Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule no 84 - Témoignages du 5 décembre 2018 (séance de 18h)
OTTAWA, le mercredi 5 décembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 45, pour son étude sur la teneur complète du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures (sujets : partie 4, section 9 — budgétisation sensible aux sexes; partie 4, section 18 — ministère des Femmes et de l’Égalité des genres).
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, président du comité.
Bienvenue à tous ceux ici présents dans la salle, et à tous les Canadiens qui nous regardent, à la télévision ou en ligne.
[Français]
Je rappelle à nos auditeurs que les séances du comité sont publiques et accessibles en ligne sur sencanada.ca. Je demanderais maintenant aux sénateurs de bien vouloir se présenter.
Le sénateur Forest : Éric Forest, du Québec.
Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.
La sénatrice Forest-Niesing : Bonsoir et bienvenue. Josée Forest-Niesing, de l’Ontario.
[Traduction]
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, Ontario.
Le sénateur Klyne : Marty Klyne, Saskatchewan.
Le président : Je voudrais maintenant reconnaître la greffière du comité, Mme Gaëtane Lemay, et nos deux analystes, Alex Smith et Shaowei Pu qui, ensemble, soutiennent les travaux du Comité sénatorial permanent des finances nationales.
Le mandat du comité consiste à examiner les prévisions budgétaires en général et les finances publiques. Aujourd’hui, nous continuons l’étude du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, qui nous a été renvoyé hier par le Sénat.
Ce soir, nous nous intéressons plus spécifiquement à deux mesures prévues dans le projet de loi C-86.
[Français]
Au cours de la première heure, nous nous concentrerons plus précisément sur la partie 4, section 9, qui porte sur la budgétisation sensible aux sexes.
[Traduction]
Pour nous en parler, nous recevons la professeure Kathleen Lahey, boursière nationale de la faculté de droit, Université Queen’s, et Mme Samantha Michaels, conseillère principale en politiques de l’organisation Pauktuutit Inuit Women of Canada. Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation.
Nous allons commencer avec vous, madame Lahey. Mme Michaels suivra, et ensuite, les sénateurs auront des questions à vous poser.
[Français]
Sur ce, madame Lahey, la parole est à vous.
[Traduction]
Kathleen Lahey, professeure et boursière nationale de la faculté de droit, Université Queen’s, à titre personnel : C’est pour moi un plaisir d’être ici aujourd’hui pour témoigner à propos d’une initiative législative d’une très grande importance. Avant tout, j’aimerais dire que les dispositions du projet de loi concernant la budgétisation sensible aux sexes comprennent plusieurs éléments clés qui font du Canada un chef de file de ce genre de lois, des lois émergentes, mais qu’un trop grand nombre de pays n’ont toujours pas adoptées.
Une loi concernant les finances est justement un des meilleurs véhicules qui soient pour ce type de mesures législatives. Aux fins de la budgétisation sensible au principe de l’équité entre les sexes, cette loi prend en considération les questions relatives à la sécurité, à l’intersectionnalité et au sexe.
Le projet de loi prévoit le dépôt obligatoire de rapports d’évaluation des répercussions, en plus d’exiger une analyse des répercussions selon le sexe et sur la diversité des dépenses fiscales et des dépenses directes. Il est aussi précisé que toutes les analyses doivent être fondées sur des données probantes liées aux répercussions des mesures pertinentes.
Cependant, il y a dans le libellé actuel du projet de loi un certain nombre de lacunes et de points faibles qui devraient être corrigés. Avant de vous donner plus d’explications à ce sujet, je tiens à revenir sur l’histoire de l’analyse comparative entre les sexes, de l’intégration des questions d’égalité entre les sexes et de la budgétisation sensible aux sexes au Canada.
En 1981, à l’époque où la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes a été adoptée, le Canada était l’un des promoteurs les plus actifs de cet important traité international. D’ailleurs, ce traité a mené à la création des deux dispositions sur l’égalité des sexes dans la Charte canadienne des droits et libertés et, en 1995, à l’adoption de ce qu’on appelle le Programme d’action de Beijing, un document très long et très détaillé, qui a été adopté par les Nations Unies et sanctionné par le Canada. Ce document décrit explicitement les mécanismes de l’intégration des questions d’égalité entre les sexes, de l’analyse comparative entre les sexes et de la budgétisation sensible aux sexes.
J’adopte cette optique puisque c’est aussi celle qu’utilise le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de Genève, lorsqu’il doit se pencher sur la conformité des pays à l’égard de la convention dans le cadre d’un appel interjeté contre un pays en vertu du Protocole facultatif au traité. Mes commentaires d’aujourd’hui porteront également sur les contestations éventuelles les plus probables des dispositions législatives au Canada.
Pour situer le contexte, à l’époque où ces documents sont entrés en vigueur dans notre pays, le Canada s’est conformé activement aux principes de l’égalité des sexes et, de 1991 à 1995, les rapports des Nations Unies sur le développement humain classaient le Canada au premier rang en ce qui concerne l’indice de développement humain et l’indice sexospécifique du développement humain.
Toutefois, vers le milieu des années 1990, après avoir adopté des programmes de réduction fiscale, le Canada a rapidement perdu son rang. Aujourd’hui, sur l’indice de l’égalité entre les sexes, le Canada se classe à peine au 20e rang, et, en ce qui concerne le développement humain, à peine au 10e rang. Cela tient au fait que les recettes découlant du budget ne suffisent plus à remplir toutes les exigences qui nous permettraient d’assurer concrètement l’égalité entre les sexes.
Premièrement, je propose que l’article 2 du projet de loi soit modifié de façon à énoncer explicitement que l’égalité entre les sexes est un des objectifs explicites de cette loi. Deuxièmement, aux fins de cet objectif explicite, il sera nécessaire de prévoir suffisamment de fonds dans le budget pour financer des programmes de promotion de l’égalité entre les sexes au Canada.
Troisièmement, je propose de modifier l’article 3 de façon à ce que la loi exige la participation complète et égalitaire de toutes les femmes, afin de leur donner une voix égale dans le processus de budgétisation sensible aux sexes, dès l’étape des consultations, afin qu’elles puissent formuler des recommandations au sujet des budgets des années à venir, jusqu’à l’étude des projets de loi connexes à ces budgets.
Je recommande également de renforcer les articles 4 et 5 afin qu’il soit parfaitement clair que tous les postes de la liste annuelle des dépenses et des dépenses fiscales doivent faire l’objet d’une évaluation des répercussions selon le sexe, et pas seulement ceux que le ou la ministre des finances juge pertinent d’examiner.
Je recommanderais en outre de renforcer l’article 4 en intégrant les indicateurs détaillés, qui ont été élaborés et appliqués en 1997 par Statistique Canada, en collaboration avec les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables de la condition féminine. L’objectif serait de surveiller la situation économique des femmes en utilisant trois mesures exhaustives : premièrement, l’horaire de travail; deuxièmement, le revenu total, y compris le revenu net; troisièmement, l’éducation et le niveau de revenu selon le niveau d’éducation.
Les indicateurs prévus dans le budget de 2018 ne recoupent que partiellement cet ensemble de trois indicateurs fondamentaux de l’égalité économique entre les sexes et, à eux seuls, ne sont pas suffisants, et ce, même si la loi n’exige présentement pas d’examiner toutes les situations au cœur de l’inégalité dont souffrent les femmes au Canada et qui les désavantage encore plus que les femmes de n’importe quel autre pays riche du monde, en particulier de ceux de l’OCDE.
Je propose également d’ajouter un sixième article au projet de loi afin d’accroître l’obligation redditionnelle déjà prévue. Je propose en particulier une reddition de comptes obligatoire sur les répercussions prévues de toutes les mesures individuelles associées aux dépenses fiscales ou aux dépenses directes ainsi que sur les répercussions cumulatives. Il n’existe aucune disposition qui, à elle seule, saurait expliquer entièrement l’origine, la cause ou les répercussions de l’inégalité entre les sexes, en particulier dans le domaine économique.
Je recommande également de mettre en place des obligations strictes de vérification; il faudrait que toutes les dispositions du budget fassent l’objet d’un audit par rotation.
En outre, je tiens à souligner que, pendant que le Canada élaborait son projet de loi, le reste du monde s’est également penché sur la budgétisation sensible aux sexes. Le Canada est partie aux Objectifs de développement durable, dont l’objectif 5 est la surveillance de la budgétisation sensible aux sexes et de l’équité entre les sexes. Les Nations Unies ont adopté et mis en œuvre l’indicateur 5.c.1, relevant du cinquième objectif de développement durable, qui exige que tous les pays parties aux objectifs de développement durable mettent en place un système de suivi de l’égalité entre les sexes et de la budgétisation sensible aux sexes. Il y a trois indicateurs précis pour juger des efforts du Canada par rapport à la budgétisation sensible aux sexes et les comparer aux efforts déployés dans le reste du monde.
Enfin, je veux mettre en relief le fait que le Comité de Genève pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a été limpide quant au fait que les pays ont l’obligation de promouvoir l’égalité entre les sexes auprès de leurs propres habitants et à l’intérieur de leurs frontières. Ils ont également des obligations extraterritoriales envers les gens qui, ailleurs dans le monde, peuvent être touchés par les activités des entreprises, des sociétés, des détenteurs de richesse et des résidents du Canada.
Le Canada a largement dévié de ces diverses obligations relatives à la budgétisation sensible aux sexes. Le Canada a fait l’objet d’observations finales et de décisions en vertu du Protocole facultatif, et il a été conclu que le Canada ne remplit pas ses obligations de promotion de l’égalité entre les sexes et du droit des femmes dans les autres pays. Je crois qu’il serait très constructif d’ajouter quelque chose par rapport à cela dans le projet de loi à l’étude ce soir.
J’ai terminé ma déclaration préliminaire, mais j’ai préparé une ébauche du projet de loi qui reflète chacun des changements que j’ai proposés. Je serai heureuse de répondre à vos questions à ce sujet. Merci.
Samantha Michaels, conseillère principale en politiques, Pauktuutit Inuit Women of Canada : En 2015, le premier ministre s’est engagé à renouveler la relation avec les peuples autochtones et à en arriver à une relation qui serait fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat. Il s’est également engagé envers l’égalité entre les sexes. Ces engagements ont abouti à la création d’un mécanisme bilatéral permanent pour l’élaboration de politiques sur les priorités communes avec l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami ou ITK et le Ralliement national des Métis.
Pauktuutit est un membre non votant du conseil d’administration de l’Inuit Tapiriit Kanatami et du Conseil circumpolaire inuit, étant donné les modalités du mécanisme bilatéral permanent, les femmes inuites n’ont pas de voix pour réclamer un budget équitable et une affectation de ressources qui permettraient d’atteindre l’égalité des résultats.
Pauktuutit est un organisme national qui représente les femmes inuites du Canada. Depuis 1984, nous défendons les progrès sociaux, économiques et politiques des femmes et des filles inuites. Compte tenu de notre expertise, il est essentiel que Pauktuutit participe en tant que partenaire égalitaire aux processus décisionnels des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux touchant les femmes, les familles et les collectivités inuites.
Je tiens à vous rappeler que, avant les années 1940, la plupart des Inuits vivaient dans des camps saisonniers. Vers le début des années 1950, on a forcé les Inuits à s’installer dans des villages permanents, et on leur a promis éducation, soins de santé et logements.
Le temps est passé, et, en 1970, des villages permanents avaient été créés pour les Inuits nés sur ces terres, mais ces villages n’avaient pas ce qu’il fallait pour assurer leur bien-être. Les taux élevés de chômage et de pauvreté, le faible taux de diplomation, la toxicomanie et les taux élevés de violence et de suicide au Canada témoignent des impacts de la colonisation.
Les femmes et les filles inuites ont nombre de priorités urgentes. La participation des femmes inuites à l’économie du Canada est inextricablement liée à leur accès aux services de garde, à une situation de logement adéquate et sans violence, à la sécurité alimentaire et à l’autonomisation. Je n’ai malheureusement pas le temps d’explorer toutes les intersections, mais il est impératif que le comité les garde à l’esprit pour la suite des choses.
