Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 8 - Témoignages du 28 novembre 2016
OTTAWA, le lundi 28 novembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi.
La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je m'appelle Claudette Tardif, je suis sénatrice de l'Alberta et présidente de ce comité.
Avant de commencer, j'aimerais souhaiter la bienvenue au nouveau sénateur Cormier, du Nouveau-Brunswick, qui assiste au présent comité pour la première fois, et à la nouvelle sénatrice Bovey, qui était présente la semaine dernière.
Je demanderais donc aux sénateurs de se présenter en commençant par la vice-présidente du comité.
La sénatrice Poirier : Bonsoir, Rose-May Poirier, sénatrice de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Cormier : Bonjour, René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, sénateur du Québec.
La sénatrice Fraser : Joan Fraser, sénatrice du Québec.
La sénatrice Gagné : Bonsoir, Raymonde Gagné, sénatrice du Manitoba.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, sénateur du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Sénatrice Bovey, du Manitoba.
[Français]
La présidente : C'est avec plaisir que nous accueillons ce soir des interprètes de l'Association internationale des interprètes de conférence — Région Canada. Il s'agit d'une association mondiale d'interprètes de conférence fondée en 1953, qui regroupe plus de 3 000 interprètes dans 89 pays. Au Canada, l'association compte 200 interprètes de conférence, dont environ 125 exercent leur profession d'interprète simultané à Montréal, à Ottawa et à Toronto.
Nous accueillons, Mme Nicole Gagnon, responsable canadienne pour la défense des intérêts, et M. Jim Thompson, conseiller en communications, AIIC (Canada). Au nom des membres du comité, je vous remercie de votre présence. Madame Gagnon et monsieur Thompson, je vous demanderais de nous présenter votre témoignage et, par la suite, les sénateurs vous poseront des questions.
Nicole Gagnon, responsable canadienne pour la défense des intérêts, Association internationale des interprètes de conférence - Région Canada : Madame la présidente, honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de bien vouloir nous accueillir en cette fin d'après-midi. Permettez-moi également de remercier mes collègues qui œuvrent dans l'anonymat de la cabine.
J'aimerais d'abord dire quelques mots sur la région Canada de l'Association internationale des interprètes de conférence. Fondée en 1953, AIIC-Canada compte environ 3 000 membres qui résident dans 89 pays et qui font partie de 24 régions de l'AIIC. Notre association professionnelle a pour raison d'être de promouvoir la qualité et la déontologie de la profession, d'encourager la formation et la recherche, et de veiller à des conditions de travail garantes de la qualité de la prestation.
Unique en son genre, AIIC-Canada compte 125 membres dont la plupart sont des pigistes, bien que certains d'entre eux soient à l'emploi d'institutions telles que le Bureau de la traduction. La nette majorité des pigistes membres d'AIIC-Canada sont accrédités par le Bureau de la traduction et, à ce titre, travaillent pour le Service d'interprétation des conférences et le Service d'interprétation parlementaire. Les pigistes fournissent 70 p. 100 des services d'interprétation aux conférences et environ 30 p. 100 des services d'interprétation parlementaire. Cette petite communauté est d'une importance capitale pour les Canadiennes et les Canadiens qui veulent un accès de qualité égale aux délibérations des institutions fédérales dans la langue officielle de leur choix.
Je suis moi-même interprète de conférence. Vous aurez peut-être reconnu ma voix. Cela étant, je vous avoue que je suis plus à l'aise en cabine que dans le fauteuil des témoins.
Bref, commençons par la Loi sur les langues officielles. Comme on peut le lire à l'article 2, l'objet de la loi est le suivant :
a) d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l'égalité des droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et les travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l'administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions.
Lorsque vous voulez communiquer avec le public canadien dans l'autre langue officielle, vous passez par le truchement des interprètes. Nous sommes peu nombreux, mais notre travail est très important dans la mesure où nous contribuons concrètement à répondre aux aspirations de la loi. Nous sommes des professionnels hautement qualifiés. Nous nous employons à reprendre vos propos, certes, mais aussi votre formulation et même votre langage corporel, car nous ne sommes pas satisfaits avant d'avoir exprimé toutes les nuances de votre discours dans l'autre langue officielle.
[Traduction]
Nous qui sommes qualifiés pour faire ce travail avons réussi l'examen rigoureux du gouvernement du Canada grâce auquel nous obtenons une accréditation qui fait l'envie du monde entier. Il n'y a pas mieux comme examen, ce qui est tout à fait normal si on pense à la nature même du travail qui est le nôtre. Cependant, cette garantie de qualité s'est fragilisée avec le temps.
Comme vous le savez sans doute, le gouvernement du Canada a renoncé à son examen d'accréditation en traduction écrite lorsque le Bureau de la traduction est devenu un organisme de service spécial en 1995 avec un mandat de recouvrement des coûts. Par souci d'économie, les traducteurs pigistes qui travaillent pour le Bureau de la traduction n'ont plus à faire la preuve de cette accréditation du gouvernement du Canada.
Au même moment ou presque, les ministères et organismes fédéraux ont reçu le feu vert pour négocier des contrats de services d'interprétation et de traduction avec des fournisseurs autres que le Bureau de la traduction avec pour résultat qu'ils recrutent des interprètes non accrédités et, il va de soi, non qualifiés aux yeux du Bureau de la traduction.
[Français]
Lorsque le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a mené sa récente étude sur le Bureau de la traduction, les députés membres du comité ont entendu plus d'un témoin expert faire valoir que le passage au mandat de recouvrement des coûts avait déclenché un nivellement des prix par le bas, reléguant à l'arrière-plan l'importance de la qualité des services de traduction et d'interprétation.
La réduction des coûts par opposition à l'assurance de la qualité continue d'être la pierre d'achoppement du gouvernement qui a pour ambition et obligation d'offrir au peuple canadien des services de qualité égale dans les deux langues officielles du pays. La situation ne peut que s'exacerber, surtout si on va de l'avant avec le nouveau système d'approvisionnement pour les services d'interprétation.
