Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule n° 51 - Témoignages du 22 novembre 2017 (séance de l'après-midi)
SAINT JOHN, Nouveau Brunswick, le mercredi 22 novembre 2017
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 13 h 4, pour poursuivre son étude sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, notre comité se réunit aujourd’hui à Saint John pour poursuivre son étude spéciale sur les changements proposés à la Loi de l’impôt sur le revenu. Ces changements ont été annoncés par le ministre des Finances au cours de l’été 2017. Ils portent sur l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale.
Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons Jeff Saunders, associé fiscaliste, Teed Saunders Doyle; Christopher Neal, associé, Beers Neal LLP; et Andrew Costin, avocat de société et associé, Gorman Nason. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation.
La greffière m’informe que nous entendrons d’abord M. Saunders, suivi de M. Neal et de M. Costin.
Monsieur Saunders, vous avez la parole.
Jeff Saunders, associé fiscaliste, Teed Saunders Doyle : Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de me donner cette occasion de témoigner devant le comité afin de discuter de cette question importante. Comme bien d’autres au pays, notre cabinet comptable a passé des centaines d’heures à analyser les propositions du ministère des Finances publiées le 18 juillet, ainsi que les révisions subséquentes annoncées la semaine du 16 octobre.
Nous croyons que les modifications annoncées la semaine du 16 octobre sont positives et félicitons le ministère pour ces améliorations. Toutefois, nous continuons de croire que les propositions portant sur le partage du revenu et le revenu passif sont excessivement complexes et auront des conséquences négatives importantes pour un grand nombre de nos petites entreprises clientes. Nous entretenons également de sérieuses inquiétudes quant au manque de détails sur ces propositions. Les termes équité, équitable et juste part figurent souvent dans le rapport du 18 juillet. Malheureusement, ces termes ne sont ni définis ni quantifiés dans ledit rapport. J’aimerais vous donner quelques exemples de scénarios qui, selon nous, entraîneraient des résultats inéquitables.
Prenons une propriétaire de petite entreprise qui, sur l’avis de son comptable, économise depuis 15 ans afin d’aider à payer les études de sa fille en accumulant des investissements dans son entreprise. Son plan était de verser des dividendes à sa fille par l’entremise d’une fiducie familiale afin de l’aider à payer ses études. Conformément aux règles fiscales actuelles, sa fille aurait très peu d’impôt à payer sur ces dividendes.
Maintenant que la jeune fille en question se prépare à amorcer ses études universitaires, les règles sont modifiées et les économies que la propriétaire d’entreprise a travaillées très tard pour accumuler sont coupées de près de la moitié. La raison est que les dividendes versés à sa fille par l’entremise d’une fiducie seraient maintenant assujettis à un taux d’imposition de 46 p. 100. Une augmentation soudaine de 46 p. 100 des impôts sur un fonds accumulé sur une période de 15 ans de dur labeur ne nous paraît pas équitable.
Prenons maintenant un propriétaire de petite entreprise qui comptait sur les profits réalisés dans la vente de son entreprise pour financer sa retraite. Il a vendu les actifs de son entreprise plutôt que les actions de celle-ci. Ainsi, son fonds de retraite demeure dans la société. L’idée était de retirer au fil des ans des revenus sous forme de dividendes pour lui et sa conjointe. Sa conjointe ne respecte pas la définition de l’ARC de quelqu’un qui travaille activement pour l’entreprise, mais elle a toujours soutenu son conjoint lors des années de vache maigre de l’entreprise en démarrage et a pris soin, presque seule, des enfants à la maison.
Maintenant à la retraite, ils ne peuvent plus partager leurs revenus afin de réduire leurs impôts et il est trop tard pour faire d’autres plans. Leurs voisins, dont les fonds de retraite sont investis dans des REER ou des régimes de retraite, peuvent partager jusqu’à 50 p. 100 de leurs revenus. Cela ne nous paraît pas équitable.
Prenons finalement comme exemple un propriétaire de petite entreprise à qui appartient un édifice à logements. L’édifice n’est pas suffisamment important pour compter plus de cinq employés à temps plein. Donc, il ne s’agit pas d’une entreprise active. Selon les modifications proposées, si le propriétaire travaille fort, s’il fait croître l’entreprise et s’il touche un revenu supérieur à 50 000 $, le revenu excédentaire sera assujetti à un taux d’imposition de 73 p. 100. Ses concurrents de plus grande envergure sont assujettis à un taux d’imposition de 13 ou de 29 p. 100. Cela ne nous paraît pas équitable.
Selon nous, ces règles devraient inclure une sorte de clause de droits acquis ou être accompagnées d’exemptions permettant le partage du revenu pour des fonds déjà accumulés. Nous croyons également que, de façon générale, les conjoints et conjointes devraient être exemptés des propositions relatives au partage du revenu en raison de la nature de la relation maritale et des répercussions qu’a sur une famille l’exploitation d’une petite entreprise. Il est difficile de classer la contribution de bon nombre de conjoints et conjointes selon les critères de caractère raisonnable. Nous croyons également que l’immobilier, actuellement considéré comme un passif, devrait être exempté du seuil de 50 000 $.
Le nombre d’éléments inconnus associés à ces propositions constitue un autre problème important. Ces règles seront bientôt mises en œuvre. Nos clients nous demandent de les aider à planifier en vue de ces changements fiscaux, mais nous ignorons toujours les détails de ces changements ou quels seront leurs impacts.
Par exemple, le seuil de 50 000 $ de revenu passif sera-t-il indexé à l’inflation? Est-il basé sur le revenu brut, le revenu net ou le revenu imposable? Le seuil de 50 000 $ crée-t-il un obstacle à la croissance pour transformer une petite entreprise en une moyenne ou une grande entreprise? Comment les clauses de droits acquis sur les investissements existants seront-ils appliqués? Comment le gouvernement s’y prendra-il pour distinguer entre des investissements dans des actifs excédentaires de sociétés et des investissements appartenant à des investisseurs providentiels ou le capital de risque dans une entreprise?
Nous aimerions pouvoir répondre à ces questions pour nos clients, mais l’information disponible ne nous le permet pas. Tous ces éléments inconnus nous ont poussés à retarder la majeure partie de nos activités de planification fiscale pour nos clients. Ils ont également obligé nos clients à attendre avant d’investir dans des plans de croissance. L’incertitude créée en juillet par l’annonce de ces propositions a forcé la mise en suspens de plans de longue date et rendu pratiquement impossible la planification.
Sauf tout le respect que nous avons pour le ministre des Finances, l’entendre demander au comité le 1er novembre « […] de mettre de côté [votre] incrédulité pour quelques mois » ne suscite pas la confiance dans le processus. Les petites entreprises ont besoin de certitude pour organiser leurs affaires.
À notre avis, ces propositions devraient être reléguées aux oubliettes ou, à tout le moins, retardées en attendant les conclusions d’une évaluation de l’impact économique ou d’une commission royale ou une réforme fiscale complète. Merci beaucoup.
Christopher Neal, associé, Beers Neal LLP : Honorables sénateurs, merci d’avoir entrepris cette étude importante. Je suis un comptable public accrédité. Je suis un spécialiste compétent en fiscalité à la Cour du Banc de la Reine et je travaille dans le domaine de la fiscalité depuis plus de 20 ans.
Les propriétaires de petites entreprises, y compris les professionnels, assument des risques monétaires et professionnels considérables. C’est ce risque qui incite le démarrage de petites entreprises, qui favorise ensuite l’expansion commerciale, le développement de nouvelles technologies et la création d’emplois, ce qui permet, au bout du compte, à de petites entreprises de devenir de grandes entreprises.
Les modifications fiscales proposées ont été annoncées sans fournir beaucoup de détails laissant les propriétaires de petites entreprises et leurs familles dans une position très inconfortable et stressante. Les propositions fiscales telles que modifiées auront des conséquences très graves pour les petites entreprises. Par exemple, nos clients ont dû mettre sur la glace des projets d’acquisition et d’expansion déjà prévus à tout le moins jusqu’à ce que les modifications proposées soient mieux détaillées. Ces projets pourraient ne pas se réaliser. Tout dépendra des détails fournis. Certains de nos clients songent à vendre leurs entreprises.
Selon un de nos députés locaux, 97 p. 100 des petites entreprises ne seront pas touchées par les changements proposés concernant les investissements passifs conservés dans une société. Nous avons réfléchi à la situation de nos clients, et il semble qu’environ le tiers d’entre eux seront touchés, soit immédiatement ou plus tard, par les propositions modifiées concernant les investissements passifs. Encore une fois, comme nous devons nous fier à des détails insuffisants et incertains, ce nombre pourrait augmenter.
Concernant le partage ou la répartition du revenu, on propose d’appliquer un critère de caractère raisonnable sur le niveau d’effort fourni ou le risque assumé par le membre de la famille qui touche le revenu. Je prétends que les conjoints et conjointes assument le même risque ou presque que les propriétaires d’entreprises eux-mêmes. Les prêteurs exigent des garanties personnelles et de sécurité. Peu importe que le conjoint ou la conjointe fournisse une garantie ou une sécurité directe, il ou elle court un risque si l’entreprise échoue. De plus, je prétends que, dans certains cas, c’est toute la famille qui est à risque. Une famille avec des personnes à charge doit composer avec toutes les conséquences financières et sociales négatives lorsqu’une entreprise échoue.
Concernant les investissements passifs dans une société, en vertu de la loi actuelle, ces revenus provenant de ceux-ci sont déjà imposés à un taux supérieur à 52 p. 100, soit bien au-dessus de ce que l’on pourrait considérer comme étant le taux d’imposition de la classe moyenne. Pourtant, le gouvernement propose d’augmenter ce taux d’imposition. Les petites entreprises utilisent souvent les investissements passifs pour se protéger contre des périodes économiques difficiles, des maladies inattendues, des congés de maternité, des prêts de sécurité ou le rachat de partenaires. Encore une fois, en raison de toute l’incertitude qui entoure ces propositions, il semble que le seuil de 50 000 $ pour le revenu découlant des investissements passifs et le seuil d’un million de dollars pour les économies accumulées dans une société seront nettement insuffisants pour permettre aux propriétaires de petites entreprises de tirer parti de leurs capitaux et de créer des emplois afin de faire croître leurs petites entreprises. Ces seuils constituent essentiellement une taxe sur leur capital. Ces seuils ne devraient pas dépendre de la taille d’une entreprise. Une entreprise qui compte 25 employés a besoin de beaucoup plus de capital qu’une entreprise qui ne compte que trois employés.
Le gouvernement fédéral propose de réduire de 1,5 p. 100 le taux d’imposition des petites entreprises. Je soutiens qu’une telle réduction est pratiquement insignifiante étant donné la proposition relative aux investissements passifs, car celle-ci risque probablement de pénaliser les entreprises qui ont déjà économisé leur million de dollars et qui n’investissent pas directement les profits d’une année donnée dans l’entreprise. Par exemple, il y a un nombre maximal de camions qu’une entreprise de camionnage peut posséder avant que ceux-ci ne restent vides. La réduction du taux d’imposition des petites entreprises n’encourage pas les investissements des entreprises. Le montant en question est tout simplement insuffisant.
En terminant, le processus qu’a utilisé le gouvernement pour annoncer ces propositions a causé un stress considérable aux propriétaires de petites entreprises et ajouté à leur fardeau. Il s’agit d’un traitement injuste. Le gouvernement introduirait-il une telle incertitude pour les sociétés cotées en bourse? Introduirait-il une telle incertitude pour les ressources extracôtières? Je ne le crois pas.
Le gouvernement aurait tout intérêt à mettre fin à cette initiative, à créer une commission, à étudier la question en détail et à réécrire le code canadien des impôts de façon à ce qu’il soit équitable pour tous. Merci.
Andrew Costin, avocat de société et associé, Gorman Nason : Bonjour. Je tiens à vous souhaiter à tous la bienvenue à Saint John et vous remercie de m’avoir invité à témoigner.
Je suis un avocat de société et je pratique ici même à Saint John, au Nouveau-Brunswick, au cabinet d’avocats Gorman Nason. Je pratique principalement le droit corporatif et commercial et une grande partie de ma pratique porte sur l’immobilier commercial. Je traite principalement d’achats, de fusions, d’acquisitions et de retranchements. Tout ce que je fais dans ma pratique concerne MM. Neal et Saunders, à mes côtés, et fait appel à leur expertise. Lorsque mes clients examinent la possibilité d’acheter un édifice à logements, de convertir une propriété, d’acheter ou de vendre une entreprise ou de créer une fiducie familiale, ce dont ils ont le plus besoin, c’est d’une planification financière.
Je dois admettre que ce processus amorcé par le gouvernement fédéral a créé un climat d’incertitude qui fait en sorte qu’il est extrêmement difficile pour mes clients de prendre des décisions d’affaires et pour moi de les conseiller. Je sais que mes collègues ici présents conseillent leurs clients.
Je représente la troisième génération d’une famille d’entrepreneurs propriétaire d’une entreprise de construction basée à Amherst, en Nouvelle-Écosse. Mon père a 65 ans. Il s’est investi corps et âme dans une entreprise créée par son grand-père en 1947. Sa retraite, c’est son entreprise. Lorsque le ministre des Finances dit publiquement que nous sommes essentiellement des fraudeurs fiscaux parce que nous exploitons des sociétés privées, cela crée une certaine incertitude au sein de la communauté des affaires et un certain stress pour un homme de 65 ans.
Je suis également président d’Uptown Saint John, une association locale pour l’amélioration des affaires, et je pratique par l’entremise d’une société professionnelle. Les changements proposés auront un impact sur ma pratique, ma famille et mes clients.
Le principal problème, à mon avis, et dont j’aimerais parler aujourd’hui, c’est l’incertitude qui entoure mon métier. Je ne peux pas faire mon travail ni conseiller mes clients si j’ignore exactement quelles sont les intentions du gouvernement fédéral, si celui-ci choisit de gouverner par l’entremise des médias. Surtout, les entreprises détestent l’incertitude. En tant qu’homme d’affaires et membre d’une famille d’entrepreneurs, je peux vous le confirmer, et mes clients partagent cet avis. Je dirais que l’annonce de ces modifications proposées ou potentielles a déjà causé des dommages.