Le taux de participation à l’économie des Inuits du Canada est uniformément inférieur à la moyenne canadienne. En 2016, une étude publiée par Pauktuutit, intitulée Breaking Barriers, Creating Opportunities, a révélé que certains des principaux obstacles qui empêchaient les femmes inuites de participer à l’économie étaient l’absence de services de garde fiables et abordables, le faible niveau d’éducation, le manque d’accès à des occasions de formation pertinente et un accès inégal ou déficient à Internet.
Les Inuits vivent une crise d’insécurité alimentaire et affichent l’un des plus hauts taux de famine au Canada. La marginalisation politique, économique et sociale dont nous sommes des victimes de longue date a créé des inégalités énormes en matière de santé. L’Enquête sur la santé des Inuits a révélé que le taux d’insécurité alimentaire dans les ménages inuits atteignait 70 p. 100 au Nunavut, ce qui est six fois plus élevé que la moyenne nationale du Canada et représente le taux d’insécurité alimentaire le plus élevé jamais rapporté pour l’ensemble des populations autochtones d’un pays membre de l’OCDE.
Le président : Pourriez-vous ralentir un peu pour permettre à l’interprète de suivre?
Mme Michaels : Comme bien d’autres problèmes, l’insécurité alimentaire dans le Nord affecte de façon disproportionnée les femmes inuites, qui vont souvent se priver de nourriture pour s’assurer que leur famille puisse manger. De nombreuses collectivités et familles inuites sont exposées à des risques à cause d’un grave problème de logements surpeuplés et insalubres et du manque d’accès à des logements abordables. En 2016, plus de moitié des Inuits, 51,7 p. 100, vivaient dans un logement surpeuplé, en comparaison de 8,5 p. 100 des Canadiens non autochtones. Il est nécessaire de fournir aux Inuits un accès à des logements abordables et salubres afin d’améliorer leur niveau d’éducation et leur état de santé physique et mentale et leur assurer de l’aide en cas de violence.
L’année dernière, le Canada s’est engagé à affecter 240 millions de dollars sur 10 ans au dossier du logement au Nunavut. Cette année, il s’est engagé à affecter 400 millions de dollars de plus sur 10 ans pour les trois autres régions de l’Inuit Nunangat. Cependant, l’argent utilisé par le Canada pour régler la crise du logement sera loin de suffire, étant donné que l’accroissement démographique atteint 20,1 p. 100 et que le coût des matériaux et de la construction est très élevé. Il sera probablement impossible de régler la pénurie de logements.
Enfin, les femmes inuites sont 14 fois plus nombreuses à être victimes de violence que la moyenne canadienne et que tout autre groupe féminin au Canada. Chez les femmes inuites, la violence est la première cause évitable de morbidité et de mortalité. Malgré cela, plus de 70 p. 100 des 51 collectivités de l’Inuit Nunangat ne possèdent aucun refuge pour femmes. Dans beaucoup trop de cas, ce manque d’accès à la sécurité a causé la perte de vies.
Comment cette inégalité sociale et économique se perpétue-t-elle? La réponse est simple : les femmes inuites sont exclues du processus décisionnel. Les femmes et les filles inuites ont le droit d’être traitées équitablement dans tous les aspects de l’éducation, de l’emploi, des soins de santé, des logements et de la sécurité, comme tous les autres Canadiens. Pour offrir un meilleur avenir aux femmes inuites et à leur famille et améliorer leur situation politique, sociale, économique et sanitaire, il est essentiel de donner aux femmes inuites un rôle de premier plan dans les discussions politiques, à tous les niveaux.
Le sénateur Pratte : Madame Lahey, vous avez proposé beaucoup de modifications au projet de loi, et j’aimerais que vous nous donniez plus de détails sur deux d’entre elles.
Premièrement, vous avez mentionné, par exemple, que la disposition de déclaration d’objet ou la déclaration de politique, au début, devrait établir clairement, si je vous ai bien compris, que l’objectif du gouvernement est d’atteindre l’égalité entre les sexes. Cependant, il y a déjà une disposition dans le projet de loi qui établit que le gouvernement s’est engagé à promouvoir l’égalité entre les sexes, mais vous voyez manifestement une nuance.
Deuxièmement, vous avez dit que les femmes devraient être des participantes à parts égales, si je vous ai bien comprise, à l’ensemble du processus de préparation du budget.
Pourriez-vous nous donner plus de détails sur ces deux aspects?
Mme Lahey : Oui, avec plaisir.
Pour commencer, je dois dire que je n’ai pas les références complètes sous la main, mais la majorité de mes arguments se trouvent au paragraphe 58 du Programme d’action de Beijing. Il y a cinq ou six autres dispositions visant à améliorer les choses dans le Programme d’action de Beijing qui fournissent des détails sur la budgétisation sensible aux sexes. À l’alinéa 2a), on peut déjà lire ce qui suit : « promouvoir, dans le cadre du budget fédéral annuel, le principe de l’égalité des sexes et l’idéal d’une société plus inclusive ». On pourrait également ajouter : « pour soutenir l’engagement du Canada à financer les programmes intersectionnels d’égalité entre les sexes, y compris ceux qui peuvent soutenir la croissance économique et la prospérité à long terme du Canada ».
C’est une chose de s’engager envers le principe de l’égalité entre les sexes, mais c’en est une autre de promouvoir et de soutenir l’égalité des sexes. Le message principal du Programme d’action de Beijing, c’est que tous les aspects de la gouvernance — aux niveaux municipal, provincial, territorial, fédéral et international — ainsi que toutes les transactions privées doivent tenir compte de l’égalité des sexes. La budgétisation sensible aux sexes serait ainsi intégrée à l’alinéa 2a).
Sur la question de la participation des femmes, le préambule de l’article 2 commence ainsi :
La politique fédérale en matière de budgétisation sensible aux sexes consiste à...
On passe ensuite aux alinéas a), b), c) et d). J’ajouterais ici : « veiller à ce que les femmes participent également et entièrement à tous les aspects de la budgétisation sensible aux sexes ». Ainsi, il serait explicite qu’il s’agit d’une obligation expresse que les femmes soient présentes et soient représentées en fonction de leur poids démographique et dans toutes les intersections contextuelles.
J’ai participé à la rédaction, à l’élaboration et à la mise en œuvre de ce genre de dispositions aux quatre coins du monde. Je sais que l’un des problèmes par rapport à la budgétisation sensible aux sexes partout dans le monde, c’est que c’est une chose pour un gouvernement de dire qu’il est en faveur de l’égalité des sexes, mais c’en est une autre de l’amener à changer ses habitudes de dépenses.
L’un des principaux problèmes au Canada, ce sont les politiques croisées actuelles qui structurent l’inégalité entre les sexes sur le plan économique. Précisément, il y a un grand déséquilibre entre les heures que les femmes consacrent au travail rémunéré et au travail non rémunéré, chaque jour, par rapport aux heures que les hommes y consacrent.
Il ne suffit pas de dire que toutes les tâches devraient être réparties équitablement, ou même de dire que l’ensemble des soins aux enfants ou des autres types de soins devraient être répartis équitablement. Il faut qu’il y ait un partage social, et la seule façon de faire cela, c’est au moyen d’un mécanisme budgétaire. Nous ne pouvons plus recourir à la servitude ni à d’autres formes d’utilisation des êtres humains pour corriger les déséquilibres, et nous ne devrions d’ailleurs pas le faire.
L’argent demeure un mécanisme très facile à utiliser, en particulier lorsque le gouvernement veut prendre des mesures pour rééquilibrer les inégalités actuelles. Le déséquilibre entre le travail rémunéré et non rémunéré est au cœur des inégalités économiques entre les sexes au Canada. Une personne qui doit consacrer entre 60 et 70 p. 100 de son temps à du travail non rémunéré ne pourra tout simplement pas être compétitive et obtenir une rémunération égale ou même de subsistance sur le marché du travail.
Ce n’est que la pointe de l’iceberg. C’est le genre de problèmes qu’on néglige souvent lorsqu’on parle de manière générale des répercussions sexospécifiques des diverses affectations budgétaires.
C’est une chose de dire que les femmes devraient obtenir tel pourcentage de quelque chose, mais c’en est une autre de comprendre comment exactement l’économie dans son ensemble maintient les femmes dans un rôle subalterne et sous-payé, tandis qu’on leur accorde une moindre part des recettes découlant des budgets annuels. À dire vrai, leur part des revenus nets d’impôt est inférieure à ce qu’elle était en 2001.
Je crois avoir répondu en partie à votre question.
Le sénateur Pratte : Madame Michaels, j’ai écouté très attentivement ce que vous disiez à propos de l’importance de la participation des femmes inuites aux décisions.
Je ne comprends pas vraiment quel est le lien avec le projet de loi à l’étude, alors peut-être pourriez-vous nous donner plus de détails. Ce soir, nous étudions la partie du projet de loi qui concerne la budgétisation sensible aux sexes.
Mme Michaels : En effet.
Le sénateur Pratte : Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont la budgétisation sensible aux sexes pourrait favoriser l’atteinte des objectifs que vous avez mentionnés?
Mme Michaels : Absolument. Nous pourrions aussi effectuer une analyse plus poussée du projet de loi et vous transmettre nos conclusions par écrit. Je crois que, de notre point de vue, il faut simplement comprendre que la budgétisation sensible aux sexes est censée améliorer la qualité de vie des femmes. Si les femmes ne sont pas aux premières lignes, autant pour l’élaboration de tout cela que pour l’affectation des ressources ou de l’argent, elles ne seront pas avantagées de la bonne façon.
Depuis trop longtemps, les femmes inuites n’ont aucune voix, et les inégalités sociales et économiques se perpétuent. En 2018, nous estimons que ce n’est plus acceptable. Je crois que nous devons trouver une façon de faire en sorte que les femmes inuites soient globalement davantage consultées ou qu’elles puissent participer à ce genre de choses; il faut vraiment qu’elles puissent avoir voix au chapitre.
Le sénateur Pratte : Diriez-vous que les investissements qui ont été faits au cours des dernières années dans les collectivités inuites, par exemple pour construire de nouveaux logements et tout le reste, ont été injustes envers les femmes inuites d’une façon ou d’une autre?
Mme Michaels : Absolument. La ministre de la Condition féminine, Mme Maryam Monsef, a le mandat de développer et de maintenir un réseau de refuges et de maisons de transition afin que les personnes qui fuient une situation de violence familiale aient toujours un endroit où aller.
Comme je l’ai mentionné, il y a 15 refuges pour 51 collectivités. Les Inuits accusent le plus haut taux de violence au Canada, 14 fois supérieur à la moyenne nationale. Nous avons effectué un examen des besoins en matière de refuges. Nous avons organisé des groupes de discussion où des femmes pleuraient et demandaient : « Où est le gouvernement? Pourquoi personne ne s’occupe de nous? »
Je ne dis pas que les refuges sont une panacée. Il faut aussi investir dans la guérison et le logement. Si une femme va dans un refuge, mais n’a nulle part où aller après, c’est inutile. Les femmes doivent être aux premières lignes des décisions relatives au manque de logement. Étant donné que plus d’un quart des enfants inuits vivent dans une famille monoparentale — avec la mère seulement —, il y a un manque de services pour les enfants, un manque de logements et un manque de solutions de remplacement sécuritaires.
Cela touche les femmes de façon disproportionnée. Présentement, 27 p. 100 des Inuits vivent à l’extérieur de l’Inuit Nunangat. On appelle cela une migration, et pour certains d’entre eux, c’est bien de cela qu’il s’agit. Certains ont choisi de chercher ailleurs des emplois, de l’éducation, des soins de santé et d’autres débouchés de ce genre. Ce n’est pas seulement une migration. Nous constatons également qu’il y a énormément de réinstallation forcée, et ce sont surtout les femmes qui partent vivre dans les centres urbains.
Ce manque de services, de programmes et de ressources affectent véritablement les femmes et leurs enfants de façon disproportionnée.
La sénatrice Andreychuk : Madame Lahey, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a étudié, encore et encore, l’analyse comparative entre les sexes. Si la sénatrice Nancy Ruth était ici, je suis sûre que ses questions seraient beaucoup plus éloquentes que les miennes.
