Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 20 - Témoignages du 12 février 2018
OTTAWA, le lundi 12 février 2018
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 2, à huis clos et en séance publique, afin de poursuivre son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonsoir, je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion de ce soir. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit le deuxième volet de son étude portant sur la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Nous avons le plaisir d’accueillir Marie-France Lapierre, présidente et conseillère, Région de la Vallée du Fraser, et Marc-André Ouellette, vice-président et conseiller, Région du Sud de l’île de Vancouver, du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, Alpha Barry, président du Conseil des écoles fransaskoises, Hélène Grimard, vice-présidente du Conseil des écoles fransaskoises et, finalement, Roger Paul, directeur général de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, ainsi que Jean Lemay, membre du Comité exécutif de cette même fédération.
Avant de passer la parole à nos témoins, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
Le président : Mesdames et messieurs, je vous remercie d’être avec nous. Madame Lapierre, la parole est à vous.
Marie-France Lapierre, présidente et conseillère, Région de la Vallée du Fraser, Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique : Monsieur le président, je vous remercie sincèrement de nous donner l’occasion de parler au nom du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, le CSF. Votre comité connaît les problèmes du CSF et des conseils scolaires francophones et acadiens en situation minoritaire, de même que les lacunes de la loi, et demande au gouvernement d’apporter des modifications depuis 2005. En ce qui concerne la structure de notre présentation, M. Ouellette et moi discuterons très brièvement des problèmes reliés à l’aliénation des sites fédéraux et de la solution législative proposée par le CSF. Par la suite, il abordera la question du financement fédéral pour l’éducation dans la langue de la minorité et la solution proposée. Finalement, j’aborderai la question du dénombrement des titulaires de droits en vertu de l’article 23 de la Charte et la solution législative proposée.
Premièrement, le CSF demande que la loi soit modifiée pour qu’elle exige que les institutions fédérales consultent les conseils et commissions scolaires en situation minoritaire avant d’aliéner un bien immobilier.
Marc-André Ouellette, vice-président et conseiller, Région du Sud de l’île de Vancouver, Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique : Le comité sénatorial a très bien cerné le défi auquel fait face la communauté francophone de la Colombie-Britannique en matière d’acquisition de biens immobiliers dans son rapport de 2017 : c’est-à-dire identifier les terrains véritablement disponibles pour la construction des écoles. Les tribunaux ont conclu que c’est un manque de volonté politique qui nuit à la mise en œuvre de l’article 23 de la Charte et non une pénurie de sites, et ce, même à Vancouver. Le gouvernement fédéral est propriétaire d’un grand nombre de biens immobiliers, dont plusieurs sont ou seront jugés excédentaires à ses besoins. Malgré cela, la loi ne prévoit aucune obligation spécifique concernant l’aliénation des biens immobiliers.
Mme Lapierre : Le CSF a tenté d’obtenir une petite portion de trois de ces sites sans succès jusqu’à maintenant : deux sites à Vancouver pour l’école élémentaire Rose-des-Vents, le site Jericho de la Défense nationale et le site de la GRC sur la rue Heather, à Fairmont. Du travail acharné a été fait de la part du CSF, du ministère de l’Éducation et de votre comité afin de renverser les effets de la décision d’aliéner ces sites sans consulter le CSF. Malgré tous nos efforts, le CSF ne dispose toujours pas de site à Vancouver.
M. Ouellette : Il y a un site à Victoria, le site Royal Roads, appartenant à la Défense nationale et, malheureusement, l’histoire ne fait que se répéter. C’est comme si le fiasco de Jericho et de Fairmont ne s’était jamais produit. En 2017, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de céder le site Royal Roads, un site de 500 acres. Le CSF n’a jamais eu de réponse adéquate de la part du gouvernement fédéral quant à l’utilisation de ce site, mais d’autres groupes ont déjà signé des ententes de collaboration au sujet du développement du site. Le CSF souhaite simplement obtenir 5 à 10 acres de ces 500 acres; cela ne devrait pas être aussi complexe. Je vous invite à voir le paragraphe 15 de notre mémoire avec les détails des démarches entourant ce site. C’est frustrant. Une institution fédérale mine l’épanouissement et le développement du français en Colombie-Britannique par ses actions ou plutôt par ses inactions, et la loi le permet. Celle-ci doit absolument être modifiée en conséquence.
Mme Lapierre : La directive fédérale en place pour gérer l’aliénation par la vente ou le transfert des biens immobiliers excédentaires exige que les ministères fédéraux, les sociétés d’État mandataires et les gouvernements provinciaux et municipaux soient consultés. La directive n’exige pas la même chose pour les conseils scolaires. Cela ne fonctionne pas. Il y a donc lieu de proposer un amendement à la loi prévoyant expressément l’obligation de consulter les conseils scolaires avant d’aliéner ou de transférer un bien immobilier excédentaire appartenant au gouvernement fédéral. Avec tout le respect que j’ai pour vous, nous avons inclus la proposition d’une première ébauche d’un nouvel article de la loi à la page 8 de notre mémoire.
M. Ouellette : Comme deuxième point, le CSF demande au comité de recommander que la loi soit modifiée pour qu’elle encadre mieux le financement fédéral de l’éducation élémentaire et secondaire dans la langue de la minorité par l’entremise du protocole d’entente. Le protocole d’entente prévoit que le ministère du Patrimoine canadien a le droit d’approuver des contributions complémentaires au-delà des fonds liés au protocole d’entente, notamment pour des projets d’immobilisation. Ces fonds complémentaires visent les espaces qui sont en sus des normes scolaires de la province, par exemple, les mètres carrés d’un gymnase qui ne seraient pas justifiés par le nombre d’élèves, mais qui ont pour but de desservir la communauté de langue française en situation minoritaire.
Il s’agit de fonds fort importants pour le CSF et la communauté dont plusieurs écoles ont pu profiter de ce financement complémentaire. Certaines écoles du CSF ont donc de plus grands gymnases, des théâtres et des centres de la petite enfance en raison de ce type d’intervention fédérale. Comme vous le savez, l’état des infrastructures en situation minoritaire a un impact marqué sur la capacité d’attraction et de rétention des élèves du CSF et donc, sur la capacité du CSF de renverser petit à petit les effets de l’assimilation.
Les infrastructures ont également un impact marqué sur la fierté d’une communauté et du sentiment d’appartenance des élèves à cette même communauté. Comme le recommandait si bien votre comité en 2017, les besoins d’immobilisation du CSF sont tellement criants à l’heure actuelle qu’il y a lieu de répéter les bons coups du passé avec les ententes spéciales de 1997 et de 2002 et de conclure une autre entente spéciale octroyant une enveloppe de financement fédéral pour les projets d’immobilisation du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique.
À cette fin, il y a lieu de proposer un amendement à la loi, prévoyant et encadrant le rôle du gouvernement fédéral en matière d’éducation dans la langue de la minorité. Humblement et respectueusement, nous vous proposons une première ébauche d’un nouvel article de la loi, à la page 10 de notre mémoire.
Ayant pris connaissance des soumissions de nos collègues de la Saskatchewan, le CSF souscrit sans réserve aux propositions du CEFSK au sujet du financement fédéral.
Mme Lapierre : Comme troisième point, le CSF demande au comité de recommander que la loi soit modifiée pour qu’elle prévoie expressément l’obligation de Statistique Canada de dénombrer les personnes titulaires de droits, en vertu de l’article 23 de la charte, et ce, dans le cadre du formulaire court. Le problème est malheureusement simple : le CSF ne peut pas planifier adéquatement en matière d’immobilisation, parce qu’il n’a pas accès à des données fiables et pertinentes concernant le nombre d’élèves potentiels dans les écoles.
Le CSF a subi les conséquences de l’incapacité de Statistique Canada de compter tous les enfants admissibles à ses écoles dans le cadre de son procès contre le gouvernement de la Colombie-Britannique. La juge n’a pas pu trancher entre les deux experts concernant les statistiques. Elle a donc décidé d’utiliser les résultats du recensement de 2011 pour déterminer le potentiel d’une école de langue française. Ce recensement ne comptait que les enfants dont l’un des parents avait le français comme première langue apprise. Évidemment, ces chiffres étaient bien inférieurs à la réalité. À titre d’exemple, selon ces chiffres imparfaits de 2011, la juge a conclu que les nombres potentiels de l’école de mes enfants, l’école des Pionniers-de-Maillardville, ne justifiaient qu’une partie de la capacité de 560 élèves. Or, la nouvelle école ouvrira ses portes au mois de mars, après la semaine de relâche, et elle comptera 640 élèves et quatre portatives.
Il s’agit d’un exemple concret des conséquences de ne pas compter dans le recensement deux autres catégories d’enfants, soit les enfants dont l’un des parents a reçu son instruction, au niveau primaire, en français au Canada, ou dont l’un des parents a un enfant qui a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français au Canada dans le cadre du recensement.
Une telle lacune au sein du recensement pose particulièrement problème en Colombie-Britannique en raison de la tendance à l’exogamie. Pour ceux qui l’ignorent, mon mari est anglophone, je suis francophone, nous sommes une famille exogame. Cela fait en sorte que la langue parlée à la maison est généralement celle partagée par tous, ou la langue de celui qui n’en parle qu’une, donc l’anglais. C’est le cas de ma famille. Si je n’ai qu’un choix et qu’on me demande la langue la plus couramment parlée à la maison, je dois indiquer l’anglais, mais cela ne veut pas dire que je ne parle pas le français. Si mes enfants devaient choisir une seule langue, comme dans le recensement, je suis convaincue que, malheureusement, ils choisiraient l’anglais, car c’est la langue de leur environnement. Mes enfants ne seraient pas comptés par le recensement même s’ils sont titulaires de droits.
Pour bien compter, il faut changer le recensement. Il ne suffit pas d’obtenir des données complètes et plus fiables, mais également des données flexibles afin de permettre au CSF de planifier adéquatement ses besoins en immobilisations et pour qu’il puisse s’adapter à un environnement changeant. Il n’est pas suffisant de savoir combien d’élèves admissibles résident dans chaque municipalité, mais où résident les enfants dans chaque zone de fréquentation. Par exemple, il est important de savoir combien d’élèves résident dans une région, et leur emplacement spécifique, avant de décider de changer la zone de fréquentation. Cela a été le cas dans la région de la vallée du Fraser, que je représente. Les élèves du secondaire devaient se rendre à l’école Gabrielle-Roy. Pour certains, cela représentait trois heures d’autobus. Étant donné la distance, les élèves choisissaient plutôt de s’inscrire dans les conseils scolaires anglophones. En leur offrant d’aller à l’école des Pionniers, à la suite de la construction d’un pont, les élèves du secondaire s’inscrivent maintenant à une école du CSF.
De tels changements ne peuvent pas être faits de manière optimale sans avoir accès à des données complètes, fiables et flexibles sur le potentiel des effectifs dans les différentes régions d’une grande zone de fréquentation. Demander à Statistique Canada de modifier le recensement ne semble plus suffisant, étant donné son inaction continue à cet égard.
