Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 11 - Témoignages du 3 avril 2017
OTTAWA, le lundi 3 avril 2017
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 h 1, en séance publique, pour poursuivre son étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi, et à huis clos, afin d'étudier un projet d'ordre du jour.
Le sénateur Paul E. McIntyre (président suppléant) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président suppléant : Bonsoir. Je m'appelle Paul McIntyre. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je suis heureux de présider la réunion de ce soir.
Avant de céder la parole aux témoins, j'aimerais inviter les membres du comité à se présenter, en commençant par la droite.
La sénatrice Bovey : Je suis Patricia Bovey, du Manitoba.
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec. Je remplace le sénateur Maltais, ce soir.
La sénatrice Moncion : Sénatrice Moncion, de l'Ontario.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le président suppléant : Le comité poursuit son étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et directives en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi. Ce soir, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Ghislaine Saikaley, commissaire aux langues officielles intérimaire, Mme Pascale Giguère, avocate générale et directrice, Mme Mary Donaghy, commissaire adjointe, Direction générale des politiques et des communications, et M. Jean Marleau, commissaire adjoint intérimaire, Direction générale de l'assurance de la conformité. Je crois que vous êtes ici pour nous parler de deux rapports qui ont été publiés par le commissariat, soit un examen des langues officielles en ce qui a trait au Service administratif des tribunaux judiciaires ainsi qu'un examen des langues officielles en ce qui concerne Air Canada.
Au nom des membres du comité, je vous remercie de votre présence. Vous avez une déclaration préliminaire à faire, alors allez-y, madame Saikaley.
[Traduction]
Ghislaine Saikaley, commissaire aux langues officielles intérimaire, Commissariat aux langues officielles : Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, bonsoir.
J'aimerais tout d'abord vous remercier de m'avoir invitée à comparaître devant vous en ma qualité de commissaire aux langues officielles par intérim. Je tiens à souligner que mon équipe et moi-même sommes toujours disponibles pour répondre aux questions des parlementaires, même en cette période de transition.
Si vous le permettez, j'aimerais d'abord aborder brièvement le différend auquel nous faisons face avec le Service administratif des tribunaux judiciaires. Puis, je terminerai avec les modifications législatives que nous proposons concernant Air Canada.
[Français]
Dans les deux cas, le commissariat a pris la mesure exceptionnelle de s'adresser directement au Parlement afin de résoudre une impasse qui perdure, après avoir épuisé les autres moyens prévus par la Loi sur les langues officielles.
L'automne dernier, le commissaire Graham Fraser a déposé son rapport au Parlement sur l'enquête visant le Service administratif des tribunaux judiciaires, le SATJ. Ce rapport faisait suite au rapport présenté au gouverneur en conseil du 7 avril 2016. Le cœur du conflit concerne l'affichage des jugements sur le site web des cours fédérales, lequel, souvent, n'apparaît pas simultanément dans les deux langues officielles. En fait, de nombreux mois peuvent s'écouler avant que la version dans l'autre langue officielle soit affichée.
[Traduction]
Nous avons lancé l'enquête sur cette situation en 2007. Des plaintes continuent d'être déposées dix ans plus tard. L'institution estime qu'il faut appliquer à la publication des décisions sur le site web la partie III de la Loi sur les langues officielles, qui concerne l'administration de la justice, alors que nous sommes d'avis que c'est plutôt la partie IV, qui prévoit les obligations linguistiques des institutions fédérales en matière de communications avec le public, qui s'applique.
Les nombreuses discussions avec l'institution n'ont pas permis de régler le différend.
[Français]
Notre rapport final d'enquête de 2015 concluait que le SATJ faisait toujours infraction à la Loi sur les langues officielles. L'institution n'a pas donné suite à notre recommandation de prendre les mesures qui lui permettraient de publier les jugements simultanément dans les deux langues officielles. Il nous faut donc une clarification législative à ce sujet. J'espère que le Comité sénatorial permanent des langues officielles pourra recommander au gouvernement d'élaborer un projet de loi visant à préciser les obligations linguistiques des cours fédérales à cet égard.
Je voudrais maintenant passer au dossier d'Air Canada.
[Traduction]
Comme vous le savez, le 7 juin 2016, le commissaire Graham Fraser a déposé un rapport spécial au Sénat et à la Chambre des communes intitulé En route vers une conformité accrue d'Air Canada grâce à un régime d'exécution efficace.
Le rapport décrit les moyens qu'ont pris les commissaires aux langues officielles qui se sont succédé pour assurer qu'Air Canada applique pleinement les obligations linguistiques prévues par la Loi sur les langues officielles. Il contient également des options permettant au Parlement de moderniser le régime d'exécution applicable à Air Canada pour combler certains vides juridiques qui perdurent depuis la restructuration d'Air Canada en 2003-2004.
[Français]
Finalement, le rapport contient une recommandation adressée au Parlement visant à ce que le rapport soit confié pour étude à l'un des deux comités permanents des langues officielles.
Air Canada est assujettie depuis près de 50 ans à l'ensemble de la Loi sur les langues officielles, d'abord à titre de société d'État, en vertu de la première Loi sur les langues officielles, puis en vertu de l'article 10 de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada, dès sa privatisation en 1988.
Depuis sa privatisation, Air Canada a subi de nombreuses transformations sur les plans financier et commercial. Néanmoins, en tant que transporteur aérien national bâti à même les revenus de l'État, Air Canada se doit de refléter le caractère bilingue du pays et de continuer à respecter ses obligations en matière de langues officielles.
[Traduction]
Parmi les institutions assujetties à la Loi sur les langues officielles, Air Canada a toujours été — et demeure — l'une de celles qui font l'objet du plus grand nombre de plaintes annuellement traitées par le Commissariat aux langues officielles.
