Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 17 - Témoignages du 6 novembre 2017
OTTAWA, le lundi 6 novembre 2017
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures, afin de poursuivre son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.
[Français]
La sénatrice Tardif : Honorables sénateurs, je m’appelle Claudette Tardif, sénatrice de l’Alberta. Avant de passer la parole à nos témoins, j’inviterais les sénateurs à bien vouloir se présenter, en commençant à ma droite.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Maltais : Bonsoir tout le monde, je suis Ghislain Maltais, du Québec.
La sénatrice Tardif : Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit le deuxième volet de son étude portant sur la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Le comité reçoit ce soir deux témoins. Nous accueillons la Société Santé en français, représentée par M. Michel Tremblay, directeur général, et par M. Alain-Michel Sékula, administrateur. Nous recevons également le Consortium national de formation en santé, représenté par M. Raymond Théberge, coprésident du CNFS et recteur et vice-chancelier de l’Université de Moncton, et par Mme Lynn Brouillette, directrice générale. J’aimerais souligner que Mme Brouillette était des nôtres, récemment, à titre de directrice générale de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne.
Permettez-moi de vous offrir toutes mes félicitations pour un Rendez-vous Santé en français très réussi, qui a attiré plus de 350 participants, et pour le dévoilement de la Déclaration d’Ottawa au nom d’une francophonie en santé. Bravo!
J’inviterais nos témoins à bien vouloir faire leur présentation et, par la suite, les sénateurs leur poseront des questions. Nous commencerons avec M. Sékula.
Alain-Michel Sékula, administrateur, Société Santé en français : Madame la présidente, honorables sénatrices et sénateurs, mesdames et messieurs, chers collègues, je me présente, je suis Alain-Michel Sékula, l’un des membres du conseil d’administration de la Société Santé en français, et j’ai également le plaisir de présider le conseil d’administration du Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario. J’ai aussi le privilège d’être lieutenant-colonel honoraire du Centre des services de santé des Forces armées canadiennes. J’espère que vous êtes dûment impressionnés et que je peux continuer. Au nom du président du conseil d’administration, le Dr Aurel Schofield, et de tous les membres du conseil, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous en leur nom.
Créée en 2002, la Société Santé en français est un organisme composé d’un secrétariat national et de 16 réseaux régionaux, provinciaux et territoriaux qui travaillent afin d’augmenter l’accès aux services de santé en français au sein des communautés francophones en situation minoritaire, partout au Canada. Ensemble, la société et les réseaux ont réussi, dans les provinces et territoires, à créer et à maintenir des liens avec les décideurs politiques, les professionnels de la santé, les gestionnaires de services de santé, les établissements de formation et les communautés. Ainsi, les besoins de nos communautés sont connus partout au Canada.
En 2016, lors des séances de consultation sur le renouvellement du plan d’action sur les langues officielles, les Canadiens de partout ont déclaré que la santé était une priorité pour leur communauté. On le comprend bien, car la langue de communication est un élément essentiel des services de santé de qualité. Nous venons d’ailleurs de conclure le Rendez-vous Santé en français, la plus grande conférence nationale sur la santé en français organisée conjointement avec nos collègues du CNFS.
L’événement a été une réussite remarquable et s’est terminé par le dépôt d’une déclaration pour une francophonie en santé, laquelle a été entérinée par les 350 participants à l’événement. Une copie de la déclaration figure dans la documentation que nous avons apportée, et je vous invite à lire les engagements qu’elle contient. Au nom de tous les organisateurs, j’en profite pour remercier le sénateur Cormier et ses collègues, qui ont bien voulu assister au gala. Votre présence et vos discours inspirants ont été très appréciés.
Je vais maintenant passer la parole à mon collègue, notre directeur général, M. Michel Tremblay, qui vous donnera plus de détails.
Michel Tremblay, directeur général, Société Santé en français : Les barrières linguistiques sont souvent la cause d’erreurs de compréhension ou de diagnostics erronés et sont une source de complications. Il en coûte non seulement plus cher au système de santé, mais cela a également un coût sur la vie des gens. La santé en français, soyons honnêtes, c’est avant tout un service centré sur l’individu. Ce sont des personnes, comme vous et moi, qui, malades et vulnérables, ont besoin de recevoir des services dans leur langue.
Voici quelques exemples réels tirés d’expériences vécues au travail : un enfant de 7 ans qui ne comprend pas l’anglais et qui doit recevoir des traitements de chimiothérapie sans pouvoir communiquer directement avec l’équipe clinique; une adolescente atteinte de troubles de santé mentale qui doit mettre en paroles, dans sa langue seconde, ce qui la hante, ou qui doit trouver les mots pour exprimer ce qu’elle ressent; des personnes âgées francophones qui ont vécu toute leur vie en français et qui, ayant perdu l’usage de leur langue seconde, doivent se résigner à terminer leurs jours dans un système de santé incapable de leur parler. On dit souvent qu’au Canada, on peut naître en français, on peut vivre en français, mais on ne peut pas mourir en français. Le message est simple : quand je suis malade, je ne suis pas bilingue.
Venons-en au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. La SSF souhaite répondre plus particulièrement aux enjeux liés à la partie VII de la loi et aux mécanismes qui devraient être mis en place pour assurer le respect de la loi. Voici quelques enjeux que nous avons cernés et qui touchent directement la santé des francophones. Premièrement, la loi devrait être renforcée pour permettre au gouvernement fédéral de mieux jouer son rôle de leadership. En l’absence d’un message clair de la part du gouvernement fédéral sur l’importance des langues officielles et sur l’importance d’en tenir compte dans la prise de décisions, l’application de la loi se fait de façon fragmentée, en silos, par chacun des ministères ou agences. Par exemple, Santé Canada dépend d’organisations comme la SSF et le CNFS pour répondre à ses obligations en vertu de la loi.
Malgré nos succès, notre voix ne résonne pas autant que celle du gouvernement fédéral. Par exemple, nous savons que pour effectuer de vrais changements, nous devons avoir des données probantes nécessaires pour mesurer les résultats et les avancées. On ne peut changer que ce que l’on peut mesurer. Or, la collecte de données probantes se fait à plusieurs niveaux. Je pense, par exemple, aux ministères provinciaux de la Santé, à Statistique Canada, à Santé Canada, à l’Agence de la santé publique du Canada, à l’Institut canadien d’information sur la santé, à Emploi et Développement social Canada, et j’en passe.
Nous savons, par notre travail, que la compréhension de la loi et de la responsabilité qui en découle est souvent partielle ou erronée. La responsabilité individuelle et l’application de la loi en silos rendent très difficile la mise en place de mesures transversales qui permettent d’atteindre les objectifs de la loi. La loi doit donc conférer au gouvernement fédéral un rôle clair afin qu’il puisse prendre toutes les mesures nécessaires pour en faire la promotion au sein de son propre appareil.
Deuxièmement, nous sommes d’avis que la Loi sur les langues officielles devrait avoir un rôle transversal qui touche les autres lois fédérales. Les langues officielles au Canada ont un statut constitutionnel. L’application des autres lois ou de toute autre politique publique devrait ainsi tenir compte des langues officielles et de la loi. Ce n’est malheureusement pas le cas. Par exemple, la Loi canadienne sur la santé énonce cinq conditions d’octroi, qu’on appelle aussi des principes, y compris ceux de l’universalité et de l’accessibilité. Or, le respect de la Loi sur les langues officielles n’est pas l’une des conditions d’octroi. En effet, et nous l’avons vu récemment avec les accords bilatéraux signés par les provinces dans le domaine de la santé, plusieurs ententes ne tiennent pas compte de la question des langues officielles.
Nous sommes pleinement conscients du fait que la gestion des systèmes de santé est de compétence provinciale. Nous croyons cependant que le gouvernement fédéral est en mesure de renouveler le rôle d’impulsion qu’il joue avec les provinces et les territoires dans le domaine de la santé grâce à des investissements assortis de conditions qui sont liées aux langues officielles, et ce, afin d’encourager et d’appuyer les systèmes de santé locaux à mettre en œuvre des plans d’accès aux services de santé en français.
Ainsi, lors des récentes négociations sur les accords fédéral-provinciaux-territoriaux pour la santé mentale et les services à domicile, le CNFS et la SSF avaient conjointement recommandé à Santé Canada d’intégrer des mesures de rendement liées aux obligations envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire, entre autres parce que ces deux domaines sont particulièrement névralgiques en ce qui a trait aux enjeux liés à la communication et à la langue.
Selon le cadre légal actuel, la prestation de ces services, rendue possible grâce aux investissements du gouvernement fédéral, ne se fera dans les deux langues officielles que si la province le désire. Vous savez, tout comme nous, que cela n’arrive pas dans la majorité des cas.
Enfin, la loi doit être renforcée et doit prévoir des mécanismes de reddition de comptes. Pour que le gouvernement puisse exercer son rôle de leadership afin de favoriser une meilleure accessibilité à des services de qualité égale dans les deux langues officielles et afin d’atteindre l’égalité réelle en tenant compte de la spécificité des CLOSM, il doit pouvoir compter sur un cadre réglementaire lui permettant d’exiger l’application de la loi par tous les ministères, les agences et les organismes financés par ces ministères. Pour assurer cette reddition de comptes, la SSF recommande le renforcement de la loi grâce à la création d’un secrétariat qui relèverait d’une agence centrale comme le Bureau du Conseil privé et qui veillerait à l’entière application et au respect de la loi.
Il reste encore beaucoup de choses à faire et à accomplir, et il y a un énorme rattrapage à faire.
M. Sékula : Pour terminer, la Société Santé en français a soumis au gouvernement, en décembre dernier, des propositions visant à augmenter l’accès aux services de santé en français.
