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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 24 - Témoignages du 7 mai 2018


OTTAWA, le lundi 7 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 3, en séance publique, afin de poursuivre son examen de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, et à huis clos, afin d’étudier un projet d’ordre du jour ainsi que l’ébauche d’un budget.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonsoir. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.

[Traduction]

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui pour poursuivre le deuxième volet de son étude portant sur la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Nous avons le plaisir d’accueillir deux directeurs d’organismes qui représentent les industries culturelles au sein des communautés anglophones du Québec. Nous souhaitons la bienvenue à Guy Rodgers, directeur général de l’English Language Arts Network, qui se joint à nous par vidéoconférence à partir de Montréal, et à Kirwan Cox, directeur général du Conseil québécois de la production de langue anglaise.

L’English Language Arts Network est un organisme qui appuie et crée des occasions pour les artistes québécois d’expression anglaise et leurs communautés artistiques. Le Conseil québécois de la production de langue anglaise représente l’industrie des producteurs de langue anglaise du Québec qui œuvrent dans le secteur de la télévision et du film. J’invite les sénateurs à bien vouloir se présenter.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

[Français]

La sénatrice Gagné : Bienvenue. Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Monsieur Rodgers, monsieur Cox, je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui.

Guy Rodgers, directeur général, English Language Arts Network : Je tiens à remercier le comité sénatorial de me permettre de témoigner par vidéoconférence à partir de Montréal. Je m’appelle Guy Rodgers, et je suis le directeur général de l’English-Language Arts Network ou de l’ELAN, qui représente un lieu de rencontre pour les artistes anglophones de toutes les disciplines et des quatre coins du Québec. L’ELAN a vu le jour en 2004, ce qui aurait été impossible sans la Loi sur les langues officielles.

À la fin du XXe siècle, le Conseil des arts du Canada et le ministère du Patrimoine canadien ont géré un fonds de contrepartie par l’entremise du Partenariat interministériel avec les communautés de langue officielle, aussi appelé le PICLO. Des artistes anglophones ont participé à la supervision de la distribution de ces fonds. Sur une période de quatre ou cinq ans, nous en sommes venus à mieux comprendre les rouages de la Loi sur les langues officielles et ses usages potentiels pour contribuer à l’épanouissement de notre communauté artistique, qui a souffert d’un véritable exode de 1975 à 1995.

Il est bien connu que les communautés anglophones du Québec n’étaient pas considérées comme des minorités linguistiques vulnérables au moment de la création de la Loi sur les langues officielles. La situation a complètement changé depuis 50 ans. Les statistiques démontrent que beaucoup de gens de nos communautés font face à des obstacles et à des défis, ce qui est particulièrement vrai dans les régions éloignées.

Les communautés anglophones de Québec, par exemple, ont déjà représenté plus de 40 p. 100 de la population totale. Elles étaient en mesure de fonder des établissements éducatifs, médicaux et artistiques. La population anglophone là-bas est maintenant réduite à moins de 2 p. 100, et elle peine à conserver des institutions de longue date.

La courte histoire de nos organismes modernes met en évidence le caractère récent de ce virage social. Le Quebec Community Groups Network vient de fêter son 20e anniversaire, l’ELAN n’a pas encore 15 ans et le Conseil québécois de la production de langue anglaise — son directeur prendra la parole après moi — existe depuis moins de 10 ans. Beaucoup de nos membres se sentent abandonnés par le gouvernement du Québec dans sa volonté de corriger les injustices du passé, même s’il est pernicieux de croire que les anglophones ont toujours été riches et puissants.

Les membres de nos communautés se sentent aussi abandonnés, ou à tout le moins quelque peu négligés, par le gouvernement du Canada. Le sort de la minorité anglophone québécoise est masqué sous l’épineuse question non résolue de la relation entre le Québec et le reste du Canada, ou le ROC, ce qui nous place entre l’arbre et l’écorce, comme on dit.

Depuis 20 ans, la Loi sur les langues officielles est l’une des sources constantes de bonnes nouvelles pour nos communautés. Il est dommage que peu de gens de nos communautés et de concitoyens saisissent l’atout précieux que représente la Loi sur les langues officielles. J’en donnerai quelques exemples du secteur des arts.

Parmi les résultats directs de la Loi sur les langues officielles, mentionnons la collaboration entre l’ELAN, le Réseau du patrimoine anglophone du Québec et le ministère du Patrimoine canadien pour organiser une réunion annuelle du groupe de travail sur les arts, la culture et le patrimoine avec des équipes de tous les organismes fédéraux. Nous le faisons depuis huit ans. Grâce à ces rencontres, nos communautés en savent beaucoup plus sur les fonds et les programmes fédéraux ainsi que sur les façons de présenter des demandes.

Se déroulant de 2016 à 2018, l’initiative ACE de l’ELAN, qui porte sur les arts, la communauté et l’éducation, a mis au point du contenu artistique supervisé pour les écoles de partout au Québec, qui favorise la créativité et la mobilisation des jeunes. Les projets pilotes ont été si bénéfiques pour les élèves qu’une version étendue fait partie des premières initiatives qui ont été financées par le nouveau Secrétariat aux relations avec les Québécois d’expression anglaise le mois dernier. Cette décision représente un jalon important en ce qui concerne le soutien que nous recevons de la province.

Le mois dernier, l’ELAN a reçu la confirmation que le ministère du Patrimoine canadien financera, pour une quatrième année, l’événement Arts Alive! Québec. Différentes localités des Cantons de l’Est, de la Montérégie et de l’Outaouais organisent des festivals d’arts d’une fin de semaine. L’événement est une source extraordinaire de vitalité pour les communautés et d’interactions positives entre les anglophones et leurs voisins francophones.

Je terminerai avec quelques recommandations. Premièrement, les communautés de langue officielle en situation minoritaire du Canada devraient être des partenaires de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Cette participation pourrait prendre la forme d’un comité consultatif formé de représentants des deux minorités linguistiques.

