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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 51 - Témoignages du 22 novembre 2017 (séance du matin)


SAINT JOHN, Nouveau-Brunswick, le mercredi 22 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 heures, afin d’étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je suis Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, président du comité.

Honorables sénateurs, à titre de sénateur du Nouveau-Brunswick, j’aimerais profiter de l’occasion pour vous souhaiter officiellement la bienvenue au Nouveau-Brunswick, et dans la ville la plus industrielle de la province, Saint John. Notre province est la seule au Canada à être officiellement bilingue. Nous partageons notre territoire avec les Premières Nations, des Acadiens, des loyalistes, des Néo-Brunswickois anglophones et des communautés multiculturelles. Samuel de Champlain a établi la première colonie en 1604 sur l’Île Sainte-Croix, près de Saint John.

Chaque province et chaque territoire du Canada a ses propres particularités et caractères distinctifs, mais permettez-moi de vous raconter quelques faits historiques à propos du Nouveau-Brunswick. Ici, au Nouveau-Brunswick, nous n’avons pas peur de voir grand : la plus grande raffinerie au Canada, la raffinerie Irving; le roi des pommes de terre frites, McCain Foods; la savoureuse bière Moosehead pour accompagner vos frites; et un des plus grands chefs de file en saumon d’aquaculture en Amérique du Nord, Cooke Aquaculture. Nos universités concluent des partenariats avec nos entreprises pour diriger de nombreux projets novateurs dans les secteurs des soins de santé, de l’agriculture, des forêts, de la pêche et des industries de haute technologie.

Mesdames et messieurs, au nom des Néo-Brunswickois, je vous souhaite la bienvenue au Nouveau-Brunswick.

Je demanderais à chaque sénateur de se présenter.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l’Ontario.

La sénatrice Cools : Anne Cools, de Toronto.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices et membres du public, j’aimerais aussi présenter à ma gauche la greffière du comité, Mme Gaëtane Lemay, et l’analyste du Sénat pour le Comité des finances, M. Sylvain Fleury.

Aujourd’hui, le comité poursuit, ici à Saint John, au Nouveau-Brunswick, son étude spéciale de la modification proposée à la Loi de l’impôt sur le revenu au cours de l’été 2017 par le ministre des Finances. La proposition de modification porte sur l’imposition des sociétés privées et sur la stratégie de planification fiscale connexe.

[Traduction]

Le comité a reçu un ordre de renvoi du Sénat du Canada, un mandat le 26 septembre 2017. Le mandat est le suivant :

[Français]

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, en vue d’en faire rapport, les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes, et, plus particulièrement :

•la répartition du revenu;

•la détention de placements passifs dans une société privée;

•la conversion du revenu régulier en gain en capital;

[Traduction]

Le comité a aussi pour mandat de prêter une attention particulière aux répercussions des changements proposés par le gouvernement sur les petites entreprises et les professionnels constitués en société; la croissance économique et les finances publiques; l’équité de l’imposition des différents types de revenus et d’autres questions connexes; et de présenter son rapport final au Sénat au plus tard le 15 décembre 2017 et de conserver tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

Ce matin marque notre 26e délibération publique sur la question. Hier, nous étions à Halifax, et avant-hier, nous étions à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador, pour des journées complètes d’audience. Plus tôt cet automne, à Ottawa, nous avons tenu 13 délibérations publiques et entendu plus de 60 témoins.

[Français]

Il y a deux semaines, nous étions dans l’Ouest canadien. Nos audiences ont suscité beaucoup d’intérêt, tant dans le monde professionnel et agricole que du côté de différentes petites entreprises.

[Traduction]

Mesdames et messieurs les témoins, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation à nous faire part de vos recommandations, de vos opinions et de vos commentaires quant au mandat reçu du Sénat du Canada.

Honorables sénateurs, ce matin, nous avons avec nous le Dr Dharm Singh, président de la Société médicale du Nouveau-Brunswick; à titre personnel, la Dre Patti Forgeron, spécialiste en médecine physique et réadaptation et ancienne présidente de l’Organisation médicale des employés de l’hôpital Saint John; et la Dre Kelly Manning de la Société dentaire du Nouveau-Brunswick.

Je crois comprendre que la greffière vous a dit que vous aviez cinq minutes chacun pour présenter votre exposé.

Docteur Singh, la parole est à vous.

Dr Dharm Singh, président, Société médicale du Nouveau-Brunswick : Honorable sénateur Mockler et autres honorables membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je m’appelle Dharm Singh et je suis président de la Société médicale du Nouveau-Brunswick. Je suis également chef de l’urologie à l’Hôpital régional de Campbellton et au Centre de santé St. Joseph à Dalhousie. En tant que président de la Société médicale du Nouveau-Brunswick, je représente plus de 1 700 médecins praticiens au Nouveau-Brunswick.

Je tiens à remercier les membres du comité de m’avoir donné l’occasion de comparaître aujourd’hui et de consacrer du temps à cet enjeu très important. En tant que médecins, notre position sur les mesures proposées par le ministre des Finances est claire. Nous croyons que les modifications proposées auront des conséquences néfastes pour les médecins, pour d’autres professionnels de la santé comme les dentistes et les pharmaciens, ainsi que pour d’autres petites entreprises.

De plus, nous croyons que la mise en œuvre des modifications amènera les professionnels de la santé à prendre des décisions d’affaires ou personnelles qui auront une incidence négative sur la prestation des soins aux patients.

Enfin, à l’instar de nombreuses autres parties prenantes, nous croyons que les modifications du régime fiscal canadien et leurs conséquences potentielles sont extrêmement importantes. À ce titre, la durée et le format du processus de consultation du gouvernement auraient dû refléter l’importance de la proposition.

Tout en reconnaissant les tentatives récentes du ministre des Finances visant à atténuer les conséquences imprévues de sa proposition initiale du 18 juillet, nous continuons de croire qu’une décision de procéder à la mise en œuvre des modifications des règles proposées, en totalité ou en partie, aura une incidence majeure sur le recrutement et le maintien en poste des médecins au Nouveau-Brunswick.

Soixante-dix pour cent des médecins du Nouveau-Brunswick sont propriétaires d’une petite entreprise. Ils ne sont pas des employés salariés. Ils emploient du personnel, achètent du matériel et des fournitures, louent ou achètent des locaux à bureaux. De plus, ils paient de l’assurance et des taxes sur les honoraires qu’ils reçoivent pour chaque consultation de patient. Contrairement aux employés salariés, les médecins rémunérés à l’acte n’ont pas de prestations de santé, de vacances payées, de congés de maladie ni de régime de pension. Par ailleurs, les médecins s’endettent considérablement durant leurs 10 ans ou plus d’études de médecine. Et ils s’endettent encore davantage lorsqu’ils démarrent leur cabinet de médecin. Si les modifications au régime fiscal sont adoptées, les médecins en début de carrière auront probablement plus de difficulté à établir leur cabinet de médecin.

Un grand nombre de nos membres nous ont dit que les mesures fiscales proposées pourraient les amener à envisager sérieusement de déménager ailleurs, de travailler moins d’heures ou même de prendre leur retraite plus tôt. Cela pourrait avoir des répercussions sérieuses sur le système de soins de santé du Nouveau-Brunswick et sur la capacité de la province à donner les soins auxquels la population s’attend.

Environ 65 p. 100 des quelque 500 médecins du Nouveau-Brunswick qui ont répondu à un sondage mené récemment par la Société médicale du Nouveau-Brunswick ont dit qu’ils envisageraient de réduire leur nombre actuel d’heures de travail si les mesures fiscales proposées étaient mises en œuvre; 46 p. 100 ont dit qu’ils envisageraient de déménager à l’extérieur du Nouveau-Brunswick; et 25 p. 100 ont dit qu’ils envisageraient d’abandonner carrément la profession.

Les gouvernements doivent garantir l’égalité des chances s’ils veulent empêcher les professionnels occupant des postes en forte demande, comme en médecine, de déménager ailleurs.

Le Nouveau-Brunswick se classe au troisième rang du taux marginal d’imposition combiné, après le Québec et la Nouvelle-Écosse. Bien que les médecins du Nouveau-Brunswick aient choisi d’exercer la médecine dans la province malgré les inconvénients financiers, cela pourrait très bien changer si des règles punitives additionnelles étaient mises en œuvre.

De plus, le Nouveau-Brunswick doit composer avec un vieillissement rapide de sa population et, du même coup, avec des maladies chroniques exigeant de plus en plus de soins. Plus de 50 000 Néo-Brunswickois n’ont pas de médecin de famille. Au Nouveau-Brunswick, les temps d’attente pour voir un médecin et les listes d’attente pour des procédures médicales comptent parmi les plus longs au Canada. Même la perte d’un petit nombre de médecins s’établissant ailleurs au Canada ou à l’étranger aura des conséquences très réelles sur le système de soins de santé et sur les patients du Nouveau-Brunswick.

Les médecins du Nouveau-Brunswick appuient l’équité fiscale. Cependant, nous ne croyons pas que la proposition du gouvernement, même modifiée, réglera vraiment les problèmes d’équité qui peuvent exister dans le régime fiscal canadien. Nous croyons qu’il serait irresponsable pour le gouvernement de mettre en œuvre les mesures fiscales proposées compte tenu du niveau d’intérêt pour cet enjeu exprimé par les Canadiens et les Canadiennes au cours de l’été. Nous ne croyons pas que la réforme fiscale devrait se faire de façon fragmentaire. Nous croyons que les mesures proposées ciblent injustement les petites entreprises partout au Canada, y compris de nombreux groupes de professionnels.

Si l’équité fiscale au Canada est l’objectif, à notre avis, la meilleure méthode serait que le gouvernement abandonne sa proposition et amorce un examen complet du régime fiscal du Canada.

Merci.

Le président : Je donne la parole à la Dre Forgeron.

Dre Patti Forgeron, spécialiste en médecine physique et réadaptation, ancienne présidente de l’Organisation médicale des employés de l’hôpital Saint John, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je m’appelle Patti Forgeron et je suis spécialiste en médecine physique et en réadaptation au Nouveau-Brunswick, ici, à Saint John. J’offre également des programmes de sensibilisation aux collectivités rurales, comme Sussex et St. Stephen.

J’aimerais remercier les membres du comité de me donner l’occasion de comparaître aujourd’hui. Je suis heureuse de pouvoir m’adresser à vous en tant que médecin et ancienne présidente de notre Organisation médicale des employés.

Lorsque le ministre des Finances a publié, à la mi-juillet, le document au sujet des changements proposés de la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées, ma première réaction a été de me demander comment j’allais maintenir en poste et recruter des médecins dans notre région, dans notre province et, plus précisément, dans nos collectivités rurales. Nous avons mené un sondage auprès de 310 médecins payés à l’acte au sein de notre région. De ce nombre, 65 p. 100 ont déclaré qu’ils envisageaient la possibilité de quitter la province, 82 p. 100 ont mentionné qu’ils envisageaient de diminuer leurs heures de travail et 38 p. 100 ont dit qu’ils envisageaient une retraite anticipée. Ces chiffres sont extrêmement alarmants, compte tenu de notre système déjà surchargé.

Dans notre région du Nouveau-Brunswick, nous devons composer avec un grand nombre de médecins qui atteindront l’âge de la retraite dans un avenir rapproché, dont 30 p. 100 sont des médecins de famille et 23 p. 100, des spécialistes âgés de plus de 60 ans. La prestation des soins de santé sera déstabilisée au Nouveau-Brunswick si les médecins diminuent leur charge de travail, prennent une retraite anticipée ou déménagent dans une région où le régime d’imposition est moins lourd.

J’ai personnellement parlé à des médecins de notre région et de la province. On m’a fait part des défis concrets qui se posent à mes collègues, aux médecins de famille, aux urgentologues, aux chirurgiens, aux ophtalmologistes, pour n’en nommer que quelques-uns. Ils m’ont tous exprimé leurs préoccupations et m’ont demandé de les représenter ici aujourd’hui.

En tant que médecin et fière Néo-Brunswickoise, je crois fermement que les propositions présentent des lacunes, sont inéquitables et ne tiennent pas compte des risques liés à l’économie, des répercussions sur les collectivités et des conséquences sur la prestation des soins de santé. Au même titre que les gens d’affaires indépendants, environ 70 p. 100 des médecins du Nouveau-Brunswick ont des sociétés privées en vertu des lois existantes. Ces règles offrent la souplesse nécessaire pour créer notre propre filet de sécurité et notre propre fonds de retraite. Pour les femmes médecins qui veulent fonder une famille, les règles offrent la souplesse nécessaire pour gérer la perte de revenu associée au congé parental. Les médecins payés à l’acte n’ont pas accès aux avantages sociaux offerts aux personnes salariées, comme le régime de retraite, les congés de maladie ou les vacances.

Si le comité le permet, je vais fournir certains renseignements concernant la profession médicale au Nouveau-Brunswick. Je vais également concentrer mon témoignage sur mon expérience personnelle à titre de médecin.

J’ai grandi dans une région rurale du Nouveau-Brunswick. J’ai consacré 15 années de ma vie aux études postsecondaires. J’ai contracté une dette considérable et j’ai commencé ma carrière plus tard que la majorité des autres professionnels, ce qui me laisse un nombre limité d’années de revenu. J’aurai 50 ans en février, et je commence tout juste à mettre de l’argent de côté pour ma retraite. En revanche, mon père, qui était enseignant, a pris sa retraite à l’âge de 53 ans. Ma mère, qui a travaillé pour l’entreprise Irving, a pris sa retraite à 57 ans, et les deux touchent une pleine pension.

Je suis la fière maman de trois enfants. J’ai eu deux enfants durant ma résidence, et cela a été possible uniquement grâce aux efforts extraordinaires déployés par mon époux. Plus d’un soir, mon époux venait me voir dans ma salle de garde à l’hôpital avec notre bébé en pleurs pour que je lui donne le sein, puisque je n’ai pris que quatre mois, puis six mois de congé de maternité; je ne voulais pas compromettre ma formation ni repousser le début de ma pratique afin de diminuer mon endettement.

Lorsque nous sommes déménagés au Nouveau-Brunswick, j’ai occupé un poste salarié, et nous avons eu notre troisième enfant. Je suis retournée travailler après deux semaines, à temps partiel, pour assurer la mise en marche d’un nouveau programme. J’ai alors décidé de me tourner vers un modèle de paiement à l’acte afin de pouvoir étendre ma pratique. Le modèle de paiement à l’acte m’a donné l’autonomie nécessaire pour offrir des services qui n’étaient pas financés par le régime d’assurance-maladie à des travailleurs blessés et à nos anciens combattants.

À peu près au même moment, mon époux a abandonné sa carrière en technologie de l’information afin de rester à la maison et d’élever nos enfants. Mon époux tient à jour les systèmes informatiques de mon bureau, assure l’entretien des bureaux, enlève la neige et s’est même occupé des refoulements d’égout. C’est lui qu’on appelle en cas d’interruption de services.

Les médecins sont des entrepreneurs et des employeurs au Nouveau-Brunswick. Nos investissements passifs sont loin d’être de l’argent qui dort. Nous avons besoin de cet argent pour pouvoir prendre des congés de maternité, nous préparer à la maladie, économiser pour assurer l’expansion des entreprises à l’aide de nouvelles technologies et planifier notre retraite.

Les médecins des quatre coins de la province sont des employeurs dans les collectivités rurales par le truchement de leurs pratiques médicales et d’autres entreprises commerciales. Les médecins du Nouveau-Brunswick ont investi dans des jardineries, des serres, des restaurants, des activités d’aménagement de terrain et d’agriculture, pour ne nommer que quelques exemples. Sans possibilité d’investissement passif, ces projets ne seraient pas possibles dans une province où le taux de chômage est élevé. Les investissements des médecins dans les petites entreprises de nos collectivités sont l’épine dorsale de l’économie du Nouveau-Brunswick.

Les médecins et le modèle de paiement à l’acte subventionnent également les soins de santé en offrant l’infrastructure de bureau, le personnel et l’équipement nécessaires pour assurer la prestation des soins de santé. Le directeur exécutif de Canadiens pour une fiscalité équitable a laissé entendre que nous n’avons pas de pénurie de médecins au Canada, mais plutôt un problème de répartition. Je remets en question le fondement de cette opinion. Il y a des milliers de patients qui n’ont pas de médecin de famille au Canada et de longs délais d’attente pour les services et les procédures spécialisés; les répercussions se font sentir davantage dans le Canada atlantique. Si les médecins diminuent leurs heures de travail ou qu’ils prennent leur retraite plus tôt, ces listes d’attente vont s’allonger considérablement.

On a laissé entendre que les médecins ne courraient pas le même risque que les autres petites entreprises; les gens ont l’impression que notre revenu est garanti. Je ne suis pas d’accord avec cela : la majorité des médecins comme moi ont pris des risques en investissant énormément dans leur formation et ont contracté de grosses dettes. Il faut des années aux nouveaux médecins pour mettre en place leur pratique afin qu’elle soit rentable dans un modèle de paiement à l’acte. Nous accumulons moins d’années de revenu, et c’est nous, l’actif; autrement dit, si nous ne travaillons pas, nous ne touchons pas de revenu.

Si je reçois un diagnostic de maladie, mon entreprise cessera d’avoir des revenus. À cela s’ajoute un risque énorme pour ma famille et mes employés. Si un chirurgien perd un doigt, un bras ou un œil, sa carrière risque de prendre fin. Les chirurgiens risquent de perdre leurs revenus lorsque des opérations sont annulées ou que des salles d’opération sont fermées.

Nous ne devrions pas aggraver les problèmes auxquels font déjà face les nouveaux stagiaires lorsqu’ils décident de choisir une spécialité qui présente un risque élevé et qui est très exigeante en pénalisant les longues heures de travail par l’impôt.

À titre de médecin canadienne, je crois aux soins de santé universels. Je crois également à la répartition des richesses et à l’équité au chapitre de l’imposition. L’approche du gouvernement fédéral à l’égard de la réforme fiscale menace ces trois principes très importants. Je ne peux souligner suffisamment à quel point les médecins sont démoralisés dans la région. J’ai été abasourdie d’apprendre que notre premier ministre a pris la parole à la Chambre des communes, a ciblé la communauté des médecins canadiens et les a qualifiés de « riches médecins », nous dénigrant encore davantage.

Un chirurgien orthopédiste m’a confié qu’un patient l’avait traité de « sale fraudeur » parce que le chirurgien ne pensait pas que le patient était un candidat au traitement chirurgical. Personnellement, j’ai passé des semaines à éprouver du regret et de la tristesse en pensant que j’avais sacrifié des années de ma vie aux études et du temps avec ma famille simplement pour me faire diaboliser par mon gouvernement en raison de mon succès.

J’ai personnellement cherché des options de carrière autres que la médecine et à l’extérieur du pays. Encore cette semaine, mon plus jeune garçon a fondu en larmes lorsqu’il m’a entendue parler de déménager dans un autre pays.

Nous, les médecins, avons maintenu depuis le début que nous comprenions que la réforme fiscale était nécessaire. Nous ne pensons pas que le gouvernement a réalisé quelque analyse économique que ce soit, pas plus qu’il n’a tenu compte des répercussions sur la prestation des soins de santé. Si la réforme fiscale est réellement l’objectif du gouvernement fédéral, il faut reprendre depuis le début. Nous devons prendre le temps de bien faire les choses. Il faut entreprendre une étude exhaustive et juste de l’ensemble du système, en tenant compte de tous les secteurs et de la nécessité de préserver les dispositions relatives au filet de sécurité pour les gens d’affaires indépendants.

Je vous remercie de votre temps.

Le président : Je laisse la parole à la Dre Manning.

Dre Kelly Manning, Société dentaire du Nouveau-Brunswick : Merci de me permettre de me joindre à vous aujourd’hui. Je suis la Dre Kelly Manning, je suis dentiste et je possède un cabinet dentaire ici, à Saint John. Je suis l’ancienne présidente de la Société dentaire du Nouveau-Brunswick.

