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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 53 - Témoignages du 28 novembre 2017 (séance de l'après-midi)


OTTAWA, le mardi 28 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 14 h 15, pour étudier le Budget supplémentaire des dépenses (B) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2018, et pour étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes (sujet : Imposition des revenus de placements passifs des sociétés).

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Je m’appelle Percy Mockler, et je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et président de ce comité. Je souhaite la bienvenue à toutes les personnes présentes dans la salle et à celles de partout au Canada qui nous regardent à la télévision ou en ligne.

[Français]

Je tiens à rappeler à nos auditeurs et auditrices que les séances du Comité sénatorial permanent des finances nationales sont publiques et accessibles en ligne à l’adresse sencanada.ca, le site web du Sénat du Canada.

[Traduction]

J’aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par celui qui se trouve à ma gauche.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Forest : Éric Forest, du Québec, de la région du Golfe.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l’Ontario.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci.

Aujourd’hui, notre comité poursuit son étude des dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses (B) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2018.

[Français]

Pour discuter des demandes financières, nous recevons Mme Janique Caron, sous-commissaire intérimaire, Direction générale des finances et de l’administration et contrôleure de l’Agence du revenu du Canada.

[Traduction]

Nous accueillons aussi M. Ted Gallivan, sous-commissaire, Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes, Agence du revenu du Canada.

Madame Caron, je crois comprendre que vous avez de brèves remarques liminaires à prononcer. Après vos remarques, les sénateurs poseront des questions.

[Français]

Madame Caron, la parole est à vous.

[Traduction]

Janique Caron, sous-commissaire intérimaire, Direction générale des finances et de l’administration, et contrôleur de l’agence, Agence du Revenu du Canada : Monsieur le président, bonjour, et merci de me donner l’occasion de m’adresser au comité pour présenter le Budget supplémentaire des dépenses (B) de 2017-2018 de l’Agence du revenu du Canada et de répondre à toute question que vous pourriez avoir au sujet de nos nouvelles demandes de financement. Je suis ici avec mon collègue, M. Ted Gallivan, sous-commissaire de la Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes.

[Français]

Monsieur le président, comme vous le savez, l’Agence du revenu du Canada est un organisme qui est axé sur la clientèle et qui est au service des Canadiens. L’agence veille aussi à l’administration de programmes fiscaux fédéraux et de certains programmes fiscaux provinciaux et territoriaux, de même qu’à l’exécution d’un certain nombre de programmes de prestations. Au moyen du Budget supplémentaire des dépenses (B), l’Agence du revenu du Canada cherche à augmenter de 44,9 millions de dollars ses autorisations de dépenses votées pour les deux points suivants.

[Traduction]

Premièrement, l’agence demande 43,9 millions de dollars pour la mise en œuvre et l’administration de différentes mesures afin de poursuivre les efforts visant à sévir contre l’évasion fiscale et à lutter contre l’évitement fiscal, tel qu’il a été annoncé dans le budget de 2017.

Ces mesures comprennent de nouveaux fonds de 13 millions de dollars pour les mesures relatives à la TPS/TVH, qui visent à prévenir l’évasion fiscale et à assurer le respect des lois afin d’augmenter le nombre de vérifications menées auprès des grandes entreprises à risque élevé.

Elles comprennent aussi 29 millions de dollars pour l’embauche de vérificateurs supplémentaires pour examiner les télévirements et autres sources de données et aussi augmenter à huit le nombre d’équipes de vérifications de l’impôt des grandes entreprises pour l’exercice en cours et jusqu’à seize pour le prochain exercice. Ces équipes pourront cibler plus de contribuables à risque élevé, dont des multinationales.

Nous demandons aussi 1,9 million de dollars pour l’élargissement des activités liées au renseignement d’entreprise.

Ce financement servira également à couvrir des coûts ponctuels liés à l’établissement de processus découlant des changements législatifs apportés au moment de la constatation des gains et des pertes sur les produits dérivés.

Les 43,9 millions de dollars demandés représentent la première année du financement de 523 millions de dollars prévu sur cinq ans dans le budget de 2017 afin de contrer l’évasion fiscale et la planification fiscale abusive.

[Français]

Deuxièmement, l’Agence du revenu du Canada souhaite obtenir des fonds supplémentaires de 1 million de dollars liés à la campagne publicitaire du gouvernement portant sur le nouveau crédit canadien pour aidants naturels. Les objectifs de cette campagne consistent à accroître la sensibilisation au nouveau crédit d’impôt qui remplace le crédit pour aidants naturels, le crédit pour personnes à charge ayant une déficience et le crédit d’impôt pour aidants familiaux, et à augmenter le nombre de Canadiens admissibles qui le demandent dans leur déclaration de revenus. Cette campagne publicitaire vise également à promouvoir les ressources liées à l’impôt et aux prestations sur le site Canada.ca qui comprendront des renseignements sur le crédit canadien pour aidants naturels.

[Traduction]

Ce Budget supplémentaire des dépenses comprend également une augmentation de 7 millions de dollars en crédits législatifs associée aux rajustements aux régimes d’avantages sociaux des employés pour les nouveaux fonds salariaux visés par ce budget des dépenses. Après l’approbation de ce Budget supplémentaire des dépenses, les autorisations révisées de l’agence pour 2017-2018 totaliseront 4,4 milliards de dollars.

Pour conclure, les ressources visées par ce budget de dépenses permettront à l’Agence du revenu du Canada de mener à bien sa mission. En effet, elle pourra continuer d’administrer les impôts, les taxes, les prestations et les programmes connexes et de veiller au respect des lois pour les gouvernements de l’ensemble du Canada. Il sera également plus facile pour la grande majorité des contribuables qui souhaitent payer leurs impôts et plus difficile pour la petite minorité de contribuables qui s’abstiennent de le faire. Ces ressources permettront également de faire en sorte que les Canadiens aient facilement accès aux renseignements dont ils ont besoin sur les impôts ou les prestations.

[Français]

Monsieur le président, c’est avec plaisir que nous répondrons aux questions des membres du comité. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Caron.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Merci à tous les deux d’être venus. J’ai deux questions. Le vérificateur général n’a pas été très flatteur la semaine dernière. Lorsque nous avons tenu nos audiences dans les Maritimes, un certain nombre de personnes et de petites entreprises ont soulevé le fait que vous étiez très difficiles à rejoindre et que vous leur donniez souvent les mauvaises réponses.

Je pense que le vérificateur général a dit qu’on ne répondait qu’à seulement 36 p. 100 des appels. L’agence a aussi déterminé que le taux d’erreur dans les déclarations était de 6,5 p. 100, alors que le taux que le vérificateur a trouvé était de 30 p. 100.

Ai-je vu le moindre montant dans le Budget supplémentaire des dépenses (B) pour rectifier la situation? Après tout, c’est assez fâcheux pour un chef de petite entreprise de recevoir une réponse erronée ou de ne pas pouvoir rejoindre quelqu’un. Vous êtes, grosso modo, un organisme de services, n’est-ce pas?

Mme Caron : Merci d’avoir posé cette question. Tout à fait, nous sommes un organisme de services. Nous avons reçu le rapport du vérificateur général. Nous acceptons ses recommandations et nous avons élaboré un plan d’action en trois volets : nous investirons dans la technologie et la formation et nous modifierons aussi nos mesures du rendement pour améliorer la situation.

Cette année, nous avons aussi rehaussé les ressources des centres d’appel. Ces ressources ne font pas partie des crédits qu’on vous demande d’approuver aujourd’hui dans le Budget supplémentaire des dépenses (B). Il s’agit de ressources qui ont été réaffectées au sein de l’agence. Le budget de 2016 prévoyait aussi un financement de 50 millions de dollars sur quatre ans l’an dernier. En conséquence, certains des résultats commenceront à paraître.

La technologie nous permettra de rediriger les appels plus efficacement vers les spécialistes des questions posées ainsi que de nous doter de la méthodologie pour mieux assurer la qualité des réponses, prendre des mesures et offrir de la formation ciblée.

La sénatrice Eaton : Si les nouvelles mesures fiscales du ministre Morneau entrent en vigueur le 1er janvier 2018, j’imagine que les placements passifs et diverses autres choses créeront énormément de confusion — du moins c’est ce qu’en disent les personnes que nous avons entendues partout au Canada. J’obtiendrais le plus de détails possibles, car bien des gens ne semblent pas avoir bien saisi leur fonctionnement exact.

La prochaine question que j’aimerais vous poser porte sur les 13 millions de dollars que vous avez prévus pour accroître le nombre de vérifications des grandes entreprises à risque élevé. Pourriez-vous me dire à quoi ressemble ce type d’entreprise?

Mme Caron : Je vais demander à mon collègue de vous répondre.

Ted Gallivan, sous-commissaire, Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes, Agence du revenu du Canada : Premièrement, à notre sens, une grande entreprise a un revenu annuel de 250 millions de dollars canadiens.

La sénatrice Eaton : Mais qu’entendez-vous par risque élevé?

M. Gallivan : C’est la première tranche. Nous avons un système automatisé qui compte plus d’une centaine d’algorithmes concernant les inventaires, les renseignements que les contribuables nous fournissent, les renseignements provenant de tiers comme Dun & Bradstreet, nos propres observations et des renseignements provenant d’autres parties. Toutes ces données sont saisies dans la base de données et, ensuite, nous classons littéralement les entreprises canadiennes en fonction des risques qu’elles présentent. Nous passons ensuite 400 heures à enquêter plus en profondeur.

Le défi avec les multinationales n’est pas de savoir si on va les soumettre à une vérification, mais bien quelle partie de l’entreprise y sera soumise. Elles ont souvent 200 entités juridiques différentes, alors nous avons appris de notre travail que nous ne procédons pas aux 50 vérifications suivantes, car nous sommes concentrés sur celles que nous avons choisi de mener puisque nous notons de plus grandes incohérences entre le taux d’imposition officiel et le taux d’imposition réel, ainsi qu’entre les renseignements communiqués concernant les déclarations de revenus et ceux que nous recevons de tiers. Cette année, nous commençons aussi à recevoir, de la part des multinationales, des rapports pays par pays qui montrent leurs activités partout dans le monde. Les entreprises pour lesquelles on observe beaucoup de prix de transfert dynamiques entre sociétés montent dans le classement des risques dans la mesure où leur taux d’imposition réel est inférieur au taux officiel, où il y a beaucoup de prix de transfert dynamiques où nous remarquons certaines tendances. Le fractionnement des comptes débiteurs — qui consiste, en gros, à vendre vos comptes débiteurs à rabais à une partie ayant un lien de dépendance — peut représenter un besoin légitime pour une entreprise en manque d’argent, mais lorsqu’il est fait en vue de réduire une facture d’impôts, il pose problème. Nous prendrions des mesures horizontales pour examiner la chose.

Je pense que, une fois que, une entreprise est suffisamment grande, les conséquences de la non-conformité présentent un risque élevé. Ensuite, nous cherchons des indicateurs de la probabilité qu’il y ait non-conformité.

[Français]

Le sénateur Pratte : Je veux revenir sur le rapport du vérificateur général, parce que madame Caron, dans votre présentation, vous avez dit qu’il était important de faire en sorte que les Canadiens aient facilement accès aux renseignements dont ils ont besoin sur les impôts et les prestations. Je comprends que l’Agence du revenu du Canada a accepté les recommandations et qu’une grande partie du problème est que le système téléphonique que vous avez est désuet. Je voudrais quand même comprendre un peu mieux le problème. D’abord, je vois dans le rapport du vérificateur général que le problème des appels qui ne parviennent pas à un agent dure depuis quelques années. Les données du vérificateur général remontent à 2012 et 2013, et le problème existait déjà. Cependant, en 2014 ou 2015, un agent répondait à tout de même 22 p. 100 des appels, 19 p. 100, ensuite 32 p. 100. En tout cas, le problème dure depuis plusieurs années. Comment se fait-il qu’il ait fallu tant d’années avant qu’on prenne des mesures pour s’attaquer au problème?

Deuxièmement, je suis étonné lorsqu’on regarde les exemples donnés dans le rapport du vérificateur général; le rapport donne des exemples des questions qui étaient posées. Ce ne sont peut-être pas nécessairement des questions très complexes. Dans certains cas, le taux de réponses inexactes dépasse les 80 p. 100, ce qui est franchement assez étonnant. Alors, il y a vraiment un problème majeur. Peut-être est-ce un problème de formation, et non pas simplement un problème de système téléphonique. Pourriez-vous nous parler des mesures à prendre, outre le changement du système téléphonique, qui permettraient de venir à bout de ce problème?

M. Gallivan : Pour commencer, je pense qu’une partie de la question était à savoir comment on s’est retrouvé dans cette situation en tant qu’agence. Le portail électronique, qui ressemble beaucoup au système des banques, était un point important. L’agence croyait qu’il allait permettre de réduire le nombre d’appels téléphoniques. Avec des services en ligne offerts tous les jours, 24 heures sur 24, on pensait voir une réduction du volume d’appels, ce qui n’a pas eu lieu.