Avec tout le respect que je vous dois, nous avons inclus, à la page 15 de notre mémoire, la proposition d’une première ébauche d’un nouvel article de la loi. Le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique est très reconnaissant du travail acharné qu’a accompli ce comité en faveur du respect des droits et de la communauté franco-colombienne. La présente étude et les recommandations qui s’ensuivront permettront d’assurer l’épanouissement des élèves actuels et futurs de nos écoles, qui incarnent l’avenir de la dualité linguistique au Canada.
Alpha Barry, président, Conseil des écoles fransaskoises : Honorables sénatrices et sénateurs, mesdames et messieurs, au nom de toute la communauté scolaire fransaskoise, permettez-moi de vous adresser nos sincères salutations. Je vous remercie de m’accorder l’occasion de parler au nom du Conseil des écoles fransaskoises, connu sous l’acronyme CEFSK. Notre présence ici est motivée par le profond désir de voir la Loi sur les langues officielles modernisée, surtout en ce qui a trait à l’éducation dans la langue officielle en contexte minoritaire. Votre comité connaît les problèmes des conseils scolaires francophones et acadiens en situation minoritaire, et les lacunes de la loi, car, depuis 2005, vous les avez relevés.
Le moment est propice pour parler de la modernisation de la loi. Afin de reconnaître et de prendre en compte cette instance gouvernementale, qui n’existait pas la dernière fois que la loi a été modifiée, les conseils scolaires, qui ont vu le jour grâce aux droits constitutionnels, constituent aujourd’hui une instance gouvernementale. D’ailleurs, le CEFSK tient à souligner son appui au rapport que votre comité a publié en 2017 au sujet de l’éducation en français en Colombie-Britannique. Cela dit, les efforts de votre comité dans le cadre de la présente étude sont d’une plus grande importance. Par l’entremise de la présente étude, votre comité a une occasion en or de soustraire le rôle du gouvernement fédéral du jeu de la politique partisane dans le domaine de l’éducation dans la langue de la minorité.
Je me réjouis d’être ici pour vous faire part des besoins criants de nos communautés scolaires. Il ne fait aucun doute que celles-ci requièrent une protection au sein d’une nouvelle loi modernisée.
En ce qui concerne la structure de notre présentation, je vous donnerai d’abord un aperçu de la communauté fransaskoise et du Conseil des écoles fransaskoises. Par la suite, je vous décrirai très brièvement le cadre de gestion de l’appui financier fédéral pour l’éducation dans la langue de la minorité. Puis, je soulèverai les lacunes principales de ce cadre grâce à des exemples très concrets. Comme dernier point, mais non le moindre, et avec toute la gratitude qu’on peut exprimer, je vous ferai part d’une proposition législative qui s’attaque directement aux lacunes qui ont été relevées et qui permettrait de les résoudre.
Malheureusement, le contenu de la présentation d’aujourd’hui est beaucoup trop similaire à celui que le Conseil des écoles fransaskoises avait présenté au comité de la Chambre des communes en 2011. Il semble que rien n’ait changé.
Hélène Grimard, vice-présidente, Conseil des écoles fransaskoises : Le Conseil des écoles fransaskoises est le seul conseil scolaire francophone à l’échelle de la province qui a un triple mandat : scolaire, culturel et communautaire. En tant que conseil scolaire de la minorité, le Conseil des écoles fransaskoises a des obligations constitutionnelles qui lui incombent en vertu des articles 23 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés et de la jurisprudence afférente. Cette responsabilité se présente sous forme de gestion scolaire francophone au nom des parents ayants droit et au bénéfice de la communauté francophone de la Saskatchewan. C’est une responsabilité que nous prenons très au sérieux.
Le Conseil des écoles fransaskoises gère cinq écoles de la minorité en milieu urbain et neuf écoles en milieu rural. Ces écoles font face à des défis distincts qui entraînent des coûts importants pour notre conseil sans économie d’échelle. De plus, la formule de financement standardisée du ministère de l’Éducation ne s’est jamais adaptée aux besoins uniques de la minorité. Notre conseil est donc gravement sous-financé, ce qui touche négativement tous les aspects de l’éducation offerte dans ces écoles. La communauté fransaskoise fait face à des défis de taille. L’exogamie en est un. Bien entendu, ces besoins ne sont pas palliés par des écoles du Conseil des écoles fransaskoises, en raison du sous-financement.
M. Barry : Brièvement, le cadre de gestion de l’appui financier fédéral pour l’éducation dans la langue de la minorité contrevient, à notre avis, à l’article 23 de la Charte.
Le ministère du Patrimoine canadien et le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada signent un protocole d’entente de cinq ans. Ce protocole définit les principaux paramètres de coopération entre les deux ordres de gouvernement en matière de financement de l’éducation dans la langue de la minorité pour la langue maternelle et la langue seconde. Le ministère du Patrimoine canadien signe ensuite des ententes bilatérales avec le ministre de l’Éducation de chaque province et territoire. Le ministre de l’Éducation doit par la suite adopter un plan d’action décrivant les initiatives qui seront financées à l’aide des fonds fédéraux ainsi que les montants octroyés à ces initiatives.
À des fins de présentation, le CEFSK a indiqué quatre lacunes propres à ce cadre de gestion qui pourraient être réglées grâce à la modification de la loi. Les quatre lacunes sont expliquées en détail dans le mémoire que nous vous avons remis, mais je vais brièvement vous en faire part. Premièrement, les besoins de la communauté fransaskoise sont déterminés par la Saskatchewan, en d’autres termes, par le gouvernement. Le protocole d’entente mentionne l’article 23 dans son préambule — voir la page 8 du mémoire. Malgré cette mention, le préambule indique ensuite que l’éducation est de compétence provinciale. Du coup, il fait donc abstraction du Conseil des écoles fransaskoises et du fait qu’il s’agit d’un ordre de gouvernement qui a un rôle de premier plan en matière d’éducation, de la prématernelle à la douzième année, dans la langue de la minorité.
Deuxièmement, le protocole n’exige pas que le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan consulte le Conseil des écoles fransaskoises. Pour ce qui est du plan d’action de 2013-2018, le CEFSK n’a pas été consulté adéquatement et n’était pas à la table de négociation. En raison du sous-financement chronique et sans formule de financement adaptée à nos besoins, l’argent reçu du gouvernement fédéral comble le manque à gagner et force une dérive du plan visé par le Conseil des écoles fransaskoises. En ce qui concerne le prochain plan d’action, le CEFSK n’a toujours pas été consulté par le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan quant à l’identification des priorités du Conseil des écoles fransaskoises et des communautés fransaskoises.
Troisièmement, le protocole ne prévoit pas de mécanisme de reddition de comptes adéquat. Le plan d’action préparé par le ministère de l’Éducation présente très généralement des initiatives sur cinq ans et le montant associé à ces initiatives, mais pas le destinataire des fonds ou la proportion de la contribution fédérale — voir l’annexe numéro 3 de notre mémoire. De plus, selon le protocole, le ministère de l’Éducation doit produire un rapport annuel comportant l’état financier des contributions et des dépenses réelles liées à son plan d’action — voir le tableau suivant, paragraphe 42 du mémoire. Ce rapport n’est pas remis au CEFSK. Il est disponible en ligne pour certaines années, mais aucun rapport annuel n’est disponible après celui de 2015-2016. En outre, les rapports de la Saskatchewan remis au ministère du Patrimoine canadien sont uniquement disponibles en anglais.
Quatrièmement, le protocole permet que les fonds affectés à l’enseignement de la prématernelle à la douzième année en français langue première soient utilisés afin de financer les coûts essentiels de cet enseignement et non les coûts véritablement supplémentaires à celui-ci. Comme vous pouvez facilement l’imaginer, le sous-financement du Conseil des écoles fransaskoises engendre de nombreux impacts négatifs sur la qualité de l’instruction ainsi que sur le développement et l’épanouissement de la communauté. Le financement du gouvernement fédéral destiné aux mesures spéciales est utilisé pour financer des services de fonctionnement de base, tels que le transport des étudiants.
Mme Grimard : Toutes les lacunes soulevées aujourd’hui découlent de l’absence d’encadrement dans la loi des interventions du gouvernement fédéral en matière d’éducation dans la langue de la minorité. Le Conseil des écoles fransaskoises n’existait pas en 1988, soit la dernière fois où la loi a été modifiée. Ne faisons pas l’erreur d’adopter une nouvelle loi qui ne tient pas compte du CEFSK et des conseils scolaires de langue française en situation minoritaire. La solution à ces lacunes proposée par le CEFSK est d’ajouter à la loi un article prévoyant et encadrant le rôle du gouvernement fédéral en matière d’éducation dans la langue de la minorité. La proposition d’une première ébauche d’un tel article se trouve à la page 15 du mémoire. Je ne vous en ferai pas la lecture.
Le Conseil des écoles fransaskoises vous remercie de l’occasion que vous lui avez donnée de vous présenter ses inquiétudes et solutions dans le cadre de l’étude portant sur la modernisation de la loi.
Le président : Monsieur Barry, madame Grimard, je vous remercie. Nous passons maintenant à M. Roger Paul et à M. Jean Lemay, de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones.
Jean Lemay, membre du Comité exécutif, Fédération nationale des conseils scolaires francophones : J’aimerais tout d’abord remercier le Comité sénatorial permanent des langues officielles de son invitation permettant à notre fédération de présenter sa perspective sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, en particulier en ce qui concerne la partie VII.
Je m’appelle Jean Lemay, je suis membre du comité exécutif de la FNCSF, la Fédération nationale des conseils scolaires francophones. Notre fédération représente les 28 conseils scolaires francophones du pays qui sont situés en contexte minoritaire, soit dans neuf provinces et trois territoires canadiens. Ces conseils scolaires comptent plus de 700 écoles élémentaires et secondaires fréquentées par près de 164 000 élèves. Notre réseau d’écoles élémentaires et secondaires connaît une croissance depuis quelques années, tant en ce qui concerne les écoles que les inscriptions.
Toutefois, malgré cet élan, les francophones en situation minoritaire sont encore trop nombreux à ne pas pouvoir faire instruire leurs enfants en français langue première, malgré l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. À titre d’exemple, plus de 2 000 enfants au pays sont inscrits sur des listes d’attente pour obtenir une place dans un service de la petite enfance francophone. Dans tous les territoires et les provinces, les francophones doivent avoir la possibilité d’étudier en français dans un continuum allant du préscolaire jusqu’au postsecondaire et à l’éducation des adultes.
Si le français doit demeurer la langue maternelle la plus importante après l’anglais, avec 7,8 millions de personnes, en 2036, selon les projections, son poids démographique devrait diminuer, aussi bien au Québec qu’à l’extérieur de la belle province. Il y a donc un empressement certain à soutenir la dualité linguistique afin d’offrir toutes les chances aux communautés francophones et acadienne de s’épanouir. Pour ce faire, un appui financier stable aux infrastructures scolaires communautaires est impératif.