Compte tenu de l’arrivée d’un plus grand nombre d’immigrants francophones, d’un meilleur dépistage des enjeux liés à la santé mentale et du vieillissement de la population, qui est comparativement plus élevé chez les francophones que chez les anglophones, les besoins au sein des communautés augmentent rapidement.
De plus, je vous rappelle que les familles des militaires francophones qui se font transférer régulièrement partout au pays n’ont pas accès aux soins de santé de l’armée et doivent dépendre des collectivités dans lesquelles elles habitent. Elles aussi ont de la difficulté à accéder aux services en français. Je le mentionne, car c’est une situation qui n’est pas bien connue dans la communauté.
Pourtant, le financement consacré à ces questions stagne. Le statu quo n’est plus acceptable. Nos propositions contiennent des solutions novatrices visant à favoriser des changements systémiques durables et à répondre à la fois aux besoins des communautés et aux priorités du gouvernement. Pourquoi est-ce si important? C’est très simple : un meilleur état de santé renforce la vitalité de toutes nos communautés.
Je vous remercie de nous avoir permis de vous présenter notre perspective et nos recommandations dans le cadre de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
La sénatrice Tardif : Un grand merci à la Société Santé en français.
Avant que nous passions à la période des questions, je donne maintenant la parole aux représentants du Consortium national de formation en santé.
Raymond Théberge, coprésident du CNFS, recteur et vice-chancelier de l’Université de Moncton, Consortium national de formation en santé : Honorables sénateurs, nous tenons tout d’abord à vous remercier sincèrement de nous avoir invités à comparaître devant votre comité afin de vous présenter la perspective du Consortium national de formation en santé au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles en ce qui concerne le domaine de la santé.
Dans un premier temps, je vais laisser Lynn Brouillette vous parler brièvement du CNFS.
Lynn Brouillette, directrice générale, Consortium national de formation en santé : Le Consortium national de formation en santé a été créé en 2003 et regroupe les collèges et universités francophones ou bilingues situés à l’extérieur du Québec qui offrent des programmes de formation en français dans diverses disciplines de la santé.
Depuis le 1er avril 2015, le CNFS est sous l’égide de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), et 11 des 21 établissements postsecondaires membres de l’ACUFC font partie de ce consortium. Le consortium compte également cinq partenaires régionaux qui appuient la promotion des programmes de formation offerts par les établissements membres et les initiatives soutenues par le CNFS. Ses partenaires se retrouvent dans des régions où il n’y a pas d’établissement postsecondaire.
Le CNFS contribue à accroître l’offre de services de santé en français dans les communautés francophones en situation minoritaire par la formation de professionnels. De plus, le consortium favorise le développement des savoirs sur les besoins en matière de santé de ces communautés, la recherche et la mobilisation des connaissances.
Depuis 15 ans, grâce à l’appui financier de Santé Canada, par l’entremise du premier plan d’action et des deux feuilles de route pour les langues officielles, le CNFS a favorisé la création de 73 nouveaux programmes postsecondaires en santé en français et la bonification d’une trentaine de programmes existants, ce qui ne correspond toutefois qu’à 7 p. 100 des programmes du domaine de la santé offerts en anglais. De plus, 7 500 professionnels sont diplômés de ces programmes et 94 p. 100 d’entre eux travaillent et offrent des services de santé en français au sein des communautés francophones minoritaires.
M. Théberge : Nous sommes entièrement en faveur d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles. Nous estimons que l’actualisation et l’entière application de la Loi sur les langues officielles sont prioritaires, puisque le plein épanouissement de la francophonie passe par le respect de cette loi. Le statu quo des 10 dernières années en ce qui concerne le financement fédéral en matière de langues officielles a contribué à l’érosion de la langue française. Le recul très important qui en a résulté doit maintenant être rattrapé et dépassé dans tous les domaines, y compris celui de la santé.
À cet égard, l’an dernier, l’ACUFC a soumis au gouvernement fédéral une proposition visant les initiatives du CNFS dans le cadre du plan d’action pour les langues officielles de 2018-2023. Cette proposition présente des solutions novatrices aux effets structurants pour favoriser des changements systémiques durables qui répondent à la fois aux besoins des communautés et aux priorités du gouvernement. En appuyant et en renforçant les initiatives de formation en santé du CNFS-ACUFC, nos établissements postsecondaires pourront mieux appuyer le gouvernement fédéral dans la poursuite de sa vision et de ses obligations en matière de langues officielles et d’épanouissement des communautés.
Même si l’éducation et la santé sont de compétence provinciale-territoriale, le financement fédéral est essentiel pour ces communautés, car il a un effet de levier important dans les provinces.
Le CNFS, tout comme la Société Santé en français, est une preuve tangible que le gouvernement fédéral peut très bien se donner des objectifs de développement des communautés francophones en situation minoritaire. On peut se référer à la partie VII de la Loi sur les langues officielles ainsi qu’à l’alinéa 4(2)g) de la Loi sur le ministère du Patrimoine canadien, qui indique qu’un des domaines de compétence est celui-ci, et je cite :
g) la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais et la promotion et le développement des minorités francophones et anglophones du Canada;
Les établissements postsecondaires membres du CNFS sont des instruments permettant au gouvernement fédéral de répondre à ses obligations, puisqu’en formant un plus grand nombre de professionnels de la santé, nos collèges et universités contribuent à une offre accrue de services de santé en français et, conséquemment, à l’épanouissement des communautés francophones en situation minoritaire.
Voici nos réflexions quant aux principaux changements qui pourraient être apportés dans le cadre d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles et qui contribueraient à accroître l’offre de services de santé en français de qualité et sécuritaires au pays.
Tout d’abord, nous suggérons d’intégrer le concept de l’offre active des services dans la loi, en plus de parler de services culturellement appropriés, car l’égalité réelle en matière d’offre de services doit tenir compte des particularités de la minorité. On n’offre pas des services en français de la même manière qu’en anglais. Le concept de l’offre active de services culturellement appropriés est, selon nous, une porte intéressante à ouvrir.
L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés définit clairement les ayants droit dans le domaine de l’éducation. Une telle définition propre à ceux et celles qui ont droit aux services de santé dans la langue officielle de leur choix serait des plus pertinentes dans la Loi sur les langues officielles. Cette définition permettrait d’établir des balises en ce qui a trait à la reddition de comptes dans le cadre des ententes conclues avec les provinces et les territoires dans le domaine de la santé.
Si la loi modifiée intégrait l’offre active de services en français aux ayants droit dans le domaine de la santé, ceci pourrait entraîner le développement de modèles asymétriques pour la prestation des services de santé en français dans l’ensemble du pays. Nous croyons que dans le domaine de la santé, ces modèles doivent être analysés à la lumière des besoins des francophones du Canada. Nous préconisons donc l’idée d’inclure à la loi des mécanismes de consultation efficaces et continus avec les communautés francophones.
Comme plusieurs l’ont déjà mentionné, il est clair que la loi modernisée devra inclure l’adoption d’une définition plus souple et plus large de la population de la minorité francophone. De plus, il faut aller au-delà du quantitatif et d’un calcul purement mathématique et tenir compte avant tout de la vitalité des communautés, y compris la vitalité d’institutions telles que les établissements d’enseignement postsecondaire.
Enfin, nous croyons qu’il faut cesser de remettre à Patrimoine canadien l’entière responsabilité des langues officielles au pays et qu’il faut confier cette responsabilité à une agence centrale du gouvernement qui veillera à la fois à la mise en œuvre du plan d’action fédéral en matière de langues officielles ainsi qu’à la pleine application et au respect de la Loi sur les langues officielles.
Comme Mme Lise Bourgeois et Mme Lynn Brouillette l’ont mentionné lors de leur comparution au nom de l’ACUFC le 23 octobre dernier, le changement le plus important que nous recommandons est l’adoption d’une nouvelle politique publique en matière d’éducation postsecondaire en français, car l’éducation en langue française est la clé de voûte du respect et de la pérennité des langues officielles au pays. Cette politique publique viserait à renforcer la capacité des collèges et des universités membres du CNFS et de l’ACUFC dans la réalisation de leur double mandat et à accroître leurs capacités à former davantage de professionnels aptes à offrir des services dans les deux langues officielles dans les domaines de la santé, de la justice, des affaires, de la petite enfance, et cetera.
Mme Brouillette : Nous ne sommes pas avocats. Aujourd’hui, nous voulons surtout vous présenter notre perspective sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles pour accroître l’offre de services de santé en français au pays. Au cours de la prochaine année, nous déposerons un mémoire au nom de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne qui présentera les changements, les mesures et les modifications détaillés que nous proposerons à cet égard. Nous espérons que la Loi sur les langues officielles révisée et modernisée permettra d’encourager le gouvernement fédéral à investir davantage dans la formation postsecondaire en français, particulièrement dans le domaine de la santé. Je vous remercie. M. Théberge et moi serons heureux de répondre à vos questions.
La sénatrice Tardif : Je vous remercie de vos excellentes présentations.
La première question sera posée par la sénatrice Poirier.
La sénatrice Poirier : Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vos présentations. Lors du Rendez-vous Santé en français de 2017, vous avez créé la Déclaration d’Ottawa. Le deuxième point porte sur le plein épanouissement des communautés francophones et acadiennes afin de permettre aux membres de ces communautés de participer activement à l’édification d’une société canadienne en santé. Selon vous, la Loi sur les langues officielles pourrait-elle être modifiée afin de favoriser ce plein épanouissement et, si oui, comment?
