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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 7 - Témoignages du 17 octobre 2016


OTTAWA, le lundi 17 octobre 2016

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 h 33, pour poursuivre son étude sur les défis liés à l'accès aux écoles françaises et aux programmes d'immersion française de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonsoir, je m'appelle Claudette Tardif, sénatrice de l'Alberta. J'ai le plaisir de présider la réunion de ce soir. Avant de passer la parole aux témoins, j'aimerais inviter les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant à ma droite.

La sénatrice Poirier : Sénatrice Poirier, du Nouveau-Brunswick. Je vous souhaite la bienvenue au comité.

Le sénateur McIntyre : Sénateur McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, de la province de Québec.

La sénatrice Gagné : Sénatrice Raymonde Gagné, de la province du Manitoba.

Le sénateur Mockler : Sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick. Merci d'être ici.

La présidente : Le comité continue son étude spéciale sur l'accès aux écoles françaises et aux programmes d'immersion française de la Colombie-Britannique. Le comité s'est rendu en Colombie-Britannique du 2 au 7 octobre 2016.

Le but de la réunion d'aujourd'hui est de mieux comprendre les droits à l'instruction dans la langue de la minorité dans cette province et la tenue de recours devant les tribunaux en cette matière.

Nous aurons le plaisir d'entendre, de Juristes Power, M. Mark Power, avocat, et M. Marc-André Roy, également avocat. Au nom des membres du comité, je vous remercie d'avoir généreusement accepté notre invitation. Je vous demanderais de faire votre présentation et, par la suite, les sénateurs vous poseront des questions. Monsieur Power, la parole est à vous.

Mark Power, avocat, Juristes Power : Bonjour, madame la présidente, chers sénateurs. Merci beaucoup de votre invitation et de votre accueil. Je vais commencer et ensuite je céderai la parole à mon collègue, qui enchaînera avec des exemples plus concrets quant aux éléments que j'entends vous présenter.

D'abord, vous devriez avoir devant vous un fascicule dans lequel vous trouvez une table des matières ainsi que, à l'onglet 1, la version française de notre présentation, et à l'onglet 2, sa version anglaise. Vous trouverez aussi plus loin différents documents d'intérêt.

Il m'est impossible de vous lire le texte en quelques minutes, ce qui ne serait pas utile non plus. J'entends donc souligner quelques aspects seulement, mais je tenais à vous indiquer qu'une présentation assez complète vous a été présentée, dont je vous invite à faire la lecture en temps et lieu.

Si nous sommes ici pour vous parler de la Colombie-Britannique, c'est en partie parce que nous œuvrons partout au Canada et, surtout, parce que nous venons de terminer le fameux procès en Colombie-Britannique où nous étions membres de l'équipe juridique du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique et de la Fédération des parents francophones de la province, en plus d'être les avocats de quelques parents codemandeurs.

Ce procès portait sur la mise en œuvre de l'article 23 de la Charte, qui vise l'instruction en français hors Québec et en anglais au Québec. Avant d'aller plus loin, il serait utile de dire deux mots au sujet de l'immersion, étant donné l'objectif de votre étude.

Pour commencer, l'objectif de l'immersion est d'enseigner le français, du moins en Colombie-Britannique, comme deuxième, troisième ou énième langue sans nécessairement essayer de transmettre une culture. L'objectif est d'enseigner les rudiments de la langue à des gens qui ne la parlent pas, qui n'ont pas nécessairement d'héritage francophone, dans le but d'augmenter le nombre de locuteurs de langue française au Canada. L'objectif est donc très différent. Sur le plan juridique, les concepts sont différents. Il n'existe aucun droit constitutionnel à l'immersion, que ce soit au Nouveau- Brunswick, en Colombie-Britannique, ou ailleurs, il n'existe même pas de droits statutaires à l'immersion.

Les programmes d'immersion qui sont offerts en Colombie-Britannique existent grâce à la bonne volonté de conseils scolaires anglophones et au fait — il faut quand même le reconnaître — que la province de la Colombie-Britannique en a fait une priorité. Une assez grande priorité? Probablement pas. C'était l'une des raisons d'être de votre étude, mais, sur le plan juridique, il faut commencer avec ce constat.

Cela nous amène donc à l'instruction que vise l'article 23 de la Charte en Colombie-Britannique. C'est ce qu'on appelle l'instruction en français langue première et, en anglais, French First Language Education. Ce qui est différent, c'est que tout se fait en français, y compris l'enseignement des matières, sauf l'enseignement de l'anglais. L'affichage dans l'école est en français, la gestion se fait en français, les bordereaux de paie sont en français. Littéralement, tout est en français, sans parler de l'aspect culturel qui est véhiculé dans les écoles. C'est pour dire que les deux domaines sont très différents.

L'article 23 comprend plusieurs différents droits. Si vous tournez à l'onglet 1, dans la version française de la présentation, vous verrez les paragraphes 6 et 7. Chaque paragraphe est numéroté. Tout d'abord, au paragraphe 6, on indique les trois types de droits garantis par l'article 23. Premièrement, un droit à l'instruction, ce que vous savez intuitivement, ensuite un droit à des établissements, donc à des immeubles, dont vous en avez visité quelques-uns lors de votre récent voyage et, enfin, peut-être le plus important, un droit à la gestion et au contrôle, c'est-à-dire la formule par et pour les francophones pour contrôler la qualité de l'éducation.

L'objectif de l'article 23 est d'essayer de stabiliser la communauté francophone, d'assurer sa pérennité et de tenter de corriger ce que l'on considère aujourd'hui comme des injustices. En Colombie-Britannique, historiquement, il y avait toute une présence francophone. L'article 23 cherche à redonner à la Colombie-Britannique son visage francophone qui a été perdu,, pour ne pas dire oublié pendant très longtemps.

L'article 23 confère, et je passe au paragraphe 13, un droit à l'égalité réelle plutôt que formelle — en anglais, substantive equality, plutôt que formal equality —, ce qui comprend un droit à ce que cette équivalence soit évaluée selon la perspective des parents et non par celle de comptables ou de fonctionnaires, mais bien de parents ayants droit. On parle du droit à ce que l'équivalence soit analysée sur le plan local et non provincial. On doit tenir compte de tous les facteurs décisionnels importants aux yeux des parents et, peut-être le plus important, de ce que la Cour suprême du Canada nous enseigne, soit qu'on ne doit pas tenir compte des coûts ni des considérations pratiques. Cela veut dire qu'une fois que le nombre justifie un programme d'instruction, une fois que le nombre justifie un établissement, la province ou le territoire, en l'occurrence la Colombie-Britannique, doit fournir les fonds pour que l'équivalence réelle soit atteinte.

Au-delà des grands principes, il y a des conséquences pratiques et un rôle tout de même assez vital que doit jouer à notre sens le gouvernement du Canada. Je vous propose de m'en tenir à cela.

Le gouvernement du Canada a, historiquement, exercé son pouvoir fédéral de dépenser pour appuyer l'enseignement du français hors Québec, notamment en Colombie-Britannique. Historiquement, il l'a même fait pour construire des immeubles. En 1997 donc, c'est Mme Copps, alors ministre du Patrimoine canadien dans l'ancien gouvernement libéral, qui avait mis sur la table presque 11 millions de dollars pour encourager le gouvernement de la Colombie-Britannique à ne pas interjeter appel d'un jugement qui avait été rendu en 1996. Il s'agissait donc d'une subvention fédérale pour essayer d'amadouer la province, pour décourager un appel et encourager la Colombie- Britannique à respecter un jugement qui venait d'être rendu. Je le souligne, bien sûr, parce que le parallèle avec la situation actuelle est frappant. Je le souligne aussi pour évoquer cet exemple concret des subventions fédérales qu'a reçues la Colombie-Britannique, non seulement pour construire des théâtres ou des espaces communautaires, comme vous l'avez vu, d'ailleurs, lors de votre voyage, mais carrément pour acheter ou construire des écoles.

J'aimerais rapidement attirer votre attention sur le paragraphe 5005; il ne se trouve pas dans le fascicule. Au paragraphe 5005, la juge Russell, dans le jugement rendu récemment, conclut que l'article 23 est enfreint à Mission — qui est en banlieue d'Abbotsford, dans la vallée du Fraser, au centre — en raison du fait que le gymnase est presque aussi grand que la salle dans laquelle on se trouve, donc minuscule pour des élèves à l'intermédiaire. Cependant, la juge Russell refuse d'ordonner une mesure de redressement et encourage plutôt le Conseil scolaire francophone et la province à cogner à la porte du gouvernement du Canada afin qu'il règle le problème. C'est tout de même assez étonnant. Je voulais, par cela, vous souligner que, même aux yeux d'une juge de la Cour suprême de la Colombie- Britannique, le gouvernement du Canada agit à titre d'ange gardien de la francophonie — selon elle, en tout cas — et qu'on peut imaginer une transgression de l'article 23, mais uniquement dans la mesure où le redressement doit venir d'Ottawa et non de Victoria. C'est du moins la première fois qu'on le dit noir sur blanc dans un jugement. Nous pensions utile de vous souligner ce fait.

Un deuxième exemple que je veux souligner, c'est le fait que le gouvernement du Canada pose des gestes, prend des décisions qui sont lourdes de conséquences pour la francophonie en Colombie-Britannique. Je vous suggère donc de recommander aux fonctionnaires et à certains ministres fédéraux de tenir compte des besoins de la francophonie avant de prendre certaines décisions.

Je m'explique. Je vous invite à aller à l'onglet 16, où vous trouverez une carte qui devrait vous être familière, une carte du centre-ville de Vancouver. Si vous la dépliez, vous verrez que le gouvernement du Canada demeure responsable de deux énormes biens-fonds situés dans l'un des marchés immobiliers les plus coûteux, sinon le plus coûteux, au Canada. Je vous les décris. D'abord, le site fédéral Jericho, qui est un rectangle jaune, en haut, à gauche. Ce site compte 52 acres, ce n'est pas n'importe quoi, et je parle de la partie fédérale. Ensuite, il y a le quartier général de la Division E de la GRC. Juste à côté du cercle jaune se trouve l'école Rose-des-vents, que vous avez visitée récemment. À côté de l'école, vous pouvez voir le quartier général de la Division E de la GRC. Ce site appartenait, jusqu'à tout récemment, à Travaux publics et Services gouvernementaux, alors que le terrain Jericho appartenait, jusqu'à dernièrement, au ministère de la Défense nationale. Les deux sites appartiennent en ce moment à la Société immobilière du Canada, qui les redéveloppe.

La province a demandé au gouvernement fédéral de réserver des espaces sur ces sites pour les écoles françaises. Le Conseil scolaire francophone a demandé à répétition au gouvernement du Canada de mettre de côté des espaces. Or, rien n'a été fait, et la juge Russell, dans son jugement récent, aux paragraphes 3709 et 3711, reconnaît que, s'il existe en ce moment un problème pour trouver des sites à Vancouver au centre-ville, c'est la faute du gouvernement du Canada. C'est sévère, selon moi, et il faut se demander pourquoi et comment on en est arrivé là.

