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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 19 - Témoignages du 4 décembre 2017


OTTAWA, le lundi 4 décembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures, en séance publique, afin de poursuivre son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, puis à huis clos, afin d’étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour. Je m’appelle René Cormier, je suis sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion de ce soir. Avant de passer la parole à nos témoins, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Tardif : Claudette Tardif, de l’Alberta.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Merci, chers collègues. Le comité sénatorial poursuit le deuxième volet de son étude sur la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Nous avons le plaisir d’accueillir le Réseau de développement économique et d’employabilité, le RDEE Canada, qui a été fondé il y a 20 ans. RDEE Canada appuie l’épanouissement et le développement économique des communautés francophones en situation minoritaire par l’entremise d’un réseau national qui compte des organismes dans l’ensemble des provinces et des territoires, à l’exception du Québec.

Nous accueillons Mme Roukya Abdi Aden, gestionnaire, Concertation nationale, et M. Sébastien Benedict, gestionnaire, Relations gouvernementales et communautaires. Le but de la réunion d’aujourd’hui est de discuter du développement économique en milieu minoritaire. Madame, monsieur, merci d’être avec nous aujourd’hui. La parole est à vous.

Sébastien Benedict, gestionnaire, Relations gouvernementales et communautaires, Réseau de développement économique et d’employabilité : Merci de nous recevoir, nous vous en sommes très reconnaissants. Nous n’avons pas de grand discours. Nous voulons simplement vous donner notre impression actuelle de la loi et ensuite répondre à vos questions.

Il y a cinq points que nous voulons aborder dans le cadre de notre introduction; en premier lieu, le préambule et l’objet actuel de la loi. Vous parlez des mesures prises par les institutions fédérales, des mécanismes de consultation et d’application de la loi, et du rôle du secteur privé. Si l’on regarde le préambule et l’objet de la loi actuelle, le libellé semble correct. On y retrouve tous les mots clés : l’on parle de favoriser l’épanouissement des communautés et le développement des minorités francophones.

Le problème est que, souvent, si l’intention de la loi est correcte, on ne veut pas aller plus loin. Nous voulons vraiment voir si l’intention répond au résultat souhaité. Si l’on regarde les recensements des 50 dernières années, en 1961, 12 p. 100 de la population canadienne était bilingue. La Loi sur les langues officielles est entrée en vigueur en 1969. Le taux de bilinguisme a augmenté sur une période de 40 ans; en 2001, il était rendu à 17 p. 100. C’est un progrès que l’on peut possiblement attribuer en partie à la Loi sur les langues officielles. Ensuite, si l’on regarde de 2001 jusqu’en 2016, au dernier recensement, cela a seulement augmenté de 0,2 p. 100. Le taux de bilinguisme est passé de 17,7 p. 100 à 17,9 p. 100. Il y a quelque chose qui stagne.

J’aimerais reprendre l’expression de ma collègue : présentement, la loi permet aux communautés de survivre et non de s’épanouir. Cette statistique le démontre bien. Oui, il y a des communautés francophones partout au pays qui sont dynamiques, mais il est très difficile pour elles de s’épanouir.

Il y a quelques raisons pour cela. Premièrement, en ce qui a trait aux mesures prises par les institutions fédérales, il y a beaucoup de mesures, mais il faut faire la nuance sur ce qu’est une mesure positive. Au cours des deux dernières années, j’ai participé à des consultations avec une dizaine de ministères. Il y a toute une disparité dans la définition d’une mesure positive d’un ministère à l’autre. L’une des priorités de la modernisation de la loi devrait être d’établir une définition claire de ce qu’est une mesure positive. Pour nous, la définition est simple : c’est une mesure qui a un impact réel sur le terrain.

Si l’on ne fait que donner une importante somme d’argent à un organisme ou à un programme et qu’une grosse partie de cette somme est versée à l’administration, les fonds se diluent. Le pourcentage de cette somme qui se rend sur le terrain et entraîne des résultats est donc minime par rapport à l’investissement initial. Il est donc important, lorsqu’on parle de mesures positives, de s’assurer que cela se rend sur le terrain à la fin.

Par exemple, l’année dernière, RDEE Canada a reçu 3,5 millions de dollars de plusieurs ministères fédéraux. Plusieurs de ces ministères disent avoir fait leur travail en ayant donné beaucoup d’argent aux communautés, mais cela ne s’arrête pas là. Il faut avoir des indicateurs de rendement, ce qui n’est pas facile. Si vous nous demandez aujourd’hui si ces mesures ont contribué au développement économique et à l’essor des communautés, c’est une zone grise. Il est difficile pour nous de vous répondre clairement, car nous manquons de données à cet égard, à un point tel que, malgré le fait que nous existions depuis 20 ans, comme vous l’avez mentionné, nous n’avons réalisé que cette année pour la première fois une étude d’impact pour savoir ce qu’un réseau comme le nôtre fait et à quoi servent les fonds que nous recevons du gouvernement. Nous avons réalisé cette étude d’impact afin de chiffrer ce que nous faisons, parce que c’est important de voir l’impact réel au sein des communautés.

Il arrive souvent, lorsque nous travaillons avec le gouvernement, qu’on nous demande si nous avons été consultés. Mon but ici n’est pas de blâmer les gens, mais on nous dit que nous avons été consultés ou que de l’argent a été investi, et cela s’arrête là. On considère que les obligations ont été remplies simplement parce qu’on a parlé avec nous pendant une demi-heure. Cela nous amène au problème des programmes gouvernementaux qui sont souvent trop ponctuels, qui n’ont pas de vision à long terme. Nous nous retrouvons à faire du cas par cas avec plusieurs ministères. Il est très difficile d’avoir une vision horizontale afin que tous les efforts des ministères soient coordonnés pour mener à un résultat plus tangible. Nous nous retrouvons à travailler beaucoup à la pièce, ce qui est quand même difficile au niveau des mesures gouvernementales.

Roukya Abdi Aden, gestionnaire, Concertation nationale, Réseau de développement économique et d’employabilité : Je peux vous donner des exemples d’enjeux prioritaires définis par notre réseau. C’est vraiment sur le terrain que nous travaillons avec tous nos organismes dans le cadre de ces axes de travail.

