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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 50 - Témoignages du 21 novembre 2017 (séance du matin)


HALIFAX, le mardi 21 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 4, pour étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je m’appelle Percy Mockler et je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité. Je demanderai maintenant à mes collègues de se présenter successivement, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, Ontario.

La sénatrice Cools : Anne Cools, Toronto, Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, Saskatchewan.

Le président : Nous avons aussi avec nous la greffière du comité, Mme Gaëtane Lemay, et notre analyste, Sylvain Fleury.

Ce matin, le comité poursuit son étude spéciale sur les modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes, modifications que le ministre des Finances a proposées au cours de l’été 2017.

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a reçu, le 26 septembre 2017, du Sénat du Canada le mandat d’examiner les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes, notamment la répartition du revenu, le placement de revenu passif dans une société privée et la conversion des revenus d’une société en gains en capital, et de faire rapport à ce sujet. Il a également été demandé au comité de se pencher de façon particulière sur les répercussions des changements proposés par le gouvernement sur les petites entreprises et les professionnels constitués en société, sur la croissance économique et les finances publiques, sur l’équité de l’imposition des différents types de revenus et sur d’autres questions connexes.

Cela étant dit, le comité présentera son rapport final au Sénat au plus tard le 15 décembre 2017 et conservera tous les pouvoirs nécessaires pour rendre publiques ses conclusions pendant les 180 jours qui suivent.

La séance de ce matin constitue notre 24e réunion publique sur le sujet. Hier, nous étions à St. John’s, Terre-Neuve-et-Labrador, où nous avons tenu une journée complète d’audiences.

Plus tôt cet automne, nous avons tenu à Ottawa 13 réunions publiques au cours desquelles nous avons entendu plus de 60 témoins.

Il y a deux semaines, nous étions dans l’Ouest canadien où nos audiences ont suscité beaucoup d’intérêt de la part du milieu des affaires et des secteurs de la santé, de l’agroalimentaire et de l’agriculture. Plus de 30 témoins ont comparu devant nous à Vancouver, Calgary, Saskatoon et Winnipeg.

Chers collègues, nous accueillons ce matin, dans notre premier groupe de témoins, Gerrit Damsteegt, président de Dairy Farmers of Nova Scotia, et Chris van den Heuvel, président de la Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse.

Les témoins disposeront d’environ cinq minutes pour faire leur exposé, après quoi les sénateurs pourront y aller de leurs questions.

Je laisse la parole à nos témoins, d’abord à M. Gerrit Damsteegt et ensuite à M. van den Heuvel.

Gerrit Damsteegt, président, Dairy Farmers of Nova Scotia : Je vous remercie beaucoup de l’occasion qui m’est donnée de comparaître devant vous aujourd’hui.

Je vous donnerai, si vous le voulez bien, quelques renseignements sur moi-même. Je suis exploitant, avec ma famille, d’une ferme laitière qui se trouve à environ 40 minutes au nord d’ici. Je suis président du conseil de Dairy Farmers of Nova Scotia. Je suis également membre du conseil d’administration des Producteurs laitiers du Canada.

Je voudrais aujourd’hui, dans mon exposé, décrire sommairement le cadre dans lequel nous fonctionnons pour que vous puissiez vous faire une idée de ce qu’est l’industrie laitière canadienne. Comme les minutes me sont comptées, j’entreprends sans plus tarder mon exposé.

Je me félicite, monsieur le président et membres du comité, d’avoir la possibilité de faire connaître notre point de vue sur les changements proposés, qui se répercuteront sur la planification fiscale des sociétés privées.

Organisme national d’étude des politiques, de lobbying et de promotion, les Producteurs laitiers du Canada représentent approximativement 11 000 exploitants de fermes laitières au Canada, dont environ 220 dans cette province. Les Producteurs laitiers du Canada s’emploient à instaurer des conditions stables pour l’industrie laitière canadienne d’aujourd’hui et de demain et à maintenir des politiques qui favorisent la viabilité des producteurs laitiers canadiens dans le but de promouvoir les produits laitiers et leurs bienfaits pour la santé.

Le secteur laitier canadien contribue de façon constante et positive à la stabilité économique de l’économie canadienne. En 2015, il a compté pour 11,9 milliards de dollars dans le PIB du Canada et pour 3,8 milliards de dollars en recettes fiscales. De plus, tout en offrant aux Canadiens des produits frais, nutritifs et de haute qualité, mais sans bénéficier de subventions gouvernementales directes comme celles accordées ailleurs, le secteur laitier représente environ 221 000 emplois au Canada.

Pour ce qui est des modifications fiscales proposées, je tiens à signaler que notre organisme, Dairy Farmers of Nova Scotia, appuie sans réserve les efforts de la Fédération canadienne de l’agriculture dans ce dossier. De façon générale, je dirais qu’à ce stade-ci, bien que nous, de l’industrie, soyons prudemment optimistes quant aux changements annoncés jusqu’à présent, j’estime qu’il reste encore bon nombre de détails à régler.

En particulier, au chapitre de la répartition du revenu, un critère simplifié de raisonnabilité a été annoncé et la décision a été prise de ne pas aller de l’avant avec la proposition comportant des restrictions plus inquiétantes visant l’exonération cumulative des gains en capital. Ce qui nous préoccupe principalement en ce moment dans cette proposition, ce sont les applications éventuelles du critère simplifié aux gains en capital. Cela pourrait compliquer la planification de la relève.

Nous nous préoccupons également du fait que tout critère, même simplifié et visant la confirmation de contributions véritables, ouvrira la porte à la subjectivité et imposera aux producteurs le lourd fardeau d’avoir à démontrer leur conformité.

J’arrive au revenu de placements passifs. Bien que la décision d’annoncer un seuil d’exonération de 50 000 $ pour les actifs existants semble être un pas dans la bonne direction, il faudra, pour en déterminer la pertinence, une analyse plus poussée une fois que des détails supplémentaires seront connus. Nous nous préoccupons surtout du traitement des terres louées et des effets que ces règles pourraient avoir sur la gestion du risque et les plans de relève des producteurs. Je crois comprendre que la Fédération canadienne de l’agriculture a également recommandé qu’un seuil de 50 000 $ soit cumulatif et indexé sur l’inflation. Nous entérinons cette recommandation.

Quant à la discussion sur le revenu et les gains en capital, nous sommes heureux, tout comme la FCA, de constater que le gouvernement n’ira de l’avant avec aucun des changements proposés. Il nous a été donné de comprendre que la FCA travaillera en étroite collaboration avec le ministre des Finances en vue de trouver une formule pour faciliter les authentiques transferts intergénérationnels d’entreprises.

Je tiens à signaler que, bien que le gouvernement ait, à juste titre, reconnu l’agriculture comme un moteur économique et un secteur de croissance, certaines des politiques actuellement à l’étude mettent tout cela en péril. De fait, si vous interrogez les agriculteurs au sujet de la gestion de l’offre, ils diront probablement qu’il est difficile, dans le climat actuel, de ne pas avoir l’impression d’être ciblés par les modifications fiscales proposées, comme d’ailleurs par la suppression de la catégorie des produits laitiers du Guide alimentaire canadien ou la diabolisation de produits laitiers nutritifs en les qualifiant de malsains et en leur apposant des étiquettes de mise en garde. Bien que le gouvernement et tous les partis se soient à maintes reprises et publiquement prononcés en faveur de la gestion de l’offre, il est difficile de ne pas sentir que nous sommes touchés par mille traits.

Il va sans dire que nous apprécions le soutien constant apporté par le gouvernement confronté à des défis comme la renégociation de l’ALENA, mais il importe de rappeler que les politiques intérieures du Canada sont entièrement sous le contrôle du gouvernement. Il incombe au gouvernement de prendre connaissance des préoccupations des intervenants au sujet de toute politique proposée, de tenir compte de leurs observations et d’apporter les ajustements nécessaires en conséquence des arguments probants portés à sa connaissance. J’espère sincèrement que les observations des intervenants inspireront profondément la version finale de cette politique, ainsi que de toutes les autres.

Je terminerai là-dessus, en vous remerciant de nouveau pour le temps de parole que vous m’avez accordé. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Je cède maintenant la parole à M. van den Heuvel.

Chris van den Heuvel, président, Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse : Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que les membres du comité, de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole devant vous aujourd’hui au sujet des modifications fiscales proposées, qui ne manqueraient pas d’avoir des répercussions sur nos exploitations agricoles et, par conséquent, sur notre industrie.

Je m’appelle Chris van den Heuvel, et je suis un producteur laitier dans la partie ouest de l’île du Cap-Breton. Je suis également président de la Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse, qui représente les agriculteurs des 27 différents groupes de produits, 13 fédérations de comté et plus de 2 400 familles d’agriculteurs en Nouvelle-Écosse.

Je tiens d’abord à féliciter le gouvernement fédéral d’avoir écouté les préoccupations des agriculteurs au sujet des changements proposés cet été. Le fait de revenir sur bon nombre des changements proposés montre qu’il nous a écoutés et a tenu compte de beaucoup de nos préoccupations. Il y a eu cependant quelques points forts inquiétants autour de ces changements.

Le premier point ayant suscité l’inquiétude tenait au calendrier établi pour les consultations. Les changements proposés ont été annoncés pendant la saison de forte activité pour les agriculteurs et les consultations se sont terminées pendant la même saison. Au bout du compte, les agriculteurs et les organisations agricoles ont disposé de très peu de temps pour étudier en détail les répercussions que ces changements complexes auraient sur les entreprises agricoles.

Les outils fiscaux visés n’étaient pas les vilaines échappatoires fiscales que l’on décrivait. Il s’agit d’outils de planification financière qui offrent des stratégies pour les plans de relève agricole entre générations et à l’intérieur des familles. La plupart des exploitations agricoles, même la ferme familiale traditionnelle, sont constituées en société pour diverses raisons. Le coût fiscal du transfert d’une exploitation agricole au sein de la famille est beaucoup plus élevé, presque le double de celui d’un transfert à l’extérieur de la famille, à moins de le faire par l’intermédiaire d’une société privée. Il est question ici d’exploitations agricoles dont la valeur se situe dans les millions de dollars, et la différence d’environ 15 points de pourcentage peut s’accumuler rapidement.

Une autre raison qui incite les exploitations agricoles à se constituer en société, c’est de bénéficier de l’exonération des gains en capital au moment de leur vente. Pour la vente d’actions d’une société à une société non liée, on passe généralement par une société de portefeuille, ce qui permet à l’acheteur d’avoir accès au flux de revenus de la société acquise et au vendeur d’avoir accès à l’exemption pour gains en capital bonifiée à la vente. Toutefois, comme cela a été mentionné, le produit de la vente est traité comme un dividende, ce qui empêche les familles d’agriculteurs de bénéficier de l’exonération des gains en capital.

L’article 84.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu doit être modifié pour faciliter l’accès à l’exonération des gains en capital pour les transferts agricoles aux membres de la famille immédiate, ce qui permettrait d’assurer l’égalité de traitement.

Je veux également aborder la question de la répartition du revenu. Les exploitations agricoles sont, de par leur nature, des affaires familiales, chaque génération jouant le rôle qui lui revient dans le travail quotidien. La répartition du revenu est un moyen de reconnaître la valeur et le travail que nos enfants et leurs enfants apportent, année après année, à la ferme elle-même et aux travaux de culture. Il y a de nombreux avantages pour les enfants qui travaillent à la ferme, notamment l’acquisition d’une solide éthique de travail et l’enseignement de précieuses leçons de vie. Les tâches qui leur conviennent sont définies par le National Children’s Centre for Rural and Agricultural Health and Safety, qui a établi des lignes directrices sur le travail agricole des jeunes afin d’aider leurs parents et d’autres personnes à assigner les tâches en fonction de l’âge des jeunes qui vivent ou travaillent à la ferme.

Les répercussions que les changements proposés auraient eues sur l’industrie sont un autre point qui a soulevé de vives inquiétudes. Le Conseil consultatif en matière de croissance économique a déterminé que l’agriculture est un secteur prioritaire clé qui a un grand potentiel sur les marchés intérieur et extérieur. Les défis exposés dans le rapport du conseil pour augmenter les exportations agricoles de 50 p. 100 au cours des 10 prochaines années nécessiteront des investissements au niveau des exploitations agricoles, et le montant des fonds qui auraient été disponibles pour que celles-ci puissent aider à relever ces défis aurait été beaucoup moins élevé si les modifications fiscales proposées visant les sociétés privées avaient été adoptées.

En terminant, j’aimerais formuler quelques recommandations. Il faut mieux définir le critère de raisonnabilité pour la répartition du revenu. Le calendrier des consultations était inacceptable et toute consultation future sur quoi que ce soit qui pourrait avoir une incidence sur l’agriculture et les agriculteurs ne devrait pas avoir lieu durant la saison de forte activité agricole.

Quant à la fiscalité, il faut faciliter le transfert des exploitations familiales en uniformisant les règles du jeu. Dans le cas de la vente d’actions d’une société à des sociétés non liées, comme je l’ai déjà mentionné, on passe généralement par une société de portefeuille afin de permettre à l’acheteur d’avoir accès au flux de revenus de la société et au vendeur d’avoir accès à l’exemption pour gains en capital bonifiée. Mais lorsque le transfert se fait au sein de la famille, le produit de la vente est traité comme un dividende. Il faut donc modifier l’article 84.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu de façon à faciliter l’accès à cette exonération des gains en capital dans le cas des transferts d’une exploitation agricole aux membres de la famille immédiate, assurant ainsi un traitement égal à toutes les familles d’agriculteurs.

Encore une fois, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole devant vous aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : La sénatrice Marshall sera la première à poser des questions et sera suivie des sénatrices Eaton et Andreychuk, et du sénateur Neufeld.

La sénatrice Marshall : Merci de vous être déplacés ce matin. Je commencerai par une question détaillée, puis je poserai une question générale.

Monsieur Damsteegt, je reviens sur vos observations préliminaires et sur les chiffres que vous avez avancés, soit les 19,9 milliards de dollars pour le PIB du Canada. Vous estimez à 3,8 milliards de dollars les recettes fiscales. Je sais que le ministre des Finances, lorsqu’il a parlé des propositions qui sont sur la table, a mentionné, relativement à l’impôt sur le revenu fractionné, qu’il envisageait de percevoir 250 millions de dollars de plus, et, à partir du revenu passif, il a fait état de multiples de 250 millions de dollars, quoique je soupçonne que ce chiffre a été revu à la baisse dans les propositions révisées. Avez-vous une idée de l’incidence que ces deux propositions auraient sur les recettes fiscales de 3,8 milliards de dollars? Y a-t-il eu des discussions à ce sujet? Je sais que les détails des propositions n’ont pas été rendus publics, mais je suis curieuse de savoir quelle serait leur incidence financière.

M. Damsteegt : Merci pour la question. Certes, je pense que vous avez frappé dans le mille avec votre dernière remarque. Les détails n’ont pas été rendus publics, et je suis d’avis que l’incertitude entourant toute cette question est un gros problème. Je ne peux pas vous donner de chiffres révisés pour le moment. Ce que je peux vous dire, c’est que l’incertitude que ce projet de loi fiscal fait planer sur nos têtes est bien réelle, puisque personne ne sait si la mesure sera rétroactive, ni ce qui sera exigé pour l’application de ce critère de raisonnabilité.

Je veux vous faire part d’un cas qui me touche personnellement. J’ai un fils à la maison qui veut prendre le relais. Il entend toutes ces choses et me demande : « Papa, dois-je vraiment faire ça? » Telle est la réalité.

En ce qui concerne la gestion de l’offre, je peux parler au nom du secteur laitier; Chris parlera au nom des producteurs de tous les autres secteurs. L’essentiel, c’est la stabilité. Notre industrie est en pleine croissance. Elle croît de façon exponentielle au Canada. Mais à cause des incertitudes qui pendent au-dessus de nos têtes, beaucoup de gens hésitent à investir parce qu’ils veulent savoir où cela va nous mener. C’est la stabilité qu’il nous faut.

La sénatrice Marshall : Je me rends compte qu’il y a beaucoup d’incertitude, et je sais qu’il n’y a pas que les modifications fiscales. Vous avez parlé de la gestion de l’offre; l’ALENA serait alors une source de préoccupation. Je m’attendrais à ce que la hausse des taux d’intérêt en soit une également. Il y a aussi des signes de ralentissement économique. Tous ces facteurs jouent dans le mélange.

