Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 25 - Témoignages du 28 mai 2018
OTTAWA, le lundi 28 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 4, afin de poursuivre son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonsoir, je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui. Puis-je demander qu’un membre du comité propose la motion suivante :
Que des photographes soient autorisés dans la salle du comité afin d’en prendre des photos d’une manière qui perturbe le moins possible les travaux.
La sénatrice Moncion : J’en fais la proposition.
Le président : Êtes-vous d’accord?
Des voix : D’accord.
Le président : La motion est adoptée. Je vous remercie.
[Traduction]
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit la deuxième partie de son étude sur le point de vue des communautés de langue officielle en situation minoritaire au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Nous avons le plaisir de recevoir le Quebec Community Groups Network, ou QCGN, un organisme sans but lucratif composé de 56 groupes communautaires anglophones de toutes les régions du Québec dont la mission consiste à favoriser, à appuyer et à améliorer l’épanouissement des communautés anglophones en situation minoritaire.
Nous souhaitons la bienvenue à James Shea, président, à Geoffrey Chambers, vice-président, à Eva Ludvig, administratrice, et à Sylvia Martin-Laforge, directrice générale.
J’invite les sénateurs à se présenter.
[Français]
La sénatrice Jaffer : Bienvenue. Je m’appelle Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec. Bienvenue.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba. Bienvenue.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario. Bonjour.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, merci de témoigner aujourd’hui.
[Français]
James Shea, président, Quebec Community Groups Network : Bon après-midi à tous. Merci, monsieur le président, de nous accueillir.
[Traduction]
Bonjour, sénateur Cormier, sénatrice Poirier et distingués membres du comité. Je m’appelle Jim Shea, bénévole et président du Quebec Community Groups Network, un organisme sans but lucratif constitué de plus de 56 organisations communautaires anglophones des quatre coins du Québec. Nous servons les communautés de langue anglaise en situation minoritaire du Canada, que nous appelons collectivement la « communauté anglophone du Québec ». Je suis accompagné aujourd’hui de Geoffrey Chambers, vice-président, Eva Ludvig, administratrice, qui a été représentante du commissaire aux langues officielles pour la région du Québec pendant 20 ans, et de Sylvia Martin-Laforge, directrice générale.
C’est la dernière fois que je témoigne à titre de président du QCGN, car mon mandat se termine dans deux semaines. Un plan de relève est en place.
Je ne suis pas originaire de la région de Montréal, mais bien du Pontiac. C’est un honneur d’avoir été choisi par le QCGN pour être son président au cours des deux dernières années.
Avant de commencer, je voudrais souligner la volonté du comité de promouvoir les droits linguistiques des Canadiens, et ce, tant par le passé que dans le présent.
Les anciens travaux que vous avez réalisés sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles sous la houlette de l’ancienne sénatrice Tardif ont inspiré l’examen actuel des règlements en matière de langues officielles. De façon générale, c’est ici que s’est amorcé le débat national actuel sur la modernisation de la loi. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir créé une tribune permettant aux Canadiens de se réunir et de discuter de manière ouverte et respectueuse de la façon dont nous pouvons collectivement promouvoir nos droits linguistiques communs et maintenir notre valeur nationale fondamentale de dualité linguistique.
Nous voudrions aussi profiter de l’occasion qui nous est donnée aujourd’hui pour offrir sans équivoque notre soutien et exprimer notre accord quant aux principes et aux concepts préconisés par la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada dans le mémoire qu’elle a présenté au comité. Nos objectifs mutuels sont exactement les mêmes en ce qui concerne la manière d’améliorer le fonctionnement de la Loi sur les langues officielles et de promouvoir les droits linguistiques de tous les Canadiens.
À l’instar du commissaire aux langues officielles et de la Fédération des communautés francophones et acadienne, nous exprimons notre déception au sujet de la décision que la Cour fédérale a rendue la semaine dernière dans l’affaire La Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c. Canada.
La Cour fédérale a sans contredit jugé que les obligations prévues dans la partie VII de la loi ne sont pas assez précises pour être applicables.
Voilà qui prive la loi d’une grande partie de sa force juridique. Même si le QCGN prendra le temps d’analyser cette décision en profondeur, il semble que cette décision montre de manière éclatante qu’une modernisation de la loi est plus nécessaire que jamais.
La Loi sur les langues officielles revêt une importance capitale pour les anglophones du Québec, puisqu’elle constitue la seule loi en matière de droits linguistiques qui protège leurs intérêts. En effet, la loi établit les droits quasi constitutionnels des Québécois anglophones, notamment le droit d’accéder aux services fédéraux en anglais, la représentation des anglophones au sein de la fonction publique fédérale et les droits de ces travailleurs en anglais.
En outre, la loi fournit le cadre nécessaire au soutien financier dont les institutions et les réseaux de la communauté ont grand besoin.
Je céderai la parole à ma collègue, Mme Ludvig.
[Français]
Eva Ludvig, administratrice, Quebec Community Groups Network : Bonjour, monsieur le président, et merci de nous accueillir ici cet après-midi.
[Traduction]
Bonjour. Je traiterai plus précisément de la loi elle-même et de certains des domaines que nous avons examinés et au sujet desquels nous avons quelque chose à dire.
Notre réflexion sur la modernisation de la loi s’est appuyée sur les principes suivants, lesquels doivent être intégrés à la trame de la nouvelle loi.
Le premier principe est celui de l’égalité du statut de l’anglais et du français. Il ne peut y avoir de statut distinct, pas plus que la loi ne peut être rédigée de manière à traiter différemment les deux langues. Il est possible d’avoir la souplesse nécessaire pour satisfaire les besoins propres aux diverses communautés de langue officielle en situation minoritaire et pour assurer une égalité substantielle en menant des consultations efficaces.
En outre, la nouvelle loi devrait prévoir la tenue de consultations solides, obligatoires et dotées de ressources adéquates à tous les égards, et comprendre notamment un mécanisme de consultation officiel à l’échelle nationale. Ce point préoccupe particulièrement les anglophones du Québec, qui ne sont pas équipés pour participer équitablement aux échanges nationaux sur les langues officielles et qui ne peuvent adéquatement faire sentir leur présence ici, malgré la taille de leur communauté.
Nos recommandations précises figurent dans notre mémoire, mais je vous en exposerai quelques-unes. Selon nous, les parties IV, V, VI et VII de la loi sont étroitement liées, mais sont toutefois mises en œuvre de manière distincte sans qu’il n’y ait de reddition de comptes cohérente. Comment une institution peut-elle honorer les obligations que lui impose la partie IV sur le plan de la langue de travail si elle n’emploie pas un nombre suffisant de Canadiens de langue minoritaire ou si elle ne permet pas aux fonctionnaires fédéraux d’apprendre et de travailler dans leur langue minoritaire? Comment les institutions et les organisations des minorités de langue officielle visibles pour les institutions fédérales, lesquelles doivent prendre des mesures positives pour favoriser l’épanouissement des communautés, peuvent-elles honorer leurs obligations si elles excluent les Canadiens de langue minoritaire de la main-d’œuvre régionale, comme c’est le cas au Québec?
L’application compartimentée des parties IV à VII ne fonctionne pas.
Nous attirons aussi l’attention du comité sur le sous-emploi chronique des Canadiens anglophones au sein de la fonction publique fédérale au Québec à l’extérieur de la région de la capitale nationale. À cet égard, plusieurs institutions fédérales ne respectent pas les obligations prévues dans cette partie de la loi, laquelle est vague et n’a pas de règlement pour la rendre applicable.
Il faut clarifier la partie VII de la loi et y intégrer la reddition de comptes, et conférer à la ministre du Patrimoine canadien le pouvoir d’appliquer ces dispositions.
Nous croyons en outre qu’il faut que la partie VII comprenne des dispositions de transparence strictes en matière d’investissements fédéraux en ce qui concerne tous les bénéficiaires, y compris les gouvernements provinciaux et territoriaux. Il faut définir clairement ce qu’on entend par « mesures concrètes », « favoriser l’épanouissement » et « appuyer le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire », comme on le voit dans la loi et les règlements.
Nous proposons aussi de conférer au commissaire aux langues officielles un rôle accru, évolué et ciblé. Dans la même veine, nous préconisons l’établissement d’un tribunal administratif ayant le pouvoir de sanctionner les transgressions à l’égard de la loi.
Je laisserai maintenant la parole à mon collègue, M. Chambers.
[Français]
Geoffrey Chambers, vice-président, Quebec Community Groups Network : Bonjour. Merci beaucoup, monsieur le président, de nous accueillir cet après-midi.
[Traduction]
Bonjour. Comme Jim et Eva l’ont indiqué, les objectifs du QCGN dans cette discussion consistent non seulement à formuler des suggestions sur la manière de rendre la loi plus efficace, mais aussi à profiter de l’occasion pour élargir les droits linguistiques des Canadiens.
