance économique et de décourager les investissements. Le budget de 2018 ne devrait pas servir à freiner les investissements et la croissance des entreprises dans notre pays.

Le régime fiscal canadien pourrait être remanié pour favoriser les investissements dans les actifs productifs et la croissance des entreprises. Au lieu de pénaliser l’épargne passive, le Canada devrait inciter les entreprises à investir.

Dans un monde interconnecté, la technologie et le capital sont de plus en plus mobiles. Cette mobilité stimule la concurrence pour les investissements d’entreprises. Le Canada doit demeurer compétitif par rapport au marché mondial et être en phase avec la réforme fiscale qui se déroule partout dans le monde.

Les républicains du Congrès américain sont déterminés à faire avancer leur plus importante réforme fiscale en 30 ans. Plutôt que d’attendre que les Américains réagissent avant que nous ne sachions comment intervenir, mettons de l’ordre dans nos affaires et abaissons les taux pour stimuler la compétitivité du Canada.

Le Canada doit attirer et retenir des talents de calibre mondial, tant des travailleurs qualifiés que des entrepreneurs. À cette fin, nous devons aussi examiner l’impôt sur le revenu des particuliers pour déterminer si le taux marginal maximal de 53,1 p. 100 à Terre-Neuve-et-Labrador fait fuir les gens. Les personnes touchées ne sont pas seulement des hauts salariés malhonnêtes. Ce sont aussi des innovateurs et des visionnaires créatifs qui peuvent mener les entreprises vers le XXIe siècle.

Enfin, nous devons nous pencher sur ce qu’il en coûte globalement pour faire des affaires au Canada et sur l’incidence cumulative grave du fardeau croissant que représentent les frais, les taxes et les règlements que le secteur privé doit assumer.

Nos membres s’inquiètent profondément de leur capacité de faire croître leurs entreprises à Terre-Neuve-et-Labrador et de se livrer concurrence pour attirer des investisseurs et des clients de l’étranger.

Le régime fiscal actuel n’a pas fait l’objet d’un examen exhaustif depuis plus de 50 ans et nous aurions dû le faire il y a longtemps. C’est la raison pour laquelle nous exhortons le gouvernement à retirer ces propositions à l’étude. Les modifications à la pièce apportées au régime fiscal canadien ne permettent pas de le simplifier. Comme nous l’avons vu avec la proposition de juillet et l’annonce subséquente d’octobre, elles créent encore plus de complexités, d’inefficacités et de conséquences imprévues.

Si nous sommes vraiment déterminés à mettre en place un régime fiscal équitable qui favorise la croissance et profite à tous les Canadiens, il est important de prendre le temps de bien faire les choses. Il faut entreprendre un examen exhaustif de la fiscalité et mener des consultations sérieuses auprès du milieu des affaires afin de combler les lacunes de la politique fiscale sans cibler injustement les entreprises. La deuxième réflexion réfléchie et l’étude approfondie que permettent les audiences du Sénat sont précisément ce qu’il faut.

Nous devons établir une commission royale chargée d’entreprendre un examen exhaustif des lois fiscales en misant sur la simplification et la modernisation ainsi que sur la réduction des coûts d’observation à l’échelle mondiale afin de redonner au Canada un régime fiscal concurrentiel.

Avec un peu de travail acharné et un tel examen indépendant, le Canada pourrait créer un régime d’imposition des entreprises concurrentiel à l’échelle internationale qui récompenserait l’entrepreneuriat, qui encouragerait les entreprises à investir dans les technologies, les compétences et les capacités dont elles ont besoin pour croître et qui attirerait des capitaux, des mandats de production et des gens de grande qualité de partout dans le monde.

Merci, mesdames et messieurs, d’avoir entrepris cette étude importante. J’ai hâte de répondre à vos questions.

Bill Stirling, directeur général, Newfoundland and Labrador Association of Realtors : L’association que je représente est membre de la Chambre de commerce de St. John’s et nous endossons certainement tout ce que Mme Keating a dit.

Notre association représente environ 700 professionnels de l’immobilier agréés à Terre-Neuve-et-Labrador, dont 70 environ sont des sociétés privées. À Terre-Neuve-et-Labrador, les agents immobiliers ne sont pas autorisés à se constituer en personne morale, de sorte que la plupart de nos membres sont des travailleurs autonomes, des entrepreneurs indépendants titulaires d’un permis au nom d’un courtier.

Par l’entremise de notre partenaire national, l’Association canadienne de l’immeuble, nous avons présenté une réponse à la consultation initiale en juillet au nom de nos 125 000 membres. J’en ai joint une copie à ma trousse pour que vous puissiez l’examiner.

Nous savons très bien que le gouvernement a, depuis, modifié considérablement sa proposition. La question des placements passifs est très, très importante pour notre industrie. Nous nous sommes associés à l’ACI, l’Association canadienne de l’immeuble, pour comprendre ce que les modifications apportées à la proposition veulent dire pour notre industrie.

J’aimerais aujourd’hui attirer votre attention sur d’autres domaines où la politique nationale pourrait avoir des conséquences imprévues sur le marché canadien du logement. Il s’agit plus particulièrement des préoccupations apparemment incessantes concernant le prix des maisons à Toronto et à Vancouver et des inquiétudes graves suscitées par l’endettement des Canadiens, qui ont dans les deux cas des conséquences inattendues sur les marchés de l’habitation partout au pays.

Le gouvernement fédéral a clairement énoncé que l’un de ses principaux objectifs est de créer une économie saine et en croissance, dans laquelle les entreprises génèrent des emplois bien rémunérés, et la classe moyenne et ceux qui déploient beaucoup d’efforts pour en faire partie ont confiance qu’ils peuvent réussir. Nous sommes tout à fait d’accord avec cet objectif, et il est évident que nos membres travaillent fort pour contribuer à la croissance de l’économie.

L’immobilier est le secteur qui contribue le plus au PIB au Canada. Nos membres sont eux-mêmes des Canadiens de la classe moyenne principalement. Les propriétaires qu’ils servent sont eux aussi principalement des Canadiens de la classe moyenne.

Aujourd’hui, je vous propose que le gouvernement fédéral envisage une approche régionale relativement à la politique du logement, comme moyen d’atteindre ses objectifs d’équité et de soutien à la classe moyenne.

Examinons tout d’abord les prix des maisons à Toronto et à Vancouver et l’effet qu’ils ont sur les marchés immobiliers. Tous les marchés immobiliers au Canada se situent à l’échelle locale. Être un Canadien de la classe moyenne signifie posséder sa propre maison et l’utiliser dans le cadre d’un plan financier pour accumuler du patrimoine et épargner en vue de la retraite. L’augmentation des prix à Vancouver et à Toronto est attribuable à une série de facteurs liés au marché local, qui découlent en grande partie de problèmes d’offre et de demande. Le logement abordable et le rêve canadien d’accession à la propriété devraient être à la portée de tous les travailleurs canadiens, mais il est clair que l’abordabilité pose un problème dans ces deux marchés en particulier.

En tentant de refroidir ces marchés, toutefois, le gouvernement fédéral a jeté une douche froide sur ceux du reste du pays, qui n’ont pas besoin du même niveau d’intervention. En fait, dans certains marchés, particulièrement ici à Terre-Neuve-et-Labrador, cela semble avoir mené à des baisses de la demande et de l’offre et retardé la reprise.

Le seul moyen dont dispose le gouvernement fédéral pour tenter de contrôler les prix est de freiner la demande de logements sur ces deux marchés en les mettant hors de la portée du Canadien moyen. Les exigences plus strictes en matière de mise de fonds initiale ou la réduction du montant auquel les acheteurs peuvent avoir droit dans le cadre d’un prêt hypothécaire ont été la réponse du gouvernement fédéral à ce problème. Les gouvernements provinciaux ont également exercé des pressions en imposant une série de taxes, de frais et d’autres mesures visant aussi à réduire la demande. Dans l’ensemble, ces mesures ont eu un impact minime sur l’évolution à long terme des prix sur les deux grands marchés, mais les conséquences inattendues sur les marchés immobiliers des autres régions du pays commencent à devenir évidentes.

À Terre-Neuve-et-Labrador, nous avons connu trois années consécutives de baisses des prix moyens. Le nombre de transactions MLS diminue d’année en année. Cet après-midi, mes amis de l’Association canadienne des constructeurs d’habitations vous diront que les mises en chantier ont diminué de 75 p. 100 au cours des cinq dernières années.

En octobre de cette année, nous avons enregistré une baisse de nos ventes d’une année à l’autre. Le nombre de ventes a diminué de 6,2 p. 100. Bien que ces baisses initiales du marché aient été attribuables aux répercussions de la chute des prix du pétrole et des ressources minérales, il ne fait aucun doute que la reprise tardive est, à tout le moins en partie, attribuable aux effets modérateurs des interventions fédérales.

Permettez-moi maintenant d’aborder le problème de l’endettement des ménages, qui préoccupe le gouvernement fédéral, la Banque du Canada et les institutions financières partout dans le monde, depuis plusieurs années. Au cours des dernières années, le gouvernement fédéral a déployé une série d’efforts pour limiter le niveau d’emprunt des Canadiens en rapport avec leurs principaux biens immobiliers. Des limites ont été imposées il y a plusieurs années à l’égard des marges de crédit hypothécaires. Le test de simulation de crise en matière d’assurance hypothécaire a été adopté l’automne dernier. On a augmenté les exigences relatives à la mise de fonds initiale pour les maisons de plus de 500 000 $. On doit bientôt adopter le test de simulation de crise pour les hypothèques non assurées, le taux de défaut se situant dans les dixièmes de point de pourcentage partout au Canada, ce que l’on appelle la ligne directrice B20. Toutes ces mesures visent les créances immobilières.

Les économistes, comme les deux messieurs qui nous ont précédés, ont longtemps qualifié la dette hypothécaire ou la dette liée à la propriété d’une maison de bonne dette, car elle est généralement contractée pour acquérir des actifs qui prendront de la valeur au fil du temps. Par contre, les mauvaises dettes sont généralement liées à des actifs qui se déprécient ou ont un coût du capital trop élevé. À long terme, elles ont pour effet de peser sur les finances, plutôt que d’aider à bâtir un patrimoine.

Dans ses efforts en vue d’aider les Canadiens à réduire leurs niveaux d’endettement, le gouvernement fédéral s’est entièrement employé à limiter l’accès au bon endettement, tout en ne faisant pas grand-chose pour régler le véritable problème de l’accès apparemment illimité aux dettes de consommation à taux d’intérêt élevé.

Les taux d’intérêt hypothécaires se situent à des niveaux historiquement bas. Même avec une hausse de 1 à 2 p. 100 au cours des prochaines années, les taux continueront d’être historiquement faibles par rapport aux 40 dernières années.

