Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 20 - Témoignages du 5 février 2018


OTTAWA, le lundi 5 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1, afin de poursuivre son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour. Je m’appelle René Cormier, je suis sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion de ce soir.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit le deuxième volet de son étude portant sur la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles. Le comité reçoit aujourd’hui des organismes représentant le secteur des arts, de la culture et des industries culturelles de la francophonie canadienne.

Nous avons le plaisir d’accueillir Carol Ann Pilon, directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada, Frédéric Brisson, directeur général du Regroupement des éditeurs franco-canadiens, et Benoit Henry, directeur général de l’Alliance nationale de l’industrie musicale.

Avant de passer la parole à nos témoins, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant à ma gauche.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Merci beaucoup. Madame Pilon, la parole est à vous.

Carol Ann Pilon, directrice générale, Alliance des producteurs francophones du Canada : Bonjour. Tout d’abord, j’aimerais remercier les membres du comité de me donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui et de contribuer ainsi à votre étude sur la Loi sur les langues officielles.

L’alliance que je représente se trouve au cœur de la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire au pays, puisque ses membres produisent chaque jour des émissions de télévision, des documentaires, des séries dramatiques et jeunesses ainsi que d’autres contenus médiatiques qui racontent les histoires de ces communautés. Nos images permettent aux francophones du Canada de se voir à l’écran, de se reconnaître et de forger une identité culturelle distincte qui fait d’eux des membres à part entière de la francophonie canadienne et internationale.

Ainsi, mes commentaires porteront principalement sur les facteurs qui contribuent à la vitalité des communautés francophones au Canada et sur l’importance des productions audiovisuelles dans le développement de communautés contemporaines riches et stimulantes. Je souhaite en particulier discuter de la partie VII de la loi, qui vise la promotion du français et de l’anglais grâce à un ensemble de mesures que le gouvernement fédéral doit mettre en place pour favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones au Canada.

Mon intervention vise à fournir aux membres du comité quelques exemples de mesures positives qui ont eu des effets structurants sur la vitalité des communautés francophones du Canada. Ces mesures devraient servir de source d’inspiration au gouvernement dans le cadre du processus de modernisation de la loi.

Vivre en français dans toutes les provinces du Canada, c’est d’abord et avant tout un projet culturel. En effet, c’est bien par la culture que cette langue française que nous partageons devient une identité particulière, franco-ontarienne, acadienne, fransaskoise, et qui fait que nous ne sommes pas seulement des parlants français étalés d’un océan à l’autre, mais plutôt les représentants de la richesse culturelle de ce pays. Ainsi, comme l’exprimaient déjà en 1949 les auteurs Hédi Bouraoui et Jacques Flamand, nous sommes placés dans un rapport doublement minoritaire par rapport à la majorité anglophone de tout le continent nord-américain, mais également par rapport à la culture francophone québécoise. Pourtant, le choix de vivre en français et la détermination des membres de nos communautés ont permis de développer des expressions culturelles uniques qui sont les reflets de cette identité culturelle distincte.

Tout le réseau des organismes de représentants des arts et de la culture de la francophonie canadienne insiste depuis des années sur ce lien fondamental qui existe entre la langue et la culture. En effet, ce sont bien les pratiques culturelles qui donnent un sens à l’utilisation d’une langue, puisque c’est à travers ces pratiques que nous avons accès à des univers culturels qui nous resteraient étrangers sans la maîtrise de cette langue. Or, c’est aussi dans la fréquentation de ces objets culturels, films, livres, spectacles que nous affinons notre connaissance de la langue, que nous la faisons vivre et que nous développons une appartenance à notre groupe linguistique, ce qui contribue au sentiment de sécurité linguistique.

Cette logique est particulièrement importante dans les contextes minoritaires comme les nôtres, puisque la langue de la majorité est toujours présente et que les produits culturels anglophones exercent une concurrence non négligeable par rapport à la production francophone. Ainsi, les dangers de l’assimilation restent bien réels aujourd’hui dans de nombreuses communautés à travers le pays, spécialement dans le contexte actuel où les jeunes générations parfaitement bilingues consomment massivement les produits culturels anglophones. Dans le secteur médiatique, il va sans dire que cette concurrence entre deux langues et deux univers culturels ne se fait pas à armes égales, puisque nous nous retrouvons en comparaison avec des productions dont les moyens semblent illimités par rapport aux nôtres.

C’est bien pour des raisons de déséquilibre démographiques que le législateur canadien a eu la sagesse de mettre en place un cadre législatif qui puisse permettre aux minorités linguistiques et culturelles de s’épanouir dans ce pays. La Loi sur les langues officielles est une composante majeure de ce cadre législatif qui préserve notre distinction culturelle. La partie VII de cette loi prévoit en effet que des mesures positives seront prises par les différentes institutions fédérales pour favoriser l’épanouissement des communautés.

Or, force est de constater, alors que nous célébrerons bientôt le 50e anniversaire de cette loi, que ces mesures positives sont trop souvent laissées au bon vouloir des dirigeants en place. Une telle situation fait en sorte que les communautés francophones du Canada avancent puis reculent en fonction de la sensibilité des dirigeants qui se succèdent à la tête des institutions fédérales.

Je voudrais vous soumettre ici deux exemples de mesures concrètes dans le domaine de la production médiatique où on ne s’est pas contenté de faire appel à l’ouverture des dirigeants à la cause francophone. Dans ces deux cas, on a plutôt mis en place des barèmes clairs par rapport à l’engagement des institutions envers la production médiatique de la francophonie canadienne.

En effet, depuis 2004, il est entendu dans l’entente de contribution de Patrimoine canadien que le Fonds des médias du Canada doit réserver un minimum de 10 p. 100 de l’enveloppe francophone annuelle à la production de langue française en milieu minoritaire. Une telle mesure a eu des retombées considérables pour le milieu de la production médiatique que je représente. Par exemple, pour la seule année 2015-2016, ce sont près de 29 millions de dollars qui ont été versés à la production francophone, ce qui signifie un grand nombre de contenus médiatiques qui se promènent sur nos écrans en ce moment même pour faire vivre la francophonie canadienne. En complément d’une telle mesure, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes impose à son tour des obligations et quotas aux télédiffuseurs publics et privés du pays, ce qui assure un espace de diffusion à la production canadienne.

Ces deux mesures combinées font en sorte que les histoires de la francophonie canadienne trouvent des producteurs qui ont les moyens de les raconter et des lieux de diffusion pour les faire voir à l’ensemble des Canadiens. Ces deux exemples nous permettent d’illustrer le fait que des mesures positives chiffrées et récurrentes peuvent avoir des effets structurants sur les moyens d’expression dont se dotent les communautés. Il reste que la production francophone en milieu minoritaire représente seulement 4 p. 100 de la production francophone totale au pays, bien en deçà de son poids démographique. Nonobstant la nécessité de remédier à cet écart, nous pensons qu’il y a là un modèle qui devrait éventuellement être étendu à d’autres agences de soutien aux arts et à la culture.

En parallèle de ces mesures contraignantes, des mesures incitatives nous semblent également avoir permis d’obtenir de très bons résultats. Cela a été le cas, par exemple, avec le Partenariat interministériel avec les communautés de langue officielle (PICLO), géré par le ministère du Patrimoine canadien de 2000 à 2008. Ce programme permettait aux institutions fédérales d’obtenir des fonds correspondant à leurs propres investissements dans des programmes de soutien aux communautés.

Dans le domaine de la production médiatique, cela a donné lieu à plusieurs initiatives fort intéressantes. Par exemple, l’Office national du film avait alors créé le concours Tremplin qui permettait à de jeunes réalisateurs de la francophonie d’écrire et de réaliser leur premier film, alors que Téléfilm Canada avait développé une offre de formation en fiction destinée au milieu de la production médiatique en contexte minoritaire. Malheureusement, la fin du programme a signifié la fin de certaines initiatives, mais elles auront tout de même eu un effet structurant. En guise d’illustration, pour la première fois dans toute notre histoire, quatre séries dramatiques ont vu le jour en un seul exercice financier au cours de la dernière année. Par ailleurs, l’APFC a accueilli six nouveaux membres en 2017-2018, ce qui prouve encore une fois l’importance d’une action prolongée pour favoriser le développement des communautés.

Ces exemples démontrent clairement que le renforcement des obligations des institutions donne des résultats. Ainsi, nous pensons qu’il est nécessaire, dans le cadre d’une révision de la loi, de renforcer le cadre obligatoire actuel des institutions fédérales de manière à ce qu’elles soient tenues à des obligations plus concrètes envers les communautés. Alors que ces institutions demandent perpétuellement à de petits organismes comme celui que je représente de démontrer les impacts de leurs actions sur le développement des communautés, il semble à tout le moins équitable qu’elles s’en tiennent aux mêmes normes en ce qui a trait à leurs propres actions.

La Loi sur les langues officielles est un élément central de la vie culturelle dans ce pays. C’est grâce à ce cadre législatif que le Canada a pu préserver et développer une distinction culturelle qui constitue l’essence même de ce pays. Ce caractère culturel particulier contribue chaque jour à enrichir la vie des Canadiens, tout en cultivant une image singulière de notre pays sur la scène internationale. Ainsi, dans la préparation de la prochaine mouture de la loi, le gouvernement canadien ne devrait pas oublier que le caractère bilingue et biculturel du pays constitue l’un de ses atouts majeurs et qu’il demeure plus important que jamais d’en faire la promotion à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières. Les arts et la culture, plus particulièrement la production médiatique contemporaine, constituent en ce sens des cartes de visite exceptionnelles. L’économie effervescente qui se développe en ce moment dans ces secteurs ne peut que contribuer favorablement aux objectifs de la politique culturelle et internationale du gouvernement canadien. Ainsi, les institutions fédérales de soutien aux arts et à la culture doivent prendre toute la mesure du potentiel exceptionnel que représentent nos productions et nous aider à en faire la promotion sur tous les marchés.

Frédéric Brisson, directeur général, Regroupement des éditeurs franco-canadiens : Bonjour, monsieur le président. Merci de m’avoir invité à témoigner devant votre comité aujourd’hui. Je représente le Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC). Nous sommes un organisme qui réunit 17 maisons d’édition actives partout au pays : 4 en Acadie, 9 en Ontario et 4 dans l’Ouest canadien. Ces maisons d’édition sont au cœur des réseaux littéraires de leurs communautés. Elles permettent non seulement à l’ensemble des communautés de lire des ouvrages de partout, mais aussi aux auteurs qui fréquentent les écoles et institutions culturelles de leur région d’être créateurs et actifs sur la scène littéraire.