Deuxièmement, il est crucial que la partie V de la loi compte des définitions plus claires des concepts suivants : mesures positives, favoriser l’épanouissement et appuyer le développement.

Troisièmement, les communautés de langue officielle en situation minoritaire nécessitent des ressources pour poursuivre les discussions sur les besoins des communautés et pour informer les membres des programmes offerts. Le plan d’action récent est un excellent exemple de nouvelles possibilités que peu de membres de nos communautés connaissent. Le Fonds d’action culturelle communautaire existe depuis quelques années. Un certain nombre de personnes sont donc au courant, et elles ont présenté des demandes. Le nouveau fonds pour les radios communautaires est très intéressant pour les nombreuses petites communautés qui ont essayé de mettre en place de tels projets. Nous tenterons de les informer sur les façons d’obtenir un appui pour leur projet et du financement pour les lieux de rassemblement communautaires.

Un grand nombre des partenaires de l’événement Arts Alive! Québec de l’ELAN ne font pas partie du Quebec Community Groups Network. Une mesure particulière s’impose donc pour leur expliquer comment ils peuvent recevoir des fonds de développement pour leurs espaces culturels.

Enfin, il faut renforcer les capacités de recherche pour mesurer les variations du dynamisme des communautés et pour évaluer les effets des projets et des politiques.

Je vous remercie de votre attention. Je serai ravi de répondre aux questions que vous auriez à me poser.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Rodgers. Nous entendrons maintenant le témoignage de M. Cox. Vous avez la parole, monsieur.

Kirwan Cox, directeur général, Conseil québécois de la production de langue anglaise : Je vous remercie de m’avoir invité à témoigner devant vous. Je crois qu’il s’agit de ma toute première visite en ces murs. Je suis donc ravi de saisir cette occasion. Je m’appelle Kirwan Cox. Je suis le directeur général du Conseil québécois de la production de langue anglaise. Nous représentons l’industrie des producteurs de la minorité anglophone au Québec qui œuvrent dans le secteur de la télévision et du film.

Nous avons eu quelques interactions avec la Loi sur les langues officielles et le Commissariat aux langues officielles. Permettez-moi de commencer en disant que, sans cette loi et ce commissariat, il n’y aurait probablement pas d’industrie de producteurs de langue anglaise au Québec. Toronto est l’épicentre de l’industrie, et nous perdons des productions au profit de cette ville ou de Vancouver depuis plus d’une génération. Le milieu est en déclin depuis 1999, où nous avions des productions d’une valeur de 306 millions de dollars, ce qui représentait 22 p. 100 de l’industrie nationale de langue anglaise. En 2015-2016, la valeur des productions a chuté à 127 millions de dollars ou à 7 p. 100 de l’industrie nationale. C’est le plus bas niveau atteint au cours de notre histoire.

Le nombre de productions serait encore plus bas sans le secteur de la télévision qui est financé par le Fonds des médias du Canada. Ce secteur connaît une croissance alors que tous les autres types de productions de langue officielle en situation minoritaire sont en chute libre. Pourquoi? La réponse se trouve dans la Loi sur les langues officielles.

En 2010, le Fonds des médias du Canada a déterminé que nous n’étions qu’une région anglophone parmi d’autres, mais les règles régionales ne fonctionnaient pas dans notre cas. Le CRTC a dit que nous n’étions pas une région, ce qui nous rendait inadmissibles au soutien régional. Le ministère du Patrimoine canadien a affirmé que le Fonds des médias du Canada n’était pas assujetti à la Loi sur les langues officielles. Nous ne pouvions donc pas être traités comme une communauté de langue officielle en situation minoritaire. Nous étions exclus de toutes les catégories et nous n’avions rien à perdre. Nous avons donc déposé une plainte au Commissariat aux langues officielles au sujet du Fonds des médias du Canada et du ministère du Patrimoine canadien. Le commissariat, après une enquête de trois ans, nous a donné raison. Le Fonds des médias du Canada était assujetti à la Loi sur les langues officielles, et Patrimoine canadien devait lui donner des directives plus claires dans son accord de contribution pour réduire le déclin de notre industrie.

Le CRTC nous a accordé le statut régional, et le Fonds des médias du Canada a créé la Mesure incitative pour la production de langue anglaise en milieu minoritaire. Le nouveau fonds était assorti d’une enveloppe insuffisante, mais les règles étaient dorénavant logiques. Le nombre de productions de notre industrie qui sont financées par le Fonds des médias du Canada augmente depuis la mise en place de la mesure incitative, grâce à la loi et à Graham Fraser. C’est une victoire, mais nous continuons à perdre du terrain. Nous ne recevons pas le même traitement que la minorité francophone, à qui on garantit 10 p. 100 de l’enveloppe de la production de langue française du Fonds des médias du Canada. Contrairement à la minorité francophone, nous n’avons aucun financement garanti. Le déclin du nombre global de productions se poursuit. Le travail se déplace vers Toronto, et les personnes talentueuses de notre industrie font de même. Sans ces emplois bien rémunérés, les jeunes quittent la province.

Que devons-nous faire? Premièrement, nous pensons que le libellé de la partie VII de la loi doit être plus précis. Qu’est-ce qu’une mesure positive? Qu’entend-on par « épanouissement » et comment évalue-t-on le « développement »? Que signifie le concept d’égalité, étant donné les différences évidentes entre les minorités anglophones et francophones?

Deuxièmement, la loi devrait conférer aux associations de langue officielle en situation minoritaire les pouvoirs et les outils dont elles ont besoin pour défendre les intérêts de leurs communautés.

Les associations doivent être dotées de la capacité et des ressources nécessaires pour effectuer les recherches qui permettent de défendre leur cause. Il faut financer bien plus la recherche.

Troisièmement, la loi devrait fournir au Commissariat aux langues officielles une série d’outils afin qu’il puisse gérer les situations comme les nôtres sans avoir à lancer une grande enquête sur plusieurs années. Il pourrait y avoir un processus d’arbitrage selon lequel le commissariat, l’organisme fédéral et le plaignant, comme nous, auraient la possibilité de s’entendre en s’appuyant sur une loi plus claire.