Nous croyons que l'objectif ultime de ce système est de privatiser le Bureau de la traduction dans le but de réduire les coûts, une démarche qui vient tout juste d'être écartée par la seule autre juridiction officiellement bilingue du pays par crainte qu'elle ne mine indûment la qualité. Nous espérons qu'à Ottawa, les instances responsables du nouveau système d'approvisionnement en services d'interprétation entendront le message haut et fort. En effet, après de nombreux reports, la date de clôture de l'appel à propositions est fixée au 23 janvier 2017. Nous sommes à huit semaines d'adopter un nouveau système qu'il y a lieu de repenser sur toute la ligne.
[Traduction]
Les défauts structurels du système d'approvisionnement proposé entraveront plus qu'ils n'aideront le gouvernement dans la poursuite de ses ambitions en matière de langues officielles. Ainsi, par exemple, le nouveau système établira une structure à deux niveaux, et seule une poignée de conférences et d'activités fédérales seront dorénavant dotées des interprètes les mieux à même de s'acquitter de la tâche. Quant aux autres conférences — environ 95 p. 100 du volume global — le travail sera effectué par des interprètes qui ne possèdent pas nécessairement les compétences, l'expérience ou les connaissances voulues. Ils travailleront à ces activités dites « génériques » parce qu'ils auront été les plus bas soumissionnaires. C'est à croire que le maître d'œuvre de ce nouveau système estime que certaines conférences sont plus égales que d'autres lorsqu'il s'agit des obligations du gouvernement fédéral en matière de langues officielles et notamment d'assurer un service de qualité égal.
[Français]
À la lumière des changements survenus au Bureau de la traduction, ce processus défaillant pourrait se détériorer au point où l'on verra soudainement des interprètes non accrédités affectés aux séances des institutions fédérales qui relèvent de la catégorie dite « générique ». Si le nouveau système privilégie la notion du plus bas soumissionnaire à celle du meilleur rapport qualité-prix, nous vous soumettons que l'affectation juste-à-temps des interprètes de conférence coûtera plus cher au Trésor, notamment la rubrique des frais de déplacement.
Le gouvernement a déclaré que les langues officielles lui tiennent à cœur et qu'il va de soi que les Canadiennes et les Canadiens veulent le juger sur la qualité de ses communications en français et en anglais. Nous croyons à la sincérité de ces engagements et de ces aspirations, mais en l'absence d'une refonte majeure, il ne fait aucun doute que ce nouveau système viendra brimer le droit fondamental de l'égalité d'accès du peuple canadien aux délibérations des institutions fédérales sans égard à la langue officielle.
Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre attention et je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions.
La sénatrice Poirier : Je vous souhaite la bienvenue au comité et je vous remercie de nous avoir fait parvenir votre présentation à l'avance. Cela nous permet de prendre connaissance de vos préoccupations un peu à l'avance.
Selon ce que j'ai pu comprendre, vous êtes préoccupés par la privatisation du système ou par un système d'allocation des services, et du risque que la qualité de la traduction et de l'interprétation en soit grandement affectée.
Selon vous, que devrait faire le gouvernement pour assurer le maintien d'un haut niveau de qualité dans ce domaine?
Mme Gagnon : Nous croyons que le gouvernement a déjà ce qu'il faut pour offrir un service de qualité, puisqu'il a le système d'accréditation des interprètes qui n'a pas son égal ailleurs au pays. Donc, il suffit de préserver ce qui est déjà en place au lieu de chercher à privatiser les services et, surtout, de sacrifier l'examen d'accréditation.
La sénatrice Poirier : Pouvez-vous m'expliquer la différence entre un interprète accrédité et celui ce qui ne l'est pas?
Mme Gagnon : Un interprète accrédité est un interprète qui a réussi l'examen d'accréditation du gouvernement fédéral, et un interprète non accrédité ne l'a pas réussi.
La sénatrice Poirier : Y a-t-il un code ou un standard qui ferait en sorte que tout interprète offre un minimum de qualité d'interprétation, assez élevé?
Mme Gagnon : Je ne suis pas certaine d'avoir bien compris votre question, je m'en excuse.
La sénatrice Poirier : Y a-t-il un standard selon lequel toute personne qui fait de l'interprétation offre un minimum de qualité?
Mme Gagnon : Certainement, le minimum est l'examen d'accréditation où les interprètes sont reconnus compétents pour travailler pour le gouvernement du Canada et, plus précisément, pour le Bureau de la traduction. Cependant, je vous soumets que c'est comme pour toute autre profession; certains ont plus d'expérience et plus d'affinités pour certains domaines par opposition à d'autres.
Nous avons tous, si vous permettez l'analogie, des médecins. Tous les médecins sont qualifiés et ils ont tous été reçus par l'Ordre des médecins, mais ils ne sont pas tous compétents au même titre en raison de leur expérience, de leur spécialisation et de leurs intérêts.
La sénatrice Poirier : J'ai lu avec intérêt l'article de l'Acadie nouvelle au Nouveau-Brunswick. Comme vous, j'espère que le gouvernement suivra les pas du Nouveau-Brunswick en évitant la privatisation des activités du Bureau de la traduction. Il serait décevant que le gouvernement aille dans cette direction, car cela risque de diminuer la qualité de la traduction.
Avez-vous eu la chance de faire part de vos préoccupations à la ministre?
Mme Gagnon : Vous voulez dire la ministre Foote?
La sénatrice Poirier : Oui
Mme Gagnon : Oui, certainement.
La sénatrice Poirier : Et à la ministre Joly, ministre responsable des langues officielles?
Mme Gagnon : Nous avons rencontré les secrétaires parlementaires, Mme Leona Alleslev, dans le cas de la ministre Foote, et M. Randy Boissonnault, dans le cas de la ministre Joly.
La sénatrice Poirier : Quelle a été leur réaction?