J’aimerais me concentrer sur ce seuil de 50 000 $ pour le revenu passif. J’ai écouté Pierre Poilievre demander au ministre pendant près d’une demi-heure si ce 50 000 $ s’appliquait par société, par actionnaire, aux sociétés apparentées, à un traitement fiscal différent des fiducies ou s’il était lié à l’inflation. À toutes ces questions, il a répondu la même chose, soit en parlant des jours meilleurs que le gouvernement tente de créer.
Il s’agit d’une situation très frustrante et stressante pour moi qui tente, à 30 ans, de me constituer un bas de laine dans une société professionnelle et pour mes clients qui se servent régulièrement des revenus différés qu’ils tirent d’une société pour investir dans une entreprise privée.
Si vous vous promenez sur la rue Canterbury, vous verrez que le centre-ville de Saint John vit toute une renaissance. Je dirais qu’une grande partie des investissements proviennent des revenus à imposition différée tirés d’une petite entreprise. C’est un revenu passif.
D’un côté, vous avez un entrepreneur qui a des compétences, et de l’autre côté, un investisseur providentiel disposé à investir des fonds qu’il a dans une société. C’est essentiellement ce que M. Morneau appelle de l’argent mort, une expression que je considère fausse et insultante, tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel.
Je tiens également à souligner que nous avons au Canada ce que l’on appelle l’intégration fiscale, c’est-à-dire que si je ne retire pas l’argent investi dans ma société professionnelle, cet argent est imposé à un taux très élevé. Le gouvernement en profite déjà. Il me paraît ridicule de prétendre que cet argent est caché, alors que le vrai problème, selon mon opinion professionnelle et personnelle, c’est les accords étrangers qui devraient, à mon avis, être examinés, ouverts et renégociés.
J’aimerais aussi, brièvement, pointer du doigt l’ARC. Hier, si je ne m’abuse, le vérificateur général a publié un rapport. Il est plutôt ironique de voir que l’ARC fait l’objet d’une vérification, mais, selon le rapport, l’agence est incapable de traiter le volume de questions et de problèmes qui sont soulevés. Le gouvernement fédéral voudrait maintenant ajouter à l’Agence du revenu du Canada une couche d’incertitude relativement à ses obligations en matière de vérification. C’est un vrai cauchemar.
Je sais que les membres du comité auront des questions à nous poser, mais, en terminant, je crois que le gouvernement fédéral tente essentiellement, en l’espace de 75 jours, de faire une refonte des principes et véhicules juridiques et fiscaux respectés qui ont été établis au cours des 40 à 50 dernières années. En passant, le gouvernement n’a eu aucun problème à prendre son temps dans le dossier d’Énergie Est. Pendant 75 jours, il a tenté de faire une refonte de notre régime fiscal tel que nous le connaissons sans faire ses devoirs, selon mon opinion personnelle et professionnelle.
Mon message, c’est que la révision complète de notre régime fiscal ne peut être réduite à des miettes de mesures fiscales mal avisées et à des simulacres de consultations comme c’est en ce moment le cas. Merci.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Mes questions sont plutôt techniques. Nous posons généralement des questions générales aux témoins, mais nous avons tous des connaissances d’ordre fiscal, alors je me dis que je vais tirer le maximum de votre témoignage.
Je voulais parler de revenu passif. Je vous sais gré des observations que vous avez faites dans votre déclaration liminaire. Nous en avons brièvement parlé ce matin avec un autre témoin qui nous a dit avoir participé à une téléconférence avec des fonctionnaires du ministère des Finances, et j’ai voulu savoir s’ils avaient été en mesure d’obtenir une définition de « revenu passif ».
Avant que nous parlions de cela, vous avez mentionné la question posée au ministre concernant le revenu passif, à savoir si c’était par société ou par actionnaire. C’était au Comité des finances de la Chambre des communes. J’ai aussi vu cela. Vous avez pris une de mes questions, mais ça va. J’en ai une autre ici pour vous.
Tout le monde parle de revenu passif et de la question de savoir si le seuil de 50 000 $ est convenable ou pas. Je suis retournée sur le site web du ministère des Finances, la fin de semaine dernière, parce que je voulais m’assurer de comprendre exactement ce que le revenu passif allait englober. D’autres fiscalistes sont venus témoigner. Quelqu’un à Calgary nous a dit que ce qu’il comprend de ce qui a été rendu public à ce jour, c’est qu’il y aura cinq pots pour les bénéfices non répartis et que le revenu passif s’y retrouvera. Il y en aura un pour les droits acquis et un pour ce qui ne fait pas l’objet de droits acquis.
J’aimerais vous entendre tous à ce sujet. Comprenez-vous bien ce qui peut entrer dans le revenu passif, ou êtes-vous plutôt comme moi? Je ne sais plus trop, en fait.
M. Saunders : Nous estimons avoir, historiquement, une très bonne compréhension du revenu passif tel qu’on l’entendait par le passé. En général, il s’agissait des dividendes, de l’intérêt, des loyers et des redevances, moyennant certaines conditions et avec certaines exceptions, bien sûr. Selon ce qui est proposé, nous supposons en quelque sorte que cette définition demeurera, mais nous n’en sommes pas sûrs.
La sénatrice Marshall : Où trouve-t-on la définition de « revenu passif »? Est-ce dans la Loi de l’impôt sur le revenu?
M. Saunders : Je ne crois pas que cette expression est spécifiquement définie dans la loi, non. C’est plutôt grâce à la jurisprudence et aux interprétations de l’ARC au cours des 40 dernières années que nous en sommes venus à comprendre de quoi il s’agit.
La sénatrice Marshall : Le budget de 2018 contiendra les détails de ce qui est proposé et il pourrait y avoir une nouvelle définition de « revenu passif ». Est-ce possible?
M. Saunders : Oui. L’une des choses qui nous rendent nerveux — ou curieux —, c’est la question des polices d’assurance détenues au sein d’une société.
La sénatrice Marshall : Oui.
M. Saunders : Dans certains cas, il y a une composante revenu qui a toujours été exonérée d’impôt parce qu’on estime que c’est un produit d’assurance. Nous ne savons pas si la définition de « revenu passif » pourrait être élargie dans le budget de manière à soudainement inclure ce type de revenu. Comme M. Neal l’a dit, l’estimation selon laquelle à peu près le tiers de nos clients sont touchés pourrait facilement doubler si l’assurance était incluse dans le revenu passif.
La sénatrice Marshall : M. Neal, pourriez-vous aussi nous parler du revenu passif afin que je puisse mieux comprendre de quoi il s’agit?
M. Neal : Oui. Le revenu de placements passifs a été défini au fil des années par l’application de la loi et l’interprétation. Je fais écho à certaines des choses que M. Saunders a dites. La valeur actuelle de rachat d’une assurance vie n’est pas imposable, mais je suis porté à croire que les placements passifs se fondent sur ce qui est autrement imposable.
Est-ce que cela signifie que l’assurance vie est exclue? Si c’est le cas, je pourrais démissionner et tout simplement aller vendre de l’assurance vie, car ce sera le meilleur et le seul actif qu’une société aura le droit d’avoir.
Et comme M. Saunders l’a soulevé, si je ne vends pas mes parts, mais que je vends les actifs de mon entreprise, il est à espérer que je réaliserai un gain. Qu’il s’agisse d’un gain relatif à un bien en immobilisation admissible ou d’un véritable gain en capital, je vais réaliser un gain. Historiquement, un gain en capital sur quoi que ce soit est passif. Est-ce que cela signifie qu’on estimera maintenant que l’aliénation d’une entreprise est un investissement passif?
Je ne comprends pas non plus si le seuil de 50 000 $ est établi par actionnaire. Qu’arrive-t-il si je suis un associé dans une entreprise, que nous sommes trois, et que j’ai une autre société? Est-ce que c’est divisé? Si ma femme a une société, est-ce que c’est 50 000 $ pour la société de ma femme et 50 000 $ pour moi? Nous ne le savons pas. Je ne sais pas non plus si le seuil de 50 000 $ est une manière d’en arriver au montant de 1 million de dollars, ou si le 1 million de dollars est la manière d’en arriver aux 50 000 $.
Est-ce que le maximum est de 1 million de dollars, ou est-ce que je peux avoir 10 millions de dollars, du moment que je n’ai pas plus de 50 000 $ investis? Est-ce qu’il y aura un mécanisme prévoyant un retrait si j’ai plus de 50 000 $? Est-ce qu’il y a un mécanisme pour retirer le revenu passif au-delà du seuil de 50 000 $? Mes investissements peuvent alors continuer de croître à l’intérieur de la société, mais je peux sortir cet argent. Je ne sais pas vraiment ce que cela fait. Je vais sortir l’argent et payer 52 000 $ ou plus, mais je paie 52 000 $ et plus déjà, à l’intérieur de la société.
La sénatrice Marshall : D’après ce que nous en comprenons, si vous sortez cela, vous payez les 52 000 $ à l’intérieur de la société. Vous sortez cela, et c’est alors que vous en arrivez à 73 000 $, car vous n’obtenez plus votre impôt remboursable.
M. Neal : C’est la raison pour laquelle je me demande s’il y a un mécanisme. Si j’ai une société et que je fais 75 000 $ après l’adoption de ces règles, est-ce qu’il y a un mécanisme qui dit : « Nous n’allons pas vous pénaliser pour les 25 000 $, mais vous devez sortir personnellement cet argent et payer l’impôt entier là-dessus. » Est-ce le mécanisme? Si c’est le cas, je ne sais pas ce que cela accomplit, parce que je peux continuer de laisser mon investissement croître. S’il y a une pénalité et que vous ne pouvez pas le sortir, comment gérez-vous vos investissements avec ce genre de précision? C’est impossible.
La sénatrice Marshall : Nous revenons aux pots, n’est-ce pas?
M. Neal : Oui, en effet. Ces propositions ne devraient pas mener à la possibilité de se remplir les poches, mais c’est ce qui va se produire. Les complexités seront énormes pour les petits entrepreneurs qui ne comprennent pas les règles pour commencer. Maintenant, ils vont devoir se démêler avec des catégories différentes de revenus et transférer les revenus d’un pot à l’autre, ou les en sortir. Si je parle de cela avec un de mes concessionnaires automobiles, il va penser que je suis fou, premièrement. Et deuxièmement, les frais seront énormes. La complexité a atteint un tout autre degré.
La sénatrice Marshall : Maître Costin, avez-vous quelque chose à ajouter au sujet du revenu passif? Je commence à mieux comprendre ce que c’est.
M. Costin : Je vais me comporter en avocat typique et simplement répondre « non » jusqu’à ce que j’aie quelque chose sous les yeux, car nous ne savons pas ce qu’ils vont faire. Quelqu’un m’a signalé quelque chose, et je reviens un peu sur le commentaire de l’ARC. Quelqu’un a dit : « Et si vous allez simplement emprunter un demi-million de dollars par l’intermédiaire de votre ordre professionnel et que vous l’investissez immédiatement avant la mise en œuvre des mesures proposées? Comment traitera-t-on cela? »
Comment vont-ils envisager le concept du revenu passif? Comment traitera-t-on ce seuil de 50 000 $? De toute évidence, je fais écho à ce que disent mes amis qui s’occupent de cela plus que moi. Ils ont raison de dire que c’est défini par la jurisprudence, mais je ne sais même pas si les gens de l’ARC savent vraiment en ce moment comment ils vont traiter cela.
Tant que le gouvernement ne présentera pas quelque chose de plus substantif et concret, il est impossible de savoir. C’est ce que je vois de mon côté.
La sénatrice Marshall : Hier, une avocate est venue témoigner. Elle fait beaucoup de constitutions en société. Est-ce votre domaine?
M. Costin : Oui. Je fais des constitutions en société et des conventions d’actionnaires.
La sénatrice Marshall : Elle nous disait que depuis juillet, depuis que les propositions ont été rendues publiques, son travail s’est en quelque sorte tari. Elle remarque une diminution dans son domaine. Remarquez-vous la même chose?
M. Costin : Honnêtement, tout dépend des ententes que j’ai actuellement. Ce que je dirais, c’est que pour la personne qui envisage d’acheter un collectif d’habitation et qui a de l’argent de côté dans une société, il ne s’agit que de le faire. Pour les éléments à plus grande échelle, je ne pense pas que cela change nécessairement quelque chose, honnêtement.
Je peux vous affirmer maintenant qu’on peut dire sans se tromper que toute réorganisation axée sur la fiscalité est en ce moment essentiellement sur la glace. J’ai des fiducies familiales qui attendaient et qui ne sont pas allées de l’avant.
La sénatrice Marshall : Les gens sont dans l’incertitude.
M. Costin : Toutes mes réorganisations, en ce moment, sont axées sur la valeur nette et certainement pas sur les aspects fiscaux. On peut dire avec certitude que ma pratique en particulier ne l’est pas.
La sénatrice Marshall : Elle n’est pas touchée.
M. Costin : Je dirais que c’est une douche froide pour quiconque envisage des fiducies familiales, un gel successoral et d’autres choses de ce genre. Je pense que les gens attendent que le gouvernement fédéral mette de l’ordre dans ses affaires, franchement.
La sénatrice Marshall : Monsieur le président, ai-je le temps de poser une question technique à M. Saunders, concernant un exemple?
Le président : Oui.
La sénatrice Marshall : C’est à propos de l’immeuble d’appartements. Vous disiez que s’il travaille fort, fait croître l’entreprise et fait plus de 50 000 $, le revenu excédentaire serait soumis à un taux d’imposition de 73 p. 100. Si c’est moins de 50 000 $, et que ce montant reste dans la société, quand il en est sorti, n’est-ce pas toujours au taux de 73 p. 100?