En matière de services au public, plusieurs de nos enquêtes ont démontré et continuent de démontrer que les services en vol et au sol ne sont toujours pas de qualité égale dans les deux langues officielles à tous les points de service et pour tous les trajets désignés bilingues. Certaines de ces infractions concernent des trajets où offrir un service bilingue semble l'évidence même, comme Montréal-Bathurst ou Toronto-Québec.
[Français]
Après des centaines d'enquêtes et de recommandations, après une vérification exhaustive et après deux recours, dont l'un s'est rendu jusqu'à la Cour suprême du Canada, il revient au Parlement d'apporter les changements législatifs nécessaires.
Le rapport aborde également le fait que d'autres modifications législatives sont nécessaires. De 2005 à 2011, quatre projets de loi successifs ont tenté de résoudre les problèmes d'application engendrés par la restructuration d'Air Canada en 2003 et 2004. Malheureusement, tous sont morts au Feuilleton.
[Traduction]
Par conséquent, le rapport propose de modifier la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada afin de maintenir les droits linguistiques du public voyageur et des employés d'Air Canada dans la structure actuelle de la société. Il propose aussi quatre options d'amendements à la Loi sur la participation au capital public d'Air Canada ayant pour objectif de moderniser le régime d'exécution applicable à Air Canada.
D'abord, donner au Commissariat la possibilité d'établir des ententes exécutoires avec Air Canada. Le commissaire à la protection de la vie privée possède déjà un tel pouvoir. Ce mécanisme n'est pas en soi suffisant, mais appuierait d'autres mesures.
[Français]
Ensuite, il serait possible de donner à la Cour fédérale le pouvoir d'imposer des dommages-intérêts légaux à Air Canada. Autrement, la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada pourrait être modifiée pour prévoir des amendes dans le cas d'infractions spécifiques. La Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur le lobbying contiennent déjà de telles dispositions.
[Traduction]
Finalement, Air Canada pourrait être soumise à des sanctions administratives pécuniaires pour des infractions linguistiques. Elle est déjà soumise à ce type de sanctions de la part de l'Office des transports du Canada, de l'Agence des services frontaliers du Canada et du Tribunal de la concurrence à l'égard des compagnies aériennes.
Je suis d'avis qu'un régime d'exécution de la Loi sur les langues officielles plus vigoureux et mieux adapté à la réalité d'Air Canada serait un meilleur gage de succès.
Je vous remercie. C'est avec plaisir que je répondrai maintenant à vos questions.
[Français]
Le président suppléant : Merci, madame Saikaley. Est-ce que d'autres témoins désirent faire une allocution? Non?
[Traduction]
La sénatrice Joan Fraser et le sénateur Percy Mockler vont maintenant se joindre à nous. Bienvenue à tous les deux.
[Français]
Nous allons maintenant passer à la période des questions, en commençant avec la sénatrice Moncion.
La sénatrice Moncion : Merci de votre rapport, qui est très intéressant. Ma question touche aux dommages-intérêts et aux pénalités financières qui peuvent être facturées à Air Canada. Avez-vous de l'information sur le nombre de fois que ce genre de pénalité a été mis en application, et sur les sommes associées? J'ai l'impression que, lorsqu'il y a des pénalités, ce sont les voyageurs qui les paient. Alors, il y a peut-être une impasse, ici.
Mme Saikaley : Vous voulez dire que les frais leur sont refilés?
La sénatrice Moncion : Oui.
Mme Saikaley : Malheureusement, je n'ai pas cette information-là. Ce qu'on a voulu faire dans le rapport, c'était surtout de donner des options au Parlement en se basant sur des exemples qui existent déjà, comme des dispositions auxquelles Air Canada est déjà assujettie, ou des mesures que d'autres agents du Parlement ont l'autorité d'imposer. Malheureusement, on n'a pas fait de recherche sur les montants ni sur le nombre de cas où des pénalités ont été appliquées sous les autres régimes.
La sénatrice Moncion : J'ai lu un autre rapport selon lequel Air Canada essaie de faire des efforts. Cependant, s'il n'y a pas de pénalités et qu'on n'en entend pas parler — on entend parler de situations, mais je ne sais pas s'il y a eu des pénalités —, là où le bât blesse pour une entreprise comme Air Canada, c'est justement lorsqu'il y a des sanctions à payer, qui touchent à leurs profits. Est-ce qu'il y a eu des pénalités?
Mme Saikaley : Je sais qu'il y en a eu pour le Tribunal de la concurrence. On parle cependant de sommes importantes. Je ne sais pas si le Parlement imposerait des sommes de cette envergure. Sinon, oui, sous d'autres régimes, il y a eu des pénalités. Je n'ai pas les montants, mais je sais que ça se fait.
La sénatrice Moncion : Est-ce rattaché aux problèmes de langue?
Mme Saikaley : Non, pas nécessairement.
La sénatrice Mégie : J'ai lu un article avant la réunion dans lequel on disait qu'Air Canada se plaignait du fait que c'est elle qu'on veut pénaliser et qu'on ne s'adresse pas aux autres compagnies aériennes. Est-ce vrai? Dans quelle mesure le gouvernement a-t-il le pouvoir d'étendre ses recommandations en matière de langues officielles aux autres compagnies aériennes?
Mme Saikaley : La raison pour laquelle Air Canada est assujettie aux langues officielles, c'est justement parce que c'est une compagnie bâtie à même les revenus de l'État. Lorsqu'elle a été assujettie aux premières lois sur les langues officielles, elle était une société d'État. Et quand elle a été privatisée en 1988, l'une des conditions imposées par le Parlement était qu'elle continue à être assujettie à la Loi sur les langues officielles.
