LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
CHARLOTTETOWN, le vendredi 22 septembre 2017
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 13 h 11, afin de poursuivre son étude sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.
La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Bonjour. Je m’appelle Claudette Tardif, et nous continuons notre étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles à Charlottetown. Cela est considéré comme étant une nouvelle réunion, alors je vais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma gauche.
Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.
Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, un Acadien du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, sénatrice du Manitoba.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, sénatrice du Québec.
La présidente : Je suis Claudette Tardif, de l’Alberta, et j’ai le privilège de présider la réunion. Honorables sénateurs, étant donné que c’est une nouvelle réunion, je dois vous poser la question. Est-il convenu d’autoriser le personnel des communications du Sénat à prendre des photos pendant la séance, à filmer des extraits et à les diffuser?
Le sénateur Cormier : D’accord. Oui.
La présidente : Merci.
Aujourd’hui, nous recevons M. Stéphane Blanchard, qui est agent de développement jeunesse au Réseau de développement économique et d’employabilité de l’Île-du-Prince-Édouard, Mme Jacinthe Lemire, qui est directrice de la Coopérative d’intégration francophone, et M. Jérémie Arsenault, qui est un jeune entrepreneur acadien, propriétaire de Simple Feast Catering.
Je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes heureux de vous accueillir. Les sénateurs vous poseront des questions après vos présentations. J’aimerais demander à M. Blanchard de débuter. La parole est à vous.
Stéphane Blanchard, agent de développement jeunesse, Île-du-Prince-Édouard, Réseau de développement économique et d’employabilité : Merci beaucoup. Donc, je suis Stéphane Blanchard, agent de développement économique du secteur jeunesse au Réseau de développement économique et d’employabilité (RDEE) de l’Île-du-Prince-Édouard. Le RDEE, c’est le conseil de développement économique francophone provincial, et l’on fait constamment la promotion de la vie en français à l’île, surtout dans une perspective économique. Nous encourageons beaucoup les emplois et l’entrepreneuriat en français. Nous expliquons constamment aux entrepreneurs qu’ils risquent d’augmenter considérablement leurs ventes s’ils offrent un service en français, non seulement à leur clientèle francophone locale, mais aussi à la clientèle touristique qui nous arrive surtout du Québec et du Nouveau-Brunswick. Des importateurs francophones d’autres provinces et pays s’intéressent également à nos produits; d’ailleurs, nos missions de vente à Montréal ces dernières années ont connu de très bons succès et de très bonnes ventes.
Mais très rares sont les entreprises insulaires qui peuvent opérer exclusivement en français. En raison de notre masse critique qui n’est tout simplement pas assez élevée, la plupart de nos entreprises qui se disent francophones doivent donc se dire entreprises bilingues. Toutefois, cela ne dilue aucunement la valeur de la facette francophone. L’identité acadienne et francophone a des racines très profondes dans le coeur et l’esprit de nos gens.
Lorsque nous offrons des formations entrepreneuriales ou des séances d’information sur des sujets entrepreneuriaux, elles sont souvent bilingues puisque nos clients sont parfois anglophones ou sont des francophones qui aimeraient connaître les terminologies anglaises.
Nous avons régulièrement recours à des experts anglophones qui nous partagent leurs connaissances. Nous transigeons quotidiennement avec des organismes et entreprises francophones. Nos relations avec tous ces partenaires sont très bonnes.
Nous continuons à prêcher à nos jeunes clients que leur bilinguisme est un atout qui leur servira pour le reste de leur vie, non seulement dans leur carrière, mais aussi dans leur vie de tous les jours.
Nous considérons qu’il est d’une importance primordiale de continuer à promouvoir et à financer les initiatives économiques encourageant le bilinguisme et l’offre de services en français.
Notre mission au RDEE est de contribuer activement au développement économique communautaire et entrepreneurial et à la création d’emplois au sein de la communauté acadienne et francophone de l’Île-du-Prince-Édouard, tout en collaborant à l’épanouissement économique de la province.
C’est ainsi que je vais vous parler de trois programmes du côté jeunesse qu’on offre. Le premier programme s’appelle le programme Jeunes millionnaires. C’est un programme pour les jeunes de 8 à 16 ans. Les jeunes millionnaires doivent participer à des ateliers et recevoir de la formation sur la compétence de base en affaires, la tenue de livres, le marketing, le service à la clientèle et l’art oratoire. Après avoir participé aux ateliers, ils peuvent présenter leur plan d’affaires et obtenir une subvention de 100 $ ou 150 $ pour une entreprise en partenariat.
Le deuxième programme dont je voudrais vous parler, c’est la Coopérative services jeunesses. C’est un programme pour les jeunes de 12 à 17 ans qui mettent en commun leurs ressources afin d’offrir une gamme de services à leur communauté via la création de leur propre entreprise. C’est ni plus ni moins une coopérative de travailleurs qui offre ses services à la communauté en échange d’un salaire. Cela favorise chez les jeunes une prise de conscience de leurs capacités et de leurs responsabilités collectives afin de transformer leur milieu selon leurs besoins et leurs aspirations.
Finalement, je vais vous parler du programme PERCÉ. Le programme PERCÉ en est déjà à sa 14e année, et c’est un stage d’été rémunéré dans le domaine d’étude du participant. On parle ici de participants qui sont âgés de moins de 30 ans et qui sont aux études postsecondaires. C’est aussi une aide financière aux employeurs en échange d’une expérience enrichissante. De plus, c’est un taux de succès, au cours des 10 premières années du programme, de 82 p. 100 pour rapatrier les jeunes diplômés à l’Île-du-Prince-Édouard une fois leurs études terminées. Il n’y a pas beaucoup d’institutions postsecondaires à l’Île-du-Prince-Édouard. Ils devaient partir, et puis une fois partis, ils ne revenaient pas nécessairement, d’où la façon dont le programme est né.
On sait que le prochain Plan d’action pour les langues officielles doit servir notamment à renforcer et à encadrer l’action de l’ensemble du gouvernement fédéral pour appuyer le développement et la vitalité des communautés minoritaires de langue officielle. Le plan doit aussi respecter trois principes énoncés dans le dernier rapport de la commissaire intérimaire aux langues officielles du Canada de juin 2017, soit de favoriser une plus grande accessibilité à des services de qualité égale dans les deux langues officielles, de viser l’atteinte de l’égalité réelle en tenant compte de la spécificité des communautés de langue officielle et de prendre en compte le caractère réparateur des droits linguistiques, notamment le fait que ces droits ont pour objet de remédier à l’érosion progressive des communautés de langue officielle. Grâce à cet engagement gouvernemental, les communautés francophones et acadienne pourront contribuer davantage à la productivité du Canada et à sa compétitivité internationale.
On nous demandait d’examiner plusieurs questions, et je vais donc y aller avec les motivations à apprendre l’autre langue officielle. À notre avis, on parle de deux côtés. Il y a le côté émotionnel et le côté pratique. Du côté émotionnel, ce serait plus souvent de continuer le legs qui nous a été donné par nos aïeux. Souvent, ici à l’Île-du-Prince-Édouard, on parle d’ayants droit dans les écoles. La langue française s’est perdue entre les grands-parents et les petits-enfants, et l'on parle donc de le faire pour des raisons émotionnelles pour pouvoir reprendre ce qu’on avait. On parle aussi du côté plutôt pratique. Statistique Canada nous dit que le fait d’être bilingue au Canada est associé à des taux d’activité et d’emploi plus élevés et à des taux de chômage plus faibles. Donc, c’est aussi le côté pratique.
Finalement, j’aimerais parler d’une problématique, la problématique des centres de la petite enfance (CPE) et des répercussions sur l’ensemble de la communauté francophone et acadienne de l’île. Je lisais dans les rapports qui étaient sortis dernièrement qu’on parle beaucoup de l’éducation, comme quoi il faut veiller à ce que l’éducation en français soit disponible, non seulement l’éducation, mais aussi à ce que les places en CPE soient disponibles. On dit qu’il y a un manque de CPE francophones. De 125 à 150 enfants sont sur des listes d’attente pour deux raisons principales : premièrement, le manque d’espace et, deuxièmement, le manque d’éducatrices, donc, il s’agit des infrastructures et des ressources humaines. On sait que la deuxième raison est criante parce que le salaire offert aux éducatrices est entre 11,25 $ et 15,25 $ de l’heure. C’est difficile de faire une carrière avec ce genre de salaire. De plus, ces éducatrices sont bilingues et constituent une main-d’œuvre en très grande demande, et bon nombre d’entre elles vont se voir offrir un meilleur salaire. Puis, on voit que le taux de roulement est très élevé. Il faudrait donc trouver un moyen de mieux payer ces éducatrices bilingues pour renforcer la base de la pyramide qui est la petite enfance. C’est la fin de mon rapport.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Blanchard.
Madame Lemire, la parole est à vous.
Jacinthe Lemire, directrice, La Coopérative d’intégration francophone de l’ÎPÉ : Bonjour à tous. Tout d’abord, merci de l’invitation. Comme vous l’avez dit, je suis directrice de la Coopérative d’intégration francophone de l’Île-du-Prince-Édouard (CIF). La CIF, c’est l’organisme d’établissement pour les nouveaux arrivants francophones à l’Île. Nous sommes aussi dotés de la responsabilité communautaire de tout le dossier de croissance démographique francophone de l’Île-du-Prince-Édouard, ce qui inclut donc les francophiles, les migrants et les immigrants. À la CIF, nous sommes capables de servir les immigrants qui sont temporaires ou qui sont des résidents permanents, donc c’est intéressant pour nous. On a connu beaucoup d’avancées sur le plan du recrutement et en matière d’intégration et de rétention des nouveaux arrivants francophones au cours des dernières années, ce qui est vraiment encourageant pour nous à l’Île.
Bien que je vous parle aujourd’hui en tant que directrice de la CIF, j’aimerais aussi vous souligner que je siège au Comité régional consultatif économique du comté de Queens pour la province et que je préside aussi le Comité consultatif de la communauté acadienne et francophone de l’Île-du-Prince-Édouard, qui conseille le ministre responsable, qui est notre premier ministre, sur la mise en œuvre et le développement de la Loi sur les services en français, de même que sur toutes questions jugées prioritaires par la communauté acadienne et francophone.
Malgré la teneur très officielle de cette rencontre, j’aimerais juste vous faire part de certains constats et d’observations que j’ai faits au cours des dernières années. Cela fait maintenant 9 ans, bientôt 10 ans, que j’habite à l’Île-du-Prince-Édouard. Je suis originaire du Québec. Donc, je voudrais vous faire part de certains constats.
On parle de moderniser la loi. C’est sûr que la loi, elle est à la veille de ses 50 ans et, il y a 50 ans, le terme « immigrant » n’était pas dans la bouche de tout le monde. L’expression « diversité culturelle » n’était peut-être pas encore à l’heure du jour comme elle l’est aujourd’hui. C’est une thématique, je crois, qui devra être abordée, particulièrement dans la nouvelle Loi sur les langues officielles. Beaucoup de nouveaux arrivants arrivent ici et n’ont ni l’anglais ni le français comme première langue et, malheureusement, ils sont souvent, dans les communautés francophones en situation minoritaire ou dans les provinces hors du Québec, dirigés vers la communauté anglophone majoritaire. C’est assez dommage pour plusieurs d’entre eux qui font partie de pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie, par exemple, ou du Maghreb, de l’Europe, et cetera, et qui pourraient non seulement s’intégrer en français. Mais comme on parle aujourd’hui du dossier de la jeunesse, je pense surtout à leurs enfants qui pourraient devenir trilingues très facilement, ici à l’Île-du-Prince-Édouard et au Canada en général.
Les lois au Canada sont souvent créés dans une optique bicéphale. Tu es soit francophone, soit anglophone. Si l'on n’indique pas qu’on veut un service en anglais ou en français, on nous dirige tout de suite vers l’anglais. Je pense que ce serait intéressant de considérer un peu mieux les allophones.
Un autre constat que je fais dans mon travail, c’est que lorsque les nouveaux arrivants obtiennent leur résidence permanente — malgré qu’il y ait eu plusieurs avancées dernièrement —, je trouve que les services en français offerts au Canada tant au niveau fédéral que provincial ne leur sont pas très bien communiqués. Malgré que la loi ait quand même une juridiction fédérale, je trouve qu’en ce qui concerne l’éducation et la santé, par exemple, il y a beaucoup de chemin à faire. On découvre malheureusement souvent de nouveaux arrivants qui sont à l’Île-du-Prince-Édouard depuis près de trois mois et qui sont dans une école anglophone parce qu’ils n’étaient pas au courant qu’il y avait des écoles francophones de qualité, ici à l’Île-du-Prince-Édouard.
Dans la même optique, je constate qu’on a de grands besoins en matière de francisation dans les écoles et dans les CPE, non seulement pour les nouveaux arrivants et les allophones, évidemment, mais aussi pour les Acadiens et les enfants qui sont issus de familles exogames. Il y a un certain centre de la petite enfance dans la province où les enfants n’ont pas de parent francophone. Donc, à la maison, tout est en anglais. Mais les parents, et Stéphane parlait du côté émotif, ont cette verve et ils désirent que leurs enfants puissent parler la langue de leurs parents ou de leurs grands-parents, alors ils les éduquent en français. Je pense aussi qu’au plan économique, plus tard, c’est toujours une plus-value d’être bilingue, mais cela fait en sorte que ces enfants ont besoin d’être francisés en plus de recevoir les services d’éducation à la petite enfance. Je crois qu’il pourrait peut-être y avoir une possibilité, dans la modernisation de la loi, de mettre en œuvre ou de planifier certains programmes de financement pour la francisation dans les CPE et dans les écoles francophones en situation minoritaire.
Un autre constat que j’ai fait, et je vais changer un peu de sujet, c’est que dans notre financement à nous, à la Coopérative d’intégration francophone, on reçoit du financement d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et de l’immense enveloppe destinée aux organismes d’établissement. Je crois que c’est une enveloppe de 600 millions de dollars et, à ma connaissance, il n’y a pas d’argent qui provient de la feuille de route dans cette enveloppe. Ainsi, cette année, notre financement pour aider les nouveaux arrivants résidents permanents francophones à l’Île-du-Prince-Édouard est seulement de 50 000 $. C’est donc difficile pour nous de travailler avec cela, et plusieurs motifs expliquent cette baisse draconienne. Les chiffres sont basés sur les données de la province, de chaque province, qui datent de trois ans. Donc, la baisse de financement que je connais, mon organisme soeur anglophone, l’Association pour nouveaux arrivants au Canada de l’Î.-P.-É., a connu une baisse également, et je pense que c’est du même pourcentage à peu près. Le problème, c’est qu’il faut constater que, pour avoir une base d’au moins un service, il faut quand même avoir un minimum d’argent. C’est difficile d’avoir un coordonnateur local, des activités et tout cela avec seulement 50 000 $. Évidemment, nous sommes créatifs et nous essayons de trouver de l’argent un peu partout, mais cela reste qu’il est impossible pour moi d’offrir un service de qualité aux nouveaux arrivants francophones ici à l’île avec cela. Je me demande, avec la nouvelle loi, si l'on ne pourrait pas considérer les nouveaux arrivants francophones comme étant une priorité parce qu’avec les francophiles, on croit que ce sont les seuls qui vont augmenter la population francophone au Canada dans les prochaines années. Donc, ce manque d’argent touche les jeunes immigrants francophones qu’on aide.
J’ai deux autres points. Je me demande si dans la modernisation de la loi il pourrait y avoir du financement pour collecter des données sur la langue. Je pense au domaine de la santé. Je sais que c’est plutôt du domaine provincial, mais s’il pouvait y avoir des initiatives pour améliorer la collecte de données sur la langue utilisée par les usagers de services de santé ou autre. Je pense que cela encouragerait les jeunes et la population en général à se sentir à l’aise de demander des services en français.
En tout dernier lieu, je crois que le gouvernement fédéral doit assurer un leadership dans l’offre active en français. Par exemple, je me suis présentée dans un édifice fédéral, ici à l’Île-du-Prince-Édouard, et il y avait un commissionnaire avec un écriteau devant son comptoir indiquant « anglais/français ». Puis, il m’a répondu par un « Hi, can I help you? » J’ai répondu en français, et il s’avère que la personne était francophone. Donc, c’était pour elle peut-être juste un réflexe. Je peux comprendre que dans le tourbillon du travail, on ne développe pas ce réflexe, mais je crois que les employés du gouvernement fédéral doivent être des leaders et démontrer une offre active en tout temps. C’est tout. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, madame Lemire.
Monsieur Arsenault, s’il vous plaît.
Jérémie Arsenault, propriétaire, Simple Feast Catering : Bonjour, et merci pour cette invitation. Je m’appelle Jérémie Arsenault. Je viens de la région Évangéline de l’Île-du-Prince-Édouard, alors, j’ai été à l’école Évangéline, qui était une des premières écoles françaises, ici à l’Île-du-Prince-Édouard. Maintenant, on a six écoles francophones. Ma mère et ma grand-mère étaient éducatrices dans les petites écoles, alors le français, c’était important dans ma famille. En 12e année, en 1999, j’ai déménagé à Charlottetown avec ma famille. Je ne pouvais pas aller à l’école francophone de Charlottetown, parce qu’on n’y offrait pas le même niveau de sélection de cours. Il a donc fallu que j’aille à l’école anglophone pour terminer mes études. J’ai aussi suivi un cours à distance pour être en mesure d’aller à l’Université de Moncton. Cela a été une barrière pour moi de continuer mes études en français. Puis, lorsque je suis arrivé à l’Université de Moncton, je n’étais pas aussi fort en français que la majorité de mes amis du Nouveau-Brunswick qui avaient été à l’école française et qui avaient travaillé et vécu en français presque toute leur vie. Nous sommes isolés à l’Île-du-Prince-Édouard. C’est beaucoup mieux maintenant. Autrefois, tu ne pouvais pas sortir du village puis faire des affaires en français. Tout était en anglais. Le sport ou n’importe quelle autre activité à l’école se déroulait en anglais. L’anglais l’emportait sur le français.
J’ai étudié à l’Université de Moncton. J’ai aussi travaillé dans la restauration, et c’est pourquoi je suis maintenant propriétaire, mais toute mon opération est en anglais. La majorité du travail de bureau est faite en anglais, même au Nouveau-Brunswick, lorsque j’y étais. Lorsque je suis revenu à l’Île-du-Prince-Édouard, l’anglais était encore plus présent.
J’ai travaillé un peu en français dans la communauté, puis on m’a toujours dit que mon français écrit était vraiment médiocre. Mon anglais écrit est beaucoup mieux. C’est la réalité dans laquelle j’ai été élevé. La majorité de ma lecture se fait en anglais. J’ai acquis un diplôme en affaires en anglais. C’était beaucoup plus facile pour moi, et je n’avais pas vraiment le choix, parce que je ne pouvais pas suivre un cours en affaires en français à l’Île-du-Prince-Édouard.
Quand je travaillais comme serveur, des clients francophones, soit du Québec, du Nouveau-Brunswick ou de la France, revenaient souvent à mon restaurant, parce que je parlais français. Comme vous le voyez, je le parle très bien, mais à l’écrit, vous ne voulez pas voir ça. Je me souviens que, il y a 10 ans, la Ligue nationale de hockey était venue ici pour faire un camp de sélection pour les recrues. La majorité des entraîneurs ont continué à venir à mon restaurant toute la semaine pour obtenir un service en français, alors, c’est bien apprécié. J’ai toujours pu constater, partout où j’ai travaillé, qu’un service en français était fort apprécié par le secteur du tourisme. C’est agréable de voir la réaction sur le visage de quelqu’un lorsqu’il peut parler dans sa langue dans un milieu anglophone. Cela m’a donné la chance de faire beaucoup d’argent comme serveur. Cela se traduisait directement par des dollars. C’est ça.
J’ai travaillé aussi beaucoup comme remplaçant à l’école. Dans le passé, tu avais seulement besoin d’un an d’études. Cela m’a donné beaucoup d’occasions de travail. Maintenant, je suis entrepreneur. Je travaille avec les organismes francophones et des entreprises du genre, je suis capable d’offrir un service en français, mais je ne suis pas capable d’offrir un service complet en français. C’est très dur de trouver des employés bilingues. Ma femme travaille pour le gouvernement fédéral ici. Elle est anglophone et elle a appris le français par le programme d’immersion. Elle a continué à l’université. Maintenant, elle parle à mon fils à la maison en français. Il y a des organisations comme les Anciens Combattants, qui attirent toutes les personnes bilingues de l’Île-du-Prince-Édouard. C’est vraiment dur, comme Stéphane le disait, même pour les CPE, de trouver un employé bilingue et le payer seulement 11 $, 12 $ ou 13 $ l’heure quand celui-ci pourrait gagner 22 $, 23 $ ou 24 $ l’heure en travaillant pour les organisations du gouvernement qui ont souvent besoin de personnel.
C’est la réalité dans mon entreprise. J’ai un employé qui parle français grâce à un programme d’immersion. Ce n’est pas que je n’essaie pas. J’ai déjà fait des contacts avec les centres communautaires. Je suis bien impliqué dans ma communauté. J’ai des contacts, mais quand même, je ne peux pas trouver des employés qui sont bilingues. C’est rare, et quand tu les as, tu les perds d’habitude parce qu’il y a quelqu’un qui vient les prendre avec une offre d’emploi qui est meilleure.