Vous voulez élargir la portée et appliquer le Programme d’action de Beijing. Je sais que les promesses qui ont été faites n’ont pas toutes été tenues. L’une des difficultés, en ce qui concerne le budget, est de déterminer ce que le gouvernement a véritablement fait. Ce n’est pas une question d’élargir la portée. Si nous voulons vraiment accomplir notre rôle de surveillance, alors je dois savoir ce que le gouvernement fait présentement.
D’après ce que j’en sais, le gouvernement n’est pas vraiment prêt à nous le dire. On nous dit que des efforts ont été déployés, mais nous n’avons absolument aucune idée du genre d’analyse effectuée par ministère ou par programme. Essentiellement, on ne fait que nous dire que des choses ont été faites, ou alors on nous parle de principes généraux. Devrions-nous insister pour plus de transparence afin de pouvoir examiner ce qui se fait?
Cela me rappelle qu’il devait y avoir une analyse visant à déterminer si toutes les lois respectaient la Charte des droits et libertés. Il a fallu des années pour obtenir un peu de transparence par rapport à cela, et on dirait bien que nous avons le même problème ici. C’est très bien de promouvoir quelque chose, vous pouvez dire que vous faites de la promotion, mais il faut quand même que quelqu’un vérifie ce qui se fait.
D’après vous, sur quoi devrait-on mettre l’accent présentement si nous voulons mettre en place des structures qui nous permettront d’analyser la situation? Insisteriez-vous sur l’élargissement complet des droits? Je suis dans une impasse; je ne sais pas vraiment quoi faire.
Mme Lahey : C’est une excellente question. C’est une impasse, mais c’est la loi. Malheureusement, j’ai une approche d’avocate et j’ai participé à un grand nombre de procès sur des questions d’égalité des sexes devant littéralement toutes les instances qui existent. Je sais que, à la minute où une loi sur l’égalité des sexes sera adoptée, elle sera immédiatement interprétée de façon étroite par le gouvernement en question, même s’il s’agit d’un gouvernement libéral ou d’un gouvernement très progressiste. C’est ce que font les gouvernements, et je n’ai vu aucune exception.
Je préférerais qu’on mette en place un texte réglementaire solide et foncièrement inclusif. Il se peut fort bien aussi que le respect total de la loi ne soit pas possible. Si nous continuons à constater l’absence de changement important dans 10 ans encore, alors des poursuites importantes, des recours collectifs et je ne sais quoi d’autre pourraient bien suivre.
S’il devait y avoir une loi, il est important qu’elle ne soit pas simplement une déclaration de bonnes intentions. Elle doit avoir du mordant. Pour ce faire, il faudra appliquer la fonction d’audit dont vous avez parlé. Cela doit être fait. Il a fallu attendre le rapport du vérificateur général en 2009.
La sénatrice Andreychuk : C’était la vérificatrice générale, madame Fraser.
Mme Lahey : Les gens que nous représentons ou qui sont ici en personne ont participé à l’avancement de tout cela. Elles ont étudié et examiné en détail comment la budgétisation sensible aux sexes était faite. Elles ont trouvé des documents que personne ne semblait avoir jamais touché pendant le processus de mise en œuvre du budget sexospécifique. Il y avait très peu de conformité à la loi et aucune preuve d’un quelconque effort sérieux.
Dans le mémoire que je déposerai auprès du comité, j’explique un cas où un règlement ministériel exigeait la réalisation d’une budgétisation sensible aux sexes. En fait, l’analyse sexospécifique du budget a été parfaitement réalisée et avec brio. L’analyse a conclu que la loi en question avait entraîné une discrimination de genre. Cela concernait des droits en matière d’emploi des femmes dans le cadre d’un mouvement d’immigration spécial, qui visait faire entrer des artisans qualifiés au Canada le plus rapidement possible.
À la fin de l’analyse différenciée selon les sexes et de l’analyse sexospécifique du budget, la recommandation était de ne pas s’occuper des questions liées au genre, car elles ne sont pas assez importantes pour faire une différence et que ce serait inefficace d’un point de vue administratif. Je pense qu’il est nécessaire d’avoir une solide fonction d’audit afin de surmonter la réticence obstinée à prendre au sérieux la multitude de questions liées à l’égalité des sexes dans l’élaboration des budgets.
Je pense qu’il est maintenant normal d’en parler. Entre 2006 et 2008, quelqu’un s’occupait de la budgétisation sensible aux sexes au sein du gouvernement fédéral. Je ne sais pas qui exactement. Le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes m’a demandé de faire l’audit des analyses sexospécifiques du budget qui avaient été réalisées sur deux ans de budget. Le ministère en question avait examiné chaque disposition du budget et a rendu un diagnostic — bon, mauvais ou nul — relativement aux répercussions selon le sexe des dispositions en question.
Je vais vous donner l’exemple d’une analyse. Une subvention aux biocarburants a été supprimée en raison d’un type particulier de substances qu’on trouve dans le carburant, et la question était : « Quelles sont les répercussions selon le sexe? » La réponse a été la suivante : « Aucune. Les femmes, comme les hommes, sont autorisées à conduire. »
Ce n’est pas comme cela qu’on comprendra les retombées économiques d’une subvention ou d’un instrument fiscal quelconque. Une foule de personnes, dans le monde et au Canada, pourront tout vous dire sur les répercussions sexospécifiques d’instruments fiscaux particuliers.
Quand le budget de 2012 a été présenté, j’ai fait une analyse sexospécifique détaillée de chacune des dispositions, car personne ne le faisait. Elle a fini par faire 212 pages, ce qui m’a semblé drôle. C’est très important, car, selon vous, il y a beaucoup de dispositions qui n’ont jamais d’effet sexospécifique alors qu’elles en ont toutes. L’effet cumulatif après impôts est celui qui est le plus important.
Si vous me le permettez, j’aimerais vous donner deux ou trois chiffres. Le processus d’imposition commence par le revenu du marché et va jusqu’au revenu net d’impôt, c’est-à-dire qui perçoit quoi. De 2001 jusqu’à 2018, les femmes ont littéralement eu les mêmes parts de revenus du marché que les hommes. Cela n’a pas du tout changé. Environ 62 p. 100 des revenus du marché ont été perçus par les hommes et 38 p. 100 par les femmes. Si vous poursuivez le processus d’imposition, là où les subventions s’ajoutent, vous déduisez les taxes et ainsi de suite, et vous arrivez au revenu net d’impôt.
Depuis 2001, ce ratio a été le suivant : 58 p. 100 des revenus nets d’impôt sont perçus par les hommes, et 42 p. 100 par les femmes. Il y a un processus de redistribution, dans le processus de transfert fiscal et le processus budgétaire, qui a permis de redistribuer 4 p. 100 de recettes fiscales supplémentaires totales aux femmes.
À partir de 2006, le ratio des revenus nets après impôt a chuté à 41 p. 100 pour les femmes. C’est seulement en 2018 qu’un logiciel de microsimulation des estimations a permis de déterminer, grâce au travail que je réalise, que le ratio des femmes passera à 42 p. 100. On peut parler de progrès. En 2001, nous y étions déjà. Il nous a fallu jusqu’en 2018 pour revenir aux 42 p. 100 de revenus nets d’impôts perçus par les femmes.
La sénatrice Andreychuk : Madame Michaels, j’ai été impressionnée par le travail que réalise votre organisation. Contre toute attente, certaines femmes très fortes ont tout de même pu présenter leur point de vue.
Y a-t-il eu quelqu’un, au ministère des Finances ou de la Condition féminine ou ailleurs, qui vous a consulté sur la budgétisation sensible aux sexes?
Mme Michaels : À ma connaissance, non. Actuellement, nous commençons simplement à avoir la capacité d’examiner ces questions. Nous n’avons pas été en mesure de rien présenter pour les consultations prébudgétaires ni autre chose de cette nature.
Toutefois, nous reconnaissons que c’est très important et nous sommes prêts à travailler davantage sur cette question. Pas particulièrement, à ma connaissance.
La sénatrice Andreychuk : Il semble y avoir beaucoup de consultations en cours avec les collectivités autochtones. À qui vous adressez-vous? Vous adressez-vous à d’autres dirigeants des collectivités autochtones? Vous adressez-vous directement au gouvernement fédéral ou avez-vous réfléchi aux questions liées au genre?
Mme Michaels : En 2017, nous avons signé un protocole d’entente avec le gouvernement du Canada par le truchement de Services aux Autochtones Canada. Cela nous permet d’élaborer un plan de travail avec plusieurs ministères, et d’assurer certains financements de base, même si, à ma connaissance, ces financements ne seront pas à long terme.
Nous sommes notre propre organisation nationale autochtone. Nous avons également signé un protocole d’entente avec l’Inuit Tapiriit Kanatami en 2018. Toutefois, nous voulons être consultés en bonne et due forme, même si nous travaillons assez étroitement avec l’Inuit Tapiriit Kanatami.
La sénatrice M. Deacon : Nous avançons, nous reculons, nous faisons un pas de côté, et nous avançons. De toute évidence, l’objectif est d’avancer. Je vous ai écoutées toutes les deux. Cela m’a rappelé que, l’année dernière, j’ai rencontré des dirigeantes du monde entier, aux Nations Unies, à l’occasion d’une rencontre sur le thème des femmes dirigeantes de l’ONU, appelée en anglais : « HERstory : A celebration of leading women in the United Nations ». Je dois dire que vous y étiez bien représentées. C’était pour discuter de la parité hommes-femmes, des lois, de la budgétisation sensible aux sexes et des enjeux dans le monde.
En vous écoutant toutes les deux ce soir, je n’ai relevé aucune différence. Vous avez indiqué cinq, six, sept ou neuf choses importantes que vous auriez voulu faire ou que vous auriez voulu améliorer le plus tôt possible.
Lors de cette expérience à l’ONU, nous avons appris, à tort ou à raison, que vous essayez d’inculquer une ou deux choses essentielles qui, selon vous, sont réalisables et importantes pour faire avancer votre travail. C’est devenu une très grande part de votre réflexion et de ce groupe de réflexion, qui a influencé les autres pays, qui s’efforcent d’atteindre l’objectif 5 de l’ONU.
D’après les informations que vous nous avez transmises ce soir et d’après votre expérience à toutes les deux, quelles sont les deux choses essentielles qui vous aideront le plus en 2018?
Mme Lahey : Tout d’abord, il y a une excellente étude qui a tenté d’énumérer les 10 principales choses à faire et qui a déterminé, au moyen d’une analyse statistique bien étalonnée, lesquelles étaient les plus efficaces. C’est l’objectif ici. Malheureusement, pas un seul pays, peu importe la combinaison de stratégies, n’a été en mesure de toutes les traiter.
C’est comme le jeu de la taupe. Quand vous réglez la question de l’équité salariale, vous avez le problème de la garde d’enfants. Quand vous réglez le problème de la garde d’enfants, vous avez le problème de l’équité salariale. Quant à la question des subventions... Les attributions conjointes de subventions rendent économiquement impossible d’avoir un travail rémunéré, s’il y a un homme dans le ménage qui peut avoir un travail rémunéré.
Quant à la question de savoir si l’adoption d’une règle d’égalité changerait le résultat, chaque pays a échoué à en appliquer au moins une. En Norvège, par exemple, on peut observer de très hauts niveaux de travail à temps partiel, et cela ne changera jamais.
Dans chaque pays, il y a des problèmes structurels. Il est, par conséquent, extrêmement difficile de déterminer ce qui se placerait au premier ou au deuxième rang des priorités. Toutefois, je mettrais l’équité salariale en tout premier, car j’ai réalisé une microsimulation pour une des provinces, en cherchant à avoir une preuve des avantages qu’on pourrait tirer de l’amélioration de l’équité salariale. Nous avons l’étude du cas du Québec, mais je pense que ce n’est pas assez. Tout le monde a besoin de savoir si cela fonctionnera dans son administration également.
En examinant les premières années du rajustement au titre de l’équité salariale, j’ai constaté que le montant des recettes générées à la fois aux échelons fédéral et provincial était phénoménal, comparativement aux investissements en matière d’équité salariale qui ont été faits. Selon la simulation que j’ai faite, le gouvernement fédéral reçoit environ 3,5 fois plus de recettes supplémentaires que les provinces en question, en raison de la façon dont les niveaux d’imposition et de prestation des gouvernements fédéral et provinciaux s’intègrent à l’ensemble du tableau.
