LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 16 octobre 2017
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 4, en séance publique et à huis clos, pour poursuivre son étude sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.
La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente : Bonsoir, je suis la sénatrice Claudette Tardif, de l’Alberta, et j’ai le plaisir de présider la réunion de ce soir. Avant de passer la parole à notre témoin, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant à ma gauche.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
La présidente : Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit aujourd’hui son étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Nous recevons ce soir M. Pierre Foucher, professeur de droit à l’Université d’Ottawa. Maître Foucher est un expert en droit constitutionnel et en droit linguistique. Il a écrit un grand nombre de publications au sujet de ces deux domaines, y compris un ouvrage intitulé 50 ans de bilinguisme officiel : Défis, analyses et témoignages, qu’il a coédité en 2014.
Aujourd’hui, nous souhaitons tenir une séance d’information technique au sujet des différentes parties de la loi afin de guider les membres du comité pour la suite de nos travaux.
Merci beaucoup d’être avec nous, maître Foucher; les sénateurs auront des questions à vous poser lorsque vous aurez terminé votre présentation. La parole est à vous.
Pierre Foucher, professeur, faculté de droit, Université d’Ottawa : Tout d’abord, merci de votre invitation. Je suis très honoré de me trouver devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles.
On m’a dit qu’il s’agissait d’une séance d’information technique au cours de laquelle on devait passer en revue les différentes parties de la loi pour cerner les sections qui méritaient des réformes et des modernisations. C’est donc ce que j’ai fait. Je vous ai fait distribuer un petit document de deux pages en français et en anglais, qui reprend chacune des parties de la loi en abrégé et qui énonce les différents éléments que je voudrais aborder avec vous ce soir. J’espère que nous aurons au moins le temps de parler des choses les plus importantes. Au lieu de vous faire une présentation formelle suivie d’une période de questions, je vous propose de procéder partie par partie; après chaque partie, si vous avez des questions, vous pourrez me les poser avant qu’on passe à la partie suivante. De cette façon, nous pourrons vérifier l’ensemble des parties de la loi; il y en a certaines qui sont pour moi plus importantes que d’autres.
La présidente : J’aimerais rappeler aux sénateurs qu’ils ont une copie de la Loi sur les langues officielles. Je dois vous rappeler, maître Foucher, que nous ne disposons pas de beaucoup de temps et que nous aimerions aussi prévoir du temps pour les questions.
M. Foucher : Oui, ma présentation sera très courte.
La présidente : Merci.
M. Foucher : Nous pouvons commencer avec la partie II, qui se trouve à la page 5 de la copie de la Loi sur les langues officielles que nous avons devant nous. L’article 7 traite des règlements et mentionne que les règlements et les textes d’application de la loi doivent être bilingues. Il y a eu un problème, il y a quelques années, au sujet des incorporations par renvoi, c’est-à-dire les textes auxquels les règlements font référence et qui incorporent à l’intérieur du droit fédéral des normes qui ont été établies à l’extérieur du droit fédéral.
Je me souviens d’avoir comparu devant le Comité de la justice pour discuter de ce problème, et il y avait eu beaucoup de questions à savoir si on devait traduire les textes incorporés. Parfois, on fait référence à des normes internationales, par exemple, dont la version française n’existe pas. Il faudrait peut-être se pencher sur cette question dans le cadre de la Loi sur les langues officielles et ajouter un paragraphe à l’article 7 qui préciserait que l’obligation de traduire inclut les documents incorporés par renvoi, à moins qu’il y ait des exceptions légitimes comme celles prévues par la Cour suprême dans sa décision de 1992. Il pourrait s’agir, par exemple, de textes législatifs qui émanent d’un pays dont le français n’est pas l’une des langues officielles ni une langue de rédaction en matière de législation, ou bien de normes internationales privées qui n’ont pas de version en français.
Il s’agit là d’un premier point, soit le seul point que j’ai à présenter en ce qui a trait à la partie I de la loi, parce que le reste m’apparaît tout à fait correct.
Avez-vous des questions?
La présidente : Non. Allez-y, continuez.
M. Foucher : On continue donc avec l’article 10 de la partie II, à la page 6.
On peut lire ceci, au paragraphe 10(2), « Accords fédéro-provinciaux » :
(2) Il incombe au gouvernement fédéral de veiller à ce que les textes fédéro-provinciaux suivants soient établis, les deux versions ayant même valeur, dans les deux langues officielles.
a) les accords dont la prise d’effet relève du Parlement ou du gouverneur en conseil;
b) les accords conclus avec une ou plusieurs provinces lorsqu’une d’entre elles a comme langues officielles déclarées le français et l’anglais ou demande que le texte soit établi en français et en anglais;
c) les accords conclus avec plusieurs provinces dont les gouvernements n’utilisent pas la même langue officielle.
D’après moi, il faudrait, pour moderniser la loi, abolir les alinéas b) et c) et exiger une version des accords fédéro-provinciaux dans chacune des langues officielles, sans exception. Je ne vois pas la pertinence de limiter les versions en français ou en anglais aux provinces qui ont deux langues officielles ou, encore, aux provinces qui n’utilisent pas les mêmes langues officielles. Une personne pourrait vouloir consulter la version française d’un accord fédéral-provincial avec la Saskatchewan qui n’existerait qu’en anglais.
Le sénateur Maltais : Monsieur Foucher, vous êtes constitutionnaliste. Vous savez sûrement que dans le cas du Québec, c’est la Cour suprême qui avait invalidé une partie de la loi 178. Vous savez sans doute également qu’on a dû invoquer la disposition de dérogation pour soulever les deux chartes. Donc, s’il n’y a pas d’affichage en anglais au Québec, adressez-vous à la Cour suprême et non à la loi 178.