Je suis profondément préoccupée par les changements proposés de l’imposition des sociétés privées canadiennes. Ils sont injustes envers les propriétaires de petites entreprises et, au bout du compte, ils nuiront réellement à l’économie canadienne.

Je sais que le comité a voyagé dans tout le Canada et a entendu diverses histoires. Je vais vous raconter brièvement la mienne.

La dentisterie est une petite entreprise. Avant que je commence à exercer ma profession et à générer des revenus, j’ai passé huit ans aux études. Si je devais obtenir mon diplôme aujourd’hui, il m’en aurait coûté près de 300 000 $. Je commencerais donc ma première journée de travail endettée de 300 000 $. Si je voulais avoir mon propre cabinet, cela représenterait une dépense de 500 000 $ pour acheter de l’équipement; pour acheter un cabinet existant, il m’en coûterait au moins le même montant. Je serais donc endettée de 800 000 $ avant même d’obtenir mon premier dollar de revenu.

Comme vous l’a dit le Dr Levin, le président de l’Association dentaire canadienne, pendant les audiences à Ottawa, un cabinet dentaire fonctionne comme un petit hôpital. Je dois rémunérer les gens qui travaillent dans mon cabinet, et je dois aussi payer leurs avantages sociaux. Je loue un bureau, j’achète du matériel, je paie pour l’éclairage et le chauffage, le déneigement, la tonte du gazon et plus encore. La dentisterie est un service dont la prestation est très coûteuse. Je paie pour la prévention des infections, les avancées technologiques, le remplacement de l’équipement, la radiographie numérique, les licences professionnelles, et cetera. Contrairement aux employés salariés, je ne recevrai pas de pension, je n’ai pas de journées de maladie ni de vacances payées. Je ne recevrai pas non plus de prestations du Régime de pensions du Canada et je ne suis pas admissible à l’assurance-emploi.

J’ai cinq enfants, mais, en tant que propriétaire d’entreprise, je n’ai pas eu droit à des prestations de congé de maternité. Alors, pour certains de mes enfants, je n’ai pu prendre que six semaines de congé pour être avec eux et pour me rétablir de l’accouchement. Pour les autres, j’ai dû prendre un congé sans solde. Pour y arriver aujourd’hui, une femme dentiste devrait soit fermer ou vendre son cabinet, soit trouver et payer un associé suppléant et continuer d’assumer les coûts d’opération de sa pratique. Donc ses dettes, qui, rappelons-nous, étaient de 800 000 $ dès le départ, continuent de grimper si elle choisit d’avoir des enfants. Aucune femme ne devrait être obligée de choisir entre avoir des enfants et gagner sa vie.

Le gouvernement fédéral propose des modifications fiscales qui auront des répercussions négatives démesurées pour les femmes propriétaires d’une entreprise. Cela est encore plus marqué dans le domaine de la dentisterie, où la majorité des dentistes sont des femmes. En 2009, 58 p. 100 des dentistes de moins de 30 ans étaient des femmes n’ayant pas de congé de maternité.

Le gouvernement du Canada fait de grands discours sur le soutien des petites entreprises, mais la réalité est tout autre. Sous le régime fiscal actuel, les propriétaires de petites entreprises et moi-même sommes pénalisés.

Owens MacFadyen Group a réalisé une analyse qui compare ma situation avec celle d’une personne qui gagne le même revenu à titre d’employé salarié et qui a le même mode de vie, selon les règles actuelles. Même revenu, même mode de vie. Voilà ce qu’a révélé l’analyse : les économies totales sont plus du double pour les travailleurs salariés que les dentistes durant les années de travail. C’est parce qu’un employé salarié contribue au RPC, dont une partie est payée par l’employeur, et contribue à un régime défini de retraite, auquel contribue aussi l’employeur. Le propriétaire d’entreprise ne peut compter que sur lui-même pour le financement de ces programmes. À 60 ans, l’employé salarié aura économisé 4,3 millions de dollars, alors que le propriétaire d’entreprise n’aura économisé que 1,4 million de dollars. Le propriétaire d’entreprise manquera d’argent à 70 ans, tandis que l’employé salarié pourra financer toute sa retraite et laisser de l’argent à ses enfants en héritage.

J’ai joint aux copies de ma déclaration un sommaire de l’analyse et des hypothèses qui en découlent, vous les trouverez à l’annexe A.

Tout cela, c’est dans le cadre du régime fiscal actuel, qui est déjà déplorable.

Le premier ministre Trudeau et le ministre des Finances Morneau semblent avoir l’intention d’envenimer la situation davantage. À mon avis, cela est attribuable à une fausse idée selon laquelle les règles d’imposition sont en faveur des propriétaires d’entreprise, ce qui leur donne un avantage injuste. De fait, ça semble être tout le contraire.

Comme vous pouvez le voir dans l’analyse que je viens tout juste de fournir, toutes choses égales, au Canada, un employé salarié dépassera de loin le propriétaire d’une petite entreprise au cours de sa vie. Maintenant, le gouvernement veut punir les petites entreprises en limitant le montant d’argent qui peut être retenu comme bénéfices non répartis dans l’investissement passif. Je pourrais finir par payer 73 p. 100 d’impôt sur le revenu d’investissement détenu par mon entreprise en vertu de ces règles, selon mon comptable fiscaliste. Rappelez-vous que je n’ai pas de régime de retraite auquel quelqu’un d’autre contribue, c’est-à-dire un employeur ou le gouvernement. Tout ce que j’économise sert à ma retraite, mes économies seront donc décimées.

Ma famille a planifié de financer les études universitaires de nos enfants grâce au partage du revenu de dividendes qui transitent par une fiducie familiale. Il s’agit d’une stratégie tout à fait légale employée par d’innombrables personnes au cours des 20 dernières années. Comme nous avons prévu utiliser cette approche et que nous le faisons depuis 25 ans, nous n’avons pas cotisé à des REEE. Alors d’un simple coup de crayon, cette stratégie approuvée par le passé disparaît, et le coût des études de nos enfants augmente de près de 50 p. 100.

On veut également changer les règles en ce qui concerne le fractionnement du revenu. Mon père était un médecin de famille qui travaillait dans un bureau à la maison. Ma mère travaillait à ses côtés pour faire fonctionner le bureau. Mon père nous a tous encouragés, mes frères et mes sœurs, à être des professionnels indépendants et autosuffisants. J’aimerais pouvoir encourager en toute confiance mes enfants à faire de même.

Dans la plupart des entreprises familiales, toutes les personnes participent d’une certaine manière; elles peuvent le faire en soutenant activement l’entreprise, en fournissant du capital pour assurer la croissance ou pour couvrir les pertes durant les mauvais mois et, peut-être, en partageant le risque d’échec. Ces changements ne feront que nuire aux entreprises. Je viens de Saint John et j’aimerais travailler ici jusqu’à ma retraite, mais d’un autre côté, nous ne sommes qu’à une heure de la frontière américaine. Je pourrais facilement travailler dans le Maine. Et si je ne m’en vais pas à cause de ces changements punitifs, certains de mes collègues moins enracinés dans la collectivité le feront sûrement.

Qu’est-ce que cela signifie? Il y aura évidemment moins de dentistes, et certaines personnes devront se passer de soins dentaires; cela aura donc une incidence très réelle sur la santé publique. Mais cela signifie également que les personnes et les entreprises qui quittent le Canada ne paieront plus d’impôt ici. Nous vivons dans une économie mondiale. Les gens, particulièrement ceux qui possèdent un niveau de scolarité élevé, n’ont jamais été aussi mobiles. Quel est le véritable coût de faire partir des dentistes, des médecins et des entrepreneurs?

Qui plus est, les gouvernements dépensent des millions de dollars chaque année pour former des dentistes et des médecins dans les universités partout au Canada. Si nous subventionnons leur formation et les forçons ensuite à quitter le pays pour pratiquer aux États-Unis, nous ne faisons qu’exacerber le problème.

Les modifications proposées sont bâclées et comportent de graves lacunes. Je soutiens le besoin d’un examen exhaustif de la façon dont les entreprises sont imposées au Canada, mais ce n’est pas quelque chose qui peut être fait au cours d’une période de consultation de 75 jours menée furtivement en pleine saison estivale. C’est important. Nous devrions prendre le temps de bien faire les choses. Les modifications proposées sont tout simplement une attaque en règle contre les propriétaires d’entreprise et les entrepreneurs au Canada. Être un propriétaire d’entreprise est difficile; c’est stressant et chronophage.

Je suis également en désaccord avec le ton utilisé par le gouvernement actuel pour dévoiler et défendre ces propositions. Je n’apprécie pas du tout que le ministre des Finances m’accuse d’être une fraudeuse fiscale parce que je travaille selon la structure juridique du régime fiscal actuel. Je n’accepte pas d’être décrite comme une criminelle ou une personne qui fraude le système, particulièrement par un ministre des Finances qui fait la même chose à une échelle beaucoup plus grande. Je ne reproche pas au ministre Morneau d’agir ainsi. Il respectait les règles, comme je le fais.

Le fait de diaboliser les propriétaires de petites entreprises en vue de marquer des points politiques n’est pas la bonne façon de faire. La création d’un écart encore plus important entre les salariés et les travailleurs autonomes n’est pas non plus la réponse. Il faut créer un système qui est vraiment juste, qui respecte les risques que les entrepreneurs prennent et qui encourage les hommes et les femmes à prendre l’initiative de créer une communauté forte et dynamique. Les modifications proposées, même si elles sont tempérées, font le contraire. Elles punissent les personnes comme moi qui ont élaboré des plans selon les règles du système actuel. Changer le système maintenant sans une protection des droits acquis ou une période de transition d’au moins 10 ans relève de l’iniquité.

Ce que je vous demande aujourd’hui est simple. Suspendons le processus et lançons plutôt une commission d’enquête parlementaire sur la réforme fiscale. Tout le monde croit en l’équité fiscale. La question est la suivante : comment y parvenir? Il s’agit de quelque chose qu’une commission d’enquête parlementaire impartiale peut faire en éliminant la politique du processus et en examinant l’ensemble de la loi fiscale. Si notre véritable objectif est l’équité, c’est la façon appropriée d’y arriver.

Je serais heureuse de répondre à toutes les questions que vous avez.

Le président : Honorables sénateurs, la première intervenante sera la sénatrice Marshall, suivie de la sénatrice Eaton et du sénateur Pratte.

La sénatrice Marshall : Je vais commencer par le Dr Singh et la Dre Forgeron et j’espère que j’aurai le temps de poser des questions à la Dre Manning.

Pourriez-vous donner au comité de l’information contextuelle sur ce qui se passe actuellement au Nouveau-Brunswick? La province possède-t-elle une école de médecine et, si c’est le cas, combien d’étudiants sont formés et combien sont retenus?

Dr Singh : Il y a, au Nouveau-Brunswick, deux écoles de médecine satellites, une à Saint John, laquelle est liée à l’Université Dalhousie, et il y a ensuite l’Université de Sherbrooke, à Moncton. Il s’agit d’écoles récentes dont les premiers étudiants ont obtenu, je pense, leur diplôme il y a deux ou trois ans. Il est plus probable que ces étudiants et ces médecins résidents demeurent dans la province où ils ont été formés. C’est une bonne chose d’avoir des écoles de médecine satellites, mais nous n’avons pas de programme de résidence dans la province. Tous les spécialistes qui viennent dans la province et qui y travaillent sont formés ailleurs, dans d’autres provinces ou dans d’autres pays.

La sénatrice Marshall : Alors vous ne formez aucun de vos spécialistes, mais formez-vous vos propres omnipraticiens?

Dr Singh : Pouvez-vous répéter votre question, je suis désolé.

La sénatrice Marshall : Je vous ai demandé si tous vos spécialistes étaient formés à l’extérieur de la province.

Dr Singh : Oui. Aucune formation spécialisée n’est dispensée dans la province, à l’exception de deux ou trois endroits à Saint John qui offrent une formation en médecine interne. Le reste des spécialistes sont formés à l’extérieur de la province. Le recrutement devient difficile parce que, comme je l’ai dit, tout le monde sait que les médecins résidents qui sont formés dans une province en particulier sont plus susceptibles de demeurer dans cette province.

La sénatrice Marshall : Combien en réalité reviennent dans la province? Est-ce que c’est 50 p. 100 ou 25 p. 100?

Dre Forgeron : Juste pour clarifier deux ou trois situations : pour ce qui est des programmes de Dalhousie et de Sherbrooke, nous avons effectivement ici à Saint John un programme de résidence pour les gens formés en médecine interne. Nous avons des médecins de famille qui sont formés partout dans la province dans le cadre de ces deux programmes.

La première cohorte de médecins qui ont obtenu leur diplôme au cours des deux dernières années suit son programme de résidence. Nous avons probablement à Saint John une ou deux personnes de cette promotion d’environ quatre étudiants. Nous pouvons obtenir les données pour vous.

Ce qu’il faut comprendre concernant l’enseignement médical au Nouveau-Brunswick, c’est que les médecins payés à l’acte ne sont pas rémunérés pour enseigner. J’ai déjà entendu des médecins au sein de nos domaines de spécialité nous dire que, s’ils sont pénalisés dans un régime fiscal, ils cesseront de faire des choses gratuitement. Nous recevons de petites allocations selon ce que nous faisons, mais elles ne couvrent même pas nos coûts indirects. Par exemple, si vous offrez le matin une séance de formation de trois heures, on vous verse une très petite allocation, qui représente un huitième du coût d’entretien de votre bureau pour cette journée en particulier.

Nous n’avons pas vraiment abordé ce sujet, mais les médecins en parlent. Les médecins de famille et les spécialistes veulent réduire leur temps consacré à l’enseignement pour ces programmes de résidence.

Oui, nous formons des médecins de famille dans la province. Nous avons des urgentologues qui y pratiquent. Il est prouvé que les stagiaires qui sont formés et pratiquent dans une province y demeureront. Nous avons un grand nombre de personnes jusqu’à maintenant, mais le programme en est à ses débuts. Nous venons tout juste de lancer les programmes.

La sénatrice Marshall : À la suite de ces modifications fiscales, les médecins disent qu’ils sont mobiles et qu’ils peuvent déménager dans une autre administration, que ce soit dans une autre province ou un autre pays; ils pourraient prendre leur retraite ou réduire leurs heures de travail. J’essaie de comprendre exactement la mesure dans laquelle les médecins étaient mobiles par le passé. Cela vous indiquerait d’une certaine façon s’ils seront encore plus mobiles si les modifications sont adoptées.

Dre Forgeron : Je peux parler de notre situation locale. Il y a plusieurs années, nous avons vécu une crise liée à notre salle d’urgence. Comme nombre d’entre vous le savent, au Nouveau-Brunswick, Saint John est un des centres de soins tertiaires de la province. Il y a quelques années, nous avons connu une crise concernant notre salle d’urgence ici au centre de traumatologie; nous n’avions pas de médecin. Je le sais parce qu’on m’a demandé de faire un quart de travail dans la salle d’urgence. Vous savez que vous êtes mal pris lorsque vous commencez à demander de l’aide aux spécialistes. Mais ce qui s’est passé, c’est que cette communauté à Saint John a recruté des médecins de l’Angleterre. Elle en a recruté huit. Huit urgentologues anglais sont ici parce qu’on les a recrutés en raison de la possibilité pour les médecins de se constituer en société. C’était un des avantages de venir au pays, dont le régime fiscal est différent de celui de l’Angleterre.

J’ai rencontré ces huit médecins. Ils sont les plus mobiles et ont déjà parlé d’aller à Dubaï. Je ne parle pas des États-Unis, je parle de Dubaï. Ils ont déjà mentionné vouloir quitter la province et aller aux États-Unis. En fait, les deux groupes de médecins qui sont les plus mobiles sont les urgentologues et les anesthésiologistes. Ils peuvent partir et ils partiront. Rien ne les retient ici.

Vous ne le verrez peut-être pas au cours des deux prochaines années, mais ces personnes se tiennent à l’affût. J’étais au Koweït en septembre. J’y étais pour le collège royal, et Dubaï embauche actuellement du personnel. Un neurochirurgien est revenu de Dubaï et nous a dit : « Écoutez, les portes sont ouvertes. Nous pouvons gagner de l’argent exempt d’impôt dans ces pays-là. » Nous ne parlons pas de traverser la frontière ici, nous parlons à l’échelle mondiale. Nous serons d’abord frappés par ces départs, ou ce sera les salles d’opération parce que les anesthésiologistes cesseront de travailler et quitteront la province, et ce sera la même chose avec les urgentologues.

La sénatrice Marshall : Lorsque nous étions au Manitoba et en Saskatchewan il y a deux semaines, les médecins de l’endroit disaient que 50 p. 100 d’entre eux étaient nés à l’étranger, ce qui signifie qu’ils sont très mobiles. Ils pourraient déménager au sud de la frontière ou dans un autre pays.

Docteur Singh, dans votre présentation liminaire, vous avez parlé du nombre de Néo-Brunswickois qui n’ont pas de médecin de famille, 50 000. Quelle est la proportion de Néo-Brunswickois qui ont un médecin de famille?

Dr Singh : La population de la province est d’environ 700 000 personnes. Si on parle de 50 000 personnes, environ 8 p. 100 de la population n’a pas de médecin de famille.

Une chose que je veux ajouter, c’est que la province éprouve des problèmes importants au chapitre du recrutement et du maintien en poste. Ces mesures fiscales auront une incidence sur les praticiens à toutes les étapes de leur pratique, particulièrement les médecins qui sont en début de carrière et que nous avons déjà de la difficulté à recruter.

La sénatrice Marshall : Les médecins ont dû s’adapter à nombre de changements et ils affirment toujours qu’ils ont l’option d’aller dans une autre province ou dans un autre pays. Ils finissent souvent par s’adapter aux changements auxquels ils font face. Croyez-vous que la majorité des médecins s’adapteront aux modifications apportées aux règles fiscales ou croyez-vous qu’une proportion importante ira vraiment dans une autre administration ou diminueront leurs heures de travail? Les deux éventualités auront une incidence sur les soins de santé.

Dr Singh : C’est une excellente question, merci de la poser.

Lorsque nous avons réalisé notre sondage, deux tiers des médecins ont affirmé qu’ils réduiront leurs heures de travail. La moitié d’entre eux ont dit qu’ils déménageraient. La réduction des heures de travail aura une incidence importante sur les soins aux patients dans la province. Cela augmentera les temps d’attente dans les salles d’urgence et pour les interventions chirurgicales ainsi que le délai pour une consultation avec un médecin de famille; tous ces éléments auront des répercussions sur les soins aux patients dans la province.

La population est vieillissante, et nombre de problèmes médicaux exigent plus de temps avec le patient dans le bureau du médecin. Je vais vous donner un exemple. Il y a beaucoup de petites collectivités et de petits hôpitaux dans la province. Je vais vous donner le nombre minimal, non pas le nombre maximal. Supposons qu’un médecin de famille, dans une collectivité où il y en a 20, réduit ses heures de travail d’une demi-heure par jour. En une demi-heure, un médecin de famille voit au moins 2 patients, alors en une journée, on reçoit 40 patients de moins dans cette collectivité. Des 40 patients, disons maintenant que 25 se retrouvent à l’urgence cette journée-là.

Tout d’abord, on voit moins de patients, et plus de patients vont à l’urgence, alors les temps d’attente dans les salles d’urgence vont augmenter. Cette situation ira en empirant.

La sénatrice Marshall : Est-ce que l’âge moyen des médecins augmente également? S’agit-il d’une main-d’œuvre jeune ou âgée?

Dre Forgeron : Notre directeur médical a calculé les chiffres du dernier exercice pour notre région, qui fait partie des plus grandes. Il a affirmé que toutes les conditions sont réunies pour que l’on assiste à un véritable tsunami au moment de la retraite. Dans mon exposé, j’ai mentionné que, dans cette région, qui englobe tout le territoire qui s’étend de Sussex à St. Stephen, un grand nombre des médecins de cette région — 30 p. 100 des médecins de famille — sont âgés de plus de 60 ans et 23 p. 100 des spécialistes ont atteint l’âge de la retraite.