Je suis papa d’un petit garçon de deux ans et j’en aurai un deuxième dans cinq mois. Mon enfant est inscrit dans un CPE anglophone. J’ai essayé plusieurs fois de le faire entrer dans un CPE francophone. À peu près six semaines après qu’il soit entré au CPE anglophone, j’ai eu un appel qu’il avait été admis dans un CPE francophone, mais comme vous le savez, lorsque les enfants sont placés, ce n’est pas facile de changer d’endroit. Nous travaillons tous les deux autant, donc, on a dit non. Je le regrette maintenant. Cela fait un an et demi que je suis sur une autre liste d’attente. C’est dommage, parce que mon petit garçon parle en anglais 70 p. 100 du temps et 30 p. 100 en français maintenant. Il comprend très bien. Je lui parle toujours en français à la maison, ma femme aussi, mais 8 heures par jour, il est dans un centre complètement anglophone. C’est dommage. Cela devrait être plus facile pour moi de faire entrer mes enfants dans un CPE francophone. De plus, ce n’est pas toujours facile d’avoir des livres ou des activités en français pour mes enfants.
Une autre chose que j’aimerais voir, c’est plus de soutien pour les entrepreneurs francophones comme moi qui font leurs affaires en anglais, comme Stéphane l’a mentionné, parce que la réalité de nos marchés, c’est que 80 à 90 p. 100 de mes clients sont anglophones. Comme je l’ai mentionné, je ne suis pas aussi fort en français écrit qu’à l’oral. C’est à l’occasion très dur de traduire et cela me prend beaucoup de temps pour que tous mes documents soient bilingues. J’aimerais qu’il y ait un soutien aux entrepreneurs qui veulent offrir un service bilingue. Juste parce que tu es bilingue, cela ne veut pas dire que tu as le temps, l’argent et les connaissances pour bien traduire tous tes documents. Merci.
La présidente : Merci, monsieur Arsenault, d’avoir partagé votre histoire personnelle. Justement, nous sommes allés à un restaurant hier soir et nous avons été servis en anglais. J’ai demandé s’ils avaient un menu bilingue, quelque chose en français, que cela pourrait aider leur clientèle, et la dame a dit : « Non, on n’a rien. » Je lui ai demandé de le suggérer à son gérant. En tout cas, c’est simplement pour faire valoir le message que c’est important pour la clientèle d’avoir un service bilingue. Alors, bravo!
Je dois dire que M. Arsenault a été finaliste au concours des « Dragons » tenu par la Chambre de commerce acadienne et francophone, où un prix a été accordé. Alors, félicitations!
La période des questions est maintenant ouverte et sera posée par la sénatrice Gagné, suivie de la sénatrice Moncion.
La sénatrice Gagné : Merci beaucoup de votre présentation et de la candeur de vos propos. J’ai trouvé cela très intéressant. Ce que je constate, c’est ce beau dicton qui dit qu’il faut toute une communauté pour élever un enfant. Une communauté où il y a plusieurs secteurs d’activités bien établis, qui est capable de soutenir le développement d’un enfant, d’une famille et ensuite de la famille agrandie.
Vous avez parlé de l’importance de la petite enfance, de l’immigration, de pouvoir rapatrier les jeunes qui ont quitté la province pour pouvoir faire des études ailleurs. Vous avez parlé aussi des institutions fédérales et de leur rôle dans l’offre de services et de la promotion active des langues officielles. Je veux revenir sur ce dernier point. J’ai eu différents sons de cloche et je crois qu’en ce qui a trait au RDEE, vous êtes bien réseautés au niveau national et vous faites aussi affaire avec le gouvernement fédéral. Vous êtes financés par le gouvernement fédéral, si je comprends bien le rôle de votre organisation. Je comprends aussi qu’il y a plusieurs francophones et francophiles qui sont recrutés par les institutions fédérales ici pour aider la population. De façon générale, est-ce que vous trouvez que le service est offert de façon active en tout temps et qu’il est disponible? Madame Lemire, vous m’avez donné un exemple qui indiquait que ce n’était pas une offre active. Quelle est votre impression du service offert par les institutions fédérales ici?
Mme Lemire : C’est quand même rare, je dois vous avouer, que j’ai besoin de recevoir un service en personne au niveau fédéral. Les quelques fois où je suis allée au bureau du guichet unique de Service Canada, cela a été difficile de trouver quelqu’un qui était bilingue ou qui parlait français. Puis, il m’est arrivé une petite anecdote cette semaine. Je me demande si l'on vit un peu la même chose au niveau du gouvernement fédéral qu’au niveau du gouvernement provincial. C’est-à-dire que pour des postes non bilingues au niveau provincial, même si les gens parlent le français, ils vont préférer ne pas l’indiquer parce que cela représente une surcharge de travail, surtout dans le domaine infirmier, par exemple. Les infirmières et les infirmiers qui sont bilingues, s’ils disent qu’ils parlent français, cela va être trop de travail parce qu’ils devront faire de la traduction (ou de l’interprétation) en plus de servir les patients. Je ne suis pas une experte des ressources humaines au niveau fédéral, mais je me demande si c’est parce que c’est une surcharge de travail, un manque de réflexe ou un manque d’engagement. Parfois, ce peut être à cause des supérieurs ou de l’environnement. À Parcs Canada, tu reçois toujours du service bilingue. C’est spécial. Les courriels que j’ai envoyés à Parcs Canada pour différentes situations, je peux les faire en français ou en anglais. C’était incroyable. C’est plaisant, mais ce n’est peut-être pas le ministère le plus important à mes yeux qui doit être bilingue. Je pense à la justice et à tous les services offerts en personne comme à Service Canada. Il me semble que Service Canada devrait être complètement bilingue parce que c’est un service à la clientèle, au citoyen. Encore là, ce sont des constats. Je ne peux pas émettre d’opinion ou de jugement. Ce sont des questions que je me pose en fait.
La sénatrice Gagné : Est-ce qu’il y en a d’autres qui voudraient faire des commentaires?
M. Arsenault : Je suis d’accord avec Jacinthe. Cela dépend vraiment de l’organisation. Souvent, je demande des services en français en premier. Soit que tu as quelqu’un tout de suite ou que tu attends deux heures.
La sénatrice Gagné : Ce n’est pas de qualité égale, à ce que j’entends.
M. Arsenault : Non, pas du tout. Comme elle l'a dit, j’ai déjà fait affaire avec Parcs Canada, toujours en français. Service Canada, même chose. Je connais quelques personnes qui travaillent dans le bureau. En sachant cela, je peux avoir du service en français, mais dans la plupart des cas, ce n’est pas possible. Cela dépend de l’organisation, cela dépend du leadership. Les problèmes sont divers : qui demande quoi; s’il est important pour les ressources humaines d’offrir un service de plus de qualité; le salaire offert; et le nombre de francophones pour aider la population. Il y a probablement plus de postes bilingues qu’il y a de francophones.
La sénatrice Gagné : Alors, dans le contexte de la modernisation, est-ce que la loi pourrait être améliorée pour renforcer ce rôle des institutions fédérales?
Mme Lemire : D’après moi, tout ce qui est service à la clientèle devrait être offert de manière bilingue, sine qua non, sans avoir à attendre, dans la mesure du possible. Pour certains autres ministères, peut-être que c’est moins important ou moins urgent.
La sénatrice Moncion : Alors, j’ai quelques questions pour M. Blanchard. Vous avez parlé du programme Jeunes Entrepreneurs qui est offert par le RDEE. Est-ce que vous pourriez nous parler des programmes qui existent pour la succession d’entreprise au RDEE? Pourriez-vous nous donner quelques statistiques aussi? J’imagine que vous avez des entrepreneurs ici qui veulent prendre leur retraite. Quel est le travail fait avec le RDEE justement pour la succession d’entreprise? J’aurai une autre question après.
M. Blanchard : Il y a peut-être un an ou deux, à travers le modèle coopératif, on avait reçu des gens du Nouveau-Brunswick qui étaient venus faire une présentation sur la succession d’entreprise par la coopérative, ce qui se fait de plus en plus souvent au Nouveau-Brunswick et au Québec. C’était une des options qui étaient offertes. Souvent, on va travailler au cas par cas. Si quelqu’un vient nous voir avec l’idée de prendre sa retraite, on va travailler au cas par cas à ce moment-là. Mais c’est une des options qu’on avait offertes au grand public. Il y avait Marc Henry, du Nouveau-Brunswick, qui était dans le mouvement coopératif. Aussi, je vous ai parlé de la Coopérative services jeunesses. On travaille beaucoup avec la Coopérative de développement régional-Acadie (CDR Acadie) et avec Marc Henry aussi pour démontrer comment on peut utiliser le mouvement coopératif pour la succession d’entreprise dans ce sens. Aussi, il faut savoir que la région Évangéline a déjà été déclarée capitale mondiale de la coopérative par personne. Il y a beaucoup de coopératives, donc, pour la population, c’est vraiment remarquable. Donc, ce modèle serait bien vu de la région, parce que c’est un mouvement, un modèle qui est bien connu, qui est bien en place dans la région.
La sénatrice Moncion : Dans les sommes que vous avez pour mener vos activités comme RDEE provincial, en avez-vous suffisamment ou êtes-vous comme les autres programmes, sous-financés? Par exemple, on parlait tout à l’heure du programme d’immigration où l'on parle d’un financement de 50 000 $. Aujourd’hui, tu ne vas pas loin avec ça. Il y a des besoins de financement qui sont associés aux programmes.
M. Blanchard : On a une dizaine d’employés au RDEE de l’Île-du-Prince-Édouard. On peut difficilement se plaindre. Le gros de notre travail, souvent, c’est de trouver quand même d’autres sommes pour pouvoir faire plus de développement économique. C’est certain que si l'on avait plus d’argent, on pourrait offrir plus de programmes aux jeunes. Présentement, je vous en montre trois, mais on en fait d’autres. On pourrait en faire plus, c’est certain. Souvent, le nerf de la guerre, le cheval de bataille, c’est de trouver d’autres sources de financement, faire des demandes de financement afin de pouvoir offrir d’autres programmes. Donc, c’est une quête sans fin si l'on veut, mais c’est certain que si l'on avait plus de financement, on pourrait certainement offrir plus de services.
La sénatrice Moncion : Monsieur Arsenault, est-ce que vous avez bénéficié des services du RDEE pour vous lancer en affaires?
M. Arsenault : Comme source de financement? Non.
La sénatrice Moncion : Ou même pour les ressources humaines.
M. Arsenault : J’ai eu un peu de soutien, quelques réunions, des rencontres pour m’aider à me diriger et des renseignements sur quels organismes qui pouvaient peut-être m’aider financièrement. En ce qui a trait au concours des « Dragons » dont vous avez parlé, les anglophones ont une poche de 200 000 $ par année pour le fonds Ignition, c’est tout donné. De notre côté, nous avons 10 000 $ pour un prix sur trois. On va juste dire qu’être francophone ne m’a pas aidé à avoir plus de fonds comme un autre entrepreneur. C’est le système anglophone. Je les ai contactés, et ils m’ont indiqué vers où aller, mais ils n’ont pas les fonds.
La sénatrice Moncion : Maintenant, c’est mon dernier commentaire, je vais vous donner un peu de renseignements. Vous avez parlé de ne pas avoir beaucoup de ressources francophones pour vos enfants. Je vais vous donner un site Internet pour eux. C’est la Télévision française de l’Ontario (TFO), et il y a plusieurs sites et sous-sites. Il y en a un qui s’appelle Boukili et il y a beaucoup d’autres. Il y a beaucoup de livres en français. Sur le site de TFO, il y a aussi une section pour les enfants. Là, il y a des vidéos en français. Il y a des comptines et des chansons. Avec Boukili, les enfants peuvent apprendre à lire. En vous inscrivant, vous y trouverez toutes sortes de ressources. C’est exclusivement en français. Il y a des jeux aussi, toutes sortes de choses pour les enfants. Il y en a pour les adultes aussi, mais surtout pour les enfants.
La présidente : La sénatrice Moncion vient de l’Ontario, alors elle en fait bien la promotion.
La sénatrice Moncion : Et elle a siégé au conseil d’administration de TFO.
La sénatrice Mégie : Merci pour vos exposés qui nous décrivent la réalité, la vraie vie. On a rencontré des élèves hier, et ils nous ont parlé des Jeunes millionnaires, et j’ai vu que vous êtes derrière cela. Pour le programme PERCÉ, et dites-moi si c’est réaliste ou pas, est-ce que cela ne pourrait pas servir pour le moment à donner un coup de pouce aux CPE qui cherchent des ressources? Ils nous ont parlé du problème financier qui sous-tend cette situation et du salaire que reçoivent les employés. Dans le programme PERCÉ, j’ai vu le libellé « Aide financière aux employeurs en échange d’une expérience enrichissante ». Est-ce que ce serait possible?
M. Blanchard : Oui, c’est absolument possible. En fait, cela fait déjà quelques années qu’on l’encourage. Cet été, je pense qu’on avait peut-être deux ou trois éducatrices qui ont passé par PERCÉ et qui travaillaient dans les CPE. Le programme PERCÉ est là justement pour ce genre de personnes qui font des études postsecondaires et qui veulent avoir de l’expérience dans leur domaine. C’est donc tout à fait possible, oui. Étant donné la situation, comme je disais, on en fait déjà la promotion, et cela se fait. Vous avez lu dans nos pensées.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup pour vos présentations. Cela montre bien la réalité de la communauté acadienne et francophone de l’Île-du-Prince-Édouard. J’ai quelques questions qui s’adressent d’une part à vous, de RDEE — j’allais dire Nouveau-Brunswick, excusez-moi, c’est parce que je suis du Nouveau-Brunswick — de l’Île-du-Prince-Édouard. Comment les programmes que vous mettez en place, Jeunes millionnaires, coop, PERCÉ se traduisent-ils par la création d’entrepreneurs? Ce sont des programmes d’éveil à l’entrepreneuriat. On sait que dans les communautés francophones, de tradition, on a eu un peu de défi à développer l’esprit entrepreneurial pour que cela se traduise par des entreprises concrètes comme celles de M. Arsenault. Quels sont les enjeux de ces programmes pour qu’ils créent des entrepreneurs et des milieux économiquement viables? Comment le fédéral peut-il aider aussi à ce développement économique pour s’assurer qu’en fin de compte, tous les efforts que vous mettez au RDEE puissent être fructueux? J’ai une sous-question à cela. M. Arsenault parle des défis de gérer son entreprise en langue française. Vous dites que beaucoup de ce que vous faites se fait en anglais, de même que la documentation. Est-ce que le RDEE offre une aide aux entreprises pour leur permettre de faire la transition vers une gestion francophone de leur entreprise? Si oui, quelle est-elle? C’est ma première question.
M. Blanchard : Parfait, merci. Le programme Jeunes millionnaires existe déjà depuis 25 ans. Il célébrait cet été son 25e anniversaire et il se donne aussi en anglais. En fait, c’est un programme qui est géré par la Central Development Corporation (CDC), et nous avons une partie du financement du CDC pour l’offrir en français. Votre question, c’est de savoir ce qu’on pouvait faire. Malheureusement, on ne suit pas beaucoup les entrepreneurs, parce que c’est un programme pour les jeunes de 12 à 17 ans ou de 8 à 16 ans. Donc, on n’a pas les fonds ni les moyens de les suivre une fois qu’ils arrivent à la majorité pour voir ce qu’on pourrait mettre en place pour continuer à les pousser ou à les encourager à se lancer en affaires. Cela dit, par contre, nous, du côté francophone, on a la chance, l’occasion que nos jeunes millionnaires puissent refaire le programme pour plus d’un an. Alors, ils ont la chance de parfaire leurs connaissances et aussi de mieux comprendre comment cela se fait d’une année à l’autre et d’améliorer leurs idées d’entreprise. Je pense que c’est un avantage qu’on a.
Pour les jeunes francophones qui passent par notre programme, les premières années, les choses ne vont peut-être pas aussi bien, mais il y a de jeunes entrepreneurs de moins de 16 ans qui gagnent 5 000 $ ou 6 000 $ au cours d’un été. C’est quand même impressionnant pour des jeunes qui vendent des produits à 1 $ ou 2 $ l’unité. Donc, pour répondre à la sous-question en ce qui a trait à ce que le gouvernement fédéral pourrait faire, peut-être que si l'on avait les moyens de suivre les jeunes qu’on juge avoir du potentiel, cela pourrait être gagnant autant pour la communauté francophone que pour ces jeunes entrepreneurs en herbe. Donc, cela pourrait être quelque chose qui pourrait être fait, de pouvoir assurer un suivi lorsqu’ils commencent à approcher l’âge de la majorité.
Le sénateur Cormier : Avant de poser ma question à Mme Lemire, j’aurais une autre question.
Dans les petites communautés où il n’y a pas énormément de francophones, un des enjeux pour les entrepreneurs, comme M. Arsenault, est de rester en contact avec d’autres entrepreneurs. Est-ce qu’il y a des réseaux francophones qui existent à l’intérieur de l’Île-du-Prince-Édouard? Et à l’extérieur, est-ce qu’il y a des réseaux francophones en Atlantique? Est-ce qu’il y a des réseaux entre les provinces?
M. Blanchard : À l’intérieur même de l’Île-du-Prince-Édouard, nos jeunes millionnaires sont souvent invités à participer à des événements de vente ensemble. Alors, de cette façon, oui. Par contre, avec les autres provinces, il n’y en a pas pour ce genre de programme. Toutefois, pour l’autre programme dont je vous parle qui est la Coopérative services jeunesses, on travaille beaucoup avec le Nouveau-Brunswick. Nos animateurs de coopérative vont prendre la même formation que les animateurs des coopératives du Nouveau-Brunswick. Je pense qu’au Nouveau-Brunswick, il y en a peut-être sept ou huit coopératives jeunesse de services, comme ils les appellent. Nos animateurs suivent la même formation en même temps que ceux du Nouveau-Brunswick. De cette façon, il y a un peu d’échange interprovincial qui se fait. Sans que cela soit une suggestion, si nos jeunes millionnaires pouvaient rencontrer de jeunes entrepreneurs des autres provinces adjacentes, cela serait un excellent moyen de faire en sorte qu’ils apprennent les meilleures pratiques ensemble.
Le sénateur Cormier : Ce n’est pas pour prendre tout le temps, mais je voudrais quand même dire ceci, si vous le permettez, madame la présidente. Un des enjeux entre les provinces sur l’aide, qui arrive du fédéral souvent, c’est la capacité de développer des projets interprovinciaux, des ententes qui permettent à des Acadiens et francophones de l’île de travailler avec d’autres provinces sur des projets structurants. Au niveau du financement du gouvernement fédéral, je crois qu’il y a des enjeux. Ce pourrait être une suggestion de votre part pour la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Vous pourriez peut-être suggérer qu’il y ait une enveloppe qui aide à soutenir les projets entre les communautés francophones en milieu minoritaire des différentes provinces, parce que cela n’existe pas beaucoup. Enfin, je vous laisse cette proposition, si vous souhaitez la faire. Je poserai une question au deuxième tour. Merci, madame la présidente.
La présidente : C’est bien. Vous pourrez y réfléchir et revenir avec la recommandation à la suite de la question du sénateur Maltais. Sénateur Maltais, s’il vous plaît.
Le sénateur Maltais : Merci de vos présentations.
Monsieur Arsenault, vous avez parlé d’un problème qui n’est quand même pas facile à régler, en ce qui a trait aux garderies. J’essaie de regarder dans quel cadre de notre mandat on peut situer le rôle des garderies dans les milieux linguistiques minoritaires. Peut-être qu’il y a une place, mais je ne la trouve pas. Mais, si vous aviez une recommandation à nous faire là-dessus, est-ce que ça serait possible de nous la faire par écrit et de l’envoyer à notre greffière? Vous n’êtes pas le seul à avoir soulevé cela; il y a eu les parents et les enseignants. Beaucoup de gens ont dit que c’était un problème. Maintenant, comment le régler, c’est une autre paire de manches. Est-ce que cela se règle juste par l’argent ou si cela se règle par autre chose? Je ne le sais pas. Maintenant, on accepterait vos suggestions dans ce cadre. Après l’audience, vous pourriez peut-être voir la greffière pour prendre les coordonnées du comité.
Monsieur Blanchard, vous êtes un entrepreneur. Quelle sorte d’entreprise avez-vous?
M. Blanchard : Je ne suis pas un entrepreneur, non. Je travaille dans le développement économique communautaire, mais je ne suis pas un entrepreneur en tant que tel.
Le sénateur Maltais : Bon. J’avais cru comprendre que vous étiez entrepreneur. Quant aux jeunes de 8 à 17 ans dont vous nous avez parlé tout à l’heure, qu’est-ce que vous faites faire à un petit garçon de 8 ans ou à une petite fille de 8 ans?