Par ailleurs, les mauvaises dettes, comme celles liées aux cartes de crédit au détail, comportent souvent un coût du capital dont l’ordre de grandeur est supérieur à celui d’une hypothèque résidentielle typique, avec des exigences d’admissibilité beaucoup moins strictes. Le financement au détail des véhicules automobiles, des véhicules récréatifs, des véhicules tout-terrain, des meubles, ainsi que des appareils électroménagers et autres, qui constitue la plupart du temps une mauvaise dette, n’est pas ciblé par les interventions gouvernementales, mais pourrait sans doute être considéré comme la véritable cause des problèmes d’endettement des ménages. Par exemple, la moitié des prêts pour des automobiles neuves sont maintenant amortis sur une période de sept ans ou plus, le propriétaire type étant dans une situation d’avoir net négatif pendant les cinq premières années et demie.

Le gouvernement rend plus difficile l’obtention d’un prêt hypothécaire à Grand Falls-Windsor, à Terre-Neuve, mais il ne fait rien pour endiguer la vague de dettes à la consommation contre laquelle un propriétaire de maisons surendetté de Toronto doit lutter pour se maintenir à flot. Nous encourageons le gouvernement fédéral à envisager le problème de la dette des ménages canadiens dans son ensemble, ainsi qu’à élaborer une stratégie pour limiter le mauvais endettement.

Depuis 150 ans, le Canada est un pays morcelé en régions, et le gouvernement fédéral a la difficile tâche de concilier les besoins de chacune et le bien du pays dans son ensemble. C’est ce que nous constatons maintenant en voyant le gouvernement tenter de régler les problèmes liés à l’abordabilité du logement, particulièrement à Toronto et Vancouver. Nous encourageons le gouvernement fédéral à envisager une approche régionale en ce qui a trait à l’élaboration d’une politique sur le marché du logement.

Il existe de nombreux précédents en ce qui a trait à l’adoption par le gouvernement d’une approche régionale en matière d’élaboration de politiques et de programmes. Nous avons depuis longtemps une approche régionale pour ce qui est des interventions du gouvernement fédéral en matière de développement économique à l’échelle du pays, y compris au moins six organismes de développement régional responsables du développement économique.

Dans cette partie du pays, nous pouvons compter sur l’Agence de promotion économique du Canada atlantique. En Ontario, il y a FedNor et l’agence relativement nouvelle pour le sud de l’Ontario. Les députés de l’Ouest connaissent sûrement le Programme de diversification de l’économie de l’Ouest. Ce sont tous des outils de la politique gouvernementale dont le mandat est similaire et qui fonctionnent selon les objectifs et les priorités de développement économique des régions qu’ils desservent.

De même, nous voyons depuis longtemps des approches régionales en matière de développement du marché du travail et de programmes comme l’assurance-emploi. L’accès des Canadiens varie en fonction des diverses régions du pays, selon la situation de la main-d’œuvre et les conditions du marché à l’échelle locale.

Les marchés immobiliers sont locaux, de par leur nature, et ils dépendent des conditions économiques et du marché du travail à l’échelle locale. Les régions où la croissance économique est forte, le taux de chômage faible et les marchés du travail prospères, par exemple, Fort McMurray avant 2014, sont souvent dans une situation qui mène à une inflation généralisée des prix de l’immobilier, caractérisée par une demande élevée et une offre faible. Il s’agit de la situation qui prévaut actuellement à Vancouver et Toronto.

Par contre, les régions où la croissance économique est faible ou nulle et où les taux de chômage sont élevés ont souvent des marchés immobiliers plus équilibrés du point de vue de l’offre et de la demande, et elles sont en mesure de se réguler sans qu’il soit nécessaire que le gouvernement intervienne. C’est le cas de nombreux marchés de tailles moyenne et petite à l’échelle du pays aujourd’hui.

Nous encourageons le gouvernement fédéral à consulter l’industrie et à explorer les liens entre le logement, la conjoncture économique et les marchés du travail locaux, ainsi qu’à envisager l’adoption d’une approche régionale en matière de politique du logement.

Le gouvernement fédéral se concentre à juste titre sur une classe moyenne saine et prospère. Les conséquences inattendues des interventions sur le marché national du logement, en vue de tenter de résoudre les problèmes de deux marchés locaux en particulier, ne servent pas bien la classe moyenne dans le reste du pays.

Je remercie le comité d’avoir pris le temps de m’écouter. Je reconnais que je me suis écarté du sujet d’aujourd’hui, et j’apprécie votre indulgence, qui m’a permis d’aborder cette question qui me tient à cœur. Je vous invite à nous consulter davantage concernant ces enjeux.

Le président : Je vous remercie beaucoup. Vos deux exposés ont été très éclairants.

La sénatrice Marshall : Je réfléchis maintenant à une stratégie pour poser mes questions, parce que je sais que je vais me faire interrompre par le président. Je vais commencer par M. Stirling, pour lequel j’ai des questions plus précises, puis je poserai quelques questions à Mme Keating.

Vous avez abordé à juste titre la question de la dette des ménages à Terre-Neuve-et-Labrador. À l’heure actuelle, je dirais que nous traversons une période de revirement du fait de la hausse des taux d’intérêt. Tout semble indiquer que nous allons connaître un ralentissement économique. Il ne faut pas oublier non plus les changements fiscaux proposés qui toucheront les petites entreprises.

Quel impact pensez-vous que cela aura sur la dette des ménages? Quelle pression cela exercera-t-il sur les citoyens?

M. Stirling : Le marché de l’immobilier, que je connais bien, est très influencé par les émotions et la confiance. Depuis le ralentissement du secteur pétrolier et de celui des ressources minérales, et compte tenu de la situation financière précaire dans laquelle se trouve le gouvernement provincial, nous constatons une baisse de la confiance sur le marché de la province. Cela explique pourquoi la reprise s’est fait attendre. Les gens ont de la difficulté à croire qu’ils seront dans une meilleure position financière l’an prochain que cette année.

Tout ce qui a une incidence sur la confiance du marché, y compris de toute évidence l’incertitude entourant les changements fiscaux, entraîne une baisse de la confiance. Tout ce qui a une incidence sur la confiance des gens envers leur propre situation financière a des répercussions sur le marché du logement et les activités dans ce secteur.

La sénatrice Marshall : Oui. Dans le cas des hypothèques, elles sont soutenues par un actif, mais la valeur des actifs est aussi en baisse. Lorsque les taux d’intérêt augmenteront, cela exercera une pression. Je crois que vous avez même dit que la valeur moyenne des maisons à Terre-Neuve a diminué au cours des dernières années. Cela semble indiquer qu’il y a un problème.

M. Stirling : Oui, le prix moyen a baissé, mais nous avons aussi constaté des changements sur le marché. Nous avons connu plusieurs années de très forte croissance à partir de 2010. Jusqu’en 2013-2014, environ, nous avons enregistré une croissance exceptionnelle, tant du point de vue du volume des ventes que des prix moyens. Une part importante de l’argent du pétrole provenant de l’autre bout du pays est venue alimenter le marché immobilier de la province, particulièrement à St. John’s et dans les centres régionaux de Gander, Grand Falls et Corner Brook. Puis, ce marché s’est tari. L’argent du pétrole est venu financer une partie du marché de l’immobilier. Des baisses ont touché les propriétés haut de gamme, c’est-à-dire celles valant d’un demi-million à trois quarts de million de dollars. Nous avons constaté un recul du marché.

Le volume des ventes dans la tranche des 250 000 $ à 300 000 $ n’a probablement pas beaucoup changé. Nous utilisons l’analogie des enfants que l’on met en rang dans une classe en fonction de leur taille. Si vous enlevez les quatre ou cinq enfants les plus grands, la taille moyenne va diminuer, mais ce sont les mêmes enfants qui sont là. Notre prix moyen a baissé, mais cela ne signifie pas que la valeur moyenne a diminué autant, parce que nous vendons beaucoup plus de maisons dans le segment inférieur du marché, disons.

La sénatrice Marshall : Madame Keating, vous avez mentionné dans votre introduction que la chambre de commerce représente 800 entreprises. J’aimerais entendre ce qu’elles vous disent concernant les modifications fiscales proposées et ce qu’elles font en prévision de ces modifications. Je sais que vous avez insisté sur l’incertitude. Nous ne savons réellement pas quelle forme prendront ces modifications fiscales.

Que vous disent-elles et que font-elles? Lorsque nous étions dans l’Ouest, certains représentants d’entreprises nous ont dit qu’ils procédaient à des changements en prévision de ce qui va arriver. Ils tentent de deviner ce qui va se produire. Je répète, que disent-elles et que font-elles?

Mme Keating : Madame la sénatrice, la chambre de commerce compte 800 membres. Lorsque cette proposition a été soumise en juillet, nous avons mis sur pied un comité de la fiscalité. C’était la toute première fois que la Chambre de commerce de St. John’s faisait appel à ses membres qui se spécialisent dans le domaine fiscal. Nous avons réuni des avocats et des comptables fiscalistes pour passer en revue ces propositions, discuter avec les membres, et les renseigner à ce sujet.

Dans notre mémoire, nous avons fourni de nombreux exemples de situations très précises où ces répercussions se feraient sentir. En fait, lorsque nous disons que nous parlons au nom de 800 entreprises, par l’intermédiaire de notre comité de la fiscalité, nous parlons en fait au nom de milliers d’entreprises de la province, que ces professionnels comptent parmi leurs clients.

Dans le cadre du processus, nous avons pris connaissance de l’incertitude qui a touché le milieu des affaires en ce qui a trait à ces propositions. Ne vous y trompez pas. Les gens d’affaires ont écouté les annonces qui ont été faites le 16 octobre, lorsque le ministre s’est prononcé en ce qui a trait aux articles qui seraient peut-être abrogés ou aux changements qui seraient apportés. Cela n’a pas atténué l’incertitude qui prévaut dans la communauté des gens d’affaires. En fait, cela a créé davantage d’incertitude parce que cela a exacerbé la situation.

Je connais personnellement des entreprises qui ont décidé d’arrêter de faire des affaires, de vendre leur entreprise et de s’en retirer. Elles en ont assez de ce climat d’incertitude en montagnes russes. On parle de personnes qui ont suivi les règles et les plans fiscaux depuis 20 ou 30 ans. Elles en sont maintenant à l’étape dont nous avons tous entendu parler et elles font partie de la bulle des baby-boomers. Elles s’apprêtent maintenant à prendre leur retraite. Elles ont littéralement vu toute leur planification fiscale, ce qu’elles ont fait au cours des 30 dernières années, entièrement bousculée par les nouvelles règles proposées en matière de revenu passif. Ce sont là des changements importants pour ces gens.