L’équité salariale est une question cruciale, mais vous ne pourrez pas faire beaucoup de progrès, si vous ne tenez pas compte de la garde d’enfants. Je pense que la garde d’enfants viendrait en deuxième position.
Mme Michaels : Je devrais commencer par la question du logement. Si vous n’avez pas un endroit sûr à appeler votre maison, vous n’avez rien. La vie avec 20 personnes dans une maison de quatre chambres est une violation des droits de la personne. Le logement devrait être la première question à traiter : un plan réaliste pour mettre fin à la crise du logement mettant l’accent sur les besoins des femmes.
En deuxième position, c’est difficile à dire, car il y a beaucoup de besoins immédiats, comme je l’ai mentionné. Je suppose que ce serait la garde d’enfants, car, même si les femmes participent plus au marché du travail que les hommes, et qu’elles ont généralement un niveau d’études supérieur à celui des hommes, elles ne sont pas en mesure de réaliser beaucoup de projets, en raison du manque de services de garde d’enfants abordables.
Cela aiderait à éliminer la pauvreté dans une certaine mesure, dans l’hypothèse où il y a des emplois intéressants pour les gens dans les collectivités.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci de nous informer sur des problématiques extrêmement importantes et très préoccupantes. Pour ma part, j’en apprends beaucoup.
Madame Michaels, si j’ai bien compris, vous avez parlé d’un accord qui défend la participation des femmes inuites au sein des instances. Ai-je bien compris?
[Traduction]
Mme Michaels : Pourriez-vous répéter la dernière partie?
[Français]
Le sénateur Forest : J’ai cru comprendre que vous avez parlé d’un accord ou d’une règle qui défend la participation des femmes inuites au sein des instances. Ai-je bien compris?
[Traduction]
Mme Michaels : Faites-vous allusion au protocole d’entente que j’ai mentionné?
Le sénateur Forest : Oui.
Mme Michaels : Simplement pour répondre à cette question, oui, il y a un protocole d’entente qui nous donne par écrit la capacité de travailler avec le gouvernement par le truchement d’un mécanisme bilatéral permanent ou du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne. Les femmes inuites, du seul fait qu’elles sont des femmes, n’ont pas voix au chapitre, à ce comité. Nous sommes des membres d’office de l’Inuit Tapiriit Kanatami, nous ne pouvons donc pas voter. Nous sommes là, mais nous n’avons aucun droit.
[Français]
Le sénateur Forest : Pour modifier cette règle qui est, selon moi, injustifiée, à qui faut-il s’adresser? Au gouvernement fédéral?
[Traduction]
Mme Michaels : Oui et non. Nous faisons quelques progrès avec l’Inuit Tapiriit Kanatami, mais c’est au gouvernement d’ouvrir le dialogue avec les femmes inuites, d’une manière qui leur convient, et non pas seulement avec les représentants de l’Inuit Tapiriit Kanatami, étant donné que nous n’avons pas de voix ou de droit de vote.
[Français]
Le sénateur Forest : C’est tout un défi de rejoindre les femmes autochtones ou inuites, compte tenu des collectivités qui sont souvent éloignées et des problèmes auxquels elles doivent faire face. Comment vous y prenez-vous pour entendre ces femmes dont la seule voix serait votre organisation?
[Traduction]
Mme Michaels : C’est vrai. Il existe des organisations régionales. Celle du Nunavut est appelée Saturviit Inuit Women’s Association, et il y en a une au Nunatsiavut. Toutefois, l’organisation Pauktuutit est dirigée par un conseil d’administration composé de 14 membres, toutes des femmes inuites qui s’occupent de la région du Nord, à l’exception d’une qui s’occupe des régions urbaines. C’est une façon de rester connectées à la collectivité.
[Français]
Le sénateur Forest : J’imagine qu’il s’agit de 14 femmes? Je l’espère.
[Traduction]
Mme Michaels : Oui.
[Français]
Le sénateur Forest : J’aimerais poser une dernière question. Si on effectuait une analyse comparative entre les sexes et une analyse de la diversité, de quelle façon cela pourrait-il influencer les choix budgétaires? J’aimerais que l’impact positif de ce type d’analyse soit concrètement établi.
[Traduction]
Mme Lahey : Je vais faire deux ou trois commentaires. Actuellement, il y a de nombreuses études qui ventilent un certain nombre d’instruments fiscaux selon le genre, l’âge, l’appartenance à la population autochtone, l’appartenance à une minorité visible et tout autre type d’indicateur de la diversité. Il est tout à fait possible de faire un suivi de ces instruments, de les quantifier, de les pondérer et d’observer leurs répercussions sur le budget.
Ces écarts sont énormes par comparaison aux écarts moyens qui ont été calculés. S’ils pouvaient être corrigés, je vous garantis qu’il y aurait une différence monumentale, et cela permettrait d’accélérer la mise en œuvre de l’égalité entre les sexes.
Mme Michaels : Je suis d’accord avec cette réponse.
Le sénateur Klyne : Je qualifierais les modifications et les recommandations, si elles étaient appliquées, de mesures visant à corriger les écarts. Ma question s’adressera probablement plus à Mme Lahey, mais la façon dont je la formulerai vous permettra peut-être à toutes deux d’y répondre.
Supposons, pour le moment, que les écarts soient corrigés. Selon vous, madame Lahey, ce serait là les mesures législatives idéales. Quels seraient les avantages attendus de la promotion concrète de l’analyse sexospécifique et de l’inclusion des femmes dans les mesures budgétaires du gouvernement?
J’aimerais ajouter une perspective. Si on ne corrige pas les écarts, quelles en seront les répercussions?
Mme Lahey : Si j’ai bien compris votre question, êtes-vous en train de dire que, en supposant que tous les écarts sont corrigés, nous pourrons cesser la budgétisation sensible aux sexes?
Le sénateur Klyne : Non, je pose la question sur les avantages prévus de la correction des écarts, comme vous l’avez proposé dans votre amendement ou comme vous l’avez indiqué dans vos recommandations. Est-ce que cela assurera en pratique la promotion des analyses sexospécifiques et de l’inclusion des femmes?
Je suppose que la vraie question est : qu’arrivera-t-il si nous ne pouvons pas corriger ces écarts? Quelles seront les répercussions?
Mme Lahey : Pour répondre à la première partie de la question, car je pense que, en y répondant, je répondrai à la deuxième partie, il est absolument vrai, et il est correctement indiqué et intégré dans l’ébauche du projet de loi que l’égalité entre les sexes accélère la croissance économique. La croissance favorisée par l’égalité entre les sexes ne se fera pas si on ne répond pas aux besoins fondamentaux et à long terme des femmes qui occupent une plus grande part des emplois rémunérés à des taux plus élevés.
L’avantage, c’est que cela améliorera la prospérité de toute l’économie, car les femmes ne feront plus face à la pauvreté, à des défis et à des inégalités comme c’est le cas aujourd’hui. En mettant le tout en œuvre sur la base de l’inclusion de la diversité et de la réduction des inégalités, on réduira la concentration des richesses, laquelle est une partie du problème qui freine la lutte contre l’inégalité entre les sexes.
Que se passera-t-il si nous ne le faisons pas? Nous continuerons sur cette voie. L’effet cumulatif de tous les changements en matière de revenus qui ont eu lieu ces dernières 25 années ont mené à une réduction des recettes nettes du Canada d’environ 41 p. 100, par rapport à 1995. C’est beaucoup moins d’argent. Nous poursuivrons sur cette voie si nous continuons d’accorder des avantages réellement profitables en priorité à ceux qui en bénéficient déjà pleinement.
Le sénateur Klyne : Si la mesure législative proposée était adoptée telle quelle, elle semblerait corriger les écarts, mais en réalité ne les corrigerait pas. Vous avez suggéré de corriger les écarts.
J’ai apprécié la réponse selon laquelle c’est la nation dans son ensemble qui en bénéficiera. Simplement, elle n’améliorera pas la vie des femmes, ce qui en est l’aspect le plus important.
Mme Lahey : Je ne crois pas que tout le monde pense que l’égalité entre les sexes est une question qui concerne seulement les femmes.
Le sénateur Klyne : Je suis d’accord, sauf que, tout à l’heure, j’ai entendu dire qu’elle améliorera la vie des femmes, et je voulais vous entendre dire que c’est tout le monde qui en bénéficiera.
Mme Lahey : Je l’espère. Nous verrons.
Le sénateur Boehm : Madame Lahey, madame Michaels, je réfléchis à tout ce que vous avez dit, et c’était très intéressant.
Avant de venir ici, et je suis assez nouveau, j’ai été chargé de l’organisation des rencontres du G7. Le gouvernement et le premier ministre ont décidé d’appliquer une approche fondée sur l’analyse comparative entre les sexes plus à tout ce que nous faisions. Les documents publiés à l’issue du sommet du G7 de Charlevoix et des diverses réunions ministérielles qui ont eu lieu dans différentes régions du pays ont tous mis en relief cette approche. Toute l’organisation, tous les travaux ont essentiellement appliqué l’analyse ACS+. Vous pouvez voir les résultats des sept engagements, dans le communiqué, lequel a été répudié par l’un des participants au sommet dans un gazouillis, comme vous le savez tous.
C’est la terminologie qui pose problème, selon moi. Même parmi les pays du G7, qui sont des pays assez avancés, l’ACS+ était perçue comme un terme canadien. J’ai persuadé quelques collègues organisateurs, comme moi, et d’autres de suivre le cours en ligne, ce qui était excellent. Le ministre Morneau était ici plus tôt aujourd’hui. La budgétisation sexospécifique a été tout un défi, y compris dans le contexte financier du G7.
En ce qui concerne l’intersectionnalité, je ne suis arrivé à rien, même si certains des autres pays et gouvernements font face aux mêmes défis au chapitre de la diversité de leur population. J’avais anticipé quelques différences culturelles, mais j’ai été un peu surpris par la difficulté que cela représente. Je pense que cela concerne également le Canada.
Ma question est la suivante : comment pourrions-nous rendre la définition plus claire ou nous assurer que les gens ont une meilleure compréhension? Nous tous autour de la table et les autres témoins avons en quelque sorte compris. Nous comprenons le jargon et les indicateurs. Nous comprenons l’importance de la ventilation des données et tout cela, mais comment le gouvernement peut-il présenter tout cela de façon que le Canadien moyen puisse avoir une meilleure compréhension?
Mme Lahey : Le gouvernement canadien a commencé à le faire à très grande échelle dans les années 1990 et au début des années 2000. Le travail préparatoire a déjà été fait, mais il a été retiré du site de Condition féminine. Il a été versé aux archives, et ces archives ont été dispersées. C’est difficile de rassembler tous les éléments de ce travail. C’est un très grand défi.
Le concept d’analyse comparative entre les sexes plus vise à mettre en relief le fait que... Si vous lisez le Programme d’action de Beijing, vous seriez surpris de voir que 20 paragraphes sont consacrés à un petit point relatif à la budgétisation sensible aux sexes et à l’analyse comparative entre les sexes. Vous y trouverez une liste de peut-être 12 différentes dimensions de l’intersectionnalité pour un sujet donné.
Dans certains contextes, la pauvreté, les handicaps et un certain nombre d’autres facteurs comme le fait de vivre en milieu rural et le niveau de scolarité, pourraient être tous très pertinents. Dans d’autres contextes, ils ne le seront pas autant. Tout d’abord, il faut comprendre que ce n’est pas une machine. Il s’agit de prendre la gouvernance au sérieux, dans une perspective sexospécifique. La gouvernance, relativement au genre et aux questions connexes, doit faire ce qu’elle a toujours fait relativement à la richesse, aux intérêts commerciaux et aux intérêts des entreprises. Pensons à tout le soin que nous avons apporté à l’élaboration du crédit d’impôts pour les petites entreprises, et ainsi de suite.
C’est ce qui doit être fait. Cela doit être contextualisé. Il faut que nous sachions quels sont les résultats attendus et que nous nous rendions bien compte que nous jouons avec la vie des gens et avec leur argent.
Je dirais qu’il s’agit d’un processus difficile que nous ne pouvons pas simplifier. Je commencerais par préserver le processus au moyen d’une loi solide qui nous obligerait tous à gouverner comme si les hommes et les femmes étaient tout aussi importants.