M. Blanchard : C’est une bonne question. Premièrement, comme je le disais, on leur offre, au mois de juin avant que l’école se termine, juste avant la fête du Canada, de leur donner trois séances d’information pendant tout le mois. À ces séances, on leur explique comment on lance une entreprise, ce qu’est une entreprise. On parle vraiment de l’ABC, de la base. Pendant ces trois petits cours, on leur offre un beau cartable avec de bonnes ressources; tout est à l’intérieur. Il y a même l’établissement d’un plan d’affaires. On travaille avec eux pendant ces trois séances, et ils vont soumettre une idée de plan d’affaires. Ce n’est pas nous qui leur disons quoi faire. La plupart du temps, les jeunes qui s’inscrivent ont déjà pensé à ce qu’ils voudraient faire comme petite entreprise. Ce qu’on leur offre pour pouvoir lancer leur petite entreprise, c’est un octroi non remboursable de 100 $ pour une entreprise en solo, ou de 150 $ pour une entreprise en partenariat. Avec cet argent, par exemple, ils vont aller s’acheter du fil et des perles avec lesquels ils vont faire des colliers qu’ils vont vendre dans un festival. Notre rôle après cela, c’est justement de leur trouver des endroits où ils peuvent aller vendre leur produit. Certains d’entre eux offrent aussi des services. Il y a des jeunes quelquefois qui vont vouloir faire de la tonte de gazon, peinturer des clôtures ou quelque chose de ce genre. Donc, qu’est-ce qu’ils vont faire les petits bonhommes de 8 ans, cela reste libre à leur imagination.
Dans une des séances qu’on offre, on fait un remue-méninges. On lance des idées. Qu’est-ce que tu peux faire pour 100 $? Tout le monde lance des idées. Même si quelqu’un arrivait sans aucune idée de ce qu’il voulait faire comme petite entreprise, cet atelier va lui permettre de réfléchir à ce qu’il peut faire. C’est sûr que 100 $, c’est pas beaucoup, et je crois que ce montant n’a pas augmenté depuis 25 ans. Je pense que c’est le même montant qu’il y a 25 ans, donc ce n’est pas énorme, mais il y a des enfants qui trouvent des façons. Leurs parents leur prêtent un peu d’argent qu’ils vont leur rembourser au fil de l’été. Il y a toutes sortes d’idées qui peuvent sortir. En tout cas, ils peuvent aller essayer de trouver de l’argent ailleurs, mais la plupart du temps, ils se trouvent des idées pas trop chères et ils lancent leur petite entreprise avec les 100 $.
Le sénateur Maltais : J’ai une dernière question, madame la présidente. Hier, on avait l’occasion de rencontrer des jeunes à l’école Évangéline. J’avais trois petits coquins à ma table qui étaient fort gentils. Il y en a deux qui étaient des fils de pêcheurs, et je leur ai demandé plus tard ce qu’ils voulaient faire à part faire de la musique et jouer du violon, ce qu’ils font très bien, d’ailleurs, ils me l’ont démontré. J’ai dit : « Avez-vous de l’argent pour acheter un bateau? Le bateau de votre père? C’est son fonds de pension. » Ils ont dit : « Non. La banque va nous en prêter. » Commencez à aller voir la banque tout de suite, les banques ne sont pas prêteuses pour les pêcheurs. Est-ce que c’est une chose que vous regardez dans votre travail, le transfert d’entreprise? Je vous nomme des pêcheurs. Cela peut être d’autres personnes, par exemple des fermiers ou des transformateurs de produits laitiers. Est-ce qu’il y a une politique à court, à moyen et à long terme pour aider les jeunes qui veulent succéder à leurs parents? Les trois quarts du temps, pour les parents, leur entreprise représente leur fonds de pension. Ils peuvent bien en donner une partie à leurs enfants et la leur vendre à un prix très raisonnable comme on dit, mais il faut qu’ils en aient assez pour vivre, et ils ont travaillé toute leur vie pour accumuler cela. Est-ce qu’on prévoit quelque chose dans votre organisme pour les aider?
M. Blanchard : Comme je le mentionnais à Mme Moncion plus tôt, il y a le transfert du legs par la voie coopérative qui est une option. En ce qui a trait à ce que vous me demandez, je crois que oui, mais comme je le disais aussi plus tôt, nous sommes une dizaine d’employés au RDEE. Je connais la personne qui pourrait répondre à cela à 100 p. 100, mais je n’ai pas de réponse sûre pour vous.
Le sénateur Maltais : Je vous comprends. Je ne veux pas de réponse tout de suite, c’est clair. Mais est-ce que vous pourriez accompagner les jeunes qui veulent acquérir leur entreprise familiale, parce que ce n’est pas à l’école qu’ils apprennent cela, pour leur donner une chance de dire, voici les taxes, l’entreprise vaut tant, ton papa va te la vendre pour un certain montant d'argent, il est capable de financer en partie. Voici où l’on peut trouver d’autres sommes, parce que dans le cas des pêcheurs, on sait que c’est saisonnier. Cela dépend de beaucoup de facteurs, équilibrer les bonnes et les mauvaises années. En fait, c’est surtout de cela qu’ils ont besoin, ces jeunes.
M. Blanchard : Comme je vous le disais, on offre ce genre de services. On offre des services aux entrepreneurs. Je n’ai pas d’exemples concrets exactement. Ce n’est pas vraiment mon domaine, mais je sais que Velma, qui travaille avec nous, s’occupe de cela. Elle va tout faire pour aider les entrepreneurs. C’est un excellent point que vous apportez; le transfert d’entreprise, c’est important. À l’Île-du-Prince-Édouard, on sait que l’industrie de la pêche et l’industrie de la ferme restent très importantes. Ce n’est pas ce que je fais, mais je sais qu’au RDEE, avec les ressources qu’on a, on va tout faire pour aider les entrepreneurs. On devrait aussi examiner si l'on ne pourrait pas mieux l’offrir ou en tout cas l’offrir directement.
Le sénateur Maltais : C’est un service que vous pourriez rendre à la communauté anglophone.
La présidente : Alors, si vous pouvez nous envoyer les renseignements que le comité vous a demandés ou si vous avez des choses qui vous viennent à l’esprit, nous serons heureux de recevoir de l’information additionnelle.
Pour faire suite à un commentaire du sénateur Maltais quant à l’espace qu’occupe la petite enfance par rapport à la loi, il me semble que la partie VII de la loi convient très bien lorsqu’on parle de la responsabilité du gouvernement fédéral de voir à l’épanouissement et au développement des communautés. Certainement, la petite enfance est à la base d’un bon départ et d’une construction identitaire, donc je pense que ça peut très bien se placer à cet endroit. C’est le sénateur Cormier, je pense, qui veut poser une deuxième question.
Le sénateur Cormier : Oui.
La présidente : Il nous reste 10 minutes.
Le sénateur Cormier : Très bien. Merci beaucoup.
Alors, la question s’adresse plutôt à Mme Lemire, en ce qui concerne tous les enjeux qui touchent l’immigration. Vous nous avez déjà donné des pistes en fonction de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Vous avez parlé de l’importance de la diversité culturelle et évidemment de l’immigration de façon générale comme étant une dimension à être prise en compte dans la Loi sur les langues officielles. Vous avez parlé aussi de la prise en compte des allophones qui peuvent être des candidats, si je peux dire, à l’immigration francophone dans nos communautés. Vous avez parlé du manque de promotion des communautés francophones, c’est-à-dire qu’il y a certains allophones qui s’intègrent à la communauté anglophone parce qu’ils ne savent pas qu’il y a des communautés francophones. J’aimerais mieux comprendre l’enjeu du financement dont vous avez parlé, c’est-à-dire les 50 000 $. Dans le cadre de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, quelles devraient être les priorités mises de l’avant par le gouvernement fédéral pour vous aider à accentuer et à accroître la démographie francophone de la province?
Mme Lemire : Merci pour la question. J’aimerais souligner que les 50 000 $ qu’on reçoit, c’est pour les services directs aux arrivants francophones. On a d’autres sommes qui sont attribuables à d’autres projets, par exemple les services indirects. Je coordonne le Réseau en immigration francophone (RIF) à l’Île-du-Prince-Édouard. On a d’autres sommes pour cela. Le gouvernement provincial participe énormément dans nos projets et notre plan d’action. Cela dit, pour les services d’établissement, normalement les fournisseurs de service qui sont mandatés par IRCC sont financés à part entière par IRCC. C’est vraiment des appels de proposition. Ce n’est pas des subventions, c’est vraiment des ententes de contribution qu’on a du gouvernement fédéral. On est des mandataires, si je peux dire, du gouvernement fédéral, pour offrir des services d’établissement aux nouveaux arrivants. Donc, pour moi, il n’est pas normal qu’un organisme d’établissement comme le mien doive prendre du temps et des ressources humaines pour trouver des sommes ailleurs pour offrir ce service qui est mandaté par IRCC.
Je crois que dans le cadre de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, on devrait tenir compte du fait qu’offrir des services d’établissement aux nouveaux arrivants ou allophones qui choisissent le français comme langue d’utilisation au Canada, quand on est en situation minoritaire, cela coûte plus cher. C’est sûr que ça coûte plus cher de servir 35 ou 40 clients par année au prorata ou par tête de pipe que d’en servir 1 000. C’est normal. Ceci ne me semble pas être pris en compte présentement par IRCC, tout simplement parce que de ce que je comprends, on n’a pas d’argent qui provient de la fameuse feuille de route. C’est une situation spéciale, peut-être, parce qu’on a une entente de contribution. On est dans un réseau d’établissements, mais franchement, je trouve que c’est absolument injuste que nous soyons traités de la même manière que notre organisme sœur qui a plus de 1 000 nouveaux arrivants par année, alors que nous en avons eu 35 l’an dernier. Les efforts sont plus grands, les services qu’on doit offrir prennent plus de temps parce qu’on doit servir d’interprète souvent. Il y a moins de services offerts en français dans notre province, et on a moins de clients aussi, donc on fait certains efforts de promotion de nos services, parce qu’on sent qu’il y a une lacune au niveau du gouvernement fédéral lorsqu’il octroie les résidences permanentes aux nouveaux arrivants. Ils ne savent pas que notre organisme existe, par exemple. Il y a eu des améliorations, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire.
Le sénateur Cormier : Est-ce que je comprends, par le constat que vous faites, que la Loi sur les langues officielles devrait avoir davantage de mordant pour que les ministères qui ne relèvent pas de Patrimoine canadien soient plus redevables à cette Loi sur les langues officielles?
Mme Lemire : Peu importe le sujet, je parle d’immigration et je pense qu’il est primordial que tous les autres ministères soient plus en symbiose avec la loi et que, oui, ils la respectent davantage. La loi peut prescrire certaines choses qui ne sont en réalité pas respectées sur le terrain à l’heure actuelle. Je n’ai pas d’exemples à vous donner. Je suis certaine que vous en avez déjà en tête, étant plus experts que moi en la matière.
Effectivement, quand je parlais de moderniser la loi et de parler davantage des nouveaux arrivants et de diversité culturelle, c’est que, comme tout le monde, même les anglophones, les Canadiens évoluent. La société canadienne est plus diverse, et je crois que tous les nouveaux arrivants au Canada, qu’ils soient anglophones ou francophones ou allophones, devraient avoir le droit et être encouragés de s’intégrer dans une communauté francophone en situation minoritaire.
Le sénateur Cormier : Merci, et merci beaucoup pour votre engagement envers la communauté francophone de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Gagné : Ma question est assez courte. Je veux juste savoir si l’on a consulté les communautés dans l’élaboration des programmes des institutions fédérales. Est-ce qu’on vous consulte à ce propos? Est-ce que vous avez la chance de donner vos commentaires? Lorsque les programmes sont offerts, répondent-ils bien à votre situation? Est-ce qu’on prend en compte la spécificité de votre communauté?
Mme Lemire : Je peux vous dire qu’au niveau de l’immigration, nous avons été consultés par IRCC à maintes reprises, donc avant leur appel de propositions de 2015. Nous avons aussi assisté à une grande conférence, je crois, il y a deux ou trois ans. Cela s’appelait Vision 2020. C’est en vue de leur prochain appel de propositions en 2020. Oui, on nous consulte à ce propos, mais pas nécessairement en tant que communauté francophone. Ce sont tous les organismes d’établissement. Tous les fournisseurs de service ont été consultés à cet égard, mais la proportion de francophones est mince.
La sénatrice Gagné : Je voulais dire la communauté francophone en situation minoritaire spécifiquement.
Mme Lemire : Oui, dans une certaine mesure, mais je crois que l’importance est mise davantage sur les consultations en général.
La présidente : Aviez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Blanchard?
M. Blanchard : Oui. J’allais ajouter que, de mon côté, avec le secteur jeunesse, je travaille beaucoup avec Emploi et Développement social Canada (EDSC). Dernièrement, il y a eu beaucoup de changements au programme d’EDSC et nous n’avons pas été consultés. Pour répondre à votre question, pas de ce côté, non.
La présidente : Avant de terminer, monsieur Arsenault, est-ce que vous aimeriez ajouter quelque chose?
M. Arsenault : J’aimerais ajouter que j’ai fait partie du programme Jeunes millionaires pendant deux ans. J’ai fait une serre, un service pour promener des chiens et d’autres choses comme celles-là, mais je dois admettre aussi qu’il n’y a pas de transition après. Je suis entrepreneur parce que les membres de ma famille sont tous des entrepreneurs, plus ou moins. Je suis sûr que le programme a aidé, et j’avais été partenaire. Je crois que c’est tout.
La présidente : Alors, au nom du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je tiens à vous remercier très sincèrement de vos présentations aujourd’hui. Merci d’avoir pris le temps de partager avec nous vos expériences et votre expertise, et bonne chance dans vos démarches futures.
Nous avons maintenant le plaisir de recevoir trois jeunes, deux qui sont présentement inscrits dans des programmes d’immersion française et une finissante des programmes d’immersion française. Nous accueillons donc Thomas Haslam, qui est un élève inscrit en immersion française tardive dans une école secondaire de langue anglaise de Kensington, à l’Île-du-Prince-Édouard; Katie Toole, qui a récemment reçu son diplôme d’une école secondaire de langue anglaise de Bonshaw, à l’Île-du-Prince-Édouard, où elle a fréquenté le programme d’immersion française tardive; et enfin, Victoria Gibbs, qui est une élève inscrite dans une école secondaire de langue anglaise de Little York, à l’Île-du-Prince-Édouard. Je vous souhaite la bienvenue.
Ce sont des jeunes qui ont déjà vécu des expériences intéressantes, qui ont été des ambassadeurs pour représenter leur école et leur province à divers événements, alors nous avons hâte de les entendre. Nous allons commencer avec Thomas, s’il vous plaît, pour ensuite entendre Katie et Victoria. Après vos présentations, les sénateurs vous poseront des questions. Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui.
[Traduction]
Thomas Haslam, Canadian Parents for French : Honorables membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, collègues, dignitaires et invités, bonjour. Je m’appelle Thomas Haslam. Je suis originaire de l’Île-du-Prince-Édouard et j’étudie au niveau secondaire pour devenir bilingue par l’intermédiaire du programme d’immersion française tardive. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de vous présenter mon point de vue sur la façon dont le bilinguisme a façonné mon identité canadienne, l’importance du bilinguisme dans notre société canadienne, et les nombreuses expériences et possibilités que m’a apporté mon engagement actif dans l’apprentissage du français. Pendant ma présentation, j’utiliserai autant le français que l’anglais, alors ne soyez pas surpris si je change soudainement de langue.
[Français]
Comme citoyen canadien, je crois que c’est un privilège énorme d’avoir un contact avec notre culture franco-canadienne et l’occasion de poursuivre l’éducation française et le but du bilinguisme. Toutes mes habiletés françaises sont arrivées à cause de mes expériences sociales et de mon éducation grâce au programme d’immersion tardive offert par mon lycée. Avant d’être au secondaire, mes expériences avec la langue française étaient minimes. Cependant, lorsque je me suis rapproché de la remise des diplômes, j’ai senti que mes capacités et ma compréhension s’étaient accrues par mon dévouement et par le soutien de mes pairs, de mes proches et de mes parents.
[Traduction]
Le fait d’apprécier et de comprendre le français me donne, ainsi qu’à tous les Canadiens, l’occasion extraordinaire de vivre et de célébrer les cultures et les valeurs de notre société acadienne, québécoise, francophone et canadienne. Nos deux langues officielles sont des facteurs qui nous unissent d’un bout à l’autre de notre grande nation, et j’ai eu l’honneur de participer à de nombreuses activités où j’ai fraternisé avec d’autres jeunes canadiens grâce au bilinguisme et j’ai découvert différentes facettes de notre pays.
Le fait de pouvoir parler français a absolument enrichi mon expérience du Forum pour jeunes Canadiens, car j’ai pu parler efficacement, couramment et de façon informelle avec d’autres élèves de tous les contextes provinciaux, linguistiques et culturels.
Lors de ma participation au concours d’art oratoire à l’échelon national, j’ai vraiment pris conscience du bien-fondé de l’apprentissage d’une langue seconde lorsque j’ai entendu les différents niveaux de compétences oratoires des autres concurrents dévoués.
Cependant, mon expérience la plus marquante et inspirante a été ma semaine d’immersion dans le cadre des Jeux de la Francophonie canadienne. Ma discipline est le basketball, et je suis vraiment reconnaissant d’avoir représenté ma province, d’avoir participé à la compétition avec des athlètes et des artistes aussi talentueux et, par-dessus tout, d’avoir passé une semaine avec des personnes fières de dire qu’elles sont francophones.
Ce sont ces possibilités, offertes et appuyées par le gouvernement fédéral, qui motivent les jeunes Canadiens à devenir bilingues et à exprimer leur identité culturelle auprès des autres. Dans le cadre de ces expériences, les jeunes Canadiens font une expérience plus intensive du français que ce à quoi ils sont peut-être habitués. Lorsqu’ils retournent dans leurs collectivités riches de nouvelles compétences et plus motivés que jamais, les participants à ces concours oratoires, à ces échanges d’étudiants, à ces jeux francophones et à ces assemblées de jeunes peuvent embrasser davantage la culture de leur région et contribuer à promouvoir la croissance de la langue française dans leurs collectivités.
[Français]
En regardant vers l’avenir, le bilinguisme est la clé du futur de la jeunesse canadienne dans notre société toujours diversifiée. La langue française et la langue anglaise sont une partie de notre héritage et elles sont les fondations linguistiques qui indiquent de quelle façon nous exprimons notre identité canadienne. Donc, c’est vraiment crucial que nous fournissions ces manières d’expression à notre société en évolution.
Les nouveaux et anciens Canadiens peuvent bénéficier de cet outil linguistique, en ce sens qu’il ouvre une multitude de possibilités professionnelles ou une éducation postsecondaire et assure un nouvel environnement pour développer de nouvelles amitiés. Cela approfondit notre appréciation de notre culture canadienne, mais par-dessus tout, cela aide le Canada à être une nation plus cohésive, coopérative et aidante. Plus les Canadiens partagent l’avantage d’être bilingue, plus notre vision nationale pourrait être unifiée et courante. Donc, c’est, à mon avis, de la perspective d’un anglophone, d’un étudiant et d’un habitant de l’Île-du-Prince-Édouard que le bilinguisme est un facteur d'influence et vraiment estimé de notre identité canadienne, ainsi qu’une valeur canadienne qui sera entretenue longtemps.
Le bilinguisme s’obtient en y exposant les jeunes et aussi en engageant leurs intérêts dans leurs propres communautés francophones. Pour moi, c’est l’Acadie. La langue française, c’est quelque chose qui unit les Canadiens, leur histoire, et qui promeut une appréciation d’une mentalité compréhensive canadienne. Je vous remercie de m’avoir donné ce temps. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, Thomas.
Alors, Katie, s’il vous plaît, présentez-nous vos commentaires. Merci.
[Traduction]
Katie Toole, Le français pour l’avenir : Bonjour. J’aimerais d’abord souhaiter aux membres du comité la bienvenue à l’Île-du-Prince-Édouard. J’espère que les témoignages et commentaires que vous entendrez aujourd’hui éclaireront vos futures discussions.
Lorsque le comité a communiqué avec moi il y a environ un mois, j’ai commencé à penser à l’origine de toutes mes expériences en français. Cela m’a ramenée en arrière jusqu’à ma première classe d’immersion tardive en 7e année. Mes raisons d’apprendre le français n’étaient pas nécessairement ce qu’elles seraient aujourd’hui.
À l’époque, alors que j’avais 12 ans, je trouvais que le programme standard anglophone ne me stimulait pas vraiment autant que je l’aurais voulu, alors j’ai décidé d’essayer autre chose. Je me suis dit que ce serait une aventure et que le certificat que j’obtiendrais me ferait vraiment bien paraître après mes études secondaires.
Cependant, une fois que j’ai eu commencé l’immersion française, j’ai vraiment aimé l’expérience. Elle m’a toujours poussée à me dépasser. Je m’en sortais bien, mais si je voulais exceller, je devais redoubler d’efforts. Le programme m’a toujours donné la motivation et les défis supplémentaires dont j’avais besoin.
J’ai aussi commencé à voir les choses sous un autre jour. Ayant grandi dans un milieu anglophone, je n’avais jamais connu que la culture anglophone — c’était normal pour moi. Je ne pensais pas vraiment à une réalité autre que celle-là. Cependant, lorsque j’ai commencé à apprendre le français, j’ai aussi commencé à connaître un peu la culture française — pas beaucoup dans le système scolaire, mais un peu quand même. C’était une expérience vraiment fascinante et différente à laquelle nous n’étions pas beaucoup exposés dans la culture anglaise. C’était donc nouveau pour moi.