[Traduction]
Jim Thompson, conseiller en communications, Association internationale des interprètes de conférences — Région Canada : Sans vous révéler quelque secret que ce soit, je crois pouvoir dire qu'ils ont eux-mêmes certaines inquiétudes. Où est-ce que tout cela va nous mener? Nous ne le saurons peut-être pas avant le 23 janvier, date de clôture de cette demande d'offres à commandes. Il se peut qu'il y ait certains changements d'ici là. Nous ne le savons tout simplement pas.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie, monsieur Thompson, d'être présent et de bien vouloir répondre à nos questions.
En faisant la lecture des documents et en écoutant votre présentation, je note qu'au printemps 2016, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a mené une étude sur les activités du Bureau de la traduction durant laquelle il a entendu des témoignages.
Je comprends que des représentants de votre association n'ont pas comparu devant ce comité, mais qu'ils ont plutôt choisi, durant l'été 2016, de rencontrer certains des membres pour discuter du suivi à apporter aux recommandations de l'association.
Pourquoi votre association ne s'est-elle pas présentée devant le comité?
Mme Gagnon : Nous n'avons pas demandé à comparaître devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes tout simplement parce que le comité avait été saisi d'une étude du Bureau de la traduction, mais du point de vue de l'outil Portage, qui est un outil de traduction. Or, notre compréhension des audiences, c'est qu'elles porteraient sur les services de traduction écrite et non pas sur les services d'interprétation de conférence.
Lorsque le comité a publié son rapport en y formulant huit recommandations, nous avons compris que la portée était beaucoup plus grande que simplement celle de la traduction, et c'est à ce moment-là que nous avons demandé à rencontrer les membres du comité et à être entendus par le comité permanent. Nous n'avons pas encore été entendus, mais nous avons bon espoir que cela se fera, si ce n'est pas avant les Fêtes, au début du Nouvel An.
Le sénateur McIntyre : Comme vous l'avez mentionné, le comité a déposé son rapport à la Chambre des communes. Le rapport contenait huit recommandations, y compris — et c'est important — l'attribution des ressources financières appropriées au Bureau de la traduction. Maintenant, en octobre 2016, le gouvernement fédéral a répondu à ce rapport et a souscrit aux recommandations du comité, mais il ne s'est pas engagé à attribuer davantage de ressources au Bureau de la traduction. Ensuite, pour mêler les choses, en septembre 2016, Services publics et Approvisionnement Canada a annoncé la mise en œuvre d'un nouveau système d'approvisionnement visant l'embauche automatisée. Je comprends que l'entrée en vigueur du nouveau système était prévue pour le mois de septembre, mais que, ensuite, la date a été reportée au mois d'octobre et que, finalement, un délai supplémentaire a été accordé jusqu'au 31 janvier 2017.
Naturellement, votre association s'est dite déçue, parce que le gouvernement n'a pas pris d'engagements quant au financement du Bureau de la traduction et quant à l'examen de son statut à titre d'organisme de service spécial. Pour compliquer les choses davantage, une firme de consultants a reçu le mandat d'examiner l'industrie langagière dans le but d'établir de nouvelles stratégies.
Quelles sont vos recommandations pour la suite des choses?
Mme Gagnon : Le comité permanent a déposé son rapport le 15 juin, et l'appel aux propositions a été fait à la fin juin avec une date de clôture du 2 août. Depuis lors, cette date a été reportée, comme vous l'avez fait valoir, en septembre, en octobre et, maintenant, au 23 janvier prochain.
Nous avons trois recommandations. Le système a de graves failles. Pour cette raison, notre première recommandation serait d'abandonner ce système, de garder le système existant du service des conférences et du service parlementaire et de protéger l'accréditation. Ce serait notre première recommandation, tout simplement parce que, jusque-là, nous avons assuré d'excellents services au Bureau de la traduction, comme en témoigne d'ailleurs la réputation internationale des interprètes qui sont très prisés par d'autres organismes tels l'OTAN et les Nations Unies, qui piétinent dans nos plates-bandes pour embaucher nos collègues.
La deuxième recommandation, la plus importante à mon sens, c'est qu'il ne faut pas s'abandonner au principe du plus bas soumissionnaire. Nous comprenons que le gouvernement veuille gérer de façon responsable les deniers des contribuables, mais le fait est que le plus bas soumissionnaire n'est pas l'équivalent du meilleur rapport qualité-prix. Donc, c'est ce que nous vous encourageons à faire. Enfin, ce que nous vous exhortons à faire, c'est de tenir compte du principe du meilleur rapport qualité-prix.
Troisièmement, il y a la notion de la meilleure adéquation, qui est tout aussi importante. Par là, j'entends la notion du « best fit », soit que le meilleur interprète soit affecté à la tâche à abattre le jour en question, étant donné nos différentes compétences et nos différentes spécialisations.
[Traduction]
M. Thompson : Peut-être puis-je ajouter quelque chose. Bon nombre des actions que vous venez de décrire, sénateur, se sont déroulées en coulisse. Votre comité a donc un rôle très important à jouer pour mettre en lumière ce qui arrive vraiment tout en situant le débat dans une perspective politique. Dans ce contexte, nous sommes très heureux de pouvoir être des vôtres ce soir.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Seriez-vous d'accord pour dire que, même si le gouvernement fédéral a souscrit à toutes les recommandations à l'exception du financement du Bureau de la traduction, le problème demeure un manque d'engagement de la part du gouvernement fédéral en ce qui concerne les ressources financières nécessaires pour venir en aide au Bureau de la traduction?
Mme Gagnon : Le gouvernement n'a pas souscrit à toutes les recommandations. L'une des trois recommandations les plus importantes visait à définir de quel ministère devrait relever le Bureau de la traduction. Nous vous soumettons qu'il devrait relever de Patrimoine canadien, qui est responsable de l'application et de la coordination des langues officielles.