L’impôt remboursable, est-ce fini? Le savez-vous?
M. Saunders : Nous n’en sommes pas sûrs. D’après ce que nous avons lu de l’information qui est venue des Finances, nous croyons qu’à moins de 50 000 $, les règles actuelles continueront de s’appliquer, et que l’impôt remboursable sera toujours là.
La sénatrice Marshall : L’impôt remboursable va revenir, mais pas au-delà de cela.
M. Saunders : C’est ce que nous comprenons, mais je ne pourrais pas l’affirmer.
La sénatrice Eaton : Si je mets de côté 35 000 $, 45 000 $ ou 50 000 $ chaque année et que le montant grimpe à 1 million de dollars, je suis imposée à 52 p. 100 quand je le retire, mais si j’ai un immeuble d’appartements depuis 30 ans et que je me mets à accumuler plus de 1 million de dollars en revenu passif, je vais être imposée à 72 p. 100 ou 74 p. 100, n’est-ce pas?
M. Saunders : En fait, à moins que vous ayez plus de cinq employés à temps plein, le revenu des loyers de l’immeuble d’appartements est un revenu passif. Vous n’avez pas les 40 000 $ ou 50 000 $ par année pour avoir le million de dollars. Vous pourriez être déjà à 1 million ou à 2 millions de dollars, simplement parce que vous êtes propriétaire de l’immeuble d’appartements.
La sénatrice Eaton : C’est juste. Disons que je suis propriétaire de l’immeuble d’appartements et que je ne le vends pas. Il demeure un actif, mais j’accumule plus de 1 million de dollars. C’est alors qu’on commence à m’imposer à 74 p. 100.
M. Saunders : C’est bien ça, je crois, selon ce qui est proposé. Ce taux de 73 p. 100 tient compte des niveaux d’imposition des sociétés et des particuliers.
La sénatrice Eaton : Je ne suis pas comme mon ancien vérificateur général de Terre-Neuve. J’opte pour le plus simple. De nombreux médecins nous ont parlé. Vous payez votre dette. Vous établissez votre pratique. Vous payez cela. Vous commencez à épargner pour votre retraite en mettant 45 000 $ ou 50 000 $ de côté. Quel genre de pension obtiendriez-vous si vous accumuliez 1 million de dollars?
M. Saunders : Je n’ai pas fait ce calcul, mais j’ai lu des rapports que d’autres ont rédigés. Ce ne serait pas une énorme pension. Je n’ai pas de chiffres précis pour cela.
La sénatrice Eaton : Ce que nous disons à la plupart des gens qui travaillent très fort, aux propriétaires de petites entreprises, aux médecins et aux professionnels, c’est que leur pension se limite en réalité à 1 million de dollars, parce que, au-delà de cela, l’impôt sera de 74 p. 100. C’est juste?
M. Saunders : En gros, oui.
Le sénateur Pratte : J’essaie de comprendre le revenu passif. Quel est le nombre, ou quelle est la proportion de SPCC qui seraient touchées par cela? Connaissez-vous les chiffres présentés par le ministère des Finances, qui indiquent qu’un petit nombre seulement de SPCC ont de l’investissement passif? En fait, une très faible proportion de telles sociétés reçoivent un montant important de revenus de placements passifs.
Je vous ai entendu dire, monsieur Neal, qu’après discussion avec vos clients, vous avez l’impression qu’environ le tiers de vos clients seraient touchés, même avec le seuil de 50 000 $. Est-ce parce que les chiffres du ministère des Finances sont erronés d’une certaine manière, ou est-ce parce qu’on ne comprend pas bien ce qu’est le revenu passif? Aidez-moi. Qui se trompe dans ses chiffres?
M. Neal : J’aime à croire que les chiffres des comptables sont les bons. Je ne sais pas d’où le ministère des Finances tire ses chiffres. Je peux vous dire où je prends les miens. C’est à partir de déclarations de revenus privées et d’états financiers privés.
Notre cabinet compte 36 personnes qui travaillent dans trois bureaux. Nous ne sommes pas une petite entreprise pour cette partie du monde. Nous avons un très vaste éventail de clients. Nous avons des clients très prospères qui sont très importants, et nous avons de plus petits clients qui n’en sont qu’au démarrage.
Je vois les états financiers et les déclarations de revenus qui mènent à ces chiffres. À moins d’une analyse des déclarations de revenus faites par les gens, des SPCC — et n’oubliez pas qu’une personne peut avoir plusieurs sociétés dans lesquelles elle aurait des investissements passifs —, je ne sais pas où ils ont pris leurs chiffres. Les associés de mon cabinet se sont assis avec notre équipe de direction. Nous avions la liste des clients. Nous l’avons parcourue et avons relevé ceux qui seront touchés maintenant ou à l’avenir. Nous les avons mis en évidence, et c’était plus du tiers.
Le sénateur Pratte : Cela signifie que ces entreprises auraient en ce moment, bientôt ou éventuellement du capital investi d’au moins 1 million de dollars.
M. Neal : C’est juste.
Le sénateur Pratte : Donc, elles ont un revenu passif d’au moins 50 000 $.
M. Neal : Elles vont arriver à ce point si l’on se fie à leur rendement par le passé. Elles vont y arriver dans un très proche avenir. Nous avons des clients qui vont arriver à ce point immédiatement, la première année. Nous avons comme clients des entreprises qui vont verser des bonis dans les millions de dollars, en 2018. Il serait insensé de laisser l’argent derrière, dans la société. Nous avons un certain nombre de clients qui auront des millions en bonis. J’en ai déjà parlé avec eux. Ils en sont là dès le début.
D’autres clients, compte tenu de leur rendement par le passé, vont arriver au seuil de 1 million de dollars ou de 50 000 $, selon ce que vous envisagez, au bout d’une période de temps.
Le sénateur Pratte : Monsieur Saunders et monsieur Costin, donnez-nous une idée du type de sociétés dont nous parlons. Pour la plupart des gens, 1 million de dollars, c’est beaucoup d’argent. Quelle sorte de sociétés auraient 1 million de dollars en capital à consacrer à des placements passifs? Je n’aime pas ce mot — « passif ». Est-ce que ce sont d’importantes sociétés privées? Quelle taille devez-vous avoir pour avoir 1 million de dollars à investir, pas dans votre société pour le moment, mais à consacrer à des placements passifs sur le marché boursier, dans de jeunes entreprises ou dans autre chose?
M. Saunders : Nous aurions un éventail de clients dans presque tous les secteurs qui pourraient être touchés maintenant ou qui pourraient espérer se retrouver un jour au niveau où ils seraient touchés.
Le secteur de l’immobilier est le premier qui vient à l’esprit. Ils n’ont pas nécessairement à mettre 1 million de dollars de côté en espèces ou en placements. Le simple fait d’acheter votre premier immeuble d’appartements de 1 million de dollars vous amène à ce niveau, dans certains cas. Vous avez donc un immeuble de 1 million de dollars et un prêt hypothécaire de près de 1 million de dollars, probablement. Vous êtes quand même soumis à ces règles, éventuellement, si la propriété locative est profitable.
Il peut aussi s’agir d’entrepreneurs bien établis qui approchent de la retraite et qui ont accumulé des fonds au fil du temps. Ou encore, comme je le disais tout à l’heure, une entreprise peut choisir de vendre ses actifs plutôt que de vendre ses parts. Le chèque va à l’entreprise, qui passe soudainement d’entreprise active à fonds d’investissement.
Ce sont les principales possibilités.
M. Costin : À ce sujet, j’aimerais revenir aux questions soulevées par Pierre Poilievre. J’abonde dans le même sens. Bien des clients pourraient acquérir un immeuble de 1 million de dollars. Comme mes collègues, je pense que le seuil de 1 million s’appliquerait dans un tel cas.
Le scénario soumis par M. Poilievre à M. Morneau est celui d’une entreprise de 10 actionnaires riche de 1 million de dollars. Et c’est un scénario tout à fait valide. Il n’est pas non plus question des entreprises interreliées.
Ce qui me dérange, généralement parlant, parce que les réponses techniques vous ont été données, c’est d’entendre quelqu’un dire qu’un tel pourcentage d’entreprises seront touchées, et seulement les plus prospères. Mais qui se lance en affaires avec l’ambition d’être médiocre? Qui se lance en affaires? Qui fait des études en droit pour vivre pauvrement? Qui devient comptable pour ne pas faire d’argent?
C’est la noble quête du capitalisme qui crée de l’emploi au pays. C’est l’épine dorsale et le moteur de notre économie. C’est ce que je réponds à la rhétorique selon laquelle seule l’élite, seuls les plus prospères vont être touchés par cette mesure. À mon sens, c’est injuste et ça va franchement à l’encontre de l’esprit du capitalisme qui a forgé ce pays.
M. Neal : Je peux peut-être vous donner un exemple rapidement. Essentiellement, on a une entreprise qui a des actifs. Elle génère des profits qui passent en investissements passifs. On parle de 1 million de dollars. C’est beaucoup d’argent. Si c’était aussi simple, le débat serait vite réglé, mais ce ne l’est pas.
Prenons par exemple un concessionnaire d’automobiles qui veut se réinstaller dans un nouvel immeuble. Pensant que personne ne voudrait acheter un immeuble à vocation unique, il décide de louer ses anciens locaux. Il avait investi 2 millions de dollars dans cet immeuble, qui sont devenus des passifs. Il emprunte 5 millions de dollars pour construire les nouvelles installations. Son investissement passif dépasse le plafond de 1 million de dollars. Et pourtant, il dépense 5 millions pour construire le nouvel immeuble, créant ainsi de l’emploi pour les travailleurs de la construction, les plombiers et j’en passe. C’est sans compter ce que la nouvelle entreprise va apporter à la ville.
Il faut trouver l’équilibre. Aucun entrepreneur ne va placer tout son argent dans son entreprise. Il va en mettre de côté pour en tirer profit. Il va emprunter des fonds pour investir dans son entreprise, pendant que son investissement passif fructifie.
L’entrepreneur pourrait bien utiliser son investissement passif pour rembourser son prêt, mais pourquoi le ferait-il? Les intérêts sont déductibles d’impôt, aux dernières nouvelles, pourvu qu’ils soient utilisés à des fins opérationnelles. Son bilan peut faire état d’investissements passifs, mais aussi d’une dette considérable. Il faut voir les deux côtés de la chose.
Le sénateur Pratte : J’ai une toute dernière question à poser très rapidement à M. Neal. Vous avez mentionné dans votre exposé que le problème avec le seuil, selon vous, c’est qu’il est le même pour tous les types d’entreprises, les petites comme les grandes. Nous avons déjà entendu ce commentaire.
Cela m’amène à me poser la question suivante. Si le gouvernement devait aller de l’avant avec l’idée d’imposer les investissements ou les revenus passifs, ne pourrait-il pas à tout le moins envisager d’établir un seuil variable en fonction de la taille de l’entreprise? Ce serait certainement préférable à un seuil fixe.
Le hic, cependant, serait d’établir les critères de ce seuil variable. Avez-vous des idées? Est-ce qu’on se baserait sur le revenu total? Avez-vous des recommandations à nous faire à ce sujet?
M. Neal : Vous pourriez utiliser bien des facteurs de mesure, mais le revenu ne devrait pas en faire partie. Pensons à un entrepreneur général qui n’a pas véritablement d’employés, car il donne tout en sous-traitance. Il pourrait avoir 100 ou 200 millions de dollars de revenu, mais 50 000 $ de profit. Le revenu ne devrait pas servir de référence, non plus que les actifs.
Dans une entreprise comme la mienne, il n’y a pas beaucoup d’actifs, car c’est une entreprise axée sur les gens. Mais pour un concessionnaire, par exemple, les actifs sont considérables.
Établir des seuils différents selon la taille des entreprises, c’est imposer un fardeau incroyable aux petites entreprises qui ont déjà du mal à obtenir du capital, à recruter des employés, à percer le marché d’exportation et à maintenir un fonds de roulement. Malgré des activités profitables, des stocks et des comptes débiteurs, les petites entreprises n’arrivent pas à maintenir un fonds de roulement, car les banques refusent de leur prêter de l’argent.
Ce serait ridicule de leur imposer des complications et des coûts supplémentaires dans ces circonstances. Je ne suis pas convaincu que vous pourriez adopter une mesure raisonnable qui permettrait aux entrepreneurs de gravir les échelons en fonction de la taille de l’entreprise qui détient ces investissements passifs. Cela ne me semble pas réaliste.
Le sénateur Neufeld : Pour ce qui est de la retraite et de vos clients, j’aimerais vous rapporter ce que le ministre des Finances a dit à une réunion du comité. Il a dit au comité que le gouvernement reconnaissait la nécessité de garder des fonds dans l’entreprise à des fins opérationnelles. C’est normal, en fait, mais le gouvernement veut décourager l’utilisation de sociétés privées afin d’économiser pour la retraite.
Pour quelle raison le ministre des Finances affirmerait-il une telle chose à propos des petites entreprises? J’ai eu quelques petites entreprises dans ma vie. J’espérais un jour pouvoir mettre de l’argent de côté dans l’une d’elles. Puis, au moment de vendre, j’aurais payé mon dû en impôts. Il n’était pas question d’un seuil. Le gouvernement ne séparait pas les bons et les mauvais entrepreneurs en fonction d’une limite.
Sur quoi peut-on bien se fonder pour dire que c’est une mauvaise idée de planifier sa retraite? Le gouvernement nous répète que trop peu de Canadiens le font. Et voilà que le ministre des Finances nous dit que c’est une mauvaise idée d’avoir un plan de retraite.
Vous pouvez peut-être nous éclairer là-dessus.
M. Saunders : Sauf le respect que je lui dois, je suis en désaccord avec le ministre des Finances sur ce point. Je ne conseillerais pas à mes clients de placer tous les surplus de leur entreprise dans un REER, parce qu’advenant un ralentissement économique ou des temps plus difficiles, ils auraient à payer un taux d’imposition élevé pour récupérer ces fonds. Ils perdraient d’ailleurs leurs droits de cotisation, car ce serait impossible de remettre cet argent dans un REER après-coup. Ce serait une façon très inefficace et coûteuse d’économiser pour une entreprise.