Comme nous le savons tous, l'éducation est une responsabilité provinciale; cela ne veut pas dire pour autant que le respect des compétences donne le droit au gouvernement du Canada de ne pas respecter l'article 23 dans les décisions qu'il prend.

Je m'explique. D'une part, les institutions fédérales doivent tenir compte de l'article 23 quand elles prennent des décisions lourdes de conséquences. Ensuite, la partie VII de la Loi sur les langues officielles exige que les institutions fédérales pensent à nous, pensent à la francophonie de la Colombie-Britannique, avant de poser des gestes. Je ne dis pas qu'on a automatiquement le droit à des acres de terrain, mais il faut au moins penser à nous. La preuve révèle que le gouvernement du Canada ne s'est pas penché sur la question, et n'y a pas pensé avant de céder ces sites à la Société immobilière du Canada. Est-il trop tard? Non. Il n'est pas trop tard pour exiger de M. Sohi, député d'Edmonton Mill Woods, ministre de l'Infrastructure et des Collectivités, mais surtout ministre responsable de la Société immobilière du Canada, que le gouvernement canadien mette de côté cinq acres, ou même moins, pour la construction de deux écoles de langue française, comme l'a reconnu récemment le tribunal.

À notre sens, vous avez intérêt à recommander quelque chose de plus structurel également. Certains gouvernements provinciaux exigent que leurs ministères, que leurs organes tiennent compte des besoins des francophones avant de vendre des immeubles, avant de vendre des biens-fonds.

Je vous invite maintenant à aller à l'onglet 6. Vous y trouverez un règlement assez long. Je veux simplement attirer votre attention sur le titre. C'est le Règlement de l'Ontario 444/98, et le titre en dit long : Aliénation de biens immeubles excédentaires. Qui a fait ce règlement? Le gouvernement de Mike Harris. Mike Harris avait la sagesse d'exiger que les conseils scolaires anglophones offrent en priorité aux francophones leurs biens-fonds excédentaires avant de les vendre sur le marché privé. Pourquoi? Parce que sur le plan de la politique publique, il est logique de garder les biens- fonds dans l'appareil gouvernemental, qu'il soit fédéral ou provincial, ou qu'il s'agisse des conseils scolaires.

Selon nous, votre comité devrait examiner sérieusement cette question et exiger que madame la ministre Joly — elle en a le pouvoir — adopte le même genre de règlement, en application de la loi fédérale sur les langues officielles, afin qu'on ne répète pas la catastrophe immobilière de Vancouver. Est-ce que c'est de l'imaginaire? Non. Le gouvernement du Canada demeure propriétaire d'énormes biens-fonds, à Winnipeg, à l'aéroport d'Edmonton, à Downsview, à Toronto, et aux plaines LeBreton, ici, à Ottawa. On devrait au moins penser à la francophonie canadienne avant de vendre ces fonds. Je comprends qu'il faut évidemment générer des profits, je ne suis pas naïf. Mais, d'autre part, il faut quand même respecter les obligations légales en vertu de la Loi sur les langues officielles.

Je pourrais continuer, mais je ne veux pas prendre de temps à mon collègue, Marc-André Roy.

Marc-André Roy, avocat, Juristes Power : Madame la présidente, membres du comité, merci de votre invitation. Je vais faire un retour en Colombie-Britannique et vous parler un peu de certains problèmes précis vécus dans la province.

Comme votre comité a pu le constater, lors de son déplacement à Vancouver et à Victoria, il y a deux semaines, l'école élémentaire Rose-des-vents, que vous avez visitée, est un très bon exemple d'infrastructures scolaires complètement inadéquates pour desservir la population dans son secteur de fréquentation. L'école est vieille, surpeuplée et elle est située sur un terrain trop petit. L'école est aussi très difficilement accessible, étant donné la durée des trajets en autobus.

Le pire, c'est que l'école Rose-des-vents est loin d'être la seule à avoir ce type de problèmes en Colombie- Britannique. En fait, elle n'est même pas dans la pire situation.

La section 3 de notre mémoire, que vous pouvez trouver aux onglets 1 et 2, détaille les problèmes auxquels le Conseil scolaire francophone de la province fait face en tentant d'offrir une éducation équivalente partout dans la province. Je vais vous donner quelques exemples généraux, à l'aide de certaines images et cartes que vous trouverez dans différents onglets de notre document.

Aux onglets 7 et 8 du document, vous pouvez voir l'école élémentaire du Conseil scolaire de Sechelt, en Colombie- Britannique. C'est un exemple d'école qui se situe dans un contexte hétérogène. Il s'agit donc d'un campus de plusieurs édifices qui abritent plusieurs programmes anglophones, y compris un programme d'éducation secondaire pour adultes et un programme de Franc départ — Strong Start —, pour les jeunes enfants. L'école du conseil se situe là où se trouve la lettre A. Vous pouvez également y trouver les autres édifices situés sur le campus. Il s'agit d'une école qui n'appartient pas au conseil scolaire, qui loue les espaces, qui sont très vieux et inadéquats. Il y a donc plusieurs élèves qui doivent aller à l'école élémentaire dans ces conditions. À l'onglet 8, il y a une autre photo qui démontre l'état des lieux dans cette école.

Ensuite, à l'onglet 14, on a un autre exemple de problèmes au sein du Conseil scolaire francophone de la Colombie- Britannique. Ici, il y a l'école de Whistler, une école francophone qui compte 80 élèves de la maternelle à la 7e année. Whistler est un des pôles d'attraction de la communauté où des francophones désirent s'établir en Colombie- Britannique, mais l'école doit louer des locaux dans l'école anglophone de la ville. L'onglet présente deux pages recto verso et en couleur, où on voit les différents espaces occupés par les francophones. Les espaces partagés sont en vert et en bleu. On voit qu'on se retrouve avec un programme francophone qui est dispersé au sein d'une école anglophone.

À l'onglet 9, nous avons un autre type de problèmes. Ici, nous sommes dans la ville de Pemberton. C'est un autre exemple assez atroce. L'école n'existe pas. Il s'agit de quelques classes portatives qu'on peut voir au point A sur la carte, derrière l'école anglophone de la ville. Il y a quelques portatives, et les élèves ont accès au gymnase de l'école pendant quelques heures et à d'autres espaces qu'ils peuvent occuper temporairement, présentés au point B. L'école loue aussi des espaces dans un centre communautaire qui apparaît au point C. La carte est très petite, mais ce qui n'est pas apparent ici, c'est que, pour des élèves de la maternelle, de la 1re et de la 2e année, marcher du point A au point C pour se rendre à un cours prend une vingtaine de minutes. Il faut marcher et traverser une artère majeure de la ville. Cela prend beaucoup de temps et cela réduit d'autant plus ce qui pourrait être consacré à l'éducation, ce qui est très mauvais.

De plus, à la lettre D, comme vous le voyez, il y a un café. Le manque d'espace est tel que le directeur de l'école doit se rendre à ce café pour y tenir les rencontres parents-enfants. Ainsi, des rencontres relativement confidentielles se tiennent dans un lieu public. C'est un autre type d'exemple de situation très inadéquate.

Ensuite, si vous allez à l'onglet 12, il s'agit de l'école élémentaire Anne-Hébert, une école élémentaire de la maternelle à la 6e année, située à l'est de Vancouver. Vous avez vu l'école élémentaire Rose-des-vents, qui est l'école qui couvre le secteur de fréquentation à l'ouest de la rue Main. L'école Anne-Hébert se situe à l'est. C'est une très vieille école qui est surpeuplée. L'école compte 432 élèves inscrits cette année, alors qu'elle a été construite pour en accueillir moins de 300. Comme vous pouvez le constater sur la photo, on peut compter huit classes portatives, et la photo n'est pas à jour. L'école a dû en ajouter deux nouvelles cette année. C'est, je crois, le nombre maximum de classes portatives qui peuvent être aménagées physiquement sur le site si on veut conserver une aire de récréation pour les jeunes, laquelle est déjà trop petite. C'est un autre type de problème.

Maintenant, pour changer complètement de catégorie de problèmes afin de se concentre moins sur les édifices, je vous invite à prendre une autre carte qui se retrouve à l'onglet 18 de notre cartable.

Donc, l'onglet 18 est la carte du secteur de fréquentation de l'école des Sentiers-alpins à Nelson. Ici, on voit une zone de fréquentation beaucoup trop grande. Donc, pour se rendre du haut au bas de la zone de fréquentation, on parle de plus d'une heure de voiture, et il en faut davantage si on fait le trajet en autobus. C'est beaucoup plus lent en autobus. Les points rouges sur la carte indiquent les endroits où demeurent les familles, les ayants droit. Les enfants se retrouvent tous concentrés au centre de la ville de Nelson, et l'école, qui est le point jaune, n'est même pas dans la ville. Il faut mettre plus de 30 minutes d'autobus pour s'y rendre chaque matin et pour revenir le soir. C'est beaucoup plus long que les petits trajets d'autobus que doivent faire les anglophones qui se rendent dans des écoles situées dans la ville de Nelson, donc tout près.

À l'onglet 19, il s'agit de l'école secondaire, dans la région de la vallée du Fraser. Vous voyez ici ce qui est proposé comme zone de fréquentation pour une école secondaire dans la vallée du Fraser, et cela couvre trois secteurs de fréquentation d'écoles élémentaires, y compris Abbotsford où il n'y a pas d'école en ce moment. Si on regarde le petit encadré en haut à gauche, on voit les emplacements des deux écoles secondaires qui existent actuellement. Donc, l'école Gabrielle-Roy — que vous avez visitée —, qui est très belle, qui a obtenu des fonds du gouvernement fédéral et qui a beaucoup d'espaces communautaires, mais qui est, elle aussi, trop petite maintenant. Donc, on compte cinq classes portatives sur le terrain, et il y a certainement un marché pour d'autres écoles secondaires. Ici, il y a un besoin pour une nouvelle école, parce qu'il y a déjà une forte demande pour l'enseignement au secondaire et que les écoles secondaires sont très loin de l'école élémentaire.

Puisqu'on parle de la vallée du Fraser, j'aimerais vous parler de l'école La Vérendrye, située à Chilliwack, qui se trouve aux onglets 10 et 11 de notre cartable. Cette école est très petite, est vieille et est située à l'extérieur du centre- ville de Chilliwack, sur une rue passante, ce qui est relativement dangereux pour les élèves. Comme on peut le voir à l'onglet 10, l'école est mal située. Elle est en face d'une usine de bois d'œuvre et d'une usine de métal. Ce n'est pas très agréable comme environnement pour de jeunes enfants. À l'onglet 11, vous verrez que l'école est très petite et qu'il y a un besoin de classes portatives pour accommoder certains espaces. De plus, ce qui n'est peut-être pas évident, c'est que l'école n'a pas de gymnase. Donc, l'école doit louer de l'espace dans un centre communautaire, qui est le point B sur la carte, et cela engendre toutes sortes de problèmes. Ce n'est pas un espace qui appartient au conseil donc, il ne peut pas y entreposer ses équipements. Essentiellement, un centre communautaire est un endroit où il y a des fêtes la fin de semaine. Donc, on rencontre toutes sortes de problèmes, comme des odeurs d'alcool, une salle malpropre, et cetera.