Deuxièment, on a essayé de clarifier la correspondance et on a passé en revue tous les documents papier que l’agence envoie aux Canadiens afin de les clarifier, de sorte que les Canadiens n’aient plus à nous appeler. Cela non plus n’a pas réglé la situation. Alors, il a fallu faire des investissements. Le choix initial a été d’investir dans la technologie qui sera mise en œuvre en mai 2018, mais acquérir cette technologie et ensuite la rendre conforme aux autres systèmes de l’agence a pris du temps. Alors, il y a un laps de temps avant l’acquisition de la nouvelle technologie et sa mise en œuvre.

Comme l’a mentionné ma collègue, l’année dernière, on disposait d’un budget de 50 millions de dollars sur quatre ans. Cette année, on a dégagé de nouveaux crédits. La stratégie vise à réduire la demande des appels, à améliorer la technologie et à diffuser de l’information. Je n’ai pas parlé de la qualité des réponses fournies par nos agents, qui sont excellents. Ils subissent de la pression parce qu’ils sont déchirés entre la nécessité de prendre le temps de répondre aux divers appels et de traiter le plus d’appels possible. Donc, ce sont deux problèmes qui se posent. Avec la nouvelle technologie qui permettra un meilleur suivi des appels, on s’attend à être en mesure d’assurer l’exactitude des réponses fournies aux Canadiens.

Le sénateur Pratte : Merci de cette réponse. Compte tenu de l’évolution attendue des changements technologiques pour les prochaines déclarations d’impôt, les contribuables qui appelleront à l’Agence du revenu du Canada en mars et en avril peuvent-ils s’attendre à recevoir un meilleur service ou faudra-t-il attendre une autre année avant que l’effet des changements se fasse sentir?

M. Gallivan : L’agence n’attendra pas la mise en place de la nouvelle technologie pour apporter des améliorations. Elle compte réinvestir à l’interne. On a constaté une amélioration par rapport à l’année dernière. On s’engage à apporter des améliorations sans attendre la mise en place de la nouvelle technologie. Cependant, c’est vraiment la nouvelle technologie qui apportera une différence notable aux yeux des Canadiens.

Le sénateur Pratte : J’aimerais poser une dernière question pour m’assurer de bien comprendre. Avec le nouveau système téléphonique, lorsque j’appellerai à l’agence, est-ce qu’on m’informera, par exemple, qu’il y aura 12 minutes d’attente — ce qui serait déjà une information très utile? Quand cette technologie sera-t-elle mise en place?

M. Gallivan : Je n’ai pas la date exacte, mais j’ai parlé de la mi-juin 2018. On ne veut surtout pas empirer la situation. Ce n’est pas le moment d’essayer une nouvelle technologie en pleine période de déclaration de revenus. Ma collègue a peut-être la date exacte, mais il faut attendre que la période de pointe des déclarations de revenus soit passée avant de mettre en œuvre une nouvelle technologie.

Mme Caron : À partir du mois d’avril, l’un des centres destinés aux entreprises sera dirigé vers la nouvelle plateforme et, plus tard au cours de l’exercice financier, ce sera le centre d’appels pour les contribuables. On investit en ce moment dans la formation des agents pour veiller à la qualité des réponses qui seront fournies.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Pour enchaîner sur ces questions : quand avez-vous envisagé d’améliorer le système? Était-ce au moment où le vérificateur procédait à la vérification, après les résultats de la vérification, qui étaient un peu gênants, ou bien avant qu’il procède à la vérification?

Mme Caron : Nous avons commencé à discuter du besoin d’améliorer la technologie dans notre système — pas de modifier entièrement la plateforme, mais d’améliorer notre système — de façon à disposer de la technologie pour assurer la qualité des réponses, comprendre les raisons pour lesquelles les contribuables appellent et pouvoir mieux leur répondre. Les discussions pour trouver des solutions ont débuté dès 2011.

Parallèlement, Services partagés Canada a aussi été créé et il a reconnu que la plateforme de téléphonie était dépassée. Voilà pourquoi ce projet a pris de l’ampleur. Nous en sommes maintenant partenaires.

Le sénateur Neufeld : Alors en 2011, vous avez déterminé qu’il y avait un problème. En 2017, une vérification l’a rendu public, et vous commencez à prendre des mesures pour le régler. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps?

Mme Caron : Nous avions commencé à prendre des mesures pour le régler avant 2017. Nous avons reçu du financement supplémentaire par le truchement du budget de 2016 pour pouvoir accroître le nombre d’agents dans les centres d’appel. Cette année-là, dans le rapport du vérificateur général, vous voyez que les résultats sont meilleurs. Avant cette année, je pense que les Canadiens devaient probablement s’y reprendre à sept fois avant de pouvoir parler à un agent. Cette année-là, nous avons été en mesure de réduire le nombre à deux ou trois tentatives. C’était au cours du dernier exercice. Nous avons pris des mesures.

Ces projets et les grandes plateformes sont assez complexes. Nous voulons nous assurer de planifier avec soin pour ne pas perturber les services offerts aux Canadiens.

Le sénateur Neufeld : Je crois aussi comprendre que l’ARC a dit qu’elle investissait 1 milliard de dollars pour lutter contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. Vous avez un chiffre ici — 523 millions de dollars. Est-ce simplement parce qu’on fait autre chose avec les 500 millions de dollars qu’il reste?

Mme Caron : En gros, dans le budget de 2016, on a prévu 444 millions de dollars pour lutter contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal, somme à laquelle on a rajouté 523 millions de dollars dans le budget de 2017. Ensemble, ces chiffres totalisent 1 milliard de dollars.

Le sénateur Neufeld : D’accord, merci de cette réponse.

Il y a un bon bout de temps, mon épouse et moi étions en vacances aux îles Caïmans. C’était ma première et dernière visite là-bas. J’ai été abasourdi de voir que chaque banque canadienne que je connaissais à l’époque avait une immense tour à bureaux à cet endroit. Je n’ai pas les moyens que certains ont d’y ouvrir un compte, mais cela m’a choqué.

Pouvez-vous me dire pourquoi toutes les banques canadiennes, ou toutes les banques canadiennes importantes — peut-être que vous ne savez pas pourquoi — ont d’immenses tours à bureaux aux îles Caïmans, qui est connu comme paradis fiscal? Pouvez-vous me l’expliquer ou du moins me dire ce que vous en pensez?

M. Gallivan : Ces territoires se décriraient comme des centres financiers. Au fil du temps, de façon légitime, le courtage, les conseils et la gouvernance de ces arrangements ont clairement pris de l’ampleur.

Il y a eu un problème de transparence. Le G20 et le G7, auxquels le Canada a pris part, ont travaillé par l’intermédiaire du Forum mondial, qui est un organisme de l’OCDE qui s’est penché sur la question de la transparence. La transparence et les faibles taux d’imposition ont incité les gens à structurer leurs affaires en vue de maximiser la valeur économique pouvant être attribuée à ces pays à faible fiscalité.

Celui que vous avez mentionné en particulier serait la combinaison du taux d’imposition et des lois en matière de transparence. On exerce des pressions accrues sur ces pays pour qu’ils communiquent de l’information. À partir de 2018, par exemple, l’ARC commencera à communiquer les renseignements bancaires mondiaux de tous les Canadiens. À compter de cette année-là, nous aurons une meilleure visibilité des citoyens canadiens qui font ce dont vous venez de parler, c’est-à-dire qui ouvrent un compte bancaire dans ces pays. Cela nous permettra de décider si nous avons besoin de soumettre ces Canadiens à des vérifications.

Nous avons aussi une vue d’ensemble du mouvement des capitaux. Nous recevons un relevé mensuel de tout transfert électronique de fonds de plus de 10 000 $. Nous venons d’entamer notre processus pour apprendre comment exploiter ces données, mais nous avons commencé à y aller pays par pays. Nous avons débuté par l’île de Man. Nous avons parlé du Panama, du Belize et d’autres pays pour examiner chaque transaction et dire : « D’accord, telle transaction est sans but lucratif, alors nous ne sommes pas inquiets. Celle-là est pour les multinationales, et nous avons un autre programme. Qui est telle ou telle personne et pourquoi fait-elle autant de transactions? »

Je ne peux pas vraiment parler de la motivation de ces institutions en particulier mais, en règle générale, c’étaient la discrétion et les faibles taux d’imposition qui y attiraient les gens là-bas. Nous sommes de plus en plus dotés d’outils pour faire enquête et avoir une meilleure vue d’ensemble de la situation.

Le sénateur Neufeld : Un bon ami à moi a posé une question, il y a un certain temps, concernant les banques canadiennes qui utilisent des endroits comme les îles Caïmans, je présume. Ce n’est pas vraiment ce qu’il a dit, mais plutôt : « Nous sommes capables de réduire leurs impôts sur le revenu des sociétés d’un certain nombre de points de pourcentage », ce qui, dans le cas de cette banque en particulier, aurait signifié qu’elle aurait eu à payer environ 4 milliards de dollars pendant les trois premiers trimestres de l’exercice au Canada. Font-elles réellement passer les fonds par les îles Caïmans pour les rapatrier afin de réduire leur taux d’imposition au Canada en quelque sorte par la gestion financière? Je n’ai jamais été exposé à pareille situation, alors je vous demande votre opinion d’expert. Vous connaissez manifestement pas mal de choses en matière d’impôts.

M. Gallivan : Je pense que c’est connu que, par l’intermédiaire de leurs états financiers, les institutions financières canadiennes sont des clientes régulières de la grande section internationale de l’ARC. Vous verriez, dans ces états financiers, la divulgation de centaines de millions de dollars en réserves ou en rajustements d’impôt. Certaines de ces affaires ont été portées devant les tribunaux. Dans la couverture récente des Paradise Papers, vous auriez vu qu’une des institutions financières était impliquée dans un différend de 200 millions de dollars pour une année. Je pense que c’est vrai. Les institutions financières canadiennes sont très sophistiquées et elles suivent les limites acceptables de la planification fiscale. Nous en sommes conscients. Le document à l’étude aujourd’hui vise à nous donner la puissance nécessaire, non seulement pour trouver les questions que nous cherchons aujourd’hui, mais aussi pour intensifier les pressions exercées afin de pouvoir modifier les comportements. Lorsque vous prenez ces investissements, vous observez un rendement du capital investi, dont le ratio varie de 6:1 à 10:1. Cependant, notre organisme essaie d’avoir un effet dissuasif et de faire connaître nos activités pour y arriver. Dans le secteur financier du Canada, nous assignons normalement une équipe de vérification à ces institutions. Nous envisageons d’en assigner deux à certaines d’entre elles. Si les comportements continuent d’être à risque élevé, nous réassignerons une troisième équipe. En tant qu’organisme, nous essayons d’agir de façon à dissuader certains comportements par l’intermédiaire de notre travail de conformité.

Le sénateur Neufeld : Lorsque les Panama Papers ont été rendus publics, je pense que vous avez dit que vous aviez entrepris 123 vérifications. Était-ce avant la publication de cette information ou après?

M. Gallivan : Nous avions entrepris un certain nombre de vérifications avant la publication de cette information. Nous procédions à un certain nombre de vérifications en nous fondant sur nos propres renseignements ainsi que ceux que nous avions obtenus de nos partenaires internationaux et de notre programme d’informateur rémunéré. Vers la période où les Panama Papers ont fait la manchette, grâce à des échanges avec nos partenaires, nous avons reçu des renseignements très détaillés qui nous ont permis de passer à 123 vérifications.

Le sénateur Neufeld : Combien y en aurait-il eu au départ au lieu de 123?

M. Gallivan : Je ne voudrais pas vous induire en erreur, mais nous avions entrepris des dizaines de vérifications et quelques enquêtes criminelles. Alors nous n’avons pas été surpris d’apprendre que le Panama était un pays où il y avait beaucoup d’évitement fiscal et, probablement, d’évasion fiscale. Les efforts avancent bien. Je ne veux pas vous induire en erreur en vous donnant une réponse erronée, mais il y en avait un certain nombre en cours.

Le sénateur Neufeld : Si vous pouviez fournir à la greffière le nombre qui était en cours avant la diffusion de l’information, ce serait excellent. Je comprends que vous ne vouliez pas vous avancer sans être certaine.

La sénatrice Marshall : Merci d’être avec nous aujourd’hui.

J’aimerais discuter des fuites de renseignements personnels. J’ai un article ici qui a été publié l’été dernier et qui mentionne que la plus importante fuite de renseignements personnels à l’ARC s’est produite dans l’Ouest. Y en a-t-il eu d’autres?

Mme Caron : Nous prenons la protection des renseignements des contribuables très au sérieux. Nous avons des contrôles très rigoureux pour prévenir les fuites, mais elles se produisent malheureusement parfois. Donnez-moi une minute, et je vais vous donner des statistiques. Au cours de la dernière année civile, nous avons eu 162 incidents liés à la sécurité, un nombre à peu près stable au cours des dernières années.

La sénatrice Marshall : Est-ce qu’ils sont liés à des sources externes ou à vos employés à l’interne?

Mme Caron : Il s’agit le plus souvent de nos employés. Il peut arriver que des renseignements ou un porte-documents soient égarés, par exemple.

La sénatrice Marshall : Y a-t-il déjà eu quelque chose venant de l’externe? On entend parler de piratage des systèmes. L’agence a-t-elle déjà eu des problèmes de ce genre?

Mme Caron : Je ne suis pas spécialiste de la sécurité des TI, mais c’est arrivé — et le nom m’échappe — que les systèmes du gouvernement aient subi les attaques de pirates informatiques externes. Nous avons réagi très rapidement pour colmater la brèche.