Attendu que le Regroupement des éditeurs franco-canadiens et ses membres partagent une vision commune de l’identité canadienne où, en plus des Premières Nations, deux cultures fondatrices se sont établies d’un bout à l’autre du pays, se sont développées et continuent de représenter des piliers essentiels de la construction du pays; que le REFC et ses membres sont convaincus que toutes les communautés francophones à travers le pays, incluant celles en situation minoritaire, contribuent activement à l’expression et la vitalité d’un espace culturel francophone qui ne se limitent pas au Québec français et doivent être soutenues par les institutions culturelles fédérales comme composantes indispensables de la réalité canadienne; que l’objectif du REFC est que la culture francophone soit omniprésente dans ses diverses manifestations à la grandeur du Canada et puisse compter sur un bassin d’artistes, un réseau d’entreprises et d’organismes culturels, un public et des marchés à travers les communautés; et que le REFC reconnaît l’apport crucial de la Loi sur les langues officielles sur l’identité canadienne et prend acte de la volonté du Comité sénatorial permanent des langues officielles de se pencher sur la révision de la loi, notamment la partie VII, qui touche plus directement les obligations des institutions fédérales — je vais me baser sur quelques questions faisant partie du mandat du comité —, les institutions fédérales reconnaissent-elles suffisamment l’importance de valoriser les deux langues officielles? Les mesures prises par les institutions fédérales contribuent-elles à assurer le développement et à favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire? Aurait-il lieu de renforcer les mécanismes de consultation auprès des communautés de langue officielle? Faudrait-il adopter un cadre réglementaire pour encadrer la mise en œuvre de la partie VII de la loi?

À l’égard de ces questions qui touchent le cœur des activités du REFC, puisque nous sommes sur le terrain, nous souhaitons un engagement ferme envers un véritable épanouissement des communautés et une collaboration plus en amont entre les institutions fédérales et les organismes des communautés de langue officielle. Pour ce qui est d’un engagement ferme envers un véritable épanouissement des communautés, la partie VII de la loi indique que le gouvernement s’engage « à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones » et que la ministre du Patrimoine canadien est chargée de susciter et d’encourager la coordination de la mise en œuvre de la loi. On y lit également ceci :

Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement.

Au milieu des années 1990, il y a eu une véritable volonté politique de mettre en œuvre ces engagements. Premièrement, il y a eu l’Entente multipartite entre la FCCF, le ministère du Patrimoine canadien et les institutions fédérales comme le Conseil des arts du Canada et Radio-Canada. Cette entente a été très productive et structurante. Deuxièmement, tel que l’a mentionné Mme Pilon, il y a eu le PICLO, une autre initiative de la même eau, qui témoigne du fait que, lorsque la bonne volonté est présente et que le dialogue est instauré, des retombées significatives en découlent. Par exemple, le Prix des lecteurs de Radio-Canada est issu directement de ce dialogue et de la volonté de réalisation parmi les acteurs.

Vingt ans plus tard, cela s’essouffle un peu. Le dialogue reste, mais l’engagement concret s’est un peu effrité. Il y a eu le Plan d’action pour les langues officielles, établi lorsque Stéphane Dion était ministre du Patrimoine canadien en 2003. Ensuite, il y a eu la Feuille de route pour la dualité linguistique canadienne en 2008 et la Feuille de route pour les langues officielles en 2013. Nous attendons en ce moment un plan d’action pour les langues officielles en 2018. Ce sont là des initiatives structurantes dont il faut reconnaître l’impact. Lorsqu’on parle de Patrimoine canadien comme d’un organisme qui suscite et encourage les effets de la loi, on peut y voir un bras armé permettant la mise en œuvre de cette loi.

Cependant, cet effort doit s’accompagner d’un engagement important pour qu’il y ait des suites. Un engagement politique manifeste, tant en matière de discours que de moyens financiers, donnera le ton à l’ensemble des institutions fédérales qui en suivront le mouvement.

Nous avons senti un certain étiolement à ce chapitre au cours des 10 dernières années. Ce n’est pas la faute d’individus en particulier, mais plutôt d’un mouvement à moyen terme qui pourrait être contré par une volonté plus engagée, soit de la part de Patrimoine canadien ou exprimée dans la loi. C’est ce qui nous amène ici aujourd’hui. Au-delà des régimes politiques qui se succèdent et qui vont continuer de le faire au fil des ans, la loi est un engagement plus ferme et durable. Lorsque la loi a du mordant, lorsqu’elle suscite des engagements plus concrets et une reddition de comptes plus ferme, l’appareil gouvernemental suit la marche. Le travail que vous faites en ce moment est absolument essentiel pour la suite des choses, puisqu’il va donner le ton pour les 20 à 40 prochaines années. Cela ne doit pas être négligé du tout. Bien au contraire, il y a de réels impacts qui découlent de l’inscription dans la loi d’une reddition de comptes et d’une réglementation également, qui sont, au sens du Regroupement des éditeurs franco-canadiens, essentielles.

Deuxièmement, il y a la question de favoriser une collaboration plus en amont avec les organismes des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Dans le cadre des relations que nous entretenons sur le terrain avec certaines des institutions fédérales comme le Conseil des arts du Canada, Radio-Canada ou le Fonds du livre du Canada — je parle ici, évidemment, du domaine de l’édition —, nous notons certains événements qui nous font craindre un relâchement de l’engagement de ces institutions fédérales envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Je vous donne un exemple tout simple : le Conseil des arts du Canada administre un fonds pour les langues officielles dont l’enveloppe budgétaire provient de Patrimoine canadien. Ce fonds est géré de façon discrétionnaire par le Conseil des arts du Canada de façon à répondre aux besoins perçus sur le terrain. Il s’agit d’un fonds à hauteur de 800 000 $, incidemment, soit 400 000 $ pour les communautés de langue française et 400 000 $ pour les communautés de langue anglaise. Du point de vue du REFC, en l’absence de règles claires sur le processus d’attribution de cette enveloppe, cela se traduit par un flou. Depuis plusieurs années, une part modeste de ce fonds, à hauteur de 15 000 $, est versée au RECF vers le mois de janvier, sans qu’on puisse savoir si la somme est récurrente, si elle sera augmentée l’année suivante ou si elle sera coupée.

D’ailleurs, cette année, avec la refonte des programmes du Conseil des arts qui a adopté une approche non disciplinaire, il est encore plus difficile de savoir qui sont les gens, au Conseil des arts du Canada, qui décident de l’attribution de ces sommes et qui s’assurent qu’elles correspondent aux besoins, et même de savoir comment ces sommes sont dépensées, puisque cela semble déborder du cadre des nouveaux programmes.

En somme, alors que le Fonds pour les langues officielles se veut un outil de développement pour des organismes de la communauté, son utilisation ne s’avère pas aussi structurante qu’elle le pourrait, et la collaboration avec les organismes sur le terrain pourrait se faire beaucoup plus en amont et avec plus d’efficacité puisque, au fond, ne sachant pas pourquoi ces sommes sont attribuées ni comment elles le sont, les résultats qui en découlent sont difficilement mesurables ou structurants pour la communauté. Certes, nous tenons à ces sommes, mais nous voudrions savoir comment faire alliance avec les institutions fédérales pour que les projets soient structurants, novateurs et sortent un peu du cadre habituel, afin d’avoir une marge de manœuvre qui nous amènerait plus loin au lieu de rester dans les voies habituelles.

Sur un autre registre, nous tenons à souligner également l’attention de plus en plus grande apportée à la diversité culturelle et à l’équité par des institutions comme le Conseil des arts du Canada et le Fonds du livre du Canada. Ici, c’est un terrain un peu plus glissant; cette sensibilité accrue à la réalité de l’ensemble des minorités canadiennes est certes fort louable, des Premières Nations aux minorités visibles, en ajoutant à cela les personnes qui souffrent d’un handicap physique, la communauté LGBTQ2, et j’en passe. Nous sommes très solidaires de l’attention portée à l’ensemble des minorités de la société canadienne.

Il y a malgré tout des effets inattendus qui découlent de cette ouverture, ce que je pourrais appeler un « aplatissement » dans les formulaires : si, à la fin du formulaire, la majorité de la population peut cocher qu’elle appartient à une minorité pour une raison ou une autre, qu’elle soit issue d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire, qu’elle appartienne à une Première Nation, ou encore, qu’elle souffre d’un déficit, et cetera, au final, il y a un effet statistique à cela qui s’applique à tout le monde, mais qui ne rend justice ni aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, ni à la communauté LGBT qui s’est beaucoup battue pour faire avancer les choses, ni aux Premières Nations qui connaissent leurs propres défis, ni aux personnes handicapées qui ont des défis chaque jour qui sont très différents de ceux des gens des communautés de langue officielle en situation minoritaire et des autres. Chacun a ses propres défis qui doivent être analysés et pour lesquels il doit y avoir des projets qui correspondent aux besoins de ces communautés, plutôt que d’être mis dans un fourre-tout, un grand sac qui a pour objet de permettre aux gestionnaires des institutions fédérales de dire qu’ils sont à l’écoute des minorités, alors que, au fond, on a un ensemble de statistiques qui n’aident pas les communautés et les organismes qui sont sur le terrain et qui sont au courant des besoins et des défis qui se présentent à mettre sur pied des projets structurants et porteurs pour l’avenir.

On sent que, sur le terrain, cela s’est un peu estompé au cours des 10 dernières années. À notre avis, dans le cadre de l’étude sur la Loi sur les langues officielles, un meilleur processus de reddition de comptes et une réglementation plus adéquate, qui seraient incorporés à la partie VII de la loi, nous permettraient de nous assurer que le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire soit plus harmonieux, plus en phase avec l’ensemble des besoins, et serait donc plus porteur et gagnant pour l’ensemble de la société canadienne.

Je vous remercie.

Benoit Henry, directeur général, Alliance nationale de l’industrie musicale : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de venir vous présenter les réflexions qu’a suscitées l’appel du greffier du comité dans mon cas.

Je vais prétendre qu’il y a encore, dans certaines institutions fédérales, des manières d’échapper à la loi ou de ne pas la respecter dans son esprit. Je vais vous parler des mesures positives d’une part, et aussi de l’obligation liée à la consultation d’autre part, et cela concerne la question de ce qui existe dans la loi qui devrait être renforcé ou mieux appliqué. La loi comporte un certain nombre de choses qui, si elles étaient mises en œuvre de façon intégrale, nous permettraient de faire avancer la cause des communautés de langue officielle.