M. Foucher : Je ne parle pas de l’affichage, mais des traités et des accords entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec.
Le sénateur Maltais : Mais au Québec, les traités doivent être en français.
M. Foucher : Oui, la version française doit exister.
Le sénateur Maltais : Comme l’a confirmé la Cour suprême, la langue officielle du Québec, c’est le français. Je ne comprends pas que, dans un pays bilingue, les autres provinces que le Québec ne disposent que du document anglais.
M. Foucher : C’est exactement ce que j’ai dit.
Le sénateur Maltais : Que font les tribunaux à ce sujet?
M. Foucher : Ils n’ont pas le choix, parce que la loi indique bien que cela ne concerne que certains accords.
Le sénateur Maltais : Quelle est leur décision?
M. Foucher : Ils n’en ont pas rendu.
Le sénateur Maltais : Voilà. Je vous remercie.
M. Foucher : Je pense que le Parlement devrait se saisir du problème et exiger une version française de tous les accords fédéro-provinciaux.
Le sénateur Maltais : Cependant, ce sont les tribunaux qui devraient trancher.
M. Foucher : Non, ce pourrait être le Parlement. Si l’article 10 de la loi stipule dans quelle langue les traités nationaux doivent être rédigés, le Parlement a toutes les compétences voulues pour le faire.
Le sénateur Maltais : Oui, le Parlement a toujours la dernière compétence, mais en ce qui concerne l’interprétation d’une loi, vous savez que les tribunaux ont préséance.
M. Foucher : C’est pour cette raison que, si on enlève l’exigence de limiter la traduction à certains cas précis et qu’on exige la traduction de tous les traités ou de toutes les ententes fédérales-provinciales, cela réglerait le problème.
Le sénateur Maltais : Vous savez que la grande majorité des traités parus avant 1867 ne sont ni en français ni en anglais?
M. Foucher : Le paragraphe pourrait prévoir que l’exigence commence à partir d’une certaine date.
Mon prochain point concerne l’article 11, qui traite des avis et des annonces du gouvernement fédéral. Il y a un problème récurrent lié au fait que le gouvernement ne publie pas toujours ses avis et annonces dans les médias communautaires des minorités de langue officielle. La loi pourrait en faire une exigence.
À la partie III, « Administration de la justice », on constate deux gros problèmes. Le premier est à l’article 16, qui commence ainsi :
16(1) Il incombe aux tribunaux fédéraux autres que la Cour suprême du Canada […]
Je ne suis pas le seul à réclamer le bilinguisme des juges de la Cour suprême, et je le fais devant ce comité. Il me semble que la Cour suprême devrait compter des juges bilingues et que la loi devrait le préciser. Ce serait la moindre des choses.
Le sénateur Maltais : Est-ce qu’on pourrait étendre cette exigence à tous les agents du Parlement?
M. Foucher : C’est déjà le cas, pour les agents du Parlement.
Le sénateur Maltais : Vous croyez?
M. Foucher : La modification a été faite récemment en ce qui concerne les agents du Parlement. On peut le voir au paragraphe 24(3) de la partie IV, à la page 12.
Le sénateur Maltais : On n’a pas la même définition du bilinguisme en ce qui concerne le gouverneur général du Canada.
M. Foucher : C’est pourtant la loi.
Le sénateur Maltais : Il ne sait pas faire la différence entre « bonjour » et « bonsoir ».
M. Foucher : Mon premier point était donc que la loi exige le bilinguisme chez les juges de la Cour suprême.
Ensuite, l’article 19, qui se trouve à la page 10 de votre document, fait une distinction entre les procédures judiciaires préimprimées et le texte préparé par les fonctionnaires dans le cadre de la procédure.
On dit, au paragraphe 1, que les préimprimés sont bilingues, et au paragraphe 2 :
(2) Ces actes peuvent être remplis dans une seule des langues officielles pourvu qu’il y soit clairement indiqué que la traduction peut être obtenue sur demande; celle-ci doit dès lors être établie sans délai par l’auteur de la signification.
Je propose que l’on remplisse le formulaire dans la langue demandée par le justiciable, ou dans les deux langues si on ne la connaît pas, plutôt que d’exiger du justiciable qu’il en demande une traduction.
L’article 20 pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, son libellé actuel n’est même pas respecté. Il faudrait également modifier le libellé pour poser le principe. À l’heure actuelle, les jugements des tribunaux fédéraux doivent être mis à la disposition du public simultanément dans les deux langues dans deux cas, et je cite :
a) si le point de droit en litige présente de l’intérêt ou de l’importance pour celui-ci;
b) lorsque les débats se sont déroulés, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles, ou que les actes de procédure ont été, en tout ou en partie, rédigés dans les deux langues officielles.
Dans les autres cas, il n’est pas nécessaire de publier simultanément des jugements en français et en anglais. Or, ce n’est pas acceptable quant à l’égalité des langues officielles. Le principe général devrait être la publication simultanée en français et en anglais, point final. Il pourrait ensuite y avoir des exceptions prévues au paragraphe 2. C’est ce que la Cour suprême fait. Elle publie ses jugements simultanément en français et en anglais. Les jugements ne sont rendus publics que lorsqu’ils existent dans les deux langues. Ce devrait être pareil pour tous les tribunaux fédéraux.