La présidente : Maître Roy, puis-je vous demander de conclure pour que nous puissions avoir suffisamment de temps pour répondre aux questions des sénateurs?

M. Roy : Je peux conclure, madame la présidente, en disant qu'un secret bien gardé de l'histoire de la francophonie en Colombie-Britannique est que cette histoire débute bien avant l'entrée de la province dans la Confédération. Jusqu'à la fin des années 1950, le français était la langue non autochtone la plus couramment utilisée dans la région. Tout comme les communautés autochtones, la francophonie dans la province a su contribuer à la vie économique, sociale, culturelle, religieuse et éducative de la province. Il est important que la communauté francophone de la province obtienne les moyens nécessaires pour son épanouissement. Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer à cet égard, et la communauté compte sur vous pour que votre rapport final contienne des recommandations très utiles qui permettront au gouvernement fédéral de réaliser cet objectif.

Je vous remercie beaucoup de votre patience.

La présidente : Je remercie nos témoins pour ce dossier très complet. En vérité, il sera très utile et valable aux travaux de notre comité et à nos réflexions. C'est un excellent document. Je vous en remercie beaucoup.

Nous procédons maintenant aux questions des sénateurs.

Le sénateur McIntyre : Messieurs, je vous remercie de votre présentation que je trouve très intéressante. Nous avons eu l'occasion de nous rencontrer en Colombie-Britannique tout récemment.

J'aimerais revenir à la décision de la Cour suprême rendue le 26 septembre dernier. Comme vous l'avez mentionné, il s'agit d'une décision de 1 600 pages. Celle-ci suscite des réactions mitigées de la part des intervenants, avec un mélange de joie et de déception.

Cela dit, je comprends que les parties ont jusqu'à la fin octobre pour en appeler de la décision. Avez-vous l'intention de porter cette affaire en appel?

M. Power : Monsieur le sénateur, vous avez plus d'expérience que moi en litige. Ultimement, c'est au client qu'appartient cette décision. C'est au Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique et à la Fédération des parents que revient la décision qui doit être prise d'ici le 26 octobre.

Il va sans dire que, d'une part, il faut sous-peser les gains acquis, particulièrement les gains majeurs sur le plan systémique. C'est la première fois qu'un juge au Canada ordonne un poste budgétaire distinct et autonome pour les francophones. Elle ordonne jusqu'à neuf programmes, neuf futures écoles, et on parle de centaines de millions de dollars.

D'autre part, la juge semble retenir une vision beaucoup plus défaitiste de l'avenir du français en Colombie- Britannique. Selon elle, le français est voué à l'échec et disparaîtra nécessairement, c'est une question de temps. Il va sans dire que cet aspect de la décision pourrait être porté en appel, sans parler de l'application de l'article premier.

Dans le cas de Pemberton, mon collègue, Me Roy, vous montrait l'école où le directeur tient ses rencontres individuelles avec les élèves dans un café. D'une part, la juge reconnaît qu'il y a infraction de l'article 23 et, d'autre part, elle conclut qu'il serait trop dispendieux de régler le problème. Donc, l'enfreinte à l'article premier est justifiée, et ce, dans une province où on enregistrait un surplus de 800 millions de dollars l'année dernière. Ce n'est pas l'argent qui manque.

Le sénateur McIntyre : Dans le cadre du mégaprocès, la Cour suprême a, elle aussi, reconnu des problèmes systémiques du côté du financement dans l'enseignement en français dans la langue de la minorité. Je comprends que certains intervenants croient que les conclusions de la cour pourraient avoir des impacts sur le système de financement des autres provinces et des territoires, de sorte à mieux répondre aux besoins des écoles francophones.

Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette question?

M. Power : Bien sûr. Toutes les commissions scolaires francophones hors Québec ont l'habitude de se faire dire par leur ministère de l'Éducation : « Oui, on comprend, vous avez des besoins, mais on a d'autres besoins aussi. Il faut construire des hôpitaux, il faut construire des écoles pour les anglophones, il faut repaver certaines autoroutes. »

Ce que la juge conclut en une phrase, c'est que ces considérations ne sont dorénavant plus pertinentes quand vient le temps de financer les besoins des francophones et d'y répondre. Sur le plan systémique, c'est très important pour la Colombie-Britannique et pour d'autres provinces et territoires.

Cependant, pour lier la conclusion à votre travail et à votre ordre de gouvernement, il s'agit aussi d'un domaine d'application pour le gouvernement du Canada. Cela veut dire, par exemple, que le gouvernement du Canada doit réserver les fonds nécessaires pour veiller à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles et pour veiller à ce que les services qu'il doit offrir en français le sont véritablement et sont de qualité égale. Ce principe est utile ailleurs, mais aussi au niveau fédéral.

Le sénateur McIntyre : Maître Power, voici ma dernière question. Vous avez fait mention d'une recommandation que nous pourrions porter à l'attention de la ministre Joly. Avez-vous d'autres recommandations à faire au comité dans le cadre de son étude?

M. Power : J'en ai deux autres. D'une part, vous avez déjà entendu des témoins concernant le protocole sur l'enseignement du français et de l'anglais et la nécessité que, dorénavant, les francophones soient à la table des négociations. Il est clair que si les francophones de la Colombie-Britannique avaient une plus grande voix dans le cadre de la négociation des ententes fédérale-provinciales et du protocole, cela aurait un impact très concret. Je vous encourage donc à considérer cela.

Ma seconde recommandation est peut-être contre-intuitive. En fait, l'immersion est en très grande demande et les places se vendent comme des petits pains chauds. Il est très intéressant d'être inscrit en immersion en Colombie- Britannique. Le problème, c'est que la grande majorité des ayants droit fréquentent les écoles d'immersion, parce qu'il manque de places dans les écoles de langue française. Vos recommandations devraient faire en sorte qu'on offre davantage d'espace en français en Colombie-Britannique.

Je parle de l'instruction en français langue première qui, par ricochet, aura l'effet de créer des places en immersion. Les ayants droit vont passer au bon système, celui qui véhicule la culture en plus de la langue et, par le fait même, vont libérer des places en immersion. Autrement dit, il est possible de faire d'une pierre deux coups en veillant davantage aux besoins de l'éducation en français langue première.

Le sénateur Maltais : Nous revenons tout juste de la Colombie-Britannique, et je tiens à souligner le fait que l'accueil a été extraordinaire. Cela a permis aux membres du comité de voir combien les jeunes francophones de la Colombie- Britannique sont forts et tiennent à conserver la langue française. Cependant, ils ont des contraintes épouvantables. D'abord, c'est qu'il y a un manque total de volonté de la part du gouvernement de la Colombie-Britannique. Je pense qu'on peut dire cela en toute franchise.

Deuxièmement, il y a les réflexions comme celle de la juge de la Cour suprême selon laquelle le français disparaîtra dans 10 ans. Moi, je suis prêt à parier que la juge sera disparue et que la langue française existera encore en Colombie- Britannique, avec tous les jeunes que nous avons rencontrés. Cette juge manque de jugement, on peut le dire aussi.

Il y a aussi les problèmes concernant la cession de terrains du gouvernement fédéral au gouvernement provincial. Il y a trois ou quatre ans, le gouvernement Harper a décidé de céder le terrain de l'Assemblée nationale du Québec, qui appartenait au gouvernement fédéral, et ce, pour une raison bien simple : c'est le premier Parlement du Canada qui s'y trouvait. Cela s'est fait au moyen de négociations, parce que le gouvernement fédéral détient environ la moitié des terrains de la ville de Québec, entre autres les Plaines d'Abraham, le port de Québec, la baie de Beauport, et la promenade Samuel-De Champlain.

Il y a toujours eu de saines négociations, et ce, peu importe les gouvernements en place, parce que la province et le gouvernement fédéral avaient la même volonté. Dans le cas de la Colombie-Britannique, si le gouvernement n'a pas de volonté, le gouvernement du Canada n'en aura pas non plus.

Je pense qu'il y a une conciliation à faire. Plutôt que de toujours se retrouver devant les tribunaux, essayons de faire une conciliation. Que cela se fasse par l'intermédiaire des politiciens ou des avocats, essayons de concilier, parce que les situations que vous nous avez décrites, nous les avons toutes vues. Nous sommes en 2016, et ça n'a aucune espèce de bon sens. Il faut régler ce problème.

Maître Power, vous avez cité l'entente du gouvernement de l'Ontario. Je crois que vous avez fait votre droit en common law. Sur le plan historique, il faut se rappeler qu'au Québec, au Nouveau-Brunswick et dans certains autres coins du Canada, toutes les écoles étaient bâties sur des terrains appartenant à l'Église. Il y avait une disposition en vertu de laquelle l'Église n'avait le droit de céder des terrains qu'à des fins éducatives. C'était des baux emphytéotiques de 99 ans. Quand la commission scolaire n'avait plus besoin des terrains, ils retournaient automatiquement à la fabrique. Si la fabrique n'en voulait pas, ils retournaient à la municipalité qui, elle, pouvait en disposer. Donc, l'Ontario n'a rien inventé, étant donné que ce règlement date d'avant la Conquête.

Mon dernier point concerne les parents. Pour eux, il est très difficile d'avoir une vie sociale dans la culture francophone. Je trouve que les parents sont admirables dans cette situation, parce que les enfants qui sortent de l'école française n'ont pas de lieux de rassemblement. Or, le lieu de rassemblement appartient aux municipalités et au gouvernement de la Colombie-Britannique.

Je pense qu'il faudra faire en sorte qu'il y ait des centres communautaires à la disposition des francophones, parce qu'on sent que les francophones en Colombie-Britannique sont éparpillés. Il n'y a pas de ghettos et ils n'ont pas de poids politique. Cependant, la Loi sur les langues officielles s'applique pour eux aussi. Avec le projet de loi S-209, nous allons certainement apporter un poids politique de plus. Je vous remercie, madame la présidente, je n'ai pas de question.

La présidente : Voulez-vous faire un commentaire par rapport à celui du sénateur Maltais?

M. Power : J'ai un commentaire rapide, plus par obligation professionnelle qu'autre chose : il faut rendre à César ce qui lui revient. Le gouvernement de la Colombie-Britannique s'est montré généreux sur le plan opérationnel. Il a été une des premières provinces à donner un supplément de 15 p. 100 par élève. La communauté en demandait 25 p. 100 par élève. Là où la province a été avare, c'est sur le plan des immobilisations. Bien entendu, nous sommes déçus de certains aspects de la décision de la juge. Je n'ai aucun doute qu'elle a pris son travail très au sérieux et qu'elle croit sincèrement avoir rendu le bon jugement. Par contre, il faut croire que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ou qu'une cour ailleurs au Canada puisse corriger certaines de ces erreurs. Cependant, je tiens à souligner que je pense qu'elle a fait ce qu'elle croyait être la bonne chose, bien que nous croyions qu'elle s'est trompée.