La sénatrice Marshall : Ont-ils eu accès à votre système lorsque cela s’est produit?

Mme Caron : Très brièvement, mais nous l’avons verrouillé immédiatement. Je ne suis pas une experte en sécurité des TI, et je vais devoir vous revenir avec plus d’information.

La sénatrice Marshall : Lorsqu’il y a une fuite de renseignements personnels, qui est informé? Diffusez-vous un communiqué, ou informez-vous les contribuables touchés? Pouvez-vous répondre à ces deux questions?

Mme Caron : Bien sûr. Dès que nous avons assez d’information pour comprendre ce qui est arrivé et que nous avons la confirmation qu’il s’agit d’une fuite grave de renseignements personnels, nous en informons le commissaire à la protection de la vie privée. Nous l’en informons de façon informelle, puis nous lui acheminons des renseignements officiels. Nous informons aussi les contribuables, et leur fournissons des renseignements pour qu’ils protègent leurs données. Nous les informons de la situation. Ensuite, nous examinons si nous avons des leçons à tirer de ce qui s’est passé.

La sénatrice Marshall : Je serais informée si quelqu’un avait eu accès à mon dossier fiscal sans y être autorisé?

Mme Caron : Oui, vous le seriez.

La sénatrice Marshall : Services partagés ont-ils accès à vos systèmes, ou est-ce qu’il n’y a que l’Agence du revenu du Canada qui peut y avoir accès?

Mme Caron : Nos systèmes fonctionnent à partir de la plateforme offerte par Services partagés Canada à l’ensemble des ministères. Ils nous fournissent donc des services qui sont liés à nos systèmes centraux, au périmètre externe. Ils sont propriétaires de nos serveurs, par exemple, alors nous travaillons très souvent en collaboration avec eux.

La sénatrice Marshall : Lorsque vous avez répondu à la question du sénateur Neufeld à propos de la nouvelle technologie, cela se fait donc en collaboration avec Services partagés?

Mme Caron : Tout à fait, oui.

La sénatrice Marshall : Au sujet des employés qui ont un accès non autorisé aux dossiers, comment vos systèmes sont-ils organisés? J’aurais pensé que le système pouvait être conçu de façon à ce que vous puissiez décider à qui vous donnez accès à tels ou tels dossiers. Pourquoi le système n’est-il pas conçu de manière à ce que vous puissiez restreindre l’accès à certains dossiers à certaines personnes seulement?

Mme Caron : Je suis ravie de répondre à votre question. Le 1er avril 2017, nous avons mis en place un nouveau système, appelé solution de gestion des fraudes d’entreprise. Ce système lit, en fait, toutes les transactions effectuées par nos employés dans le système. À ce jour, depuis le 1er avril, le système a lu deux milliards de transactions. Nous avons intégré dans le système des indicateurs de risque pour les accès non autorisés.

Si je voulais jeter un œil à mes renseignements dans le système, le système enverrait un message directement à nos enquêteurs internes sur la sécurité, qui vont alors faire enquête. Le système est très fiable. Son utilisation fait partie des pratiques exemplaires en administration fiscale.

La sénatrice Marshall : Est-ce comme un rapport d’anomalies?

Mme Caron : C’est un système qui surveille concrètement ce qui se passe et qui signale les anomalies qui sont détectées de la même façon.

M. Gallivan : C’est un filet de sécurité, en plus des profils liés à l’emploi qui restreignent les accès en fonction de la nature des tâches de l’employé. Il y a donc, c’est certain, des restrictions à ce que l’on peut même tenter de faire. Le système dont a parlé Janique est tel que, en mettant un pied en dehors, même à l’intérieur de ces paramètres étroits, le nouveau système le détectera.

La sénatrice Marshall : Que fait l’Agence du revenu du Canada au sujet des appels que reçoivent les contribuables de la part de pseudo-agents de l’agence? J’ai reçu, en fait, quelques appels de ce genre. Que faites-vous à cet égard?

Mme Caron : Notre site web contient des conseils et des directives pour les contribuables sur la façon de détecter des appels potentiellement frauduleux. Ce qu’il faut faire, en fait, c’est d’en informer la GRC. La GRC a un numéro de téléphone particulier pour signaler les fraudes de ce genre, les appels téléphoniques frauduleux, et ils font enquête.

La sénatrice Marshall : Le numéro de téléphone s’affiche en fait. Il s’agit d’un numéro 1-800. Est-ce qu’il faut que les gens en prennent note et le communiquent à la police, ou est-ce qu’ils le communiquent à l’Agence du revenu du Canada?

Mme Caron : On mentionne dans les directives d’en informer la police, mais ils peuvent consulter notre site web pour savoir comment procéder lorsque cela se produit.

La sénatrice Marshall : Au sujet du crédit d’impôt pour personnes handicapées qui est offert à ceux qui ont un diagnostic de diabète, je cherche le nombre de contribuables atteints de cette maladie qui ont réclamé ce crédit en 2016, et j’aimerais savoir combien d’entre eux ont été informés qu’ils ne le recevront plus? Auriez-vous ces renseignements?

M. Gallivan : Vos collègues à la Chambre des communes ont posé une question très semblable à la vôtre. Je peux vous répondre ce que nous leur avons répondu. Nous n’avons pas cette information en main, notamment parce que les demandes ne sont pas nécessairement réparties selon la nature du handicap. Les responsables du programme doivent donc vérifier l’information dans les dossiers et préparer des statistiques manuellement.

La sénatrice Marshall : Il n’y a pas de code?

M. Gallivan : Il n’y a pas de répartition selon la nature…

La sénatrice Marshall : Selon la nature du handicap?

M. Gallivan : Dans le cas précis du diabète, nous n’avons pas de catégorie particulière en place. Il faut donc faire des calculs manuels pour obtenir des statistiques.

La sénatrice Marshall : Pourriez-vous nous les fournir? Je voudrais avoir l’information pour l’année civile 2016, et je voudrais aussi savoir le nombre de contribuables qui ont fait une demande en 2017, combien de demandes ont été approuvées, combien ont été rejetées, et combien sont encore en attente?

J’ai d’autres questions.

Le président : Il faudra attendre le prochain tour, sénatrice.

[Français]

Le sénateur Forest : Dans le cadre du changement qui est planifié dans une première phase au centre d’appels pour les entreprises, compte tenu de ce qu’on a connu comme mésaventure avec les différents systèmes informatiques, j’imagine qu’il y a de robustes bancs d’essai qui seront mis en place au préalable?

Mme Caron : Absolument. La planification de cette transition est déjà bien avancée. Il y a des formateurs qui sont prêts à donner la formation. Nous avons prévu des tests de la fonctionnalité de la plateforme comme telle pour veiller à ce que cela se passe sans anicroche d’ici avril.

M. Gallivan : Ce n’est pas une période de pointe pour les entreprises. Nous gardons notre ancien système en ligne si jamais il y avait catastrophe.

Le sénateur Forest : Est-ce que c’est une plateforme qui a été mise au point après un appel d’offres?

Mme Caron : Je n’ai pas les détails du processus. Ce sont nos collègues de Services partagés Canada qui ont mené le processus d’approvisionnement. C’est un système qui a déjà fait ses preuves. C’est le genre de plateforme qui appuie les centres d’appels. Ce n’est pas quelque chose qui est fait à partir de zéro.

Le sénateur Forest : Dans votre intervention, vous avez parlé de 1,9 million pour les ajustements des activités liées aux renseignements d’entreprise. Est-ce que vous pourriez nous parler un peu du type d’activités qui seront mises au point et qui ne le sont pas actuellement?

Mme Caron : Peut-être que mon collègue pourra ajouter autre chose, mais il s’agit de bien connaître l’information dont on dispose en ce moment pour aider à étoffer la recherche qui sera faite, l’exploration de données, l’analyse très poussée de données, et la segmentation de l’information. Nous verrons ainsi si cela nous permet de bien comprendre les données du contribuable et d’en sortir des modèles prédictifs pour favoriser une intervention plus ciblée. C’est du domaine du recouvrement. Donc, pour ceux qui sont les percepteurs, qui vont chercher les comptes clients, ce sera ciblé dans ce secteur.

Le sénateur Forest : On a reçu plus de 130 témoins sur le projet de réforme fiscale du ministre Morneau. Les quatre grands volets de la réforme préoccupent beaucoup les Canadiens et les Canadiennes. Mais ce qui était aussi une inquiétude profonde, c’était les critères d’interprétation de l’agence. La réforme, normalement, selon ce que le gouvernement souhaite, entrerait en vigueur le 1er janvier 2018. J’imagine que l’agence a fait le tour de la question et a déjà défini les critères d’interprétation, à titre d’exemple, pour le partage du revenu, les capitaux passifs et les transferts intergénérationnels. Est-ce que l’agence est en mesure de faire connaître les critères d’interprétation aux Canadiens et Canadiennes?

M. Gallivan : Oui. L’agence travaille étroitement avec le ministère des Finances avant les annonces publiques pour veiller à ce que ce genre d’information soit prêt dès la journée de son annonce.

Aussi, lorsqu’il y a un changement majeur, on travaille avec les sociétés comptables et on assiste à des conférences pour mieux sensibiliser et écouter les intervenants sur le terrain. Il n’est pas rare qu’il y ait des modifications en cours de route dans le cadre de ce processus. L’agence a une longue expérience avec les mesures de traitement et de transition et de la façon de traiter un dossier en transition.

En outre, nous voulons que le test soit raisonnable, et c’est un test que nous avons déjà. Nos vérificateurs sont des comptables, et cela fait partie de leur formation professionnelle d’appliquer ce genre de situation. Le travail est déjà commencé. Nous sommes sûrs que l’information sera prête dès la première journée, et il y a une ouverture à travailler avec la communauté lors d’une période de transition pour s’assurer que tout se déroule bien.

Le sénateur Forest : Un test fait par un comptable ne fait pas automatiquement la preuve de la « raisonnabilité ». Mais à ce moment-là, est-ce que l’agence a prévu une période — entre autres, si l’on parle des grandes firmes comptables — de sensibilisation, d’information? Parce que c’est véritablement une préoccupation, et je dirais que je l’ai ressentie dans les commentaires de presque chaque témoin, à savoir comment on va interpréter notamment le test de « raisonnabilité ». C’est une question préoccupante.

M. Gallivan : L’agence se fie beaucoup aux relations avec les sociétés, comme l’Association de la planification fiscale et financière (APFF), au Québec, et CPA Canada, au Canada anglais. Les associations qui représentent les fiscalistes et les avocats dans le domaine travaillent étroitement avec nous. Nous sommes en position de partager avec eux des ébauches de nos procédures et de nos politiques pour obtenir des commentaires, même avant de les finaliser. Je dirais donc que ce n’est pas seulement le travail de l’agence, car nous avons des partenariats avec les sociétés qui représentent les comptables et les avocats qui aident également à clarifier la situation.

Le sénateur Forest : Avez-vous commencé ces consultations?

M. Gallivan : Je ne sais pas. Mais avec le secret entourant le budget, il se peut que la consultation n’ait pas quitté l’agence. Il y a au moins quelques comptables qui ont signé une entente de non-divulgation, alors, peut-être qu’au niveau du ministère des Finances, il y a certaines consultations qui ont lieu, mais au niveau de l’agence, je ne suis pas certain si on a consulté avant que les décisions budgétaires soient finalisées.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : J’ai deux petites questions. Quelle est votre définition de paradis fiscal?

M. Gallivan : Il est difficile de tracer une ligne, car je pense que certaines personnes pointeraient en direction des très grands pays du G7 et diraient que ce sont des paradis fiscaux en raison du volume de transactions. Nous nous basons donc sur le risque, qui est pour nous soit la valeur en dollars des transactions, où un pays comme les États-Unis va arriver très haut sur la liste, ou encore le degré de transparence, où les îles Caïmans et d’autres entités que vous avez mentionnées vont arriver très haut sur la liste. Les renseignements bancaires mondiaux et les transferts de fonds électroniques nous permettent donc de suivre les fonds. Parfois, c’est simplement le grand nombre, et parfois c’est simplement le côté abusif.

Le sénateur Neufeld : Je regardais les nouvelles hier soir, et on disait que l’ARC allait aller sur le terrain pour examiner les dossiers fiscaux en fonction des codes postaux. Après nous avoir parlé de tous vos systèmes, des renseignements que vous recevez ici et là et des façons que vous avez de vous renseigner, éclairez-moi ici un peu. Tous les gens riches au Canada habitent-ils dans cinq ou six codes postaux? Qu’est-ce qui vous amènerait à avoir recours à un code postal?

M. Gallivan : Les contribuables avertis savent comment gérer leurs affaires pour ne pas être détectés. Ils savent comment nous allons analyser leur déclaration de revenus pour évaluer les risques, alors ils s’organisent pour qu’elle ait l’air très ordinaire aux yeux des autorités.

Ils savent que nous allons nous pencher sur un endroit comme les îles Caïmans. Ils ne vont jamais transférer leur argent des îles Caïmans au Canada, mais le faire transiter d’abord par la Bolivie, Hong Kong, les États-Unis, avant de le dissimuler sous une montagne de transactions entre le Canada et les États-Unis.