M. Tremblay : Je crois qu’il y a déjà des dispositions à ce sujet dans la partie VII. Cependant, il n’y a pas d’obligation ou de mesures positives pour le faire. Ce qui était intéressant lors du Rendez-vous Santé en français de 2017, c’est que nous avions un invité du pays de Galles. Au pays de Galles, il y a la Welsh Language Act 1993 et la Welsh Language (Wales) Measure 2011. Ce sont des politiques et des mesures qui ont pour but de promouvoir et de faciliter l’utilisation de la langue galloise et de présenter des mesures et des obligations s’adressant aux organisations, comme les prestataires de services de santé, en élaborant des normes linguistiques et autres. Il faudrait que des obligations soient énoncées dans la Loi sur les langues officielles pour les communautés, les gouvernements et le gouvernement fédéral. Cela veut dire également que le gouvernement devra négocier avec chaque province et territoire pour s’assurer que les gens sont traités de façon égale partout.
M. Théberge : Lorsqu’on parle de l’épanouissement d’une communauté, il est important de revenir à la base et de se rappeler de quoi il s’agit. Pour une communauté minoritaire, ce qui est le plus important, c’est la quantité et la qualité des interactions dans la langue de la minorité. Nous devons élargir les espaces francophones. La santé est l’un des domaines où il y a le plus d’interaction avec un système, le système de santé. Il est important de s’assurer que les interactions dans la langue officielle de l’individu seront maximisées. Ceci nous amène à parler un peu de la vitalité et de la façon de la mesurer. Il y a différentes façons de le faire. On peut parler de vitalité objective pour les institutions, et de vitalité subjective en fonction de la façon dont l’individu se perçoit par rapport à la majorité ou à la minorité. Il y a toute une question de statut autour de la langue. La Loi sur les langues officielles est un outil extrêmement important pour assurer le développement des communautés. C’est une loi qui a été articulée il y a 50 ans environ, et ce, dans un contexte particulier. Or, le contexte a énormément changé. Si on veut que la loi continue à jouer son rôle, on doit la moderniser pour tenir compte des changements sociaux, démographiques et culturels qui ont eu lieu. Si cette loi est modernisée, elle pourra certainement nous aider à assurer l’épanouissement des communautés francophones en situation minoritaire.
La sénatrice Poirier : Je vous remercie. Plusieurs témoins ont proposé la possibilité d’élargir les pouvoirs du commissaire aux langues officielles afin que les institutions fédérales, surtout celles pour lesquelles les plaintes sont plus nombreuses, respectent et appliquent davantage la loi. Êtes-vous d’avis que le fait d’attribuer un plus grand pouvoir au commissaire mènerait à une meilleure application de la loi? Doit-elle être révisée périodiquement? Croyez-vous que la durée de six mois, sujette à révision, pour l’intérim du commissaire aux langues officielles devrait être limitée avant qu’un commissaire permanent soit nommé?
M. Théberge : Je vais tenter de répondre aux trois questions. Premièrement, je crois que la loi doit être révisée périodiquement. Je ne connais pas l’échéancier, mais toute loi doit évoluer en fonction de la société qui a beaucoup changé au cours des 50 dernières années et doit tenir compte de ces changements.
L’autre point est la question de la consultation. Il est important de consulter les communautés pour mieux cerner et mieux connaître leurs besoins et leurs attentes quant à cette loi.
Pour ce qui est de donner plus de pouvoir au commissaire, on en entend beaucoup parler aux informations récemment. Si la loi n’a pas de mordant, nous devons nous demander ce qu’il faut faire avec cette loi. Il est extrêmement frustrant de voir que, régulièrement, la loi n’est pas respectée, mais qu’il n’y a pas vraiment de conséquences. À un moment donné, il devient tellement facile de ne pas respecter cette loi, parce qu’il n’y a pas de conséquences. Je ne veux pas parler d’Air Canada, mais c’est un cas qui refait surface constamment, et il y en a plusieurs autres.
Si on regarde la partie V de la loi en ce qui concerne la langue de travail au sein de la fonction publique, on constate que, au courant des dernières années, il y a eu un recul quant à la formation linguistique offerte aux fonctionnaires. Le nombre de plaintes a monté en flèche. C’est l’indice que quelque chose ne va pas. La question ne me revient pas quant à savoir si la loi devrait avoir plus de mordant, mais si on ne respecte pas une loi, il devrait y avoir des conséquences.
La sénatrice Poirier : D’après vous, quelle serait la conséquence?
M. Théberge : Ce dont nous parlons aujourd’hui, c’est du pouvoir d’imposer des amendes. Je ne sais pas si c’est cela ou non. En ce qui a trait à la langue de travail, il est clair que les sous-ministres doivent respecter et atteindre des objectifs en matière de langues officielles dans leurs fonctions. En principe, si on n’atteint pas certaines normes, c’est jugé comme une performance non acceptable. Peut-on prévoir ce même genre de critères? Je crois que la question des amendes est peut-être intéressante, mais je ne me suis pas interrogé à savoir si c’était la solution. Il faut qu’il y ait des conséquences; soit qu’on retire quelque chose, du financement par exemple, ou qu’on exige une reddition de comptes. Le manque de reddition de comptes est un problème. S’il y en avait, nous aurions une meilleure notion de ce qui se passe avec les fonds.
M. Tremblay : Cela se fait conjointement avec le gouvernement fédéral, qui devrait avoir plus de mordant face aux ministères et agences, étant donné qu’il est la source du financement.
Le commissaire aux langues officielles devrait avoir un pouvoir élargi. En fait, ce qu’on essaie de dire, c’est que c’est le principe de la carotte et du bâton. Ce qu’on a entendu de la part de l’un des conférenciers présents au Rendez-vous, c’est que, souvent, la carotte offre plus d’avantages. C’est pourquoi les incitatifs doivent tirer leur source de la motivation des gens. Il faut être en mesure de changer les choses de façon positive, tout en gardant le bâton derrière, dans les cas extrêmes, si nécessaire.
On parle aussi de la révision de la loi. Il y a presque 50 ans, lorsque la loi a été adoptée, il n’y avait que la Loi des hôpitaux. On commençait à mettre en œuvre la Loi sur l’assurance-maladie dans certaines provinces. Plus tard, dans les années 1980, la Loi canadienne sur la santé ainsi qu’une loi visant à octroyer des fonds aux provinces et territoires pour la santé sont entrées en vigueur. La Loi sur les langues officielles existait à l’époque, mais elle n’avait jamais été associée à d’autres lois. Depuis ce temps, la santé est devenue un enjeu prioritaire aux yeux des Canadiens. En 1969, je ne pense pas que c’était le cas, mais aujourd’hui, il s’agit d’un enjeu majeur, et ce, dans toutes les provinces et les territoires.
On sait que, pour offrir de bons services dans le domaine de la santé, il faut du personnel adéquat et un système de santé fonctionnel, disposé à offrir ces services. Donc, tout a changé depuis ces années, et une modernisation est devenue nécessaire. Il devrait y avoir une révision de la loi régulière, tous les cinq ou dix ans; cela permettrait de s’ajuster aux changements.
Mme Brouillette : J’aimerais ajouter un exemple très concret concernant le travail qu’a fait le Commissariat aux langues officielles il y a quatre ou cinq ans.
Nous avions déposé une plainte au Commissariat aux langues officielles. Cette plainte concernait les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Pour nous, il était évident que les chercheurs issus des communautés francophones en milieu minoritaire ne recevaient pas leur juste part des fonds consacrés aux Instituts de recherche en santé. Le Commissariat aux langues officielles nous avait donné raison.
Cela fait maintenant deux ans que nous avons le rapport du commissariat et que nous travaillons en collaboration avec les IRSC. Nous accusions déjà quatre à cinq ans de retard et nous avions tenté de négocier avec les IRSC, mais nous avons finalement porté plainte au Commissariat aux langues officielles. Deux ans se sont ajoutés au long délai d’attente pour l’obtention des résultats. Ce sont des années qui passent et qui s’ajoutent, il y a toujours du retard qui s’accumule, et cela, au détriment des communautés francophones en situation minoritaire.
Lorsqu’on parle de pouvoirs accrus et de sanctions, je ne sais pas à quoi tout cela pourrait ressembler, mais le défi est toujours très réel.
M. Sékula : J’aimerais parler des conséquences pécuniaires. J’ai une carrière de banquier, et après avoir analysé certaines organisations assujetties à la loi, je peux vous dire que souvent elles préféraient payer l’amende pour la simple et bonne raison que les amendes étaient insignifiantes comparativement aux économies d’échelle qu’elles pouvaient faire, tout en ne respectant pas la loi.
Je crois qu’il faut aller au-delà de la punition pécuniaire et imposer la punition opérationnelle, dans le sens que si vous ne respectez pas la loi, vous ne pourrez pas fonctionner. Ce sont pour moi des conséquences valables. Je peux vous assurer que cela aurait beaucoup plus d’impact que d’imposer à Air Canada ou à une autre organisation qui ne respecte pas les règles une amende de 50 000 $ à 100 000 $.
Le sénateur Cormier : Je vous remercie de vos présentations et je tiens à vous féliciter pour le Rendez-vous, pour la force de votre réseau et pour votre capacité à travailler en collaboration. Vous avez démontré que vous étiez capables de tendre vers des objectifs communs; c’était manifeste dans le cadre du Rendez-vous.
D’ailleurs, cela m’amène à parler des mécanismes de collaboration. Vos mécanismes de collaboration sont forts dans le domaine de la santé. D’après vous, est-ce qu’ils devraient être intégrés dans la loi? Est-ce qu’on devrait reconnaître la force de ces mécanismes de collaboration dans la loi? Si oui, de quelle manière?
Ma deuxième question porte sur la notion de l’offre active de services culturellement appropriés et sur la question des mesures positives. J’aimerais savoir de quelle façon on pourrait inclure l’offre active dans la loi. Par exemple, est-ce qu’on devrait définir le concept de mesures positives et l’inclure dans la loi?