Une expérience qui m’a vraiment permis de découvrir la culture française a été ma participation au Forum national des jeunes ambassadeurs en 2015.
[Français]
En 2015, je suis allée à Moncton pour une semaine pour participer au Forum national des jeunes ambassadeurs. Le forum est désigné pour exposer les jeunes à la culture française et pour promouvoir le bilinguisme des jeunes Canadiens, et aussi pour aider les jeunes à comprendre la culture française. Nous avons participé à des activités, nous sommes allés à un tintamarre, nous avons eu une soirée canadienne-française où nous avons vraiment appris à connaître la culture française. Pour moi, c’était vraiment important parce que c’était la première fois que j’étais immergée dans la culture française. J’ai été capable de voir comment la vie des francophones est différente de la nôtre, même si nous sommes tous Canadiens. La vie et la culture sont différentes, et c’était quelque chose de vraiment bon pour moi.
[Traduction]
Ce qui m’amène à mon prochain argument. J’ai vraiment réussi à m’identifier à la culture lorsque j’ai participé à ce programme. Une des questions qu’on m’a posées lorsqu’on a communiqué avec moi pour me proposer de témoigner devant le comité concernait la façon dont les jeunes s’identifient à la langue et à la culture françaises; la réponse est simple : la plupart d’entre eux ne s’y identifient pas. Nombre d’élèves en immersion, qu’ils commencent en première ou en 7e année — quel que soit l’âge auquel ils commencent — voit le français seulement comme une langue. Ils vont simplement en classe pendant 75 minutes, passent des examens et lisent un roman, et ensuite, c’en est fait du français pour la journée. Nombreux sont ceux qui ne veulent pas continuer à étudier le français, même après l’école secondaire, après une ou douze années d’études, peu importe; pour eux, ce n’est qu’une langue.
À l’avenir, je pense vraiment que les programmes d’immersion devraient les immerger réellement dans la culture et leur faire connaître non seulement la langue française, mais aussi la culture qui l’accompagne. Comment peut-on s’identifier à une langue si on ne comprend pas la culture qui la sous-tend? Qu’il s’agisse de promouvoir des groupes qui tiennent des forums comme celui-ci ou d’emmener les élèves dans différents villages francophones ou ailleurs, nous avons vraiment besoin, à l’avenir, d’aider les jeunes à s’identifier à cette culture, car ils seront plus nombreux à continuer à parler français après leurs études secondaires s’ils comprennent mieux la culture et sentent qu’ils en font partie.
Je sais qu’à l’avenir, si ces jeunes continuent à étudier le français, ils auront des débouchés accrus. Je pense à toutes les possibilités qu’on m’a offertes, allant de ma participation au forum en 2015 à mon embauche comme étudiante d’été de première année à Parcs Canada, où ma routine quotidienne consistait à travailler avec des visiteurs francophones et anglophones, à passer constamment d’une langue à l’autre et à pouvoir interagir avec quiconque, au lieu de me contenter de dire : « Désolée, je ne parle que l’anglais, alors je ne peux pas vous aider. »
Lorsque je suis entrée dans une classe d’immersion française en 7e année, je n’ai jamais pensé que je témoignerais un jour devant vous. Le bilinguisme offre tellement de possibilités, et elles sont illimitées. Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve ensuite, mais je sais que, grâce à mon français, je serai en mesure de saisir l’occasion.
En terminant, j’aimerais résumer mes arguments. Lorsque je me suis rendue dans cette classe en 7e année, je me suis dit : « Je vais obtenir le certificat et si je garde mon français, tant mieux, sinon j’aurai quand même mon certificat ». Ce n’est vraiment plus ma façon de penser aujourd’hui. L’immersion française m’a clairement donné la chance d’avoir confiance en mes moyens, d’entrer dans une classe et de dire : « Vous savez quoi? J’ai réussi. » Je m’efforce toujours de mieux faire. Je m’efforce d’être meilleure, mais j’ai la chance de le faire.
Merci beaucoup.
La présidente : Merci beaucoup, Katie.
Victoria, la parole est à vous.
Victoria Gibbs, Le français pour l’avenir : Merci de m’accueillir aujourd’hui. Je suis très heureuse d’être ici.
Mes remarques portent principalement sur le Forum national des jeunes ambassadeurs, car c’est vraiment ce programme qui m’a permis d’établir des liens avec la langue française pour la première fois depuis le début du programme d’immersion française en 7e année.
[Français]
Durant l’été, j’ai fait partie du Forum national des jeunes ambassadeurs (FNJA) avec Le français pour l’avenir. Le programme a changé mes perspectives en français complètement. Avant le programme, j’avais appris le français dans le but d’avoir un meilleur travail dans le futur et parce que mes enseignants et mes parents m’avaient dit que c’était bon pour moi. Vraiment, j’étudiais la langue sans raison. Tout cela a changé après le FNJA. Dans ma vie, j’ai vécu des expériences qui m’ont donné l’idée que le français était une deuxième pensée dans la tête de la plupart des Canadiens ou un « afterthought » en anglais. C’est la même chose pour les gens qui parlent en français depuis la naissance, parce que dans presque toutes les provinces du Canada, vous ne pouvez pas simplement choisir de commander un hamburger en français quand vous le voulez ou décider d’écrire une lettre au conseil scolaire en français quand vous avez besoin de quelque chose. Ce n’est pas possible pour la plupart des Canadiens de vivre en français. Selon mon opinion, c’est triste.
Mais vous savez où c’est possible de faire cela? C’est au Nouveau-Brunswick. Durant ma semaine au FNJA avec Le français pour l’avenir, j’ai habité avec 23 adolescents provenant de partout au Canada, et le thème était commun. Pour presque tout le monde, ce n’était pas possible de vivre en français dans leur communauté ou dans leur province en général, mais j’ai trouvé que les jeunes du Nouveau-Brunswick ont toujours dit que c’est un peu différent pour eux parce qu’ils peuvent vivre en français. Le Nouveau-Brunswick est la seule province bilingue au Canada, et je pense que le Nouveau-Brunswick est un exemple que le Canada a besoin de suivre.
La première étape est de promouvoir le français pour tout le monde, pas juste dans les écoles, mais dans les communautés aussi. C’est quelque chose que j’ai vraiment appris au FNJA avec Le français pour l’avenir, que si l’on peut trouver des façons de promouvoir le français d’une manière que tout le monde aime et pour laquelle tout le monde a de l’intérêt, l’ajout du français dans leur vie devient plus simple, c’est comme un effet domino.
Je pense que la modernisation de la Loi sur les langues officielles est la première étape qui peut créer un effet domino qui va commencer dans les communautés, et qui va se propager comme un bon virus dans chaque province et partout au Canada.
Une autre chose importante est de commencer à faire des connexions en français avec les élèves quand ils sont plus jeunes. Pour les élèves qui ont fréquenté une école anglophone comme moi de la 1re à la 6e année, la 4e année, c’est un peu tard pour commencer à apprendre le français, et pour moi, c’était seulement 30 minutes tous les trois jours d’école.
Des expériences, que ce soit des jeux, une conversation, une vidéo, ou quelque chose d’autre, c’est la manière la plus importante de créer de l’enthousiasme chez les enfants pour l’apprentissage du français et de les rendre fiers d’habiter un pays bilingue, afin qu’ils aiment et comprennent toute l’histoire de leur pays. Et ça, c’est juste une petite partie, un très petit morceau du gâteau. Il y a beaucoup d’avantages sociaux et mentaux pour les jeunes qui connaissent les deux langues, ou au moins comprennent un peu une deuxième langue. Selon moi, chaque mot que vous savez dans votre deuxième langue est un autre avantage pour vous.
J’adore l’idée des programmes qui font la promotion d’une vie bilingue auprès des Canadiens, comme le FNJA et Le français pour l’avenir. J’adore l’idée de la modernisation de la Loi sur les langues officielles parce que j’aime toutes les façons de promouvoir le français au Canada. On a des programmes d’immersion, on a quelques activités à l’école parfois, mais ce n’est pas quelque chose qui est présent à l’école chaque jour. On a besoin de continuer à promouvoir le français à l’extérieur des classes, parce que quand les élèves ont fini la classe de français, dans le corridor, à la cafétéria, à la maison, je ne connais pas une personne qui parle en français avec ses amis à l’extérieur de la classe.
Pour finir, je tiens à dire que je sais que j’ai beaucoup parlé à propos des jeunes d’aujourd’hui, et c’est parce que je pense que c’est par là qu’un Canada plus bilingue doit commencer. Je suis très contente que vous ayez décidé de commencer avec les jeunes pour cette raison. Au début, j’ai dit que pour quatre ans de ma vie, j’ai appris la langue française sans raison. Maintenant, j’apprends cette langue parce que je suis une francophone, quelqu’un qui est fier de sa langue et qui aime le français. Merci beaucoup de votre temps et de l’occasion de vous parler aujourd’hui.
La présidente : Merci beaucoup, et félicitations à vous trois pour votre présentation et, surtout, pour avoir continué à vous intéresser au français et pour avoir décidé de vous inscrire dans ces programmes et dans les programmes à l’extérieur de la salle de classe qui ont su susciter cette grande motivation chez vous. Alors, bravo!
La première question sera posée par le sénateur Cormier, suivi de la sénatrice Moncion.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup pour vos présentations. Si vous avez tous participé à ce grand événement pour les ambassadeurs, on en a bien la preuve aujourd’hui. Je crois que vous êtes destinés à de brillantes carrières, soit comme politiciens ou ambassadeurs, parce que vous nous parlez avec une telle éloquence des valeurs du bilinguisme, des valeurs des deux langues officielles et de l’enrichissement que vous apporte le fait d’être bilingue. Donc, on a l’impression quand on vous écoute qu’en fait, il n’y a aucun problème au Canada lié à la question de la pratique des deux langues officielles, puisque vous nous présentez un portrait fort positif.
J’ai deux questions pour vous. La première porte sur la culture, puisque vous en avez beaucoup parlé. Quel est votre lien avec la culture francophone de l’île comme citoyens de l’Île-du-Prince-Édouard, comme anglophones de l’Île-du-Prince-Édouard qui êtes bilingues? Vous parliez de la valorisation de la culture francophone. Quel est votre lien avec la culture francophone de l’Île? Ma deuxième question est la suivante : si vous étiez demain matin nommés premier ministre du pays ou ministre responsable des langues officielles, qu’est-ce que vous feriez de plus pour que davantage de jeunes comme vous puissent parler les deux langues officielles?
Mme Gibbs : Pour la question à propos de la culture, à l’Île-du-Prince-Édouard, je trouve que c’est difficile de participer à la culture francophone parce que c’est un peu comme un « hidden gem », selon mon opinion. Ce n’est pas facile de la trouver ici. J’ai des amis à l’école qui fréquentaient une école francophone en premier et, après l’école secondaire, ils ont décidé qu’ils voulaient faire quelque chose qu’il n’y a pas à l’école francophone, donc ils ont décidé de fréquenter une école anglophone. Ils ont perdu un peu de leur culture.
Selon moi, la chose la plus importante est de participer à la culture et de faire partie de la culture et de chercher des occasions de parler avec d’autres jeunes bilingues. Quand tu sais qu’ils sont bilingues et qu’ils ne connaissent pas beaucoup de choses à propos de la culture française et des occasions de participer en français à la vie de l’Île-du-Prince-Édouard, tu as besoin de leur dire que la langue française, c’est vraiment amusant et que c’est quelque chose dont on a besoin d’être fier. Ce n’est pas quelque chose à apprendre en classe et à oublier après.
Pour la deuxième question, si je pouvais changer quelque chose ou être ministre des Langues officielles ou quelque chose comme cela, je pense que la première étape serait de promouvoir le français. Comme je l’ai dit, j’aimerais trouver toutes les personnes au Canada qui veulent créer des organisations, des activités, des choses qui sont en français, qui sont bilingues, qui font la promotion du français, et je prendrais toutes ces idées. Je dirais, d'accord, on a besoin d’utiliser ces idées. S’il y a une organisation en anglais pour quelque chose, on a besoin de la même chose aussi en français. Je pense que la première chose, c’est pour le Canada d’être un pays où c’est français-anglais dans une proportion de 50-50, soit un mélange, pas juste français ici et anglais là.
Le sénateur Cormier : Merci.
Mme Toole : Alors, pour la première question, je suis un peu dans la même situation. Je n’ai pas de liens directs avec la communauté francophone. Je suis anglophone, mais je pense que je peux influencer la communauté francophone à l’Île-du-Prince-Édouard et promouvoir la langue française. J’ai parlé aux classes d’immersion à mon école secondaire. Si vous êtes en train de promouvoir le français, vous allez aider la situation. Il y aura plus de personnes qui veulent parler français et qui veulent être bilingues, et ça, c’est le but. On veut que les personnes soient bilingues et capables de parler les deux langues.
Pour répondre à la deuxième question, je crois que si j’étais première ministre, je mettrais beaucoup plus d’accent sur les colloques ou les organisations comme Le français pour l’avenir ou comme Canadian Parents for French ou des groupes semblables qui veulent promouvoir le bilinguisme pour qu’il y ait des personnes qui puissent parler le français et l’anglais et être à l’aise avec les deux langues. Donc, avoir plus de personnes qui peuvent parler les deux langues.
M. Haslam : Comme les autres, je suis anglophone, alors mon lien avec la culture francophone de l’Île-du-Prince-Édouard, c’est que je suis un allié de mes amis francophones et acadiens de l’Île-du-Prince-Édouard. La façon dont je soutiens la culture ici comme étudiant de la langue, c’est en promettant de parler la langue.
[Traduction]
Je crois que lorsque vous vous servez du français au-delà de votre milieu professionnel ou d’une salle de classe, vous pouvez vous imprégner de la culture, car si vous ne le parlez jamais, ce sera beaucoup plus difficile de promouvoir la culture qui s’y rapporte.
[Français]
Pour la deuxième question, si j’étais le chef, je tenterais probablement de mettre mes efforts sur les programmes offerts aux nouveaux Canadiens qui viennent de places francophones, comme la Côte d’Ivoire et le Congo. De nouveaux Canadiens francophones et d'anciens Canadiens francophones qui s’unissent pour promouvoir le français.
Le sénateur Cormier : Merci.
La sénatrice Moncion : Je vous félicite pour votre engagement envers la langue française. Mon mari l’appelle « la langue de l’amour », en passant. Ce qui vous a amené à apprécier la langue, c’est lorsque vous avez vécu une expérience qui vous a fait découvrir la langue.
Le sénateur Cormier et moi avons rencontré des jeunes provenant de partout au Canada et nous avons animé des tables rondes; des jeunes de partout au Canada, sauf des Territoires du Nord-Ouest et du Québec, parce que le Québec n’a pas d’organisme provincial de la francophonie. Tout le monde nous a dit que c’était justement les programmes d’échange et les expériences qui étaient vécues dans un groupe qui faisaient que vous découvriez une francophonie différente à l’intérieur du pays, que vous reconnaissiez des jeunes comme vous qui vivaient les mêmes défis. J’aimerais savoir qu’elle est l’étincelle qui a fait que vous avez dit : « Je veux apprendre le français, je vais continuer en français. » Il faut qu’il y ait un élément commun.
Mme Gibbs : Voulez-vous savoir quelle a été la flamme quand on a participé à des organisations, à des jeux et à d’autres activités? Je pense que Thomas a dit cela, Thomas ou Katie, je ne me souviens plus. L’une des personnes a dit que dans les classes, on pouvait apprendre les verbes, comment dire quelque chose, le bon vocabulaire, mais quand tu as les expériences à l’extérieur de la classe, c’est vraiment là où tu as l’occasion d’être immergé dans la culture. Pour moi, c’était quand je me suis rendu compte que le français, c’est la même chose que l’anglais. C’est juste une autre langue. Je peux avoir les mêmes expériences autant en français qu’en anglais. C’est un peu plus significatif, parce que c’est une deuxième langue. Le fait que je puisse avoir ces expériences magnifiques dans une autre langue, c’est quelque chose qui m’émerveille parce que je peux faire les liens dans une deuxième langue ou, comme Katie l’a dit, on peut aider les personnes dans leur travail, en français et en anglais. J’ai compris que le français, ce n’est pas juste quelque chose en classe, mais un outil à utiliser dans ma vie de la même façon que j’utilise l’anglais chaque jour. C’est quelque chose dans ton corps, c’est la flamme que tu as, c’est la vérité française.
M. Haslam : Le moment où mon intérêt d’apprentissage a vraiment commencé, je pense que c’était en 2014. Quand j’étais plus jeune, j’allais à Rencontres du Canada, Encounters with Canada en anglais, et à ce moment-là, mes capacités en français étaient vraiment limitées, donc, j’étais jaloux quand j’ai entendu d’autres étudiants parler en français avec une telle vitesse. Ils maîtrisaient bien la langue française. Donc, après cela, j’ai cherché les occasions d’améliorer mes compétences en français. C’était vraiment bon d’être dans un cercle qui parle français.
Mme Toole : Pour moi, que ce soit dans une salle de classe ou à n’importe quel autre forum auquel j’ai assisté, c’était la passion qui habitait les personnes qui étaient en train de parler français qui m’émerveillait. Ils étaient si fiers de leur langue et de leur culture. Pour moi, cela m’a toujours frappé. Oh, mon Dieu, ils sont si fiers de leur culture, de leur capacité de parler le français de la même façon qu’ils sont fiers d’être capables de parler l’anglais. J’ai toujours pensé que je voulais être fière de parler dans les deux langues. Je suis fière d’être anglophone, mais je veux aussi être fière de parler le français; être à l’aise dans les deux langues. Pour moi, c’était la passion que j’ai vue dans ces personnes.
La sénatrice Gagné : Les jeunes qui parlent avec éloquence m’inspirent toujours. J’aimerais vous remercier et j’aimerais que vous remerciiez vos parents aussi qui ont fait le choix de vous inscrire dans un programme d’immersion. Je trouve qu’en tant que Canadienne, je me sens privilégiée de pouvoir vous côtoyer. Vous avez beaucoup à offrir. Vous pourrez beaucoup contribuer au développement de la communauté francophone. Vous avez aussi beaucoup à offrir au niveau du développement de notre pays. Alors, bravo!
J’aimerais que vous tentiez de vous projeter dans l’avenir. Où vous voyez-vous dans 5 à 10 ans? Est-ce que le français sera toujours important dans votre vie de tous les jours?
La présidente : Question difficile.
La sénatrice Gagné : D’ici trois ans?
La présidente : Ce n’est pas un examen, alors vous pouvez vous sentir très à l’aise d’y répondre.
Mme Gibbs : Est-ce que vous pouvez juste très vite répéter la question?
La sénatrice Gagné : En quelle année es-tu à l’école présentement, Victoria?
Mme Gibbs : Je suis en 11e année.
La sénatrice Gagné : Qu’est-ce que tu as l’intention de faire lorsque tu quitteras l’école?
Mme Gibbs : Je veux étudier la psychologie.
La sénatrice Gagné : La psychologie à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard? Est-ce que tu envisages une université francophone?
Mme Gibbs : Je veux commencer, je pense, à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, mais je veux aussi étudier au Nouveau-Brunswick. Je n’ai pas vraiment pensé aux universités francophones jusqu’à un mois passé, lorsque j’ai eu besoin d’en parler. Je veux continuer mes études en français. Après, je veux suivre un cours de français dans quelque chose, mais je ne sais pas si je suis capable d’étudier la psychologie en français. C’est quelque chose que j’ai appris au FNJA. Je verrai en 12e année avant de faire mon choix pour l’université. C’est une option, parce que je suis bilingue. Lors que Katie a commencé l’immersion tardive en 7e année, c’était un défi. C’était quelque chose qui l’a poussée dans ses études de la 7e à la 12e année. Je pense que si je veux étudier quelque chose de très différent qui n’est pas offert à mon école, c’est un autre défi pour moi qui peut me pousser, comme pour Katie, qui s’est forcée en 7e année.
La sénatrice Gagné : Alors, tu as beaucoup investi de temps. Vous avez tous les trois beaucoup investi de temps dans l’apprentissage du français. Est-ce que cela vous inquiète qu’à votre départ de l’école vous ne soyez plus en contact avec la francophonie? Est-ce que cela vous préoccupe?
Mme Toole : Je suis dans cette position maintenant. J’ai fini l’école secondaire et je ne suis plus de cours de français à l’université à cause de mon programme d’études. Pour moi, le défi, c’est que je continue le français, que je sois encore capable de parler le français, parce que j’y ai mis tant de temps depuis les six dernières années. Aussi, je comprends maintenant l’importance d’être capable de parler les deux langues. Alors, dans 10 ans, je sais que je vais encore essayer de parler la langue. Que ce soit au travail ou pour écouter des émissions, je vais continuer à parler le français. Dans 10 ans, le français sera encore important pour moi, et je veux qu’il le devienne pour mes enfants un jour.
M. Haslam : Dans 10 ans, pour moi, j’ai la vision d'avoir terminé mes études universitaires. Maintenant, ce sont différentes universités francophones comme l’Université de Sainte-Anne, l’Université de Moncton. Elles ont différents programmes. Comme Katie l’a dit, je vais aussi inculquer cette valeur du français à mes enfants. Je vais parler la langue avec des amis et différentes personnes francophones peut-être partout au Canada. Je ne sais pas encore où je vais habiter pour le reste de ma vie, peut-être pas sur l’Île, peut-être dans une autre province ou un autre pays, mais j’espère qu’il y aura une influence française dans ma vie pour que je puisse contribuer à l’influence française dans mon environnement.