Quatrièmement, dans notre cas, nous avons besoin d’un soutien provincial accru. La question est complexe, je le reconnais, mais la loi ne pourrait-elle pas prévoir une meilleure coordination avec les provinces pour appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire?

Enfin, le Commissariat aux langues officielles doit détenir des pouvoirs mieux définis afin de faire respecter ses décisions. Nous vous avons fourni les réponses aux consultations menées par le commissariat. Je serai heureux de répondre maintenant à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Cox. Nous passons maintenant aux questions en commençant avec la sénatrice Gagné.

[Français]

La sénatrice Gagné : Je vous remercie de votre présentation. Vous avez tous les deux fait référence à la partie VII de la loi. Selon cette partie de la loi, les institutions fédérales sont tenues de prendre des mesures positives — comme vous l’avez si bien dit — pour mettre en œuvre l’engagement du gouvernement fédéral à l’égard du développement des communautés anglophones du Québec. Voici ma première question. Comment définissez-vous l’expression « mesures positives » dans votre contexte?

[Traduction]

Le président : Qui aimerait répondre à la question? Monsieur Rodgers?

M. Rodgers : Je vais tenter de répondre à la question. Une mesure positive est une mesure qui a des effets bénéfiques et mesurables. En ce moment, la lacune de la partie VII est de ne pas avoir de définition ou de moyens d’évaluer si les objectifs sont atteints.

[Français]

La sénatrice Gagné : D’accord.

[Traduction]

M. Cox : Je n’ai pas grand-chose à ajouter, si ce n’est qu’il devrait y avoir une forme d’évaluation quantitative. Ainsi, si des statistiques indiquent un déclin, comme dans notre cas, le CRTC, le ministère du Patrimoine canadien ou une autre entité pourrait décider que des mesures positives doivent être appliquées. Ensuite, comment évaluons-nous les effets de ces mesures? C’est sur cet aspect qu’il faut faire des recherches pour bien comprendre les mesures prises et les résultats obtenus.

Selon notre expérience, beaucoup d’organismes fédéraux insèrent du texte sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire dans la description de tout ce qu’ils font pour démontrer qu’ils s’en occupent bien. Cependant, dans les faits, les mesures qu’ils prennent peuvent même être contre-productives.

[Français]

La sénatrice Gagné : D’accord. Vous avez aussi tous les deux mentionné l’effet du Plan d’action sur les langues officielles, qui a été annoncé récemment, et l’importance des investissements pour veiller au développement de vos communautés. Est-ce que la communauté anglophone du Québec a été suffisamment consultée au cours du processus d’élaboration de ce plan d’action?

[Traduction]

M. Rodgers : Selon moi, en règle générale, les intervenants considèrent que les consultations ont été adéquates en ce qui concerne l’inclusion des secteurs, des régions et des points de vue différents. Le gouvernement fédéral a largement financé et encadré les discussions.

Les consultations ont été vastes et adéquates. La difficulté maintenant, c’est de présenter le plan d’action à nos concitoyens et à nos membres sans ce cadre pour les réunir et transmettre l’information. Nous manquons donc de ressources pour informer nos membres des nombreuses possibilités que le nouveau plan d’action contient, des avantages qu’ils peuvent en tirer et des façons de présenter des demandes de fonds.

M. Cox : Étant donné que nous n’avons pas été consultés, je n’ai rien à dire à ce sujet.

[Français]

La sénatrice Gagné : Est-ce que vous croyez que l’élément de consultation devrait être renforcé dans la révision de la Loi sur les langues officielles?

[Traduction]

M. Rodgers : Je pense que les consultations, pour la majeure partie, ont semblé vastes et adéquates. Ce que j’entends beaucoup des membres des communautés anglophones, c’est qu’il serait utile que les discussions soient maintenues pendant la mise en œuvre du nouveau plan.

J’ai proposé que, au lieu de tenir de vastes consultations tous les 10, 20 ou 30 ans, nous établissions un dialogue soutenu tout au long de la mise en œuvre du plan. Ainsi, nous pourrions veiller à ce que les intentions derrière les recommandations soient appliquées de façons bénéfiques pour nos communautés.

M. Cox : J’approuve cette proposition.

[Français]

La sénatrice Gagné : D’accord.

J’aurais une dernière question, toujours dans la même veine. Monsieur Rodgers, vous avez mentionné l’importance d’établir un comité consultatif, qui permettrait de conseiller le ou la ministre sur les politiques publiques. Est-ce que vous croyez qu’on devrait définir davantage le partenariat entre le gouvernement fédéral et les communautés anglophones du Québec dans la loi?

[Traduction]

M. Rodgers : La plupart des gens à qui je parle vous répondraient oui. C’est certainement le cas pendant les consultations. Les besoins et les intérêts du Québec sont très particuliers et ils sont parfois perdus de vue.

Je vais vous donner un exemple. Lorsque nous avons créé l’ELAN, l’une des premières choses que nous avons essayées a été de présenter une demande de financement pour le site web. Il y avait un fonds pour les sites web de ce qu’on appelait, si je ne me trompe pas, les « grands organismes ». Pour faire partie de ces grands organismes, il fallait être présent dans au moins trois provinces. Lorsque j’ai téléphoné à Ottawa pour expliquer que l’ELAN représentait les artistes anglophones de la même façon que la Fédération culturelle canadienne-française représentait les artistes francophones à l’extérieur du Québec, on m’a répondu : « Excellent. Dans combien de provinces êtes-vous présents? » Il a fallu environ un an et demi de discussions pour faire comprendre que le Quebec Community Groups Network est comparable à la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada et que l’ELAN est comparable à la Fédération culturelle canadienne-française. Parfois, il faut consacrer beaucoup de temps et d’énergie, et vivre beaucoup de frustration, pour corriger un problème qui n’aurait pas dû exister et qui aurait facilement pu être réglé s’il y avait eu un mécanisme de discussion en place.

