Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 22 - Témoignages du 26 mars 2018


OTTAWA, le lundi 26 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1, afin de poursuivre son examen de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle René Cormier, je suis sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit le deuxième volet de son étude portant sur la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

De la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui Jean Johnson, président, et Alain Dupuis, directeur général. Ils sont accompagnés de Mark Power, avocat chez Juristes Power, et de Beth James, conseillère stratégique chez Juristes Power également. Nous sommes heureux de vous accueillir et vous souhaitons un bon anniversaire, monsieur Dupuis. Nous savons que c’est votre anniversaire aujourd’hui.

La FCFA est la porte-parole nationale de 2,7 millions de Canadiennes et de Canadiens d’expression française qui vivent en situation minoritaire dans neuf provinces et trois territoires. Avant de vous donner la parole, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter, tout en souhaitant la bienvenue à la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, sénatrice du Québec.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, de la province de Québec. Bonsoir et bienvenu.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, de la province du Manitoba. Bienvenue.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, sénatrice de l’Ontario. Bonjour.

Le sénateur McIntyre : Paul E. McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Monsieur Johnson, la parole est à vous.

Jean Johnson, président, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Monsieur le président, je vous remercie très sincèrement d’avoir invité la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada à témoigner dans le cadre de votre importante étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Fondée en 1975, la FCFA est l’organisme porte-parole national des 2,7 millions de Canadiennes et de Canadiens d’expression française qui vivent dans neuf provinces et trois territoires. Elle est une voix nationale inclusive vouée à la promotion de la dualité linguistique et au développement de la capacité de vivre en français.

Je suis un leader engagé dans ma communauté et au sein de la francophonie canadienne depuis de nombreuses années. Je suis accompagné de mon ami, M. Alain Dupuis, notre directeur général, qui célèbre son anniversaire de naissance 30 ans après la modernisation ou l’exercice de 1988. Je suis également accompagné de Mark Power, avocat spécialiste en droit constitutionnel et en droit linguistique, ainsi que de Beth James, conseillère stratégique dotée d’une grande expérience de postes de haute direction au sein du gouvernement de la Colombie-Britannique, notamment à titre de sous-ministre, de sous-ministre déléguée et de sous-ministre adjointe. Ces individus apportent plus de 15 ans d’expérience dans leurs domaines d’expertise respectifs.

Malheureusement, malgré son importance et son caractère quasi constitutionnel, l’histoire de la Loi sur les langues officielles, c’est l’histoire d’un demi-siècle d’infractions et de mise en œuvre incomplète. Elle souffre de lacunes qui lui sont endémiques. L’une des failles majeures de la première loi, celle de 1969, était le modèle de mise en œuvre retenu par le Parlement, soit la décentralisation et l’absence d’institution ou d’acteur responsable de sa coordination.

En 1988, le Parlement adoptait une deuxième loi, dont l’article 46 permettait au Conseil du Trésor du Canada d’assurer sa mise en œuvre, sans l’y obliger. La nouvelle loi de 1988 énonçait également l’engagement du gouvernement fédéral à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance de l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. Les articles 42 et 43 conféraient la responsabilité de coordonner cet engagement au sein du ministère du Patrimoine canadien. Au cours des 30 années qui ont suivi l’adoption de la deuxième loi, les commissaires aux langues officielles du Canada, les comités parlementaires et les organismes communautaires ont été unanimes sur le constat suivant : la loi demeure très mal mise en œuvre.

Le mémoire de la FCFA formule des propositions pour moderniser profondément la loi afin que nos communautés puissent enfin bénéficier d’une loi mise en œuvre correctement, voire mise en œuvre tout court. Pour tout dire, nous recommandons que la modernisation de la Loi sur les langues officielles accomplisse les objectifs suivants.

Premièrement, outre le leadership politique et stratégique que doit jouer le Bureau du Conseil privé, la loi doit être mise en œuvre par le Conseil du Trésor du Canada. Elle doit encadrer son rôle à cet égard et l’habiliter des pouvoirs nécessaires pour assumer cette responsabilité, chose que la loi de 1988 ne fait pas.

Deuxièmement, la loi doit prévoir un droit pour les communautés de langues officielles en situation minoritaire de participer à sa mise en œuvre. La loi de 1988 est silencieuse à cet égard.

Troisièmement, la loi doit proposer de nouveaux mécanismes de surveillance et d’imputabilité pour qu’elle soit mise en œuvre. La loi de 1988 est très faible à cet égard.

Enfin, la loi doit profondément repenser les droits qu’elle confère, les obligations qu’elle impose et les principes qui l’inspirent.

La deuxième partie du mémoire de la FCFA propose une liste non exhaustive de ce type de modifications qui pourraient être apportées à la loi. D’autres témoins vous ont déjà présenté certaines de ces propositions, comme les exigences linguistiques pour la Cour suprême ou la révision décanale de la loi. Certaines propositions sont nouvelles. Dans tous les cas, c’est avec plaisir que nous discuterons de ces propositions avec vous plus longuement, que ce soit aujourd’hui ou à une prochaine comparution. Toutefois, puisqu’il s’agit de la condition sine qua non du succès de la modernisation de la loi, je me concentrerai, pour le reste de ma présentation, sur l’importance de restructurer sa mise en œuvre.

Tout d’abord, nous recommandons de faire du Conseil du Trésor du Canada le responsable de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Le président du Conseil du Trésor du Canada est chargé de gérer les activités de l’État en convertissant les politiques et les programmes approuvés par le conseil des ministres en gestes concrets et en donnant aux ministères les ressources et l’encadrement nécessaires. Les pouvoirs horizontaux d’élaboration et de surveillance que lui confère la Loi sur la gestion des finances publiques sont larges, contraignants et constituent exactement le type de levier nécessaire à la mise en œuvre de la loi. De plus, en tant que responsable des budgets de tous les ministères et agences, le Conseil du Trésor du Canada est particulièrement bien placé pour favoriser l’application intégrale de la loi et pour repérer les possibilités d’initiatives collectives nécessaires pour donner effet à celle-ci et aux implications qu’elle impose.

La FCFA demande donc au comité de recommander que la loi soit révisée de fond en comble pour qu’elle confie la responsabilité d’assurer la mise en œuvre de l’entièreté de celle-ci au Conseil du Trésor du Canada et qu’elle lui octroie les pouvoirs nécessaires à cette fin, notamment les pouvoirs de coordination actuellement conférés au ministère du Patrimoine canadien. Cette centralisation des responsabilités de mise en œuvre doit également être accompagnée d’une révision du libellé problématique de l’article 46. La FCFA vous demande donc de recommander les modifications suivantes à la Loi sur les langues officielles :

1.Remplacer le langage permissif du paragraphe 46(2) de « peut » à « doit » autorisant le Conseil du Trésor du Canada à exercer les fonctions prévues à ce paragraphe par une obligation d’agir.

2. Transformer la liste des attributions prévues au paragraphe 46(2) en liste non limitative.

3. Retirer au Conseil du Trésor du Canada le pouvoir, à l’alinéa 46(2)g), de déléguer ses responsabilités aux administrateurs généraux et autres responsables administratifs.

Notre deuxième recommandation vise à ce que la loi habilite les communautés de langue officielle en situation minoritaire à participer à sa mise en œuvre. Les communautés de langue officielle en situation minoritaire veulent aider les institutions fédérales à mettre en œuvre la loi. Il est donc souhaitable que votre comité recommande deux choses, soit :

1. La création d’une obligation de consultation efficace et effective des communautés de langue officielle en situation minoritaire dans la loi, c’est-à-dire une obligation de consultation accompagnée d’une obligation de tenir compte du fruit de celle-ci et d’offrir des motifs, dans certains cas.

2. La création d’un conseil consultatif des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Enfin, nous demandons que la Loi sur les langues officielles prévoie un cadre de surveillance de sa mise en œuvre bien plus robuste et efficace que celui qui existe. À ce titre, la FCFA réitère la demande qu’elle a formulée en 1988 et demande que votre comité recommande la création d’un tribunal administratif responsable de régler les doléances au sujet de la mise en œuvre de la loi.

La FCFA encourage votre comité à poursuivre son leadership de sorte que d’ici 2020, le Canada et ses communautés de langue officielle en situation minoritaire aient une loi à la hauteur de leurs attentes et de leurs aspirations. La FCFA invite aussi votre comité à poursuivre sa lancée en proposant une nouvelle ébauche de la prochaine Loi sur les langues officielles dès la publication du troisième rapport préparé dans le cadre de son étude, pour que l’ébauche puisse faire l’objet de commentaires et d’analyses de la part des Canadiennes et des Canadiens.

La FCFA attend avec impatience vos questions, et je réitère nos remerciements les plus sincères pour l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui. Vous avez une occasion historique de donner un nouvel élan à la dualité linguistique de notre pays. Nos communautés comptent sur vous et dépendent de vous.

Merci de votre attention.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Johnson.

Nous allons passer à la période des questions avec la sénatrice poirier.

La sénatrice Poirier : Bonsoir de nouveau. Dans votre mémoire au sujet de la modernisation, vous mentionnez vouloir accorder la responsabilité de la mise en œuvre de la loi à une agence centrale. Vous mentionnez également à la page 15 que le ministre ou la ministre du Patrimoine canadien ne dispose d’aucun outil pour obliger les ministres à agir aux termes de la Loi sur les langues officielles. Pouvez-vous décrire comment cette agence centrale pourrait obliger les ministres à agir aux termes de la Loi sur les langues officielles et nous donner des exemples des outils qui pourraient être utilisés?

M. Johnson : Je vais compter sur mes collègues pour compléter l’information. Essentiellement, le Conseil du Trésor du Canada est une agence qui a une responsabilité horizontale au sein du gouvernement. Nous reprenons la notion que nous avons proposée en 1988, parce que c’est la seule agence centrale qui a cette autorité ou responsabilité d’agir en ce sens.

Alain Dupuis, directeur général, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Si vous allez au paragraphe 51 du mémoire, vous y trouverez les pouvoirs qui sont accordés en ce moment au Conseil du Trésor du Canada. On voit que le Conseil du Trésor possède les outils nécessaires. Il y a des passages de la loi à clarifier, comme M. Johnson le disait, et il faudrait changer le langage très permissif de « peut » à « doit » pour faire les choses suivantes. Je pense qu’il n’y a rien d’équivalent à cela en ce moment à Patrimoine canadien qui permette au ministre ou à la ministre d’exiger de ses collègues d’agir et de mettre en œuvre les obligations de la Loi sur les langues officielles. C’est en ce sens qu’on envisage les pouvoirs qui existent au sein du Conseil du Trésor. Il s’agirait donc de bonifier les pouvoirs existants en clarifiant le libellé pour permettre cette coordination horizontale.

Mark Power, avocat (Juristes Power), Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : J’aimerais ajouter un petit détail, madame la sénatrice Poirier. Entre vos mains, vous avez le mémoire. Il y a deux annexes. La deuxième annexe, c’est la Loi sur les langues officielles, tel qu’elle existe. Les numéros de page sont indiqués au bas de la page en tout petit. Regardez à la fin du document, il y a la loi, à la page 22. Vous y retrouvez une section qui s’appelle la partie VIII, Attributions et obligations du Conseil du Trésor en matière de langues officielles. Votre question, sénatrice Poirier, était celle-ci : quels sont les pouvoirs que la FCFA voudrait que le Conseil du Trésor puisse exercer? Mon collègue, M. Dupuis, vous a déjà donné une liste. Une deuxième liste se trouve déjà dans la loi. Là où le bât blesse, c’est que, au deuxième paragraphe, « Le Conseil du Trésor peut, dans le cadre de cette mission [...]  », et il y a une liste. Regardons l’alinéa c), par exemple : le Conseil du Trésor peut donner des instructions pour l’application des parties IV, V et VI. La demande de la FCFA, c’est qu’on remplace le terme « peut » par « doit ». Cela changerait la vie des Canadiens et des Canadiennes d’un bout à l’autre du pays.

La sénatrice Poirier : À la page 30 de votre mémoire, vous mentionnez la création du Conseil consultatif des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Pouvez-vous nous donner davantage de détails au sujet de votre vision de ce que serait ce conseil consultatif, de quoi il s’agit et de qui devrait y siéger?

M. Johnson : Ce sont des leaders de nos communautés qui devraient y siéger. Nous croyons que les personnes les mieux placées pour parler au gouvernement de la réalité de nos communautés, c’est justement le groupe de leaders de nos communautés. Je crois qu’il y aurait un bassin de gens qui ont une grande expérience de la réalité et du contexte de nos communautés. C’est vers eux que nous proposons de nous tourner.

La sénatrice Poirier : Quel serait le mandat du conseil?