Notre mémoire écrit contient les détails. Permettez-moi toutefois de vous exposer trois de nos objectifs les plus importants et les plus ambitieux.
Les parties IV, V et VI de la loi devraient être applicables à toutes les entreprises privées sous réglementation fédérale. Au Québec, seules les entreprises privées sous réglementation fédérale et les entités comme les banques à charte et les compagnies de télécommunications et de transport ne sont pas assujetties à la Charte de la langue française.
Il a été proposé d’élargir l’application de la Charte de la langue française à ces entités. Outre le fait qu’elle est incohérente et impossible sur le plan constitutionnel, cette mesure aurait pour effet de confiner les droits linguistiques constitutionnels à un territoire et de constituer une menace inacceptable pour les communautés linguistiques francophones et anglophones en situation minoritaire.
L’application de la Loi sur les langues officielles aux entreprises et aux entités sous réglementation fédérale, tout en permettant de corriger les problèmes que pose la loi au Québec aujourd’hui, élargirait les droits linguistiques prévus par la loi à des milliers de travailleurs œuvrant dans des entreprises sous réglementation fédérale de la province. Ainsi, tant les francophones et les anglophones du Québec que les communautés de langue française en situation minoritaire du pays en ressortiraient gagnants. Cette modification pourrait être apportée avec relativement peu de perturbations et constituerait un grand pas vers l’équité.
La partie III de la loi prévoit déjà un certain nombre d’obligations pour les cours et des tribunaux fédéraux sur le plan de l’administration de la justice. Ces obligations devraient être maintenues et renforcées sur un point important. Les juges de la Cour suprême devraient être en mesure de comprendre la langue officielle choisie par les parties sans l’aide d’un interprète. Dans les faits, c’est probablement le cas pour la plupart d’entre eux, mais cette obligation devrait être clairement établie dans la loi.
Troisièmement, le gouvernement du Québec a posé un geste historique en admettant que les Québécois anglophones forment une communauté de langue officielle en situation minoritaire, en nommant un ministre ayant des relations avec notre communauté, en établissant un secrétariat au sein du ministère du conseil exécutif et affecté 24,5 millions de dollars sur cinq ans pour soutenir notre communauté.
Pourquoi? Il a agi ainsi parce qu’il veut assurer l’intégration complète de la communauté anglophone du Québec à la vie économique, sociale et politique de la province. Il tient particulièrement à empêcher les jeunes Québécois anglophones bilingues et talentueux de quitter la province.
À cette fin et dans le but d’établir des conditions qui favoriseront l’atteinte de cet objectif, nous voulons nous assurer que nos jeunes voient un avenir dans la sécurité économique du Québec. C’est une préoccupation de la communauté anglophone, qui souhaite être une pièce du casse-tête en ayant une chance équitable de travailler dans la fonction publique fédérale au Québec. Voilà pourquoi la modernisation de la Loi sur les langues officielles doit inclure des dispositions garantissant la représentation proportionnelle des anglophones dans la fonction publique fédérale au Québec.
Les membres de notre communauté doivent sentir qu’ils sont les bienvenus, pas seulement lorsqu’il s’agit de faire valoir leur droit de travailler en anglais, mais aussi quand vient le temps de servir la population du Québec, d’acquérir des compétences linguistiques et de les améliorer, et de pouvoir fonctionner dans leur langue maternelle, tout en pouvant servir la majorité de la population en français.
Merci beaucoup.
M. Shea : Monsieur le président, voilà qui met fin à notre exposé. Nous vous avons transmis des notes d’information et nous vous avons remis aujourd’hui un document comprenant l’intégrité de notre exposé. Nous sommes maintenant prêts à discuter avec vous, monsieur le président. Nous vous remercions de nous avoir donné l’occasion de nous adresser à vous.
Le président : Merci beaucoup de votre exposé. Nous entamerons maintenant la période de questions.
[Français]
La sénatrice Gagné : Bienvenue. C’est dommage que nous n’ayons pas pu nous rendre chez vous, mais nous apprécions beaucoup votre présence ici aujourd’hui.
Vous avez fait allusion au jugement dans l’affaire Fédération francophone de la Colombie-Britannique c. ministère de l’Emploi et du Développement social Canada plus tôt. Essentiellement, le juge Gascon de la Cour fédérale a statué que, en vertu de l’entente entre le gouvernement fédéral et la province, pour ce qui est de la prestation des services d’aide à l’emploi, cela relevait de la compétence législative de la province et que la Colombie-Britannique n’agit pas pour le compte d’une institution fédérale.
Comment interprétez-vous cette décision, surtout en ce qui concerne les dispositions linguistiques ou l’absence de dispositions linguistiques dans les ententes fédérales-provinciales? Le jugement pourrait-il avoir des répercussions sur l’ensemble des ententes fédérales-provinciales qui portent sur le développement du marché du travail partout au Canada?
M. Chambers : Nous ne sommes pas d’accord avec le juge dans cette décision et nous souhaitons qu’il y ait un appel pour apporter une autre conclusion à un niveau plus élevé.
[Traduction]
Certains aspects du jugement nous portent à croire que lorsqu’on cherche à faire valoir ces droits, la relation ou le fondement juridique actuels ne sont pas expliqués de manière claire, de sorte que les tribunaux ne disposent pas d’orientations suffisamment limpides pour en arriver à un résultat satisfaisant. Le gouvernement fédéral a le pouvoir d’améliorer la loi et le règlement qui régissent la question pour que dans l’avenir, les tribunaux n’aient pas à interpréter ces situations difficiles.
Nous ne pensons pas nécessairement que ce résultat soit bon. Selon nous, un appel permettrait d’en arriver à une meilleure décision. Nous considérons en outre que si vous agissiez pour éclaircir les choses, cela pourrait faire en sorte que ces situations ne risquent pas de survenir en cour.
M. Shea : Je ferais remarquer qu’il s’agit d’un jugement récent et que le QCGN devra demander à ses membres de l’examiner en entier afin de recueillir leurs observations.
La sénatrice Gagné : Dans ce jugement toujours, le juge indique qu’en l’absence de règlement ou d’indication du contraire, pratiquement n’importe quelle mesure est positive tant qu’elle n’est pas négative.
Vous y avez d’ailleurs fait allusion dans votre présentation. Je voudrais que vous nous aidiez dans notre réflexion. Devrions-nous élargir le concept ou mieux l’expliquer dans la loi? Faut-il procéder à des consultations préalables afin de déterminer en quoi consiste une mesure positive, par exemple? Quel genre de consultation faut-il mener? Je m’interroge aussi parce que la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada a indiqué dans son mémoire qu’il serait très important d’ajouter une obligation voulant que l’on prenne en compte les résultats des consultations et fournisse des raisons justifiant la décision finale. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Mme Ludvig : Tout d’abord, pour donner brièvement suite aux propos de M. Chambers, nous pensons qu’il faut mieux définir le terme dans la loi et les règlements. C’est un des problèmes qui ont mené à pareille situation. Il en est d’ailleurs question dans notre mémoire. Nous voulons savoir ce que signifient ce mot et d’autres termes, comme « épanouissement de la communauté ». Quand savons-nous qu’une communauté est épanouie? Quels sont les indicateurs et les autres paramètres? Oui, nous sommes convaincus qu’il est nécessaire d’éclaircir les choses.
Notre mémoire traite également de la question des consultations. Nous considérons que la loi doit prévoir des consultations plus efficaces et préciser en quoi consiste une consultation, car ce mot peut être interprété de bien des manières.
M. Chambers : Je dirai essentiellement la même chose. Les consultations constituent une dimension essentielle du dialogue entre le gouvernement et les minorités de langue officielle en situation minoritaire. Sans cet échange de vues, point de bonne politique. Sans bonne politique, le gouvernement ne sera pas en mesure de légiférer clairement et d’établir les droits qui peuvent être exercés.
La sénatrice Gagné : Pensez-vous que le gouvernement devrait fournir les raisons de la décision finale après les consultations? Les gouvernements consultent à tout bout de champ. Comment savoir si on s’est fait entendre?
M. Chambers : La consultation est la première étape. Elle peut donner lieu à un consensus si le dialogue est bon. La loi et le règlement seront le fruit de ce consensus, bien entendu. Il faut ensuite établir les dispositifs de mise en œuvre — dont nous traitons dans notre mémoire — qui exigent que les politiques ou les lois soient appliquées à l’avantage des citoyens. Le processus comporte une série d’éléments, qui sont tous en place actuellement, mais ils peuvent tous être améliorés et peaufinés pour bonifier le résultat.
La sénatrice Moncion : Monsieur Shea, vous avez indiqué dans votre exposé que vous avez besoin d’une représentation du gouvernement fédéral en anglais. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là?