Je vais prendre l’exemple du tourisme. C’est un secteur de développement pour les communautés francophones. Cela fait cinq ans que nous essayons de le développer. Nous avons un grand projet qui s’appelle le Corridor, qui a été financé par Patrimoine canadien dans le cadre du 150e anniversaire. Le marché touristique est très compétitif. Nous essayons donc d’amener nos entreprises à des niveaux compétitifs, mais nous nous butons à des programmes qui ne correspondent pas à nos besoins. S’il n’y a pas de programme au fédéral, nous nous adressons aux provinces et aux territoires, qui répondront selon leur ouverture aux langues officielles. Nous nous retrouvons avec un potentiel de développement économique pour nos communautés pour lequel nous ne faisons pas grand-chose, car nous n’avons pas les moyens d’appuyer les entreprises et de les amener à un niveau où elles pourront attirer non seulement des Canadiens francophones pour consommer leurs produits touristiques francophones patrimoniaux, mais aussi attirer des gens de l’extérieur.

Je vais prendre l’exemple de l’immigration, que vous connaissez bien. Cela fait des années que nous essayons de faire valoir l’employabilité des immigrants. Or, il y a un programme fédéral axé tout simplement sur l’apprentissage d’une des langues officielles ou sur des services d’établissement de premier ordre. Tout ce qui concerne les employeurs fait partie de ce qu’on appelle des services indirects, que ce programme ne touche pas. Nous devons donc aller sur le terrain avec peu de moyens et essayer de convaincre des employeurs qui ne sont pas conscients du fait qu’ils peuvent embaucher des immigrants ou travailler avec une certaine clientèle, comme les étudiants internationaux et les travailleurs temporaires. Cette clientèle est une source d’immigration pour les communautés; elle est déjà sur place. Toutefois, bien qu’elle soit une priorité pour nous, c’est une clientèle que nous ne pouvons pas rejoindre, car les programmes ne le permettent pas.

Voici un autre exemple que je peux vous donner : nous allons faire face bientôt à la question de ce qu’on appelle le « repreneuriat ». Plusieurs de nos entrepreneurs, qu’ils soient anglophones ou francophones, partiront à la retraite. Dans 41 p. 100 de nos entreprises au Canada, le propriétaire va bientôt partir à la retraite. C’est un enjeu prioritaire pour nous, non seulement pour permettre à nos jeunes de récupérer les entreprises qu’on aide depuis 20 ans afin qu’elles ne tombent pas à l’eau, mais aussi pour accueillir les nouveaux arrivants. Or, cet enjeu n’est pas une priorité fédérale ou provinciale. Nous nous retrouvons donc, comme le disait Sébastien, à intervenir sur le terrain avec les ressources que nous avons sans vraiment aider les communautés comme nous le voudrions.

De plus, il s’agit souvent de visions à très court terme. Nous le faisons cette année. Nous planifions à long terme. Nous avons une vision à court et moyen terme. Cependant, cette vision est parfois trop large et trop ambitieuse pour ce qui existe. Alors, on est obligé de réduire nos ambitions, ce qui fait qu’on n’est pas en mesure d’obtenir les résultats qu’on souhaite. Nous avons une loi sur les langues officielles qui est appuyée par des programmes, mais ces programmes répondent-ils vraiment à l’esprit de la loi telle qu’elle est conçue? Nous sommes en mode de survie depuis quelques années au lieu d’être en mode de développement. Nous sommes dans un secteur où il faut être à l’avant-garde et répondre rapidement. Si les communautés n’ont pas les moyens de répondre à cela, nous sommes largués. Nous ferons alors un peu de développement ou du sous-développement.

M. Benedict : L’une des solutions serait de tout centraliser. La responsabilité revient à Patrimoine canadien. Ce n’est pas facile ni pour eux ni pour nous. Quand nous travaillons avec d’autres ministères, souvent nous sommes dirigés de nouveau vers Patrimoine canadien. C’est comme si les langues officielles relevaient uniquement de ce ministère. Pourtant, nous travaillons de concert avec de nombreux ministères. Je ne veux blâmer personne. S’il y avait une institution neutre centralisée qui pouvait chapeauter l’ensemble du gouvernement à ce chapitre, cela améliorerait grandement nos relations avec le gouvernement. Notre but n’est pas de pénaliser. Nous souhaitons favoriser l’épanouissement des communautés. Il faut le voir comme une occasion. En matière d’immigration et de tourisme, il y a moyen de faire grossir nos communautés. Il s’agit simplement d’avoir une porte d’entrée au sein du gouvernement.

Le dernier point que j’aimerais soulever concerne le secteur privé. L’implication du secteur privé dans le cadre de la Loi sur les langues officielles est souvent marginale. En matière de modernisation, il faudrait que le secteur privé participe davantage, mais pas en imposant des pénalités. Il faut qu’il y ait une collaboration. Je donne l’exemple de la société Air Canada qui a des obligations en matière de langues officielles. Il y a environ un an, elle nous a fait savoir qu’elle aimerait recruter davantage d’employés bilingues partout au pays, ce qui n’est pas facile, notamment dans les régions de l’Atlantique. Que pouvons-nous faire? Nous avons proposé un partenariat avec elle. Par l’entremise de nos 30 points de service à travers le pays, nous avons accès à une main-d’œuvre bilingue qualifiée. Il faut créer un partenariat. C’est ce partenariat qui nous a fait prendre conscience que c’est une situation commune dans le secteur privé. Souvent, ce n’est pas par manque de volonté que les compagnies n’offrent pas de services en français, c’est parce qu’elles ont de la difficulté à recruter du personnel bilingue. Est-ce que la mise en place de mesures punitives est la solution? Nous serions plus en faveur de créer des partenariats avec le secteur privé et le secteur communautaire pour combler l’écart. Il n’y a pas de solution parfaite. La loi doit édicter des lignes directrices. On croit qu’il faut explorer la possibilité de renforce la collaboration entre le secteur privé et le secteur communautaire. Ce sont les points que nous souhaitions soulever. Nous répondrons avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci de votre présentation très éloquente et très éclairante. Nous allons passer à la période des questions.