Il y a ceux qui parlent à leurs conseillers et qui se demandent s’ils ne devraient pas retirer tout ce qu’ils ont dans leur entreprise et assumer un fardeau fiscal exorbitant en le faisant. L’incertitude qui se répand dans le milieu des affaires n’a rien à voir avec ce que la chambre de commerce a connu. Les entreprises se contractent à cause de cela. Elles ont besoin de fonds pour investir et prendre de l’expansion. Ne connaissant pas les règles du jeu auxquelles elles pourraient être confrontées, lors du prochain budget, elles se contractent. Elles ne feront pas ce qu’elles feraient normalement tant qu’elles ne sauront pas quelles sont réellement les règles du jeu.

La sénatrice Marshall : Dans votre mémoire, vous avez parlé de la complexité du régime fiscal. Est-ce un facteur important pour les organisations que vous représentez? Les gens ont-ils des incertitudes quant à ce qu’ils feront et à l’orientation qu’ils devraient adopter?

Mme Keating : En ce qui concerne l’ensemble du régime fiscal, les impôts sur le revenu des particuliers et des entreprises font l’objet de documents extrêmement complexes, qui doivent être interprétés par une armée de professionnels, qui sont chargés de conseiller les diverses entreprises. Ces nouvelles règles ont ajouté un autre niveau de complexité.

Le projet de loi qui a été présenté dans le cadre de ces propositions en juillet faisait partie du document que nous avons soumis au Comité des finances et communiqué au Sénat. Il y a des domaines dans lesquels on note des contradictions réelles et des références croisées. Lorsqu’on essaie d’interpréter les choses ou de donner des conseils à quelqu’un dans le domaine fiscal, ce niveau d’incertitude et cette incapacité de décider ce que cela signifiera pour l’entreprise ont complètement fait ressortir la situation dans le milieu des affaires.

Le régime fiscal canadien était déjà assez compliqué. On a ajouté un autre niveau de complexité que l’on a peine à comprendre. Les propositions relatives au revenu passif, en ce qui a trait notamment à la façon dont vous êtes censé tenir compte des diverses sources de fonds, à la somme des coûts réels qu’une entreprise peut devoir engager pour tenter de respecter les règlements contenus dans ces diverses propositions, ainsi que pour satisfaire à une norme arbitraire qu’un vérificateur de l’ARC peut lui imposer après coup, ont entraîné une incertitude complète dans les entreprises pour ce qui est de la marche à suivre pour l’avenir.

La sénatrice Marshall : Je crois que le terme que vous avez utilisé dans votre mémoire était complexité déconcertante. Vous avez mentionné la partie du revenu passif de la proposition. Je sais que dans votre mémoire, vous avez aussi parlé des dispositions relatives aux droits acquis.

Il est mentionné dans les documents financiers qu’il y aura des droits acquis, mais nous ne savons pas en quoi ils consistent. Que voudriez-vous voir dans ces droits acquis? Je sais que vous avez mentionné le seuil de 50 000 $, mais nous devons faire des recommandations dans notre rapport. Que considérez-vous comme une clause de droits acquis raisonnable et réaliste?

Nous ne savons pas quelles seront les dispositions en matière de droits acquis, mais pouvez-vous nous donner une idée de ce que vous considéreriez comme raisonnable?

Mme Keating : Le problème, je pense, est que cela variera selon le type d’entreprise. Si vous prenez le revenu passif, cela nous ramène notamment, je pense, à une question qui s’adressait tout à l’heure à M. Locke au sujet de la comparaison entre un employé et un propriétaire d’entreprise.

Comment établir le risque relatif? Comparez-vous des choses équivalentes? En tant que représentants du milieu des affaires, nous estimons que ce n’est absolument pas le cas. Ce n’est pas comparable. On ne tient compte d’aucun facteur de risque permettant de comprendre la différence entre les deux.

Si je suis propriétaire d’une entreprise et que je me rapproche de la fin de ma vie active, je dois voir comment mon entreprise est constituée. Elle a connu des hauts et des bas au cours des 30 dernières années. Je n’ai pas pu profiter d’autres mesures permettant d’économiser de l’impôt comme les REER et autres programmes. J’envisage de vendre mon entreprise pour me constituer un revenu de retraite afin de ne pas dépendre de l’aide financière et des subventions du gouvernement. Ce que ces personnes veulent protéger, c’est leur investissement effectif.

Si je cherche activement à investir et à conserver de l’argent pour pouvoir prendre de l’expansion et développer mon entreprise, je compte davantage sur la valeur des actifs. Une formule se basant sur les bénéfices non répartis est-elle la bonne pour moi? Probablement pas. J’ai peut-être besoin d’argent pour faire des investissements qui ne rapporteront pas des revenus et des bénéfices avant de nombreuses années.

Il n’y a pas de solution universelle me permettant de vous dire s’il faudrait se baser sur les bénéfices non répartis ou sur la valeur des actifs.

La sénatrice Marshall : Le ministre des Finances et les fonctionnaires du ministère des Finances ont témoigné devant nous, mais j’ai l’impression que la formule sera la même pour tous. Apparemment, il y aura peut-être des dispositions spéciales pour les agriculteurs, mais j’ai l’impression que ce sera la même formule pour tous. Quelle que soit la disposition d’antériorité, elle sera la même pour tout le monde. Je m’attends à ce que ce soit complexe et non pas adapté à chaque situation différente.

J’avais de nombreuses questions que je voulais vous adresser après avoir lu votre mémoire. Vous avez mentionné les bénéfices non répartis. Quand vous parlez du revenu passif, en réalité, vous parlez aussi de vos bénéfices non répartis.

Mme Keating : Oui.

La sénatrice Marshall : Nous ne savons même pas ce que sera le revenu passif. J’ai essayé d’en trouver la définition dans le site web du ministère des Finances, mais sans succès.

Je me demande quel message cela envoie aux autres entreprises? Je sais que nous parlons, pour le moment, des SPCC, mais le gouvernement s’intéresse aux bénéfices non répartis. Il va réglementer la façon dont les entreprises traitent leurs bénéfices non répartis. Je vois là un véritable précédent.

Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez? Je sais que vous êtes expert-comptable et que vous travaillez au sein d’une société. Éprouvez-vous le même malaise que moi lorsque le gouvernement semble vouloir mettre la main sur les bénéfices non répartis d’une entreprise?

Mme Keating : Les propositions de juillet montrent aux Canadiens quelles sont les fruits d’une mûre réflexion de la part de ceux qui les ont élaborées et présentées. Cette loi a été déposée sous la forme de propositions. Je les ai lues comme bien d’autres gens de partout au pays. Je sais que le ministère des Finances a reçu des documents de centaines de pages. Celui de la chambre de commerce comptait 28 pages. C’était un document assez détaillé et complet, mais je sais qu’il y en a d’autres d’une centaine de pages.

Il est une chose dont les sénateurs et tous les Canadiens devraient s’inquiéter. Si l’on essaie de s’en prendre à une chose comme les bénéfices non répartis, de s’attaquer à cet élément particulier, cela va se répercuter dans de nombreux autres domaines. Que ce soit les bénéfices non répartis ou n’importe quoi d’autre, cela va conduire à certains comportements. Ces comportements n’auront pas pour effet d’investir et de développer l’économie canadienne. Cela va causer une contraction. C’est la dernière chose que nous souhaitons actuellement pour l’économie canadienne.

Soyons conscients de ce qui se passe chez nos voisins du Sud. Le climat y est extrêmement favorable aux affaires. Ils comprennent la situation. Environ 70,8 p. 100 des Canadiens travaillent dans le secteur de la petite entreprise. C’est le moteur de l’économie. Le gouvernement ne devrait pas faire des choses qui entraîneront la contraction des entreprises qui prennent des risques et font face aux incertitudes.

La sénatrice Marshall : J’ai posé cette question à d’autres témoins. Quand vous proposez des mesures, les gens disent qu’il va se passer ceci ou cela. J’ai posé cette question aux médecins parce qu’ils disent toujours : « Si vous faites cela, nous allons quitter le pays. »

Pensez-vous que ces changements auront lieu et que les entreprises réagiront comme vous vous y attendez ou qu’elles vont plutôt s’adapter aux changements et continuer?

Mme Keating : D’après les conversations que j’ai eues depuis les propositions de juillet, des propriétaires d’entreprises ont déjà pris la décision de se retirer des affaires. C’est fini pour eux. Ces répercussions auront lieu. Quant à leur importance, cela reste à voir.

La sénatrice Andreychuk : Dans la même veine, lorsque le Comité des finances a commencé à se pencher sur cette question, on s’est demandé quelle était la raison de ces mesures? Bien entendu, on citait l’exemple de l’employé. Puis on a parlé de renforcer la classe moyenne.

Certains de vos membres ou votre association ont-ils été avertis de ces mesures avant le 18 juillet?

Mme Keating : Des changements de cette ampleur, absolument pas. Je veux dire que dans le budget précédent, le gouvernement a dit, dans le cadre de son programme électoral, qu’il chercherait à soutenir la classe moyenne, à la renforcer et ce genre de choses. Pour ce qui est de changements ayant de telles répercussions dans tout le secteur des affaires, non, personne ne se serait attendu à recevoir un document de cette nature en juillet.

La sénatrice Andreychuk : Le ministre a répondu à certaines réactions du 18 juillet. Pensez-vous que maintenant, la méfiance à l’égard du gouvernement s’est dissipée ou, au contraire, que les modifications n’ont fait qu’accroître la confusion et la méfiance?

Mme Keating : Nous savons que le gouvernement a reçu 21 000 mémoires dans le cadre de ses consultations. Les annonces faites depuis le 16 octobre sont tellement ambigües que nous trouvons difficile à croire que le gouvernement ait pu examiner 21 000 mémoires en deux semaines pour répondre aux préoccupations émises.

Le gouvernement reconnaît avoir entendu dire que la loi posait des problèmes. En sommes-nous satisfaits? Croyons-nous important de consacrer beaucoup plus de temps à cette question et de la soumettre à un examen beaucoup plus approfondi?

Je ne vois pas comment on pourrait dire le contraire. Étant donné l’ampleur et la profondeur de ce qui a été proposé, comment ne pas comprendre qu’il faudrait réviser entièrement le système d’imposition et qu’une solution ponctuelle ne peut pas fonctionner.

La sénatrice Andreychuk : Certains témoins nous ont dit, comme vous l’avez souligné, qu’ils ont géré leurs affaires et construit leur entreprise pendant une trentaine d’années. Et voilà que soudainement, tout est remis en question.

Une solution est de fermer l’entreprise, mais l’autre est peut-être de gagner du temps. Le gouvernement dit qu’il va mettre ces mesures en œuvre immédiatement, et même dès janvier 2018. Des gens demandent de les différer au moins jusqu’en 2019 afin de pouvoir ajuster les plans auxquels ils travaillent depuis 30 ans et de disposer d’un délai de mise en œuvre.

Seriez-vous pour ce genre de solution ou dites-vous qu’il faut renoncer à tout cela et charger une commission royale d’enquête ou autre d’examiner le régime d’imposition dans son ensemble?