M. Shea : Cela concerne bien des domaines. Pour vous donner un exemple précis, nous avons commencé à parler du comité parlementaire des langues officielles au premier ministre, demandant à ce qu’un représentant de la communauté anglophone fasse partie de ce comité.
Je pense que vous faites référence au nombre de fonctionnaires à l’extérieur de la région de la capitale nationale et aux perspectives des anglophones au Québec. Je n’ai pas de données devant moi. Eva, vous avez peut-être l’information.
M. Chambers : De mémoire, je peux fournir des renseignements de base.
M. Shea : C’est peu.
M. Chambers : À l’extérieur de la région de la capitale nationale, c’est environ 2 p. 100, ce qui est mieux qu’au gouvernement du Québec, où ce pourcentage est de 0,8 p. 100. Un problème se pose à cet égard. Nous représentons 11 ou 12 p. 100 de la population; les anglophones sont donc nettement sous-représentés, ce qui témoigne d’un manque évident de participation.
Il n’y a pas d’emplois pour des gens qui pourraient être utiles à la communauté. Dans la fonction publique, il n’existe pas de processus d’élaboration de politiques ou de sensibilisation du milieu en ce qui concerne la communauté, ses intérêts et ses besoins. Il en découle diverses défaillances, en ce qui concerne notamment les gardiens de prison du Québec, dont environ 150 parlent anglais sur les 3 500 que compte ce groupe professionnel.
La répartition linguistique de la population carcérale du Québec s’apparente beaucoup à celle du pays, 85 p. 100 des détenus étant anglophones. Or, ils ne peuvent pas recevoir de services dans leur langue en pareil contexte. Voilà un problème qui n’est pas bon pour les bénéficiaires des services et la société en général, et cela ne crée pas d’occasions d’emploi pour notre communauté.
Comme Jim l’a expliqué, il est possible d’apporter, du sommet de la pyramide, sur le plan de la représentation au Parlement, jusqu’aux emplois relativement subalternes dans la fonction publique, des améliorations qui seraient saines pour la société et bénéfiques pour notre communauté.
La sénatrice Moncion : À quel endroit traiterions-nous de la question dans la loi?
M. Chambers : J’ai abordé un certain nombre de problèmes; on n’en traiterait pas au même endroit. Je ne veux pas vous fournir une réponse vague, mais dans notre mémoire, nous donnons de nombreux exemples de la manière dont la Loi sur les langues officielles peut contribuer à résoudre le problème.
La sénatrice Moncion : Vous avez évoqué l’approche compartimentée adoptée quant aux parties IV, V, VI et VII, lesquelles sont étroitement liées. Vous nous avez donné des exemples, mais pourriez-vous apporter des éclaircissements au sujet du cloisonnement et nous expliquer comment nous pourrions améliorer la Loi sur les langues officielles?
Mme Ludvig : La partie IV porte sur la langue de travail et la partie VI, sur la participation. C’est ce dont nous parlons maintenant. La partie VII traite du soutien des communautés linguistiques en situation minoritaire.
Toutes ces parties traitent de ce qui constitue un milieu où, si on peut obtenir un bon emploi au gouvernement fédéral, on peut offrir un environnement accueillant, comprendre les problèmes des communautés linguistiques en situation minoritaire et mieux contribuer à l’épanouissement de la communauté. Ces parties sont séparées artificiellement, car elles s’appuient l’une sur l’autre.
En vertu des droits relatifs à la langue de travail, on peut entrer à la fonction publique doté d’un certain degré de connaissance de l’autre langue. On devrait pouvoir avoir le droit d’améliorer ses compétences linguistiques si on suit une formation ou avoir l’occasion de pratiquer l’autre langue.
Chaque partie est étroitement liée aux autres.
La sénatrice Moncion : Vous avez parlé des entreprises constituées sous le régime de la loi fédérale en ce qui concerne les langues officielles. Nous avons entendu des jeunes de vos communautés dont l’anglais est la langue maternelle. Ils nous ont fait part des difficultés qu’ils éprouvent à trouver un emploi au Québec.
La question m’intéresse, car c’est la première fois que j’entends parler du concept d’entreprise constituée sous le régime de la loi fédérale. Il y aurait des liens à établir afin de voir jusqu’où les langues officielles peuvent avoir une influence afin d’aider les chercheurs d’emploi et de veiller à ce que les entreprises…
M. Chambers : Les gens qui cherchent un emploi au Québec devront évidemment pouvoir fournir des services et fonctionner dans un contexte où la majorité du travail se déroule en français. C’est le contexte que la Charte de la langue française établit au Québec. Nous y sommes habitués et nous nous y attendons. Ce n’est pas une mauvaise chose qu’il y ait des dispositions permettant d’accueillir les Québécois anglophones dans ce milieu de travail.
Nous constatons qu’il existe une sorte de problème de transition à partir du système d’éducation, lequel permet d’acquérir un certain degré de bilinguisme. Je pense que notre capacité de parler français s’est accrue et que nous avons réussi à améliorer la situation. Le degré de maîtrise n’est toutefois pas assez élevé pour rendre facile l’accès au marché du travail. Nous voulons améliorer la transition.
Il nous est difficile de dire quelle influence aura la disposition que nous préconisons concernant les entreprises sous réglementation fédérale. Elle devrait faire en sorte que le milieu soit plus ouvert.
Elle permettrait en outre de faire en sorte que les conditions de travail et le fonctionnement des entreprises conviennent à la société où elles sont exploitées. À l’heure actuelle, une société ferroviaire — à l’exception du CN, qui fait l’objet d’une loi précise en raison de sa privatisation —, une compagnie aérienne — à l’exception d’Air Canada, qui est aussi assujettie à une loi précise —, une banque — toutes les banques ont toujours été privées — ou une grande entreprise de télécommunications peut arbitrairement traiter ses employés du Québec d’une manière qui ne cadre pas avec la façon dont l’économie fonctionne. Je ne pense pas que la majorité de ses entités agissent de la sorte ou seraient malheureuses de devoir fonctionner de la manière dont elles fonctionnent essentiellement actuellement. Ce serait une bonne chose d’établir des règles pour que les employés puissent obtenir leur chèque de paie dans la langue de leur choix ou puissent communiquer avec leur employeur dans leur propre langue.
Ce serait une bonne chose à l’extérieur du Québec également, en ce qui concerne notamment la situation des francophones qui travaillent dans le reste du pays.
Cette démarche rendrait le marché du travail plus ouvert et permettrait d’établir un ensemble de règles sur les conditions de travail.
La sénatrice Moncion : Merci.
La sénatrice Jaffer : Je voudrais simplement éclaircir un point. Quand vous parlez des anglophones, dites-vous qu’ils sont unilingues et qu’ils ne parlent qu’anglais? Je cherche simplement à comprendre.
M. Shea : Nous préconisons évidemment le bilinguisme chez les anglophones. Même si certains résidants anglophones ne maîtrisent pas l’autre langue, nous sommes en faveur d’une société bilingue et encourageons les anglophones à s’exprimer en français afin de s’intégrer à la trame de la société. Nous maintenons le concept selon lequel nous constituons une communauté de langue anglaise en situation minoritaire qui maîtrise la langue française.
Nous ajoutons cet élément à la main-d’œuvre. Nous devrons toutefois encourager les jeunes à rester dans nos communautés.
M. Chambers : Sachez que 86 p. 100 de la population anglophone du Québec est capable de démontrer un degré élevé et vérifiable de maîtrise du français. Ce pourcentage atteint le milieu des 90 p. 100 chez les gens de moins de 50 ans. Nous progressons donc dans la bonne direction.
Il s’agit là du degré de bilinguisme le plus élevé parmi tous les groupes linguistiques du pays, un degré qui, de façon générale, va en augmentant. Il s’accroît depuis un certain temps et poursuit son augmentation.
Il existe toutefois des problèmes de transition. Les jeunes qui obtiennent leur diplôme d’études secondaires possèdent un degré élevé et vérifiable de compétences en français, sans nécessairement être dotés de certaines compétences utiles au travail, comme un français écrit d’une certaine qualité, particulièrement dans le domaine technique. Ils ont accès aux emplois, mais ne possèdent pas nécessairement tous les outils dont ils ont besoin pour remporter des concours et obtenir un travail. Nous voudrions trouver des moyens de les aider à surmonter cet obstacle.
Mme Ludvig : J’ajouterais qu’il faut posséder les compétences, mais aussi — et c’est là où le bât blesse — la confiance en ses propres compétences linguistiques et en sa capacité à obtenir un emploi. C’est un problème de taille, même pour ceux qui ont fréquenté l’école française. Les jeunes doivent posséder cette confiance et croire que le marché du travail leur est ouvert et qu’ils peuvent aller aussi loin que leurs compétences leur permettent d’aller. C’est un autre problème auquel nous devons nous attaquer.