D'ailleurs, en 2012, le Comité sénatorial permanent des langues officielles avait demandé au ministre des Transports d'envisager la possibilité d'imposer des obligations aux autres compagnies. C'était l'un des projets qui sont tombés à l'eau, malheureusement. Il s'agirait donc pour le Parlement de déterminer s'il veut imposer des obligations aux autres compagnies aériennes. Par contre, je ne pense pas que cela puisse retirer des obligations à Air Canada. Il est primordial qu'elle demeure assujettie à ses obligations.
Le sénateur Boisvenu : D'abord, merci beaucoup pour votre mémoire, qui est très intéressant. Dans le fond, lorsque Air Canada a été privatisée, elle avait des obligations. J'essaie de comprendre comment un législateur, à la suite du non-respect d'un engagement, pourrait imposer une approche coercitive, c'est-à-dire imposer une amende à cette compagnie-là et non aux autres. N'avez-vous pas l'impression que cela serait défait rapidement devant un tribunal d'appel?
Mme Saikaley : Non, je ne pense pas. C'est la raison pour laquelle on demande de faire modifier la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada et non la Loi sur les langues officielles. Comme il s'agit d'une loi s'appliquant strictement à Air Canada, mise en place à la suite de sa privatisation, des modifications à cette loi permettraient que les dispositions ne s'appliquent qu'à Air Canada.
Le sénateur Boisvenu : Y a-t-il une alternative à une approche coercitive?
Mme Saikaley : C'est ce que tous les commissaires qui se sont succédé ont tenté de faire au cours des 50 dernières années. Ils ont utilisé tous les moyens à leur disposition pour essayer de convaincre Air Canada de répondre à ses obligations. Aujourd'hui, on fait appel au Parlement, parce qu'on se rend compte que ces moyens n'ont pas donné les résultats voulus. On continue de recevoir des plaintes identiques à celles qu'on recevait il y a 20 ou 30 ans.
Le sénateur Boisvenu : Quel est votre rapport avec Air Canada ou avec ses gestionnaires lorsque vous faites le suivi des plaintes?
Mme Saikaley : Au niveau des employés, on a une bonne collaboration par rapport à la gestion des plaintes. Par contre, on fait des recommandations, et des plans d'action sont mis en place, mais on ne voit pas de résultats concrets sur le terrain. Oui, il y a des améliorations, et c'est ce qu'Air Canada vous dirait, mais, malheureusement, ce n'est pas uniforme et ce n'est pas une entière conformité à la loi. C'est comme si, parfois, les services sont donnés, et d'autres fois non; parfois l'offre active est faite et parfois non. On reçoit des plaintes et on doit répondre aux plaignants que leurs plaintes sont fondées, mais que, malheureusement, il n'y a pas de changements malgré nos recommandations. Ce ne sont donc pas des changements durables.
Le sénateur Boisvenu : Comment se situe la courbe des plaintes des 10 dernières années? Est-elle constante ou y a-t-il des variantes?
Mme Saikaley : Elle est assez constante, mais cette année, le nombre de plaintes est probablement égal à celui des deux dernières années mises ensemble. Pour cette année, nous en sommes rendus à une centaine de plaintes. Cependant, il ne s'agit pas seulement des plaintes. Dans le fond, les plaintes sont un indicateur, mais on sait que ce ne sont pas tous les clients ou tous les Canadiens qui se plaignent chaque fois qu'ils ne reçoivent pas un service.
Nous avons fait une enquête dernièrement. Il y avait deux agents de bord unilingues qui ne pouvaient pas offrir le service en français, et ils ont été affectés par la suite à 200 vols bilingues. Nous avons reçu une seule plainte, mais en examinant la situation de plus près, il y a le potentiel de recevoir une plainte pour 200 infractions à la loi.
Le sénateur Boisvenu : Que vous disent les patrons d'Air Canada? S'il n'y a pas de volonté en haut, il n'y en aura pas davantage en bas. Il ne s'agit pas seulement de gérer le bilinguisme, mais aussi l'affectation du personnel, et cela relève de la gestion.
Mme Saikaley : Tout à fait. Le président d'Air Canada a comparu devant la Chambre des communes à la suite du dépôt de notre rapport en juin. Il voudrait que toutes les compagnies aériennes soient assujetties à la loi. Il démontre que des efforts sont faits, qu'il y a des problèmes de capacité et des problèmes à trouver des employés bilingues, qu'il y a des discussions avec les syndicats pour les affectations de vols. Ce sont de bons arguments, mais Air Canada est assujettie à la loi et c'est une loi quasi constitutionnelle. Après toutes ces années, la société devrait être en mesure de répondre à ses obligations.
Le président suppléant : Je remarque que la présidente de notre comité, la sénatrice Claudette Tardif, s'est jointe à nous.
La sénatrice Tardif : Bonjour. Je m'excuse de mon retard. J'ai dû présenter une demande budgétaire pour notre comité. Je vous souhaite la bienvenue.
La sénatrice Fraser : Je crois que j'entends parler de ces plaintes depuis 50 ans. C'est très dur.
Quelle est la proportion des vols ou d'autres opérations où Air Canada entre en contact avec le public et qui, selon la loi, devrait être bilingues, dans des régions bilingues ou des routes aériennes bilingues?
Mme Saikaley : La proportion des vols? Je ne sais pas si nous avons ce genre d'information, mais il est possible pour nous de les obtenir.
La sénatrice Fraser : Cela pourrait être intéressant pour le comité, parce qu'Air Canada emploie des gens qui sont capables de travailler dans les deux langues officielles, et nous avons une idée de la proportion de leur personnel qui est capable de travailler dans les deux langues, mais je ne sais pas à quel point cela correspond aux besoins, et il pourrait être intéressant de le savoir.