Nous avons des façons très perfectionnées d’identifier les contribuables, mais nous sommes certains de ne pas être infaillibles. En nous rendant dans des quartiers et en procédant maison par maison, on pourra dire : « Ce contribuable était sur notre radar. C’est une entreprise qui est propriétaire de la maison. Que fait cette entreprise? Qui est-ce, en réalité? »

C’est une façon pour nous de vérifier si les autres outils que j’ai mentionnés fonctionnent bien. Si c’est le cas, aucun problème. Si ce n’est pas le cas, nous saurons alors qu’on ne peut se contenter d’examiner les transferts de fonds électroniques, les déclarations de revenus, les renseignements que nous recevons de nos partenaires et d’informateurs rémunérés. Il y a encore des gens qui ont compris tout cela et qui arrangent leurs affaires pour éviter d’être détectés.

Le sénateur Neufeld : J’ai encore de la difficulté à comprendre l’idée des codes postaux. Je ne sais pas combien il y en a au Canada, mais il doit y en avoir un très grand nombre. En choisir six…

À moins, comme je l’ai mentionné, que les tricheurs se trouvent tous regroupés dans certains codes postaux. Est-ce que c’est ce que vous voulez dire? Ce faisant, vous ciblerez sans doute des gens qui ne devraient pas l’être.

M. Gallivan : Je comprends mieux votre question. Je vais essayer de reformuler.

Dans l’industrie de la gestion du patrimoine, on perçoit les gens qui ont une valeur nette de plus de 50 millions de dollars comme des clients, parce qu’une planification fiscale abusive devient dès lors avantageuse. Nous avons depuis de nombreuses années ce qu’on appelle l’initiative relative aux entités apparentées dans le cadre de laquelle nous tentons d’identifier et d’avoir un dossier permanent sur tous les Canadiens ayant une fortune nette estimée à environ 50 millions de dollars. Est-ce que nous procédons à une vérification de chacun d’eux chaque année? Non. Mais nous essayons de déterminer s’ils ont une planification fiscale abusive et si nous devrions le faire.

Nous abaissons la barre des 50 millions de dollars. Nous pourrions l’abaisser à 30 millions ou 20 millions. Lorsque le prix moyen des maisons dans un quartier est de 4 millions ou 5 millions de dollars, on peut présumer que la valeur nette du patrimoine a atteint un niveau où il devient avantageux d’opter pour une planification fiscale abusive. Nous voulons savoir qui le fait et si nos systèmes sont à même de les détecter.

Le sénateur Neufeld : Prenons Vancouver. Il y a beaucoup de gens à Vancouver qui ont habité dans leur maison pendant longtemps, et leur maison peut valoir aujourd’hui 4 millions ou 5 millions de dollars, ou même 10 millions, mais elle ne valait pas cela il y a 30 ans lorsqu’ils l’ont achetée. Tout à coup, ces gens deviennent suspects par la force des choses.

M. Gallivan : Je ne dirais pas qu’ils sont suspects. Je pense que nous aurions la responsabilité dans les quartiers où les maisons valent 5 millions de dollars de vérifier quand la maison a été achetée, l’âge des occupants, leur lieu de résidence, s’ils sont propriétaires d’une entreprise, s’ils sont salariés, et cetera, pour vérifier si ce sont des contribuables à faible risque ou à haut risque.

Ce projet pourrait notamment servir en fin de compte à réassurer les Canadiens que dans des quartiers comme celui-là, 90 p. 100 des contribuables sont des citoyens relativement ordinaires qui ont la chance de profiter de l’escalade des prix de l’immobilier. Je pense toutefois que c’est notre responsabilité de vérifier.

Cependant, vous avez raison : les médias ont dressé un portrait erroné de ces gens en en faisant des suspects ou des coupables, mais nous n’avons pas contribué à l’alimenter, bien au contraire. Nous avons parlé d’une évaluation des risques et mentionné qu’il s’agissait pour nous de faire diligence raisonnable.

Le sénateur Neufeld : Merci. Vous avez soulagé en partie mes craintes, simplement en parlant des mesures que vous utilisez. Merci.

La sénatrice Eaton : Pour poursuivre sur le point soulevé par le sénateur Forest, le ministre n’a pas diffusé les derniers détails au sujet des échappatoires fiscales dont il est question. Une chose est certaine, toutes les petites entreprises qui ont témoigné dans les Maritimes et dans l’Ouest n’ont aucune idée comment le mécanisme relatif au revenu passif fonctionnera, ou comment celui de la répartition des revenus fonctionnera. Ils n’ont absolument aucune idée des détails.

Si le ministre n’a pas encore diffusé les détails, que ferez-vous le 1er ou le 2 janvier quand les changements entreront en vigueur et que le téléphone se mettra à sonner?

M. Gallivan : L’ARC reçoit des copies frappées d’embargo des changements législatifs proposés avant le dépôt du budget chaque année.

La sénatrice Eaton : Merci. C’est une bonne réponse. Cela répond à ma question.

J’aimerais revenir à la question du sénateur Neufeld sur les codes postaux. Y a-t-il un pays qui perçoit bien les impôts, c’est-à-dire où il n’y pas d’écarts importants entre ce qu’ils prévoient comme recettes et ce qu’ils obtiennent? Je pense que notre écart l’an dernier était de 1,5 milliard de dollars. Est-ce exact? Et en Ontario, il était de 2 milliards, n’est-ce pas? Un ou plusieurs pays ont-ils des pratiques exemplaires dont nous pourrions nous inspirer?

M. Gallivan : Nous pouvons nous inspirer des pratiques exemplaires de plusieurs pays. Il existe un groupe appelé Forum sur l’administration fiscale qui regroupe les commissaires fiscaux de 56 pays dans le monde, et nous avons parlé de l’OCDE, qui a environ 37 membres.

Le Canada est soit membre, vice-président ou président des comités dans ces organes où on se penche sur des éléments comme les services, l’économie souterraine, les enquêtes criminelles, les multinationales, et cetera, et où on essaie tous d’apprendre les uns des autres.

Oui, certains pays ont une longueur d’avance sur nous pour mesurer l’écart fiscal, qui sera beaucoup plus élevé que 1 milliard ou 2 milliards de dollars. L’ARC a fait une estimation de l’écart fiscal pour l’impôt sur le revenu des particuliers, et il est de 8,8 milliards ou 8,9 milliards de dollars. Le chiffre est plus élevé pour la TPS. Quand nous en serons aux entreprises, ce sera dans les milliards. Nous qui travaillons aux fonctions de vérification de l’ARC trouvons 12 milliards ou 13 milliards de dollars par année, alors nous savons que l’écart est important.

Apprendre les uns des autres et utiliser les pratiques exemplaires des autres pays requièrent un effort permanent.

Lorsqu’ils y mettent les efforts, les pays obtiennent habituellement de bons résultats. S’ils décident de se concentrer sur l’écart fiscal, ou sur les multinationales, c’est là où ils obtiendront de bons résultats.

Ce Budget supplémentaire des dépenses nous permettra de faire des progrès sur plusieurs fronts en même temps. Nous investissons pour contrer l’économie souterraine, nous accroissons la surveillance des multinationales, et nous pourchassons ceux qui ont de l’argent dans les paradis fiscaux, tout cela en même temps. Auparavant, nous devions faire des choix et réduire les fonds consacrés à un élément.

La sénatrice Eaton : Est-ce que l’idée des codes postaux est une pratique exemplaire dans un pays?

M. Gallivan : L’ARC s’intéresse à la valeur des maisons depuis longtemps. C’est une pratique de longue date. Nous comparons souvent la valeur des maisons des gens à leurs revenus déclarés, et nous les ciblons pour une vérification. Lorsque la nouvelle s’est répandue que les marchés de l’immobilier de Vancouver et de Toronto étaient devenus des enjeux sociaux, et non plus seulement fiscaux, l’ARC a commencé à accroître ses efforts à ces endroits. Nous l’avons fait non pas parce que c’était là où le retour sur investissement était le plus important, mais parce que cela devenait un enjeu social, et nous y voyions une occasion de contribuer à normaliser la situation.

En mettant l’accent sur le secteur immobilier à Vancouver, nous nous sommes intéressés simultanément à des centaines de contribuables. Nous avons tout de suite constaté que cet exercice était très rentable pour nous, d’autant plus qu’il indiquait très clairement aux gens de la vallée du Bas-Fraser que ce n’était pas une bonne idée d’essayer d’éviter de payer ses impôts sur des actifs immobiliers.

À partir de là, nous avons voulu pousser les choses un peu plus loin en procédant de façon plus systématique dans différentes collectivités canadiennes.

La sénatrice Marshall : On peut lire dans vos notes d’allocution que vous demandez 29 millions de dollars pour embaucher des vérificateurs supplémentaires et ainsi porter à huit le nombre de vos équipes. Combien y en a-t-il actuellement? Le nombre va augmenter à 8, puis à 16 l’an prochain. Combien avez-vous d’équipes en place avant d’obtenir ce financement?

M. Gallivan : Le nombre d’équipes peut varier d’une année à l’autre en fonction notamment de leur composition, mais je dirais qu’il y en a plus de 140.

La sénatrice Marshall : Équipes? Combien de vérificateurs dans une équipe? Deux?

M. Gallivan : Oui, je parle bien d’équipes. Dans le cas d’un dossier important, nous avons toujours une équipe de cinq vérificateurs. En raison de la complexité associée aux multinationales, il faut savoir que nous avons des gens spécialisés dans la vérification des grandes entreprises, la planification fiscale abusive et la vérification internationale. Pour une grande multinationale comme celles du secteur financier que vous avez mentionné, l’agence peut avoir une équipe de 15 vérificateurs assignés au dossier.

La sénatrice Marshall : Dans le rapport rendu public la semaine dernière par le vérificateur général, on indique que les préposés aux lignes téléphoniques de l’agence répondent de façon inexacte dans 30 p. 100 des cas, si je ne m’abuse.

Que faites-vous avec ces équipes de vérification pour éviter les problèmes que vous éprouvez avec les préposés aux lignes téléphoniques? Arrivent-ils avec toutes les compétences requises, ou est-ce que c’est l’agence qui les forme elle-même?

M. Gallivan : En général, les vérificateurs qui s’occupent du dossier d’une multinationale ont une vingtaine d’années d’expérience. Ce sont des comptables ayant un titre reconnu, ce qui n’est pas le cas des préposés aux lignes téléphoniques. Ils commencent par faire des vérifications au bureau. On leur confie ensuite les dossiers de petites et moyennes entreprises. Ils sont vraiment mis à l’épreuve. Ils doivent suivre une formation continue pour conserver leur accréditation professionnelle. L’agence leur dispense aussi des cours supplémentaires. Nous offrons en outre le soutien juridique nécessaire, si bien que ces équipes bénéficient souvent de l’apport d’un avocat du ministère de la Justice.

Comme je l’ai indiqué, nous comptons sur des spécialistes de la vérification des grandes entreprises, de la planification fiscale abusive et de la vérification internationale. Ce sont nos employés possédant les compétences techniques les plus spécialisées.

La sénatrice Marshall : Merci. Ma dernière question nous ramène au crédit d’impôt pour personnes handicapées. Qu’advient-il du régime d’épargne-invalidité des personnes diabétiques qui apprennent maintenant qu’elles n’auront plus droit à ce crédit d’impôt? On trouve dans ce régime des fonds provenant de subventions et de bons. Je crois que le Comité sénatorial des banques a mené une étude à ce sujet il y a quelques années.

M. Gallivan : L’agence est consciente de l’importance grandissante de cet enjeu à l’approche de la fin de l’exercice. Il y a toujours des recours possibles pour les personnes touchées. S’il est convenu que la décision doit être changée, la liquidation du régime d’épargne devient possible. L’agence s’efforce actuellement de déterminer les renseignements à transmettre aux gens pouvant se retrouver dans une telle situation. Nous avons remis sur pied un comité consultatif qui nous permettait de sonder le terrain auprès d’experts de l’extérieur. Il faut donc voir ce qu’il convient de dire aux gens qui détiennent de tels régimes d’épargne…

La sénatrice Marshall : Où va l’argent? Est-il possible que l’argent retourne au gouvernement, plutôt que de profiter au bénéficiaire lui-même? Après tout, ces fonds proviennent en partie du gouvernement.

M. Gallivan : Il y a une disposition législative qui explique les différentes étapes pour la liquidation d’un régime semblable, mais j’essayais surtout de vous dire que l’agence s’efforce de trouver un moyen de bien conseiller les Canadiens avant qu’ils ne se retrouvent eux-mêmes confrontés à un tel scénario.

La sénatrice Marshall : Est-ce que cela relève de l’agence ou d’un autre ministère?

M. Gallivan : Il y a une loi qui régit le mode de liquidation de ces régimes. Compte tenu du grand nombre de personnes qui craignent de perdre leurs prestations, l’agence s’est pour sa part engagée à analyser les répercussions sur les régimes d’épargne d’ici le 1er janvier, soit avant que les impacts ne se fassent ressentir.

La sénatrice Marshall : Alors, aucune décision n’a encore été prise?

M. Gallivan : Nous essayons de déterminer quelles sont les ramifications en vertu de la loi applicable et ce qu’il convient de faire ou non. Je ne veux pas me prononcer au nom de l’agence…

La sénatrice Marshall : Connaissez-vous la valeur totale de ces régimes actuellement? Je suppose qu’il y en a pour des millions de dollars.