Je vais vous donner un exemple. J’ai rencontré deux députés provinciaux dans leur localité afin de leur parler de la situation dans le comté de Charlotte, cet été. Ce comté est une petite collectivité située à la frontière de Calais, au Maine. Huit de ses médecins de famille ont atteint l’âge de la retraite. Nous n’avons pas été en mesure de recruter, et je ne vois aucun recrutement prévisible dans l’avenir, et c’est pourquoi je me suis adressée à ces députés provinciaux. Ce problème rural particulier se retrouve dans toutes les régions de la province, en vérité. Notre population est vieillissante, et nos médecins vieillissent également.

La sénatrice Eaton : J’ai trois questions rapides à poser. Docteur Singh, vous représentez 1 700 praticiens. Idéalement, combien de médecins devrait-il y avoir au Nouveau-Brunswick?

Dr Singh : Actuellement, de 85 à 90 postes de médecins sont vacants.

La sénatrice Eaton : Ainsi, vous feriez passer ce nombre à 1 800 praticiens?

Dr Singh : Je pourrai fournir ces données plus tard, mais j’affirme que, malgré les postes de médecin vacants, il est très difficile de recruter dans la province. Cette mesure fiscale ne facilitera pas le recrutement. En fait, elle aura l’effet contraire.

La sénatrice Eaton : Nous avons écouté pas mal de témoignages de gens du milieu médical, que ce soit à Ottawa, dans l’Ouest, ou ici. Quand nous avons posé la question, la plupart d’entre eux se considéraient comme des propriétaires de petites entreprises ou des citoyens de la classe moyenne. Si vous écoutez le gouvernement, il estime que la fermeture de ces échappatoires profitera à la classe moyenne. Considérez-vous que vous appartenez à la classe moyenne? Estimez-vous que votre revenu en est un de citoyen de la classe moyenne, ou bien que vous représentez cette classe?

Dre Forgeron : La réponse courte, c’est que je ne fais pas partie du 1 p. 100. Si vous regardiez mon revenu brut par rapport au net, vous verriez qu’il est extraordinairement différent. Ce que le gouvernement n’a pas compris, c’est qu’il s’en prend à ceux qui travaillent le plus. Ce sont les professionnels de la santé âgés entre 45 et 55 ans. Vous allez influer sur la façon dont les stagiaires décident d’exercer. Quelle personne saine d’esprit irait en médecine et sacrifierait toutes ces années pour être de garde loin de sa famille et être pénalisée par un régime fiscal parce qu’elle fait de longues heures de travail? Cependant, ces personnes vont probablement s’adapter. La réforme influera sur la façon dont les gens exercent dans l’avenir. Attendons simplement de voir si nous pouvons amener des gens à faire de l’obstétrique ou d’autres tâches extrêmement lourdes, comme la chirurgie orthopédique.

Vous avez devant vous l’une des membres du groupe de professionnels de la santé qui travaillent le plus, soit ceux âgés entre 45 et 55 ans. Je travaille depuis que je suis jeune fille. J’ai continué de le faire et j’ai terminé mes études universitaires. J’essaie d’amener deux de mes enfants — et bientôt un autre — à terminer leurs études universitaires en fonction d’un système. Mon comptable et les experts en fiscalité que je consulte me disent maintenant que je devrai travailler au moins 10 ans de plus pour pouvoir prendre ma retraite. Même si je le fais, je pourrais n’avoir assez d’argent que pour me rendre à 82 ans. Mes parents ont pris leur retraite à 53 et à 57 ans et ont bénéficié d’une pleine pension, et mon père était un homme intelligent. Savez-vous ce qu’il m’a dit quand j’envisageais de m’inscrire à la faculté de médecine? Il a dit : « Tu es folle, car tu ne pourras pas combler cet écart. »

Pour ce qui est des personnes qui prennent leur retraite, il est certain que leurs droits acquis seront protégés, mais pouvez-vous imaginer évoluer, grâce à la clause des droits acquis, dans un régime de retraite où vous aviez prévu fractionner votre revenu avec votre conjoint, comme dans le cas de tout autre régime de pension au pays? Si vous avez un régime de pension, actuellement, vous pouvez fractionner votre revenu avec des membres de votre famille ou votre conjoint. Nous connaissons ces règles matrimoniales. Dans cette situation particulière, les médecins ne se sont pas rendu compte du fait qu’au titre des règles qu’on tente d’imposer, vous ne pourrez pas fractionner votre revenu avec votre conjoint. C’est un énorme problème. Non seulement on pénalise les professionnels de la santé de façon générale, mais on pénalise aussi ceux qui travaillent le plus. Vous m’aurez forcée à me tourner vers un autre pays et à quitter ma famille pendant deux ans pour combler l’écart afin de pouvoir prendre ma retraite. C’est honteux.

La sénatrice Eaton : Ainsi, vous considérez vraiment que vous ne faites pas partie du 1 p. 100?

Dre Forgeron : Pas actuellement, non.

La sénatrice Eaton : Docteure Manning, vous nous avez présenté une analyse très intéressante dans votre annexe. Pourriez-vous nous l’expliquer?

Dre Manning : Je le pourrais certainement. Mon père voulait que nous soyons tous des professionnels. Je voulais être enseignante. Il ne pensait pas que nous devrions exercer cette profession parce que les enseignants doivent travailler auprès des enfants et qu’ils ne sont pas leur propre patron. Mon père croyait fermement qu’il était important d’être son propre patron. Alors, je voulais savoir.

La sénatrice Eaton : Avant que vous commenciez, vous considérez-vous comme faisant partie du 1 p. 100?

Dre Manning : Absolument pas. Non, je suis de la classe moyenne.

J’ai demandé à mes planificateurs financiers où j’en serais si j’étais une femme ayant mon niveau d’instruction qui bénéficie d’une pension et de prestations de congé de maternité. Je me dis que j’ai une longueur d’avance, car mon père m’a toujours dit que j’en aurais une si j’étais ma propre patronne. J’avais mes doutes. Je sais que ce n’est pas tout le monde qui a cinq enfants. Nous avons eu des jumeaux en dernier, ce qui a en quelque sorte augmenté le nombre d’enfants que nous avons. Alors, je voulais procéder à une analyse minutieuse pour voir. Ma sœur, qui a une pension, estime qu’elle accuse du retard, mais je lui ai dit : « Non, je pense que tu as une bonne avance sur moi. » Nous avons donc conçu ce petit scénario. Je pense qu’il s’agissait d’un étudiant en gestion des affaires qui avait obtenu son diplôme après six ans d’université et qui avait une dette de 120 000 $, et ma dette s’élevait à 200 000 $. La plupart des diplômés actuels ont une dette de 300 000 $.

Une partie de ce scénario est plus complexe que je ne puis l’expliquer, et c’est pourquoi j’ai recours à des comptables en fiscalité et à des planificateurs financiers, car je suis dentiste et je répare des dents toute la journée. Alors, l’essentiel c’est que, quand on arrive à l’épargne, le propriétaire a économisé 1 million de dollars, et la personne salariée, 2 millions de dollars. Le total des actifs est extrêmement différent, car mes actifs se limitent à ma pratique dentaire, et les siens correspondent à son régime de pension.

La sénatrice Eaton : Mais, pouvez-vous vendre votre pratique dentaire?

Dre Manning : Je le peux. Mon cas est différent de celui d’un médecin, et mes frères et sœurs qui exercent cette profession me le rappellent tout le temps.

La sénatrice Eaton : Mais, vous commencez avec une dette bien plus élevée, toutefois.

Dre Manning : J’ai dû débourser 500 000 $ pour démarrer au lieu du 100 000 $ qu’il en coûte aux médecins. Je sous-estime peut-être le montant qu’il leur faut pour établir une pratique. Toutefois, j’ai dû engager des coûts technologiques beaucoup plus élevés pour démarrer une pratique dentaire.

Mon capital sera épuisé à 70 ans. La personne salariée aura sa pension jusqu’à sa mort et au-delà. Le total des impôts payés pendant que nous travaillons est très semblable, en fait. Il ne s’agit que d’un écart de moins de 300 000 $. Ensuite, l’analyse explique pourquoi je serais désavantagée par le fait de commencer avec une dette plus élevée et d’avoir à acheter la pratique dentaire et à la rembourser. Les cotisations de l’employé par rapport à celles de l’employeur versées dans des instruments d’épargne... Je suis la seule personne qui peut y déposer de l’argent pour moi-même. Si je me verse des dividendes plutôt qu’un salaire, je n’ai pas droit au RPC. Si je me verse un salaire, j’obtiens certaines prestations du RPC, mais ce n’était pas ce que j’avais prévu en structurant mes finances.

Une dentiste n’a aucune prestation de maternité. Alors, pour cette raison, les hommes qui ont obtenu leur diplôme en même temps que moi ont environ 10 ans d’avance sur moi au chapitre de leur épargne, car j’ai eu des responsabilités liées à mes enfants. J’ai arrêté de travailler pendant un certain temps. Mes congés de maternité ont été courts. J’ai travaillé à temps partiel. J’ai pu travailler en fonction de différentes structures afin de garder la main, car la dentisterie, c’est très manuel, et on ne veut pas que son dentiste prenne 10 ans de congé pour avoir des enfants et ensuite revenir. J’ai eu la grande chance que mon époux s’occupe beaucoup de nos enfants, lui aussi, et cela a fonctionné pour nous.

Le sénateur Pratte : J’ai deux ou trois questions à poser.

Premièrement, comme certains d’entre vous l’ont mentionné, des modifications ont été apportées aux propositions initiales. J’ai l’impression que les modifications ne changent pas vraiment votre point de vue sur l’ensemble de dispositions, mais je voudrais tout de même que vous soyez plus clairs, surtout concernant la proposition relative au revenu passif, car la modification annoncée par le ministre était importante. Je voudrais savoir si ce seuil de 50 000 $ change quoi que ce soit. Sinon, depuis que le ministre a annoncé qu’il avait l’intention d’aller de l’avant, est-ce que je comprends que vous voudriez tous les trois que la réforme entière soit mise de côté, ou bien y a-t-il d’autres solutions de rechange qui seraient préférables, par exemple, fixer un seuil plus élevé pour le revenu passif, ou toute autre modification?

Dr Singh : Merci de poser la question. Les modifications apportées à la proposition initiale ont été annoncées le 16 octobre, soit après la période de consultation. Tout d’abord, je ne suis pas certain de la mesure dans laquelle les milliers et milliers d’avis présentés durant la période de consultation ont pu être analysés en 10 jours ouvrables. Voilà une préoccupation.

Nous croyons encore que cette limite de 50 000 $ n’est pas suffisante. En tant que société, nous croyons en une réforme fiscale vaste et complète qu’on effectuerait en prolongeant la période de consultation, en abandonnant complètement la proposition initiale et en appuyant sur le bouton de réinitialisation afin qu’une vaste réforme puisse être lancée efficacement.

Dre Forgeron : En ce qui concerne l’investissement du revenu passif et les modifications apportées par le gouvernement, je serais d’accord pour dire que nous ne savons pas tout à fait ce qu’elles signifient. Il n’y a pas vraiment eu d’analyse des incidences que cela aurait sur nous, parce que, quand je parle avec mon comptable et mes experts en fiscalité, ils n’en sont pas tout à fait certains. Je crois que vous allez entendre, plus tard, le témoignage de certains experts en fiscalité au sujet des conséquences de ces modifications pour les différents types de particuliers. D’un point de vue personnel, je peux vous dire qu’encore une fois — si on revient aux professionnels de la santé âgés entre 45 et 55 ans, ceux qui travaillent le plus —, ces modifications ne sont pas utiles parce que nous augmentons nos activités afin de tenter d’épargner en vue de notre retraite. Nous payons encore les études universitaires de nos enfants. Nous sommes encore en train d’essayer, dans certains cas, de rembourser notre dette. Il est question non seulement de la somme qu’on a le droit de mettre de côté, mais aussi, essentiellement, de ce qui arrivera au moment où nous voudrons prendre notre retraite et retirer cet argent de notre société, à 75 ans, à 82 ans ou peu importe à quel âge. L’argent va tout de même être imposé à un pourcentage assez élevé, et il a déjà été imposé quand il était dans la société. Cette information vient de mes experts en fiscalité, et vous pouvez leur en parler.

Quand je regarde ma situation personnelle, j’ai pris des décisions fondées sur les règles précédentes. Ainsi, j’ai une fiducie familiale que j’ai prévu utiliser pour financer les études universitaires de mes enfants. Quand j’ai commencé à exercer, je n’avais aucun argent à investir dans un fonds d’étude ou de retraite, car j’ai payé mes propres études pendant de nombreuses années, soit de 10 à 14 ans après les avoir terminées. Maintenant que le gouvernement change les règles du jeu, ce que j’avais organisé pour moi-même à 50 ans ne me permettra pas de compenser ces modifications afin de prendre ma retraite à un âge décent. Cela n’arrivera pas. Mes experts en fiscalité me disent que, même si ces modifications sont apportées, je vais devoir travailler pendant 10 ans de plus. C’est extraordinairement effrayant! J’en perds le sommeil. Voilà pourquoi j’envisage de déménager dans un autre pays, afin que je puisse travailler pendant deux ou trois ans et toucher l’argent dont j’ai besoin pour prendre ma retraite, et peut-être revenir et avoir une retraite décente.

Alors, ce qui se passera, c’est qu’à partir du 1er janvier 2018, d’un simple coup de crayon, ces modifications vont toucher directement ceux qui travaillent le plus — les professionnels âgés entre 45 et 55 ans —, parce qu’ils ont déjà établi un plan pour gagner leur argent d’une certaine manière. Alors, s’il doit y avoir une réforme, elle doit être graduelle, car il m’est absolument impossible de compenser cette somme. Personne de mon âge ne pourra compenser cette somme dans ce délai.

Dre Manning : Je me fais l’écho des propos de la Dre Forgeron. J’estime être actuellement dans mes années de la LNH, et je fais tout ce que je peux pour mettre de l’argent de côté. Par ailleurs, 50 000 $ par année, à ce stade… je sais que cette somme peut sembler très importante pour bien des personnes, mais, quand on n’a rien dans son compte d’épargne et qu’on planifie sur 10 ans afin de commencer à épargner, cette somme n’est tout simplement pas adéquate parce qu’on doit rembourser ses dettes et payer les dépenses familiales et l’école des enfants. J’ai effectué cette planification pour certaines raisons, mais j’envisage les choses à long terme. Je ne suis pas un gouvernement qui change tous les quatre ans et qui modifie sa stratégie à la même fréquence. J’avais prévu avoir des enfants. J’avais prévu établir une pratique. J’ai acheté ma première pratique à 39 ans, après avoir travaillé dans diverses situations. C’est la période où j’ai prévu gagner de l’argent pour ma retraite, et je dois vraiment travailler très dur. L’argent ne pousse pas dans les arbres. Je dois mettre mes mains dans la bouche d’une personne et réparer une dent pour en gagner. C’est un dur labeur, et je dois travailler d’arrache-pied pour gagner cet argent.

Le sénateur Pratte : J’ai aussi un commentaire à formuler, et vous pourrez le commenter.

Je remarque que beaucoup des comparaisons qui ont été faites par nos témoins aujourd’hui et par un grand nombre des personnes qui ont comparu devant nous auparavant sont effectuées entre le propriétaire d’entreprise et la personne salariée. Le salarié dont nous parlons bénéficie toujours d’une belle pension, d’un régime d’avantages sociaux défini ou de quoi que ce soit d’autre. Une très petite portion de Canadiens jouit de ces belles pensions. Il s’agit habituellement d’employés gouvernementaux ou syndiqués, mais c’est une très petite proportion des Canadiens. La plupart n’ont pas accès à ce genre de pension.

Dre Manning : Avez-vous un chiffre quant au nombre de personnes qui en bénéficient? Je pense que, si nous devons parler de chiffres, nous devons le faire pour vrai.

Le sénateur Pratte : Je sais que c’est une petite contribution. Les employés gouvernementaux sont une petite partie.

Dre Manning : Je ne parle pas des employés gouvernementaux.

Le sénateur Pratte : Les employés syndiqués comptent pour environ 25 p. 100 de ceux du secteur privé. Je ne minimise pas le problème; j’affirme tout simplement que c’est une petite proportion des Canadiens.

Dre Manning : Nous devons voir les chiffres, si nous devons parler de chiffres.

Le sénateur Pratte : D’accord. Bien. Merci.

Le président : Docteure Manning, le chiffre qu’on nous donne, c’est environ 30 p. 100 dans l’ensemble du Canada.

Dre Manning : Trente pour cent bénéficient d’une certaine forme de régime de pension?

Le président : Oui.

Dre Manning : Et tous les autres comptent sur leur propre épargne-retraite, sur des REER ou ne touchent que les prestations du RPC?

Le président : Oui. C’est exact.

Dre Manning : D’accord.

Le président : C’est le nombre qu’on nous a donné.

Le président cédera la parole au sénateur Neufeld, qui sera suivi du sénateur Oh.

Le sénateur Neufeld : Merci à vous trois de vos exposés. Ils ressemblent pas mal à ce que nous avons entendu partout au Canada. Ils sont peut-être formulés dans des termes différents, mais le message que nous avons reçu, que ce soit à Vancouver, à Saskatoon, à Calgary, à Halifax ou à Ottawa, est pas mal le même. Vous dites exactement ce qu’affirment beaucoup d’autres gens au Canada. J’ai seulement deux ou trois questions à poser.

Docteur Singh, quand vous dites que 70 p. 100 des médecins du Nouveau-Brunswick sont des propriétaires de petites entreprises — pas des employés salariés —, les autres 30 p. 100 sont-ils tous salariés, ou bien quelle est leur situation?

Dr Singh : Quand je dis « environ 70 », je parle de 70 p. 100 qui sont rémunérés à l’acte.

Le sénateur Neufeld : J’ai saisi cela. Je comprends cela.

Dr Singh : Les derniers 30 p. 100 sont des employés salariés.

Le sénateur Neufeld : Ils sont salariés?

Dr Singh : Ils reçoivent un salaire. Ainsi, 70 p. 100 des médecins sont rémunérés à l’acte, et le reste est salarié. Certains d’entre eux sont rémunérés selon un modèle de financement à l’acte, mais ils touchent également des paiements.

Le sénateur Neufeld : C’est donc 30 p. 100 qui sont salariés et qui touchent des pensions et ce genre d’avantages sociaux, des prestations de maladie?

Dr Singh : Exact; ils ont des congés de maladie et des congés de maternité.

Le sénateur Neufeld : Quand nous étions à Halifax, les gens nous ont dit que 75 p. 100 des médecins rémunérés à l’acte en Nouvelle-Écosse sont constitués en société. Quel serait le pourcentage au Nouveau-Brunswick?

Dre Forgeron : Je dirais près de ce nombre, car les médecins rémunérés à l’acte dans cette province sont constitués en société. Au Nouveau-Brunswick — et j’ai vérifié cette information auprès de notre ordre des médecins local —, les médecins ont la capacité de se constituer en société depuis les années 1980. Ainsi, la majorité des médecins qui sont rémunérés à l’acte sont constitués en société. Cette situation est semblable à celle de la Nouvelle-Écosse : 70 p. 100, plus ou moins.