La sénatrice Gagné : Les batailles linguistiques suscitent chez moi une montée d'anxiété. Je dois avouer que, lorsque je me suis retrouvée en Colombie-Britannique, j'ai revécu les mêmes sentiments qu'on a vécus au Manitoba. Nous avons certainement vu des gains partout au pays, mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire.

Je constate aussi l'investissement financier dans le recours. Lors d'un reportage le 25 septembre, Radio-Canada a dit que le Conseil scolaire francophone avait déboursé près de 17 millions de dollars dans le cadre du mégaprocès pour l'éducation en français, pour lequel il aura fallu 239 jours d'audience étalés sur plus de deux ans. Il faut toujours essayer de peser le pour et le contre. Va-t-on poursuivre en tentant de gagner une cause et de réaliser des gains? D'autre part, on sait que ces 17 millions de dollars auraient pu être investis dans l'éducation française en Colombie- Britannique, dans les infrastructures, et cetera. Ces investissements ont-ils valu la peine? De plus, quelle était la part du Programme d'appui aux droits linguistiques (PADL) dans ce recours auprès des tribunaux? Le financement obtenu était-il inférieur ou supérieur à ce que le Programme de contestation judiciaire pouvait offrir lors de son existence?

M. Power : Le Programme de contestation judiciaire a remis 125 000 $. C'est plus que l'ancien programme aurait pu offrir, mais en corrigeant pour l'inflation, et pas beaucoup plus. C'est littéralement une goutte d'eau dans le verre. Le Conseil scolaire francophone et la Fédération des parents francophones de la Colombie-Britannique apprécient le geste, mais c'est une somme négligeable.

Est-ce que cela vaut la peine? D'une part, je dois vous dire qu'avant que le CSF et la FPFCB ne décident de foncer en 2010, ils avaient épuisé toutes les autres avenues. Leurs élus avaient rencontré un grand nombre de ministres provinciaux et fédéraux à la recherche d'appui afin de débloquer le dossier. D'autre part, les cadres du Conseil scolaire francophone avaient cogné aux portes de tous les sous-ministres et sous-ministres adjoints — surtout à Victoria, mais aussi à Ottawa — à la recherche d'un appui. La conclusion, en 2010, était de s'interroger sur ce qu'il faudrait faire si le dossier ne débloquait pas. Faudrait-il laisser nos enfants dans des écoles comme celles décrites par mon collègue, Me Roy, ou passer aux derniers gestes possibles, c'est-à-dire les tribunaux?

Est-ce que cela a coûté cher? Absolument. Cependant, les avantages sont d'abord pécuniaires, dans les centaines de millions de dollars pour la construction d'écoles, et d'autre part, systémiques. La Colombie-Britannique vient de léguer un cadeau au Canada : un poste budgétaire distinct pour les francophones. La Division scolaire franco-manitobaine (DSFM), entre autres, en sera reconnaissante. Oui, c'était toute une décision que d'engager une poursuite en 2010, mais je vous assure que c'était la dernière option. D'autre part, les avantages s'avèrent très importants. Cela étant dit, je ne ferme pas les yeux sur le fait que plusieurs familles ont dû se mobiliser. Cela n'a pas été facile depuis 2010, mais les résultats sont importants.

La sénatrice Gagné : Merci.

La sénatrice Poirier : Merci pour vos présentations très intéressantes. J'ai un commentaire à faire, simplement pour vous expliquer une différence régionale, et ensuite, j'aurai quelques petites questions à vous poser. Si j'ai bien compris, en raison d'un manque d'écoles francophones, il y a des jeunes francophones en Colombie-Britannique qui sont inscrits dans les programmes d'immersion française dans les écoles anglaises? Ai-je bien compris?

M. Roy : Le problème, en Colombie-Britannique, est qu'il y a des titulaires de droit qui, pour plusieurs raisons, y compris le manque de programmes de français langue première dans la province, inscrivent plutôt leurs enfants dans les programmes d'immersion.

La sénatrice Poirier : Mais ce sont des élèves francophones?

M. Roy : Oui, et des enfants de titulaires de droit.

La sénatrice Poirier : Au Nouveau-Brunswick, un individu francophone n'a pas le droit de s'inscrire dans un programme d'immersion française.

M. Roy : C'est bien cela, oui.

La sénatrice Poirier : Il doit aller à l'école française. C'est totalement différent.

M. Roy : C'est ce qu'a choisi la province du Nouveau-Brunswick pour des raisons qui lui sont propres.

La sénatrice Poirier : À l'onglet 16 de votre présentation, vous parlez de terres fédérales qui ont été transférées à une corporation de la Couronne qui les gère. Cette corporation est indépendante du gouvernement, elle n'a pas de fonds de la part du gouvernement pour assurer sa gestion. Est-ce le gouvernement fédéral qui lui a donné cette autorité et qui a mis en place la corporation?

M. Roy : La Société immobilière du Canada relève du ministre Sohi. Ultimement, c'est à lui que reviennent certaines décisions dans le cadre de sa loi habilitante. Mais le point essentiel de ma présentation, c'est que la partie VII de la Loi sur les langues officielles s'applique à la Société immobilière du Canada. Selon nous, il serait illégal pour la Société immobilière du Canada de céder ces énormes terrains tellement prisés sans au moins songer aux besoins des francophones, besoins qui sont clairement établis et qui ont été reconnus dernièrement par une cour de justice.

La sénatrice Poirier : Mais ces terrains ont-ils déjà été transférés à une corporation de la Couronne?

M. Power : Oui. Un des terrains appartenait au ministère de la Défense nationale, et l'autre, à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, dont relève la GRC. Ils ont cédé ces terres à la Société immobilière du Canada et à certains peuples autochtones dans le cadre d'une entente 50/50. C'est un détail important, car quand on est actionnaire à 50 p. 100, on a assez de pouvoir pour bloquer une transaction.

Votre intervention, sénatrice Poirier, me permet de souligner à quel point le problème est structurel et grave. La Défense nationale vend 52 acres situées au centre-ville de Vancouver à la Société immobilière du Canada sans jamais penser à nos communautés. Ensuite, la Société immobilière du Canada tente de redévelopper ces terres de concert avec des peuples autochtones afin de générer des profits. Je comprends que nous ayons besoin d'argent, mais il faut que ce développement se fasse en pensant à nos besoins. C'est ce qu'exige la Loi sur les langues officielles. Il serait souhaitable d'éviter les tribunaux, et ce serait un beau legs pour la communauté que votre comité reconnaisse le rôle important joué par la Société immobilière du Canada, de sorte que vous puissiez aider à améliorer ce projet de réaménagement afin qu'il tienne compte de la francophonie, surtout vu l'ampleur des besoins sur le terrain.

La sénatrice Poirier : Il y a quelques semaines, trois organisations sont venues témoigner sur le protocole d'entente dont vous avez fait mention plus tôt. Leur but était de créer trois différents protocoles spécifiquement pour les coûts additionnels pour l'éducation en français, pour les niveaux primaires et secondaires des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Un tel protocole serait-il avantageux?

M. Power : Oui, tout à fait. Le gouvernement du Canada remet des centaines de millions dollars pour appuyer l'enseignement du français hors Québec dans les domaines de l'enseignement postsecondaire, de la petite enfance, de l'éducation permanente et de l'immersion. Ce sont tous des secteurs d'intervention qui ne sont pas protégés par l'article 23 de la Charte, et sur lesquels les francophones n'ont pas de pouvoir de gestion ni de contrôle. Ce n'est pas ce dont on parle, mais des 150 millions de dollars qui visent la mise en œuvre de l'article 23 de la Charte, qui concerne l'instruction en français hors Québec, de la maternelle à la 12e année. Cela se retrouve parfaitement à l'intérieur du droit de gestion et de contrôle. Il n'est pas logique que le gouvernement du Canada remette des sommes aussi importantes pour notre bénéfice par l'entremise des provinces et des territoires. C'est comme si j'avais 25 ans et que mon père prenait les décisions pour moi et décidait de dépenser les sommes qui me revenaient. La gestion scolaire a porté ses fruits, nous sommes matures dans le secteur de l'intervention, les cadres sont des comptables, des avocats et des gens d'expérience. Nous pouvons donc gérer directement ces sommes, et le gouvernement du Canada devrait transiger directement avec les conseils scolaires.

Le dernier point pertinent à votre réponse, selon moi, est que le gouvernement du Canada fait déjà cela. Dans le cas des Autochtones, il existe des ententes tripartites. Il existe une entente tripartite entre le Canada, la Colombie- Britannique et l'Assemblée des Premières Nations. Si on peut le faire pour les peuples fondateurs — et c'est une bonne chose, il ne faut rien leur envier —, appliquons cette meilleure pratique également pour le peuple fondateur francophone du Canada. Rien de plus ou de moins n'est demandé. Ce serait de la bonne politique publique. Cela éliminerait les abus et rendrait plus efficaces sur le terrain les fonds consentis par le gouvernement fédéral.

La sénatrice Poirier : Même si je n'ai pas eu la chance d'aller à Vancouver avec le comité, j'ai suivi ce qui se passait. La Colombie-Britannique est-elle si différente des autres provinces et territoires? Le problème vécu en Colombie- Britannique est-il le même que dans les autres provinces? La situation en Colombie-Britannique est-elle pire que celle des autres provinces? Qu'est-ce que qui est différent?

M. Power : À presque tous les égards, pratiquement toutes les questions juridiques soulevées sont semblables à celles qui ont été débattues au Manitoba, à l'Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse et en Alberta, c'est-à-dire que les écoles sont trop vieilles, inexistantes ou trop petites. Ce qui est unique à la Colombie-Britannique, c'est qu'elle est tellement accueillante et intéressante, que son économie va bien et qu'il y fait beau, que cela attire un grand nombre de Québécois, d'Acadiens, de Franco-Ontariens et de gens de partout au monde qui décident de s'y installer. On y trouve donc une très forte concentration de locuteurs francophones avec une pénurie risible d'espaces dans les écoles de langue française. C'est un problème d'échelle.

Ce qu'on retrouve dans quelques communautés ici et là ailleurs au Canada, on le retrouve dans presque toutes les communautés de la Colombie-Britannique. Si le dossier portait sur un si grand nombre d'écoles, c'est parce que le système, la façon dont la province traite les demandes de francophones pour la construction et la réfection d'écoles, ne tient pas compte des besoins des francophones. Ce n'est pas juste moi qui le dis, c'est aussi Mme la juge Russell dans sa conclusion après des centaines de journées de procès.