Mme Keating : Très franchement, si le gouvernement apporte vraiment ces changements dans le prochain budget, je ne suis pas sûre qu’il sera prêt à les mettre en œuvre. Ne parlons même pas de ce que le milieu des affaires devra faire pour se préparer. Je ne pense pas que le gouvernement actuel, l’ARC ou Revenu Canada soient en mesure d’y faire face.

Le système Phénix devrait faire comprendre au gouvernement qu’il faut prendre son temps pour bien faire les choses. Je dirais que la situation est la même pour ces changements fiscaux.

La sénatrice Andreychuk : À ce propos, nous avons entendu les témoignages des agents et des vérificateurs de l’ARC qui devront mettre le système en œuvre. Pour le moment, nous ignorons quels seront leurs critères pour évaluer le caractère raisonnable ou l’admissibilité des dispositions que les petites entreprises ont mises en place. Ils disent que c’est extrêmement compliqué, mais qu’ils seront en mesure de gérer la situation.

Avez-vous été consultés au sujet des lignes directrices ou protocoles?

Mme Keating : Non, le gouvernement ne nous a pas consultés. On ne nous a pas posé cette question.

La sénatrice Andreychuk : Nous approchons de la date de mise en œuvre, mais vos entreprises ne savent pas à quoi s’attendre.

Mme Keating : Les notions de caractère raisonnable et de contribution restent ambiguës quand il s’agit d’évaluer la valeur de la contribution qu’une personne apporte à l’entreprise. Il n’y a pas que cela. Dans de nombreux exemples que nous avons fournis dans notre mémoire, si vous prenez les commentaires les plus récents du gouvernement, un des problèmes concernait le transfert intergénérationnel des entreprises. Il a dit qu’il avait supprimé ces dispositions.

Toutefois, si vous prenez celles qui concernent le fractionnement des revenus, il affirme son intention d’y donner suite. Le problème du transfert intergénérationnel se pose lorsque quelqu’un qui a gelé ses avoirs il y a de nombreuses années pour les céder à ses enfants participe maintenant de façon passive à l’entreprise en encaissant des actions privilégiées. Je ne sais pas quoi leur conseiller, compte tenu des règles de l’IRF. Je ne crois pas que c’était l’intention du gouvernement. Ces questions n’ont pas été abordées, même lors des discussions du 16 octobre et après.

La sénatrice Andreychuk : J’ai une brève question à poser à M. Stirling. Vous avez parlé de la question du logement. Je viens de Regina, en Saskatchewan. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que notre problème n’est pas le même qu’à Toronto et à Vancouver.

M. Stirling : Absolument.

La sénatrice Andreychuk : Il est largement attribuable aux industries du pétrole et de la potasse, entre autres. Vous avez fait des comparaisons avec le secteur automobile. Constatez-vous qu’ici les concessionnaires automobiles font davantage de locations, ce qui pose un autre problème. Avant, il s’agissait de vendre une voiture tandis que maintenant, c’est plutôt de la louer.

M. Stirling : Oui. Je n’ai pas accès à ces renseignements. Je sais qu’il y a 10 ans, la plupart des automobiles étaient vendues en crédit-bail, mais je pense que nous faisons marche arrière. Une bonne partie du financement qu’offrent les fabricants rend maintenant l’achat beaucoup plus attrayant grâce à des prêts à taux zéro ou presque, mais je n’ai pas accès à ces données.

La sénatrice Andreychuk : À votre connaissance, le crédit-bail n’a pas eu un regain de faveur.

M. Stirling : Non, pas à ma connaissance.

La sénatrice Cools : Je voudrais remercier les témoins de leurs exposés dynamiques, de leur compréhension des problèmes et de leur profonde préoccupation à l’égard de ce qui se passe. Ces questions vous tiennent beaucoup à cœur et vous êtes profondément déçus de ce que le gouvernement a fait. Je pense que c’est un sentiment largement ressenti d’un bout à l’autre du pays. Nous en entendons parler tous les jours dans l’Ouest.

Que feriez-vous si la situation était inversée et que vous étiez tous les deux sénateurs? À l’approche de la ligne d’arrivée, nous allons devoir formuler nos recommandations. Si vous aviez trois recommandations à faire, quelles seraient-elles?

Mme Keating : Dans le résumé de notre mémoire, nous avons émis notre première recommandation à savoir que ces propositions sont absurdes et qu’il faudrait y mettre un terme. C’est bien ce qu’elles sont.

La sénatrice Cools : Vous avez choisi un bon mot pour les décrire.

Mme Keating : En deuxième lieu, le régime d’imposition n’a pas été examiné comme il faut depuis plus de 50 ans, depuis les années 1970, alors que nous sommes au XXIe siècle. Il est grand temps de le faire.

Comme troisième recommandation, je dirais de nouveau qu’il faut faire participer les parties prenantes pour bien comprendre les conséquences de ce que le gouvernement propose comme régime d’imposition. Il est extrêmement important de parler aux personnes que vous imposez afin de comprendre ce que vous faites, quelles en seront les répercussions et quels pourraient en être les effets sur l’économie canadienne.

La sénatrice Cools : Très bien.

Le sénateur Oh : C’était très intéressant et très pertinent. Ma question porte sur le résumé que vous avez présenté. Vous avez dit que les changements fiscaux proposés annuleraient les progrès réalisés au chapitre de la parité homme-femme. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Mme Keating : Oui, sénateur Oh. Une des choses que nous savons, compte tenu de l’évolution des entreprises et de la société canadienne, que traditionnellement, c’est l’homme qui lançait l’entreprise tandis que la femme s’occupait de la famille et assumait la part injuste ou la part supplémentaire du fardeau familial.

Pour prendre les exemples que nous avons donnés, il arrive souvent que le mari et la femme décident de lancer une entreprise de nettoyage à sec. Chacun y investit ses économies. Dans bien des cas, les entreprises qui ont été établies il y a 30 ans ont un montant minimal de capital social partagé également entre les deux conjoints.

Selon les règles proposées pour la répartition du revenu, nous pouvons tenir compte des règles de l’IRF pour établir la valeur de la contribution du conjoint qui est resté à la maison, traditionnellement, la femme, sans être rémunéré, car l’entreprise n’en avait pas les moyens.

En droit matrimonial, la valeur des biens familiaux est partagée de façon égale entre les conjoints. Selon les règles que le gouvernement propose, les personnes qui n’ont pas joué un rôle actif doivent satisfaire au critère du caractère raisonnable et à tous ces termes vagues et arbitraires que l’on utilise actuellement. C’est à elles de prouver leur valeur.

En ce qui concerne l’égalité entre les sexes, je pense que c’est un énorme pas en arrière pour les citoyens canadiens, un énorme recul.

Le sénateur Oh : À votre avis, les analyses d’impact selon le sexe que le gouvernement a faites n’étaient pas assez approfondies.

Mme Keating : Je ne sais pas comment elles auraient pu l’être, car cela nous ramène à la définition du caractère raisonnable. Maintenant, les conjointes qui sont restées à la maison, mais qui ont soutenu l’entreprise doivent tout à coup démontrer à des vérificateurs de l’ARC de quelle façon elles y ont contribué et pourquoi elles valent ce qui leur a été payé. Ce n’est pas l’égalité entre les sexes.

Le sénateur Oh : Tout à l’heure, vous avez dit que le gouvernement n’attribue aucune valeur à l’aide que les épouses et les conjoints apportent en arrière-scène.

Mme Keating : Absolument.

Le président : Nous allons conclure l’audition du deuxième groupe en demandant à la sénatrice Marshall de poser une question.

La sénatrice Marshall : Je voudrais poser une dernière question à Mme Keating. Quand le gouvernement a publié ses modifications le mois dernier, il s’est également engagé à réduire le taux d’imposition des petites entreprises à 10 p. 100 en janvier et à 9 p. 100 l’année suivante.

Cela adoucit-il les propositions qui sont sur la table? Mme Keating et M. Stirling pourraient peut-être répondre tous les deux.

Mme Keating : Premièrement, en proposant une réduction des taux d’imposition, le gouvernement tient une promesse qui a été faite. Ces taux devaient être réduits. De nombreuses entreprises ont été déçues lorsque les taux n’ont pas suivi la proposition.

En plus de réduire les taux, le gouvernement a aussi proposé de modifier les règles concernant le crédit d’impôt pour dividendes. Nous constaterons peut-être bientôt qu’en fait, les propriétaires d’entreprise se retrouveront avec des coûts supplémentaires et non pas une économie.

Selon les nouvelles règles, suite à ces changements, l’impact immédiat sera, en fait, négatif en raison de l’intégration fiscale.

La sénatrice Marshall : La réduction des taux d’imposition ne se traduira peut-être pas par une réduction des impôts.

Mme Keating : Si vous tenez également compte de l’augmentation que le gouvernement propose pour le crédit d’impôt pour dividendes.

La sénatrice Marshall : Avons-nous des précisions à ce sujet?

Mme Keating : Non, je ne peux pas vous fournir de détails. Je n’en ai pas encore.

La sénatrice Marshall : Monsieur Stirling, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Stirling : Oui. Je ne pense pas que cette réduction atténuera quoi que ce soit. Je pense que le gros problème, ici, c’est l’incertitude.

Je tiens à rappeler aux sénateurs que, pour l’essentiel, quand on compare la situation des employés et celle des propriétaires d’entreprise, on compare des pommes et des oranges. La plupart de nos membres sont probablement des kumquats ou quelque chose d’autre encore. Selon l’ARC, ils ne sont pas des employés au sens traditionnel du rapport entre employeur et employé. Mais ils n’ont pas le droit de se constituer en personne morale. Ils sont agréés sous le nom d’un courtier, qui lui-même est constitué en personne morale et s’occupe de tous ces changements fiscaux.

La plupart de ces gens sont des travailleurs autonomes, des entrepreneurs indépendants qui, comme la plupart des gens d’affaires, n’ont pas de filet de sécurité sociale derrière eux. Ils n’ont pas droit à l’assurance-emploi, aux congés payés et à tous ces avantages, mais ils n’ont pas non plus l’avantage fiscal de pouvoir se constituer en personne morale.

Voilà un enjeu auquel nous nous attaquons à l’échelle provinciale. Ces gens échappent même à la comparaison des pommes et des oranges. Pour nous, c’est intéressant. Quant aux courtiers, il est évident que les changements apportés à la Loi de l’impôt sur le revenu se répercutent directement sur leur capacité à faire face au caractère saisonnier de notre secteur d’activité, aussi bien à l’échelle annuelle qu’à travers les hauts et les bas du cycle économique.

Pour beaucoup de nos membres, cela relance la question de la possibilité de se constituer en personne morale. Là encore, il y a des conséquences indésirables.

La sénatrice Marshall : Puis-je poser une dernière question?

Le président : Une dernière, oui, parce que nous sommes sur votre territoire.