Le troisième élément que j’aimerais aborder, c’est la question de la compétence à l’égard de l’infrastructure de gestion communautaire qui existe dans nos milieux. De la même façon que pour le droit à l’éducation, la question se pose pour le droit à la culture : ne devrait-il pas mener à une reconnaissance? De la même façon que, par exemple, les commissions scolaires ont un droit reconnu de gestion scolaire, est-ce que notre milieu communautaire ne devrait pas obtenir dans la loi une reconnaissance qui lui permette de jouer pleinement son rôle de gouvernance dans nos milieux?

En ce qui concerne la première question, la question des mesures positives, un certain nombre d’institutions fédérales — j’en nommerai une seule, le Conseil des arts du Canada — réussissent à échapper à cette question, parce que certains principes de base, comme la reconnaissance de l’excellence et le jugement des pairs, font en sorte que le Conseil des arts, en appliquant de façon intégrale ce principe, nuit ou ne prend pas de mesures positives pour les communautés francophones et acadiennes. On le comprend de toutes sortes de manières. Cela se traduit aussi de toutes sortes de manières. Il y a des disciplines distinctes, comme les arts médiatiques. Pourquoi est-ce que ce sont Vancouver, Montréal et Toronto qui raflent la plus grande part du gâteau? C’est bien simple, c’est parce qu’il y a des infrastructures qui soutiennent l’application des arts médiatiques dans les grandes villes. Nos communautés sont en milieu beaucoup plus rural, et ne disposent pas des infrastructures nécessaires — je parle de studios, de ce qui permet de réaliser. Bref, l’application de l’excellence fait en sorte qu’on ne reconnaît pas l’excellence dans nos milieux. On reconnaît l’excellence au niveau national.

L’exemple de la musique est assez éloquent. La principale expression en musique, dans les communautés francophones et acadiennes, c’est la chanson. Cependant, à côté de l’art noble de la musique classique, la petite chanson dans nos communautés n’est jamais assez excellente pour recevoir l’appui de mes pairs. Moi-même, je subis en ce moment des difficultés avec le Conseil des arts du Canada, et je l’ai un peu sur le cœur. Quand on me dit que l’excellence n’est pas au rendez-vous, je m’excuse, mais dans mon milieu, l’excellence est au rendez-vous. Le jugement des pairs... Qui sont mes pairs? Je suis de l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM) et je travaille avec des artistes et des gérants, des professionnels qui crèvent de faim. Le jury de pairs qui va évaluer ma demande, c’est, notamment, l’Orchestre symphonique de Vancouver et des institutions comme celle-là. Comment voulez-vous gagner? Grâce à ce principe, le Conseil des arts du Canada ne remplit pas le rôle qu’il devrait jouer ou ne répond pas de façon satisfaisante à ce qui est inscrit dans la loi en ce qui a trait aux mesures positives.

Il y a aussi les fondements de l’obligation de mener des consultations. En fait, j’évoque ici une étude de l’Université d’Ottawa réalisée en 2002. Ce sont des juristes, Mark Power, Perri Ravon et David Taylor, de Juristes Power, qui ont produit une étude d’impact de l’obligation des institutions fédérales de consulter les communautés de langue officielle en situation minoritaire. L’étude est affichée sur le site web de l’université. Je pourrais vous la transmettre. J’en cite un court passage :

Bien que l’article 41 ne fasse pas expressément référence à un devoir de consultation du gouvernement vis-à-vis les CLOSM, il existe plusieurs arguments juridiques convaincants à l’effet que les obligations prévues à l’article 41 exigent une telle consultation.

Est-ce qu’on laissera encore les tribunaux décider? Il y a beaucoup de causes de jurisprudence, comme l’affaire Desrochers, il y a quelques années. De nombreuses décisions de jurisprudence existent quant à l’obligation de consulter. Toutefois, ce n’est pas clairement inscrit dans la loi. Ce devrait sans doute l’être.

De plus, il reste certaines zones où ce devoir de consultation n’est pas respecté comme il se doit et crée des préjudices à nos communautés francophone et acadienne. Patrimoine canadien ne reconnaît pas le CRTC comme une institution qui offre des programmes et des services, mais il est de nature quasi judiciaire et prend des décisions qui touchent constamment nos communautés de toutes sortes de manières. Depuis quelques années, soit en 2012-2013, le CRTC a été désigné institution fédérale en vertu de la Loi sur les langues officielles, et un comité de travail est devenu un comité de discussion. Il a mis en place un plan d’action pour les langues officielles. Il travaille beaucoup plus en amont quand vient le temps de nous informer des avis et des audiences qui auront lieu, mais nous sommes un petit groupe de 10 personnes et nous sommes à peu près les seuls à être informés. Je ne pense pas que la communauté acadienne soit au courant des audiences qui peuvent la concerner ni de l’existence de ces audiences. Le CRTC a l’obligation, en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, d’aviser le public concerné dans les grands journaux. Est-ce qu’il y a une seule fois où le CRTC a diffusé une annonce pour nous informer d’une audience dans les journaux locaux ou à la radio communautaire à travers le pays? Même si le CRTC a accepté d’être désigné — il n’avait pas le choix d’être désigné en vertu de la Loi sur les langues officielles —, il a pris un certain nombre de mesures, mais encore aujourd’hui, il y a des choses qui ne tiennent pas.

L’ANIM, par exemple, avait été en audience publique en 2012 au moment où Sirius a fait une transaction importante qui allait avoir un impact sur le développement du contenu canadien, qui fait en sorte que les radios et télédiffuseurs doivent contribuer en versant des pourcentages dans un fonds comme Musicaction, FACTOR, le Fonds canadien de la radio communautaire. J’ai participé aux audiences qui ont duré un certain nombre de jours, pour ne pas dire de semaines... Bref, on a abordé la question des problèmes liés aux obligations de consultation qui doivent être renforcées, à mon avis.

Enfin, on a tout un réseau qui joue un rôle au sein des communautés qui, souvent, s’apparente à celui du pouvoir municipal. J’ai aussi été directeur, dans une autre vie, du Carrefour de l’Isle-Saint-Jean. Où trouvait-on le plus de livres? C’est à la bibliothèque du Carrefour de l’Isle-Saint-Jean. Où pouvait-on assister à des pièces de théâtre en français, à des prestations musicales en français? Au Carrefour de l’Isle-Saint-Jean. Le droit à la culture, qui n’est peut-être pas enchâssé dans la Constitution du Canada de la même manière qu’on a enchâssé le droit à l’éducation en français dans nos communautés, mérite qu’on se pose la question suivante : ne pourrait-on pas réfléchir à la façon dont on pourrait intégrer cette notion d’habileté, de capacité, c’est-à-dire le fait de rendre une personne ou un groupe juridiquement apte à entreprendre des décisions? Comment la loi pourrait-elle permettre cette chose? En fait, est-ce possible?

Merci.

Le président : Merci à vous trois. Nous passerons maintenant à la période des questions.

La sénatrice Mégie : Merci à vous trois de vos présentations et d’avoir soulevé des points cruciaux.

Madame Pilon, j’aimerais vous parler de l’influence du virage numérique à l’heure actuelle. Vous l’avez dit, cela représente un danger en ce qui a trait aux contenus canadiens. Pour faire face à ces défis, il faut une participation financière. D’après ce que M. Brisson a affirmé, au cours des 10 dernières années, il y a eu un effritement en matière d’attribution des fonds.

Avez-vous déjà réfléchi à la manière dont on pourrait relever ces défis et à la façon dont la Loi sur les langues officielles pourrait vous aider à cet égard?

Mme Pilon : À l’heure actuelle, le gouvernement a annoncé qu’il réviserait la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les télécommunications. Nous croyons catégoriquement qu’il faut passer par ces deux lois pour être en mesure de changer la façon dont le contenu canadien est soutenu au Canada. Parce qu’en ce moment, si on n’apporte pas de changements importants à ces deux lois, on risque d’effriter tout le travail qui a été réalisé au fil des années, et notre souveraineté en ce qui a trait à la radiodiffusion au Canada.

Bien sûr, la Loi sur les langues officielles peut renforcer les mécanismes que ces deux lois adopteront. Puisque le CRTC a certaines obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles, il doit montrer qu’il a pris des mesures concrètes. Le CRTC est aussi assujetti aux mesures positives et il doit consulter les communautés avant de prendre des décisions qui pourraient avoir un effet néfaste sur les communautés. Cela dit, le FAPL a tout de même été aboli. Bien que les communautés se sont ralliées derrière la nécessité de ce programme, il reste que le CRTC a tout de même pris cette décision.

Il y a des limites en ce qui concerne la loi. Une plainte a déjà été déposée auprès du commissaire aux langues officielles. Finalement, la plainte n’a abouti nulle part, parce que le commissaire n’avait pas, je crois, la capacité de tenir le CRTC responsable de ses obligations. Je crois qu’il faut définitivement renforcer le mécanisme lié aux pouvoirs du commissaire aux langues officielles afin qu’il puisse exiger que les institutions qui sont assujetties aux lois en respectent le cadre.

Je sais que je m’éloigne un peu du numérique, mais si tout cela n’est pas arrimé de façon à ce qu’on utilise la lentille de la langue officielle lorsqu’on regarde les autres lois de ce pays, on avance, on recule, on avance et on recule. Ensuite, il faut se battre, il faut se battre, il faut se battre. Sachez que les petits organismes comme le nôtre qui doivent aller au tribunal, qui doivent faire des représentations... Vous regardez le bureau de l’APFC en ce moment, il est ici à votre table. Il est sûr qu’on intervient, qu’on aime être consulté dans ces processus, mais en même temps, je pense que le gouvernement a la responsabilité de s’assurer que les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont protégées quand les changements sont imminents.

La sénatrice Mégie : Si je comprends bien, cela passerait aussi par le fait de donner plus de pouvoir au commissaire aux langues officielles.

Mme Pilon : Oui. Cependant, en même temps, cela doit passer par une plainte, et nous, nous voulons que les mesures soient positives avant que la plainte soit envisagée. Si on n’a pas le choix, par contre, on aimerait qu’il ait le pouvoir d’imposer des changements et des modifications et de revenir sur des décisions qui ne respectent pas l’esprit de la loi.

Le sénateur Maltais : Bienvenue à vous trois et merci d’avoir témoigné avec autant d’éloquence et de passion. J’aimerais vous parler du Conseil des arts du Canada, entre guillemets. Quelle est son efficacité pour les francophones hors Québec?