Je crois qu'Air Canada a dit au comité de la Chambre des communes qu'elle avait constaté une amélioration de la situation, et qu'elle avait reçu moins de plaintes. Cependant, vous nous dites que cette année, cela monte en flèche. Pourquoi? Est-ce que c'est la même chose qui revient tout le temps ou y a-t-il eu un changement dans la nature des plaintes qui ont été déposées?
Mme Saikaley : Non, je ne peux pas dire qu'il y a eu un changement dans la nature des plaintes. C'est toujours le même genre de plaintes que l'on reçoit. Il est difficile d'expliquer pourquoi, une année, nous recevons plus de plaintes que d'autres. L'une des raisons pourrait être liée au dépôt de notre rapport au Parlement. Des gens qui s'intéressent à la question auraient pu décider de déposer des plaintes à ce moment-là. Par contre, on sait que d'autres personnes ne déposeront pas de plainte.
La sénatrice Fraser : C'est sûr. J'ai vécu moi-même une expérience il y a quelques années qui m'a enragée et qui m'a marquée, mais je n'ai pas déposé de plainte. J'aurais dû le faire, mais je ne l'ai pas fait. La vie continue, et on est pris dans d'autres affaires.
Le gouvernement a-t-il donné une réponse quelconque au dernier rapport sur Air Canada de l'ancien commissaire aux langues officielles?
Mme Saikaley : Non, parce que nous avons déposé un rapport spécial au Parlement, en recommandant que le rapport soit étudié par l'un des deux comités de la Chambre et du Sénat.
La sénatrice Fraser : Et nous voici. Cela n'aurait pas empêché le gouvernement de faire une déclaration quelconque, mais il ne l'a pas fait.
Mme Saikaley : Non.
La sénatrice Fraser : Ah bon! Merci beaucoup.
Le président suppléant : Il semble y avoir un différend qui perdure entre vous et le Service administratif des tribunaux judiciaires au sujet de l'interprétation de la Loi sur les langues officielles. En lisant le rapport du commissaire, je note qu'il souligne les manquements de la part du Service administratif des tribunaux judiciaires à la partie IV de la loi qui porte sur les communications et les services au public en ce qui a trait à la langue d'affichage des décisions. Par contre, le Service administratif des tribunaux judiciaires soutient, pour sa part, que ses obligations à cet égard découlent de la partie III de la loi, qui porte sur l'administration de la justice, et non de la partie IV. Il y a donc une incertitude juridique qui découle de cette différence d'interprétation.
Pourriez-vous nous décrire les démarches entreprises jusqu'à maintenant pour essayer de régler ce différend?
Mme Saikaley : Absolument. Premièrement, nous avons reçu des plaintes pendant plusieurs années. Nous avons commencé à mener une enquête sur cette situation en 2007. Nous avons eu plusieurs discussions avec le Service administratif des tribunaux judiciaires. Le commissaire Fraser a même eu des rencontres avec les juges en chef pour essayer de régler cette dispute et, malheureusement, en 2015, nous avons produit notre rapport d'enquête en disant que les plaintes étaient fondées en vertu de la partie IV. Nous avons fait une recommandation à l'institution en lui demandant de prendre toutes les mesures pour s'assurer que, lorsqu'elle publie des décisions sur les sites web des cours fédérales, elle le faisait dans les deux langues simultanément.
Nous avons reçu une fin de non-recevoir. Le service a dit qu'il ne mettrait pas en place nos recommandations. Ensuite, nous avons fait un rapport au gouverneur en conseil demandant au gouvernement de porter le cas devant la Cour suprême pour clarifier les obligations, ou encore, de prendre les moyens pour modifier la loi afin de clarifier les obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles. Par la suite, nous avons reçu une lettre du ministre de la Justice indiquant que le gouvernement voulait plutôt trouver une solution pratique au problème. C'est la seule réponse que nous ayons reçue l'été dernier. C'est pour cette raison que nous avons déposé notre rapport au Parlement, parce que nous continuons de recevoir des plaintes. Selon nous, lorsque le Service administratif des tribunaux judiciaires publie des décisions sur les sites web, il s'agit d'une communication avec le public. Cela ne fait pas partie du processus judiciaire. C'est un peu complexe à comprendre, parce qu'en ce qui concerne la partie III, qui traite de l'administration de la justice — ou l'article 20 —, une décision peut être rendue dans une seule langue. Cependant, lorsqu'on parle de rendre une décision, il s'agit de la mettre à la disposition du public. Donc, c'est rendre une décision. Une fois que la décision est rendue, le processus judiciaire s'arrête là. La décision est ensuite transmise pour être publiée. On dit que l'action de publier la décision, c'est une communication avec le public. Si elle faisait partie du processus judiciaire — comme le Service administratif des tribunaux judiciaires (SATJ) le prétend —, le service aurait le droit de rendre la décision dans une seule langue officielle et d'offrir la traduction de cette décision un peu plus tard, et non au moment de la publication de la décision. C'est là l'origine du différend, parce que le service croit que, lorsque la décision est affichée sur le site web, il s'agit du prolongement du processus judiciaire. On dit que les Canadiens n'ont pas accès aux décisions dans les deux langues officielles en même temps, de façon simultanée, et c'est un problème d'accès à la justice, parce qu'il peut s'écouler plusieurs mois, et même des années, avant qu'une traduction soit disponible sur les sites des cours fédérales.
Le président suppléant : Merci de votre réponse, madame Saikaley.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : J'aimerais brièvement revenir à Air Canada. J'aimerais savoir dans quelle mesure le problème est lié à la formation. Quels sont les outils dont dispose Air Canada pour offrir à son effectif de la formation linguistique dans l'autre langue officielle?
Ensuite, j'aimerais savoir quelles réponses vous avez obtenues de la ministre du Patrimoine canadien ou du ministre des Transports concernant ces enjeux.