Mme Brouillette : Je ne connais pas encore le libellé sur le plan de l’offre active, mais la question d’offrir activement les services en français linguistiquement et culturellement appropriés est une innovation qui est née au Canada. On parlait plus tôt du Rendez-vous, et nos confrères d’autres pays trouvent très intéressant le travail qui se fait au chapitre de l’offre active.
Il est clair qu’enchâsser l’offre active dans la loi la renforcerait. Pour moi, ce serait l’équivalent d’une mesure positive qui démontrerait que, lorsqu’on travaille avec des systèmes conçus pour la majorité, on doit faire les choses différemment. Le fait de l’enchâsser dans la loi nous donnerait une force.
Nous travaillons beaucoup avec les professionnels. Dans la centaine de programmes offerts qui sont soutenus par le CNFS, nous les formons à offrir activement des services. Mais comment rassembler tout ce savoir-faire, ce savoir-être et ces connaissances? Comment intégrer tout cela dans le système?
J’espère que cela répondra à votre question au sujet du mécanisme de collaboration. Il s’agit de déterminer comment travailler avec les systèmes de la majorité afin d’inclure cet élément qui, finalement, offrirait des services beaucoup plus appropriés aux communautés francophones en situation minoritaire.
M. Sékula : J’ai eu le plaisir de présider le conseil d’administration de l’hôpital Montfort, et je crois qu’il n’y a rien de plus malheureux que de voir un francophone parler à un autre francophone, dans ce même hôpital, en anglais.
L’offre active, c’est un très beau concept. Si on pouvait l’entériner de façon positive dans la loi afin que cela devienne une obligation que j’appelle « douce », ce serait déjà une nette amélioration du réseau de la santé en français au Canada.
Appelez cela un complexe francophone, mais on a tendance à tomber très rapidement dans la langue la plus simple. Je reviens à ce que Michel a dit plus tôt. Lorsqu’on est malade, on parle la langue qu’il faut parler pour se faire soigner. Si je souffre et que c’est en anglais qu’on m’approche au premier abord, c’est en anglais que je vais répondre, surtout si les soins sont prodigués de façon plus rapide, s’ils sont meilleurs et plus accessibles. Je vais m’accommoder parce que je suis en état de souffrance.
Si vous pouviez enchâsser l’offre active dans la loi, vous auriez ma bénédiction.
M. Tremblay : Dans certaines provinces, la loi sur les services en français a souvent des composantes liées à l’offre active. L’Ontario, l’une des premières provinces à se doter d’une loi sur les services en français, est en train de réfléchir à la modernisation. Le commissaire Boileau a fait des études récemment, avec l’appui de nos organisations et d’autres organismes, sur la question de l’offre active.
Il faut savoir que l’offre active existe aussi dans d’autres domaines, entre autres dans celui des services gouvernementaux. Ce n’est pas une notion unique ou exclusive au système de santé. Par contre, nous sommes toujours heureux d’informer les autres de l’offre active, étant donné que nous avons déjà fait du travail sur ce sujet.
Je pense que, lorsqu’il est question de langue officielle en situation minoritaire, on n’a pas le choix de travailler en collaboration. Cela devrait être encouragé par la loi, d’une part, mais cela devrait se faire aussi avec les organisations nationales avec lesquelles on travaille. Que ce soit dans le domaine des arts, de la justice, de la santé ou de l’éducation, on doit travailler ensemble, car dans certains cas, il y a des avantages pour les petites communautés à avoir un centre communautaire dans lequel on retrouve des services de santé, des centres de la petite enfance ou des organismes d’art et de culture. On le voit dans certaines provinces, où on a créé des centres scolaires communautaires au Nouveau-Brunswick ou des centres communautaires offrant une gamme de services. Il ne faut pas ignorer ces possibilités.
Le sénateur McIntyre : J’abonde dans le même sens que le sénateur Cormier. Il est vrai qu’il existe une collaboration très étroite entre le gouvernement fédéral, les provinces, les territoires et les organismes communautaires comme les vôtres, à un point tel qu’on dit souvent que la santé est un succès de collaboration. Les mécanismes de collaboration dans le secteur de la santé mériteraient d’être reproduits dans d’autres secteurs.
Depuis 2003, vos organismes jouissent d’un appui financier du gouvernement fédéral pour mener à bien leurs activités. Si je comprends bien votre présentation, le financement que vous recevez du gouvernement fédéral devrait être bonifié. Est-ce exact, monsieur Théberge?
M. Théberge : Effectivement, car on a sensiblement les mêmes ressources depuis 10 ans. Dans le domaine de la santé en particulier, il existe des besoins dans les régions éloignées qui ne sont pas comblés présentement.
Comme l’a mentionné Mme Brouillette, si on compare le nombre de programmes disponibles en français à ceux qui sont offerts en anglais, on constate un déséquilibre extraordinaire. Pour nous, il est toujours question de bonifier les programmes et de développer de nouveaux programmes, et ce, afin de mieux servir les francophones où ils se trouvent. Qu’ils soient au Nunavut, à Dieppe ou ailleurs, il faut servir ces personnes. Effectivement, une augmentation des ressources serait à propos, car on n’a pas tenu compte de l’inflation au cours des 10 dernières années. Comme vous le savez, les coûts ont augmenté durant cette période.
On a démontré, en tant qu’organisme, qu’il s’agisse de la Société Santé en français ou du Consortium national de formation en santé, que les fonds accordés donnent des résultats. On doit se baser sur les résultats pour prendre une décision. Au cours des 10 dernières années, on a formé énormément de professionnels à travers le pays, justement pour être en mesure d’offrir des services de santé en français. Sans ces professionnels, les services n’auraient pas été offerts.
Je me permettrais un petit commentaire. L’offre active devrait s’appliquer à tous les domaines, et il ne s’agit pas seulement de dire « bonjour », de distribuer des dépliants et de prévoir des affiches bilingues.
Pour revenir à votre question, je dirais qu’avec des ressources accrues, nous pourrons bonifier nos programmes et en augmenter le nombre, parce qu’il y a encore un manque criant de ressources.
Mme Brouillette : Le financement reçu au cours des dernières années a été très utile. Les fonds provenaient directement du gouvernement fédéral et, dans le cas du CNFS, étaient versés directement aux collèges et universités. C’est ce qui en a fait un succès, car 100 p. 100 des fonds ont été consacrés à la création de programmes. C’est une recette qu’on aimerait voir se répéter. Même si l’éducation postsecondaire est de compétence provinciale, dans son pouvoir de dépenser, le gouvernement fédéral, pour atteindre ses objectifs, peut aussi utiliser cette formule pour appuyer les établissements d’enseignement directement. Ces fonds sont bien utilisés et sont utilisés à 100 p. 100 pour atteindre les objectifs.
Le sénateur McIntyre : Dans le cas du Consortium national de formation en santé, vous êtes le principal bénéficiaire du financement en ce qui a trait aux initiatives liées au marché du travail.
Mme Brouillette : Oui.
Le sénateur McIntyre : Dans le cas de la Société Santé en français, vous êtes le principal bénéficiaire en ce qui a trait à l’appui aux réseaux de santé en français et aux projets axés sur les services.
Je comprends qu’en mars 2016, vos deux organismes ont signé un protocole d’entente misant sur une stratégie commune pour faire avancer les dossiers qui touchent à l’accès aux services de santé en français. Je pense par exemple à la santé mentale, à la recherche, à l’offre active de services en français, à l’accueil, à la rétention des ressources humaines et à l’adoption de normes linguistiques. Ce ne sont là que certains dossiers prioritaires sur lesquels vous avez travaillé au cours des dernières années. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce protocole d’entente?
M. Tremblay : J’aimerais ajouter un point en réponse à votre question précédente, et je répondrai ensuite à votre dernière question. On a financé, depuis plusieurs années, des réseaux de santé en français un peu partout au Canada. On s’attend à ce que les petites organisations qui ont 1, 5, 2 ou 3 employés négocient avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, qui ont des systèmes de santé énormes et pour lesquels les services en français sont souvent une moindre priorité. On demande à ces personnes, avec peu de moyens, d’être en mesure de parler à leur gouvernement et aux intervenants des systèmes de santé pour faire changer les choses. La tâche est très complexe.
Nous travaillons avec 12 juridictions provinciales et territoriales. Je vais prendre l’exemple du Québec. Nous avons une organisation qui travaille avec le gouvernement pour faire changer les choses. Une loi est déjà en place dont le mandat est de desservir les anglophones québécois dans le système de santé.
L’enjeu est majeur. Avec très peu de ressources, nos réseaux font presque des miracles à certains endroits. Nous tentons de maximiser les ressources pour des projets comme ceux que vous avez mentionnés. Nous avons œuvré, ces dernières années, pour avoir des dossiers-leviers, des dossiers structurants. Par exemple, nous avons signé un accord avec Agrément Canada et avec l’Organisation de normes en santé pour le développement d’une norme linguistique. Un comité technique international, en ce moment, se penche sur la possibilité de créer une norme pour les communautés en situation minoritaire. Le problème sera de mettre en œuvre cette norme dans le système de santé. Pour ce faire, il faudra convaincre les quelques milliers d’organisations de santé un peu partout au pays de mettre en œuvre les normes linguistiques. Il faudra trouver des incitatifs pour les encourager à le faire. Je ne sais pas si nous aurons des mesures exécutoires à notre disposition, je ne crois pas, mais il faudra trouver les moyens. C’est un travail colossal et nous disposons de très peu de ressources.