M. Henry : On dispose de chiffres qui sont un peu vieillots. La Fédération culturelle canadienne-française a publié, il y a quelques années, un document titré Chiffres à l’appui. Il a été un peu difficile à obtenir. Les chiffres sont très en deçà de notre poids démographique. Il faut le dire, il y a toute la question de l’application du principe de l’excellence, qui fait en sorte que l’écart s’observe entre les milieux urbains et les milieux ruraux.

J’ai fait de petits calculs il y a environ deux ans, et j’en suis arrivé à la conclusion que, par personne, les Québécois sont deux fois mieux financés que le Nouveau-Brunswick. C’est du simple au double.

Le sénateur Maltais : Lors du dernier Congrès acadien qui a lieu à Edmundston, un petit groupe de sénateurs francophones et moi nous sommes permis de faire la tournée du Nouveau-Brunswick francophone pour assister à des pièces de théâtre, entre autres, toujours dans le cadre du Congrès acadien. Nous avons vu des chansonniers et de petits orchestres symphoniques également. Nous avons eu des discussions fort intéressantes avec les artistes, mais lorsqu’on leur parlait du Conseil des arts, c’est comme si nous avions parlé espéranto. Ils nous demandaient de quelle planète nous venions. Le Conseil des arts n’est pas très célèbre chez les minorités francophones de Shediac, ni à l’Île-du-Prince-Édouard, ni à Terre-Neuve, ni à Vancouver, Victoria, Calgary ou Winnipeg.

Comment se comporte Radio-Canada avec les minorités francophones? Y a-t-il eu une amélioration depuis que le gouvernement lui a octroyé 875 millions de dollars — 75 millions cette année et 150 millions dans les années à venir? Avez-vous pu profiter de quelques retombées que ce soit?

Mme Pilon : Je peux vous dire que la relation avec Radio-Canada n’a jamais été aussi bonne qu’elle l’est en ce moment.

Le sénateur Maltais : D’accord.

Mme Pilon : Il faut également comprendre le fait que Radio-Canada sera en processus de renouvellement très bientôt.

Le sénateur Maltais : Mais en termes de dollars, que recevez-vous de plus depuis un an?

Mme Pilon : J’aimerais bien vous le dire, mais cela prendrait des chiffres, des données auxquels nous ne pouvons avoir accès sans en obtenir la permission du CRTC auprès de Radio-Canada.

Le sénateur Maltais : Les communautés francophones en situation minoritaire croient également qu’on parle espéranto lorsqu’on parle de Radio-Canada. Radio-Canada va-t-elle couvrir l’Ouest canadien, l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse? Quelle est l’implication de Radio-Canada dans la culture francophone hors Québec? Avez-vous remarqué une amélioration en termes de services ou de dollars?

Mme Pilon : Les nouvelles, c’est une chose. La couverture médiatique, c’est une chose. Le déclenchement de la production indépendante, c’est autre chose. On parle de deux choses différentes. En ce qui concerne la production indépendante, je peux vous dire que les choses vont tout de même bien.

Le sénateur Maltais : Qu’allez-vous produire de plus que l’année dernière?

Mme Pilon : Deux dramatiques ont été lancées par Radio-Canada en Acadie cette année, avec un producteur indépendant unique. Cela ne s’est jamais vu.

Le sénateur Maltais : D’accord.

Mme Pilon : Radio-Canada a toujours lancé des productions en coproduction en ce qui a trait à la série dramatique, soit en coproduction avec le Québec. C’est la première fois, cette année, en 2017-2018, qu’on a deux productions indépendantes francophones en série dramatique en Acadie. Cela ne s’est jamais vu.

Concernant nos rapports, ils se sont renforcés. Des mesures ont été prises. M. Brisson a d’ailleurs parlé de l’Entente multipartite pilotée par la FCCF et dont nous sommes membres. Il y a des groupes de travail qui découlent de cette entente, ce qui fait que l’APFC se réunit avec Radio-Canada, l’ONF, Téléfilm Canada, le Fonds des médias du Canada, et Patrimoine canadien pour discuter.

En novembre dernier, on a reconnu qu’il était très difficile de lancer le développement de longs-métrages au sein de la francophonie. Les gens de Radio-Canada nous ont dit qu’ils n’investissaient plus depuis longtemps dans le développement de longs-métrages, mais ils nous ont promis d’en parler à leur équipe et de nous revenir. En janvier, nous avons tenu un colloque de deux jours à Winnipeg et, à ce moment-là, Radio-Canada a annoncé au groupe qu’elle allait réinvestir dans le développement de longs-métrages. Donc, les mécanismes dont on parle fonctionnent, ils donnent des résultats.

Le sénateur Maltais : Vous travaillez dans le domaine des communications. Au Québec, Radio-Canada n’a pas la cote. Pourquoi? Parce qu’elle n’informe pas les Québécois de ce qui se passe dans la francophonie. Jamais. Si vous écoutez Le Téléjournal de 22 heures, la francophonie hors Québec n’existe pas pour eux. On a bien entendu parlé du Nouveau-Brunswick lorsque deux policiers se sont fait abattre, mais sans plus.

Les francophones du Québec ne sont pas des ignares, ils aiment savoir ce qui se passe dans la francophonie canadienne, ils veulent mieux la connaître. À l’Île-du-Prince-Edouard, nous avons entendu des musiciens et des chanteurs extraordinaires. J’aimerais avoir une réponse de la part de Radio-Canada. Qu’est-ce qu’elle fait à l’extérieur du Québec pour nous informer de l’état de la francophonie?

M. Brisson : Dans le sens où vous allez, on a pu trouver des lacunes dans la couverture de Radio-Canada et, inversement, avec le Conseil des arts ou avec d’autres institutions fédérales. Il y a des lacunes, mais ce n’est pas tout noir ou tout blanc. On peut trouver des contre-exemples où Radio-Canada parle de Radio Radio, de Damien Robitaille ou de Georgette LeBlanc, qui est devenue poète officielle du Canada. Cela dépend des personnes. On a une bonne écoute de la part de certaines personnes dans les groupes de travail ou grâce à l’Entente multipartite. Cependant, il y a un effet sociologique qui résulte du fait que le siège social de Radio-Canada est à Montréal ou que le Conseil des arts est à Ottawa ou que d’autres institutions sont à Toronto, ce qui fait que les gens dans les équipes éditoriales ont souvent tendance à se connecter à leurs amis ou aux amis des amis ou avec une certaine esthétique montréalaise ou ottavienne ou torontoise, et les gens qui habitent la Saskatchewan, le Manitoba ou le Nouveau-Brunswick finissent par être désavantagés structurellement parlant.

Ce n’est pas nécessairement par mauvaise volonté de la part des gens de Radio-Canada à Montréal. Ils n’ont tout simplement pas l’équipe éditoriale pour aller plus loin, d’où la nécessité de prévoir des mesures structurantes. La nature humaine nous pousse toujours à aller vers ce qu’on connaît, et il faut des mesures — comme un tuteur avec la plante pour l’amener plus loin et rester droite — pour nous assurer de rester ouverts à ce qui se passe ailleurs aussi.

Le sénateur Maltais : Vous allez trouver des alliés, parce qu’au Québec, Radio-Canada est très « montréalisée » et que le reste de la province ne l’intéresse pas. Aux yeux de Radio-Canada, le Plateau, c’est Montréal, et le reste du Québec n’existe pas. Des endroits comme Sherbrooke, Québec, Chicoutimi, Lac-Saint-Jean, Baie-Comeau, Matane, Rimouski, Gaspé, Rouyn-Noranda, La Sarre, tout cela est inconnu et n’existe pas. Ils ont cette culture selon laquelle l’île de Montréal, toute petite soit-elle, possède la vérité francophone. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les Québécois en ont contre Radio-Canada.

Le président : Merci beaucoup, sénateur Maltais. Je vois que le temps file et que d’autres sénateurs veulent poser des questions.

Le sénateur McIntyre : Chose certaine, la Loi sur les langues officielles, telle qu’elle est rédigée actuellement, n’est pas efficace pour lutter contre l’assimilation linguistique et culturelle des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Voilà pourquoi, comme l’a mentionné M. Brisson, il est nécessaire de modifier certaines parties de la loi, notamment la partie VII. Il est clair qu’il faudra y inclure des mentions relatives aux arts et à la culture.

Vous nous avez fait part de vos préoccupations. Ma question est la suivante. Vos organismes revendiquent l’appui au développement des infrastructures, l’assurance d’un financement stable, l’animation culturelle dans les écoles, la formation des artistes, l’utilisation des nouvelles technologies, le rayonnement des activités culturelles et artistiques en français, le réseautage, et j’en passe. Quelles seraient vos principales revendications? Est-ce qu’elles concernent davantage certains constats ou tous ceux que j’ai énumérés?

M. Brisson : Je dirais que c’est plutôt l’ensemble des constats. Vous dressez une liste très intéressante et non exhaustive.

Pour ma part, il est clair que le dénominateur commun, c’est d’offrir toutes les conditions possibles à l’épanouissement des communautés francophones en situation minoritaire. Donc, c’est tout ce qui touche la communauté de près, que ce soit les écoles, les bibliothèques, les centres culturels ou les organismes qui gravitent autour. On peut dire que ce sont des institutions essentielles à l’autonomie des communautés. Souvent, on constate que certaines communautés se sentent isolées parce qu’elles n’ont pas accès aux mêmes outils culturels que les communautés en situation majoritaire. Il s’agit d’aller au-delà du nombre afin d’offrir aux gens des institutions de qualité, dont ils peuvent être fiers.

La sénatrice Gagné : Je vous remercie de vos témoignages. Comme l’a mentionné le sénateur Maltais, vous vous exprimez avec passion et conviction.

Étant donné que le comité étudie les façons de moderniser la Loi sur les langues officielles, j’aimerais explorer les moyens par lesquels nous pourrions favoriser les arts et la culture, parce que c’est votre domaine et parce que cela se fait par l’entremise d’une loi.