La sénatrice Gagné : Comme la sénatrice Moncion l’a mentionné, le français, c’est la langue de l’amour, alors il y a peut-être espoir que tu puisses continuer à vivre en français.
M. Haslam : Cela a une influence maintenant encore.
Le sénateur Maltais : L’amour n’a pas de langue. Permettez-moi de vous féliciter du travail que vous avez fait pour apprendre le français. C’est un peu le monde à l’envers, madame la présidente. Depuis que nous sommes arrivés ici, nous voyons des gens qui font des efforts extraordinaires pour conserver et apprendre le français parce qu’ils sont francophones, et là, on voit des anglophones qui font les mêmes efforts, mais pour apprendre le français. C’est un peu le monde à l’envers, mais c’est la réalité canadienne. A mari usque ad mare. Je suis impressionné de vous voir parce que vous représentez très bien ce qu’est le Canada de demain. On est à l’ère où l’informatique est universelle et instantanée. On n’est plus en vase clos. Dans 10 ans, on ne sera plus citoyen canadien, on sera citoyen du monde, et être citoyen du monde, c’est maîtriser très bien un minimum d’une, deux ou peut-être trois langues. Ce que j’aimerais connaître de vous, c’est comment se comportent vos frères, vos sœurs et vos amis que vous fréquentez tous les jours, sachant que vous possédez très bien une deuxième langue. Est-ce que vous avez des discussions avec eux, des interrogations? Comment cela se passe-t-il?
Mme Gibbs : Avant cette année scolaire, je ne pense pas que j’avais des conversations avec mes amis en français. Ni ma sœur ni aucune personne de ma famille ne connaît la langue française, mais presque tous mes amis sont inscrits à un programme d’immersion en français. J’ai donc l’occasion, si je le veux, de parler en français avec eux, mais je ne l’ai pas fait pendant quatre ans. Quand j’ai conversé avec les autres étudiants de ma classe et mes amis, c’était juste une blague. C’était « bonjour, comprends-tu? » Si je parlais à propos des classes de français, si je marchais dans le corridor et, par hasard, je voyais un ami, et je disais « allô » en français, on me demandait pourquoi je parlais avec eux en français. Mais cette année scolaire, quand j’ai commencé, à cause des expériences que j’ai vécues pendant l’été, j’ai commencé à parler en français avec au moins une de mes amies. J’avais de petites conversations en français avec une deuxième amie, mais il y a une amie maintenant depuis le dernier mois avec qui je parle en français la moitié du temps. C’est la première fois que j’ai l’occasion de faire cela. C’est amusant. Ce n’est pas comme une classe de français où on te demande si tu sais conjuguer un verbe, par exemple. Ce n’est pas seulement à propos des faits en français, ce sont des questions comme : « Est-ce que tu veux aller au cinéma cette semaine? » et « Qu’est-ce que tu veux voir? » C’est comme un autre monde que j’aime découvrir parce que j’ai commencé à apprendre la langue française de base en 4e et 6e année. J’ai commencé l’immersion tardive en 7e année, car j’avais tant à apprendre, mais maintenant, j’ai l’occasion de vivre un peu en français avec mes amis, et c’est nouveau pour moi. J’aime découvrir ce monde.
Le sénateur Maltais : Je crois que c’est Thomas qui a dit dans sa présentation qu’il n’apprenait pas uniquement la langue française, mais que la langue était reliée à la culture.
Katie, comment ça se passe pour toi?
Mme Toole : Comme je l’ai dit auparavant, ma famille est anglophone, mais mes parents ont toujours mis l’accent sur l’apprentissage du français parce qu’on sait que c’est le futur. On veut que plus de personnes parlent le français, et vous ne pouvez pas obtenir un emploi aujourd’hui si vous ne pouvez pas parler les deux langues. C’est toujours important dans ma famille, dans ma maison. Ils veulent qu’on apprenne le français, alors moi, j’ai participé aux programmes d’immersion. Pour mes parents, il fallait faire partie d’un programme d’immersion ou suivre un cours de français de base ou quelque chose comme cela pour qu’on puisse devenir compétent dans la langue française. À l’extérieur de ma famille, quand mes amis et moi avons été dans la classe de français, on a profité de cette chance de parler en français et d’utiliser la langue parce qu’on sait que la langue française, c’est important dans l’avenir pour ce qu’on fera.
Pendant que vous étiez en train de poser des questions, j’ai pensé au FNJA; j’y suis allée en 2015. Encore aujourd’hui, si je parle avec quelqu’un qui a participé au programme avec moi, si je veux envoyer un message sur Facebook ou quoi que ce soit, je l’envoie en français. Alors, même si mes amis maintenant ne se parlent pas français entre eux, j’ai ces amis à qui je peux envoyer un message en français pour pouvoir continuer à utiliser la langue.
M. Haslam : Pour moi, c’est un peu difficile, parce que comme pour les autres, j’habite dans une communauté anglophone, et mes amis, qui apprennent le français dans le programme d’immersion tardive, en classe ou en dehors, parlent anglais. Ainsi, chaque fois que j’ai une chance de parler en français avec ma petite amie, avec des personnes sur Snapchat, des personnes que j’ai connues provenant d’autres provinces comme le Québec et Calgary, je saisis l’occasion qui n’est pas fréquente. Quand c’est possible, c’est vraiment rafraîchissant. Cela m’aide de parler le français à l’extérieur de la classe. Je n’en ai vraiment pas souvent la chance, mais j’aime ça.
Le sénateur Maltais : Merci.
La sénatrice Mégie : Le sénateur Maltais a posé ma question quant à vos amis, cependant, je ne veux pas vous laisser partir sans vous manifester mon admiration d’avoir choisi d’être bilingues. On ressent la fierté que vous avez en vous de l’être, et pour cela, je vous félicite. Mais, j’ai une petite question quand même. Si vous allez sur Netflix pour choisir un film, seriez-vous tentés de visionner la traduction française? Ce n’est pas une question piège. Est-ce que cela vous est arrivé de choisir la version française d’un film?
La présidente : Qui peut répondre? Est-ce que vous prenez l’occasion de visionner des films en français?
La sénatrice Mégie : Ou d’écouter de la musique en français?
Mme Gibbs : Dans ma classe de français cette année, j’ai commencé le programme d’éveil. Le but de mon enseignante à la fin des deux ans est que tout le monde soit capable de répondre aux questions et de lire les paragraphes en français, comme on le fait en anglais, et de répondre avec le même niveau de langue. Elle pense, et je suis d’accord, que la meilleure façon de faire cela, c’est de continuer à parler le français à l’extérieur de l’école : pratiquer le français, écouter le français, parler en français et lire en français. En ce moment, le seul livre que j’ai lu en français, c’est un livre que j’ai déjà lu en anglais, comme Harry Potter. C’est un livre que j’ai lu en anglais et que j’ai commencé à lire en français. Pour les films, je ne pense pas avoir jamais regardé un film en français. Mon enseignante nous a donné comme devoir chaque soir de faire quelque chose en français pendant 15 minutes. J’ai choisi de regarder une vidéo en français et, la plupart du temps, chaque deuxième soir, sur YouTube, je trouve une vidéo intéressante et je la visionne en français. Quelquefois, j’utilise les sous-titres si je pense que les personnes vont parler très vite et que je ne comprendrai pas. Si c’est un dessin animé, j’essaie de le regarder juste en français sans les sous-titres en anglais.
La sénatrice Mégie : C’est bien quand même, les petites vidéos.
Mme Toole : Je suis beaucoup plus à l’aise avec la lecture. Je lis parfois un article en français. J’aime faire des choses comme cela. En termes de vidéos ou d’émissions, j’en ai visionné dans le passé quand je voulais préparer mon test de DELF ou quelque chose comme cela. J’ai utilisé ce type de choses pour me préparer pour la partie écrite d’un test. Ce n’est pas quelque chose que je fais beaucoup, mais j’aime vraiment cela et je pourrais le faire plus souvent si j’en avais le temps.
M. Haslam : J’aime Radio-Canada. Parfois, j’écoute du rap québécois de Montréal. J’ai aussi une petite collection de livres de Tintin.
La sénatrice Mégie : C’est bien.
M. Haslam : Donc, quelquefois, j’écoute de la musique française ou je lis en français.
La présidente : Bravo!
La sénatrice Mégie : C’est bien. Félicitations!
Le sénateur Cormier : Je me permets juste de vous faire une suggestion. Vous écoutez des groupes rap québécois, et il y en a de très bons au Québec et en France. Mais savez-vous que l’Acadie a de très bons groupes rap qui font du hip-hop? Radio-Radio les présente aussi et d’autres groupes semblables. C’est un grand bonheur sans doute pour vous et pour d’autres, car on a beaucoup de productions culturelles en français dans les provinces de l’Atlantique. Je vous invite, je vous encourage à aller voir les films, à écouter les CD et à lire. Vous pouvez vous alimenter ici en culture francophone de façon formidable, et cela vous permettra d’avoir des sujets de discussion certainement forts intéressants, soit avec les francophones de l’Atlantique ou avec les francophiles comme vous qui veulent parler le français. Et le CD, c’est souvent aussi une bonne manière de parler d’amour, pour être dans le thème de l’amour.
La présidente : Alors, vous avez parlé de l’importance de la culture dans l’apprentissage de la langue et du fait que des expériences à l’extérieur de la salle de classe sont réellement venues renforcer votre intérêt et votre motivation à apprendre la langue. J’aimerais aussi vous faire une suggestion. Est-ce que vous considéreriez faire une partie de votre scolarité et de vos études postsecondaires en français? Victoria, tu disais que tu ne savais pas si tu étais assez forte pour pouvoir faire des cours et des études en psychologie, en français. Je peux vous dire que dans ma vie antérieure, avant d’être nommée au Sénat du Canada, j’étais professeure dans une université en Alberta. C’était une faculté francophone. On avait plusieurs finissants des programmes d’immersion qui arrivaient et qui entraient faire des études complètement en français. Alors, ils faisaient des cours en français, un baccalauréat ès arts complètement en français. On suivait des cours en psycho, et ils ont très bien réussi. C’est sûr qu’après un mois ou deux, cela prend peut-être un peu de temps à apprendre la terminologie, mais ils ont très bien réussi. La sénatrice Gagné était rectrice du Collège universitaire de Saint-Boniface et elle pourrait probablement vous affirmer la même chose.
Alors, je crois que vous ne devriez pas avoir peur de vos compétences. Je pense que vous pouvez avoir confiance dans l’idée que vos compétences linguistiques vont bien sûr s’améliorer lorsque vous ferez vos études postsecondaires. Vous pouvez vous inscrire à des programmes dans des universités bilingues, francophones ou, si vous continuez en anglais, bien sûr, essayer de faire une partie de votre scolarité en français, peut-être dans un programme d’échange.
Alors, ne voyant pas d’autres questions de la part des sénateurs, je tiens encore une fois à vous exprimer notre admiration. Vous êtes une source d'inspiration pour nous par votre engagement et votre détermination de poursuivre l’apprentissage du français à l’école, mais aussi à l’extérieur de la salle de classe et pour l’avenir.
[Traduction]
Je pense qu’il y a peut-être des parents dans l’auditoire ou d’autres membres de la famille. Je veux dire, au nom de tous les sénateurs, que vous devez être bien fiers des trois jeunes qui sont venus témoigner ici aujourd’hui, de l’aisance avec laquelle ils se sont exprimés et de la façon dont ils ont illustré la vision du Canada, et la nôtre, soit celle que le bilinguisme est un atout nécessaire pour le Canada de demain. Lorsque nous envisageons notre rôle à cette ère de la mondialisation, il est important de parler deux langues et parfois même trois. Ces jeunes gens jouent vraiment un rôle important et continueront de le faire. J’espère que vous continuerez à être des modèles.
[Français]
Alors, merci beaucoup à vous aujourd’hui d’être présent, et bravo aux parents aussi!
Nous allons reprendre nos discussions et nos présentations dans le cadre de notre étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, volet jeunesse. Nous sommes très heureux de recevoir de jeunes représentants de la jeunesse francophone acadienne de l’Atlantique. Nous accueillons des témoins des quatre provinces aujourd’hui, alors quelle chance!
Nous accueillons M. Alexis Couture, qui est l’ancien président de la Fédération de la jeunesse canadienne-française; M. Jérémie Buote, qui est vice-président de l’organisme Jeunesse Acadienne et Francophone de l’Île-du-Prince-Édouard; Mme Sue Duguay, qui est présidente de la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick; Mme Mary-Jane Barter qui est présidente; et M. Gaël Corbineau, qui est directeur général de l’organisme Franco-Jeunes de Terre-Neuve-et-Labrador. Quelle richesse de points de vue! Bienvenue.
Je vous invite à faire vos présentations. Nous allons commencer à droite et poursuivre vers la gauche avec M. Corbineau. Par la suite, les sénateurs vous poseront des questions. Monsieur Corbineau et madame Barter, vous pouvez commencer vos témoignages.
Mary-Jane Barter, présidente, Franco-Jeunes de Terre-Neuve-et-Labrador : Merci de nous recevoir. Je vous demande pardon. Je suis vraiment nerveuse.
La présidente : Ce n’est pas un examen.
Mme Barter : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je m’appelle Mary-Jane Barter. Je suis la présidente de Franco-Jeunes de Terre-Neuve-et-Labrador et je suis accompagnée du directeur général, M. Gaël Corbineau. Nous souhaitons tout d’abord vous remercier de votre invitation à comparaître devant vous.
Notre mouvement a commencé en 1988 pour répondre au fort besoin d’échanger et de créer un lien entre les jeunes francophones et acadiens de la province.
Madame la présidente, la jeunesse est souvent désignée comme étant l’avenir de nos communautés, mais c’est dans le présent qu’elle doit s’y préparer.
La présence francophone à Terre-Neuve-et-Labrador, bien que très ancienne, soit plus de 500 ans, a connu de longues décennies d’assimilation et de repli sur elle-même. Heureusement, après l’entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles il y a plus de 40 ans, pas moins, nous avons commencé à en voir les effets bénéfiques avec une augmentation appréciable de nos nombres cette dernière décennie.
Toutefois, il reste encore beaucoup à faire, car la société canadienne a changé depuis 1969, et par conséquent la loi doit aussi évoluer. Comme exemple de ces changements, je citerais l’exogamie. Le nombre de familles exogames est aujourd’hui beaucoup plus important que par le passé, où les communautés se côtoyaient moins facilement pour diverses raisons, notamment linguistiques et religieuses. On ne peut que se féliciter de voir ces barrières se lever entre Canadiens, mais simultanément, cela ne favorise pas la pratique et la conversation de la langue minoritaire dans ces foyers.
Mon temps de parole étant compté, je vais me concentrer sur le sujet de l’éducation. L’éducation en français dans nos provinces reste un sujet d’actualité et un sujet prioritaire. Cette éducation nous permet d’apprendre dans notre langue, mais aussi et surtout de nous développer, et de vivre la culture francophone jour après jour. Toutes les provinces et les territoires n’en sont pas au même niveau de développement, et malheureusement, Terre-Neuve-et-Labrador semble être en bas du classement, et très loin de l’accès à l’égalité en éducation.
Nous avons en effet encore de très gros défis en matière d’infrastructures scolaires et d’accès aux programmes pour pouvoir parler d’égalité réelle. Comme le sujet des discussions d’aujourd’hui est plutôt d’ordre fédéral, je souhaite souligner la nécessité que le gouvernement fédéral prenne vraiment ses responsabilités lors des transferts de fonds en matière d’éducation. Ainsi, la gestion des programmes de langues officielles en éducation (PLOE) a jusque-là été très défaillante de la part de l’appareil fédéral et cela nuit fortement au développement de nos jeunes. En effet, à Terre-Neuve-et-Labrador, presque aucun argent ne va vers la promotion de l’identité culturelle, alors que c’est un volet clairement identifié de ce programme. Alors que dans certaines provinces voisines, il y a un agent de promotion d’identité culturelle dans chaque école secondaire, nous n’avons que quelques heures de travail par semaine d’un seul agent pour toutes les écoles de la province. De plus, ceci n’est en place que depuis quelques mois.
Parallèlement, Franco-Jeunes s’est vu cette année couper la totalité de la petite subvention qu’il recevait pour aider la délégation provinciale à participer aux Jeux de l’Acadie. Bon an mal an, Franco-Jeunes ne recevait jusqu’à l’an dernier que 0,0005 p. 100 de l’enveloppe provinciale des PLOE, entre 2 000 $ et 3 000 $ seulement sur 4 millions de dollars par année. Une goutte d’eau. En 2017-2018, ce sera zéro dollar.
Selon le mémoire de la Fédération des francophones de Terre-Neuve-et-Labrador déposé en 2016 et dont l’étude porte sur la gestion des PLOE dans notre province, le Plan d’action provincial accepté par le gouvernement fédéral est particulièrement défavorable à la minorité linguistique par rapport aux élèves de la majorité. Par ailleurs, de ses engagements, le gouvernement provincial n’a mené aucune des consultations qu’il prévoyait, et ceci sans que le gouvernement fédéral y trouve quelque chose à redire.
Il est absolument anormal que le gouvernement fédéral donne ainsi un chèque en blanc au gouvernement provincial et ferme ainsi complètement les yeux à ce qui se fait. On nous répond particulièrement que l’éducation est une compétence provinciale et que le gouvernement fédéral ne peut rien obliger. Je suis désolée mesdames et messieurs les sénateurs, mais lorsque je donne de l’argent à quelqu’un, je m’attends à un service en retour, et c’est encore plus vrai lorsque ce service ne devrait pas être de ma responsabilité. Alors, comment pourrait-on continuer d’accepter que le gouvernement fédéral n’exige rien en retour des fonds qu’il distribue pour des compétences qui devraient être financées par les provinces? Pour être plus précise, je ne critique pas l’idée que des fonds soient transférés aux provinces, mais uniquement le fait qu’il y a eu depuis des années une absence complète de supervision dans l’utilisation de ces fonds.
Mesdames et messieurs les sénateurs, si la Loi sur les langues officielles peut être plus efficace à l’avenir, c’est certainement en obligeant le gouvernement fédéral à ce que des clauses linguistiques soient incluses dans toutes les ententes avec les provinces et territoires, et que cela ne puisse être fait qu’après consultation auprès des représentants des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Alors que le gouvernement fédéral a des obligations linguistiques, il n’y a en effet aucune raison que l’utilisation de ses fonds n’en ait pas.
Par effet de levier, cela faciliterait grandement le développement de nos communautés, de notre système d’éducation en particulier, mais aussi d’autres dossiers comme celui de la santé en français, autre exemple pourtant très important, ou la question linguistique est complètement ignorée dans les ententes de transferts de fonds. Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs. Au nom de tous les jeunes de Terre-Neuve-et-Labrador, je vous remercie de votre attention.
La présidente : Merci beaucoup, Mary-Jane. Ta présentation était excellente. Tu n’avais pas à t’inquiéter.
Alors, passons maintenant au Nouveau-Brunswick avec Sue Duguay.
Sue Duguay, présidente, Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick : Merci beaucoup. Honorables sénatrices, honorables sénateurs, bonjour. Je m’appelle Sue Duguay et c’est un honneur pour moi de venir vous parler d’un sujet qui me passionne non seulement en tant que professionnelle, mais aussi à titre personnel. C’est très agréable d’être ici.
Je suis diplômée de l’École Carrefour Beausoleil à Miramichi au Nouveau-Brunswick. C’est une école dans une communauté ayant une très forte minorité linguistique de langue française. Cela est intéressant parce que je suis née dans la Péninsule acadienne qui est purement francophone, mais je suis partie dans un milieu plus anglophone. Alors j’ai vécu les deux, ce qui m’a donné des opinions et des perceptions différentes de certaines autres personnes. Cet automne, je viens de commencer mes études en français à l’Université de Moncton au Nouveau-Brunswick. Je suis actuellement à mon deuxième mandat à la présidence de la Fédération des Jeunes francophones du Nouveau-Brunswick (FJFNB). La fédération est un organisme qui réunit tous les élèves des 22 écoles secondaires francophones du Nouveau-Brunswick. On a approximativement 8 700 membres qui sont tous des élèves de ces 22 écoles secondaires. On visualise un avenir où la jeunesse francophone et acadienne serait capable de s’affirmer fièrement dans sa langue et sa culture au sein de la société. On dévoilera notre programmation la semaine prochaine, en fait pour l’année 2017-2018. On travaille à développer le leadership chez les jeunes francophones de la province, à leur construction identitaire et, en fin de compte, à leur engagement en tant que citoyen dans leur communauté, ce qui est d’une grande importance pour nous.
Aujourd’hui, j’aimerais aborder avec vous le concept de la langue comme nous le voyons à la FJFNB, comme nos membres le voient, soit au-delà de sa simple fonction utilitaire de communication. J’étais là quand les élèves d’immersion parlaient tantôt. Ils ont fait passer un message comme celui que je veux vous transmettre. Il y a des similarités.