Mme Michaels : Je ne suis pas certaine que tout le monde ait compris, étant donné ce que je viens de dire et le fait que j’ai passé beaucoup de temps à voyager dans l’Inuit Nunangat. Les femmes inuites ne sont toujours pas incluses dans la planification, l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de la budgétisation sensible aux sexes. Je pense que nous avons encore un long chemin à faire.
Le président : J’aimerais dire aux témoins qu’ils nous ont certainement donné matière à réflexion. Vos exposés ont été très riches en information et très instructifs. Madame Michaels, merci de nous avoir donné les statistiques de votre collectivité.
Je remercie les témoins d’avoir accepté notre invitation. Nous accueillons Mme Sarah Kaplan, professeure émérite et directrice de l’École de gestion Rotman de l’Université de Toronto de l’Institute for Gender and Economy et par vidéoconférence de Toronto; Mme Maya Roy, présidente-directrice générale de YWCA Canada; Mme Diana Sarosi, conseillère principale en politiques, d’Oxfam Canada; et, enfin, Mme Jacqueline Neapole, directrice exécutive de l’Institut canadien de recherches sur les femmes.
Madame Kaplan, vous avez la parole.
Sarah Kaplan, professeure émérite et directrice, École de gestion Rotman, Université de Toronto, Institute for Gender and the Economy, à titre personnel : C’est un honneur de comparaître devant votre comité pour commenter le projet de loi C-86 au chapitre de la création d’un ministère pour les femmes et pour l’égalité des sexes. En tant que professeure, je fais la promotion de l’utilisation de recherches universitaires rigoureuses pour éclairer les politiques et les pratiques, dans l’objectif précis d’appuyer les nouvelles solutions novatrices visant l’égalité entre les sexes.
La création de ce ministère favorisera l’atteinte de l’égalité entre les sexes dans la société canadienne pour un certain nombre de raisons. Premièrement, le projet de loi présente l’égalité comme une valeur centrale pour les Canadiens.
Le président : Pourriez-vous ralentir un peu, s’il vous plaît, pour nous permettre d’avoir une bonne interprétation?
Mme Kaplan : Son nom indique qu’il met l’accent sur les femmes et également sur les personnes de genre différent, y compris les personnes bispirituelles, non binaires et les transsexuelles. Il indique en outre l’attention portée aux hommes et à la masculinité. Comme nous l’avons appris des récents efforts visant à améliorer les politiques sur les congés parentaux, il est essentiel de chercher à faciliter de nouvelles normes de masculinité qui peuvent transformer le travail rémunéré et les soins aux personnes pour les hommes, pour les femmes et pour les personnes de divers genres.
De plus, j’aimerais également attirer votre attention sur l’importance de l’article qui porte sur la compréhension de :
[...] l’intersection du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires, notamment la race, l’origine nationale ou ethnique, l’origine ou l’identité autochtones, l’âge, l’orientation sexuelle, les conditions socioéconomiques, le lieu de résidence et les handicaps.
Il est essentiel que le ministère ait le mandat de mettre l’intersectionnalité à l’avant-plan si nous voulons atteindre l’égalité, car nous savons que la plupart des obstacles à la pleine participation des gens dans toutes les sphères de la vie se situent précisément à ces points d’intersection.
Deuxièmement, si le ministère a suffisamment de fonds et de ressources, il peut servir de centre d’excellence pour les capacités en matière d’analyse comparative entre les sexes et d’élaboration de politiques. Bien que certaines formes d’analyses comparatives entre les sexes ont été demandées depuis 1995 à l’échelon fédéral, nous manquons encore de capacités essentielles pour mener et utiliser ces analyses. Cela concerne les administrations fédérales, provinciales et locales, ainsi que les entreprises et les organismes sans but lucratif.
L’analyse comparative entre les sexes, au mieux, devrait être utilisée pour trois activités interdépendantes : la première, la recherche qualitative et quantitative sur les besoins; la deuxième, l’élaboration et la mise en œuvre de politiques; la troisième, l’évaluation des politiques. À ce jour, la plus grande partie des efforts ont visé la troisième activité. Nous élaborons une politique, puis nous évaluons les effets sexospécifiques qu’elle pourrait avoir; nous pouvons élaborer une mesure corrective pour essayer de remédier à un quelconque effet défavorable. J’ai bien peur que même cette troisième étape ne soit pas réalisée avec suffisamment de profondeur et à un bon niveau de recherches et d’analyse, surtout en incluant les intersections que j’ai mentionnées plus tôt.
Prenons, par exemple, l’Initiative des supergrappes d’innovation. Les responsables ont reconnu, dans le guide même du programme, qu’ils investiront dans des secteurs qui attirent plus de travailleurs qualifiés masculins que féminins. Ils indiquent que, pour régler ce problème, les candidats devront proposer des moyens d’augmenter la représentation des femmes dans les emplois et à la direction. Toutefois, si nous avions commencé par faire une analyse comparative entre les sexes, nous aurions élaboré une initiative de supergrappes pour laquelle l’innovation inclusive serait un fondement plutôt qu’une considération supplémentaire.
Par conséquent, si on avait utilisé dès le début l’analyse comparative entre les sexes, on aurait pu modifier et améliorer la conception des politiques. Par exemple, pour ce qui est de l’investissement dans l’infrastructure, nous savons que les investissements dans le transport en commun local profitent différemment aux femmes et aux enfants, alors que le financement d’autoroutes avantage les hommes, qui ont tendance à conduire ou à se déplacer sur des distances plus longues. Une véritable analyse des incidences du congé de maternité aurait montré que la prolongation de ce congé à 18 mois est une piètre solution de rechange aux services de garde et peut nuire grandement à la participation des femmes au marché du travail.
Une telle information devrait influer sur le processus décisionnel en matière de politiques, de budgets et d’impôts. Sur ce point, j’adhère complètement au témoignage de Mme Lahey, que vous avez entendu au cours de la séance précédente de ce soir.
Le ministère a l’occasion de renforcer ses capacités d’analyse comparative entre les sexes et d’aider d’autres ministères et organismes à remplir leur mandat qui vise une véritable budgétisation sensible aux sexes. Cela renforcera la capacité nationale de faire avancer tous les aspects de l’égalité des sexes. Le renforcement des capacités prend du temps. Il faut investir de façon soutenue, accumuler des données et mener beaucoup de recherches et acquérir de l’expérience au fil des ans. On doit favoriser un écosystème d’organismes gouvernementaux, d’organisations communautaires et d’entreprises. La création d’un ministère fait en sorte que ce processus d’accumulation ne peut pas être interrompu ni retardé, comme cela a été le cas par le passé, sans la tenue de débats publics importants prévus par le processus législatif.
Troisièmement, le ministère, encore une fois grâce à des ressources et à du financement suffisants, peut également être une source d’innovation en matière de politiques suivant l’analyse comparative entre les sexes qu’il réalisera. Cette analyse, comme je l’ai mentionné auparavant, sera moins efficace si elle est simplement utilisée comme un outil d’évaluation des politiques. Elle prend tout son pouvoir lorsque les observations générées entraînent des politiques novatrices qui dénouent nombre d’impasses auxquelles on s’est heurté jusqu’à maintenant dans le cadre des efforts déployés pour atteindre l’égalité des sexes.
Par exemple, nous nous inquiétons aujourd’hui du fait qu’il n’y a pas suffisamment de femmes qui choisissent l’entrepreneuriat, alors nous prévoyons des fonds spéciaux destinés à la Banque de développement pour les entrepreneures. Qu’en serait-il si nous utilisions la recherche et l’analyse pour élaborer de nouveaux modèles inclusifs visant à promouvoir l’entrepreneuriat, modèles qui pourraient aider la BDC à réinventer complètement son fonctionnement? Nous ne pouvons pas le savoir sans le travail minutieux d’un ministère qui est déterminé à tirer parti de la recherche et de l’analyse relatives aux inégalités actuelles et les mécanismes clés prévus pour les corriger.
Sur une note personnelle et à titre d’immigrante au Canada, je peux dire, en conclusion, que le Canada a l’occasion aujourd’hui d’être un modèle à suivre au chapitre de l’égalité des sexes. La création d’un ministère pour les femmes et l’égalité des sexes peut être un puissant symbole de l’engagement du Canada à cet égard et, plus important encore, une source d’innovation et de réflexion pour le pays et le monde à mesure que nous travaillons pour atteindre l’égalité entre les sexes. Merci beaucoup.
Maya Roy, présidente-directrice générale, YWCA Canada : YWCA Canada, qui compte 32 membres, est la plus grande organisation de femmes au Canada. Nous avons 34 refuges dans 9 provinces et 2 territoires. Nous sommes le deuxième fournisseur de services de garde sans but lucratif en importance au pays.
Depuis près de 150 ans, YWCA Canada travaille à améliorer la vie des femmes et des filles qui utilisent ses services, ainsi que celle de leur famille. Mon exposé aujourd’hui porte directement sur leurs expériences de vie et les données que nous recueillons régulièrement.
Avec 32 associations membres partout au pays, nous sommes déterminés à construire une société inclusive qui fonctionne pour toutes les personnes qui s’identifient comme des femmes et des filles. Pour ce faire, nous adoptons une perspective intersectionnelle et nous nous assurons de prendre en considération les expériences uniques de marginalisation et d’oppression auxquelles font face diverses communautés en quête d’équité, comme les collectivités autochtones, les femmes racialisées, les jeunes femmes ainsi que les nouvelles arrivantes, les réfugiées et les immigrantes.
Comme organisation qui travaille avec 330 000 femmes et leur famille chaque année, nous savons que c’est dans les détails que nous pourrons assurer l’égalité des genres, non pas en marge de la loi. C’est dans la mise en œuvre du projet de loi et dans l’application de la réglementation qu’on fera vraiment progresser l’égalité des genres et l’inclusion.
Le projet de loi C-86 marque une étape importante pour le Canada dans le mouvement vers l’égalité des genres. Nous applaudissons l’attention accrue du gouvernement du Canada à cet égard, qui se manifeste clairement dans nombre d’éléments de la partie 4 de la loi d’exécution du budget, de la section 9, qui édicte la Loi canadienne sur la budgétisation sensible aux sexes, à la section 14, qui promulgue l’équité salariale. Nous savons également que la véritable compréhension du genre doit jouer un rôle essentiel dans l’élaboration de politiques fédérales au sein d’un cadre institutionnel.
Une chose que mes collègues aiment me rappeler, c’est que nous avons tendance à examiner les questions comme s’il s’agissait de programmes. Par exemple, nous savons que les routes et l’eau sont des programmes au Canada. On nous demande souvent, en tant que fournisseurs de services, de penser aux femmes et aux enfants en fonction de projets. Il serait inconcevable d’éduquer un enfant dans le cadre d’un projet de trois mois. En tant qu’organisations féminines, nous sommes fréquemment appelées à lutter contre la violence envers les aînés avec 40 000 $ sur une période de trois mois.
Quant à l’analyse du projet de loi, nous croyons que la création du ministère des Femmes et de l’Égalité des genres renforcera le travail continu; on pourra commencer à aborder l’inégalité entre les sexes comme un programme au lieu d’un projet.
Nous espérons que le nouveau ministère veillera à ce que le gouvernement fédéral joue un rôle actif dans l’élaboration de politiques progressistes et la recherche sur les questions liées à l’égalité des sexes. C’est un pas dans la bonne direction, et nous sommes ravis de voir que ce problème de longue date est enfin abordé.
Le ministère a également l’occasion de considérer l’égalité des sexes non seulement comme un projet, mais en fait comme un programme d’investissement économique. Au lieu que le travail des femmes soit vu sous l’angle de projets ponctuels à court terme, un cadre clair pour l’égalité des sexes découlant d’une coordination interministérielle offre une véritable chance de faire progresser l’égalité des sexes.
Afin d’améliorer la capacité du ministère de faire son travail, nous vous faisons part des observations suivantes.