M. Dupuis : Le conseil aurait comme mandat de structurer cette relation de partenariat avec le gouvernement fédéral. On parle dans notre mémoire du désir d’amener ça un pas plus loin, de structurer cette relation de partenaires et de participer à la mise en œuvre de la loi. Cela pourrait être des orientations stratégiques globales, comme des choses très précises sur la façon dont la loi est mise en œuvre et des politiques et programmes. Il s’agirait de structurer cette relation entre le gouvernement fédéral et les communautés. Cela existe déjà dans certaines provinces. Au Manitoba, par exemple, la loi sur la francophonie cite l’organisme porte-parole provincial, et la présidence de cet organisme siège au sein de cette structure dans la province. Il y a des exemples aussi dans le domaine de la santé, en Ontario, où il y a un comité consultatif. C’est simplement pour se donner un espace dans le cas où il y aurait des gouvernements qui n’auraient pas le réflexe de se donner un espace de dialogue soutenu avec le gouvernement ou feraient des consultations très simplifiées.

La sénatrice Gagné : Bienvenue et merci de votre mémoire. Il est très riche en contenu. Il va falloir le lire une deuxième et même une troisième fois.

Je vais revenir sur la question du Conseil du Trésor. Selon vous, c’est le président du Conseil du Trésor qui doit être responsable de la mise en œuvre de l’ensemble de la loi. J’aurais quelques questions à ce sujet. Voici ma première question : comment verriez-vous le rôle du ou de la ministre du Patrimoine canadien dans le cadre d’un tel changement?

M. Johnson : Regardons les responsabilités de Patrimoine canadien. Tout ce qui concerne la mise en oeuvre de la loi est carrément transféré au Conseil du Trésor et, donc, ce ne serait pas essentiellement au cœur de son mandat. C’est ce que nous proposons.

M. Dupuis : J’aimerais cependant ajouter qu’au paragraphe 59, on précise que le président du Conseil du Trésor devrait être appuyé par un ministre d’État. Un ministre d’État étant une personne qui siège au conseil des ministres, il serait l’interlocuteur de choix des communautés. L’ultime responsable étant la présidence du Conseil du Trésor, notre rôle serait d’appuyer le mandat du ou de la ministre d’État.

La sénatrice Gagné : Ma question porte toujours sur le Secrétariat du Conseil du Trésor. Celui-ci a maintenant certaines attentes face à tous les ministères en ce qui a trait à l’analyse comparative entre les sexes. Il incombe à chaque ministère ou organisme de déterminer si la politique, le programme, l’initiative ou le service proposé est susceptible d’entraîner un enjeu en matière d’égalité entre les sexes. Dans le cadre de la mise en œuvre de leurs programmes, les ministères ou organismes doivent rendre des comptes au Conseil du Trésor quant à leurs efforts pour adopter une perspective visant l’égalité des sexes. Je me suis posé la question à savoir s’il s’agirait d’un modèle à suivre en matière d’application de la Loi sur les langues officielles.

[Traduction]

Beth James, conseillère stratégique (Juristes Power), Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Je crois qu’il s’agit d’un modèle tout à fait excellent qui devrait être appliqué dans tous les cas d’intérêt public et qui pourrait être prévu dans la loi.

[Français]

La sénatrice Gagné : Toujours concernant le Conseil du Trésor, j’ajoute les pouvoirs accrus du commissaire aux langues officielles. Advenant une nouvelle loi en vertu de laquelle le président du Conseil du Trésor serait responsable de l’application de la Loi sur les langues officielles, si le commissaire aux langues officielles détermine qu’un autre ministère ou agence, comme Santé Canada, par exemple, a enfreint la loi, contre qui le commissaire aux langues officielles doit-il agir? Santé Canada ou le Conseil du Trésor? J’essaie de voir s’il y a des désavantages à une centralisation des pouvoirs en matière de langues officielles.

M. Power : Il n’y a certainement aucun désavantage à une centralisation des pouvoirs pour les communautés de langue officielle. Le problème avec le régime actuel qui date de 1988, c’est que la responsabilité est beaucoup moins diffuse qu’elle ne l’était en 1969, mais ce n’est pas adéquat dans le sens que le Conseil du Trésor n’est pas tenu d’exiger le respect de la loi et, comme on le soulignait plus tôt, les pouvoirs du ministère du Patrimoine canadien sont très faibles.

La solution, si elle était mise en œuvre, permettrait à la FCFA ou à quiconque de poursuivre le ministère de la Santé ou le Conseil du Trésor. Mais, selon moi, tout dépendrait de la nature du problème. Dans le cas d’un problème ponctuel et très précis, la poursuite viserait sans doute uniquement le ministère de la Santé, alors qu’un problème systémique de longue date, à la limite générationnel, impliquerait probablement le président du Conseil du Trésor, dans la mesure où ses pouvoirs n’ont pas été exercés tel que la loi l’exige.

Fondamentalement, la FCFA demande d’éviter autant que possible le recours aux tribunaux. Or, le moyen d’éviter cela, selon les 30 ans d’expérience que nous avons avec cette loi de 1988, c’est la création d’une hiérarchie claire, connue et obligatoire, chose qui n’existe malheureusement pas dans la loi actuelle.

La sénatrice Gagné : Étant donné que vous demandez que des pouvoirs accrus soient conférés au commissaire aux langues officielles et de confier la responsabilité d’appliquer la loi au Conseil du Trésor, comme vous le dites, il faut que ce soit très bien délimité, sinon on pourrait se retrouver dans une zone grise qui pourrait porter à confusion. N’étant pas juriste, je tenais à le signaler comme matière à réflexion. Bien souvent, il y a des zones grises.

M. Power : Si vous me permettez d’ajouter un commentaire, ce serait au moins au choix du commissaire aux langues officielles ou de l’organisme qui dénonce le problème de poursuivre l’un ou l’autre, ou les deux. En situation de litige civil, il est tout à fait normal qu’un demandeur dénonce un problème, nomme deux ou trois parties défenderesses et qu’ensuite les parties défenderesses se chamaillent entre elles pour déterminer qui est responsable.

Dans ce scénario extrême, c’est au défendeur de régler le problème, et non à la communauté. La recommandation nous permettrait d’avancer en clarifiant la chaîne de commandement et en permettant aux communautés d’exiger le respect de la loi, de sorte qu’elle puisse s’attendre à ce que cela mène à de vrais résultats.

Le sénateur McIntyre : Vous proposez trois grands changements d’ordre structurel à la Loi sur les langues officielles. De prime abord, je suis entièrement d’accord avec vos propositions de changement, surtout le fait de moderniser les mécanismes de surveillance et d’imputabilité par la création d’une institution centrale, d’un tribunal administratif qui serait chargé de voir à ce que la Loi sur les langues officielles soit pleinement appliquée. D’ailleurs, j’ai posé cette même question aux témoins qui ont comparu devant nous la semaine passée. Par contre, l’un des témoins était d’avis qu’il ne fallait pas se tourner vers ce modèle pour assurer la pleine application de la Loi sur les langues officielles.

Cela dit, je remarque que plusieurs organismes qui témoignent devant le comité proposent différentes approches. Il y a clairement un manque d’uniformité entre ce que proposent ces organismes qui aspirent tous au même but, alors que ce que vous proposez est sensé et, sans conteste, l’une des approches les plus logiques qui soient pour contrer le système actuel.

Comment faire en sorte que tous ces organismes se réunissent afin d’adopter une seule et même voix pour faire front commun? Êtes-vous cette voix susceptible de favoriser cette uniformité?

M. Johnson : J’ose croire que l’une des grandes responsabilités de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada est de consolider les énergies des différents groupes communautaires. Évidemment, nous n’enlèverions jamais à l’un de nos membres le désir de vouloir s’exprimer. Cependant, nous encourageons sans cesse les gens à travailler de façon solidaire et d’une seule voix, et ce, sur le plus d’enjeux possible.

Si un groupe diverge d’opinions quant à nos transactions avec un comité comme le vôtre, je pense qu’il y a là une occasion de tenir un dialogue. Mais vous avez raison lorsque vous dites que l’uniformisation des commentaires est une responsabilité importante qui revient à la Fédération des communautés francophones et acadienne.

M. Dupuis : En effet, nous avons élaboré notre mémoire en collaboration avec les 18 organismes membres. Nous tentons de trouver une solution. Tout le monde est d’avis qu’il doit y avoir une meilleure responsabilisation de la part de notre gouvernement lorsque la loi est enfreinte. Selon le commissaire actuel et les anciens commissaires, le tribunal administratif — on en fait la demande depuis plusieurs années — permet d’éviter le double rôle du commissaire, soit celui de mener une enquête afin d’encourager les institutions fédérales à mieux faire leur travail et de sanctionner des institutions réfractaires. Selon les dires des anciens commissaires, ce double rôle suscite toujours un malaise. C’est la raison pour laquelle on recommande la mise en place d’un tribunal administratif. On propose que le commissaire joue un nouveau rôle en réunissant des preuves pour des causes similaires devant un tribunal administratif. Il n’est pas obligé de le faire en ce moment. Ce serait deux institutions qui travailleraient en tandem pour assurer l’application de la Loi sur les langues officielles.

M. Johnson : À la page 44, au numéro 161, on demande à votre comité de proposer une nouvelle ébauche de la prochaine loi dès que possible pour que ces propos puissent faire partie d’une consultation des citoyens canadiens. Cela nous permettrait de canaliser les énergies et de nourrir la réflexion sur ce dossier. Ce serait une belle stratégie pour voir comment votre travail nous aidera à arrimer les idées de nos communautés.

Le sénateur McIntyre : Lors des réunions de nos comités, j’ai soulevé à quelques reprises toute la question du mécanisme manquant pour assurer que la Loi sur les langues officielles est pleinement appliquée. Aujourd’hui, j’ai l’impression que mes propos ont été entendus. La semaine dernière, j’avais soulevé une autre question aux témoins qui ont comparu devant notre comité. J’avais même suggéré de sanctionner les institutions qui manquent à leurs obligations. J’avais également proposé de faciliter le recours aux tribunaux dans le cas des institutions qui ne respectent pas leurs obligations linguistiques. L’un des témoins était d’avis qu’il ne fallait pas se tourner vers le modèle punitif pour faire appliquer la Loi sur les langues officielles. À l’heure actuelle, faute de modèle punitif, le système ne fonctionne tout simplement pas. J’aimerais connaître votre point de vue à ce sujet. Est-ce qu’on maintient le statu quo ou est-ce qu’on continue de progresser?

M. Power : Sénateur McIntyre, la FCFA souhaite être aussi claire que possible. Il faut avancer.

Le sénateur McIntyre : De quelle façon avancez-vous?

M. Power : J’ai deux idées très concrètes à ajouter quant aux propos du président. Monsieur McIntyre, reportez-vous au paragraphe 151 du mémoire. En ce moment, la Loi sur les langues officielles énonce un pouvoir...

Le sénateur McIntyre : La cause judiciaire.

M. Power : C’est exact. C’est la question que vous venez de soulever. Il s’agit d’un pouvoir qui autorise à un juge de la Cour fédérale d’ordonner ce qui est convenable et juste, selon les circonstances. Vous savez aussi bien que moi que c’est un langage très permissif qui donne peu de consignes au juge de la Cour fédérale. La FCFA propose, en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs, de ventiler les catégories d’éléments qui peuvent s’avérer convenables et justes en fonction des 30 dernières années de causes de jurisprudence. Dans la liste, par exemple, il y a l’élément b), les injonctions; c) le maintien des compétences, qui découle d’un jugement de la Cour suprême du Canada, l’affaire Doucet-Boudreau; d) l’ordonnance de dommages-intérêts. Le juge de la Cour fédérale qui, dans le cadre de la nouvelle Loi sur les langues officielles, est témoin d’exemples concrets de ce qui pourrait être convenable et juste, sera encouragé d’intervenir.

Évidemment, le but est d’éviter les tribunaux autant que possible, d’où l’importance de mandater un tribunal administratif et de rendre plus efficace le travail du commissariat.

En ce qui concerne le dernier point, pour vous donner un exemple très concret — vous le savez très bien pour avoir fait de nombreux procès au Nouveau-Brunswick —, l’habitude, c’est de créer un service des poursuites civiles ou pénales, qui est distinct du ministère de la Justice, soit des procureurs généraux. La logique est de séparer le pouvoir de champions d’enquête du pouvoir de sanction judiciaire. C’est un autre principe de base qui sous-tend la soumission de la FCFA en fonction de vraies idées et des pratiques des 30 dernières années.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Power. Ce que vous dites est de la musique à mes oreilles. Si je comprends bien, pour résumer les articles 151, 152 et probablement 153, le tribunal développerait une expertise en matière de langues officielles. Le tribunal aurait des pouvoirs de réparation déclaratoire, d’injonction, d’ordonnance, d’ordonnance de dommages-intérêts. De plus, la Cour fédérale devrait avoir le droit de réviser des décisions prises par le tribunal et les parlementaires auraient besoin de définir la procédure du tribunal. Est-ce exact?

M. Power : Oui, et j’aimerais commenter le dernier point au sujet de la procédure. En ce moment, la Loi sur les langues officielles parle de demandes et nomme la Cour fédérale. Imaginez-vous, sénateur McIntyre, qu’il n’existe aucune règle de procédures clairement applicable. Des débats judiciaires, notamment celui concernant le Forum des maires du Nouveau-Brunswick, portent sur les règles qui s’appliquent. Les Canadiens ne veulent pas débattre des règles applicables en cour. Énonçons des mesures judiciaires très claires, connues à l’avance, pour que les droits qui seront garantis par la nouvelle loi soient véritablement reconnus.