Mme Saikaley : En ce qui concerne la formation, nous croyons savoir qu'Air Canada dispose d'une multitude d'outils, qui ont été élaborés au fil du temps. La société offre de la formation au personnel. Par exemple, le personnel non bilingue peut diriger la clientèle vers un collègue. Pour les plaintes fondées, on nous répond, la plupart du temps, que les gens ont obtenu une formation et des informations, mais qu'on ne comprend pas ce qui s'est passé. Par conséquent, nous recommandons que la société offre de nouveau une formation et qu'elle informe ses employés de leurs obligations.
Je ne pense pas que le problème est lié à l'absence d'outils de formation. C'est peut-être simplement une question de volonté, du côté du personnel; je ne sais pas. Cela dit, sur le plan de la formation, les nombreuses informations que nous avons indiquent qu'une formation est offerte au personnel.
Quant à la ministre du Patrimoine canadien et du ministre des Transports, nous n'avons pas eu de réponse. Comme je l'ai indiqué plus tôt, nous avons décidé de présenter le rapport au Parlement pour qu'un comité parlementaire se penche de nouveau sur la question et décide des mesures à prendre.
Le président suppléant : Avez-vous quelque chose à ajouter, sénatrice Bovey?
La sénatrice Bovey : Je ne crois pas. Je pense que je suis quelque peu dépassée.
[Français]
Le sénateur Mockler : Vous nous avez donné une très bonne présentation avec beaucoup d'information. Vous avez parlé de la question d'imposer les mêmes obligations aux autres compagnies aériennes. Selon votre expérience, cela pourrait-il améliorer le service aérien pour les Canadiens et les Canadiennes? On parle ici de Toronto-Québec et de Montréal-Bathurst, qui sont les deux lignes les plus utilisées par une clientèle bilingue. Quelles sont les mesures que pourraient prendre d'autres lignes aériennes afin de respecter la Loi sur les langues officielles?
Mme Saikaley : Des compagnies comme WestJet embauchent de plus en plus d'employés bilingues. Elles souhaitent prendre une part du marché de Montréal, entre autres. Si ces compagnies aériennes font des efforts ou se disent en mesure de recruter des agents bilingues, je présume que c'est tout à fait possible. Cela pourrait-il créer un problème de capacité à un moment donné? Air Canada croit que c'est un problème de capacité, qu'elle a de la difficulté à recruter des employés bilingues dans certaines régions. Cela pourrait-il aggraver le problème? Je ne sais pas. C'est une bonne question. Je sais que plusieurs institutions fédérales nous ont fait savoir qu'elles ont de la difficulté à recruter du personnel bilingue.
Le sénateur Mockler : Vous avez dit que les plaintes sont un indicateur de ce qui se passe à bord d'un avion et aussi pour avoir une meilleure communication. Quels sont les autres facteurs qui influencent le service?
Mme Saikaley : Je ne suis pas certaine de bien comprendre votre question. Vous voulez dire en ce qui concerne les mesures que nous pouvons prendre?
Le sénateur Mockler : Je veux dire en ce qui concerne la Loi sur les langues officielles.
Mme Saikaley : C'est un peu cela que nous avons indiqué dans notre rapport. Il y a peut-être d'autres options qui permettraient à Air Canada de mieux respecter ses obligations. Malheureusement, jusqu'à maintenant, tous les outils qui sont à la disposition du commissaire aux langues officielles ont été utilisés dans le cas d'Air Canada : les enquêtes, les vérifications, les bulletins de rendement, les rencontres et la cour. Nous avons pris toutes les mesures à notre disposition.
Le sénateur Mockler : C'est la raison pour laquelle, à la page 4 de votre présentation ce soir, vous dites que la situation a peu évolué.
Mme Saikaley : C'est cela.
Le sénateur Mockler : Y a-t-il d'autres options qu'on pourrait envisager pour resserrer les obligations de la société en vertu de la Loi sur les langues officielles?
Mme Saikaley : Selon moi, les quatre options indiquées dans le rapport méritent d'être examinées. Je ne vois pas d'autres options qui seraient offertes par la loi. Nous avons utilisé tous les moyens, y compris le rapport au Parlement et l'intervention de la cour. C'est la raison pour laquelle nous nous présentons devant votre comité aujourd'hui. Nous croyons avoir utilisé tous les outils à notre disposition. Nous n'en voyons pas d'autres en ce moment.
Le sénateur Mockler : C'est pourquoi vous dites qu'on devrait modifier la Loi sur les langues officielles. Pour ma part, j'utilise un autre terme — je respecte la nomenclature que vous avez utilisée — lorsque je parle de la Loi sur les langues officielles à l'échelle nationale, car je me dis qu'il faudrait peut-être un jour penser à moderniser cette loi de façon à intégrer les nouvelles méthodologies de communication, surtout compte tenu des réseaux sociaux. Une étude bien étoffée a été réalisée sur les médias sociaux. Êtes-vous prête à proposer la modernisation de la Loi sur les langues officielles aujourd'hui?
Mme Saikaley : Il est sûr que le fait de moderniser la Loi sur les langues officielles est une option, mais nous pourrions aussi modifier la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada, qui concerne spécifiquement Air Canada. C'est une question qui revient au Parlement, à savoir si des pouvoirs spécifiques devraient être confiés au commissaire aux langues officielles pour traiter le dossier d'Air Canada, ou s'il faudrait élargir les pouvoirs du commissaire aux langues officielles en général ou revoir la façon dont les services sont offerts en fonction de la loi. Oui, c'est une question pour le Parlement.
Le président suppléant : Chose certaine, il est clair que les pouvoirs du commissaire aux langues officielles devraient être renforcés. C'est d'ailleurs l'une des recommandations.