Pourriez-vous nous dire ce que vos membres vous disent exactement? Dans vos remarques, vous avez donné des informations générales. Mais qu’est-ce que vos membres disent de la façon dont cela les touchera individuellement? Pourriez-vous nous donner quelques exemples précis? Je sais que ces changements auront des répercussions importantes sur de nombreuses familles. Je sais, par exemple, que la proposition visant le fractionnement du revenu vous touchera vraiment, puisque vous avez une ferme familiale.

D’autres témoins nous ont dit que certains agriculteurs sont déjà passés à l’action. Ils tentent de deviner ce que le gouvernement fédéral décidera. Ils agissent dès maintenant, comme par mesure préventive, sans savoir, bien sûr, s’ils auront bien deviné. Alors, pourriez-vous nous donner quelque idée de ce que vous entendez de vos membres?

M. van den Heuvel : Je vous remercie beaucoup pour cette question. Nous avons tous les deux touché un peu à ce sujet. Je pense que ce que nous entendons principalement, c’est, évidemment, l’incertitude entourant les changements proposés, et, comme on dit souvent, c’est dans le détail que les choses accrochent. Parmi les grandes préoccupations exprimées par nos membres, beaucoup ont trait à la répartition du revenu. Toutes les préoccupations ont leur importance, mais nous entendons beaucoup parler de ce critère de raisonnabilité et de ce qui sera permis ou non pour ce qui est du travail à la ferme, de la main-d’œuvre agricole et de l’évaluation des contributions faites par les membres de la famille à la ferme.

Ce sont des fermes familiales par nature, comme je l’ai mentionné dans mes observations. Mon fils est mon associé en ce moment. Sa fille, qui n’a pas encore deux ans, est déjà dans la grange et elle sait qu’elle doit donner une pelletée de moulée à chaque vache. Ce que je veux faire ressortir, c’est que les enfants apprennent ces choses à un très jeune âge et commencent à comprendre très tôt la valeur d’une bonne éthique de travail. Nous devons pouvoir leur montrer comment faire, leur inculquer ces valeurs et valoriser leurs efforts.

Je pense donc qu’il est injuste que nos membres soient assimilés aux propriétaires de certaines autres sociétés qui tentent de recourir à des méthodes d’évitement fiscal. Voilà quelles sont, d’après moi, quelques-unes des grandes préoccupations.

La sénatrice Marshall : Que disent-ils de la proposition sur le revenu passif? Je cherche une définition. Que comprend le revenu passif? En noir sur blanc, qu’y aura-t-il là-dedans?

M. Damsteegt : Je dois reconnaître que je ne suis pas spécialiste de ce domaine. Pour me préparer un peu mieux à vous parler aujourd’hui, j’ai vu hier mon comptable, chez PriceWaterhouseCoopers. Ces gens-là ont une excellente réputation. En discutant avec eux, comme vous venez de le mentionner, j’ai appris que certaines personnes anticipent les intentions du gouvernement pour agir. Les comptables déconseillent vraiment d’agir ainsi : on peut toujours déplacer de l’argent, mais on ne sait jamais.

Avec la proposition sur le revenu passif, c’est certainement un problème parce que les agriculteurs font certains investissements. Ils font des investissements dans des terres, certaines propriétés, et ainsi de suite, pour des raisons stratégiques.

J’ai quatre enfants; ma plus jeune a 13 ans. Je crois qu’elle est née dans la grange, parce qu’elle adore s’y trouver. Sitôt rentrée de l’école, elle est dans la grange. C’est ce qu’elle veut aujourd’hui. Pour lui donner la possibilité de faire partie de la ferme dans 10 ans, je devrai peut-être décider aujourd’hui d’acheter une terre, pour ouvrir de nouvelles perspectives.

La sénatrice Marshall : Il faut penser à l’avenir.

M. Damsteegt : Je n’en aurai peut-être pas besoin aujourd’hui. N’est-ce pas un investissement passif? Je ne l’utilise pas directement.

Quant au critère de raisonnabilité, je dois vous avouer à vous tous que les producteurs laitiers ne travaillent pas à l’heure. J’ignore combien je fais à l’heure. Mes enfants ignorent combien ils font à l’heure. Nous leur payons un montant raisonnable pour le travail qu’ils font. Ce n’est pas du 8 à 4. Quand j’ai besoin d’aide à 5 heures du matin, je frappe à la porte et ils viennent m’aider. À 21 heures, c’est pareil. Pour bien des gens, il n’est pas raisonnable de demander l’aide de quelqu’un à 21 heures, mais c’est notre réalité.

La sénatrice Marshall : C’est une zone très grise et je m’attends qu’on la définisse à un certain moment donné. J’ignore si on la définira noir sur blanc.

La sénatrice Eaton : Monsieur Damsteegt, j’aimerais revenir sur une chose que vous avez dite dans votre exposé. Je crois savoir que la Fédération canadienne de l’agriculture a recommandé que le seuil de 50 000 $ soit cumulatif et indexé sur l’inflation, ce que nous appuierions. En tant que producteur laitier, vous avez évidemment de bonnes et de mauvaises années. Vous devez aussi préparer votre retraite. Comme vous l’avez dit, vous ne savez pas si vos enfants voudront garder la terre. Vous avez de nouvelles machines à acheter, des trayeuses et tout le nouveau matériel. J’ai visité récemment la Royal Winter Fair et j’ai trouvé cela extraordinaire. Pensez-vous vraiment que le seuil cumulatif de 50 000 $ est suffisant pour prendre de l’expansion, renouveler votre équipement, assurer votre retraite et survivre aux mauvaises années?

M. Damsteegt : Très bonne question. Je suis impressionné que vous reconnaissiez les investissements dans l’agriculture et tout le reste.

La sénatrice Eaton : Mon oncle était producteur laitier.

M. Damsteegt : Je dois admettre que nous avons laissé la FCA, la Fédération canadienne de l’agriculture, prendre l’initiative dans ce dossier, parce que ce n’est pas seulement pour les fermes laitières. Nous avons accepté les 50 000 $. Est-ce assez? N’est-ce pas assez? Je ne peux pas vraiment entrer dans les détails. Reste que nous nous sommes mis d’accord sur ce montant. C’est certainement une question que je peux poser. Chris en sait peut-être plus à ce sujet.

La sénatrice Eaton : Si j’étais vous, je le ferais. Ce serait très intéressant. Vous prenez un énorme risque.

Monsieur van den Heuvel, je crois savoir que la Nouvelle-Écosse a un taux d’imposition combiné maximal de 54 p. 100, un des plus élevés au Canada. Au sujet de la répartition du revenu, quiconque a travaillé ou vécu dans une ferme sait que vous ne tenez pas de feuille de temps pour la main-d’œuvre. Allez-vous commencer à en tenir une pour votre petite-fille de deux ans, qui est parfois dans la grange, pour votre femme ou pour vos enfants? Comment pensez-vous pouvoir mieux expliquer cela? Comme bien des petites entreprises, l’exploitation d’une ferme mobilise tout le monde.

M. van den Heuvel : Merci beaucoup de la question. La meilleure façon de promouvoir notre cause serait de vous inviter, d’inviter certains de ces gens-là dans une ferme, et de leur donner une bonne idée de notre quotidien. Gerrit a mentionné que ce n’est pas du 9 à 5. Ce n’est même pas du 5 à 9. C’est souvent beaucoup plus que cela.

La sénatrice Eaton : Avez-vous étudié ce que serait votre taux d’imposition si vous ne pouviez plus céder une part de votre revenu à vos enfants ou à votre femme pour leur participation à l’exploitation de la ferme?

M. van den Heuvel : Encore une fois, nous n’avons pas les détails de ce qui sera permis et interdit, mais au bout du compte, cela aurait serait très lourd de conséquences parce que nous ne pourrons pas déduire ces dépenses. Si nous ne pouvons pas payer nos enfants, nos fils et nos filles, ou nos femmes ou nos maris, selon le cas, pour leur travail, nous aurons plus de revenu et plus d’impôt à payer.

Là encore, nous n’avons pas les détails de ce qui sera considéré comme une quantité raisonnable de main-d’œuvre et un montant raisonnable de rémunération pour nos agriculteurs. Il est donc très difficile de donner une estimation grossière de ce que seront les répercussions, si ce n’est qu’elles seront négatives. Cela ne fait aucun doute.

La sénatrice Andreychuk : Monsieur van den Heuvel, pourriez-vous m’en dire un peu plus sur les exploitations agricoles non laitières de la province? Savez-vous ce qu’en pensent ceux qui sont dans l’horticulture, les pommes, ou quoi encore, pour nous donner une idée de la situation de l’agriculture dans la province?

M. van den Heuvel : Le secteur laitier est celui qui contribue le plus au PIB agricole de la province. Mais il y a d’autres industries très importantes : la fourrure, les bleuets, le bœuf, l’érable, les produits laitiers et l’horticulture. Il y en a plusieurs dans toute la province.

Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, nous représentons 27 groupes de producteurs différents. Les revenus à la ferme en 2016 ont été d’environ 580 millions de dollars. C’est beaucoup, et je crois que le secteur laitier a représenté 130 de ces 580 millions de dollars; c’est un apport important à l’activité économique.

Nos membres nous disent à peu près tous la même chose parce qu’une foule de ces enjeux ne sont pas directement liés à la gestion de l’offre. Toutes nos fermes utilisent de la main-d’œuvre familiale à la ferme. Lorsque nous transférons nos fermes, elles ont une valeur nettement plus élevée et sont assujetties aux mêmes règles fiscales, peu importe que nous les transférions à des membres de la famille ou que les acheteurs ne soient pas de la famille. Un grand nombre des conséquences sont les mêmes, et on nous dit exactement la même chose partout dans l’industrie.

La sénatrice Andreychuk : On parle notamment de « répartition du revenu ». Pour moi, il ne faut pas y voir la connotation de saupoudrage que suggère le « sprinkling » anglais. C’est une récompense pour le travail accompli ou le risque pris. Vous a-t-on donné quelque indication que ces changements s’en venaient? Avez-vous été consultés?

Je suppose que vos plans d’affaires reposent sur ce que vous faites depuis 30 ans et sur les lois sur le transfert de propriété. Saviez-vous que cela s’en venait?

M. van den Heuvel : Pas avant la publication des résultats de la consultation. Nous n’avons eu aucune indication et tout le monde a été pris au dépourvu. À leur défense, je sais qu’ils disaient ceci : « Eh bien, ce n’est pas certain. Ce n’est pas ce que nous allons faire. Ce sont-là les consultations, et nous lançons ces idées pour voir la rétroaction qu’elles susciteront. »

Comme je l’ai mentionné, le moment était très mal choisi, dans notre perspective, et l’absence de consultation préalable était tout aussi déplorable. Chaque fois que vous allez toucher une industrie par des changements aussi considérables que ceux-là, nous souhaiterions des consultations préventives pour faciliter les choses. On aurait peut-être pu éviter une partie de ce retour de fouet en parlant d’avance à la Fédération canadienne de l’agriculture ou à la Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse ou encore aux Producteurs laitiers du Canada, ou quoi que ce soit.

La sénatrice Andreychuk : À ce sujet, le gouvernement dit maintenant qu’il va de l’avant et que l’ARC élaborera les lignes directrices. Avez-vous été consultés là-dessus? Autrement dit, il y aura un critère de raisonnabilité dans les allocations du revenu au sein de la cellule familiale et l’ARC vous rendra une décision. Vous devrez alors soit être d’accord, soit faire la preuve que le critère de raisonnabilité n’est pas raisonnable. Avez-vous été consultés sur les lignes directrices pour le critère de raisonnabilité?

M. van den Heuvel : Je n’ai encore entendu parler de rien. Nous revenons tout juste d’Ottawa, il y a quelques semaines, après une séance sur la Colline où nous avons parlé à divers députés lors d’une réunion de la Fédération canadienne de l’agriculture. À peu près au même moment, on a annoncé, à notre grande satisfaction, quelques points clés concernant les modifications fiscales proposées et reconnu la nécessité de consulter le secteur agricole et de lui faire une place spéciale dans la réflexion en raison de l’importance de l’industrie. Que je sache, il n’y a pas encore eu de conversations détaillées à ce sujet. J’espère qu’il y en aura très bientôt. Il se passe peut-être des choses dont je ne suis pas au courant.

La sénatrice Andreychuk : Quel type de dossiers tenez-vous au sujet de votre exploitation familiale? Dans ma province, on dit : « Nous vivons sous ce régime depuis 30 ans et c’est acceptable pour le gouvernement. » Ces règles vont entrer en vigueur immédiatement. Elles ne seront pas retardées, comme certains le voudraient.

Pour le cas où l’ARC vous demanderait de justifier la distribution de votre revenu dans l’unité familiale, avez-vous demandé à vos comptables ce que vous devrez avoir pour prouver que c’est légitime?

M. van den Heuvel : Encore une fois, cela nous ramène à l’incertitude quant au critère de raisonnabilité. Une de nos politiques à la Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse, à la Fédération canadienne de l’agriculture et ailleurs est le fardeau excessif de la réglementation.

Gerrit a mentionné dans son exposé que, selon nous, une partie de ces règles et règlements imposeront à nos fermes un niveau supplémentaire de tenue de livres, et d’autres choses, alors que nous sommes déjà occupés. C’est déjà assez difficile.

On l’a dit, nous pouvons être appelés à 5 heures du matin pour une demi-heure ou 45 minutes avant de retourner au lit ou alors à 21 heures, selon le cas. Les tâches sont si variées; ce n’est pas comme dans une entreprise traditionnelle où le chronomètre part au début de la journée et s’arrête à la fin. Nous sommes sur appel 24 heures par jour en tant que propriétaires de la ferme. Donc, toutes ces choses vont créer un travail excessif de tenue de dossiers.

Quelle sera la définition de raisonnabilité? Allons-nous devoir commencer à noter tous les petits détails de chaque activité tout au long de la journée? Ce sera pénible. Allons-nous devoir dire à nos enfants d’écrire quand ils ont nourri les veaux, ou quand ils ont nettoyé les stalles, ou quoi encore? Ce sont des questions sérieuses qui, à notre avis, seront assez lourdes de conséquences sur notre capacité d’avancer et de faire ce que nous aimons faire, c’est-à-dire produire de quoi nourrir les Canadiens.

Le président : Le sénateur Neufeld, suivi du sénateur Oh et de la sénatrice Cools.

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, de nous avoir présenté vos vues sur les changements que le gouvernement apporte au régime fiscal.

Lorsque, tout jeune homme, je suis devenu plus brillant que lui, mon père m’a dit que, si j’avais tout compris dans le monde, je ferais mieux de me mettre en campagne pour le prouver. Ce que j’ai fait. J’ai travaillé dans une ferme laitière à 5 $ par jour à traire les vaches à la main. Je peux dire que j’en ai trait des vaches dans ma vie. Il y a bien longtemps de cela, et le monde n’est certainement plus ce qu’il était à l’époque.

Vous avez sûrement remarqué que le ministre des Finances et le premier ministre parlent constamment de la classe moyenne. Selon vous, où vous situez-vous là-dedans, dans la classe moyenne? Vous êtes-vous déjà demandé si vous êtes dans la classe moyenne ou pas?

M. Damsteegt : Oui, je crois que nous sommes dans la classe moyenne. Je sais que les consommateurs qui voient les exploitations agricoles, avec leurs bâtiments et toute leur terre, pensent que nous sommes millionnaires. Ce n’est pas le cas, parce que tout notre argent est bloqué dans l’exploitation. C’est ce qui génère mon revenu. Pour cette raison précise, oui, nous faisons partie de la classe moyenne. Le gouvernement a dit au début qu’il allait réparer cette loi fiscale à cause des échappatoires, ce qui fait mal parce que nous faisons notre travail chaque jour.

Je parlerai pour moi-même parce que je connais bien ma situation. Nous avons constitué notre ferme en société il y a neuf ans environ. Nous avions une raison pour cela. Nous l’avons fait pour les impôts parce que nous trouvions intéressant de nous constituer en société. La principale raison était la planification de la relève. La planification pour donner la chance à la prochaine génération, parce que peu importe que je sois agriculteur, sénateur ou menuisier, il faut bien que je mange. Si nous créons un environnement où la prochaine génération dit : « Je n’ai plus envie de faire cela, papa », qui nous nourrira?