La sénatrice Marshall : L’un des autres témoins a parlé des exemples fournis dans les documents du ministère des Finances. Je ne sais plus comment il s’est exprimé, mais il m’a laissé l’impression que ces exemples n’étaient pas représentatifs.

Je sais que vous aviez aussi des remarques à formuler à ce sujet. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez et s’il y a un problème concernant ces exemples ou s’ils n’ont pas une portée suffisante?

Mme Keating : Oh, mon Dieu, on pourrait y passer la journée, sénatrice Marshall. Non, les exemples employés par le gouvernement dans sa documentation sont des exemples favorables. Quand il était avantageux d’utiliser telle ou telle province comme exemple, c’est elle qu’il choisissait. Il s’est servi de choses qui n’ont pas de rapport avec les pommes et les oranges. Les exemples dont il s’est servi ne sont pas clairs du tout.

La façon dont les situations sont présentées, le choix des provinces exemplifiant ces situations, et cetera ont soulevé des problèmes.

La sénatrice Marshall : Cela me rappelle que les comptables professionnels agréés ont retenu certaines provinces dans leur mémoire. Cela concorde avec ce que vous dites.

Le président : Merci beaucoup de vos commentaires, madame Keating et monsieur Stirling. Ils ont très certainement été utiles et instructifs.

Le président : Chers collègues, notre prochain témoin est M. Larry Short, gestionnaire de portefeuille, conseiller principal en investissement et directeur général du Groupe de clients privés chez HollisWealth, une filiale d’Industrial Alliance Securities Inc.

Monsieur Short, merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. C’est un honneur d’être à St. John’s, Terre-Neuve, comme nous le rappelle toujours la sénatrice Marshall.

Cela dit, nous vous prions de présenter votre exposé, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Larry Short, gestionnaire de portefeuille, conseiller principal en investissement et directeur général, Groupe de clients privés, HollisWealth, a division of Industrial Alliance Securities Inc. : Merci beaucoup, honorables sénateurs. Bonjour à tous et bienvenue à St. John’s. En passant, sachez que je viens de la même petite ville que Rex Murphy.

La sénatrice Cools : Eh bien, voilà toute une distinction.

M. Short : Mais mon vocabulaire est infiniment moins riche.

Je suis conseiller financier auprès de nombreux propriétaires d’entreprise depuis 29 ans. Je connais leurs joies, leurs sacrifices et leurs inquiétudes. Je suis porteur aujourd’hui des points de vue et des frustrations dont ils m’ont parlé depuis l’annonce des changements proposés.

Les détails des modifications fiscales proposées vous sont certainement familiers désormais. Je voudrais cependant revenir sur deux éléments particuliers. Pour les présenter, il sera utile d’appuyer sur une vieille analogie employée depuis des années pour expliquer le système fiscal.

Cette analogie est celle de l’arbre et du fruit. Depuis des années, on décrit l’imposition d’une entreprise en comparant l’entreprise à un arbre et le revenu à son fruit. Il y a imposition ordinaire sur le revenu lorsque le fruit est recueilli et qu’une partie en est partagée avec la collectivité sous forme d’impôt. Il y a impôt sur les gains en capital lorsque l’arbre entier est vendu.

J’aime bien cette analogie pour un certain nombre de raisons. La première est qu’on peut facilement comprendre que le propriétaire d’entreprise est celui qui prend le risque de l’investissement initial en plantant l’arbre.

Ensuite, il y a que beaucoup de gens considèrent favorablement les agriculteurs, qu’ils voient comme des gens ordinaires, le sel de la terre si vous voulez, des gens qui passent beaucoup de temps à se préoccuper de leurs récoltes, c’est-à-dire, dans ce cas, de leurs arbres. Je vous propose de considérer les propriétaires d’entreprise comme de simples agriculteurs d’un autre type.

On sait que la conjointe et les enfants des agriculteurs participent aux activités agricoles, assument des tâches, partagent le travail et, ce faisant, contribuent à la production agricole. Et puis, tout le monde est conscient de la charge de travail des agriculteurs et des difficultés qu’ils doivent affronter.

Croyez-moi, les propriétaires d’entreprise et leurs conjointes s’inquiètent tout autant que les agriculteurs, et pour cause. Premièrement, la famille doit composer avec le nombre d’heures de travail du propriétaire d’entreprise, et sa conjointe doit souvent assumer les responsabilités familiales.

Je peux vous dire que les propriétaires d’entreprise s’inquiètent tout autant que les agriculteurs parce qu’ils doivent souvent emprunter de l’argent pour lancer leur entreprise et faire face à un endettement qui cause des soucis. Ils empruntent pour lancer leur entreprise tout comme les agriculteurs empruntent pour acheter leurs semences.

Mais il faut aussi s’occuper de l’entreprise tout comme il faut s’occuper de la culture sur pied. Comme beaucoup d’autres témoins vous l’ont rappelé, beaucoup d’entreprises connaissent l’échec tout comme les récoltes peuvent être mauvaises. En fait, les mauvaises récoltes sont aujourd’hui moins fréquentes que les faillites d’entreprise. Le propriétaire d’entreprise est, en dernière analyse, celui qui doit régler des problèmes aussi divers que la réparation d’un bâtiment inondé à cause d’un problème de plomberie, la recherche d’employés de remplacement pour l’équipe du petit matin ou le nettoyage de l’entrée lorsque le responsable du déneigement est malade.

Pour garder cette analogie, on voit bien que les modifications fiscales proposées par le ministre Morneau reviennent à priver l’arbre de sa sève, notamment au tout début de sa croissance. Cette privation précoce a pour effet de réduire la durée de vie de l’arbre, de réduire la richesse de ses fruits et de réduire la valeur de la récolte de fruits.

En fait, et c’est l’une de mes principales inquiétudes, les modifications fiscales proposées sont si préjudiciables aux entreprises qu’elles tueront très probablement beaucoup de projets d’entreprise dans l’œuf.

J’en viens donc à ma première remarque importante. Les nouvelles taxes vont décourager un nombre considérable de personnes qui, autrement, auraient pu être tentées de passer du statut d’employé à celui de propriétaire d’entreprise. Ce moment décisif, dont j’ai eu le plaisir d’être témoin à plusieurs reprises parmi mes clients, est un élément fondamental du succès que connaissent les Canadiens.

Certains de nos compatriotes sont des visionnaires, des réalisateurs et des preneurs de risque qui pèsent le pour et le contre et décident s’ils vont faire le saut et devenir des propriétaires d’entreprise. Les chances de diriger une entreprise florissante s’amenuisent d’année en année à mesure que les obstacles au succès s’accumulent.

Ces obstacles sont, entre autres, une réglementation accrue, une concurrence accrue de la part des grandes entreprises et, désormais, les modifications fiscales qui viennent d’être proposées. Après tout, si effectivement on est à la recherche d’une vie sans stress, si on veut profiter d’un emploi avec avantages sociaux et pension de retraite ou si on cherche la sécurité, pourquoi prendre le risque fou d’investir toutes les économies d’une vie et l’avenir de sa famille pour devenir propriétaire d’entreprise?

Au lieu d’accumuler les obstacles devant les propriétaires d’entreprise, nous devrions les aider à chaque tournant. Au lieu de les décrire comme des larrons qui ne paient pas leur juste part d’impôt, nous devrions les considérer comme des héros qui créent de la richesse à partir de leurs idées, de leurs rêves, de leur travail acharné et du soin qu’ils apportent à leur entreprise, comme nous le faisons des agriculteurs. Ce n’est cependant pas ce qui ressort de la rhétorique associée aux modifications fiscales actuellement prévues.

En règle générale, les propriétaires d’entreprise traduisent le dicton selon lequel on n’a droit à rien a priori et que, si l’on désire quelque chose, il faut le gagner. Mais cet affaiblissement des entreprises est une mesure inutile de la part d’un gouvernement qui apporte des modifications dans la précipitation et sans réfléchir, et c’est une mesure qui fera hésiter beaucoup d’entrepreneurs potentiels ou les détournera de leur projet, ce qui nous rendra tous plus pauvres.

Au lieu de cela, je propose de prendre du recul et de se demander pourquoi le gouvernement apporte ces changements. En septembre 2017, on a posé la question au premier ministre Trudeau dans le cadre d’une mêlée de presse. Voici ce qu’il a déclaré :

Le problème, c’est que le système actuel profite aux riches et ne traite pas équitablement la classe moyenne, et c’est ce que les Canadiens nous ont demandé de changer.

Cela dit, il y a d’autres moyens fiscaux de réduire les avantages des riches au Canada et de traiter équitablement la classe moyenne. À l’égard de cette promesse, il y a un impôt qui mérite toute notre attention, et c’est l’objet de ma deuxième remarque. Je veux parler de l’impôt successoral.

Il y a une série de diapositives dans les pages qui suivent. J’aimerais, si vous le permettez, attirer votre attention sur quelques aspects importants. En y repensant, je me suis dit que j’aurais dû les présenter dans leur taille originale parce que nous sommes tous un peu plus vieux et que notre vue baisse un peu. Je pourrais peut-être, dans le cadre d’une discussion plus active, vous donner simplement une idée de l’origine de tout cela.

Il n’y a pas d’impôt successoral traditionnel au Canada comme il en existe dans beaucoup d’autres pays. On l’appelle en anglais « silver spoon tax », ou taxe des nantis. Lorsqu’une personne décède, l’ensemble de ce qu’elle laisse à sa succession est imposé d’une certaine façon.

Dans un rapport publié en 2017, la Banque canadienne impériale de commerce indique que les membres de la génération des baby-boomers hériteront environ 750 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années. Cela représente un transfert de 75 milliards de dollars par an, légués par les personnes âgées de plus de 70 ans aux personnes dans la cinquantaine et plus jeunes.

Cela fait beaucoup d’argent. Quand on songe à l’imposition de cette somme, cela éclipse largement les avantages que le ministre Morneau propose de tirer des modifications fiscales qu’il veut faire adopter. Le gain estimatif s’élèverait à quelque 500 millions de dollars par an.

Un impôt sur les gains en capital de l’ordre de 10 p. 100 rapporterait sûrement 750 millions par année. On pourrait aussi imposer ce prélèvement sans avoir à entraver les propriétaires d’entreprise qui essaient de créer de la richesse, et notamment ceux qui lancent leur entreprise.

À la page suivante, on trouve de l’information générale sur l’impôt et les droits successoraux dans différents pays du monde. C’est au Japon que l’impôt successoral est le plus élevé. Aux États-Unis, il s’élève à environ 40 p. 100. On peut voir que beaucoup de pays du G20 prévoient un impôt successoral, contrairement au Canada. Partout dans le monde, des pressions s’exercent pour obtenir un abaissement des impôts, y compris de l’impôt successoral, mais vous comprendrez ainsi que le Canada, où cet impôt n’existe pas, est largement au-dessous de ce qui se fait ailleurs.