Le sénateur Maltais : Je pense que tous les comités de la Chambre des communes et du Sénat publient leurs rapports dans les deux langues simultanément.
La présidente : Oui, tout à fait, sénateur Maltais.
M. Foucher : Si c’est le cas pour les comités du Parlement, il me semble que les tribunaux fédéraux devraient le faire aussi.
Maintenant, certains points devraient être précisés. Par exemple, à l’alinéa 20(1)a), que signifie « de l’intérêt ou de l’importance pour le public »? Et à l’alinéa 20(1)b), que signifie « les débats se sont déroulés, en tout ou en partie, dans les deux langues »? Que veut dire « en tout ou en partie »? Est-ce que l’expression « en partie » peut désigner un seul mot? Ce problème serait réglé si on posait le principe de la publication simultanée des jugements dans les deux langues.
Au paragraphe 20(2), qui traite des exceptions, il faudrait préciser ce que veut dire « un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public » et « causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige ». Pourquoi seulement une des parties au litige? Pourquoi pas des tiers? La décision est rendue d’abord dans une langue et, dans les meilleurs délais, dans l’autre langue. À quoi renvoie l'expression « les meilleurs délais »? Ne faudrait-il pas être plus spécifique? Ce sont des détails qu’il faudrait préciser, soit à l’intérieur de la loi ou dans un règlement.
Je vais passer à la partie IV, car, comme vous le savez, elle présente beaucoup de problèmes. Dans un premier temps, abordons les services au public voyageur à l’article 23. Au Comité des langues officielles de la Chambre des communes, la semaine dernière, j’ai été convoqué dans le cadre d'une étude visant à déterminer si Air Canada respecte la Loi sur les langues officielles. On m’a demandé si on devait étendre l’obligation à toutes les compagnies aériennes. J’ai répondu que oui. Je vous fais donc la même affirmation aujourd’hui. Toutes les compagnies aériennes, non pas seulement Air Canada, pour les vols à travers le Canada, devraient respecter la partie IV de la Loi sur les langues officielles.
Le sénateur Maltais : Vous savez fort bien qu’elle ne l’a jamais respectée.
M. Foucher : Oui, mais il s’agit là d’un problème de mise en œuvre et non d'un problème d’obligation.
Le sénateur Maltais : Lorsque les représentants d'Air Canada comparaissent devant les comités de la Chambre des communes ou devant ceux du Sénat, ils affirment qu'ils feront des efforts, mais les efforts ne sont jamais faits.
M. Foucher : J'aurai des remarques à ce sujet plus tard. Il y a des façons de « serrer la vis ».
Ensuite, à l’article 25, qui se trouve à la page 13, on peut lire ceci, et je cite :
25 Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu’à l’étranger, les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient, et à ce qu’il puisse communiquer avec ceux-ci, dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues, au titre de la présente partie, à une telle obligation.
C'est le cas lorsque le gouvernement fédéral donne des responsabilités dans le cadre de contrats ou encore lorsqu'il délègue aux provinces des responsabilités en matière fédérale. Il fait exécuter les responsabilités par les provinces et signe des ententes. Le problème est que les tiers, qui ne sont pas parties aux ententes, n’ont pas de recours. Il est très difficile de faire exécuter les clauses linguistiques dans les ententes. Il faudrait donc prévoir la possibilité pour les membres des communautés linguistiques minoritaires qui voudraient faire respecter les ententes sur le plan linguistique de faire appel au commissaire ou aux tribunaux.
L’article 26 traite des institutions fédérales qui réglementent les activités des tiers.
26 Il incombe aux institutions fédérales qui réglementent les activités de tiers exercées en matière de santé ou de sécurité du public de veiller, si les circonstances le justifient [...]
Pourquoi? Il faudrait enlever cette disposition et inscrire « veiller, en tout temps, à ce que les services soient offerts dans les deux langues. »
Le sénateur Maltais : Oui, car c’est une question de sécurité publique.
M. Foucher : Oui, c’est une question de sécurité publique et non pas une question de circonstances. Donc, ce devrait être automatique.
29 Tous les panneaux et enseignes signalant les bureaux d’une institution fédérale doivent être dans les deux langues officielles, ou placés ensemble de façon que les textes de chaque langue soient également en évidence.
On sait que la pratique du gouvernement, c’est de mettre le français en premier au Québec et l’anglais en deuxième, et que, hors Québec, c’est le contraire. Cela insulte les gens de la péninsule acadienne, qui habitent notamment une région majoritairement francophone. Comment se fait-il que le français n'y soit pas présenté en premier comme au Québec? Il en va de même dans l’Est ontarien. Il faut peut-être élargir l’exigence de préséance aux endroits où il y a une majorité de francophones.
Le sénateur Maltais : Je crois que les provinces ont un devoir sur ce plan.
M. Foucher : En fait, c’est le gouvernement fédéral qui a un devoir à ce chapitre, car il s'agit des enseignes du gouvernement fédéral.
Le sénateur Maltais : Non, mais auprès du gouvernement fédéral. Le Québec l’a obtenu, et ce n’est pas grâce au gouvernement fédéral. Le Québec a dû suspendre la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Lorsque le gouvernement fédéral a décroché ses enseignes unilingues, ça n’a pas été de bon coeur; c’était parce qu'une loi de l’Assemblée nationale l’y obligeait et lui avait donné un temps déterminé. Elle lui avait donné 90 jours et, si le gouvernement fédéral ne le faisait pas, le gouvernement du Québec s'en chargerait, mais aux frais du gouvernement fédéral.