Le sénateur McIntyre : Merci.

La sénatrice Jaffer : Bonsoir et merci à vous tous de vos témoignages. Monsieur Johnson, vous vous êtes entretenu avec mon assistante, Melania Bouchard, dans le cadre de l’initiative sur la francophonie, le 1er mars dernier. Je vous remercie de l’information que vous avez transmise à mon personnel.

J’ai une question concernant la définition de l’identité d’une personne francophone. Dans ma province de la Colombie-Britannique, la demande pour les programmes francophones et d’immersion française augmente bien plus rapidement que son financement. D’ailleurs, la population francophile et francophone augmente également. Ma question s’adresse à vous tous. Comment la Loi sur les langues officielles devrait-elle définir qui est francophone? Avez-vous un modèle à suggérer qui puisse inspirer un changement de définition?

M. Johnson : Je pense que chaque juridiction, chaque province et chaque territoire aborde justement ce type de réflexion. J’ai tendance à avoir une vision très large et très ouverte quant à ce sens identitaire. Dans un premier temps, à mon avis, c’est quelque chose de très personnel. J’ai des amis anglophones qui se disent des anglophones qui vivent une partie de leur vie en français. C’était en réaction à l’expression « de bons francophones comme toi et moi ». Ils disaient : « Non, un instant, je suis anglophone ». La notion de l’identité. Selon nous, la francophonie représente tous les citoyens et les citoyennes qui choisissent de vivre une partie de leur vie en français, qu’il s’agisse de leur langue maternelle ou d’une langue seconde. Je ne sais pas si mes collègues souhaitent alimenter davantage ce débat. C’est une question qui revient constamment sur la notion de l’identité, soit la définition d’un francophone.

M. Dupuis : De toute évidence, la francophonie évolue. Aujourd’hui, on ne parle plus juste de langues maternelles. La FCFA croit qu’il est très important de compter tous ceux et celles qui veulent vivre une partie de leur vie en français.

On revendique aussi le fait que si un anglophone désire avoir accès à un service en français, il a le droit de le faire. Il devrait être naturel au Canada, dans un pays qui prône la promotion du bilinguisme, de pouvoir interagir avec le gouvernement dans la langue officielle de son choix.

Au paragraphe 129 de notre mémoire, nous précisons que les services ne devraient pas seulement être déterminés selon un nombre absolu de francophones dans une région donnée, mais bien en tenant compte du principe de la vitalité des communautés. Vous avez travaillé à cet objectif, sénatrice Gagné, et vous travaillez également à la révision actuelle du Règlement sur les langues officielles. Nous adhérons pleinement à cette notion, c’est-à-dire que sont inclus tous ceux qui ont la capacité de vivre une partie de leur vie dans la langue officielle de leur choix.

[Traduction]

Mme James : Puis-je ajouter quelque chose à cette conversation très importante?

Je viens de la Colombie-Britannique. Durant mon enfance, lorsque j’étais en cinquième, sixième et septième année, j’ai pu suivre un programme d’immersion française. Rendue en huitième année, je suis retournée vivre en Colombie-Britannique. Je n’avais alors plus la possibilité de suivre des cours de français. J’ai perdu ma langue. J’ai essayé de la préserver en regardant la télévision. Il n’y avait pas une grosse communauté en Colombie-Britannique. C’est l’un de mes grands regrets. Le bilinguisme est ce qui nous distingue; c’est une partie très importante de notre tissu social.

Pour les francophones de la Colombie-Britannique, c’est très différent parce que la province ne compte pas d’importantes communautés francophones, mais il existe une forte demande pour les programmes d’immersion. Je crois que c’est tellement important. Il s’agit d’un grand atout pour notre pays. Selon moi, il est important que nous modernisions la loi pour tenir compte de tous ces aspects. Il ne s’agit pas seulement d’examiner les communautés francophones, mais aussi de déterminer comment nous pouvons les bâtir. Ce que nous proposons ici aujourd’hui contribuera grandement à la mise en œuvre concrète de ce qui est nécessaire pour tout le monde, dans l’ensemble du pays. Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de vos observations. Comme vous le savez, je viens de la Colombie-Britannique, et je suis mère de deux enfants qui parlent français depuis leur plus jeune âge, mais ils n’ont pas reçu cette formation en Colombie-Britannique. Je les ai amenés au Québec pour qu’ils apprennent le français, parce que je crois vraiment en cela.

Je vais vous donner un exemple de ce qui me contrarie beaucoup. Même si mon fils possède un diplôme en français et parle cette langue, plus précisément le français québécois, on n’a pas permis à son fils de fréquenter une école francophone. Il a dû aller à une école d’immersion parce qu’il n’est pas francophone.

Ainsi, un autobus scolaire passe dans le quartier pour aller chercher le fils du voisin et l’amener à une école française. Mon petit-fils, quant à lui, va à une école d’immersion. Ma famille déplore cette situation. L’immersion, c’est très bien, mais ce n’est pas du même ordre que les écoles françaises. Séparer deux enfants qui vivent dans le même duplex — l’un, francophone et l’autre, francophile — ne favorise pas l’épanouissement de la langue.

Je dirais que dans le cadre de votre travail, qui est fort louable, et de celui du comité, nous devons déterminer quels enfants ont la possibilité de fréquenter une école française parce que la séparation appartient à une époque révolue. Je sais qu’en Colombie-Britannique, on permet parfois à un enfant francophile de fréquenter une école française, mais je crois que si nous tenons à faire grandir la communauté française, la culture francophone… Ma province est très dynamique. Dans ma deuxième intervention, je vous expliquerai à quel point elle est vivante et combien elle souhaite favoriser l’apprentissage du français et faire partie de la communauté bilingue, mais elle ne pourra y arriver que si nous lui accordons les ressources nécessaires. La langue ne s’épanouira que si nous accueillons les communautés, au lieu d’ériger des murs.

[Français]

M. Johnson : Je vais tenter de répondre à cette question. Il y a beaucoup d’espoir quant à la notion de l’apprentissage de la langue. Lorsque j’allais à l’école, il était défendu d’enseigner le français et je demeurais pourtant dans une communauté complètement homogène dans la région au nord-ouest de la province de l’Alberta. Les temps ont ensuite changé, des écoles bilingues ont vu le jour et, par la suite, des écoles d’immersion.

Maintenant, la langue française est plus présente et nous avons obtenu le droit de gérer nos écoles selon l’article 23 de la Charte. Ces écoles sont essentiellement régies de façon restrictive par rapport à la Charte. Je crois que l’évolution des écoles sera continue; il faut garder et protéger l’intégrité de l’enseignement du français pour les francophones, tout en respectant les besoins d’un anglophone qui veut s’approprier l’apprentissage de la langue française.

Nous sommes en constante évolution. Ne perdez pas foi et ayez confiance, car je crois que nous allons réussir à créer ces institutions avec une présence francophone. Toutefois, tout au long du chemin pour y parvenir, des gens font des sacrifices. Les écoles d’immersion pour les jeunes francophones ont été des endroits d’assimilation, car, entre la classe de sixième et de huitième année, le jeune anglophone maîtrisait l’anglais au-delà des capacités du jeune francophone. J’ai été témoin de cela, que ce soit dans ma famille ou chez des amis. C’est un peu comme le mouvement d’un pendule qui part et revient. Je n’ai pas de réponse précise quant au cas dont vous parlez, mais il est clair que nous devons constamment relever des défis au sein de nos communautés.

M. Power : J’aimerais ajouter une petite précision en réponse à la question de la sénatrice Jaffer. Dans le mémoire de la FCFA, je pense que vous trouverez très pertinente la section qui commence au paragraphe 136, notamment le paragraphe 141. Vous avez tout à fait raison de souligner l’importance des fonds fédéraux en matière d’enseignement du français, qu’il s’agisse de l’éducation en langue française ou de l’immersion. Il s’agit là de sommes importantes dont il est difficile de suivre la trace.

Si la nouvelle loi devait se pencher sur cette situation pour une première fois, afin d’encadrer davantage la discrétion dont jouit le gouvernement fédéral dans l’exercice de son pouvoir de dépenser, les petits-enfants de vos petits-enfants, dans une ou deux générations, pourraient concrètement voir de meilleurs résultats.

[Traduction]

Mme James : Nous ratons une occasion extraordinaire au moment de négocier les ententes fédérales-provinciales. Le gouvernement fédéral n’énonce pas clairement ses buts et ses objectifs quant au financement dans ce domaine. Je parle d’après mon expérience au sein du gouvernement, ayant moi-même négocié des ententes, et dans le secteur privé à titre de consultante pour des clients.

Pourtant, dans d’autres domaines, le gouvernement fédéral indique très clairement ses buts et ses objectifs en matière de financement et, d’ailleurs, il fera un suivi des résultats, mais cela semble faire défaut dans ce dossier. Je trouve cela déconcertant. C’est tout simplement une occasion ratée. J’espère que la situation sera corrigée aux termes de la nouvelle loi, et c’est ce que nous recommandons, parce qu’il n’y a absolument aucune raison pour que cela ne se fasse pas à l’heure actuelle.

La sénatrice Jaffer : Je suis tout à fait d’accord. Je ne cesse de demander à la ministre Joly, chaque fois que nous la rencontrons, de réserver les fonds.

Comme la sénatrice Gagné et le sénateur Maltais vous le diront, lorsque notre comité a tenu des audiences en Colombie-Britannique dans le cadre d’une autre étude, nous avons été choqués d’apprendre que l’immersion représente seulement quelques heures au secondaire. Il ne s’agit pas d’une immersion totale. Vous prétendez que votre enfant suit un programme d’immersion française, mais ce n’est pas vraiment le cas. Beaucoup de cours sont donnés en anglais; bref, la norme n’est pas maintenue.

Vous avez fait allusion aux enfants de vos petits-enfants. En tout respect, je ne compte pas attendre jusque-là. On a interdit à ma petite-fille de quatre ans de fréquenter une école d’immersion parce que son frère est inscrit à un programme d’immersion.

En Colombie-Britannique, on trouve maintenant des écoles d’immersion en chinois et en pendjabi. Il n’y a rien de mal à cela, mais nous perdrons notre bilinguisme. Le temps presse. Nous devons réclamer du financement dès maintenant pour que les enfants d’un bout à l’autre du pays puissent obtenir le même type de formation en matière de bilinguisme.

M. Power : Vous avez tout à fait raison.

[Français]

Pour y arriver, il faut que les institutions fédérales fassent ce qu’elles doivent faire en vertu de la loi. Il faut donc qu’une agence centrale mette en œuvre vos bonnes idées. Le développement francophone de votre petit enfant dépend de la mise en œuvre d’un système de gouvernance horizontale obligatoire qui a du sens.

Le président : Puisque vous avez parlé des ententes fédérales-provinciales, j’aurais une question pour vous. Dans votre mémoire, vous proposez l’ajout d’une partie sur l’éducation, au paragraphe 141, et d’une partie sur la santé, au paragraphe 142. Il y a beaucoup d’ententes fédérales qui se font dans différents secteurs. Puisque cela revient constamment aux enjeux liés aux ententes fédérales-provinciales, quel est votre avis sur l’ajout d’une partie traitant de la relation entre le gouvernement fédéral et les provinces dans le cadre des ententes fédérales-provinciales? Y avez-vous réfléchi? Si oui, qu’en pensez-vous?

M. Dupuis : En général, nous sommes en faveur d’encadrer les ententes fédérales-provinciales et de la présence de dispositions linguistiques. Maintenant, à quelle partie de la loi devrait-on ajouter ces dispositions? Je laisserai les législateurs décider de la mécanique. L’idée selon laquelle il faut encadrer ces ententes est très claire. Il est de plus en plus évident que le gouvernement fédéral a tendance à investir beaucoup d’argent et à le transférer aux gouvernements provinciaux. Il n’y a pas de reddition de comptes. Nous avons poussé pour obtenir un plan d’action qui réinvestirait dans les organismes sur le terrain puisque, justement, nous avons du mal à suivre l’argent qui est transféré aux provinces et aux territoires dans le cadre de l’ancienne feuille de route. Alors, oui, c’est une priorité pour nos communautés.

M. Power : La nouvelle loi devrait prévoir des balises de base auxquelles les communautés peuvent s’attendre dans les ententes fédérales-provinciales. Bien sûr, le Canada est une fédération, et le gouvernement fédéral ne peut pas forcer une province à faire quelque chose qu’elle ne peut pas faire, par exemple, dans le domaine de la santé ou de l’éducation. Ce n’est pas la recommandation de la FCFA. Nous recommandons plutôt que les institutions fédérales négocient et obtiennent que certaines dispositions linguistiques de base soient insérées aux ententes fédérales-provinciales.

J’ai trouvé intéressante l’intervention de ma collègue, Mme James, pour avoir été à la table de négociation en tant que sous-ministre d’une grande province, la Colombie-Britannique. Lorsque le gouvernement fédéral tient vraiment à quelque chose, il insiste pour que la chose soit énoncée dans l’entente. Il ne le fait pas en matière de langues officielles. Cela doit changer. L’établissement de cet objectif dans la nouvelle Loi sur les langues officielles mènera à des résultats concrets.