Le sénateur Mockler : Les personnes changent, mais les dossiers demeurent. Il faut toujours se battre pour conserver nos droits en français ou en anglais, selon le cas, comme à Edmundston. Il y a beaucoup de francophones chez nous, et les anglophones se trouvent en situation minoritaire. On leur a construit des écoles.

Je suis d'accord avec le sénateur Maltais lorsqu'il fait une tournée historique de ce qui s'est passé à travers le Canada, surtout au Québec, mais aussi au Nouveau-Brunswick et au Manitoba. Ce printemps, j'ai visité ce qu'on appelle la Société immobilière du Canada en Colombie-Britannique. J'ai eu l'occasion de parler avec des personnes de ce dont vous nous avez parlé. Cela ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. Il est vrai que la Société immobilière du Canada a des responsabilités afin de se départir de certains immeubles ou actifs canadiens. L'article 23, selon la recherche faite par la Bibliothèque du Parlement, dit que la cour ordonne la mise sur pied d'une politique pour améliorer la relation entre le Conseil scolaire francophone et le ministère de l'Éducation. Beaucoup de choses sont quand même très positives pour faire avancer notre dossier francophone à travers le pays. Que la cour ne reconnaisse pas d'obligation en vertu de l'article 23, bien, nous sommes tous humains et, parfois, nous nous trompons littéralement dans l'interprétation de certaines choses. En tant que juristes, vous avez certainement déjà vu des gens dont on ne sait pas s'ils ont tort ou raison. Je n'ai pas de problème avec cela, moi non plus.

Il faut se faire des alliés et être présents dans nos communautés. Des élections approchent en Colombie-Britannique, alors, sera-t-on présents dans nos communautés pendant de ces élections afin de faire connaître davantage la situation et de sensibiliser les politiciens au respect des communautés francophones de la Colombie-Britannique?

M. Power : La communauté francophone en Colombie-Britannique est très nombreuse, mais très dispersée. Elle n'a pratiquement pas de poids politique sur le plan provincial. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'engouement pour le français ni que plusieurs députés de l'assemblée législative à Victoria n'écouteraient pas de façon très attentive, mais il n'existe pas de Madeleine Meilleur en Colombie-Britannique, ni d'anciens premiers ministres comme on en connaissait au Manitoba, par exemple. C'est par la force des choses, mais ce n'est pas une raison pour ne pas parler ni essayer. C'est plutôt pour dire que les élections provinciales à l'horizon en Colombie-Britannique ne régleront pas le problème, c'est certain. C'est la raison pour laquelle le changement systémique annoncé par la juge est tellement important. Elle dit que, peu importe qui est au pouvoir, peu importe la députation, il est nécessaire dorénavant d'avoir un poste budgétaire réservé aux francophones pour la réfection et la construction d'écoles, et que les fonctionnaires, et encore moins leur ministre, dorénavant, ne peuvent pas comparer les besoins des francophones à ceux des anglophones.

Je dois dire par contre que le joueur politique qui peut intervenir et agir, c'est le gouvernement du Canada. Plusieurs députés de la Colombie-Britannique sont aujourd'hui au Conseil des ministres, y compris Mme la ministre Wilson- Raybould. C'est à eux et à elle que revient la nécessité d'intervenir, pas seulement sur le plan moral, mais aussi juridique. La partie VII de la Loi sur les langues officielles exige que le gouvernement du Canada pense à nous et agisse en notre faveur, et ce, de façon constructive. Il peut absolument en faire plus.

Le sénateur Mockler : On devrait quand même les encourager à être présents. Ont-ils l'intention de rencontre la première ministre de la Colombie-Britannique pour la sensibiliser à ce que l'on vient de voir avec le jugement?

M. Power : Je vous assure que le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique et la Fédération des parents francophones rencontreront qui voudra bien passer du temps à discuter de la mise en œuvre du jugement et du respect des droits fondamentaux.

Le sénateur Maltais : Je vais poser une seule question qui inclura quatre points qui regroupent ce que j'ai retenu au cours de notre visite.

Premièrement, il n'y a pas une volonté à tout casser de la part du gouvernement provincial. Deuxièmement, il n'y a pas une volonté à tout casser de la part de la Société immobilière du Canada pour régler le problème. Troisièmement, les enseignants; je les ai qualifiés de missionnaires et, quatrièmement, un point chatouilleux, l'éducation est de compétence provinciale. Donc, la seule façon d'intervenir, c'est en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés par l'entremise de Patrimoine canadien. C'est délicat et ça peut être contesté, parce que Patrimoine canadien se mêle de choses qui ne relèvent pas de sa compétence. Nous avons le droit de le faire en vertu de la Charte, mais pas en vertu de la Constitution.

L'autre problème, je l'ai soulevé devant le président du Conseil du Trésor, M. Scott Brison, lors de sa comparution devant notre comité. Le gouvernement du Canada n'a pas de méthode de reddition de comptes pour savoir où est dépensé l'argent versé aux provinces. Je l'ai rencontré tout à fait par hasard sur la Colline du Parlement, et il m'a dit que son équipe travaillait à résoudre le problème, parce qu'il trouve que ça ne fait pas de sens de verser 150 millions de dollars sans savoir comment est dépensé l'argent. On le sait grosso modo, mais c'est loin d'être clair.

Corrigez-moi si j'ai tort, parce que nous devons déposer un rapport et nous voulons qu'il soit le plus efficace et le plus complet possible.

M. Power : La Société immobilière du Canada est tenue, d'un point de vue juridique, à penser aux communautés avant de signer des contrats. À ma connaissance, elle ne le fait pas ou pas assez.

J'ai une deuxième clarification par rapport à ce que vous considérez comme un dossier chatouilleux, soit la chasse gardée des provinces. Bien sûr que le gouvernement du Canada ne peut pas et ne devrait pas créer des écoles de toutes pièces. Cela n'empêche pas le gouvernement du Canada d'exercer son pouvoir de dépenser et, quand il le fait, il doit le faire dans le respect de l'article 23, dans le respect de la partie VII de la Loi sur les langues officielles du Canada. Vendre des biens-fonds sans penser à nous contrevient à la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Conclure des ententes avec les provinces pour une somme de 150 millions de dollars sans que nous soyons présents à la table porte atteinte à l'article 23 et à la partie VII de la Loi sur les langues officielles, à mon sens.

M. Roy : Pour ce qui est de la question de reddition de comptes, le gouvernement a l'obligation, en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, de prendre des mesures positives, et la reddition de comptes est le moyen de s'assurer que les mesures sont réellement positives. En ce moment, elles ne le sont peut-être pas autant que le gouvernement pourrait le croire, et c'est là où le bât blesse. Une réforme de la façon de distribuer les fonds permettrait d'améliorer cet aspect.

Le sénateur Maltais : Je suis persuadé que le président du Conseil du Trésor verra à ce qu'il y ait une certaine amélioration au cours de la prochaine année.

La présidente : Un groupe de témoins qui comparaîtra par vidéoconférence est en attente en ce moment. Alors, rapidement, sénateur Mockler?

Le sénateur Mockler : J'aimerais suggérer la comparution du ministre Sohi devant notre comité. Nous pourrions ainsi porter à son attention nos préoccupations pour sa région. Il est responsable de Société immobilière du Canada.

La présidente : On pourrait certainement inviter la Société immobilière du Canada. D'ailleurs, sur le site web du gouvernement du Canada consacré à la directive sur la vente ou le transfert des biens immobiliers excédentaires, on voit clairement que le gouvernement doit tenir compte des intérêts des collectivités, y compris les communautés de langue officielle en situation minoritaires et les autres ordres gouvernementaux. C'est clairement indiqué sur le site web du gouvernement du Canada, incluant la Société immobilière du Canada. Voilà, c'est clairement indiqué, et la société est assujettie à la Loi sur les langues officielles.

Monsieur Power, monsieur Roy, je vous remercie. Votre expertise en la matière est bien reconnue. Vous avez défendu de nombreux dossiers devant la Cour suprême du Canada. Nous vous remercions d'avoir partagé votre expertise et votre expérience avec nous.

Honorables sénateurs, nous allons entendre les prochains témoins par vidéoconférence. Au nom des membres du comité, j'aimerais remercier Mme Nour Enayeh et M. Joseph Pagé, de l'Association des parents de l'école Rose-des- vents, d'être parmi nous ce soir. Nous les avons rencontrés de façon informelle il y a quelques semaines. Je dois dire que notre comité a été accueilli très chaleureusement et que nous avons beaucoup apprécié nos discussions lors de nos audiences publiques et nos visites de sites à Vancouver et à Victoria. C'est donc un plaisir de vous revoir et de vous entendre.

Nous avons eu l'occasion de visiter l'école Rose-des-vents le lundi 3 octobre. Comme vous le savez, nous étudions la question de l'accès aux écoles françaises en Colombie-Britannique. Lors de notre visite, nous avons pu constater l'état des infrastructures de votre école. Vous avez certainement certains défis à relever.

Je vous invite donc à prendre la parole et, par la suite, les sénateurs vous poseront des questions.

Nour Enayeh, présidente, Association des parents de l'école Rose-des-vents : Bonjour à tous. Merci de nous avoir invités aujourd'hui. Merci surtout d'avoir pris le temps de venir visiter notre école et de nous avoir donné l'occasion de vous faire part de nos soucis et des problèmes liés à notre école de Vancouver. Je donne maintenant la parole à M. Pagé.

Joseph Pagé, membre, Association des parents de l'école Rose-des-vents : Je vous remercie, madame la présidente. Je suis heureux de vous retrouver. Peut-être que nous devrions nous rencontrer tous les mois pour parler de notre dossier?

Je dois vous dire dès le départ que les parents de Rose-des-vents et de Jules-Verne étaient très fiers et heureux de votre visite. Je crois que ça leur a fait du bien de rencontrer des gens comme vous pour les écouter et les entendre. Nous avons malheureusement l'impression de nous battre tout seuls, de mener une lutte sans alliés, et votre visite a certainement encouragé beaucoup de parents.

Je suis Joseph Pagé, parent d'un enfant qui fréquente l'école Rose-des-vents et d'un autre enfant qui fréquente Jules- Verne. Je sais que vous avez fait une visite du site il y a quelques semaines, mais je vais présenter un bref historique aux membres qui n'étaient pas avec vous. Par la suite, je vous ferai quelques suggestions que nous n'avons pas eu la chance de partager avec vous lors de votre visite, et nous serons prêts à répondre à vos questions.

L'école Rose-des-vents a vu le jour en 1997. Elle a déménagé à trois reprises avant de se retrouver sur le site actuel, en 2001, que vous avez visité. Il n'est pas surprenant que la Cour suprême du Canada ait déclaré qu'il y avait une « enfreinte » à notre école, parce que, justement, il s'agit d'une école qui a été bâtie pour 199 enfants, alors que nous en avons présentement 350. Il y a six portatives sur le site, il n'y a pas de gymnase, pas d'espaces verts, la bibliothèque est trop petite et il y a neuf salles de toilettes pour 350 enfants et le personnel enseignant. C'est la pire des 38 écoles qui se trouvent à l'ouest de la rue Main. Vous vous souviendrez que la zone de fréquentation de Rose-des-vents s'étend de la rue Main, à peu près au centre de Vancouver, jusqu'à l'ouest, jusqu'à UBC. C'est la seule école française dans cette zone, entourée de 37 écoles primaires anglaises.