J’ai rencontré des clients qui avaient mis de l’argent de côté. Un en particulier, propriétaire d’une entreprise dans une petite ville, avait économisé un peu plus de 1 million de dollars sur 20 ou 25 ans. Des facteurs hors de son contrôle ont décimé son industrie. Il a utilisé toutes ses économies, jusqu’au dernier sou, pour garder les portes de son entreprise ouvertes et sauver les emplois. Il aurait facilement pu décider de profiter de sa retraite avec ses économies et tout laisser derrière. Mais ce n’est pas ce qu’il a fait. Il a maintenu l’entreprise à flot et a réussi à renverser la vapeur, et a recommencé à mettre de l’argent de côté en vue de sa retraite.
Je ne comprends pas entièrement le point de vue du ministre à ce sujet.
M. Neal : Je pense que le ministère des Finances croit que des sociétés privées sous contrôle canadien — certaines, quelques-unes, beaucoup ou peu importe le nombre donné — ont été constituées en société dans le seul et unique but d’avoir accès au taux d’imposition des petites entreprises. J’ai l’impression que c’est ce qui a été dit.
Dans cette optique, je vous demande premièrement pourquoi vous laisseriez tomber le reste d’entre nous, soit une proportion de 90 p. 100.
Deuxièmement, je veux savoir pourquoi alors vous ne définissez pas ce que vous entendez par petite entreprise.
Nous savons ou je sais que certaines personnes qui constituent leurs entreprises en société ne devraient probablement pas le faire. Ce sont sans doute des employées. Lorsqu’on tient compte de leurs fonctions, on constate qu’ils sont plus susceptibles d’être des employées que des entreprises. Ils ne sont pas indépendants.
Il existe actuellement des lois qui portent là-dessus. On parle d’entreprises de prestation de services personnels. Cela dit, le monde change. Les employeurs ne veulent maintenant plus le fardeau associé à un grand nombre d’employés qui sont là à court terme, que ce soit huit mois ou un an et demi. Ils ne veulent pas indemniser les travailleurs. Ils ne veulent pas cotiser à un régime de retraite et à l’assurance-emploi. Ils ne veulent pas payer leur part du Régime de pensions du Canada. Ils ne veulent pas assumer le coût associé à la cessation d’emploi.
Les grandes sociétés publiques les encouragent à constituer une société, en recourant aux services de tiers qui cherchent des travailleurs, qui les jumellent avec ces grandes sociétés au moyen de contrats conçus pour des travailleurs indépendants.
Ces personnes s’adressent à des gens comme moi pour savoir si cela peut fonctionner, si elles peuvent constituer une société. On leur répond qu’elles peuvent probablement le faire pourvu qu’un tiers s’occupe du recrutement, offre des emplois ou des contrats.
C’est ce qui se produit; c’est la nature de ce qui se produit. Ce n’est pas attribuable aux petites gens dans la rue, mais aux grandes sociétés. Il est tout à fait injuste d’affirmer que des personnes constituent des sociétés dans le seul but de profiter de la déduction accordée aux petites entreprises, et de les montrer du doigt. Les gens doivent regarder un peu plus loin.
M. Costin : À propos de votre question, sénateur Neufeld, quand le ministre actuel des Finances dit qu’il veut empêcher les Canadiens d’économiser, en vue de leur retraite, au moyen d’une société privée, deux mots viennent à l’esprit. Le premier est Morneau, et le deuxième, Shepell. Je ne veux pas tomber dans la partisanerie; c’est juste un fait. Il y a un conflit d’intérêts qui peut déjà faire l’objet d’une enquête.
Je vous comprends. Mon père est propriétaire d’une petite entreprise. Sa retraite est son entreprise. Il veille donc à ce qu’elle soit saine. J’en parle à mon comptable. Mes clients en parlent à leur comptable et à moi. Dans cette situation, si je laisse l’argent dans une société professionnelle, et qu’on me dit qu’il n’y a pas de problème à ce que j’y aie recours dans le cadre de ses activités, comment pourra-t-on auditer cela efficacement?
Si je dis que j’y laisse 20 000 $ au cas où il faudrait de l’argent comptant en vertu d’un accord de partenariat, ou si j’y laisse 15 000 $ parce que nous prévoyons une dépense dans 10 ans pour acheter un immeuble à Fredericton et y ouvrir un bureau, comment quelqu’un peut-il auditer cela?
Toujours à propos du point que vous avez soulevé, je crois qu’on a discuté du propriétaire de petite entreprise qui prend de l’argent dans sa société pour cotiser à des REER. Il ne peut essentiellement que contribuer à des sociétés cotées en bourse. En effet, on ne peut actuellement pas investir dans une petite entreprise par l’entremise d’un REER. Je pense que c’est une chose qui est grandement négligée.
Un autre problème vient à l’esprit. Je représente beaucoup d’entrepreneurs. Je m’occupe habituellement du registre des procès-verbaux. Mes collègues ici s’occupent des états financiers. Ils sont nombreux à ne pas se donner de salaire, surtout ceux qui ont démarré leur entreprise. Ils ne se donnent pas de gros salaire et parfois même rien. Leurs droits de cotisation à un REER sont minimaux, s’ils en ont, sans mentionner que c’est extrêmement inefficace s’ils doivent se départir de leurs REER et réinvestir l’argent dans leur entreprise au moyen d’un prêt d’actionnaire.
Le sénateur Neufeld : Je peux vous dire que nous avons entendu beaucoup de choses. À titre d’exemple, au G8, le régime fiscal du Canada est perçu comme un régime relativement solide. Il doit manifestement être mis à jour. Je pense que nous pouvons tous nous entendre là-dessus compte tenu de la dernière fois qu’il a été mis à jour.
Est-ce exact? Y a-t-il des pays qui regardent le Canada et disent que notre régime fiscal ne tourne pas rond, ou disent-ils qu’il est généralement bon pour ce que nous faisons?
M. Neal : De la même façon que nous qui regardons les régimes fiscaux d’autres pays, d’après ce que je vois, ils ne comprennent pas tout à fait le nôtre. C’est un ensemble complexe de règles, de jurisprudence et de lois applicables.
Je ne sais pas vraiment quelle est la réponse à la question, si ce n’est que les incitatifs dans la Loi de l’impôt sur le revenu viennent du gouvernement, pas de nous. En 1971, la Loi de l’impôt sur le revenu avait un pouce et demi d’épaisseur, et elle est maintenant de quatre pouces et demi à cause des politiques publiques qu’on y entasse après chaque budget. Tout le monde se réunit autour du téléviseur et s’attend à des cadeaux. On obtient un crédit pour l’achat de certains produits, un autre crédit si l’on a un enfant et ainsi de suite si l’enfant fait certaines choses. Toutes ces choses sont entassées dans la loi. Elles sont toutes liées, ce qui rend la loi de plus en plus volumineuse.
La critique que j’ai entendue dans tous les dossiers abordés avec quelqu’un à l’étranger, c’est que le Canada insère beaucoup de politiques publiques dans sa loi.
Le sénateur Neufeld : Êtes-vous d’accord, messieurs?
M. Costin : Je crois que c’est de bonne guerre. Je suis allé à l’école secondaire à Boca Raton, en Floride. J’ai fait mes études de premier cycle à l’Université du Rhode Island et j’ai étudié les affaires. Il est intéressant de constater qu’on pense que nos impôts sont beaucoup plus élevés qu’aux États-Unis ou que notre régime est davantage axé sur les politiques publiques.
D’après mon expérience, y compris mon expérience limitée en matière de mouvements transfrontaliers, les deux régimes sont extrêmement complexes. J’explique souvent que j’ai travaillé avec un avocat qui avait un exemplaire de la Loi de l’impôt sur le revenu de 1973. La loi avait probablement environ le dixième de la taille des modifications annuelles qui sont présentées.
Je ne peux vraiment pas dire que le Canada est meilleur ou pire que les autres pays. Je vais toutefois dire que les États-Unis et le Canada devraient tous les deux simplifier leur code fiscal et arrêter de le rendre plus complexe. D’après ce que je comprends, c’est ce que vos homologues américains tentent au moins de faire.
M. Saunders : Oui, je suis d’accord. En général, nous avons un bon régime fiscal. C’est juste après 100 ans d’histoire qu’il est devenu de plus en plus complexe et difficile à comprendre. Je pense qu’il y a probablement des parties du document que même nous trois n’avons jamais lues. Plus tôt cette année, quand j’ai reçu par la poste ma nouvelle version de la Loi de l’impôt sur le revenu, il y avait un encart pour en souligner le centième anniversaire. C’était une reproduction de la Loi de l’impôt sur le revenu originale, qui avait 10 pages.
Le sénateur Neufeld : Connaissez-vous d’autres pays, et nous allons nous en tenir au G8, qui prévoient un revenu passif, peu importe ce que cela signifie, et un plafond pour tout le monde? Pouvez-vous penser à un autre endroit où le ministre des Finances a affirmé qu’il allait contrôler le montant d’argent que les sociétés peuvent avoir dans leur compte bancaire, quel que soit l’usage qu’elles veulent en faire, qu’il s’agisse de l’achat d’un tracteur de 1,5 million de dollars ou de 100 000 $ pour poursuivre des activités agricoles? Cela vient d’une personne qui affirme que les riches profitent du régime fiscal.
Beaucoup de personnes nous en ont parlé. Elles ne sont pas riches, et elles écoutent un ministre des Finances qui s’est fait prendre à ne pas déclarer aux bons responsables l’argent qu’il détient dans des entreprises. Dans les faits, il a gagné environ 5 millions de dollars d’intérêts pendant une période de deux ans alors qu’il était ministre. Il a tout simplement dit qu’il allait donner les 5 millions de dollars à un organisme de bienfaisance.
C’est bien qu’il donne 5 millions de dollars à un organisme de bienfaisance. Je ne lui enlève pas cela. C’est ce que je considère comme une personne riche, quelqu’un qui peut tout simplement se départir de 5 millions de dollars puisqu’il a encore raison et qu’il est parfait, mais qui veut imposer un plafond aux gens qui travaillent. Ils peuvent seulement placer 1 million de dollars en vue de leur retraite, et on dit qu’ils ne devraient pas pouvoir placer quoi que ce soit.
Comment vous sentiriez-vous si vous étiez un propriétaire de petite entreprise qui entend ces propos de la bouche d’un ministre qui est censé être le numéro deux du premier ministre du pays?
M. Saunders : Pour répondre au premier volet de votre question, je vais dire que je ne connais aucun autre pays qui a une règle du genre.
À propos des riches et de l’équité de manière générale, j’ai toujours dit aux gens que je ne suis pas milliardaire. Je ne le serai jamais. Même si vous en êtes un, quel que soit le montant de votre fortune, je ne crois personnellement pas qu’un taux d’imposition supérieur à 50 p. 100 est équitable.
Le sénateur Neufeld : Exactement.
M. Saunders : À propos de la façon dont d’autres propriétaires de petites entreprises et moi avons réagi à ces commentaires, je dirais qu’ils n’ont pas été bien reçus.
M. Neal : Pour le compte rendu, mon cabinet n’a pas de clients dont le profil correspond à celui que vous venez de décrire, et notre cabinet n’est pas petit. Quand vous parlez de riches, c’est peut-être la définition qu’il faudrait retenir.
Je fais partie des propriétaires de petites entreprises qui ont entendu ces propos. J’en fais partie. Je suis quelqu’un qui a risqué son capital. Mon cabinet vient tout juste d’en acheter un autre en juin. Nous nous sommes rendus à la Banque de Montréal pour demander de l’argent, et on s’est empressé de nous donner la somme demandée.
À partir du moment où j’ai signé et transféré la propriété de mon entreprise et de ses investissements passifs, la banque était très heureuse de me remettre un chèque. Je trouve insultants ce genre de propos compte tenu des années que les gens investissement dans leur entreprise et, dans mon cas et celui de mes collègues, des années passées à l’université. Je suis le premier à y avoir été dans ma famille. Une fois sorti de l’école, sur le terrain, à ses propres frais et risques, il est insultant d’entendre ces propos.
M. Costin : Ma réponse pourrait être quelque peu intéressée, car je ne connais pas le code fiscal d’autres pays, mais je n’en connais aucun au G8 qui a le plafond qu’on cherche à rétablir.
J’ai des amis avocats aux États-Unis avec qui je suis allé à l’école. De temps à autre, je les tiens au courant de la situation. Ils pensent que c’est insensé, même dans les circonstances actuelles de leur pays.
Je n’ai pas prêté serment cet après-midi, mais je peux dire au comité sénatorial que si j’envoyais un chèque de 5 millions de dollars à un organisme de bienfaisance, il ferait mieux de ne pas le déposer. Je ne tombe pas dans cette catégorie. Je vais faire écho aux observations de mon collègue. Le cabinet Gorman Nason a été créé à la fin des années 1960. Il porte le nom de Gorman Nason depuis 1983, et je ne pense pas que nous avons un client qui correspond à cette description.
Ce n’est pas moi qui m’occupe des impôts, mais je me dirais aussi qu’on peut obtenir une énorme déduction fiscale lorsqu’on donne ce genre de montant. Cela signifie essentiellement qu’il paye encore une fois moins d’impôts. Soyons clairs : je n’ai pas de différend avec le secteur public, les grandes entreprises ou les petites entreprises. Bien franchement, pour reprendre les propos de mon collègue, un taux d’imposition de 50 p. 100 est trop cher payé quel que soit le montant gagné, surtout lorsque le gros de nos recettes fiscales proviennent des mieux rémunérés. Ils sont pourtant vilipendés. Je ne suis pas un expert de la question des placements à l’étranger, et très peu d’avocats se tourneraient vers ce marché. Nous avons beaucoup d’argent placé ainsi, mais pour une raison ou une autre, rien n’est fait dans ce dossier.