Mme Saikaley : En effet, c'est l'une des recommandations d'accorder davantage de pouvoirs au commissaire aux langues officielles pour traiter les dossiers d'Air Canada.
La sénatrice Tardif : Madame Saikaley, veuillez accepter toutes mes félicitations pour votre nomination à titre de commissaire intérimaire.
Ma question va dans le même sens que celle du sénateur Mockler. Vous avez indiqué que tous les moyens ont été utilisés par le Commissariat aux langues officielles. Selon vous, quelles modifications législatives pourraient être apportées pour maintenir les obligations linguistiques d'Air Canada, et ce, en dépit des restructurations qui peuvent survenir?
Mme Saikaley : Tel qu'il est mentionné dans le rapport, on a voulu vous proposer certaines options qui existent déjà, par exemple, le pouvoir de prendre des ordonnances et des ententes exécutoires. Au lieu d'avoir seulement un pouvoir de recommandation, on aurait le pouvoir de conclure une entente avec Air Canada pour qu'elle s'engage à mettre en place les recommandations. C'est ce qu'on appelle une entente exécutoire. Bien entendu, si on avait un tel pouvoir et qu'Air Canada ne mettait pas en œuvre les recommandations, le commissaire aux langues officielles pourrait se tourner vers la cour et demander à ce qu'elle oblige Air Canada à mettre en œuvre les recommandations. Cette mesure va un peu plus loin que celles dont nous disposons en ce moment.
Nous avons également parlé de la possibilité que la cour impose des dommages-intérêts, ce qui serait avantageux pour les plaignants. Ceux-ci recevraient une compensation lorsque les plaintes sont fondées. Ce pourrait être sous forme d'amendes. Il y a aussi un autre modèle qui ressemble à une amende, soit une pénalité financière qui, sans nécessairement être une méthode punitive, incite les institutions fédérales à se conformer à la loi. Il s'agit d'un montant symbolique, d'une amende qu'on vous impose et qui indique que vous avez enfreint la loi.
La sénatrice Tardif : Selon vous, est-ce que les suggestions dont vous nous faites part s'appliquent aussi aux vols internationaux d'Air Canada?
Mme Saikaley : C'est une question qui a déjà été soulevée. Je crois d'ailleurs que M. Dion avait présenté un projet de loi sur cette question. Ce n'est pas un sujet sur lequel nous nous sommes penchés. As-tu quelque chose à ajouter, Pascale?
Pascale Giguère, avocate générale et directrice, Commissariat aux langues officielles : J'aimerais ajouter que, parmi les quatre options présentées dans le rapport, la seule qui pourrait poser problème en ce qui concerne le jugement rendu par la Cour suprême du Canada, c'est l'option des dommages-intérêts. Cependant, quant aux trois autres options présentées dans le rapport, il n'y a aucun empêchement à ce qu'elles s'appliquent aux vols internationaux et nationaux.
La sénatrice Tardif : Merci.
Le président suppléant : Nous passons maintenant au deuxième tour de questions.
La sénatrice Moncion : J'ai deux questions, dont l'une porte encore sur Air Canada, et l'autre, sur les jugements rendus par les tribunaux.
Air Canada est maintenant une entreprise privée. C'est exact?
Mme Saikaley : Oui.
La sénatrice Moncion : Son engagement à offrir des services en français date de 1988. À l'heure actuelle, elle a l'obligation d'offrir des services en français et, ce qu'on voit apparaître, ce sont d'autres compagnies aériennes qui n'ont pas cette obligation, mais qui commencent à vouloir offrir des services en français pour venir jouer dans les plates-bandes d'Air Canada. Si Air Canada n'était plus obligatoirement soumise à cette obligation de bilinguisme, pensez-vous qu'elle pourrait offrir davantage de services en français? En ce moment, elle est obligée de le faire, donc elle est récalcitrante. Pour conserver sa clientèle et sa concurrence, est-ce qu'elle serait plus portée à vouloir offrir un meilleur service, si elle n'était pas assujettie à l'obligation d'offrir des services en français?
Mme Saikaley : C'est une bonne question. Je ne sais pas si elle le voit de la même façon lorsqu'elle demande que tout le monde soit assujetti aux mêmes règles. Peut-être, mais c'est une question à laquelle le Parlement devra répondre.
Lorsque Air Canada s'est privatisée, le Parlement a voulu mettre des règles en place pour s'assurer que la compagnie continue d'offrir des services dans les deux langues officielles. C'est une question que le Parlement devrait se poser s'il désire retirer cette obligation à Air Canada.
La sénatrice Moncion : En ce qui concerne les entreprises privées canadiennes, peu d'entre elles ont l'obligation d'offrir des services dans les deux langues. Cela représente peut-être une pierre d'achoppement pour Air Canada. Peut- être aussi que cette dernière peut y voir une forme d'injustice dans ce traitement.
Je ne suis pas contre le fait qu'Air Canada ait l'obligation d'offrir ses services dans les deux langues. Je voyage beaucoup dans le Nord de l'Ontario, et je reçois toujours les services dans les deux langues sans problème. Même entre Ottawa et Toronto, je n'ai pas ce problème. C'est la raison pour laquelle je suis surprise, mais je ne suis pas étonnée.
Ma deuxième question concerne davantage les tribunaux. Lorsque des jugements sont rendus en français, sont-ils affichés en français sur le site web ou sont-ils traduits en anglais? Même chose pour les jugements rendus en anglais. Sont-ils affichés sur le site sans être traduits en français? Est-ce qu'il y a une question de discrimination dans la façon dont c'est fait ou si, tout simplement, une cause qui est entendue en français est présentée en français, et une cause qui est entendue en anglais est présentée en anglais?