M. van den Heuvel : Merci de votre question. Je suis totalement d’accord avec Gerrit. Je crois que nous faisons solidement partie de la classe moyenne, pour toutes les mêmes raisons que Gerrit a mentionnées. Oui, les gens voient notre infrastructure et tout le reste et pensent que nous sommes riches parce que nous conduisons un gros camion, ou quoi que ce soit.

Mais nous y mettons notre temps. Nous payons cela d’une façon que bien des gens ne peuvent pas ou ne veulent pas imaginer : la quantité de travail, de temps et de main-d’œuvre que demandent ces types d’exploitation est inimaginable pour eux. Pour ces raisons, je pense que nous faisons certainement partie de la classe moyenne des Canadiens.

Le sénateur Neufeld : Ce gouvernement qui parle toujours d’aider la classe moyenne, diriez-vous qu’il a bien réussi à vous aider, messieurs de la classe moyenne, avec ces modifications fiscales? Pensez-vous qu’il vous a aidés ou qu’il vous a nui? Oui ou non, votre réponse sera bonne.

M. Damsteegt : Beaucoup d’incertitude; non.

M. van den Heuvel : Non.

Le sénateur Neufeld : Ma foi, voilà un bon message à rapporter à ces deux messieurs qui ne cessent de parler de la classe moyenne. Pour être honnête, disons qu’on a demandé maintes fois au ministre de définir la classe moyenne. Vous avez fait mieux que lui. Il n’a pas encore réussi à définir la classe moyenne de manière définitive avec qui que ce soit. J’ai assisté à des audiences où il était présent, et il ne peut pas définir la classe moyenne. Je vous remercie de l’avoir fait.

La deuxième chose est la question du revenu passif. Diriez-vous que le plafond de 50 000 $ est suffisant pour toutes les fermes laitières du Canada, peu importe leur taille ou la nature de leur produit?

M. Damsteegt : Comme je l’ai mentionné, les Producteurs laitiers du Canada ont appuyé la Fédération canadienne de l’agriculture pour ce qui est de ces 50 000 $. Je dois vous avouer que je ne suis pas qualifié pour dire si c’est suffisant. Je vais certainement noter la question pour la transmettre à la FCA. Vous avez raison, la différence entre une exploitation et une autre est énorme.

M. van den Heuvel : Je suis d’accord avec Gerrit pour dire que nous allons noter la question. Elle a été mentionnée à quelques reprises et nous avons intérêt à y revenir.

L’importance de l’exploitation varie beaucoup, non seulement dans le secteur des fermes laitières, mais encore dans l’ensemble des exploitations agricoles au Canada. Pour brosser un vaste tableau d’un secteur quand, comme vous l’avez mentionné, le diable se cache dans les détails, il faut travailler au peigne fin.

J’ai un voisin qui a 12 vaches et un quota de 10 kilogrammes. Il y a d’autres fermes dans la province qui ont un quota de 250, 300 ou 350 kilogrammes. Il existe une très grande disparité entre les exploitations. On peut en dire autant des exploitations agricoles de tout le Canada. Il y a des céréaliculteurs dans l’Ouest qui, lorsqu’ils voient nos 200, 300 ou 400 acres, disent : « Eh bien, c’est juste assez pour faire faire demi-tour à ma moissonneuse-batteuse. Ils ont 5 000 acres, 10 000 acres, 15 000 acres de terre. Il y a donc une énorme disparité de taille, dont il faut tenir compte.

Le sénateur Neufeld : Je suis tout à fait d’accord avec vous. En fait, cette observation s’applique à tout le monde des affaires et non uniquement à l’agriculture. La somme de 50 000 $ suffit peut-être à une petite entreprise, mais pour de plus grandes sociétés, cet argent est moins que rien. Je vous remercie pour cette réponse.

Quand vous travaillez à la ferme, pensez-vous à la retraite et à ce que vous retireriez de votre investissement et de vos innombrables heures de travail? Comptez-vous, dans votre plan de retraite, une partie au moins de ce que vous obtiendriez pour votre ferme si vous la vendiez à l’un de vos enfants ou à une autre société? Ces questions vous viennent-elles à l’esprit?

M. Damsteegt : Je vous remercie d’avoir posé cette question. En effet, nous y pensons. Il est bon que nous réfléchissions à ces choses.

Cela dit, il ne s’agit pas uniquement de la retraite. Nous tenons à assurer à la prochaine génération la possibilité d’exploiter une ferme. Nous voulons également traiter équitablement les jeunes qui ne se lanceront pas dans l’agriculture afin qu’ils reçoivent une part équitable de notre exploitation.

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, nous parlons là de l’aspect financier de l’exploitation, mais dans le cas d’une ferme, ce capital est immobilisé. Cela fait partie de notre exploitation. Pour traiter nos enfants équitablement, nous devons établir d’avance une structure qui perdurera pour les enfants qui la reprendront et qui nous permettra aussi de traiter équitablement le reste de la famille.

M. van den Heuvel : Merci d’avoir posé cette question. Oui, nous y pensons très souvent, puisqu’ici en Nouvelle-Écosse, l’âge moyen des agriculteurs est le plus élevé au Canada. Je crois que nous avons tous en moyenne 56 ans et demi.

Nous pensons continuellement à la retraite. Comme l’a dit Gerrit, nous désirons plus que tout transmettre notre exploitation à la prochaine génération d’une manière équitable pour assurer sa réussite. Cet objectif est crucial. Il est facile de transférer l’exploitation, mais il n’est pas facile de le faire de manière à assurer une bonne qualité de vie pour les enfants, pour les petits-enfants et ainsi de suite.

Je crois que, en réalité, nous exploitons nos fermes parce que nous adorons le faire. Nous savons que nous ne deviendrons pas millionnaires. Nous savons bien que nous ne volerons pas la place de Bill Gates au sommet de cette liste. Nous le faisons parce que ce secteur nous passionne et parce que nous l’adorons. Nous espérons transmettre cette passion à nos enfants afin qu’ils réussissent dans ce secteur ici en Nouvelle-Écosse avec leurs enfants. Nous espérons qu’ils ne s’en iront pas dans l’Ouest ou ailleurs. Nous y pensons continuellement, c’est sûr.

Le sénateur Neufeld : Je voudrais vous lire ce qu’a écrit le ministre des Finances, ce type qui parle d’aider la classe moyenne. Vous nous avez dit que vous pensez appartenir à la classe moyenne. Le ministre des Finances a dit au comité que le gouvernement reconnaît que les sociétés ont besoin de réinvestir des fonds dans leur exploitation. C’est logique. Il veut seulement que les gens n’utilisent pas ces fonds pour accumuler un fonds de retraite. En fait, il dit que tout l’argent que génère votre ferme doit y être réinvesti et que vous ne devriez pas planifier votre retraite.

Mais je suis convaincu que M. Morneau et M. Trudeau planifient leur retraite. En fait, leurs familles ont déjà planifié leur retraite en établissant des fiducies de revenu. Quoi qu’il en soit, que pensez-vous de cette affirmation du ministre des Finances selon laquelle il prend bien soin des gens de la classe moyenne?

M. van den Heuvel : À mon avis, c’est très facile à dire pour une personne dont la pension de retraite est déjà garantie. Moi, je n’en ai pas.

Ma pension de retraite, c’est mon travail, les durillons aux mains que causent mes tâches quotidiennes. Alors il n’est pas juste de me dire que je ne peux pas utiliser le revenu de mon travail pour établir mon fonds de retraite. Je lui suggérerais de changer de place avec moi. Je lui suggérerais de venir faire mon travail pendant une journée, et nous verrons combien d’heures il réussira à tenir le coup.

Le sénateur Neufeld : Je vais leur transmettre votre message.

M. Damsteegt : Je n’ai rien à ajouter. Vous avez très bien décrit la situation, Chris.

Le sénateur Oh : Je vous remercie, messieurs. Vous êtes des travailleurs acharnés de la Nouvelle-Écosse. Je voudrais vous poser la question suivante : est-ce que, en général, les enfants et les épouses participent à l’exploitation d’une ferme? Dans l’affirmative, leurs tâches sont-elles formelles, ou officieuses? Les agriculteurs s’inquiètent-ils de savoir si les fonctionnaires de l’ARC considéreront la contribution de ces personnes assez importante pour autoriser leur rémunération?

M. van den Heuvel : Merci beaucoup d’avoir posé cette question. Je crois que leur contribution est formelle et officieuse. Les membres de ma famille, mon fils et mes trois filles, ont des tâches à accomplir et ils participent tous à l’exploitation de la ferme. Ils ont des tâches formelles à exécuter, mais comme l’a expliqué Gerrit, il nous arrive de leur demander de les lâcher temporairement pour nous aider à faire autre chose.

Mon épouse est partenaire de plein droit dans mon exploitation. Je ne considère pas ma ferme comme ma possession personnelle, c’est notre ferme. Mon épouse travaille tout aussi fort. Au besoin, elle conduit un tracteur, elle manie la fourche et s’attaque à d’autres tâches formelles de la ferme. Mais elle en fait beaucoup plus. Elle fait de la tenue de livres et s’organise pour que je puisse travailler pendant 12 heures d’affilée sur le tracteur sans devoir rentrer à la maison pour les repas ou pour boire ou autre. Ses contributions sont cruciales. On ne peut pas les ignorer ou les sous-estimer. Nous travaillons en famille, officiellement et officieusement.

Le sénateur Oh : Gerrit, auriez-vous quelque chose à ajouter?

M. Damsteegt : Je suis vraiment heureux que vous nous ayez posé cette question. De l’extérieur, les gens ne remarquent souvent pas que nous travaillons en famille. Je peux vous dire à tous que je suis président de Dairy Farmers of Nova Scotia, et cette fonction me tient très occupé. Je fais aussi partie de Dairy Farmers of Canada, alors je passe beaucoup de temps à Ottawa. Mais je ne pourrais pas occuper ces postes sans l’aide de ma famille.

Je ne pourrais pas le faire si mon épouse ne réglait pas les problèmes pendant mon absence. Je ne pourrais pas le faire si elle ne pouvait pas demander aux enfants d’effectuer certaines tâches quand je ne suis pas à la ferme. Est-ce que je tiens à m’absenter de ma ferme? Non, pas du tout. Je me sens bien mieux en bottes et en salopettes. Mon exploitation me passionne, je l’adore. Je ne me sens pas à l’aise dans un complet-veston.

M. van den Heuvel : Il est très beau dans son complet-veston.

M. Damsteegt : Nous sommes souvent obligés d’assumer certains rôles. Il faut bien que quelqu’un le fasse pour faire progresser notre industrie. Nous travaillons en famille, c’est sûr. Mais les gens ne le reconnaissent pas toujours.

Il faut tenir compte de cela en parlant de la répartition du revenu. Je ne suis pas seul à faire le travail. Nous y contribuons tous.

Le sénateur Oh : Au cours de ces prochaines années, il faudra engager un plus grand nombre de comptables et d’avocats fiscalistes. À votre avis, combien les agriculteurs devront-ils payer de plus en services comptables si cette réforme est adoptée?

M. Damsteegt : Vous me posez là toute une question. Je pourrais vous donner un chiffre, mais je l’inventerais de toutes pièces. Toutefois, je suis content d’avoir consulté ma comptable hier après-midi. Elle m’a dit que même les gens du cabinet PriceWaterhouseCoopers ne savent pas vraiment comment les choses vont évoluer. Ils ont encore bien des questions. Par exemple, seront-elles protégées par des droits acquis? Ces règles seront-elles rétroactives? Quelles en seront les répercussions?

Au sujet du critère de raisonnabilité, elle m’a demandé quels en seront les paramètres, comment mesurer cela? Nous baignons dans l’incertitude. S’il décide d’appliquer ces changements, le gouvernement devra nous accorder un certain temps pour planifier, pour modifier nos façons de faire et surtout pour comprendre.

Le sénateur Oh : Ma dernière question est la suivante : Avez-vous établi une fiducie familiale ou un compte en banque quelque part dans les Antilles?

M. van den Heuvel : La seule île où je me promène est l’île du Cap-Breton.

M. Damsteegt : Cela me plairait beaucoup, mais je ne peux pas me le payer.

La sénatrice Cools : Je tiens à vous remercier tous d’avoir comparu devant nous et de nous avoir fait part de vos points de vue, qui nous sont précieux. Je suis aussi très heureuse que vous ayez réitéré ce que nous avons entendu ailleurs, c’est-à-dire la grande incertitude et le profond malaise que ressentent les intervenants de toutes les régions du pays parce qu’ils ne savent pas quoi faire et où s’adresser. Il est désolant que la proposition d’un ministre mette les gens dans un tel état. Cette proposition a un effet dévastateur et affolant.

Vous nous avez beaucoup parlé de votre exploitation. Je vous dirai que ma mère était propriétaire d’une plantation. Nous n’avions pas de fermes, dans notre région, nous avions des plantations. J’ai beaucoup observé l’exploitation de la plantation et la culture du sucre et autres.

Comme vous le savez, à la fin de cette étude, nous devrons produire un rapport pour présenter nos conclusions au Sénat. Nous y présenterons aussi des recommandations. Si vous étiez de notre côté de la table, quelles seraient les quatre recommandations principales que vous nous suggéreriez de présenter? Il faut qu’elles soient très solides, car la situation est grave.

M. van den Heuvel : Je vous ai présenté quelques recommandations tout à l’heure, alors je vais vous en répéter quelques-unes. Évidemment, nous avons mentionné plusieurs fois la répartition du revenu et le critère de raisonnabilité. Qu’est-ce qui est vraisemblable et qu’est-ce qui ne l’est pas? Il nous faut des détails et des définitions. Il faut que nous comprenions ce que nous pouvons faire et ne pas faire. Quelles répercussions ces règles auront-elles sur nos exploitations? Voilà notre recommandation fondamentale.

Dans le cas du transfert des fermes aux membres de la famille, il nous faut des règles équitables. Il est bien triste de penser qu’il me serait plus facile de vous passer ma ferme que de la transférer à mon fils ou à ma fille. C’est injuste. Il faut corriger cela. De mon point de vue, ce sont les deux recommandations les plus importantes à présenter.

Gerrit, vous avez probablement quelque chose à ajouter à cela.

M. Damsteegt : Oui, en effet. En termes très généraux, il nous faut des éclaircissements, il faut éliminer l’incertitude dont vous avez parlé. Je suis tout à fait capable d’aborder ces situations, mais il faut que l’on m’avertisse pour me donner le temps de prendre les bonnes décisions sur la planification de notre succession. Il y a aussi les calendriers, ceux des investissements passifs et autres. Nous ne savons pas du tout ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.

Ma comptable m’a aussi dit hier que, de ce temps, certains de ses clients transfèrent leur argent. Est-ce une mesure judicieuse? Ensuite, il faut se demander ce que nous faisons à l’infrastructure globale. Cette incertitude bloque-t-elle la croissance de l’économie? Je le pense bien. D’un côté vous essayez de générer plus de recettes fiscales, mais cette incertitude, selon moi, est extrêmement grave.

Le président : Nous entamons la deuxième ronde, et le président cède la parole à la sénatrice Marshall et à la sénatrice Andreychuk.

La sénatrice Marshall : L’un de vous, ou peut-être vous deux avez dit que vous êtes allés sur la Colline pour discuter avec des députés. Pourriez-vous nous parler un peu de ces conversations? Si j’ai bien compris, vous avez discuté de ces propositions fiscales. Que vous ont-ils dit? Avez-vous rencontré le ministre de l’Agriculture, dont la circonscription se trouve juste à côté de chez vous? Pourriez-vous nous dire ce qui s’est dit au cours de ces rencontres?

M. van den Heuvel : Dans le cadre de mes fonctions de représentant de la Fédération canadienne de l’agriculture, je suis venu à Ottawa il y a deux ou trois semaines. Nous tenons ces sessions sur la Colline deux fois par année. Nous organisons des rencontres avec divers députés et parfois avec des sénateurs. Nous nous efforçons de rencontrer des membres du gouvernement au pouvoir et de l’opposition pour nous faire une idée équilibrée de la situation.

Il est évident que chaque session, nous parlons de sujets différents. Cependant, la session de cet automne portait spécifiquement sur deux enjeux : les changements proposés au régime fiscal et les enjeux commerciaux liés à l’ALENA et au PTP et autres. En général, nos discussions portaient sur ces deux enjeux.