Je suis d’accord avec vous. Pour moi, c’est tout particulièrement insultant étant donné que je viens tout juste, l’année dernière, de constituer mon cabinet en société.
Le sénateur Neufeld : J’aimerais ajouter une chose. Les modifications fiscales qui ont été proposées n’auront aucun effet sur une personne qui peut tout simplement se départir de 5 millions de dollars, aucun.
Le sénateur Oh : Monsieur Neal, vous êtes un comptable fiscaliste très doué. Je donne toujours des conseils aux investisseurs et aux nouveaux immigrants qui viennent investir au Canada. Je leur dis qu’il faut un bon fiscaliste et un bon comptable. Il semble maintenant qu’il faudra en avoir trois.
On a parlé plus tôt des conclusions du vérificateur général concernant l’ARC. Êtes-vous d’accord pour dire que l’agence n’est tout simplement pas prête à apporter des modifications aussi coûteuses à notre régime fiscal alors qu’elle a de la difficulté à répondre avec exactitude aux questions des Canadiens?
M. Saunders : Je suis parfaitement d’accord. Je ne sais pas quelles mesures l’ARC a prises pour se préparer à ces modifications. Je suppose qu’elle a fait tout son possible.
Si l’on se fie au passé et au rapport du vérificateur général, comme vous l’avez mentionné, il est extrêmement difficile de parler à quelqu’un au téléphone. Selon les conclusions du vérificateur général, je crois que 30 p. 100 des gens qui posent des questions reçoivent des réponses erronées.
Tout ce qui complique encore davantage le droit fiscal ne fera qu’accroître le nombre de questions posées et le risque d’obtenir des réponses erronées.
M. Neal : À l’heure actuelle, l’ARC procède lentement, mais de manière soutenue. Je crois que je me méfierais beaucoup des réponses données au téléphone par les gens de l’Agence du revenu du Canada. D’après ce que j’ai constaté moi-même, la réponse est généralement erronée. L’ARC s’est engagé dans cette voie il y a des années. Il est difficile d’avoir quelqu’un au téléphone et d’obtenir une réponse à une question.
Cela va même encore plus loin. Lorsque l’agence soumet nos clients à un audit, il lui faut parfois des mois, voire des années. Lorsque nous soumettons une contestation et que tout est reporté des mois plus tard, il faut parfois deux années avant que ce soit résolu. Nous ne parlons pas de millions de dollars en impôts, mais plutôt de 100 000, de 80 000 ou de 50 000 $.
Si vous voulez que l’ARC prenne une décision, je vous souhaite bonne chance. Il vous faudra attendre un an. Nous avons eu un audit dans le cadre duquel l’agence devait interpréter les dispositions sur la TVH. Le même auditeur a appliqué différemment les dispositions pour deux de nos clients de la même industrie qui se trouvent face à face dans la même rue. Dans un cas, l’agence a décidé de soumettre le client à une évaluation en fonction de son interprétation des dispositions, tandis que dans l’autre, on a dit au client qu’il ferait mieux de commencer à procéder d’une certaine façon, mais qu’aucune vérification ne serait faite. On parle du même auditeur au cours de la même année. Il y a quelque chose qui cloche à l’Agence du revenu du Canada.
M. Costin : J’abonde dans le même sens que mes collègues. Ils ont raison. Bien franchement, plus il y a d’incertitude, comme mes collègues et moi l’avons déjà fait remarquer, plus il faut de comptables et d’avocats. Cela les tient peut-être occupés, mais ce n’est pas ce qu’il y a de mieux pour l’économie canadienne.
À propos de vos observations sur l’immigration, je me suis chargé de situations triées sur le volet dans lesquelles j’ai représenté des entreprises dont les propriétaires immigraient au pays. Il n’est pas seulement question d’Immigration Canada, de Citoyenneté et Immigration Canada. On ne peut plus parler à une personne au téléphone. C’est la même chose à l’ARC.
J’en conclus donc essentiellement que si ces mesures sont adoptées, peu importe le montant des recettes fiscales supplémentaires qui seraient générées, il faudra verser le double à l’ARC pour que l’organisme puisse effectuer les audits qui s’imposeront et faire respecter les règles. C’est ce qui nous préoccupe. Mes collègues ont visé juste.
C’est trop long. Il n’y a aucune certitude. Même si d’excellentes personnes travaillent à l’agence, il est très difficile de faire bouger les choses. Je constate bien souvent une multiplication des litiges à ce sujet. Ce que Christopher vient de dire est tout à fait vrai. Il arrive qu’un même vérificateur tire deux conclusions fort différentes pour une même situation.
Il y a peut-être déjà un bulletin d’interprétation en matière d’impôt sur le revenu, et l’affaire est déjà réputée avoir été réglée, mais elle donne pourtant lieu à un litige. Après la lecture du dernier rapport du vérificateur général, je doute que l’agence soit prête à assumer le fardeau additionnel qui lui incombera.
Le sénateur Oh : Si la réforme n’est pas menée à bien ou adoptée, seriez-vous d’accord pour dire que votre clientèle baisserait, mais que vos honoraires augmenteraient?
M. Costin : Bien franchement, c’est probablement vrai pour ceux qui ont les moyens. Vous avez probablement raison. Ce sera plus cher si vous voulez faire bouger les choses dans la direction que vous souhaitez, ou si vous avez tellement investi que vous ne pouvez pas abandonner. Plus l’affaire est complexe, plus ce sera cher en honoraires d’avocats et de comptables.
C’est ce qu’on entend aux États-Unis. Il faut énormément de ressources pour contester les décisions de l’ARC. Il faut énormément de ressources pour régler les différends dans l’état actuel des choses.
Je tiens à préciser que le Nouveau-Brunswick a augmenté les impôts de ceux qui appartiennent au 1 p. 100 supérieur. C’est ce qui a été déclaré, mais la province perd de l’argent. Un jour, elle pourrait hausser les impôts. Sur Bay Street, il y aura un titulaire d’une maîtrise en sciences du MIT qui trouvera une nouvelle façon de procéder ou une solution de rechange. Les gens qui le pourront vont ensuite se réorganiser, puis le gouvernement perdra ce revenu.
M. Saunders : Je suis tout à fait d’accord. Je pense qu’une des raisons pour lesquelles notre cabinet et celui de M. Neal essaient en quelque sorte de sensibiliser la population et de repousser les propositions, c’est que même si elles augmentaient les honoraires de nos clients, nous savons qu’elles sont néfastes pour l’économie et pour les petites entreprises en général.
Je pense que cela l’emporte sur nos propres intérêts à court terme, du fait que nous pourrions gagner un peu plus d’argent. Si ces personnes font faillite, cela n’aidera personne.
Le président : Sénatrice Cools, avez-vous une question ou un commentaire?
La sénatrice Cools : Peut-être un peu des deux. Une chose me pose problème : il y a plusieurs années, l’Agence du revenu du Canada était un ministère du gouvernement. À cette époque, pour toutes sortes de raisons qui n’ont rien à voir avec le ministère du Revenu national, le gouvernement a créé une agence. L’objectif était de se réorganiser pour que les syndicats aient plus de mal à recruter des membres au sein des ministères, entre autres.
C’est une chose qui m’avait dérangée à l’époque, et qui m’est restée à l’esprit pendant de nombreuses années. Une des propositions qui a déjà été soumise à notre comité, c’est de recommander que l’agence redevienne un ministère du gouvernement relevant directement d’un ministre.
Je tiens à vous raconter les histoires que j’entends à propos des difficultés et de la rudesse avec laquelle l’agence traite les gens. J’entends ce genre d’histoires au quotidien. C’est vraiment terrible.
J’ai entendu parler du cas particulier d’un homme qui était vendeur de voitures d’occasion. Pour une raison que j’ignore, une des voitures qu’il avait vendues à un individu s’était retrouvée mêlée à une affaire de vol ou de crime quelque part. L’agence est intervenue et a bloqué tout l’argent de l’homme pendant des semaines et des semaines. Ce propriétaire de petite entreprise était dans une situation vraiment terrible. Je voulais simplement vous le dire.
Je tiens à vous remercier de nous faire part de votre expérience et de vos connaissances avec autant de générosité, mais ma vraie question se rapporte au fait que nous devons rédiger et soumettre un rapport. Le rapport contient toujours une liste détaillée et un bon résumé de nos observations, nos conclusions et nos recommandations.
Si je vous demandais de me dire quelles devraient être nos quatre meilleures recommandations, selon vous, que nous conseilleriez-vous?
M. Saunders : Pour commencer, je vous recommanderais de ralentir le rythme. Une révision colossale de la Loi de l’impôt sur le revenu, ou LIR, est trop importante. Elle touche trop de vies, de personnes et d’entreprises pour le faire d’une manière désordonnée ou précipitée au risque de se tromper. Nous savons qu’un budget sera déposé chaque année, et qu’il entraînera des modifications. Les taux augmentent ou descendent. Les fourchettes sont déplacées. Nous pouvons composer avec cela.
Nous sommes en présence de changements fondamentaux qui renversent 40 années de planification fiscale. C’est considérable, et l’incidence des modifications est énorme. Je ne comprends pas tout à fait pourquoi il faudrait autant précipiter les choses.
M. Neal : La LIR comporte un certain nombre de parties fort précieuses : les conventions de retraite, les régimes de retraite individuels et les règles relatives aux options d’achat d’actions. Ces dispositions sont généralement conçues pour les biens nantis et les très grandes entreprises. Elles restent malgré les propositions. Ce qui sera retiré, c’est ce dont nous avons discuté aujourd’hui à propos des petites entreprises, tandis que ces dispositions demeurent en place.
Je crois aussi savoir qu’une autre chose demeurera : lorsque vous faites don des actions d’une société avec un gain en capital, vous ne payez pas d’impôt sur ce gain. Vous créez également un compte de dividendes en capital, après quoi vous pouvez retirer cet argent de votre société en franchise d’impôt. Je suis certain que c’est ce que le ministre Morneau a fait si ces actions étaient détenues dans une société.
En passant, il aurait alors donné les actions, et non l’argent. Voilà qui aurait créé un gain en capital non imposable au sein de la société. Cela aurait également créé un paiement libre d’impôt de 5 millions de dollars, qu’il pourrait ensuite retirer.
Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement a dit qu’il allait éliminer les échappatoires fiscales pour les riches, puisque ces failles vont rester. Mon conseil est le suivant : je vous invite à examiner l’impôt sur le revenu dans son ensemble. Prenez votre temps, comme M. Saunders l’a dit. La loi doit être juste pour tout le monde. Cessez de vouloir distinguer les riches de ceux qui ne le sont pas, car ce sont les riches qui pointent du doigt les gens qui sont moins nantis.
M. Costin : Mes deux amis ont bien raison. La principale chose que j’aimerais voir dans un rapport, c’est que le travail doit être fait correctement. Sur les plans professionnel et personnel, je n’ai pas d’objection à examiner notre LIR de façon holistique. Le mot clé est « holistique »; il ne faut surtout pas se lancer dans ce que certains pourraient qualifier de lutte des classes et de calomnie d’un groupe donné.
Je me dis qu’il faudrait une commission royale. Il faudrait une contribution importante de fiscalistes, comme les deux qui sont à mes côtés, afin de regarder l’ensemble de la situation.
Je pense que tout le monde paie trop d’impôts, mais si vous voulez être cohérents et décidez d’imposer davantage l’ensemble de la population, pourquoi n’envisagez-vous pas les options d’achat d’actions? Pourquoi ne nous tournons-nous pas vers l’étranger? C’est mon avis.
En réponse à votre question visant à savoir pourquoi les choses ont été faites ainsi, ou comment elles sont faites, je pense honnêtement qu’il y avait une raison politique, étonnamment. Les décideurs ont fait un enjeu électoral de l’augmentation des impôts sur le revenu des personnes qui se constituent en personne morale, surtout les professionnels. Je suis au courant du changement qui a été apporté à la règle sur les deux sociétés, dont les avocats ont profité l’année précédente. L’information a été publiée sous la forme habituelle. Il y a eu un bulletin d’interprétation en matière d’impôt sur le revenu, qui disait : « Voici ce que nous allons faire. » Il n’y avait rien de retentissant qui disait que le gouvernement prône l’équité et l’égalité, et demande à tout le monde d’avoir sa fourche à la main. Tout a été fait très discrètement, ce qui était efficace.
Je suis d’avis qu’il n’y a franchement pas assez de gens qui ont remarqué. Lorsque viendra la période des élections, le ministre Morneau et le premier ministre Trudeau veulent pouvoir affirmer qu’ils ont fait ce qu’ils avaient promis. C’est ce que j’en pense. C’est la seule façon dont je peux interpréter le tout. Si le gouvernement apporte ces changements, pourquoi ne pas le faire correctement? Pourquoi ne pas s’asseoir avec des avocats? Pourquoi ne pas consulter des comptables afin de proposer quelque chose de substantiel?
Je leur dirais que le mal est fait, compte tenu de l’incertitude qui règne dans l’intervalle. Mais pour votre part, vous devez retourner à la planche à dessin pour faire les choses correctement.
La sénatrice Cools : J’ai une dernière remarque. C’est un autre de mes chevaux de bataille. J’ai consacré beaucoup d’années aux finances nationales. J’ai toujours appris et cru que le gouvernement a des pouvoirs constitutionnels très forts et puissants qui lui permettent d’augmenter les impôts, mais que le pouvoir d’imposition demeure un lien de confiance sacré. Le grand constitutionnaliste a toujours pensé qu’un lien de confiance unit le gouvernement et les citoyens, et qu’un gouvernement ne doit jamais, au grand jamais trahir cette confiance.
Il est dommage que nous ne parlions plus de cette façon, mais c’est ainsi. Il s’agit d’un lien de confiance entre les gouvernés et le gouvernement. Merci beaucoup. Vous nous avez quand même donné d’excellentes recommandations.