On a essayé de négocier pendant quelques années avec le conseil scolaire et le gouvernement provincial, mais sans succès. Nous avons donc dû entamer des poursuites en 2010. En 2012, la Cour suprême de la Colombie-Britannique nous donne gain de cause, c'est-à-dire qu'elle affirme que le service offert à Rose-des-vents n'est pas équivalent à celui qui est offert aux écoles anglaises dans la même zone de fréquentation.

Il y a eu des appels, on s'est rendu jusqu'en Cour suprême du Canada, qui a établi le test d'équivalence. C'est très important, c'est quelque chose qui n'existait pas avant dans le domaine juridique. Il s'agissait de déterminer si une école française ou minoritaire est équivalente à l'école qu'on offre à la majorité. C'était une étape très importante. Cependant, comme de raison, les parents de Rose-des-vents ne s'inquiètent pas trop du droit, mais plutôt de l'éducation de leurs enfants. Eux, ce qui les intéresse, c'est de quitter l'école Rose-des-vents et d'aménager un nouvel édifice.

Pour des raisons procédurales, tout cela a abouti au mégaprocès dont Me Power vous a sûrement présenté les grandes lignes. Le CSF, le conseil scolaire, en parallèle à la petite requête de Rose-des-vents, a lancé un gros procès sur plusieurs questions. Cette décision a été rendue le 26 septembre. Une composante de Rose-des-vents devait être étudiée par un juge de première instance. C'est ce que la juge a fait, et c'est ce fameux article premier de la Charte qui, dans certaines circonstances, permet à un gouvernement de se soustraire à ses obligations constitutionnelles. La juge Russell a fait cette étude de l'article premier dans l'instance de la petite école de Rose-des-vents et a conclu qu'en fin de compte, la province ne pouvait pas se soustraire à ses obligations.

Donc, ce qu'on espère, c'est que cela va aboutir pour une des deux écoles, parce que vous vous souviendrez que le CSF demande deux écoles à l'ouest de la rue Main. La juge a déclaré que, oui, c'est certain, nous avons droit à une école, mais pour la deuxième école, on verra, ça viendra un peu plus tard. Comme vous le savez très bien, chers sénateurs, quand on bâtit une école française en milieu minoritaire, elle se remplit presque instantanément. Donc, on sait très bien qu'après la construction de la nouvelle école, on en aura besoin d'une deuxième.

Ce dont on a discuté avec vous lors de votre visite, c'est que, à Vancouver comme à quelques autres endroits au Canada, l'immobilier est très dispendieux. C'est très difficile pour le CSF d'obtenir des terrains parce que, justement, les lotisseurs s'en accaparent, les développent, habituellement avec des tours à condominium. C'est surtout pour le domaine de l'immobilier personnel.

Ce qu'on a soulevé lors de votre visite, c'est que, justement — lorsque nous sommes arrivés, le sénateur Mockler parlait de la Société immobilière du Canada —, il y a un terrain juste à côté de Rose-des-vents, un terrain fédéral qui fait partie maintenant de la Société immobilière du Canada. Il contient environ 21 acres, de 21 à 25 acres. Selon nous, si le gouvernement fédéral pouvait transférer une partie de ce terrain au Conseil scolaire francophone de la Colombie- Britannique, ça réglerait le cas de la première école à l'ouest de la rue Main. Je ne peux pas parler pour le CSF, mais je suis presque certain que si le gouvernement fédéral offrait un terrain au CSF demain matin, les pelles mécaniques requises pour la construction arriveraient sans délai.

Sur ce site, par contre, deux édifices ont déjà servi d'école. Il serait sans doute possible de rénover l'un de ces deux édifices. L'un de ces édifices a été classé par Patrimoine Vancouver, je crois, comme ayant certaines caractéristiques patrimoniales, donc il ne sera pas démoli et il a déjà servi d'école. Il serait possible, selon moi, de trouver assez rapidement de l'espace pour cette fameuse école Rose-des-vents sur l'un des terrains fédéraux.

Donc, voilà notre message numéro 1. Le besoin est tellement pressant, vous le savez, on vit une « enfreinte » et c'est quelque chose de très rare au Canada. On vit une « enfreinte » constitutionnelle aux droits de citoyens canadiens depuis au moins 2010. C'est inacceptable.

Je suis convaincu que les fondateurs du Canada, surtout à la veille du 150e anniversaire, seraient extrêmement déçus de constater que des Canadiens sont toujours en train de se battre pour obtenir l'équivalence en matière d'éducation. On n'en demande pas plus, on demande l'équivalence. Avec le 150e anniversaire qui arrive, il est aberrant, il est choquant qu'on en soit encore à essayer de résoudre la question de Rose-des-vents, une question qui aurait dû être résolue il y a longtemps. C'est la première suggestion que j'ai à vous faire. Si le gouvernement fédéral a des terrains disponibles, ce serait peut-être une façon d'aider les conseils scolaires et les ayants droit.

Une autre façon, ce serait dans le recensement. Dans le recensement, il y a des questions pour savoir si on est ayant droit au titre de l'alinéa 23(1)a), mais il n'y a pas de question relative à l'alinéa 23(1)b) ni au paragraphe (2). Ça vaudrait peut-être la peine d'en discuter avec Statistique Canada pour savoir si, dans le prochain recensement, on pourrait poser ces questions, parce que c'est de l'information qui serait très utile aux conseils scolaires et au ministre de l'Éducation.

La troisième proposition que j'ai à vous faire, c'est que la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants est en train d'élaborer et de mettre en place un programme d'études en droit linguistique. Ce qu'on veut cibler, ce sont les élèves du secondaire à mi-parcours, pour leur offrir une composante sur les droits linguistiques. C'est pour préparer la prochaine génération à défendre ces droits-là. La fédération est en train de mettre un programme sur pied, et je pense que si elle pouvait recevoir de l'aide de ce côté-là, ce serait très utile. Elle en est à la prochaine étape, elle a regroupé certains juristes et certains enseignants. Elle a fait une étude pour savoir ce qui est offert en ce moment. Comme je vous l'ai peut-être dit tantôt, pour l'instant, le dossier des droits linguistiques est un sujet qu'on aborde peut-être dans le cadre d'un cours de sciences sociales, d'histoire ou de justice sociale. Mais ce qu'on devrait faire, et ce que propose la fédération, c'est de créer une composante distincte. Ce pourrait être un cours ou un chapitre dans un cours d'histoire ou de sciences sociales, où on aborde pendant quelques semaines les droits linguistiques. Je pense que ce sera un projet qui pourra bien nous servir très bientôt.

Voilà pour mon allocution, je ne voudrais pas trop dépasser les sept minutes qui m'ont été imparties.

La présidente : Vous avez été très intéressant, monsieur Pagé, et surtout très concis et précis dans vos recommandations et suggestions pour notre comité.

La première question sera posée par le sénateur McIntyre, suivi de la sénatrice Poirier.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous deux pour vos présentations. Lors de notre passage en Colombie-Britannique, nous avons entendu les revendications particulières des parents de l'école Rose-des-vents. Une des choses que nous avons entendues était que le gouvernement provincial doit répondre aux défis liés au transport scolaire — je comprends que des élèves passent plus de trois heures par jour dans l'autobus pour se rendre à l'école — et doit y accorder les fonds nécessaires.

Cela dit, lorsque je passe en revue la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, je note que la province de la Colombie-Britannique doit s'engager à verser 6 millions de dollars au Conseil scolaire francophone pour le financement du transport scolaire. Est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur cette question?

M. Pagé : Oui, je trouve que c'est fantastique que la juge ait ordonné 6 millions de dollars, mais c'est pour des problèmes du passé. Si vous étudiez le budget du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique en matière de transport, c'est très élevé. Le CSF pourrait vous en parler. Je pense qu'on parle de près de 4 millions de dollars par année. Les 6 millions de dollars qui ont été annoncés, c'est un paiement pour les lacunes du passé.

Pour ce qui est du futur, la juge n'annonce rien, aucune obligation du gouvernement de dépenser davantage. Cela ne veut pas dire que le CSF n'aura pas de revendications à faire et qu'il ne sera peut-être pas capable d'en obtenir plus. Mais ces 6 millions de dollars concernent des lacunes du passé.

Le sénateur McIntyre : J'aurais une deuxième question qui touche le financement en matière d'éducation. Croyez- vous que le gouvernement fédéral doive revoir son approche à l'égard du financement en éducation?

M. Pagé : Moi, je ne connais pas assez bien le système de financement du gouvernement fédéral, je sais que M. Power en parlait tantôt. En ce qui concerne les terrains, c'est une composante, mais je sais que, à l'école secondaire Jules-Verne, le gouvernement fédéral a financé le théâtre. Il a le pouvoir de dépenser dans certaines composantes de l'éducation, soit ce qui est communautaire. Si le gouvernement fédéral avait les moyens, premièrement, de dépenser plus, mais aussi, deuxièmement — et je sais que l'éducation relève de compétence provinciale —, si le gouvernement fédéral pouvait financer la construction d'écoles, peut-être que ça aiderait les conseils scolaires qui vivent des situations tellement difficiles. Je sais que ce n'est pas permis pour l'instant, mais c'est peut-être une piste qu'on devrait étudier.

Le sénateur McIntyre : Si je vous pose cette question, c'est en lien avec le mémoire qui a été déposé par trois organismes, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, la Commission nationale des parents francophones et la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, au sujet de la modernisation de la façon de répartir les fonds fédéraux consacrés à l'enseignement du français langue première.

Que pensez-vous de ces recommandations et constats qui sont contenus dans le mémoire?

M. Pagé : Merci, sénateur. Nous n'étions pas au courant, mais nous allons trouver ces mémoires et les étudier, et si nous avons des commentaires à vous faire, nous allons certainement vous les transmettre. Peut-être que nous pourrions nous rencontrer de nouveau dans un mois pour en parler.

La présidente : Ces mémoires sont affichés sur le site web du Sénat, monsieur Pagé. Je vous encourage à les consulter.

La sénatrice Poirier : Merci pour votre présentation. J'ai quelques questions, qui sont liées, je pense, à la première recommandation dont vous nous avez parlé, soit d'essayer d'avoir accès à des terrains qui appartiennent au gouvernement fédéral pour y bâtir une école. Est-ce qu'une demande a été faite? Si oui, qui a fait la demande? Est-ce que c'est la commission scolaire ou la province qui négocie avec le gouvernement fédéral pour avoir accès à ce terrain? Si la demande a été faite, quels sont les problèmes qui font que le transfert ne se fait pas?