L’impôt successoral est aussi une façon de reconnaître que la richesse gagnée a une valeur supérieure à la richesse héritée. La création de richesse ou la création de gains produisent d’importants revenus à tous égards dans la vie de notre société, alors que la richesse héritée est un cadeau qui passe des très riches aux nouveaux riches.

On peut aussi viser les très riches par ce moyen en fixant un seuil relativement élevé au mode d’imposition d’un legs. On pourrait décider de ne pas imposer les successions de moins de 10 millions de dollars. On pourrait ne pas imposer les successions de 5 millions de dollars. Vous voyez que cela permettrait de viser les gens très riches de ce pays tout en honorant la promesse que le premier ministre Trudeau essaie de tenir.

Le Canada aurait tout intérêt à adopter cet impôt aujourd’hui parce que d’autres pays l’imposent depuis de nombreuses années et ont fait des erreurs. Nous pouvons tirer parti des pratiques exemplaires pour réduire au minimum les problèmes que ces pays ont connus.

L’un des arguments des opposants à l’impôt successoral est le fait que les gains en capital sont déjà imposés au Canada. N’est-ce pas une façon de doubler l’impôt? Comme on vous l’a dit au cours de la discussion qui précède, les propositions actuelles sont en fait, elles aussi, une façon de doubler l’impôt.

On peut y travailler. Encore une fois, selon le succès obtenu grâce à l’impôt successoral, on pourrait imaginer que, un jour, nous puissions faire passer l’impôt sur les gains en capital au Canada sous les niveaux actuels.

L’impôt sur les gains en capital mobilise les actifs. Il réduit le mouvement des capitaux au sein d’une économie. Il piège les capitaux dans des secteurs qui ne veulent pas bouger à cause de l’élément fiscal, malgré le fait que le redéploiement de capitaux dans des secteurs en pleine croissance serait avantageux pour tout le Canada et la société canadienne.

Ces propositions et d’autres dispositions vous sont présentées ici parce que je ne voulais pas seulement venir ici pour vous dire pourquoi il ne faut pas appliquer ces mesures fiscales. Je reconnais qu’il faut apporter des changements qui soient favorables à la classe moyenne du Canada. Et une grande partie de la classe moyenne est faite de propriétaires de petites entreprises. Si nous les décourageons de produire cette richesse, nous ferons du tort à tout le monde, alors que l’impôt successoral permettrait de réaliser l’objectif énoncé sans produire de richesse supplémentaire dans la société canadienne.

Mesdames et messieurs, honorables sénateurs, j’en ai terminé.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup et merci d’avoir soulevé la question de l’impôt successoral. S’agit-il de la même chose que l’impôt sur l’héritage?

M. Short : Oui.

La sénatrice Marshall : C’est la même chose. C’est curieux que vous en ayez parlé alors que personne n’y a fait allusion. Mais je crois que le sénateur Mockler en a parlé il y a un certain temps.

C’est ce que vous proposez. Est-ce que la proposition a suscité de l’intérêt?

M. Short : Non, on en a très peu discuté. Cela m’étonne un peu. De toutes les discussions de la dernière période, notamment depuis les Paradise Papers, ce qui ressort surtout, c’est la prise de conscience d’une polarisation de la richesse dans le pays. Le 1 p. 100 des Canadiens les plus riches, puis la moitié de ce 1 p. 100, et ensuite le un dizième de 1 p. 100 des Canadiens les plus riches contrôlent un volume de richesse extraordinaire qui, très franchement, ne changera rien à leur mode de vie lorsqu’ils recevront leur héritage, alors qu’une répartition de cette richesse parmi la classe moyenne, et mieux encore parmi les plus pauvres du Canada, pourrait profiter énormément à la société.

L’argument avancé contre les modifications proposées par le ministre Morneau est que cela va compliquer la vie de beaucoup de Canadiens et les décourager. L’argument avancé en faveur de l’impôt successoral est qu’il concernera un assez petit nombre de gens très riches au Canada. Cet impôt ne ralentira pas la croissance ni n’entravera le mouvement des capitaux dans les secteurs en croissance et la production de richesse au Canada.

Il me semble évident que c’est bien là votre objectif. Et je suis d’accord avec votre objectif. Faisons quelque chose pour non seulement aider la classe moyenne, mais aussi les pauvres. Nous avons là un moyen de le faire sans porter atteinte aux autres principes de la fiscalité et de l’application régulière de la loi au Canada.

La sénatrice Marshall : La seule chose à laquelle je pensais pendant que vous parliez est que, actuellement, le gouvernement s’est mis à dos tous les propriétaires de petite entreprise.

M. Short : C’est vrai.

La sénatrice Marshall : Si nous adoptons le principe de l’impôt successoral, les gens de 75 ans et plus seront mécontents parce qu’ils ne pourront pas léguer autant qu’ils le voudraient. Les baby-boomers qui en hériteraient seront très mécontents.

M. Short : Eh bien, cela dépend du seuil. Selon le cas, l’impôt sera applicable sur les legs de 5 millions de dollars et plus ou de 10 millions et plus.

La sénatrice Marshall : Cela dépend du taux.

M. Short : Oui. Selon les estimations, la génération des gens âgés de plus de 70 ans auront transmis 900 milliards de dollars à la génération suivante d’ici les 10 prochaines années. Environ 750 milliards de dollars seront transmis aux baby-boomers. À raison de 75 milliards de dollars par année et compte tenu du fait que seulement 7,5 milliards de dollars seraient imposables à un taux de 10 ou 20 p. 100, le résultat est encore supérieur aux 500 millions de dollars que le ministre propose de récupérer actuellement.

La sénatrice Marshall : On a avancé le chiffre de 250 millions de dollars en recettes estimatives pour la répartition du revenu, pour le fractionnement du revenu.

M. Short : Oui.

La sénatrice Marshall : Nous cherchions à nous renseigner sur ce que nous croyions que les recettes perçues sur les revenus hors exploitation seraient. Nous n’avons pas réussi à obtenir un chiffre valable, mais le ministre Morneau a dit en entrevue avec le Globe and Mail qu’il s’agirait de multiples de 250 millions de dollars.

M. Short : Oui, j’ai ici la source du calcul. On a subséquemment publié un rapport qui indiquait que ce serait environ 280 millions de dollars. C’est un chiffre qui se situerait grosso modo entre 250 millions et 280 millions, voilà comment je suis arrivé au chiffre de 500 millions. Je peux vous le fournir.

La sénatrice Marshall : Oui, la proposition révisée sur les revenus passifs. Oui, ça serait probablement cela.

J’étais intéressée de savoir ce que votre clientèle en pensait. Quel genre de réaction a-t-on eu face aux modifications fiscales proposées? Êtes-vous en mesure de nous donner une idée de leur domaine d’emploi?

Les propositions semblaient viser certains médecins, à tout le moins. Il s’agissait du groupe le plus important. J’aimerais savoir ce que votre clientèle en dit.

M. Short : Je travaille dans ce domaine depuis 29 ans. Ma clientèle est principalement constituée de propriétaires de petites entreprises. Il y a des médecins, mais relativement peu. La vaste majorité de mes clients travaillent en construction. On a mentionné plus tôt les entreprises de nettoyage à sec. Cela évoque notre situation, en quelque sorte. Un excellent livre a été publié en 1978. J’essaie de me rappeler le nom de la personne. Le titre était The Millionaire Next Door. Il s’agissait d’une étude américaine qui portait sur la façon dont les millionnaires américains avaient acquis leur fortune. Bien des gens croyaient qu’il s’agissait de médecins, d’avocats, de comptables et d’ingénieurs. En réalité, ils ne figuraient pas parmi les 20 premiers.

Le premier domaine dont étaient issus les millionnaires américains était le nettoyage à sec, suivi des entrepreneurs-électriciens, des entrepreneurs en revêtement routier, des vendeurs de fournitures de plomberie et autres choses du genre. C’est parti de là. Sans vouloir manquer de respect aux médecins, le profil des millionnaires nord-américains est celui de personnes qui vivent dans la même maison qu’ils ont achetée dans la vingtaine ou la trentaine. Ils sont le plus souvent mariés à leur première épouse et sont issus d’un milieu modeste. Ils ne conduisent pas une Mercedes Benz. Ils conduisent un bon véhicule, mais celui-ci est le plus souvent nord-américain. Ils ont une existence modeste.

C’est là ma clientèle. C’est un groupe qui est très axé sur la famille. Ces modifications les révoltent. Ils croient que vous ciblez des personnes. Ils comprennent quelle est l’intention. Ils sont d’accord avec l’intention, mais ils ne comprennent pas pourquoi cette intention vient compliquer la vie des personnes qui ont créé de la richesse à partir de rien. C’est machinal.

Si l’on prenait une liste des propriétaires d’une zone industrielle et si l’on voyait le genre d’entreprises qui s’y trouvent, on verrait certaines entreprises qui ont beaucoup œuvré dans l’industrie pétrolière. Cependant, ce sont des entreprises de distribution de nourriture. Ce sont des propriétaires de franchises de restaurants McDonald et autres du genre. Ce sont des entreprises relativement petites qui ont dû tout emprunter, partir de rien et s’établir. C’est ce groupe qui sera le plus affecté.

D’un autre côté, une fois un certain seuil franchi quant à la taille de l’entreprise, ce qui arrive n’a plus vraiment d’importance. Si vous avez 10, 12 ou 15 millions de dollars de recettes et que votre avoir net est de 4 ou 5 millions, rien de tout cela ne vous affectera vraiment. Les concurrents qui vous talonnaient, qui essayaient de croître et d’innover dans un domaine pour vous surpasser disparaîtront. Vous constaterez alors que les plus grandes entreprises prospèrent et qu’elles achètent les propriétaires malheureux, pas vrai?

La sénatrice Marshall : Oui, oui.

M. Short : Ils diront : « Écoutez, c’en est assez. Je n’y arrive plus. » Les autres éléments essentiels qui ont été amenés portaient sur la motivation. Il vient un moment où les gens lancent des entreprises de plomberie ou d’autres du même type. Ils en viennent à se demander : « Est-ce que je devrais fonctionner à mon nom propre ou est-ce que je suis prêt à embaucher deux ou trois personnes? » Il faut qu’il y ait des avantages pour qu’on se décide à faire le saut. Si au bout du compte il n’y a aucun avantage, alors on a étouffé l’initiative. On a enlevé à ces personnes la motivation d’aller plus loin.

Vous ne verrez pas les effets de cela pendant trois, quatre ou cinq ans et alors il sera trop tard.

La sénatrice Marshall : L’un des problèmes que nous avons soulevés plus tôt ce matin avait également été soulevé lors d’autres séances. Que font les gens? Est-ce qu’ils sont là à attendre que le gouvernement arrive avec les détails? Nous avons entendu, quand nous étions dans l’Ouest, que les gens prenaient les choses en main.

M. Short : C’est le bouquet. Ils choisissent de fermer l’entreprise parce que, avec tout le respect que je vous dois, c’est un fardeau de plus. Il vient un moment où c’est trop pour certaines entreprises et on se dit qu’on en a assez.