En mars dernier, le gouvernement fédéral annonçait l’injection de 8 millions de dollars annuellement sur une période de 10 ans pour la construction d’infrastructures éducatives en contexte minoritaire afin de souligner et de promouvoir la dualité linguistique au Canada. Cette somme, en sus des fonds contenus dans le Plan d’action sur les langues officielles, demeure insuffisante pour tenir compte des besoins criants en infrastructures au sein des conseils scolaires francophones.
Beaucoup d’écoles de langue française souhaitent développer un type d’infrastructure où l’on retrouve trois volets, soit le scolaire, le communautaire et la petite enfance. Les écoles ont besoin de bonifier leurs espaces communautaires pour mieux servir les besoins des communautés francophones et acadienne et faire de l’école un pôle de la vie scolaire, communautaire et culturelle.
Comme l’a confirmé la Cour suprême du Canada dans l’affaire Rose-des-Vents, en 2015, les infrastructures des écoles de langue française doivent permettre l’offre d’une éducation au moins équivalente à celle offerte à la majorité dans les écoles avoisinantes. Des infrastructures appropriées sont essentielles afin d’assurer la vitalité et la pérennité de nos communautés.
Lorsque les parents sont dissuadés d’inscrire leurs enfants dans une école de langue française à cause des infrastructures défaillantes, comme le manque d’espace, l’absence de garderie, de gymnase ou d’auditorium, l’état physique des édifices scolaires de mauvaise qualité, ou le fait que l’édifice scolaire n’est pas bien adapté pour offrir un programme scolaire de qualité mettant l’accent sur la langue et la culture, on met en péril l’objet de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que le principe fondamental de la Loi sur les langues officielles de favoriser l’épanouissement des deux langues officielles. Il y a donc beaucoup de rattrapage à faire dans plusieurs régions du pays en ce qui touche les centres scolaires communautaires.
Même si la diversité culturelle est une réalité au sein des conseils scolaires francophones en contexte minoritaire au pays, des défis demeurent au chapitre du recrutement, de l’accueil, du maintien et de l’accompagnement des nouveaux arrivants. Le besoin de mieux informer les ayants droit ainsi que les nouveaux arrivants d’expression française de l’existence du réseau des écoles de langue française en contexte minoritaire au pays est bien réel.
La Fédération nationale des conseils scolaires francophones a d’ailleurs produit une série de capsules vidéo intitulée Mon école de choix — disponible en français, en anglais et en arabe — pour que les parents puissent faire un choix éclairé en toute connaissance de cause. Les services consulaires doivent, avant leur arrivée au Canada, informer les nouveaux arrivants de la possibilité, s’ils le désirent, de faire instruire leurs enfants en français à l’extérieur de la province de Québec.
L’avenir des écoles de langue française passe par l’immigration. Les administrateurs d’écoles de langue française en sont tout à fait conscients et souhaitent l’inclusion des nouveaux arrivants au sein d’une francophonie au pluriel.
Si vous me le permettez, j’aimerais maintenant céder la parole à mon directeur général, M. Roger Paul, qui vous entretiendra des actions concrètes que le gouvernement fédéral peut mettre en place pour favoriser la dualité linguistique et appuyer le développement des communautés francophones et acadienne en contexte minoritaire à travers le vecteur éducatif.
Roger Paul, directeur général, Fédération nationale des conseils scolaires francophones : Bonsoir à tous et merci de nous accueillir.
J’aimerais vous présenter quatre actions concrètes que le gouvernement fédéral peut mettre en place pour favoriser la dualité linguistique et appuyer le développement des communautés francophones et acadienne en contexte minoritaire à travers le vecteur éducatif, comme l’a mentionné M. Lemay.
Dans un premier temps, j’aimerais vous parler d’immigration; deuxièmement, du recensement; troisièmement, des biens immobiliers excédentaires du gouvernement fédéral; et, finalement, de l’entente stratégique du PLOE. Certains de ces sujets ont été bien couverts par mes collègues, et je ne m’y attarderai pas trop.
Je vous dirais que la position de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones est que le gouvernement fédéral doit pouvoir encourager l’immigration francophone, modifier le formulaire de recensement pour mieux répertorier les ayants droit, créer une stratégie d’aliénation équilibrée des biens immobiliers excédentaires du gouvernement fédéral et, finalement, favoriser la mise en œuvre de l’entente stratégique en éducation.
Tout d’abord, commençons par l’immigration. Le gouvernement doit pouvoir favoriser une meilleure répartition de l’immigration francophone au Canada afin d’atteindre la cible de 5 p. 100 entérinée par les 13 provinces et territoires et en faveur d’un plan d’action concret assorti d’un échéancier. Rappelons que selon les projections de Statistique Canada, près de un Canadien sur deux sera issu de l’immigration d’ici 15 ans.
En ce qui a trait au prochain recensement, nous sommes d’avis que le gouvernement doit modifier le formulaire de recensement à temps pour le prochain exercice prévu en 2021, pour mieux identifier les ayants droit admissibles dans les écoles de langue française en contexte minoritaire. Ainsi, nous allons lutter effectivement contre l’assimilation. Nous appuyons nos collègues du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique. Je ne répéterai pas ce qu’ils vous ont mentionné. C’est une position que nous avons en commun avec les 28 conseils scolaires au pays. La modification du formulaire est une condition essentielle pour obtenir un portrait juste et complet du nombre d’ayants droit, afin de mettre en place un système d’éducation élémentaire et secondaire qui rejoint véritablement la francophonie canadienne. Beaucoup de nos élèves issus de familles exogames, comme on l’a mentionné, ne sont donc pas comptabilisés.
À ce sujet, j’aimerais vous raconter une petite anecdote personnelle. Dans mon ancienne vie, j’étais directeur général d’un conseil scolaire qui comptait environ 15 000 élèves. Quand le ministère de l’Éducation de l’Ontario me demandait quelles étaient mes preuves pour faire valoir la construction d’une école, disons, à Vankleek Hill, à Cornwall ou à Rockland, je ne pouvais pas répondre que c’était parce que je croyais que c’était important. Non. Il fallait que j’appuie ma demande avec les données du recensement. C’était difficile d’aller de l’avant, parce qu’on parlait de millions de dollars. Je ne blâme pas le gouvernement de nous demander des données, mais on ne les a pas. On pourrait les avoir si on reformulait le questionnaire du recensement. Voilà pourquoi c’est important. Voilà comment fonctionnent les gouvernements. On a besoin de données. Si ces données étaient disponibles, les conseils scolaires de la minorité, les parents francophones, les communautés francophones ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux seraient capables de mieux planifier leurs programmes. À un moment donné, tout le monde veut avoir une nouvelle école. Pourquoi favoriser l’un plus que l’autre? Pourquoi favoriser les francophones plus que les anglophones? Il faut pouvoir démontrer qu’il y a un besoin réel.
Finalement, en ce qui a trait aux biens immobiliers, le gouvernement fédéral doit se prononcer en faveur d’une stratégie d’aliénation équilibrée. On ne joue pas d’égal à égal ici. Quand un terrain d’une valeur de 20, 25 millions de dollars devient disponible, croyez-vous que les francophones peuvent se le permettre? On ne veut peut-être pas tout le terrain de 400 acres. On veut peut-être seulement 10 acres de ce terrain. Y a-t-il moyen de nous offrir quelque chose de raisonnable?
L’entente stratégique pour le PLOE, vous en avez beaucoup entendu parler. On l’a arrachée à Patrimoine canadien, avec votre aide, et on en est très fier. On l’a présentée à votre comité en 2005 et en 2016, et vous aviez fait beaucoup plus de recommandations que ce sur quoi on s’était entendu avec Patrimoine canadien. Ce qu’on aurait voulu, c’est ce que le Conseil scolaire des écoles fransaskoises vous a présenté, c’est-à-dire un encadrement prévu par la loi qui permettrait de mettre fin aux combats qui sont toujours à recommencer. Avec votre aide, on a réussi à décrocher une entente stratégique sur le déroulement. Il s’agit d’un bon premier pas.
La Fédération nationale des conseils scolaires francophones, la Commission nationale des parents francophones et la FCFA ont réussi à obtenir cette entente. Cependant, Patrimoine canadien exige plus de consultations, de reddition de comptes et une définition claire quant aux coûts supplémentaires. Les coûts supplémentaires ne visent pas le paiement des salaires de professeurs au régulier, comme certains ministères le font. Il faut que cela soit éclairci, et je crois que nous l’avons éclairci. Maintenant, les ministères de l’Éducation des quatre coins du pays vont-ils l’honorer? Cela reste à voir. Si ce n’est pas honoré, nous devrons revenir demander votre appui encore une fois.
Je pourrais continuer longtemps, mais nous allons plutôt répondre aux questions des sénateurs.
La sénatrice Poirier : Merci à vous tous d’être ici. L’un de vous a mentionné la Feuille de route pour les langues officielles des cinq dernières années, qui se termine le 31 mars 2018, et le nouveau plan d’action qui est en cours, ainsi que la réponse quelque peu décevante du gouvernement à notre rapport Horizon 2018. On semble percevoir le plan d’action de la ministre Joly comme étant la réponse à tous les problèmes. Par contre, si l’on se fie à ce qu’on entend ici, ce n’est pas vraiment le cas.
Si je ne me trompe pas, M. Barry a mentionné que les mêmes recommandations sont faites à répétition, rapport après rapport, sans jamais vraiment recevoir de réponse. Certains ont mentionné également ne pas avoir été consultés dans le cadre du dernier plan d’action et de la feuille de route, pas plus que pour ceux qui sont en cours d’élaboration. J’aimerais savoir si les autres groupes ont été consultés. La Fédération qui représente les 28 conseils scolaires a-t-elle été consultée dans le cadre de l’élaboration du nouveau plan d’action et de la feuille de route?
M. Lemay : Je peux vous donner la réponse. Je représente l’Ontario. On a 12 conseils de langue française en Ontario. On a au-delà de 500 000 élèves francophones en Ontario dans nos écoles. Actuellement, la consultation ne se fait pas à l’échelle provinciale au ministère de l’Éducation avec les conseils scolaires. Certains fonds sont destinés aux francophones, mais on n’est pas consulté. Voilà pourquoi la Fédération nationale des conseils scolaires francophones souhaite que cela se fasse dans l’ensemble du pays. Il faut que chaque ministère de l’Éducation vienne consulter sa communauté francophone.
Nous sommes tous des élus. Nous tenons des élections aux quatre ans. Nous représentons les parents dont les enfants fréquentent l’école et les parents qui n’ont pas d’enfants à l’école, mais qui paient des taxes à nos conseils scolaires. Il est important de faire passer le message. Lorsque le ministère reçoit un montant d’argent pour les langues officielles et qu’il le dévoile aux conseils scolaires, on aimerait être consulté pour savoir où ira cet argent.
En Ontario, comme partout au Canada, la majorité des anglophones a accès aux programmes d’immersion. Ils suivent des cours en français dans une école anglophone. Ils sont déjà majoritaires. Ils ont un poids politique plus important. Ils peuvent réclamer haut et fort une demande de fonds auprès du ministère de l’Éducation. Qu’en est-il de la minorité francophone, des écoles francophones, des centres communautaires francophones, des garderies francophones? Comment peut-on avoir accès à cet argent alors que le gouvernement provincial n’est pas à l’écoute de nos besoins?