La fédération n’aborde pas la langue comme une simple manière de communiquer. Pour nous, c’est une question globale qui a besoin d’être abordée sous différentes perspectives. C’est une façon de vivre et c’est sur ce point que je pense que la Loi sur les langues officielles pourrait être modernisée.
C’est ainsi que j’aimerais vous présenter la perspective que nous avons sur la langue en vous parlant d’un concept que je nommerai la sécurité identitaire chez les jeunes. C’est un concept qui pourrait vous paraître tout à fait nouveau et c’est normal, mais il y a des similarités, comme je l’ai dit, avec ce que vous avez déjà entendu. Ce n’est pas tiré de grandes recherches ou de grands philosophes à moins qu’on me prenne pour une recherchiste ou une philosophe, ce qui est loin d’être le cas, mais ce sont les expériences qu’on vit à la fédération. C’est vraiment ce que les jeunes nous disent.
La sécurité identitaire vous rappelle peut-être un autre concept que le comité a abordé, soit la sécurité linguistique ou encore l’insécurité linguistique si on veut voir l’autre côté de la médaille, mais comparativement à cela, la sécurité identitaire aborde la question d’une manière beaucoup plus large. C’est au-delà du simple fait d’être à l’aise de s’exprimer dans sa langue ou dans la langue seconde, mais en regardant la langue comme un vecteur qui permet le développement social, culturel, éducatif, la socialisation et même l’engagement communautaire qui est tellement important chez nous à la FJFNB. Pour un jeune, la sécurité identitaire pourrait être définie comme un environnement où il peut recevoir une éducation de qualité, s’engager dans sa communauté, où il peut s’exprimer, où il peut s’épanouir culturellement, dans la langue de son choix, que ce soit en anglais ou en français.
Comme vous pouvez le constater, nous abordons vraiment la question de la langue d’une manière holistique. Pour nous, la langue ne doit pas seulement être apprise à l’école. J’ai trouvé cela extraordinaire d'entendre une des élèves en immersion nous dire qu'en classe, elle apprenait les règles grammaticales, mais qu’elle apprenait au-delà de la langue française. On ne peut citer un meilleur exemple. La langue tout court doit être vécue pour justement avoir cette sécurité identitaire dont je vous parle.
Je comprends que c’est un autre défi lorsqu’on parle de l’apprentissage de la langue seconde, mais dans mon intervention, je me concentrerai sur la langue première, car très franchement, si dans un premier temps, on ne peut pas assurer notre sécurité identitaire pour notre langue première, comment peut-on s’occuper d’une langue seconde si on n’a pas cette sécurité-là?
Alors, pour illustrer le tout, je me permets de me prendre comme exemple. Il y a des jeunes qui partent d’une école à contexte minoritaire pour se diriger vers une école à contexte majoritaire. À l’École Carrefour Beausoleil, à Miramichi, on avait une école secondaire anglophone pratiquement dans la cour arrière de notre école. On s’entend qu’on n’était pas beaucoup d’élèves chez nous, mais qu’un fort pourcentage de nos élèves qui s’inscrivaient à cette école anglophone était majoritairement de langue anglaise. Comme vous le savez sans doute, ce phénomène illustre bien trop souvent la réalité dans les communautés en situation de forte minorité. Cela dit, je pense qu’on peut le manque de sécurité identitaire s’explique par le fait que des jeunes font un changement de parcours scolaire vers les écoles de langue majoritaire. Les jeunes sont souvent confrontés à un manque de socialisation dans leur langue, un manque dans la qualité de l’éducation ou même le simple fait de ne pas être en mesure de s’épanouir dans différents sports ou encore en au sein de leur école francophone. C’est donc un contexte où l’étudiant ne peut pas s’épanouir dans sa langue, donc un manque de sécurité identitaire qui force le jeune à changer de système scolaire pour son bien-être personnel.
C’est sur ce point que j’aimerais faire le pont entre le concept de sécurité identitaire et la Loi sur les langues officielles. J’aimerais vous apporter plus de précisions sur le fondement même de la Loi sur les langues officielles, sur son objet, puis je me permets de le citer parce que je ne le connais pas par cœur. Je cite l’article 2b) :
2 La présente loi a pour objet :
[…]
b) d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais;
Si on regarde attentivement la dernière partie de ce passage, on parle d’une loi qui vise l’égalité d’usage des langues officielles pour nos communautés en milieu minoritaire. Donc, c’est une vision à sa plus simple expression et donc utilitaire de la langue. Revenons à ce jeune qui décide de changer d’établissement scolaire pour aller dans une école anglaise en raison d’un contexte peu propice à sa sécurité identitaire. Ce jeune s’exprime et échange dans les deux langues officielles. Devant la Loi sur les langues officielles, il serait l’emblème même de la réussite. Est-ce vraiment le cas? Est-ce que c’est vraiment ce qu’on veut comme représentation du bilinguisme canadien, soit de s’exprimer sans avoir de sécurité identitaire pour sa langue première? C’est pourquoi je vous invite, dans votre étude à venir, à adopter une vision plus vaste et plus globale de la langue et du bilinguisme au-delà de la simple faculté langagière et communicative que l’on connaît si bien, en vous assurant que les citoyens canadiens puissent vivre dans un contexte de sécurité identitaire. Je serai ravie de discuter avec vous lors de la période des questions. Je vous remercie de votre écoute et de l’attention que porterez à ce dossier. Merci beaucoup.
La présidente : Merci beaucoup, Sue.
Jérémie Buote, vice-président, Jeunesse Acadienne et Francophone de l’Île-du-Prince-Édouard : Merci, sénateur Cormier, sénatrice Moncion, sénatrice Tardif, sénatrice Gagné, sénatrice Mégie, sénateur Maltais. Je m’appelle Jérémie Buote et je suis le vice-président (Est) de Jeunesse Acadienne et Francophone de l’Île-du-Prince-Édouard (JAFLIPE). Je suis ici pour vous parler de la situation et de l’avenir des langues officielles à l’Île-du-Prince-Édouard selon mon point de vue et selon celui des gens avec qui j’ai discuté. Mes deux parents sont tous les deux des Acadiens, mais n’ont pas été inscrits dans une école française parce qu’il n’y en avait pas où ils habitaient.
Dans les années 1950, il y avait environ 60 écoles françaises partout à travers l’île. Peu de temps après, toutes ces écoles sauf une ont été fermées par le gouvernement. Ceci a fait en sorte que le français a disparu dans de nombreuses communautés à travers l’île, essentiellement, la région Évangéline avec la seule école française pour servir sa population francophone. Ces fermetures ont accéléré le processus d’assimilation de toute une génération vers l’anglais dans ces communautés. Aujourd’hui, il n’y a plus que les citoyens de la région Évangéline qui peuvent vivre dans une communauté majoritairement francophone dans notre province. Quitter la région Évangéline faisait en sorte qu’on perdait une occasion de recevoir une éducation en français. Après la création de la Charte canadienne des droits et libertés, des gens de l’île ont commencé à le constater. Selon la Charte canadienne des droits et libertés, entre autres :
Les citoyens canadiens qui ont reçu leur instruction en français au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité, ont le droit d’y faire instruire leurs enfants dans cette langue.
Nous avons maintenant six écoles françaises à l’Île-du-Prince-Édouard. Durant mes années au primaire, j’ai fréquenté l’école Saint-Augustin. Cette petite école est un bon exemple de la situation francophone minoritaire à l’Île-du-Prince-Édouard. À la suite du jugement Arsenault-Cameron, la décision juridique qui a permis l’ouverture d’une école française à Summerside, un groupe de parents de ma région a mené une lutte pour construire une école de langue française à Rustico. Dans le cadre d’un projet pilote, l’école Saint-Augustin a ouvert ses portes en septembre 2000 et elle a gagné son statut permanent en 2003, sans même avoir son propre bâtiment. On louait des espaces d’un Club Lions dont les lieux sont devenus insuffisants après quelques années d’existence. Enfin, en 2011, on a emménagé dans notre propre bâtiment, le Centre acadien du Grand Rustico.
En tant qu’élève d’une école française dans une communauté anglaise, je peux communiquer dans les deux langues officielles avec aisance, tout comme les élèves des nombreuses écoles d’immersion à travers l’île comme ceux avec qui vous avez discuté aujourd’hui. Comme tout le monde, nous avons des accents. Plusieurs élèves des programmes d’immersion sont gênés de parler français à l’extérieur de leur classe, surtout avec des francophones de langue maternelle. L’insécurité linguistique est un gros problème ici à l’Île-du-Prince-Édouard, souvent chez les élèves en immersion, mais aussi chez les élèves des écoles de langue française. Même à mon école française, où on reçoit cinq heures d’enseignement en français, on parle toujours en anglais dans les corridors de l’école et la vie parascolaire existe, mais demeure très limitée.
On se sent embarrassé de parler avec notre accent, notre français. À Charlottetown, c’est souvent difficile de trouver des services en français. De jeunes travailleurs qui savent parler le français ne donnent même pas un simple « Hello. Bonjour!?» De plus, les services bilingues se font rares, sauf en ce qui concerne Parcs Canada. Je vois aussi beaucoup de jeunes qui ne se rendent pas compte qu’ils ont perdu leur français jusqu’à ce qu’ils soient obligés de le parler.
En ce qui concerne la séparation des cultures et des langues officielles à l’Île-du-Prince-Édouard, je trouve qu’il y a beaucoup d’anglophones qui célèbrent la culture acadienne. Par contre, certains ne sont pas ouverts au développement de notre langue. La culture acadienne, notamment la musique, est très partagée à l’Île-du-Prince-Édouard dans les deux langues, tandis que les dialogues naturels sont souvent séparés comme de l’eau et de l’huile. On remarque qu’il y a eu d’énormes progrès envers la cause francophone chez nous, mais il reste encore beaucoup à faire sur le terrain.
Laissez-moi vous parler un peu de JAFLIPE, qui est l’acronyme pour Jeunesse Acadienne et Francophone de l’Île-du-Prince-Édouard. Précédemment, le nom était Jeunesse Acadienne et nous l’avons changé pour une bonne raison. On a souvent essayé d’engager des jeunes à se joindre à nos activités jeunesse en français, mais ils se sentaient exclus pour la raison simple qu’ils ne se sentaient pas Acadiens. Nous, on n’aimait pas ça. On voulait que toute la jeunesse capable de communiquer en français ou de s’identifier à l’Acadie se sente la bienvenue à nos activités. Donc, en 2016, nous avons ajouté « et Francophones de l’Île-du-Prince-Édouard » pour s’assurer que peu importe d’où on vient, peu importe notre accent, il y a de la place pour vous chez JAFLIPE. Avec ce changement, nous voulons permettre aux citoyens de 12 à 25 ans qui parlent français de vivre, de s’épanouir et de s’engager en français.
À l’extérieur des murs de l’école, j’ai pu observer que mes amis qui allaient à l’école française ne parlaient même pas un mot en français à moins qu’ils ne soient à l’école. Je me suis alors posé la question : comment sommes-nous censés vivre le bilinguisme si on ne parle même pas volontairement une des deux langues? C’est pour ça que j’ai postulé pour le mandat au conseil de direction à JAFLIPE. Je veux apporter des changements dans l’encadrement de la jeunesse francophone en situation minoritaire pour contextualiser la langue française, non seulement dans l’histoire, mais aussi dans son utilité, ses nuances et ses occasions.
Depuis 10 ou 15 ans, la langue française a pris un élan de popularité à l’Île-du-Prince-Édouard. Les efforts importants des acteurs communautaires commencent à avoir un réel impact sur le terrain. On voit de plus en plus souvent l’automatisme d’inclure un artiste acadien dans une production, un accueil en français lors d’interventions politiques ou autres. Par contre, il reste encore du travail à faire pour que les deux langues officielles soient réellement présentes dans tous les espaces où elles devraient l’être. Que l’on parle d’affichage, de l’accès à des services en français, d’activités sociales ou d’emplois avec le français comme langue de travail principale, il y a encore bien des lacunes chez nous pour donner suite à nos priorités existantes avec nos gouvernements.
Pour revenir sur la question d’utilisation du français à l’extérieur des salles de classe, le comité doit tenir compte de l’importance des acteurs qui font le travail sur le terrain. Depuis plusieurs années, JAFLIPE et son réseau ont de la difficulté à livrer une programmation suffisante pour stimuler une socialisation en français adéquate pour maintenir l’intérêt des jeunes à la francophonie. Que ce soit la comparaison des choix de cours entre les écoles française ou anglaise, l’accès à des réseaux sportifs en français ou en anglais à l’extérieur de l’école, à des clubs et à des activités dans la région, il est facile de constater que la majorité peut facilement être plus attirante pour les jeunes.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, JAFLIPE travaille pour permettre aux jeunes de vivre, de s’épanouir et de s’engager en français. Depuis plusieurs années, nous recevons un financement provincial de base de 55 000 $ à 65 000 $ par année, en plus des projets ponctuels qui demandent plus de temps et d’énergie de la part des employés en place. Comment voulez-vous qu’un employé provincial apporte un soutien à la jeunesse dans six régions avec ce budget de base? De plus, l’organisme peine à recevoir un soutien constant de la part des centres communautaires régionaux puisque ceux-ci n’ont pas le réflexe d’impliquer les jeunes dans leur processus de gouvernance ou de visionnement, et les activités visent plutôt les familles et les enfants en bas âge.
Pourtant, de nombreux fonds sont accordés à notre province pour les langues officielles dans le secteur de l’éducation par le biais du Programme de langues officielles en enseignement (PLOE). Depuis quelque temps, notre organisme et la Commission scolaire de langue française de l’Île-du-Prince-Édouard tentent de déterminer comment ces fonds sont utilisés par la province, mais demeurent sans réponse. Malgré que ce soit de l’argent public, nous nous rendons compte qu’il n’y a pas un système de reddition de comptes de l’utilisation de ces fonds. Nous présumons que ces fonds, qui devraient pourtant apporter une aide aux jeunes dans l’appropriation de la langue de la minorité, sont en fait existants, mais perdus dans l’appareil gouvernemental.
JAFLIPE veut donc demander au comité de se pencher sur la question de l’utilisation réelle des fonds pour appuyer l’enseignement et l’appropriation des langues officielles en situation minoritaire dans son processus afin de déterminer les zones grises qui affectent grandement les capacités d’agir sur le terrain.
J’espère qu’avec les modifications à venir sur les lois officielles, vous renforcerez les programmes d’appui et assurerez la transmission d’un message clair aux jeunes que le français est non seulement utile à l’école, mais partout dans la vie. Merci.
La présidente : Un grand merci, Jérémie. Alors, notre dernière présentation sera donnée par Alexis Couture, ancien président de la Fédération de la jeunesse canadienne-française.
Alexis Couture, ancien président, Fédération de la jeunesse canadienne-françaiseMerci, madame la présidente et membres du comité. Merci beaucoup pour cette invitation. C’est un plaisir pour moi d’être ici avec vous aujourd’hui et de partager avec vous une perspective un peu différente de celle de mes collègues, que je félicite, d’ailleurs, pour leurs excellentes interventions. Donc, il y a maintenant quelques années, j’étais moi-même à leur place, et j’ai maintenant l’avantage de ces quelques années supplémentaires pour présenter un contexte un peu différent de celui qu’ils vous ont donné aujourd’hui comme témoignage. En particulier, je suis avocat dans ma vie de tous les jours; j’ai donc pris beaucoup de plaisir à lire avec attention la Loi sur les langues officielles afin d’encadrer un peu les propos aujourd’hui dans le contexte législatif dans lequel vous travaillez.
J’aimerais commencer en faisant référence à certains points que mes collègues ont évoqués plus tôt quant au PLOE, quant aux programmes qui existent déjà dans le cadre de la Loi sur les langues officielles et, en particulier, quant au besoin de la part de l’État fédéral d’être plus agressif et plus vigilant à l’égard de ses fonds, mais aussi à l’égard de ses programmes.
On voit dans la Loi sur les langues officielles, évidemment, que l’État fédéral s’est donné le mandat, ou le Parlement a donné le mandat à l’État, de faire la promotion des langues officielles, de faire la promotion et l’éducation dans les deux langues officielles, et d’allier cette promotion à des outils concrets. Or, ces outils sont offerts, entre autres, grâce aux fonds. Malheureusement, dans plusieurs provinces et territoires, ces fonds disparaissent un peu dans une brume nébuleuse, et on ne sait pas trop qui tire avantage de fonds qui devraient être consacrés au développement de nos langues officielles.
J’aimerais aussi, d’un point de vue encore une fois plus technique, souligner l’importance, dans le cadre de cette évaluation de la Loi sur les langues officielles, de bien communiquer ce que fait la loi et de bien communiquer les obligations de l’État canadien qui sont créées par cette loi. En particulier, je pense à la prestation de services bilingues, notamment dans les aéroports. Si vous avez eu l’occasion — et je présume que vous l’avez fait — de réviser les critères permettant de déterminer quels aéroports doivent fournir des services dans les deux langues officielles, c’est un véritable labyrinthe de critères et de conditions qui se succèdent, et il n’est pas surprenant que plusieurs Canadiens et Canadiennes, lorsqu’ils font face à des bureaux du gouvernement fédéral où il est plus difficile d’avoir accès à des services en français, ne comprennent pas pourquoi c’est le cas. Pourtant, il y a un cadre législatif autour de cette question qui est difficilement compris et qui est aussi peu connu. Donc, je crois qu’il est important pour vous de faire cette communication, mais aussi d’examiner ces critères et de voir si, aujourd’hui, 50 ans après, il n’y a pas lieu d’étendre la portée de l’application en ce qui concerne la prestation de services dans les deux langues officielles pour mieux répondre à ces besoins. On sait que le critère du nombre est un critère qui est utilisé, mais peut-être que le nombre pourrait être réduit de sorte que plus de Canadiens et de Canadiennes puissent se prévaloir de ces services.
Enfin, je note dans la partie VII de la Loi sur les langues officielles que l’État s’est donné le mandat d’encourager en particulier les entreprises, les organisations patronales et syndicales, les organismes bénévoles et autres à fournir leurs services en français et en anglais, et qu’on constate des efforts à ce chapitre. Cependant, encore une fois, c’est un domaine où je crois que l’État devrait jouer un plus grand rôle, en particulier au niveau de l’équité en matière d’emploi dans les deux langues officielles, afin de favoriser cet aspect au sein du secteur privé.
Par ailleurs, maintenant que ces éléments un peu plus techniques ont été couverts, j’aimerais vous parler d’un défi terminologique que j’ai relevé pendant les années que j’ai passées dans des organismes jeunesse au Nouveau-Brunswick et également au niveau national avec la Fédération de la jeunesse canadienne-française. Je pense que l’expression de « sous » pour parler de sécurité identitaire est extrêmement intéressante, parce que, de plus en plus, ce qu’on voit, ce sont des jeunes qui se définissent comme étant bilingues ou francophones, et ces définitions-là, à mon avis, présentent un défi. Le défi se pose lorsqu’on se définit comme étant bilingue, par exemple, et qu’on n’est pas certain à quel référent culturel on s’associe. On ne sait pas exactement dans quel cadre identitaire on se place, et la Loi sur les langues officielles, qui vise le bilinguisme étatique et qui encourage le bilinguisme au niveau des individus, vise également le développement des communautés de langues officielles. Ces communautés ne sont pas simplement ancrées dans une langue, elles sont ancrées dans une culture. Or, lorsqu’on se définit comme étant bilingue, est-ce qu’on ne veut pas dire plutôt qu’il y a une partie de notre identité qui est, par exemple, acadienne, alors qu’une autre partie serait liée à une identité néo-brunswickoise anglophone? Ici, on fait face à un défi qui est différent, où les anglophones généralement n’ont pas trouvé encore de nom pour définir leurs identités provinciales qui sont différentes de celles de la minorité francophone.
Lorsqu’on regarde la loi et la façon dont elle est structurée, peut-être qu’il y aurait lieu de créer un nouveau cadre législatif pour cette deuxième composante du développement des communautés et de la promotion des communautés, parce que lorsqu’on parle de bilinguisme, soit au niveau étatique, soit au niveau personnel, et qu’on mélange tout ça avec la composante culturelle et identitaire qui est associée avec une communauté qui doit être protégée et qui doit s’épanouir, on est en train de mélanger à bien des égards des pommes et des oranges, et on est en train également de faire en sorte que, pour plusieurs organismes, pour plusieurs institutions, il y a un mandat qui devient moins clair et qui devient plus difficile à réaliser, pour lequel on n’a pas nécessairement les ressources.
Lorsque Jérémie mentionne le financement de base qui est accordé à JAFLIPE, c’est extraordinaire ce que les organismes jeunesse peuvent faire avec des sommes ridicules. La FJFNB, dont j’ai été le président à une certaine époque — j’ai commencé mon mandat en 2008 —, recevait 150 000 $ par année de financement de base. Aujourd’hui, c’est 155 000 $. Presque 8 ans plus tard, 10 ans plus tard, le financement n’a pratiquement pas augmenté et, pourtant, la visibilité de cet organisme, le travail qui est fait sur le terrain, a explosé et les demandes qui sont faites ont augmenté également, parce que ce qui change lorsqu’on parle de sécurité identitaire, c’est que les jeunes veulent s’ouvrir vers l’autre communauté de langue officielle. Ils veulent aller à la rencontre de cette communauté, ils veulent partager leurs expériences parce qu’ils savent très bien — et ceux qui ont témoigné avant nous étaient d’excellents exemples de cela – que lorsqu’on raccroche la langue à cette culture qui est derrière elle, on forme des gens qui ont plus qu’une capacité linguistique, mais qui ont un véritable amour du bilinguisme et qui ont une compréhension de la nécessité du bilinguisme. Les jeunes veulent partager leurs expériences, mais pour ce faire, il faut s’assurer qu’ils soient dans une position de sécurité identitaire et que lorsqu’ils iront au contact de l’autre, ils ne se perdront pas dans ce contact-là et ne perdront pas à ce moment-là leurs référents, leur culture, leurs outils et leurs ressources.