La sénatrice Poirier : Merci de votre présence et de nous faire part de vos préoccupations. La feuille de route actuelle prend fin le 31 mars 2018 et la ministre Joly devrait avoir un nouveau plan d’action en place. La ministre vous a-t-elle consultés concernant son plan d’action? Quelles sont vos attentes quant à ce plan d’action?

M. Benedict : Oui, nous avons été consultés plusieurs fois. Les rencontres donnaient parfois des résultats positifs, parfois des résultats négatifs. Je comprends que c’est souvent une question de ressources et de temps, mais quand on se retrouve 10 ou 15 organismes dans la même pièce et qu’on dispose d’une heure pour exprimer ses attentes, ce n’est pas évident de dire tout ce qu’on veut dire. Je comprends que ce n’est pas facile de rencontrer tout le monde. On a parfois l’impression de ne pas avoir été suffisamment consulté. Par contre, l’équipe du Centre d’excellence en langues officielles du Conseil du Trésor, qui révise actuellement le Règlement sur la prestation de services bilingues, a pris la peine de rencontrer notre organisme pendant deux heures. Nous avons eu une discussion plus élaborée que lorsque nous nous retrouvons avec de nombreux organismes autour d’une table pendant une heure. Nous disposons alors de cinq minutes chacun, ce qui n’est pas réaliste.

L’autre problème qui est lié avec ce que j’affirmais plus tôt, c’est qu’on nous demande ce qu’il faut changer, mais avec le manque d’indicateurs et de données sur la façon dont progressent les communautés francophones, il est difficile parfois de déterminer concrètement les changements qui devraient être apportés. Il est sûr qu’il faut toujours plus d’argent pour les organismes, mais à un moment donné, il ne s’agit pas simplement d’augmenter les chiffres. Si on augmente l’investissement, mais qu’on ne sait pas exactement comment on procédera, si on investit dans des programmes où on doit mettre des cercles dans des carrés, ce n’est pas un bon projet. Souvent, on a de bons projets qui répondent à un besoin, mais pour le mettre en œuvre avec des organismes gouvernementaux, il faut complètement changer le projet, et il devient dénaturalisé.

Nous avons été consultés et nous en sommes très reconnaissants. Ce n’est pas juste une question d’argent. Il faut savoir comment cet argent sera dépensé pour s’assurer que des mesures adéquates seront mises en place sur le terrain au sein des communautés.

La sénatrice Poirier : Le volet économique en faveur des communautés sera-t-il maintenu dans le plan d’action de 2017-2018?

Mme Abdi Aden : Il n’y a rien d’officiel à ce sujet-là. Tous les organismes ont présenté leurs demandes. C’est désormais au ministère de déterminer quelles seront leurs priorités. Je reviens sur la question de la feuille de route ou du plan. Est-ce la seule façon de financer les organismes? Je suis très préoccupée par rapport à cela. Dans le cadre de certains programmes, on nous dit que les fonds n’ont pas été reçus et qu’on ne peut pas obtenir de financement. Pourtant, on fait partie des priorités. Il s’agit de ministères qui sont assujettis à la Loi sur les langues officielles. Il y a confusion. Je pense que vous l’avez déjà entendu. Je ne vous annonce rien de nouveau, mais c’est souvent comme ça. Parfois, on nous répond qu’on ne peut pas nous financer, parce que nous ne sommes pas assez nombreux, ce qui ne nous permet pas d’atteindre suffisamment de clients. Toutefois, nous mettons en œuvre des projets, non pas en raison du nombre de clients, mais en raison d’un besoin qui existe. Les clients viendront par la suite. Les fournisseurs de services mettent en place un programme basé sur des besoins.

Je reviens à la question de l’immigration où la reconnaissance des acquis n’est pas un dossier qu’on peut prendre en charge, car on n’a pas assez d’ingénieurs qui pourraient faire partie d’un programme. On a des ingénieurs ou d’autres types de professions réglementées, mais on ne peut pas se charger de ce dossier, car on n’a pas nécessairement 100 entrepreneurs francophones dans une région qui ont besoin d’aide. On a peut-être une dizaine d’entrepreneurs, ce qui n’est pas suffisant pour offrir un programme à ce genre de groupe.

La sénatrice Poirier : Ma prochaine question est liée à la loi qui fait actuellement l’objet d’une révision. En 2002, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, qui est la seule province officiellement bilingue du Canada, a décidé que sa loi sur les langues officielles serait révisée tous les 10 ans. Selon vous, la loi fédérale devrait-elle aussi faire l’objet d’une révision périodique?

M. Benedict : Je crois que oui. Comme on le constate, si on attend aussi longtemps pour apporter des modifications, souvent, plus on attend, plus c’est difficile de le faire. Si on compare la loi à ce qu’elle était auparavant, on constate que la société a évolué. Les réalités des francophones ne sont plus les mêmes. Si la loi évoluait, ce serait plus facile de créer des partenariats dans le cadre des programmes fédéraux. Il n’y a rien de négatif à une révision périodique.

La sénatrice Poirier : On a parlé de la possibilité que le commissaire aux langues officielles ait plus de pouvoir afin de renforcer l’application de la loi au sein des institutions fédérales, particulièrement en ce qui concerne Air Canada et Radio-Canada. Êtes-vous d’avis que le fait de conférer plus de pouvoir au commissaire mènerait à une meilleure application de la loi?