La sénatrice Marshall : Est-ce que c’est là ce que vous constatez également?

M. Short : Ah, tout à fait. C’est cela. La principale chose que nous ayons encouragé nos clients à faire est d’appeler leur député. On a fait beaucoup d’appels chez les députés pour leur dire que cela n’était pas acceptable.

Je ne voulais pas arriver en vous disant ce que vous ne devriez pas faire. Je voulais arriver en vous disant : « Voici ce que vous devriez faire. » Il n’y a eu aucune autre proposition pour augmenter les recettes fiscales. Quand la chose aura été suffisamment débattue et discutée, il y aura des gens motivés à appeler et à dire : « Oui, faites ceci. »

La sénatrice Andreychuck : Je vais poursuivre dans la même ligne de questionnement. Vous en êtes venu à la conclusion que le gouvernement fait ceci parce qu’il a besoin de recettes pour continuer à dépenser de la façon dont il le fait ou parce qu’il croit qu’il aura besoin de dépenser, plutôt que par équité fiscale, comme cela a été présenté.

M. Short : Ça, je n’en suis pas certain.

La sénatrice Andreychuck : Vous nous avez donné une option.

M. Short : Je ne comprends pas exactement pourquoi le gouvernement agit de la sorte. L’intention, comme l’a mentionné le premier ministre, était d’être juste. Je ne peux que croire ce que dit le premier ministre. La difficulté que j’y vois, c’est qu’il peut y avoir apparence de justice, particulièrement quand vous amenez le sujet des médecins. Laissez-moi revenir en arrière.

Lorsque j’ai mentionné que les médecins ne faisaient pas partie des 20 plus importants créateurs de richesse en Amérique du Nord, c’est que les médecins ont tendance à dépenser. Ils dépensent de façon ostentatoire. Ils ont généralement de plus grosses maisons et de plus grosses voitures. Ils font généralement de grands voyages. Ils démontrent leur richesse de façon ostensible, ce qui constitue l’une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de ne pas les cibler comme clients. Les personnes braves qui ont fait croître leur entreprise au fil du temps sont le genre de client que nous adorons servir.

Il est très astucieux politiquement de donner l’impression qu’on cherche à atteindre les médecins. Cela démontre que le Parti libéral cible les gens très riches en ce pays, dans un but d’équité. Vous avez peut-être entendu le terme dommage indirect plusieurs fois. Il a peut-être essayé de s’en prendre à ceux qui parlent le plus fort, afin de donner l’impression que justice est faite en les imposant. Malheureusement, il impose par le fait même les petites entreprises familiales, montées à partir de rien, et ceux qui dirigent ces entreprises, qui ne dépensent pas beaucoup.

Leur intention, comme ils le disent, est d’apporter plus d’équité. Ceci n’en apporte malheureusement d’aucune façon.

La sénatrice Andreychuk : Il est intéressant de vous entendre dire que les médecins font étalage de leur fortune.

M. Short : Oui.

La sénatrice Andreychuk : Je dirais que dans ma province, c’est le cas pour certains.

M. Short : Non et cela peut varier.

La sénatrice Andreychuk : Certains avocats, certains comptables, et cetera, mais certains d’entre eux travaillent de 14 à 15 heures.

M. Short : Au tout début de ma carrière, alors que je travaillais tard un soir, j’ai reçu un appel d’un ami. J’ai vu qu’il venait de la salle d’attente d’un médecin. J’ai demandé : « Mais que fais-tu là à 10 heures du soir? » Il m’a répondu : « Je n’arrive plus à refermer la tête. » J’ai répondu : « Pardon? » Il a dit : « Je n’arrive plus à refermer la tête. Cela fait 11 heures que je suis sur une opération de 10 heures, parce que je n’arrive pas à refermer la tête. » Je lui ai dit : « Est-ce que tu y as ajouté des morceaux? Pourquoi n’y arrives-tu pas? » Alors il m’a répondu : « Non, non. En fait, j’ai enlevé des morceaux, mais l’enflure m’empêche de la refermer. »

Aucune somme au monde ne peut rétribuer suffisamment une personne pour ce genre de travail. Je sais que dans ce cas particulier, il a dû travailler de nombreuses heures. À une certaine époque, la province imposait un plafond aux revenus d’une personne. Il avait travaillé bien des heures au-delà sans être rémunéré.

C’est une chose de dire qu’en fait de groupe, les médecins dépensent généralement de façon ostentatoire, tandis que dans les faits, les blanchisseries ont peut-être plus d’argent.

Dans ce cas particulier, ils ont affirmé : « Nous allons assujettir ces hauts salariés à un impôt plus important. » Ils ont apporté des dispositions qui peuvent, en apparence, équilibrer la fiscalité alors que dans les faits, cela passe complètement à côté du but.

La sénatrice Andreychuk : Nous avons également entendu qu’ils étaient incités à se constituer en société à cause des revenus fixes et des ententes avec les provinces.

M. Short : Oui, c’est exact.

La sénatrice Andreychuk : Ce serait la raison pour laquelle la plupart des médecins se constituent en sociétés.

M. Short : Oui.

La sénatrice Andreychuk : J’ai demandé à des fonctionnaires des Finances s’ils avaient consulté le ministère de la Santé. Nous sommes une population vieillissante. Nous ne voulons pas voir les médecins déménager à l’étranger.

M. Short : Oui, cela a surpris tout le monde. Dorothy Keating, qui a parlé plus tôt, est comptable agréée. Je suis un comptable agréé qui œuvre dans un autre aspect de la profession, en investissement. D’aucune manière n’avons-nous entendu parler de consultations ayant été faites avant cette annonce, autre que : « Voici ce qui est proposé. »

La sénatrice Andreychuk : Je suis au fait du commerce international et le ministre Champagne voyage de par le monde pour dire que nous voulons faire croître nos petites et moyennes entreprises, car elles sont l’épine dorsale du Canada et qu’elles créent des emplois au Canada.

Il serait curieux de voir le ministre des Finances cibler le groupe dont tous les autres ministres veulent favoriser le développement.

M. Short : Oui. Une fois de plus, cela semble incohérent. On a mentionné que 70 p. 100 des Canadiens étaient à l’emploi de petites entreprises. C’est de là que nos plus grandes entreprises sont issues. BlackBerry a commencé avec presque rien et a connu une forte croissance. Elle a déjà été une petite entreprise. Toutes ces entreprises ont déjà été petites. Lulu était une petite entreprise au départ. Elle a décollé de façon incroyable. C’est la même chose pour Dollarama.

La raison pour laquelle on cible le moteur de croissance de l’économie demeure une véritable énigme. Cela amène à penser que c’était peut-être une décision irréfléchie. On l’a fait simplement « parce qu’il fallait faire quelque chose ».

Si nous ciblons ces gens et les dépeignons ensuite comme des personnes qui se prévalent d’échappatoires, cela donne une connotation négative à toute la discussion selon laquelle il s’agit d’éliminer des échappatoires : dans les faits, il s’agit de principes sur lesquels les entreprises se fondent depuis de nombreuses années.

Une échappatoire est une conséquence involontaire. Tout ceci est clairement établi dans la loi fiscale depuis 35 ou 40 ans. Comment cela est-il soudainement devenu une échappatoire condamnable? Je pense qu’on n’y a simplement pas réfléchi suffisamment.

La sénatrice Andreychuck : Vous avez mentionné que vous vouliez nous présenter une proposition constructive et elle porte sur les successions. Cela me pose problème. Nous sommes à discuter des petites et moyennes entreprises qui sont affectées. Puis vous voulez parler du droit de succession et vous êtes en faveur de cibler les gens très, très fortunés.

M. Short : C’est exact.

La sénatrice Andreychuck : Ils ne font même pas partie de la discussion, car ce sont eux qui ont des fiducies de revenu, de grandes sociétés ou des problèmes à l’étranger.

M. Short : Exact.

La sénatrice Andreychuck : Ce serait très difficile pour moi, dans tous les cas. Je ne sais pas si les autres membres du comité pourraient le recommander. Comment pouvons-nous recommander un droit de succession qui ne vise pas les gens dont nous traitons ici? Alors que nous ne connaissons pas quels seraient les effets involontaires d’un impôt sur les successions. Il y avait un droit de succession ou des frais d’homologation, que nous avons modifiés en 1972.

M. Short : Oui.

La sénatrice Andreychuck : Il se trouve que j’y étais à l’époque. C’est pourquoi nous avons participé à la planification successorale pour les fermiers et les petites entreprises. Comme vous l’avez dit, il ne s’agissait pas d’échappatoires. Il s’agissait de façons légitimes d’effectuer la transition d’un type d’imposition à un autre.

Plutôt que de proposer un droit de succession, je me demande si vous ne proposez pas en fait de prendre du recul et d’examiner le régime fiscal afin de voir d’où l’on peut tirer le maximum. J’irais jusqu’à dire, il semble que les discussions américaines ont traversé la frontière, en quelque sorte.

M. Short : Oui.

La sénatrice Andreychuck : Je sais que quelques très grandes sociétés, très connues, ont exprimé au moment de l’élection présidentielle qu’elles étaient prêtes à payer plus, mais on ne parlait pas de petites ou de moyennes entreprises.

Ne devrions-nous pas discuter du régime fiscal en entier avant de consacrer de l’énergie au droit de succession. À mes yeux, ce serait comme revenir là où nous étions, aux droits d’homologation.

M. Short : Il y a trois points. J’essaie de me rappeler le nom de l’étude d’avant 1972 qui démontrait que 95 p. 100 des Canadiens étaient à l’emploi de grandes entreprises ou du gouvernement. C’est en 1977 que les choses ont commencé à changer en Amérique du Nord, tout particulièrement au Canada, où le vaste secteur gouvernemental et les grandes entreprises ont commencé à se contracter pour que soit créée la société entrepreneuriale que nous connaissons aujourd’hui. Un grand changement s’est produit.

Les règles d’avant 1972 sur le droit de succession ne reflétaient pas le fait qu’il y a de grandes disparités de fortunes au Canada. La richesse était distribuée de façon beaucoup plus équitable avant 1972. Je ne me souviens plus du chiffre exact, mais nous observons maintenant de grandes disparités, où les très riches détiennent, je crois, 54 p. 100. Toute la richesse du Canada est entre les mains de 0,5 de 1 p. 100 des Canadiens. Il est temps de nous demander : « Est-il temps de ramener le droit de succession? »

Votre deuxième question, par contre, porte sur la façon d’envisager l’imposition des petites entreprises, alors que nous devrions plutôt envisager un droit de succession. Ce comité devrait recommander un examen exhaustif, à cause des répercussions sur la société que tout changement aura. Il s’agit d’un changement énorme qu’on a lancé sans trop y penser.