M. Gallivan : Je crois que les sommes en jeu vont dépendre du nombre de bénéficiaires qui se voient refuser des prestations.

La sénatrice Marshall : Vous avez cette information? Pouvez-vous l’ajouter à la liste des renseignements que j’ai demandés?

M. Gallivan : Je peux certainement m’engager à essayer de trouver cette information.

La sénatrice Marshall : Sinon, dites-moi à qui m’adresser.

M. Gallivan : En vous fournissant des précisions sur le nombre de personnes qui ont touché ou non des prestations, nous pourrons inclure tous les détails disponibles au sujet des régimes d’épargne.

Le président : Excellent. Merci.

[Français]

Le sénateur Pratte : J’aimerais revenir sur la relation entre les contribuables et l’agence. On a parlé des gens qui n’arrivaient pas à obtenir de réponse ou qui obtenaient des réponses erronées. Je me demandais si vous aviez fait des vérifications sur l’exactitude des renseignements obtenus, sur la satisfaction de la clientèle quant aux renseignements obtenus par l’entremise du site web de l’agence ou du système téléphonique automatisé. On sait que les renseignements fournis par l’entremise du système automatisé sont exacts, mais il ne s’agit pas toujours des réponses qu’on veut avoir. Avez-vous fait des vérifications sur ces deux mécanismes de réponse?

Mme Caron : Selon le sondage d’opinion publique que nous avons mené en 2016, 62 p. 100 des Canadiens ont répondu que nos agents étaient qualifiés et 80 p. 100 des Canadiens ont indiqué avoir obtenu les renseignements qu’ils cherchaient dans leur interaction avec l’agence.

Le sénateur Pratte : À quoi correspond le 62 p. 100?

Mme Caron : J’ai la documentation en anglais.

[Traduction]

Soixante-douze pour cent des répondants ont indiqué que les employés de l’agence semblaient très bien connaître leur affaire.

[Français]

Donc, ils ont évalué que nos employés connaissaient bien les sujets qui étaient discutés avec les contribuables.

Le sénateur Pratte : Avez-vous l’intention de vérifier ce qui arrive aux gens qui appellent à l’agence et qui ne sont pas en mesure de joindre un agent? Il s’agit tout de même de beaucoup de monde. Enfin, je ne sais pas... J’avoue franchement que, en lisant le rapport du vérificateur général, je suis resté sur ma faim à essayer de comprendre combien de personnes n’ont pas réussi à joindre quelqu’un. Bon nombre de contribuables n’ont pu joindre personne ou obtenir des renseignements au moyen du système téléphonique automatisé. Ces contribuables n’ont jamais obtenu les renseignements dont ils avaient besoin. Qu’est-il arrivé à ces gens-là, qu’est-ce qu’ils ont fait? Vous n’avez pas cherché à savoir s’ils étaient perdus dans l’espace. Ils ont peut-être fourni des renseignements erronés, je ne sais pas.

M. Gallivan : Nous prenons très au sérieux la situation où des gens doivent appeler cinq ou six fois avant d’obtenir la communication avec un agent. Cela représente beaucoup d’appels qui restent sans réponse. Ce sont des appels multiples. Certains trouvent finalement la réponse sur le site web ou en faisant appel à un comptable. On n’a pas fait de sondage sur les contribuables qui n’ont pas réussi à joindre l’agence. On n’a pas de données à ce sujet. La nouvelle technologie qui sera mise en place nous permettra de faire ce genre d’analyse. Comme Mme Caron l’a indiqué, quand on sonde la population générale, 62 p. 100 de la population dit avoir confiance.

Le sénateur Pratte : Lorsque vous parlez de la population en général, ce sont des gens qui ont contacté l’agence, j’imagine?

Mme Caron : Je n’ai pas les détails sur le déroulement du sondage, à savoir si ce sont des gens qui ont fait affaire avec notre agence. Je présume que cela fait partie d’une première question pour leur demander leur opinion sur les services qu’ils ont reçus.

Le sénateur Pratte : Pouvez-vous nous transmettre les renseignements concernant le sondage en question?

Mme Caron : Oui.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie.

Le sénateur Forest : Je poursuis dans la même veine avec deux questions. Quand on se donne un plan de match quant à un service destiné aux Canadiens comme celui offert par votre agence, il y a différents critères, y compris la facilité d’établir un contact et de naviguer. On parle d’un contact avec un agent et d’un contact au moyen du site web. Or, 62 p. 100 des Canadiens disent avoir obtenu des renseignements exacts, mais 38 p. 100 disent que ce n’est pas le cas. Il y a lieu d’apporter des améliorations. Dans le cadre de votre stratégie ou de votre plan de match visant à augmenter le pourcentage de satisfaction, tenez-vous compte de la plateforme web et du contact humain téléphonique avec un agent? Avez-vous des objectifs précis quant aux délais d’attente, à l’exactitude des réponses et à la facilité de naviguer sur le site web?

Mme Caron : Il est sûr que nos efforts visant à améliorer les services aux centres d’appels seront axés sur les délais d’attente et la qualité des réponses. Allons-nous évaluer la satisfaction de la clientèle en ce qui a trait à notre site web? C’est peut-être par l’entremise d’un processus différent qu’on le fera. Notre site web comporte une richesse d’information très importante. Dans les choix proposés dans les centres d’appels, les contribuables sont parfois dirigés vers le site web pour obtenir des renseignements plus poussés.

Le sénateur Forest : Lorsqu’on regarde l’assiette des revenus du gouvernement, il y a deux principales sources : les revenus liés aux impôts des particuliers et des entreprises, et les revenus provenant de la TPS. Dans le cas de l’assiette globale, quel pourcentage occupe l’une et l’autre de ces sources de revenus?Il est clair que si c’est 80/20, j’imagine que vous mettez 80 p. 100 de vos efforts pour réduire les échappatoires sur la plus grande partie. Je cherche à connaître l’ordre de grandeur des revenus liés aux impôts des particuliers et des entreprises par rapport à la TPS.

M. Gallivan : Pour répondre à votre deuxième question concernant nos efforts, nous regardons l’organisation. Dans mon secteur, il y a les individus avec de hauts avoirs nets et les multinationales, qui représentent 40 p. 100 de notre effort. Et pour utiliser le langage commun, quant au fameux 1 p. 100, c’est moins de 1 p. 100 de la population canadienne qui reçoit 40 p. 100 de nos efforts de vérification. J’ai un collègue qui s’occupe de l’autre 60 p. 100 qui comprend 3,5 millions d’entreprises. Moi, j’ai 1 200 entreprises clientes.

Le sénateur Forest : Vous avez un lien personnel avec eux.

M. Gallivan : Oui, une couverture assez avancée. Pour nous, c’est davantage la nature de l’entité qui divise nos efforts. C’est la Loi de l’impôt qui est de plus longue date qui offre peut-être plus d’occasions à la créativité en ce qui touche l’observation de la loi.

Mme Caron : En termes des revenus constatés par l’agence au 31 mars 2017, ce n’est pas nécessairement l’ensemble des revenus du gouvernement. Nous avons perçu 242 milliards de dollars au total et, de ce montant, 22 milliards de dollars proviennent de la TPS. Il y a aussi une portion provinciale qu’on administre au nom des provinces qui est d’environ 26 milliards de dollars.

Le sénateur Forest : Donc, il s’agit de 220 milliards de dollars liés à l’impôt et de 22 milliards de dollars liés à la TPS.

Mme Caron : C’est exact. On perçoit aussi les cotisations d’assurance-emploi qui représentent encore 22 milliards de dollars.

Le sénateur Forest : Cette portion n’est pas incluse dans ces 242 milliards de dollars.

Mme Caron : Oui, elle l’est. Cela fait partie des revenus que nous administrons au nom du gouvernement fédéral.

Le sénateur Forest : Donc, les 20 milliards de dollars issus des provinces sont aussi compris dans les 242 milliards de dollars.

Mme Caron : Les 20 milliards de dollars issus des provinces s’inscrivent dans un plus grand total de 402 milliards de dollars. Il s’agit de l’ensemble de tous les revenus que nous administrons au nom du gouvernement fédéral et des provinces et des territoires, du compte de l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada.

Le sénateur Forest : Il serait intéressant qu’on nous fasse parvenir une ventilation des 402 milliards de dollars.

Mme Caron : Absolument. Cela figure dans nos états financiers et peut être rendu disponible facilement.

Le sénateur Forest : Je vous remercie.

[Traduction]

Le président : Si mes collègues sénateurs me le permettent, j’aimerais poser une question. Je le fais parce que je sais que vous avez des outils très perfectionnés à votre disposition pour gérer l’impôt sur le revenu. Étant donné que des centaines de milliers d’employés du gouvernement ne sont pas rémunérés en raison des problèmes éprouvés avec le système Phénix, plusieurs ne pourront pas payer leurs impôts. Quel est l’impact financier pour le Canada?

Mme Caron : Nous sommes conscients que les défaillances du système Phénix affectent un grand nombre de fonctionnaires qui se retrouvent dans une situation très stressante et particulièrement difficile.

Le président : Tout à fait.

Mme Caron : Il est bien certain que la période de production des déclarations de revenus peut devenir une source de stress additionnel pour ces employés. L’agence a donc tous les moyens à sa disposition pour composer avec les cas de versements excédentaires ou insuffisants et traiter les relevés T4 modifiés qui doivent alors être émis. Nous avons un rôle à jouer une fois la déclaration initiale produite.

Nous avons des processus en place pour gérer de telles situations depuis de nombreuses années déjà. En date de novembre 2017, nous avions traité 51 000 relevés T4 modifiés pour l’année fiscale 2016, et nous sommes fin prêts à traiter tous ceux que l’on nous soumettra. Nous avons également agi de façon proactive en remplissant à l’avance les déclarations de revenus révisées pour les personnes concernées.

Ce n’est donc pas tant une question de calculer les recettes perdues pour le gouvernement que de s’assurer que les fonctionnaires reçoivent tout le soutien nécessaire dans le cadre de ce processus.

Le président : Je suis tout à fait d’accord, car on me pose des questions de toutes parts lorsque je vais dans ma province. Quel serait donc l’impact financier?

Mme Caron : J’ai bien peur de ne pas avoir cette information en main.

Le président : Je suis persuadé que vous avez les systèmes nécessaires pour calculer cet impact financier. Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous transmettre cette information par l’entremise de notre greffière?

Mme Caron : Nous allons voir si cette information est disponible.

Le président : Madame Caron, monsieur Gallivan, merci beaucoup de votre présence aujourd’hui.

Nous passons maintenant à un autre sujet, soit l’ordre de renvoi reçu du Sénat du Canada relativement à une étude sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Nous avons terminé nos audiences publiques en déplacement à Saint John, au Nouveau-Brunswick, la semaine dernière. Nous avons toutefois reçu depuis le rapport du directeur parlementaire du budget sur les changements proposés au régime d’imposition des revenus de placements passifs des sociétés. Nous avons donc jugé bon de convoquer aujourd’hui les gens du Bureau du directeur parlementaire du budget.

Avant de présenter officiellement nos témoins, je tiens à remercier M. Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, et ses collègues d’avoir répondu aussi rapidement à notre invitation. Votre réponse favorable m’est parvenue en deux minutes à peine.

Nous accueillons donc aujourd’hui M. Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget; M. Mostafa Askari, sous-directeur parlementaire du budget; et, enfin, M. Govindadeva Bernier, analyste financier au Bureau du directeur parlementaire du budget.

On m’a indiqué que M. Fréchette avait quelques observations à nous faire, après quoi nous passerons directement aux questions des sénateurs.

[Français]

Monsieur Fréchette, je vous remercie encore une fois. La parole est à vous.

Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Je vous remercie, monsieur le président. La raison pour laquelle j’ai répondu en deux minutes, c’est certainement parce qu’il s’agit de ce comité et pas d’un autre. Cela étant dit, je n’ai pas de présentation écrite, mais nous vous avons fait parvenir un document plus tôt aujourd’hui.

J’aimerais vous parler brièvement du tableau no 7. Lors de notre analyse des sociétés privées, nous avons estimé que 47 000, soit 2,5 p. 100 du total, détenaient 88 p. 100 de l’ensemble des revenus de placements passifs. Parmi ces sociétés, ce sont les plus grandes sociétés constituées principalement pour des placements passifs. De plus, il y a une part de plus en plus importante dans les secteurs des finances, de l’immobilier et de la gestion. C’est ce que vous retrouvez au tableau, à la page 7.

[Traduction]

Nous en sommes arrivés à la conclusion que ces changements pourraient accroître les recettes fédérales annuelles d’environ 1 milliard de dollars à court terme (un à deux ans après leur mise en œuvre), et de 3 à 4 milliards de dollars à moyen terme, soit dans un horizon de 5 à 10 ans. Ce sont les seuls chiffres que vous pouvez actuellement citer dans votre rapport, car il n’existe pas à ma connaissance d’autres évaluations des répercussions sur les recettes fédérales.

[Français]

Sur ce, monsieur le président, je serai heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : J’ai plusieurs questions à vous poser. Je vais vous parler de votre rapport, et non du document que vous nous avez fourni aujourd’hui. On y retrouve beaucoup de chiffres qui sont repris un peu partout dans le rapport et présentés de différentes manières. Je veux seulement m’assurer de bien comprendre tout cela.