Mis à part la Loi sur les langues officielles, la ministre du Patrimoine canadien est responsable de l’application de plusieurs autres lois, notamment la Loi sur l’activité physique et le sport, dont j’aimerais vous lire le préambule :

Attendu :

que le gouvernement fédéral reconnaît que l’activité physique et le sport font partie intégrante du mode de vie des Canadiens et de leur culture et procurent des avantages sur les plans de la santé, de la cohésion sociale, de la dualité linguistique, de l’activité économique, de la diversité culturelle et de la qualité de vie;

qu’il désire sensibiliser davantage la population canadienne aux bienfaits considérables de l’activité physique et de la pratique du sport;

qu’il désire encourager et aider les Canadiens à augmenter leur niveau d’activité physique et leur participation à des activités sportives;

qu’il entend promouvoir l’activité physique et le sport dans le respect des principes énoncés à la Loi sur les langues officielles;

qu’il désire encourager, en vue de promouvoir l’activité physique et le sport, la coopération entre les différents ordres de gouvernement, le secteur privé et les milieux de l’activité physique et du sport [...]

Ma question concerne le droit à la culture dont vous avez parlé plus tôt. Est-ce que nous serions mieux servis avec une loi similaire qui favoriserait les arts et la culture? Ces principes devraient-ils se retrouver dans une loi sur les langues officielles avec une section spécifique concernant les arts et la culture dans les deux langues officielles?

M. Henry : Je vous dirais que oui. Un tel énoncé pourrait certainement être inséré dans une loi sur les langues officielles, tout en déclarant que cette caractéristique canadienne, celle d’avoir des communautés francophones en situation minoritaire, est l’expression fondamentale de la culture canadienne. Selon nous, il s’agit d’un projet culturel.

Il faut protéger le droit aux arts et à la culture au sein de ces communautés. Il faut également reconnaître et constater que la pratique de ce droit est très limitée à travers le pays, que ce soit dans les petites communautés rurales du Manitoba, de l’Île-du-Prince-Édouard ou d’ailleurs. Bref, oui.

Mme Pilon : J’aimerais ajouter le fait qu’il faut aussi protéger le droit à la culture dans sa langue, le droit à une culture qui soit un reflet de cette communauté. Il ne faut pas croire non plus que, parce que les artistes québécois tournent des films dans des communautés francophones et qu’ils tournent tout de même assez bien, cela répond aux besoins. Lorsqu’on s’adresse aux institutions, celles-ci disent qu’elles font des tournées de films. On leur demande si ce sont des films francophones, et elles nous répondent que ce sont des films québécois.

Je sors d’un colloque de deux jours à Winnipeg. Certains participants venaient de la France, car il se fait de la production indépendante à l’extérieur du Québec. On s’y attend un peu lorsqu’on parle avec des interlocuteurs à l’échelle internationale, mais lorsqu’on parle avec des Québécois ou avec des gens de la majorité du Canada et qu’on se fait encore dire ce genre de chose, c’est qu’il y a un problème et qu’effectivement, la loi ne fait pas son travail.

La sénatrice Gagné : J’aimerais poser une question complémentaire. Vous avez fait allusion à l’importance de l’application de la partie VII. Devrait-on traiter directement de l’importance de la culture dans les deux langues officielles ailleurs que dans la partie VII de la loi? Est-ce que cela devrait s’inscrire dans le préambule?

Mme Pilon : Cela devrait s’inscrire dans le préambule, effectivement. Il faut insister sur le fait que ce n’est pas que la langue, c’est aussi la culture qui est diversifiée d’un océan à l’autre. Il faut reconnaître qu’il existe une richesse dans tout cela, et comme le disait M. Henry, c’est ce qui nous distingue et c’est ce qui fait notre identité canadienne.

La sénatrice Gagné : Merci beaucoup.

M. Brisson : J’aimerais ajouter que je souscris à ce que Mme Pilon a déclaré quant au fait qu’il n’y ait pas eu de volet sur la culture dans les différentes feuilles de route sur la Loi sur les langues officielles. C’est une absurdité en soi et cela démontre qu’il faut le formuler dans la loi pour qu’il y ait des actions qui en découlent.

J’ai trouvé intéressant votre parallèle entre l’activité physique et la culture. On peut peut-être choisir de faire de l’activité physique ou pas, mais je crois qu’on ne peut pas choisir de chanter ou de connaître les proverbes de nos parents ou les histoires des contes de notre enfance. On ne peut pas arrêter de se cultiver. Pour faire un parallèle avec l’activité physique, la culture a le même rapport avec la langue que la marche et la respiration avec l’activité physique.

La sénatrice Moncion : On parle de culture physique au lieu de parler de culture artistique, de culture prise seule ou de culture dans un sens plus large. L’une des choses que vous avez tous les trois abordées, c’est la question de la reddition de comptes et de l’allocation des fonds. Il semble avoir une inégalité importante ou une iniquité importante dans l’allocation des fonds et dans la reddition de comptes.

Pouvez-vous me donner davantage d’information sur la reddition de comptes quant aux aspects où vous ne voyez pas de résultats? Comme vous ne semblez pas avoir reçu d’argent, la reddition de comptes que vous cherchez à avoir est liée à la façon dont est dépensé l’argent que vous auriez dû recevoir. Je ne sais pas si vous comprenez le lien que j’essaie de faire. Tous les trois, vous avez mentionné la question de l’allocation des fonds et de la reddition de comptes.

M. Henry : Malheureusement, au cours des dernières années, la capacité de Patrimoine canadien d’accompagner les institutions fédérales dans leur reddition de comptes a beaucoup diminué. Il y a des réductions du personnel. On se souviendra qu’il y a trois ou quatre ans, on nous avait annoncé à l’interministériel qu’on n’exigeait plus systématiquement que chacune des institutions produise des rapports sur une base annuelle, parce qu’on était incapable de réaliser cette tâche, compte tenu des effectifs disponibles et de l’effritement des dernières années.

J’ai voulu téléphoner à quelqu’un aujourd’hui pour avoir cette réponse, car je ne connais pas l’état actuel des choses. Il y a eu un effritement de la reddition de comptes qui fait que certaines réalités ne parviennent plus au Parlement.

La sénatrice Moncion : Est-ce pire maintenant ou est-ce ainsi depuis très longtemps?

M. Brisson : Il y a un exemple à l’heure actuelle qui est la réorganisation du Conseil des arts du Canada. Évidemment, comme le budget du Conseil des arts du Canada doublera, tout le monde a des espoirs très élevés, mais en dehors des programmes réguliers du Conseil des arts, le Fonds pour les langues officielles semble avoir été oublié dans la réorganisation du conseil. Les gens du conseil ne semblent pas savoir comment octroyer les sommes qui proviennent du Fonds pour les langues officielles.

On n’a pas de réponse à cette question, malgré toutes les questions qu’on a posées jusqu’à présent. C’est un exemple qui illustre le fait que la question des langues officielles vient se poser en supplément, comme une feuille d’automne qui tombe par terre sans savoir où elle va tomber ou ce qu’on va en faire. Pour eux, c’est un problème à régler, mais nous, nous voulons faire partie de la solution et être intégrés à ces décisions et à la reddition de comptes afin de savoir ce qui se passe.

Pour terminer, l’autre dossier, que je perçois comme problématique, c’est le mélange entre le dossier des langues officielles et celui de la diversité ou de l’équité. Il semble y avoir une confusion au sein des institutions fédérales à ce chapitre, et cela provoque un brouillage, ce qui fait que la question des langues officielles n’est plus aussi à l’avant-plan qu’elle ne l’a été par le passé. Nous militons pour qu’elle le soit, parce que ça fait partie du fondement de l’identité canadienne, mais il semble que dans les institutions fédérales, ce soit un peu brouillé.

La sénatrice Moncion : On semble avoir trouvé une façon de tout mettre ensemble, une sorte de fourre-tout.

J’ai une autre question. Vous avez parlé du Fonds des médias du Canada, d’un pourcentage de 10 p. 100 qui est rattaché aux productions canadiennes, et de 29 millions de dollars, est-ce bien ça?

Mme Pilon : Les 29 millions de dollars ne sont pas rattachés aux Fonds des médias. Les 29 millions représentent la production indépendante dans sa totalité. Donc, le chiffre d’affaires de la production indépendante au Canada comprend des investissements du Fonds des médias du Canada et des investissements des télédiffuseurs qui donnent des licences qui comprennent aussi toutes les provinces avec les crédits d’impôt du gouvernement fédéral. C’est le chiffre total. Pour le Fonds des médias du Canada, cela se traduit à environ 11 millions de dollars pour l’an dernier.

La sénatrice Moncion : De ce montant-là, vous disiez que 4 p. 100 sont versés aux communautés minoritaires.

Mme Pilon : Non, dans l’enveloppe de 29 millions de dollars qui comprend tous les investissements, y compris celles du producteur qui investit dans sa production, on va chercher le chiffre d’affaires de la production indépendante. En 2015-2016, il s’agissait de 29 millions de dollars. Cela représente 4 p. 100 du total. Le total était de 672 millions de dollars, et on est allé chercher notre part de 29 millions de dollars, qui est de 4,3 p. 100.

La sénatrice Moncion : Est-ce pour toutes les productions francophones d’un bout à l’autre du pays?

Mme Pilon : Toutes les productions francophones canadiennes représentent 672 millions de dollars, comparativement aux productions anglophones, qui représentent 1,823 milliards de dollars.

La sénatrice Moncion : C’est le double. Donc, les productions francophones en ont à peu près la moitié.

Mme Pilon : Les productions francophones au Canada comptent pour environ un quart de la production totale au Canada et, de ce quart, on va en chercher 4 p. 100. Le Fonds des médias du Canada a constaté que la culture francophone avait besoin d’un coup de pouce. Donc, les sommes attribuées au Fonds des médias du Canada sont divisées en deux tiers anglophones et un tiers francophone. Par contre, la production au Canada est divisée en trois quarts anglophones et en un quart francophone. Ils ont voulu des mesures positives pour encourager la production francophone dans l’ensemble du pays, et c’est pour cela qu’ils divisent leurs fonds de cette façon. Téléfilm fait la même chose.

La sénatrice Moncion : Est-ce équitable?

Mme Pilon : Dans cette question, au niveau anglophone et francophone, je crois que oui, il y a une équité en voulant en mettre de façon proportionnelle un peu plus que le poids démographique. Par contre, du côté de la francophonie canadienne, clairement, il y a une iniquité et une inégalité, car on fait 13,5 p. 100 de la population et on va chercher 4 p. 100 de la production.

Le président : Je remercie donc nos témoins. La générosité et la rigueur de vos propos viendront éclairer nos travaux, j’en suis sûr. Je vous remercie d’avoir été avec nous.

Nous poursuivons notre consultation auprès des organisations culturelles et artistiques. Nous recevons notre deuxième groupe de témoins, membres de la Fédération culturelle canadienne-française. Je souhaite la bienvenue à Martin Théberge, président, à Maggy Razafimbahiny, directrice générale, ainsi qu’à Marie-Christine Morin, directrice adjointe. La parole est à vous.