La sénatrice Jaffer : J’ignore si vous savez quoi que ce soit à mon sujet. Je demeure en Colombie-Britannique et j’ai trouvé tout ce que vous avez dit fort intéressant. À titre de politicienne de la Colombie-Britannique, je m’interrogerais si la communauté francophone tenait les propos que vous avez prononcés, car elle est en situation minoritaire en Colombie-Britannique et ne jouit même pas des droits que vous réclamez.
Cela ne rend pas la situation acceptable; ne le prenez pas en ce sens. Ce qui me préoccupe, c’est qu’il s’agit d’un projet de loi national. Étant membre du comité par choix, je crois évidemment au bilinguisme. Le projet de loi a une portée nationale. Comment pouvons-nous en assurer l’application nationale?
Je voudrais connaître vos opinions. Je ne conteste aucun de vos propos. Bien entendu, les gens devraient le faire; nous élaborons un projet de loi national. J’aimerais obtenir votre aide, car je voudrais que les Britanno-Colombiens parlent aussi français. Ce n’est pas comme si je ne voulais pas qu’ils le fassent. Mais comment pouvons-nous élaborer un projet de loi national? Voilà mon problème.
M. Shea : Nous voudrons tous répondre à cette question. Eva, voulez-vous répondre en premier, après quoi Geoffrey pourrait intervenir?
Mme Ludvig : Volontiers. Sachez tout d’abord que vous avez raison. Nous traitons ici de la Loi sur les langues officielles et des droits qu’elle confère. Il s’agit d’une loi nationale qui s’applique tant à la Colombie-Britannique qu’au Québec.
Quand il est question des défis particuliers que doivent relever certaines minorités au Québec afin de faire respecter leurs droits, les droits que prévoit la Loi sur les langues officielles sont les mêmes partout, que ce soit en Colombie-Britannique ou au Québec.
Nous parlons de questions nationales. Pour ce qui est des particularités provinciales, toutes les communautés linguistiques en situation minoritaire doivent s’adresser à leur gouvernement provincial. Je pense que nous avons brièvement traité de la question quand nous avons expliqué que la situation a évolué à l’échelle provinciale. Notre mémoire porte sur la Loi sur les langues officielles, une loi nationale qui s’applique aux minorités de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, du Nouveau-Brunswick et du Québec.
M. Chambers : Il existe à ce sujet des statistiques que je pense pertinentes. Les jeunes francophones bilingues de la Colombie-Britannique, de l’Ontario, du Manitoba et de l’Alberta affichent un taux d’emploi supérieur à celui de leurs équivalents unilingues parce qu’ils offrent quelque chose de rare sur le marché du travail.
La sénatrice Jaffer : Certainement.
M. Chambers : Je peux ajouter le français à mon diplôme, que ce soit en droit ou dans un autre domaine, avant de me lancer sur le marché de l’emploi, et ces compétences plairont à quelqu’un.
Ce n’est pas ainsi que la dynamique fonctionne au Québec. Nous voulons faire en sorte que le bilinguisme soit sans contredit un atout précieux qui contribue à l’épanouissement de l’économie du Québec. Tout ce qu’il nous faut, c’est un petit coup de pouce pour suivre des cours de français à l’école secondaire, voire à l’université. Il faut en outre que le problème de confiance auquel Eva a fait référence soit pris en compte dans l’économie.
La sénatrice Jaffer : Qu’entendez-vous par « petit coup de pouce »?
M. Chambers : Eh bien, je peux vous donner un exemple. Les fonctions publiques fédérale et provinciales imposent, à l’embauche, des tests de langue à tous les candidats.
Cela semble équitable, car tout le monde devrait satisfaire la même norme. Vous pourriez toutefois envisager d’instaurer une mesure indiquant que les personnes dont le résultat est légèrement inférieur à la norme, mais qui sont en mesure d’atteindre le degré requis de maîtrise du français écrit en l’espace d’un an devraient être recrutées pour qu’elles aient l’occasion de parfaire leurs compétences.
La sénatrice Jaffer : Je pensais que pareille mesure existe déjà. Les fonctionnaires fédéraux suivent une formation s’ils ne possèdent pas le degré requis de maîtrise du français. Cela existe déjà.
M. Chambers : Dans les faits, cela pourrait s’appliquer dans le reste du pays, où il manque de francophones pour occuper des emplois.
La sénatrice Jaffer : Il ne s’agit pas des francophones, mais des anglophones dans la fonction publique fédérale.
Mme Ludvig : En théorie, oui.
La sénatrice Jaffer : Non, dans les faits.
Mme Ludvig : Dans les faits, on n’engage pas suffisamment de fonctionnaires anglophones. Les employeurs ne disposent pas des outils nécessaires pour prendre des mesures positives, des mesures fermes, peu importe le nom qu’on veut bien leur donner. C’est le néant. Il est donc bien plus facile d’engager quelqu’un. Une fois engagé au sein de la fonction publique, on a effectivement accès à la formation, mais encore faut-il se faire embaucher.
La sénatrice Jaffer : Je comprends. Merci.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue, mesdames et messieurs. La langue au Canada est couverte par deux chartes : la Charte québécoise de 1978 et la Charte fédérale de 1982. Il y a une question qui me vient souvent en tête. Vous avez vos écoles primaires et secondaires, des cégeps et des universités. Quels efforts sont menés au sein de vos écoles anglophones pour que les jeunes apprennent le français au cours de leur parcours scolaire? Quels efforts déployez-vous?
M. Shea : Si j’ai bien compris votre question, vous parlez du secteur scolaire. Les parents exigent que leurs enfants soient bilingues, qu’ils apprennent le français. Puis, il y a un groupe d’anglophones qui choisissent les écoles françaises pour apprendre le français. Il y a aussi des écoles d’immersion de langue française et anglaise pour les élèves anglophones. Toutes les populations exigent que les élèves maîtrisent les deux langues officielles, le français et l’anglais.
[Traduction]
Notre communauté et le Quebec Community Groups Network ont comme objectif d’être une communauté anglophone en situation minoritaire qui est à l’aise dans les deux langues et qui apprécie à sa juste valeur la charte des droits linguistique du Québec.
[Français]
Mme Ludvig : Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais les premières écoles d’immersion ont été fondées par les écoles anglophones dans les années 1960, à Saint-Lambert.
Le sénateur Maltais : Je vous interromps. Celle de Cacouna existe depuis 1958.
Mme Ludvig : Je m’excuse si j’ai fait une erreur, mais c’est une initiative qui est reconnue.
Le sénateur Maltais : Vous avez cette chance-là. J’ai dû payer pour que mes enfants apprennent l’anglais. Êtes-vous au courant de cela? L’anglais n’était pas enseigné. La première loi 101 interdisait l’enseignement de l’anglais au primaire, au secondaire et au cégep. Aujourd’hui, heureusement, on a des gouvernements plus responsables. Encore beaucoup de Québécois francophones paient pour envoyer leurs enfants dans les écoles anglophones. C’est une question de volonté. Si on a la volonté, on peut réussir. Si on ne l’a pas, on est stagnant. Notre leader au Sénat est un anglophone qui a fait une carrière extraordinaire au Québec comme joueur de football professionnel et comme administrateur public et en politique.
M. Shea : Nous sommes d’accord. C’est pour cette raison que nous sommes ici.
Le sénateur Maltais : Vous avez dit plus tôt que les anglophones québécois ont de la difficulté à entrer à la fonction publique fédérale.
Mme Ludvig : Au Québec.
M. Shea : Au Québec, à l’extérieur de la région, ici.
Le sénateur Maltais : D’accord. Dans vos villes respectives, la situation s’est-elle améliorée ou est-elle semblable à l’échelon fédéral?
M. Chambers : Dans les villes et à la fonction publique provinciale, les chiffres sont pires qu’au fédéral. Il faut saluer le gouvernement fédéral pour ses efforts, mais 2 p. 100 sur une population de 11 p. 100, ce n’est pas assez élevé, à notre avis. Le problème ne relève pas nécessairement des faits qui s’appliquent seulement au gouvernement fédéral, mais vous pouvez travailler sur cet aspect du problème.
Le sénateur Maltais : Je ne sais pas si vos chiffres sont bons. Je dois me fier à vos chiffres. Moi, je viens de la Côte-Nord du Québec. C’est la région la plus anglophone du Québec, à l’exception de la région de l’Outaouais qui est collée sur Ottawa. Ce sont des régions qui ont été développées grâce à l’industrie forestière, comme la vôtre, et à l’industrie minière chez nous. Tout était anglophone. Ce sont de petites collectivités. On parle de Kegaska, de Blanc-Sablon, et cetera. Il y a aussi les communautés autochtones du Nord qui sont anglophones également. Je ne sais pas si elles font partie de votre association.