Le sénateur McIntyre : Messieurs, merci de vos témoignages. Le 23 avril dernier, le gouvernement du Québec a fait une annonce importante : la signature prochaine d’une entente de 1 million de dollars sur deux ans avec l’Université Concordia, en collaboration avec cinq autres organismes, dans le but de favoriser l’épanouissement des communautés anglophones partout au Québec. Cette entente s’appliquerait notamment à l’enrichissement des programmes scolaires, à l’accroissement du tourisme, et cetera.

Monsieur Rodgers, je remarque que l’ELAN fait partie de cette entente, et je crois que vous avez dit que l’organisme est impatient d’étendre son programme qui passera de 5 à 15 écoles. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le contenu de cette entente? Comment les fonds aideront-ils votre organisme à faire passer l’application de son programme de 5 à 15 écoles? Quels autres projets prévoyez-vous mettre en œuvre grâce à cet argent?

M. Rodgers : Je commencerai par mettre les choses en contexte. Très souvent au sein de l’appareil gouvernemental du Québec, les anglophones se sentent déconnectés. Je pense que c’est la meilleure façon de décrire leur sentiment. Ils n’ont pas accès aux fonctionnaires appartenant à l’échelon approprié ou détenant les connaissances sur les politiques. Nous demandons donc depuis de nombreuses années l’établissement d’un organisme semblable au secrétariat pour les Franco-Ontariens. Après des années de discussions, nous en sommes venus à la conclusion qu’il y a bel et bien de l’argent disponible. L’éducation et la culture relèvent toutes les deux des provinces. Le Québec devrait donc jouer un rôle actif dans le soutien des écoles et des élèves anglophones.

Nous espérons établir des liens plus étroits avec les ministères et les fonctionnaires qui ont un soutien accru de la province dans le dossier des écoles et des élèves anglophones. Nous savons qu’il y a des ententes fédérales-provinciales dont l’application a été plus ou moins bien réussie, et nous espérons que cette plus grande réceptivité de la part de la province, plus particulièrement des ministères de l’Éducation et de la Culture, se traduira par une meilleure utilisation de ces accords pour le développement de nos communautés.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Cox, je remarque que votre organisme ne fait pas partie de l’entente. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?

M. Cox : Personne ne nous en a parlé.

Le sénateur McIntyre : D’accord. Je comprends que le financement est l’un des principaux défis que votre organisme doit relever. Y a-t-il d’autres difficultés que vous voudriez soulever aujourd’hui?

M. Cox : Eh bien, un autre aspect problématique pour nous est d’accéder à certains ministères — limitons-nous au fédéral pour le moment — et d’établir de bons liens de communication. Je crois que c’est un enjeu.

L’un des avantages du nouveau Secrétariat aux relations avec les Québécois d’expression anglaise, c’est qu’il y a maintenant une plateforme qui peut servir de facilitateur. Il nous aide à accéder au ministère ou au ministre pertinent. C’est très utile au Québec, et nous espérons qu’il sera possible de créer des liens de communication plus actifs avec les divers composants du gouvernement fédéral.

Le sénateur McIntyre : En 2015, vos deux organismes ont signé une entente avec Téléfilm Canada pour appuyer le développement des arts et de la culture dans les communautés anglophones du Québec. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette entente, monsieur Rodgers?

M. Rodgers : L’entente de 2015 a été conclue avec l’Office national du film. Nous négocions en ce moment avec Téléfilm Canada en vue d’obtenir un accord semblable. Toutefois, l’entente dont vous parlez concerne l’Office national du film. Elle vise plusieurs objectifs. Lorsque l’ELAN et le Conseil québécois de la production de langue anglaise échangent avec les producteurs, nous le faisons à deux titres différents. Kerwin et son groupe représentent les questions de financement et de production, et l’ELAN défend les enjeux des communautés et de la représentation.

La nouvelle entente avec l’Office national du film incluait notamment une sélection de quelques films parmi toutes leurs œuvres des 60 dernières années qui ont été produites par des producteurs anglophones et qui portent sur les communautés anglophones. L’Office national du film a créé une sélection qui est maintenant offerte aux centres pour aînés et aux écoles, ce qui favorise l’épanouissement de nos communautés et stimule les réflexions sur les façons de raconter notre histoire. Cette mesure s’ajoute à d’autres initiatives de défense des intérêts que nous avons prises auprès de la chaîne communautaire MAtv de Vidéotron, et même de Télé-Québec, pour leur demander de représenter la communauté anglophone.

L’entente a aussi créé une journée portes ouvertes, où des cinéastes, des musiciens, des compositeurs, et cetera, viennent tout simplement dans les bureaux de l’Office national du film pour en savoir plus sur les programmes, rencontrer des producteurs et faire du réseautage. L’Office national du film a eu tendance à évoluer dans un cercle fermé : il est porté à travailler avec les mêmes personnes. Le fait d’ouvrir ses portes à la communauté a été extrêmement bénéfique pour les artistes anglophones. Je sais que les gens de l’Office national du film ont été très surpris par la qualité des artistes qu’ils ont rencontrés pendant la soirée, que ce soit dans les domaines de la composition ou de la direction.

Ce sont deux exemples d’initiatives qui peuvent découler d’ententes comme celle-là.

Je suis convaincu que Kerwin va vouloir dire un mot sur le côté production.

M. Cox : Effectivement. Il s’agit de la première entente du genre, et l’Office national du film est félicité de toutes parts pour avoir pris cette initiative.

Je signale que le côté francophone est visé par une entente-cadre signée par Patrimoine, l’office, Radio-Canada, Téléfilms et cetera, ce que nous n’avons pas du côté anglophone. Il s’agissait d’un projet pilote.

Quand nous avons regardé les données, nous avons constaté qu’à Montréal, les productions chapeautées par l’office étaient en déclin et que bon nombre d’entre elles étaient déplacées ailleurs, à Vancouver par exemple. Le studio numérique de l’ONF est à Vancouver.

Nous avons signalé à l’office qu’il s’agissait selon nous d’un problème et que, dans l’accord, nous étions tous d’accord pour établir un nombre plancher de productions anglophones de l’ONF au Québec.