Nous avons rencontré différents groupes pendant cette journée, soit 42 députés en tout. En général, ils reconnaissaient qu’ils ne s’y étaient pas pris comme ils auraient dû. Ils le comprenaient. Je suis sûr qu’ils étaient sincères. Je suis certain qu’ils comprenaient que la prochaine fois, ils devraient mieux faire les choses afin de traiter les Canadiens de façon équitable.

La sénatrice Marshall : Alors vous avez aussi rencontré les députés de votre province, de la Nouvelle-Écosse?

M. van den Heuvel : Oui, quelques députés de la Nouvelle-Écosse étaient présents, mais nous avons rencontré des députés de toutes les régions du pays.

La sénatrice Marshall : Mais il y en avait quelques-uns de votre province?

M. van den Heuvel : Oui, bien sûr.

La sénatrice Marshall : Avez-vous eu l’occasion de rencontrer le ministre de l’Agriculture?

M. van den Heuvel : Oui, son nom est souvent sur la liste, mais je n’ai pas participé à cette rencontre. Nous nous subdivisons en groupes de deux ou trois membres de la fédération pour chaque rencontre. En général, nous essayons de prendre part à celles où se trouve le député de notre région. Par exemple, je m’efforce d’aller rencontrer Rodger Cuzner, ou le député de l’époque. Certains hauts directeurs de la fédération ont pris part aux consultations du ministre MacAulay.

La sénatrice Andreychuk : On nous a dit que le taux de constitutions en personne morale était probablement plus élevé il y a 10 ans, mais que les gens s’en prévalent depuis l’établissement du système il y a au moins 30 ans.

Un grand nombre d’agriculteurs nous ont dit qu’en se voyant vieillir, ils désirent ardemment transférer leur ferme à leurs enfants. Ils ont ajouté qu’il serait crucial qu’ils sachent comment s’y prendre au cours de ces cinq prochaines années. Est-ce que ce type de transfert entre générations est aussi courant en Nouvelle-Écosse?

Ils ne s’inquiétaient pas uniquement pour leurs propres familles, mais pour les répercussions que cela aurait dans tout le domaine de l’agriculture. Tient-on ce genre de conversation à la fédération canadienne dans toutes les régions du pays? En parle-t-on dans toutes les communautés agricoles du pays?

M. Damsteegt : Je ne peux vous parler que du secteur laitier. Les membres de ce secteur, dans notre province, désirent beaucoup attirer des jeunes. J’ai 54 ans. J’étais déjà chauve à 22 ans, alors ne me vieillissez pas trop! Quand nous rencontrons les producteurs, nous voyons beaucoup de jeunes. Je peux vous dire qu’en Nouvelle-Écosse, nous avons beaucoup de jeunes producteurs. Je ne peux pas vous parler des autres secteurs.

Mais pour moi comme pour un jeune de 32 ans, la situation est la même. Nous faisons tous face à ces changements proposés. Ils n’auront pas lieu à court terme, cela se passera à plus long terme. Les jeunes désirent se lancer dans notre industrie, mais l’incertitude les en empêche.

Pour répondre à votre question, les Producteurs laitiers du Canada rencontrent toujours les députés pendant la première semaine de février. Nous rendons visite à tous les députés sur la Colline et nous essayons de rencontrer aussi tous les sénateurs. Mais face au projet de loi qui risque d’être adopté, nous avons encouragé nos membres en leur disant qu’il n’était pas nécessaire qu’ils aillent tous à Ottawa, mais qu’il est crucial qu’ils parlent à leurs députés dans leur localité. Ils nous ont écoutés. Il faut cependant reconnaître la couleur qui règne en Nouvelle-Écosse. Je crois qu’ils nous écoutent et qu’ils comprennent. Je crois qu’ils se sont sentis soutenus. Nous leur avons fait comprendre qu’ils doivent prendre leur destin en main. Ils ont écouté notre message, c’est certain.

La sénatrice Andreychuk : C’est sans doute à cause de mes antécédents professionnels, mais je suis troublée à l’idée qu’un fonctionnaire de l’ARC peut se présenter pour évaluer ce qui constitue un partage raisonnable et approprié du revenu. Nous avons passé des décennies à essayer de légitimer les unités familiales et à répéter que nous n’allions pas nous immiscer dans les couples et les ménages parce que nous savons qu’il n’y a pas deux familles pareilles.

Comme nous avions l’habitude de le dire dans les services sociaux, la clé de la survie et de la prospérité, c’est de laisser à une famille toute la latitude dont elle a besoin pour se développer. Normalement, le gouvernement n’intervient que si la ligne rouge est franchie. Nous n’établissons pas de norme pour déterminer ce qui constitue une bonne unité familiale. Nous laissons chaque famille agir à son gré, mais si elle franchit la ligne rouge, par exemple dans les cas d’abus, le gouvernement interviendra.

Nous sommes donc en train de mettre en place un système en vertu duquel des comptables de l’ARC, et je présume qu’ils seront compétents, évalueront ce qui est acceptable en matière de partage du revenu au sein d’une unité familiale. N’est-ce pas le moment de réfléchir? Quelle raison invoquerons-nous pour dicter aux entrepreneurs la manière de gérer leur entreprise?

Vous avez dit que vous passiez parfois 12 heures sur votre tracteur et que quelqu’un devait vous préparer et vous apporter votre repas. Je me rappelle les récoltes dans le bon vieux temps à la ferme. Tout le monde participait aux travaux et les femmes se rassemblaient pour cuisiner afin de permettre à tous d’être sur un pied d’alerte 24 heures sur 24. Mon inquiétude relève donc de la politique sociale. Nous avons mis en place des mesures qui prennent en compte les unités familiales, nous nous gardons d’intervenir auprès de celles-ci pour ce qui est de la répartition du travail, par exemple, et nous valorisons la contribution de chaque membre, qu’il travaille à la cuisine ou dans les champs. Pourquoi faut-il laisser des comptables de l’ARC définir ce qu’est une unité familiale et ce qui est équitable?

M. van den Heuvel : Merci. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Nous sommes très inquiets de ce qui va arriver et de savoir qui déterminera la valeur d’un métier par rapport à un autre dans une exploitation agricole. L’agriculture est une entreprise unique dans tous ses aspects. Ce n’est pas une usine, ni des bureaux, ni un atelier. C’est tout cela à la fois et beaucoup plus encore. Le gouvernement doit reconnaître que l’agriculture fait appel à un large éventail de compétences et offre de multiples possibilités aux personnes qui participent aux activités agricoles. Si un comptable, un fiscaliste ou un autre fonctionnaire du gouvernement vient chez moi pour me dire ou dire à mes enfants : « Désolé, mais pour nous, votre contribution dans cette ferme n’a aucune valeur », c’est carrément inacceptable.

M. Damsteegt : De plus, je pense que le sénateur Oh a demandé précédemment quelles allaient être les répercussions de cela. Combien d’avocats s’occuperont de cela? Quel en sera le coût du point de vue des comptables?

Si vous ouvrez cette boîte de Pandore ou donnez un coup de pied dans le nid de frelons, soyez prêts à tout, sinon comment ferez-vous votre évaluation? Comme l’a fait remarquer Chris, c’est un exercice subjectif. J’aime que mon café et mon repas me soient servis à l’heure. Quand je suis sur mon tracteur, c’est mon épouse qui prépare le repas pour tout le monde. Nous n’avons pas besoin d’aller à la cuisine manger une bouchée et boire un café. Quelle valeur attribuez-vous à ce travail? Comment les fonctionnaires de l’ARC détermineront-ils la valeur de ce travail? S’ils y arrivent, c’est qu’ils sont beaucoup plus intelligents que nous.

Le sénateur Neufeld : La sénatrice Cools vous a demandé quelles étaient vos recommandations. Beaucoup de témoins nous ont dit aujourd’hui que le gouvernement avait simplement choisi quelques éléments du régime fiscal qui ont d’énormes conséquences sur chacun.

Il vaudrait peut-être mieux que le gouvernement se retire avant d’aller plus loin et qu’il entreprenne un examen complet du régime fiscal canadien; le dernier examen remonte à longtemps et le monde a bien changé depuis. Seriez-vous d’accord pour dire que le gouvernement ne s’est pas rendu compte de ce qu’il était en train de faire? Vous pourriez lui montrer ce qu’il a fait et lui recommander de revoir la structure fiscale de fond en comble. Vous n’êtes pas les seuls à être insatisfaits de ce système, beaucoup d’autres Canadiens le sont également. Seriez-vous d’accord pour faire cette recommandation?

M. Damsteegt : Nous y serions favorables, je pense; attendons de voir ce que cela donnera. Nous avons déjà fait cette démarche. Il y a une explication à cela, sauf tout le respect que je dois aux personnes qui ont lancé ce processus. Vous recevez des commentaires dans le cadre de vos travaux. À la lumière de ces renseignements, vous devez reconnaître que vous avez fait fausse route et que vous devez faire machine arrière. Il suffit de régler la question du transfert, l’impôt entre un père à son fils ou ses enfants, le fardeau fiscal que cela entraîne comparativement à la vente de la ferme à une personne qui n’est pas de la famille ou de l’entreprise.

M. van den Heuvel : Merci beaucoup pour cette question. Là encore, je suis tout à fait d’accord avec vous et Gerrit. Nous devons connaître les détails et planifier ces changements. Il est impossible de mettre en œuvre des changements fiscaux qui ont des répercussions aussi vastes en l’espace de trois ou quatre mois. Les fonctionnaires eux-mêmes reconnaissent ne pas être au courant des détails. Comment pouvons-nous mettre en œuvre des changements fiscaux ou des plans financiers, sans connaître les détails et leurs répercussions sur nos entreprises et le tissu même du Canada rural?

Le président : En terminant, je suis convaincu que, par votre entremise messieurs, le groupe des Dairy Farmers of Nova Scotia et la Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse ont exprimé les opinions, les observations et les préoccupations de leurs membres. Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je vous remercie.

Monsieur van den Heuvel, souhaitez-vous faire un commentaire?

M. van den Heuvel : Je voudrais simplement vous remercier de m’avoir donné la parole, monsieur le président. Je remercie également tous les membres de nous avoir invités à leur présenter notre point de vue. C’est un échange important qui doit se poursuivre et progresser.

Il a été beaucoup question de chiffres ici et il en reste encore beaucoup à dévoiler. Je vous conseille fortement, si vous en avez la chance, de lire le rapport du Conseil consultatif en matière de croissance économique dirigé par Dominic Barton; on peut y lire que l’agriculture est le premier secteur de croissance au Canada. Au cours des 40 prochaines années, nous devrons produire la même quantité de nourriture, des aliments sécuritaires, qu’au cours de la totalité des 10 000 dernières années. Cela donne une idée de l’importance de l’agriculture.

En guise de conclusion, permettez-moi de vous donner un dernier chiffre, comme je fais chaque fois que je prononce un discours : 88 695. Quelqu’un a une idée de ce que représente le chiffre 88 695? Ne l’oubliez pas. Si vous atteignez l’âge moyen d’un Canadien, soit 81 ans et demi, et mangez trois repas par jour, c’est le nombre de fois que vous aurez besoin des services d’un agriculteur tout au long de votre vie.

Le président : Chers collègues, nous sommes maintenant prêts à entendre notre deuxième groupe de témoins. Permettez-moi d’abord de remercier les témoins d’avoir accepté notre invitation. Nous avons hâte d’entendre vos recommandations, vos commentaires et vos points de vue.

Nous accueillons M. Patrick Sullivan, président-directeur général de la Chambre de commerce d’Halifax; M. Glenn Davis, vice-président, Politique, à la Chambre de commerce de l’Atlantique; et Me Nicole LaFosse, avocate, LaFosse MacLeod, qui représente la Cape Breton Barristers’ Society. Je vous remercie de votre présence.

La greffière m’a informé que M. Sullivan sera le premier à présenter son exposé, suivi par M. Davis et Me LaFosse. Vous disposez d’environ cinq minutes chacun.

Patrick Sullivan, président-directeur général, Chambre de commerce d’Halifax : Bonjour à tous. Je vous remercie d’être venus nous rencontrer à Halifax. Nous sommes ravis de vous avoir ici aujourd’hui pour discuter d’un sujet d’une grande importance.

Je m’appelle Patrick Sullivan et je suis président-directeur général de la Chambre de commerce d’Halifax. La Chambre de commerce d’Halifax fait la promotion des meilleures pratiques commerciales et ne ménage aucun effort pour rendre notre ville encore plus attractive, si cela est possible, comme endroit où vivre, travailler et se divertir. Nos 1 600 membres représentent plus de 65 000 employés et s’expriment d’une seule et forte voix par le biais de la chambre pour promouvoir les entreprises de la région.

Je suis très heureux de pouvoir discuter avec vous aujourd’hui des modifications et mises à jour des politiques fiscales récemment annoncées. Nos membres ne cessent de nous parler de l’incertitude et du stress accru engendrés par ces changements. J’aimerais donc prendre les prochaines minutes pour vous exposer certaines de ces inquiétudes.

Dans la lettre que nous avons adressée au ministère des Finances le 29 septembre 2017, nous lui faisions part de notre inquiétude au sujet du critère de raisonnabilité. Les mises à jour présentées durant la semaine du 16 octobre confirmaient que les personnes qui apportent une contribution appréciable à l’entreprise ne seraient pas touchées par les mesures proposées sur le partage du revenu. Nos membres ne savent pas comment cette mesure sera interprétée, appliquée ou mise en œuvre. Les entrepreneurs consacreront plus de temps aux tâches administratives au lieu de faire croître leur entreprise et de créer des emplois. Nous recommandons qu’une analyse de rentabilité de cette mesure soit effectuée afin de dissiper l’incertitude engendrée par ce changement potentiel.

Nous nous réjouissons de la décision de renoncer aux mesures proposées visant à restreindre l’accès à l’exonération cumulative des gains en capital. La réforme fiscale proposée aurait eu des répercussions sur la succession familiale, les agriculteurs, les pêcheurs et de nombreuses entreprises familiales destinées à être vendues ou transférées à un membre de la famille. Comme plus de 70 p. 100 des entreprises devraient changer de main au cours de la prochaine décennie, on comprend que les modifications fiscales proposées auraient grandement compromis les successions ou réduit la valeur des entreprises.

Nous avons constaté cette tendance depuis l’annonce des modifications initiales en juillet dernier. L’incertitude a fait chuter la valeur des entreprises de nos membres. Les conséquences non voulues auraient été la fermeture de nombreuses petites entreprises qui ne trouvaient pas d’acheteurs tiers.

Nous sommes très heureux d’apprendre que le gouvernement s’est empressé de tenir sa promesse d’abaisser à 9 p. 100 le taux d’imposition des entreprises d’ici 2019, après avoir d’abord annoncé, dans le dernier budget, que cette mesure serait retardée. Les mesures législatives proposées relativement aux revenus de placement diminueront grandement la capacité d’une entreprise de mettre des fonds de côté pour prendre de l’expansion ou pour traverser une période de ralentissement économique. De toute évidence, il y a là deux courants de pensée.

En outre, de nombreux entrepreneurs fournissent des capitaux à d’autres entrepreneurs qui lancent des idées novatrices. Le taux d’imposition proposé sur ces fonds compromettra grandement la viabilité et la croissance des petites entreprises. Nous avons la conviction que le ministère des Finances croit que les entreprises détiennent des fonds seulement pour épargner. Nos membres nous disent qu’ils le font pour diverses raisons, notamment pour faire face à des ralentissements imprévus, pour soutenir la concurrence et pour avoir des liquidités pour leurs acquisitions. Et voilà qu’ils devront payer de l’impôt sur ces fonds à un taux exorbitant. Nous ne comprenons pas pourquoi, au moment où d’autres gouvernements cherchent à réduire les impôts des entreprises, le Canada cherche à augmenter le coût du capital.

La Chambre de commerce d’Halifax et nos membres continuent de nourrir certaines inquiétudes qui n’ont pas encore été dissipées et qui sont une source de stress accru et d’inquiétude dans le milieu des affaires. Pas plus tard que vendredi dernier, j’ai prononcé une allocution devant un groupe de chefs d’entreprise de la ville. L’associé comptable agréé qui prenait place à mes côtés, aujourd’hui membre de l’Association des comptables professionnels, m’a dit que, depuis juillet dernier, il conseillait à ses clients d’attendre pour faire des achats d’entreprise ou des placements étant donné qu’on ne sait tout simplement pas quel sera le contexte dans les mois et les années à venir.