Nous travaillons ensemble en formant des partenariats. D’ailleurs, Agrément Canada nous appuie et travaille avec nous en ce sens. Nous avons un partenariat avec la Commission de la santé mentale du Canada, et nous tentons ensemble de trouver des solutions. On aimerait former un partenariat avec l’Institut canadien pour la santé des patients, au cours des prochaines années, pour que la question de la langue devienne un enjeu de sécurité. Quelqu’un a déjà dit qu’il est aussi important d’avoir un programme de contrôle des infections dans un hôpital, obligeant à se laver les mains, que d’être capable de communiquer correctement avec son patient. Or, l’obligation de se laver les mains devrait être facultative, si on compare les deux enjeux. Cette logique n’est pas acceptable, car les deux enjeux sont importants.
Nous tentons de faire avancer les dossiers communs. Nous travaillons pour augmenter l’accès, le recrutement, la rétention et la valorisation des ressources humaines francophones. Nous avons des projets un peu partout au pays à ces fins.
La sénatrice Moncion : J’ai trouvé très intéressantes les présentations que vous avez faites. Vous avez mentionné plusieurs choses, y compris les mesures transversales et leur rôle. J’aimerais que vous nous en parliez un peu plus.
Vous avez aussi parlé de l’universalité et de l’accessibilité. C’est parfois facile à dire, mais difficile à mettre en place. J’aimerais aussi vous entendre à ce sujet.
Vous avez parlé de leadership renouvelé, et j’ai trouvé ce point intéressant. Vous avez associé ce concept à une agence fédérale. J’aimerais faire un parallèle. En 1969, quand la Loi sur les langues officielles est entrée en vigueur au Canada, les besoins de la communauté francophone étaient très différents de ceux d’aujourd’hui, et vous le reconnaissez. Des mesures ont été mises en place à cette époque, surtout dans les provinces, par exemple, pour favoriser l’éducation en français. Des budgets bien spécifiques ont été octroyés aux conseils scolaires francophones pour qu’ils puissent s’occuper de l’administration de leurs écoles.
J’aimerais savoir dans quel contexte vous envisagez cette agence fédérale et connaître votre vision du travail que ce groupe pourrait faire, parce que vous l’avez aussi associé à la reddition de comptes. Je trouve cela intéressant. Vous nous donnez plusieurs idées; comment peut-on les réunir pour apporter quelque chose d’encore plus concret aux solutions? Mon discours est long, mais beaucoup d’argent est donné au gouvernement provincial, et c’est le gouvernement provincial qui décide à qui cet argent sera octroyé. On a des doutes, parfois, sur son utilisation, surtout en ce qui concerne les enveloppes consacrées aux langues officielles et aux services en français — ou en anglais dans certaines provinces. On sait que cet argent ne se rend peut-être pas jusque là. J’aimerais que vous soyez plus spécifiques sur ces différents points.
M. Tremblay : Je commencerai avec l’accessibilité et l’universalité, qui font partie des cinq critères inscrits dans la Loi canadienne sur la santé. Il y a l’accessibilité, l’universalité, la gestion publique, l’intégralité, et j’ai oublié le cinquième. L’accessibilité signifie que tous les citoyens devraient avoir accès à des services de santé. L’universalité signifie que tous les services devraient être offerts aux citoyens également. Ce sont deux principes qu’on trouve dans la Loi canadienne sur la santé. On a inclus la transversalité comme y étant liée, car la Loi sur les langues officielles ne devrait pas être appliquée seule, mais être reliée à toutes les autres lois du gouvernement fédéral, un peu comme une loi constitutionnelle.
Lorsqu’il y a eu l’affaire Montfort, par exemple, le jugement Montfort a indiqué que la Loi sur les services en français de l’Ontario avait un rôle quasi constitutionnel. Donc, dans le cadre des autres lois qui ont été promulguées par la suite, comme la loi instituant les Réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS), la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée et différentes lois, la Loi sur les services en français faisait partie du préambule, et toute la loi devait être conforme à la Loi sur les services en français. C’est l’exemple que je mentionne, et c’est un peu pour cela qu’on dit que la loi devrait s’appliquer à tous les ministères et aux lois des ministères.
En ce qui a trait au leadership renouvelé, nous avons fait une demande, avec plusieurs organismes, et nous avons cosigné une lettre adressée au premier ministre pour lui demander de prendre un engagement. Nous sommes 33 organismes qui avons signé une lettre, l’été dernier, pour demander au premier ministre de réaffirmer que la question des langues officielles est une responsabilité du gouvernement fédéral, que celui-ci souhaite qu’il y ait un épanouissement et que cela s’applique aux communautés. C’est ce que nous souhaitons, que le gouvernement renouvelle son leadership à cet égard.
Enfin, sur la question de l’agence centrale, il s’agirait de permettre cette reddition de comptes. Les ministères devraient se rapporter à une agence centrale plutôt qu’à un ministère afin de faire rapport sur les avancées de la Loi sur les langues officielles. Cela s’appliquerait aussi au Plan d’action sur les langues officielles. C’est un peu ce que nous recommandions.
M. Théberge : Sur la question du leadership renouvelé, si on examine la conjoncture, où le dossier des langues officielles se situe-t-il parmi les priorités du Canada? Je dirais que nous n’occupons pas la place que nous occupions par le passé. Je pense que cela a mené à une certaine complaisance, un peu partout, qui a eu des effets un peu négatifs sur les communautés. Il est important de repositionner le dossier des langues officielles parmi les priorités politiques. Tous les sondages montrent un appui très fort envers le bilinguisme au Canada. On a beaucoup parlé de licence sociale, et les Canadiens et Canadiennes appuient le bilinguisme à 80 p. 100 ou plus, peu importe la région du pays. Il est extrêmement important que le dossier reprenne sa place sur la scène nationale.
Pour ce qui est de l’agence centrale, je pense que M. Tremblay l’a très bien mentionné et, à mon avis, quelqu’un doit être responsable de la mise en œuvre du plan d’action dans les différents ministères. Tous les ministères ont un devoir et une responsabilité dans le domaine des langues officielles, et quelqu’un doit être responsable de rendre compte de qui fait quoi et quand. Je ne pense pas que Patrimoine canadien soit le ministère indiqué. Patrimoine canadien, c’est un autre type de ministère; il fait la promotion des langues officielles pour les communautés, et cetera, mais c’est très spécifique. Pour l’ensemble de l’appareil gouvernemental, il est important qu’il y ait une agence centrale qui puisse s’assurer effectivement que chaque ministère responsable d’offrir des services à travers le pays respecte la Loi sur les langues officielles.
Quant à la reddition de comptes, honnêtement, les sommes les plus importantes qui sont versées aux provinces visent l’éducation, et de loin, soit le français langue maternelle ou langue seconde. La question que l’on doit toujours se poser est la suivante : est-ce que cet argent aboutit dans les salles de classe, où il le devrait? Il est important qu’on ait un mécanisme en place pour s’assurer que les investissements du gouvernement fédéral en éducation se rendent dans les salles de classe.
M. Sékula : Je voudrais amener une perspective provinciale, puisque Mme la sénatrice Moncion l’a mentionné brièvement. À part la Société Santé en français, je préside aussi le Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario, qui a deux mandats : le premier est un mandat de réseautage, et c’est le même objectif que celui de la Société Santé en français; c’est également une personne morale qui octroie les désignations au sein du système de santé ontarien, autrement dit, aux hôpitaux qui veulent être désignés comme étant capables d’offrir les services. Nous octroyons cette licence après un processus de désignation assez long et complexe. Le défi auquel nous faisons souvent face, c’est que le gouvernement de l’Ontario — et il n’y a aucune critique ici, car il a été tout de même très généreux —, dans son financement de l’accessibilité aux soins de santé en français, se mesure dans ses contributions à ce que le gouvernement fédéral octroie au réseautage des services de santé en français au Canada. J’ai souvent entendu la remarque des intervenants ontariens qui disent que le gouvernement de l’Ontario apporte sa contribution, mais qu’on ne trouve pas que le gouvernement fédéral, de son côté, au moyen des contributions reçues de la SSF, en fait autant. Donc, il y a des provinces qui voient le gouvernement fédéral comme un exemple lorsqu’il s’agit de déterminer où est le baromètre quant au financement qu’il octroie à ses obligations linguistiques en Ontario.
J’ajoute un commentaire semi-social. Plus nos organisations ont du succès en réseautage, que ce soit dans le domaine de la santé ou de la formation en santé, plus nous sommes, en quelque sorte, victimes de notre popularité, et plus les demandes augmentent. M. Théberge en a parlé un peu tantôt, cela fait 10 ans que l’on travaille avec les mêmes budgets, sans compter le facteur de l’inflation qui, si on l’ajustait, nous obligerait à réduire nos services de 20 à 25 p. 100 au cours des années. Nous devons en faire plus avec beaucoup moins, et il est difficile de remplir nos mandats. Les provinces nous regardent et se disent que si nous recevons ce financement du gouvernement fédéral, elles ne voient pas pourquoi elles nous en donneraient plus. C’est simpliste, mais c’est un peu ainsi que ça fonctionne, sur le terrain, en Ontario en tout cas.
La sénatrice Gagné : J’aimerais vous féliciter moi aussi pour le succès retentissant de votre forum. Je suis contente de voir l’évolution, au cours des deux dernières années, de la collaboration entre les deux organisations; je pense que c’est la voie de l’avenir. C’est clair. Bravo et félicitations!
On peut facilement tracer le financement qui se rend directement au Consortium national de formation en santé au moyen du secrétariat. Il y a les ententes entre Santé Canada et le secrétariat, et les ententes bilatérales entre Santé Canada et les établissements, soit des collèges ou des universités. Il y a aussi — et c’est facile à tracer —, le financement de Santé Canada, de la Société Santé en français et, par ricochet, des réseaux.