Le président : Avant de terminer, j’ai une question à l’intention des témoins. À la lumière des Paradise Papers et des Panama Papers, et compte tenu de votre expertise dans ce domaine et de vos propos, croyez-vous que la réforme que nous envisageons, si elle est adoptée, pourrait réduire l’observation des règles fiscales, ce qui ferait baisser les recettes fiscales du gouvernement fédéral?
M. Saunders : C’est bel et bien un risque. Comme M. Costin l’a mentionné, je crois, un article de journal a récemment été publié sur les taux d’imposition du Nouveau-Brunswick qui dépassent 50 p. 100, tandis que les recettes de la province diminuent. En fait, des études ont démontré que lorsque le taux d’imposition atteint un niveau donné, les contribuables n’ont pas l’impression que c’est juste. Ils recherchent alors des moyens, dont la plupart sont légaux, mais d’autres ne le sont pas, pour échapper à l’imposition.
Nous observons en quelque sorte ce phénomène du côté des petites entreprises. Certains de nos clients acceptent de travailler au noir. Nous ne leur conseillons vraiment pas de le faire puisque c’est illégal. Nous ne voudrions pas être associés à de telles pratiques, mais nous savons que cela existe. On peut donc s’attendre à ce que les propositions incitent les gens à trouver des façons de payer moins d’impôts. Si leur facture d’impôt grime de 20 000 $ l’année prochaine, ils chercheront des moyens d’y échapper.
M. Neal : Les propriétaires de petites entreprises sont futés. Bon nombre d’entre eux ont bâti de grandes entreprises à partir de rien. Certains de nos clients ont 150 à 250 employés. Ils ont relevé des défis plus difficiles que cela. Ils composeront avec les mesures fiscales dans la façon de gérer leurs impôts.
Nous avons déjà un certain nombre de discussions sur la façon de faire des affaires à l’étranger. Nous sommes assez gros. Nike a créé le Swoosh à l’étranger, qui perçoit une redevance chaque fois qu’un chandail ou une paire d’espadrilles sont vendus. Nous pourrions peut-être faire les choses différemment. De nombreuses options s’offrent à nos clients, qu’il s’agisse d’un propriétaire de restaurant qui envisage de placer ses recettes à l’étranger, ou de Nike qui établit son Swoosh à l’étranger.
L’économie clandestine est désormais encouragée. Son réservoir sera maintenant plein d’essence. Je l’ai déjà entendu; on me l’a déjà fait remarquer à plusieurs reprises. Il y aura donc une stimulation de l’économie clandestine.
M. Costin : Tout à fait; je partage encore l’avis de mes amis. Les gens agissent généralement de façon rationnelle. Généralement, une analyse coûts-avantages est prise en compte. Si vous vous tuez au travail jour après jour, vous allez commencer à chercher d’autres options. J’ai un client qui m’a demandé : « Andrew, que faudrait-il pour déménager mon entreprise dans le Maine? » J’entends souvent ce genre de chose. Je tiens à préciser que c’est ce que j’entends pendant que les Américains disent vouloir réduire leur taux d’imposition. Nous avons Paul LePage, dans le Maine, qui se bat pour tous les emplois qu’il peut désormais trouver. C’est comme pour l’ALENA : il y a un retentissant bruit de succion.
S’il est intenable ou trop coûteux de faire des affaires au pays, j’ai des clients qui vont faire le saut. Mes amis ont eux aussi des clients qui vont partir. Il y a même des citoyens qui pourraient lever les voiles. D’après mon expérience auprès des jeunes, je suis persuadé que si vous haussez les taux ou faites quelque chose en ce sens, un petit génie détenteur d’un doctorat du MIT finira par trouver un moyen légal de payer moins d’impôts.
C’est simplement ainsi. Bref, ce ne sera favorable ni pour les entreprises ni pour l’économie. Je ne peux même pas dire que cela générerait des recettes supplémentaires pour le gouvernement fédéral.
Le président : Messieurs Saunders, Neal et Costin, au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je vous remercie infiniment de nous avoir fait part de vos points de vue, vos commentaires et vos recommandations. Vous nous avez beaucoup éclairés.
Notre prochain témoin est Mike Holden, économiste en chef des Manufacturiers et Exportateurs du Canada. Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. Nous vous invitons à prononcer votre exposé, qui sera suivi des questions des sénateurs.
Monsieur Holden, vous avez la parole.
Mike Holden, économiste en chef, Manufacturiers et Exportateurs du Canada : Merci beaucoup. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.
Je suis ici pour parler au nom des 90 000 manufacturiers et exportateurs du Canada, et des 2 500 membres directs de notre association au sujet de l’imposition des corporations privées dont le contrôle est canadien, ou CPCC, et de la compétitivité fiscale du Canada en général.
Mais avant, j’aimerais vous transmettre les excuses de notre vice-président du Nouveau-Brunswick, Joel Richardson, qui a été invité à comparaître devant le comité. Joel est membre du groupe de travail du gouvernement du Nouveau-Brunswick sur la rémunération des travailleurs. Il avait malheureusement un conflit d’horaire avec des audiences publiques qui se tiennent à Moncton aujourd’hui, de sorte qu’il n’a pas pu venir.
Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas Manufacturiers et Exportateurs du Canada, ou MEC, sachez que nous sommes la plus grande association industrielle et commerciale du Canada, et que nous avons des bureaux partout au pays, y compris ici, au Nouveau-Brunswick. Plus de 85 p. 100 de nos membres sont des petites et moyennes entreprises, ou PME. L’objectif de notre organisation est de favoriser la prospérité et la croissance de ces entreprises en stimulant la croissance économique et la création d’emplois de qualité pour les Canadiens.
Tel qu’il est mentionné dans le mémoire officiel que nous avons soumis au ministère des Finances, MEC a un certain nombre de préoccupations concernant les propositions initiales de réforme fiscale des CPCC qui ont été publiées en juillet. Pour ne donner que quelques exemples, elles ne tiennent pas compte des principales distinctions entre le revenu des petites entreprises et celui tiré d’un salaire. Les propositions ont dissuadé l’esprit d’entreprise et l’innovation. Elles sont injustes à l’égard de la relève familiale des entreprises. Elles ont aussi intensifié la complexité et le fardeau de la conformité d’un régime fiscal déjà difficile.
Nous sommes heureux de dire que les changements annoncés en octobre répondent à bon nombre de ces préoccupations particulières. Cependant, ils ne tiennent pas compte de la question plus générale de la compétitivité fiscale, qui est selon nous beaucoup plus importante qu’une quête sélective de l’équité fiscale.
Il y a un écart grandissant entre la compétitivité fiscale apparente du Canada et les résultats que nous observons. Nous nous en tirons bien par rapport aux taux d’imposition affichés des États-Unis, et comparativement à des pays comme la France, l’Allemagne et l’Australie. Toutefois, nous nous situons dans la moyenne par rapport aux autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, et nous ne voyons pas les résultats que nous devrions obtenir.
Au Canada, l’investissement en capital des entreprises a chuté de 11,6 p. 100 au cours des trois dernières années. Dans le secteur manufacturier, la baisse atteint 15,3 p. 100. Comme pourcentage du PIB, les entreprises canadiennes investissent moins que celles de tout autre pays de l’OCDE, à l’exception de la Grèce. Les nouveaux investissements étrangers directs, ou IED, en installations nouvelles ont chuté de 40 p. 100 au pays depuis la période précédant la crise financière. À l’opposé, ces investissements ont grimpé de 41 p. 100 aux États-Unis.
En 2005, le Canada a attiré 4,6 p. 100 de tous les nouveaux IED en installations nouvelles à l’échelle mondiale. L’année dernière, cette proportion était tombée à 1,6 p. 100. Le régime fiscal des entreprises du Canada est relativement compétitif. Pourtant, nous perdons du terrain, d’après pratiquement toute mesure axée sur les résultats que vous pourriez examiner. Soit notre régime fiscal n’est pas aussi compétitif qu’il semble l’être, soit notre avantage fiscal ne suffit pas à compenser d’autres désavantages plus importants sur le plan des coûts.
Il est vrai que nos taux d’imposition des sociétés affichés sont plus attirants que ceux des États-Unis. Cependant, les gouvernements américains offrent aux fabricants une foule de crédits d’impôt, de congés, de programmes de subventions et d’autres mesures incitatives pour attirer les entreprises au sud de la frontière. Certains de ces efforts sont explicites, alors que d’autres sont négociés. Mais au bout du compte, la valeur de ces allégements fiscaux et de ces subventions éclipse totalement l’avantage fiscal apparent du Canada.
Nos taux d’imposition et nos coûts opérationnels n’étaient manifestement pas suffisants pour attirer de nouveaux investissements importants au Canada et, maintenant, nous sapons cet avantage. En fonction de l’endroit où vous vivez, les salaires minimums, les coûts d’électricité, la taxe sur le carbone, les cotisations au RPC et aux indemnités d’accidents du travail, et les taux provinciaux d’imposition des sociétés sont tous à la hausse.
Grâce à des mesures et à des propositions comme la réforme fiscale des sociétés privées sous contrôle canadien, l’imposition des avantages sociaux des employés et l’élargissement de la portée des taxes foncières pour englober la machinerie et l’équipement ici au Nouveau-Brunswick, les gouvernements font savoir au milieu des affaires qu’ils ne reculeront devant rien pour satisfaire leur avidité.
Les réductions du taux d’imposition des petites entreprises qui ont été annoncées récemment ne compensent pas cette tendance. En fait, nous nous inquiétons du fait que l’écart grandissant entre les taux d’imposition des petites entreprises et ceux des entreprises en général dissuade les entreprises de prendre de l’expansion au-delà d’une certaine taille à cause de la hausse punitive de l’imposition marginale qui en découlerait.
Pendant ce temps, les récents projets de réforme fiscale font en sorte que la compétitivité fiscale des États-Unis aille dans la direction opposée. Cela aura pour effet de creuser davantage l’écart entre les deux pays, de réduire les investissements au Canada et de motiver un nombre accru d’entreprises à déménager aux États-Unis ou à faire leur prochain investissement majeur dans ce pays.
L’incertitude entourant l’ALENA ne fera qu’amplifier ce problème. Le Canada n’est pas un grand marché. Notre principal avantage comme destination d’investissement est l’accès que nous offrons à l’espace économique nord-américain. La question n’est même pas de savoir ce qui se produira si on met fin à l’ALENA ou si on conclut un nouvel accord qui est pire que celui que nous avons en ce moment. La véritable question est l’incertitude que cela a déjà créé chez les sociétés. Pourquoi une entreprise investirait-elle au Canada dans ce climat d’incertitude alors qu’elle pourrait simplement investir aux États-Unis et l’éviter entièrement? Nous devons avoir une très bonne réponse à cette question; or, à l’heure actuelle, nous n’avons aucune réponse.
En somme, des questions comme la réforme fiscale des sociétés privées sous contrôle canadien et l’équité fiscale détournent notre attention d’un problème beaucoup plus important. Le Canada n’attire pas de nouveaux investissements. L’incertitude entourant l’ALENA motive les investisseurs à se diriger au sud de la frontière, et la réforme fiscale étatsunienne ne fera qu’accélérer ce processus, à moins que nous ne prenions des mesures décisives.
Bref, nous avons besoin d’abandonner les efforts sporadiques pour traiter la question de l’équité fiscale pour nous concentrer plutôt sur les objectifs stratégiques et nous attacher à attirer les investissements et à créer des emplois. Les CME croient que le Canada a besoin d’une réforme exhaustive de l’impôt des sociétés. Nous avons besoin d’un régime fiscal qui soit simple et équitable, qui favorise la croissance des entreprises, qui stimule l’innovation et, par-dessus tout, qui fait du Canada un endroit attirant où investir. Nous devons bien faire les choses, et les CME sont disposés à travailler étroitement avec les gouvernements fédéral et provinciaux à faire en sorte que cela se concrétise.
Merci à tous du temps que vous m’avez accordé. Je me réjouis à la perspective de répondre à vos questions.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup pour votre présentation. De nombreuses personnes nous ont parlé de la question des réformes fiscales telles quelles sont actuellement, mais vous l’avez présentée à plus grande échelle et ce n’est qu’un petit détail.
Quels sont les échos que vous entendez? Vous représentez de nombreux manufacturiers et exportateurs. Que vous disent-ils? Vous brossez un tableau très négatif. Nous ne sommes certainement pas en tête de file. Il est clair que j’aimerais que nous conservions nos acquis. Je ne voudrais pas que notre situation se détériore davantage.
L’impression que j’ai en lisant vos remarques liminaires est que nous perdons probablement du terrain au lieu d’en gagner ou de maintenir le statu quo. Que disent vos membres?
M. Holden : Ils sont très préoccupés. Comme je l’ai mentionné, la question de l’équité fiscale des sociétés privées sous contrôle canadien concerne un nombre considérable de nos membres, voire même tous nos membres. Nous comptons, parmi eux, des sociétés allant des très petites entreprises aux grandes multinationales. Les chefs des entreprises touchées sont très préoccupés. Ils estiment que leur contribution à l’économie canadienne n’est pas appréciée et qu’on les tient pour acquis. Ils se perçoivent comme les moteurs de la croissance économique au Canada. Ce sont eux qui créent des emplois, qui contribuent au revenu, qui mettent en jeu leurs propres vies et moyens de subsistance pour faire leur travail. Ils ne se sentent pas appréciés à leur juste valeur. Il n’est pas tout à fait exact de laisser entendre qu’ils sont catalogués comme des fraudeurs fiscaux, mais dans certains cas, c’est ainsi qu’ils se sentent.