Je vais débuter à la page 11 et procéder à rebours. Mes nombreuses questions découlent principalement du paragraphe où l’on peut lire ce qui suit : « Parmi ces SPCC (sociétés privées sous contrôle canadien), celles dont les revenus de placements dépassent 1 million de dollars touchaient près de la moitié de tous les revenus de placements. » Quelles sont les industries qui prédominent? Est-ce que ce sont celles que l’on retrouve à la page 14? Il faudrait que je fasse les recoupements nécessaires. Quelles sont les industries les plus représentées au sein de ce groupe? S’agit-il des services financiers, immobiliers et de gestion?

Mostafa Askari, sous-directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Oui, c’est exact.

La sénatrice Marshall : Je vois. Elles représentent donc 18 p. 100 des sociétés privées sous contrôle canadien ayant des revenus de placements. Faut-il comprendre qu’il y en a 82 p. 100 dont les revenus passifs sont inférieurs à 50 000 $?

M. Askari : Ou qui n’ont pas de revenus passifs.

La sénatrice Marshall : D’accord. Quand vous indiquez que seulement 75 p. 100 des revenus passifs imposables se trouvaient au-dessus du seuil proposé, s’agit-il de 75 p. 100 de l’ensemble des revenus passifs imposables, ou de 75 p. 100 de ce 88 p. 100?

Govindadeva Bernier, analyste financier, Bureau du directeur parlementaire du budget : C’est 75 p. 100 de la totalité des revenus de placements passifs imposables. Le total atteignait environ 18 milliards de dollars en 2014. Une proportion de 75 p. 100 de ces 18 milliards de dollars, soit quelque 13 milliards de dollars, correspondait à des revenus dépassant le maximum de 50 000 $.

La sénatrice Marshall : À la page 14, on peut voir les trois groupes qui dominent au chapitre des revenus passifs, soit les services financiers, les services immobiliers et la gestion de sociétés. Qu’est-ce qui est considéré comme du revenu passif pour ces groupes?

M. Askari : Dans certains cas, aucun revenu n’est tiré de l’exploitation active des entreprises de ces groupes, surtout dans le secteur de la gestion des sociétés, comme son nom l’indique. Bien évidemment, les entreprises du secteur des services financiers et d’assurance tirent un revenu de leurs activités dans ces deux domaines. Dans le cas des services immobiliers et de location, il peut bien sûr y avoir des revenus provenant des activités de location de propriétés, ou d’achat et vente de biens immobiliers.

La sénatrice Marshall : Mais les revenus tirés de ces activités demeurent limités? C’est ce que semble indiquer le rapport.

M. Askari : Ces entreprises peuvent tirer des revenus de leurs activités, mais nous ne savons pas vraiment dans quelle proportion. D’une manière générale, nous considérons qu’environ 60 p. 100 de l’ensemble des sociétés ne génèrent aucun revenu à partir de leurs activités. Désolé, mais c’est en fait à peu près 50 p. 100. Elles ont pour ainsi dire été créées à des fins de planification fiscale.

La sénatrice Marshall : En tout cas, c’est l’impression que j’ai eue pour les entreprises de ces trois industries.

Il y a une chose qui m’a étonnée. Dans votre évaluation des recettes supplémentaires prévues pour le gouvernement fédéral, ce n’est pas le montant de 1 milliard de dollars qui me surprend, mais plutôt la hausse de 6 milliards de dollars que vous anticipez. Il s’agit d’une augmentation annuelle de 6 milliards de dollars, n’est-ce pas?

M. Askari : C’est l’estimation en dollars courants de l’impact des changements proposés une fois qu’ils seront pleinement mis en œuvre et qu’ils viseront un niveau habituel de placements, car une portion des placements se trouvant maintenant dans les portefeuilles des entreprises bénéficient de droits acquis qui les mettent à l’abri des nouvelles mesures fiscales. Ainsi, une fois que les sociétés existantes auront renouvelé tous leurs placements et que les nouvelles entreprises auront garni leurs portefeuilles au niveau attendu, ce que nous appelons le niveau de stabilité, les recettes supplémentaires en dollars courants s’élèveront à environ 6 milliards de dollars. C’est ce que nous avons évalué.

La sénatrice Marshall : D’où vient cette hausse de 6 milliards de dollars? Est-elle notamment attribuable au crédit d’impôt pour dividendes qui ne sera plus remboursable?

M. Askari : C’est exact.

La sénatrice Marshall : Il y aurait aussi la nouvelle taxe sur les dividendes sur les gains en capital, n’est-ce pas?

M. Askari : Tout à fait.

La sénatrice Marshall : Il y aurait également les revenus passifs dépassant le maximum de 50 000 $. L’augmentation serait-elle aussi attribuable aux impôts supplémentaires pour ceux qui font partie de la tranche des 33 p. 100?

M. Bernier : Que voulez-vous dire exactement?

La sénatrice Marshall : Les contribuables à revenu élevé. Je ne crois pas que l’on n’indique nulle part dans le rapport d’où viendront ces 6 milliards de dollars; j’essaie simplement de comprendre.

M. Bernier : Pour en arriver à cette estimation de 6 milliards de dollars, nous avons utilisé les données de l’année fiscale 2014, les plus récentes disponibles. Comme l’indiquait M. Askari, les actifs bénéficiant de droits acquis vont progressivement disparaître, et il ne restera alors que de nouveaux placements. Nous avons donc formulé l’hypothèse d’une situation de stabilité déjà atteinte en 2014, avec tous les revenus de placements provenant de nouveaux investissements assujettis aux règles fiscales, de telle sorte que, comme vous l’avez mentionné, il n’y aurait pas de crédit d’impôt remboursable et des recettes fiscales additionnelles seraient engrangées. Cela comprend à la fois les revenus provenant de l’impôt des sociétés et de l’impôt des particuliers. Comme nous avons utilisé les paramètres fiscaux de 2017, nous avons également pris en compte la tranche d’imposition de 33 p. 100.

La sénatrice Marshall : Je veux juste m’assurer de bien comprendre. L’augmentation de 6 milliards de dollars ne vient pas d’une seule mesure fiscale, n’est-ce pas? C’est le résultat des quatre que j’ai mentionnées, mais y en a-t-il d’autres? Par ailleurs, pouvez-vous faire une ventilation de ces 6 milliards de dollars par catégorie?

M. Bernier : Nous pourrions le faire. Nous ne l’avons pas encore fait, mais c’est chose possible. Il s’agit essentiellement de tous les éléments remboursables des mesures fiscales qui ne le seront plus. Il y a aussi l’impôt sur le revenu additionnel à verser par les particuliers qui touchent des dividendes.

La sénatrice Marshall : Et les gains en capital?

M. Bernier : Et les gains en capital qui seront désormais imposés, alors que la moitié est actuellement exonérée d’impôt.

La sénatrice Marshall : En voilà trois. N’y aurait-il pas aussi l’imposition du revenu passif excédant le maximum de 50 000 $?

M. Bernier : Oui. Il y a un maximum de 50 000 $ qui est fixé pour toutes les sociétés. Les premiers 50 000 $ de revenus demeurent donc assujettis aux anciennes règles, et les recettes fiscales qui en découlent ne sont pas comptabilisées dans les 6 milliards de dollars.

La sénatrice Marshall : Elles ne sont pas comptabilisées?

M. Bernier : Non. Il s’agit vraiment de recettes supplémentaires de 6 milliards de dollars provenant de l’application des nouvelles règles.

La sénatrice Marshall : Mais vous avez sans doute présumé que certaines de ces sociétés allaient générer au cours des prochaines années des revenus passifs dépassant les 50 000 $ et évalué les recettes fiscales qui allaient en découler.

M. Bernier : Oui. Nous avons fait une estimation en fonction des revenus de placements enregistrés en 2014. Nous avons appliqué les nouvelles règles seulement pour les sommes dépassant le seuil de 50 000 $. Il y a bien sûr un risque que ces revenus diminuent, car les règles en question n’étaient pas en vigueur en 2014. Il est en effet possible qu’avec l’application des nouvelles règles, certains propriétaires d’entreprise s’assurent de rester sous le seuil des 50 000 $ en répartissant sur plusieurs années la portion de ces revenus de placements constituant des gains en capital. Comme nous l’avons souligné dans le rapport, il se peut qu’il y ait des changements de comportement. Nous avons toutefois estimé que l’application des nouvelles règles aux revenus de placements enregistrés en 2014 nous procurerait des recettes fiscales supplémentaires de 6 milliards de dollars.

La sénatrice Marshall : Je voulais juste que vous sachiez que je considère, aux fins de notre étude, qu’il s’agit de ces quatre types de mesures fiscales.

Je note au tableau de la page 4 qu’aucune catégorie n’est indiquée pour plus de 580 000 sociétés privées sous contrôle canadien. Où se situeraient les médecins? J’essaie de voir à quel groupe ils appartiennent. Est-ce qu’on les retrouve un peu partout? Font-ils partie du groupe des professionnels ou d’un autre secteur?

M. Askari : Nous avons le groupe des professionnels qui comprend notamment les médecins, les dentistes et les avocats. Au milieu du tableau, vous pouvez voir que les professionnels ne comptent que pour 4,3 p. 100 des sociétés qui seront touchées par les modifications fiscales. Il est toutefois possible que certains de ces professionnels se soient constitués en personne morale en utilisant un code différent, ce qui fait qu’il est impossible de les assimiler à aucun des groupes. Il peut donc y avoir des médecins ou des dentistes constitués en personne morale qui ne font pas partie de ce groupe.

Parmi les 12 295 sociétés dont nous n’avons pas pu déterminer le secteur d’appartenance, il y a peut-être des médecins. Les informations que nous trouvons dans les dossiers fiscaux nous permettent de savoir qu’il y a au total seulement 3 674 professionnels, ce qui comprend notamment des médecins, des dentistes et des avocats, qui seront touchés par les changements fiscaux. Ce sont ceux dont les revenus de placements dépassent le maximum de 50 000 $.

La sénatrice Marshall : Mais le tiers des sociétés privées sous contrôle canadien ne sont pas codées; nous ne savons pas à quelle catégorie elles appartiennent.

Le sénateur Black : Merci de votre présence aujourd’hui. Je trouve plutôt difficile de retenir quoi que ce soit de l’information que vous nous avez transmise bien que je sache très bien que vous pouvez analyser uniquement les données qui vous sont fournies. À mes yeux, la dernière question de la sénatrice Marshall concernant les médecins illustre très bien la problématique. Vous comme moi savons intuitivement qu’il n’y a pas seulement 3 371 médecins, dentistes, avocats et comptables qui utilisent ces véhicules de planification fiscale. Nous n’en avons pas l’assurance formelle, mais nous le savons intuitivement. J’ai même l’impression qu’il y a plus que 3 371 médecins qui ont comparu lors de nos audiences.

Je dirais donc qu’il y a un grand nombre de médecins, d’avocats, de comptables, de familles d’agriculteurs et de familles de pêcheurs qui font partie de la catégorie de gestion que vous avez décrite. Cela m’apparaît tout simplement logique. En convenez-vous avec moi?

M. Askari : Peut-être, mais nous ne pouvons pas vraiment le savoir. Malheureusement, s’ils ne s’identifient pas comme tels dans leur déclaration de revenus et si le code n’est pas indiqué, nous ne pouvons pas l’affirmer.

Le sénateur Black : Je comprends très bien. Mes observations ne doivent aucunement être considérées comme des critiques à votre endroit. Vous traitez uniquement les données qui vous sont présentées, mais je ne crois pas qu’elles soient vraiment révélatrices, si ce n’est pour nous indiquer que 6 milliards de dollars supplémentaires pourraient être payés au gouvernement du Canada par les petites entreprises du pays.

M. Askari : Je ne les qualifierais pas nécessairement de petites entreprises. Comme nous l’avons mentionné dans notre rapport, bon nombre des sociétés qui seront touchées ont un capital de plus de 15 millions de dollars. Il ne s’agit donc pas forcément de petites sociétés.

Je le répète, il est très difficile de dire ce qu’il en est; ce n’est pas clair. Ces sociétés varient, allant de très petits dépanneurs à de très grandes entreprises dotées d’énormes capitaux. Nous avons dit que seules 47 000 sociétés seront touchées par les exonérations et les droits acquis proposés par le gouvernement. Ce sont, en gros, celles qui détiennent la plus grande part des revenus de placements passifs. Rien n’indique qu’il s’agit nécessairement de petites entreprises. Sont-elles petites du point de vue des revenus ou des capitaux? Nous n’en sommes pas sûrs.

Le sénateur Black : Mais le point essentiel à retenir, compte tenu des données actuelles et des règles du jeu qui changent, il est très difficile de dire quoi que ce soit de concret à la lumière de ce rapport. Êtes-vous d’accord là-dessus?

M. Askari : Il y a deux choses. Tout d’abord, il s’agit de données fiscales officielles. Il n’y a pas d’autres données sur lesquelles nous pouvons nous baser.

Le sénateur Black : Mais leur interprétation n’est pas nécessairement claire, comme nous venons d’en convenir.