Le sénateur Neufeld : A-t-on donné aux médecins du Nouveau-Brunswick le droit de se constituer en société dans les années 1980 dans le but de majorer leur salaire au lieu de…

Dre Forgeron : C’est un peu différent. Je ne connais pas très bien la situation de l’Ontario, mais, quand j’ai parlé avec le directeur de notre ordre des médecins — et je lui ai parlé avant de me préparer à comparaître devant le comité —, c’était dans les années 1980, et je pense que l’Alberta était la seule autre province à avoir permis la constitution en société de façon précoce. La capacité de se constituer en société ne faisait pas partie des négociations relatives au paiement à l’acte, mais c’était un moyen de reconnaître le fait que les médecins sont des propriétaires de petites entreprises et courent des risques, paient des coûts indirects et je ne sais quoi, de sorte qu’ils se sont constitués en société, et ce mécanisme a permis aux gens d’épargner en vue de leur retraite, de leur congé de maternité, de leur congé de maladie et de leurs vacances, car cet outil leur était offert. Il l’est depuis les années 1980. Pour les médecins du Nouveau-Brunswick, c’était la norme que de se constituer en société, et ce l’est toujours.

Le sénateur Neufeld : Alors, c’est différent de ce qui a eu lieu en Nouvelle-Écosse?

Dre Forgeron : Je crois savoir que ça l’est, car nous nous constituons en société depuis les années 1980. Toute négociation relative au paiement à l’acte qui a lieu à l’échelon de la Société médicale du Nouveau-Brunswick est indépendante de cette structure touchant la constitution en société; nous reconnaissons toutefois que, la prochaine fois que nous retournerons négocier, ce sera une autre histoire, car nous, en tant que médecins, reconnaissons que les autres provinces et territoires chercheront à augmenter les honoraires. Nous avons déjà parlé à un certain nombre de députés provinciaux et écrit à notre premier ministre provincial pour leur dire que les médecins de la province comprennent que le gouvernement n’a pas les capitaux nécessaires pour consacrer plus d’argent au salaire des médecins et que nos infrastructures hospitalières sont défaillantes. Toute modification des honoraires touchera la province, et c’est une préoccupation réelle, parce que le Nouveau-Brunswick n’a pas les ressources pour davantage payer les médecins.

Le sénateur Neufeld : Vous avez anticipé ma prochaine question. Merci d’y avoir répondu à l’avance. Je pense que ce sera un énorme problème. Je viens de la Colombie-Britannique rurale, loin dans le Nord, où la pénurie et le recrutement de médecins posent problème, et cela me dérange vraiment quand notre gouvernement fédéral cible des professionnels comme vous-mêmes et affirme que vous gagnez trop d’argent et que nous devons modifier le régime fiscal juste pour vous, et choisir soigneusement quelques personnes seulement. À mes yeux, c’est vraiment injuste. Je sais ce que c’est que de ne pas avoir de médecin de famille. Mes enfants le savent aussi.

Tout ce qui touche les médecins ou les professionnels m’inquiète beaucoup. Merci d’avoir répondu à ces questions.

Le sénateur Oh : Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre présence.

Vous êtes des professionnels; vous faites probablement partie des professionnels les plus respectés. Je respecte mon médecin. J’ai un petit problème. J’ai mon médecin personnel depuis de nombreuses années. Elle pourrait prendre sa retraite avant moi. Vous avez fait des études et travaillé dur pendant de nombreuses années.

Les médecins ont prévu financer les études universitaires de leurs enfants grâce au fractionnement du revenu de dividendes versés dans une fiducie familiale. Il s’agit d’une stratégie entièrement légale qui a été utilisée par d’innombrables personnes au cours des dernières décennies. Vous l’avez probablement tous fait. Vous n’aimez pas vous faire traiter de fraudeurs fiscaux par le ministre des Finances parce que vous respectez le régime fiscal actuel. Vous n’aimez pas être décrits comme des criminels ou comme des personnes qui abusent du système, en particulier par un ministre des Finances qui a fait exactement la même chose à bien plus grande échelle.

Voudriez-vous dire au comité ce qui, selon vous, contribuerait probablement à changer le régime fiscal?

Dre Manning : Je pense que le terme échappatoires fiscales, qu’on a utilisé au moment d’annoncer cette réforme, quand on a décrit les pratiques des petites entreprises, est très péjoratif, alors que nous respections la loi fiscale, laquelle est très complexe. La loi sur l’impôt des sociétés est devenue lourde au point qu’il est impossible pour moi de faire ma déclaration sans l’aide d’un professionnel. Ma spécialité, c’est la dentisterie, et je pense que la plupart des professionnels ont mis en place des structures complexes pour les aider à maximiser la rentabilité de leur entreprise, tout en contribuant au régime fiscal, qui est équitable.

M. Morneau faisait probablement la même chose avec l’argent de son entreprise. Je pense tout simplement que c’est injuste de me traiter de fraudeuse fiscale, alors que je tente d’être une personne en qui mes patients ont confiance et à qui ils s’adressent pour obtenir leurs soins dentaires, en espérant que mes prix soient raisonnables. Je suis dans une situation différente de celle d’un médecin, du fait que mes patients doivent ouvrir leur portefeuille afin de payer pour mes interventions, et ils sont vraiment convaincus que je ne fais pas les choses de façon inappropriée. Quand ma situation est décrite de la manière dont elle l’a été, c’est-à-dire que j’utilise peut-être mon entreprise et ma société pour éviter, je ne sais trop comment, de payer mes impôts, c’est vraiment insultant pour moi. J’ai trouvé cela très difficile à expliquer à mes patients sans m’emporter. Je suis une personne très passionnée, et j’ai pris très personnellement le fait que j’allais maintenant devoir m’expliquer auprès de mes patients.

Dre Forgeron : Je dois dire qu’étant fière d’être Canadienne et Néo-Brunswickoise, le processus dans son ensemble m’a vraiment attristée. J’ai travaillé extrêmement dur, puisque je viens du Nouveau-Brunswick rural. D’aucuns pourraient formuler l’argument suivant : « Le ministre a-t-il employé le terme “fraudeur fiscal”? » Probablement pas. Mais, la politique étant ce qu’elle est le public a eu l’impression que nous ne payions pas notre juste part. Il s’agit là de commentaires. Comme dans l’exemple que j’ai donné, un chirurgien orthopédique récemment diplômé s’est fait dire par une patiente à qui il refusait une intervention chirurgicale, car elle n’aurait pas corrigé son problème particulier : « Vous n’êtes qu’un fraudeur fiscal et un menteur! » Les paroles sont des paroles. Les impressions sont des impressions. Le gouvernement a affirmé que nous ne payions pas notre juste part et que nous avions recours à des échappatoires et à des fraudes fiscales, et c’est ce dont les gens ont l’impression.

Cela dit, je pense que la plupart de mes patients me connaissent en tant que médecin et que les patients aiment bien leur médecin; je n’ai reçu rien que du soutien. Est-ce que je parle de politique? Pas avant maintenant. C’est extrêmement douloureux quand vous êtes un Canadien et que votre propre gouvernement vous a décrit de la manière particulière dont il l’a fait. En conséquence, je n’ai plus envie d’être loyale, et cela me fait penser que je vais aller m’occuper de moi et de ma famille ailleurs.

Dr Singh : Sénateur, par l’intermédiaire du comité, je vais dire ceci aux décideurs du milieu de la santé : ne mesurez pas les soins de santé en dollars et en cents. Quand le patient se tient devant nous, nous réfléchissons à la façon dont nous pouvons poser un diagnostic et lui fournir le meilleur traitement de qualité qui lui convient. Nous ne pensons pas à des dollars et à des cents. Je vous prie de ne pas punir des médecins vaillants ou des petites entreprises. Ne punissez pas le système de soins de santé.

Le sénateur Oh : Mon dentiste est un très bon ami, et il me dit toujours : « Victor, tout le monde a un grand lieu de travail, le mien, c’est le plus petit, seulement 6 pouces carrés ». Combien d’heures travaillez-vous tous chaque jour? Pouvez-vous le dire au comité?

Dr Singh : J’exerce à Campbellton, et je suis le seul urologue là-bas. Je suis le seul pour environ 40 000, 50 000 ou 60 000 personnes. Je suis donc sur appel presque chaque jour si je suis en ville. Si je ne suis pas sur appel, il n’y a personne d’autre.

Le président : La question, c’était combien d’heures, s’il vous plaît?

Dr Singh : Je dirais que je pratique presque neuf ou dix heures par jour.

Le président : Docteure Forgeron?

Dre Forgeron : En moyenne, je travaille environ 12 heures par jour et je m’occupe de la paperasse la fin de semaine.

Le président : Docteure Manning?

Dre Manning : Je travaille quatre jours par semaine, soit 32 heures.

Le président : La présidence donne la parole à la sénatrice Cools.

La sénatrice Cools : Je tiens à vous remercier tous les trois de vos témoignages surprenants et de votre esprit clair. Vous êtes très lucides, et on voit que vous avez réfléchi longuement à ces questions et, aussi, qu’elles vous touchent profondément. Je sais très bien que les médecins, dans l’ensemble, sont ceux dont la formation dure le plus longtemps avant qu’ils puissent être considérés comme des professionnels à part entière. Vos témoignages aujourd’hui ont montré au comité — et je crois que nous devrions en parler, monsieur le président —, que les enjeux dont nous sommes saisis ne se limitent pas aux propositions relatives à l’impôt sur le revenu, parce que ces propositions fiscales ont une incidence sur le système de santé.

Lorsque nous siégerons, plus tard, pour discuter de tout ça, je crois que nous devrions envisager d’inviter la ministre fédérale de la Santé à comparaître. Ce dossier est plus vaste que je ne le pensais, et la question des soins de santé en tant que telle est assez importante. Je peux vous dire que je ferai tout en mon pouvoir pour élargir la portée de l’étude actuelle afin que nous puissions nous faire une bonne idée de ce qui se passe dans l’ensemble du système de santé. La question ne se limite pas à la vie personnelle des médecins et à leurs investissements privés. C’est beaucoup plus important que ces simples propositions liées à l’impôt sur le revenu; le dossier fait intervenir toute la société et influe sur l’avenir des soins de santé au Canada. Je vous remercie d’être venus témoigner devant nous.

Dre Forgeron : Puis-je formuler un commentaire à ce sujet?

La sénatrice Cools : Absolument.

Dre Forgeron : Au tout début, comme vous le savez, beaucoup de choses ont été dites dans la région. Je parlais à nos députés locaux de la façon dont les changements et la réforme fiscale allaient refléter la façon dont les soins de santé sont financés au Canada et ce qu’ils n’ont pas pris en considération.

Nous fournissons l’infrastructure. J’ai demandé aux députés fédéraux et provinciaux s’ils étaient prêts à installer de l’équipement ophtalmologique dans tous les bureaux. Un ophtalmologiste doit débourser au moins 700 000 $ pour équiper son bureau. Peuvent-ils installer cette infrastructure dans chaque bureau? Peuvent-ils fournir des pensions et payer des heures supplémentaires à tous les médecins? Absolument pas. On paralyserait le système de santé du jour au lendemain.

Je tiens à dire quelque chose au sujet des médecins qui ont témoigné devant le comité. J’ai lu leur témoignage et, en fait, je les ai écoutés. Je connais les quatre personnes qui ont parlé de la réforme fiscale dans la province. Si vous écoutez bien leurs témoignages, ils n’avaient rien à voir avec la réforme fiscale. Ils parlaient plutôt d’un système qui a échoué. Ces personnes comprennent que le système a échoué et ils comprennent qu’on fait fi de certains déterminants sociaux de la santé au pays. On ne s’attaquera pas à ces déterminants sociaux de la santé par des mesures fiscales. Vous devez réfléchir à la réforme du système de santé, c’est très important.

Le président : Pour la deuxième série, je permettrai à chaque sénateur de poser une question.

La sénatrice Marshall : Docteure Manning, je vais tout réunir dans ma question. Pouvez-vous nous donner une idée du domaine de la dentisterie et des dentistes, du nombre de dentistes, et nous dire s’il y a une pénurie? La couverture est-elle adéquate ou inadéquate? Qu’est-ce qui se passe actuellement au Nouveau-Brunswick en ce qui concerne les soins dentaires?

Dre Manning : Au sein du Nouveau-Brunswick, je crois qu’il y a 270 dentistes, près de 300. Nous avons de la difficulté à garder des dentistes dans les zones rurales. Nous fournissons des services à des gens de milieux et d’horizons divers. Il y a des personnes qui n’ont pas d’assurance dentaire. Nous fournissons des soins à des personnes qui n’ont pas d’assurance et nous fournissons des programmes sociaux de pair avec la province pour les enfants issus de milieux défavorisés et les personnes sur l’aide sociale.

Pour ce qui est des dentistes eux-mêmes, leur pratique reflète les différentes composantes du bassin de patients. Je ne dirais pas qu’il y a une pénurie de dentistes, à part dire qu’il y a une pénurie de dentistes en régions rurales et qu’on essaie de garder les gens dans les collectivités sur le déclin.

Le sénateur Pratte : Monsieur le président, selon les dernières données produites par Statistique Canada, le pourcentage de Canadiens qui ont un régime de pensions, qu’il soit public ou privé, s’élevait à 38 p. 100 en 2015.

Les médecins ont mentionné que certains d’entre eux allaient partir pour d’autres pays et aussi que certains devaient peut-être quitter le Nouveau-Brunswick pour d’autres provinces si on va de l’avant avec les réformes. J’ai de la difficulté à comprendre. J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi quelqu’un quitterait le Nouveau-Brunswick pour une autre province puisque c’est une proposition fédérale. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Dre Forgeron : Je peux vous en parler, parce que j’ai regardé la situation dans toutes les provinces. Par exemple, en Alberta, où le montant associé au taux d’imposition marginal est plus élevé, je crois qu’une personne peut gagner 303 000 $ là-bas avant d’atteindre le taux d’imposition le plus élevé, tandis que, ici, au Nouveau-Brunswick, c’est 200 000 ou 202 000 $ avant d’atteindre le taux marginal d’imposition le plus élevé. Alors pour cette simple raison, des personnes envisageront d’aller dans d’autres provinces.

Il faut aussi comprendre que, dans différentes provinces, le système de santé est plus ou moins difficile selon l’endroit où on se trouve. Est-ce que je déménagerais en Ontario actuellement? Absolument pas, vu tout ce qui se passe là-bas. Est-ce que j’ai réfléchi à l’Alberta? Absolument. Il y a un poste vacant en Saskatchewan et en Alberta dans ma spécialité, et mon salaire serait plus élevé que le salaire que je touche ici. De plus, mes frais généraux seraient payés.

Les médecins regardent ce qui se passe dans d’autres administrations. Dans la province du Nouveau-Brunswick, nous avons déjà de la difficulté à composer avec la situation actuelle. Malheureusement, d’autres provinces réussiront à attirer et recruter des médecins de notre province en raison de notre taux d’imposition marginal élevé et des changements qui ont été apportés au système fiscal. Par exemple, au Nouveau-Brunswick — je ne sais pas si vous le saviez —, pour moi, en tant que mère qui a trois enfants à l’université et un autre qui suivra, le gouvernement provincial a apporté des modifications aux frais de scolarité qui font en sorte que je ne peux plus bénéficier des mesures liées aux droits de scolarité de nos enfants ni de l’indemnité mensuelle pour les livres ni l’allocation de subsistance. Ça n’existe plus.

À l’échelon fédéral, il y a encore le crédit d’impôt pour les frais de scolarité, mais l’allocation mensuelle pour les étudiants n’existe plus. Si je déménage tout simplement dans une autre province comme l’Alberta, ma situation sera déjà beaucoup mieux parce que mon fardeau fiscal global sera inférieur.

Au Nouveau-Brunswick et au Canada atlantique, c’est ce à quoi les médecins réfléchissent, parce qu’il n’est pas possible de rester dans une province très imposée où les crédits d’impôt ont été retirés. Il faut essayer de chercher toutes les façons possibles d’économiser pour arriver et subvenir aux besoins de sa famille.

Le président : Pouvez-vous terminer, en 30 secondes, en nous disant ce que vous recommanderiez au comité?

Dr Singh : Les médecins du Nouveau-Brunswick adorent le Nouveau-Brunswick. Ils adorent le Canada. Ils veulent travailler ici. Nous savons aussi que notre population vieillit et que les gens auront de multiples problèmes de santé. La demande pour les soins de santé augmentera au fil du temps. Le système de santé est déjà sous pression. Étant donné les nombreux règlements, la paperasse et la réglementation des gouvernements provincial et fédéral auxquels les médecins ont été confrontés, cette mesure fiscale sera préjudiciable à l’avenir des soins de santé dans la province. Je vous demande, s’il vous plaît, de laisser tomber cette proposition et d’entreprendre une réforme fiscale globale et complète.

Dre Forgeron : Les membres du comité ont rencontré beaucoup de témoins d’un peu partout au pays; et vous avez accepté de nous écouter, et je vous en remercie. Mon principal souhait pour le comité, c’est, en fait, que vous preniez un peu de recul et que vous preniez le temps de réfléchir à tout ça. C’est vraiment le plus grand enjeu de la dernière décennie, au moins, un enjeu qui aura des répercussions importantes et majeures sur l’économie et les soins de santé au Canada. Il faut que le processus s’arrête ici, et le Sénat a la capacité de vraiment changer les choses de façon importante.

Dre Manning : Je suis d’accord : prendre un peu de recul et demander à une commission d’enquête parlementaire de réfléchir à la réforme fiscale serait très bénéfique pour les petites entreprises et notre système de santé et pour s’assurer que les professionnels actifs restent en Amérique du Nord.

Le président : Honorables sénateurs, nous en sommes à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons Mme Krista Ross, chef de la direction de la Chambre de commerce de Fredericton, M. David Duplisea, chef de la direction de la Chambre de commerce de la région de Saint John, M. Thomas Raffy, président-directeur général du Conseil économique du Nouveau-Brunswick, et Nancy Arseneau, 2e vice-présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Nouveau-Brunswick.

Le greffier m’informe que Mme Ross présentera sa déclaration en premier, suivie de M. Duplisea, de M. Raffy et de Mme Arseneau.

Krista Ross, chef de la direction, Chambre de commerce de Fredericton : Merci beaucoup, honorables sénateurs, de me donner l’occasion de vous parler ce matin au sujet d’un enjeu qui influera directement ou indirectement sur nos 960 membres.

Je peux dire sans hésitation que c’est le dossier qui a le plus préoccupé les membres au cours des 15 années que j’ai passées avec la Chambre de commerce de Fredericton. Nous sommes préoccupés par le fait que les communications du gouvernement ne semblent pas montrer que les responsables ont une compréhension nuancée des différences fondamentales entre les travailleurs autonomes et les employés. Les comparaisons incluses dans le document de travail initial ne comparent pas des pommes avec des pommes. Il faut évaluer le fardeau fiscal d’une personne de façon globale, en tenant compte de l’impôt des particuliers et de l’impôt des sociétés, le cas échéant. Les professionnels de la fiscalité nous disent que, dans le système actuel, leurs clients paient autant d’impôts qu’un employé et que la différence est simplement une question du moment où l’impôt est payé. Les propriétaires d’entreprises qui sont constituées en société n’ont pas la même situation fiscale et ne profitent pas des mêmes avantages qu’un employé et ils ne bénéficient pas non plus de la même sécurité du revenu. La tentative actuelle faite par le gouvernement pour rendre la situation « équitable » rate tout simplement la cible. Ce que le document de travail initial tentait de faire, c’était de rendre des situations exactement identiques alors qu’elles ne le sont clairement pas. Comme nous le savons tous, le gouvernement a essayé plusieurs fois de peaufiner ses propositions et ses messages.

Le plafond sur le revenu passif gagné de 50 000 $ est un bon exemple. C’est vrai que la plupart des petites entreprises n’atteindront pas le plafond, mais l’idée que le milieu des petites entreprises serait heureux que les réformes touchent seulement la première tranche de 3 p. 100 des sociétés est mal pensé. Les petites entreprises ont besoin des grandes entreprises qui sont leurs clients par l’intermédiaire de la chaîne d’approvisionnement. Les petites entreprises reconnaissent aussi l’importance des grandes entreprises comme moteur économique. L’économie va à son mieux lorsque tous les secteurs et toutes les strates du milieu des affaires roulent à plein régime. Les relations entre les différents secteurs et les différentes tailles d’entreprises sont symbiotiques et intégrées. À Fredericton, nous sommes connus comme la capitale des entreprises en démarrage du Canada, et bon nombre de ces nouvelles entreprises s’appuient sur des entreprises matures pour obtenir du financement de démarrage et en tant qu’adopteurs précoces des technologies novatrices. Voulons-nous étouffer le développement de l’écosystème?