M. Benedict : Il faut faire attention en ce qui concerne ce dossier. De toute évidence, il est important que le commissaire ait des pouvoirs pour renforcer l’application de la loi. J’aimerais utiliser une métaphore. Je compare le commissaire aux langues officielles à un pompier qui a comme rôle d’éteindre des feux. Lorsqu’il y a des problèmes liés aux langues officielles, il doit intervenir, mais il doit aussi faire de la prévention. Il ne doit pas attendre qu’il y ait des infractions et taper sur les doigts des gens. Cela contribue rarement à la recherche de solutions à long terme. Il faut cerner le problème, à savoir quels sont les secteurs qui n’offrent pas suffisamment de services en français ou en anglais et quelles solutions doivent être envisagées. C’est bon que le commissaire ait des pouvoirs, mais pas uniquement des pouvoirs punitifs. Il doit jouer un rôle de prévention auprès de tous les acteurs qui travaillent en faveur des langues officielles. Comme ça, on règle le problème à long terme et non simplement avec des pénalités données à gauche et à droite qui doivent être revues constamment.

La sénatrice Gagné : Bienvenue. Je vais continuer dans le même ordre d’idées en ce qui a trait à la consultation. Je ne vais pas parler nécessairement du plan d’action que nous allons déposer d’ici avril 2018, mais plutôt du plan en matière d’infrastructures annoncé par le ministre Sohi. Il s’agit de 180 milliards de dollars sur 12 ans qui touchent certains secteurs d’activité : l’infrastructure verte, l’infrastructure sociale et le transport en commun. On sait très bien que les municipalités bilingues seront touchées par ces investissements. Il y a des ententes bilatérales qui ont été signées entre le gouvernement fédéral et les provinces. Ma question est à savoir si vous avez été consultés dans le cadre de ce plan en matière d’infrastructures qui devrait profiter aux communautés en situation minoritaire.

M. Benedict : Non, nous n’avons pas été consultés pour ce plan. Notre réseau n’est pas vraiment impliqué dans le développement des infrastructures. On devrait l’être et on aimerait l’être plus. Il y a vraiment une disparité. Lorsque vous êtes un organisme communautaire, votre rôle se limite à la présentation. On dirait que le développement économique est souvent exclu, pourtant, c’est notre mandat principal, c’est ce qu’on fait. Nous revendiquons beaucoup cela. On aimerait qu’il y ait des programmes. On a vu dans le dernier budget un programme spécifique d’infrastructure en tourisme pour les Autochtones. Je ne veux pas comparer la situation des minorités francophones aux Autochtones, mais c’est un bel exemple de programme. Quelquefois, lorsqu’on cherche des solutions pour des communautés ciblées, il pourrait y avoir des exemples comme celui-là.

Une autre chose dont il faut tenir compte dans ces programmes d’infrastructure est le fait que les petites municipalités sont exclues des critères. On sait que beaucoup de communautés francophones se retrouvent dans de petites portions de population, donc, souvent, elles n’entrent pas dans les catégories de ces grands plans d’infrastructure. J’imagine que la Fédération canadienne des municipalités (FCM) fait des revendications à ce sujet. C’est quelque chose à garder en tête pour les communautés francophones.

La sénatrice Gagné : D’accord. Vous avez aussi parlé dans votre présentation de l’importance de veiller à ce qu’on appuie réellement le développement des communautés afin de favoriser leur épanouissement. Si l’on revient à la Loi sur les langues officielles, il y a la partie VII qui touche l’engagement du gouvernement à favoriser l’épanouissement des minorités anglophones et francophones du Canada. Je me suis posé cette question, et je vais vous la poser aussi. Y aurait-il lieu de créer des mécanismes qui assureraient une plus grande prévisibilité dans l’application de la partie VII? C’est-à-dire, dans le cadre des ententes qui pourraient être signées — qu’il s’agisse des ententes avec des communautés, avec le RDEE Canada ou même des transferts aux provinces —, est-ce qu’on devrait y inscrire une obligation qui ferait en sorte d’assurer le développement?

Mme Abdi Aden : Moi, je crois que oui, il devrait y avoir des obligations. C’est important. Pour l’instant, si je parle des transferts et des ententes avec les provinces, actuellement, il y a souvent des dispositions qui sont interprétées comme elles le sont. Il y a beaucoup de nos communautés qui ne bénéficient pas de ces dispositions. Il y a lieu de définir — de façon unilatérale — ce qu’on entend par « épanouissement ». Par exemple, quand un gouvernement entreprend un programme — que ce soit au niveau fédéral ou provincial —, qu’est-ce que cela signifie vraiment? Ça signifie consulter les communautés et s’asseoir avec ses représentants. Le mot « consulter » évoque une situation où on nous pose des questions, et après, on repart. On ne sait pas ce qui se passe après. Nos réalités sont différentes. Au fédéral, c’est très simple. On va donner, par exemple, au chapitre de l’épanouissement du développement économique, des axes sur lesquels nous travaillons, plus ou moins avec des variables différentes dans les provinces et les territoires. On veut assurer le prochain épanouissement économique. Mais qu’est-ce que ça signifie pour vous? Avant même de définir les critères de ce programme, ces critères devraient être revus avec les communautés. Oui, je considère que des obligations sont importantes.

La sénatrice Gagné : Alors, il pourrait y avoir des obligations dans les ententes. Est-ce qu’il devrait être nécessaire de légiférer des obligations, ou d’utiliser une lentille axée sur la partie VII dans toutes les ententes de transferts à signer?

Mme Abdi Aden : Oui, ça nous aiderait beaucoup à éclaircir toutes ces questions de transfert qui causent énormément de torts dans les communautés où nous ne sommes pas présents. Nous sommes à la merci des interprétations des individus qui sont à la tête de tel ou tel gouvernement, ou de tel ou tel programme dans un gouvernement.

Le sénateur McIntyre : Bienvenue au comité. J’attire votre attention sur l’alliance stratégique pour la petite enfance qui a été conclue entre votre organisme, la Commission nationale des parents francophones (CNPF) et l’Association des collèges et universités. Pourriez-vous commenter plus en détail cette alliance?