Parfois, on essaie de savoir comment l’argent a été dépensé. L’argent est versé au budget général de l’éducation et on se retrouve avec des chiffres qu’on n’est pas en mesure de justifier. Ce n’est pas la même réalité qu’en Ontario, et je pense que c’est la même situation ailleurs.
Mme Lapierre : L’année dernière, on a participé à des consultations. Le CSF n’avait pas été invité. J’y étais présente parce que la British Columbia School Trustees Association a cru bon d’inviter le Conseil scolaire francophone. J’ai participé à certaines des consultations parce que j’avais été invitée par un organisme provincial et non par le ministère de l’Éducation. On a posé des questions sur la transparence, les paiements et les fonds. Par exemple — pour l’instant, dans la loi, il y a tout de même le « matching » —, on disait qu’il fallait inclure le « matching ». On a posé des questions, parce qu’on nous disait de faire du « matching », mais on ne recevait pas nécessairement les fonds du gouvernement provincial. Par exemple, sur quatre ans, il fallait dire que la province nous accordait des fonds de 800 000 $ alors qu’elle ne nous avait pas donné cette somme. On a posé des questions en juin lors de notre rencontre. On nous a répondu qu’on obtiendrait une réponse au cours de la prochaine rencontre qui devait avoir lieu en décembre, mais qui a été annulée. On nous a dit que cette rencontre serait reportée en janvier. La signature doit se faire bientôt, alors il serait temps de mener des consultations. Aujourd’hui, c’est le 12 février, et aucune date n’a encore été fixée pour une rencontre avec les représentants du ministère de l’Éducation.
M. Paul : C’est une excellente question. Est-ce qu’on a été consulté? On parle des 28 conseils scolaires au pays. On a été consulté par Patrimoine canadien. À notre avis, c’est le ministère de l’Éducation de chaque province et territoire qui compte le plus et non Patrimoine canadien. Les fonds sont versés à la province. Par la suite, ils sont octroyés selon les formules. Ce n’est pas la même chose partout. On ne peut pas « peindre » toutes les provinces et tous les territoires de la même façon. Dans certaines provinces, ça va mieux, alors que dans d’autres, il y a absence totale de consultation. À un moment donné, une province décide de lire le plan stratégique du conseil scolaire et elle choisit ce qu’elle veut, ce qui représente de la consultation. On a encore un petit bout de chemin à faire avant de dire qu’on a été consulté.
Par contre, dans l’entente stratégique pour laquelle vous nous avez appuyés en tant que comité permanent, il est bel et bien mentionné que Patrimoine canadien s’attend à ce que les ministères de l’Éducation consultent les conseils scolaires, mais ce n’est pas une obligation, c’est un souhait de la part de Partrimoine canadien. D’un autre côté, Patrimoine canadien nous répond que si la province ne nous consulte pas, il le fera. Or, ce n’est pas Patrimoine canadien qui compte le plus dans nos provinces et territoires.
La sénatrice Poirier : Tous les groupes ont parlé du prochain recensement de 2021, qui pourrait faire une différence dans la manière dont on établit le nombre de francophones au Canada. Sur une échelle d’un à dix — dix étant le critère le plus important —, où se situerait le point le plus important de la réussite de la situation minoritaire des francophones?
Mme Lapierre : Si on n’a pas les chiffres, on ne peut pas planifier. On ne peut pas prévoir de programmes. On ne sait pas où construire les écoles. C’est vraiment une des choses les plus importantes. C’est la raison pour laquelle on a besoin que ce ne soit pas simplement un échantillon, mais que ce soit toute la population qui réponde, parce qu’on a des zones fluides. Dans ma région seulement, des changements se font. Si des écoles sont construites, la zone va changer. C’est pourquoi il faut que la loi reflète le changement et qu’elle exige la collecte des données. Si la loi n’est pas modifiée, on peut facilement nous reprocher de ne pas avoir de chiffres.
Mon ancien patron a un père francophone, mais il ne parle pas français, car il n’y avait pas d’école française dans sa région. Ses enfants n’ont même pas d’oreille francophone. Si on n’obtient pas toutes les réponses aux questions lors du recensement, si la loi ne nous oblige pas à poser toutes les questions qui permettront d’identifier les trois catégories, c’est un cercle vicieux. Si on n’a pas les chiffres, on se fera assimiler. Ensuite, les gens diront qu’on s’est fait assimilé.
La sénatrice Poirier : Je vous comprends parfaitement. Je suis une Acadienne francophone venue au monde dans une région où il n’y avait pas d’école française. J’ai fait mes études en anglais. Aujourd’hui, il y a une école française.
Ma dernière question concerne le Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue à mener une révision de sa loi sur les langues officielles tous les 10 ans. Croyez-vous que le gouvernement fédéral devrait faire une révision de la Loi sur les langues officielles après 5, 7, 10 ou 15 ans?
M. Barry : C’est une excellente question. De toute évidence, toute solution est viable. Revoir la loi après un certain temps aiderait à la moderniser et à l’actualiser. Aujourd’hui, quand on parle de moderniser la loi, il y a un aspect fondamental. On ne peut plus compter simplement sur la bonne foi des gouvernements provinciaux. On est une petite minorité. La représentation effective n’est pas au niveau de la législation ou du Parlement ou même du Cabinet. Du coup, on devient la fourmi dans le sable. Notre conseil scolaire vous recommande que l’alinéa 43(1)d), qui existe à l’heure actuelle dans la loi, soit extrapolé pour devenir une section où on pourrait clairement identifier les conseils scolaires comme étant un ordre de gouvernement pour lequel l’obligation de mener des consultations serait déjà enchâssée dans la loi, de sorte qu’on puisse bénéficier d’un certain pouvoir législatif qui obligerait les gouvernements à nous consulter.
Le président : Merci. Je vous demanderais d’être brefs. Je vois le temps filer et plusieurs sénateurs souhaitent poser des questions.
Mme Lapierre : Je vais tenter d’être brève. Lorsque je me suis mariée, j’ai fait faire un testament. Quand j’ai eu des enfants, nous avons révisé notre testament. C’est la même chose avec la loi. La loi remonte à 1988 et précède la création de notre conseil scolaire. Il est plus que temps qu’elle soit révisée. Je crois qu’il est aussi nécessaire de réviser la loi régulièrement parce que d’autres changements seront apportés entre-temps. Ai-je été assez brève?
Le président : Oui, merci beaucoup, madame Lapierre. Monsieur Paul, vous voulez intervenir?
M. Paul : Ma réponse est encore plus brève : oui.
M. Lemay : Oui. Voilà ce qui arrive à chaque fois que l’on planifie la création d’une école, en Colombie-Britannique et en Ontario. On dit en anglais : « Build it and they will come. » C’est ce qui se passe. On a finalement de l’argent pour ouvrir une école de 400 places. Pendant la première année, avant l’ouverture de l’école, on doit installer quatre, cinq ou six portatives. Quand on dit « build it and they will come », c’est vrai pour les francophones.
La sénatrice Gagné : Merci beaucoup. J’aimerais vous remercier de vos excellentes présentations et aussi des recommandations que vous nous avez communiquées. Elles nous aideront dans le cadre de nos délibérations. C’est très bien documenté.
J’ai évolué dans le domaine de l’éducation pendant plus de 35 ans. Je vous entends parler et je vous avoue qu’il y a 30 ans, on parlait des mêmes choses. Je trouve cela déconcertant. J’espère être en mesure de rallier des voix autour de ces questions afin que nous puissions être entendus.
Vous avez fait des recommandations quant à la question de l’aliénation des terrains et des infrastructures, du dénombrement des ayants droit, de l’affectation des fonds, de la reddition de comptes, des consultations auprès des conseils scolaires ainsi que de la négociation des protocoles d’entente en éducation.
Il y a deux processus au Canada. Il y a la négociation dans le cadre du plan d’action qu’on appelait la feuille de route, ainsi que toute la négociation liée au Protocole sur les langues officielles dans l’enseignement. Ce sont deux processus distincts. Dans le domaine de l’éducation, il faut négocier avec les provinces afin de s’assurer qu’elles tiennent compte des besoins des conseils scolaires. Étant donné que l’éducation est de compétence provinciale, les trois parties doivent s’entendre sur des investissements qui nous permettront d’assurer le développement et l’épanouissement des communautés.
Abordons maintenant la question de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Afin qu’elle puisse jouer un rôle concret dans le domaine de l’éducation, comment pouvons-nous nous assurer qu’il y ait un continuum en éducation, du préscolaire, au primaire, au secondaire et au postsecondaire? Est-ce que vous envisagez ce concept comme pouvant s’insérer dans la partie VII? Ou bien, voyez-vous plutôt une partie spécifique consacrée au continuum en éducation? Devrait-il y avoir des règlements liés à cette partie qui pourraient traiter du continuum en éducation? Ce sont des recommandations qui nous ont été apportées par d’autres témoins. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
M. Barry : Il est clair que la question du continuum en éducation est aujourd’hui le vecteur de croissance et de vitalité pour nous. Vous parlez de règlements associés à la loi. Un règlement pourrait certainement être modifié par les administrateurs. La législation se modifie à la Chambre des communes. Nous mettons plus d’accent sur la législation elle-même. Il s’agirait d’insérer l’obligation de donner aux conseils scolaires la possibilité de voir dans quelle mesure la loi pourrait assurer la vitalité de nos communautés. Nous sommes très bien placés pour connaître les moyens à prendre pour répondre à nos besoins aujourd’hui. Nous sommes également capables de les mettre en œuvre. Nous n’avons pas besoin de fonctionnaires pour nous dicter comment le faire. Je ne sais pas si mes collègues sont d’accord. Je crois que la loi serait idéale.
Mme Lapierre : Les conseils scolaires sont une partie intégrante qui doivent être représentés dans la loi, car lorsque nous parlons de consultation, c’est nous qui nous en occupons. Il est bien évident qu’il y a un continuum dans la mesure où, si les services de la petite enfance ne sont pas présents, la francisation ne sera pas au rendez-vous. Donc, on arrive à la maternelle et le construit identitaire n’est pas encore fait. Par contre, si les jeunes vont à la garderie et parlent en français, il y a une identité francophone. J’ai commencé à m’impliquer auprès du conseil scolaire lorsque j’ai cherché une garderie francophone pour mon garçon qui avait 2 ans. Je me suis fait recruter avant qu’il commence la maternelle. C’est quelque chose qui dure, mais la construction doit se faire.
De la même façon, on perd beaucoup de jeunes au secondaire, car il n’y a pas d’éducation postsecondaire offerte en français. Donc, les jeunes vont au secondaire en anglais en espérant améliorer leur anglais pour pouvoir mieux réussir à l’université. Il est bien évident que l’éducation commence au berceau et se poursuit jusqu’à la fin, parce qu’il faut vraiment s’en occuper. Il faut que ce soit représenté dans la loi.