Mme Saikaley : Les jugements sont affichés dans la langue dans laquelle ils ont été rendus, mais la grande majorité des jugements sont en anglais.
La sénatrice Moncion : Effectivement, les jugements en anglais sont issus du reste du Canada, de la même façon que la majorité des jugements rendus en français seraient issus davantage du Québec. Est-ce que le Québec a cette contrainte?
Mme Saikaley : Quelle contrainte?
La sénatrice Moncion : La contrainte de la traduction. Au Québec, je pense qu'il s'agit du droit civil et que dans le reste du Canada, c'est la common law.
En effet, la majorité des causes sont entendues en anglais, mais au Québec, est-ce que les tribunaux doivent traduire leurs jugements et, le cas échéant, est-ce qu'ils le font?
Mme Saikaley : On parle des décisions de la Cour fédérale, de la Cour fédérale d'appel et de la Cour canadienne de l'impôt. Ce sont les trois cours qui sont visées par notre rapport.
La sénatrice Moncion : D'accord. Dans ce cas, j'aimerais aller un peu plus loin. Les raisons qui motivent le fait qu'on ne traduise pas les jugements sont-elles liées à des questions de coûts?
Mme Saikaley : Ce ne sont pas les raisons qui nous sont données. Comme je vous le disais, c'est une question d'interprétation de la loi, et c'est là où on a un litige, c'est-à-dire que les tribunaux disent qu'ils appliquent la partie III de la loi, donc l'article 20, en vertu duquel une décision peut être rendue dans une langue et traduite par la suite. Comme vous pouvez le voir, dans notre rapport, nous avons même inclus les positions des parties, parce qu'elles insistaient pour que ce soit fait, et elles n'ont pas soulevé la question des coûts liés à la traduction.
La sénatrice Moncion : Ultimement, c'est que les tribunaux ne traduisent ni ce qui est fait en anglais, ni ce qui est fait en français.
Mme Saikaley : Ils le traduisent éventuellement, mais parfois avec beaucoup de retard.
Le sénateur Boisvenu : J'espère que mes questions ne seront pas taboues pour le comité. En ce qui concerne les plaintes liées à Air Canada, si on les classe par régions, soit l'Ouest canadien, l'Ontario et l'Est, comment se répartissent les plaintes par rapport à l'application de la Loi sur les langues officielles? Est-ce qu'elles proviennent surtout d'une région en particulier?
Mme Saikaley : Je ne crois pas que nous ayons des données à ce sujet, mais nous pouvons les obtenir.
Le sénateur Boisvenu : Oui, ce serait intéressant.
Mon autre question concerne les tribunaux judiciaires. Est-ce que les plaintes liées à l'usage des deux langues officielles portent strictement sur la traduction des textes ou sont-elles liées à la relation des tribunaux avec les citoyens? Ces tribunaux peuvent avoir des relations avec les citoyens, parce que si j'ai bien compris, ce sont les citoyens qui contestent les décisions. Dans le cadre de la gestion quotidienne, y a-t-il un respect des langues officielles ou est-ce strictement lié à la traduction des textes sur le site web?
Mme Saikaley : Les plaintes que nous recevons et la question de notre rapport touchent strictement les décisions des cours et leur traduction, soit le fait qu'elles ne sont pas disponibles dans les deux langues officielles de façon simultanée.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que la proportion des textes traduits du français à l'anglais et de l'anglais au français est la même?
Mme Saikaley : Non. Comme je le disais plus tôt, il y a beaucoup plus de jugements qui sont rendus en anglais; donc, il est certain que la proportion de textes traduits de l'anglais au français est beaucoup plus grande que celle des textes traduits du français à l'anglais, puisque peu de décisions sont rendues en français.
Le sénateur Boisvenu : D'accord. Merci beaucoup.
La sénatrice Fraser : Avant de poser ma question, je devrais préciser, en toute justice, que depuis plusieurs années, si je voyage à l'étranger avec Air Canada, normalement à partir de Montréal ou en revenant à Montréal, j'ai remarqué que le personnel se fait un point d'honneur d'offrir des services dans les deux langues officielles. Alors, tout n'est pas complètement noir. Étant donné que j'ai parlé d'une mauvaise expérience que j'ai vécue, j'ai pensé qu'il fallait quand même mettre les choses en perspective.
Quant aux tribunaux judiciaires, est-ce qu'ils sont soumis au système de traduction du ministère des Services publics, qui est offert partout au sein du gouvernement, ou ont-ils leurs propres services de traduction?
Mme Giguère : Selon l'information que nous avons, ils ont un certain nombre de traducteurs à l'interne, ainsi que des traducteurs pigistes. Je ne sais pas dans quelle proportion les tribunaux font affaire avec le Bureau de la traduction; je pense que c'est dans une moindre proportion. Il y a beaucoup de termes très spécifiques dans les jugements qui sont rendus, donc les traducteurs avec qui ils font affaire sont généralement des traducteurs spécialisés dans la terminologie utilisée par les cours.
La sénatrice Fraser : J'ai posé la question parce que, vous le savez probablement mieux que personne, il y a eu beaucoup de controverse au sujet de ce système-là. Vous savez sans doute que, lorsque la ministre Foote est venue témoigner devant notre comité, elle a promis de travailler à améliorer l'engagement, et aussi le service au niveau technique.
J'aurais une deuxième et dernière question. Est-ce que vous pensez que là, comme ailleurs, il y a un manque de traducteurs? Justement, c'est un travail très spécialisé. J'ai une amie qui est spécialisée dans ce domaine et, quand je l'entends en parler, ça me dépasse. J'essaie de comprendre s'il s'agit simplement d'une résistance quant à la question de savoir quelle partie de la loi s'applique à l'institution, ou s'il y a d'autres facteurs plus matériels qui contribuent à la difficulté que vous observez.