Le gouvernement n'a pas retenu cette recommandation. Il n'a pas retenu non plus la recommandation no 4 portant sur les ressources financières nécessaires au Bureau de la traduction pour offrir un service de qualité. Il n'a pas non plus retenu la recommandation no 8 qui consistait à revoir le statut d'agent de recouvrement des frais par opposition à ce qu'il était autrefois, un secrétariat d'État doté d'un plein budget pour s'acquitter de sa tâche.
Le sénateur McIntyre : J'aimerais faire la remarque suivante. Le gouvernement a appuyé la mise sur pied de la mesure qui visait la relève, mais il l'a fait timidement.
Mme Gagnon : En effet.
La sénatrice Gagné : Merci de votre présentation. Ma question fait suite à celle du sénateur McIntyre concernant les ressources financières.
On sait que, à l'heure actuelle, l'offre à commande est lancée et que 200 interprètes sont accrédités par le gouvernement fédéral. La date butoir est fixée au 23 janvier. C'est exact?
Mme Gagnon : C'est exact.
La sénatrice Gagné : Savez-vous combien d'interprètes ont déjà répondu à la demande?
Mme Gagnon : Nous ne savons pas combien d'interprètes l'on fait, parce qu'il y a beaucoup de confusion entourant cette offre à commande. Comme l'a fait valoir le sénateur McIntyre, à juste titre, c'est devenu très compliqué.
Le fait est que bon nombre de collègues ne savent pas comment y répondre, ou encore, ils risquent d'attendre que ce soit fait une première fois pour qu'on règle les pépins, avant de présenter une soumission la prochaine fois.
Honnêtement à ce stade-ci, je ne saurais pas vous dire combien de nos collègues auraient répondu à l'appel.
[Traduction]
M. Thompson : Il faut également considérer que la demande a été publiée le 20 juin, comme Nicole le mentionnait, avec une date d'échéance fixée à la mi-août. C'est ce qui était prévu au départ. La demande d'offres à commandes a été modifiée à 13 reprises depuis le 20 juin. Le document présenté à l'origine comptait 66 pages. Vous pouvez maintenant consulter en ligne les réponses à plus de 300 questions d'interprètes qui essaient de comprendre comment ils doivent s'y prendre pour poser leur candidature. Je pense donc que Nicole avait tout à fait raison de parler d'un élément dissuasif.
[Français]
La sénatrice Gagné : J'ai une question complémentaire qui concerne les économies. Si on se lance dans cette voie, êtes-vous d'accord pour dire que le Bureau de la traduction espère réaliser des économies avec le système d'appel d'offres? Avez-vous une idée des économies que le Bureau de la traduction pourrait faire avec ce nouveau système d'approvisionnement?
Mme Gagnon : Nous croyons que le système coûtera plus cher tel qu'il a été conçu, parce que c'est la notion du service juste-à-temps qui entre en jeu. Je peux vous en donner un exemple.
Quand M. Pittman nous a fait parvenir la trousse d'information à l'intention des témoins, dans ces documents, il y a un paragraphe qui traite des frais de déplacement. On nous encourage, bien sûr, à voyager par les moyens les plus économiques possible. En l'occurrence, il n'y a pas de souci, car nous sommes d'Ottawa, mais ce que j'essaie de faire valoir, c'est que si on est en déplacement et qu'on reçoit une demande à la dernière minute, étant donné que le service juste-à-temps est préconisé, il y a des cas où des interprètes seront obligés de voyager en classe affaire. Donc, il n'y aura aucune économie à faire, car cela coûtera encore plus cher aux contribuables canadiens.
Le sénateur Maltais : Dans un premier temps, je profite de l'occasion pour remercier et féliciter tous les interprètes, qu'ils travaillent au Sénat, à la Chambre des communes ou dans les comités. Ils font un excellent travail. Ce sont les travailleurs de l'ombre qui, souvent, nous saluent dans la rue, mais que nous ne reconnaissons pas. Ils font un excellent travail, non seulement de traduction, mais ils savent comment nous allons réagir. Ils savent interpréter notre pensée, non pas par la langue, mais par notre physionomie.
Il y a quelque chose que j'ai de la difficulté à comprendre. Nous vivons dans un pays bilingue. Est-ce que nous en sommes au point de monnayer nos langues officielles comme s'il s'agissait de l'achat d'un âne ou d'un vieux cheval? Nos langues officielles méritent mieux que cela. En sommes-nous au point d'engager des traducteurs à rabais? Nos langues officielles sont-elles tombées si bas qu'on veut les communiquer à nos concitoyens à rabais? En somme-nous rendus là?
Bientôt, nous serons en 2017, et je me demande pourquoi on veut monnayer notre langue. S'il y a une chose qui n'est pas monnayable, c'est bien la langue. Celle de nos parents, de nos ancêtres, celle qu'on veut transmettre à nos enfants et à nos petits-enfants n'a pas de prix. Doit-on mesurer cela avec de l'argent? Certaines choses ne se mesurent pas avec de l'argent : la santé, par exemple. Aucun coût n'est trop élevé quand il y va de la vie d'une personne. Que font les fonctionnaires de Services publics et Approvisionnement Canada? Pourquoi veulent-ils monnayer la langue comme s'il s'agissait de négocier l'achat d'un vieux cheval de course? Je ne comprends pas leur raisonnement.
Quant à moi, le service d'interprétation que l'on reçoit actuellement est tout à fait exceptionnel. Quant au service offert au sein des autres instances gouvernementales, il est très satisfaisant. Je n'ai jamais entendu Céline Galipeau dire au Téléjournal que les Canadiens avaient été mal interprétés par un interprète. Dieu sait que si vous l'aviez fait une fois, cela aurait fait l'objet d'une couverture de Radio-Canada ou de la CBC.
Que pouvons-nous faire pour vous aider? Que recommandez-vous au Comité sénatorial permanent des langues officielles pour qu'il puisse vous aider à garder cette qualité que vous offrez, afin qu'on arrête de négocier nos deux langues officielles à rabais?