Premièrement, dans la section sur les attributions du ministre, nous sommes heureux de voir un principe selon lequel on devrait adopter une approche intersectionnelle pour aborder l’égalité des sexes. Divers facteurs y sont mentionnés, notamment la race, l’origine nationale ou ethnique et l’origine ou l’identité autochtones. Dans le cadre du travail que nous effectuons dans neuf provinces et deux territoires, nous constatons qu’il faut également comprendre les défis et les considérations uniques que le statut d’immigration impose aux femmes. L’expérience de femmes, qui peuvent être des réfugiées, des étudiantes étrangères ou des résidentes permanentes vivant sans statut, de même que des citoyennes, diffère grandement. Le ministère et la loi correspondante doivent pouvoir comprendre et aborder ces nuances; à notre avis, cela aura une incidence sur notre capacité de faire avancer l’égalité des sexes.
Également, compte tenu des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation, les politiques touchant les femmes autochtones et les personnes bispirituelles doivent être menées et mises en œuvre par des collectivités autochtones et du personnel autochtone doit y être affecté. L’intégration de l’autodétermination tout au long du processus est primordiale. Les conclusions préliminaires de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées l’indiquent clairement. Les aînés et les enseignements traditionnels doivent faire partie de la solution si le gouvernement canadien veut mettre en œuvre de façon intégrale la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Le projet de loi propose de permettre aux Canadiens de participer pleinement à toutes les sphères de leur vie. Le ministère devra aborder activement et défaire systématiquement les faits indéniables concernant les effets dévastateurs d’un génocide, d’une colonisation, d’un racisme et d’un sexisme financés par l’État canadien. Nombre d’institutions et de dirigeants canadiens sont réticents à accepter ces faits indéniables.
Deuxièmement, YWCA Canada investit dans des secteurs d’activité stratégiques qui mettent l’accent sur le manque de services de garde universels, le logement des femmes, l’itinérance, l’élimination de la violence fondée sur le genre et l’avancement de l’égalité économique des femmes. Nous travaillons également sur la réconciliation avec les Autochtones, de même que les questions liées aux nouvelles arrivantes et à l’immigration.
Nous avons appris dans le cadre de notre travail que, pour vraiment obtenir les résultats visés par ce projet de loi, il faut un investissement important dans des ressources financières et humaines. Il doit y avoir des indicateurs de rendement clés. Nous croyons qu’il faut donner au ministère un mandat audacieux et les ressources appropriées pour réaliser le travail. Nous encourageons le gouvernement à fixer une cible budgétaire annuelle d’au moins 100 millions de dollars en vue de s’assurer que ce travail colossal fasse évoluer les choses dans la vie des femmes, des filles et des personnes non binaires.
Troisièmement, la mission fondamentale du ministère est de faire progresser l’égalité des sexes pour corriger le déséquilibre historique et continu que vivent les femmes, les filles et les personnes non binaires relativement à l’accès au pouvoir et aux ressources. Nous encourageons le comité à tenir compte du fait que, dans la lutte pour l’égalité des sexes, nous ne pouvons pas oublier l’équité des sexes.
Cela signifie investir dans des secteurs où les femmes représentent la majorité des travailleurs, comme la santé et les services sociaux, et exiger des conditions de travail décentes et un salaire égal. Du point de vue des politiques, cela veut dire des investissements en services de garde universels parce que nous savons que les femmes font, de manière disproportionnée, du travail non rémunéré. Dans le cadre de notre discussion du projet de loi, en cette veille du 6 décembre, nous ne devons pas oublier que le gouvernement fédéral a un rôle clair de chef de file à jouer lorsqu’il s’agit de mettre fin à la violence fondée sur le genre.
Des membres du personnel et des collègues de partout au pays me disent régulièrement que la violence fondée sur le genre n’est pas seulement une cause ou un problème de politique qui doit être réglé. C’est en réalité le symptôme de causes structurelles plus profondes. Nous considérons ce projet de loi comme une occasion de traiter ces causes. Merci.
Diana Sarosi, conseillère principale en politiques, Oxfam Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs, merci de m’offrir l’occasion de présenter les observations d’Oxfam sur le projet de loi C-86.
Nous plaçons les droits des femmes et la justice entre les sexes au cœur de tout ce que nous faisons, ici au pays et dans le cadre de nos interventions auprès de certaines des collectivités les plus pauvres de la planète. Grâce à notre travail, nous savons que les femmes de partout font face à d’importants obstacles culturels qui les empêchent d’échapper à la pauvreté, de faire des choix concernant leur corps et leur santé génésique et de vivre une vie exempte de violence et de discrimination. Les femmes continuent d’être au bas de l’échelle économique en étant surreprésentées dans les emplois les moins rémunérés et les moins stables. Elles assument de trois à quatre fois plus de tâches non rémunérées que les hommes.
C’est vrai aussi au Canada. Les femmes représentent 70 p. 100 des travailleurs à temps partiel, occasionnels et temporaires et 60 p. 100 des salariés au salaire minimum. L’écart salarial entre les hommes et les femmes persiste, se situant en moyenne à 32 p. 100 et pouvant atteindre de 45 à 55 p. 100 chez les femmes autochtones, les femmes racialisées et les femmes handicapées. Les femmes font de deux à trois fois plus de travail de prestation de soins non rémunéré que les hommes, et l’écart entre les hommes et les femmes sur le marché du travail demeure à peu près de 10 points de pourcentage.
La sécurité économique des femmes est davantage entravée par la fréquence de la violence fondée sur le sexe et la violence et le harcèlement sexuels en milieu de travail.
Le budget fédéral de 2018 prévoyait des investissements et des mesures d’importance pour promouvoir l’égalité entre les sexes. Nous sommes heureux de voir que ces progrès en matière de droit se retrouveront dans le projet de loi. Toutefois, il faut se rappeler que la nature des projets de loi omnibus est telle qu’il est difficile pour les intervenants d’examiner tous les éléments en détail et de formuler des commentaires de fond. Cela risque fort de nuire à l’engagement démocratique. Compte tenu de la volonté du gouvernement de faire participer activement la société civile et d’accroître la transparence, il faudrait éviter d’utiliser de tels projets de loi.
Vous m’avez demandé de parler du projet de loi proposé en ce qui concerne la création du ministère des Femmes et de l’Égalité des genres. Oxfam félicite le gouvernement d’avoir fait de Condition féminine un ministère à part entière. C’est une initiative qui se fait attendre depuis longtemps, puisque le Canada a du chemin à faire pour combler l’écart entre les sexes.
L’organisation que je représente est heureuse que le mandat du ministère comporte une solide perspective intersectionnelle, qui reconnaît toute la diversité de l’orientation sexuelle et de l’identité ou de l’expression de genre. En même temps, nous ne devons pas perdre de vue les défis et les obstacles particuliers auxquels se heurtent les femmes dans l’exercice de leurs droits sociaux, politiques et économiques. Nous espérons que le ministère continuera de mettre l’accent sur la promotion des droits des femmes.
Il est essentiel que cette expansion soit assortie d’une augmentation des ressources. Condition féminine Canada a reçu moins de 0,014 p. 100 du financement fédéral au cours des 10 dernières années. Le financement fédéral direct des organisations de défense des droits des femmes représente une infime proportion du budget à moins de un centième de 1 p. 100 du total des dépenses de programmes fédérales. Des données probantes provenant de pays à revenu élevé et de pays à faible revenu, recueillies au fil des décennies, montrent que les organisations de défense des droits des femmes sont le facteur le plus important pour veiller à ce que les politiques publiques servent bien les femmes. Pourtant, elles sont les organisations sans but lucratif les plus sous-financées au monde.
Malgré l’importante augmentation du financement du programme des femmes au cours des deux dernières années, le mouvement de défense des droits des femmes au Canada demeure sous-financé. Trop d’organisations éprouvent de la difficulté à fournir des services sans accéder à du financement de base pour maintenir leurs activités. Le modèle de financement par subventions fondé sur des cycles de projets n’est pas viable pour offrir des programmes de qualité et rend les organisations vulnérables aux manques de fonds entre les projets.
Compte tenu de la réaction négative, tant dans le monde qu’au pays, qui menace les acquis chèrement gagnés pour les droits des femmes, il est primordial que les organisations de défense des droits des femmes puissent accéder à du financement pour appuyer leurs politiques et leur travail de défense des droits, de même qu’à des ressources pour veiller à l’organisation et à la mobilisation en vue d’entraîner un changement. L’action collective est cruciale pour favoriser le changement, qu’il s’agisse de préconiser une éducation complète en matière de santé sexuelle en Ontario ou d’appuyer les défenseurs des droits des femmes en Arabie saoudite.
Le ministère doit accorder la priorité à la durabilité des organisations de défense des droits des femmes et favoriser le mouvement. Cela exigera des mécanismes de financement et des modèles financiers nouveaux et novateurs pour que l’on puisse s’assurer que les organisations de défense des droits des femmes soient en mesure de faire leur travail sans devoir toujours quêter des ressources.
Nous encourageons le nouveau ministère à réfléchir aux leçons qu’il peut tirer des organisations canadiennes et à l’aide qu’il peut leur offrir afin qu’elles se rapprochent du mouvement mondial pour les droits des femmes, et à reconnaître l’universalité des défis auxquels les femmes font face dans le monde entier.
En même temps, il doit continuer de renforcer la capacité de tous les ministères fédéraux de mettre en œuvre des politiques et des programmes fondés sur l’analyse comparative entre les sexes et de faire progresser l’égalité entre les sexes. Il est important que cette analyse soit fondée sur la réalité des femmes, en particulier celle des plus marginalisées.
L’ACS ne peut pas être seulement un outil technique pour évaluer les effets différentiels. Elle exige plutôt que nous examinions les pouvoirs, l’oppression systématique, les normes de genre et d’autres obstacles structurels et que nous mettions en place des politiques qui lèvent les obstacles auxquels font face les femmes. Également, la vie des femmes ne peut pas simplement être réduite à des statistiques.
Pour ce faire, le ministère doit donner aux femmes une voix et un organisme pour qu’elles puissent raconter leurs histoires et participer à l’élaboration des politiques afin que nous puissions mieux comprendre le rôle que jouent divers facteurs intersectionnels dans la vie des femmes et les solutions à ces défis. Par conséquent, la participation et l’inclusion des femmes dans l’élaboration des politiques doivent être une autre priorité pour le ministère.
C’est pour ces raisons qu’Oxfam souhaite qu’il y ait, dans le projet de loi, des termes plus concrets qui établissent clairement la durabilité du mouvement des femmes en tant que priorité.
Pour commencer, nous voulons que le budget du ministère soit augmenté de 100 millions de dollars par année. Nous souhaitons également que l’on s’engage à consacrer un montant important du budget du ministère à du financement souple, durable et à long terme destiné aux organisations féministes et de défense des droits des femmes.
Jacqueline Neapole, directrice exécutive, Institut canadien de recherches sur les femmes : Comme l’a dit Mme Sarosi, il est très difficile d’aborder certaines parties du projet de loi parce qu’il est très volumineux. Je suis heureuse que vous nous ayez invitées à parler précisément du projet de loi.
L’Institut canadien de recherches sur les femmes, l’ICRF, est un organisme sans but lucratif pour les femmes. Nous effectuons des recherches et réunissons de la documentation sur les positions sociale et économique des femmes au Canada depuis 1976. Le travail de l’ICRF comprend des recherches et des analyses sur la diversité des expériences des femmes au chapitre de l’inégalité, et ce, dans une perspective intersectionnelle féministe.
L’ICRF est une organisation communautaire et universitaire qui réalise des recherches en langage clair et conçoit des outils qui peuvent être utilisés pour promouvoir les droits des femmes. L’ensemble de notre travail est accessible au public et peut être utilisé à des fins de défense de droits et d’éducation.
Pour commencer, notre organisation est très heureuse que Condition féminine Canada devienne un ministère à part entière. Nous voudrions féliciter le gouvernement de reconnaître que les femmes, dans toute leur diversité, représentent la moitié de la population du Canada. Il est essentiel d’admettre la subordination des femmes au Canada sur les plans historique, politique, culturel économique et social. Par conséquent, l’ICRF reconnaissant que l’on conserve les mots « femmes » et « égalité des genres » dans le titre et le mandat du nouveau ministère.