Le livre blanc sous-évalue les entrepreneurs en comparant les impôts payés par un employé et ceux payés par un entrepreneur. C’est une comparaison boiteuse. L’entrepreneur subit le stress, prend des risques et profite des avantages qui vont avec le fait de posséder une entreprise. Ces changements pourraient poser des obstacles pour les entrepreneurs, même si ce n’est pas le but. Ces mêmes entrepreneurs sont l’épine dorsale de l’économie canadienne et, en 2015, ils représentaient quelque 1,17 million d’entreprises, dont 97,9 p. 100 étaient de petites entreprises.

L’incertitude économique est une autre source d’inquiétude. Dans le climat actuel d’incertitude mondiale, avec les discussions sur l’ALENA et la lenteur de la croissance économique, nous nous demandons si ces changements ne feront pas plus de mal que de bien pour le milieu des affaires et la compétitivité au Canada.

Nous avons d’autres questions auxquelles, nous l’espérons, vous répondrez. Une étude d’impact économique a-t-elle été menée sur les changements proposés? Le gouvernement a-t-il évalué dans quelle mesure le fardeau et les coûts des petites entreprises augmenteront? A-t-il évalué dans quelle mesure les coûts et le fardeau administratif de l’ARC augmenteront? Comment les modifications proposées seront-elles gérées?

Certaines dispositions sont vagues et sujettes à interprétation. Par exemple, l’application d’un critère de raisonnabilité. L’avantage qu’en retirera le contribuable canadien a-t-il été évalué par rapport aux pertes d’emplois et aux faillites d’entreprises qui pourraient résulter de l’application de ces mesures? Les petites entreprises emploient des travailleurs de la classe moyenne. Qui les emploiera lorsque ces petites entreprises auront disparu ou cesseront de voir le jour? Les petites entreprises seront nécessaires pour assurer le succès de la Stratégie de croissance pour l’Atlantique, une priorité de ce gouvernement. Comment cette stratégie sera-t-elle mise en œuvre si les entrepreneurs sont démobilisés par ces récentes modifications fiscales?

La Nouvelle-Écosse est actuellement la province où les impôts sont les plus élevés et, compte tenu de la lourdeur des formalités administratives auxquelles font face les entreprises actuelles et futures, les modifications proposées à la politique fiscale du Canada pourraient compromettre grandement la croissance économique de la province. La multiplication des obstacles dans un climat aussi précaire que celui de la Nouvelle-Écosse risque de nuire non seulement aux entreprises établies à Halifax, mais aussi à celles des régions rurales.

Nous demanderons directement au gouvernement provincial de nous dire quelles mesures il entend prendre pour faire contrepoids à ces modifications afin d’assurer la croissance des petites entreprises au moment où il y aura moins d’incitatifs pour la création et l’exploitation de petites entreprises ou pour le réinvestissement de liquidités dans l’entreprise.

La Chambre de commerce d’Halifax est déterminée à aider les petites entreprises à prospérer; nous voulons également faire en sorte qu’elles soient toutes traitées avec justice et équité et qu’elles bénéficient d’un environnement propice à la réussite. Nous espérons que vous prendrez le temps d’examiner nos observations et nos questions. Nous sommes persuadés que les changements proposés à la politique fiscale relativement aux sociétés privées auront une myriade d’incidences existentielles sur l’économie canadienne et le bien-être des Canadiens.

Nous reconnaissons que le régime fiscal n’est pas parfait. Comme l’a fait observer la Chambre de commerce du Canada, nous croyons qu’il est dans l’intérêt supérieur du gouvernement d’instituer une commission royale sur la réforme fiscale qui saura définir clairement les problèmes à résoudre et l’objectif recherché, qui est de réduire le stress et l’incertitude indûment imposés au milieu des affaires et d’atténuer les incidences pour la compétitivité des entreprises sur les marchés mondiaux.

Pour aider les propriétaires d’entreprises et le public à y voir plus clair, il faut décrire en termes précis les pratiques légales employées par les entreprises et cesser de blâmer les petites entreprises en utilisant des mots comme « échappatoire fiscale », « répartition des revenus ».

Je vous remercie beaucoup d’avoir offert à la Chambre de commerce d’Halifax une tribune pour exprimer les préoccupations et les recommandations de nos membres pour assurer la santé de l’économie.

Glenn Davis, vice-président, Politique, Chambre de commerce de l’Atlantique : Mesdames et messieurs, bonjour, et merci de nous offrir l’occasion d’exprimer les préoccupations de nos membres concernant les changements proposés aux règles en matière de planification fiscale.

Pour dire les choses simplement, notre réseau de 93 chambres de commerce représentant plus de 16 000 entreprises et professionnels de toute la région atlantique est profondément préoccupé par les propositions et les modifications fiscales du gouvernement.

S’il y a un enjeu qui justifie le rôle du Sénat comme lieu de réflexion objective, c’est bien celui-là. La substance et le processus de la soi-disant consultation ont suscité une controverse qui divise, alors qu’elle n’existait pas auparavant. Dire que l’approche adoptée était imparfaite est un euphémisme. La décision de tenir des consultations durant les mois d’été a été vue comme une nouvelle attaque sournoise contre les petites entreprises et les professionnels plutôt qu’une véritable consultation.

Tout en saluant les récentes annonces faites par le ministre des Finances qui semblent atténuer l’impact des nouvelles règles sur le fractionnement du revenu, le revenu passif et le transfert des entreprises entre membres d’une même famille, de nombreux aspects des objectifs et des méthodes du gouvernement demeurent imprécis, semblent arbitraires et attribuent des pouvoirs subjectifs aux responsables de l’application des règles fiscales. Il semble que ce soit le concept de l’équité qui incite le ministre à aller de l’avant, contre vents et marées, avec la réforme des règles sur les SPCC.

Il devrait maintenant être clair pour les deux Chambres du Parlement que les propositions initiales étaient excessives. Il n’est pas nécessaire de changer les règles applicables à l’ensemble des entreprises privées, il suffit de cibler un petit pourcentage de propriétaires d’entreprises qui profitent d’un avantage indu en vertu des actuelles lois sur l’impôt. L’approche initiale brutale, suivie par l’adoption de seuils arbitraires, démontre la folle tentative de réaliser l’équité, un enjeu à la fois.

Nous pensons que l’inquiétude est potentiellement plus vive dans le Canada atlantique qu’ailleurs au pays. Nous avons la population rurale la plus nombreuse du pays, un taux deux fois et demie supérieur à la moyenne nationale. Ces gens vivent dans de petites collectivités dont la viabilité dépend de petits commerces de détail et du secteur des ressources, comme la forêt, la pêche et l’agriculture. Bon nombre de ces entreprises sont financées au moyen d’actifs familiaux, connaissent des flux de trésorerie variables en raison de la nature saisonnière du travail et sont souvent transmises de génération en génération.

Nos économies et nos centres urbains incluent aussi un secteur des TIC florissant, également composé en majorité de petites entreprises. Le règlement proposé incitera inévitablement ces dernières à réévaluer leurs décisions d’investissement et d’exploitation afin que l’impôt des sociétés dans leur cas ne limite pas indûment leur rentabilité.

Nous exhortons les membres de ce comité à recommander le retrait des mesures ponctuelles qui ne sont pas suffisamment justifiées par l’analyse des répercussions économiques. L’erreur récente de l’ARC en matière d’interprétation des règles concernant les avantages sociaux des employés et la révélation suivant laquelle un très petit nombre de contribuables recourent aux paradis fiscaux pour épargner d’énormes montants d’impôt montrent clairement que des règlements mal définis entraînent un risque d’interprétation déraisonnable et qu’aux fins d’en arriver à un meilleur rapport coûts-avantages, le gouvernement serait mieux avisé d’élargir son champ d’action au-delà des sociétés privées sous contrôle canadien, ou SPCC. Si nous voulons rétablir la confiance des Canadiens dans le régime fiscal et dans l’Agence du revenu du Canada, la seule façon raisonnable d’y arriver consiste à mener un examen exhaustif de l’ensemble du régime fiscal en vue de prouver qu’il est à la fois équitable et concurrentiel.

Malgré les révisions apportées par le ministre aux réformes fiscales initiales concernant les SPCC, l’incertitude et le manque d’objectivité demeurent trop élevés. Veut-on améliorer le bien-être des représentants de la classe moyenne qui occupent un emploi, plafonner les avantages maximaux offerts à ceux qui risquent leur bien-être financier pour exploiter une entreprise, réduire l’évitement fiscal dans l’espoir d’augmenter les revenus fiscaux de l’État, ou une partie ou la totalité des objectifs qui précèdent? Les réponses à ces questions devraient logiquement influer sur l’approche adoptée en matière de réforme fiscale.

En réaction directe aux propositions de réforme fiscale dans leur forme actuelle, nos membres ont demandé au gouvernement de rendre publiques des évaluations exhaustives des répercussions économiques des propositions de réforme, y compris les projections de l’impact sur l’investissement des entreprises, de définir en détail les facteurs déterminants de la contribution mesurable en vue d’accroître l’objectivité et de réduire les problèmes juridiques potentiels, d’exempter entièrement les conjoints des exigences de contribution mesurable en reconnaissance des risques assumés par l’entité familiale, et non seulement des exigences de contribution directe au fonctionnement d’une entreprise, d’instaurer des limites de l’investissement passif qui soient plus représentatives de la propriété individuelle des sociétés et des conditions en place dans un secteur, et de ne pas modifier les règlements concernant le transfert des entreprises entre membres d’une famille sans d’abord consulter le public comme il se doit à ce sujet.

Il est souhaitable de réformer le régime fiscal pour le rendre équitable, mais s’attaquer à la réglementation complexe que ce régime englobe constitue en soi une tâche monumentale à laquelle on ne devrait pas s’attaquer avant que le gouvernement et les contribuables se soient mis d’accord sur des objectifs et des solutions efficaces, pour les employeurs comme pour les salariés. Le dialogue public en cours entre le gouvernement et le milieu des affaires révèle toutefois clairement que ce n’est pas encore le cas. Poursuivre dans cette voie risquerait d’éloigner davantage les éventuels investisseurs et de limiter le potentiel de croissance du moteur de notre économie.

La Chambre de commerce de l’Atlantique exhorte le Comité sénatorial permanent des finances nationales à exercer sa prérogative pour recommander au gouvernement du Canada de créer une commission royale sur la réforme fiscale chargée de se pencher sur les lacunes et l’équité, de mettre au point des solutions fondées sur une analyse d’impact exhaustive et de concilier les intérêts des citoyens, des sociétés privées et des sociétés publiques.

Je vous remercie de votre attention et je suis disposé à répondre à toutes vos questions.

Nicole LaFosse, avocate, LaFosse MacLeod, Cape Breton Barristers’ Society : Honorables sénateurs, je vous remercie de m’accueillir ici ce matin. J’ai l’intention de parler aujourd’hui de la répartition du revenu, de l’investissement passif et de l’accès à la justice.

Ceux qui proposent d’apporter des modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu ont dépeint la répartition du revenu de façon négative. On aurait tort de croire que cette pratique est l’apanage de personnes qui essaient d’éviter de payer le taux marginal d’imposition le plus élevé en répartissant leur revenu entre les membres de leur famille. Lorsqu’il est utilisé en toute légitimité, cet outil permet de payer les études universitaires de nos enfants, de couvrir les frais engagés pour des personnes malades ou handicapées, ou de payer les soins dispensés à un parent âgé, et de raccourcir ainsi les longues listes d’attente pour obtenir de l’aide dans cette province. Si la capacité de répartir le revenu est supprimée ou limitée, cela entraînera un effet limitatif sur l’accès aux études postsecondaires pour certaines personnes. J’ai moi-même pu étudier grâce à la répartition des revenus, et même si je n’ai aucun doute que j’aurais quand même poursuivi mes études sans cette aide, il est fort probable que de nombreux enfants n’en feront pas autant. En instaurant ces changements, le gouvernement n’améliorera pas l’accès aux études ou à de meilleurs soins de santé, et il pourrait même plutôt y faire obstacle dans certains cas.

En outre, le débat qui entoure le critère de raisonnabilité de la répartition du revenu risque de créer beaucoup d’incertitude et mènera très certainement à une augmentation des vérifications, des appels et des poursuites à l’ARC et de neutraliser, et de loin, les avantages d’une réglementation plus stricte en matière de répartition du revenu. Il est assurément possible d’envisager des mécanismes visant à réduire le recours abusif à cette pratique, mais le gouvernement ne devrait pas négliger les nombreux avantages qui découlent de cet usage légitime.

En ce qui concerne l’investissement passif, le gouvernement a clairement indiqué que ces changements ciblaient la tranche d’un pour cent des contribuables les plus riches. Les balises de cette catégorie ont été clairement établies. Au lieu d’abolir l’investissement passif des petites entreprises, le gouvernement a proposé un seuil de 50 000 $. Nous acceptons donc la prémisse selon laquelle un seuil n’affectera que cette tranche d’un pour cent, à savoir ceux qui sont en mesure d’épargner plus de 50 000 $ par année dans leur petite entreprise, même si aucune donnée statistique n’a été présentée à ce jour à l’appui de ce chiffre arbitraire. Le gouvernement a également refusé de préciser si ce seuil s’applique aux ménages ou aux personnes, mais l’imprécision de la mesure permet de supposer qu’il s’agit des ménages. Si c’est bel et bien le cas et si l’investissement passif maximal autorisé n’est que de 50 000 $ pour un ménage, le gouvernement cible soudainement un groupe de contribuables qui dépasse largement cette tranche visée d’un pour cent des personnes les plus riches.

Dans mon ménage, nous exerçons tous les deux le droit en pratique privée. En vertu de cette mesure proposée, nous serions limités à des investissements passifs de 25 000 $ chacun. Des économies de cet ordre sont vraisemblablement plus facilement réalisables pour de nombreuses personnes. En limitant l’épargne à 25 000 $ par personne, le gouvernement cible un groupe bien plus vaste que la tranche d’un pour cent initialement visée.

Je comprends que certains auront peu de sympathie pour les propriétaires de petites entreprises qui sont en mesure d’utiliser à leur avantage ces dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Nous avons tous entendu les comparaisons entre deux voisins qui ont le même salaire, mais où celui qui est propriétaire d’une petite entreprise paie moins d’impôts que celui qui en est employé. À ceux qui me soumettent cette comparaison, je n’ai qu’un mot à dire : risque. Il y a beaucoup plus de risque et d’incertitude à démarrer sa propre entreprise qu’à en être employé. Le propriétaire d’une petite entreprise doit faire de nombreux sacrifices. Il n’a pas de revenu annuel garanti ni de rente. Vous pouvez gagner le même revenu que votre voisin une année, et gagner beaucoup moins l’année suivante.

En règle générale, les propriétaires de petites entreprises ne peuvent pas planifier à long terme comme ceux qui ont des sources de revenus stables et prévisibles. Le revenu du propriétaire d’une petite entreprise varie en fonction de nombreux facteurs qui échappent à son contrôle. Compte tenu de tous les risques associés au démarrage et à l’exploitation d’une petite entreprise, nous devons mettre en place un mécanisme qui tiendra compte des risques courus par les propriétaires de petites entreprises afin de les inciter à en faire davantage et à faire croître leur entreprise, et pour les soutenir durant les périodes difficiles.

L’impôt correspond au coût des affaires. Afin de réduire ces coûts, les propriétaires d’entreprises procèdent à des mises à pied, augmentent leurs prix ou, dans ma profession, réduisent le travail bénévole.

Au Cap-Breton, la majorité des personnes touchées par le système de justice n’ont pas les moyens de se faire représenter. De nombreux avocats s’assurent donc de consacrer un certain pourcentage de leur temps à faire de la représentation à titre bénévole. Si les modifications proposées sont adoptées dans leur forme actuelle, il sera de plus en plus difficile pour les avocats de consacrer du temps à des projets bénévoles. Les avocats devront tous bientôt travailler un plus grand nombre d’heures pour gagner un salaire comparable, voire inférieur, à celui d’avant. Cela nous laisse moins de temps à consacrer à ceux qui ont besoin de notre aide, et entraîne donc un problème d’accès à la justice. Je soupçonne que notre profession ne sera pas la seule dans cette situation et que ce problème d’accès au service touchera de nombreux domaines.