M. Shea : Donc, vous comprenez notre défi.
Le sénateur Maltais : Je le comprends très bien, mais selon la loi fédérale, c’est en fonction d’un nombre suffisant. Je demande à tous les tribunaux et aux juges de me dire ce que signifie « suffisant ». Est-ce 1, 2, 100 ou 1 000? Personne ne veut se prononcer. Si cela ne s’applique pas aux francophones, j’imagine que c’est la même chose pour les anglophones. Cela doit être un vase communicant d’idéologies. Au Québec, on est le seul endroit sur la Basse-Côte-Nord où il y a une seule commission scolaire anglophone. Elle est financée à 100 p. 100 par le gouvernement du Québec, parce que les petites collectivités ne sont pas assez structurées pour fournir une taxation. Bon nombre ne sont pas érigées en villages juridiques. Je comprends aussi l’angoisse des populations de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine qui sont refoulées de plus en plus vers la mer. C’est le cas de le dire à Gaspé. Robertsonville et New Carlisle sont les derniers remparts. Ces régions sont situées près de Bonaventure et du golfe.
Vous dites que les anglophones du Québec ont de la difficulté à entrer dans la fonction publique fédérale. Prenez les ports de Montréal, de Québec, de Trois-Rivières, de Rimouski, de Baie-Comeau, de Sept-Îles, de Port-Cartier et de Havre-Saint-Pierre, et faites le décompte des anglophones dans ces régions. Je suis colonel honoraire d’un régiment. Je peux vous dire comment fonctionne l’armée au Québec. Vérifiez pour voir si les chiffres sont encore aussi élevés que vous le dites. Je me méfie énormément des statistiques. Statistique Canada a la réputation de se tromper.
Monsieur Chambers, vous avez dit que 85 p. 100 de la population des centres carcéraux du Québec était anglophone.
M. Chambers : J’ai dit que 86 p. 100 des anglophones du Québec parlent français.
Le sénateur Maltais : Oui, mais dans les prisons?
M. Chambers : Je n’ai pas les chiffres avec moi, mais je crois que la proportion des prisonniers au Québec dans les prisons fédérales correspond à la proportion des prisonniers anglophones et francophones au niveau national.
Le sénateur Maltais : Vos chiffres me dépassaient, et je ne comprenais pas.
Parlons de la fonction publique. La fonction publique recherche de plus en plus des gens qui ont un certain niveau de bilinguisme, surtout au Québec, mais la fonction publique fédérale ne ferme pas la porte aux anglophones du Québec. Regardez la GRC. Tous les organismes à charte fédérale ne relèvent pas de la loi 101 — le projet de loi no 178 maintenant. C’est grâce aux tribunaux, parce que si ça avait été grâce à nous dans le temps, ils seraient là. Les tribunaux ont toujours dit que la loi fédérale avait la primauté sur la loi 101. Vous le savez.
Mme Ludvig : On peut vous fournir des statistiques. Ce n’est pas parce que c’est fermé — il est important de le comprendre —, c’est le fait qu’en réalité, soit à cause de la façon dont on recrute ou à cause des examens, je ne sais pas, il y a une sous-représentation des anglophones. Je ne pense pas qu’il y ait une réponse. C’est en raison de différents facteurs, mais le résultat, en réalité, c’est qu’il y a une sous-représentation des anglophones.
Le sénateur Maltais : Les entreprises à charte, en particulier les banques à charte en dehors de Montréal, offrent toutes des services en français. À Montréal, c’est un service en anglais à 50 p. 100 dans les succursales bancaires. Pourquoi? Parce qu’ils n’ont pas eu le choix de se franciser. Il reste que les anglophones peuvent aller travailler à la Banque Royale — tout près de ma résidence, sur la rue Cambronne. J’en connais. Je ne suis pas certain que ce soit aussi fermé que cela. J’aimerais avoir de meilleures statistiques que cela.
Quant au bilinguisme, aujourd’hui les jeunes sont passés à autre chose, ils ne sont plus des Québécois ou des Canadiens, ils sont internationaux, et la langue internationale, c’est l’anglais. Tous les jeunes Québécois aujourd’hui ont pour objectif d’apprendre l’anglais. Cela pourrait être la même chose dans votre cas.
Le président : Si vous avez effectivement des statistiques permettant d’éclairer le sujet, nous serions heureux de les recevoir.
[Traduction]
Le sénateur Mockler : Je voudrais d’abord vous féliciter de votre exposé, qui porte beaucoup à réflexion.
J’ai quelques questions. Je vous ferai part de mon expérience. Quand j’étais membre de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, j’étais responsable des langues officielles. En 2004, ayant décidé de moderniser les langues officielles, nous avons demandé à un groupe du Québec de venir nous faire bénéficier de son expérience.
J’ai quelques questions quant au rôle du commissaire aux langues officielles.
J’aimerais également savoir quel pourcentage de la communauté anglophone du Québec est en train de s’assimiler. Pensez-vous que dans l’avenir, votre communauté risque d’être assimilée?
M. Shea : Nous ne considérons pas comme de l’assimilation l’appartenance à une société qui s’ouvre à l’apprentissage d’une autre langue. Ce ne l’est du moins pas à mes yeux. C’est une augmentation de mes compétences. Nous encourageons la communauté anglophone à s’y mettre aussi. Nous n’y voyons pas d’assimilation.
La difficulté, pour nous, est de maintenir la vitalité des traditions anglophones dans la communauté. Le sénateur Maltais a parlé de sa région. Il a entièrement raison pour beaucoup de régions. Vous reconnaissez les problèmes que nous éprouvons à la maintenir.
Le mot « assimilation » ne fait pas partie de notre vocabulaire. Pour nous, c’est une occasion à saisir, et nous incitons nos communautés à s’engager dans l’apprentissage du français.
M. Chambers : Je suis absolument d’accord. Dans les années 1970 et 1980, notre communauté semblait en déclin. Elle a certainement subi un gros changement démographique, mais les statistiques ultérieures ont montré que ses effectifs étaient assez stables, peut-être même en légère croissance. Tout dépend de la définition.
On se pose de graves questions sur la vitalité et même la survie de notre réseau scolaire, dont, je pense, parlera le prochain témoin. L’accès à un réseau scolaire anglophone ne cadre pas avec nos gains et nos pertes démographiques.
Malgré ses effectifs stables, notre communauté n’a plus les mêmes familles linéaires d’ascendance écossaise ou irlandaise. Les effectifs restent stables, mais les arrivants n’ont pas légalement accès au réseau scolaire anglophone, tandis que les partants y avaient droit mais ne s’en prévalaient pas.
Le statu quo des rapports entre la communauté anglophone et la population de la majorité est harmonieux. Des dialogues féconds sur les services s’établissent entre notre communauté et le gouvernement de la province. Il reste beaucoup de pain sur la planche, mais, grâce au secrétariat, on a bon espoir de pouvoir travailler. Il y a des zones d’exposition — je pense particulièrement que nous soulignerions l’instruction primaire et secondaire — où il faudra examiner les règles.
Le sénateur Mockler : Est-ce que j’ai bien entendu, il y a quelques minutes, dans votre exposé, monsieur Shea, quand vous avez dit que vous aviez, vous ou votre groupe, rencontré le premier ministre?
M. Shea : Oui. Notre groupe et la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, au lancement du Plan d’action en matière de langues officielles, qui nous a donné l’occasion de le rencontrer. Nous lui avons alors soumis l’un de nos problèmes, envisager la représentation au comité parlementaire.
Il l’a aussi reconnu — mais je ne veux pas parler pour lui. Il n’a, bien sûr, pas besoin de moi pour le faire. En fait, notre minorité anglophone n’a pas l’habitude d’être en situation de minorité. Nous voulons faire reconnaître cette situation dans la version modernisée de la Loi sur les langues officielles. Il se peut que ses premiers rédacteurs n’aient pas songé à nous. Nous tenons à notre inclusion dans la version modernisée.
Le sénateur Mockler : Je suis tenté de vous poser une autre question, mais je m’en tiendrai à la raison pour laquelle je suis ici.
[Français]
Cela a toujours été un grand débat. Que ce soit en Acadie ou au Québec dans son ensemble à l’intérieur de la fédération canadienne. Qui est responsable de l’application de la Loi sur les langues officielles? On l’a entendu ici à maintes reprises, monsieur le président. Est-ce que cela devrait être le Conseil du Trésor, le Bureau du Conseil privé, Patrimoine canadien ou le cabinet du premier ministre, si l’on veut avoir un impact sur toutes les institutions canadiennes et provinciales?
[Traduction]
Mme Ludvig : Nous répondons à cette question particulière dans notre mémoire, mais sans recommander le nom d’un ministère ou quoi que ce soit.