Je crois que le gouvernement fédéral, de par la loi, devrait avoir cette obligation, mais les provinces devraient avoir l’obligation de faire appliquer cette disposition.
M. Foucher : J’irais plus loin. Comme ce sont des enseignes fédérales, puisque c’est le gouvernement fédéral qui en est responsable, il ne devrait même pas avoir à demander aux provinces. Il devrait s'en charger tout simplement.
Le sénateur Maltais : La disposition existe déjà et les provinces ne font rien.
M. Foucher : Il faudrait l’imposer.
Le sénateur Maltais : On peut voir les résultats. Il faudrait peut-être essayer autre chose.
M. Foucher : Il faudrait l’imposer, car si on demande aux provinces de le faire, il est certain que plusieurs d'entre elles se traîneront les pieds. Il faudrait que le gouvernement fédéral le fasse.
Le sénateur Maltais : Je vous souhaite bonne chance si vous voulez l’imposer au gouvernement fédéral.
M. Foucher : C’est le rôle du comité de faire des suggestions au gouvernement.
Le sénateur Maltais : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Il faut aspirer à des possibilités de résultat.
M. Foucher : Pour ce faire, il y a des possibilités de recours. On le verra lorsque je vous parlerai de la partie X.
Le sénateur Maltais : Je comprends vos propos. Je vais aussi au Nouveau-Brunswick, et je trouve ça choquant.
M. Foucher : Ce l’est.
Le sénateur Maltais : Le gouvernement fédéral est en mesure d’offrir des services en français et en anglais dans toutes les ambassades canadiennes à travers le monde, mais il est incapable de le faire au Nouveau-Brunswick.
M. Foucher : Au moins dans les régions à majorité francophone.
La sénatrice Gagné : Au Nouveau-Brunswick, au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique. C’est le cas pour toutes les provinces et les territoires canadiens. C’est le défi à relever.
Le sénateur Maltais : C’est incompréhensible, parce que le gouvernement offre ce service partout à travers le monde, sauf chez nous.
M. Foucher : En ce qui concerne l’article 32, pour l’extension de l’application de la loi, j’ai fait une autre suggestion au comité de la Chambre des communes, et je la réitère ici. Il s’agit d’étendre la portée de la loi aux entreprises qui relèvent de compétence fédérale. On parle ici des banques, des compagnies aériennes, des compagnies de transport interprovincial et des compagnies de télécommunication. Au moins, la partie IV, qui porte sur les services au public, devrait s’appliquer non seulement au gouvernement fédéral, mais aussi aux entreprises qui relèvent de compétence fédérale.
Le Québec essaie depuis longtemps de faire appliquer la loi 101 aux entreprises fédérales qui œuvrent au Québec, et son argument est que la langue française est menacée. Mon argument, c'est que si la langue française est menacée au Québec, elle l’est encore plus hors Québec. Donc, il faudrait prendre plus de mesures pour renforcer la présence du français à l’extérieur du Québec. Qu’en coûtera-t-il aux banques d'installer des enseignes bilingues dans leurs succursales là où il y a des francophones? Que leur en coûtera-t-il d’employer des gens bilingues pour être en mesure de répondre en français aux demandes qu’elles pourraient recevoir? Pour l’instant, elles n’ont aucune obligation. Elles font ce qu’elles veulent. Il me semble que cette exigence devrait être élargie et s'appliquer aux entreprises de compétence fédérale qui font affaire dans des milieux où il y a une demande importante de la part de la minorité francophone.
C'est la même chose aussi pour la partie IV, où les exigences dépendent du pourcentage de la population de langue maternelle minoritaire. La notion de « demande importante » dépend du pourcentage de la population desservie par les bureaux.
Un autre irritant est que, dans les capitales provinciales et territoriales, si la population de langue minoritaire n’atteint pas le pourcentage voulu, le gouvernement fédéral n’a pas l’obligation d’offrir des services dans les deux langues, ce qui me semble aberrant. L’obligation devrait exister pour tous les bureaux fédéraux installés dans toutes les capitales provinciales et territoriales.
Le sénateur Maltais : Ils se sont toujours cachés derrière la notion du nombre suffisant.
M. Foucher : C’est ça.
Le sénateur Maltais : Or, le nombre suffisant, même la Cour suprême n’a pas été en mesure de le définir.Un nombre suffisant, c’est au moins deux, un plus un égale deux. C’est un nombre. Est-ce suffisant ou non? La Cour suprême n’a jamais voulu se prononcer là-dessus. C’est cela qui nuit aux petites municipalités, aux quartiers et aux villes de l’Ouest canadien où vivent des francophones. Ce nombre n’est pas suffisant. Quel est le nombre suffisant? Deux, plus que deux, plus qu’un? Personne n’est capable de le définir, et personne ne veut le définir non plus. Voilà le problème.
M. Foucher : En fait, le règlement le définit : c’est 5 p. 100, ou 500 dans les villages et 5 000 dans les villes.
Le sénateur Maltais : Cela concerne l’application de la loi, mais ce n’est pas la même chose dans le domaine scolaire. Le nombre n’est pas suffisant.
M. Foucher : Mon mandat ici est lié à la loi.
Une autre recommandation possible pour régler ce problème, c’est de s’éloigner des critères de pourcentage et d'adopter d’autres critères plus près de la réalité qui est vécue dans les communautés. Je pense que le comité a déjà des idées à cet égard. Par exemple, y a-t-il une école ou une institution de langue française dans les villages éloignés? Il faudrait que cela ne dépende plus des pourcentages, ou du moins pas nécessairement ou automatiquement des pourcentages. Bref, l’idée est d’élargir l’application de la loi à des situations qui sont exclues à l'heure actuelle en raison de facteurs numériques.