Nos chefs d’entreprises, et plus seulement ceux des petites entreprises, nous font part de leurs préoccupations concernant la baisse des coûts concurrentiels que nous avons au Canada et dont le régime fiscal est en partie responsable. Nous avons un nombre élevé de petites augmentations dans une vaste gamme de secteurs. Au cours des trois ou quatre dernières années, on a haussé les cotisations au Régime de pensions du Canada, le salaire minimum dans certaines provinces et, comme je l’ai mentionné, le coût de l’électricité en Ontario et au Manitoba, la taxe sur le carbone ainsi que le taux provincial d’imposition des sociétés. La plupart de ces questions ne relèvent pas du gouvernement fédéral, mais d’autres, oui. Du point de vue des affaires, elles s’inscrivent toutes dans une seule série d’éléments qui érodent leur compétitivité.
La sénatrice Marshall : Lorsque nous avons parlé à des témoins d’autres secteurs, nous leur avons demandé à quoi ressemblait leur situation actuelle et où ils pensaient que leur entreprise se situait et comment ils allaient composer avec les changements fiscaux à l’horizon.
Certaines entreprises et certaines personnes disent qu’elles vont déménager, par exemple, dans d’autres provinces. D’autres envisagent de s’expatrier, soit au sud de la frontière soit encore plus à l’étranger.
Que vous diraient vos membres concernant le stade où ils se trouvent actuellement et comment ils entendent composer avec les modifications qu’on propose d’apporter au régime fiscal?
M. Holden : Il est juste de dire que certains ont exprimé exactement ce que vous venez de dire. Ils regardent de plus en plus leurs perspectives pour déménager leurs entreprises aux États-Unis ou dans d’autres pays. Dans le cas de la réforme fiscale des sociétés privées sous contrôle canadien, le changement de province ne compte pas autant. Si on prend le groupe plus important de modifications fiscales, il pourrait être avantageux de changer de province, mais si on examine la question uniquement d’un point de vue international, oui, certaines personnes sont préoccupées. Certaines ont exprimé le souhait d’au moins explorer les possibilités.
La question la plus pressante est celle que certaines entreprises risquent de déménager aux États-Unis ou ailleurs. Il est plus probable qu’elles feront leur prochain investissement aux États-Unis, car il est coûteux de déménager et de vendre son entreprise au Canada pour s’installer aux États-Unis. Je ne suis pas un spécialiste de la procédure que cela implique, mais je pense que c’est le prochain investissement qui nous inquiète.
La sénatrice Marshall : Pour en revenir au premier point que vous avez soulevé, nous affirmons que les investissements en immobilisations des entreprises au Canada ont baissé de 11 p. 100 au cours des trois dernières années et que la fabrication a diminué de 15 p. 100. Vous estimez qu’ils continueront à baisser. C’est ce que vous penseriez en fonction de votre expérience?
M. Holden : Oui. Pour être clair, il y a là deux points. Les investissements en immobilisations des entreprises qui ont baissé de 15,3 p. 100 se rapportent aux investissements que les entreprises font dans leurs propres opérations : elles achètent de la nouvelle machinerie, de nouveaux équipements et de nouvelles installations au Canada. J’ai aussi mentionné que de nouveaux investissements étrangers au Canada ou la création de nouveaux investissements dans des installations nouvelles comme une fabrique ou un type d’usine toute neuve sont aussi à la baisse.
Nous avons deux situations. Primo, les entreprises canadiennes n’investissent pas dans leurs propres usines ou agrandissements. Secundo, de nouvelles entreprises ne viennent pas investir chez nous.
La sénatrice Eaton : Merci, monsieur Holden. Vous soulevez un très bon argument concernant notre manque de compétitivité fiscale. Comparativement aux États-Unis, peut-être que nous faisons bonne figure en ce moment dans les grands titres, mais quand vient le temps de calculer les crédits d’impôt, les vacances, les programmes de subventions et autres incitatifs, ils s’en tirent mieux et sont plus concurrentiels que nous.
Si vous deviez faire une recommandation à notre gouvernement, quels types de crédits d’impôt ou de programmes de subventions devrions-nous mettre en place pour être plus concurrentiels sur le plan fiscal à l’avenir?
M. Holden : Il y a un certain nombre de possibilités. Je pense que l’objectif de toute option qu’on choisira doit être d’encourager les entreprises à investir davantage dans les biens de machinerie, les équipements et les technologies, dont de nouvelles technologies de fabrication de pointe.
La sénatrice Eaton : Comment le feriez-vous?
M. Holden : Il y a quelques options. La première figure dans notre mémoire prébudgétaire. Nous sommes dotés d’un programme de déduction pour amortissement accéléré. Nous avons recommandé qu’on en crée un précisément pour les investissements dans la fabrication, la machinerie, les équipements, les technologies et les logiciels de pointe. Un programme permanent qui permettrait aux entreprises de déduire les dépenses dans une année représenterait un changement majeur par rapport au programme actuel de déduction pour amortissement accéléré. C’est quelque chose que, selon moi, on voit dans les mesures fiscales étatsuniennes.
Cela serait utile, mais, en même temps, vous ne feriez que vous assurer que nous ne perdions pas plus de terrain par rapport aux États-Unis avec cette mesure particulière. Je pense que ce serait un pas assuré dans la bonne direction.
La sénatrice Eaton : Avez-vous d’autres recommandations à formuler?
M. Holden : Dans notre mémoire prébudgétaire, nous avons aussi recommandé qu’on étende à d’autres provinces le crédit d’impôt à l’investissement dans la région de l’Atlantique.
La sénatrice Eaton : Pourriez-vous l’expliquer?
M. Holden : Je ne suis pas un spécialiste du programme. Je ne connais pas l’information par cœur, mais il s’agissait d’un crédit d’impôt pour les entreprises qui investissaient dans leurs propres opérations ici au Canada atlantique. C’était un programme pour inciter le développement régional. C’est un bon programme ici, mais le fait que des entreprises aient accès à certains programmes fédéraux parce qu’elles se trouvent dans une région du pays plutôt qu’une autre nous pose problème. Nous aimerions voir un programme comme celui-là à la grandeur du pays.
La sénatrice Eaton : Pour éviter qu’il ne favorise une région au détriment d’une autre.
M. Holden : Oui.
La sénatrice Eaton : Autre chose?
M. Holden : Je pense que la principale question que le groupe de témoins précédent a abordée qui, selon moi, est très importante est la complexité croissante du code fiscal. Dans mes remarques liminaires, j’ai mentionné que nous avons besoin d’un régime fiscal qui soit simple et équitable et dont le fardeau de la conformité soit relativement léger. Nous avons entendu parler de l’épaisseur du code fiscal actuel. Nous avons besoin d’un régime qui soit beaucoup plus simple et direct que celui que nous avons actuellement pour nous assurer que le Canada soit, en fait, un endroit attirant pour les investisseurs.
Nous envisageons une autre possibilité, mais il nous faudrait nous renseigner davantage à ce sujet. Nous nous demandons ce qui se produirait si le gouvernement offrait un allégement fiscal appréciable sur le revenu retenu dans une entreprise pour que les revenus que les entreprises investissent dans leur propre avenir ne soient pas sujets au même taux d’imposition que les revenus distribués aux actionnaires, par exemple. C’est une autre possibilité.
La dernière que j’ajouterais est la question de la taxe sur le carbone; je ne veux pas entrer trop dans les détails en ce moment. C’est une question importante pour les manufacturiers. Les points de vue de nos membres varient sur ce point. En tant qu’organisme, nous croyons qu’il faut retenir que, si vous enlevez le revenu de la taxe sur le carbone aux entreprises, vous les empêchez d’investir dans les technologies, la machinerie et les équipements d’atténuation. Nous aimerions que tous les montants pris à ces entreprises de fabrication leur soient rendus, au dollar près, par l’intermédiaire d’allégements fiscaux ou d’incitatifs pour investir dans des technologies et de la machinerie novatrices ou même si une éventuelle liste a été préapprouvée à cette fin.
La sénatrice Eaton : Autrement dit, ils investiraient dans l’assainissement de leur propre entreprise au lieu de payer la taxe sur le carbone.
M. Holden : Absolument. Lorsque vous leur prenez l’argent, vous leur enlevez la capacité d’investir dans les améliorations. Une mesure qui réaffecterait ce financement vers des mécanismes qui amélioreront réellement l’entreprise lui permettrait non seulement d’accroître sa productivité, mais aussi de réduire son empreinte environnementale.
Le sénateur Pratte : Monsieur Holden, au sujet des modifications aux mesures de réforme qui ont été annoncées à la mi-octobre, vous avez dit dans vos remarques que les membres de votre organisme étaient ravis qu’elles abordent nombre de préoccupations précises que vous aviez.
Bien des témoins que nous avons entendus ici dans les provinces atlantiques, dans l’Ouest et à Ottawa nous ont dit que, même s’ils accueillaient favorablement ces modifications, ils estimaient que, dans bien des cas, elles étaient nettement insuffisantes. Ils souhaitaient toujours que l’ensemble des mesures soit tabletté.
Pourriez-vous expliquer plus en détail le point de vue de votre organisme sur les mesures de réforme, surtout en ce qui concerne la répartition du revenu et le revenu passif après les modifications qui ont été apportées à la mi-octobre? Maintenant que c’est fait, estimez-vous que ce train de mesures soit acceptable?
M. Holden : Je dirais que nous nous en préoccupons moins que précédemment. Je ne dirais pas qu’elles sont nécessairement acceptables. Notre principale préoccupation lorsque la question du revenu passif a d’abord été soulevée portait sur l’effet qu’elle aurait sur la croissance des entreprises. Nous nous en préoccupons toujours. Nous n’avons pas vu à quoi ressembleraient les modifications proposées au-delà des déclarations générales voulant qu’on permette aux entreprises de conserver 50 000 $ ou quelque mesure qui ne ciblera que la tranche supérieure de 3 p. 100. Nous ne savons pas vraiment à quoi cela ressemble, alors il nous est impossible de formuler des commentaires sur les propositions dans leur forme actuelle.
Notre principale préoccupation au chapitre de la répartition du revenu portait sur la difficulté de déterminer ce qui constituerait un salaire équitable ou dans quelles conditions une personne y serait admissible. Nous n’avons toujours pas balayé toutes ces préoccupations, mais elles ne sont plus aussi marquées qu’auparavant.
Le principal argument que j’aimerais soulever est que je ne pense pas que ces modifications particulières soient si importantes que cela. Le gouvernement ou le ministère des Finances fait fausse route à cet égard. Il ne s’agit pas d’une priorité élevée. Comme votre groupe précédent l’a mentionné, il n’est pas ici question des personnes richissimes qui évitent de payer des impôts.
Le fait est qu’il s’agit d’une faible priorité. Je pense qu’elles feraient plus de mal que de bien en l’état. Nous ne sommes pas favorables aux propositions dans leur forme actuelle, mais je pense que, compte tenu de l’importance de l’investissement et de la croissance au pays, nous estimons qu’elles devraient être abandonnées en faveur de réformes plus exhaustives et globales.
Le sénateur Pratte : Vous êtes économiste et vous brossez un portrait assez négatif de la situation au Canada en ce qui concerne les investissements. Ces chiffres sont certainement ce qu’ils sont. Cela dit, au cours des derniers mois, les nouvelles ont été relativement positives au Canada : il a été question de croissance du PIB, pas nécessairement au cours des deux derniers mois, mais pendant l’année 2017 en général. La croissance du PIB a été forte. Le taux de chômage est assez bas.
Il semble y avoir une sorte de contradiction entre ces grandes statistiques qu’on utilise habituellement comme indicateur du chômage et de la croissance du PIB et les données d’investissement que vous avez mentionnées. Comment expliqueriez-vous ce paradoxe apparent?
M. Holden : Je l’expliquerais en disant qu’il est tout à fait vrai que le Canada a connu une croissance économique solide jusqu’à présent en 2017. Cependant, si vous vous penchez sur le moment auquel cette croissance a eu lieu, vous constaterez que c’était, en grande partie, il y a un an, entre novembre et mai environ.
Le Canada a connu une croissance d’environ 2 p. 100 environ trois années d’affilée. Nous avons traversé une période de croissance solide de 4,5 p. 100 pendant six mois. Depuis juin environ, le taux de croissance est redescendu à 2 p. 100. C’est en grande partie attribuable au fait que, en période de faible croissance économique, il faut peu de choses pour que l’année suivante paraisse beaucoup plus favorable.
Je vis en Alberta. Cette province est censée être le chef de file du pays en matière de croissance du PIB cette année et l’an prochain, mais c’est en grande partie à cause de son rendement médiocre de l’année précédente que tout a semblé être une amélioration. Au Canada, la situation n’est pas aussi glauque, loin s’en faut, mais c’est une petite anomalie à court terme. Je ne pense pas qu’à l’avenir, nous verrons plus qu’un retour à une croissance de 2 p. 100.
Le volet investissement que j’ai souligné dénote toutefois une question légèrement plus subtile. Il s’agit de la tendance de croissance globale à long terme. Si nous n’investissons pas dans nos sociétés, si des entreprises ne viennent pas s’installer au Canada et si les entreprises locales ne prennent pas de l’expansion, nous n’assisterons pas nécessairement à un effondrement de l’économie, mais il en résultera une plus faible croissance à long terme. Pour prendre quelques chiffres fictifs, supposons que l’économie croisse à un rythme soutenu de 2,5 ou 2,6 p. 100 et que ce taux représente plus ou moins le statu quo. Si le taux de croissance chutait à 2,2 p. 100 d’une année à l’autre, nous n’en ressentirions pas tellement les effets. Or, cela s’accumulerait au fil du temps, d’où un écart de plus en plus marqué entre les taux de croissance à l’avenir, et c’est justement ce qui nous préoccupe.
Le sénateur Neufeld : Pour donner suite aux questions du sénateur Pratte, vous dites que l’investissement en capital des entreprises a chuté de 11,6 p. 100 et que, dans le secteur manufacturier, la baisse a atteint 15,3 p. 100; vous parlez aussi de la croissance du PIB. Comment les investissements fédéraux dans les infrastructures influent-ils sur ces chiffres?