Oui, il nous faut un examen adéquat, semblable à celui de 1972. Si la recommandation est, en effet, que cet impôt n’entre pas en vigueur, très bien, mais j’essayais d’introduire le droit de succession comme option de rechange, dont on n’a pas discuté. Nous devrions avoir un débat au Canada sur la façon de composer avec des disparités aussi graves que celles que nous voyons actuellement dans la société.

Nos indicateurs de pauvreté se sont améliorés, mais il reste encore beaucoup de pauvres. Notre classe moyenne génère un dynamisme commercial qui se trouverait affecté par tout ceci. Puis il y a les très, très riches, dont le style de vie ne serait pas affecté par un impôt de 10 ou 12 p. 100 sur leur énorme fortune. C’est ce que j’essayais de faire valoir.

La sénatrice Andreychuck : On vient de publier un rapport à l’instant, selon lequel il y aurait 29 milliards de dollars à percevoir.

M. Short : Oui.

La sénatrice Andreychuck : À mes yeux, ce serait là une meilleure recommandation. Tout est déjà là. C’est légitime. Nous devrions nous y attaquer.

M. Short : Oui.

La sénatrice Andreychuck : Merci de votre longue mémoire également. C’est moi qui parle toujours de l’époque d’avant 1972, car je me souviens de ce changement et de la façon dont il a affecté les fermiers et les petites entreprises, particulièrement en Saskatchewan. Nous croyions qu’il s’agissait d’une avancée légitime, qu’on ne devrait pas qualifier d’échappatoire.

M. Short : Qu’on ne devrait pas qualifier d’échappatoire.

Le sénateur Oh : Ma question ressemble beaucoup à celles de la sénatrice Andreychuk. Pourquoi, à votre avis, le gouvernement a-t-il choisi de se concentrer sur les propriétaires de petites entreprises plutôt que sur les hauts salariés?

M. Short : Tout comme les témoins précédents, malheureusement, il cible les créateurs de richesse du Canada. Je ne crois pas que c’est le groupe qu’il devrait cibler.

Le sénateur Oh : Vous avez fait une bonne suggestion en ce qui a trait au droit de succession ou ce que certains pays appellent l’impôt successoral. En ce moment, le gouvernement cible les Canadiens qui travaillent fort plutôt que ceux qui héritent de sommes d’argent sans avoir à travailler autant.

M. Short : Je suis d’accord. De temps en temps, en parlant des juges et des arbitres, nous disons : « Vous ne devriez pas établir les règles si vous ne jouez pas le jeu. » Avec tout le respect que je dois au ministre Morneau et au premier ministre, ils ne sont pas des propriétaires d’entreprise et ils sont de grands héritiers. Le droit de succession aurait un effet direct sur leur fortune personnelle. J’aimerais qu’on leur pose la question : « Qu’est-ce que vous en pensez? »

Le sénateur Oh : Nous avons parlé des fiducies familiales. Puis vous avez mentionné plus tôt que 0,5 p. 100 de la population canadienne est scandaleusement riche, mais que cet argent est dissimulé dans certaines îles au large des côtes.

M. Short : Oui.

Le sénateur Oh : Qu’en pensez-vous?

M. Short : Il y a bien des générations, les personnes de haut rang construisaient des châteaux forts pour protéger leurs richesses. Nous avons maintenant des fiducies étrangères légales. J’ai eu de nombreuses conversations à ce sujet au fil du temps. Bien des choses peuvent être effectuées en toute légalité. Il a longtemps été légal au Canada et aux États-Unis de faire de la discrimination fondée sur la couleur de la peau. Notre pays autorisait ce genre de discrimination. Il était possible de faire de la discrimination fondée sur la race ou le sexe d’une personne. Ce n’est pas juste, mais on avait le droit de le faire.

De la même façon, maintenant que beaucoup plus de renseignements sont divulgués, non seulement par le biais des Panama Papers, mais également par d’autres moyens, l’ARC pourrait exiger la production d’une déclaration des avoirs à l’étranger. L’impôt sur les successions peut être légèrement différent de la taxe foncière. Il peut ouvrir la voie à l’imposition de fiducies qui ne pouvaient normalement pas être imposées dans le passé.

Le sénateur Oh : Nous avons un régime fiscal injuste qui privilégie une certaine catégorie de gens.

M. Short : Oh, mon Dieu, oui. Il n’y a aucun doute là-dessus. Le calcul du coût de l’impôt peut être effectué de deux façons. L’un est fondé sur le montant que vous versez au gouvernement. L’autre est fondé sur le montant que vous versez à vos comptables et avocats pour vous soustraire à vos obligations envers le gouvernement. Dans la mesure où ce dernier montant est inférieur à ce que vous devez payer en impôts, vous avez effectivement un régime fiscal à deux vitesses au Canada.

Le président : Sénatrice Cools, vous allez terminer la première série de questions, s’il vous plaît.

La sénatrice Cools : D’accord, j’aime bien terminer.

Quoi qu’il en soit, j’aimerais que le témoin nous présente son point de vue. Je le remercie de son témoignage très réfléchi. On a souvent parlé en cette enceinte de créer une commission royale sur cette question.

Monsieur le président, chers collègues, je pense que nous devrions faire un peu de recherche sur la nature des commissions royales. Elles sont pour la plupart constituées en vertu d’un article de la Loi sur les enquêtes et le processus généralement très lourd exige des talents et des compétences de haut niveau, du personnel coûteux, et cetera. Nous devrions examiner la signification d’une commission royale et ce qu’elle incarne, afin que personne ne puisse s’y soustraire en prétextant qu’elle est trop coûteuse ou sous quelque autre prétexte.

J’ai une autre question pour vous. La conversion du ministère du Revenu national en une agence — l’Agence du revenu du Canada — est ma bête noire depuis bien des années. Je pense qu’il faudrait redonner à l’organisation son rôle initial. Je préfère de loin que ce soit un ministère dirigé par un ministre plutôt qu’une agence.

Y avez-vous déjà pensé? N’y avez-vous jamais fait allusion?

M. Short : Je ne me préoccupe pas tant de la structure de l’organisation que des résultats nets. Dans un cas comme dans l’autre, je pense que ce qui importe, c’est de savoir qui fait rapport au Parlement.

La sénatrice Cools : Justement.

M. Short : Qui fait rapport au gouvernement?

La sénatrice Cools : Eh bien, on a des doutes.

M. Short : Le ministre du Revenu national est-il le principal responsable de la reddition de compte? A-t-il suffisamment d’autorité pour apporter des changements opportuns pour le bien de la société? Est-il vrai qu’une agence doit franchir une étape supplémentaire? À mon avis, peu importe la façon de faire rapport au Parlement; ce qui importe, c’est de savoir s’adapter aux changements qui surviendront au cours des 10, 20 ou 30 prochaines années. Malheureusement, nous avons tendance à regarder en arrière chaque fois que nous analysons l’économie ou la fiscalité au Canada. Nous nous disons : « Si nous avions imposé cette taxe il y a 10 ans, que se serait-il produit? »

La sénatrice Cools : Oui.

M. Short : Nous serons confrontés à d’autres défis au cours des 10 prochaines années, notamment en ce qui a trait aux cryptomonnaies. Nous serons confrontés à des transactions qui contournent largement les établissements bancaires traditionnels. Je ne dirais pas qu’il est difficile de les retracer, parce qu’en fait ces transactions sont retraçables, mais les intermédiaires sur lesquels nous nous sommes appuyés pour obtenir des renseignements dans le passé ne seront pas en mesure de le faire à l’avenir. Nous devons y voir et nous attaquer de front à ces questions.

Que ce soit dans le cadre d’une commission d’enquête ou d’une commission royale d’enquête, ce qui importe, c’est que ce cadre nous permette de dire à quoi ressemblera l’environnement fiscal au cours des 10 prochaines années, puis de déterminer si nous devons poursuivre notre travail en notre qualité d’agence ou en qualité de ministère.

La sénatrice Cools : Je vous remercie beaucoup de cette intervention. Monsieur le président, nous devrions examiner cela en comité. Peut-être que notre personnel peut nous fournir des renseignements à cet égard, mais chose certaine, c’est que ces deux questions ont une très grande importance.

Je me souviens que le passage du ministère du Revenu à une agence avait suscité beaucoup d’inquiétudes à l’époque, mais les gens du gouvernement étaient davantage préoccupés par ce qu’ils espéraient éviter. Les syndicats devenaient trop puissants au sein du gouvernement et ainsi de suite. De nombreux autres facteurs devaient être pris en considération.

Nous devrions y jeter un coup d’œil. Je pense que nous devrions être beaucoup plus clairs.

Le président : Avant de clore la discussion, j’aimerais, avec la permission des sénateurs, poser une question au sujet de la communauté agricole.

Lorsque j’étais président du Comité de l’agriculture et des forêts, j’ai eu l’occasion de visiter la communauté agricole de Terre-Neuve-et-Labrador, une communauté que je sais très dynamique. La semaine dernière, j’ai bavardé avec des dirigeants d’un peu partout au Canada, notamment du Nouveau-Brunswick, ma province d’origine. J’aimerais avoir votre opinion sur un cas en particulier, parce qu’il touche un peu à ce dont nous a parlé la sénatrice Andreychuk dans le milieu agricole.

Le Nouveau-Brunswick compte environ 2 600 agriculteurs ou collectivités agricoles. Seulement 7 p. 100 d’entre eux sont inscrits ou ont un plan de relève. Environ 93 p. 100 ne le font pas. Cela dit, la situation serait selon eux tout aussi inquiétante à l’échelle des provinces, car elles sont confrontées au même problème.

Compte tenu de ce que le ministre fédéral des Finances a proposé au sujet de la modernisation ou de la réforme du régime fiscal au Canada, je vous poserais la question suivante, monsieur Short : d’après votre longue expérience, croyez-vous qu’il est temps que la loi sur la fiscalité facilite le transfert des exploitations agricoles familiales, et que recommanderiez-vous au comité de faire dans ce secteur en particulier?

M. Short : Brièvement, sans vouloir isoler les agriculteurs, je pense que ces derniers devraient avoir un plan, tout comme les titulaires de permis de pêche ou d’aquaculture devraient avoir le leur, et nous pourrions constituer une large mosaïque regroupant tous ces plans.

Je préférerais une approche générale qui couvrirait tous les transferts d’entreprises familiales, en quelque sorte, plutôt qu’une approche susceptible d’apaiser un secteur au détriment d’un autre.

Quant aux agriculteurs, ils défendent encore une fois un point qui nous tient à cœur. Comme je l’ai mentionné dans mon exposé à juste titre, cela remet en question la différence entre un permis de pêche ou d’aquaculture et un permis d’élevage de bétail. Avec tout le respect que je vous dois, je préférerais voir une proposition globale plutôt qu’une proposition présentée isolément pour chaque secteur.

Le président : Monsieur Short, merci beaucoup de votre exposé. C’était très intéressant.

(La séance est levée.)

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