Il reste tout de même que des sommes importantes sont transférées aux provinces. Dans vos présentations, vous avez touché à toute la question du financement qui est versé aux provinces et à la façon d’assurer l’offre active de services et l’accès à la santé en français dans nos communautés. La question qui se pose est de savoir comment on peut ajuster ou élargir la Loi sur les langues officielles de sorte que l’argent qui est transféré aux provinces se rende dans les établissements et dans les cliniques, pour favoriser l’accès à la santé en français. Quels ajustements devrait-on apporter à la loi pour atteindre cet objectif?
M. Tremblay : Comme je l’ai dit plus tôt dans ma présentation, on doit toujours se rappeler que la santé est une compétence jalousement gardée par les provinces. Je ne crois pas, à moins d’ententes bilatérales entre les provinces et le gouvernement fédéral, que cela se fera ainsi. Même dans le cadre des négociations sur la santé mentale et les services à domicile, il y a des provinces qui ont pris du temps à signer l’entente. Le sous-ministre nous disait que ces ententes devaient être multilatérales au départ et qu’elles sont devenues bilatérales par la suite. Il y a donc une complexité qui existe.
Est-ce que la Loi sur les langues officielles peut aider en ce sens? Je crois qu’il faudrait que le gouvernement fédéral, par exemple, en modifiant la Loi canadienne sur la santé, mette en place des mesures afin d’exiger qu’il y ait une disposition au sujet des fonds transmis aux provinces et qu’il y ait des mesures de rendement quant aux services offerts en français.
La sénatrice Gagné : Est-ce qu’on devrait élargir la partie VII, qui est la seule partie qui traite de la communauté? Je pense que toutes les autres parties ont une approche plutôt parlementaire ou gouvernementale. Dans la partie VII, on parle de l’épanouissement et du développement de la communauté. Devrions-nous élargir cette partie pour y inclure les secteurs d’activité qui sont importants au développement des communautés?
M. Tremblay : Ma première réflexion serait de dire oui. La santé en fait partie maintenant. L’enjeu sera lié à l’application de la loi et à la façon dont ce sera fait.
Dans les provinces où il existe des lois sur les services en français, on voit de plus en plus de mesures qui démontrent que les provinces veulent travailler avec les réseaux, les collèges et les universités pour mettre en œuvre des services ou des projets.
Je vais donner l’exemple très concret du Yukon. Lors de l’élection de son nouveau premier ministre, il y avait un projet, qui avait été mis sur la tablette depuis très longtemps, visant la création d’une clinique bilingue à Whitehorse qui desservirait la communauté francophone, entre autres. Il y a eu aussi des postes désignés pour cette clinique. Il y a une étude de faisabilité qui est en cours. Même s’il y a une volonté de le faire, le projet est sur la tablette depuis longtemps.
Ainsi, dans les provinces qui n’ont que des politiques sans avoir de loi, le français n’est pas souvent vu comme une priorité pour les communautés. Dans certains cas, comme en Colombie-Britannique, des fonds ont été investis afin de prévoir un accueil bilingue dans une clinique qui dessert principalement les sans-abri. Cette mesure a été perçue comme un privilège pour les francophones, car, à côté, il y avait des personnes parlant le chinois ou une autre langue qui auraient pu bénéficier du même service. Quand le financement a cessé, le service a cessé. Les provinces doivent démontrer de la bonne volonté.
La sénatrice Tardif : Pour faire suite à la question de la sénatrice Gagné, est-ce que toutes les provinces ont signé des ententes bilatérales sur la santé mentale et les services à domicile en français?
M. Tremblay : Le Manitoba est la dernière province à avoir signé l’entente.
La sénatrice Tardif : Donc, toutes les provinces ont signé l’entente. Est-ce que cela fait partie d’une disposition linguistique existante?
M. Tremblay : Non.
La sénatrice Tardif : Qu’avez-vous comme garantie?
M. Tremblay : Il n’y en a aucune.
La sénatrice Tardif : C’est ce que je croyais.
Mme Brouillette : Pour faire un suivi sur cette question, on a rencontré le sous-ministre de la Santé, M. Simon Kennedy, qui négociait justement les dernières ententes. On avait proposé, surtout dans le cadre d’initiatives de santé mentale ou de soins à domicile ou de soins palliatifs, avec l’enveloppe qui y est associée, d’inclure des dispositions sur les services en français. Cependant, à ce moment-là, il disait qu’il était déjà compliqué de négocier ces ententes, et que le fait d’ajouter une disposition linguistique compliquerait davantage les choses. Il nous demandait donc à nous de faire ce travail. Comme nous n’avons pas d’enveloppe consacrée à ce dossier, ce n’est pas facile, mais nous continuons de le faire. C’est là où on en est, c’est la réalité.
M. Théberge : Étant donné que ce n’est pas défini, on pourrait voir jusqu’à quel point on pourrait élargir le concept des mesures positives. On pourrait passer du temps à mieux les définir, à élargir la définition de « mesures positives ».
Ce qui me trouble avec les ententes bilatérales, c’est que c’est effectivement le moment idéal pour y inclure des dispositions. Le gouvernement fédéral devrait avoir le réflexe de dire qu’une disposition linguistique devrait être incluse dans ces ententes, mais le réflexe est absent depuis 50 ans. Il faut donc trouver une façon de développer ce réflexe.
Les mesures positives, c’est peut-être une façon de le faire. Mais je crois que lorsqu’on signe des ententes, peu importe le ministère, il y a un côté linguistique qui doit être traité dans cette entente. S’il y avait une agence centrale responsable de s’assurer du respect des langues officielles, on pourrait peut-être aller de l’avant. Cependant, il faut travailler en amont. Lorsque le gouvernement dit à Mme Brouillette que c’est compliqué, bien, la vie est compliquée. Je crois que ce qui est important, c’est de saisir les occasions lorsqu’elles se présentent. Par contre, si on n’a pas de carotte, de bâton ou de mécanisme, ça va passer tout droit. C’est un exemple idéal. C’est le moment où on aurait dû demander une disposition linguistique.
La sénatrice Gagné : Il existe présentement un règlement lié à la partie IV. Croyez-vous que dans la partie VII, il devrait y avoir un cadre réglementaire qui nous permettrait de faire ce que vous proposez, c’est-à-dire de mieux définir les mesures positives ou de décrire les secteurs prioritaires en ce qui a trait au développement et à l’épanouissement des communautés?
M. Théberge : Je crois que le temps est venu. S’il n’y a pas de règlement, la décision est laissée aux individus. C’est un peu aléatoire. Un règlement, c’est une façon de mieux encadrer la partie VII, tout comme la partie IV, pour s’assurer qu’il y ait des lignes directrices, qu’il y ait des règles à suivre. Ce serait peut-être plus directif que ce ne l’est présentement.
M. Tremblay : Pour continuer sur le sujet du réflexe, on a eu une rencontre, au printemps, dans le cadre de la conférence des sous-ministres adjoints responsables des langues officielles. L’un des sujets discutés était justement la question des fonctionnaires cadres qui ont des responsabilités, mais qui, souvent, ne comprennent pas leur rôle ou leur mandat. Lors d’une discussion, une suggestion a été faite que cela devrait faire partie de la formation des cadres supérieurs du gouvernement. On nous dit que cela en fait partie. Quand on parle à des cadres du gouvernement qui nous disent que les gens respectent la loi, qu’ils traduisent leurs sites web, qu’ils traduisent tous les documents, que tous les services sont offerts dans les deux langues, et qu’on leur mentionne la partie VII de la loi, qui porte sur les communautés de langue officielle, c’est comme une surprise.
Il y a des lignes directrices qui ont été émises par le Conseil du Trésor. À un moment donné, je suis arrivé avec les lignes directrices élaborées par Santé Canada sur la façon d’appliquer la Loi sur les langues officielles dans les accords de contribution entre le ministère et ses agences. On parle aux fonctionnaires. Ils savent qu’il n’y a pas de capacité de renforcement, donc ils signent des accords en exigeant que la Loi sur les langues officielles soit respectée, mais sans vérifier comment cette disposition est appliquée au sein de leur organisation. À ce moment-là, il nous revient la responsabilité de communiquer avec chaque organisation pour l’aviser qu’elle ne respecte pas la partie VII de la Loi sur les langues officielles et que, ainsi, nos communautés ne bénéficient pas de leurs services, même s’ils sont offerts dans les deux langues officielles.
Je vous donne l’exemple de l’Agence de la santé publique du Canada avec laquelle on travaille actuellement. Tout comme pour les IRSC, presque tous ses programmes ne sont pas accessibles aux communautés de langue officielle en situation minoritaire. Il y a trop de barrières, ce qui fait que les communautés ne peuvent pas en bénéficier. Tout récemment, le sous-ministre adjoint a reconnu l’importance des langues officielles, mais il faudra beaucoup de temps avant que ça change. Donc, nos communautés n’ont pas accès au financement lié aux programmes de l’agence et, pourtant, c’est un domaine où elles en ont encore beaucoup besoin dans certains cas.
Mme Brouillette : Pour répondre à la question de la sénatrice Gagné quant au financement, je crois qu’on fait peut-être référence au Programme des langues officielles dans l’enseignement (PLOE). Il y a déjà de bonnes pratiques qui existent. Ça peut aller directement aux établissements ou aux organismes qui font le travail. Il y a déjà de bons exemples de succès en ce qui a trait à la reddition de comptes, et ce serait des modèles à imiter.