Une de nos membres, Germaine Pataki-Thériault, possède Gallery 78, une petite galerie privée et elle a déclaré qu’elle ne s’attend pas à être directement touchée par les propositions, mais se rend compte que ses clients le seront et que ce type de dépenses discrétionnaires sont les premières à être abandonnées. Dans un même ordre d’idées, les organismes sans but lucratif et les organismes de bienfaisance sont craintifs et à juste titre. Pour qu’ils aient du financement, il faut que le milieu des affaires aille bien, et c’est l’une des raisons pour lesquelles notre vision organisationnelle parle de prospérité des collectivités grâce aux affaires.

Les propositions pourraient aussi nuire à l’économie de façon indétectable et insidieuse. Imaginez que vous êtes propriétaire d’une entreprise prospère et que vous êtes prêt à poursuivre votre croissance, à créer plus d’emplois et à soutenir davantage de petites entreprises de la chaîne d’approvisionnement. L’incertitude du milieu des affaires et de l’environnement fiscal est, à l’heure actuelle, tellement inquiétante, que les gens reportent des investissements, peut-être indéfiniment, ou cherchent d’autres administrations où investir. Peut-être que certains y réfléchiront deux fois plutôt qu’une à l’idée de s’approcher, même, du plafond établi. Assurer la croissance d’une entreprise n’est pas une tâche facile d’entrée de jeu. Certains se diront peut-être que le risque supplémentaire ne vaut pas la peine d’être couru. Et qu’en est-il des investisseurs de l’extérieur? Si les entreprises canadiennes sont nerveuses, je peux vous assurer que les investisseurs étrangers réfléchiront longuement à la question de savoir si c’est le meilleur environnement où investir leur argent.

Le Groupe de la Banque mondiale vient tout juste de publier son cinquième rapport annuel « Doing Business » sur la façon de mesurer la réglementation des affaires et la facilité de faire des affaires, et le Canada est arrivé au 18e rang. Cependant, en 2008, nous étions les huitièmes, et les types de propositions fiscales punitives proposées vont probablement nous faire perdre encore plus d’échelons.

Il reste une question importante : a-t-on réalisé une étude sur l’incidence économique des changements proposés? Le gouvernement a-t-il évalué le fardeau de conformité accru et les coûts financiers supplémentaires pour les petites entreprises? A-t-il évalué le coût accru et le fardeau administratif pour l’ARC? De quelle façon les changements proposés seront-ils gérés?

Dès le premier jour, lorsque le document de travail du gouvernement et l’ébauche du projet de loi ont été communiqués, des entreprises de partout au pays se sont senties attaquées par le gouvernement. Du langage offensant utilisé dans le document à l’attitude condescendante des représentants du gouvernement relativement aux préoccupations des entreprises, la confiance à l’égard du gouvernement fédéral s’est gravement effritée. Les propriétaires d’entreprise se sont fait dire que les outils mêmes fournis par le gouvernement fédéral pour encourager l’entrepreneuriat et la croissance étaient des échappatoires qu’il fallait éliminer. Les propriétaires d’entreprises ont l’impression que ce qui est sous-entendu, c’est qu’ils sont des fraudeurs. Entre-temps, des gens avaient organisé toute leur vie financière en fonction de ces règles. Je ne vois pas de quelle façon le gouvernement peut regagner la confiance perdue tant que les propositions ne seront pas totalement retirées de la table et qu’il ne recommencera pas un nouveau processus approprié.

Nous nous faisons l’écho de la Chambre de commerce du Canada et réclamons une commission d’enquête parlementaire. Des réformes précipitées sont le pire des scénarios pour toutes les parties. Pas plus tard qu’hier, le vérificateur général, Michael Ferguson, qui, en passant, vient aussi de Fredericton, comme moi, nous a appris que l’ARC réussit à peine actuellement à répondre au tiers des appels des Canadiens et prodigue des conseils erronés dans 30 p. 100 des cas. Cette situation est plus qu’alarmante, et maintenant, le gouvernement propose d’accroître la charge de travail des employés de l’ARC en rendant le code fiscal encore plus compliqué et en leur donnant une nouvelle responsabilité, soit de déterminer en quoi consiste la rémunération raisonnable des époux des propriétaires d’entreprises. Les propriétaires d’entreprises hésitent déjà de travailler en collaboration avec l’ARC ou à poser des questions et appréhendent déjà de le faire par crainte que la situation dégénère vu les changements proposés et le manque actuel de détails. À quel moment les entreprises vont-elles tout simplement lancer la serviette et décider que le jeu n’en vaut pas la chandelle et qu’il ne vaut plus la peine d’investir pour être travailleur autonome, ce qui, par conséquent, entraînera une suppression d’emplois.

En conclusion, à la lumière du code fiscal de plus en plus complexe, il est évident que les politiques fiscales sont devenues un outil politique, ce qu’elles ne devraient vraiment pas être. Si ce qui préoccupe le gouvernement, c’est vraiment l’équité, alors il faut avoir une conversation globale et procéder à un examen en ce sens. Il est impossible que plus de rafistolage et que le fait de trier sur le volet certains éléments de la politique fiscale soit la voie à suivre pour assurer l’équité. C’est un mécanisme simplement trop compliqué pour qu’on puisse procéder de manière fragmentaire. Par conséquent, mettons ces propositions en suspens et procédons à un examen complet de façon à nous assurer que les nouvelles propositions sont directes, simples, mises en œuvre de façon efficiente par l’ARC et facilement administrées par les petites entreprises.

David Duplisea, chef de la direction, Chambre de commerce de la région de Saint John : Bonjour. Je m’appelle David Duplisea et je suis chef de la direction de la Chambre de commerce de la région de Saint John. Nous représentons près de 37 000 personnes de la région du Grand Saint John qui travaillent pour nos entreprises membres.

Je travaille pour la Chambre de commerce depuis maintenant un certain nombre d’années et je dois vous dire que je n’ai jamais vu une réaction comme celle-ci de la part de nos membres. Nous recevons chaque jour des appels et des courriels d’entreprises préoccupées de toute la région et d’autres régions du Canada. En fait, pour la première fois depuis des décennies, notre nombre de membres a augmenté de plus de 30 p. 100 au cours du dernier trimestre à lui seul, et la majeure partie de ces nouveaux membres ont indiqué s’être joints à nous principalement pour qu’on défende leurs droits. Même si on a entendu le gouvernement et certains représentants élus dire que la réaction s’était atténuée et que les changements n’étaient plus aussi problématiques qu’ils l’ont déjà été, je vous garantis que ce n’est pas le cas et je remets en question des motivations de ceux qui ont dit de telles choses. La modification de la structure du système fiscal au Canada est une opération de grande envergure et je ne suis pas ici pour parler des changements précis et de la façon dont chacun de ces changements pourrait avoir une incidence sur les différentes entreprises. Je vais laisser d’autres personnes vous parler de leur situation précise. En fait, six de nos organisations membres comparaîtront dans le cadre du présent processus d’audience sur divers aspects des changements proposés et, en collaboration avec la Chambre de commerce de Fredericton et nos membres, nos exposés brosseront un portrait authentique des points de vue et des préoccupations de nos membres.

Nous nous réjouissons de cette tentative de modifier le modèle et l’imposition des petites et moyennes entreprises au Canada. Le modèle actuel est en place depuis des décennies, et nous ne contestons pas le fait que des changements soient requis pour refléter la dynamique de l’économie canadienne et la nature en constante évolution des entreprises elles-mêmes. Lorsque la proposition initiale a été communiquée, il semblait que le ministre des Finances avait proposé les mesures fiscales qui auraient une incidence sur le plus grand nombre d’entreprises possible à l’aide des méthodes les plus compliquées pour percevoir des recettes minimales. Il est évident que le ministre a apporté un certain nombre de changements depuis cette première proposition. Cependant, nous craignions que le peu de détails fournis dans les annonces fasse en sorte qu’il soit difficile d’en arriver à des interprétations cohérentes et de déterminer de quelle façon tout ça sera appliqué.

Le premier des domaines clés sur lesquels je vais attirer votre attention est la communication. La communication des changements proposés aurait pu être mieux gérée d’entrée de jeu. Il semble que le gouvernement fédéral a tenté d’opposer un groupe de Canadiens à un autre à des fins purement politiques. Le résultat, c’est qu’on présente les propriétaires de petites entreprises et les professionnels comme des personnes qui commettent de la fraude fiscale dans un système rempli d’échappatoires, ce qui donne l’impression que les petites entreprises exploitent les autres Canadiens.

Ensuite, tout le processus est devenu une attaque ciblée contre un petit groupe de gens d’affaires. Pourquoi le gouvernement limite-t-il ses attaques contre les politiques fiscales qu’il considère comme des échappatoires aux seuls propriétaires de petites entreprises? De récents rapports dans les médias et une entité qui fait autorité en la matière révèlent que de riches particuliers et de riches entreprises au Canada s’adonnent à des mesures d’évitement fiscal majeures, mais on ne fait tout de même rien contre cette catégorie de personnes. Le gouvernement fédéral ne devrait pas promouvoir la lutte des classes en ciblant certains groupes et en permettant à d’autres groupes de passer sous le radar.

Le troisième processus que nous remettons en question, c’est la décision du gouvernement fédéral de commencer une période de consultation de 75 jours au milieu de l’été en présentant peu de documents contextuels décrivant leur intention. Le ministère des Finances a fourni des renseignements de nature générale en formulant des énoncés très généraux sur ses intentions et l’objectif des changements. Le fait qu’il y ait peu de renseignements précis a poussé les propriétaires et les professionnels à tenter d’obtenir des conseils et des directives de planificateurs fiscaux, qui ont seulement pu fournir des renseignements très généraux sur les résultats possibles sans rien dire sur ce à quoi on pourrait s’attendre de changements qui, une fois appliqués, seront de nature très précise et sujets à interprétation.

Le gouvernement fédéral doit mettre davantage l’accent sur ces trois éléments et, pour l’aider à cet égard, nous aimerions proposer les mesures suivantes : premièrement, il faut entreprendre un examen complet du système fiscal. Si le gouvernement fédéral veut tirer plus de revenus du système fiscal, alors il doit examiner tout le système pour voir qui il faut viser et où sont les réelles échappatoires qu’il faut corriger. Qu’on cible des propriétaires de petites entreprises alors que beaucoup ont de la difficulté à gagner leur vie, qu’ils sont nombreux à être confrontés à beaucoup de défis et qu’ils n’ont aucun filet de sûreté les protégeant en tant qu’employé, tandis que, parallèlement, les médias regorgent d’histoires d’investissements à l’étranger non imposés ou de fiducies familiales permettant à d’importantes fortunes familiales d’échapper au fisc… Si le gouvernement veut éliminer les échappatoires, il faut le faire pour tout le monde, pas seulement pour un groupe précis de personnes.

Il faut protéger l’esprit entrepreneurial. Si le gouvernement fédéral veut promouvoir et encourager l’esprit entrepreneurial, il doit définir et élaborer un système fiscal qui encourage les activités entrepreneuriales des Canadiens, un système qui respecte les risques que ces gens prennent et qui tient compte de l’absence de filets de sécurité traditionnels. Notre économie change, et davantage de personnes occupent plus d’un emploi. Il y a plus de postes à durée déterminée et d’emplois occasionnels, davantage de femmes au sein de l’effectif et, surtout, il y a plus d’avantages sociaux pour les employés du secteur public tandis que les travailleurs du secteur privé en perdent. Nous ne pouvons pas nous permettre que les jeunes considèrent les postes au sein du gouvernement comme leur seul débouché futur.

Le fait de pénaliser les entrepreneurs mêmes qui réussissent le plus, ceux qui motivent les autres à faire mieux, à tenter de réussir, les rêveurs, aura pour seul effet de créer un système de médiocrité. Il y a probablement un faible pourcentage de personnes qui tirent profit des règles fiscales visant les entreprises alors qu’elles ne devraient pas le faire, mais attaquer tout un secteur de l’économie est mal, et il faut que le gouvernement le reconnaisse enfin. S’il ne le fait pas, cela a pour effet d’entacher l’objectif des mesures gouvernementales et de porter atteinte aux personnes qui oeuvrent dans ce secteur. Ce n’est ni bon pour le gouvernement ni bon d’un point de vue stratégique.

En conclusion, je félicite les honorables sénateurs et votre comité d’être sortis d’Ottawa, d’avoir voyagé partout au pays et d’avoir écouté ce que les Canadiens ont à dire. Merci.

Le président : La présidence donne la parole à M. Raffy.

[Français]

Thomas Raffy, président-directeur général, Le Conseil économique du Nouveau-Brunswick : Merci, monsieur le président et membres du comité. Je tiens de prime abord à vous remercier de cette initiative pancanadienne de consultation avec les divers acteurs économiques et parties prenantes de notre pays au sujet de la réforme fiscale du ministre Morneau. Ce dossier concerne autant les petites et moyennes entreprises néo-brunswickoises que les PME des autres provinces du Canada et, de ce fait, nous apprécions votre passage ici au Nouveau-Brunswick.

Tel que mentionné, mon nom est Thomas Raffy et j’ai le privilège d’être le président-directeur général du Conseil économique du Nouveau-Brunswick. Je suis accompagné aujourd’hui par l’un de nos administrateurs, M. Michel Noël, présent dans la salle, qui est également conseiller en gestion de patrimoine avec la firme Owens MacFayden Group, à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Alors, aux fins de ma comparution, je répondrai principalement aux questions posées par le comité; cependant, et si vous me le permettez, j’inviterai M. Noël à prendre la parole pour répondre à des questions d’ordre plus technique et fiscal, étant donné que c’est son domaine d’expertise.

Depuis 1979, le Conseil économique a pour mission de représenter les intérêts de la communauté d’affaires francophone et, aujourd’hui, nous représentons les intérêts de près de 1 000 membres, dont environ 80 p. 100 d’entre eux sont des PME. S’il y a bien un élément que les propriétaires de PME ont en commun, c’est l’esprit entrepreneurial. Cet esprit se manifeste par le choix de se lancer en affaires, de prendre des risques et d’investir temps, énergie et argent pour soutenir un projet d’entreprise. Or, nous ne connaissons aucun membre du Conseil économique qui s’est lancé en affaires avec l’objectif d’économiser de l’impôt.

Toute réforme se doit de protéger et de préserver l’esprit entrepreneurial des Canadiens, car, sans cela, nos provinces ne connaîtraient pas de croissance économique. Récemment, nous avons souligné qu’au cours des 15 dernières années, la croissance de l’emploi dans les autres secteurs que l’administration publique, l’éducation ou la santé n’a augmenté que de 0,6 p. 100 au Nouveau-Brunswick, alors qu’il a augmenté de 62,6 p. 100 au Canada. Au Nouveau-Brunswick, il existe un défi en matière de création d’emplois et, par conséquent, le Conseil économique a invité le gouvernement provincial à se concentrer sur l’amélioration du potentiel de croissance économique à long terme et sur la création d’un climat favorable aux affaires pour nos entreprises qui sont des moteurs économiques et les principales actrices de la création d’emplois.

L’un des défis majeurs que nos PME rencontrent depuis plusieurs années est la hausse des coûts d’exploitation. Les frais et les coûts augmentent, et ce sont nos entreprises qui doivent malheureusement en payer la facture. Depuis les 12 derniers mois, les PME néo-brunswickoises ont connu une hausse de taxe de propriété, du salaire minimum, de la TVH et des cotisations de Travail sécuritaire Nouveau-Brunswick, et elles se préparent entre autres à d’autres hausses potentielles du salaire minimum et du taux de cotisation de Travail sécuritaire, en plus de la tarification du carbone. Malgré toutes ces hausses, nos PME continuent leurs opérations et maintiennent leur esprit entrepreneurial, certes, mais jusqu’à quand?

Les statistiques démontrent que ce sont les trois à cinq premières années d’existence qui définissent la survie et la longévité d’une entreprise. Durant ces trois à cinq années, les entrepreneurs font bien souvent des sacrifices en ce qui a trait à leurs revenus avant d’arriver à un revenu stable et intéressant qui couvrira les premières années difficiles. De ce fait, et en raison du projet de réforme fiscale, ces derniers seront plus fortement imposés, alors qu’ils tentent autant que possible de rattraper le revenu sacrifié des premières années.

Par le truchement de notre sondage, nos membres nous ont clairement indiqué que le projet de réforme fiscale est un frein aux occasions d’investissement et un obstacle à la création d’emplois. En imposant davantage les revenus de placements passifs, on empêche les PME d’investir dans la recherche et développement, l’innovation, le recrutement ou la formation d’employés.

La décroissance démographique, le vieillissement de la population et l’immigration vers les centres urbains, voilà des défis qui concernent le Nouveau-Brunswick, et ce sont des facteurs qui ont un impact important sur les entreprises néo-brunswickoises francophones en milieu rural. Nos entrepreneurs font le choix de se lancer en affaires et, en employant des personnes de leur collectivité, ils assurent ainsi la vitalité de l’économie locale. De ce fait, toute mesure fiscale qui concerne les entreprises touche par la même occasion la vitalité de nos communautés rurales francophones.

Finalement, au moment de la publication du projet de réforme fiscale, les Canadiens ont appris qu’ils n’avaient que 75 jours pour soumettre leurs commentaires et préoccupations. Si l’objectif est réellement de collaborer avec nos PME, d’entendre et surtout de comprendre leur réalité, nous sommes alors d’avis qu’un processus de consultation aurait dû avoir lieu avant la rédaction et la présentation d’un quelconque document ou projet de réforme. Les Canadiens se sont vu imposer un document sans participer à des discussions préliminaires quant à sa rédaction.

Nous tenons également à souligner notre incompréhension quant à la précipitation du gouvernement fédéral dans ce dossier : 75 jours de consultation et ensuite de soudaines modifications au projet initial de réforme fiscale dans les deux semaines qui ont suivi l’échéancier du 2 octobre 2017, alors que plus de 22 000 lettres et mémoires avaient été présentés au ministre. Quel message cette pratique a-t-elle envoyé aux entrepreneurs canadiens?

Au nom du Conseil économique, je vous remercie une nouvelle fois de cette occasion de vous présenter les préoccupations des PME francophones. Aux fins de notre comparution aujourd’hui, nous avons soumis un mémoire détaillé qui inclut également les recommandations que nous présentons au comité. Je tiens plus spécifiquement à remercier M. le président, le sénateur Mockler, du Nouveau-Brunswick, qui s’est assuré de la participation d’un organisme francophone tel que le Conseil économique dans le cadre des consultations du comité. Je vous en remercie.

Le président : Merci, monsieur Raffy.

Maintenant, je passe la parole à Mme Nancy Arseneau.

[Traduction]

Nancy Arseneau, Fédération des travailleurs et travailleuses du Nouveau-Brunswick : Merci de l’occasion que vous m’offrez de comparaître pour parler de cet enjeu au nom des Néo-Brunswickois et des Canadiens. Les syndicats du Canada accueillent à bras ouverts le plan du gouvernement fédéral d’éliminer les échappatoires fiscales des personnes à revenu élevé qui utilisent des sociétés privées sous contrôle canadien pour éviter de payer leur juste part. Les mesures proposées sont une première étape importante pour accroître l’équité du système fiscal canadien.