Le sénateur Maltais : Mais cela a des effets pervers. On parle du nombre de 5 p. 100. Cela a des effets pervers quant aux subventions qu’on accorde aux écoles. On l’a vu très bien à l’Île-du-Prince-Édouard et dans l’Ouest aussi, au détriment des écoles anglophones. Si on réussit à éliminer le critère du pourcentage, sur quel barème le ministère du Patrimoine canadien se basera-t-il pour accorder des subventions à ces écoles? Si cela ne fonctionne plus au nombre, sur quelle norme va-t-il se baser?
M. Foucher : Selon les besoins.
Le sénateur Maltais : Ce n’est pas assez fort dans une loi.
M. Foucher : Selon ce qui est nécessaire pour accomplir l’objectif.
La présidente : Je pense que le sénateur Maltais fait référence surtout à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et non pas à la Loi sur les langues officielles comme telle. Sénateur, je comprends votre point de vue. C’est lié, mais c’est surtout à l’article 23 de la Charte que l’on retrouve toute la question des ayants droit. Il faudrait se concentrer surtout sur la loi.
M. Foucher : En ce qui concerne la loi, il y a une nécessité de s’éloigner de ces pourcentages, des 5 p. 100 ou 500 ou 5 000 qui sont assez rigides, pour adopter plutôt des critères permettant l’obtention de services gouvernementaux fédéraux en français ou en anglais. Avec la technologie, c’est faisable. On peut s’éloigner des nombres et trouver des façons modernes de livrer des services. Ce sera la même chose pour la prochaine partie.
Avant de quitter la partie IV, je voudrais préciser que, lorsque le gouvernement fédéral délègue des responsabilités aux provinces, il y a souvent des problèmes de mise en œuvre. Par exemple, le gouvernement fédéral s’entend avec les provinces pour mettre en oeuvre des programmes de formation de la main-d’œuvre en leur disant ceci : « On vous donne de l’argent; servez-vous de vos programmes de formation de la main-d’œuvre pour nos chômeurs. » On a vu la façon dont la Colombie-Britannique n’a pas respecté les exigences linguistiques.
La Loi sur les langues officielles devrait prévoir une disposition de droits acquis qui permettrait d'éviter la perte de droits lorsque le gouvernement fédéral délègue des responsabilités aux provinces ou au secteur privé. Là où les droits pourraient s’appliquer, ils continuent de s’appliquer. Il serait important que la nouvelle loi préserve les droits acquis.
La partie V porte sur la langue de travail. Je suis à la page 15 du document. L'un des grands défauts de la partie V, c’est qu’on a désigné des régions où les fonctionnaires ont le droit de travailler dans leur langue. Cela a été fait dans les années 1970, avant Internet, Skype, les courriels ou les réunions virtuelles. C’est complètement inadapté aujourd’hui. Il devrait y avoir des dispositions qui prévoient des modes de communication électroniques. Ce serait une bonne façon de moderniser la loi. On devrait s’assurer, par exemple, qu’un fonctionnaire de Vancouver, qui n’est pas une région désignée pour la langue de travail, a le droit de participer en français à une réunion tenue par Skype avec des gens d'Ottawa. Ce sont des choses qui peuvent se faire aujourd’hui. Il faudrait adapter la loi pour y inclure une disposition quelconque permettant la tenue de réunions par voie électronique au-delà des régions désignées. On s’éloignerait ainsi un peu de la question des territoires et régions désignés aux fins de la langue de travail pour tenir compte des moyens modernes de communication.
Un autre aspect de la partie V, au chapitre de la langue de travail, serait de prévoir une disposition selon laquelle les sous-ministres seraient redevables de l’exécution de la Loi sur les langues officielles dans leurs ministères respectifs afin de les rendre directement responsables à l'égard de la loi. En Ontario, la Loi sur les services en français contient une disposition selon laquelle les sous-ministres doivent faire rapport au ministère des Affaires francophones de la façon dont ils mettent en œuvre ladite loi. Le gouvernement fédéral devrait prévoir la même chose : les sous-ministres devraient être responsables de l’exécution de la Loi sur les langues officielles dans leurs ministères respectifs, et cela devrait faire partie de leur contrat de performance.
Je n’ai pas de commentaire à faire sur la partie VI, qui porte sur la participation des Canadiens d’expression française et anglaise, à la page 19.
On a modifié la partie VII récemment pour la rendre obligatoire, ce qui est bien. Il faudrait prévoir l’obligation pour le gouvernement de prendre des règlements, et non pas seulement qu'il ait la possibilité de le faire. Il y a plusieurs points dans la loi qui pourraient se régler par règlement, mais le gouvernement ne fait pas de règlement. Il n’y a qu’un seul règlement, celui sur les services. Il devrait y avoir des règlements liés à plusieurs autres parties de la loi.
La partie VIII, à la page 22, traite des attributions et des obligations du Conseil du Trésor en matière de langues officielles. La partie VII traite des obligations du ministère du Patrimoine canadien face aux langues officielles. On pourrait ajouter une partie VIII.1 ou d’autres articles pour prévoir les obligations de Justice Canada en matière de langues officielles.
En ce qui concerne les obligations du Bureau du Conseil privé, vous vous rappellerez qu’au moment où Stéphane Dion en était président, il avait rapatrié les obligations en matière de langues officielles. Tout à coup, cela s’est mis à bouger. Pourquoi? Parce que le Bureau du Conseil privé est le patron de tous les fonctionnaires. Tenir le Bureau du Conseil privé responsable de l’application de la loi plutôt que Patrimoine canadien, c’est lui donner plus de force et d’autorité. Voilà donc une possibilité.