Aussi, il serait peut-être intéressant de penser au concept du « par et pour ». C’est un concept bien connu qui a bien servi les communautés. En éducation, il y a un système parallèle, mais je ne crois pas qu’on puisse appliquer ce principe dans le domaine de la santé. Cependant, il y a quand même un certain niveau de services de santé primaires où on pourrait suivre le modèle du « par et pour », qui est plus efficace en ce qui a trait à l’offre adéquate de services aux communautés francophones.
Le sénateur Maltais : Bien sûr, ici, on parle de services de santé. La santé est primordiale pour l’être humain. La santé n’a pas de langue. Tu es malade ou tu ne l’es pas. Si tu n’es pas malade, tu ne vas pas voir le médecin. Si tu vas voir le médecin, c’est parce qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans ton système. Dans un pays officiellement bilingue, entre guillemets, il est presque incompréhensible que des citoyens qui parlent français ne puissent pas être soignés dans leur langue.
Nous sommes allés à l’Île-du-Prince-Édouard, où nous avons visité un collège dont je ne me souviens plus du nom, où on forme des gens en premiers soins. Ces jeunes avaient énormément de difficulté à trouver du travail. Ils étaient obligés d’aller au Nouveau-Brunswick pour se trouver un emploi, aussi surprenant que cela puisse être.
Vous parlez de Whitehorse, et je suis allé à Whitehorse. Je suis allé voir l’école et le centre médical qu’on veut y installer. Ces gens ne sont pas au bout de leurs peines. Rappelez-vous ce qui est arrivé à la commission scolaire, en cour, cela a été un désastre. Ils ont toute ma sympathie, parce que ce n’est pas chez le voisin, Whitehorse.
J’ai quelques questions. Nous avons beaucoup parlé de reddition de comptes. L’an dernier, nous avons reçu le ministre Brison, et je lui ai demandé à quel moment il croyait pouvoir établir une loi sur la reddition de comptes. On le sait, l’argent va au Conseil du Trésor. La sénatrice Tardif et le sénateur McIntyre pourraient en témoigner, il m’a répondu qu’il allait nous revenir avec une réponse cette année. Il sera là mercredi soir, et nous allons certainement lui poser la question. Il avait de bonnes intentions, et je continue de donner toute la crédibilité à ses intentions. C’est un problème majeur, parce qu’on ne sait pas où va l’argent une fois qu’il est transmis aux provinces, surtout dans les régions où le français est minoritaire. Ces fonds sont-ils destinés à la langue française ou à la recherche? On ne le sait pas. C’est un problème.
Vous avez parlé d’une agence qui pourrait distribuer les fonds à l’enseignement, à la recherche ou à l’application de la loi dans les endroits où le français est minoritaire. D’autres témoins avant vous nous ont dit que cela devrait relever du Conseil privé. Quel serait votre choix?
Deuxièmement, le président du Comité des langues officielles de la Chambre des communes a déclaré la semaine dernière que la nouvelle Loi sur les langues officielles devrait contenir un système punitif. Je suis bien d’accord avec lui, mais 99,9 p. 100 de ses clients seront issus du gouvernement. Comment punir le ministère des Transports ou le ministère des Pêches et des Océans? On pourrait leur donner une petite contravention de 200 $, mais cela ne réglera pas le problème. Ils devront trouver une autre solution, parce que je vois mal le gouvernement se donner une amende à lui-même.
Vous avez peut-être trouvé une voie tout à l’heure en disant qu’on devrait mettre de côté le ministère, car le problème se situe là. Qu’en pensez-vous, maître Sékula?
M. Sékula : D’abord, mon point, c’est que même si le gouvernement pouvait se donner une amende, je ne suis pas certain qu’il pourrait la payer.
Le sénateur Maltais : Vous avez raison, compte tenu de son système de paie.
M. Sékula : C’est vous qui le dites. Je pense que le mot « punitif », c’est un mot qui a fait son temps et qui n’est plus à la mode. Quand vous dites aux gens que s’ils ne respectent pas la loi, ils ne pourront plus recevoir de financement ou que leur conseil d’administration ou leur président sera mis sous tutelle, ça, c’est porteur.
Maintenant, je suis entièrement d’accord avec vous. Est-ce qu’un gouvernement peut se punir lui-même? Je ne suis pas certain, mais je suis certain qu’il envisagerait cette mesure pour des organisations du secteur privé ou du secteur parapublic, et cetera. L’idée d’être punitif, ce n’est pas important; l’idée, c’est que la conséquence de la non-action va déterminer l’avenir ou non d’une organisation qui ne respecte pas la loi. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Je suis très cartésien quand je dis cela, mais ce sont mes intentions.
Le sénateur Maltais : Monsieur Théberge, vous êtes le recteur de l’Université de Moncton. Vous recevez des subventions du gouvernement fédéral pour le maintien de l’université, vous recevez des subventions de la part du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique pour la recherche. Quel pourcentage de cet argent est accordé à la portion francophone de la recherche?
M. Théberge : Tout l’argent est versé à nos chercheurs. S’ils travaillent dans le domaine de la bioscience, ils font de la recherche en bioscience; si c’est en physique, ils font de la recherche en physique. Il y a un lien avec la langue uniquement dans le domaine des sciences sociales, où nos chercheurs travaillent avec les communautés.
Le sénateur Maltais : Moi, je vous parle des sciences médicales où on retrouve les infirmiers, les infirmières et les médecins francophones. Quel pourcentage est versé à la partie francophone de la recherche?
M. Théberge : Tout. Nous sommes une université francophone et non une université bilingue.
Le sénateur Maltais : Elle est entièrement francophone?
M. Théberge : L’Université de Moncton est entièrement francophone.
Le sénateur Maltais : Vous n’avez donc pas de problème.
La sénatrice Mégie : Merci pour vos présentations. J’étais en retard au début, et je m’en excuse.
Ma question touche la recherche. Madame Brouillette, vous avez dit plus tôt que les chercheurs ne recevaient pas leur juste part. Est-ce une conséquence de la concurrence entre chercheurs et spécialités, ou est-ce en raison d’un facteur linguistique? Comme vous le savez, la plupart des recherches en médecine sont publiées en anglais. Si on aborde la question linguistique du français, est-ce là ce qui constitue l’obstacle ou est-ce autre chose?
Mme Brouillette : L’obstacle a plusieurs facettes. Pour accéder à des fonds provenant des Instituts de recherche en santé du Canada, les chercheurs doivent avoir beaucoup d’expérience et la chance de publier dans plusieurs journaux scientifiques. La capacité de nos chercheurs est encore à bâtir. Certains en ont les capacités, mais, dans notre réseau, il en reste encore beaucoup à bâtir. Il faut mettre en place des mesures positives qui puissent aider nos chercheurs à se démarquer et à faire connaître leurs publications. C’est souvent le type de publication et le nombre qui font en sorte qu’un chercheur peut se démarquer et obtenir des subventions plus importantes au sein des IRSC. Il y a tout un travail à faire pour augmenter cette capacité. Dans le domaine de la recherche, tout se fait en anglais, comme dans plusieurs domaines. Quand nos chercheurs publient en français, ce n’est pas très lu ni connu, alors qu’en anglais, on est dans une tout autre sphère.
M. Théberge : J’aimerais faire un parallèle en parlant des chaires de recherche au Canada. La ministre Duncan a déclaré qu’on doit avoir plus de diversité dans l’octroi des chaires. C’est aux universitaires de soumettre les candidatures. Cette fois, les universités ont soumis plusieurs candidates et candidats issus de certains groupes minoritaires. On a donc diversifié le bassin de candidats possibles, selon les directives de la ministre.
Bien souvent, dans les conseils subventionnaires, il y a en place une culture qui est systémique, et tout se fait selon le mérite. Le concept du mérite peut parfois être flou, selon les membres qui siègent au comité. Ce qui est important, c’est de s’assurer, comme on le fait maintenant, que nos chercheurs siègent aux comités, sinon on n’aura pas de subventions. Présentement, nous siégeons aux comités. Je m’assure que nos chercheurs siègent aux comités, et il y en a même qui président des comités. Nous devons prendre notre place.
Lorsque la culture est systémique, les choses se font de façon inconsciente. On ne se rend pas compte qu’on est en train de prendre des décisions biaisées de façon inconsciente. Il reste beaucoup de travail à faire à ce chapitre. Nous avons déposé une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles du Canada, ce qui l’a obligé à faire un certain travail en ce sens, mais nous n’avons pas beaucoup avancé. Si la volonté est exprimée, les universités réagiront.
La sénatrice Poirier : J’ai une autre question. La feuille de route actuelle prendra fin le 31 mars 2018. La ministre Joly proposera un nouveau plan d’action pour y succéder. Quelles sont vos attentes face au plan d’action de la ministre?
Mme Brouillette : On a fait référence, à quelques reprises plus tôt, au fait que nous avons le même financement, depuis 10 ans, tant au Consortium national de formation en santé qu’à la Société Santé en français. Or, les besoins sont encore très importants.
Au Consortium national de formation en santé, même si nous avons mis en place 73 nouveaux programmes au cours des 15 dernières années, cela ne représente que 7 p. 100 des programmes offerts en anglais. Les besoins sont encore importants. Pour mettre en place des services, il faut des professionnels pour pouvoir les offrir. La Société Santé en français et nous avons déposé, l’automne dernier, une demande très concrète, avec des initiatives novatrices et structurantes, pour mettre en place plus de programmes dans des régions où il y a des besoins importants. Je pense aux régions du Nord de l’Ontario, du Nord du Nouveau-Brunswick et de l’Ouest du pays. Dans certaines régions, aucun programme en français n’est offert. Nos attentes sont à la hauteur des besoins, qui sont encore très présents.