Les règles fiscales actuelles permettent à de riches Canadiens, surtout des professionnels qui sont des travailleurs autonomes, et beaucoup d’avocats, de médecins, de dentistes et de comptables, de payer moins d’impôt sur le revenu des particuliers en créant des SPCC — des sociétés privées sous contrôle canadien. Les règles font en sorte qu’il est possible pour une personne qui gagne 300 000 $ d’économiser plus d’impôt que ce que le travailleur canadien moyen gagne par année, et c’est une réalité fondamentalement injuste. Le gouvernement fédéral veut s’attaquer à trois façons dont des SPCC sont utilisées pour éviter des taux d’imposition plus élevés. Le fractionnement du revenu : les personnes qui ont des salaires élevés et qui possèdent des SPCC peuvent séparer ou répartir leur revenu parmi les membres de leur famille qui gagnent moins d’argent, en leur versant des salaires ou des dividendes, même si, souvent, ces personnes ne travaillent pas pour eux, afin de tirer profit de taux d’imposition inférieurs. Ce n’est pas quelque chose que les autres familles de travailleurs peuvent faire.

Exploitation des gains de capital : Les personnes à revenu élevé qui possèdent des SPCC peuvent se verser des gains de capital, dont seulement 50 p. 100 sont imposés en fonction du taux d’imposition du revenu des particuliers, plutôt que des dividendes, qui sont assujettis à des impôts plus élevés.

En ce qui concerne les placements passifs, les sociétés privées sous contrôle canadien offrent aux Canadiens les plus fortunés un autre avantage fiscal auquel les autres n’ont pas accès, soit un capital supplémentaire pour leur portefeuille de placement. De nombreux propriétaires de SPCC peuvent placer leurs revenus dans leurs entreprises de façon à ce qu’ils soient imposés à un taux d’imposition inférieur. Ainsi, ils ont davantage de capital à investir dans des placements passifs comme des fonds communs de placement. Les taux d’imposition plus bas pour les entreprises visent à encourager le réinvestissement et la création d’emplois, et non pas à aider les Canadiens les plus fortunés à profiter au mieux de leur portefeuille de retraite.

Cette forme d’évitement fiscal coûte au gouvernement fédéral plus de 500 millions de dollars par année. Les impôts servent à payer les services essentiels sur lesquels nous comptons tous, comme la sécurité physique, la sécurité alimentaire, les soins de santé, l’éducation et le secours aux sinistrés, et les Canadiens s’attendent à ce que chacun paie sa juste part.

Des réformes plus poussées sont nécessaires. Ces mesures représentent un premier pas important, mais il en faudra plus pour que le régime fiscal canadien soit réellement équitable. Nous devons nous assurer que les sociétés dont le revenu se situe dans la frange du 1 p. 100 paient elles aussi leur juste part, ce qui suppose de renforcer vigoureusement les restrictions sur les paradis fiscaux et l’évasion fiscale des sociétés. Cela comprendrait d’éliminer les échappatoires fiscales régressives et inefficaces en annulant les déductions pour les options d’achat d’actions, d’intégrer pleinement les gains en capital aux revenus imposables, d’annuler la déduction pour les actions accréditives, d’imposer les entreprises de commerce électronique étrangères au même titre que les fournisseurs canadiens, d’augmenter les impôts pour les banques et les services financiers qui ont reçu, au cours des 10 dernières années et demie, des bénéfices exceptionnels en raison des réductions de l’impôt des sociétés, de créer un impôt sur la fortune et de rendre l’impôt sur le revenu beaucoup plus progressif. Merci.

Le président : Nous allons commencer la période de questions avec la sénatrice Marshall, suivie de la sénatrice Eaton et du sénateur Pratte.

La sénatrice Marshall : Nous avons écouté beaucoup de témoignages au cours des dernières semaines, et la plupart insistaient sur deux éléments précis dans les réformes fiscales : le fractionnement du revenu et les placements passifs. Le gouvernement fédéral a aussi annoncé qu’il allait réduire le taux d’imposition des petites entreprises. J’invite tous les témoins à exprimer leur opinion sur cette modification. Selon vous, cela va-t-il avoir un effet positif? Cela va-t-il annuler les effets des autres modifications proposées qui sont à l’étude?

Mme Ross : Il est certain qu’on accueillerait favorablement une réduction du taux d’imposition des petites entreprises, mais cela ne stimulera pas l’investissement. Même avec des bénéfices de 500 000 $, la différence ne serait que de 7 500 $. Cela ne compense même pas un peu pour la hausse du taux d’imposition sur les placements passifs au sein d’une entreprise. Ç’en est même très loin. La première tranche de 50 000 $ sera imposée à un taux d’imposition de 49 à 55 p. 100, puis le reste, à un taux de 73 p. 100. C’est injuste, et une diminution de 7 500 $ pour la première tranche de 500 000 $ de bénéfice n’y change rien.

La sénatrice Marshall : Il me reste un point que vous pourriez peut-être éclaircir. Nous avons parlé très peu de la réduction des taux jusqu’ici, mais certains de nos témoins nous ont dit que le crédit d’impôt pour dividendes va être modifié de façon à tenir compte des économies d’impôt des sociétés. J’ignore si vous avez entendu le même son de cloche, je ne suis moi-même pas au courant des détails, mais c’est ce que nous ont dit certains de nos fiscalistes. Peut-être pourriez-vous nous dire si vous en avez entendu parler.

Mme Ross : J’en ai effectivement entendu parler. Je ne suis pas fiscaliste, mais je sais qu’il y en a dans le prochain groupe de témoins et je crois qu’ils sauront vous répondre avec plus d’éloquence que moi. Le son de cloche que j’entends, c’est qu’on reprend de la main gauche ce qu’on a donné de la main droite. Ce n’est pas équilibré.

M. Duplisea : Je me ferai l’écho de ce que ma collègue, Krista, a dit. Nous sommes en faveur d’une réduction du taux d’imposition des petites entreprises, sans conteste. Au point où nous en sommes, n’importe quoi serait le bienvenu. D’après les chiffres que j’ai vus, on parle de 1 500 $ par tranche de 100 000 $. Ce sont des poussières, et cela n’a aucun impact. Dans ce contexte, il ne suffirait pas d’examiner le taux d’imposition des petites entreprises; il faudrait aussi se pencher sur d’autres choses comme les ratios de productivité, l’innovation et l’investissement, le genre de choses pour lesquelles notre pays est encore en retard sur les autres. Cette réduction symbolique du taux d’imposition des petites entreprises n’aura concrètement à peu près aucun effet, et certaines personnes affirment même que le gouvernement reprendra l’argent de l’autre côté. Donc, cela ne nous avance pas vraiment, et je partage l’avis de ma collègue Krista à ce sujet.

[Français]

M. Raffy : Je voudrais simplement répéter les commentaires qui ont été émis par mes collègues. Je pense qu’il faudrait regarder cette décision-là dans son ensemble quant à l’impact que peut avoir la réforme fiscale. Il est sûr que si on prend ça individuellement, c’est une bonne chose, c’est louable pour les entreprises. Les entreprises vont certainement l’apprécier, mais je pense que l’impact de la réforme, globalement, c’est de donner une chose pour en retirer une autre. Ce n’est pas nécessairement pratique et réalisable pour nos entreprises.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Madame Arseneau?

Mme Arseneau : Je ne suis malheureusement pas en mesure de vous donner une réponse.

La sénatrice Marshall : Plusieurs d’entre vous ont mentionné une étude d’impact. Le gouvernement fédéral n’en a toujours pas mené une, ou du moins n’a rien dit à ce sujet. D’après ce que j’en sais, aucune étude d’impact économique n’a été effectuée. Je voulais donc savoir si au moins l’une de vos organisations a mené ce genre d’analyse, d’étude ou d’évaluation auprès de ses membres pour avoir une idée de l’impact sur vos entreprises.

Mme Ross : Je vais répondre. Selon moi, il serait très difficile d’entreprendre une véritable évaluation des retombées économiques, parce que nous ne savons rien en détail. Les renseignements qui ont filtré sont si vagues que même nos experts comptables, nos fiscalistes et d’autres personnes dans le domaine de la finance ne sont pas en mesure de prévoir exactement quels seront les impacts. Nous sommes ici pour témoigner et répondre au nom de nos membres. Nos experts comptables nous disent que cela va toucher jusqu’à 90 p. 100 de nos clients, et nos membres croient qu’ils seront tous touchés jusqu’au dernier, directement ou indirectement. Mais si vous voulez un chiffre concret en dollars et en cents, c’est impossible parce que nous ne savons rien des détails précis quant à la façon dont cela sera mis en œuvre.

La sénatrice Marshall : Était-ce une étude officielle ou simplement quelque chose que vous avez entendu de la bouche de vos membres? Avez-vous entrepris une étude en bonne et due forme ou était-ce davantage de façon informelle?

Mme Ross : De façon informelle.

M. Duplisea : Vous avez mentionné les études d’impact, mais il y a un certain nombre d’autres études que nous voudrions que le gouvernement entreprenne. Je parle de l’impact sur les femmes, sur les femmes au travail, sur les soins de santé, sur l’innovation et sur les investissements, le genre de choses qui doit être fait afin que l’on puisse avoir un portrait global de la situation. En ce qui concerne les membres, comme Krista a dit, selon les nouvelles estimations, environ 90 p. 100 de mes membres pourraient être concernés. Nous avons conclu cela à la lumière des séances d’information que nous avons tenues. Nous avons organisé des séances publiques auxquelles nous avons invité des fiscalistes et d’autres types de professionnels afin de recueillir leur opinion sur ce que nous savions jusqu’ici et de combler une partie des lacunes. Selon les membres qui, dans ma région du moins, ont participé aux séances et ont continué de me tenir au courant, je dirais qu’il y a énormément de personnes qui croient que cela va avoir une incidence sur eux ou sur leurs clients, ce qui est tout aussi important. Cela va entraîner un effet domino, en quelque sorte.

La sénatrice Marshall : D’après ce que vous me dites, j’ai l’impression que vos membres croient que cela ne va pas avoir un impact seulement sur les mieux nantis.

M. Duplisea : Non, ce n’est pas seulement les 3 p. 100 au sommet de la pyramide qui vont en ressentir les impacts. Il va y avoir un effet domino. Pour reprendre ce qui a été dit, il va y avoir un impact sur les clients, les investissements et les investisseurs. Il va y avoir un impact généralisé, à cause de l’effet de retombée. Lorsque vous pénalisez le 1 p. 100 ou les 3 p. 100 au sommet de la pyramide, vous pénalisez les rêveurs, les motivateurs, les gens qui sont une source d’inspiration pour les petites entreprises. Les petits entrepreneurs aspirent à être comme eux, et lorsque vous pénalisez un secteur comme l’entrepreneuriat… eh bien, c’est une pente glissante.

[Français]

M. Raffy : Pour ce qui est d’une étude d’impact, je vais attendre. En ce qui concerne la réalisation d’une étude d’impact économique, je vais être honnête avec vous. On avait environ 75 jours pour soumettre un mémoire. Il fallait donc prendre le temps d’étudier la question, surtout étant donné qu’une grande partie de ces 75 jours s’est déroulée pendant l’été, où les personnes qui auraient voulu faire cette étude étaient peut-être en vacances pour l’été. Il faudrait peut-être rattraper ces gens-là et s’asseoir avec eux pour faire l’étude. Donc, on n’avait pas assez de temps pour le faire, pour répondre à votre question.

Alors, on a fait un sondage auprès de nos membres pour avoir leurs impressions. Je peux vous dire une chose, c’est que nos membres avaient de la difficulté à comprendre exactement ce que le ministre Morneau cherchait à faire, donc il y avait vraiment un travail d’éducation à faire ou des communications d’éducation à faire. Ils ont dû aller rencontrer leur comptable, leur fiscaliste, s’asseoir, comprendre ce dossier-là. Donc, le travail a été précipité, a été accéléré en très peu de jours, pas 75 jours, mais vraiment les jours où les gens sont revenus au travail, pour arriver à comprendre ce dossier-là.

À ce niveau-là — et mon collègue a parlé de l’impact à différents niveaux, comme la condition féminine, l’innovation —, je voudrais ajouter aussi la question de la francophonie, ici au Nouveau-Brunswick, et les entreprises rurales, le secteur rural. Presque la moitié de la population néo-brunswickoise vit en milieu rural. Donc, qu’est-ce que ça veut dire pour nous? Il y a vraiment un impact qui devrait être étudié, et il faudrait inviter justement le gouvernement fédéral à faire ces études-là avant de prendre une décision sur quoi que ce soit.

Si vous me le permettez, madame la sénatrice et monsieur le président, j’ai avec moi mon administrateur, M. Michel Noël, comme je l’ai indiqué plus tôt, qui peut peut-être répondre à votre première question concernant la facturation de revenus.

Le président : Merci, monsieur Raffy.

[Traduction]

Nous accueillons M. Michel Noël, administration du Conseil économique du Nouveau-Brunswick.

Monsieur Noël, vous avez la parole.

[Français]

Michel Noël, administrateur, Le Conseil économique du Nouveau-Brunswick : Merci, monsieur le sénateur Mockler. Pour répondre à votre question, effectivement, lorsqu’il y a une réduction dans le taux d’imposition pour les petites entreprises, il y a toujours un ajustement correspondant au taux d’imposition sur les dividendes. En fin de compte, selon le principe — qu’on appelle le principe d’intégration —, un dollar gagné à l’intérieur d’une corporation par rapport à un dollar gagné personnellement est taxé au même niveau lorsqu’on prend les deux paliers d’imposition.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Je n’ai pas de question à poser, mais j’aimerais seulement dire que je comprends, quand je pose la question, que seules les grandes lignes des réformes fiscales ont été révélées jusqu’ici, et qu’on ne s’attend pas à en voir les détails avant le budget de 2018. Malgré tout, les petites entreprises ont accès à suffisamment d’information pour leur permettre de déduire l’objectif du gouvernement, et c’est ce qui m’intéresse le plus.

Madame Arseneau, avez-vous quelque chose à dire à propos des impacts sur les entreprises, dans la mesure où cela pourrait aussi avoir un impact sur les employés? En outre, les impacts sur les petites entreprises pourraient aussi avoir une incidence sur notre système de santé.

Mme Arseneau : Eh bien, il ne fait aucun doute que cela pourrait avoir un impact sur le système de santé. Cependant, la Fédération des travailleurs et travailleuses représente 40 000 travailleuses et travailleurs syndiqués. Ce n’est pas vraiment lié aux petites entreprises, mais, indubitablement, nous sommes au courant de ce qui se passe de l’autre côté de l’échiquier, et nous croyons que cela renforcerait l’équité, bien sûr. C’est un fait que les Canadiens les plus riches sont pour la plupart des hommes, alors ce serait une façon d’atténuer l’iniquité envers les femmes. À nos yeux, c’est un principe évident, même s’il n’est pas simple de l’expliquer. Mais, essentiellement, il est question d’équité et de veiller à ce que tout le monde ait les mêmes possibilités.

La sénatrice Marshall : Je crois que nous allons avoir besoin d’une étude d’impact. D’un côté, certaines personnes et entreprises affirment que l’impact se fera ressentir dans toutes les petites entreprises, peu importe leur revenu, alors que d’autres croient que seulement les trois premiers ou le premier percentile seront touchés.

Le président : La parole va à la sénatrice Eaton, puis au sénateur Pratte.

La sénatrice Eaton : Le ministre Morneau et le premier ministre Trudeau ont tous deux dit que les propositions allaient renforcer la classe moyenne et aider ceux qui travaillent pour en faire partie. Madame Ross, vous avez dit que les petits entrepreneurs font partie de la classe moyenne, que leur revenu se chiffre à 50 000 $ ou à 500 000 $ annuellement. Vous avez aussi dit dans votre exposé que ce qui a un impact sur les grandes entreprises a aussi une incidence par un effet de retombée, sur les petites entreprises. Sauriez-vous nous donner des exemples concrets, par exemple chez vos membres, de la façon dont cela pourrait arriver? Avez-vous en tête des exemples concrets de la façon dont cela arriverait?

Mme Ross : J’imagine qu’un exemple concret que je pourrais donner serait celui d’une petite entreprise appartenant à un couple où la contribution d’un des conjoints est moins susceptible d’être quantifiable. Néanmoins, cette personne contribue. Peut-être qu’elle a un autre emploi à temps plein juste pour joindre les deux bouts. J’ai été entrepreneure pendant huit ans. Quand j’ai lancé mon entreprise, on m’a dit : « Ah, maintenant que tu es propriétaire d’entreprise, tu vas pouvoir travailler des demi-journées. » Je me suis dit : « Quoi? Je dois m’être trompée quelque part. » La personne a ensuite ajouté : « Tu peux choisir les 12 premières heures ou les 12 dernières. » Je n’ai pas eu de congé de maternité payé quand j’étais entrepreneure. Je possédais aussi moins de 50 p. 100 de mon entreprise. J’en possédais 49 p. 100, parce que mon associé en possédait 51 p. 100. Je ne pouvais pas y travailler à temps plein, parce que j’avais d’autres engagements, mais il a fallu qu’on obtienne notre revenu ainsi. Donc, cela pénalise les gens qui font ce genre de choix, qui choisissent de stimuler l’économie, de créer des emplois et d’employer des gens dans leur entreprise qui deviennent, honnêtement, comme des membres de la famille. Notre chambre représente 25 000 employés, et cela aura un impact sur chacun d’entre eux.

La sénatrice Eaton : Mais pouvez-vous nous donner un exemple, avec votre entreprise, parce que vous avez commencé à petite échelle, de la façon dont ces impôts qui touchent les grandes entreprises se répercuteraient jusqu’aux membres d’une famille?

Mme Ross : Absolument. Il existe une chose qu’on appelle « chaîne d’approvisionnement ». Si vous avez une grande entreprise qui est touchée, celle-ci va embaucher moins de gens, acheter moins de produits, retenir les services d’un plus petit nombre de petites entreprises de consultants. Tout le long de la chaîne d’approvisionnement, les retombées seront moindres. Quand une grande entreprise dans notre collectivité embauche 50 personnes de plus, cela se répercute sur chacun d’entre nous. Ces personnes achètent des maisons, elles achètent des voitures, elles font leurs courses dans nos épiceries de quartier — toutes les choses qui ont une incidence sur chaque petite entreprise en cours de route — elles mangent dans nos restaurants, elles mangent dans ces petites entreprises, et les personnes qui possèdent ces entreprises luttent aussi pour arriver à faire partie de la classe moyenne. Ce sont des répercussions énormes.

La sénatrice Eaton : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Duplisea?

M. Duplisea : De nouveau, je me ferai l’écho de ce que ma collègue, Krista, a dit. Vous avez soulevé un concept intéressant ici, que j’appelle la « rhétorique » — faire croître la classe moyenne, faisons croître la classe moyenne. Tout le monde s’efforce de faire partie de la classe moyenne, et ce concept est devenu tellement vide de sens que nous ne savons même pas vraiment ce que cela signifie.

La sénatrice Eaton : Mes collègues ont demandé au ministre Morneau de définir la classe moyenne lors de chacune de ses comparutions devant le Comité sénatorial des finances. Il était censé le faire.

M. Duplisea : Tout à fait. Si notre propre ministre des Finances est incapable de définir cette classe, et il apparaît clairement qu’il ne peut le faire, parce qu’il en est si éloigné, c’est juste difficile de comprendre comment on utilise cette expression comme fourre-tout. « Oh, les petites gens devraient s’efforcer de faire partie de la classe moyenne maintenant. » Si vous regardez certains des salaires moyens des propriétaires de petites entreprises, par exemple, ceux-ci ne sont pas astronomiques, et je ferais valoir qu’ils ne correspondent même pas à ce que seraient certaines des définitions normales de la classe moyenne. Donc, je pense que c’est une expression de marketing qui fait grandement appel à la rhétorique et davantage à la politique que quoi que ce soit d’autre.

[Français]

La sénatrice Eaton : Monsieur Raffy, vous avez quelque chose à ajouter?

M. Raffy : Simplement pour réitérer les commentaires au sujet de la classe moyenne. C’est une terminologie tellement vague et tellement fluide qu’il est difficile d’avoir une idée concrète et réaliste de ce qu’est la classe moyenne et de la façon dont on peut en faire partie. Par conséquent, comme mon collègue l’a souligné, il est facile d’utiliser cette expression et de dire que telle personne en fait partie ou que telle autre en est exclue.