Mme Abdi Aden : C’est un bel exemple de ce que les communautés peuvent faire ensemble. Cette alliance est née des besoins de nos enfants — âgés de 0 à 4 ou 5 ans, dépendamment des provinces — qui n’ont pas accès à des services en français. On perd une bonne partie de cette population qui ne se retrouve pas dans notre système scolaire par la suite. Quand la CNPF a voulu trouver une solution, elle s’est tournée vers un organisme comme nous. On ne peut pas toucher à certains services légiférés par les provinces et les territoires, mais la solution qu’on a trouvée, c’est de déterminer que le RDEE Canada va contribuer au développement de petites entreprises dans le secteur de la petite enfance de façon à créer des espaces de garderie dans les provinces et les territoires. À l’Île-du-Prince-Édouard, il y a des listes d’attente de 300 enfants. Les parents n’attendent pas, car ils trouveront un espace du côté anglophone ou ailleurs. Il faut trouver des solutions ensemble. L’association que nous avons faite avec des universités francophones vise à assurer que le personnel soit formé et qu’il travaille dans ce type de petite entreprise privée ou collective qui permet d’offrir des places à des familles francophones. Il faut qu’il y ait le volet du personnel qualifié qui puisse y travailler. C’est un bel exemple de ce que les communautés peuvent faire ensemble, et le partenariat que les organismes peuvent établir ensemble pour mettre en commun leurs forces et leurs expertises.

Le sénateur McIntyre : Je poursuis avec la petite enfance dans le cas de l’offre de services. Comme vous le savez, le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social a tout récemment pris des mesures dans le cadre de l’offre de services à la petite enfance en français dans l’ensemble du pays. Êtes-vous satisfaits de cette prise de mesures de la part du ministre?

M. Benedict : Oui, c’est un excellent début. On est très heureux que le gouvernement commence à accorder de l’importance à ce sujet. Depuis 2015, le RDEE Canada a commencé à se mettre le nez dans le développement de la petite enfance. À l’époque, c’était vraiment difficile, parce qu’on se faisait dire que, premièrement, on travaillait davantage dans le développement économique, et comme les garderies relèvent du domaine communautaire, on n’y avait pas affaire. Ensuite, on nous disait qu’il s’agit de compétences provinciales et donc que ça ne nous concernait pas. Nous répondions qu’il faut arrêter de voir tous les niveaux de réglementation, car il y a une problématique. Il y a des enfants qui n’ont pas de place en garderie; on les inscrit alors dans les garderies anglaises. Ils vont à l’école primaire avec leurs amis anglophones. À l’âge adulte, ces gens-là ne sont plus francophones. Il faut régler ce problème. Il faut arrêter de dire que c’est la responsabilité de tel ou tel organisme ou gouvernement. Oui, notre but est d’attirer des investissements dans ce domaine, mais aussi de sensibiliser la population à ce problème. Donc, des mesures comme celles-là représentent un bon premier pas.

La sénatrice Mégie : Merci pour vos présentations. Vous avez parlé des enjeux liés au tourisme et à l’immigration et vous avez parlé des chefs d’entreprise, dont 40 p. 100 s’en vont à la retraite. On dirait qu’il n’y a peut-être pas de relève. Quel rôle le gouvernement fédéral pourrait-il jouer dans un tel contexte? La Loi sur les langues officielles pourrait-elle comporter une disposition afin de combler ce vide qui apparaîtra bientôt?

Mme Abdi Aden : La loi doit rester générale. Je vous parlais de cet enjeu auquel nous faisons face, mais pour lequel on ne fait rien, que ce soit du côté francophone ou anglophone. Le Canada n’est pas préparé à cela, mais la réalité est pourtant là.

Le Québec a mis en place un centre d’excellence sur ce qu’on appelle le « repreneuriat »; il pourrait s’agir là d’un exemple de programme que l’on souhaiterait voir apparaître à l’échelle fédérale. La loi doit rester au diapason des besoins et des enjeux, parce qu’aujourd’hui, c’est le repreneuriat, mais dans 10 ans, ce sera peut-être différent. Il faut être au diapason des besoins qui émergent sur le plan économique. Si, par exemple, on parle de la question du développement économique, il faut être avant-gardiste quant à certains éléments et il faut avoir les moyens des combats qu’on veut mener dans certains secteurs.

La sénatrice Mégie : C’est un nouveau mot que j’ai appris : « repreneuriat »; je ne savais pas que cela existait, mais c’est bon.

La sénatrice Tardif : Bienvenue. J’ai trouvé très pertinent votre commentaire selon lequel la loi nous permet de survivre, mais non de nous épanouir. Cela suscite de la réflexion.

Pour faire suite à la question de la sénatrice Gagné, croyez-vous que la loi devrait, par exemple, contenir des mentions explicites en ce qui a trait à l’immigration ou au secteur de l’employabilité?

M. Benedict : Oui, mais encore là, le problème que nous avons souvent, c’est que même si le libellé de la loi en fait mention, il faut faire les suivis par la suite. Si on pense à l’immigration, le gouvernement s’est donné une cible de 4 p. 100 d’immigrants francophones, mais on n’y arrive pas. On a beau mettre sur papier des intentions — c’est une chose et c’est primordial de le faire —, mais il faut aussi que ces intentions se traduisent par des résultats réels par la suite. Ma réponse est oui et non. Je sais que cela ne répond pas totalement à votre question.

Mme Abdi Aden : Je dirais que oui, si on prévoit une révision périodique de la loi. Cela nous permettrait de faire l’exercice par rapport à nos enjeux et à nos priorités. Il faudrait que la loi définisse quelles sont les priorités pour les communautés francophones au cours des prochaines années. Par exemple, si la période de révision est de 10 ans, il faut avoir des plans sur 10 ans. Quelles sont les priorités? Il faut bien sûr que la loi mentionne ces priorités afin que l’on puisse s’y consacrer, mais il faut aussi s’assurer que ces priorités ne restent pas encore et toujours des priorités. Il faut revoir ces axes de développements afin de déterminer, pour les 10 prochaines années, quelles sont les priorités d’intervention. Il ne faut pas oublier que, dans 10 ans, de nouveaux défis émergeront et que, surtout, il faut avoir été en mesure de relever les défis mentionnés dans un premier temps.

Ma réponse est oui, si des périodes de révision de la loi sont établies afin de réviser ces axes sur lesquels la loi mettra l’accent.