Nous reconnaissons que les responsabilités sont dispersées, ce qui complique beaucoup la recherche de la personne responsable.
Nous avons le sentiment qu’il faut charger une sorte d’organisme central de l’application de la Loi sur les langues officielles, parce que le mode actuel de gouvernance est notre sujet grave d’inquiétude.
Nous avons découvert que, dans le passé, pendant peu de temps, le responsable a été le greffier du Conseil privé. Que cela avait donné de bons résultats, grâce à son autorité. Mais aussi que, pour rendre la responsabilité opérationnelle, comme c’est nécessaire, il ne convient pas de le lui demander, à lui qui est chargé de tous les ministères.
Un organisme central. C’est important qu’il y en ait un et qu’il soit logé dans un organisme, peu importe lequel, et les modalités sont importantes également. Nous ignorons lequel conviendrait. Nous ne proposons pas tel ou tel ministère. Nous reconnaissons la nécessité de réparer le mécanisme actuel.
Le président : Merci. Si vous permettez, revenons aux entreprises assujetties à la réglementation fédérale, à leur inclusion. Je n’appuie pas cette idée, mais je voudrais mieux comprendre, pour voir comment la mettre en œuvre et en connaître l’origine.
J’ai deux questions.
D’abord, comment ferions-nous pour insérer cette exigence dans une loi? Les entreprises seraient-elles soumises aux mêmes obligations que le gouvernement ou le seraient-elles à des normes légèrement différentes? Seraient-elles assujetties à toutes les parties de la loi ou à quelques parties seulement comme les parties IV ou V?
Ensuite, le commissaire aux langues officielles aurait-il le pouvoir de faire enquête sur les entreprises privées faisant partie d’une industrie régie par des règlements fédéraux?
M. Chambers : Au Québec, le régime pour toutes les autres entreprises, la Charte de la langue française prévoit des règlements tout à fait envahissants.
Je ne suis pas certain que, idéologiquement, nous favorisons une surveillance très autoritaire. Je ne crois pas qu’une surveillance réglementaire permettant de faire respecter les règles ne soit pas appropriée pour les droits de la personne — c’est bien ce dont il s’agit.
Nous ne croyons pas qu’elles sont particulièrement pénibles ou coûteuses pour ces entreprises ni que ces entreprises y résisteront.
Il y a des études à faire. Je l’avoue, nous ne sommes pas des spécialistes des différentes répercussions possibles de ces règles sur les entreprises de différentes tailles.
Il est très évident que les grandes entreprises, celles que nous avons énumérées, les banques et les entreprises de télécommunication et ainsi de suite, ont essentiellement compris leurs obligations à l’égard de leur clientèle et de leurs employés, qu’elles font assez bien leur travail et qu’elles ne trouveraient pas pénibles ces exigences.
Peut-être que de petites entreprises assujetties pourraient trouver coûteuses certaines exigences et qu’elles éprouveraient des difficultés à s’y adapter. Il conviendrait peut-être d’étudier cet aspect, avant de les appliquer, ce que nous n’avons pas été en mesure de faire en détail.
Nous ne nous y attendons pas. Je dois avouer que je révèle ici des choses indiscrètes, parce que mon entreprise est l’une d’entre elles, dans le secteur des petites compagnies ferroviaires, du moins celles qui sont plus petites que les géants du secteur. Je ne m’attends pas à de grandes difficultés.
Je pense essentiellement que le milieu de travail au Québec doit être réceptif aux besoins des clients et des employés. Il le fait effectivement sur le plan linguistique.
Ce ne serait pas si difficile. Il faudrait examiner la question avant de promulguer un règlement. Nous voudrions que le dossier avance assez vite, vu que les avantages l’emportent de beaucoup sur les inconvénients, non seulement au Québec mais dans tout le pays.
Le président : En avez-vous discuté avec les parties prenantes? Quelle a été leur réaction?
M. Chambers : Nous avons organisé un peu de consultations à la bonne franquette. Nous ne voulions pas insérer cette recommandation dans notre mémoire sans avoir une idée de l’opinion du monde des entreprises. Nous n’avons reçu aucune réaction négative au Québec.
Cependant, nous n’avons pas parlé aux mêmes autorités dans le pays. Nous croyons que nos homologues des minorités francophones l’ont fait. Demandez-leur comment les mêmes entreprises réagiraient en Colombie-Britannique ou en Nouvelle-Écosse. Nous avons appris que ce ne serait pas particulièrement coûteux, difficile ou si différent.
Le président : Je tiens à vous remercier sincèrement, messieurs Shea et Chambers, mesdames Ludvig et Martin-Laforge, pour votre exposé et votre participation. Vos points de vue intéressants nous guideront dans notre étude.
Nous sommes heureux d’accueillir des organisations qui représentent la communauté anglophone du Québec dans les secteurs de l’éducation et de la santé.
Nous accueillons ainsi les représentants de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec : sa présidente, Mme Jennifer Maccarone, et Mme Marion Sandilands, de Power Law. Nous souhaitons aussi la bienvenue aux représentants du Réseau communautaire de santé et de services sociaux : sa directrice exécutive, Mme Jennifer Johnson, set on gestionnaire de programmes, M. Russel Kueber. Tous deux comparaissent par vidéoconférence depuis Québec.
L’Association des commissions scolaires anglophones du Québec représente les neuf commissions scolaires anglophones du Québec. Elle dessert une clientèle de quelque 100 000 élèves répartis dans plus de 340 écoles primaires et secondaires et des centres d’éducation des adultes et de formation professionnelle. Le Réseau communautaire de santé et de services sociaux est un réseau de ressources et d’organisations communautaires qui vise à assurer aux anglophones du Québec l’accès à ces services.
Mesdames et messieurs, merci d’être avec nous.
Jennifer Johnson, directrice exécutive, Réseau communautaire de santé et de services sociaux : Je suis heureuse de votre invitation. Merci de votre présentation. Je suis la directrice du Réseau communautaire de santé et de services sociaux. Mon collègue, Russel Kueber, est gestionnaire de programmes.
Notre objectif premier est de promouvoir l’accès aux services de santé et aux services sociaux en anglais dans la province de Québec. Nous le faisons surtout grâce à des partenariats noués avec 21 organisations de partout dans la province. Nous avons un mandat non équivoque de développer la base de connaissances de la communauté anglophone; nous possédons une assez importante base de données de cette communauté.
Je me propose de répondre à des questions très particulières que vous nous avez soumises comme sujets de réflexion. Je répondrai donc particulièrement à celle-ci : la loi devrait-elle définir la notion de « mesures positives »? Je crois que notre organisation peut vous communiquer un bon point de vue.
Oui, nous croyons qu’il faudrait définir la notion de mesure positive. Non seulement croyons-nous l’idée bonne, mais nous croyons aussi pouvoir vous donner un bon exemple de mesure positive.
Notre organisation collabore avec Santé Canada depuis 15 ans pour améliorer la vitalité des communautés anglophones du Québec, et avec beaucoup de succès. Santé Canada a élaboré une politique d’accords de contribution pour procurer des ressources aux communautés, directement par l’entremise d’organisations communautaires et de l’Université McGill.
Au Québec, deux bénéficiaires reçoivent le financement fourni par Santé Canada. Ce n’est pas un transfert d’argent entre gouvernements, mais bien un programme de contributions.
Il agit directement sur la vitalité des communautés de la province et, depuis 15 ans, il a permis de transférer plus de 150 millions de dollars à la communauté anglophone du Québec. Le gouvernement de la province le considère comme une méthode efficace de soutien de la population anglophone et d’amélioration de l’accès aux services de santé et aux services sociaux de langue anglaise.
Nous avons signé un accord avec le gouvernement de la province qui autorise les deux bénéficiaires à distribuer ces ressources dans la province, aux organisations communautaires, pour l’amélioration locale de l’accès, et directement à des établissements de santé de toute la province. Voilà un exemple unique en son genre d’organisation communautaire qui fournit des ressources à des établissements de santé pour les aider à améliorer l’accès à des services de santé et à des services sociaux en anglais. On pourrait en répandre le modèle dans d’autres ministères et d’autres zones d’influence dans la communauté anglophone.
L’effort vise à assurer à la communauté anglophone une influence sur les modalités de dépenses des ressources. Nous élaborons les priorités avec ses représentants. Nous faisons approuver ces priorités par le gouvernement du Québec, pour les faire correspondre à celles de son ministère de la Santé. Le financement de Santé Canada appuie ces priorités concertées. On a ainsi établi une relation et un respect importants entre la province, les organisations communautaires, les bénéficiaires et l’administration fédérale.
Les francophones hors Québec se sont inspirés de la description de ce programme pour leurs programmes dans les provinces. Non seulement ce programme profite-t-il à la communauté anglophone du Québec, mais il profite aussi aux communautés francophones hors Québec. Il a démontré son adaptabilité aux deux minorités linguistiques du pays.