Sénatrice Gagné, vous avez témoigné en 2005, si je me souviens bien.
La sénatrice Gagné : Vous avez une bonne mémoire.
Mme Lapierre : On revient témoigner au sujet des mêmes choses. Je pense qu’il faut que ces éléments soient insérés dans la loi pour favoriser le changement. Si on se fie au gouvernement ou aux fonctionnaires, cela n’arrivera pas. Il faut vraiment moderniser la loi.
La sénatrice Gagné : J’ai une question spécifique à poser à M. Paul. Est-ce que la loi doit enchâsser les rôles et pouvoirs des commissions scolaires en matière d’éducation?
M. Paul : Absolument, ce serait un souhait de notre fédération qu’on enchâsse le droit de gestion.
En lien avec votre première question, nous avons besoin dans la loi de retrouver ce qu’on appelle la « complétude institutionnelle ». On a fait beaucoup d’avancées au niveau de l’élémentaire et du secondaire. On commence à percer au niveau postsecondaire. Avec les annonces de cette année, la petite enfance est intéressante aussi, mais nous sommes loin d’avoir notre juste part.
Dans le cadre des réunions de notre conseil d’administration la semaine dernière, nous examinions toutes les ententes bilatérales fédérales-provinciales en matière de petite enfance pour constater qu’il y a très peu de sous pour les francophones dans ces ententes. S’il y avait dans la loi, à la partie VII, des références aux besoins des francophones quant à la « complétude institutionnelle », on aurait prévu des subventions et il y aurait des paramètres les concernant. Maintenant, ce n’est pas le cas.
La sénatrice Gagné : Vous avez mentionné la partie VII. Est-ce que vous croyez qu’au lieu d’être intégré à la partie VII, ce devrait faire l’objet d’un article distinct?
M. Paul : Oui, je voulais le mentionner. Ce devrait être à part entière, parce que, quand on parle de prendre des mesures positives en matière d’éducation, il est extrêmement important d’aller plus loin que le simple libellé et de prévoir des orientations. La loi va faire en sorte que lorsqu’un nouveau gouvernement arrive, il ne peut pas faire à son gré. C’est déjà enchâssé. C’est une occasion en or de le faire. Oui, effectivement, il faut le faire tous les 5 ou 10 ans. Il faut le faire régulièrement. Si on l’avait fait par le passé, les conditions des écoles francophones auraient progressé.
Je suis en désaccord avec le commentaire qui a été fait selon lequel on n’a pas fait de gains. On a fait beaucoup de gains. On n’avait pas de conseils scolaires. Maintenant, on a une entente stratégique et historique grâce à vous et à votre comité. Ce n’est pas assez loin, mais ça progresse.
M. Ouellette : Pour répondre à la sénatrice Gagné, je pense que le mot qu’on entend, et c’est un mot assez fort, c’est « l’enchâssement » dans la loi. Vous avez parlé de règlement. Le règlement n’est pas très utile si le gouvernement ne l’adopte pas. L’autre chose, c’est que j’espère que vous n’étiez pas trop satisfaits de la réponse à votre rapport qu’on a reçue. Nous ne l’étions pas. On a trouvé que c’était une réponse vague. Un exemple d’un règlement qui fonctionne plus ou moins bien ou pas du tout, c’est l’histoire de l’aliénation de l’immobilier. Vous avez vu ce qu’ils ont répondu, c’est que cela donne l’occasion de faire un rappel. Chez nous, le rappel ne marche pas non plus. Donc, ce n’est pas comme ça qu’on va l’avoir. Il faut y aller directement. Dans nos mémoires, il y a trois propositions, et celui qu’Alpha en contient une. Ce sont de bonnes pistes de départ, et c’est là qu’il faut viser, parce qu’on est à la merci de tout un chacun. Merci beaucoup.
Le sénateur McIntyre : Décidément, vos organismes représentent les conseils scolaires francophones qui travaillent à l’extérieur du Québec. Ils jouent un rôle clé dans le domaine de l’éducation. Merci de vos présentations. Trois thèmes font régulièrement surface dans le cadre des audiences publiques du comité, et vous en avez fait mention : le protocole d’entente, le prochain plan d’action et la reddition de comptes en éducation.
Les problèmes de reddition de comptes sont un thème récurrent. Ma question est la suivante. De quelle façon la Loi sur les langues officielles doit-elle être modernisée pour régler ces problèmes?
M. Barry : Merci, sénateur McIntyre. Si vous regardez le projet législatif qu’on vous recommande, on propose qu’il y ait une instance indépendante qui s’en occupe. Nous avons utilisé le mot « ministère » sans indiquer spécifiquement s’il s’agit de Patrimoine canadien ou non. Pour nous qui allons nous en occuper, ce n’est pas vraiment l’objet, c’est vraiment d’avoir cette force de loi qui dit qu’il y aura une instance qui aura le pouvoir de le faire sans pour autant être obligée d’être influencée de part et d’autre. Que ce soit un tribunal administratif, Patrimoine canadien ou le Conseil du Trésor, je pense que pour nous, ça importe peu. Mais on aimerait pouvoir s’adresser à une instance qui serait chargée de veiller à ce que la loi soit appliquée de façon efficace.
Mme Lapierre : Je vais continuer dans le même ordre d’idées qu’Alpha. Je pense qu’on a besoin d’un chien de garde qui a du mordant auquel on pourrait s’adresser lorsque quelque chose n’a pas été fait comme il faut, afin qu’il y ait des conséquences ou des obligations à respecter. C’est pour cela qu’on demande les changements à la loi. Je travaille au niveau fédéral depuis 23 ans et j’espère que personne n’écoute ce que je suis en train dire. Les directives que je reçois et qui sont basées sur la loi sont suivies de plus près lorsqu’il s’agit de règlements, de directives administratives ou de lignes directrices. C’est pour cela qu’on se bat pour que ce soit inscrit dans la loi, afin, justement, qu’il y ait des conséquences et des obligations.
Le sénateur McIntyre : Je vais passer à ma deuxième question. Comme le mentionnait M. Roger Paul, vos organismes ont remporté toute une victoire, celle de l’entente stratégique en matière d’éducation. Maintenant, il faut passer à la prochaine étape, et je pense que la prochaine étape est le protocole d’entente en éducation qui, espérons-le, sera conclu entre le gouvernement fédéral et le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (CMEC).
Pensez-vous que ce protocole d’entente verra le jour? Croyez-vous que le gouvernement du Canada sera en mesure d’inciter le conseil à prendre en considération les priorités stratégiques identifiées dans l’entente lors de la négociation du prochain protocole d’entente en éducation?
M. Paul : C’est une bonne question, c’est une question à 10 000 $, celle-là.
M. Ouellette : Dix millions de dollars.
M. Paul : Oui, merci. Je vais vous répondre de la façon suivante. Si le gouvernement fédéral et le ministère du Patrimoine canadien, qui pilote ce dossier, échouent, c’est ça que c’est, finalement. Si Patrimoine canadien ne réussit pas à convaincre le CMEC de la valeur d’un tel protocole, le gouvernement a échoué. Le protocole d’entente est entre Patrimoine canadien, la Fédération des conseils scolaires francophones, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada et la Commission nationale des parents francophones. On a besoin de plus de consultations encadrées et d’une définition de ce que signifient les coûts supplémentaires. Il s’agit d’arrêter de verser de l’argent pour financer les coûts obligatoires et récurrents.
Troisièmement, on a besoin d’une meilleure reddition de comptes. Bon, est-ce qu’on s’attend à ce que tous les ministères de l’Éducation signent ce protocole d’entente? Ce serait souhaitable et ce serait l’un de nos plus grands rêves. Est-ce qu’on est réaliste? Oui. Mais il est beaucoup plus important de savoir ou de se demander ce que Patrimoine canadien fera si jamais les ministères de l’Éducation ne signent pas cette entente. Qu’est-ce que Patrimoine canadien fera si, province par province, les conseils scolaires s’adressent à leur ministère de l’Éducation respectif et leur disent : « Voici, il y a un protocole d’entente, c’est ce que Patrimoine canadien vous demande de faire, pourquoi ne le faites-vous pas? » Et là, vous allez vous retrouver avec quoi? Bien, c’est l’histoire qui va se répéter. C’est déjà parti.
Il y aura de nombreux dossiers devant les tribunaux, parce que Patrimoine canadien a déterminé que ça devrait fonctionner ainsi. La province refuse, et ils se lancent la balle. Patrimoine canadien dira que l’éducation est de compétence provinciale et territoriale. Nous allons leur dire : « C’est votre argent, c’est l’argent du peuple. » Quand vous donnez de l’argent, il faut prévoir une reddition de comptes et des consultations afin que la façon dont sera dépensé l’argent soit claire. On a une entente stratégique, et je ne peux vous dire à quel point cela nous a fait plaisir. Lorsqu’ils décident de ne pas la respecter pour une raison ou une autre, on a un document signé par Patrimoine canadien qui dicte finalement les règles du jeu. Maintenant, est-ce qu’ils vont les accepter? Cela exigera de la négociation, et la prochaine ronde sera très difficile.
Je suis conscient qu’on comparaît devant vous aujourd’hui, mais on vous lève un drapeau. On va avoir besoin de l’aide de toute la communauté pour la prochaine étape, et M. Trudeau a dit que l’entente devrait être signée vers avril ou mai. Ensuite, les consultations devraient commencer. Avec quels groupes auront lieu ces consultations? Il faut faire attention, ce sera entre Patrimoine canadien et les conseils scolaires. Cependant, ce ne sont pas celles-là qui nous intéressent, mais plutôt les consultations entre les ministères de l’Éducation et nos conseils scolaires. Là, ce sera noir sur blanc, et M. Trudeau l’a promis. Vous y étiez lorsqu’il a répondu à un parent de la Colombie-Britannique la semaine dernière, si ma mémoire est bonne, ou la semaine précédente. Un parent francophone — de Nanaimo, je pense — a demandé à M. Trudeau ce qu’il allait faire. Nos enfants passent par l’école élémentaire, et ça va, dépendant de l’endroit où ils se trouvent, mais aussitôt qu’ils arrivent au secondaire, ils peuvent suivre deux cours sur huit seulement en français. M. Trudeau a nous répondu en français : « Vous allez voir dans le prochain plan d’action, la prochaine feuille de route. Le gouvernement précédent n’a pas augmenté ces fonds, vous allez voir. »
Nous avons hâte de le voir nous aussi. Quand un premier ministre promet de telles choses, on a de l’espoir, mais on n’est pas naïf non plus. On a hâte de voir ce qui va se passer.
Pour répondre à votre question, je dirais que ce n’est pas d’un protocole d’entente dont on a besoin. Souvenez-vous lorsque nous sommes venus vous voir, vous nous avez appuyés pour l’élaboration d’une entente tripartite, c’est-à-dire entre le CMEC, Patrimoine canadien et les conseils scolaires. On n’a pas obtenu cette entente, mais, à tout le moins, on a cédé afin d’obtenir une entente stratégique, et on espère que les gens feront preuve de bonne foi. Nous avons cédé, mais nous reviendrons. Nous reviendrons devant votre comité pour poursuivre les discussions concernant la Loi sur les langues officielles.