M. Askari : C’est exact.

Par ailleurs, pour faire cette analyse, nous avons formulé quelques hypothèses en nous appuyant sur l’annonce faite par le gouvernement plutôt que sur une loi officielle.

D’ici à ce que le gouvernement annonce le projet de loi et en fasse le dépôt, il pourrait présenter d’autres mesures qui changeraient complètement ces prévisions. Par exemple, en ce qui concerne le seuil de 50 000 $, selon nos calculs, nous avons supposé que chaque société bénéficierait du seuil de 50 000 $ pour le revenu minimal qui ne serait pas assujetti à l’impôt. Selon toute vraisemblance, et dans une perspective réaliste, lorsque le gouvernement conçoit le projet de loi, il veillera à ce que les sociétés ne puissent pas se servir de cette mesure comme d’une échappatoire pour créer de nombreuses sociétés. Ainsi, une personne pourrait créer 10 sociétés distinctes. Ensuite, pour chaque société, elle utiliserait le seuil de 50 000 $. Évidemment, le gouvernement fera quelque chose pour empêcher cela.

Nous n’avons pas tenu compte d’une telle éventualité. Nous partons de l’hypothèse que chaque société aura droit à l’exonération de 50 000 $ annoncée par le gouvernement. Nous ne savons pas au juste ce que le gouvernement fera dans pareils cas.

Le sénateur Black : Voilà donc une autre série d’hypothèses et d’incertitudes qui viennent s’ajouter à votre rapport. Je dirais, en tout respect, qu’il s’agit d’une lecture intéressante, de nature très théorique, mais nous ne devrions pas trop nous y fier.

M. Askari : En effet, peut-être pas au sens officiel. Si nous nous livrons à ce genre d’exercice, c’est uniquement pour fournir un cadre propice aux discussions et aux débats.

Le sénateur Black : Merci. Je chercherais à obtenir des précisions, et je crois que vous avez réussi à clarifier les choses.

Le sénateur Neufeld : Je crois comprendre ce que vous dites. Quand vous parlez des recettes que le gouvernement pourrait tirer grâce à cette mesure législative, dans sa forme actuelle, nous ne savons pas vraiment ce qui va se passer, mais d’après ce qui est prévu — des recettes de 1 milliard de dollars, de 3 à 4 milliards de dollars, ou encore de 6 milliards de dollars —, nous présumons que toutes les entreprises déjà en place mèneront leurs activités exactement de la même manière qu’aujourd’hui. Je dirais que si, du jour au lendemain, on se retrouve avec une grosse facture d’impôt, on a peut-être intérêt à adopter une approche différente en matière de planification fiscale. N’êtes-vous pas d’accord?

M. Askari : Nous avons justement indiqué dans notre rapport que les sociétés pourraient, bien entendu, changer leurs comportements. En nous appuyons sur la documentation et l’expérience historique, nous avons supposé qu’environ 10 à 15 p. 100 de ces 6 milliards de dollars risquent d’entraîner un changement de comportements, si bien que certaines entreprises pourraient décider de se restructurer et de modifier leur planification fiscale.

Il pourrait y avoir des répercussions plus grandes, mais c’est, en quelque sorte, l’hypothèse que nous avons formulée.

Le sénateur Neufeld : Si je m’en tiens à votre rapport, à la page 2, on trouve ces chiffres en haut, suivis d’explications un peu plus bas. Quand les médias rapportent que le gouvernement encaissera entre 1 et 6 milliards de dollars grâce à ces modifications, voilà qui semble très bien, mais encore faut-il préciser que ce sera le cas uniquement si tout reste exactement le même qu’en 2014, soit l’année de référence pour vos estimations.

Cela me pose un peu problème. Ce n’est pas un reproche que je vous fais; je dis simplement que les chiffres ne sont que des chiffres. Quand Fred et Martha s’assoient autour de leur table de cuisine et entendent aux nouvelles que le gouvernement récupérera jusqu’à 6 milliards de dollars de ces gens riches, ils se disent : « Tant mieux », mais ils ne se rendent pas compte des ramifications. En convenez-vous avec moi?

M. Askari : Je ne veux pas me répéter, mais oui, vous avez raison. Il y aura des changements de comportement, et certains de ces chiffres pourraient changer au fil du temps — et dans la foulée des projets de loi qui nous permettront d’appliquer ces mesures.

Le sénateur Neufeld : Il s’agit de moyennes pour l’ensemble du Canada. Les données ne sont pas ventilées par province ou selon les régions rurales et urbaines. Il n’y a aucune ventilation de ce genre, n’est-ce pas?

M. Askari : C’est cela. Il s’agit d’estimations nationales.

Le sénateur Neufeld : En fait, ce qui est ressorti — et la sénatrice Marshall en a parlé un peu —, c’est la question concernant les médecins. Il semble que les professionnels et les médecins — ce ne sont pas mes paroles, mais celles des membres du gouvernement — ne paient pas leur juste part. Je viens d’une région rurale du Canada où nous avons besoin de médecins. Nous ne devons pas les faire fuir. Il y a peut-être un tas de médecins en ville, je ne sais trop, si bien que leur départ risque de ne rien changer, mais il n’y en a pas beaucoup dans les régions rurales de la Colombie-Britannique, comme ma localité. J’ai donc été, moi aussi, surpris de voir que les « professionnels » représentaient un si petit nombre. Je suppose qu’ils se trouvent forcément dans le groupe « manquant ». Figurent-ils parmi les 581 000 sociétés dont le code est « manquant »? Pourriez-vous m’expliquer à nouveau ce que vous entendez par « manquant »?

M. Askari : Au moment de soumettre une déclaration de revenus, il y a une case qu’on peut cocher pour indiquer son groupe d’appartenance, mais on n’est pas obligé de fournir cette information. Certaines entreprises laisseront cette partie vide, auquel cas on ne disposera d’aucun renseignement sur leur secteur d’appartenance.

Ces quelque 12 500 cas représentent donc des sociétés qui n’ont pas fourni cette information dans leur déclaration de revenus; nous n’avons donc aucun moyen de savoir s’il s’agit de sociétés de portefeuille ou de professionnels ni de savoir à quel secteur ils appartiennent.

Le sénateur Neufeld : Avez-vous trouvé la définition de « passif » quelque part dans la Loi de l’impôt sur le revenu?

M. Askari : Le « revenu passif » est défini comme les gains découlant d’activités auxquelles l’entreprise ne participe pas directement — c’est-à-dire des activités qui ne correspondent pas à son objectif. Par exemple, le revenu d’un médecin provient des consultations de patients ou des interventions chirurgicales. Ces activités représentent un revenu actif, mais si le médecin investit l’argent dans des actions, des obligations ou dans tout autre bien immobilier, cela devient alors un revenu passif. Il en va de même pour toute autre société.

Le sénateur Neufeld : Merci de la réponse. Où est-ce précisé dans la Loi de l’impôt sur le revenu? Où, dans la loi, peut-on trouver la description que vous venez de donner? Où est-ce que le terme « passif » est défini de façon absolue?

M. Askari : Je ne le sais pas, monsieur. Je ne suis pas avocat. Je ne connais pas la Loi de l’impôt sur le revenu.

Le sénateur Neufeld : Conviendriez-vous avec moi que ce terme n’est peut-être pas défini?

M. Bernier : Ce revenu est imposé à un taux différent. Nous utilisons certaines annexes des déclarations T2. Le taux pour le revenu provenant d’une entreprise exploitée activement diffère celui pour le revenu passif. Dans le cas du revenu tiré d’une entreprise exploitée activement, un taux de 10,5 p. 100 s’applique à la première tranche de 500 000 $ d’une petite entreprise. Le reste est imposé à 15 p. 100. Les dividendes de portefeuilles, les revenus d’intérêts, les revenus de location ou les gains en capital sont tous imposés à des taux différents, et ils sont déclarés dans différentes cases de la déclaration de revenus.

Je ne peux donc pas vous donner les articles précis de la loi qui définissent ces types de revenus. Nous pouvons toujours les trouver et vous les envoyer plus tard. Quoi qu’il en soit, sur le formulaire d’impôt, ce revenu est expressément indiqué dans des cases assorties de taux d’imposition différents; nous pouvons donc distinguer le revenu tiré d’une entreprise exploitée activement du revenu de placement passif.

[Français]

Le sénateur Pratte : J’aimerais tout d’abord revenir sur la catégorie « missing » quant au groupe d’industries dont on parle. Si je comprends bien, sur les 1,8 million de SPCC, il y en a 580 000 dont on n’a aucune idée du groupe d’industries dont il s’agit.

M. Askari : C’est exact. On ne le sait pas.

Le sénateur Pratte : Donc, il y a environ un tiers des sociétés dont nous ignorons qui elles sont. J’aimerais comprendre comment vous arrivez à la conclusion qu’il y a un bon nombre de SPCC qui sont probablement — c’est l’expression que vous utilisez dans le rapport — des « corporations de portefeuille mises sur pied dans le seul but de générer des revenus passifs ». Ce sont donc des sociétés qui correspondent au code 55 du SCIAN, Gestion de sociétés et d’entreprises. Est-ce que je comprends que ces sociétés n’ont que des revenus passifs? Est-ce que c’est ce qu’on veut dire?

M. Bernier : En fait, ce n’est pas tant sur les codes SCIAN qu’on s’est basé pour déterminer que ce sont des sociétés qui sont établies simplement pour les revenus passifs. C’est plutôt quand on regarde la distribution des revenus de placement selon les fourchettes de revenus actifs.

Comme je le mentionnais lors de la question précédente, on est en mesure d’identifier le revenu actif d’une corporation par rapport à son revenu passif. Donc, on avait quand même 60 p. 100 de tous les revenus passifs qui ont été gagnés par des entreprises qui n’ont déclaré aucun revenu d’entreprise active. Cela représente 107 000 sociétés qui ont des revenus d’investissement, mais aucun revenu d’entreprise active.

Le sénateur Pratte : Elles n’ont que des revenus d’investissement.

M. Bernier : C’est exact, d’investissement passif.

Le sénateur Pratte : Donc, elles sont taxées seulement sur des revenus passifs.

M. Bernier : Exactement. La source de ces revenus provient d’une autre société connectée, parce qu’elles peuvent transférer des dividendes entre sociétés connectées sans payer d’impôt sur ces dividendes. Donc, ces revenus ont probablement été gagnés dans une entreprise active et ont ensuite été déplacés vers cette société qui a été créée simplement pour faire ces placements et générer des revenus d’investissement sur ces placements.

Le sénateur Pratte : Je vais réfléchir un peu à savoir ce que cela représente comme avantage fiscal pour ces entreprises.

J’aimerais revenir à la question du sénateur Neufeld et sur la façon dont vous avez tenté de mesurer ce que pourrait être l’effet... Vous avez essayé d’estimer une élasticité sur l’effet de ces changements fiscaux sur les revenus du gouvernement. Comment en êtes-vous arrivés à cette mesure?

M. Bernier : On s’est basé sur des estimations qui existaient déjà dans la documentation. Kevin Milligan et Michael Smart ont écrit un article à ce sujet en 2015. Le ministère des Finances avait aussi publié une étude intitulée Dépenses fiscales et évaluations 2010, parue en 2011, où ils arrivaient avec un certain chiffre pour l’élasticité du revenu imposable. On s’est basé sur ces chiffres. On a utilisé une élasticité de 0,38. Par contre, on n’a pas essayé de mesurer nous-mêmes quelle serait cette élasticité. On a pris des résultats qui existaient déjà dans les documents académiques.

Le sénateur Pratte : Je ne veux pas aller dans les détails, mais avaient-ils mesuré selon des hausses de taxes déjà survenues?

M. Bernier : Oui. En fait, l’étude de Smart et de Milligan concernait des changements dans les taux d’imposition provinciaux. Étant donné que la plupart des provinces, à l’exception du Québec, ont la même assiette fiscale que le gouvernement fédéral, à ce moment-là, il était possible de comparer les provinces entre elles lorsqu’il y avait eu un changement des taux d’imposition dans une province et pas dans les autres. Ils ont pu constater comment les individus avaient réagi à ce changement d’imposition. Ils se sont concentrés sur ceux qui avaient les plus hauts revenus, soit ceux qui nous intéressent aussi dans cette étude, parce que ce sont ceux qui sont imposés dans les plus hautes fourchettes qui détiennent le plus d’investissements passifs.

Le sénateur Pratte : Vous en êtes venus à la conclusion que cela pourrait avoir un impact sur les revenus du gouvernement de 10 à 15 p. 100 de moins que l’estimation que vous donnez au départ.

M. Bernier : Exact.

Le sénateur Forest : J’aurais deux questions rapides. J’aimerais comprendre une chose. Dans votre tableau des principales constatations, vous dites qu’il y a 2,5 p. 100, donc 47 072 sociétés qui seront touchées et qui détiennent 88 p. 100 de l’ensemble des revenus de placements passifs. Puis, vous mettez entre parenthèses que 75 p. 100 des revenus passifs sont supérieurs au seuil. Donc, ce n’est pas l’ensemble des 47 000 sociétés qui sont supérieures au seuil.

M. Bernier : Non, en fait, c’est qu’il y a 47 000 sociétés seulement qui ont gagné plus que 50 000 $ de revenus passifs. Donc, elles ont touché en tout 88 p. 100 de tous les revenus passifs. Par contre, comme les propositions ne sont pas encore certaines, on suppose que chaque société aurait le droit à une exemption sur la première tranche de 50 000 $ de revenus passifs. Si on soustrait 47 000 fois 50 000 $, il nous reste 75 p. 100 de tous les revenus passifs.