Martin Théberge, président, Fédération culturelle canadienne-française : Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd’hui pour parler de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Nous soulignons à grands traits l’importance capitale du travail que vous avez entrepris.

D’entrée de jeu, j’aimerais vous inviter à imaginer l’avenir avec moi. Imaginez que, dans 20 ans, revienne sur le tapis la révision de la loi, et que ce soit l’occasion d’une célébration de fierté de la qualité du travail accompli. Nous serions là, à comparaître devant vous, pour vous exprimer notre grande joie de constater que l’assimilation a été freinée, que nos effectifs sont stables ou qu’ils augmentent, et que le secteur des arts et de la culture, en tant que partenaire clé, est à même de contribuer pleinement à la vitalité de ses communautés et à l’essor de la société canadienne.

Imaginez que la fonction publique assume pleinement sa responsabilité horizontale sur le plan des langues officielles, qu’elle se donne une lentille automatique et informée en ce qui a trait aux réalités et aux besoins des communautés francophones et acadienne, et que cela l’amène à flexibiliser le cadre de ses programmes et services pour éviter les blocages systémiques.

Imaginez que la déresponsabilisation progressive soit transformée par une attitude proactive qui donne toute sa place à la collaboration et à une action conjointe à impact mesurable. Il y aurait dans ce climat matière à se targuer du chemin parcouru et des résultats obtenus.

Imaginez que le gouvernement entreprenne un état des lieux rigoureux de la réalité qui prévaut sur le terrain des communautés francophones et acadienne, et qu’il s’engage d’emblée à s’activer avec nous aux solutions et aux pratiques d’innovation qu’il faille mettre en place. Au concept du « par et pour » que nous avons promu, la notion du « avec » s’impose plus que jamais pour assurer la suite.

La FCCF regroupe 22 organismes, y compris 7 organismes nationaux consacrés à une pratique artistique ou à une industrie culturelle — tels que ceux de nos trois collègues, qui ont comparu juste avant nous —; 13 organismes provinciaux ou territoriaux en développement artistique ou culturel; l’Alliance des radios communautaires du Canada ainsi qu’une alliance des trois réseaux de diffusion des arts de la scène au Canada français. Au total, lorsqu’on se présente à vous, c’est au nom de plus de 3 125 artistes professionnels et de 150 organismes de la communauté répartis dans 180 collectivités à travers le pays. C’est au nom d’un réseau fort et engagé, un réseau qui, par design, est novateur et créatif.

Aujourd’hui, nous formulons le vœu collectif d’une modernisation véritable et intègre de la loi pour le bien-être et l’avenir collectif de nos citoyens francophones partout au pays. En tant que porte-parole du secteur, la FCCF a pour vision d’inspirer, de mobiliser, et de transformer le Canada grâce aux arts et à la culture. À ce titre, et à l’image d’autres personnes qui ont comparu ou qui comparaîtront devant vous à ce sujet, nous sommes les partenaires experts et incontournables de la mise en œuvre effective de cette loi. Nous détenons les connaissances et l’expérience qui nous permettent d’aiguiller la modernisation de la loi, de sorte à renforcer son autorité, voire son caractère exécutoire. Nous émettons le souhait que l’usager soit, lui aussi, mis au centre de la réflexion et que les citoyens de nos communautés soient invités à exprimer leurs besoins et leurs aspirations.

Bien que la loi nous intéresse et nous interpelle dans son ensemble, nos propos sont davantage inspirés par la partie VII de la loi. C’est, à notre avis, l’expression pure de l’engagement nécessaire, engagement face à la tâche qui nous incombe tous et, face à cette tâche, nous avons une responsabilité partagée.

Discutons du positionnement spécifique de notre secteur. Les CLOSM sont d’abord et avant tout un projet culturel. En tant que telle, la loi doit faire ressortir l’importance capitale du secteur des arts et de la culture en lien avec leur développement et leur épanouissement. Force est de reconnaître que les arts et la culture sont un moteur de développement et d’épanouissement des communautés francophones en milieu minoritaire. L’identité francophone est renforcée par l’image valorisante qu’elle a d’elle-même. Le reflet de notre réalité renforce notre attachement et agit sur notre fierté.

La précarité grandissante que nous constatons chez nos organismes artistiques et culturels porte atteinte à leur capacité de jouer pleinement leur rôle de principal partenaire du gouvernement. L’examen de l’état des lieux est attristant. La lourdeur et la complexité des processus administratifs continuent d’augmenter au détriment d’une livraison efficace, accessible et de qualité de la production artistique et culturelle des communautés francophones et acadienne.

Nos organismes culturels et artistiques sont en perte de vitesse très inquiétante par rapport à l’appui qu’ils reçoivent du gouvernement. Les fragiliser nuit à l’exercice de leur mandat et à l’influence qu’ils peuvent exercer sur les communautés qu’ils desservent en matière de promotion de la langue française et des droits des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Le secteur communautaire, en tant que principal partenaire du gouvernement, ne reçoit pas une part adéquate des ressources destinées directement ou indirectement à la mise en œuvre de la loi. Qui plus est, les ressources octroyées par les transferts aux provinces et territoires au chapitre des langues officielles ne sont visiblement pas réinvesties comme il se doit par ces acteurs en appui au développement des communautés francophones et acadienne. Cet état de fait va à l’encontre de l’esprit de la loi et mérite d’être examiné de près.

Il faut livrer mieux et davantage sur la promesse de la promotion des communautés francophones et acadiennes. Lors de la dernière révision de la loi, en 1988, on avait ajouté la priorité de promouvoir les communautés de langue officielle. Or, cela ne s’est pas matérialisé. Nous déplorons l’absence d’une stratégie globale qui serait développée conjointement avec le secteur communautaire à titre de partenaire stratégique clé, en plaçant l’usagé au centre de la réflexion et des stratégies qui en découleraient. Nous sommes d’avis qu’une campagne de promotion, de sensibilisation et d’éducation publique aurait un impact positif sur l’ensemble de nos écosystèmes. L’opinion publique canadienne concernant les langues officielles est plus positive que jamais auparavant. Nos citoyens y voient une valeur fondamentale et un potentiel qui nous démarque aux yeux du monde. Vivement l’éclat d’une campagne de promotion à leadership partagé.

Maintenant, parlons de notre positionnement solidaire avec la francophonie canadienne dans toute sa diversité. Il nous faut une prise en main solide et l’expression d’un appui politique conséquent. La loi doit être retirée des tablettes. Secouons la poussière et mettons-nous à la table comme les partenaires que nous sommes. Soyons braves et honnêtes.

Le moment est opportun, et non seulement propice pour moderniser la loi, il est critique. Il faut donner des dents et des griffes à la loi. Pourquoi ne pas faire le pari d’envisager le redressement d’un point de vue positif et constructif? L’unité et l’identité nationale forte nous inspirent. La loi est un pilier essentiel de la réalisation de cette vision.

Appuyer et favoriser le développement suppose des stratégies et des visées claires, que l’on avance des mesures concrètes, que l’on procède d’un terrain logique autre que celui du strict poids des nombres et de la faisabilité commerciale, que l’on précise des indicateurs contre lesquels démontrer et mesurer le changement et que l’on mette en application la notion du par, pour et avec.

Il faut renforcer le cadre de mise en application et d’imputabilité de la Loi sur les langues officielles. Il faut serrer les crans du système de livraison sur la responsabilité partagée du gouvernement et des institutions assujetties en matière de langues officielles. Il faut centraliser la directive politique au plus haut niveau de l’appareil. Il faut engager les agences et les institutions visées sur le plan de leur responsabilité d’agir, d’être imputables et transparentes et de rendre des comptes.

La mécanique des plans d’action et des rapports annuels n’a pas donné les effets escomptés. Aucune directive ne nous interpelle à mieux réussir, à nous élever au-delà des habitudes systématiques en place, à adopter une attitude proactive, à innover en matière de solution. Il faut se demander pourquoi on se trouve si loin de la directive de proposer et d’adopter des mesures positives à l’égard des communautés francophones et acadienne.

Il faut renforcer le cadre d’imputabilité de la loi. Le redressement passe par la possibilité d’imposer des mesures disciplinaire, mais aussi et surtout, de proposer et de nommer des incitatifs.

Il faut accroître les pouvoirs du commissaire aux langues officielles et protéger son indépendance et non son impartialité. En plus de renforcer ses pouvoirs de mise en application de la loi, il devra avoir la capacité d’imposer des mesures disciplinaires et d’avancer des mesures concrètes et positives qui seraient garantes du respect de la loi. Le mode des consultations doit donc être revu en profondeur pour que les investissements que cela suppose aient l’impact voulu. L’intention des consultations doit être le dialogue ouvert et la quête de solutions.

Il faut renforcer l’autorité de Patrimoine canadien en tant que ministère responsable de la mise en œuvre. La capacité horizontale du ministère du Patrimoine canadien a été rudement mise à l’épreuve par la mise en œuvre des approches interministérielles. La promesse selon laquelle la contribution du gouvernement au développement des communautés francophones et acadienne serait élargie par les contributions des ministères et agences assujetties à la loi ne s’est pas réalisée. La lourdeur et la complexité administrative en ont été décuplées pour nos organismes avec trop peu de résultats. Un ministère ne peut pas être appelé à être à la fois juge et partie. Patrimoine canadien ne fait pas le poids quand vient le temps d’augmenter l’enveloppe des programmes d’appui aux langues officielles. Son galon politique est insuffisant lorsqu’il n’est pas soutenu par un message politique central fort.

Il faut agir aussi sur la connaissance et la sensibilité à l’égard des CLOSM. Dans leur ouvrage, nos groupes et organismes sont confrontés à des barrières systémiques qui trahissent une incompréhension profonde des réalités et des besoins spécifiques des CLOSM. Il faut réitérer la responsabilité des ministères et agences à l’égard d’une sensibilité et d’une attitude proactive et collaborative pour résoudre ces enjeux systémiques. Un dialogue continu, une attitude ouverte et un climat de confiance et de collaboration s’imposent.

Nous en appelons à l’expression d’un leadership politique fort et clair sur l’importance de la dualité linguistique. Il faut la valoriser en tant que partie intrinsèque du caractère unique canadien et y donner l’impulsion que cette vision mérite. La loi n’est rien de moins que le fondement légal et moral de cette vision.