Le sénateur McIntyre : Espérons qu’il y aura de la volonté politique.
M. Paul : Nous le souhaitons tous.
Mme Lapierre : La raison pour laquelle on demande une modification à la loi, c’est justement parce qu’on ne peut pas se fier à la volonté politique qui change selon le nombre de votes. On s’entend sur le fait que les francophones en milieu minoritaire ne sont pas ceux qui récoltent le plus de votes. Donc, nous avons besoin d’être protégés par la loi afin que nos droits constitutionnels soient respectés.
Je m’excuse de parler pour moi, mais je ne veux pas me fier au bon vouloir du politicien qui est présentement au pouvoir et sur ce qu’il va dire. On sait bien que les promesses changent, alors que si c’est inclus dans la loi, ce sera plus difficile à ignorer. C’est pourquoi je préférerais que ce soit inclus dans la loi afin que mes enfants et petits-enfants soient protégés.
Le sénateur Maltais : Vous formez la quadrature du cercle. D’un côté, il y a la Charte canadienne des droits et libertés qui vous accorde des droits spécifiques; de l’autre, la Constitution qui stipule que vous n’avez pas le droit d’intervenir, en ce sens que l’article 96 définit les pouvoirs des provinces.
Je suis obligé de vous le dire. Il n’y a pas de volonté politique, ni de la part des provinces ni de la part du gouvernement fédéral, n’en déplaise, mais nous devons trouver une solution. Il y a environ un an et demi, à la place de M. Barry, il y avait les gens de la Société immobilière du Canada . Je vous assure qu’ils ne l’ont pas trouvée drôle. On nous a laissés entendre que pour l’école Rose-des-Vents, il y avait une possibilité. Donc, ils nous ont menti en plein visage. Comment voulez-vous faire confiance à de pareilles personnes? Ils ne sont pas allés à l’école Rose-des-Vents, mais moi, j’y suis allé, vous vous en souvenez. Je vu jouer des enfants de la garderie sur l’asphalte et le béton. J’ai dit que la seule rose que j’ai vue là-bas, c’était dans le cœur des enfants.
Je suis très déçu que le monde politique ne vous aide pas davantage. Monsieur Barry, vous avez parlé de règlements, de cadre législatif à l’intérieur de la révision de la loi. Le Sénat peut faire toutes les recommandations qu’il voudra, mais c’est à la Chambre des communes que les lois sont adoptées. Je vous dis la vérité, je ne mets pas de paravent et je ne mets pas de lunettes de soleil. C’est là que vous devez taper sur le clou. Des députés vous parlent en toutes sortes de langues, il faut que vous leur plantiez le clou sur la tête, et à chaque jour, s’il le faut.
Vous avez un instrument chez vous, Radio-Canada, une société qui coûte cher aux contribuables. Mettez-la dans le coup si vous le pouvez, moi je ne suis pas capable, ils ne m’écoutent plus. À mon avis, ils font un très mauvais travail et ils vont chercher une partie des fonds de Patrimoine canadien, un très gros ministère. Même avec la meilleure volonté du meilleur ministre, la langue française et l’éducation passent après Parcs Canada, après le Conseil des arts, après CBC/Radio-Canada et après les imprimeries. Je vous le dis, vous êtes les derniers de la liste. C’est la réalité.
Quand on dépense à peine 60 millions pour les écoles francophones hors Québec, alors qu’au Québec on en dépense un demi-million pour nos anglophones, c’est une vraie farce. La preuve, c’est qu’on a un bon anglophone ici, il est leader du gouvernement.
À part les conseils scolaires, personne n’a de volonté politique. Vous faites face à un mur et le seul moyen de le franchir, c’est d’aller à la Chambre des communes. On aura beau faire les plans d’action qu’on voudra, présenter les modifications qu’on voudra dans le cadre de la révision de la Loi sur les langues officielles, le résultat sera toujours « zéro puis une barre ».
Vous devez vous adresser au Comité des langues officielles de la Chambre des communes et à chacun de vos députés. Ceux qui n’agissent pas, dénoncez-les pour avoir un peu de visibilité, parce qu’il y a des campagnes électorales qui approchent. En Ontario, ça va relativement bien, mais en Saskatchewan, ce n’est pas très fort. En Colombie-Britannique, on avance à la vitesse d’une tortue, mais à reculons.
Je vous dis la vérité telle que je la perçois, après avoir parcouru le pays, de l’Île-du-Prince-Édouard à l’île de Vancouver. Ce sont toujours les mêmes questions qui se posent, qu’importe la province concernée. Si demain on reçoit des témoins de l’Île-du-Prince-Édouard, on aura la même liste de questions qui concernent l’immigration, la formule du recensement, les biens immobiliers et les ententes stratégiques. C’est toujours la même chose.
Nous, les sénateurs, n’avons pas le poids politique pour changer un iota. Nous pouvons défendre un point de vue, mais c’est l’autre endroit qui a ce pouvoir de modifier la loi. Or, l’autre Chambre, vous devez la brasser assez fort afin que des ministres francophones soient impliqués dans les provinces de l’Ouest. Voilà l’essentiel de mes commentaires.
Mme Lapierre : J’aimerais réagir aux propos du sénateur Maltais. Je suis originaire du Québec et j’ai vécu sept ans dans les Maritimes avant d’aller m’établir six mois en Colombie-Britannique. Il est évident que nous sommes ici pour susciter votre appui et celui de nos députés. Nous allons rencontrer les membres du Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes le 28 février. Donc, on travaille sur plusieurs fronts. Plus nous pourrons encourager, aider et éduquer les gens à comprendre notre réalité, plus il y aura d’appui et de chances que la situation change.
Le sénateur Maltais : Sans équivoque.
Mme Lapierre : J’en suis bien contente.
M. Ouellette : Nous sommes très fiers de vous. Il ne faut pas se leurrer; votre rapport a fait des vagues.
M. Paul : Je vous dirais qu’il faut travailler à la fois avec le Sénat et la Chambre des communes, et c’est ce qu’on fait. En l’espace d’un an, j’ai comparu au nom de la fédération à quelques reprises devant votre comité et encore plus souvent devant le Comité permanent de la Chambre des communes. Je me souviens que c’était très difficile il y a quelques années. On ne reculait pas, mais on avançait à pas de tortue. En 2006, vous avez déposé un rapport portant sur le PLOE qui n’est pas allé très loin, on le sait. Par contre, nous nous sommes servis de ce rapport 10 ans plus tard.
Maintenant, en 2016, on sait que les lois sont faites par le Parlement, mais en même temps, il faut aller chercher l’appui de tous nos alliés. Nous avons été agréablement surpris parce que si nous avons obtenu l’entente stratégique, c’est grâce au comité permanent. Nous connaissons de bonnes personnes qui siègent au comité permanent et qui ont à cœur l’éducation en langue française. À l’époque, je n’avais pas remarqué à quel point il y avait un consensus en ce qui a trait à l’éducation en langue française en contexte minoritaire. Le comité a inclus dans son rapport la recommandation no 8. Étonnant que l’on fasse une telle recommandation au Parlement! On ne voulait pas nous donner cette entente stratégique, mais on l’a obtenue grâce à vous et grâce à eux.
Comme autre exemple, on peut citer celui du recensement. On ne voulait pas inclure de questions supplémentaires dans le prochain recensement. Tout à coup, à M. Corbeil, statisticien en chef à Statistique Canada, on a posé la question à savoir pourquoi il ne pouvait pas le faire. On a répondu que la tâche serait trop difficile, que cela allait fausser les données. J’ai écouté toutes les délibérations et je puis vous dire qu’ils ont obtenu de Statistique Canada la mise sur pied d’un comité. Ils ne voulaient pas que l’éducation constitue un volet de ce comité. Pourquoi parler d’éducation? Ce n’est qu’un sujet parmi tant d’autres.
L’éducation fait maintenant partie de son mandat. Le comité a tenu sa première réunion et les choses sont prometteuses. Je ne serais pas surpris de voir, comme l’a demandé le président du Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, des échantillons de questions additionnelles pour la fin du mois de mars. Nous n’avons pas gagné, mais j’ai bon espoir que les choses progresseront. Il n’est pas futile de comparaître devant vous ni devant le Comité permanent de la Chambre des communes. Bien sûr, il faut continuer de travailler avec nos contacts, de même qu’avec les ministres et les députés.
Le sénateur Maltais : Je ne dis pas qu’il est futile de venir ici ou à la Chambre des communes. Vous avez notre appui à 200 p. 100. Toutefois, le vrai pouvoir en matière de changements législatifs, il est à la Chambre des communes.
M. Paul : Tout à fait. Ce que nous présentons ici, nous le présenterons de nouveau là-bas.
La sénatrice Moncion : Nous avons assisté à plusieurs rencontres. Les points qui reviennent, comme le mentionnaient mes collègues, sont ceux de l’immigration, du recensement, des biens excédentaires du gouvernement fédéral et de la petite enfance. Quelques-uns d’entre vous ont mentionné que, dans la modernisation de la loi, vous cherchez à faire enchâsser le droit de gestion des conseils scolaires. Je trouve l’idée intéressante, c’est la première fois que je l’entends. C’est surtout l’aspect de l’enchâssement que je trouve intéressant. J’aimerais entendre vos commentaires sur le réalisme d’une telle demande dans le cadre de la modernisation de la loi.
M. Ouellette : Si on ne demande pas la lune, on n’aura jamais les étoiles.
M. Barry : On ne veut pas être défaitistes. On veut y croire. Notre langue et notre culture nous tiennent à cœur. Il faut faire la part des choses et parfois penser en dehors du cadre. C’est très humblement que nous proposons cette modification, qui viendrait quand même donner un certain pouvoir. Lorsqu’on entre dans les règlements et que l’on accorde certains privilèges à un administrateur, dès que ce dernier quitte son poste, les choses changent.
Comme M. Ouellette le dit, si on ne le demande pas, on n’aura rien. Nous croyons que cette requête est très réaliste. Nous comprenons que vous avez une certaine influence et un pouvoir de recommandation. Nous travaillerons avec vous et avec les gens de l’autre endroit aussi. Nous y croyons et nous ne lâcherons pas.
M. Lemay : À titre d’exemple, le gouvernement de l’Ontario a décidé que les négociations avec ses enseignants se feraient à travers les conseils scolaires. Il a décidé que le nom de l’association figurerait dans la loi. Ainsi, lors de négociations avec les enseignants des conseils scolaires francophones respectifs, c’est l’association francophone qui est à la table. Cette disposition est enchâssée dans la loi. Ils ont octroyé les budgets pour le faire et ont réalisé des économies d’une ampleur incroyable. Le nom de l’association est enchâssé dans la loi provinciale en ce qui a trait aux négociations avec les enseignants.