Pour revenir quand même au point de ma collègue, Mme Ross, je pense qu’il est très important aussi de vous donner des exemples d’entreprises du milieu rural au Nouveau-Brunswick, des entreprises qui sont dans le domaine, par exemple, des ressources naturelles, comme le domaine forestier. Des collectivités entières dépendent de ces entreprises. Il y a des collectivités où, dans un couple, l’une des deux personnes ou les deux travaillent dans cette entreprise-là et, par conséquent, leurs enfants dépendent de l’entreprise, de même que l’épicerie du coin, et cetera. Donc, il y a vraiment des collectivités ici, des secteurs de communautés qui sont dépendants de ces entreprises, qui représentent le fameux 3 p. 100.

Pourquoi est-ce que j’appelle ça le « fameux » 3 p. 100? C’est que j’aimerais savoir en fait ce que ça veut dire, ce 3 p. 100. Est-ce que c’est 3 p. 100 de toutes les entreprises qui existent au Canada, y compris les entreprises qui ont été incorporées, mais qui n’ont pas d’activités? Que représente spécifiquement 3 p. 100 de ce bassin d’entreprises? Ce n’est pas très clair.

Une occasion se présente à nous. Au lieu de tirer sur ces 3 p. 100, il faudrait les célébrer. Ce sont des entreprises qui sont des modèles à suivre. Ce sont des entreprises qui réussissent, des exemples de succès canadien, et il faut soutenir les entreprises qui réussissent. C’est l’esprit entrepreneurial qui fait la force de notre pays et qui en est le moteur, et il faudrait soutenir les entreprises au lieu de les critiquer ou de dire que ça ne va pas ou que ça ne marche pas. Merci.

La sénatrice Eaton : Madame Arseneau?

[Traduction]

Mme Arseneau : À l’autre extrémité du spectre, je dirais qu’on doit assurer l’équité fiscale. Par exemple, il sera essentiel de préserver la capacité du gouvernement de maintenir son rôle consistant à financer notre système de soins de santé, nos logements, les prestations pour enfants, la Garde côtière et d’autres services ou programmes essentiels sur lesquels les Canadiens s’appuient. Ceux qui sont à l’autre extrémité de ce spectre pourraient aider et en fournir de bons exemples.

[Français]

La sénatrice Eaton : Monsieur Noël, vous avez quelque chose à ajouter aux propose de M. Raffy?

M. Noël : Je voudrais apporter un argument additionnel. On a parlé ce matin d’entreprises à succès au Nouveau-Brunswick. On a parlé des Irving, des McCain, mais parmi nos membres, il y a aussi beaucoup d’entreprises à succès : des Westco dans votre région, monsieur Mockler, qui sont des leaders dans le domaine de la volaille, et MQM, qui est un leader dans le domaine des entreprises d’usinage de métal. Ces entreprises-là sont imposées à des taux supérieurs à ceux des compagnies publiques, donc, lorsqu’on fait 500 000 $ de plus ou 500 000 $ de profits et plus, on est imposé à un taux de 29 p. 100. Ainsi, qu’on soit une compagnie privée ou une compagnie publique, on paie le même taux d’impôt.

Par contre, lorsqu’on accumule de l’argent dans une corporation, la compagnie publique va payer 29 p. 100 sur ses revenus d’intérêts, ses revenus de placements, tandis que la compagnie privée paie présentement 53 p. 100 au Nouveau-Brunswick, et éventuellement 72 p. 100. Alors, comment voulez-vous que nos entreprises privées qui ont du succès fassent concurrence aux compagnies publiques? Ça revient à ce que M. Raffy disait tantôt. Nos communautés rurales dépendent des entreprises locales et on ne peut pas dépendre des compagnies publiques dont les sièges sociaux sont à l’extérieur du Canada.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Le ministre Morneau a dit dans La Presse Canadienne qu’il s’agit non pas d’entreprises qui ne paient pas leur part, mais de gens qui utilisent une structure organisationnelle pour protéger leur revenu et obtenir un avantage fiscal. Est-ce que l’un d’entre vous a effectué une analyse des coûts par rapport à ce coût de la conformité, si cela entre en vigueur en janvier? Combien cela va-t-il vous coûter en temps et en argent? L’un d’entre vous a-t-il fait des études à ce sujet?

Mme Ross : Nous n’en avons pas fait, mais ce que je peux vous dire, c’est que nos membres ressentent déjà la contrainte liée au fait de se conformer à l’ARC. Ils ressentent déjà la contrainte liée aux systèmes de réglementation du gouvernement. Ils nous disent que leur principal problème est la paperasserie et la conformité, et donc, il n’est pas logique de compliquer les choses encore davantage, d’ajouter un plus grand nombre de couches compliquées. Nos fiscalistes nous disent qu’ils ne connaissent pas les réponses et, je vais le mentionner de nouveau, l’ARC est incapable de répondre à leurs appels; et le fait qu’elle fournisse des réponses inexactes dans plus de 30 p. 100 des cas ne permet pas à une personne de faire confiance au système, de pouvoir aller de l’avant et de se conformer facilement. Ce sera plus compliqué.

M. Duplisea : C’est une très bonne question, et, au sujet de l’analyse, que ce soit une analyse des répercussions, une analyse de la conformité et des choses de ce type-là, je me demande si ce rôle devrait appartenir aux entreprises. C’est le gouvernement qui met en œuvre ces modifications fiscales.

La sénatrice Eaton : Si vous opposez une résistance, vous pourriez vouloir vous asseoir avec le gouvernement et lui faire part de ce que sont les répercussions.

M. Duplisea : Exactement : ce que les répercussions seraient pour certains membres. La difficulté, c’est que tout tient aux détails. Il est difficile de trouver des chiffres exacts sur ce que serait la conformité lorsqu’il y a autant d’inconnues. Comme nous le savons, une mesure législative sera mise en vigueur en janvier 2018, et une deuxième mesure législative pourrait ne pas arriver avant le milieu de 2018. La mise en vigueur se fait de façon fragmentée, et la difficulté réside dans le fait de trouver un scénario consistant en réalité à créer une analyse des répercussions pour l’ensemble des changements. Le gouvernement ne devrait-il pas déjà avoir une idée de ce que certaines de ces répercussions pourraient être ni même des coûts requis pour respecter ces règles?

[Français]

M. Raffy : Je pense que les 75 jours qui ont mené au dépôt des lettres et des mémoires étaient toute une indication du montant de travail et des consultations que les entreprises ont dû faire avec leur comptable et leur fiscaliste. Je pense que ça donne déjà une image de ce qui va nous attendre quant à l’impact qu’aura la réforme si elle est mise en place.

Pour faire écho aux autres propos, je pense à un de mes membres qui est basé dans la péninsule acadienne et qui a une distillerie. Il travaille sept jours par semaine. Il n’arrête pas. Il est passionné par son travail, mais il est le premier au travail, le dernier sorti, il passe sa journée à travailler et à créer ses produits, à trouver de nouveaux marchés et à faire vivre son entreprise. Maintenant, on lui impose encore plus de paperasse. Il en a plein la tête, si je peux m’exprimer ainsi, car il faut déjà qu’il traite toutes sortes de paperasses liées à la hausse des coûts d’exploitation que je vous ai citée dans mon introduction. Maintenant, on arrive avec une autre réforme qui l’obligera à remplir encore plus de formulaires et, surtout, à comprenne un système fiscal qui, je l’avoue, même pour moi, n’est pas facile à comprendre.

Donc, il va y avoir un impact. On n’a pas fait d’étude, mais on peut déjà constater qu’il y aura des conséquences.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Je veux revenir et obtenir vos commentaires sur une partie de la justification du gouvernement pour proposer ces changements du système fiscal. Le gouvernement avait constaté une augmentation importante du nombre de SPCC au cours des 15 dernières années en plus d’une concentration impressionnante de revenus passifs au niveau de revenu le plus élevé. Cela signifie que 85 p. 100 des SPCC n’ont aucun revenu passif imposable, et 1,6 p. 100 des SPCC détiennent 80 p. 100 du revenu passif imposable. Dans le cadre de l’augmentation du nombre de SPCC, un grand nombre de nouvelles sociétés offrent des services professionnels, particulièrement dans le domaine médical. Le gouvernement semble penser qu’une grande partie de ces nouvelles sociétés, particulièrement les professionnels, utilisent la SPPC à d’autres fins qu’à des fins commerciales, et particulièrement, à des fins fiscales. J’aimerais obtenir vos commentaires quant au fait qu’il y a eu une grande augmentation du nombre de SPPC au cours des dernières années et que celles-ci se concentrent dans le secteur professionnel et qu’il y a vraiment une concentration impressionnante de revenus passifs dans un très petit nombre de SPCC.

Mme Ross : Je peux commenter cette question. Près de 750 de nos membres comptent moins de 20 employés, donc vous avez raison, ils n’ont probablement pas beaucoup d’économies dans leur revenu passif. Mais le but n’est-il pas de faire croître notre économie? Le but n’est-il pas d’être novateurs? Le but n’est-il pas d’avoir une économie plus forte dans notre pays où nous pouvons employer plus de gens et dynamiser davantage la croissance économique? Nous devons encourager la croissance de ces entreprises. Nous n’avons pas besoin d’établir des seuils où on leur dira : « Restez petits, ne grandissez pas ». En ce qui concerne l’autre partie de votre question sur l’augmentation du nombre de SPPC, particulièrement dans les secteurs professionnels et par rapport aux médecins, je crois comprendre que, en Ontario, les médecins se sont vu offrir ces sociétés comme solution de rechange à d’autres mesures de planification fiscale qu’on leur a refusées dans d’autres secteurs. On leur a dit : « Voici une façon qui vous permettra de vous constituer en société ». Cela s’est produit en bonne partie parce qu’on leur a fourni la constitution en société comme mesure légitime et raisonnable de planification fiscale. On leur a dit : « Voici la façon pour vous d’aller de l’avant. » Je pense que ce sont des mesures de planification fiscale légitimes et justes qui sont en place depuis les années 1960. Oui, elles ont connu une croissance récemment, mais c’est en raison des changements en Ontario qui ont encouragé ce changement.

M. Duplisea : Même si 85 p. 100 de mes membres font partie de ce qu’on catégorise comme des petites et moyennes entreprises également — et vous avez cité certains chiffres et des augmentations du nombre de sociétés et d’entreprises professionnelles qui connaissent une croissance, et vous avez précisé ce qui vous pousse à croire aux raisons de cette croissance —, je crois qu’une augmentation du nombre d’entreprises au Canada est une bonne chose. Je crois qu’une augmentation du nombre de sociétés professionnelles au Canada est une bonne chose et que nous devrions encourager les gens à lancer leur propre entreprise. Nous devrions encourager l’entrepreneuriat, et non pas nécessairement remettre en question les motivations des gens qui souhaitent lancer ces sociétés. Oui, effectivement, il y aura toujours une petite partie de la population qui n’est pas là pour la plus éthique des raisons, mais le fait de dépeindre un secteur entier comme créant juste des sociétés professionnelles et des petites entreprises dans le seul but de tirer profit des échappatoires est, à mon avis, irresponsable, et je ne peux penser à un grand nombre de propriétaires de petites entreprises qui disent : « Je vais travailler 14 heures par jour et investir mes économies. Je vais aussi demander à mon épouse de travailler d’arrache-pied parce que nous voulons obtenir un allégement fiscal. » Je ne pense pas qu’il y ait nécessairement un rapport de cause à effet.

[Français]

M. Raffy : Il faut des mises en garde quant au danger de la généralisation. En fin de compte, au Nouveau-Brunswick — je peux parler pour le Nouveau-Brunswick —, il est important de faire croître le secteur privé. Notre province présentement est trop dépendante du secteur public, de la création d’emplois dans le secteur public, ce qui fait en sorte qu’on est dans l’état où on est aujourd’hui économiquement au Nouveau-Brunswick. Donc, s’il faut faire de la promotion, il faut faire la promotion du secteur privé, de la création et de la mise en place de petites et moyennes entreprises. Par conséquent, je veux simplement souligner que cette généralisation-là est dangereuse, surtout s’il faut inclure des petites et moyennes entreprises qui sont membres de nos organismes, mais qui nécessairement ne se retrouvent pas dans les bonnes intentions du ministre Morneau dans le cadre de cette réforme.

Quant à l’aspect technique, je demanderais à M. Noël de répondre à la question du sénateur Pratte, si c’est possible.

M. Noël : Ce qui ne me paraît pas clair dans les propositions qui ont été faites, c’est ce qui est nécessairement visé. Est-ce qu’il y a des professions spécifiques qu’on cherche à viser? Si c’est le cas, occupons-nous de ce problème, si problème il y a. Je suis d’avis qu’il n’y en a pas, et on a entendu ce matin la profession médicale s’exprimer sur l’impact que ces changements-là pourraient avoir sur ses membres. Donc, si c’est ça le problème, on devrait le traiter.

Cela étant dit, il ne faut pas oublier que les professionnels sont des entrepreneurs aussi, mais il a été mentionné à quelques reprises que, parfois, les professionnels ne sont pas des gens d’affaires. Qu’on soit avocat, dentiste ou médecin, tous ces gens-là sont des gens d’affaires et ont des décisions à prendre. Ils prennent des risques et créent des emplois, alors je ne suis vraiment pas d’accord avec l’idée, lorsque j’entends ces choses-là, que ces gens devraient être pénalisés.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Je veux juste préciser que je n’ai pas utilisé le mot « échappatoire ». Je ne m’exprime pas ainsi. Je comprends que le gouvernement a utilisé cette expression. Ce n’est pas une généralisation que j’ai faite.

Le gouvernement a présenté cette idée d’un seuil de 50 000 $. Je crois comprendre que vous n’êtes pas heureux de cette idée, mais le ministre, lorsqu’il a comparu devant nous, a indiqué clairement qu’il allait de l’avant avec cette proposition. Si le gouvernement va de l’avant avec cette idée d’un seuil, auriez-vous des suggestions pour le présent comité quant à une proposition, à une idée ou à une recommandation de rechange outre le seul fait de dire : « D’accord, mettons toutes ces idées de côté ». Je ne pense pas que le gouvernement fera cela. Y a-t-il des solutions de rechange quant au revenu passif que vous pourriez proposer, que ce soit un seuil plus élevé ou un type de seuil différent ou quoi que ce soit d’autre?

Mme Ross : Mon commentaire sur la question est le suivant : Qu’arrive-t-il si mes tarifs bondissent? Seront-ils indexés en fonction de l’inflation? Comment gérerons-nous cela dans l’avenir? Je pense que le chiffre n’est pas assez élevé. Il doit être plus élevé ou, comme vous l’avez proposé, rejeté dans son ensemble.

Puis-je revenir sur la question précédente juste pour un moment?

J’aimerais juste dire que l’argent économisé à l’intérieur d’une entreprise, le revenu passif, n’est pas là pour permettre d’éviter des impôts. Il sert à soutenir les activités durant des ralentissements. Il sert à investir dans du nouvel équipement, de nouveaux processus, de nouveaux employés, de nouvelles entreprises, des emplois, des investissements en capitaux, et je veux vous donner un exemple, parce que les exemples réels sont plus faciles à comprendre.

Une entreprise à Fredericton, J Clark and Son Limited, un concessionnaire automobile, entreprise de cinquième génération, a fait partie d’un groupe de gens d’affaires de notre collectivité qui s’est adressé aux médias et à nos députés après la visite du ministre Morneau à Fredericton, en septembre. Ce que M. Clark nous a dit, c’est que l’argent qui était à l’intérieur de son entreprise — et rappelez-vous, il s’agit de la cinquième génération de ce revenu passif — l’avait empêché de mettre à pied des employés et même de fermer ses portes durant plusieurs ralentissements économiques que nous avons connus au pays. Des gens comme John Clark emploient des gens dans nos collectivités, ils font des dons à des organismes de bienfaisance, ils représentent l’épine dorsale de nos collectivités. L’argent qui se trouve à l’intérieur de leur entreprise est ce qui leur permet de continuer d’exercer leurs activités et de ne pas sombrer durant les hauts et les bas des ralentissements économiques. Ce sont aussi les gens qui investissent dans de nouvelles entreprises en démarrage, de nouvelles technologies, contribuant par tous les moyens à notre collectivité. Y a-t-il des revenus passifs à l’intérieur d’entreprises pour des raisons différentes de celles qui consistent à ne pas payer d’impôt? Absolument. Toutes les autres raisons sont les plus importantes, à mon avis.

M. Duplisea : C’est une très bonne question. Le chiffre de 50 000 $ est-il trop bas ou trop élevé? Certaines de nos entreprises disent qu’il est bon, d’autres, qu’il n’est pas assez élevé. Les particularités de chaque personne devraient vraiment déterminer ce que le chiffre devrait être. Le but de cet investissement passif est d’assurer une réserve pour les temps difficiles, et ce sont ces placements passifs qui permettent aux entreprises d’investir dans l’innovation, dans des outils de productivité et là où l’argent est nécessaire dans le marché des petites entreprises. Le Canada doit continuer d’être productif et compétitif dans le monde en augmentant ces outils. L’histoire ne se résume pas à définir un chiffre simplement en raison de ramifications fiscales. Nous avons eu une conférence téléphonique avec Finances Canada, et quatre de ses fiscalistes étaient présents. Nous leur avons posé précisément la question suivante : « Veuillez nous expliquer pourquoi vous choisissez le montant de 50 000 $, parce que nous avons besoin d’aide pour comprendre cette raison et l’expliquer à nos membres, vu qu’ils nous posent la question. Savez-vous qu’aucune personne présente à cette conférence téléphonique de Finances Canada n’a pu expliquer ou interpréter de façon adéquate d’où provient la somme de 50 000 $? Il semble que le chiffre a presque été choisi tout à fait au hasard.

[Français]

M. Raffy : J’ai deux points à mentionner. Je voudrais réitérer le point selon lequel le montant de 50 000 $ n’est pas clair. Quelle est son origine et qu’est-ce que ça veut dire, spécifiquement parlant? Donc, il y a une question qui est posée quant à ce montant-là.

Deuxièmement, en ce qui a trait à la citation de la sénatrice Eaton, elle a utilisé le mot « bouclier ». Donc, le terme « bouclier » qu’a utilisé le ministre Morneau est assez imagé, dans le sens qu’un bouclier est utilisé quand on est attaqué, ce qui évoque une notion de violence. Il est question d’une attaque, alors qu’en fait, ces montants-là ne servent pas vraiment à se protéger contre toute attaque, mais plutôt à investir dans l’entreprise et à aider l’entreprise à grandir. Donc, il faut cesser de diviser les Canadiens en pensant que les entrepreneurs se servent de cet argent-là pour se remplir les poches, et reconnaître que, au contraire, ils s’en servent pour réinvestir dans leur entreprise, dans leurs employés ou dans leur communauté.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Merci à vous tous de vos exposés. Vous avez fourni beaucoup de bons renseignements, et ceux-ci ressemblent beaucoup à ce dont nous avons entendu parler dans chaque région du Canada, donc je suis optimiste — j’imagine que c’est dans ma nature — et je crois que le ministre va peut-être écouter un peu ce qui ressort généralement de la bouche de l’ensemble des Canadiens, d’un océan à l’autre, et qu’il fera en réalité certaines des choses que des gens comme vous-même demandez, principalement d’appuyer sur le bouton pause et d’examiner le processus entier, sans simplement pointer du doigt un groupe particulier.

Le ministre des Finances a dit au comité que le gouvernement reconnaît le besoin de conserver des fonds au sein d’une société à des fins commerciales, mais qu’il veut décourager l’utilisation de sociétés privées pour épargner en vue de la retraite. J’ai moi-même eu une petite entreprise. J’ai tenté d’économiser un peu d’argent; il n’y en avait pas beaucoup, mais je pensais que peu importe ce que j’arriverais à économiser, cela pourrait un jour m’aider à la retraite. Je pense que c’est probablement ce que se disent la plupart des gens qui travaillent dans des petites entreprises. Nous avons entendu dire cela par des médecins, il y a quelque temps seulement, des médecins de partout au pays qui disent qu’ils veulent économiser. Jugez-vous intéressant que le ministre dise que vous ne devriez pas épargner en vue de la retraite? Chacun d’entre vous pourrait-il fournir des commentaires à ce sujet, s’il vous plaît?