M. Pagé : Je peux vous dire, sénatrice, que oui, en effet, les parents ont entrepris des démarches. Sur ce terrain en particulier, qui était un ancien terrain de la GRC, il y a un édifice, comme je vous l'ai dit tantôt, qui a déjà servi d'école. Pour l'instant, cet édifice est à louer; il y a une affiche « À louer ». Les parents ont essayé de communiquer avec la Société immobilière du Canada, mais on leur a dit non, en expliquant qu'une école, c'est un projet à long terme, et qu'on souhaite simplement louer à court terme pendant trois à cinq ans. La société ne voulait donc pas en discuter plus longtemps avec eux.

Je sais que le conseil scolaire a fait des démarches auprès de la Société immobilière du Canada, mais ça n'a pas abouti. Le résultat a été le même, la Société immobilière du Canada leur a recommandé de présenter une demande à la municipalité lorsque le lotissement prévu aurait lieu, parce qu'elle veut redévelopper ce terrain. Elle leur a dit qu'ils feraient partie du processus. Cela veut dire qu'une école ne sera pas construite avant une dizaine d'années. Ce n'est pas acceptable, on a besoin du terrain maintenant. Avant que le lotissement prenne place, on aurait besoin d'en découper une partie, trois ou quatre acres, pour y bâtir une école, de sorte que le reste du terrain fasse partie du lotissement de la Société immobilière du Canada. À ce jour, ce que j'ai compris de la part du CSF, c'est que la Société immobilière du Canada refuse de considérer cette proposition.

La sénatrice Poirier : La Société immobilière du Canada, si j'ai bien compris, c'est comme une société de la Couronne, comme un bras droit du gouvernement. Donc, le gouvernement fédéral, si j'ai bien compris, a donné l'autorité de gérer ces terres à la corporation de la Couronne. Ai-je bien compris?

M. Pagé : C'est ce que je comprends moi aussi.

La sénatrice Poirier : Donc, pour ces négociations, il faudrait que le gouvernement fédéral se tourne vers la société de la Couronne pour voir s'il y a des possibilités de négocier quelque chose. Concernant la province, y a-t-il moyen de faire pression? Est-ce qu'une négociation entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial aiderait?

M. Pagé : Je pense que oui, sénatrice. Également, dans sa décision du 26 septembre, la juge indique que le ministre de l'Éducation de la Colombie-Britannique doit aider le CSF dans ses négociations. Donc, ce sera très utile, mais, en attendant, je ne pense pas que le ministre de l'Éducation ait pris part aux discussions que le CSF a eues à ce jour avec la Société immobilière du Canada.

Cependant, je suis d'accord avec vous : si le CSF se présentait avec le ministre de l'Éducation pour demander une partie du terrain qui appartient au gouvernement fédéral, je pense que ça aiderait. Jusqu'à présent, le gouvernement provincial semble dire au CSF de négocier avec le gouvernement fédéral, que ce n'est pas de son ressort. Je pense que le fait de ne pas avoir le ministre de l'Éducation à nos côtés constitue une faiblesse dans nos négociations.

La sénatrice Poirier : Je suis d'accord avec vous, parce que le gouvernement provincial à l'obligation d'offrir la même éducation aux anglophones et aux francophones de la province.

M. Pagé : On dirait que la volonté politique n'arrive que lorsque la Cour suprême du Canada oblige le gouvernement provincial — surtout le nôtre — à agir. En attendant, on dirait qu'on fait du mieux qu'on peut, mais on n'ira pas plus loin, parce qu'on n'est pas obligé de le faire. C'est malheureux, mais c'est ce qu'on vit maintenant en Colombie-Britannique.

La sénatrice Poirier : Comme le disait un collègue plus tôt, la période électorale est un bon moment pour mettre de la pression sur ceux qui se présentent aux élections.

M. Pagé : Je suis d'accord avec vous. On l'a déjà d'ailleurs fait. Avant les élections, on rencontre les ministres. Ils sont heureux de nous recevoir et de nous parler. Mais comme nous sommes très peu nombreux sur le territoire, nous n'avons pas assez de francophones dans une zone électorale pour faire une différence. On ne peut même pas élire un député du Parlement de la Colombie-Britannique. On peut faire des pressions, ils vont nous écouter, mais encore une fois, on n'a pas de poids politique. Pour eux, il s'agit de quelques centaines ou milliers de votes, et ce n'est pas ce qui les fera gagner.

La sénatrice Poirier : Merci de partager vos défis qui demeurent importants.

La présidente : Avez-vous un ministre responsable de la Francophonie en Colombie-Britannique?

M. Pagé : C'était une autre de mes suggestions. Je ne sais pas si vous pourriez avoir une influence, du côté fédéral, à ce chapitre. Ce qu'on aimerait bien avoir, c'est un sous-ministre délégué à l'éducation en français. Il y en a un en Ontario, mais pas en Colombie-Britannique. Il y a le ministre de l'Éducation, il y a des sous-ministres de l'Éducation, mais aucun ne s'occupe de l'éducation en français en particulier. Il serait important d'avoir une telle ressource, mais je ne sais pas comment on peut convaincre le ministre de créer ce poste.

La présidente : Ce sont de grands défis.

La sénatrice Gagné : Monsieur Pagé, vous avez fait référence, plus tôt, au test d'équivalence. Vous avez mentionné que, dans la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Association des parents de l'école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique, il avait finalement été suggéré d'adopter le principe d'égalité réelle, c'est-à-dire qu'on peut traiter les minorités de langue officielle différemment si nécessaire, en tenant compte de leur situation et de leurs besoins particuliers.

D'autre part, le jugement de la juge Russell va à l'encontre du principe d'égalité réelle. Elle fait plutôt référence au principe d'égalité formelle, où on indique que :

[...] le droit aux établissements d'enseignement complets, distincts et de qualité équivalente à ceux offerts à la majorité linguistique n'existe que lorsque les écoles francophones d'une région géographique ont des effectifs comparables à ceux des écoles anglophones.

J'aimerais que vous nous parliez de ces différences entre les deux jugements.

M. Pagé : Sénatrice Gagné, c'est une des questions qui, je l'espère, sera portée en appel par le conseil scolaire. Ce n'est pas notre dossier à nous, les parents. Mais je suis entièrement d'accord avec vous. C'est une erreur, et comme le sénateur Mockler l'a mentionné plus tôt, les juges sont humains et peuvent parfois commettre des erreurs. Comme vous l'avez dit, il s'agit d'égalité réelle. Elle semble dire que nous n'aurons droit à l'équivalence que lorsque nous aurons les mêmes effectifs. Cela signifie que nous ne pourrons bénéficier des mêmes droits que les anglophones que lorsque nous aurons autant d'enfants inscrits à l'école. Mais ce n'est pas ainsi que cela fonctionne.

Les juges oublient parfois qu'il y a un compromis politique. Les minorités linguistiques, que ce soit ici, en Colombie- Britannique, ou au Nouveau-Brunswick, ou au Manitoba, par exemple, vivent ce compromis politique depuis 1867. Cela nous prive de nos écoles. Il faut comprendre que, dans certains endroits, il n'y a pas 500 enfants. À l'école Rose- des-vents, nous avons de la chance, puisque, comme il y a 350 enfants, comme dans les écoles anglaises, notre situation correspond à l'interprétation de la juge Russell. Cependant, si elle se base sur le fait que nous avons droit à l'équivalence parce que nous avons 350 enfants, elle se trompe. Ce n'est pas le concept d'équivalence qui a été développé en vertu de la Charte. J'espère que le CSF portera ce concept en appel, parce qu'on a besoin d'approfondir cette question pour dire, comme vous l'avez dit, sénatrice Gagné, qu'il s'agit d'une équivalence réelle, c'est-à-dire que l'expérience doit être la même que celle de nos voisins anglophones. On ne tente pas d'en enlever à nos voisins anglophones, on veut la même chose qu'eux, sans plus. Si nos voisins anglophones ont droit à une école avec un gymnase et une garderie, on demande la même chose, pas plus.

Comme je l'ai dit au début, les membres du comité savent très bien, pour l'avoir vécu, que lorsqu'on bâtit une école française, elle se remplit très rapidement. J'apprécie l'interprétation de la juge sur l'article premier quand cela s'applique à Rose-des-vents, mais tout comme vous, sénatrice Gagné, je suis d'accord qu'il y a une erreur juridique qui doit être corrigée.

Le sénateur Mockler : Monsieur Pagé, avec l'expérience que vous avez vécue en Colombie-Britannique, comment pensez-vous que cette erreur peut être corrigée?

M. Pagé : J'espère que le CSF va porter cette partie de la décision en appel, parce que, justement, cela détraque ce qui avait déjà été établi par la Cour suprême du Canada. Ce que j'espérerais, c'est que cela se rende jusqu'à la Cour suprême du Canada pour qu'elle puisse, encore une fois, se prononcer clairement sur le fait qu'il s'agit d'une équivalence réelle. Donc, c'est une erreur juridique, sénateur Mockler, il faudra évidemment que les juges de la Cour d'appel, et ensuite les juges de la Cour suprême du Canada, examinent la question pour qu'on revienne sur la bonne piste.

Vous savez, ce n'est pas la première fois. Quand il s'agit des droits linguistiques, il est très rare qu'on les gagne en première instance, et même en appel. C'est la Cour suprême du Canada qui, même si elle ne nous donne pas toujours gain de cause, est en mesure de bien voir à l'application de cet article pancanadien.

J'aimerais apporter une petite note sur la présentation qu'on a faite lors de nos plaidoiries à la Cour suprême du Canada. La juge en chef y siège depuis de début des décisions de la Cour suprême sur les droits linguistiques, et je dois vous dire qu'elle comprend très bien les enjeux. Comme je vous l'ai dit, cela ne veut pas dire qu'elle nous donne toujours gain de cause, mais nous croyons que l'analyse juridique est la bonne lorsqu'elle se rend à la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Mockler : Est-ce que vous et le groupe francophone de la Colombie-Britannique avez personnellement rencontré la première ministre de la Colombie-Britannique?

M. Pagé : Non. On a rencontré le ministre des Finances et le ministre de l'Éducation, mais jamais la première ministre. Ce serait peut-être une démarche qu'on pourrait suivre. Après ce qui est arrivé avec Rose-des-vents, je pense, sénateur Mockler, qu'il y aura une négociation entre Rose-des-vents et le ministre de l'Éducation quant aux prochaines étapes. La province pourrait toujours porter le jugement de la juge Russell en appel sur la question de Rose-des-vents. On espère que ce ne sera pas le cas, qu'il y a assez de poids juridique avec la décision de la Cour suprême du Canada et la décision de la juge Russell pour en arriver finalement à une conclusion pour Rose-des-vents.