C’est un exemple banal, mais on le fait depuis trois ou quatre ans. On négocie pour les 12 conseils scolaires de langue française, donc, il y a parité. Nos enseignants ont parité avec les enseignants anglophones. Ils font le même travail, mais en français. Ce sont les conseils scolaires qui délèguent ce pouvoir à l’association. Le gouvernement peut changer, mais la loi est bien inscrite, et c’est ainsi que les conseils scolaires réussissent à obtenir une négociation à l’échelle provinciale où il n’existe plus de disparités d’une région à l’autre.
La sénatrice Moncion : Je comprends le principe du point de vue provincial. C’est au point de vue fédéral que j’ai de la difficulté à le comprendre. Voilà ma question.
M. Lemay : J’aimerais vous donner un autre exemple. Le gouvernement fédéral a signé des ententes provinciales pour le domaine de la petite enfance. Dans le cas de l’Ontario, elle représente 435 millions de dollars. L’entente est signée et on l’a. Elle représente 145 millions de dollars par année pour les trois prochaines années. Cette somme a-t-elle une composante francophone? Non.
Les conseils scolaires en Ontario doivent retourner au ministère pour faire valoir le fait que la survie des écoles dépend des garderies qui se trouveront dans ces écoles. On l’a prouvé à maintes reprises, dans le cas d’écoles ayant 45 élèves, on ouvre une garderie et, cinq ans plus tard, on compte 185 élèves. C’est ce que les parents désirent. Aux réunions de parents, la première question qu’on me pose est à savoir quand on ouvrira une garderie dans leur école. Ce ne sont pas les résultats scolaires ni le taux de diplomation, mais les garderies qui l’emportent.
Cela dit, si aucun facteur francophone n’est pris en compte par le gouvernement fédéral, qu’il s’agisse de la petite enfance ou de l’éducation en général, on devra se battre auprès de notre gouvernement provincial pour faire respecter cette priorité. Il faudra reprendre les armes, se rendre au gouvernement provincial et dire que c’est pour l’éducation qu’on se bat et que l’on devrait en avoir une part. Toutefois, quelle part peut-on aller chercher au gouvernement provincial?
Le gouvernement fédéral devrait exiger un compte rendu à la fin de l’année pour savoir où est allé l’argent investi en faveur des langues officielles, quelles sommes ont été affectées et pour combien d’enfants. Certaines provinces font bien les choses. Je n’ai pas trop à me plaindre pour ce qui est de l’Ontario. Or, ce n’est pas le cas partout au pays, et je transige avec les 28 conseils.
Mme Lapierre : Ce que nous vous proposons, ce sont des outils. Nous savons que vous nous appuyez, que vous avez les connaissances et que vous êtes là pour nous. Nous essayons de vous apporter des outils.
La raison pour laquelle il faut que ce soit le gouvernement fédéral qui agisse est la suivante. Nous recevons des fonds du gouvernement fédéral pour nous aider. Or, les sommes ne nous sont pas envoyées directement, mais par l’entremise du gouvernement provincial, et on ne sait pas où va cet argent. Nous n’avons pas les fonds qui nous reviennent, nous ne pouvons dire que telle somme, par exemple, a été consacrée à l’immersion. C’est pourquoi nous croyons qu’il faudrait séparer les secteurs de l’immersion, de la langue minoritaire et de la langue seconde. Une fois que les fonds sont transmis au gouvernement provincial, il est très difficile d’en faire le suivi.
La sénatrice Moncion : Nous comprenons.
Mme Lapierre : On ne peut que se fier à la bonne volonté du gouvernement provincial. La Colombie-Britannique, par exemple, est la seule province qui n’a pas d’entente francophone.
M. Ouellette : Pour les services en français.
Mme Lapierre : Ce manque me rend un peu nerveuse. À une certaine époque, on parlait avec des représentants de Patrimoine canadien d’un ratio 40-60, soit 40 pour la langue seconde et 60 pour la langue minoritaire. Toutefois, pour nous, c’est le contraire. L’argent est davantage consacré à l’immersion qu’à notre conseil scolaire.
Voilà pourquoi il est important que ce soit inscrit dans la loi. Ce n’est pas une simple fantaisie. Il faudrait que ce soit clair pour tout le monde que ces fonds supplémentaires ou complémentaires sont destinés aux langues minoritaires.
M. Ouellette : Vous m’avez vraiment chatouillé.
La sénatrice Moncion : C’était un peu l’objectif de ma question.
M. Ouellette : Si c’était l’objectif de votre question, c’est réussi. Vous savez, il ne faut pas se décourager et il faut foncer. Dans notre cas, c’est une question de survie.
La sénatrice Moncion : On le comprend.
M. Ouellette : Cela fait 40 ans que je me bats à l’échelle communautaire, et je suis membre du conseil scolaire depuis sa création, il y a 22 ans. Je ne peux pas m’arrêter, parce que, comme M. Paul l’a dit, même si on a fait des progrès, il reste encore beaucoup de chemin à faire. J’aimerais que mes petits-enfants n’aient pas à se battre tout le temps. Même si on n’ajoutait qu’un des éléments à la loi, ils n’auront pas à se battre pour cet élément, puisqu’il sera inscrit dans la loi.
La sénatrice Moncion : J’en suis consciente. L’aspect que je trouve peut-être difficile à concevoir, et c’est ma question : pourquoi une loi fédérale voudrait confier des pouvoirs à des conseils scolaires qui bénéficieront de pouvoirs supérieurs à ceux des provinces, alors que la compétence en matière d’éducation, par exemple, est provinciale? Vous demandez que les conseils scolaires soient énoncés, au sein de la loi, comme se situant entre le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral. C’est la raison pour laquelle je vous demande d’expliquer le réalisme de cet enchâssement.
Je comprends pourquoi vous voulez l’avoir, mais c’est une question de réalisme, surtout quand vous envisagez le gouvernement fédéral par rapport aux provinces. Je comprends très bien l’importance de la reddition de comptes, le fait que les fonds qui vous sont dédiés sont détournés ailleurs, l’importance que tous ces éléments soient enchâssés dans loi, la façon de dénombrer les membres de nos minorités, et comment on devient plus inclusifs. Cependant, c’est la première fois que j’entendais des arguments comme les vôtres quant au réalisme de toute cette mesure à l’intérieur d’une loi fédérale.
M. Ouellette : Il est clair que le gouvernement fédéral a le pouvoir de décider des sommes qu’il nous octroie. Nous sommes les intervenants qui sont peut-être le plus près du terrain. Je ne dis pas que les provinces n’ont pas de connaissances, mais, par contre, dans le cas de la langue minoritaire, c’est nous qui gagnons. Tout ce qu’on veut, c’est avoir un mot à dire. Par exemple, en Colombie-Britannique, s’il n’y avait pas de fonds fédéraux, il n’y aurait aucun service pour les francophones, on n’existerait pas. Comme le sénateur Maltais l’a dit, c’est « zéro et une barre ». C’est clair.
Il faut absolument qu’on nous donne une voix et que cette voix puisse se faire entendre. Vous avez le pouvoir de dépenser des montants qui, finalement, devrait nous être remis, mais en faisant cela, vous devriez pouvoir demander si nous avons été consultés. Vous avez la liste, vous savez exactement ce dont je parle. Vous avez ce pouvoir. On vous demande simplement d’être certains que le pouvoir est placé à un endroit où il aura du mordant, comme Mme Lapierre l’a dit plus tôt. Parce qu’en ce moment, cela va à tout vent.
Comme vous l’avez vu, le gouvernement dit que tout va bien, que tout cela se retrouvera dans la feuille de route. On ne sait vraiment pas ce qui va se passer. On a parlé longuement des bureaucrates. Cela aussi va à tout vent. On aimerait donc éventuellement avoir un poids qui nous retienne quelque part. On pourrait au moins se dire qu’on a un acquis. Et on continuera de se battre, on n’abandonnera pas.
La sénatrice Moncion : Non, il ne faut pas arrêter. Mais ce que je veux savoir, c’est où, exactement, et c’est quoi? Vous venez de me dire ce que c’est. Maintenant, où, à l’intérieur de la loi, cela peut-il se glisser pour que justement ces droits puissent commencer à être respectés à partir du jour 1?
M. Ouellette : Dans le mémoire de mon copain, c’est assez précis.
M. Barry : On parle de l’alinéa 43(1)d) et du réalisme, comme vous le dites. On existe grâce au droit constitutionnel qu’on détient en tant que minorité. Quand on parle de droit constitutionnel, je pense que le gardien de la Constitution, c’est le gouvernement fédéral. On se dit qu’il y a des sommes d’argent des contribuables qui sont investies dans les communautés minoritaires afin de leur garantir une certaine vitalité par rapport à la dualité linguistique. C’est en partant de ce fait qu’on se dit que si l’argent est destiné à cette vitalité, et que cette minorité prend des mesures un peu spéciales pour dépenser cet argent, mesures qui ne sont pas enchâssées dans la loi scolaire provinciale, il faut que le gouvernement ait au moins ce droit de regard afin de dire : on ne décide pas ce qui est bien ou non pour la minorité, car cette minorité a des droits linguistiques et qu’elle a un conseil scolaire qui agit comme un gouvernement, et qu’elle a également un droit de regard sur tout ce qui touche la langue et la culture. C’est là où la pilule est plus difficile à avaler.
Je vais vous donner un exemple très concret pour que vous puissiez apprécier ce que je dis. On nous dit que 90 p. 100 des enfants qui quittent la période de la petite enfance doivent être prêts à commencer la première année du primaire. Vous regardez vos chiffres, vous êtes très loin de la cible établie par la province. Quel outil utilise-t-on pour évaluer cela? C’est un outil qui mesure un peu le développement global de l’enfant, mais qui ne tient pas compte de l’aspect linguistique.
Si, à titre de conseil scolaire, on avait l’occasion de dire : « Bon, on comprend que vous avez fait le gâteau, mais la cerise, qui est l’aspect linguistique, on va l’apporter avec l’argent qui parvient du fédéral. » Qu’on nous donne cette chance de dire quels sont nos besoins, et quand on bénéficie du droit de déterminer nos besoins, cela devient une valeur ajoutée pour tout le monde. Si le gouvernement dit que nous n’avons pas besoin de la cerise sur le gâteau, ce sera ainsi et on continuera. Mais, en tant que parent, comment puis-je être certain que mon enfant, qui quitte la maternelle et qui doit arriver en première année, a le vocabulaire nécessaire à son âge, qu’il peut s’exprimer de la façon dont il devrait le faire dans sa langue première, compte tenu de l’environnement propice à l’assimilation? C’est là où le bât blesse.
Je crois donc que le réalisme est lié au fait qu’on nous a donné des droits constitutionnels, des obligations, des rôles et des responsabilités. On ne veut que s’acquitter de ces rôles et responsabilités, sans pour autant toujours avoir à frapper aux portes des tribunaux ou à avoir des conversations pas toujours très amicales avec les fonctionnaires du ministère.