Bref, quand vous parlez de mesures positives, voilà un seuil quantifiable en-deçà duquel l’office ne devrait pas descendre. Il n’y a évidemment rien que nous puissions faire s’il décide de ne pas le respecter, mais n’empêche : il s’agit à nos yeux d’une occasion de faire preuve de bonne volonté et de faire comprendre à tous les parties — l’ONF et nous-mêmes — qu’il faut tout faire pour ne pas descendre en bas d’un certain niveau.

Nous n’avons trouvé aucun autre organisme fédéral disposé à conclure pareille entente de collaboration, mais nous ne perdons pas espoir.

Le sénateur McIntyre : Je disais tout à l’heure que le financement figure parmi vos plus gros problèmes, mais j’ai l’impression que les critères que doivent respecter les diffuseurs canadiens afin d’obtenir une licence pour les productions anglophones en est un aussi. Pourriez-vous nous en dire un peu plus?

M. Cox : Les critères pour obtenir une licence? Je ne suis pas sûr de savoir de quoi vous parlez.

Le sénateur McIntyre : Les licences que les diffuseurs canadiens doivent obtenir.

M. Cox : Les diffuseurs canadiens obtiennent leur licence du CRTC. Il y a un gros problème, parce que les géants du Web, comme Netflix, Google et Facebook, compromettent le modèle d’affaires des diffuseurs canadiens. Nous avons constaté que si nous, le gouvernement du Canada, ne fait rien, il y a aura de moins en moins d’argent pour les productions canadiennes, quel que soit l’endroit où elles ont lieu. L’avenir n’augure rien de bon, disons.

Pour ce qui est des licences et du CRTC, nous estimons que ce dernier fait fausse route en ne réservant pas une licence aux groupes de diffusion. Le Cabinet a renvoyé cette décision au CRTC, qui est en train de voir ce qu’il en est. Il s’agit d’un exemple où, à notre avis, le CRTC a pris une décision nuisant aux intérêts des minorités de langue officielles, alors nous sommes contents qu’elle soit réexaminée.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de la précision.

Le président : J’aimerais moi aussi poser quelques questions avant de laisser la parole à mes collègues. En fait, j’aimerais mieux comprendre les obstacles et les possibilités qui attendent votre organisme afin de voir s’il y a des similitudes, ou des différences, avec les organismes comparables de la minorité francophone.

Je viens du milieu culturel et j’essaie de comprendre votre relation avec la majorité anglophone pour ce qui est des organismes, des producteurs et des présentateurs. La minorité francophone entretient certains liens avec la majorité francophone du Québec; elle a conclu certaines ententes, mais par contre, son statut la prive de certaines autres choses.

J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus, parce que, selon moi, nous devons comprendre votre réalité pour déterminer en quoi la loi peut vous aider.

M. Rodgers : Je vais répondre en premier, puis Kirwan pourra parler davantage du côté production. Les artistes anglophones — et pas seulement les cinéastes, mais aussi les danseurs, les musiciens, les auteurs, comme le disait Kirwan — font partie de la réalité anglo-canadienne. En fait, j’ai assisté l’an dernier à la réunion des organismes nationaux de services aux arts qu’organisait le Conseil des arts du Canada et j’ai entendu la très inspirante allocution que vous y avez prononcée.

Nous faisons partie du réseau national. Nous faisons aussi partie des organismes nationaux du Québec, qui représentent les auteurs, les danseurs, et cetera.

Le problème, c’est que, certaines années, nous avons perdu beaucoup de monde et beaucoup de contacts. On a l’impression que le Conseil des arts et des lettres du Québec, ou CALQ, existe depuis toujours, mais en réalité, il est là seulement depuis 25 ans. Avant, les artistes anglophones avaient du mal à obtenir du financement du ministère de la Culture, parce que divers obstacles se dressaient sur leur chemin.

Le CALQ a supprimé ces obstacles en créant un organisme de financement indépendant dont les sommes sont distribuées par un jury composé de pairs. Alors depuis 25 ans, quand l’argent transige par le CALQ, qui est l’équivalent du Conseil des arts du Canada, les artistes anglophones se tirent bien d’affaire et sont traités équitablement.

Or, les choses se compliquent assez vite lorsqu’on sort du cadre du CALQ pour faire affaire avec les différents ministères. Les sommes disponibles sont difficiles à obtenir et supposent des démarches compliquées. Le ministère de l’Éducation est particulièrement problématique, et c’est là que le nouveau secrétariat aux anglophones sera utile, car il pourra servir de médiateur entre nous et les différents ministères et organismes provinciaux.

De 1975 à 1995 et même par après, la Loi sur les langues officielles nous a permis d’asseoir nos revendications. Elle pouvait nous servir de point de comparaison pour établir de nouvelles relations avec le Québec. Nous en voyons aujourd’hui les résultats, mais il en aura fallu, du temps.

Dans le milieu bien particulier qui est le nôtre, nous jouissons de certains droits et nous avons nos institutions à nous, mais nous devons aussi vivre avec les relents d’une certaine animosité historique, qui commence à peine à se dissiper.

Le président : Merci beaucoup.

M. Cox : Notre organisme a vu le jour il y a environ huit ans. Il y a deux grandes associations de producteurs de films : la première regroupe la quasi-totalité des activités anglaises du pays, y compris au Québec, alors que la seconde s’adresse uniquement aux producteurs francophones du Québec. Quant à nous, nous sommes comme qui dirait pris en sandwich entre les deux. Ces deux organismes obtiennent une grosse part du financement opérationnel parce qu’ils négocient les taux et autres avec les syndicats, selon un système bien établi, ce que nous ne faisons pas.

Nous en sommes incapables. Résultat : d’un côté, on a l’association nationale, disons, qui estime que tout l’argent que nous obtenons à l’extérieur du Québec lui appartient de droit, et de l’autre, les gens au Québec se demandent encore ce que nous voulons au juste. Bref, nous n’avons encore aucun statut bien établi.