Mme Gagnon : Merci, monsieur le sénateur. À cela, je répondrais que, dans un premier temps, vous avez déjà fait beaucoup dans le sens où vous étiez prêts à nous recevoir ce soir. Nous vous en remercions encore une fois.
Comme vous l'avez fait valoir à juste titre, nous sommes des travailleurs et des travailleuses dans l'ombre. C'est la première fois que nous sommes sur la place publique, et si nous sommes là, c'est parce que, à notre sens, l'heure est grave. Nous faisons notre travail de façon professionnelle et consciencieuse et au meilleur de nos aptitudes. Nous sommes là pour vous dire de faire gaffe, parce que, justement, si vous voulez privilégier le plus bas soumissionnaire, il n'est pas dit que vous aurez la qualité dont vous avez l'habitude et à laquelle tous les Canadiens et les Canadiennes ont droit quand ils traitent avec leur gouvernement.
Par ailleurs, c'est leur droit constitutionnel. Je vous soumets également que le gouvernement fédéral n'a pas le droit de déléguer cette obligation ou cette responsabilité constitutionnelle au secteur privé.
Dans un deuxième temps, nous voulons travailler avec les instances gouvernementales pour remédier au système d'approvisionnement. Nous ne sommes pas contre le système d'approvisionnement; nous sommes contre un système d'approvisionnement qui est fondé sur le plus bas soumissionnaire. Nous voulons essayer de régler les problèmes et, malheureusement, le temps nous manque pour le faire.
Le sénateur Maltais : Ce que vous me dites, et je vais faire une comparaison boiteuse, c'est que vous nous présenter les choix que nous avons. Quelqu'un a des pierres au foie. Deux médecins sont devant lui. Il y en a un qui lui demande 2 500 $ pour l'opérer. C'est un chirurgien reconnu d'un océan à l'autre du Canada et par les grandes universités internationales. Ensuite, il y a un chirurgien qui arrive d'on ne sait où, dont le diplôme est loufoque, qui demande 500 $.
C'est le choix que nous avons en tant que Canadiens et Canadiennes. La langue n'a pas de prix. Nous devons choisir la qualité avant tout. Les économies de bouts de chandelles pourraient certainement s'appliquer là où des dépenses sont parfois un peu plantureuses.
[Traduction]
La sénatrice Fraser : Pour que les choses soient bien claires, Portage est un outil informatisé de traduction écrite, alors que vous faites plutôt de l'interprétation simultanée pendant que nous, nous parlons. J'ai toujours pensé que c'est l'un des travail les plus difficiles que l'on puisse imaginer. Je vous félicite, car c'est quelque chose que j'aurais bien voulu faire si j'avais cru un instant que j'en avais le talent.
Est-ce que votre association fonctionne un peu comme un syndicat? Menez-vous des négociations collectives avec le gouvernement? Avez-vous des relations contractuelles avec le gouvernement?
Mme Gagnon : Nous ne négocions pas actuellement avec le Conseil du Trésor, et celui-ci n'a jamais accepté de négocier avec nous. Je peux toutefois vous dire qu'il existe ailleurs dans le monde d'autres modèles d'approvisionnement en services d'interprétation. À titre d'exemple, les Nations Unies négocient chaque année avec notre délégation professionnelle. Il en va de même d'autres organisations internationales du même ordre. Le Canada n'a cependant pas encore adopté ce modèle.
La sénatrice Fraser : Le Canada n'exige pas des pigistes qu'il embauche qu'ils aient atteint un certain niveau de qualification professionnelle. Ils n'ont pas à réussir les mêmes examens rigoureux que vous, mais y a-t-il tout de même des normes de compétence qu'ils doivent respecter?
Mme Gagnon : Par le truchement des services d'interprétation des conférences et d'interprétation parlementaire, le gouvernement du Canada fait appel uniquement à des interprètes de conférence accrédités par le Bureau de la traduction.
Cependant, depuis la décentralisation survenue en 1995 avec la transformation du Bureau en organisme de service spécial, les ministères et organismes fédéraux n'ont plus à passer par le Bureau de la traduction. Ils peuvent embaucher directement des interprètes dans le secteur privé.
La sénatrice Fraser : Et il n'y a pas d'exigences en matière de qualifications?
Mme Gagnon : Il n'y a effectivement pas d'exigences. Ces interprètes n'ont pas à être accrédités par le gouvernement, même s'ils travaillent pour le gouvernement.
M. Thompson : Il y a deux poids deux mesures.
Mme Gagnon : Tout à fait.
La sénatrice Fraser : Je trouve particulièrement intéressant que vous ayez cité dans votre exposé un passage important de la Loi sur les langues officielles. Devons-nous en conclure que le gouvernement ne respecte pas ses obligations légales? Avez-vous des raisons de le croire?
Mme Gagnon : Nous estimons que le gouvernement parvient jusqu'à maintenant à respecter ses obligations pour ce qui est des deux Chambres du Parlement, mais nous nous inquiétons du fait que les ministères et organismes gouvernementaux sont libres de faire comme bon leur semble et d'avoir recours à des interprètes non accrédités alors même que des normes plus élevées devraient s'appliquer, car c'est du gouvernement du Canada qu'il s'agit.
La sénatrice Fraser : Y a-t-il une vérification indépendante de la qualité des services d'interprétation obtenus par ces organismes qui ne traitent pas avec le Bureau de la traduction?
Mme Gagnon : J'ai bien peur de ne pas pouvoir vous répondre à ce sujet. Je ne crois pas que ce soit le cas, mais je ne pourrais pas vous le confirmer.
Il y a une évaluation du travail des interprètes accrédités par le gouvernement du Canada. Ils sont évalués par leurs pairs, mais je ne pense pas qu'il en soit de même pour ceux embauchés directement par les ministères.
[Français]
La présidente : C'est au tour de la sénatrice Gagné.