Donc, ce que j’aimerais vous proposer, c’est de remonter à l’origine de la Loi sur les langues officielles, soit la Commission d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, connue sous le nom de la Commission Laurendeau-Dunton. La notion de biculturalisme — aujourd’hui, on parle de multiculturalisme au Canada, et je crois qu’il y a d’autres facteurs également dont il faut tenir compte — s’est retrouvée un peu perdue dans la Loi sur les langues officielles. Il serait donc peut-être temps pour l’État fédéral, pour vous comme parlementaires, de mettre en place un nouveau cadre législatif qui prenne en main le développement des communautés en situation minoritaire. Il s’agit à la fois des communautés de langue officielle en situation minoritaire, mais également des Premières Nations et des communautés autochtones de ce pays qui pourraient bénéficier d’un cadre législatif qui favoriserait leur épanouissement au niveau identitaire et culturel. Il faudrait faire la distinction entre la prestation de services qui est visée par la Loi sur les langues officielles et ces questions étatiques et vraiment aller au niveau communautaire avec un nouveau cadre législatif qui serait fondé d’abord sur la nécessité d’assurer la protection de ces communautés de langue officielle en situation minoritaire, parce que c’est la base.
Ce qu’on a vu aujourd’hui, c’est que la situation dans trois provinces est extrêmement différente et, pourtant, ce sont des provinces voisines. Si on allait dans l’Ouest, on verrait des situations tout aussi différentes. Donc, les communautés ont des besoins qui sont distincts, mais elles ont toutes besoin de cette protection-là. Une fois qu’on a un cadre qui nous permet d’assurer la protection des communautés, il faut penser à leur épanouissement et, alors, au développement de leur plein potentiel. Ce serait, à mon avis, le deuxième pilier de ce nouveau cadre : favoriser l’épanouissement des communautés. Il y aurait peut-être lieu à ce moment-là de créer une asymétrie quant aux moyens qui sont mis en place et qui sont proposés afin de répondre aux besoins de ces communautés, parce que ce n’est pas vrai que la communauté de Rustico ou celle de Caraquet ou de Port au Port ont les mêmes besoins. Donc, on ne devrait pas viser un moule unique pour chacune d’entre elles, mais plutôt un processus par lequel on favoriserait leur épanouissement, où chacune aurait les outils dont elle a besoin aux différents stades de son développement.
Finalement, le troisième pilier serait celui du contact et de l’échange, un pilier qui permettrait, avec des outils, des ressources et des fonds qui leur sont dédiés particulièrement, de faire cet échange entre nos communautés, de faire ce partage entre nos communautés qui est si nécessaire, parce que c’est là où on aura la fondation d’un pays plus fort, d’un bilinguisme au niveau individuel beaucoup plus fort, mais aussi d’une meilleure compréhension de la nécessité de ce bilinguisme étatique.
Je viens du Nouveau-Brunswick. Vous n’êtes pas sans savoir que le bilinguisme étatique au Nouveau-Brunswick est remis en question de façon agressive et parfois démesurée par certaines personnes qui n’en comprennent pas le besoin ni les bienfaits. Souvent, ce sont les gens qui n’ont pas eu le privilège de faire cette rencontre et d’avoir cette compréhension de l’autre communauté, et y compris les communautés des Premières Nations que je connais très peu. Je regrette cette incompréhension et cette méconnaissance, mais pourquoi est-ce que je n’ai pas eu cette occasion d’aller à leur rencontre? Pourquoi est-ce qu’on n’a pas eu cette occasion de mieux se connaître? Le fait d’avoir ce nouveau cadre à l’extérieur de la question du bilinguisme étatique pourrait nous permettre de favoriser une meilleure compréhension de nos communautés fondatrices et, ainsi, de favoriser les bienfaits et les avantages d’un bilinguisme étatique plus fort.
Quant à la partie VII de la Loi sur les langues officielles — comme toute bonne personne qui a œuvré dans le milieu des langues officielles en situation minoritaire, je pense toujours à la partie VII. On se plaît à dire que le gouvernement fédéral a des obligations en vertu de la partie VII, mais on n’a jamais vraiment lu la partie VII, donc on n’est pas certain de ce que signifient ces obligations. Quant à la partie VII, il y a peut-être lieu de la sortir du statut de partie d’une loi et de l’insérer dans un nouveau cadre pour favoriser le plein développement de nos communautés de langue officielle, afin de revenir à l’objectif initial de la Loi sur les langues officielles, mais aussi, dans la mesure du possible, afin de réaliser le plein potentiel de ce pacte entre nations qui est le Canada.
Quel est le rôle de la jeunesse à ce chapitre? Les jeunes, ce sont les meilleurs ambassadeurs pour réaliser ces tâches. Je pense que l’exemple qui m’a toujours frappé et qu’on avait donné, dans lequel j’ai été un instrument sans m’en rendre compte, c’est le recyclage. Il y a eu une époque où personne ne recyclait et, lorsqu’on a décidé que c’était important de recycler, où est-ce qu’on a commencé? Par les jeunes à l’école, et moi j’ai fait partie de ces premiers jeunes à l’école qui se sont fait dire qu’il était important de recycler. Lorsqu’on revenait à la maison, on disait à nos parents qu’il était important de recycler. On avait été instrumentalisé en faveur de l’environnement. Ici, il y a plusieurs générations de jeunes éloquents qui ont travaillé très fort et qui sont prêts et disponibles pour jouer ce rôle-là, non seulement afin d’assurer la protection de leur communauté, d’assurer l’épanouissement et le plein développement de leur communauté, mais également afin d’agir comme le pont entre ces différentes communautés et d’être la courroie de transmission par laquelle la compréhension de l’autre au pays pourrait réellement passer. Ces jeunes pourraient être le mécanisme par lequel on pourra à l’avenir s’assurer que les différentes communautés de langue officielle du pays, mais également les différentes communautés fondatrices de ce pays pourront mieux se connaître, mieux se comprendre et mieux travailler ensemble.
Ils ont un rôle excessivement important à jouer à ce titre, mais on ne peut pas simplement leur donner ce rôle en leur disant de faire cela maintenant et en ajoutant ces tâches leur assiette. Il faut qu’ils aient les outils et les ressources nécessaires, et les organismes jeunesse à travers le pays ont démontré qu’ils sont capables de tirer meilleur parti de chaque dollar qui est investi que ne le pourrait la vaste majorité des organismes communautaires. Je l’affirme en toute connaissance de cause. Ils sont excessivement efficaces, excessivement pertinents et excessivement utiles dans ce contexte. Merci.
La présidente : Merci beaucoup à vous tous pour vos témoignages éloquents. Je suis certaine que vos témoignages ont suscité beaucoup de réflexion et de questions de la part des sénateurs. Nous allons commencer avec la sénatrice Gagné, suivie de la sénatrice Mégie.
La sénatrice Gagné : C’est le dessert des audiences. Bravo! Excellent! Je suis très impressionnée par votre éloquence et votre engagement. Je vous remercie infiniment de votre contribution. Je suis très inspirée par vos propos. J’ai entendu beaucoup de choses. J’ai certainement bien entendu l’importance de favoriser le développement de nos écoles dans les différentes communautés et de s’assurer aussi que ce développement sera de qualité égale et contribuera à la socialisation chez les jeunes. Il faut trouver des façons de s’assurer qu’il existe des moyens de créer des activités parascolaires qui puissent favoriser cette socialisation. J’ai aussi entendu l’importance pour les communautés d’être consultées et l’importance de veiller à ce que les fonds se rendent bel et bien dans nos communautés, soit les fonds du gouvernement fédéral qui sont transmis aux provinces. En outre, vous avez parlé de l’importance de rendre obligatoires les services en français dans nos communautés.
On souhaite que le gouvernement fédéral puisse moderniser la Loi sur les langues officielles. On a une loi qui existe depuis déjà 48 ans. On a une Charte des droits et libertés qui assure la protection des minorités linguistiques. Est-ce qu’il est normal qu’en tant que communauté francophone, nous devions toujours faire appel aux tribunaux pour que le gouvernement fédéral respecte nos droits? Et là, on parle de 48 ans d’existence d’une loi. Il existe une loi et une Charte des droits et libertés. Est-ce qu’il faut amener le gouvernement en cour pour faire respecter ces droits? Comment peut-on avoir le mordant nécessaire pour que cette loi soit appliquée par voie de règlements? Souvent, les règlements viennent limiter la portée de la loi. Alors, j’aimerais vous entendre sur cette question. Alexis, tu peux peut-être commencer.
M. Couture : C’est une excellente question qui tombe à point, parce que je siège présentement au conseil d’un organisme communautaire qui envisage de déposer une poursuite contre le gouvernement fédéral. Donc, c’est bien à propos.
Je crois que ce qui est regrettable ici, c’est qu’au sein même de l’appareil étatique, il n’y a pas toujours une reconnaissance de l’importance des communautés de langue officielle en situation minoritaire et de l’appui qui doit leur être accordé. Il y a souvent une incompréhension de la forme que doit prendre cet appui-là. Souvent, on va penser que ça se limite à offrir des services dans la langue de choix du client, alors qu’il y a un contexte beaucoup plus global autour de ça. Lorsqu’on parle de sécurité identitaire, la plupart des critères que Sue a mentionnés, ce sont les mêmes critères que ceux qui sont utilisés pour mesurer la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Sur la question spécifique de la façon d’assurer que l’approche ait plus de mordant, on peut avoir une loi plus forte dans laquelle on remplace des expressions comme « encourager » par « obliger », et dans laquelle on remplace « encourager » et « favoriser » par des mots qui sont beaucoup plus forts. Ce pourrait peut-être également se faire par un Commissariat aux langues officielles avec un mandat élargi, qui non seulement évalue, recommande et critique à l’occasion, mais a également un pouvoir d’intervention et d’action au niveau du gouvernement fédéral. Chacun de mes collègues l’a mentionné, on a un contexte fédéral, on a une répartition des pouvoirs entre les provinces et le gouvernement fédéral, mais il faut trouver un moyen pour que le gouvernement fédéral ait un plus grand mot à dire dans la façon dont les provinces agissent vis-à-vis des langues officielles. Je n’ai pas la réponse quant à la forme que tout ça doit prendre, mais je crois qu’un bon début, c’est de regarder la loi dans sa forme actuelle et de regarder les éléments où, il y a 50 ans, on estimait qu’on était prêt à favoriser et à encourager — aujourd’hui, on devrait contraindre.
Il faudrait examiner aussi le mandat du commissaire aux langues officielles. Il y en a un nouveau qui devrait être nommé incessamment et, d’ailleurs, le fait que le poste soit essentiellement vacant pendant un an, c’est un problème majeur que je suis certain que vous êtes capables d’apprécier. En outre, il faudrait examiner la question à savoir si ce commissaire ou cette commissaire ne devrait pas être en mesure d’avoir également un pouvoir de contrainte sur la façon dont se comportent les ministères fédéraux et les agences fédérales?
La sénatrice Gagné : Merci. Je ne sais pas s’il y a d’autres personnes qui aimeraient commenter.
Mme Duguay : La question est peut-être un peu technique pour une personne qui n’est pas avocate encore, du moins, mais pour donner une perception un peu plus innocente de la question, je la vois dans le sens que le gouvernement fédéral se fait peut-être attaquer souvent justement parce que les gens ne comprennent pas. Alexis l’a dit, les gens en milieu minoritaire citent la partie VII, mais ils ne savent pas nécessairement ce que c’est. Ça s’inscrit dans leur sécurité identitaire dont je vous parle depuis tantôt. Si seulement ils pouvaient comprendre le pouvoir qu’ils ont pour cette langue, la force qu’elle a, pas seulement le bilinguisme, que ce soit le français ou l’anglais, qu’il est important pour eux de se rattacher à cette langue-là et qu’ils se rendent compte que le gouvernement est là et qu’il y a des comités comme celui-ci qui sont créés pour les consulter. Ils ont le droit de prendre parole. Ils ont besoin de prendre parole. Ça va un peu avec l’éducation civique, qu’on trouve très importante à la FJFNB, et le fait de développer des citoyens éduqués qui connaissent leurs droits et qui savent qu’ils ont le droit de demander aussi. Je dis qu’on attaque quand on a besoin de se mettre à la défensive. Quand les gens ne comprennent pas, ils veulent se défendre, alors les gens attaquent. On verrait les animaux faire ça, mais l’être humain le fait aussi. On se sent attaqué, alors on attaque en retour. C’est la réponse que j’aurais pour vous, soit celle d’éduquer les gens. Ça sonne ridicule, mais on parle de notre école, et ça commence avec les jeunes, comme l’a dit Alexis. Ça commence à la petite enfance, mais nous, on se concentre vraiment sur les jeunes qu’on cible à l’adolescence. C’est là que le développement se fait, le développement social. C’est là qu’on apprend comment on va devenir citoyen ou qu’on devrait apprendre comment on va travailler en tant que citoyen. Donc, l’éducation est très importante à cette étape.
La sénatrice Mégie : Merci pour vos témoignages et pour tout ce qui est concret que vous nous avez proposé. J’ai deux questions, une pour Jérémie, parce qu’elle sera la plus courte. J’aimerais juste savoir si le changement de nom de Jeunesse Acadienne à Jeunesse Acadienne et Francophone a donné les résultats que vous aviez escomptés? Par exemple, est-ce que le nombre de membres a augmenté, et est-ce que ce sont les membres qui, ordinairement, se sentaient exclus qui a augmenté dans votre groupe?
M. Buote : Dans mes premiers événements, où c’était encore Jeunesse Acadienne, il y avait assez de monde, mais ensuite, quand on a changé à Jeunesse Acadienne et Francophone de l’Île-du-Prince-Édouard, j’ai vu davantage de nouvelles personnes. Il y avait des personnes plus jeunes de la 7e année, qui venaient à leur premier événement et ils étaient plus engagés. Maintenant, ils savaient que ce n’était pas juste un groupe de personnes qui mangeaient des pâtés et jouaient du violon. Auparavant, quand je parlais à un jeune en lui disant : « Hey, veux-tu venir à ce super awesome événement de Jeunesse Acadienne? », il aurait dit : « Ah non, je ne suis pas Acadien. Je ne pense pas que je serais capable de faire partie de groupe. » Je lui expliquais qu’il n’y avait pas seulement des Acadiens, et il disait qu’il allait y penser.
La sénatrice Mégie : C’est bien. C’est intéressant.
Mon autre question s’adresse à Alexis ou à Sue, ou aux deux, parce que, quand vous parliez de la sécurité identitaire, vous avez parlé du besoin d’élaborer un cadre pour consolider cet aspect chez l’individu, chez le citoyen. À part l’attribution de fonds par le gouvernement fédéral, y aurait-il d’autres façons pour le gouvernement fédéral d’établir ce cadre-là?
Mme Duguay : Je pense que mon expression préférée — et je l’ai développée dans les réseaux jeunesse —, c’est qu’il ne faut pas réinventer la roue. On a des organismes, on a la FJCF au niveau canadien, et chaque province et territoire a des organismes semblables pour travailler auprès des minorités, des organismes jeunesse, sauf le Québec qui a, lui aussi, des systèmes mis en place. On les a rencontrés pour travailler avec leur jeunesse active, et il y a le Nunavut qui n’a pas d’organisme jeunesse. Sinon, la roue est là. On a les systèmes, et je sais que c’est une nouvelle idéologie que je vous propose, une nouvelle façon de penser, mais les organismes sont là avec des missions, des mandats et des visions qui ciblent ce que le gouvernement voudrait voir chez ses citoyens. On ne demande pas de créer un cadre. On demande plutôt de structurer ce cadre-là, d’y ajouter des clous et de la colle.
La sénatrice Mégie : D’accord.
Mme Duguay : Tout est en place, selon moi.
La sénatrice Mégie : D’accord.
Alexis, avez-vous un commentaire de plus?
M. Couture : Pour ajouter à ce commentaire, je dirais que l’État fédéral, en raison des pouvoirs qui lui sont attribués, a plus de difficulté à intervenir directement dans la vie des gens. C’est plus loin un peu. Lorsqu’on parle de sécurité identitaire, je pense qu’il y a plusieurs stages : la petite enfance, la famille, l’école, le postsecondaire également. Il y a un milieu d’intervention pour le gouvernement fédéral à travers les différents programmes qui existent. Je pense qu’il faut simplement s’assurer que les bons acteurs ont les bons outils et de veiller à ce que, lorsque le gouvernement fédéral met en place une structure ou des programmes qui appuient ces différentes phases de développement, il s’assure de préciser où doit aller l’argent, mais aussi quelle approche doit être prise pour ces fonds et pour les programmes qui sont mis en place. C’est important à ce niveau-là, et je pense que je peux en faire mention brièvement. Sous le gouvernement fédéral précédent de M. Harper, il y a eu beaucoup de directives liées aux fonds qui appuyaient les organismes jeunesse. Il était important à ce moment-là, dans leurs critères d’évaluation, selon le gouvernement fédéral, que les organismes jeunesse aient une composante de bilinguisme et de rencontre de l’autre communauté. On le faisait dans un cadre où il n’y avait pas de ressources additionnelles qui étaient versées, donc cette composante additionnelle devait être prise au détriment du mandat initial des organismes qui était déjà difficile à remplir avec les moyens du bord.
Donc, lorsqu’on fait une évaluation, par exemple, de ces programmes-là, il faut s’assurer qu’on a une évaluation qui favorise les objectifs, par exemple la sécurité identitaire. Ce n’était pas dans l'intérêt supérieur des communautés de langue officielle en situation minoritaire à ce moment-là, sans ressources additionnelles, de forcer tout le monde à aller faire des activités bilingues sans qu’il y ait une réflexion poussée à la base.
La sénatrice Mégie : Merci.
La sénatrice Moncion : Ce que je trouve d’admirable dans tous les témoignages qu’on a entendus, que ce soit à Terre-Neuve, au Nouveau-Brunswick, ou à l’Île-du-Prince-Édouard, ou que ce soit au niveau de votre regard d’avocat, de votre regard juridique, c’est la fibre du militantisme francophone que vous avez en vous. Vous avez cerné quand même des choses importantes, chacun de vous. Par exemple, pour Terre-Neuve, vous avez parlé d’éducation en français, d’infrastructure et du financement des programmes en éducation. Ensuite, Mme Duguay, vous avez parlé de la sécurité identitaire et de tout ce qui est relié à cette sécurité. Jérémie a parlé aussi de sécurité identitaire, mais davantage dans le sens de la mise en place de programmes, et vous, vous nous avez donné beaucoup de suggestions sur l’encadrement de la loi. Maintenant, au sein du gouvernement fédéral, quand on regarde la mise en œuvre de ce cadre-là dans chacun de vos milieux, ce que j’entends souvent, c’est que vous voulez des fonds additionnels pour vous permettre de mettre les programmes en place. Il s’agit aussi de l’encadrement et des suivis. Comment pouvez-vous nous aider à ramener tout ça de façon concrète au niveau du gouvernement fédéral? Nous allons produire un rapport, mais de façon concrète, en ce qui a trait aux outils, comment peut-on ramener ça au gouvernement fédéral pour que celui-ci écoute vos besoins et vos revendications?
La présidente : Monsieur Corbineau.
Gaël Corbineau, directeur général, Franco-Jeunes de Terre-Neuve-et-Labrador : Merci, madame la présidente.
Madame la sénatrice, c’est intéressant parce que vous avez évoqué dans votre question les fonds additionnels et, en fait, dans bien des cas, il n’y a pas forcément un besoin de fonds additionnels. Il y aurait le besoin de bien utiliser les fonds actuels, si j’ai bien compris votre propos. On parlait des PLOE. Ça a été mentionné par plusieurs.