Prenons, par exemple, les dispositions linguistiques des nouvelles ententes qui ont été signées en matière de petite enfance. Les communautés anglophones et francophones ne devraient pas avoir à tenter d’obtenir des dispositions linguistiques. Cela devrait être la norme prévue par la loi.

Le sénateur Maltais : Je suis heureux de constater que mon savant collègue, le sénateur McIntyre, a tout compris. Je suis un peu dans le brouillard. Vous allez essayer avec moi de démêler ce cadre.

La Charte canadienne des droits et libertés définit certaines choses. Dans votre mémoire, vous parlez de recanalisation vers le Conseil du Trésor, avec l’aide d’un ministre d’État délégué à la langue française.

Le commissaire aux langues officielles a un rôle important à jouer. Vous demandez la création d’un conseil consultatif et d’un tribunal administratif. Patrimoine canadien sera aussi dans le décor, ainsi qu’une agence centrale pour tout gérer cela, si je comprends bien. Ai-je oublié quelque chose? J’ai tenté de cerner le plus de choses possible dans votre mémoire. Cela fait beaucoup de gens.

M. Johnson : Oui. Si l’on recommençait là où réside la responsabilité de la mise en œuvre de la loi...

Le sénateur Maltais : Je ne les ai pas mis en ordre.

M. Johnson : On parle du Conseil du Trésor. Évidemment, le Bureau du Conseil privé a une relation politique à jouer à ce chapitre, et le rôle de Patrimoine canadien subirait une modification. Il y a beaucoup de responsabilités dans le domaine des arts et de la culture. Nous regardions la liste cet après-midi et, oui, il s’agit de recanalisation, mais il est important de renforcer les responsabilités de tous les ministères à l’égard de la Loi sur les langues officielles. Le seul organisme qui pourrait le faire, c’est le Conseil du Trésor.

Vous avez parlé du commissaire aux langues officielles. Nous voulons renforcer les rôles et responsabilités du commissaire afin qu’il puisse bien jouer son rôle de champion et enquêter là où il y a manquement, mais nous voulons donner la responsabilité de sanction à une autre entité, qui est le tribunal administratif. Tous ces éléments sont des parties qui bougent, mais pas tant que cela. Nous sommes en train d’apporter de l’ordre dans le processus. Nous encourageons le désir du gouvernement de contribuer à un Canada bilingue, et ce désir doit être soutenu par la force d’une loi qui doit être respectée. Voilà ce que nous proposons quant aux méthodes de fonctionnement.

Le sénateur Maltais : En ce qui a trait au plan de rapatriement au Conseil du Trésor, je suis tout à fait d’accord avec vous. Il y a 2,7 millions de Canadiens francophones à l’extérieur du Québec. C’est à peu près égal à notre population autochtone. Ces derniers ont un ministre des Affaires autochtones; pourquoi ne pas avoir un ministre responsable de l’enseignement des langues officielles, qui émane de la Charte canadienne des droits et libertés? Je suis tout à fait d’accord avec vous.

Voici ce qui me fait peur : le président du Conseil du Trésor est une bonne personne, mais son devoir est de réduire les dépenses. Disons que nous adoptons cette mise en place dans la refonte de la loi. Risquons-nous de nous faire dire que nous en demandons trop?

Cela fait 20 ans que je travaille en politique. Je me suis toujours dit qu’il est préférable d’en demander trop pour en recevoir un peu. Si, par exemple, on perdait deux ou trois des huit points que j’ai nommés... Bien entendu, vous espérez obtenir les huit éléments, et je suis d’accord avec vous, mais soyons réalistes : un gouvernement est un gouvernement. Je ne pense pas que, du jour au lendemain, il arrive en disant qu’il accepte tout. Quel est le point prédominant pour vous?

M. Johnson : C’est la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur Maltais : Oui, nous l’effectuons.

M. Johnson : Je vous le dis avec un petit sourire. Moi, je ne veux pas faire de choix. Vous me demandez d’en faire, mais je ne veux pas avoir cette conversation. Je veux vous dire, par contre, qu’on doit trouver un mécanisme pour nous assurer que le gouvernement canadien, dans toutes ces instances, fera preuve de respect et d’engagement à l’égard de la Loi sur les langues officielles.

Vous parlez des francophones à l’extérieur du Québec, mais nous incluons également les anglophones du Québec. Je ne suis pas ici pour les représenter, mais c’est une communauté linguistique minoritaire qui a des réalités qui lui sont propres. Je suis certain que les membres de cette communauté auraient des choses à dire à ce sujet. Nous parlons de la perspective francophone, du renforcement de la loi. Nous proposons une panoplie d’outils.

M. Dupuis : À mon avis, peu de choses changent. Nous ne faisons pas tellement d’ajouts. Les lois, la Charte, la Loi sur les langues officielles, c’est le cadre législatif. Ensuite, nous demandons de savoir qui est l’agence responsable de la coordination de cette loi. Oui, cela change. Au lieu que la responsabilité soit partagée entre le Conseil du Trésor et Patrimoine canadien, on la rapatrie au sein du Conseil du Trésor. Nous lui donnons un nouveau rôle et les moyens rapatriés d’un autre ministère. Oui, le conseil consultatif, c’est nouveau, mais en fin de compte, il y a déjà des structures de consultation. Nous sommes souvent en mode de consultation et nous participons à ces consultations. Il s’agit de formaliser cela. La nouveauté, c’est le tribunal administratif. Tout compte fait, il s’agit de séparer le rôle de sanction du commissaire, rôle qu’il joue déjà, et de le clarifier un peu. À mon avis, ce n’est pas une révolution. Il s’agit plutôt d’une clarification de ce qui est fait et des obligations pour simplifier la démarche.

Le sénateur Maltais : Vous conviendrez avec moi que l’assiette est tout de même importante dans la refonte de cette loi. Bien entendu, elle n’est pas réformée tous les jours et il faut prendre le temps de le faire. Je suis tout à fait d’accord pour que toutes vos demandes et recommandations soient incluses. Ce sera au gouvernement de décider de l’importance qu’il accordera à vos demandes.

Je veux revenir sur un point. Vous ne parlez jamais des gouvernements provinciaux concernés. Ils ont un rôle à jouer dans l’éducation. Comment le jouent-ils? Ce n’est pas formidable en Colombie-Britannique. J’y suis allé, et je n’ai pas été impressionné par le travail du gouvernement. Je peux dire que j’ai déjà vu mieux.

M. Johnson : Bien que je sente que l’on s’écarte quelque peu du sujet, je vais émettre un commentaire. Dans nos provinces, il est dit constamment que l’éducation est de compétence provinciale. J’aurais tendance à dire que le gouvernement fédéral joue bien son rôle et que, lorsqu’il signe des ententes, par exemple pour le programme des langues officielles en éducation, il devrait y avoir des ententes de reddition de comptes en ce qui a trait aux investissements. Nous sommes convaincus qu’il existe de meilleures façons d’investir les fonds, mais nous sommes incapables d’obtenir de l’information sur la façon dont ces investissements sont faits.

J’aurais l’audace de faire un autre commentaire sur la notion de l’éducation postsecondaire. Il faut investir davantage dans la formation des enseignants, dans les programmes francophones et d’immersion. Souvent, il y a un problème d’accès à des ressources humaines dans les écoles. Donc, c’est une question d’argent, mais une question d’investissement pour élaborer un plan complet de prestation des services en éducation.

[Traduction]

Mme James : Je voudrais ajouter une observation, si je peux me le permettre, sénateur. C’est une question très importante, et une bonne partie de la réponse réside dans l’établissement d’un plan; le gouvernement doit avoir un plan stratégique de haut niveau, dans lequel il reconnaît les mesures prises pour atteindre ses buts et ses objectifs. La loi établit les buts et les objectifs, mais elle ne va pas plus loin en précisant la marche à suivre pour y arriver.

Pour l’heure, à ma connaissance, cet aspect relève des ministères. Les ministères disent : « Voici comment nous nous acquitterons de nos obligations aux termes de la loi. » Le gouvernement doit diriger ces efforts et collaborer avec les provinces pour y parvenir. À cette fin, nous avons recours à des tables rondes fédérales-provinciales-territoriales. Il s’agit de tenir ces discussions, puis de décider comment procéder pour atteindre ensemble ces objectifs.

Une de nos recommandations, qui est, selon moi, un ajout très important à la mise en œuvre de la loi, c’est de faire en sorte que le Cabinet, les ministres et le premier ministre se dotent d’un plan stratégique de haut niveau, qu’ils en mesurent les résultats et qu’ils en rendent compte, conformément aux lettres de mandat de chacun des ministres. Voilà comment le gouvernement indique ce qui est important à ses yeux. Ensuite, les fonctionnaires concrétisent le tout et en assurent la mise en œuvre.

Je crois que c’est un point essentiel. C’est ce qui déterminera également le choix de vos investissements. Dans l’état actuel des choses, le financement provincial repose très souvent sur une formule.

[Français]

Le sénateur Maltais : Cependant, il ne faut pas oublier non plus la difficulté pour le gouvernement fédéral sur le plan de la reddition de comptes. Les transferts sont inscrits à l’article 93, et les provinces sont très jalouses. Les transferts sont globaux et les provinces ont peu de comptes à rendre. Elles rendent des comptes sur ce qui est obligatoire, comme l’accessibilité à la santé et bien d’autres choses, mais pour ce qui est de l’éducation, cela relève entièrement des provinces.

Le président du Conseil du Trésor, Scott Brison, a comparu à deux reprises devant notre comité. Il a fait un travail de recherche et j’ai eu l’occasion de discuter avec lui en privé. Il n’est pas évident de prévoir une reddition de comptes. En fait, vous avez demandé la reddition de comptes, mais presque tous les organismes l’ont demandée également. Encore faut-il que le ministre soit en mesure de le faire. Présentement, dans le cadre de la loi sur les transferts fédéraux, il n’est pas en mesure de le faire. Il ne faut pas lui demander l’impossible.

C’est aux provinces de lui dire ce qu’elles font avec les fonds qui sont supposément consacrés à l’enseignement. Dans l’enseignement, on ne précise pas s’il s’agit de langue française ou anglaise; on parle d’enseignement. Il y a peut-être une petite distorsion qu’il faudra examiner de près dans la refonte de la loi, parce que tant et aussi longtemps que les provinces seront libres de faire ce qu’elles veulent avec les fonds, vous n’aurez jamais de garanties. Cela demeure l’épine dans le pied de tous vos organismes et, surtout, de tous vos enfants, les francophones et les francophiles qui veulent apprendre le français. N’étant pas avocat, je ne sais pas comment nous pourrions insérer cela dans une refonte de la loi. Je fais confiance à mon ami, le sénateur McIntyre. Il faut qu’un jour ou l’autre nous demandions aux provinces de rendre des comptes sur les sommes qui leur sont octroyées pour l’éducation. Il faut que le gouvernement fédéral ait le pouvoir de le faire.

[Traduction]

Mme James : Je vais donner une réponse partielle, car c’est une question assez épineuse. Dans le cas de l’éducation, vous avez tout à fait raison. Vous avez mentionné en particulier la Colombie-Britannique. Je connais très bien notre loi, et la situation est encore pire, bien franchement, parce que la province de la Colombie-Britannique délègue la responsabilité du financement aux commissions élues. Par conséquent, la province ne peut pas leur dire comment dépenser leur argent.

En ce qui concerne plus particulièrement l’éducation, c’est assez difficile, mais cela ne signifie pas que c’est impossible. Il faut tout simplement un peu de créativité et un peu de réflexion. S’il y a une volonté d’agir, je pense qu’on peut y arriver.

Le sénateur Maltais : Vous avez raison. Merci.

[Français]

La sénatrice Moncion : Ma question concerne certains commentaires qui apparaissent dans votre mémoire, qui, soit dit en passant, est très bien fait. À la page 12 de votre mémoire, il est indiqué que les responsabilités qu’impose la loi sont générales, peu contraignantes ou ne sont pas accompagnées des pouvoirs nécessaires à leur acquittement. C’est l’un des commentaires.

Aussi, il est mentionné que :

[...] on suscite des comportements, on crée un climat favorable. C’est exactement ce que cherche à faire le projet de loi en parlant d’appui, d’accueil, d’encouragement.

Et si on se penche sur le commentaire de M. Bouchard, qui était à ce moment-là ministre au Secrétariat d’État, il est mentionné ce qui suit, et je cite :

De plus, il y a une chose très importante dans le nouveau projet de loi : c’est la responsabilité de concertation et de coordination qui est conférée à mon ministère [Secrétariat d’État]. Ce ministère aura l’obligation maintenant de s’assurer que dans l’ensemble de l’appareil fédéral, les agences fédérales, il y ait non pas seulement une sensibilisation mais qu’il y ait une démarche très vigoureusement engagée pour respecter la loi dans toutes ses obligations.

Ensuite, il est indiqué que la loi n’a pas de mordant, qu’elle n’a pas de pouvoir.