En conclusion, nous ne devrions pas instaurer ces changements en adoptant une approche universelle. Nous devrions adapter nos programmes fiscaux de façon que les modifications ne touchent que les domaines précis où des abus sont observés. Si la répartition du revenu donne lieu à des abus, il faut en déterminer l’origine précise et modifier la loi de façon à réduire le risque d’utilisation abusive. Il ne faut surtout pas modifier la loi au détriment de ceux qui respectent les lois.

En abolissant ces stratégies fiscales, le gouvernement risque selon moi d’empêcher les propriétaires de faire croître leur entreprise. Ne voulons-nous pas plutôt encourager la prise de risques calculés et l’esprit d’entreprise? Ces propositions appliquent un taux d’imposition punitif aux sociétés privées et auront donc de graves répercussions sur les petites entreprises qui constituent un pilier de notre économie. Si vous dissuadez les gens de créer des entreprises, qui s’en occupera? Il devient beaucoup plus sensé dans ce contexte d’être employé pour profiter d’un revenu régulier et d’une rente. Sans preneurs de risques, une collectivité court à l’extinction.

Dans la municipalité régionale du Cap-Breton, d’où je viens, la population vieillit et diminue, et la seule façon d’appuyer et de favoriser la croissance consiste à faciliter le développement des petites entreprises, et non à l’entraver. En faisant obstacle au démarrage ou à la croissance des entreprises avec cette mesure, le gouvernement cible de façon disproportionnée les régions comme la mienne, qui ont le plus besoin d’aide.

J’exhorte le gouvernement à reconsidérer les modifications fiscales qu’il propose et à approfondir les répercussions substantielles qu’elles auront sur l’ensemble de notre économie. Outre les propriétaires de petites entreprises, elles toucheront aussi leurs familles, leurs employés et leurs collectivités.

Merci beaucoup de votre attention.

Le président : La première question sera celle de la sénatrice Marshall, suivie de la sénatrice Eaton.

La sénatrice Marshall : J’ai la même question pour vous tous, mais je viens de jeter un coup d’œil au document fourni par M. Sullivan. Vous avez demandé si une étude d’impact économique avait été réalisée. Nous savons maintenant qu’il n’y en a pas eu, puisque nous avions posé cette question à l’intention du ministre. Le gouvernement a-t-il évalué le fardeau accru des coûts imposés aux petites entreprises? Cela n’a pas été fait non plus. J’ai passé en revue toutes vos autres questions. Je ne pense pas que le gouvernement aurait pu y répondre pour l’instant étant donné que les propositions ne sont pas encore finales. Nous n’avons qu’un genre de cadre pour le moment. Nous pensons savoir où se dirige le gouvernement, mais tout le monde attend de voir les détails.

Monsieur Sullivan, j’ai cru vous entendre dire que vous parliez à un CPA et qu’il vous conseillait de ne rien faire pour l’instant. Si l’on se fie aux témoignages qui nous parviennent d’un bout à l’autre du pays, ils sont effectivement nombreux à ne rien faire, mais ils sont aussi nombreux à agir, certains avec plus de conviction, en prévision de cette mesure. Ils se perdent en conjectures à propos des intentions du gouvernement fédéral. J’aimerais donc savoir ce que vos membres vous disent qu’ils font à l’heure actuelle, parce que je sais qu’ils n’attendent pas tous que le gouvernement fédéral donne les détails. J’aimerais simplement avoir une meilleure idée de ce que crée cette incertitude entretemps, parce que même lorsque le budget de 2018 sera déposé et que les gens connaîtront les détails, il y aura encore beaucoup de travail à faire pour déchiffrer avec exactitude les répercussions de ces détails. Pourriez-vous donc me dire ce que font vos membres?

M. Sullivan : Permettez-moi de donner quelques exemples précis. La majorité des gens à qui j’ai parlé sont en mode attente, parce qu’ils estiment que le gouvernement fédéral fait fausse route parce qu’un projet de loi a bel et bien été déposé cet été. On semble maintenant vouloir modifier ce projet de loi. Je ne suis donc pas sûr qu’il soit fort utile de bouger tout de suite.

Je vais vous donner deux exemples précis de personnes qui ont été directement touchées. Une entreprise était à vendre. Cette information m’est communiquée par un CPA qui conseille les gens sur la vente de leur entreprise. Il s’agissait en l’occurrence d’une petite entreprise de cinq employés qui était vendue à un particulier. Après la présentation des modifications proposées, la vente a été mise en attente. Puisque l’acheteur estimait ne pas pouvoir tirer un rendement ou un revenu aussi élevé qu’au départ, il n’était plus prêt à offrir le prix que le vendeur demandait. La valeur de l’entreprise avait donc été réduite. Le vendeur a donc retiré son offre de vente et songe maintenant à vendre son entreprise à quelqu’un de l’extérieur. Il s’agit d’une agence de voyages qui peut être exploitée n’importe où dans le monde. L’entreprise pourrait donc être vendue à l’extérieur de la Nouvelle-Écosse. C’est mon premier exemple.

Dans mon autre exemple, l’acheteur éventuel, qui négocie toujours ou presque toujours le prix, avait acquis 40 p. 100 de l’entreprise. Les deux parties en étaient arrivées à un accord sur le prix d’achat. L’acheteur connaissait les revenus qu’il allait obtenir en fonction des lois fiscales antérieures et il avait la possibilité d’acheter les 60 p. 100 restants ultérieurement, sans toutefois pouvoir renégocier le prix. Il n’achètera donc pas l’entreprise ni les 60 p. 100 restants maintenant parce qu’elle ne lui procurera pas les mêmes revenus que par le passé. C’est mon deuxième exemple.

Je vais vous donner un autre exemple, plus rapidement. J’ai constitué une société privée, qui existe toujours. Même si je suis employé à temps plein de la Chambre de commerce d’Halifax, je possède encore ma société privée. J’ai été à mon compte pendant des mois, voire des années. Quand j’ai obtenu mon prêt pour démarrer mon entreprise, ma femme a dû signer ce prêt. Même si elle n’a pas contribué tous les jours, elle pourrait dire que puisque nous avions hypothéqué la maison pour démarrer cette entreprise, elle y avait contribué à parts égales.

La sénatrice Marshall : Puisque les modifications fiscales proposées ne sont pas encore finales, elles créent de l’incertitude. Que se passe-t-il avec vos membres? Examinent-ils tout ce qui se passe autour de cette question? Nous avons connu une longue période de croissance, mais nous semblons maintenant confrontés à un ralentissement économique. L’augmentation des taux d’intérêt est préoccupante. Certains propriétaires d’entreprises, comme les producteurs laitiers qui ont témoigné devant le comité plus tôt ce matin, sont préoccupés par les négociations de l’ALENA. Quel effet tout cela aura-t-il? Pour certains, c’est comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Quels sont les autres facteurs d’incertitude en ce qui a trait aux modifications fiscales?

M. Sullivan : L’éventail de nos membres est très vaste. Je dirais donc que pour les médecins, car nous comptons des médecins, c’est effectivement la goutte d’eau qui fait déborder le vase, aucun doute là-dessus. Ils sont très fâchés et contrariés par ces modifications. Je ne veux pas parler au nom des avocats.

Pour bon nombre de nos membres — et le Canada atlantique est évidemment un peu différent du reste du Canada —, alors que la croissance du PIB a été bonne dans la dernière année et qu’elle devrait le demeurer, le Canada atlantique n’est pas aussi chanceux.

La sénatrice Marshall : Je le sais, puisque je viens de Terre-Neuve-et-Labrador.

M. Sullivan : Voilà, alors vous comprenez tout. La Nouvelle-Écosse n’a donc pas autant de chance que le Nouveau-Brunswick. Pour bon nombre de nos membres, les changements opérationnels et les investissements sont en attente, et c’est très inquiétant. Nous nous attendons à une pause de neuf mois dans le milieu des affaires, et une pause de cette durée, dans le contexte d’une économie qui tourne déjà au ralenti, engendrera malheureusement une autre pause de neuf mois à l’autre extrémité.

La sénatrice Marshall : Nous attendons la gifle.

M. Sullivan : Nous avons eu la gifle, à notre avis.

La sénatrice Marshall : Eh bien, vous allez en recevoir une autre.

M. Sullivan : Nous allons en effet en recevoir une autre.

La sénatrice Marshall : Monsieur Davis, qu’en pensent vos membres? Pourriez-vous nous en parler un peu?

M. Sullivan : Puisque nous sommes membres de la Chambre de commerce de l’Atlantique, tous nos membres appartiennent aussi à leur groupe, mais leur groupe est beaucoup plus nombreux.

M. Davis : Nos membres sont essentiellement des chambres de commerce, et chacune d’elles constitue une entité indépendante dont les membres se réunissent au sein d’une association volontaire pour étudier des enjeux communs. Vous avez demandé ce que faisaient nos membres. Au niveau où nous travaillons avec les chambres de commerce, il n’y a certes jamais eu de dossier dans lequel les chambres de commerce ont été plus actives, plus concernées et plus mobilisées. Dans toutes les provinces et dans l’ensemble de la région, les chambres de commerce ont organisé des séances d’information pour aider leurs entreprises à mieux comprendre les modifications et leurs répercussions sur leurs affaires. Il y a eu des centaines, voire des milliers de réunions. Ainsi, dans une petite ville comme Tracadie, au Nouveau-Brunswick, ils ont loué le théâtre de l’endroit pour y tenir une réunion, et ils ont dû refuser des gens à l’entrée, pour vous donner une idée du niveau de préoccupation.

La sénatrice Marshall : Nous avons entendu des témoins dire que des gens vendent leurs entreprises et mettent fin à leurs activités. Parmi les situations préoccupantes soulevées par certains témoins figure celle des médecins. Ils sont mobiles et ils peuvent déménager aux États-Unis. Certaines entreprises sont mobiles aussi. Selon moi, particulièrement en Ontario et dans l’Ouest, il semble exister des possibilités pour les entreprises de déplacer leurs activités au sud de la frontière. Est-ce cela que disent les entreprises à la Chambre de commerce? Évidemment, ce ne sont pas toutes les entreprises qui peuvent le faire.

M. Sullivan : Il est certain que les membres qui sont mobiles nous disent qu’ils explorent d’autres options, que ce soit dans une autre province, ce qui ne semble pas mieux pour nous, ou aux États-Unis. Nous avons certainement entendu le même son de cloche de la part des médecins, qui peuvent travailler partout et qui explorent de toute évidence d’autres options. En Nouvelle-Écosse, il y a déjà environ 100 000 personnes qui n'ont pas de médecin de famille. C’est donc dire que cela est très préoccupant à l’échelle de la province.

Je ne devrais pas parler pour toute la province, mais à Halifax, oui, cela continue d’être une préoccupation.

La sénatrice Marshall : Maître LaFosse, vous représentez la Cape Breton Barristers’ Society. J’ai tendance à considérer vos membres un peu différemment de ceux de la chambre de commerce. Vous représentez des avocats et, dans ce cas, il faut se préoccuper à la fois des répercussions que cela a sur eux, mais aussi sur leurs clients.

Mme LaFosse : Exactement.

La sénatrice Marshall : Pouvez-vous nous faire part de votre point de vue à ce sujet?

Mme LaFosse : Certainement, et je pense que mes commentaires font écho à ceux de ces deux messieurs, à savoir que tout est en suspens pour le moment. Je travaille en très étroite collaboration avec plusieurs comptables dans le but de constituer en société ces entreprises, de même que ces fiducies familiales.

L’une des premières choses que les nouveaux médecins font lorsqu’ils terminent leur résidence, c’est de se constituer en société. C’est à ce moment-là qu’ils viennent me consulter. Je pense qu’ils terminent généralement en juin ou juillet. Cette année, j’en ai rencontré plusieurs à la fin de juillet, juste avant que cela se produise. Nous avons commencé le processus. Puis, dès que ces propositions ont été faites, nous avons tout de suite consulté un comptable, et tout le monde s’est dit qu’il fallait arrêter les démarches et mettre les choses en attente. Même depuis les changements d’octobre, le message est le même : « Attendons. Laissons les choses en suspens. »

Mon collègue, le Dr Stone, pourra vous en parler de façon beaucoup plus détaillée cet après-midi et vous donner une idée des répercussions que cela aura sur les médecins. Je sais que le Cap-Breton est un peu une zone sinistrée en ce qui a trait aux médecins qui partent. C’est donc dire que cela aura des répercussions très marquées sur notre région.

La sénatrice Marshall : Qu’en est-il des avocats, des membres de votre société? J’aurais pensé que beaucoup d’avocats ont constitué des sociétés privées. Ils ne sont probablement pas aussi mobiles que les médecins.

Mme LaFosse : Nous sommes aussi un groupe qui suscite beaucoup moins de sympathie que les médecins. J’imagine que cela dépend de l’étape où se trouvent les gens dans leur carrière. Je sais que certains des avocats plus âgés et ayant plus d’ancienneté disent qu’ils vont fermer leur entreprise, qu’ils en ont assez. Toutefois, d’autres me disent que cette année sera une excellente année pour la thésaurisation, pour l’investissement passif, parce que nous ne savons tout simplement pas ce qui se produira en 2018. Il y a beaucoup trop d’incertitude à l’heure actuelle.

La sénatrice Marshall : Beaucoup trop d’incertitude, en effet. Nous ne savons pas encore ce que représente le revenu passif.

Mme LaFosse : Exactement.

Le président : La parole va à la sénatrice Eaton, suivie par la sénatrice Andreychuk.

La sénatrice Eaton : Selon le groupe de témoins précédent, la Nouvelle-Écosse est actuellement la région du Canada où les impôts sont les plus élevés. Monsieur Sullivan, dans une de vos interventions, vous avez dit que c’est aussi celle où les formalités administratives sont les plus nombreuses au Canada, et que la politique fiscale du Canada pourrait avoir un impact important sur l’économie de la province.

Jack Mintz, lorsqu’il a comparu devant le comité, a dit, et je le cite : « […] on ne peut pas évaluer un régime d’imposition uniquement sous l’angle de l’équité… ».

C’est quelque chose que nous avons entendu à maintes et maintes reprises de la part du gouvernement libéral; que c’est une question d’équité. Il n’est pas question de possibilités équitables. Il est question de résultats équitables, ce qui est curieux. Toujours selon M. Mintz, « […] on ne peut pas évaluer un régime d’imposition uniquement sous l’angle de l’équité, car les politiques publiques doivent concilier des objectifs parfois opposés. La croissance est aussi importante… ».

Pouvez-vous nous parler de l’importance de reconnaître que la croissance économique est nécessaire dans le cadre d’une politique fiscale, et nous dire comment ces mesures vont à l’encontre de cela?

Monsieur Sullivan, je crois que vous avez au verso de votre fiche des domaines précis sur lesquels vous aimeriez que le gouvernement fédéral se penche. Comme vous le savez, le ministre a diminué les impôts des petites entreprises ou menace de le faire. Est-ce que cela aura beaucoup de répercussions?

M. Sullivan : Juste pour préciser, la Nouvelle-Écosse n’a pas les formalités administratives les plus lourdes, mais juste un niveau normal. Donc, je ne dirais pas cela.

La sénatrice Eaton : C’est bien. Je suis contente.

M. Sullivan : Nous avons les impôts les plus élevés, mais notre juste part de formalités administratives. On peut dire que les politiques fiscales en place ont mené à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. La politique fiscale actuelle suscite donc de l’enthousiasme chez les propriétaires de petites entreprises. Elle est toutefois le résultat de l’accumulation de mesures sur plusieurs années. Cela me dérange un peu d’entendre des mots comme « échappatoires ». La réalité est que la politique fiscale a été créée pour avantager parfois les petites entreprises, parfois les grandes entreprises, parfois les médecins, peut-être jamais les avocats. Elle est certes là pour aider les entreprises et favoriser leur croissance, et c’est qu’elle a fait au fil des ans.

Un changement de fond en comble est très inquiétant parce qu’il engendre les conséquences inattendues que nous avons constatées : menaces de départ; personnes qui ferment leurs entreprises; perte de valeur des entreprises; absence d’expansion. C’est cela qui se produit lorsque l’on tente de tout régler d’un coup, sans, semble-t-il, examiner de façon appropriée les répercussions économiques de ce genre de changements. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

La sénatrice Eaton : Oui, tout à fait. Monsieur Davis, avez-vous quelque chose à ajouter à cela?