La partie IX porte sur le commissariat. J’ai plusieurs commentaires à faire à ce sujet, mais mon commentaire principal est le suivant : le commissaire devrait avoir plus de pouvoir. Il me semble que, présentement, le commissariat ne fait que produire des rapports et des recommandations. En ce qui a trait à Air Canada, le commissaire a été obligé de présenter un rapport spécial. Je l’ai lu, et c’est accablant. Depuis aussi loin que 1977, Air Canada fait l’objet de plaintes. Les rapports s’empilent, Air Canada fait des promesses, et on n’arrive à rien finalement. Je fais partie de ceux qui croient que les pouvoirs du commissaire devraient être accrus. Le commissaire lui-même a fait des recommandations concernant Air Canada dans son rapport spécial au Parlement. Les recommandations qu’il a faites à l’égard de cette compagnie pourraient s’étendre à l’ensemble des institutions fédérales. Il a recommandé quatre moyens pour mettre la loi en œuvre.
Cela revient à ce que le sénateur Maltais disait : la loi n’est pas appliquée. Qu’est-ce qui est prévu? Signer des ententes exécutoires entre le commissaire et le ministère fautif et, si au bout d’un certain temps — peu importe le délai — l’entente est déposée en cour, cela devient un outrage au tribunal. Vous allez me dire que c’est dramatique, mais il vient un temps où il faut trouver des trucs pour serrer la vis.
Une autre possibilité serait d’imposer le paiement de dommages et intérêts. On pourrait également imposer des amendes administratives ou des sanctions administratives pécuniaires (SAP) qui sont automatiques. C’est comme une contravention pour infraction au code de la route. C’est une contravention pour violation de la Loi sur les langues officielles.
Cela peut paraître énorme, et je sais que les commissaires n’aiment pas cela. Chaque fois que j'en discute avec eux, ils me disent qu’ils ne veulent pas devenir une police linguistique, qu’ils veulent préserver leur rôle d’ombudsman, et cetera. Cependant, un à moment donné, il faut se rendre à l’évidence que des rapports et des recommandations ne sont pas assez. Il faut trouver une manière d’imposer des sanctions. Pour moderniser la loi, comme je l’ai dit, il faudrait renforcer les pouvoirs du commissaire, pour lui permettre d’intervenir de manière plus musclée lorsque la situation l’impose.
La partie X porte sur les recours judiciaires. On fait un grand bond à la page 32. C’est la Cour fédérale qui est chargée de l’exécution de la loi. Je crois que cela ne devrait pas changer. On pourrait néanmoins prévoir des ordonnances plus spécifiques que ce qui est prévu à la page 33, au paragraphe 77(4), et je cite :
(4) Le tribunal peut, s’il estime qu’une institution fédérale ne s’est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
On pourrait ajouter ceci : « notamment, a) des dommages et intérêts; b) des ordonnances; c) des ordonnances de rendre compte. » Bref, il s'agirait de donner des idées à la cour, pour qu’elle aille au-delà de simples déclarations et qu’elle ordonne aux ministères qui ont enfreint la loi de s’y conformer. Cela permettrait aux tribunaux d’être un peu plus à l'aise lorsqu’ils imposent des sanctions pour le non-respect de la loi.
Finalement, j’aurais une dernière remarque, soit celle de prévoir ce qu’on appelle une « clause crépusculaire », comme on le voit dans d’autres lois, afin d'exiger la révision périodique de la loi après un certain délai. Cela pourrait être cinq ans, sept ans, peut-être la durée d’un mandat de commissaire, peu importe, mais il s'agirait d'inclure une disposition selon laquelle le gouvernement devrait revoir la loi au besoin.
Ce sont les quelques suggestions que je voulais partager avec vous au sujet de la modernisation de la loi.
La présidente : Un grand merci, maître Foucher. Nous avons beaucoup apprécié le fait que vous ayez énoncé tout cela de façon très claire pour nous, les sénateurs et les sénatrices. C’était logique et facile à suivre.
Nous passons maintenant à la période des questions.
La sénatrice Poirier : Je vous remercie de votre présentation, c’était très intéressant. J’avais trois questions, mais vous avez déjà répondu à deux d’entre elles; la première concernait le pouvoir accru accordé au commissaire aux langues officielles, et l’autre avait trait à l’utilité de l’imposition d’amendes. Je passe donc directement à ma troisième question.
Depuis un an, le poste de commissaire aux langues officielles est occupé de façon intérimaire. Demain, le mandat intérimaire de la commissaire aux langues officielles se terminera. Aux dernières nouvelles, je ne crois pas que le gouvernement ait nommé qui que ce soit. Selon vous, la loi devrait-elle être modifiée pour éviter qu’une situation comme celle-ci se reproduise?
M. Foucher : Oui. Je n’ai pas eu le temps de le dire, mais c’était dans les documents que j’ai distribués. On pourrait déterminer que le poste de commissaire aux langues officielles ne puisse être vacant pendant plus d’un an.