Au fond, ce que je disais tout à l’heure, c’est que ce serait vraiment bien si la Loi sur les langues officielles ou son règlement d’application permettait aux associations — la nôtre, mais pas seulement — d’acquérir un statut qui leur permettrait de dire : « Voilà, nous sommes un organisme légitime qui fait un boulot légitime, alors nous devrions avoir les ressources et les autres éléments nécessaires pour représenter la minorité de langue officielle, que ce soit au Québec ou à l’extérieur. »

Le président : Selon vous, quels devraient être les critères pour que vous soyez inclus?

M. Cox : Il faudrait que les gens s’entendent sur les organismes qui ne font pas double emploi ou qui ne font pas de difficultés d’une façon ou d’une autre.

Si nous avions un organisme-cadre, comme le QCGN au Québec ou l’ACFI à l’extérieur du Québec, qui supervisait les différents secteurs, ce genre de chose, ce serait facile de déterminer qui est légitime et qui ne l’est pas.

Ça peut sembler évident, mais j’estime aussi que les associations représentant une minorité de langue officielle devraient être composées surtout de minorités de langue officielle. Ce facteur doit être pris en considération lui aussi. On ne peut pas avoir toutes sortes d’organismes qui font tous la même chose et qui se multiplient à l’infini. Il faudrait que les gens s’entendent sur une liste de critères pour l’obtention d’un statut officiel, car un tel statut serait extrêmement utile, selon moi. Il faudrait évidemment que les organismes qui l’obtiennent fassent le nécessaire pour le conserver, en organisant par exemple des assemblées générales annuelles, ce genre de chose.

Le sénateur Smith : Quelle est votre relations à tous les deux avec le commissaire aux langues officielles? Avez-vous des liens avec lui? Avez-vous une position officielle? Avez-vous un plan stratégique? En quoi consiste votre relation? Que faites-vous pour vous faire connaître du commissaire, le cas échéant?

M. Rodgers : La réponse brève serait : nous entretenions d’excellentes relations avec le commissaire précédent. Nous n’avons pas vraiment eu le temps d’établir quoi que ce soit avec le nouveau. Au Québec, c’est le Quebec Community Groups Network qui s’occupe de la coordination, et il s’emploie actuellement, avec ELAN et le Conseil québécois de la production de langue anglaise, à élaborer la politique culturelle qu’il entend présenter au commissaire afin qu’il comprenne nos priorités et nos enjeux et que nous puissions entamer le dialogue. Normalement, le nouveau commissaire devrait être là pendant sept ans, ce qui nous laisse le temps de créer des liens aussi solides que ceux qui nous unissaient aux deux derniers commissaires.

M. Cox : Je dirais que nous avons une bonne relation. Nous communiquons régulièrement avec le représentant québécois du commissaire. Il arrive que nous trouvions la loi frustrante, car nous aimerions que le commissaire aux langues officielles ait d’autres outils qu’il pourrait utiliser selon les circonstances. Parce qu’on a l’impression qu’il a le choix entre l’artillerie lourde — l’enquête sur trois ans — et des broutilles et qu’il n’y a rien entre les deux. Si le commissaire avait d’autres outils à sa disposition, il pourrait s’en servir pour nous aider à faire comprendre à telle ou telle institution que certaines choses doivent être améliorées, sans nécessairement passer par trois ans d’enquête et tout le tralala.

Bref, ce n’est pas contre le commissariat que nous en avons, mais contre les règles que lui impose la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur Smith : Avez-vous pris contact avec le nouveau groupe mis sur pied par Kathleen Weil? De toute évidence, le gouvernement du Québec veut se servir de ce groupe pour faire la liaison avec la communauté anglophone. Où en sont vos relations avec lui? En êtes-vous encore au début? Avez-vous un plan? En avez-vous rencontré les représentants? Donnez-moi un aperçu de la situation, si vous le voulez bien.

M. Rodgers : Le secrétariat aux affaires anglophones a vu le jour en novembre dernier. Il y a eu une grosse réunion à l’Université Concordia en février, et ELAN était bien sûr présent, avec de nombreux autres groupes de la communauté anglophone. Nous représentions le secteur des arts et de la culture. ELAN était aussi présent à la conférence de presse dont parlait le sénateur McIntyre, qui a eu lieu le 23 avril à l’Université Concordia, qui coïncidait aussi avec la date d’anniversaire de Shakespeare, ce qui en fait la journée parfaite pour annoncer une initiative artistique, et nous avons obtenu un des cinq fonds destinés aux initiatives artistiques des écoles visant à stimuler la vitalité, la résilience et le sentiment d’identité et, espérons-le, à convaincre les jeunes de demeurer au Québec.

M. Cox : Nous avons rencontré Kathleen Weil et j’ai aussi parlé à son sous-ministre, Bill Floch. Je crois que les choses augurent bien, mais pas besoin de préciser que nous n’en sommes encore qu’au début. J’aurais bien aimé que le gouvernement mette cette idée en œuvre plus tôt dans son mandat, parce qu’il est peut-être trop tard. J’ignore bien évidemment si les libéraux remporteront ou non les prochaines élections, mais il se peut que cette initiative soit reléguée aux oubliettes s’ils ne sont pas réélus. Le printemps risque d’être très court.

Le sénateur Smith : L’un de vous a-t-il des contacts avec le secteur privé, que ce soit pour créer des partenariats ou obtenir du financement pour vos initiatives?

M. Rodgers : Oui, le secteur des arts compte beaucoup sur les commandites. L’initiative Arts Alive! Québec dont je parlais tout à l’heure a produit des festivals à de nombreux endroits, comme Knowlton, Hudson, Huntingdon, Wakefield et le Centre Morrin, à Québec, et chaque fois, l’argent que nous leur avons fourni leur a permis de prendre des risques et de faire des choses jusque-là impensables, mais il leur a surtout permis de voir grand, de se montrer ambitieux, de mieux se faire connaître et d’obtenir davantage de commandites. Ça fait aussi partie de notre modèle d’affaires.