La sénatrice Gagné : En quoi le système d'approvisionnement proposé menace-t-il l'accréditation des interprètes par le gouvernement du Canada?
Mme Gagnon : À l'heure actuelle, le système existe, et on nous s'assure que l'examen d'accréditation existera toujours une fois le nouveau système d'approvisionnement en place. Cependant, forts de l'expérience du système d'approvisionnement en traduction, nous croyons que l'examen d'accréditation en interprétation sera écarté, parce qu'il a été écarté en traduction. Il n'est plus nécessaire d'avoir une accréditation en traduction pour travailler pour le gouvernement du Canada. C'est encore le cas en interprétation, et c'est cela que nous voulons préserver à tout prix, car la qualité du service que l'on offre est en jeu.
[Traduction]
M. Thompson : J'ajouterais que le nouveau système à deux volets proposé crée deux catégories distinctes de conférences et de réunions. Il y en a d'abord un petit nombre qui seraient considérées comme hautement prioritaires. Toutes les autres — soit la vaste majorité — seraient jugées moins importantes et s'inscriraient dans la catégorie dite générique. Il s'agit là d'une porte ouverte au recours à des interprètes pas nécessairement accrédités.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Après avoir écouté votre présentation, il me semble qu'il est clair que ce qui a motivé l'étude du Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes est la mise en place d'un outil de traduction automatique connu sous le nom de l'outil Portage dans l'ensemble de la fonction publique fédérale.
Ma question est la suivante : selon vous, quels sont les facteurs qui ont motivé le gouvernement fédéral à agir de cette façon? Croyez-vous qu'il souhaite se diriger vers la privatisation?
Mme Gagnon : Je ne sais pas si le souhait est de privatiser le service; peut-être, mais je pense qu'il veut surtout rationaliser le coût des services de traduction écrite. Je vous dis d'emblée que je suis interprète de conférence, alors je ne veux pas trop m'aventurer sur le terrain de la traduction.
C'est l'engouement pour la technologie. Personne n'est contre le progrès, les aides technologiques peuvent nous être d'un précieux concours, mais elles doivent demeurer des aides. Ces aides ne doivent pas remplacer le traducteur ou l'interprète qui est la personne pensante qui fait ce travail. Il s'agit là d'essayer de trouver une solution technologique à un problème qui n'existe pas, finalement. On a aussi d'autres exemples, comme celui du système Phénix. Pour économiser de l'argent, on s'empresse d'adopter des systèmes qui peuvent certainement être très utiles, mais qui ne sont pas une panacée et qui ne peuvent certainement pas remplacer le travail que font les traducteurs et les interprètes. L'outil Portage doit aider les traducteurs à faire leur travail, mais il ne doit pas les remplacer.
[Traduction]
M. Thompson : J'aimerais ajouter une chose. Nous ne savons pas quelles sont les motivations. Nous n'avons pas vraiment moyen de le savoir. Nous sommes bien prêts à croire le gouvernement lorsqu'il affirme que les langues officielles sont extrêmement importantes à ses yeux et qu'il souhaite être jugé en fonction de la qualité de ses communications avec les Canadiens en anglais comme en français.
C'est peut-être simplement qu'il s'agit de nouvelles perspectives auxquelles le gouvernement n'a pas vraiment porté attention jusqu'à maintenant. Nous espérons donc que tout se déroulera pour le mieux.
[Français]
Le sénateur McIntyre : J'ai parlé tout à l'heure du système automatisé Portage dont l'entrée en vigueur était prévue au mois de septembre dernier. Cela a ensuite été repoussé au mois d'octobre, et on parle maintenant d'un délai supplémentaire qui a été accordé jusqu'au 31 septembre 2017.
Espérez-vous que les choses puissent changer d'ici la fin du mois de janvier 2017?
Mme Gagnon : Permettez-moi de rectifier le tir; la date de tombée est le 23 janvier 2017. Dans un premier temps, cela devait se faire au mois d'août, et la mise en œuvre a été reportée à septembre. Grâce à l'intervention de certains d'entre vous, je pense — et je vous en remercie —, elle a été reportée jusqu'à la fin octobre.
Au début, on demandait d'attendre la réponse du gouvernement au rapport du Comité sénatorial permanent des langues officielles avant d'aller de l'avant avec ce nouveau système d'approvisionnement. Une fois qu'on a eu droit à la réponse du gouvernement, on a demandé un autre report.
Pour répondre à votre question, au vu de mes aptitudes, j'espère que oui. Entre gens de bonne volonté, si on nous donne le temps voulu pour bien faire les choses, nous pouvons mettre au point un système d'approvisionnement et le faire avec les instances gouvernementales. C'est en ce sens que nous travaillons. Des rencontres ont eu lieu avec les secrétaires parlementaires et leurs effectifs. L'idée est de remédier à ce système dès que possible, mais il faut prendre le temps nécessaire pour bien faire les choses.
La présidente : J'aimerais à mon tour vous poser une question. Vous avez indiqué que ce nouveau système aurait pour effet de créer deux catégories : une catégorie générique pour 95 p. 100 du travail, et une autre catégorie pour les 5 p. 100 restants. Pouvez-vous nous dire dans quelle catégorie se retrouveraient les comités du Sénat?
Mme Gagnon : Ils se retrouveraient dans la catégorie de ce qu'on appelle à risque élevé, donc dans la catégorie des 5 p. 100.
La présidente : Merci. C'est réconfortant pour nous, mais non pas pour les autres 95 p. 100.
[Traduction]
La sénatrice Fraser : Je jetais un coup d'œil à la réponse du gouvernement au rapport du comité de la Chambre, et je trouve tout cela tellement bureaucratique. Voici ce que l'on peut notamment y lire :
... le Bureau de la traduction est bien placé au sein de Services publics et Approvisionnement Canada. Il dispose de la marge de manœuvre nécessaire pour s'adapter aux fluctuations de la demande, investir dans de nouvelles technologies, améliorer constamment son modèle d'affaires...