La sénatrice Tardif : Je comprends très bien votre commentaire. Si, par exemple, il y avait davantage de règlements établissant les cibles à atteindre au chapitre de l’immigration francophone, croyez-vous qu’il s’agirait là d’une avenue à poursuivre?

Mme Abdi Aden : Je crois que oui, si cela signifie que les moyens seront mis en place pour atteindre ces cibles. Si la loi fait en sorte que, en raison d’une cible, les mesures nécessaires sont déployées pour atteindre cette cible, je dirais que oui.

La sénatrice Tardif : Vous avez aussi indiqué que c’était difficile pour vous de trouver des programmes qui répondent à vos besoins. Pourquoi? Quelles sont les lacunes présentes à ce sujet?

M. Benedict : Je peux vous donner un exemple.

Nous sommes l’un des organismes chanceux, puisque notre financement est tout de même prévisible pour une période de cinq ans à la fois avec notre bailleur de fonds principal.

Les priorités des communautés évoluent au cours des années. Lorsque nous signons une entente, nous devons répondre à certains critères spécifiques, mais ensuite, après trois, quatre ou cinq ans, si nous voulons axer nos projets sur un sujet en particulier qui représente un besoin dans les communautés, nous ne pouvons plus le faire, parce que nous devons nous plier aux critères spécifiques d’un programme quelconque ou d’une entente quelconque qui a été signée.

Souvent, il n’y a pas d’arrimage entre l’entente initiale ou les programmes initiaux dans lesquels nous pouvons cadrer et les besoins évolutifs des communautés. Selon moi, il s’agit là de la raison principale.

Mme Abdi Aden : Quand les programmes sont développés, ils ne sont pas développés sous une lentille francophone; ils sont développés pour la communauté, pour le Canada. Il n’y a rien qui les oblige à faire cela.

Je vais reprendre le contexte de l’immigration en 2012, une période pendant laquelle nous avons subi beaucoup de changements, mais pour laquelle il n’existait aucune lentille francophone permettant de se poser des questions sur tous ces changements. Par exemple, si on met en place un programme, on peut se demander si ce programme servira aussi aux communautés francophones. Néanmoins, on prend la majorité comme étant l’axe sur lequel les programmes sont définis et les communautés doivent ensuite s’y ajuster. Si ces dernières n’y trouvent pas leur compte, elles seront alors délaissées.

Il faut qu’il y ait une obligation permettant de déterminer que, pour tout programme qui sera élaboré, les ministères seront obligés d’avoir une lentille francophone. Comme disait une collègue du Yukon, ce n’est pas « one size fits all »; cela ne fonctionne pas, puisque nous sommes différents et que nous avons des besoins particuliers qui nécessitent que l’on fasse les choses autrement que pour la majorité. Or, les programmes sont élaborés pour tout le monde au Canada.

La sénatrice Moncion : Je voudrais revenir à ce que vous avez dit tout à l’heure en ce qui a trait au rôle du commissaire aux langues officielles en parlant d’un chef pompier qui doit faire de la prévention.

Vous ne semblez pas beaucoup favoriser l’approche punitive, alors que la majorité des groupes que nous avons rencontrés nous proposent justement d’augmenter les pouvoirs du commissaire aux langues officielles afin d’ajouter des pouvoirs de sanction, des pouvoirs d’imposition, de dommages et intérêts, ainsi que de prévoir des amendes administratives, des sanctions administratives pécuniaires. Ce sont des commentaires que nous avons entendus. Vous semblez toutefois de votre côté avoir une autre vision des choses par rapport à cela, et j’aimerais vous entendre à ce sujet.

M. Benedict : Je ne désirais pas minimiser l’importance des barèmes stricts ou des règles strictes que le commissaire pourrait imposer. Toutefois, selon notre expérience — peut-être parce que nous sommes dans le secteur du développement économique et de l’employabilité —, le seul fait d’imposer des mesures punitives ne semble pas se traduire par plus d’emplois sur le terrain pour les francophones.

C’est pour cela que je trouvais intéressant notre partenariat gagnant-gagnant avec Air Canada. Elle a de son côté besoin de gens bilingues pour pourvoir des postes et afin de répondre à ses obligations et, de notre côté, nous avons des gens dans nos bureaux, dans les provinces, qui sont en mesure de trouver de la main-d’œuvre qualifiée et bilingue pour répondre à ce besoin. À la base, nous n’aurions pas travaillé ensemble; en travaillant ensemble, on fait en sorte que des gens sans emploi se trouvent un emploi et qu’Air Canada réponde à ses obligations. Ce partenariat a engendré des résultats réels; il y a des emplois, et Air Canada participe à nos foires d’emploi à travers le pays pour favoriser le recrutement. Le fait qu’Air Canada écope d’amendes est une chose, mais si on pense à notre mandat de trouver des emplois pour les francophones sur le terrain, cela ne change rien à notre mandat.

C’est pour cette raison que nous voulons vraiment trouver des façons de collaborer avec le secteur privé en général. C’est très difficile pour des organismes communautaires comme les nôtres, étant donné que notre financement est presque exclusivement fédéral, de collaborer avec le secteur privé. Le secteur privé ne voit habituellement pas d’avantage à un tel partenariat et à faire un investissement financier dans un organisme comme le nôtre, mais il y en a un.

Si nous sommes en mesure de faire valoir la plus-value du bilinguisme, que ce soit dans le domaine du tourisme, de l’immigration ou dans un autre domaine, nous pouvons démontrer qu’il y a une valeur pour le secteur privé, et c’est ce qu’on veut mettre de l’avant.

La sénatrice Moncion : En ce qui concerne le rôle du commissaire comme tel, vous en avez davantage parlé comme quelqu’un qui éteint des feux ou qui aurait une approche en amont plutôt qu’une approche réactive. Comme le rôle actuel du commissaire est décrit très clairement dans la loi, j’aimerais également vous entendre à ce sujet, parce que je trouve extrêmement intéressant le rôle préventif qu’il pourrait adopter.