Que ce projet ait obtenu du financement de quatre sources différentes quatre années de suite signifie qu’il est maintenant dans la continuité et qu’il a acquis beaucoup de visibilité dans les localités concernées, car n’oublions pas que, dans les petites villes, un festival artistique qui s’étend sur deux ou trois jour a énormément d’impact, à commencer par jeter des ponts entre les francophones et les anglophones qui vivent côte à côte. Les arts sont extrêmement rassembleurs, et tout le monde peut en jouir.

M. Cox : En fait, je crois que nous sommes considérés comme faisant partie du secteur privé : des producteurs qui font leur travail. Notre approche n’est pas la même qu’ELAN, cependant. Nous tâchons d’améliorer les conditions de travail de nos membres.

Le sénateur Smith : Et comment entrevoyez-vous l’avenir? Quelle serait la clé de votre réussite?

M. Cox : Plus de productions. Pour ce qui est de savoir comment, la réponse varie selon la question posée. D’un côté, on peut s’interroger sur l’attitude à adopter envers Google, alors que de l’autre, on peut se demander comment améliorer le crédit d’impôt provincial, ce genre de chose. Le spectre est très vaste. Chose certaine, comme je le disais plus tôt, si ce n’était de la Loi sur les langues officielles et du commissaire aux langues officielles, qui nous permettent d’avoir une certaine influence sur les politiques publiques, ce serait beaucoup plus avantageux pour nous de déménager à Toronto. La production cinématographique ou télévisuelle de langue anglaise n’a pas beaucoup de sens à Montréal, parce que le talent est ailleurs.

Le sénateur Smith : Quelles sont les perspectives à long terme pour vos groupes?

M. Cox : Ça dépendra beaucoup. Si certains problèmes structurels sont réglés, si la Loi sur les langues officielles est améliorée de manière à être plus facilement utilisée, si le gouvernement fédéral s’intéresse au monde numérique et à son incidence sur les choses dont je viens de parler, alors tout ira bien. Mais dans le cas contraire, je crois que de plus en plus de gens vont se décourager et déménager à Toronto.

Le sénateur Smith : Et vous, monsieur Rodgers?

M. Rodgers : La situation est différente dans les secteurs qui nécessitent moins de capitaux, comme la musique et la littérature. Bon nombre d’écrivains et de musiciens vivent au Québec parce que la scène culturelle y est extrêmement vivante. Les loyers y sont encore relativement peu élevés, alors les artistes peuvent vendre leurs œuvres anglophones partout dans le monde tout en demeurant à Montréal et en faisant partie d’une communauté culturelle en pleine ébullition. Au Québec, les artistes sont appréciés du public, ce qui est un baume incroyable pour un artiste dont la carrière ne lui permet pas encore de gagner de quoi vivre.

Il faut dire aussi que, après avoir été négligés, ignorés, voire mal aimés pendant des années, les artistes anglophones du Québec ont vécu un moment charnière lorsque Arcade Fire a remporté un Grammy en 2011 et que l’Assemblée nationale en a été tellement remuée qu’elle a adopté à l’unanimité une motion saluant la contribution des artistes, anglophones et francophones. Depuis ce jour, le climat social a changé et les artistes anglophones peuvent être considérés comme des ambassadeurs de la culture québécoise, ce qui aurait été impensable il y a 50 ans. Alors, oui, ces gens peuvent connaître le succès, gagner leur vie et vendre leurs œuvres de par le monde.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci, messieurs, de vos exposés. J’ai deux petites questions. Monsieur Cox, en 2016, le gouvernement du Canada a accordé près de 700 millions de dollars à Radio-Canada et à la CBC, soit une enveloppe supplémentaire qui s’ajoutait à leur budget. Vous travaillez dans le domaine de la production d’émissions de télévision. Quelle a été votre part de cette enveloppe?

[Traduction]

M. Cox : Je ne suis pas sûr. Il faut dire que CBC/Radio-Canada a fait l’objet de compressions pendant très longtemps, et je suis loin d’être convaincu que les sommes qu’elle a reçues dernièrement compensent les coupes subies.

J’ajouterai qu’il y a six ou sept ans, CBC/Radio-Canada dépensait environ 10 p. 100 de son budget indépendant anglophone au Québec. Ce pourcentage a décliné un moment, mais il est revenu dernièrement à environ 10 p. 100. Je ne saurais dire si cela a un lien avec le renouvellement prochain de sa licence. Je demeure toutefois optimiste et j’espère que les choses iront pour le mieux.

CBC/Radio-Canada est extrêmement importante pour les minorités de langue officielle, beaucoup plus que les diffuseurs privés, parce qu’elle a des ressources pour s’acquitter de son mandat en français et en anglais partout au pays; alors, mieux elle se porte, mieux nous nous portons. Et tant mieux si elle maintient un niveau minimum de production en langue officielle minoritaire, dans un sens ou dans l’autre. C’est très positif. Espérons seulement que le CRTC maintiendra ses quotas actuels lors des audiences sur le renouvellement des licences.

[Français]

Le sénateur Maltais : Savez-vous quelle part de ce financement est accordée aux minorités francophones dans les milieux anglophones? Quel montant de plus leur a-t-il été attribué?

[Traduction]

M. Cox : Je ne pourrais pas vous le dire. Je l’ignore. Je n’aime pas trop les statistiques, parce qu’elles m’inquiètent, alors bien souvent j’évite de les regarder.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez raison. Radio-Canada se porte bien. Elle a fait construire un nouvel édifice. Une fois qu’il sera payé, elle pourra peut-être vous en verser davantage.

Monsieur Rodgers, vous avez parlé de la dualité des artistes anglophones et francophones au Québec. Je viens de la ville de Québec et j’y demeure. Vous savez, au Festival d’été de Québec, qui dure plusieurs jours, 80 p. 100 des groupes sont anglophone. Ils ne viennent pas tous de Montréal, mais il y en a de Montréal et des régions. Ils vivent très bien en harmonie avec la communauté francophone et attirent 100 000 personnes tous les soirs sur les plaines d’Abraham. Je pense que c’est une cohabitation qui est extraordinaire. Qu’en pensez-vous?