Cependant, ce dossier, c'est chez nous. Il reste toutes les autres écoles. Il y aussi des parents qui m'appellent, dont les enfants fréquentent d'autres écoles, dans l'autre zone de fréquentation, comme l'école Anne-Hébert, parce qu'ils sont très déçus de la décision de la juge Russell. Ils voudront poursuivre avec d'autres démarches. On ne travaille pas que pour nous, on travaille pour toute la francophonie du Canada. Même si on oublie parfois que les autres sont là, on travaille de concert.

Ce qui est parfois décevant, c'est que lorsqu'on perd des causes, surtout à la Cour suprême du Canada, on ne perd pas seulement chez nous; les répercussions ont un impact pancanadien. C'est pourquoi il est important de s'assurer, quand on décide d'aller devant les tribunaux, qu'on a un bon dossier et que nos chances de gagner sont très bonnes.

Le sénateur Mockler : Selon votre expérience et après avoir rencontré les sénateurs du comité, vous avez élaboré certaines statistiques. Vous dites que l'école Rose-des-vents est la pire parmi les 37 écoles de la région. Qu'est-ce que vous aimeriez que le comité fasse en collaboration avec le gouvernement fédéral?

M. Pagé : Pour nous, la priorité, c'est vraiment le terrain. Ce serait de nous aider dans les négociations avec la Société immobilière du Canada. Vous pourriez jouer un rôle important. Lors d'une rencontre informelle, le sénateur Maltais m'a dit que vous n'aviez pas de pouvoir exécutif, mais que vous étiez des « chialeux ». Si vous pouviez nous aider dans nos pourparlers avec la Société immobilière du Canada, ce serait très apprécié.

Le sénateur Mockler : Si le sénateur Maltais vous a dit ça, c'est que c'est vrai.

La présidente : Le prochain sénateur à poser une question est justement le sénateur Maltais.

Le sénateur Maltais : Le seul endroit où j'ai vu pousser des roses à l'école Rose-des-vents, c'était dans le cœur des enfants et dans la volonté des enseignants, parce qu'il n'y a pas un pouce carré de pelouse. On ne peut pas y planter une rose.

Monsieur Pagé, il y a une chose dont j'aimerais discuter avec vous. Vous avez un cas typique : la Charte n'est pas appliquée et nous sommes à l'aube du 150e anniversaire de la Confédération. Or, vous avez chez vous la Société Radio- Canada. Mais le problème, c'est que tous les reportages qu'elle fait sur votre communauté ne sont pas diffusés au-delà des Rocheuses. En fait, les Canadiens ne sont pas au courant des difficultés que vous avez. Je pense que si vous faites des reportages qui expliquent la situation comme vous venez de le faire, ça pourrait vous aider.

Au Canada, la francophonie représente environ le tiers de la population, elle doit commencer à se faire entendre quelque part. Vos problèmes, peu de gens les connaissent au Québec, à part moi. Je reviens de notre voyage en Colombie-Britannique, et je ne connaissais pas vos problèmes avant d'y aller. C'est pourquoi je tenais à y aller. Je vous recommanderais donc de faire beaucoup de publicité.

Mon autre recommandation, je l'ai suggérée à vos avocats plus tôt. Avant d'en appeler d'une décision, je pense qu'une bonne médiation s'impose entre vous, le gouvernement de la Colombie-Britannique et la Société immobilière du Canada. Le processus coûte moins cher et il pourrait apporter de bons résultats. Faute de résultats concluants, ce sera à la grâce de Dieu, comme on dit chez nous, mais avant d'engager des frais, il faudrait examiner les possibilités de médiation.

M. Pagé : Sénateur Maltais, je suis entièrement d'accord avec vous en ce qui concerne Radio-Canada. La société a toujours raconté notre histoire, mais comme vous l'avez dit, elle ne traverse pas vraiment les Rocheuses.

Concernant la décision du 26 septembre dernier, Radio-Canada Colombie-Britannique a fait de bons reportages, mais je suis d'accord avec vous. La francophonie à l'est des Rocheuses ne sait pas trop ce qui se passe chez nous. Au Québec, il faudrait participer à des émissions comme Tout le monde en parle. Monsieur le sénateur Maltais, je vais y aller avec vous. Nous irons expliquer en entrevue ce qui se passe à Vancouver. Je pense que ce serait intéressant. Vous avez raison lorsque vous dites qu'il faut l'appui des 11 millions d'autres francophones, entre autres nos cousins acadiens. Souvent, ces gens vivent quelque chose de semblable, et ce sera à notre tour de leur rendre la monnaie, mais pour l'instant, c'est nous qui avons besoin de leur aide.

En ce qui a trait à la médiation, encore une fois, je suis entièrement d'accord avec vous, sénateur Maltais. Je ne suis pas certain que le ministre de l'Éducation accepterait de nous rencontrer, mais si le conseil scolaire et les parents acceptent que les avocats restent à l'écart des premières discussions, ça va. Peut-être qu'on peut même demander aux sénateurs de s'impliquer.

Il s'agirait d'avoir cette première discussion pour déterminer ce qui pourrait être fait avec un terrain fédéral qui est disponible. Il faudrait faire cette première approche avec la Société immobilière du Canada.

Le sénateur Maltais : Radio-Canada a la fâcheuse habitude de faire des reportages chez vous qui ne traversent pas les Rocheuses. Lorsqu'elle fait des reportages sur la francophonie en Alberta et au Manitoba, elle les transmet dans la région des Rocheuses, mais ils ne sont pas diffusés au Québec non plus. Il y a une question d'alignement qui fait défaut, je ne sais pas ce qui se passe.

Pour ce qui est de la médiation, il pourrait y avoir un sénateur qui ne vous demandera rien. Il a passé sa vie à titre de grand constitutionnaliste et de grand avocat. Je pense que le sénateur McIntyre serait heureux d'être médiateur dans votre dossier.

Le sénateur McIntyre : Cela me ferait plaisir.

La présidente : Vous voyez à quel point les sénateurs sont prêts à vous aider.

La sénatrice Gagné : Je voulais simplement mentionner qu'avant les compressions subies à Radio-Canada, le Manitoba et la Saskatchewan formaient une région, de même que l'Alberta et la Colombie-Britannique. Maintenant, les quatre provinces sont regroupées. Disons que la situation est encore pire que celle que vous venez de mentionner. Et vous avez raison lorsque vous dites que les reportages restent dans l'Ouest canadien.

Vous avez mentionné que, dans sa décision, la juge Russell ne vous a pas nécessairement dit qu'on devait construire une école. Il n'en demeure pas moins qu'elle a mentionné que la province devait aider le Conseil scolaire francophone dans ses négociations pour acquérir le site. Selon vous, quel serait un délai raisonnable pour qu'on puisse régler cette situation? Est-ce que vous avez de la patience ou non?

M. Pagé : C'est une bonne question, sénatrice Gagné. Il y a une enfreinte qui a été déclarée par la Cour suprême du Canada et appuyée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le délai ne peut pas être trop long. Souvenez- vous qu'en 2011 le ministre de l'Éducation a promis une enveloppe budgétaire pour la construction d'une école. Dans ce cas, on ne parle pas de terrain.

Ce montant est disponible. Certains suggéreraient un délai de trois mois, mais moi, je vous dirais que si dans un délai de six mois le CSF n'arrive pas à annoncer la construction d'au moins une école, il faudra retourner voir la juge Russell et lui dire que ça ne débouche pas. On expliquerait à la juge ce qui se passe et pourquoi il n'y a pas d'entente, parce qu'elle est toujours saisie du dossier. On aurait aimé qu'elle nous accorde des délais et qu'elle dise au ministre et au CSF : « Dans le dossier Rose-des-vents, vous avez six mois pour me trouver un site. Revenez me voir dans six mois pour m'annoncer ce que vous avez trouvé. » On retourne dans six mois, on a trouvé un site. Sa prochaine ordonnance serait la suivante : « Vous avez six mois pour trouver des architectes et pour construire l'école, revenez me voir dans six mois. »

Elle ne l'a pas fait, elle n'était pas obligée de le faire, mais il est certain que si ça ne débouche pas pour Rose-des- vents, il faudra retourner la voir pour lui demander certaines ordonnances spécifiques sur la construction de l'école.

La présidente : Est-ce que la ville de Vancouver est au courant de l'intérêt de la collectivité francophone en ce qui concerne l'acquisition des terrains?

M. Pagé : La ville est au courant, mais ce n'est pas une priorité pour la ville, malheureusement. Je vous ai dit tantôt qu'on avait, en 2011, accordé une enveloppe pour la construction d'une école, parce que la ville allait accorder un terrain au CSF tout près du village olympique. Malheureusement, la ville exigeait que le site soit partagé entre une école anglophone et une école francophone. Il y a eu des débats entre les conseils scolaires. On a changé de terrain et ils nous ont accordé un terrain à côté d'un des ponts. Cependant, on a appris que pour des raisons de problèmes sismiques, si jamais il y avait un tremblement de terre à Vancouver, le pont s'effondrerait sur l'école. On ne voulait pas cela non plus, donc le projet dans cette région, près du village olympique, est tombé à l'eau.

Nous sommes toujours à la recherche d'un terrain. Il est certain que la ville possède des terrains, mais si le ministre oblige la ville à vendre un terrain, vous pouvez vous imaginer les discussions qui auraient lieu. La province aussi est propriétaire de terrains à Vancouver, donc ce serait peut-être beaucoup plus facile si c'était la province qui nous accordait un terrain.

Le sénateur Maltais : J'ai un commentaire très court. Je vous dis, monsieur Pagé et madame la présidente, de ne pas lâcher. Des gens de ce côté-ci des Rocheuses sont avec vous. Dites à vos enseignants et à vos enfants qu'on ne les lâchera pas. On est en 2016. Quand on me dit qu'il y avait seulement neuf toilettes pour environ 300 enfants et enseignants à Rose-des-vents, je suis tombé par terre. Il y a plus de toilettes que cela dans les refuges pour les itinérants. C'est inacceptable. Je ne sais pas ce que l'on fera, mais on va brasser la boîte et on ne vous abandonnera pas. Merci, et bonne chance.

Le sénateur McIntyre : Je comprends que vous avez jusqu'à la fin du mois d'octobre pour porter la décision de la juge Russell en appel. Faites attention à la date de prescription, c'est très important. La publicité, la médiation, c'est important, mais faites attention à la date de prescription, et bonne chance!

La présidente : Vous avez, je l'espère, ressenti l'intérêt et surtout l'engagement du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Nous sommes là pour vous écouter. Nous sommes allés en Colombie-Britannique pour vous entendre, pour visiter les locaux, pour parler aux étudiants, aux parents et aux enseignants. Nous en ressortons enrichis, mais aussi très troublés par ce que nous avons entendu. Comme l'a si bien dit le sénateur Maltais, continuez. Merci de votre engagement, de votre persévérance et de votre dévouement, non seulement pour l'école Rose-des-vents, mais également, bien sûr, pour l'ensemble de la francophonie canadienne en situation minoritaire.

M. Pagé : Merci à vous.

La présidente : Au revoir et merci.

(La séance est levée.)

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