Dans notre optique, toute révision ou refonte de la loi devrait tenir compte de l’apport du secteur des arts, de la culture et des industries culturelles à l’atteinte de ses objectifs. Du même souffle, les mandats des principaux acteurs et institutions qui jouent un rôle crucial dans l’épanouissement de nos communautés au quotidien devraient eux aussi être examinés de près. À titre d’exemple, ne pourrions-nous pas envisager que le mandat de la Société Radio-Canada soit inclus dans une prochaine version de la loi?

Finalement, nous sommes d’avis que la réussite attire la réussite. La FCCF, comme l’ensemble des organismes du secteur des arts, de la culture et des industries culturelles, se sent investie. Notre approche en est une de collaboration à la recherche et à la mise en œuvre de solutions nouvelles et adaptées à nos besoins et réalités.

Il est d’ailleurs raisonnable de croire que la performance exemplaire du Canada au chapitre des langues officielles est souhaitable et faisable. Cela l’outille dans d’autres secteurs où des appuis conséquents doivent être fournis au développement et à l’épanouissement de la société civile, comme les Premières Nations et le multiculturalisme. Réussir en matière de dualité linguistique nous amène à réussir sur le plan du développement et du renforcement du potentiel citoyen.

Le travail de codéveloppement amorcé avec les Premières Nations pour instaurer une loi visant la protection des langues officielles est à l’image de la façon dont nous souhaitons être engagés. L’avenir des langues officielles dépend de notre capacité collective d’innover et de travailler en étroite collaboration pour le bien-être de l’ensemble. Le secteur des arts, de la culture et des industries culturelles est inspiré, motivé et prêt à passer à l’action.

Je vous remercie encore une fois de votre invitation et, surtout, de votre écoute. En guise de conclusion, j’aimerais vous laisser avec une citation de feu Fernand Dorais, professeur de littérature au Département de français de l’Université Laurentienne, à Sudbury :

Une culture, c’est d’abord une histoire, un langage partagé, une ethnie, un style sociétal, l’élection de valeurs, une volonté d’avenir.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de votre présentation. Vous avez bien énuméré les mécanismes manquants permettant d’assurer que la Loi sur les langues officielles soit pleinement appliquée. Je veux que vous sachiez que je suis entièrement d’accord avec vous. Cela étant dit, je comprends que votre fédération réunit 22 membres. Comme vous l’avez mentionné, cela comprend 13 organismes provinciaux et territoriaux, 7 regroupements artistiques nationaux, une alliance de radios communautaires ainsi qu’une plateforme regroupant les réseaux de diffusion régionaux des arts de la scène. Quelle relation votre fédération entretient-elle avec ces organismes?

M. Théberge : Le rôle qu’exerce la fédération par rapport à ses membres, je le résumerai en deux fonctions principales. La première, c’est une fonction de concertation. La FCCF ne s’adresserait jamais à personne sans avoir consulté de quelque manière possible ses membres, que ce soit par des échanges de courriels, des conférences téléphoniques ou des rencontres. Nous tenons deux rencontres annuelles. La deuxième fonction est directement liée à la première; c’est celle de porte-parole. Comme je vous le disais, lorsque la FCCF prend la parole, c’est au nom de tous ses membres du secteur.

Le sénateur McIntyre : Pouvez-vous nous décrire plus en détail l’entente de collaboration signée entre votre fédération et les institutions fédérales pour le développement des arts et de la culture des communautés francophones en milieu minoritaire, plus particulièrement ses objectifs et les défis liés à sa mise en œuvre?

M. Théberge : C’est une entente qui a eu plusieurs moutures au fil du temps. Elle engage sept entités : Patrimoine canadien, la FCCF, le Centre national des Arts, le Conseil des arts du Canada, Téléfilm Canada, l’Office national du film et Radio-Canada. C’est une entente qui, d’ailleurs, est en renouvellement cette année. Nous sommes présentement à l’étape de l’évaluation et de la renégociation.

Cette entente, jusqu’à maintenant, nous encourageait à avoir des discussions pour bien informer et sensibiliser les gens sur les enjeux de part et d’autre. De cette entente découle, entre autres, ce que l’on appelle les bilatérales, c’est-à-dire une rencontre annuelle ciblée entre la FCCF et chacun de ces partenaires. C’est une entente qui a permis de tisser des liens beaucoup plus forts et de créer des groupes de travail.

Comme je le disais, cette entente est en renégociation cette année. Nous aimerions l’amener à la prochaine étape où nous pourrions parler d’imputabilité et de responsabilité, mais aussi de mécanismes concrets au-delà de l’entente, dont le but est de favoriser la communication et la compréhension mutuelles. Aujourd’hui, on se comprend mieux, mais il faut aller plus loin.

La sénatrice Gagné : Avant de passer à ma question sur une loi favorisant les arts et la culture, j’aimerais savoir quel est votre public cible.

M. Théberge : Nos actions sont dirigées directement vers nos membres, qui sont les 22 organismes qui ont été nommés : des organismes nationaux de services aux arts, des organismes provinciaux et territoriaux de développement culturel et artistique, les trois réseaux de diffusion et l’Alliance des radios communautaires du Canada. C’est avec une visée beaucoup plus large que nous prenons parole, parce que nos membres sont aussi des organismes qui, eux-mêmes, ont des clientèles, des membres et des communautés qu’ils représentent. L’optique envisagée d’abord est toujours celle de nos membres, ces 22 organismes, mais c’est toujours dans une optique où nous sommes le seul porte-parole du secteur des arts, de la culture et des industries culturelles au sein de la francophonie canadienne.

La sénatrice Gagné : Lorsqu’on regarde vos membres et leur public, ont-ils le français comme langue maternelle ou comme première langue officielle parlée? Ou est-ce quiconque qui s’intéresse aux langues?

M. Théberge : Chacun de nos membres est différent, mais de façon générale, et sans aucun préjudice, tous ceux qui peuvent parler français ou qui s’intéressent à la cause peuvent être à la table.

La sénatrice Gagné : Ma prochaine question est la même que celle que j’ai posée aux trois témoins qui vous ont précédé. Vous étiez présent, alors je ne répéterai pas le préambule de la Loi sur l’activité physique et le sport. Le secteur des arts et de la culture serait-il mieux servi s’il avait sa propre loi?

M. Théberge : Je vais répondre en faisant référence à la question que le sénateur McIntyre a posée à mes collègues : à notre avis, tout passe d’abord et avant tout par une reconnaissance du secteur et de son rôle au sein des communautés. Que ce soit par une loi explicite ou un préambule fort, tout le reste découle de cela. On ne peut plus, à ce moment-là, parler de culture dans les écoles, de postes de radio communautaire, ou de présentation des arts de la scène en français dans nos communautés sans faire référence à cette loi. À l’inverse, si on a une loi ou un préambule fort, peu importe comment on l’articule, cela devient un précédent, une obligation et on doit être conséquent avec cette loi ou ce préambule.

La sénatrice Gagné : Ce que je comprends, c’est qu’on devrait traiter directement de l’importance de la culture.

M. Théberge : J’irais plus loin en disant qu’il faut une reconnaissance formelle du rôle du secteur dans le développement et l’épanouissement de nos communautés.

La sénatrice Moncion : Vous avez parlé de dents et de griffes. J’aimerais que vous précisiez ces dents et griffes. Vous avez également parlé des indicateurs par, pour et avec. Pouvez-vous aller plus loin dans cette réflexion?

M. Théberge : Tout à fait. Quand on parle de dents et de griffes, on parle ici de donner des rôles spécifiques et des moyens plus clairs, par exemple, permettre au Commissariat aux langues officielles de jouer un rôle autant au chapitre des mesures positives que des mesures disciplinaires.

L’autre exemple serait de centraliser la directive politique au plus haut niveau de l’appareil. On ne peut pas s’attendre à ce que le ministère du Patrimoine canadien puisse jouer un rôle interministériel et créer autant de collaborations que possible avec d’autres ministères pour améliorer le sort des langues officielles, et qu’il fasse volte-face le lendemain et fustige ces mêmes ministères parce qu’ils n’ont pas joué leur rôle. On ne peut pas être juge et partie. Il faut une instance, que ce soit le Conseil des arts du Canada ou un autre organisme, qui peut jouer ce rôle. Voilà ce que je voulais dire par « avoir des dents et des griffes ».

Maggy Razafimbahiny, directrice générale, Fédération culturelle canadienne-française : Je me permets d’intervenir pour ajouter à ce que M. Théberge évoquait au sujet de ce préambule ou de cette reconnaissance officielle de notre secteur au sein de la Loi sur les langues officielles. Cette reconnaissance nous est très importante parce qu’elle nous protège en quelque sorte.

Le sénateur Maltais : Je vous souhaite tous la bienvenue. Nous avons parlé plus tôt à l’Alliance des producteurs francophones du Canada, au Regroupement des éditeurs franco-canadiens et à l’Alliance nationale de l’industrie musicale. Est-ce que tous ces regroupements sont reconnus par Patrimoine canadien ou par le Conseil des arts du Canada? Y a-t-il quelque chose dans la loi qui vous désigne à titre d’interlocuteurs valables de quelconque regroupement?

M. Théberge : Une reconnaissance formelle et explicite dans la loi? Non, ne serait-ce peut-être que les accords de contribution de Patrimoine canadien qui décrivent que, à toutes fins utiles, nous effectuons le travail du ministère. Mais sinon, il n'y a aucune reconnaissance explicite.

Le sénateur Maltais : Dans la révision de la Loi sur les langues officielles, à la partie VII, serait-il valable que Patrimoine canadien reconnaisse officiellement la FCCF comme interlocuteur dans le monde culturel au lieu d’avoir cinq ou six sous-organismes? Cela prend un interlocuteur valable, que ce soit vous ou un autre.

M. Théberge : Ce qui est important, c’est d’abord et avant tout la reconnaissance du secteur. La dernière révision de la loi a eu lieu il y a 30 ans. Ma boule de cristal ne fonctionne pas assez bien pour m’indiquer ce qui va se passer au cours des 30 prochaines années. Comme on le sait, le fait d’en nommer nous permet parfois d’en oublier.

Le sénateur Maltais : Je ne veux pas dire nommément et explicitement votre association, mais que dans la loi, on reconnaisse les regroupements d’associations francophones, ce qui comprendrait les domaines culturels, les arts, et cetera. Est-ce que ce serait quelque chose qui renforcerait votre proposition?