M. Sékula : J’aurais un commentaire très intéressant à faire. À la Société Santé en français, nous n’avons pas réussi à fixer de rencontre avec la ministre. Nous avons déposé nos demandes et nos propositions, et il est frustrant de ne pas pouvoir rencontrer la ministre responsable de notre financement sur cinq ans, au minimum afin de discuter et de mieux comprendre les enjeux. Est-ce une doléance que je suis le seul à exprimer? Non. Je crois que la Société Santé en français la partage. J’aimerais être clair en disant qu’il est difficile de soumettre ces propositions, d’en obtenir des réactions et de savoir à quoi s’en tenir s’il est impossible de tenir une rencontre.
M. Tremblay : Nous savons que pour Santé Canada ce sera le statu quo; les fonds ne changeront pas et ils seront transférés le 1er avril l’an prochain. Le montant ne couvre que la base actuelle. Si on ajoute l’inflation, il représente une diminution.
En décembre dernier, nous avons envoyé à Santé Canada et à Patrimoine canadien nos demandes, en même temps que le CNFS, pour augmenter l’accès et la capacité des réseaux et pour accroître le travail dans le but d’accueillir les ressources humaines. C’est un peu le jeu du chat et de la souris, ou encore, la question de la poule et de l’œuf. Il faut que nous ayons des postes un peu partout qui permettront aux organismes d’être aptes à offrir des services en français. On peut créer des postes sans toutefois qu’il y ait de candidats. C’est le cas dans une province en particulier, où des postes sont désignés, mais où il manque de personnel pour les combler. Il y a donc de grands besoins de formation. Il faut aussi que les personnes formées puissent retourner chez elles et avoir accès à du travail dans leur langue, sinon elles iront travailler en anglais, ce qui ne nous aide pas. Il y a des besoins partout où nous devons continuer à faire avancer l’accès aux services de santé en français.
Le sénateur Cormier : Monsieur Tremblay, vous avez parlé de la Loi sur les langues officielles comme d’une loi quasi constitutionnelle — du moins, dans l’esprit.
Vous avez aussi parlé de l’importance de repositionner les langues officielles. Devrait-on inclure dans le préambule de la loi, sans dire qu’il s’agit d’une loi constitutionnelle, une notion ou une information qui mette en relief l’importance des langues officielles, de la Loi sur les langues officielles dans le contexte du contrat social que le Canada s’est donné dès sa fondation? En d’autres mots, pour donner de la force au rayonnement de cette loi, pourrait-on inclure quelque chose dans le préambule?
Dans le même contexte, on parle beaucoup de donner du mordant à la loi. On parle de la création d’un secrétariat, d’une agence centrale au sein du Conseil privé, pour renforcer l’application de la loi. À votre avis, devrait-on, dans la loi, décrire cette agence avec plus de précision, surtout en ce qui concerne les principaux ministères concernés? On comprend bien que tous les ministères sont concernés. Toutefois, dans notre cas, au même titre où il y a peut-être des secteurs, des ministères et des agences prioritaires, devrait-on les nommer?
M. Tremblay : Je vais commencer avec votre deuxième question. Je vais revenir plutôt à l’incitatif. Cette agence devrait être inscrite dans la loi. À mon avis, la première façon de faire la reddition de comptes est de procéder comme le fait le Conseil du Trésor. Une fois par année, il soumet un rapport. Maintenant, c’est Patrimoine canadien qui le fait, mais il est rendu public par le Conseil du Trésor. Ce rapport concerne la façon dont les ministères ont appliqué la Loi sur les langues officielles. C’est assez discret. Il faut savoir que ça existe.
Il devrait y avoir un rapport public annuel sur la façon dont les ministères ont mis en œuvre la Loi sur les langues officielles dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire. M. Robichaud, du Nouveau-Brunswick, a participé au Rendez-vous et a comparé les différentes régions de sa province. Ces renseignements sont disponibles sur le site web, on peut aller voir quelles sont les bonnes régions, les moins bonnes régions, les meilleures régions. Évidemment, tout le monde veut devenir le meilleur.
S’il y avait un tableau de bord ou un bulletin qui était rendu public et qui indiquait comment les ministères et les agences répondent à la Loi sur les langues officielles, cela deviendrait davantage un incitatif. La motivation des gestionnaires est souvent de faire mieux, d’être capables d’être les meilleurs ou d’aller plus loin.
Aussi, il pourrait y avoir des prix de reconnaissance dans ce sens-là. On pourrait en offrir dans le domaine de la santé. Je pense que l’un des rôles de cette agence pourrait être de publier annuellement le bulletin des agences et des ministères. Dans le préambule de la loi, on parlait de transversalité. C’est peut-être la meilleure place où ce pourrait être bien expliqué.
M. Sékula : Mon ancien collègue, Mauril Bélanger, disait que, plus les lois sont précises et solides, moins elles ont besoin d’encadrement. Si j’avais un choix, ce serait de faire des lois, dans les domaines qui nous touchent, qui soient claires, nettes et précises. Nous aurions moins besoin de les encadrer. Lorsqu’elles sont floues, elles se retrouvent dans un cadre qui est difficile à gérer, et cela ne nous aide pas à atteindre nos objectifs.
Mme Brouillette : On pourrait envisager d’avoir des objectifs mesurables et très précis sur des périodes de temps, et c’est là qu’il pourrait y avoir une révision. Ces objectifs mesurables pourraient coïncider avec le plan d’action sur des périodes de cinq ou dix ans.
Le sénateur McIntyre : Tel que l’a mentionné la sénatrice Tardif au début de la réunion, je comprends que vos organismes ont pris part au Rendez-vous Santé en français la semaine dernière, du 1er au 3 novembre. Le Rendez-vous réunissait plus de 350 intervenants et décideurs de partout au Canada pour discuter des enjeux liés à la santé touchant les communautés francophones en situation minoritaire. Y avait-il seulement des points positifs? Y avait-il aussi des points négatifs? Ou les deux?
M. Tremblay : Il y a des enjeux intéressants. Il y a eu des gens qui nous ont provoqués. L’un des enjeux qui sont revenus de plusieurs façons, c’est la question des données linguistiques. Le gros enjeu est de savoir comment collecter les données linguistiques afin de mesurer l’état de santé des communautés francophones, les données sur la capacité du système, les ressources humaines, et les données pour la recherche. Ce qu’on peut mesurer, on peut le changer.
Ici, nous avons de la difficulté à savoir où nous en sommes avec la santé en français partout au pays. On n’a pas les données pour le mesurer. Ce n’est pas négatif, parce qu’il y a eu de bonnes discussions, mais c’est l’un des grands enjeux qui est ressorti.
M. Sékula : Les données, c’est ma spécialité. Moi, j’appelle cela un grand problème plutôt qu’un enjeu. Demandez qu’on vous fournisse la carte d’assurance-maladie de chaque province et territoire du Canada. C’est une expérience intéressante. D’abord, il n’y a aucune homogénéité entre les cartes d’assurance-maladie à travers les provinces. Je reconnais la compétence des provinces dans le domaine de la santé, mais cela ne veut pas dire que des accords seraient impossibles. Ce que ces cartes peuvent mesurer ou non est intéressant.
Je reviens au problème. L’Ontario va signer, avec mon organisation, une entente qui ressemblera à celle de l’Île-du-Prince-Édouard. À l’Île-du-Prince-Édouard, en arrivant à l’hôpital, on balaie sa carte d’assurance-maladie et, immédiatement, on est identifié comme une personne qui désire recevoir des services en anglais ou en français. L’Ontario ira dans la même direction. Dans le cadre du problème des données, si on disposait d’un tel système de cartes d’assurance-maladie dans l’ensemble du pays, cela faciliterait beaucoup les choses. En effet, le financement est accordé en fonction des personnes qui demandent les services en français. Il n’y aura pas de financement pour l’offre de services en français si un francophone demande des services en anglais. C’est un gros problème, et c’était probablement le sujet de discussion prioritaire des gens. Pourquoi? Parce que tous les gouvernements provinciaux se basent présentement sur des données. Si vous n’avez pas de données, vous n’aurez pas de financement. C’est évident.
La sénatrice Gagné : Monsieur Tremblay, vous avez mentionné la Welsh Act. Est-ce que le gouvernement devrait s’inspirer de la Welsh Language Act pour moderniser sa Loi sur les langues officielles?
M. Tremblay : Il y aurait lieu de le faire, parce que le Royaume-Uni a aussi une commissaire qui a des pouvoirs. La commissaire du pays de Galles a le droit — je sais que cela serait de compétence provinciale dans notre cas — de mettre à l’amende des gens qui n’offrent pas les services dans la langue galloise ou qui ne peuvent pas recommander une personne au bon endroit. Il y a la question des mesures positives de cette loi pour la promotion de la langue galloise. Pendant longtemps, ce n’était pas une langue tolérée ni acceptée.
La même chose se vit au Pays basque espagnol où la langue basque est en train de faire revivre les communautés. C’est l’idée de la Loi sur les langues officielles. La partie VII s’adresse aux francophones de nos communautés afin qu’ils puissent être fiers de leur langue et l’utiliser, et afin qu’ils aient accès à des services pour qu’ils puissent vivre dans leur langue, surtout lorsqu’il s’agit d’accueillir les francophones venant d’autres pays. Le Pays basque espagnol s’inspire de certaines choses comme l’offre active qu’on retrouve chez nous. Il s’inspire également de notre cadre des ressources humaines, et nous pouvons aussi en apprendre de ce pays.
La sénatrice Gagné : Merci, monsieur Tremblay.
La sénatrice Tardif : Au nom du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je vous remercie de votre dévouement, de votre leadership, et du travail que vous faites pour améliorer l’accès aux services de santé en français et pour la formation des professionnels en français qui contribuent au bien-être de l’ensemble des communautés francophones du Canada.
(La séance se poursuit à huis clos.)