On note donc que, au cours de 50 dernières années, la Loi sur les langues officielles a été davantage une loi d’accompagnement et de persuasion morale, afin d’amener les gens à changer de comportement. En ajoutant une section punitive à la loi, nous espérons arriver à nos fins, mais une chose m’inquiète; je comprends qu’il y a une structure en place, une application et un système punitif, mais comment va-t-on changer cela en évitant les divisions?

L’une des inquiétudes que suscite la Loi sur les langues officielles, c’est qu’elle pourrait diviser les gens, et vous pourriez vous retrouver avec des gens qui s’y opposeraient et qui vous mettraient des bâtons dans les roues. On parlait tantôt de stratégie; les buts et les objectifs que l’on cherche à atteindre sont clairs, alors comment s’y prendre et comment le faire en évitant la mésentente?

M. Power : J’ai peut-être un début de réponse. Il faut se rappeler à quel point le Canada a changé. Ma mère a grandi à Kapuskasing, mon père, à Timmins. Le Nord de l’Ontario a changé, vous le savez; Ottawa et Toronto ont changé. Ce n’est plus le Canada de nos grands-parents. Je vous le dis parce que, récemment, le Commissariat aux langues officielles a publié des sondages intéressants à l’occasion du 150e anniversaire du Canada, en soulignant à quel point la Loi sur les langues officielles et le bilinguisme sont acceptés par plus de gens qu’on ne pourrait le penser à titre de francophones minoritaires vivant à l’extérieur du Québec.

Ironiquement, un consensus — même s’il y a toujours des exceptions — s’est dégagé au Canada. On accepte déjà — tout comme Mme James l’accepte — que le Canada doive être bilingue. C’est pour cette raison que la FCFA souligne dans son mémoire que les objectifs de la loi n’ont pas vraiment besoin d’être remis en cause. Ayant créé un consensus sociétal, il faut maintenant passer aux gestes. La vraie division n’est pas tant celle qui a trait à ceux et celles — rares — qui sont contre le bilinguisme au Canada; la vraie division tient à l’écart entre ce que la loi prévoit et ce que les Canadiens et les Canadiennes vivent. Chaque fois que l’on se trouve à l’aéroport et que l’on ne reçoit pas de services en français, cela indique aux gens qui parlent français à l’extérieur du Québec que ce n’est pas aussi important que cela, que les choses vont changer et que nous ne sommes pas là pour de bon. L’écart entre la théorie et la réalité doit être comblé, et la FCFA vous propose une façon d’y arriver; cela passe par une horizontalité, en fonction d’idées qui ont déjà été testées dans d’autres domaines.

M. Dupuis : Je crois que c’est très important pour ma génération et pour la prochaine génération d’envoyer ce message maintenant. Le message actuel, c’est que nous avons des droits sur papier, mais qu’en pratique, nous n’en avons pas vraiment.

Les obligations existent. Le problème majeur de la Loi sur les langues officielles, c’est qu’elle n’est pas appliquée. C’est défini et il y a eu un consensus sur des principes, alors nous vous faisons part d’outils pour aller plus loin. À la base, le message que l’on doit envoyer est que ces droits existent et que, enfin, on doit créer des mécanismes au sein du gouvernement pour que cela soit réellement reflété.

Je pense d’ailleurs que c’est l’un des messages que les jeunes qui ont témoigné à votre comité vous ont transmis, c’est-à-dire que nous vivons cette langue tous les jours, mais que nous aimerions que le pays puisse aussi vivre ses langues au quotidien.

M. Johnson : Notre communauté sent le besoin de faire valoir les arguments favorisant le fait français partout à travers le Canada. On entend souvent dire que la langue française est un avantage économique à l’échelle mondiale, mais c’est aussi le cas à l’échelle interprovinciale. On sous-estime l’influence et la force de frappe d’un pays qui est réellement bilingue. Lorsque je constate que, pour un sondage en Alberta, 94 p. 100 des citoyens trouvent la notion du bilinguisme canadien complètement acceptable, je me dis qu’on a peut-être fait un bout de chemin. Je suis un éternel optimiste, mais il faut outiller nos communautés et nos gouvernements pour réaliser la vision d’un Canada bilingue. C’est une notion et non pas une réalité, mais nous disons que, en menant des actions, au cours des 40 prochaines années nous pourrons réaliser cette vision.

La sénatrice Moncion : Je constate que la Loi sur les langues officielles est une loi complaisante. Elle est très importante, mais ce n’est pas une loi qui est toujours respectée. Elle est complaisante et on a permis cette complaisance au cours des 50 dernières années. C’est ce côté de la loi qui doit changer.

M. Power : Le sénateur Maltais soulignait plus tôt qu’étant donné le nombre de demandes, il faudrait réécrire la loi, mais en réalité, ce n’est pas le cas. La réécriture de la loi a été faite en 1988; quand on compare la loi de 1969 et celle de 1988, c’est complètement différent, et c’est la raison pour laquelle elles figurent en annexe au mémoire, pour vous démontrer à quel point elle a changé.

Ce que la FCFA demande maintenant, c’est de mettre en œuvre des principes consacrés depuis 1988 et qui font l’objet d’un consensus. C’était l’intention de vos prédécesseurs. Au paragraphe 37 du mémoire, on a présenté un échange frappant entre M. Bouchard, alors secrétaire d’État, et le sénateur De Bané. Ce qui est tout à fait frappant, c’est à quel point le débat porte sur le point suivant, à savoir si le mécanisme de mise en œuvre retenu peut fonctionner, soit le Conseil du Trésor, avec l’aide du ministre du Patrimoine canadien, qui agit à titre de coordonnateur. L’intention était que cela fonctionne. M. Bouchard, qui est un excellent orateur, affirmait que cela allait fonctionner. Le sénateur De Bané disait que non et qu’il fallait faire plus. C’est spectaculairement pertinent.

Que demande la FCFA aujourd’hui? Malheureusement, étant donné que certains législateurs et parlementaires se sont trompés dans les années 1980, il faut corriger le tir et mettre en œuvre une structure qui fonctionnera. On fait référence à une structure dont tous les éléments constitutifs figurent déjà dans la loi. Il s’agit maintenant de changer des mots, comme passer du mot « peut » au mot « doit ».

En ce qui a trait au pouvoir réglementaire, la partie VII de la loi est tellement importante pour nos communautés, vous le savez; et c’est la même chose pour les anglophones. Pourtant, la partie VII de la loi prévoit la possibilité de prendre des règlements. Combien de règlements ont été pris aux termes de la partie VII depuis 1980? Aucun. Voyons! Passons du mot « peut » au mot « doit » et commençons à agir pour vrai.

Le sénateur Maltais : Monsieur Power, vous êtes, bien sûr, un excellent avocat. Toutefois, mon expérience parlementaire est assez longue pour que je puisse connaître la différence entre le mot « peut » et le mot « doit ». Le mot « doit » appelle un changement radical par rapport au mot « peut ». Lorsqu’on utilise le mot « doit », c’est un ordre de l’État canadien, mais lorsqu’on utilise le mot « peut », c’est un vœu pieux. Il y a une énorme différence. Ne me dites pas que cela ne modifie pas la loi, je suis législateur depuis assez longtemps.

Un jour, votre président a comparu devant le comité et a affirmé que les sénateurs faisaient mal leur travail, que les lois étaient mal faites. Je l’ai gentiment rappelé à l’ordre en lui disant que les politiciens énoncent un projet de loi et que ce sont des avocats-légistes qui rédigent la loi. J’ai dit ceci au président : « Si la loi est mal faite, c’est de votre faute. C’est vous qui instruisez nos avocats, ne venez pas vous plaindre à nous. On devrait plutôt se plaindre auprès de vous concernant la formation de nos légistes. »

Le président : Chers collègues et chers témoins, je compte sur votre collaboration. Il nous reste environ une dizaine de minutes et trois sénateurs veulent poser des questions à la deuxième ronde. Je vous demande d’être succincts dans vos questions, si possible.

La sénatrice Poirier : Ma question concerne les consultations. Vous proposez de renforcer la notion du « par et pour » les communautés de langues officielles en situation minoritaire. Selon vous, quel type d’incitation forcerait le gouvernement à respecter les désirs des communautés à la suite des consultations?

M. Dupuis : C’est justement ce qu’on demande, qu’il n’y ait pas seulement des consultations, mais qu’il y ait aussi une démonstration de la façon dont le fruit de ces consultations a été pris en compte par le gouvernement.

On le voit dans d’autres provinces et territoires, entre autres au Yukon ou au Québec, où nous ne tenons pas que des consultations. Nous montrons aussi publiquement la façon d’intégrer les commentaires de la population dans nos programmes et dans nos projets. C’est dans ce sens que nous devrions nous orienter.

Évidemment, le fait de structurer la démarche avec un conseil consultatif accorde une place privilégiée aux communautés qui possèdent une expertise et qui veulent l’offrir à chaque étape du développement des politiques.

[Traduction]

Mme James : J’ajouterais que, du point de vue structurel, cela pourrait éclairer le plan stratégique global ou le plan du gouvernement. Ce serait donc une approche ascendante, mais aussi descendante. Elle nous permet de mener des consultations constructives, de profiter de l’expertise des divers groupes d’un bout à l’autre du pays et de disposer d’un plan vraiment pertinent, utile et mesurable, qui peut apporter des changements positifs. C’est ce que demandent les communautés.

[Français]

La sénatrice Gagné : Mes questions font suite aux questions de la sénatrice Poirier, mais elles concernent plutôt le modèle manitobain, parce que vous y avez fait référence dans votre mémoire. Est-ce que le modèle manitobain met pleinement en œuvre le principe du « par et pour »?

M. Dupuis : Je pense que c’est un exemple où on pourrait structurer cette démarche. Évidemment il y a d’autres mécanismes existants, mais l’intention derrière le fait de définir cette consultation, c’est dans le cas d’un gouvernement réfractaire qui ne veut rien savoir des communautés, mais qui participe quand même aux consultations.

On entend de plus en plus les communautés dire qu’elles en ont assez d’être vues comme un client parmi d’autres. Elles veulent être partenaires, aller plus loin et élaborer des politiques adaptées à leur réalité. Si le gouvernement n’est pas en mesure de le faire ou accorde un financement aux communautés pour qu’elles gèrent elles-mêmes un service, il y a un principe qu’on a noté dans le mémoire, mais on croit qu’on devrait être en mesure de le faire et que les communautés devraient avoir la possibilité d’offrir parfois leurs propres services si le gouvernement n’est pas le mieux placé pour le faire.

La sénatrice Gagné : Je pense que la création d’un conseil consultatif favorisant la collaboration entre le gouvernement fédéral et les communautés est une excellente idée, tant et aussi longtemps que ce conseil consultatif participe à la prise de décisions.

M. Johnson : Le renforcement de la loi nous permet justement d’assurer les actions du « par et pour ».

La sénatrice Gagné : À la page 29 de votre mémoire, vous dites que la FCFA entend soumettre une seconde série de recommandations, dans laquelle sera proposée une première ébauche des modifications à la Loi sur les langues officielles. À quel moment cette série de recommandations est-elle prévue?

M. Johnson : Lors de notre dernière rencontre, nous avons demandé au conseil d’administration s’il acceptait qu’on aille plus loin en proposant des éléments de projet de loi. Dans un monde idéal, j’aimerais qu’il y ait d’ici la mi-juin un projet de loi qu’on pourrait partager avec vous. C’est audacieux, mais je pense qu’on en est au point où on doit brusquer légèrement le gouvernement avec des idées, où on doit l’encourager à examiner la loi et à comprendre le sérieux de la chose.

L’impact d’une loi sur les langues officielles pour toutes les communautés vivant en situation minoritaire est primordial, c’est le fondement de la survie de nos communautés.

Le président : Je vais me permettre une dernière question à mon tour. Au paragraphe 138 de votre mémoire, vous demandez à ce que soit incluse dans la Loi sur les langues officielles une série d’articles pour encadrer l’immigration francophone. Comme vous le mentionnez vous-même dans votre mémoire, l’article 16.1 de la Charte confère au Nouveau-Brunswick un statut particulier qui devrait être reconnu dans la Loi sur les langues officielles.

En immigration, quelles mesures pourraient être codifiées dans la loi afin de refléter ce statut particulier? Pouvez-vous imaginer aller plus loin que des cibles asymétriques? Que pouvez-vous nous dire sur cette asymétrie et sur ces particularités?

M. Johnson : De façon générale, je crois fermement qu’on doit analyser chaque territoire et évaluer les besoins selon la nature et la particularité de chacune des provinces et des territoires. J’adhère donc à la notion de l’asymétrie.

M. Dupuis : Dans le mémoire, il est mentionné que nous voulons encourager le gouvernement fédéral à adopter des politiques d’immigration qui favorisent la dualité linguistique, par exemple en augmentant la proportion de personnes pouvant s’exprimer dans la langue officielle de la minorité. C’est la raison pour laquelle nous avons utilisé ce langage, pour ne pas dire une cible avec un pourcentage. Évidemment, ce sont des mesures positives qui vont dans le sens d’augmenter le poids démographique de nos communautés, et cela signifie des mesures particulières dans le cas du Nouveau-Brunswick.