La sénatrice Mégie : Merci de votre présentation, monsieur Foucher. En ce qui me concerne, je ferai un commentaire. Vous avez mentionné qu’on ne devait pas limiter les traductions au cas où, ou lorsque c’est possible. Vous avez insisté sur le fait que notre rapport devrait être basé sur cette force. Avant de venir travailler au Sénat, j’ai participé à plusieurs comités partout au Canada, et je ne compte plus les fois où on nous a dit, par exemple, que les documents n’avaient pas à être traduits parce qu’ils ne seraient pas utilisés par les Québécois. Si un jugement ou un projet de loi se trouve uniquement dans la langue anglaise, les francophones ne pourront y avoir accès, que ce soit au Québec ou dans une autre province.
Nous devons réellement mettre l’accent sur cette situation. Ce n’est pas une question de possibilité, mais bien d'obligation. On pourra toujours trouver une manière nuancée de l’intégrer à la loi.
M. Foucher : Je vous remercie, sénatrice, vous avez bien compris l’essence de mon propos; c’est ce que je voulais qui ressorte.
La sénatrice Gagné : Merci pour cette excellente présentation, j’ai beaucoup apprécié le survol de chaque article. Je suis certaine que cela va alimenter nos discussions au sein du comité.
J’ai une question en ce qui a trait aux ententes fédérales et provinciales. Dans le contexte de la partie VII, il y a un engagement de la part du gouvernement fédéral à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada, à appuyer leur développement et à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne, et ensuite, on signe des ententes bilatérales.
Je vais prendre l’exemple du programme national d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. On sait très bien que la petite enfance est certainement un secteur clé qui permet aux familles et aux communautés d’assurer leur développement et leur épanouissement. Lorsque'on lit le texte des ententes, on remarque que les besoins des communautés francophones n’apparaissent que dans des déclarations de principes ou même dans des « invitations à considérer ». La loi ne pourrait-elle pas avoir plus de mordant, en précisant dans les ententes fédérales-provinciales un engagement beaucoup plus explicite selon lequel les programmes doivent favoriser le développement et l’épanouissement des communautés?
M. Foucher : Certainement. Si le programme relève du gouvernement fédéral et préfère remettre la responsabilité de l’application aux provinces, il faut, sans hésitation, prévoir des dispositions qui soient les plus claires possible pour veiller au respect de la loi.
S’il s’agit du pouvoir de dépenser, ce devrait être la même chose. Dans le cas où le programme relève de la province, le gouvernement fédéral pourra décider qu’il octroiera des fonds uniquement si certaines conditions sont remplies. Il devrait y avoir des dispositions exécutoires dans les ententes. De plus, les tierces parties aux contrats devraient être en mesure de faire exécuter ces dispositions.
La sénatrice Moncion : J’ai trouvé votre présentation très intéressante.
Vous avez parlé d’Air Canada. Des rapports ont été présentés selon lesquels Air Canada ne respecte pas tout ce qui est prévu dans la Loi sur les langues officielles. D’autres transporteurs aériens au Canada ne sont pas tenus de respecter ces exigences. Il y a peut-être accrochage du côté d’Air Canada compte tenu du fait qu’il n’est pas toujours facile de faire appliquer le bilinguisme à bord de tous les appareils en déplacement un peu partout. Dans les rapports, on fait état des difficultés à respecter ces exigences.
Je comprends le bien-fondé des plaintes. Toutefois, pensez-vous que des sanctions amèneront Air Canada à se plier davantage aux règles qui se retrouvent dans la loi?
M. Foucher : Je fais toujours le parallèle avec les contraventions pour excès de vitesse. Lorsque vous en avez reçu deux ou trois, vous levez le pied.
Si Air Canada se fait imposer des amendes à deux ou trois reprises, elle pensera à son portefeuille et fera plus attention.
La sénatrice Moncion : À l’heure actuelle, l’absence de sanctions fait en sorte que la société ne se sent pas obligée.
M. Foucher : Voilà le problème. C’est une loi qui n’a pas de mordant.
La sénatrice Moncion : Jusqu’à quel point trouvez-vous efficace le fait de donner plus de pouvoir à la loi?
M. Foucher : Je trouve cela très efficace. Je ne comprends pas que la Loi sur les langues officielles soit la seule au Canada à être si difficile à faire respecter. Il faudrait que la loi ait plus de mordant, qu’elle soit beaucoup plus sévère et solide, qu’elle permette aux juges de donner des ordonnances, et qu’elle permette au commissaire d’imposer des amendes dans le cas de récidives multiples. Je ne dis pas qu'il faut imposer des peines dès la première infraction. Cependant, quand les plaintes persistent après cinq ans et que le problème n’est pas réglé, il faut monter le ton, sinon cette loi ne vaudra pas le papier sur lequel elle a été écrite.
La présidente : J’ai trois petites questions sur la partie VII. Vous avez indiqué qu’il serait important d’y ajouter un règlement.
M. Foucher : Oui.
La présidente : Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet? Lorsque nous étions à Charlottetown, à l'occasion du Sommet de l’Acadie, des témoins nous ont indiqué qu’il serait important d’ajouter un règlement à la partie VII.
Croyez-vous qu’il faudrait aussi définir davantage ce que sont les mesures positives? Le changement qu'avait proposé le sénateur Gauthier avant 2005 a finalement fait l’objet d’une modification à la loi pour que le gouvernement adopte des mesures positives. Toutefois, il n’existe aucune définition de ces mesures positives. Ce point devrait-il être clarifié? Devrait-on également préciser en quoi consistent les mécanismes de consultation auprès des communautés?
M. Foucher : Absolument. Je réponds oui aux deux questions. Le temps commence à nous manquer. Il serait important de définir ce qu’est une mesure positive et aussi de préciser les mécanismes formels de consultation. Cela aiderait tout le monde à appliquer la partie VII.