Mme Ross : Il est intéressant de constater que, de façon générale, les propriétaires d’entreprises privées n’ont pas de régime de retraite et que, s’ils choisissent de laisser leurs bénéfices non répartis, leurs profits, à l’intérieur de leur entreprise et de les utiliser comme véhicule pour épargner en vue de leur retraite, c’est un objectif louable, à mon avis. S’ils retirent leur argent et l’investissent dans un REER, puis ont besoin de cet argent pour continuer de faire fonctionner leur entreprise — et cela peut arriver — ils doivent le retirer, payer le taux d’imposition le plus élevé à ce moment-là, pour ensuite remettre l’argent dans l’entreprise. Ce n’est pas logique. Ce serait plus logique de laisser l’argent dans l’entreprise jusqu’à ce qu’il soit nécessaire de l’utiliser. Lorsque vous possédez une entreprise, vous n’avez pas de régime de retraite. Votre entreprise représente votre retraite, votre capacité de prendre votre retraite, avec un peu de chance, avant l’âge de 80 ans.

M. Duplisea : Je pense que Krista a frappé en plein dans le mille lorsqu’elle a dit : « Votre entreprise représente votre retraite. » C’est votre vie, c’est votre avenir et c’est votre retraite, et je ne comprends pas vraiment les commentaires du ministre lorsqu’il dit que vous ne devriez pas utiliser le revenu passif comme retraite. Comme Krista l’a dit, il n’y a pas de régime de retraite, il n’y a pas de filet de sécurité pour les petites entreprises, et les propriétaires tentent simplement de trouver cet équilibre en conservant assez de fonds dans la petite entreprise pour pouvoir investir et économiser en vue des temps difficiles, en plus de répondre à leurs besoins au moment de leur retraite.

[Français]

M. Raffy : Le désavantage à passer troisième, c’est que les points ont déjà été présentés avant vous.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Vous allez comprendre. Je suis le quatrième.

[Français]

M. Raffy : Exactement, mais j’aimerais ajouter un autre point. Je ne veux pas nécessairement répéter ce qui a été dit, mais bien évoquer un autre aspect, celui de la retraite. Oui, les fonds peuvent être utilisés pour investir dans l’entreprise et se garder une réserve dans les cas où les choses ne vont pas bien. Mais en ce qui concerne la retraite, qu’est-ce que ça veut dire, une retraite? Je pense que c’est ça qui est important. La retraite, ça permet à la personne d’arrêter de travailler de 6 heures du matin à 9 heures du soir, de se reposer et de profiter de la vie ou du reste de sa vie, mais ça permet aussi à la prochaine génération de venir. Et ça, c’est très important. Ça, c’est la question de la relève entrepreneuriale, un dossier qui est très, très important pour nos communautés francophones, surtout les communautés rurales du Nouveau-Brunswick.

Les entreprises francophones, contrairement aux entreprises anglophones au Nouveau-Brunswick, en sont seulement à leur deuxième, peut-être troisième génération, alors qu’il y a des entreprises anglophones qui en sont à leur quatrième ou cinquième génération, et même plus. Par conséquent, il y a un défi de la relève entrepreneuriale au sein de la francophonie au Nouveau-Brunswick. Ainsi, permettre à ces entreprises francophones de sauver de l’argent et aux entrepreneurs de prendre leur retraite, c’est aussi permettre aux jeunes de rester dans nos communautés et d’assurer la relève de nos entreprises. Il faut penser vraiment à long terme ici, à plus long terme que la retraite de la personne. On parle de la vitalité de nos communautés. Merci.

[Traduction]

Mme Arseneau : Je sais que ce ne sont pas les entreprises. Nous parlons de familles de travailleurs, mais la plupart des habitants du Nouveau-Brunswick n’ont même pas de régime de retraite et même pas d’emploi. Je suis d’accord pour dire que, dans des régions rurales francophones, d’où je viens aussi, il n’y a pas d’emploi; nous devons donc aussi créer des emplois pour être en mesure de le faire. Même ceux qui n’ont pas de régime de retraite, qui sont des professionnels — je dis qu’une infirmière est une professionnelle — qui œuvrent dans un secteur où il n’y a pas d’emploi... Vous ne travaillez pas à temps plein, vous ne pouvez pas garnir votre régime de retraite. Au cours des dernières années, nous avons été chanceux : les travailleurs occasionnels l’ont été. Par exemple, je suis une infirmière qui travaille depuis 33 ans et je ne contribue à mon régime de retraite que depuis 17 ans, parce que j’étais travailleuse occasionnelle, qu’il n’y avait pas d’emploi durant les années où je travaillais et que les employés occasionnels n’accumulaient pas d’argent dans le régime de retraite. Donc, je suis d’accord : les emplois sont nécessaires, mais il est aussi difficile pour vos familles de travailleurs d’être en mesure de faire tout cela, à l’autre extrémité du spectre.

Le sénateur Neufeld : L’autre aspect qui me dérange — et nous l’avons entendu dire par les professionnels — c’est qu’on dirait que le ministre et le gouvernement ont ciblé des médecins, des professionnels, ces personnes-là, disant que c’est sur elles qu’ils essaient de mettre la main. Pourtant, ayant passé un certain temps au gouvernement provincial de la Colombie-Britannique, je sais qui ramasse la plus grande part du coût des soins de santé. Ce n’est pas le gouvernement fédéral. Peu importe où vous êtes au Canada, c’est le gouvernement provincial qui ramasse la part du lion. Lorsque nous commençons à déconner avec les médecins — et je ne peux que les prendre au mot — qui nous ont dit aujourd’hui, comme vous l’avez peut-être entendu, qu’ils pourraient partir, réduire leur nombre d’heures... Toutes ces choses me dérangent vraiment.

Je viens d’une région très rurale de la Colombie-Britannique. Nous avons toujours eu des pénuries de médecins. Comme nous n’avons jamais assez de médecins, lorsque cela commence à se produire, le fait que le gouvernement se lève et dise publiquement : « Nous voulons nous attaquer à ce groupe » commence vraiment à me déranger. En fait, la plupart des provinces cherchent partout dans le monde des médecins qu’elles pourraient faire venir sur leur territoire, puis nous avons un gouvernement qui dit : « Nous voulons nous attaquer à eux ». Qu’en pensez-vous? Pensez-vous qu’il est logique pour un gouvernement de réellement faire ce genre de choses?

Mme Ross : À Fredericton, nous avons une longue liste d’attente de patients orphelins, de personnes qui n’ont pas de médecin de famille, et je sais que c’est pire dans les petites régions rurales.

Au Nouveau-Brunswick, nous avons un système archaïque de numéros de facturation où nous ne pouvons pas obtenir de médecins parce qu’ils n’ont pas de numéros de facturation à utiliser. Maintenant, nous mettons des médecins, qui utilisent des méthodes de planification fiscale parfaitement légales et recommandées — nous avons à notre chambre un comité sur le recrutement des médecins qui travaille dans les faits avec la société médicale pour essayer de recruter des médecins et les envoyer dans notre région, parce qu’un si grand nombre de patients n’en ont pas — qui se retrouvent dans une situation où ils sont essentiellement surtaxés à un point tel qu’ils vont partir. C’est tout à fait inimaginable. Nous avons beaucoup de membres qui sont médecins, et nous mettons en réalité sur pied des ateliers pour aider les jeunes médecins à apprendre à diriger une entreprise. Nous le faisons en collaboration avec la société médicale. Ce sont de jeunes gens d’affaires. Ils œuvrent dans le domaine de la santé, mais ce sont des gens d’affaires et ils ont une entreprise à exploiter; ils ne devraient pas être pénalisés parce qu’ils utilisent des méthodes fiscales qui sont en place depuis les années 1960. C’est mal.

M. Duplisea : Si nous étions de ce côté, nous aurions la chance de parler de tous les bons points que Krista peut aborder en premier.

Le sénateur Neufeld : Pourquoi ne changez-vous pas de siège?

M. Duplisea : J’ai une observation à faire. Vous avez fait ressortir un très bon point lorsque vous avez dit que la province est celle qui paie la note pour beaucoup des coûts des soins de santé, et c’est très vrai. Partout au Canada, les coûts sont refilés aux provinces. Si je parle précisément du Nouveau-Brunswick, lorsque vous refilez ces coûts à la province, vous refilez le coût aux petites entreprises qui soutiennent cette province. Dans une province aussi économiquement défavorisée que le Nouveau-Brunswick en ce moment, il ne reste déjà plus de place. La menace d’une taxe sur le carbone plane déjà. Des primes de Travail sécuritaire NB pourraient être augmentées jusqu’à 70 p. 100. Nous avons des augmentations du salaire minimum. Toutes ces mesures ont créé un scénario où les petites entreprises n’ont tout simplement plus de place pour soutenir ces initiatives gouvernementales. Si cela signifie une réduction des services de santé que le gouvernement est en mesure de fournir, on verra là une des conséquences.

Une autre observation que je voulais faire concerne l’attitude et le ton généraux employés à l’égard de ces politiques fiscales proposées. J’ai toujours cru que le gouvernement et les régimes fiscaux devraient exister pour encourager la croissance dynamique des entreprises, les investissements et l’entrepreneuriat, et, pourtant, on utilise maintenant le ton contraire. Nous entendons des termes comme « pénaliser ». Nous devons pénaliser ce secteur. Nous devons nous en prendre à ce secteur. Nous avons mis la main sur la tranche supérieure qui en fait partie, et c’est un ton très négatif, et je ne crois pas que ce soit une approche responsable de la part du gouvernement. Celui-ci devrait faire le contraire. Il devrait créer des régimes et des scénarios fiscaux qui encouragent la croissance de l’entrepreneuriat et des entreprises plutôt que de les dénigrer.

[Français]

M. Raffy : Au dernier sondage de Statistique Canada, on a vu que, en 2016, le Nouveau-Brunswick était la seule province canadienne qui a connu une décroissance démographique. On est une province qui a une population vieillissante, ce qui veut dire que les besoins dans le domaine de la santé vont s’accumuler. La santé prend déjà une grosse part du budget provincial et, en plus, il faut s’apprêter à offrir encore plus de services de santé à une population qui en aura besoin et qui aura besoin de médecins. Ça, c’est une chose.

La deuxième chose, c’est qu’on entend dire que des médecins songent à quitter le Canada en raison de cette réforme fiscale. Je pense surtout aux étudiants. Le Dr Singh a dit plus tôt ce matin qu’il y avait deux facultés de médecine au Nouveau-Brunswick. Donc, je pense aux étudiants qui sont en train d’étudier et qui constatent ce qui arrive. On le sait, la population jeune est plus volatile, donc elle est plus prête à quitter la province et même le pays, ce qui signifie qu’on risque de perdre la population plus jeune et la main d’œuvre de demain. C’est donc un autre impact. Il y a des régions qui vont se vider. Il y a des entreprises qui ne pourront pas trouver d’entrepreneurs et, si les médecins sont les premiers à décoller — qui sont eux aussi, comme M. Noël l’a dit, des entrepreneurs —, il y aura d’autres entrepreneurs qui suivront la cadence et qui prendront la même décision. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Merci.

Très rapidement, puisque je sais que le temps avance, j’ai une déclaration à faire. Lorsque nous étions dans l’Ouest, nous avons entendu une entreprise — et nous parlons d’investissement dans les emplois — qui avait déjà investi dans l’Ouest en faisant ce qu’elle faisait et qui allait prendre de l’expansion en Ontario, ce qui aurait permis de créer entre 200 et 400 emplois. Sans même avoir découvert exactement ce que le gouvernement compte faire — c’est une petite société sous contrôle canadien — elle a dit que, en raison de l’incertitude, elle a déménagé ses activités aux États-Unis. Ces 200 à 400 emplois se trouveront aux États-Unis, et elle va exporter ses produits au Canada. Je n’arrive pas à comprendre la logique qui sous-tend cela. C’est plus une déclaration que quoi que ce soit d’autre.

J’aimerais demander ceci à Mme Arseneau : lorsque vous parlez d’éliminer les actions accréditives, je ne comprends pas bien pourquoi vous voudriez le faire. Durant mon expérience précédente en tant que ministre de l’Énergie et des Mines en Colombie-Britannique, les actions accréditives dans le domaine énergétique étaient excellentes, parce qu’elles permettaient à des gens de sortir et d’aller chercher en réalité la prochaine mine gigantesque qui allait créer des centaines et des centaines d’emplois directs et des milliers d’emplois indirects. Je n’arrive pas du tout à imaginer pourquoi nous nous dirions qu’il serait bien de faire une telle chose, parce que c’est accessible à tous. Peu m’importe qui vous êtes : vous pouvez travailler à l’usine, vous pouvez investir dans des actions accréditives si vous êtes prêt à assumer le risque. Cela ressemble à un investisseur providentiel. Qu’y aurait-il de mal à continuer d’avoir des actions accréditives? Je me suis battu pendant toutes ces années, et vous dites : « Pouf, nous devrions les éliminer ».

Mme Arseneau : Je ne dis pas de les éliminer complètement. Il s’agit seulement de l’équité de tout cela. Je ne suis pas la mieux placée pour répondre à cette question. Mes notes proviennent du Congrès du travail du Canada, et je pense que ses représentants s’adresseront à vous ou qu’ils l’ont déjà fait à Toronto ou à Ottawa. Mon domaine de responsabilité, c’est vraiment la justice sociale et les politiques sociales; c’est donc un peu difficile pour les entreprises.

Le sénateur Neufeld : Eh bien, en toute honnêteté, les actions accréditives sont une très bonne chose. Elles sont excellentes pour les provinces ou n’importe qui.

Le président : Sénateur Oh, je regarde l’horloge, vous avez une question?

Le sénateur Oh : En fait, j’en ai deux importantes. Ma première question s’adresse à Nancy Arseneau.

Vous avez dit plus tôt : « Ne vous en faites pas, le gouvernement va s’occuper des soins de santé. » Cette réforme fiscale est proposée précisément parce que le gouvernement manque d’argent et cherche du nouvel argent. En ce moment, il n’y a pas assez d’argent à dépenser. Nous devons trouver de nouveaux impôts, et il y en aura d’autres qui viendront, croyez-moi.

C’est le monde réel dans lequel nous vivons. S’il n’y avait pas d’entrepreneuriat, pas d’investissements, pas de fabricants, pas de gens d’affaires — et tout cela concerne le secteur privé — nous n’aurions pas de Congrès du travail ni de syndicats aujourd’hui. Oui ou non? Si vous répondez non, veuillez expliquer votre réponse.

Mme Arseneau : Nous savons que les impôts qui sont payés sont utilisés pour, comme je le disais, les soins de santé, l’éducation et le secours aux sinistrés. Tout le monde doit verser de l’argent, et, en réduisant les impôts que nous recevons de la part des 1 ou 3 p. 100 qui mettent plus d’argent dans des mécanismes de fractionnement du revenu, de gains en capital ou de placements passifs, nous ne recevons pas cet argent. Je dis juste que, si plus d’impôts vont au gouvernement, si le gouvernement peut économiser, nous pourrons investir davantage dans le système de soins de santé. Mais je suis d’accord, c’est de ressort provincial, et pas nécessairement fédéral. Les transferts, l’accord sur la santé et tout le reste ont été en attente, et la responsabilité incombe davantage aux provinces. Je dis juste que le gouvernement aurait dans ses coffres plus d’argent qu’il pourrait utiliser pour ces allégements fiscaux.

Le sénateur Oh : Je ne pense pas qu’on puisse trouver de l’argent dans les coffres.

Mme Arseneau : Je sais. C’est difficile.

Le sénateur Oh : C’est pourquoi le gouvernement cherche du nouvel argent.

Ma deuxième question s’adresse au groupe de témoins. Seriez-vous d’accord pour dire que le ministre Morneau devrait s’engager à entreprendre une analyse comparative entre les sexes avant de chercher à faire adopter des modifications fiscales proposées? Cette analyse comparative entre les sexes procurerait à tous une meilleure compréhension de l’incidence des modifications fiscales proposées sur les hommes et les femmes, les garçons et les filles, ainsi que d’autres facteurs intéressants, comme l’âge ou le revenu. En ce moment, il semble que, si les modifications fiscales entrent en vigueur sans que l’on fasse cette analyse, on ne comprendra pas les effets sexospécifiques de cette évaluation, jusqu’à ce que des problèmes apparaissent ou soient bien installés. Pourriez-vous répondre à cette question?

Mme Ross : Je répondrais que je ne pense pas qu’aucune analyse du genre n’ait été entreprise. On devrait assurément en faire une, et il semble que, dans certains des domaines où les femmes propriétaires d’entreprises, les femmes actionnaires, sont défavorisées par rapport au congé de maternité, ce genre de choses, les répercussions sont plus grandes. Je ne pense pas qu’aucune étude n’ait entièrement pris cela en considération.

M. Duplisea : Je suis d’accord avec vous, et nous avons entendu un certain nombre de commentaires et de questions sur l’analyse des répercussions, et je pense précisément que l’analyse comparative entre les sexes, comme vous l’avez indiqué, est essentielle, juste pour la Chambre de commerce de la région de Saint John. Comme nous l’avons dit, 85 p. 100 de nos entreprises sont de petites et moyennes entreprises, et les femmes constituent maintenant notre principal profil démographique. Cela tient au fait qu’un plus grand nombre de femmes que jamais auparavant créent des entreprises, possèdent des entreprises et occupent sur le marché du travail des postes de propriétaires et d’entrepreneures. À mon avis, ce n’est qu’un exemple des nombreuses analyses des répercussions que nous devons examiner; il faut simplement mettre les choses en attente pour comprendre un peu mieux les ramifications, puis élaborer un scénario fiscal qui accomplit les résultats qu’on désire obtenir.

[Français]

M. Raffy : Pour réitérer le point que j’ai fait durant mon introduction, je pense que les Canadiens se sont vu imposer un document sans qu’il y ait eu de discussion ni que des études ou des analyses aient été faites. Par exemple, en ce qui a trait à la condition féminine, il aurait dû y avoir une analyse, parce que, justement, on parle beaucoup des fonds prévus pour la retraite, mais ne faut-il pas aussi des congés de maternité? Donc, les femmes doivent prendre des congés de maternité, ou elles voudraient en prendre. Elles devraient pouvoir en prendre et, par conséquent, c’est quelque chose qui aurait dû être analysé et étudié, effectivement.

[Traduction]

Le président : Madame Arseneau, vous avez des commentaires?

Mme Arseneau : Je n’en ai pas. Je dirais la même chose, les femmes.

Le président : Nous allons terminer par une question de la sénatrice Marshall.

La sénatrice Marshall : Lorsque vous vous êtes entretenus par conférence téléphonique avec le ministère des Finances, avez-vous parlé de la question de la définition du revenu passif? Les gens comprennent-ils ce qui peut être inclus dans le revenu passif?

M. Duplisea : Assurément. Ce que la conversation a aussi fait ressortir, c’est ce que cela signifie, et on était en réalité incapable de définir le revenu de location ni quoi que ce soit, et il y avait une certaine ambiguïté.

La sénatrice Marshall : Vous n’avez donc pas obtenu de réponse définitive?

M. Duplisea : Non.

Le président : Cela nous amène à la fin.

Je remercie énormément les témoins d’avoir communiqué leur point de vue, leurs commentaires et leurs recommandations. Ceux-ci nous ont très certainement renseignés. Si vous ressentez le besoin de fournir des renseignements supplémentaires avant que nous ne déposions notre rapport au Sénat du Canada, le 15 décembre, n’hésitez surtout pas à en faire la demande à la greffière.

(La séance est levée.)

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