M. Power : Il est normal de réviser une loi quand la société change ou quand la Constitution change. Monsieur le président, vous savez bien que l’article 16.1 a été inséré dans la charte canadienne pendant les années 1990. Et pourtant, la Loi sur les langues officielles n’a pas été modernisée. Donc, voilà à elle seule une bonne raison de relire chaque article de la loi et de se demander si cela devrait changer, étant donné qu’au Nouveau-Brunswick les droits sont différents. Il s’agit donc d’un exercice très important pour l’Acadie du Nouveau-Brunswick.

Si je peux me permettre une petite conclusion, je dirais qu’à la limite, chaque article de la loi pourrait être révisé pour reconnaître la spécificité du Nouveau-Brunswick. Mais si le mécanisme de mise en œuvre ne change pas lui aussi, la loi risque de devenir lettre morte. C’est ce que le sénateur De Bané a clairement énoncé en 1988, et c’est mentionné au paragraphe 37 du mémoire de la FCFA. Il faut repenser la structure de mise en œuvre pour qu’elle mène à de vrais résultats, que ce soit au Nouveau-Brunswick ou ailleurs au Canada.

Le président : Je tiens à vous remercier tous pour vos présentations et pour votre mémoire, qui est très inspirant et qui suscite beaucoup de questions. Il va certainement contribuer à la rédaction de notre rapport.

Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC) en la personne de Mme Soukaina Boutiyeb, directrice générale. L’AFFC défend les droits de 1,3 million de femmes issues des communautés francophones et acadiennes du Canada. Elle est vouée à la sensibilisation et à la promotion du rôle et de la contribution des femmes francophones et acadiennes dans leur communauté et à leur droit de vivre et de s’épanouir pleinement en français.

Nous avons également le plaisir d’accueillir la Fédération des aînées et aînés francophones du Canada, représentée par Mme Élizabeth Allard, présidente, et M. Jean-Luc Racine, directeur général. L’AFFC agit comme porte-parole et chef de file dans les dossiers concernant le vieillissement, la revitalisation des communautés par et pour les personnes âgées, les activités intergénérationnelles et d’autres fonctions dont ils vont certainement nous parler.

Avant de passer la parole à nos témoins, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue

La sénatrice Jaffer : Mobina S. B. Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Smith : Larry W. Smith, du Québec.

Soukaina Boutiyeb, directrice générale, Alliance des femmes de la francophonie canadienne : Je vous remercie beaucoup de l’invitation. Créée en 1994, l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne est l’organisme porte-parole des 1,326 million de femmes issues des communautés francophones et acadiennes du Canada. L’AFFC est vouée à la sensibilisation et à la promotion du rôle et de la contribution des femmes francophones dans leur communauté et à leur droit de vivre et de s’épanouir pleinement en français.

À ce jour, elle regroupe 13 organismes membres tous voués à la défense et à l’amélioration des conditions des femmes francophones et acadiennes dans différents territoires et provinces du Canada. Avec ses organismes membres et ses partenaires, elle mène un travail de concertation et de collaboration afin d’élaborer des solutions pertinentes pour l’avancement des dossiers qui traitent d’enjeux touchant les femmes de la francophonie canadienne.

Afin de leur garantir le droit de vivre et de s’épanouir en français, elle place les femmes francophones et acadiennes au cœur de la Loi sur les langues officielles. La mise en place en 1969 de cette loi enchâsse le caractère bilingue de notre pays et permet de faire reconnaître l’égalité du statut du français et de l’anglais dans nos institutions fédérales et dans la société canadienne en général. Cependant, il reste que la Loi sur les langues officielles n’a pas su tenir ces promesses depuis sa mise en œuvre, il y a près de 50 ans. Elle devait non seulement appuyer le développement des communautés francophones et anglophones en situation minoritaire, mais aussi à faire progresser l’égalité du statut et de l’usage du français et de l’anglais. Ses multiples failles nous poussent aujourd’hui à repenser sa mise en œuvre. C’est pourquoi, dans cet élan de modernisation de la Loi sur les langues officielles, l’AFFC aimerait faire entendre sa question primordiale : en quoi la mise en œuvre de cette loi contribue-t-elle à l’atteinte de l’objectif primordial de promouvoir l’égalité?

Aujourd’hui, nul ne peut nier l’importance de la contribution des femmes francophones et acadiennes à participer à la vitalité de nos communautés francophones en situation minoritaire. Plusieurs études universitaires et communautaires démontrent que les femmes « réalisent un travail de transmission de la culture ou d’acculturation des enfants au sein de la famille ». De surcroît, et je cite :

[...] les femmes et les groupes de femmes participent à la transmission et la transformation de l’identité francophone dans les institutions des minorités comme l’école ou la vie communautaire. Les femmes se voient assigner un rôle particulier dans le cadre de la reproduction des rapports socioethniques même lorsque celui-ci est réalisé à l’extérieur de la famille.

La mise en avant des informations que je viens de vous donner ne serait possible sans une analyse comparative entre les sexes plus (ACS+), qui est une méthode d’analyse :

[...] qui permet d’examiner les répercussions d’une politique, d’un programme, d’une initiative ou d’un service sur une diversité de groupes d’hommes et de femmes.

Cet outil donne un aperçu de la réalité des femmes et des hommes touchés par un enjeu particulier à un moment donné. Le « plus » signifie que l’analyse va au-delà du sexe, soit les différences biologiques, ou encore du genre, soit la construction sociale du genre. De ce fait, en plus du sexe et du genre, l’ACS+ tient compte de tous les facteurs qui façonnent l’identité d’une personne, notamment sa race, son origine ethnique, sa religion, son âge, son handicap physique ou intellectuel.

Avec l’ACS+, on peut se demander s’il existe des segments de population qui seraient touchés différemment par la Loi sur les langues officielles, notamment les femmes francophones en situation minoritaire. On peut également se demander si on a consulté les femmes issues des communautés francophones et acadiennes du Canada dans la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles, ou encore, si leur réalité a été prise en compte.

L’AFFC a été témoin de la mise en place de la Loi sur les langues officielles et principalement des différents défis liés à sa mise en œuvre. Outre les mesures déjà énoncées dans la cette loi, l’AFFC vous soumet respectueusement ses recommandations dans le cadre de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Dans ce contexte, afin de combler les lacunes de la Loi sur les langues officielles qui ont été soulignées dans le mémoire de la FCFA intitulé Donner un nouvel élan à la dualité linguistique canadienne! Pour une Loi sur les langues officielles moderne et respectée, les mesures suivantes sont nécessaires : désigner une agence centrale en lui conférant les responsabilités nécessaires pour assurer une coordination centrale; rendre les dirigeants principaux imputables du respect de la Loi sur les langues officielles au sein de leur institution; définir clairement les concepts, c’est-à-dire les mesures positives, l’égalité réelle, la consultation effective et l’offre active; assurer dans la Loi sur les langues officielles le principe du « par et pour » par l’obligation de consulter les communautés francophones en situation minoritaire et de créer un comité consultatif paritaire; inclure une diversité des parties prenantes et prendre en considération divers facteurs identitaires; tenir compte des rôles sexués et créer des stratégies d’atténuation propres aux principales populations pour répondre à leurs besoins; tirer parti des forces des différentes populations concernées; assurer des mesures de reddition de comptes quant au transfert de fonds aux provinces et territoires afin que ces derniers aient l’obligation de consulter les communautés francophones en situation minoritaire et, par la même occasion, s’assurer du respect des droits linguistiques; intégrer l’ACS+ dans l’implantation et la mise en place de la modernisation de cette loi; mettre en place des mesures pour suivre les répercussions de la Loi sur les langues officielles sur les femmes francophones et acadiennes en situation minoritaire. Merci.

Le président : Je vous remercie, madame Boutiyeb.

Élizabeth Allard, présidente, Fédération des aînées et aînés francophones du Canada : Honorables sénateurs et sénatrices, à titre de présidente de la Fédération des aînées et aînés francophones du Canada, j’aimerais vous remercier de nous recevoir ici ce soir. J’imagine que vous en avez déjà plein les oreilles et le crâne. Je répéterai sans doute certaines doléances, mais enfin, vous verrez que les langues officielles touchent tous les éléments de la société.

La Fédération des aînées et aînés francophones du Canada regroupe 12 associations membres à l’échelle provinciale et territoriale réunissant plus de 60 000 personnes âgées membres qui cotisent à notre réseau. Nous agissons comme porte-parole sur le vieillissement. Évidemment, nous souhaitons faire la promotion du fait que nos personnes âgées sont bien vivantes et qu’elles sont heureuses d’être dans la société. Elles sont en quelque sorte des mentors auprès de la jeunesse d’aujourd’hui.

En ce qui a trait à la modernisation de la Loi sur les langues officielles, vous avez rencontré cet après-midi des témoins de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, qui a eu la chance de décrire ce qui est attendu de la part des francophones en situation minoritaire, et un mémoire à cet égard a été déposé, je crois. On ne répétera pas les propos que vous avez déjà entendus. La Fédération des aînées et aînés francophones du Canada appuie les éléments que cette fédération a soulevés. Alors, ce soir, on insistera sur certains éléments du mémoire qui ont été présentés, mais dans la perspective du vieillissement.

Nous voulons d’abord affirmer que les personnes âgées francophones du Canada sont très heureuses de célébrer l’an prochain, en 2019, le cinquantième anniversaire de la Loi sur les langues officielles. On fait partie de la génération qui a été témoin, depuis 1969, des hauts et des bas de cette loi. Désormais, on veut voir des hauts. N’oublions pas qu’avant l’adoption de la Loi sur les langues officielles, il était très difficile pour les francophones en situation minoritaire au Canada de faire connaître leurs droits. Nous n’avons qu’à nous rappeler l’adoption du Règlement 17, en Ontario, en 1912, qui interdisait l’usage du français dans les écoles de la province. Les francophones de l’Ontario se sont battus pour faire abolir ce règlement et faire valoir leur droit de s’éduquer et de vivre en français dans cette province. Les autres provinces et territoires ont été confrontés à des situations semblables.

Si l’adoption de la Loi sur les langues officielles a marqué un tournant majeur dans notre histoire, malgré son adoption en 1969 et de quelques modifications par la suite, force est de constater qu’elle n’a pas tout réglé et qu’il existe encore des lacunes importantes dans son application. À la veille des célébrations du cinquantième anniversaire de la loi, nous devons apporter les modifications souhaitées par de nombreux Canadiens et Canadiennes. La FCFA est venue vous dire que nous avons besoin d’une agence centrale pour assurer l’adoption de la nouvelle loi. Ma collègue, ici, en a fait mention. C’est primordial. Depuis 1969, nous avons vu des responsabilités confiées au bon endroit, mais cette situation s’est détériorée.

Nous sommes maintenant à la croisée des chemins, à midi moins cinq, et il faut peut-être retourner à nos anciennes pratiques. Il faut évidemment ménager la chèvre et le chou, et surtout ne pas déranger plutôt que de répondre réellement aux objectifs de la loi. Il faut répondre. On dérange un peu, oui, mais il faut répondre.

Si certaines institutions font preuve de rigueur dans l’application de la loi, plusieurs institutions fédérales démontrent encore du laxisme et préconisent une approche minimaliste, toujours avec l’attitude d’en faire juste assez pour que ce soit légal. Qui plus est, d’autres institutions ne répondent même pas aux exigences minimales. Plusieurs ont déjà fait état devant le présent comité de cette approche minimaliste, notamment la piètre performance des institutions fédérales en matière d’offre active dans les communications et les services offerts au public dans les deux langues officielles. Tout récemment, le rapport du commissaire aux langues officielles faisait état d’une situation tout simplement inacceptable en ce qui concerne la prestation de services fédéraux dans les deux langues officielles. L’offre active est une composante essentielle dans l’application efficace d’une Loi sur les langues officielles. Comment ne pas avoir l’impression qu’on fait le minimum pour assurer les services dans les deux langues officielles au pays?

Le deuxième exemple réside dans l’incompréhension persistante de l’appareil fédéral dans son ensemble quant à son obligation de prendre des mesures positives, souhaitables ou requises pour favoriser l’épanouissement des minorités francophones et appuyer leur développement. Plusieurs institutions fédérales seraient bien en peine de pouvoir décrire des mesures positives prises pour appuyer les communautés.

La partie VII de la loi n’est pas mise en œuvre, parce que l’entité chargée d’accomplir cette tâche n’a pas le pouvoir nécessaire pour s’acquitter de ses propres responsabilités. On assiste présentement à l’incapacité de Patrimoine canadien d’inciter les autres institutions fédérales à mettre en œuvre la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Tout est mis en place pour que cette responsabilité revienne uniquement à un seul et même ministère, soit Patrimoine canadien. Il est donc essentiel alors que la Loi sur les langues officielles ait beaucoup plus de mordant et qu’on définisse enfin ce qu’est véritablement une mesure positive souhaitable ou même requise.