M. Couture a évoqué un environnement brumeux, je crois. Chez nous, on a plutôt l’habitude de dire que ça sert à paver les routes. Manifestement, ce n’est pas suffisant, vu l’état de nos routes. Simplement, il s’agit de toute la problématique — en ce qui concerne les PLOE en particulier — des comptes rendus, de la façon dont sont vraiment utilisés ces fonds qui sont normalement destinés au volet français langue première aux communautés francophones. Ça, c’est un vrai sujet. On espère que les prochaines ententes s’amélioreront. On a quelques échos favorables à ce niveau-là, mais il y a tout un problème de comptes rendus et d’obligations du gouvernement fédéral, et c’est toute la question des transferts entre le fédéral et le provincial. Ça a déjà été plus ou moins évoqué. J’aimerais peut-être déborder un peu du sujet de la jeunesse. Il y a eu un précédent très intéressant cette année en dehors du domaine linguistique — enfin, moi je l’ai vu ainsi – quant aux transferts fédéraux dans le domaine de la santé. Il y a eu des négociations, et si vous vous souvenez bien, les provinces n’étaient pas très heureuses des orientations fédérales. Lorsque le premier ministre Trudeau a imposé certaines orientations, et je pense en particulier au domaine de la santé mentale, les provinces ont dû s’y plier. Pourquoi n’est-ce pas fait dans le domaine linguistique? Pourquoi en matière de santé en particulier? Il n’y a pas de disposition linguistique dans le transfert de fonds, sachant que ça ferait économiser de l’argent, puisque mieux on est soigné dans sa langue, plus la prévention fonctionne, plus les soins fonctionnent, car on comprend mieux les posologies médicales et autres traitements. Ensuite, il y a moins de problèmes de santé, parce qu’on sait très bien que plus on tarde, plus les soins coûtent cher. Donc, ce ne sont pas des fonds supplémentaires qui, dans certains cas, seraient nécessaires. Il s’agit simplement de mieux orienter les fonds et de s’assurer qu’ils sont utilisés à bon escient, notamment en éducation.
J’ai trouvé très intéressant le débat avec les provinces en matière de santé, car je me suis posé la question : si on le fait pour la santé mentale, tant mieux, mais pourquoi ne le fait-on pas pour les langues officielles? Voilà. Je ne suis pas sûr de répondre complètement à votre question, mais ça me permettait de rebondir.
La sénatrice Moncion : En fait, quand vous parliez de l’utilisation des fonds, c’est qu’il y a toujours les transferts fédéral-provinciaux et la responsabilisation liée aux fonds, et ce que les provinces font avec les fonds. Les fonds ne sont pas toujours dirigés vers vos organismes. Ils peuvent être utilisés ailleurs. Quand vous demandez une reddition de comptes, c’est-à-dire une explication de la façon dont les fonds sont dépensés, même vous, au niveau des jeunes, vous n’avez pas accès à ces fonds-là parce que souvent, il y a d’autres organismes qui se sont approprié les fonds qui vous étaient destinés. Alors, il y a tout ce côté-là. Il n’y a pas de suivis qui sont faits, donc nous, au niveau des langues officielles, nous allons faire des recommandations au gouvernement fédéral. Cependant, concrètement, comment peut-on s’assurer que vous recevez cet argent-là, que vous avez cet argent-là pour mettre en place les programmes dont vous avez besoin? Vous nous avez parlé de 50 000 $ ou 55 000 $. Vous avez parlé de 150 000 $. Le montant n’a pas augmenté dans les sept ou huit dernières années. Ce sont toutes ces choses-là qui font que ça devient une habitude de donner des fonds sans qu’il y ait, par exemple, des mesures de suivi. Il y a non seulement la notion de suivi, mais aussi l’inflation qui est associée à tous ces projets-là. On a beaucoup de militantisme chez les jeunes. On a l’engagement, et on se dit que ça devrait bien fonctionner, mais on se rend compte qu’il y a plein de freins qui sont associés au fonctionnement. Donc, nous allons faire des recommandations, mais il faudrait savoir comment on peut ramener tout ça pour que vous ayez accès aux fonds afin de mettre en œuvre vos projets.
M. Couture : Je pense qu’il y a une composante importante qui est d’essayer de sortir le politique des attributions de fonds. Avec les transferts fédéral-provinciaux, il y a également la question de la façon dont sont dépensés les fonds qui proviennent directement du gouvernement fédéral. La loi, évidemment, c’est le grand cadre, mais ensuite, dans les règlements, dans les programmes qui sont développés en application, souvent, c’est un peu une boîte noire dans laquelle ils disent : « On a pris les critères de la loi et maintenant on sort un programme avec nos propres critères. » On ne sait pas comment cette transition a été faite. Je pense qu’une chose qui pourrait être extrêmement utile dans la révision de la loi, ce serait justement de faire la lumière sur cette boîte noire, soit en consultant les communautés quant à l’élaboration des programmes.
Souvent, la consultation de la communauté se fait à un très haut niveau. Par exemple, la ministre Joly, il y a un an, a mené une consultation sur la feuille de route sur les langues officielles, ou peu importe comment on veut l’appeler. Il y a une table, on a une heure, et il y a 30 personnes. Ce n’est pas une consultation en profondeur. On s’entend que tout le monde a le temps de dire : « Bonjour, je viens de tel organisme et mon point principal, c’est ceci. Merci. » Donc, il faudrait un meilleur mécanisme pour aller illuminer ce qui se passe dans cette boîte noire où le gouvernement utilise des critères et développe les programmes, pour qu’on ait l’occasion de s’assurer que le programme répond aux besoins des communautés auxquelles il est destiné. Je crois que ce serait une bonne première étape.
La sénatrice Moncion : Et si vous, les jeunes, vous aviez cet argent-là, qu’est-ce que vous feriez de plus?
Mme Duguay : C’est une magnifique question. J’adore des questions comme celle-là. Je vous réponds rapidement. On a de magnifiques projets. Dans chacune des provinces, on développe des choses incroyables. Je vais prendre l’exemple du Nouveau-Brunswick pour ne pas empiéter sur les projets des autres. On a le projet Accros de la chanson, un concours de chant. On en est à la 14e édition. Ça a développé des artistes. Il y a Les Hay Babies qui sont passées par ce concours, Lisa LeBlanc, et Pierre Guitard, qui vient de gagner le Festival de Granby. Quand ce projet-là a été proposé il y a plusieurs années, on a reçu des fonds pour faire le projet, mais comme on refait le projet de façon annuelle, l’argent ne nous est pas donné pour ce projet-là. On a l’argent pour notre fonctionnement de base, mais on est limité, et les jeunes en redemandent.
Cette année, les jeunes nous demandent de l’entrepreneuriat. Donc, en plus de gérer plus d’un gros projet comme Accros à la musique, de gérer notre fédération et de gérer les nouvelles idées des jeunes, nous devons faire tout ça avec la même somme d’argent qu’Alexis recevait quand il était président. On reçoit la même enveloppe maintenant que je suis présidente, et on continue de gérer des projets qu’ils ont demandés à l’époque et qui fonctionnent, et on ne veut pas mettre à bas des projets qui fonctionnent aussi bien, parce qu’on est un tremplin pour des artistes qui émergent. Il y a plein de projets comme ça. Ce n’est pas le seul. Si on avait plus d’argent, on pourrait certainement continuer de faire grossir des projets comme celui-là. Il n’y aurait pas de limites. On pourrait travailler sur un terrain plus large aussi.
Le sénateur Cormier : Merci pour vos présentations. Je vais retenir mon enthousiasme étant donné la proximité que j’ai avec vous tous depuis plusieurs années en raison de mes fonctions précédentes, mais je veux réitérer ce qu’ont dit mes collègues sur la richesse, la pertinence et la précision de vos interventions.
Je voudrais revenir approfondir un peu la proposition qui émane de M. Couture sur la question du cadre législatif. Alors, si j’ai bien saisi votre proposition, il y a une partie de la loi qui touche effectivement la question des services et du bilinguisme individuel, et ça, c’est comme une partie en soi, mais vous dégagez de ça toute la partie qui serait comme une partie VII et qui deviendrait un nouveau cadre législatif dans lequel il y aurait trois éléments, soit la protection des communautés, l’épanouissement des communautés et la troisième dimension qui touche les contacts et les échanges. Ce que j’aimerais comprendre de votre proposition, c’est qu’il me semble que la dimension de la protection et de l’épanouissement est déjà dans la loi. Alors, de quelle manière celle-ci changerait-elle à votre avis? Aussi, dans la dimension du contact et de l’échange, vous avez parlé de la question des Premières Nations. Maintenant, je pense que tout le Canada reconnaît l’importance de promouvoir les langues autochtones, qui ne sont pas des langues officielles. Alors, dans quel contexte croyez-vous que cette dynamique pourrait s’inscrire dans la Loi sur les langues officielles?
M. Couture : En fait, c’est justement la raison pour laquelle il faut peut-être sortir ces questions-là de la Loi sur les langues officielles. Lorsqu’on parle de la Loi sur les langues officielles, le premier réflexe des Canadiens, c’est le bilinguisme. Je ne pense pas que le premier réflexe, lorsqu’on pense à la Loi sur les langues officielles, c’est le développement des communautés. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, on fait la distinction avec la Loi sur l’égalité des deux communautés linguistiques, qui a été enchâssée par la suite dans la Charte canadienne des droits et libertés. On pourrait mieux faire cette distinction.
Il ne s’agit pas d’extraire toute la partie VII, mais à l’alinéa 43(1)a) de la partie VII, on peut lire ce qui suit : « de nature à favoriser l’épanouissement des minorités francophones […] » Cette composante, à mon avis, peut être un cadre en soi et c’est là où on peut rejoindre les communautés autochtones, par exemple, sans nécessairement entrer dans tout le débat à savoir si leurs langues devraient être des langues officielles — je ne me prononce pas du tout là-dessus ici aujourd’hui. Donc, il s’agirait de sortir la question identitaire et communautaire de la question linguistique, de faire la distinction entre la langue comme un vecteur d’échange culturel, comme étant le bagage culturel, et de la langue comme une stricte habileté technique. Je pense que c’est là où on aurait avantage à mieux faire cette distinction et à donner à chacun les ressources et les outils qui lui sont vraiment nécessaires. Développer le bilinguisme individuel, ça peut se faire à travers l’immersion, mais renforcer le développement d’une communauté, ça demande une école de la langue. L’immersion n’a pas la même fonction. Je pense que c’est important qu’on fasse la distinction entre les deux pour s’assurer qu’on a un cadre qui permet d’atteindre pleinement les objectifs dans ces deux sphères.
Le sénateur Cormier : Si je peux me permettre, quelqu’un obtiendrait davantage, disons, de manière concrète, ce qui touche le contact et l’échange. Vous avez parlé de courroie de transmission, du rôle que la jeunesse peut jouer. On a eu des témoignages plus tôt aussi qui mettaient en relief les enjeux. On parlait d’école, d’école d’immersion, d’école francophone, et des enjeux liés à la perte d’identité francophone quand on s’associe trop à la majorité anglophone. Comment imaginez-vous cela?
M. Couture : Je pense que Sue en a bien parlé. Lorsqu’elle parle de sécurité identitaire, c’est de s’assurer qu’il y a un fondement qui fait en sorte que, lorsqu’on arrive à ce troisième pilier, les gens sont prêts à faire ce contact et cette rencontre. Pour ce faire, il nous faut des communautés fortes et tout un réseau. Essentiellement, il ne faut pas que, lorsqu’un jeune entre en contact avec l’autre, il ait l’impression d’avoir accès à moins de ressources que l’autre. C’est souvent ce qu’on voit dans des communautés extrêmement minoritaires. Les jeunes se demandent pourquoi leur école n’a pas d’équipe de basketball, de programme d’art, ou pourquoi tous les cours « option avancée » se donnent par vidéoconférence. Donc, il faut s’assurer que, lorsqu’on arrive à ce contact-là, on n’est pas en train de donner le goût de tout ce qui peut se faire dans la majorité et d’attirer les jeunes vers la majorité. Il faut veiller à ce que les jeunes soient confortables, qu’ils aient une sécurité identitaire qui leur permette de faire ce contact-là et d’apprécier ce qui se fait chez l’autre, de partager et peut-être de ramener le meilleur de ce qu’ils ont vu ailleurs dans leur propre communauté.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.
Le sénateur Maltais : Merci. J’espérais que vous ne m’oubliiez pas. Je voudrais dire merci à Mary-Jane, à Sue, à Jérémie et à Alexis, très à l’aise dans un prétoire, à ce que je peux voir, parce que vous avez une chose qui est remarquable chez vous; la passion est visible dans vos yeux, votre langue et votre culture.
Jérémie, tu te demandais où va l’argent. Moi aussi, je me pose cette question. Il y a à peu près 14 ou 15 mois, le ministre Scott Brison a comparu devant notre comité. La présidente peut en témoigner, j’ai posé la question suivante : « Où va l’argent? » Partout au Canada, les organismes francophones en milieu minoritaire se plaignent qu’ils n’ont pas l’argent que le gouvernement fédéral leur octroie. Alors, j’ai demandé au ministre s’il y avait une reddition de comptes quelque part. Il a répondu que non, mais qu’il travaillait à élaborer une loi, un projet de loi qui serait présenté bientôt, et que si les gouvernements provinciaux n’effectuaient pas de reddition de comptes, il allait leur couper la subvention. Comme l’a dit Alexis, c’est bien beau d’aider des organismes, mais si l’argent ne se rend pas, le gouvernement fédéral ne vous comprend pas, car il sait qu’il a versé de l’argent. Il y a donc un intermédiaire entre les deux qui l’a transmis ailleurs. Ce n’est pas compliqué. C’est ça. Bien sûr, il y a les infrastructures. Je suis bien d’accord avec ça, mais il faudra au moins savoir. Si ton école a bâti un gymnase à même les subventions pour les langues officielles, il faudrait que tu le saches.
Le soutien aux organismes, c’est la clé de la vitalité même de la langue. Ici, on parle de langue française et de culture française. Depuis quelque temps, je songe à une chose. Je viens du Québec, et vous le savez, le Québec est la seule province où le français est la langue officielle. Il n’y en a pas deux, il n’y en a pas trois, il n’y en a pas quatre. Lorsqu’on parle de langues officielles, Alexis l’a souligné, et je ne veux pas m’attarder là-dessus, mais on parle de peuples autochtones, de « peuples » au pluriel. Je ne sais pas combien il y en a, je ne les ai pas comptés, mais il y en a plusieurs. Il n’y a qu’un peuple acadien. Vous êtes les premiers. À ce que je sache, Roberval n’est pas arrivé à Vancouver. Il est arrivé en Acadie. Les aboiteaux n’ont pas été bâtis sur la rue Sainte-Catherine, à Montréal. Ils ont été bâtis en Acadie. Donc, vous êtes un peuple dispersé, pas par vous, pas par choix, mais vous êtes un peuple, et je pense que tant et aussi longtemps que vous ne mettrez pas l’épaule à la roue pour vous faire reconnaître comme un peuple… Ça a pris du temps au Québec, ça a pris 450 ans, mais je pense qu’on peut vous aider beaucoup à ce chapitre.
Jérémie, je suis épaté de la façon dont tu as fait ta présentation. Est-ce que tu peux me dire ton âge, si ce n’est pas indiscret?
M. Buote : J’ai 15 ans.
Le sénateur Maltais : Quinze ans! Alors, chapeau!
Tu es très engagé, très professionnel, et vous aussi, Sue et Mary-Jane. S’il y a une graine de la langue française ici qui a été plantée par des gens comme Alexis lorsqu’il avait votre âge, ses parents, vos arrière-parents et grands-parents, voilà la récolte. Maintenant, il faut la faire progresser, et c’est votre défi pour les prochaines années. Je ne vous poserai pas de questions parce que vous y avez répondu, et dans vos mémoires, vous avez été bien explicites.
Un dernier petit point : le pouvoir du commissaire aux langues officielles. Il n’a pas le pouvoir d’acheter un porte-poussière. Il a le pouvoir de critiquer, de chialer, mais ça se limite à ça. On fait de gros rapports à chaque année ou aux deux ans. Le commissaire fait un gros rapport, que personne ne lit d’ailleurs, même lui-même, je me le demande parfois. Le gouvernement et les journalistes brassent ça pendant une journée, puis c’est fini. Ce n’est pas de ça qu’on aurait besoin. On aurait besoin d’un commissaire aux langues officielles qui a le pouvoir d’agir, et là, il n’a pas ce pouvoir-là. Donc, dans la révision de la Loi sur les langues officielles, un jour ou l’autre, on va parler des pouvoirs du commissaire. C’est très important. Vous l’avez souligné avec justesse. Si un jeune de 15 ans le souligne de lui-même, comment les vieux sénateurs comme nous pouvons-nous ne pas le souligner? Merci beaucoup de votre témoignage. C’est très enrichissant. Merci beaucoup.
La présidente : Je sais qu’il se fait tard, et les sénateurs sont en audience publique depuis 8 heures ce matin, mais personne n’a mentionné la question de l’élargissement. Je sais que, par exemple, à l’Île-du-Prince-Édouard, vous avez une nouvelle Loi sur les services en français et vous avez élargi la définition de « francophone » pour inclure ceux qui ont une connaissance de la langue française et non pas uniquement ceux pour qui le français est la première langue officielle parlée. Est-ce que vous croyez que ce serait important dans une révision de la loi de considérer l’élargissement du concept de « francophone » dans la loi? Jérémie.
M. Buote : Oui. Je pense personnellement qu’un francophone, ce n’est pas nécessairement seulement une personne qui parle le français comme langue maternelle, mais aussi quelqu’un qui l’a apprise à n’importe quel âge. Je pense que c’est vraiment important d’inclure ceux qui veulent apprendre le français aussi.
La présidente : D’accord. Vous êtes d’accord d'inclure les autres aussi? Oui.
M. Corbineau : La notion doit forcément évoluer. En quoi je n’aurais pas le droit de me faire servir en anglais au Québec, tout comme un francophile terre-neuvien n’aurait pas le droit de se faire servir en français? Donc, en plus de ça, ces chiffres nous servent souvent non seulement pour les services, mais bien entendu pour les financements. Désolé de revenir sur ce sujet. Donc, les nôtres sont forcément réduits. Je pense à Terre-Neuve en particulier, où il y a à St. John’s 10 fois plus de francophiles que de gens officiellement bilingues et que de francophones. Il y a une masse qui participe à nos activités, tant dans nos organismes jeunesse qu’ailleurs, et on n’a pas les moyens d’accueillir tout cela. Si on le fait, c’est sans les ressources, alors la notion de francophone qui est liée à ces ressources doit être revue certainement.
La présidente : Merci.
Le sénateur Cormier : Vous avez posé un peu la question que je voulais poser, et c’était très bien, sur la question de l’élargissement de la définition de « francophone ». En fait, peut-être que ce sera plus un commentaire qu’autre chose sur ce concept de sécurité identitaire en lien avec l’élargissement de la définition d’un francophone. Pour moi, il y a plein de questions qui surgissent sur le pilier des contacts et de l’échange. Comment, sur le plan de l’identité, quand on est un francophile par opposition à un francophone de langue maternelle, ces espaces de rencontre tiennent-ils compte de ça? Je pense que les francophiles qu’on a rencontrés qui parlent la langue française la parlent avec beaucoup d’éloquence, mais ne parlent pas de la langue française de la même manière que vous en parlez quand c’est votre langue maternelle, puisqu’il y a une culture qui est porteuse derrière ça.
Je n’ai pas la réponse, mais, madame la présidente, ce que je veux essayer de soulever, c’est que la question pour moi de la sécurité identitaire est une notion extrêmement intéressante dans le concept du renouvellement ou de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Je me permets de faire un clin d’œil à Jérémie et à votre association, à laquelle vous avez rajouté l’expression « francophone et acadienne ». J’ai déjà eu dans le passé des discussions par rapport à ça, et c’est une question importante, c’est une décision importante que vous avez prise, parce que, dans le fond, quand je présente votre association à des amis français, ils me disent « bien alors, les Acadiens ne sont pas des francophones », puisque le titre indique « Association acadienne et francophone ». Alors, s’agit-il d’élargir la définition de ce qu’est un Acadien dans le contexte actuel ou est-ce nier cette identité-là pour être très englobant sous le concept de francophone? Bref, je me permets cet échange-ci en fin de rencontre pour vous dire que je crois que cette question de la sécurité identitaire est extrêmement importante. Je retiens ces propos-là. Je retiens les propos des enjeux liés aux ententes fédérales-provinciales, les propos liés à l’asymétrie aussi, parce que la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles passe par de l’asymétrie dans les différentes provinces et régions, et je termine en vous remerciant sincèrement. Je ne peux pas faire plus que dire que je suis très fier de faire partie de cette communauté. Merci beaucoup.
La présidente : Eh bien, comme vous le voyez, les sénateurs ont été inspirés par vos présentations aujourd’hui. Nous vous en remercions très sincèrement. Nous avons remarqué la richesse, la pertinence et aussi l’innovation dans ce que vous nous avez présenté. Je pense que vous nous avez fait voir les choses différemment. Vous avez parlé de cette nouvelle façon de voir la langue et de voir la loi en termes de sécurité identitaire, alors c’est réellement très bien. On avait entendu parler à plusieurs reprises de l’insécurité linguistique. Vous l’avez retournée et vous nous avez parlé de sécurité identitaire, alors cela mérite certainement beaucoup de réflexion. Il y avait aussi toute la question de revoir la partie VII et de donner un nouveau cadre législatif à la partie VII en faisant la distinction entre le bilinguisme individuel et la promotion et l’épanouissement des communautés, les trois piliers. Ce sont réellement des suggestions et des recommandations qui sont très riches et très pertinentes pour le travail de notre comité. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous sommes très fiers de vous tous, et nous vous remercions de votre engagement et de votre passion.
Voilà, nous avons terminé notre séance d’aujourd’hui après une journée très riche qui portait sur le volet jeunesse et la modernisation de la loi, et nous avions raison de commencer avec le volet jeunesse. Vous nous en avez donné la preuve aujourd’hui. Merci.
(La séance est levée.)