... et je repense ici à la déclaration passionnée du sénateur Maltais concernant l'importance de nos deux langues...
... et, au bout du compte, remplir le mandat qui lui a été confié par le gouvernement du Canada.
Le Bureau de la traduction continuera à renforcer ses partenariats, notamment avec le secteur privé et les universités, et il mettra l'accent sur certaines tâches à valeur ajoutée, comme l'assurance de la qualité et la postédition, qui sont adaptées aux nouveaux besoins des clients et aux nouvelles technologies en constante évolution.
J'espère seulement que ces nouvelles technologies vont pouvoir s'améliorer, car je suis stupéfaite à chaque fois que je tombe sur le résultat d'une de ces traductions automatiques. Bien souvent, il faut connaître l'autre langue pour arriver à comprendre, en faisant le chemin à rebours, ce qu'essaie de dire la soi-disant traduction.
Ne craignez-vous pas de voir ces « nouvelles technologies en constante évolution » jouer éventuellement un rôle dans le travail des interprètes?
Mme Gagnon : Disons que le travail de traduction simultanée, comme on l'appelle généralement, tire ses origines des procès de Nuremberg. Avant cela, on se limitait à l'interprétation consécutive ou à l'interprétation chuchotée. Nous en faisons encore, mais l'interprète moderne a bel et bien vu le jour à l'occasion de ces procès qui ont mis à l'avant-plan l'interprétation simultanée, laquelle nous a été fort utile depuis.
Comme je l'ai déjà indiqué, nous n'avons rien contre la technologie, mais elle doit être à notre service et nous devons en demeurer les maîtres.
La sénatrice Fraser : De quelle façon la technologie pourrait-elle vous être utile dans votre travail maintenant comme à l'avenir?
Mme Gagnon : Je pourrais vous donner l'exemple évident de TERMIUM, notre banque de terminologie. Sur la Colline, nous devons travailler pour une très grande variété de comités dans de nombreux domaines spécialisés. Je pense notamment aux 300 espèces de poissons dont il peut être question dans les séances du comité des Ressources naturelles. Je suis désolée, mais je ne connais pas les noms de tous ces poissons dans les deux langues officielles. Alors, si j'entends quelqu'un parler de pickerel, je n'ai qu'à consulter TERMIUM pour obtenir la traduction qui convient grâce au travail de nos terminologues professionnels. C'est un exemple bien concret.
La sénatrice Fraser : C'est quel poisson déjà le pickerel?
Mme Gagnon : C'est du doré. Si on faisait un tour de table, peut-être que chacun de nous pourrait identifier trois ou quatre espèces différentes, mais on ne peut pas demander à quelqu'un d'en connaître 300.
La sénatrice Fraser : Vous croyez qu'il faudra toujours qu'il y ait quelqu'un assis derrière un micro avec des écouteurs pour effectuer ce travail d'interprétation?
Mme Gagnon : Certainement. Il est possible que le travail finisse par prendre une autre forme, mais il faudra toujours un être humain pour comprendre les pensées d'un de ses semblables et les interpréter. C'est toujours nous qui allons créer les machines, mais il ne faut pas que nous en devenions les esclaves. Elles ne peuvent pas nous remplacer. J'en ai l'intime conviction.
La sénatrice Fraser : C'est une simple anecdote, mais je ne l'ai jamais oubliée. Je me souviens d'avoir lu quelque chose il y a plusieurs années au sujet d'un interprète des Nations Unies qui travaillait du russe vers l'anglais. À un moment donné, l'intervenant russe y est allé d'une citation bien connue de la littérature de son pays où il est question de sang et d'eau. Tout en continuant à traduire, l'interprète se démenait mentalement pour trouver un équivalent approprié et est parvenu à dénicher, dans l'inspiration du moment, une citation, tout aussi célèbre en anglais, tirée de Macbeth au sujet d'une « main qui empourprera les vagues innombrables ». Je me suis dit que ce n'était pas humain de réussir à trouver aussi rapidement des solutions semblables.
Mme Gagnon : C'est un commentaire que nous entendons souvent.
La sénatrice Fraser : Cela étant dit, je me souviens d'avoir participé il y a quelques années au travail d'un autre comité qui se penchait sur la façon de procéder pour instaurer l'interprétation en inuktitut au Sénat. On nous a notamment dit à cette occasion que, même avec la meilleure volonté du monde et les interprètes les plus compétents qui soient, la nature même de ce travail fait en sorte qu'environ 30 p. 100 du contenu sera perdu en moyenne. Croyez-vous que c'est juste?
Je tiens à dire encore une fois que j'ai énormément de respect pour le travail que vous faites, mais ces pertes ne demeurent-elles pas tout de même inévitables?
Mme Gagnon : Parlez-vous de l'inuktitut ou de l'interprétation en général?
La sénatrice Fraser : L'interprétation en général.
Mme Gagnon : Je pense qu'il est un peu exagéré de dire que les pertes seraient de 30 p. 100. Je dirais plutôt que nous parvenons à rendre entre 85 p. 100 et 90 p. 100 du contenu.
Le tout peut varier en fonction de différents facteurs. Cela peut notamment dépendre du débit de la personne, de son accent plus ou moins prononcé ou du fait qu'elle lise un texte, car nous lisons plus rapidement que nous parlons. Il arrive aussi qu'une intervention soit très chargée en contenu culturel. Je pense notamment aux activités de Toastmasters International où l'on encourage les gens à prendre la parole en public. Plusieurs se présentent avec des textes truffés de jeux de mots. Je me souviens d'une situation où l'on parlait de monkey wrenches pour faire un calembour qui devenait intraduisible. Ce n'est alors plus de traduction qu'il s'agit; il faut plutôt trouver une référence culturelle appropriée dans l'autre langue.
Vous avez raison de dire qu'il peut y avoir certaines pertes, mais un interprète compétent va toujours parvenir à bien rendre de 85 à 90 p. 100 du contenu, voire davantage. Je peux d'ailleurs vous garantir que dans certains cas, c'est rien de moins que 100 p. 100.