Cependant, si nous voulons qu’un leadership soit exercé au sein de l’appareil fédéral, nous réitérerons la recommandation qui vous a été faite par la FCFA selon laquelle la Loi sur les langues officielles revisitée doit charger une agence centrale de la responsabilité d’assurer sa mise en œuvre et lui conférer les pouvoirs nécessaires à cette fin. Nous croyons, comme nos collègues, que l’absence d’une âme gouvernante dans la Loi sur les langues officielles mène à des lacunes systémiques et récurrentes dans sa mise en œuvre. C’est pourquoi nous demandons que le Bureau du Conseil privé joue un rôle de leadership politique accru en matière de langues officielles et que le président du Conseil du Trésor soit chargé de la responsabilité de mettre en œuvre la Loi sur les langues officielles.

Nous croyons fermement qu’il est essentiel de nommer le premier ministre comme ultime responsable de la Loi sur les langues officielles. Il revient au premier ministre d’incarner l’esprit de la loi, d’en faire la promotion et d’en assurer le plein déploiement. Il est essentiel aussi de privilégier l’approche du « par et pour » et que les communautés puissent être reconnues pleinement comme des partenaires et non plus comme des clients de la Loi sur les langues officielles. Trop souvent, le gouvernement fédéral a considéré les communautés comme des clients, où les programmes gouvernementaux sont en quelque sorte dictés et imposés aux communautés. Rarement, les programmes ont été conçus de façon à ce que les communautés puissent être considérées comme des partenaires du gouvernement fédéral et que les programmes puissent être élaborés par et pour les communautés. Nous croyons ainsi que non seulement la Loi sur les langues officielles modifiée doit encourager la consultation avec les communautés, mais qu’elle doit aussi favoriser le partenariat entre les communautés et le gouvernement fédéral dans l’application de la loi. Nous devons ainsi être plus créatifs dans la façon d’entrevoir le développement pour nos communautés.

Nous aimerions insister également sur l’importance à accorder aux ententes fédérales-provinciales-territoriales dans le cadre de la prochaine Loi sur les langues officielles. Malheureusement, trop souvent, le gouvernement fédéral manque une belle occasion d’exercer son leadership lorsqu’il s’agit de protéger les droits des francophones au Canada et de faire la promotion de la dualité linguistique. Nous croyons que le gouvernement fédéral n’utilise pas suffisamment l’effet de levier que lui confère son droit de dépenser dans le cadre des ententes fédérales-provinciales-territoriales. Combien de fois avons-nous entendu le gouvernement fédéral mentionner que, sous prétexte qu’il intervenait dans le champ de compétences provinciales, il ne pouvait pas imposer des critères pour s’assurer que les francophones en situation minoritaire puissent obtenir leur juste part, ou encore, insérer des dispositions linguistiques à l’intérieur desdites ententes? Nous l’avons souvent entendu.

Pourquoi, en effet, le gouvernement fédéral n’a-t-il pas exercé son leadership quand est venu le temps en 2016 de conclure des ententes fédérales-provinciales-territoriales pour les transferts en santé afin de prévoir du financement supplémentaire pour les services de soutien à domicile? Pourquoi ne pas avoir profité de cette occasion unique pour introduire des dispositions linguistiques dans les ententes afin d’améliorer la prestation de services à domicile pour les francophones en situation minoritaire? Vous ne savez pas à quel point nous recevons fréquemment des témoignages de la part de personnes âgées à travers le pays qui nous disent qu’il y a des lacunes importantes en ce qui a trait aux services offerts en français dans les soins et les services à domicile. Un jour, nous avons des services en français, alors que le lendemain, les services ont complètement disparu, et ce, sans compter le fait que les services en français sont souvent inexistants dans plusieurs de nos communautés.

Enfin, nous aimerions insister sur le fait que le Canada est prêt et disposé à assurer la pleine application de la Loi sur les langues officielles, car l’opinion publique a considérablement évolué au cours des années. Les sondages commandés par le Commissariat aux langues officielles en 2006 et par Radio-Canada en 2007 ont démontré clairement que la grande majorité des Canadiennes et des Canadiens reconnaissent aujourd’hui la valeur ajoutée de la dualité linguistique et le droit des citoyens d’être servis dans leur langue par leur gouvernement.

Voilà quelques propositions qui pourraient grandement améliorer le respect et l’application de la Loi sur les langues officielles.

Je vous remercie donc, sénatrices et sénateurs et monsieur le président, de nous avoir écoutés. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Allard.

Nous procédons maintenant à la période des questions, en commençant par la sénatrice Poirier, vice-présidente du comité.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie de votre présentation et de votre présence parmi nous ce soir. J’ai quelques questions, dont j’en ai déjà posé certaines à différents groupes pour savoir s’ils sont sur la même longueur d’onde. Madame Allard, vous avez parlé de consultations. La feuille de route prend fin le 31 mars, cette semaine, et la ministre Joly devrait annoncer bientôt un nouveau plan d’action. Votre organisation a-t-elle été consultée au sujet du plan d’action?

Mme Allard : Je vais demander à mon collègue de répondre.

Jean-Luc Racine, directeur général, Fédération des aînées et aînés francophones du Canada : Oui, définitivement, nous avons été consultés. Il y a eu toute une séance de consultations, et je crois que les organismes de notre pays et de notre secteur ont eu la chance d’être consultés et de répondre aux questions posées.

La sénatrice Poirier : Quelles sont vos attentes en ce qui trait au plan d’action de la ministre?

M. Racine : Pour la Fédération des aînés francophones du Canada?

La sénatrice Poirier : Oui.

M. Racine : Nous espérons qu’à l’intérieur du prochain plan d’action sur les langues officielles, on fasse place au principe du « par et pour ». Nous disons que nous ne devons pas être considérés comme des clients, comme des partenaires. Nous souhaitons que le prochain plan d’action sur les langues officielles envisage les communautés ou la possibilité d’établir un partenariat avec les communautés. C’est ce qu’on souhaiterait. Nous souhaitons aussi que la nouvelle Loi sur les langues officielles puisse offrir la chance non seulement de consulter les communautés en situation minoritaire, mais d’en faire de vrais partenaires avec le gouvernement.

La sénatrice Poirier : Avez-vous été consultés?

Mme Boutiyeb : Oui. Malheureusement, je n’étais pas en poste à ce moment-là, mais je suis certaine que l’AFFC a été consultée quant à ce plan.

Pour répondre à votre deuxième question sur nos attentes quant au plan d’action, nous avons des attentes concrètes. Les groupes de femmes ont été les principaux organismes à s’être fait couper leur financement. Si je prends l’exemple de Condition féminine Canada, les financements de base de ces organismes ont disparu du jour au lendemain. Plusieurs ont donc dû fermer leurs portes ou fonctionner seulement avec l’aide de bénévoles. Deux organismes membres de l’AFFC en Saskatchewan et en Alberta n’ont pas de financement de base, mais ils contribuent toujours à la vitalité de leurs communautés francophones et offrent des services dans la mesure du possible.

Il devrait y avoir un dédommagement énorme pour ces organismes. On espère qu’il y aura rectification afin de pouvoir redonner un souffle à ces organismes et les dédommager pour les 10 dernières années, sans vouloir mentionner le changement du gouvernement qui a entraîné ces fermetures.

La sénatrice Poirier : Plusieurs témoins ont parlé de la possibilité d’accorder plus de pouvoir au commissaire aux langues officielles afin de garantir le respect de la Loi sur les langues officielles par les institutions fédérales les plus ciblées par les plaintes, notamment Air Canada et Radio-Canada. Êtes-vous d’avis que les pouvoirs du commissaire mèneraient à une meilleure application de la loi?

Mme Boutiyeb : Je pense que oui. Si l’on se base sur la définition du rôle d’un commissaire comme tel, celui-ci doit s’assurer du respect de la loi. Donc, oui, cela lui donnerait plus de pouvoir. Il faut s’assurer aussi qu’il y a un caractère non partisan et impartial dans son travail pour le respect de cette loi.

Mme Allard : J’ajouterais que oui, le commissaire a des pouvoirs, mais il faut tout de même que cela soit une agence centrale et que la coordination soit faite, par exemple, par le Conseil du Trésor du Canada. Il faut que le premier ministre soit l’ultime responsable de l’application de la loi. Évidemment, le commissaire s’occupe des plaintes, et il peut poursuivre les gens et les institutions en justice, mais il y a tout de même des limites. L’imputabilité et la responsabilité reviennent au premier ministre, et il faut qu’une agence centrale en soit le moteur.

La sénatrice Poirier : En 2002, je travaillais au sein du gouvernement du Nouveau-Brunswick, qui est la seule province officiellement bilingue au Canada. À cette époque, nous avons établi une révision de la Loi sur les langues officielles aux 10 ans. Selon vous, est-ce quelque chose qui serait important à l’échelon fédéral? Si oui, que recommanderiez-vous comme période de temps acceptable?

Mme Allard : Il ne faudrait pas attendre 20 ans. Ce que je vais dire va peut-être paraître sévère, mais je suggère que la révision se fasse aux cinq ans.

On demande aux ministères d’établir des plans d’action et l’on demande des rapports chaque année. Il y a des choses qui se passent et qui vont se passer dans les communautés. En ce qui concerne les personnes âgées, la population est vieillissante. On s’en va en augmentant et non pas en diminuant. Il y aura des services et des activités qui devront répondre à d’énormes besoins. Cela va certainement influencer l’application de la loi dans certains domaines.

Cela paraît sévère, mais j’ai travaillé dans le domaine des langues officielles pendant plusieurs années et je vous le dis : cinq ans, ce serait bon.

Mme Boutiyeb : Dans une société postmoderne, les changements sont très rapides par rapport aux années précédentes, que ce soit en matière de technologie ou autre. On a vu à quel point la technologie a remis en question une partie de la Loi sur les langues officielles. Je me joins à mes collègues : je dirais entre 5 et 10 ans afin de revoir la validité de cette loi, et par respect pour la société dans laquelle nous nous trouverons à l’avenir.

Le sénateur McIntyre : Merci à vos deux organismes d’être présents ici ce soir. Vous êtes en mission, n’est-ce pas? L’AFFC a comme mission de défendre les droits des femmes francophones qui vivent en situation minoritaire, mission que vous remplissez bien, d’ailleurs, depuis plus de 100 ans. Dans le cas de la Fédération des aînées et aînés francophones du Canada, votre mission est de défendre les droits des personnes âgées et retraitées francophones du Canada.

Par le passé, vos deux organismes ont participé aux consultations pancanadiennes sur les langues officielles. En feuilletant la documentation qui nous a été remise, je constate que les droits à l’accès à des soins à domicile, de santé mentale et de fin de vie dans la langue de la minorité, ainsi que le financement des organismes, sont des enjeux clés. J’ose croire que vos organismes font toujours face aux mêmes enjeux?

M. Racine : Définitivement. Je pense que Mme Allard a mentionné que les soins à domicile sont très variables au Canada. Beaucoup de personnes âgées nous disent avoir de la difficulté à obtenir des soins à domicile. Quand vous introduisez quelqu’un chez vous, c’est dans votre intimité. Avoir des services en français, c’est la moindre des choses.

Vous allez dire que la santé est de compétence provinciale, que cela ne concerne pas le gouvernement fédéral, mais nous sommes de l’avis contraire. Nous pensons que le gouvernement fédéral a des leviers qu’il pourrait utiliser parce qu’il existe au Canada les transferts en santé. Jamais jusqu’à maintenant on n’a entendu dire que toute la prestation des services en français à l’intérieur des transferts en santé a été discutée. Quelle belle occasion d’entreprendre ce genre de négociation! Cela se fait : je l’ai vu dans les ententes concernant la petite enfance, entre autres. Nous avons vu des négociations sur des dispositions linguistiques bien précises.

Je crois que le gouvernement fédéral doit utiliser les ententes fédérales-provinciales à certains moments pour inclure ces dispositions. Elles devraient toujours être incluses dans les ententes, mais c’est l’inverse, elles n’y sont pas et il faudrait justifier leur absence. On doit travailler tellement fort pour faire en sorte qu’une disposition linguistique soit ajoutée. On devrait toujours penser en matière de dispositions dès qu’on parle d’une entente fédérale-provinciale.

Le sénateur McIntyre : Madame Allard, vous appuyez le mémoire présenté par la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada. Madame Boutiyeb, êtes-vous d’accord avec Mme Allard?

Mme Boutiyeb : Tout à fait. Nous avons obtenu un avis juridique à ce sujet. Il faut le mentionner, compte tenu du travail de la FCFA. Dépendamment de vos questions, je ne pourrai peut-être pas y répondre, car je ne suis pas juriste, mais je crois pleinement au travail de nos collègues dans ce dossier-là.

La sénatrice Gagné : On a déjà répondu à la plupart de mes questions. J’ai posé la question à la FCFA, plus tôt, concernant le fait qu’on recommandait que le Secrétariat du Conseil du Trésor soit responsable de la mise en œuvre de l’ensemble de la loi. Je comprends que vous êtes d’accord avec cela. Vous y avez fait référence dans votre mémoire, madame Boutiyeb, le Conseil du Trésor du Canada a certaines attentes envers tous les ministères en matière d’analyse comparative entre les sexes et de l’ACS+. On demande à chaque ministère ou organisme de déterminer si la politique, ou le programme, ou l’initiative ou le service proposé est susceptible d’entraîner un enjeu en matière d’égalité entre les sexes. Les ministères et organismes doivent faire des présentations au Conseil du Trésor du Canada et donc rendre des comptes quant à leurs efforts pour adopter une lentille visant l’égalité entre les sexes dans la mise en place de leurs programmes. Ce modèle devrait-il être reproduit en ce qui a trait à l’application de la Loi sur les langues officielles?