La présidente : Il serait également important d’avoir un règlement d’application à la partie VII.
M. Foucher : Absolument.
La sénatrice Gagné : J’avais ni plus ni moins la même question à vous poser. Toutefois, j’y ajouterai le commentaire suivant. Le règlement relatif aux services est, en principe, le seul prévu par la Loi sur les langues officielles. Cependant, en fin de compte, il limite aussi la portée de la loi. Selon la méthode utilisée pour calculer la demande importante, le seuil est fixé à 5 p. 100. Ainsi, plusieurs collectivités ne se retrouvent pas dans cette catégorie. Pourtant, parmi certaines d’entre elles, on constate une vie communautaire en français. Néanmoins, elles sont privées de services dans leur langue.
Il y a aussi un risque lié aux règlements lorsque ceux-ci limitent la portée de la loi.
M. Foucher : En réponse à votre question, je vous référerai à un dossier auquel j’ai participé, soit celui de Doucet c. Canada. Cet individu s’était fait arrêter sur la Transcanadienne entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, dans une région qui n’est pas considérée, selon le règlement, comme comportant une demande importante. On a attaqué le règlement. On ne comprenait pas pourquoi, sur la route Transcanadienne, entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, on croyait qu’il n’y avait pas assez de francophones qui circulaient à cet endroit. On a fait la preuve que 800 000 personnes, probablement de langue française, entraient ou sortaient de ces provinces. Ce chiffre indiquait une demande importante. Le juge a accepté notre argument et le règlement a été modifié.
Si on constate que le règlement a un effet limitatif, la solution est de l’attaquer et de faire la preuve que le gouvernement n’a pas bien fait son travail, parce que le résultat est que le règlement restreint indûment la portée de la loi.
Je m’excuse si je vous donne une réponse de juriste, mais ma formation est en droit.
La présidente : Les choses semblent très claires venant de vous. Malheureusement, en politique, c’est souvent moins clair.
Le sénateur Maltais : La politique, c’est nous.
En parlant de la partie IX, vous mentionnez des pouvoirs accrus accordés au commissaire. Ce que vous suggérez est très bien. Ne devrait-on pas exiger, lorsqu’on nomme un commissaire, qu’il reçoive des pouvoirs quasi judiciaires?
M. Foucher : Ce sont presque des pouvoirs quasi judiciaires. Ce sont les pouvoirs d’intervenir beaucoup plus lourdement pour assurer la mise en œuvre de la loi.
Le sénateur Maltais : En parlant des entreprises récidivistes et qui reviennent chaque année, pour reprendre votre analogie du code de la route, après un certain nombre de points, on perd son permis de conduire. Pourrait-on aller jusque-là?
M. Foucher : Bonne idée! Pourquoi pas? On pourrait ajouter à l’éventail des sanctions possibles celle d’une restriction des activités.
Le sénateur Maltais : C’est bien que vous nous le disiez. Je suis d’accord avec vos propos selon lesquels le commissaire aux langues officielles n’a pas beaucoup de pouvoir. Il a le pouvoir de faire des rapports, de formuler des critiques et de classer ces rapports sur les tablettes. Comme vous le prévoyez à l’article 9, des pouvoirs quasi judiciaires viennent changer complètement la donne.
M. Foucher : Oui.
La présidente : Je me permettrais une dernière question, maître Foucher, quant aux nouvelles technologies. Comment peut-on traiter, dans une loi, de toute la question des nouvelles technologies? Les choses évoluent si rapidement. Quel langage doit-on adopter?
M. Foucher : Il faudrait faire des études plus approfondies sur le sujet. Les spécialistes du ministère de la Justice pourraient se pencher là-dessus. Ce que j’ai constaté, c’est que l'idée de désigner un territoire, aujourd’hui, aux fins d’une langue de travail est insensée. À titre d’exemple, le Secrétariat du Conseil du Trésor a dû faire face au même problème. Les fonctionnaires téléphonaient et demandaient : « Quand j'envoie un courriel, dans quelle langue dois-je rédiger mon courriel si je ne suis pas dans une région désignée? Comment ça marche? » Le Secrétariat du Conseil du Trésor a élaboré une série de politiques sur l’utilisation des médias électroniques. Elles sont toutes disponibles sur son site web. On pourrait les intégrer aux règlements et en faire de vraies règles de droit. Ce serait une bonne façon de procéder, dans un premier temps.
La présidente : Rapidement, une autre question. En ce qui concerne la concordance entre les différentes parties de la loi, est-ce que vous croyez que cela pose problème?
M. Foucher : Il faudrait que la loi ne soit pas interprétée en silos et que toutes les parties interagissent les unes avec les autres. Il pourrait y avoir une disposition d’interprétation qui indiquerait que chacune des parties de la loi doit être interprétée en fonction des autres.
La présidente : Merci, monsieur Foucher. Je voulais obtenir votre avis sur cette question, parce qu'on constate souvent que le règlement contenu dans la partie IV ne constitue pas une mesure positive.
Puisqu'il n’y a plus de questions, je tiens à vous remercier très sincèrement, maître Foucher, d'avoir pris le temps de nous présenter un aperçu détaillé, succinct et très juste de la loi. Vous nous avez aidés à cerner les défis que nous devrons aborder lorsque nous préparons notre rapport. Vous nous avez aussi aidés à voir l'orientation que pourraient prendre nos recommandations.
Encore une fois, merci d'avoir partagé votre temps et votre expertise avec nous. Au nom du comité sénatorial, je vous remercie.
(La séance se poursuit à huis clos.)