Il importe de noter que ce n’est pas un transfert intergouvernemental de ressources. Cela a été un élément important pour nous, dans la communauté anglophone. Cela nous permet de conserver un sentiment d’appropriation et de maîtrise sur la distribution des ressources dans la communauté et dans la province.
Russel Kueber, gestionnaire de programmes, Réseau communautaire de santé et de services sociaux : Sur notre définition de « mesure positive », l’un des éléments que Jennifer a mentionnés, mais que je voudrais mettre en relief, nous croyons, outre l’amélioration de l’accès aux services de santé et aux services sociaux, que nous voulons augmenter et appuyer la capacité des organisations communautaires. Les organisations communautaires anglophones en situation de minorité reçoivent directement les ressources. Et mon rôle, par exemple, est d’offrir un appui et un accompagnement stratégiques au développement et au soutien de ces organisations.
Nous estimons que ce soutien financier accordé directement aux organisations et que ce partage et transfert de connaissances entre elles aident au développement de leur potentiel tout en renforçant la vitalité des communautés.
Mme Johnson : Oui, il faudrait définir la notion de « mesures positives ». On peut en donner des exemples. Nous préconisons ce modèle comme exemple.
Le président : Merci beaucoup pour votre exposé. Entendons maintenant Mme Maccarone.
Jennifer Maccarone, présidente, Association des commissions scolaires anglophones du Québec : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de votre invitation. Notre association salue cette occasion d’entamer la discussion avec vous sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Depuis 1929, notre association et ses prédécesseurs ont servi de courroie de transmission aux commissions scolaires, aux commissaires élus et aux parents, pour le partage d’idées et la collaboration en vue d’atteindre l’objectif commun de notre communauté, qui est d’assurer des services d’éducation de qualité. Les commissions scolaires membres de notre association servent une clientèle de 100 000 élèves de 340 écoles primaires, secondaires et de centres d’éducation des adultes et de formation professionnelle dans tout le Québec.
Les commissions possèdent chacune ses caractéristiques démographiques, ses orientations et son historique particuliers. Toutes partagent une sensibilité propre au Québec anglais à l’égard de la prestation de services publics d’éducation qui tiennent également compte des besoins et des manques de tous les élèves, du personnel et des communautés.
Naturellement, nous insisterons aujourd’hui sur l’éducation publique. L’éducation n’est pas seulement la pierre angulaire de toute société; c’est aussi l’élément indispensable de la vitalité et de la longévité des communautés linguistiques en situation minoritaire. Les écoles et les commissions scolaires jouent un rôle très important dans le développement des communautés. Elles sont les foyers, le lieu de rencontre et les fournisseurs de services d’une grande partie de notre communauté linguistique en situation minoritaire. Pour notre communauté, le système d’éducation est beaucoup plus qu’un fournisseur de services pédagogiques. C’est par lui que nous développons nos générations futures.
Il est clair que notre communauté lutte pour maintenir ses institutions et même sa masse critique. En 1972, elle comptait 171 000 élèves inscrits. Aujourd’hui, officiellement, ils sont 99 000, y compris dans les programmes d’éducation des adultes et de formation professionnelle. C’est une baisse de plus de 40 p. 100 en 40 ans. La tendance se poursuit. Le nombre des seuls élèves des écoles primaires et secondaires est de 80 000, et on prévoit que, d’ici 2023, les inscriptions dans ces établissements baisseront encore et seront de 77 000.
Loin de nous affaiblir, nos luttes nous renforcent. Les commissions scolaires anglaises du Québec ont contribué de façon importante à l’éducation dans cette province et au bilinguisme au Canada. Tout d’abord, les élèves sortant de nos écoles publiques sont capables de vivre et de travailler en français. Notre système scolaire est un précurseur mondial de l’enseignement du français langue seconde, et, rappelez-vous, l’immersion française est née dans le réseau public anglais du Québec.
Nos commissions scolaires sont très conscientes que la viabilité de notre collectivité dépend du fait que nos jeunes puissent rester et travailler au Québec. C’est pourquoi elles ont pris toute une série de mesures pour veiller à ce que les programmes de français langue seconde et de langue maternelle soient de calibre mondial.
Deuxièmement, en raison des distances, de la faible densité de population et des ressources limitées, notre réseau d’écoles publiques anglophones est devenu un exemple d’engagement et d’innovation. Des techniques d’apprentissage du XXIe siècle à l’appui de l’éducation à distance, jusqu’à l’apprentissage en ligne, en passant par les programmes et les services partagés, les échanges avec nos commissions scolaires francophones et les partenariats communautaires et commerciaux, nos écoles s’adaptent aux besoins changeants et aux défis auxquels elles font face.
Chaque jour, des milliers de parents et de bénévoles de la communauté fournissent un soutien irremplaçable et inestimable au personnel des écoles. Nos commissions scolaires ont élaboré des programmes fondés sur la compassion et tournés vers l’avenir pour inclure les élèves à besoins particuliers à un taux de 90 p. 100. Notre taux d’obtention d’un diplôme d’études secondaires, à un taux de réussite combiné de 89 p. 100, est bien au-dessus de la moyenne provinciale.
Nos commissions scolaires et notre collectivité sont très fières de ce qu’elles ont bâti ensemble dans des conditions parfois très difficiles.
Au moment où vous planifiez de moderniser la Loi sur les langues officielles, l’ACSAQ joint sa voix à celle du Quebec Community Groups Network. Nous appuyons les propositions présentées par le QCGN sur la nécessité de faire en sorte que la loi exige des consultations rigoureuses, obligatoires et dotées des ressources appropriées auprès des communautés de langue officielle en milieu minoritaire.
Nous appuyons fermement la recommandation du QCGN visant à prévoir des mécanismes de transparence stricts dans la loi, afin de justifier les investissements en matière de langues officielles. Comme les membres de ce comité le savent, le financement fédéral dans le volet de l’éducation des langues officielles est fourni par l’entremise d’un Protocole d’entente relatif à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement de la langue seconde. Toutefois, les ententes signées dans le cadre de ce protocole ne prévoient pas de mécanismes de transparence adéquats. En effet, il n’existe aucun moyen de vérifier où l’argent est dépensé dans le cadre de ces ententes. Nous sommes préoccupés par le manque continu de transparence et de rapports de la part du gouvernement fédéral. Nous demandons, mais on nous les refuse, des renseignements précis sur la façon dont les fonds sont distribués, sur les bénéficiaires du financement, sur les projets financés, sur la proportion de financement de base comparativement au financement de projets, et cetera.
De plus, nous savons qu’environ 60 p. 100 des 65 millions de dollars transférés au Québec sont attribués à la bourse centrale, et envoyés au ministère des Finances, qui ne divulgue pas non plus la ventilation de ces fonds.
Pire encore, notre communauté ne peut pas participer aux négociations ou à la supervision de ces ententes. Nous n’avons pas de place à la table.
Les membres de votre comité ont recommandé d’améliorer la transparence de ces investissements à plusieurs reprises. Toutefois, les gouvernements successifs n’ont pas tenu compte de cette recommandation. Une loi modernisée doit faire de la transparence un élément obligatoire de ces ententes. Une loi modernisée doit aller plus loin. La dernière révision de la loi remonte à 1988. C’était avant la décision fondamentale Mahe c. Alberta, une décision rendue par la Cour suprême en 1990. Dans cette affaire, la Cour suprême a reconnu que les ayants droit, en vertu de l’article 23 de la Charte, avaient droit à la gestion et au contrôle exclusif des éléments de l’éducation qui concernent la langue et la culture. Ainsi, il n’est pas surprenant que la partie de la Loi sur les langues officielles qui régit le financement fédéral pour l’éducation dans la langue de la minorité — c’est-à-dire la partie VII — n’intègre aucune notion de gestion et de contrôle par la communauté de langue officielle en situation minoritaire.
Une Loi sur les langues officielles modernisée doit combler cette lacune. Elle doit établir un cadre qui crée l’espace approprié pour la gestion et le contrôle de l’éducation par la communauté de langue officielle en situation minoritaire.
À cet égard, nous nous faisons l’écho du Conseil des écoles fransaskoises et du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, qui ont demandé à votre comité de moderniser la loi pour y ajouter un nouveau cadre lié à l’administration du financement fédéral et de l’éducation qui exige une transparence appropriée et tient compte du droit de gestion et de contrôle accordé aux minorités dans la Charte.
Nous aimerions également soulever la question du recensement. Comme vous l’ont déjà dit d’autres intervenants, notamment la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique et l’Association canadienne-française de l’Alberta, le recensement peut et devrait être une source importante de renseignements pour les commissions scolaires de langue minoritaire.