Mme Saikaley : Peut-être que ce serait une bonne idée de les inviter à comparaître et de leur demander si, justement, ils ont des problèmes de capacité. Aussi, dans le dernier budget, le gouvernement leur a accordé 2 millions de dollars sur deux ans; est-ce que c'est suffisant et est-ce que ça permettra de régler le problème de façon durable? Ou bien est-ce simplement ponctuel ou symbolique? Nous ne sommes pas en mesure de dire pour eux si cela répond à la capacité dont ils ont besoin, malheureusement.
La sénatrice Fraser : Mais ils n'ont pas cité cet aspect comme étant un problème, n'est-ce pas?
Mme Saikaley : Non.
La sénatrice Fraser : Il s'agit donc strictement l'argument juridique. Merci beaucoup.
Le sénateur Mockler : J'aimerais faire suite aux questions posées par le sénateur Boisvenu concernant les plaintes selon les régions. J'ai déjà eu une petite conversation avec le président d'Air Canada. Il me dit que c'est 0,000033. Je réponds que c'est très bien, que c'est une statistique intéressante, mais moi, je vais me reporter au nombre de passagers qu'Air Canada a transportés. Si je considère le nombre de passagers en 2014 — qui a augmenté en 2015 et 2016 —, il s'agit de 38,5 millions de passagers. Avec un facteur de 0,000033, cela donne 1 270 plaintes. Si je remonte à l'année 2000, sur 30 millions de passagers cette année-là, cela donne 990 plaintes. Une plainte est une plainte de trop.
Vous avez évoqué ce soir, et je vous l'accorde, le fait que nous n'avons pas été en mesure, avec les commissaires aux langues officielles précédents, d'obtenir d'eux qu'ils nous disent ce qu'ils ont pu faire au sujet de ne serait-ce qu'une seule de ces plaintes. Qu'est-ce que vous nous recommandez de faire, comme parlementaires, compte tenu de ces 1 270 plaintes qui sont restées sans suite?
Mme Saikaley : Je pense que notre rapport propose justement certaines options que nous vous invitons à examiner attentivement. Comme je le disais, le nombre de plaintes n'est qu'un indicateur. Et comme vous le savez, nous avons fait des vérifications, des bulletins de rendement. Nous avons utilisé d'autres outils qui nous ont donné d'autres renseignements selon lesquels, même s'il n'y a pas de plainte, le service n'est pas nécessairement donné ou n'est pas égal partout. Je ne pense pas que la Loi sur les langues officielles demande aux institutions fédérales de « faire des efforts » pour respecter leurs obligations. La loi indique qu'elles doivent respecter leurs obligations.
Le sénateur Mockler : C'est cela. Elles doivent respecter leurs obligations.
La sénatrice Tardif : Le rapport de 2012 du Comité sénatorial permanent des langues officielles présentait plusieurs recommandations. Je dois dire que, malheureusement, il n'y a pas eu beaucoup de suivi de la part d'Air Canada, et les recommandations n'ont pas été mises en œuvre. C'est une déception, en ce sens.
Mais j'aimerais revenir à la question du Service administratif des tribunaux judiciaires. Je crois qu'il y a eu une annonce budgétaire dernièrement indiquant que 2 millions de dollars sur une période de deux ans seraient versés au SATJ. Croyez-vous que cela pourrait rectifier le problème? Est-ce un problème financier ou est-ce que, comme vous l'avez dit plus tôt, c'est une situation qui concerne davantage la question de l'interprétation de la loi, et donc, que l'investissement financier ne sera pas suffisant?
Mme Saikaley : Il est certain que, si le service ne revoit pas sa position, s'il continue d'affirmer que le fait de rendre une décision et de la diffuser sur le site Internet fait partie du processus judiciaire, il ne risque pas de changer son comportement. S'il a plus d'argent pour faire traduire les jugements, peut-être que les traductions seront faites plus rapidement, mais cela ne changera pas le fait que les deux versions des décisions, française et anglaise, ne seront pas diffusées sur le site web de façon simultanée dans la majorité des cas.
Il s'agit d'un budget de 2 millions de dollars sur deux ans. On n'a aucune idée si cette enveloppe sera suffisante. Cette mesure n'est pas continue, car elle est prévue uniquement pour deux ans. Elle n'est donc pas prévue à long terme. Que va-t-il arriver une fois que cette somme de 2 millions de dollars aura été dépensée et que cette période de deux ans se sera écoulée? Si le service garde la même position, le comportement demeurera et on continuera à afficher les décisions dans une seule langue. À notre avis, cela ne règle pas le problème, car c'est une question d'interprétation de la loi. Ce n'est ni l'argent ni le budget qui régleront cette question. Nous ne savons pas si cela répond à un besoin. C'est pourquoi nous demandons que la loi soit clarifiée, pour que nous soyons en mesure de poursuivre notre travail quant aux enquêtes. Lorsque les gens se plaindront et que les décisions ne seront pas disponibles dans les deux langues, dans trois, quatre ou cinq ans, il faudrait faire en sorte qu'on ne soit pas confronté au même problème si le SATJ n'a pas d'argent pour faire traduire les jugements.
La sénatrice Tardif : Merci, madame la commissaire, pour cette clarification.
Le président suppléant : S'il n'y a pas d'autres questions, cela met fin à la séance.
Je vous remercie de nous avoir parlé des deux rapports qui ont été publiés par le commissaire, le premier concernant Air Canada, et le deuxième concernant le Service administratif des tribunaux judiciaires.
Je demanderais aux membres du comité de demeurer présents afin que nous puissions discuter du plan de travail qu'a proposé Marie-Ève en prévision des prochains mois.
(La séance se poursuit à huis clos.)