M. Lemay : Il y a un autre exemple que nous n’avons pas touché dans nos présentations. On se demandait pourquoi certains gouvernements provinciaux — par exemple, l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse — qui sont allés de l’avant, qui ont aboli des conseils de langue anglaise, n’ont pas aboli les conseils de langue française. Parce qu’on est protégé par une constitution fédérale qui indique que la gouvernance doit se faire par et pour les francophones. Déjà, on a un pied dans la porte.
L’Île-du-Prince-Édouard a aboli tous ses conseils de langue anglaise. Il ne reste qu’un conseil de langue française à l’Île-du-Prince-Édouard pour cette raison. Si le gouvernement fédéral nous aide à maintenir en vie nos conseils de langue française de cette façon, il peut certainement nous appuyer pour le reste et transférer des fonds afin d’aider nos gouvernements provinciaux à maintenir en vie ces conseils de langue française. C’est important.
En Ontario, cela fait 20 ans cette année que nos conseils scolaires ont été créés. Nous sommes les premiers aux tests provinciaux et en taux de diplomation. Nous avons fait en sorte que notre gouvernement provincial ne pouvait pas nous abolir, parce que nous étions les meilleurs. Nous tirons la province vers le haut.
La Finlande et la Belgique sont venues nous visiter pour comprendre comment nous arrivions à de si bons résultats en Ontario. C’est parce que nous avons la capacité de prendre en main notre gouvernance, puisque les gouvernements provinciaux ne peuvent pas nous abolir. La Nouvelle-Écosse en a parlé la semaine dernière. C’est déjà mis en œuvre à l’Île-du-Prince-Edouard. Terre-Neuve-et-Labrador en parle aussi. Nous devons obtenir cette protection du gouvernement fédéral tout en obtenant des garanties monétaires. C’est important.
Le sénateur Maltais : Un peu plus tôt, monsieur Lemay, vous avez dit une vérité de La Palice; si je comprends bien, dans les trois provinces que vous représentez, les investissements de Patrimoine canadien servent beaucoup plus les classes d’immersion que les classes de français.
J’aimerais revenir sur la reddition de comptes. Il y a deux ans, le président du Conseil du Trésor s’est présenté devant nous. Vous savez que Patrimoine canadien obtient son financement du Conseil du Trésor. À ce moment-là, M. Brison nous disait qu’il fallait absolument trouver une solution pour favoriser la reddition de comptes au sein de Patrimoine canadien. J’ai souhaité bonne chance au ministre. Un an plus tard, il s’est encore assis devant nous et il nous a dit qu’il n’a pas trouvé de solution pour la reddition de comptes. Il n’y en a pas, parce que les provinces sont protégées par la Constitution. Tout le monde sait qu’il n’y a pas un gros appétit pour rouvrir la Constitution. Je ne voudrais pas vous refroidir outre mesure, mais il y a des points très importants à travailler, et je crois que vous pouvez le faire.
J’ai une autre suggestion à vous faire. Je suis colonel honoraire de l’armée canadienne, ainsi que mon collègue. Valcartier est l’une des plus grandes bases militaires du Canada et on y reçoit des militaires de partout au Canada. Au Québec, le français est la seule langue officielle, mais on a fait une distorsion dans la loi pour les militaires : ils ont le droit d’inscrire leurs enfants à l’école dans la langue de leur choix, français ou anglais. Ce sont nos taxes provinciales qui paient cela. Cependant, pour nos militaires québécois qui sont à Borden, à Calgary ou à Edmonton, c’est une tout autre histoire. On reçoit des appels à ce sujet. Ils cherchent à inscrire leurs enfants dans des écoles francophones. Bonne chance. Ce que l’on nous demande comme Québécois, on n’est pas capable de nous l’offrir ailleurs au Canada. De là ma suggestion : faites connaître vos écoles francophones si vous avez la chance d’être situé près d’une base militaire. Je pense que ce serait une bonne façon de vous rendre presque indispensable pour le Canada. Pensez-y. C’est une petite réflexion que je vous offre.
M. Ouellette : À Victoria, la base militaire Esquimalt est située tout près de notre école. Ainsi, 30 p. 100 et plus de nos élèves viennent de familles affiliées à la marine canadienne. Votre truc fonctionne. Il fonctionne tellement bien que dès qu’une nouvelle école annonce son ouverture, elle est pleine à craquer le temps de le dire.
Notre école existe depuis 10 ans et elle déborde maintenant. Elle a été construite pour 500 élèves et en accueille près de 700 aujourd’hui. Nous nous voyons dans l’obligation de louer des écoles qui appartiennent à d’autres commissions scolaires, des écoles qui, dans certains cas, tombent presque en ruine. Ce n’est pas le cas nécessairement de Victoria, mais vous avez absolument raison, quand on se fait connaître, les francophones arrivent à grands pas.
Le recensement doit nous donner les vrais chiffres. On a près de 3 000 élèves potentiels, alors qu’on en rejoint seulement de 700 à 800. C’est ce qu’on vit tous les jours.
M. Paul : Nous avons un site web qui s’appelle Éducation en langue française Canada, elf.ca. On a communiqué avec la Défense nationale il y a deux ans pour lui demander d’afficher notre lien sur leur site web, ce qui a été fait. Le défi, par contre, c’est de faire comprendre aux gens la différence entre une école de langue française et une école d’immersion en français.
Chaque année, je me rends à Destination Canada, à Paris et en Belgique, pour faire la promotion des écoles de langue française auprès des parents qui sont prêts à venir s’établir au Canada. Les Français et les Belges ne savent pas que nous avons des écoles de langue française. D’ailleurs, leur grande priorité — et c’est le cas également pour les membres des forces armées —, c’est que leur enfant apprenne l’anglais. Ils sont très étonnés lorsqu’on leur explique que c’est bien plus facile et plus rapide de permettre à leurs enfants de devenir bilingues en les inscrivant dans une école de langue française que dans une école d’immersion. C’est l’un des secrets les mieux gardés.
On aurait besoin d’aide pour passer ce message. C’est un défi.
Mme Lapierre : J’aimerais ajouter que l’article 23 s’applique autant au gouvernement fédéral qu’au gouvernement provincial, et il est évident qu’il faut travailler à tous les niveaux.
M. Lemay : De mon côté, j’aimerais ajouter que toutes les écoles de langue française en Ontario remettent un certificat bilingue aux élèves à la fin de la 12e année. Les écoles anglophones ne nous aiment pas pour cette raison. Nos élèves de 12e année ont accès à toutes les universités, autant anglophones que francophones, aux États-Unis, au Canada et partout dans le monde. Même ici, à Ottawa, les élèves qui ont terminé leurs études secondaires ont accès aux universités, soit l’Université d’Ottawa et l’Université Carleton, ainsi qu’aux collèges, comme le Collège Algonquin, et ce, ici ou ailleurs, anglophones et francophones. On crée des personnes parfaitement bilingues. En ce moment, 92 p. 100 de nos élèves obtiennent un diplôme.
La sénatrice Moncion : Les anglophones ont-ils l’obligation de terminer leur 12e année tout en ayant suivi des cours de français? Lorsque j’étais au secondaire en Ontario, je ne pouvais pas avoir mon diplôme d’études secondaires si je n’avais pas réussi mes quatre cours d’anglais de 9e, 10e, 11e et 12e année. Sont-ce les mêmes règles pour les anglophones qui, afin d’obtenir leur diplôme d’études secondaires, doivent réussir leurs cours de français chaque année?
M. Lemay : Non.
La sénatrice Moncion : Il fallait avoir réussi nos cours. Donc, il y a une certaine injustice pour les francophones dans cette façon de fonctionner. Oui, nous sommes parfaitement bilingues, mais ce sont des obligations qu’on impose aux francophones et non pas aux anglophones.
M. Lemay : Oui. Au niveau secondaire, on n’a pas de cours d’anglais, on a des cours d’English. C’est le même programme que les anglophones. Il n’y a pas de différence, c’est la réalité. Dans les écoles de l’Ontario, c’est comme ça pour avoir son diplôme.
La sénatrice Moncion : C’est une injustice parce qu’un francophone qui a de la difficulté avec l’anglais n’aura pas son diplôme à la fin de la 12e année s’il n’a pas réussi ses quatre cours d’anglais.
M. Lemay : Vous me comprenez.
La sénatrice Gagné : J’ai une dernière question. Étant donné que l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit le droit à l’instruction dans la langue de la minorité, y aurait-il lieu de prévoir une partie de la loi qui traiterait spécifiquement de l’éducation et de la reddition de comptes en matière de transferts, et de définir les rôles et les pouvoirs des commissions scolaires en matière d’éducation? Il me semble que j’ai entendu deux messages. Ce serait fait ainsi au lieu d’être intégré à la partie VII.
M. Paul : Vous demandez si on devrait renchérir sur l’article 23?
La sénatrice Gagné : Effectivement.
M. Paul : Ce serait un bon endroit pour l’encadrer et l’enchâsser. Je pense que l’un est aussi difficile à faire que l’autre. Par contre, pour le faire dans l’article 23, on doit rouvrir la Constitution.
La sénatrice Gagné : Non, je m’excuse. Je me suis mal exprimée. Étant donné que la Charte garantit le droit à l’instruction, ne serait-il pas mieux d’avoir une nouvelle partie consacrée à l’éducation au lieu d’intégrer ces éléments à la partie VII?
M. Paul : Dans la Loi sur les langues officielles?
La sénatrice Gagné : Oui.
M. Paul : Tout à fait. Est-ce un rêve en couleur que d’enchâsser les droits de gestion d’un conseil scolaire dans une partie de la Loi sur les langues officielles? Je ne le pense pas, parce que c’est l’étape normale et naturelle qui est liée à l’article 23 de la Constitution. Si on avait écrit l’article 23 il y a 5 ans, et non pas il y a 20 ans, on l’aurait fait, car c’est ipso facto. On a gagné le droit de gestion de nos conseils scolaires en faisant appel à la Cour suprême. Lorsque nous parlons de droits de gestion, dans plusieurs de nos provinces, comme le mentionnait M. Lemay, le gouvernement nous délègue encore plus que le droit de gestion, comme l’admission des élèves. Le droit d’admission appartient à la province, mais elle a le droit de le déléguer aux conseils scolaires, et c’est ce qui se fait dans plusieurs provinces.
Dans le cas où cette partie sur les devoirs et responsabilités pourrait être enchâssée dans la Loi sur les langues officielles, cela nous aiderait grandement. Ce n’est pas rêver en couleur, car l’article 23 le fait presque déjà.
Le président : Merci à tous pour vos présentations. Il est vrai, comme certains de mes collègues l’ont mentionné, que vous nous avez fait part de certains enjeux dont nous avons déjà entendu parler. Par contre, par la rigueur de vos propos et par le sérieux de vos mémoires, vous apportez des pistes très concrètes qui vont nous aider à procéder à des recommandations pour la modernisation de la Loi sur les langues officielles. J’applaudis votre optimisme et votre détermination. Cela va nous inspirer à poursuivre ce travail essentiel qui consiste à réfléchir avec la communauté à la modernisation de cette loi. Je vous remercie très sincèrement.
Sur ce, nous allons passer à huis clos. Merci beaucoup.
(La séance se poursuit à huis clos.)