Dans le fond, on a constaté 18 milliards de dollars de revenus passifs en 2014, dont 16 milliards de dollars sont détenus par ces 47 000 sociétés qui ont gagné plus de 50 000 $ au cours de cette année. Si l’on soustrait 50 000 $ pour chacune de ces sociétés, selon les anciennes règles, il reste à peu près 13 milliards de dollars, donc 75 p. 100 de tous les revenus passifs qui seraient au-dessus du seuil de 50 000 $.

Le sénateur Forest : Dans le fond, la logique, c’est parce qu’il y a une exemption de 50 000 $. Pour ceux qui touchent moins, on peut penser que l’exemption ne s’appliquerait pas.

M. Bernier : C’est cela. Ils ne seraient pas touchés par les nouvelles règles, puisqu’ils ont gagné moins de 50 000 $.

Le sénateur Forest : D’accord. L’un des éléments, en fait, c’est que le revenu passif est généré par une capitalisation qui n’est pas liée aux activités normales de l’entreprise. L’un des commentaires qu’on a entendus régulièrement de la part de jeunes entrepreneurs et de PME, c’est qu’ils ont besoin de capitaliser pour renouveler leur parc d’équipements, pour alimenter leurs fonds de roulement, et parce qu’ils n’ont pas de régime de retraite, à titre d’exemple. Donc, il y a deux notions dans l’aspect du revenu passif, soit les revenus effectivement générés par cette capitalisation, mais, actuellement, on n’est pas en mesure de ventiler la capitalisation d’entreprise.

Il est clair que lorsqu’on arrive devant une situation où une entreprise n’a aucun revenu actif et n’a que des revenus passifs, il y a une lumière jaune qui s’allume. Pour une entreprise qui a un mélange de revenus passifs et actifs, cela m’apparaît un élément important de voir comment on peut mesurer la proportion des besoins selon le type d’entreprise, qu’il s’agisse du secteur agricole ou du secteur des nouvelles technologies. Ces renseignements sont fort pertinents pour voir l’équité de la mesure fiscale, parce qu’effectivement, j’ai été renversé de voir le potentiel de revenus — je dis bien « potentiel » —, car, quand on regarde l’ensemble de nos entreprises, pour 88 p. 100 d’entre elles, soit la très grande majorité de ces entreprises, on n’est pas en mesure de ventiler leur capitalisation.

M. Bernier : Pas avec les données disponibles, non.

Le sénateur Forest : C’est l’une des grandes préoccupations qui ressortent des commentaires qu’on a reçus.

M. Askari : Peut-être que le ministère des Finances tiendra compte de ce problème dans le texte de loi final, parce que vous avez raison que cela pose un défi.

Le sénateur Forest : C’est un enjeu majeur.

M. Askari : Oui, certainement.

Le sénateur Forest : Merci.

Le sénateur Dagenais : D’entrée de jeu, je vous dirai que je ne siège pas à ce comité. C’est la première fois que j’y assiste, mais je trouve cela très intéressant.

On dit toujours que le diable est dans les détails, mais je vais vous raconter une histoire vraie. Dans mon quartier, il y a deux femmes médecins dont les conjoints sont à la maison parce qu’ils répartissent l’assiette fiscale. Les deux personnes sont fortement sollicitées pour aller travailler aux États-Unis, parce qu’elles y gagneraient sûrement le double de leur salaire et pourraient payer moins d’impôts. Elles m’ont dit qu’avec la réforme fiscale, elles seront tentées de quitter le Québec.

Cela dit, la formation des médecins coûte cher, et elle relève des compétences provinciales. Le gouvernement essaie de les retenir, mais quand on parle des médecins, on parle d’un petit groupe, et si quelques médecins quittent les régions, je ne crois pas que ce sera apprécié. N’avez-vous pas peur que cela entraîne un certain exode? Les gens qui ont de l’argent sont mobiles, et avec la mobilité, si une mesure fiscale ne plaît pas, on déménage ses pénates et l’on va ailleurs. Ne craignez-vous pas cela un peu?

M. Fréchette : C’est une bonne question. Ce comité a entendu beaucoup d’anecdotes de ce type à travers le Canada d’après les témoignages. Comme directeur parlementaire du budget, notre bureau ne se préoccupe pas nécessairement de cette question. Nous examinons une proposition de politique appliquée par le gouvernement et nous tentons d’en estimer les coûts pour le débat parlementaire. Je n’ai pas de question pour vous, parce que je ne peux pas en poser, mais on a trouvé intéressant que, lorsqu’on est arrivé avec nos données de 1 milliard, 3 milliards et 5 milliards de dollars, le seul commentaire qu’on ait reçu du ministère des Finances ait été que nos chiffres étaient un peu trop hauts. On a demandé de combien ils étaient trop hauts. On n’a pas eu de réponse.

Comme Mostafa l’a dit auparavant, peut-être que le ministère devrait fournir cette donnée, s’il trouve que nos chiffres sont trop hauts et que cela pourrait avoir un impact sur la mobilité des médecins. C’est la responsabilité du ministère de donner cette information au comité. Je l’ai dit dans mon intervention au début, vous avez le seul document, qu’il soit bon ou pas — et je pense qu’il est très bon —, qui vous informe sur la valeur de cette politique.

Cela dit, dans le cas des médecins — effectivement, je suis dans un milieu où je connais beaucoup de médecins —, déménager aux États-Unis est certainement une possibilité, et ça coûte très cher d’être praticien aux États-Unis à cause des assurances. Les gens ne calculent pas nécessairement tous les coûts liés à une opportunité lorsqu’il s’agit de décider de rester ici ou d’aller ailleurs. Mais on ne fait pas cette estimation. Ce sont de bons points que vous soulevez, mais vous n’avez malheureusement pas eu de réponse du ministère, j’en suis convaincu.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : J’ai quelques questions complémentaires à vous poser. Ce rapport ne fait qu’évaluer les recettes supplémentaires qui seront perçues, et c’est tout.

M. Fréchette : Vous avez raison.

La sénatrice Marshall : En ce qui concerne le montant de 6 milliards — et, comme je l’ai dit, j’ai été vraiment surprise de voir ce chiffre annuel —, quand on le divise par le nombre de sociétés qui seront touchées, c’est-à-dire 47 000, on obtient une moyenne d’environ 130 000 $ par année lorsque le régime arrive à maturité. Je veux simplement m’assurer d’avoir bien interprété le rapport.

En moyenne, chacune de ces sociétés sera touchée à hauteur de 130 000 $ par année. Revenons à la première question que je vous ai posée, à savoir si vous pouvez répartir ce montant entre les différents composants. Il s’agit de la proposition fiscale du gouvernement, mais la mesure proposée pour le revenu passif comporte de nombreuses facettes, comme l’impôt en main remboursable au titre de dividendes. Le gouvernement ne remboursera plus cet impôt. Voilà un exemple.

Êtes-vous en mesure d’établir une ventilation pour que nous puissions voir quelle mesure sera la plus rentable pour le gouvernement?

M. Bernier : Nous n’avons pas ces chiffres en ce moment, mais c’est quelque chose que nous pourrions certainement vérifier. Nous serions en mesure de faire une ventilation, mais cela pourrait peut-être poser un problème. Comme nous l’avons dit, beaucoup de gens pourraient réorganiser leurs affaires ou essayer de placer leur argent dans des comptes à l’étranger, peu importe, et l’incidence sur les recettes de 6 milliards de dollars… Parce que le but de la proposition du ministère des Finances est de faire en sorte qu’au bout du compte, les nouvelles règles permettent à une personne de choisir indifféremment entre le fait d’investir au moyen d’une société privée sous contrôle canadien ou le fait de se payer les profits sous forme de dividendes, de payer l’impôt sur le revenu des particuliers sur ces dividendes, puis de placer le reste de ce revenu dans un compte personnel.

Donc, si ces nouvelles règles ont pour résultat d’amener les propriétaires de sociétés à récupérer tous leurs profits sous forme de dividendes, pour ensuite les investir à titre personnel, par exemple — la raison étant que, techniquement, le résultat serait quelque peu similaire, à condition que le ministère des Finances adapte cette proposition comme il se doit —, alors une bonne partie de ces 6 milliards de dollars sera quand même perçue. Toutefois, ce sera maintenant attribuable aux recettes provenant de l’impôt sur le revenu des particuliers plutôt qu’à la décision de ne plus rembourser l’impôt versé au titre de dividendes.

Bref, nous pourrions établir un profil en fonction des données de 2014 et vous fournir le montant pour chaque type, mais, au final, une fois que le tout arrive à pleine maturité, nous ignorons quelle en sera la ventilation réelle.

La sénatrice Marshall : Je sais, mais j’aimerais quand même voir une ventilation des données de 2014. Peu importe si vous produisez cette information et que vous nous la transmettez, il reste que, dès l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles, les contribuables se mettront à envisager d’autres possibilités pour déterminer où placer leur revenu et leurs investissements.

En tout cas, j’aimerais vraiment obtenir cette information parce que je crois que cela m’aimera à mieux comprendre les sources de recettes.

M. Bernier : Je peux vous dire que, de mémoire, près de la moitié de tous les revenus de placements imposables enregistrés en 2014 provenaient, en fait, des gains en capital. Puisque seulement la moitié des gains en capital sont imposables, cela signifie qu’en 2014, environ les deux tiers de tous les revenus de placements passifs, imposables ou non, découlaient des gains en capital. Comme vous pouvez l’imaginer, si nous effectuons cette ventilation, je m’attends à ce que près de la moitié des 6 milliards de dollars proviennent des dividendes en capital qui ont été versés, sans être assujettis à l’impôt.

La sénatrice Marshall : J’en conviens, mais je crois que si nous avions la ventilation, le Comité des finances aurait probablement une idée des prochaines mesures que le gouvernement entend prendre pour percevoir des recettes. Si vous pouviez produire ces données, je vous en serais bien reconnaissante. Merci beaucoup.

M. Fréchette : Votre question est intéressante. Force m’est de constater qu’on s’attarde beaucoup sur le montant de 6 milliards de dollars, qui s’échelonne sur 20 ans. Je ne l’ai pas mentionné dans ma déclaration préliminaire. Je comprends toutefois pourquoi l’accent est mis sur ce point. Nous n’aurions peut-être pas dû inclure une estimation sur un horizon de 20 ans. Le montant de 1 milliard de dollars devrait être l’objectif à court et à moyen terme, et je crois que c’est sur quoi nous devrions nous concentrer, mais je peux comprendre l’importance que revêt maintenant la somme de 6 milliards de dollars pour le comité.

La sénatrice Marshall : Puis-je dire un mot à ce sujet?

Le président : Absolument.

La sénatrice Marshall : En effet, j’en tiens compte, car lorsque le gouvernement a annoncé les mesures fiscales proposées, il a attribué une valeur monétaire au fractionnement du revenu. Il a prévu 250 millions de dollars au chapitre du fractionnement du revenu, mais il n’a pas chiffré le revenu passif. La seule exception, c’est que, dans une entrevue accordée au Globe and Mail l’automne dernier après avoir annoncé ses propositions, le ministre Morneau a dit que ce serait des multiples de 250 millions de dollars.

Cela a éveillé mes soupçons, à l’instar d’autres personnes. Cette question est revenue sans cesse. Voilà pourquoi nous avons mis l’accent sur le montant en dollars.

Le président : Pour clore le deuxième tour, je cède la parole au sénateur Neufeld.

Le sénateur Neufeld : J’ai seulement une question à poser. Quand on parle d’un montant « manquant » de 580 950 $, je comprends cela, mais juste au-dessus — et je voulais vous poser la question tout à l’heure, mais cela m’a simplement échappé —, il y a la catégorie « autre » pour 518 400 $. Qu’entendez-vous par « autre »?

M. Bernier : Il s’agit essentiellement de tous les autres secteurs pour lesquels nous n’avons pas effectué de ventilation. Cela exclut les professionnels, la gestion agricole, et cetera. Il y a une foule d’autres secteurs que nous avons tous simplement regroupés.

Le sénateur Neufeld : Ils pourraient donc tous faire partie de la catégorie de données « manquantes »; est-ce bien ce que vous dites?

M. Bernier : Non, ce n’est pas la même chose. Les sociétés dans la catégorie « autre » ont bel et bien indiqué un code SCIAN dans leurs déclarations de revenus, mais elles n’appartiennent pas aux principaux secteurs que nous avons présentés ici.

Le sénateur Neufeld : D’accord, merci.

Le président : Messieurs Fréchette, Bernier et Askari, merci beaucoup pour les renseignements que vous nous avez fournis. C’était manifestement beaucoup d’information, surtout quand on tient compte de l’ordre de renvoi du Sénat du Canada.

Si vous souhaitez ajouter d’autres observations avant que nous déposions notre rapport, n’hésitez pas à le faire.

Sur ce, chers collègues, notre prochaine réunion aura lieu demain, à 18 h 45, dans la pièce 9 de l’édifice Victoria. Nous poursuivrons notre étude du Budget supplémentaire des dépenses (B).

(La séance est levée.)

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