M. Benedict : Je peux peut-être faire un parallèle avec le commissaire à l’éthique. Souvent, le commissaire à l’éthique tape sur les doigts des gens une fois qu’ils ont été attrapés à faire quelque chose de mal. À la base, le commissaire à l’éthique s’assoit avec les gens qui ont certaines responsabilités ou certaines obligations et, avant même qu’ils n’entrent en poste, le commissaire s’assure qu’ils sont plus blancs que neige et que tout est beau. En fin de compte, cela permettra d’éviter des fiascos et des problèmes. Pourquoi le rôle d’un commissaire devrait-il se restreindre à punir ou à attendre que les gens se fassent attraper et ensuite à essayer de corriger la situation au lieu de la prévenir? C’est beaucoup d’argent et beaucoup d’énergie et, au final, cela n’incite pas les gens à respecter la loi. En ayant un rôle de prévention, c’est une autre façon d’aborder le problème. Je ne dis pas qu’il faut exclure le côté strict, mais le côté préventif est vraiment sous-exploré de la part du commissaire.

La sénatrice Moncion : Vous parlez du rôle de prévention, du rôle de chef pompier, mais aussi de votre rôle. Vous pourriez devenir un partenaire du commissaire aux langues officielles pour proposer des solutions en fonction des situations ou des problèmes qui surgissent.

Mme Abdi Aden : Je réfléchis tout haut. Voilà des années que je travaille sur la question de l’immigration, soit à Ressources humaines et Développement des compétences Canada ou ailleurs, à la FCFA. Le Commissariat aux langues officielles a toujours été présent avec le gouvernement fédéral dans ce dossier; cependant, il s’agissait d’un rôle d’observateur. Je suis sûre qu’ils ont observé beaucoup de choses qui ne fonctionnaient pas depuis, car il existe des comités depuis 2002. À part observer, ils n’ont pas d’autres rôles à moins qu’une plainte ait été déposée. On devrait peut-être renforcer ce rôle ou leur permettre, lorsqu’ils observent quelque chose qui ne va pas dans la façon de faire, d’intervenir et de cerner les besoins des communautés. Le gouvernement fédéral et les provinces l’ont fait dans le cadre des ententes fédéro-provinciales, étant donné les dispositions linguistiques qui y sont incluses. L’Alberta participait au dossier, mais elle n’était absolument pas intéressée par la question de l’immigration francophone et se faisait tirer par le gouvernement fédéral. Le commissariat observait la situation, mais les besoins dépassaient la simple observation de sa part. Nous aurions eu besoin d’un mécanisme qui puisse faire ressortir les lacunes et qui propose des façons de faire pour changer les choses. Il y aurait ainsi beaucoup moins de perte de temps dans ce dossier.

La sénatrice Moncion : C’est très bien. Je vous remercie.

La sénatrice Poirier : J’aimerais faire un suivi de la première question posée par la sénatrice Moncion. Si j’ai bien compris, vous avez dit que votre plus grand rôle est de travailler en partenariat avec les entreprises du secteur privé pour vous assurer qu’elles aient accès à des employés bilingues potentiels. On entend souvent dire qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre à travers le pays, surtout en situation minoritaire, soit en éducation, du côté d’Air Canada, dans le domaine du transport en commun, et cetera. Dans les secteurs où vous œuvrez, y a-t-il suffisamment de main-d’œuvre bilingue pour répondre à ces besoins? Y a-t-il plus de demandes que l’offre que vous pouvez fournir? Si oui, de quelle façon cela peut-il être amélioré? Est-ce que les gens vous connaissent et savent ce que vous faites?

Mme Abdi Aden : Nous sommes de petits organismes. Peut-être ne sommes-nous pas connus de tous. Par contre, nous nous servons de plus en plus des nouvelles technologies. Nous avons peu de moyens, mais nous essayons d’utiliser de nouvelles technologies pour favoriser le mariage entre un bassin de candidats en Colombie-Britannique pour répondre à des emplois au Nouveau-Brunswick, par exemple. Pour cela, nous utilisons les communications virtuelles pour nous assurer que tel employeur qui a besoin d’un employé dans tel secteur qui ne se trouve peut-être pas dans sa province soit en mesure de le trouver en Colombie-Britannique où il y a des bassins de francophones bilingues qui souhaiteraient aller travailler dans d’autres provinces. Oui, je crois que dans certains secteurs la main-d’œuvre est disponible. Elle ne se trouve peut-être pas là où est le besoin. Nous devons favoriser ce mariage. Nous avons aussi un volet de recrutement à l’international qui fait en sorte que si nous ne trouvons personne au Canada, nous serons en mesure d’aider ces employeurs à faire du recrutement à l’international. Nous offrons également cette avenue.

La sénatrice Poirier : Répondez-vous aux deux secteurs de façon égale?

Mme Abdi Aden : Nous essayons de répondre aux deux de façon équilibrée. Une des problématiques, c’est que si l’employeur n’est pas satisfait, nous ne le revoyons plus. Nous nous assurons d’avoir des employés qui sont disponibles et qui peuvent satisfaire aux besoins de l’employeur, parce que nous créons des relations avec ces employeurs aussi. Oui, nous travaillons sur les deux facettes.

La sénatrice Poirier : Y en a-t-il un pour lequel vous avez plus de difficulté à répondre à ses besoins?

Mme Abdi Aden : Ceux pour qui nous connaissons des difficultés, ce sont les employeurs. Ce sont de petites entreprises. Elles sont éparpillées et, très souvent, elles n’affichent pas leurs offres d’emploi. Les offres d’emploi se font de bouche-à-oreille. Donc, les petits organismes comme nous ne peuvent pas établir un contact avec l’ensemble des employés. Cela ne touche pas seulement la francophonie, mais tout le marché du travail canadien. Les offres d’emplois ne s’affichent pas. Je vous dirais que 98 p. 100 de nos entreprises sont de toutes petites entreprises. Le chef d’entreprise en parle, mais il n’a pas assez d’argent pour publier toutes ses demandes. Il va peut-être laisser le poste vacant et travailler 50 heures par semaine. Voilà la réalité dans nos communautés, dans les provinces et les territoires.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie.