M. Rodgers : Je suis tout à fait d’accord. J’aimerais répondre en français, mais ça risque de déranger les interprètes, donc je vais continuer en anglais.

[Traduction]

Entre artistes, la collaboration et la coopération sont incroyables, surtout au sein des jeunes générations. Pour les jeunes, la langue n’est pas une préoccupation. Dans les régions, les gens sont ouverts à la collaboration, ils la recherchent.

C’est à l’intérieur de l’appareil bureaucratique qu’il y a des problèmes, surtout dans le secteur de la culture et de l’éducation : les gens ont consacré leur vie à promouvoir et à préserver le français, ce qui est tout à fait admirable, mais pour certains, il s’agit d’un problème à somme nulle, comme s’il était impossible de promouvoir à la fois le français et l’anglais.

Je comprends ce que vous dites. Pour la plupart des gens, ce n’est pas un problème — ou c’en est de moins en moins un —, mais il demeure encore bien réel dans certains organismes bureaucratiques. Espérons qu’il disparaîtra avec la prochaine génération et qu’il ne pèsera plus autant sur notre quotidien.

[Français]

Le sénateur Maltais : J’ai une dernière question, si vous le permettez, monsieur le président.

Vous savez, pour la génération des moins de 30 ans, la langue n’est pas un problème. Ils ne sont ni francophones ni anglophones; ils sont internationaux. Pour être international, il faut connaître l’anglais, et les jeunes le connaissent. Bien entendu, la génération des 30 à 75 ans est plus réfractaire.

J’ai des enfants et des petits-enfants. Ils n’ont pas de barrières. Si vous avez des problèmes avec des fonctionnaires, peut-être est-il temps de les remplacer. Peut-être qu’ils sont trop rétrogrades. S’ils ne sont pas assez réceptifs et compréhensifs quant à l’évolution de la pensée linguistique au Québec, peut-être que ces fonctionnaires devraient songer à travailler plutôt dans le domaine de l’environnement ou quelque chose du genre et sortir du monde culturel. C’est mon opinion, et je vis cette situation tous les jours.

Dimanche, c’était le 73e anniversaire de la bataille de l’Atlantique. Peut-être que cela ne vous dit rien, car vous êtes plutôt jeune, mis à part le sénateur Smith. Tous les corps d’armée étaient représentés à Trois-Rivières, et les artistes invités passaient de l’anglais au français. Il n’y a pas eu de problèmes. Personne ne s’est fait jeter à l’eau, tant du côté anglophone que francophone. La population était heureuse d’entendre leurs déclarations et leurs chansons.

C’est pour vous dire qu’on sent un virage, pas juste au Québec, mais partout dans le monde. Les gens ont une appartenance, mais aussi une mondialité dans leur écoute. La musique n’est pas la chasse gardée d’une langue; elle est internationale. Elle vient de tous les pays. Si elle plaît aux jeunes, ils vont l’écouter. Si elle ne leur plaît pas, même si elle est créée par leurs voisins, ils ne l’écouteront pas. Ça marche comme ça. Selon moi, l’évolution fait en sorte qu’avec le temps, les difficultés que vous avez rencontrées durant les 25 dernières années vont s’amenuiser. C’est mon opinion.

[Traduction]

M. Rodgers : Je suis tout à fait d’accord. Selon ma propre expérience des bureaucrates et du secteur privé, les gens qui ont connu les années 1950, 1960 et 1970 ont du mal à passer par-dessus l’esprit de division qui existait dans ce temps-là. Les jeunes, en revanche, ceux qui ont moins de 30 ou de 40 ans, ont une mentalité complètement différente. Les bureaucrates ne s’en iront peut-être pas à l’environnement, mais ils finiront bien par prendre leur retraite, et, une fois qu’ils seront partis, le climat sera très différent.

Le président : Certains témoins sont fermement convaincus que la Loi sur les langues officielles devrait souligner, dans son préambule, le rôle des arts et de la culture dans le développement des communautés minoritaires. Qu’en dites-vous? Devrions-nous ajouter le secteur des arts et de la culture à la liste des secteurs stratégiques figurant dans la loi?

M. Rodgers : Je suis un peu en conflits d’intérêts. C’est comme si je demandais à un plombier si ma maison a besoin de plomberie. Selon mon expérience des langues officielles depuis de longues années, quand une communauté se bat pour sa survie, elle pense éducation, santé et services aux aînés. Quand elle est rendue à parler de sa vitalité à long terme, elle pense alors aux arts et à la culture comme à un moyen d’exprimer son identité, de raconter des histoires, de faire comprendre aux jeunes leur propre culture et leur histoire et d’en être fiers en exportant leur parole et en la partageant avec les autres.

Les consultations sur le plan d’action que nous avons menées l’an dernier nous ont permis de constater que, dans les petites localités, quand la priorité va à la survie, les arts et la culture ne sont pas mentionnés très souvent, et cela a surpris bien du monde. Par contre, quand on est à Ottawa ou dans un grand centre et qu’on parle de généralités et de vitalité, alors oui, les arts et la culture sont de toutes les conversations ou presque.

Personnellement, je ne pense pas qu’on devrait inclure les arts et la culture, mais si vous écoutez les gens et que vous leur demandez ce qui compte pour la vitalité d’une communauté, ils vous répondront immanquablement que les arts et la culture sont nécessaires pour assurer leur qualité de vie, notamment celle des jeunes.

M. Cox : J’assume tout à fait mon conflit d’intérêts. Je suis favorable à ce que la culture figure parmi les facteurs inscrits dans la Loi sur les langues officielles. Je crois même que la qualité de vie des minorités de langue officielle devrait en être l’une des raisons d’être.

Outre la culture, j’inclurais aussi l’éducation, la santé et beaucoup d’autres choses.

Le président : Monsieur Rodgers, monsieur Cox, merci infiniment d’être venus nous voir. Vous nous avez fourni beaucoup de matériel pour notre étude, sans aucun doute.

Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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