L’Association nationale Femmes et Droit, l’ANFD, a comparu devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes concernant le même projet de loi. Nous aimerions répéter son observation selon laquelle le préambule est très fort, en particulier la décision du gouvernement de mettre en lumière ses obligations internationales et nationales de respecter, de protéger et de réaliser les droits de toutes les femmes au Canada.
La tentative, dans le projet de loi, de régler les problèmes intersectionnels d’inégalité et de discrimination qu’éprouvent les femmes nous encourage. Il est clair que le gouvernement fédéral essaie de privilégier les aspects relatifs au sexe et au genre dans son travail, dont la promotion est essentielle. Il est très important pour les droits des femmes de corriger les différents aspects de la discrimination et de l’oppression qui se combinent au sexisme et à la misogynie. Nous pensons également que l’expression « avancement de l’égalité » est importante. Nous nous réjouissons de voir qu’elle fait partie du projet de loi. On l’avait retirée auparavant, mais sa réintégration nous fait très plaisir.
Nous voulons aborder d’autres aspects qui concernent le ministère en général. J’aimerais souligner qu’il est important que ce ministère continue de donner la priorité au financement des organisations féminines. Ces dernières souffrent d’un sous-financement chronique. Celles qui n’ont pas définitivement fermé leur porte au cours des 10 dernières années luttent pour leur survie. Certaines d’entre nous sont en mesure de travailler à leur reconstruction, mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. La situation financière des organisations de femmes est extrêmement précaire. C’est également le cas de l’ICRF.
Les organisations de femmes possèdent non seulement l’expertise, mais également l’analyse féministe des enjeux. Nombre de nos organisations travaillent sans relâche depuis des décennies dans ces secteurs. Nous souhaitons que les organisations de femmes continuent de recevoir du financement et que ce soit une priorité du ministère.
Nous nous réjouissons de voir que le ministre aura le pouvoir d’établir des comités consultatifs. Nous nous attendons à ce que cela envoie le signal d’un engagement plus régulier, y compris plus de soutien pour que nous, en tant qu’organisations nationales de femmes, puissions participer pleinement. Il est difficile de nous mobiliser lorsque nous ne sommes pas soutenues à cet égard, particulièrement en raison de notre manque de ressources.
Un autre élément que l’ICRF voulait soulever concerne la surveillance et la coordination par le ministère des politiques et des initiatives en matière de femmes et d’égalité des sexes dans l’ensemble du gouvernement.
C’est formidable que les attributions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines liés aux femmes et à l’égalité des genres. Nous espérons que cela comprend également la coordination des rétroactions et des commentaires que reçoit le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres de la part d’autres ministères et organismes.
Il sera utile pour le ministère de s’appuyer sur sa propre capacité et ses propres connaissances en matière de pratiques exemplaires, et cetera afin que ces initiatives ne soient pas un coup d’épée dans l’eau et qu’elles reviennent au ministère.
Nous aimerions également que le paragraphe 4(3) soit plus exhaustif et attribue un rôle d’évaluation ou de vérification au nouveau ministère. La lettre de mandat actuelle de la ministre de la Condition féminine vise principalement à s’assurer que divers ministères du gouvernement fédéral participent à l’avancement des femmes, ce qui est une excellente chose. Toutefois, l’ajout d’un article au projet de loi qui prévoirait un rôle d’évaluation ou de vérification pour le nouveau ministère concernant toutes les politiques et les initiatives en matière de femmes et d’égalité des genres, y compris l’ACS+ assortie de responsabilités de rendre des comptes au Parlement tous les ans ou tous les deux ans, serait une façon efficace de veiller au maintien des engagements pangouvernementaux envers les femmes et l’égalité des genres.
Enfin, pour que ces responsabilités et ces pouvoirs supplémentaires, notamment, soient exercés et pour que le ministère soit vraiment un ministère à part entière, nous voulons souligner le fait qu’il doit être financé adéquatement et posséder un budget qui puisse vraiment lui permettre d’entreprendre et de soutenir, par l’intermédiaire de programmes, de subventions et de financement, tout le travail qui doit être accompli pour faire avancer les droits des femmes et l’égalité des genres. Merci.
La sénatrice Andreychuk : Madame Kaplan, vous avez fait un commentaire qui m’a frappée : nous ne réussirons pas tant que nous devrons encore parler du genre. Autrement dit, nous examinerions les programmes, et les femmes en feraient automatiquement partie, alors nous les mettrions de côté. Je crois que vous avez raison. C’est ce que j’ai toujours pensé. Pourquoi devons-nous continuer de parler de l’inclusion des femmes? Elles devraient être incluses, et c’est là où nous devrions commencer.
Plus nous soulignons le fait que les femmes sont distinctes, plus notre message, je le crains, ne signale pas aux gens que nous devrions parler de citoyens et d’inclusion.
À mon avis, le problème d’avoir un ministère — et j’ai déjà travaillé dans un ministère —, c’est qu’il devienne lui-même un programme. Il allège le fardeau d’autres ministères. J’ai peur que nous créions un ministère qui sera intersectionnel au début. Il agira sur tous les plans, mais il deviendra plus tard un ministère isolé alors que les autres iront de l’avant.
La vérification est très importante pour moi. Je ne veux plus qu’on me dise de belles paroles, mais je continue d’en entendre. Je dois savoir ce que le gouvernement fait en réalité; il ne doit pas seulement cocher une case pour dire qu’il s’est conformé à l’analyse comparative entre les sexes. Qu’est-ce que ça signifie? J’ai besoin de voir des résultats.
J’aimerais avoir vos réactions. Je crois que le Parlement devrait effectuer la vérification. Nous devons savoir ce que fait le gouvernement en réalité. Cela, à mon avis, serait la vérification la plus productive.
La création d’un ministère m’inquiète, parce que j’ai vécu des années où ce n’était pas une responsabilité pangouvernementale. J’espère que nous allons dans cette direction. Nous verrons bien.
Mme Kaplan : Je dirai brièvement que je suis d’accord avec vous : le pire résultat possible serait que le ministère devienne quelque chose de distinct. Il s’agirait, en quelque sorte, d’une abdication des responsabilités par tous les ministères au sein du gouvernement. Cependant, ce que je voulais dire au cours de mon témoignage, c’est que les capacités d’effectuer ces types d’analyses nécessaires à l’élaboration des politiques, et pas seulement à leur évaluation, n’existent pas vraiment de façon approfondie au sein du gouvernement.
J’espère que le ministère devienne un centre d’excellence pour ces capacités en matière d’élaboration des politiques et d’innovation parce qu’il n’existe aucun autre endroit où l’on peut les acquérir.
À mon avis, c’est la raison pour laquelle un ministère est essentiel. S’il n’établit pas des liens avec le travail de tous les autres ministères, alors vous avez raison de dire qu’il s’agirait d’un risque.
Mme Sarosi : Je soulignerais également qu’il est crucial d’avoir ce ministère. Lorsque nous regardons les réussites ailleurs dans le monde, nous constatons toujours une sorte de route à deux voies. La première est l’intégration de la dimension de genre et l’autre est le travail indépendant sur le genre. Je crois que cela s’applique également à la présente situation.
Oui, nous devons renforcer la capacité de tous les ministères fédéraux en matière d’intégration de la dimension de genre, mais, en même temps, il reste encore beaucoup de travail à faire, et nous avons besoin de cet élément distinct pour vraiment donner le coup d’envoi au ministère.
Mme Neapole : Je suis d’accord.
Le sénateur Klyne : Les modifications proposées établissent un nouveau ministère pour les femmes, comme nous en avons discuté. Le ministère remplacerait précisément le Bureau de la coordonnatrice de la Condition féminine et aurait un mandat élargi.
Il semble que ce ministère aurait l’une des plus vastes portées à l’échelle du gouvernement pour aborder tous les domaines de compétence du Parlement, non attribuée de droit à tout autre ministère, commission ou organisme du gouvernement du Canada, concernant les femmes et l’égalité des genres.
Comme il est entendu que les relations entre les hommes et les femmes sont omniprésentes, et ce, dans chaque aspect de la société, ma question est la suivante. Madame Neapole, vous avez répondu en partie à cette question, mais vous pourriez peut-être nous donner quelques détails à ce sujet, et n’importe quel témoin peut intervenir.
Quels sont certains des activités et des projets particuliers qui devraient être entrepris par ce nouveau ministère pour s’acquitter de son mandat et atteindre ses objectifs, selon vous?
Mme Roy : La question touchant la portée est très importante. Si nous voulons réellement changer les choses, il nous faut un résultat et un objectif clairs qui s’y rapportent. Certains membres du groupe de témoins précédent ont parlé de l’importance du logement et des services de garde. Pour nous, à YMCA Canada, il y a aussi l’importance du lien entre les services de garde et l’accès au marché du travail.
Comme vous le savez, McKinsey & Company a mené des activités intéressantes de recherche et d’analyse de données. Si nous comblons les lacunes en matière d’accès au marché du travail pour les femmes, le PIB du Canada augmenterait de 150 milliards de dollars d’ici 2026.
Imaginez si nous pouvions parler d’un résultat. Oui, c’est un résultat très ambitieux, mais si on met sur pied ce type de ministère de grande portée dont nous discutons aujourd’hui et que nous définissons un ensemble clair d’indicateurs, de résultats et de responsabilités, nous pourrons, en fait, commencer à obtenir des chiffres qui auront une incidence économique et sociale sur nous.
Mme Sarosi : J’aimerais vous faire part d’une expérience que j’ai vécue plus tôt cette année et qui est étroitement liée à celle du sénateur Boehm avec le G7.
Nous avons organisé le W7, et je pense que vous seriez fort surpris de voir avec quelle rapidité un groupe de 100 femmes peut se réunir et déterminer les sept principales mesures à prendre pour faire progresser l’égalité des sexes.
Nous connaissons les solutions, nous connaissons les problèmes. Le problème, c’est que personne n’écoute vraiment. Les femmes ne se font pas entendre.
Si nous avions la chance de nous exprimer, vous seriez très surpris de constater le consensus parmi les femmes quant à ce qui doit être fait.
Mme Neapole : Je dirais la même chose. Selon moi, il est prioritaire d’examiner le travail déjà amorcé et ce qu’ont fait les femmes depuis des décennies. J’aimerais vraiment voir le gouvernement, par l’entremise de ce nouveau ministère, non seulement entreprendre ses propres petits projets et travaux de recherche, mais aussi reconnaître que nous sommes des experts. Au sein de nos organismes, nous avons échangé des renseignements intergénérationnels au fil du temps. À mes yeux, il est essentiel de soutenir les organisations de femmes pour qu’elles fassent le travail en ce qui a trait à la réflexion au sujet de la portée. Je pense qu’il s’agit d’un élément extrêmement important.
Mme Kaplan : Pour faire suite à mon commentaire antérieur, je suis tout à fait d’accord. À l’heure actuelle, une grande partie de la capacité au Canada pour entreprendre ce genre d’analyse comparative entre les sexes dont nous parlons existe au sein de ces organisations. Une partie du mandat devrait consister à édifier cet écosystème, car nous n’en avons pas la capacité.
Selon moi, le principal mandat du ministère devrait être de trouver une façon d’utiliser ces capacités, de les intégrer au gouvernement et de concevoir des politiques qui abordent les priorités dont nous parlons. Bien sûr, il sera question des services de garde, tout comme des autres priorités dont nous parlons. Nous devons adopter cette perspective à l’égard de toutes les décisions prises, car nombre des politiques élaborées, comme l’a dit plus tôt Mme Lahey, ne semblent pas revêtir un aspect sexospécifique, et les effets sexospécifiques ne sont donc pas réellement abordés.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci de vos témoignages, qui nous éclairent énormément sur des enjeux fort importants.
Le financement est, de toute évidence, un enjeu pour l’ensemble des ONG. Je crois qu’il y a là des investissements à faire.
Le financement est peut-être la solution qui nous saute aux yeux. Toutefois, auriez-vous des recommandations à faire au nouveau ministère, qui recevra une lettre de mandat, sur la façon dont on pourrait renforcer l’efficacité entre ce nouveau ministère et l’ensemble des ONG qui ont à cœur l’égalité et la parité entre les genres pour ce qui est des femmes?