Le sénateur Maltais : Recadrons-nous sur le sujet de la réforme de la Loi sur les langues officielles. Tout d’abord, madame, je vous invite à communiquer avec le Conseil du patronat du Québec. La ville de Québec connaît un taux de chômage de 3,5 p. 100. Partout, on embauche, on forme des gens, les stages sont payés, et cetera. Il s’agit là d’une pénurie de personnel qui ne s’est pas vue depuis la dernière guerre. Si vous avez du personnel en trop, je vous invite à communiquer avec eux. C’est bon aussi pour les régions de Montréal et de l’Estrie. Elles ont vraiment besoin de travailleurs et de travailleuses, et tous seront très bien accueillis, vous pouvez en être certaine.

Monsieur Benedict, vous avez dit que le commissaire aux langues officielles pourrait être un préventionniste. Le rôle du commissaire aux langues officielles est de faire respecter une loi et non pas de faire des compliments. Si la loi n’est pas respectée, il impose une punition. C’est là le fonctionnement d’un État de droit. Le président de l’Office des transports du Canada a dit à Air Transat qu’elle avait fait erreur en laissant des gens patienter dans deux avions et lui a imposé des amendes, un point c’est tout. Personne n’a joué du violon en s’excusant. Pour moi, le rôle du commissaire est de faire respecter la loi. Si d’autres organismes veulent faire de la prévention, tant mieux.

Je vous entendais parler de votre entente avec Air Canada. J’en suis heureux. Je ne sais si vous avez trouvé beaucoup d’employés. J’avais suggéré à Air Canada d’aller voir le CN, parce qu’il n’a pas de difficulté à recruter des employés bilingues. Nous leur avons posé la question à plusieurs reprises. Si Air Canada a de la difficulté à recruter du personnel, c’est qu’il ne cherche pas à la bonne place. Comme on le dit chez nous, si tu veux ramasser des bleuets, trouve une prairie.

J’essaie de voir comment vous pouvez entrer dans la réforme de cette loi, pour votre bien-être et celui des gens à qui vous offrez des services, et comment nous pourrions appuyer ce genre d’intervention. C’est une question très simple au fond.

M. Benedict : Je comprends bien votre point. Il semble que c’est la portion de mon allocution qui a vraiment accroché. C’est peut-être notre interprétation qui n’est pas correcte, mais l’objet de la loi, actuellement, par rapport aux minorités, est d’appuyer le développement des minorités francophone et anglophone.

En fin de compte, si des mesures uniquement pénales ne favorisent pas le développement de la communauté, est-ce que la loi est respectée? Le but de cette loi est le développement de ces communautés. Donc, ce que nous voulons, au final, c’est voir l’épanouissement de ces communautés. On voit que le taux de bilinguisme au pays est stagnant. Si on regarde les statistiques du dernier recensement, les gens qui deviennent bilingues sont souvent des francophones du Québec qui apprennent l’anglais. Dans le cas des anglophones dans l’ensemble du pays, c’est 9,2 p. 100 des anglophones de langue maternelle qui sont bilingues. C’est donc assez bas.

Le sénateur Maltais : Prenons Air Canada, qui est souvent délinquante. Si le commissaire aux langues officielles examinait les plaintes des passagers et disait à Air Canada 1) qu’elle devrait rembourser les 325 passagers qui étaient à bord; 2) qu’elle aurait une amende de 500 000 $ à payer parce qu’elle n’a pas respecté la Loi sur les langues officielles, pensez-vous qu’Air Canada n’irait pas cogner rapidement à votre porte en demandant du personnel de façon urgente? C’est une action punitive pour faire respecter la loi. Le commissaire a des pouvoirs quasi judiciaires, il peut le faire. Lui seul peut le faire, mais il ne peut pas parcourir le Canada avec Air Canada et lui dire de trouver du personnel bilingue, ce n’est pas son rôle. C’est le rôle d’Air Canada de respecter la loi en trouvant des gens bilingues.

Je crois que le futur commissaire aux langues officielles devra absolument avoir ce maillon de la chaîne entre les mains pour faire respecter la loi, sinon cela va se perdre encore dans les dédales. C’est ce qui se passe depuis 50 ans. On a le même problème depuis 50 ans, avec les mêmes entreprises. Il faut absolument utiliser un bâton pour faire respecter la loi.

Mme Abdi Aden : Cela voudrait dire que le commissaire aux langues officielles doit aussi punir les institutions gouvernementales.

Le sénateur Maltais : Certainement.

Mme Abdi Aden : Je suis d’accord.

Le sénateur Maltais : J’ai posé la même question au président du Conseil du Trésor, et il m’a donné la même réponse que vous. Il m’a dit : « Certainement. » Vous pouvez trouver sa réponse dans la transcription de la réunion.

M. Benedict : Je pense que si on utilise l’approche du bâton, par exemple, il faudrait uniformiser. Si on l’utilise pour le secteur de l’aviation, il faudrait que...

Le sénateur Maltais : Comment pensez-vous qu’on a appliqué la Loi modifiant la Charte de la langue française et la loi 101 au Québec? Avec le bâton. C’est tout ce que les gens comprenaient. Ils l’ont compris, et cela a réglé le problème.

Le président : Merci beaucoup. Cela conclut la séance avec nos témoins. Je tiens à vous remercier sincèrement de vos présentations et de vos réponses à nos questions. Vous avez su illustrer vos arguments avec des exemples très concrets. Nous vous remercions énormément d’être venus nous rencontrer ce soir.

Nous allons poursuivre la séance à huis clos, chers collègues.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Le président : Honorables sénateurs, nous reprenons la séance publique. Nous avons besoin d’une proposition pour que la demande de budget aux fins de l’étude spéciale sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles pour l’exercice financier se terminant le 31 mars 2018 soit approuvée et présentée au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Le sommaire du budget est le suivant. Pour les activités, les audiences publiques et la mission d’information au Manitoba, la somme totale est de 68 000 $.

Le sénateur Maltais : Je propose la motion.

Le président : La motion est proposée par le sénateur Maltais. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Le président : La motion est adoptée. Cela met fin à notre séance de ce soir.

(La séance est levée.)

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