M. Davis : J’aimerais seulement souligner que nous sommes entièrement d’accord avec M. Mintz sur le fait que l’équité n’est pas et ne devrait jamais être le seul enjeu au moment d’élaborer une politique fiscale. La compétitivité de même que la croissance économique doivent faire partie intégrante de l’évaluation.

Nous avons parlé de la mobilité des médecins et de la possibilité qu’ils ont de partir s’ils trouvent le régime fiscal injuste. Le capital, le capital d’investissement, est tout aussi mobile, et probablement plus. Les gens prennent des décisions à l’échelle locale, par exemple, sur la pertinence d’investir dans une entreprise en croissance ici, au Nouveau-Brunswick, ou de la transférer de l’autre côté de la frontière, où un plus grand nombre de marchés ou de nouveaux marchés sont accessibles, ou encore en Europe. Voilà le genre de questions que le gouvernement doit inclure dans son évaluation des changements proposés au régime fiscal.

La sénatrice Eaton : Maître LaFosse, nous avons entendu plusieurs groupes de médecins lorsque nous étions à Ottawa. L’une des personnes que nous avons entendues a présenté un argument très solide lorsqu’elle a dit que le médecin moyen, et j’assimile cela à certains avocats aussi, lorsqu’il quitte l’école, a habituellement des dettes à rembourser. Dans votre cas, vous avez mis sur pied votre entreprise, si je ne m’abuse, avec votre mari et d’autres associés, ce qui présente aussi un risque.

Comme vous l’avez mentionné dans votre présentation, personne ne vous paiera de congé de maternité si vous décidez d’avoir des enfants. Personne ne met de l’argent de côté pour votre retraite. Personne ne vous achète de nouvel équipement de bureau. Alors, est-ce que 50 000 $ suffiront vraiment? Comme vous l’avez dit, vous allez beaucoup thésauriser cette année. Vous allez essayer de mettre beaucoup d’argent de côté. Toutefois, le montant sera plafonné à un million de dollars. Si vous considérez la poursuite des activités de votre bureau comme votre retraite, cela sera-t-il suffisant?

Mme LaFosse : Je ne crois pas. Il est difficile à l’heure actuelle de trouver un chiffre exact. C’est pourquoi nous devons prendre connaissance des faits et de l’analyse pour déterminer le chiffre magique. Ce chiffre magique existe-t-il? Je crois que 50 000 $ est un montant trop faible, particulièrement si on l’envisage par ménage. Cela n’est pas suffisant.

Pour ce qui est du congé de maternité, si je choisis d’avoir des enfants, il serait tout d’abord très agréable de pouvoir compter sur le revenu de mon conjoint pour cette période, parce qu’il nous en coûte actuellement beaucoup plus pour vivre que ce que je recevrais du gouvernement pendant un congé de maternité. De plus, je n’ai pas nécessairement la possibilité de prendre congé puisque j’ai une petite entreprise et une pratique. Il est très difficile de laisser cela de côté.

La sénatrice Eaton : Votre situation serait-elle meilleure si vous apparteniez à un syndicat, si les avocats se syndiquaient, comme les enseignants?

Mme LaFosse : Je ne sais pas si je veux faire la promotion de la syndicalisation des avocats, mais ma situation serait certainement meilleure si j’étais avocate au gouvernement, parce que je profiterais alors d’avantages beaucoup plus importants.

La sénatrice Eaton : Vos avantages seraient assurés?

Mme LaFosse : Oui.

La sénatrice Andreychuk : Je vous remercie de vos exposés. Je crois que vous avez couvert beaucoup de choses, et il est bon d’entendre le point de vue de quelqu’un qui pratique le droit. Je crois que nous avons présumé que les avocats allaient profiter de cette confusion, parce qu’il y aurait davantage de cas à traiter et plus d’heures à leur consacrer. Toutefois, vous avez souligné le précieux travail bénévole que font les avocats, et j’ai été heureuse de pouvoir prendre connaissance de cet aspect de leur situation.

J’aimerais vous soumettre à tous la question du caractère raisonnable et de la contribution notable. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un des aspects les plus difficiles à comprendre pour moi, à savoir comment un fonctionnaire de l’ARC pourra dire qu’une certaine répartition du revenu n’est pas notable ni raisonnable. En fait, cela va à l’encontre de la politique sociale que nous avons établie au fil des décennies, et qui vise à comprendre les différences à l’intérieur des unités familiales, à respecter cela comme faisant partie de notre tissu social et, certainement, à consacrer une somme importante de ressources pour soutenir les familles et leur permettre d’évoluer dans la direction qu’elles souhaitent. Notre intervention a été minime. Nous ne définissions pas ce qu’est une bonne famille. Nous croyons que toutes les familles sont de bonnes familles, qu’elles sont différentes, qu’elles sont diverses et qu’elles doivent être soutenues. C’est seulement lorsque les normes minimales ne sont pas respectées que nous intervenons. Désormais, nous allons avoir des fonctionnaires de l’ARC qui pourront dire qu’une unité familiale n’est pas raisonnable ou qu’une contribution n’est pas notable.

L’un d’entre vous a-t-il abordé cette question directement avec le ministre, les députés ou les représentants des Finances, à savoir que l’on imposera à des personnes qui sont qualifiées et formées comme comptables, comme conseillers financiers, la tâche de déterminer le caractère raisonnable d’une unité familiale et d’une répartition du travail?

M. Sullivan : Je peux commencer par répondre à votre question. Je ne prétends pas comprendre le droit matrimonial. Peut-être que Nicole en a une meilleure idée. Sauf erreur, bon nombre de ces facteurs, en ce qui a trait à la contribution de la famille, ont été déterminés au fil des décennies, comme vous l’avez souligné. Je pense que le droit matrimonial et le droit de la propriété pourraient faire beaucoup de chemin si l’on examinait les règles et les lois qui sont actuellement en place, ou encore les décisions qui ont été prises. C’est une chose.

Je crois que vous avez absolument raison de dire qu’il y a un manque de clarté et que ce manque de clarté entraînera de l’incertitude. Soit les gens repousseront les limites, soit ils ne repousseront pas les limites assez loin.

Nous n’avons pas répondu directement à l’ARC. Nous ne lui avons pas posé de questions. Il est évident qu’elle n’a pas encore les réponses. Nous avons posé la question à nos députés. Nous avons posé la question au ministre des Finances. Nous avons écrit au premier ministre, évidemment. Les réponses que nous avons reçues jusqu’à présent sont décevantes. On ne sait pas encore clairement quelle forme prendrait ce critère de raisonnabilité, et il y a fort à parier que l’ARC recevra de nombreuses interprétations de ce qui constitue le caractère raisonnable. La première année, elle commencera à produire des décisions relatives aux cotisations, la deuxième année, ces décisions seront annulées et, la troisième année, elles se retrouveront devant la Cour canadienne de l’impôt. C’est donc dire qu’il y aura probablement beaucoup de nouveaux emplois disponibles à l’ARC. Cependant, nous pensons que l’incertitude réduit les possibilités des gens au chapitre de la gestion de leurs entreprises, et qu’elle alourdit considérablement le fardeau administratif.

M. Davis : En ce qui a trait à la participation de notre organisation à ce dossier, plus de 1 200 lettres ont été envoyées par nos membres dans la région à des députés, au ministre des Finances, au caucus de l’Atlantique du Parti libéral, en réclamant dans tous les cas une définition beaucoup plus claire et plus pertinente de ce qui est, en premier lieu, raisonnable, et aussi mesurable, deux concepts qui n’excluent pas la possibilité d’intenses litiges ou le besoin de clarification.

Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que les concepts ont trait, dans le cas des petites entreprises, à la définition de l’unité familiale et à sa contribution, directe et indirecte, au succès de l’entreprise. Nous avons communiqué ces concepts par écrit à nos députés locaux, toutes les fois que nous avons pu.

Mme LaFosse : Je ne pratique pas le droit de la famille; toutefois, d’après ce que je comprends, il y a généralement un partage à parts égales lorsque survient un divorce. C’est donc dire que la loi a clairement établi le principe de partage équitable dans une famille. Je ne comprends pas très bien pourquoi le gouvernement veut maintenant intervenir pour contester cela, alors qu’il a déjà été déterminé qu’un partage se produit dans les unités familiales. Il sera difficile maintenant pour le gouvernement d’établir une norme concernant ce qui est considéré comme une unité familiale raisonnable.

En ce qui a trait à votre commentaire précédent au sujet de l’augmentation de la charge de travail des avocats, je dirais que seuls les avocats fiscalistes en profiteront. Je peux dire que j’ai constaté une diminution de ma charge de travail depuis juillet; une réduction de mes activités professionnelles.

La sénatrice Andreychuk : Vous avez parlé d’égalité. « Égalité » ne veut pas dire similitude et ne signifie pas que nous pouvons accorder une valeur à un type de travail, que ce soit à l’extérieur de la maison, à la maison, pour le partage d’un prêt hypothécaire, peu importe. Il y a tous les aspects intangibles. Nous avons dit que l’égalité signifie moitié-moitié, parce que le reste va à l’unité familiale.

L’un d’entre vous a fait remarquer que s’il y a une répartition ou un étalement du revenu inapproprié, nous devrions agir. Je n’ai certainement pas entendu parler de cas où il y a eu des abus au chapitre de la répartition du revenu. Êtes-vous au courant de tels cas? Il semble que cela se soit produit, que l’ARC s’en soit occupée, sans que le public ou les journalistes en aient pris connaissance d’aucune façon. Si cela s’est produit, il s’agissait de cas isolés. On a décidé de ne pas s’occuper de tous les cas d’étalement du revenu, mais uniquement des abus. J’aimerais savoir où de tels cas se produisent, parce que je n’en ai pas entendu parler.

Mme LaFosse : Je peux vous en parler brièvement. Je n’ai jamais eu connaissance d’abus dans ce système. Ce n’est que lorsque je me suis préparée pour cette présentation que j’ai appris que certaines personnes profitaient du système. Après avoir parlé à de nombreux comptables, j’ai constaté qu’il y avait quelques cas de personnes qui faisaient des chèques au nom de leurs bénéficiaires et à qui l’argent revenait peut-être. Je n’ai jamais eu connaissance de telles situations, même si je comprends qu’il s’agit là d’abus. Comme vous l’avez dit, on n’a pas affaire à un problème généralisé qui nous fait perdre beaucoup d’argent.

La sénatrice Andreychuk : Votre exemple concerne l’évasion fiscale, par opposition à l’utilisation légitime de l’étalement du revenu. Ai-je raison?

Mme LaFosse : Tout à fait.

M. Davis : En réponse à votre question, une des choses qu’elle fait ressortir, c’est qu’on est en présence d’un petit nombre de personnes qui pourraient profiter démesurément des lois fiscales actuelles. Si l’on se fie au contexte exposé par le ministre quant à la façon dont nous sommes arrivés là, il semble y avoir eu une certaine forme d’étude, de consultations des experts, depuis les élections, qui ont été suivies par les propositions originales, qui se sont avérées irréalisables et punitives.

Donc, en fait, lorsque vous vous demandez s’il y a eu des abus, cela montre bien que le gouvernement lui-même n’a pas particulièrement bien réussi à les déterminer, et l’a fait uniquement en termes généraux. On dirait presque que quelqu’un a pris une table de revenus, en a encerclé une partie et a décidé que c’est à ces personnes qu’on s’attaquerait.

M. Sullivan : Je suis d’accord avec les deux autres personnes. Je crois que, en réalité, l’ARC a entrepris cette démarche il y a quelques années lorsqu’elle a augmenté la limite d’âge pour le partage du revenu. Je préfère appeler cela « partage » que « répartition ». Je crois qu’il s’agit d’un terme malheureux, que je n’avais jamais entendu avant juillet. À mon avis, l’ARC s’est occupée de cette question il y a longtemps, et cela ne constitue plus autant un problème à l’heure actuelle.

Le président : La parole va au sénateur Neufeld, suivi par le sénateur Oh.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous les trois d’avoir pris le temps de nous rencontrer, malgré votre horaire chargé, et de nous parler de certains des changements proposés par le gouvernement.

J’aimerais que vous répondiez tous à mes questions, si cela est possible. Dans votre intervention, monsieur Sullivan, et je vais citer ce que vous avez dit :

Comme plus de 70 p. 100 des entreprises devraient changer de main au cours de la prochaine décennie, on comprend que les modifications fiscales proposées auraient grandement compromis les successions ou réduit la valeur des entreprises.

Je n’avais pas entendu dire que 70 p. 100 des petites entreprises sont censées changer de main au cours de la prochaine décennie, bien qu’on suppose qu’il y en aura beaucoup. Je voudrais simplement une réponse générale, mais pensez-vous que c’est la raison pour laquelle le gouvernement a apporté ces changements : s’agit-il de frapper fort pour recueillir une partie de l’impôt qu’il estime dû? En d’autres termes, nous avons actuellement un gouvernement porté sur les impôts et les dépenses à Ottawa. Je ne tiens pas à mêler la politique à cela, mais c’est un fait qu’il cherche de l’argent. Pensez-vous que c’était une façon de dire : « Tiens, on pourrait en récupérer une bonne partie en changeant certaines choses dans la structure fiscale »?

M. Sullivan : Je dois faire attention à ce que je dis. Je crois que c’est peut-être accordé trop de crédit au ministère des Finances que de dire qu’on a réfléchi attentivement à tout cela.

Le sénateur Neufeld : Trop de crédit? Voilà une bonne réponse.

M. Sullivan : À ce que j’ai compris, compte tenu de ce qui a été publié, on s’attendait à ce que tous ces changements rapportent ensemble environ 250 millions de dollars. Maintenant que le taux d’imposition des entreprises a été réduit, cela va réduire les impôts par milliards. Je ne comprends pas vraiment ce que le gouvernement voulait faire à l’origine comparativement à ce qu’il a essayé de faire pour amortir le coup. À vrai dire, je ne peux pas répondre à cette question.

Le sénateur Neufeld : D’accord.

M. Davis : Ma seule observation est que ce gouvernement envisage la fiscalité du point de vue de l’application du droit. Il a investi beaucoup plus d’argent pour percevoir les impôts des particuliers et des entreprises. Je ne saurais dire dans quelle mesure il a trouvé là une occasion, comme vous dites, d’accroître ses revenus, mais je n’écarterais pas votre hypothèse.

Mme LaFosse : Je pense que cette proposition vise injustement ce qui est, à mes yeux, la classe moyenne. Nous ne sommes pas les Canadiens les plus riches. On aurait pu employer d’autres moyens, qui auraient pu rapporter bien plus que les 250 millions envisagés. On aurait pu, par exemple, s’attaquer aux fonds étrangers, des choses de ce genre-là. Le gouvernement en aurait tiré beaucoup plus de recettes fiscales.

Le sénateur Neufeld : Le gouvernement parle, entre autres, d’instaurer la parité ou l’égalité entre les travailleurs qui font du 9 à 5 et les entreprises. Il estime que l’écart est trop grand. D’après vous, pourquoi le gouvernement pense-t-il cela? Je crois qu’il devait y avoir un écart pour toutes sortes de raisons. J’aimerais connaître les raisons pour lesquelles vous pensez qu’il devrait y avoir un écart. Par-dessus le marché, peut-être pour calmer un peu les gens, le gouvernement a creusé cet écart en disant qu’il va faire passer le taux d’imposition des entreprises à 10, puis à 9 p. 100. Est-ce que cela vous laisse aussi perplexes que moi?

M. Sullivan : Oui. Tout à fait. Je crois, en fait, quand on se penche sur la proposition initiale et les exemples fournis — et j’y ai fait allusion dans mon exposé — que le gouvernement parle de voisins et non d’employés. Je crois que c’est ainsi qu’il en a parlé. Les voisins, c’est très différent.

Nos 1 600 membres sont en majorité de petites entreprises. En fait, 83 p. 100 le sont. Comme l’a dit Nicole, ils font manifestement partie de la classe moyenne. Ce ne sont pas des gens si riches que cela. Certains d’entre eux réussissent bien, d’autres s’en tirent correctement. Beaucoup d’entre eux viennent de lancer leur entreprise et essaient de la développer et d’embaucher des employés.