Mme Boutiyeb : La réponse courte serait oui, tout à fait. Il faut aussi mentionner que le Canada a signé cet accord en 1995, donc ce n’est pas nouveau. On devrait normalement avoir déjà créé un leadership et une expertise dans ce dossier. Malheureusement, l’outil de l’ACS+ a souvent été remis dans les mains de Condition féminine Canada. Cependant, je vous rappelle que c’est le Canada qui l’a signé et que cela devrait être utilisé dans les différentes instances gouvernementales. D’ailleurs, à ce sujet, en janvier 2016, le rapport du gouverneur général a justement démontré les failles dans l’utilisation de l’ACS+ et le non-respect de cet outil au sein des différentes instances gouvernementales.

Donc, oui, nous croyons qu’elle devrait être mise en place. Il faudrait que l’on veille au respect des communautés francophones en situation minoritaire et, surtout, des femmes francophones et acadiennes qui ont transmis l’identité francophone. La langue française et la culture francophone passent par les femmes, il ne faut pas l’oublier.

L’Alliance des femmes de la francophonie canadienne défend les droits des femmes francophones. Les femmes se retrouvent à différents niveaux et dans différentes instances. Que ce soit les jeunes, que ce soit les plus âgées, peu importe le secteur d’activité, les femmes sont là pour y être et les femmes francophones œuvrent pour notre communauté. On ne doit pas l’oublier.

La sénatrice Gagné : J’aimerais vous poser une autre question quant au principe du « par et pour ». Dans le mémoire de la FCFA, on a dit qu’on voulait créer une obligation de consulter les communautés et de tenir compte des résultats de ces consultations. On a aussi recommandé la mise sur pied d’un conseil consultatif qui favoriserait la collaboration entre le gouvernement fédéral et les communautés. Peut-on aller plus loin que cela pour donner du mordant à la loi, pour être en mesure de s’assurer que, dans le contexte des ententes, on est un réel partenaire? Comment faire cela? Les ententes sont signées entre les provinces et le gouvernement fédéral. Oui, on a parfois consulté les communautés, mais comment est-ce qu’on s’assure que, dans le transfert aux provinces et dans les ententes, on agit à titre de réel partenaire?

M. Racine : Je commence à avoir un peu d’expérience avec les ententes et les négociations, mais oui, souvent, les négociations entre le gouvernement fédéral et la province se font à huis clos. Il n’y a pas moyen de savoir ce qui s’y dit et de connaître le résultat de ces négociations. On ne peut sûrement pas tout dire, mais il y a peut-être des enjeux majeurs où il faudrait, avant la signature des ententes, discuter de certains éléments avec les communautés, prendre le pouls et retourner aux tables de négociation. Cela serait peut-être une mesure à prendre, mais je crois que, quelque part, on doit être un partenaire. En ce moment, on est considéré comme un client. On est un client, donc c’est la clientèle qu’on essaie de desservir et ses opinions sont souvent négligées, malheureusement.

Mme Boutiyeb : Quand on parle de la question de partenariat, peut-être que l’étymologie peut avoir une définition différente d’une personne à une autre, d’où l’importance de vraiment prendre le temps de bien définir les différents termes qu’on va utiliser dans cette loi.

La sénatrice Mégie : Merci pour vos déclarations. Madame Allard, comme vous avez dit que vous en avez vu d’autres, que vous avez constaté une détérioration progressive, pourriez-vous me dire à quel niveau cela s’est manifesté et quelles sont les répercussions de cette détérioration sur les services aux personnes âgées?

Mme Allard : Pour répondre à votre première question, la détérioration, on l’a constatée en ce sens qu’il y a eu une montée, il y a eu des aspects de la loi qui ont été révisés et les choses allaient bien, mais lorsqu’on a changé la donne en remettant la responsabilité à Patrimoine canadien, il y a eu une descente. Je ne dirais pas une descente aux enfers, mais il y a eu une descente. C’est tout normal, parce qu’un ministère n’est pas habilité à exercer une force de commandement sur d’autres ministères. Il faut que cela revienne au premier ministre. Alors, il y a eu du laxisme. Il n’y avait pas de conséquences liées aux rapports des ministères, alors, finalement, cela a diminué. Le dossier des langues officielles fait partie des nombreuses responsabilités de ce ministère, alors quelle place y prend-il? La première, la deuxième ou la troisième? C’est au gré du moment.

C’est pour cela qu’on veut revenir un peu à ce qu’on avait auparavant, au moment où l’autorité était palpable et visible. Ainsi, lorsqu’on demande aux ministères de produire des rapports — et aux communautés aussi maintenant, nous l’espérons —, il faudrait que la demande provienne d’une entité qui ait l’autorité, la capacité et la position pour le faire. À ce moment-là, il y aurait moins de négligence et de balayage sous le tapis. C’est tout simplement logique et normal.

La sénatrice Mégie : J’ai une deuxième sous-question. Justement, cette détérioration s’est-elle traduite par des soins à domicile inégaux? On envoyait des intervenants anglophones ou francophones même si la personne parlait français; cette situation a-t-elle toujours existé ou est-ce lié à la détérioration?

Mme Allard : Disons que cela ne va pas en s’améliorant. Cela existe depuis des années. Quand on ne frappe pas à la bonne place, il n’y a pas de répercussion. Chez les personnes âgées, en ce qui a trait aux inspections qui se font dans les maisons de retraite et dans le cadre des ententes fédérales-provinciales, il y a eu du laxisme. Cela a dégénéré. Compte tenu du fait que la population des personnes âgées est en croissance, il n’y a pas beaucoup d’espoir à ce chapitre. Si on ne met pas les choses à leur place et qu’on ne prend pas les mesures nécessaires, évidemment, les personnes âgées comme bien d’autres dans la société vont en souffrir, mais celles-ci sont vulnérables.

La sénatrice Moncion : Je voudrais mentionner que Mme Allard est l’une des récipiendaires de la médaille du 150e du Sénat. Elle était l’un de mes choix.

Le président : Félicitations, madame Allard!

La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à Mme Boutiyeb et à Mme Allard. C’est au sujet de l’approche minimaliste. Je suis certaine que vous avez des commentaires qui y sont associés. Vous venez juste de mentionner que, dans les institutions de soins de longue durée, il y a des approches qui sont organisées et structurées, et on dirait qu’on y consacre tout l’argent et tous les contrôles. On demande aussi aux personnes âgées de rester le plus longtemps possible dans leur maison et de compter sur la famille et sur les soins qui sont accessibles. Je voudrais que vous me parliez du contexte minimaliste associé à cette contradiction qui existe entre les deux.

Un autre aspect qui touche les femmes, c’est le rôle qu’elles y jouent, parce que 99 p. 100 des personnes qu’on y voit sont des femmes. Il y a peu de ressources prévues pour accomplir ce travail.

Mme Allard : Évidemment, c’est un fait. En effet, il y a une contradiction. Les personnes âgées elles-mêmes veulent rester le plus longtemps possible à la maison, alors elles doivent avoir recours aux soins à domiciles. On les encourage à le faire. Malheureusement, quand on est obligé d’aller dans une maison de soins de longue durée, les services en français manquent énormément.

C’est vrai que ce sont des femmes. Je rajoute que les proches aidants sont aussi souvent des femmes. Aujourd’hui, fait cocasse, mais bien réel, c’est que les personnes âgées sont maintenant des proches aidants. Auparavant, on se disait que c’était les enfants et les petits-enfants qui étaient les proches aidants. Aujourd’hui, une majorité de personnes âgées le sont, parce qu’elles ont des enfants de 45, 50 ou 55 ans qui sont malades. Ils ont des maladies mentales ou des situations précaires. Qui les aide? Ce sont les parents et les grands-parents. C’est une réalité. Les gens ne le comprennent pas encore, parce qu’ils pensent qu’un proche aidant, c’est quelqu’un qui a 30 ans. Nous n’en sommes plus là, nous sommes rendus plus loin que ça.

Mme Boutiyeb : Au sein de l’AFFC, on utilise davantage le terme « personne aidante  », parce que d’autres terminologies comme « proche aidant » signifient qu’il faut être un proche pour être aidant. Cela montre que la situation est complexe et a ses spécificités. Les personnes aidantes sont souvent des femmes. Il y a des femmes âgées qui doivent s’occuper du conjoint ou des petits-enfants lorsqu’une jeune maman doit s’occuper de son fils.

Souvent, ces personnes se trouveront dans une situation de vulnérabilité, parce que pour prendre soin de quelqu’un, il faut y consacrer du temps et peut-être arrêter de travailler ou travailler à temps partiel ou avec de petits contrats de courte durée. Elles ne savent pas quelle sera la situation de la personne qui a besoin d’aide demain. Elles sont souvent dans une vulnérabilité économique, car leur travail n’est pas reconnu par la société. Oui, il y a eu de petits changements récemment quant aux impôts afin que les personnes aidantes puissent bénéficier d’un remboursement d’impôt, mais ce ne sont pas des solutions concrètes à leur situation.

Le sénateur Maltais : Écoutez, vous avez tout à fait raison sur toute la ligne. Moi, je suis le dernier d’une famille de 12 enfants, je vous laisse imaginer l’âge de ceux qui restent.

Je fais partie d’un club que je ne nommerai pas. Il y a quelques années, les fins de semaine, on accompagnait trois, quatre ou cinq personnes âgées à l’épicerie, à la pharmacie ou au bureau de poste, et on s’est aperçu qu’on faisait le travail du gouvernement. Le besoin augmentait, ce n’était plus trois ou quatre personnes à accompagner, c’était devenu une charge à temps plein, même si on travaillait.

Nous nous sommes aperçus que notre bénévolat servait les personnes âgées, mais qu’il servait surtout le gouvernement, car celui-ci ne prenait plus la peine de s’en occuper. Aujourd’hui, notre club ne le fait plus, il a une autre vocation, les membres sont plus jeunes.

Vous l’avez souligné, les personnes âgées aident d’autres personnes âgées. Les gens vivent plus vieux. Il y a des personnes âgées qui ont des enfants de 60 ans qui sont déjà des aidants de leurs enfants. On ne sait plus qui a besoin de qui.

Une chose me préoccupe, lorsque vous êtes une personne âgée de 80, 85 et de 90 ans et que vous n’être pas capable de recevoir ou de demander de l’aide dans votre langue maternelle. Dans un pays comme le Canada, c’est une situation inacceptable. Vous avez raison de dire que le premier ministre doit aller de l’avant et mettre le poing sur la table. Il faut que cela arrête, car nous sommes dans un pays civilisé. Je n’ai pas de question, c’est un commentaire que je voulais faire et je le fais bien candidement, car c’est la réalité.

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Mme Boutiyeb. Vous avez dit tantôt que les femmes assurent le maintien de la langue française dans les familles. Qu’est-ce qui arrive dans les couples exogames dont un seul parent est francophone? Quelle serait la meilleure façon pour que les parents arrivent à susciter le maintien de la langue française chez les enfants?

Mme Boutiyeb : Je suis contente que vous posiez cette question, parce qu’au sein de l’AFFC, on y a déjà pensé. On a élaboré les ateliers FrancoZone. Ces ateliers permettent d’offrir des espaces aux femmes francophones afin de leur permettre de s’outiller en fonction du principe « par et pour » entre elles, que ce soit en faisant du yoga ou en prenant un café, et ce, dans un espace convivial favorisant la recherche de solutions pour transmettre la langue française à leurs enfants. Parfois, le père ne parle pas français. Il y a différentes solutions que nos organismes membres leur offrent. C’est un programme initié par l’AFFC, et on aurait besoin de financement pour en augmenter la portée, mais je dirais que les initiatives de projet y sont déjà.

La sénatrice Mégie : Pensez-vous que, en modernisant la loi, on pourrait peut-être obtenir du soutien pour ce genre d’initiatives?

Mme Boutiyeb : Oui. Je pense aussi qu’il faut reconnaître l’apport de ces femmes et le travail des regroupements de femmes au sein des communautés et leur donner les moyens de le faire. Je suis certaine — vous pouvez me demander de revenir au cours des prochaines années — que la situation de ces communautés serait très différente.

Le président : Merci à Mme Allard, à Mme Boutiyeb et à M. Racine. Je vous remercie de vos présentations sur les enjeux des personnes âgées et des femmes. Elles nous aideront énormément dans notre rapport.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Le président : Honorables sénateurs, la sénatrice Gagné propose, nonobstant la décision du 19 mars 2018, que la demande de budget révisée aux fins d’une étude spéciale sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles pour l’exercice financier se terminant le 31 mars 2019 soit approuvée et présentée au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration. Le budget est de l’ordre de 51 700 $.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Le président : La motion est adoptée. Je vous remercie.

(La séance est levée.)

Haut de page