La sénatrice Fraser : Combien d'interprètes accrédités à ce niveau supérieur nous faudrait-il de plus? Les travaux parlementaires ne cessent de prendre de l'ampleur.
Mme Gagnon : Effectivement. Dans la mesure où le gouvernement est prêt à investir pour satisfaire à la demande, rien n'est impossible. Le gouvernement essaie actuellement de voir lesquels parmi ses traducteurs pourraient être intéressés et posséder les compétences requises. C'est le cheminement normal : d'abord traducteur, puis interprète. On peut aussi certes avoir recours à des interprètes pigistes, ce que l'on n'a pas manqué de faire par le passé. Ils peuvent recevoir une formation. Nous sommes tous formés pour faire ce travail. Je crois qu'il faut essayer de trouver le plus d'interprètes possible, car la demande est effectivement là.
Il ne faut pas oublier que le gouvernement du Canada est le plus grand employeur d'interprètes de conférence. Ce n'est pas le seul, mais c'est celui qui en emploie le plus. Lorsque le Parlement ne siège pas, il n'y a pas de travail pour ces interprètes. Il y a certaines journées où l'on ne trouvera jamais assez d'interprètes, car tous les comités veulent se réunir en même temps. Il est ensuite possible qu'il n'y ait plus de travail pendant une période de six semaines. Comme il faut bien gagner sa vie, certains vont aller voir ailleurs.
Nous avons célébré il y a quelques années le 50e anniversaire du Bureau de la traduction, et nous avons toujours réussi à satisfaire à la demande dans les deux langues officielles.
La sénatrice Fraser : Où est-ce que cette formation est dispensée?
Mme Gagnon : À l'heure actuelle, les interprètes sont formés à l'Université d'Ottawa au niveau de la maîtrise. Le Collège Glendon offre aussi maintenant une formation en interprétation. En outre, comme je l'ai mentionné, le gouvernement du Canada se tourne vers ses propres traducteurs de niveau TR-2 qui démontrent de l'intérêt et ont du potentiel. Ils passent un examen qui permet de déterminer s'ils sont capables de faire le travail et, le cas échéant, ils sont également formés à l'interne.
La sénatrice Fraser : Puis-je proposer que nous invitions la ministre des Services publics pour qu'elle nous en dise plus long à ce sujet?
[Français]
La présidente : C'est une très bonne suggestion.
Deux autres sénateurs aimeraient poser des questions. La sénatrice Poirier d'abord, suivie du sénateur Maltais.
[Traduction]
La sénatrice Poirier : Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, un article publié aujourd'hui dans l'Acadie Nouvelle indique que la province du Nouveau-Brunswick a envisagé différents scénarios en matière de traduction. En s'appuyant sur l'analyse de l'information recueillie, la province estime maintenant qu'il serait moins coûteux et plus efficient de conserver le système en place, plutôt que de privatiser les activités, si j'ai bien compris.
Nous nous sommes interrogés sur les facteurs qui pouvaient motiver une telle décision. Nous ne pouvons pas en être totalement certains, mais il a été question de « coûts », ce qui est certes un élément de motivation.
Pouvons-nous tirer des enseignements de l'exercice de réflexion mené au Nouveau-Brunswick pour en arriver à cette décision? Peut-être pourrions-nous obtenir les informations pertinentes, ce qui pourrait nous guider dans la formulation de nos recommandations. Je ne sais pas si cela peut se faire par votre entremise ou si c'est notre comité qui doit s'en charger, mais il nous serait certes utile dans le cadre de la présente étude d'en apprendre davantage sur les facteurs qui ont étayé cette décision.
C'est une simple observation que je tenais à faire.
[Français]
Le sénateur Maltais : J'aimerais revenir à la première question de la sénatrice Fraser. Il y a les traducteurs, il y a les interprètes, et il ne faut pas les confondre. Souvent, lorsqu'on préside un comité, on doit demander aux témoins de ralentir leur débit, parce qu'ils parlent trop vite et l'interprète n'est pas en mesure de suivre. Après tout, ce n'est pas une machine.
En parlant de machine, pensez-vous que le système Phénix pourrait traduire du français à l'anglais le verbe « orner » au plus-que-parfait du subjonctif? C'est pour dire que les machines ne remplacent pas le cœur et l'âme humaine.
J'ai un dernier conseil à vous donner. Il faut publiciser ce que vous faites et ce que le gouvernement est en train de faire avec vous, pour des raisons qu'il devra expliquer. Faites une conférence de presse. Expliquez votre travail aux journalistes et dites-leur que vous n'avez jamais reçu de plainte, du moins à ma connaissance. Faites connaître cela aux Canadiens. Je crois que l'on vous tient pour acquis, qu'on s'en balance et que l'on croit que vous pouvez être remplacés par des machines.
Vous avez dit quelque chose de fort important : il s'agit de gens qui ont des maîtrises. Nous devons les traiter comme tel et non pas comme de la petite bière. Pour que les Canadiens puissent connaître votre travail, c'est vous qui êtes les mieux placés pour le leur expliquer. Vous devez demander les raisons. Est-ce vraiment pour des raisons économiques? Si c'est le cas, on fera une quête supplémentaire le dimanche. Les langues ne sont pas monnayables, retenez-le.
La présidente : Au nom du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je tiens à vous remercier très sincèrement de votre présence ce soir. Vous avez fait la lumière sur un enjeu très important pour nous tous, celui de maintenir la qualité de nos interprètes de conférence.
Vous avez une excellente réputation à l'échelle nationale et internationale. Nous tenons à ce que les Canadiens puissent recevoir des services de qualité et à ce qu'ils puissent jouir du plein respect de la Loi sur les langues officielles. Vous avez senti notre appui, et je vous remercie d'avoir témoigné.
Mme Gagnon : Merci à vous, madame la présidente.
(La séance est levée.)