M. Théberge : Absolument, à plusieurs niveaux. Si on reconnaît l’apport du secteur des arts, de la culture et des industries culturelles et son rôle essentiel pour favoriser le développement et la pérennité des communautés, à ce moment-là, cela nous donne des outils, de même qu’au gouvernement. Si on est conséquent, nos organismes auront le financement nécessaire. Nos communautés auront les outils voulus pour poursuivre cette quête de pérennité.

Le sénateur Maltais : J’ai deux autres petites questions pour ce qui est des radios francophones communautaires. Dans un autre monde, je siégeais à un autre Parlement, dans le Nord du Québec. J’ai travaillé à la mise en œuvre de radios francophones, et ce, en collaboration avec les communautés autochtones et francophones, et mêmes avec les municipalités régionales de comtés qui étaient des partenaires financiers. Est-ce que ce genre de partenariat existe dans les communautés francophones que vous connaissez? Je ne vous demanderai pas si c’est le cas d’un océan à l’autre.

M. Théberge : Mon analyse ne va pas aussi loin. Il y a d’énormes partenariats qui existent entre les communautés et leurs radios communautaires effectivement. L’Alliance des radios communautaires du Canada est d’ailleurs membre de la FCCF, et le lien immédiat entre l’art et la culture est primordial. Les radios communautaires jouent un rôle de premier plan, autant dans l’information que dans le divertissement, mais aussi dans le développement de nos artistes et dans la promotion des produits artistiques de nos communautés. Ils en sont partie prenante et ont des partenariats très solides avec nos communautés.

Le sénateur Maltais : Vous avez mentionné plus tôt que vous acceptiez dans vos rangs des francophiles, pas nécessairement de souches francophones. Est-ce qu’il y a une connexion qui se fait avec des organismes anglophones?

M. Théberge : Encore une fois, je n’ai pas une analyse complète de chaque projet, mais il y a effectivement des partenariats qui existent au niveau local, communautaire et provincial, par exemple, des associations musicales anglophones en partenariat avec l’organisme de développement culturel provincial. Il y a plein de partenariats qui existent.

Chez nous, nous discutons de façon assez fréquente avec nos homologues anglophones au Québec, le English Language Arts Network (ELAN), et avec tous nos collègues d’organismes nationaux de services aux arts, de niveau national, anglophones ou francophones. Ces liens de communication existent déjà.

Le président : Vous avez fait beaucoup de liens depuis des années avec l’art, la culture et l’éducation, la culture et les médias, ainsi que l’art, la culture et la santé. J’aimerais que vous nous parliez de l’étude sur les pôles culturels que vous avez menée. Pouvez-vous nous parler de la façon dont cet instrument a permis, d’abord, de faire un diagnostic de la situation des communautés de langue officielle, mais par le truchement de la culture? Cela peut avoir un impact sur la vision qu’on pourrait donner à la révision de la Loi sur les langues officielles.

M. Théberge : Je vais commencer à répondre et j’inviterai mes collègues à poursuivre. En ce qui concerne l’étude des facteurs de vitalité dans nos communautés, l’étude du pôle culturel est une étude qui a été faite de concert avec l’Université Laurentienne. D’abord, on a fait une étude des facteurs qui assurent une vitalité culturelle dans nos communautés, que ce soit l’école, la démographie, la présence ou non de médias communautaires.

Dans la deuxième phase, on a tenté de créer des modèles de collaboration entre ces facteurs, des modèles de synergie avec chacun de ces facteurs et ces acteurs pour développer davantage et assurer une vitalité culturelle dans nos communautés. On a un sommaire, un état des lieux des résultats de la deuxième phase, mais on n’a pas l’étude complète qui devrait être terminée bientôt. Effectivement, puisqu’on parle non seulement des facteurs et, donc, de ce qui pourrait avoir un impact sur la vitalité culturelle, mais aussi des exemples de modèles, c’est effectivement une chose que l’on attend avec impatience et qui pourrait servir à plusieurs niveaux, autant pour nous que pour l’appareil gouvernemental, afin de nous permettre de bien réfléchir aux secteurs où nous pourrions consacrer nos énergies et nos investissements.

Le sénateur Smith : Monsieur Théberge, pour faire suite à la question de la sénatrice Moncion, de quelle façon voudriez-vous donner plus de mordant au système? Et quels pouvoirs voulez-vous donner au commissaire? Si vous étiez devant les grands décideurs, maintenant, quels sont les trois points importants que vous soulèveriez?

M. Théberge : D’abord, je donnerais au système le pouvoir de reddition de comptes. Il y a souvent des comptes qui exigent un rapport, mais il y a un manque de clarté et de données concrètes. Ensuite, je donnerais le pouvoir de développer des mesures disciplinaires. Quand je fais un excès de vitesse sur l’autoroute, je contreviens à la loi, j’ai une contravention. Le commissaire aux langues officielles ne pourrait-il pas avoir un pouvoir comparable?Enfin, il y a aussi ce que j’appellerais les mesures positives. Le Commissariat aux langues officielles ne pourrait-il pas avoir le moyen de travailler avec les agences et les institutions qui sont déjà en place pour assurer, à long terme, la pérennité et le développement de nos communautés?

Le sénateur Smith : Entre votre association et les autres associations, est-ce qu’il y a une concurrence pour obtenir des fonds ou est-ce qu’il y a vraiment un partenariat qui existe entre ces associations?

Je fais un parallèle avec la situation suivante. Lorsque nous avons développé le football au Québec, nous l’avons fait grâce au réseautage avec d’anciens joueurs qui ont joué dans les années 1970, et de 1985 à 1990, qui sont devenus des entraîneurs, et avec les mères des familles — parce que ce sont elles qui prennent les décisions, pas les pères. Avec beaucoup de réseautage, pendant une période de 15 à 20 ans, j’ai été impliqué dans ce projet pendant 10 ans, et j’ai fait 200 voyages par année dans tout le Québec pour parler avec les gens.

Je me demande quel type de réseautage vous faites, pas seulement pour demander de l’argent, mais pour développer les compétences, les créneaux des entrepreneurs dans vos régions.

M. Théberge : Je pense que vous touchez à l’essence même de notre fédération. Ce que je veux dire, c’est que l’une des très grandes forces de notre fédération est sa capacité de réseautage et sa force tentaculaire. Comme je le disais plus tôt, nous comptons 22 membres, mais quand je m’adresse à vous, je parle au nom de 150 organismes de 3 125 artistes professionnels issus de 180 communautés partout au Canada.

Vous touchez l’essence même de la fédération et sa force. Nous avons des capacités. Comme je le disais en réponse au sénateur Maltais plus tôt, nous avons la capacité de réseauter autant avec les francophones et que les anglophones, autant avec les entreprises que d’autres institutions culturelles.

Par contre, votre question m’oblige à mentionner aussi que l’effritement du financement des dernières années et l’effritement de la reconnaissance de la part des gouvernements nous obligent aussi, aujourd’hui, à tirer le coin de la couverture d’une certaine manière, car nous avons de la difficulté à payer notre compte de chauffage et d’Internet. On a beau avoir la meilleure des capacités, si on n’a pas le minimum pour fonctionner, il est difficile pour nous d’agir. Ce minimum pour fonctionner a un impact sur notre capacité de jouer un rôle au sein de l’appareil gouvernemental et d’appuyer la mise en œuvre de la partie VII de la loi.

La sénatrice Moncion : Puis-je ajouter un commentaire? Vous avez parlé de l’esprit d’entreprise, mais je pense que si vous faites des collectes de fonds, on vous coupera votre financement? Est-ce que je me trompe?

M. Théberge : Cette situation est arrivée par le passé. À ma connaissance, ce n’est pas une ligne directrice qui est claire. Dès qu’il y a un surplus financier qui provient d’une subvention, on a l’impression que l’organisme n’en a pas besoin. Par contre, s’il provient d’autres collectes de fonds et que l’organisme a trop de revenus accumulés, on a tendance à couper des subventions, ce qui entraîne une situation précaire.

Le sénateur Smith : Je présume que vous en avez déjà discuté avec les membres des autres associations. Est-il possible de changer cette mentalité? Vous avez livré un discours aujourd’hui avec de belles paroles. Par contre, nous sommes dans une situation d’affaires. J’aime beaucoup vos propos, parce que cela nous amène à discuter des vraies options pour renforcer réellement les forces et les pouvoirs de votre organisme.

M. Théberge : Cela fait partie courante de nos discussions dans le cadre de notre entente multipartite.

Le sénateur Maltais : Vous avez abordé la question de la reddition de comptes, qui est un sujet qui me tient à cœur depuis plusieurs années ici, au sein du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Avec le temps, on s’aperçoit qu’il est très difficile d’obtenir une reddition de comptes. On a accueilli à quelques reprises le président du Conseil du Trésor, qui nous a avoué candidement qu’il n’était pas en mesure de le faire en ce moment pour des raisons constitutionnelles. Il y a toute l’histoire de l’article 93. On ne va pas s’empêtrer dans ces explications. Étant donné que vous n’avez pas de reddition de comptes, cela vous met en porte-à-faux vis-à-vis de Patrimoine canadien et du Conseil des arts, et cela me semble une injustice. Ce n’est pas de votre faute s’il n’y a pas de reddition de comptes. Ce n’est pas parce que vous ne voulez pas en faire, c’est parce que vous ne pouvez pas. Je ne vois pas pourquoi on vous pénaliserait pour quelque chose que vous ne pouvez pas régler. Je ne comprends pas.

M. Théberge : Je vous remercie de vos remarques. J’irais même plus loin. Quand on parle de reddition de comptes ou d’imputabilité, c’est vrai au sein des agences fédérales, mais c’est vrai aussi en ce qui concerne les transferts aux provinces. C’est un problème que j’appellerais « de transfert », où nous sommes soumis aux volontés des gouvernements provinciaux selon les humeurs politiques.

Le sénateur Maltais : De là le problème. Patrimoine canadien verse de l’argent à la province et c’est à elle de s’assurer de le distribuer. Si la province penche plus vers la gauche, tant mieux pour les gauchistes, mais si c’est à droite, tant pis pour la gauche. Il y a un certain déséquilibre.

Le ministre, malgré tous ses efforts, nous a dit qu’il n’était pas en mesure de le faire en ce moment en raison de l’acte constitutionnel. C’est ce que je voulais souligner plus tôt. Je pense que c’était une question intéressante à soulever.

Le président : Sur ce, je tiens à remercier la Fédération culturelle canadienne-française, Mme Razafimbahiny, Mme Morin et M. Théberge. Merci d’avoir été des nôtres. Vos propos nous éclaireront dans le cadre de notre étude. Merci et bonne soirée à tous.

(La séance est levée.)

Haut de page