Pour les entrepreneurs, le risque, c’est l’absence de gratification. Quand je m’entretiens avec certaines femmes parmi nos membres, elles parlent de l’impossibilité de prendre un congé de maternité, que ce soit 1 mois, 12 mois ou 18 mois, comparativement à une voisine qui travaille pour le gouvernement — pour en revenir au cœur du sujet, peut-être — et qui peut prendre 12 ou 18 mois de congé de maternité en sachant qu’un emploi l’attend au retour, peut-être pas exactement le même, mais un emploi garanti. C’est vraiment très différent de la situation de quelqu’un qui peut actuellement garder 1 million de dollars. Je vous accorde que cela semble beaucoup, mais c’est 1 million de dollars pour faire face à ralentissement économique, atténuer un risque, absorber une acquisition, et ainsi de suite.

Je pense donc qu’il y a de très grandes différences selon qu’on parle des voisins, des entrepreneurs et des employés. Tout le monde peut prendre le risque de se lancer en affaires s’il le souhaite — et nous les y encourageons —, mais je ne vois pas comment on peut ainsi comparer les gens comme s’y est empressé le gouvernement.

Veuillez m’excuser, je dois partir. Je suis désolé d’avoir à vous quitter.

Le président : Merci.

M. Davis : En bref, je suis entièrement d’accord avec M. Sullivan. La notion de parité entre un employé et une personne qui a créé une entreprise est une fausse prémisse. Cela ne tient absolument pas.

Qui plus est, la notion d’investissement passif telle qu’elle est actuellement envisagée semble avoir donné lieu à un chiffre choisi au hasard : un million, un chiffre tout rond, au-delà duquel tout un chacun s’exclame : « Oh mon dieu, ils sont immensément riches. » Du point de vue des entreprises qui essaient de prendre de l’expansion, qui cherchent de nouvelles occasions d’affaires dans le cadre de l’accord commercial avec l’Europe, c’est particulièrement important pour nos voisins du Canada atlantique. Dans certains cas, une entreprise en quête de contrats peut avoir à dépenser des millions de dollars simplement pour préparer ses offres et soumettre ses propositions. Donc, encore une fois, ce que le gouvernement a mis sur la table sous couvert de parité ou d’équité ne fonctionne tout simplement pas pour nous.

Mme LaFosse : Je dirai, comme Patrick, que tout le monde peut prendre le risque de lancer une entreprise. Comme je l’ai dit dans mon exposé, les propriétaires d’entreprise ne peuvent pas s’appuyer sur une source de revenus stable lorsque l’économie ralentit. À l’heure actuelle, les activités de mon entreprise ne sont pas les mêmes qu’avant juillet dernier. Je ne suis pas constituée en personne morale comme beaucoup de sociétés. L’activité est un peu ralentie. Pour un propriétaire d’entreprise, le 9 à 5, cela n’existe pas.

Pour rappeler ce que disait Patrick au sujet du congé de maternité, une employée sait qu’un emploi lui est garanti au retour. Pas moi. Je ne peux pas prendre un an de congé de maternité et m’attendre à ce que mes clients me restent fidèles. Ils ne peuvent pas se passer de leur avocate ou de leur comptable pendant un an. Personne d’autre, dans mon cabinet, n’offre de services corporatifs. Tous les autres s’occupent de litiges. Mes clients seraient obligés d’aller ailleurs, et je ne peux pas être sûre qu’ils reviendraient à mon retour.

Le sénateur Oh : Merci aux témoins de tous ces renseignements. Vous êtes vraiment la voix de la Nouvelle-Écosse.

J’aimerais soulever la question un peu plus au sud, en direction de l’ALENA. Les négociations ne semblent pas aller trop bien. Supposons qu’elles n’aboutissent pas. Les États-Unis songent également à réformer la fiscalité et à abaisser l’impôt sur les entreprises, et cetera. Nous sommes en train d’augmenter les impôts, pendant qu’ils les baissent. Les investissements pourraient être détournés du Canada vers les États-Unis. Qu’en pensez-vous?

M. Davis : Je suis tout à fait d’accord avec votre hypothèse. La tendance globale actuelle des réformes fiscales est généralement de réduire le taux d’imposition des sociétés ou des petites entreprises pour les aider à prendre de l’expansion et les inciter à investir. Si notre pays décide, pendant que d’autres réduisent leurs taux d’imposition, que nous avons besoin, à grande échelle plutôt que dans une perspective ciblée, de réduire la profitabilité des petites entreprises, c’est notre croissance potentielle qui sera gravement compromise.

Le Canada atlantique tout entier dépend énormément des exportations. Nous sommes à proximité des grands marchés des États-Unis. Au Nouveau-Brunswick, excusez-moi si je me trompe, mais je crois que les exportations à destination des États-Unis représentent plus de 70 p. 100 de l’activité économique. Par conséquent, ce que propose le gouvernement actuel et ce qui est en train de se passer, notamment au sud de la frontière, comme vous l’avez expliqué, sont autant de motifs de préoccupation pour les entreprises du Canada atlantique.

Mme LaFosse : Permettez que je dise un mot à ce sujet. Je suis d’accord avec vous et je pense que ces modifications vont se répercuter sur notre avantage dans la concurrence globale si elles sont adoptées. Je ne peux rien dire de précis au sujet de ma région, du volume de nos exportations ni des effets directs éventuels de ces modifications, mais je pense que, à l’échelle de notre pays, il est certain qu’elles auront des effets néfastes.

Le sénateur Oh : Que recommanderiez-vous au ministre Morneau s’il était ici aujourd’hui? Lui diriez-vous d’abandonner complètement son projet? S’il vous disait qu’il n’en est pas question, que lui recommanderiez-vous pour corriger la situation?

M. Davis : C’était la priorité numéro un dans notre exposé, au nom de la Chambre de commerce de l’Atlantique et de concert avec la Chambre de commerce du Canada : nous sommes d’avis que la meilleure solution serait de retirer ces modifications pour privilégier un examen plus exhaustif de tout le système fiscal. Toute mesure moindre serait un expédient et risquerait, comme les propositions initiales en ont fait la preuve, d’entraver et non de favoriser notre prospérité à venir.

Si les modifications sont effectivement adoptées, il est difficile de choisir parmi les trois enjeux qu’elles soulèvent. Les chiffres avancés par M. Sullivan sur le nombre d’entreprises qui seront vendues au cours de la prochaine décennie donnent à penser qu’il y a une crise importante, aussi bien du point de vue des modifications fiscales que de la possibilité pour les propriétaires d’entreprise de dresser un plan successoral très cohérent. C’est à la fois une occasion et un danger, notamment dans notre région, qui compte un très grand nombre de petites entreprises.

Mme LaFosse : Je suis d’accord avec Glenn au sujet du retrait pur et simple des propositions. Cela dit, s’il faut recommander des mesures, je dirais qu’il faut d’abord ralentir, obtenir les détails, effectuer une analyse complète des répercussions que ces changements vont avoir. S’il y a lieu de faire quelque chose au sujet de la répartition des revenus, que l’on commence par élargir la définition du caractère raisonnable et que l’on exempte les conjoints en reconnaissance de leur contribution à l’entreprise familiale.

Encore une fois, il faudrait se renseigner sur l’investissement passif, obtenir des statistiques, au lieu de s’arrêter à un chiffre arbitraire, et faire le calcul à l’échelle du ménage et non du particulier. Il s’agit simplement de faire en sorte que les petites entreprises se sentent valorisées. C’est ainsi qu’on facilite l’épanouissement de l’économie.

Le sénateur Oh : Nous transmettrons votre message et vos préoccupations. Merci.

Le président : Pour la deuxième série de questions, nous écouterons la sénatrice Marshall, puis la sénatrice Andreychuk.

La sénatrice Marshall : Nous avons un peu parlé du partage des revenus, de la définition du caractère raisonnable, et de l’unité familiale. Qu’en est-il du revenu passif? Cela aura aussi des répercussions importantes.

Maître LaFosse, ce que vous avez dit m’a laissé l’impression que vous parliez de 50 000 $ par entreprise. Un député a demandé au ministre si c’était par entreprise ou par actionnaire, mais le ministre n’a pas répondu. Le revenu passif n’est pas clairement défini non plus, pas plus que le caractère raisonnable au sujet du partage des revenus.

Pensez-vous qu’on comprend bien ce qui doit entrer dans le revenu passif? Les experts de la fiscalité nous disent qu’il faut maintenant distinguer différents types de revenus, dont le revenu passif. Pensez-vous qu’on comprend bien ce qui, dans les revenus, doit être considéré comme revenu passif?

Mme LaFosse : Tout cela soulève tant de questions. Je me suis entretenue avec mon comptable hier. C’est un spécialiste de la fiscalité. Je lui ai simplement demandé : « Que se passe-t-il au-delà du seuil de 50 000 $? Qu’arrive-t-il à cet argent? Quel pourcentage d’impôt y sera-t-il appliqué? » Et il m’a répondu : « Très franchement, je n’en sais rien. » Il a ajouté : « À première vue, je dirais qu’il pourrait être imposé à raison de 63 à 73 p. 100. On ne sait pas. On n’a pas de détails. » Comment aller de l’avant quand on ne connaît même pas les détails?

La sénatrice Marshall : A-t-on une idée de ce qui devra être considéré comme revenu passif? Je pensais avoir compris, et puis j’ai consulté le site web du ministère des Finances et je ne suis plus sûre du tout. Est-ce qu’on en a discuté? Nous passons notre temps à parler du caractère raisonnable, mais c’est assez flou. Qu’en est-il du revenu passif? Est-ce que nous avons le même problème à ce sujet?

M. Davis : Oui, absolument, à mon avis. Comme l’a expliqué Me LaFosse, il est question de traiter différentes réserves de capitaux de façons différentes au sein d’une même entreprise. Premièrement, cela ajoute de la complexité. Deuxièmement, comme vous l’avez dit, cela entraîne des taux d’imposition variables selon le type de revenus. Premièrement, le ministre des Finances dit que cela s’appliquera à un petit nombre d’entreprises. Deuxièmement, c’est trop complexe pour que les petites entreprises ordinaires puissent retracer et différencier ces types de capitaux dans le seul but d’obtenir certains avantages auxquels seules quelques entreprises ont accès.

Je suis entièrement d’accord avec vous. Nous n’avons pas assez de renseignements sur le revenu passif. Ce n’est pas clairement défini, et la proposition actuelle semble totalement arbitraire étant donné que chaque entreprise a ses propres besoins et ses propres exigences.

La sénatrice Marshall : Pensez-vous que la réduction éventuelle du taux d’imposition à 10, puis à 9 p. 100, compensera ce qui se passe du côté du revenu passif et du partage des revenus?

M. Davis : Si je ne me trompe pas, les statistiques du gouvernement indiquent que l’avantage maximal pour une entreprise dont les gains ne dépassent pas 500 000 $ serait de 7 500 $.

La sénatrice Marshall : La raison pour laquelle je pose cette question est que certains experts fiscaux qui sont venus témoigner ici nous ont dit qu’on va modifier le crédit d’impôt pour dividendes, et, en effet, la hausse d’impôt proposée ne changera rien. Je crois même que quelqu’un ici a dit que cette mesure serait punitive. C’est pour cela que j’ai posé la question.

M. Davis : Si on tient compte des changements apportés au taux d’imposition des dividendes, dont je n’avais pas entendu parler, et des taux d’imposition des revenus dont parlait Me LaFosse — et j’ai moi-même entendu parler d’un maximum de 73 p. 100 —, eh bien, il me semble qu’un petit changement de 7 500 $ par an dans le taux d’imposition des entreprises ne sera pas une compensation suffisante.

La sénatrice Andreychuk : Je voudrais aborder deux questions.

La question du transfert intergénérationnel a été laissée de côté. Certains pensent que c’est qu’on l’a abandonnée. D’autres estiment qu’elle est suspendue, mais qu’on y reviendra. À votre avis, dans quelle direction le ministre s’en va-t-il avec tout cela?

M. Davis : Encore une fois, ce que communique le gouvernement est parfois flou et sujet à interprétation. D’après moi et compte tenu de mes échanges avec d’autres personnes, la proposition initiale est écartée. Mais certains pensent que la nouvelle réglementation du transfert d’entreprises est à l’étude. C’est l’un des secteurs où l’on a très peu d’information. Il y a simplement la promesse qu’on nous fournira une réglementation fonctionnelle, équitable ou juste au sujet du transfert intergénérationnel d’entreprise.

Comme je le disais, il faut s’en tenir à ce que dit le gouvernement et croire que c’est ce qu’il fera. Mais, avant que les propositions à venir prennent force de loi, il faudra procéder à une évaluation et à des consultations plus complètes.

Mme LaFosse : Je suis d’accord avec M. Davis. Je n’en sais pas autant que lui au sujet du transfert intergénérationnel, mais je crois, encore une fois, qu’il s’agit de mieux communiquer et d’examiner les conséquences à long terme de ces propositions.

La sénatrice Andreychuk : Grâce à cette mesure provisoire, ou cette modification, disons, des 50 000 $, le gouvernement dit qu’il ne touchera que les plus riches. Dans un autre comité où je siège, j’ai compris, notamment en écoutant des femmes entrepreneures, que, quand on a une petite entreprise, on veut qu’elle grandisse. Le gouvernement le veut aussi. Mais les entrepreneurs n’ont pas ressources nécessaires. Nous cherchons des moyens, comme des subsides et d’autres mesures, pour aider les entreprises à prendre de l’expansion.

D’après ce qu’on nous a dit, le seuil de 50 000 $, ou même de 100 000 $, décourage les entrepreneurs de passer au palier des moyennes entreprises et, par conséquent, de se placer sur le marché international. On dit que les petites et moyennes entreprises sont la colonne vertébrale du Canada. Ce sont elles qui créent les emplois. C’est là que s’élaborent les innovations et que se prépare l’avenir. Et pourtant, si on s’attaque même aux 3 p. 100 d’entre elles, certains des témoins que nous avons entendus nous disent qu’ils resteront des petites entreprises. Ils ne progresseront pas. Autrement dit, à leurs yeux, c’est un frein.

Vous n’avez pas parlé d’innovation, ni des jeunes entrepreneurs d’un nouveau genre qui commencent modestement, mais qui ont beaucoup d’ambition. Je pense à des femmes de ma région qui ont lancé une entreprise de fabrication de bijoux dans leur cuisine, puis ont élargi leurs activités à l’échelle provinciale, nationale et internationale. Elles ont le savoir-faire, mais elles ont aussi besoin des moyens et de l’appui que peut offrir le gouvernement. Est-ce qu’un plafonnement est utile à l’expansion des entreprises ou est-ce que c’est un frein quand vous passez au-delà du seuil de 50 000 $ — autrement dit d’un million — parce que l’entreprise est alors, en fait, pénalisée?

Mme LaFosse : Ce plafonnement n’est un stimulant pour strictement personne. Ce que je constate dans ma collectivité rurale, c’est que, d’abord, cela va même décourager la création de petites entreprises. Vos remarques sont très justes, et il est certain que cela va empêcher de petites entreprises de passer au palier de moyenne entreprise, puis de grande entreprise. Nous n’en avons pas beaucoup au Cap-Breton, et, si ces propositions sont adoptées, ce ne sera jamais le cas.

M. Davis : Merci. Nous sommes tout à fait d’accord avec votre évaluation de la situation. Compte tenu de la nature de l’économie dans la région de l’Atlantique, il est très important d’aider les entreprises en démarrage sous la forme d’incubateurs, de mentors, et cetera. La limitation de l’investissement passif est effectivement un frein important à la croissance.

Deux idées viennent à l’esprit. La première est de décentraliser l’entreprise en deux petites entreprises pour avoir droit à un taux d’imposition extrêmement préférentiel. L’autre solution est la relocalisation. M. Sullivan a parlé des taux d’imposition très élevés en vigueur en Nouvelle-Écosse et dans d’autres provinces du Canada atlantique.

D’après mes entretiens avec quelques-uns des membres de notre chambre de commerce qui sont des propriétaires d’entreprise, je peux vous dire qu’ils sont en train de réfléchir à la possibilité de créer des succursales en dehors de la région pour cette raison. D’autres l’envisagent carrément.

Le président : Merci aux témoins, dont les diverses remarques ont suscité des réactions de soutien dans l’auditoire. Vos témoignages ont été très instructifs. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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