Le gouvernement fédéral a emprunté des milliards de dollars au cours des dernières années pour investir dans les infrastructures. À tout le moins, c’est ce que je crois comprendre. Ces investissements contribueraient-ils le moindrement à la croissance du PIB du Canada, au regard de ces chiffres qui témoignent d’une baisse des investissements des entreprises?
M. Holden : Oui, cela permettrait de changer un tout petit peu le cours des choses, mais rien de plus. Je crois que le principal avantage que procurent les investissements en matière d’infrastructure, c’est forcément, avant tout, l’infrastructure économique proprement dite : routes, ponts, ports, réseaux de transport intermodal et toute autre mesure de ce genre qui améliorerait la capacité de production du Canada. Les investissements dans ces domaines produiront des retombées modestes à court terme en ce qui a trait au PIB, mais ce sont les retombées à plus long terme qui s’avèrent les plus utiles.
Le sénateur Neufeld : Ces chiffres me dérangent vraiment. Ils devraient d’ailleurs inquiéter tous les Canadiens. Que devons-nous faire pour changer la donne? Quelles mesures le Canada doit-il prendre pour renverser la vapeur?
M. Holden : Selon moi, nous devons nous efforcer de faire du Canada un endroit attrayant pour les entreprises. À cette fin, nous devons nous assurer d’avoir un excellent accès aux États-Unis et à d’autres marchés, de même qu’aux marchés intérieurs, une main-d’œuvre hautement qualifiée et productive, une structure fiscale concurrentielle et des coûts opérationnels peu élevés, comme les coûts des services publics et de l’électricité; à cela s’ajoute un fardeau réglementaire raisonnablement allégé, qui ne compromet pas la santé et la sécurité des personnes, mais qui met l’accent sur les résultats plutôt que sur les interdictions.
Il n’y a pas qu’une seule réponse à votre question. Je crois qu’une vaste gamme de mesures s’imposent. Puisque nous parlons aujourd’hui de réforme fiscale, je pense que nous avons besoin de politiques fiscales qui encouragent les entreprises à croître; il ne s’agit pas de récompenser les petites entreprises en raison de leur taille, mais de les encourager à passer à l’étape suivante. Comme corollaire important, nous ne devrions pas non plus cesser d’appliquer ces politiques dès que les entreprises prennent de l’expansion et atteignent une certaine taille.
Au bout du compte, nous voulons que les gens démarrent de petites entreprises qui se transforment en moyennes, puis en grandes entreprises et, enfin, en multinationales. Toutes ces transformations devraient être positives. Elles devraient toutes figurer parmi nos objectifs; nous ne devrions pas éliminer les mesures de soutien à l’investissement au-delà d’une certaine taille.
Le sénateur Neufeld : Vous avez parlé des coûts de l’électricité. C’est intéressant parce que, selon moi, nous soutenons bien la concurrence à nos voisins du Sud, sauf peut-être l’Ontario à l’heure actuelle. À mon avis, nous avons une position très concurrentielle. Je connais assez bien les tarifs d’électricité, et je pense que nous sommes sur un pied d’égalité dans ce domaine.
M. Holden : Je crois que c’est juste. À mon sens, une des difficultés liées aux questions de compétitivité fiscale de ce genre, c’est qu’il y a un problème général, mais les éléments qui le composent varient en fonction de l’endroit où vous vous trouvez.
C’est un problème en Ontario et, je crois, au Manitoba, mais ce n’est pas tellement le cas ailleurs.
Le sénateur Oh : J’aimerais que nous parlions de nos voisins du Sud. Vu la réforme fiscale imminente aux États-Unis, les négociations de l’ALENA sont en péril. Notre économie étant si tributaire des États-Unis, pensez-vous que nous devrions entreprendre un examen complet ou une étude approfondie de notre réforme fiscale ou de notre politique fiscale?
Nous sommes maintenant à la croisée des chemins en ce qui concerne la réforme fiscale des États-Unis. Leur président est un homme d’affaires qui sait ce qu’il fait. Il réduit les impôts pour attirer des investissements. On n’a qu’à regarder son récent voyage en Chine. Il a ramené chez lui le plus gros contrat jamais conclu par les quatre derniers présidents.
Les chefs de petites entreprises sont les moteurs de notre économie. D’après vous, devrions-nous envisager un remaniement complet à long terme? Qu’allons-nous faire maintenant? Les États-Unis s’avancent dans une direction. Devrions-nous miser là-dessus, ou peu importe? Qu’en pensez-vous?
M. Holden : Oui, j’aurais dit que nous avions besoin d’une révision fiscale complète de toute façon, mais je pense que les facteurs que vous avez mentionnés soulignent l’urgence avec laquelle nous devons agir.
Pour ce qui est de savoir si les taux nominaux d’imposition du Canada sont concurrentiels par rapport à ceux des États-Unis, à l’heure actuelle, ils ne parviennent toujours pas à attirer des investissements. L’ALENA va accélérer ce processus, ou l’incertitude entourant l’ALENA va amener plus d’entreprises à réfléchir avant de décider de s’installer ici parce que si une partie de leurs activités est liée à l’exportation vers les États-Unis, alors la solution la plus sûre sera de déménager tout simplement aux États-Unis dès le départ pour éviter les maux de tête.
C’est quelque chose qui nous préoccupe. La réforme fiscale aux États-Unis ne fera que rendre cette idée plus attrayante. Je suis convaincu que nous devons examiner attentivement, longuement et à fond notre régime fiscal pour nous assurer de créer un régime qui est concurrentiel et propice à la croissance, mais qui accorde aussi aux gouvernements les recettes dont ils ont besoin pour fournir des services importants.
Le sénateur Oh : Si les États-Unis réduisaient leurs impôts, nous irions de l’avant avec la réforme. Croyez-vous qu’il y aurait une fuite des capitaux et un exode des cerveaux vers le Sud?
M. Holden : Il est difficile de le dire en ce moment, car aucune modification précise n’a été explicitement établie et aucune comparaison n’a été faite par rapport à la situation actuelle au Canada. Je crois qu’il s’agit d’un risque très réel. Nous n’assisterons peut-être pas à une énorme fuite des capitaux ni à un énorme exode des cerveaux, mais cela donnera certainement aux entreprises une raison d’y songer plus sérieusement qu’avant.
À défaut de provoquer, d’un seul coup, une hémorragie catastrophique de capitaux, cette situation entraînera assurément une fuite lente des capitaux du Canada vers les États-Unis.
Le président : Sénatrice Cools, avez-vous une question?
La sénatrice Cools : Ce n’est pas vraiment une question. Aujourd’hui, nous avons entendu des médecins parler de la notion de recrutement des médecins et de l’incidence de ces nombreuses modifications sur le système de santé.
Quelqu’un nous a remis cette revue de la Chambre de commerce de Fredericton. Je ne suis pas une grande lectrice de revues, mais quand j’ai ouvert ce numéro, je suis tombée, ô surprise, sur un article intitulé « Physician Recruitment Supported by Committed Community Members », c’est-à-dire le recrutement de médecins grâce aux efforts de membres dévoués de la collectivité; voilà un message qui s’inscrit dans le droit fil de tout ce que les médecins nous ont dit plus tôt aujourd’hui. Je trouve cela très intéressant. Je tenais simplement à le signaler pour la gouverne des membres du comité.
Selon moi, nous devons nous attaquer à ce problème parce que les vraies questions dont nous aurons à traiter, au bout du compte, porteront sur les modifications fiscales et les pénuries de médecins et de soins de santé.
La sénatrice Marshall : J’ai écouté vos observations et vos réflexions sur les États-Unis, mais je ne considère pas nos voisins du Sud comme un modèle de perfection. Si nous examinons ce qui se passe là-bas, deux sujets dominent toutes les discussions : la réforme fiscale et la renégociation de l’ALENA.
On a l’impression que tout ce qui sort des États-Unis vise à promouvoir les entreprises. C’est, du moins, mon opinion. Les Américains sont de véritables fonceurs en affaires. Comparez cela à notre situation et à notre gouvernement. Je ne parle pas seulement du gouvernement actuel. Cela remonte loin dans le temps. Nous semblons mettre l’accent sur les dépenses du secteur public, l’imposition de nouvelles taxes et la complexification de notre code fiscal. On dirait qu’il s’agit d’un environnement général tout à fait différent.
Pensez-vous que cela change les choses?
M. Holden : Cela fait une énorme différence, comme vous venez de le dire. Je ne prétends pas que les États-Unis sont un pays modèle à tous les égards, loin de là. Selon moi, l’affaiblissement des règlements environnementaux au nom de la croissance des entreprises n’est pas forcément une bonne solution à long terme, même si on faisait un gros effort d’imagination. En effet, les politiques que vous avez évoquées donnent l’impression qu’il s’agit de mesures axées sur les entreprises et la croissance. Qu’il s’agisse de l’ALENA ou de la réforme fiscale, je crois que c’est tout à fait vrai.
Ainsi, nous devons être conscients de ce que font les États-Unis parce que nos deux économies sont étroitement intégrées. Les États-Unis représentent environ les trois quarts de nos échanges commerciaux et, dans la plupart des cas, il ne s’agit pas de produits finis. Ce sont des parties de marchandises qui franchissent la frontière dans les deux sens, des dizaines de fois. S’il se crée, au fil du temps, un énorme écart de compétitivité entre les deux pays, il y aura de moins en moins de mouvements de ce genre, et une plus grande partie de ces commandes iront directement aux États-Unis, d’où nous achèterons les produits finis.
La sénatrice Marshall : Les États-Unis comptent sur les entreprises pour stimuler leur économie, alors qu’ici, nous comptons sur le gouvernement pour y arriver. Nous misons sur les crédits d’impôt canadiens pour enfants et les dépenses d’infrastructure pour faire tourner notre économie. On dirait que nos deux pays sont situés aux antipodes l’un de l’autre. Je ne sais pas lequel des deux obtiendra le meilleur résultat, mais j’ai lu vos remarques liminaires…
M. Holden : Le point le plus important à retenir dans tout cela, c’est la question suivante : d’où viendra l’argent pour de telles mesures? Il n’y a rien de mal à élargir les crédits d’impôt pour enfants ou à investir dans les infrastructures. Si notre pays souhaite atteindre de tels objectifs sociaux, alors tant mieux. Le hic, c’est que nous devons trouver un moyen de les financer. Pour ce faire, il faut un secteur privé solide.
Comme on l’a mentionné tout à l’heure, et je suis sûr que vous l’avez déjà entendu, lorsqu’on augmente les impôts au-delà d’un certain point, le gouvernement commence à perdre de l’argent parce que les entreprises et les particuliers trouveront une façon d’éviter de payer autant d’impôts. Dans certains cas, nous avons atteint notre limite en matière d’impôt sur le revenu des particuliers, c’est-à-dire le montant maximal des recettes que le gouvernement peut soutirer des gens avant qu’ils ne se mettent à prendre des mesures d’évitement.
C’est la croissance du secteur privé que nous voulons stimuler. Mieux se portera notre économie, plus il nous sera facile d’instaurer toutes ces mesures. Voilà ce qui devrait être, à mon avis, l’objectif primordial.
La sénatrice Marshall : D’après les témoignages que nous avons entendus durant ces audiences, les modifications proposées feront beaucoup de tort aux petites entreprises. À long terme, cela n’augure rien de bon pour les grandes entreprises dont vous parlez dans votre déclaration préliminaire.
Le président : Avant de lever la séance, j’aimerais vous poser une question qui se rapporte à vos observations préliminaires, monsieur Holden. Vous avez dit que les entreprises canadiennes investissent moins que celles de tout autre pays de l’OCDE, à l’exception de la Grèce. C’est la déclaration que vous avez faite. Ensuite, nous avons parlé de la réforme fiscale et de la modernisation, ce qui inquiète un peu les Canadiens. Croyez-vous que le seuil de 50 000 $ pour le revenu passif constitue, d’après votre expérience, une solution à ce problème?
M. Holden : Non, je ne le crois pas. À mon avis, le seuil de 50 000 $ pour le revenu passif est conçu pour permettre aux personnes qui possèdent une petite entreprise de s’en servir comme un moyen d’épargner en vue de leur retraite. Il y a d’autres façons de générer des revenus à titre personnel ou de stabiliser les flux de revenus d’une année à l’autre.
Si je comprends bien les changements proposés, tant que l’argent est conservé dans une société privée sous contrôle canadien, la plupart de ces modifications n’auront aucune incidence importante. Elles touchent surtout les propriétaires d’entreprise qui retirent un montant sous forme de dividendes pour se verser un revenu ou pour payer leurs actionnaires. C’est là que se feront sentir les principaux avantages ou effets de cette modification, car les propriétaires d’entreprise auront ainsi une plus grande marge de manœuvre pour épargner en vue de leur retraite, se récompenser pour la prise de risque inhérente à l’entrepreneuriat, et tout le reste.
Le président : Monsieur Holden, merci beaucoup de nous avoir fait part de vos opinions et de vos observations. Si vous voulez ajouter quoi que ce soit à l’étude et au mandat qui nous a été confié par le Sénat, vous pouvez le faire par l’entremise de la greffière.
Avez-vous un mot de la fin?
M. Holden : Comme dernière observation, je tiens à vous informer que notre organisation entreprendra elle-même une étude sur la réforme fiscale globale afin de contribuer à ce débat national d’intérêt public.
Nous en sommes aux premières étapes. Cependant, nous faisons déjà des démarches, au sein de l’organisation, pour examiner le programme de recherche scientifique et de développement expérimental, ainsi que les crédits d’impôt à la recherche et à l’innovation. Une fois que ce travail sera achevé, nous passerons à l’étude d’une plus vaste réforme fiscale globale.
Nous rédigeons en ce moment un sondage à l’intention de nos membres sur des questions fiscales précises. Une fois le rapport terminé, nous serons heureux d’en faire parvenir une copie au comité.
Le président : Merci beaucoup.
Chers collègues, retrouvons-nous à 15 h 45 dans le hall de l’hôtel pour une visite des sites industriels à Saint John.
(La séance est levée.)