[Traduction]
Mme Roy : Je vous remercie beaucoup d’avoir posé la question, car il vous faut un cadre de financement très efficient et rigoureux; nous avons travaillé dans le secteur privé et pour des organismes publics de bienfaisance, et je peux vous assurer que certaines des organisations les plus efficientes et aux ressources les plus modestes sont les organismes de bienfaisance. À l’heure actuelle, nous appliquons les principes de l’approche Six Sigma d’une manière que les entreprises ne peuvent tout simplement pas reproduire, car nous arrivons à être agiles et à nous adapter.
Si vous examinez les mécanismes existants pour la surveillance et la vérification des organismes de bienfaisance, vous verrez qu’ils sont plutôt rigoureux par rapport à ceux des sociétés d’État ou des sociétés familiales.
Des normes sont en place quant à la diligence raisonnable dont nous devons faire preuve à l’égard de nos bailleurs de fonds lorsqu’il est question de respecter les lignes directrices du Conseil du Trésor en la matière et de rendre des comptes à un conseil d’administration tout en nous efforçant de régler le problème de la violence à l’égard des femmes et des enfants. YMCA Canada a établi un ensemble de normes. Des organisations que vous connaissez sûrement, comme Imagine Canada, disposent de normes de gestion financière très rigoureuses.
[Français]
Le sénateur Forest : J’ai peut-être mal posé ma question. Au-delà du financement et des normes de gestion — et je suis convaincu que vos normes sont les plus rigoureuses et les plus robustes —, selon votre expérience, quels sont les gestes qu’on devrait poser pour favoriser un partenariat efficace entre le nouveau ministère et l’ensemble des organisations qui se portent à la défense de l’égalité des femmes?
Je ne parle pas de financement. Selon vous, est-ce qu’on devrait créer un conseil national des organismes voué à la défense de l’égalité, par exemple? Outre le financement, avez-vous d’autres idées qui vous permettraient d’être plus efficaces dans le cadre de votre mandat?
[Traduction]
Mme Neapole : En plus d’offrir un financement de soutien à nos organisations pour que nous puissions faire notre travail et être consultés, le gouvernement devrait peut-être nous rémunérer pour l’expertise que nous fournissons. Notre capacité de nous absenter du travail ne serait-ce que pour une journée est assez limitée. Je suis certaine que les gens de YMCA et d’Oxfam pensent la même chose. Il y a beaucoup de travail qui s’accumule sur mon bureau et que je n’arrive pas à faire. Il ne disparaît pas.
Il faut trouver des manières de soutenir notre participation significative. Cela veut aussi dire qu’il faut nous accorder du temps et ne pas nous donner de préavis de 24 ou 48 heures seulement. Cette fois-ci, nous avons eu une semaine. Par le passé — et cela arrive encore aujourd’hui — on nous a demandé de fournir une rétroaction significative, mais nous n’avons pas le temps de faire tout cela. Nous ne sommes pas comme l’une de ces gigantesques machines. Certaines de nos organisations n’emploient que deux personnes. Les gens doivent reconnaître et comprendre que notre capacité est limitée lorsqu’on nous demande de l’aide.
Mme Sarosi : Précédemment, vous avez posé une question à propos de la présentation d’un mémoire dans le cadre des consultations prébudgétaires. Il aurait été intéressant de savoir pour quelle raison ces gens ne le font pas.
Les gens comprennent rapidement que les processus stratégiques sont complexes. Il faut être formé et avoir accès à ce genre de choses. On ne peut pas faire ce genre de travail sur le coin de son bureau tout en essayant d’offrir des services.
Comme je l’ai mentionné, il n’existe pas de véritable financement pour permettre aux organisations de défense des droits des femmes de prendre part aux processus stratégiques. Lorsqu’elles peuvent le faire, il y a une personne spécialement affectée aux politiques qui peut comprendre comment fonctionne ce processus.
C’est réellement difficile, et c’est pourquoi il est important que le ministère contribue au renforcement des capacités pour permettre aux organisations de prendre part aux processus, pour les soutenir tout au long de ceux-ci et pour leur donner accès aux endroits où elles ne peuvent pas aller.
[Français]
Le sénateur Forest : Dans ma vie antérieure, j’ai travaillé au sein d’une communauté plus modeste, mais une communauté tout de même, et j’ai pu constater que les femmes sont souvent marginalisées sur les plans économique et physique. Par conséquent, on ne les voit pas dans les YWCA ou dans les organismes de regroupement. Elles passent carrément sous le radar. En outre, entre ce qu’elles expriment comme besoins et ce qui a été exprimé par plusieurs organismes, il y a tout un monde. On parle de besoins de base, comme un toit ou la sécurité, par rapport à d’autres besoins, comme un lieu de rencontre. Avez-vous des mécanismes en place qui vous permettraient de rencontrer les gens les plus fragilisés de la société canadienne?
[Traduction]
Mme Roy : La question est pertinente, car les femmes les plus marginalisées n’ont pas accès à nos services. J’ai entendu de nombreuses femmes dire : « Je n’avais pas l’argent pour acheter un billet d’autobus afin de me rendre à votre refuge quand je me faisais battre. Il n’y a pas d’autobus. »
Pour revenir à la question précédente au sujet des priorités, le ministère doit poser précisément ce genre de questions et établir le lien avec la budgétisation sensible aux sexes et déterminer de quelle manière le gouvernement affecte des ressources. Une question a été posée à la représentante de Pauktuutit plus tôt. De nombreuses filles et femmes inuites ont recours à nos refuges dans les YMCA au Nunavut comme logement, mais je n’arrive pas à rejoindre les femmes et les jeunes filles qui, en raison du manque de logements, sont victimes d’exploitation sexuelle par des travailleurs des mines plus âgés qui se succèdent dans la collectivité. Elles se lient d’amitié avec eux, de sorte qu’elles ont un lit chaud où dormir, parce qu’elles doivent autrement partager un appartement à une chambre avec 20 autres personnes. C’est un cycle complet. Vous voyez le type de recherche dont Mme Kaplan et mes collègues parlaient pour schématiser le problème et offrir le financement.
Mme Kaplan : Je veux insister sur l’importance de la disposition relative à l’intersectionnalité. L’approche adoptée aujourd’hui quant à l’analyse sexospécifique repose presque entièrement sur la binarité homme-femme. Ce n’est pas efficace compte tenu de tous les liens avec la race, le statut d’Autochtone ou le statut socioéconomique. Principalement, il s’agit d’une capacité qui n’existe pas. Si le ministère veut être efficace, il doit prendre des mesures pour respecter cette promesse.
Le sénateur Boehm : Je vous remercie tous d’être ici avec nous. J’admire vos efforts de défense des droits et votre dévouement. J’ai une question concernant quelques éléments qui ont été soulevés. L’un d’eux concerne le processus de consultation. Je pense que Mme Neapole a soulevé la question en parlant du nouveau ministère.
D’après mon expérience au sein du gouvernement, nous avons des processus de consultation, puis des processus de consultation. Dans certains cas, on ne fait qu’effleurer le sujet pour dire que nous l’avons fait. Puis, dans certains cas, on va un peu plus en profondeur, on cherche davantage à faire en sorte que les politiques demeurent d’actualité, et on va plus loin. D’après mon expérience dans le monde du développement international, on peut revenir en arrière à la situation des femmes et du développement dans les années 1980 et à l’ancienne politique de l’Association canadienne du développement international. La sénatrice Andreychuk s’en souviendra. Nous avons mis sur pied tout un groupe d’experts en égalité des genres qui devaient travailler avec nous sur des projets. Il faut du temps.
Madame Kaplan, vous avez formulé un commentaire au sujet du renforcement de la capacité. Dans ce nouveau ministère, serait-il logique de faire appel à différentes personnes ayant de l’expertise qui pourraient apporter une perspective différente à l’égard de l’approche plutôt que de faire appel à vos employés en tant que tels? Bien sûr, vos employés seraient présents. On pourrait ensuite jumeler cela à un processus consultatif peut-être plus continu.
Il y a d’autres pays dans le monde qui vivent des difficultés du point de vue intersectionnel, et ils les abordent par l’entremise de l’égalité des genres. Je pense précisément aux pays nordiques où l’on trouve également des populations autochtones. Ils examinent la question depuis un peu plus longtemps que nous. Ce sont de plus petits pays. Dans le cas de la Norvège, il y a un immense fonds souverain, et les projets sont réalisés à partir de ce fonds.
Ma première question porte sur la forme que devraient prendre les consultations. Ma deuxième concerne les pratiques exemplaires des autres pays, comme nous sommes en territoire inconnu au Canada, mais que nous voulons tous que cela fonctionne.
Mme Roy : Il serait important que le ministère, dans le cadre de son rôle de coordination, ne mène pas seulement des consultations interminables. Je suis certaine que vous avez entendu vos propres électeurs et intervenants dire qu’il y a une limite et qu’il y a une certaine fatigue liée aux consultations. Il s’agit d’exploiter les données de votre recensement actuel et d’assurer la coordination avec d’autres organismes comme le Conseil de recherches en sciences humaines. Si le gouvernement harmonisait son programme de recherche avec celui du ministère, les deux pourraient commencer à examiner des solutions novatrices.
Mme Sarosi : Sénateur Boehm, j’ai beaucoup aimé votre premier point. Il est important d’examiner de façon plus poussée la composition du ministère. Nous savons tous que la qualité d’une analyse intersectionnelle commence par l’intersectionnalité du personnel et l’inclusion de membres du personnel diversifiés ayant l’expérience nécessaire pour réaliser cette analyse.
Comme nous le savons, l’effectif du gouvernement n’est pas vraiment des plus diversifiés. C’est une très bonne chose de commencer chez soi à accroître la sensibilisation quant à la façon dont ces facteurs intersectionnels entrent en jeu. Pendant ce temps, il nous faudra de l’aide pour y parvenir. Oui, je suis d’accord.
Mme Neapole : J’aimerais que le processus de consultation soit indépendant. Même si j’aimerais qu’on nous consulte et que notre relation en soit davantage une de consultation formelle, je continue de penser que la force du mouvement des femmes repose sur son indépendance.
Il y a de bons exemples de groupes de pression des femmes dans certains pays nordiques. Il existe de grandes coalitions de groupes de femmes et différentes manières de participer tout en assurant l’indépendance du processus. C’était le commentaire que je voulais faire. Nous pourrions peut-être organiser la consultation selon nos propres conditions. Il pourrait s’agir d’un événement annuel, comme le CAN. Nous n’essayons pas de copier le CAN, mais nous pourrions peut-être travailler sur quelque chose comme un groupe national.
Mme Kaplan : Au Canada, nous menons beaucoup de consultations et laissons très peu de place à la préparation d’une analyse approfondie. On m’a consultée à plusieurs reprises, mais souvent dans un délai tellement court que je ne disposais d’aucune ressource pour réaliser une analyse pouvant étayer mon point de vue.
Je pense qu’il est important pour le ministère de renforcer sa capacité à réaliser ces analyses, et il nous faut de meilleures données. Si nous nous soucions du genre non binaire, nous n’avons littéralement pas de données sur le sujet. Il nous faut renforcer la capacité à l’interne. Je suis d’accord pour dire que la valeur des autres organisations pour femmes repose sur le fait qu’elles peuvent agir en tant que porte-parole au besoin, de manière indépendante. Je crois que les deux aspects sont nécessaires.
Le président : Je remercie les témoins. Cela conclut l’examen de la section 18 de la partie 4, concernant le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres.
Mesdames et messieurs les sénateurs, la sénatrice Jaffer, le sénateur Pratte et moi avons discuté plus tôt en tant que membres du comité directeur. Nous nous sommes entendus pour que, après la réunion de demain après-midi à 13 h 45 dans la salle 160-S, nous procédions à une étude article par article dès vendredi matin à 9 heures dans cette même salle. Êtes-vous d’accord pour que nous procédions à l’étude article par article vendredi matin?
La sénatrice Andreychuk : Nous voulons le registre des présences pour savoir qui sera là. Si vous parlez de vendredi, le comité devra être présent. J’ai passé trop de temps ici à attendre qu’il y ait un quorum.
Le président : Sénatrice Andreychuk, merci de vos commentaires. Nous sommes d’accord pour procéder à l’étude article par article du projet de loi C-86 vendredi matin.
(La séance est levée.)