À l’extérieur du Québec, le recensement est la seule source de données relatives au nombre et à la distribution géographique des enfants des titulaires des droits garantis par l’article 23. Le portrait fourni par le recensement est très incomplet. Au Québec, la situation est encore pire. En effet, le recensement ne compte aucun titulaire de droits garantis par l’article 23 au Québec.
Permettez-moi de m’expliquer. Comme vous le savez, l’article 23 de la Charte établit les trois catégories de citoyens qui ont le droit de faire instruire leurs enfants dans une langue minoritaire. La première catégorie est celle des parents dont la première langue apprise et toujours comprise est celle d’une minorité linguistique de la province. Actuellement, c’est la seule catégorie dont tient compte le recensement. Toutefois — et je suis sûre que vous le savez —, cette catégorie ne s’applique pas au Québec. Ainsi, le recensement ne recueille actuellement aucune donnée sur les titulaires de droits garantis par l’article 23 au Québec.
Nous devons être en mesure de déterminer notre bassin de clients potentiels. En raison de la baisse du nombre d’inscriptions, c’est essentiel à notre survie. Des données exactes amélioreraient notre planification à long terme, nos efforts stratégiques avec le gouvernement provincial et, manifestement, nos efforts en vue de recruter des élèves dans le système. Toutes ces choses pourraient être améliorées si nous avions des données exactes sur le nombre de titulaires de droits et sur leur situation géographique.
En collaboration avec nos homologues francophones de l’extérieur du Québec, nous tentons de modifier le recensement, afin qu’il tienne compte de tous les titulaires de droits d’un bout à l’autre du pays. Votre comité pourrait nous aider à y parvenir.
Une Loi sur les langues officielles modernisée devrait permettre et encourager ou, encore mieux, exiger que Statistique Canada ajoute des questions de recensement qui dénombrent toutes les catégories de titulaires de droits garantis en vertu de l’article 23 de la Charte. Merci.
Le président : Merci beaucoup. Nous passons maintenant aux questions.
[Français]
La sénatrice Gagné : Je vous remercie de vos présentations et de votre présence ici ce soir. Pour ce qui est des témoins qui nous ont fait part des ententes qui existent entre Santé Canada et vos organisations, je voulais simplement vous dire que ce modèle est cité en exemple aussi dans la francophonie canadienne, c’est-à-dire à l’extérieur du Québec, comme une façon efficace d’assurer une application de la partie VII, soit avec des mesures positives. Il est plus facile de suivre la trace des transferts, soit l’argent qui est versé aux organisations, lesquelles participent à l’élaboration des priorités et des plans d’action. Pour avoir beaucoup participé à développer le secteur de la santé en tant que rectrice de l’Université de Saint-Boniface à l’époque et de coprésidente du Consortium national de formation en santé, je sais très bien que ce modèle fonctionne et je vous encourage à continuer dans cette veine.
Vous avez mentionné les défis de l’encadrement de la reddition de comptes. Avez-vous des suggestions concrètes sur la façon d’encadrer les obligations linguistiques qui découlent des ententes fédérales-provinciales ou territoriales en matière d’éducation, et aussi en matière de santé, de sorte que nous puissions être en mesure de suivre les fonds une fois qu’ils ont été transférés à la province? Commençons par l’éducation, avant d’aborder la santé.
Mme Maccarone : Patrimoine canadien a seulement des pouvoirs de consultation. Je dirais qu’il s’agit d’un bon endroit pour effectuer un changement de pouvoir. Comme réseau en éducation, nous consultons régulièrement Patrimoine canadien pour obtenir une reddition quant au manque de transparence lié au financement du réseau en éducation. Lui-même dit avoir les mains liées. Ils ne peuvent mener des actions au niveau provincial, car l’éducation fait partie d’un mandat provincial. Selon moi, il serait préférable que le gouvernement fédéral exige que la transparence fasse partie des dispositions de transfert de fonds publics. Ainsi, lorsque les communautés minoritaires demandent de la transparence, le gouvernement sera en mesure de répondre concrètement à leurs demandes. Il me semble que, quand on parle de fonds publics, cela devrait être facile.
Aussi, la difficulté que nous avons, c’est que l’argent est versé dans plusieurs domaines provinciaux. Est-ce que c’est Patrimoine canadien, le Conseil du Trésor du Canada, le ministère des Finances ou le ministère de l’Éducation? Il serait utile, comme le QCGN vient de le mentionner, d’avoir une entité qui puisse englober le réseau pour être en mesure d’offrir cette transparence.
La sénatrice Gagné : Qu’en est-il des dispositions linguistiques dans les ententes fédérales-provinciales? Est-ce qu’il devrait y avoir des dispositions beaucoup plus spécifiques dans les ententes de transfert?
Mme Maccarone : Oui.
[Traduction]
Des dispositions relatives à la reddition de comptes dans les protocoles et dans toutes les ententes seraient très bien accueillies. Elles devraient être obligatoires. Il n’est pas suffisant de dire qu’une chose est exigée, car d’après ce que je comprends, il existe de nombreux éléments relatifs aux protocoles d’ententes — plus précisément la partie VII, par exemple —, mais ils ne sont pas appliqués. Je vous suggère de les rendre obligatoires et de faire en sorte qu’un dossier d’information soit échangé et rendu accessible.
[Français]
La sénatrice Gagné : Aviez-vous des commentaires au sujet du cadre de reddition de comptes, madame Johnson?
[Traduction]
Mme Johnson : Je pense qu’en ce qui concerne la santé et les services sociaux, nous avons réussi à assurer la transparence dans les demandes de ressources. Je crois que vous pourriez examiner le secteur de la santé, car c’est un bon exemple.
Certains intervenants de Santé Canada pourraient probablement vous donner une idée de la façon dont ils ont structuré les programmes de santé, c’est-à-dire les programmes de santé et de services sociaux. Je vous suggère de parler directement à Sally Scott, du bureau qui gère ce portefeuille, afin de lui demander son avis.
La sénatrice Moncion : Il y a beaucoup de points communs entre les besoins des anglophones du Québec et ceux des francophones d’un bout à l’autre du Canada. Dans les milieux en situation minoritaire, on parle de reddition de comptes, de consultations, de parties intéressées et de participation à la table des négociations. Vous parlez de statistiques et de mesures positives.
Dans quelle mesure collaborez-vous avec vos homologues canadiens dans ce domaine? Êtes-vous seuls pour vous occuper des enjeux qui existent au Québec? C’est la même chose dans le cas du groupe de santé communautaire. Êtes-vous seuls ou échangez-vous avec vos homologues d’un bout à l’autre du Canada?
Mme Maccarone : C’est une excellente question. Non, nous ne sommes pas seuls. Je dirais que l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec a vraiment l’impression de faire partie des groupes francophones d’éducation en milieu minoritaire de l’extérieur de la province. En effet, nous communiquons régulièrement avec ces groupes à titre de membres de l’Association canadienne des commissions scolaires. Cela nous donne l’occasion de faire du réseautage. Nous participons aussi fréquemment aux réunions de la FNCSF. Nous participons à leurs assemblées générales annuelles.
Lorsqu’il s’agit de mesures politiques qui, nous le savons, ont des répercussions importantes sur notre communauté en situation minoritaire dans la province de Québec, nous nous réunissons pour former une grande famille. Je pourrais vous donner l’excellent exemple de l’échec du projet de loi 86, au Québec, qui aurait apporté des changements importants au système de gouvernance en matière d’éducation. Ce dénouement est en grande partie attribuable à l’effort communautaire déployé non seulement au Québec, mais également à l’extérieur du Québec. Ces changements auraient eu des répercussions importantes sur les communautés en situation minoritaire. Nous collaborons donc fréquemment.
Mme Johnson : Nous avons également une très bonne relation avec notre homologue du reste du Canada, c’est-à-dire la Société Santé en français. Comme c’est le cas dans le secteur de l’éducation, nous participons mutuellement aux réunions de chacun. Nous discutons régulièrement d’enjeux précis qui sont importants pour nos deux organismes. Je dirais que nous avons une bonne relation.
La sénatrice Moncion : Merci.
Mon autre question concerne les fonds. Dans le groupe de santé, vous parliez de 150 millions de dollars en financement, au fil du temps, pour l’Université McGill et un autre groupe, je crois. Vous affirmez que ce sont de très bons projets pour vous. Pourriez-vous expliquer comment l’université interagit avec votre organisme?
Mme Johnson : Oui. Il y a deux bénéficiaires évidents de cette enveloppe de financement. Il y a l’Université McGill, qui reçoit des fonds pour l’éducation et la formation linguistique, et il y a le Réseau communautaire de santé et de services sociaux, qui obtient des ressources pour le réseautage et la collaboration avec nos partenaires publics pour appuyer les efforts en vue d’améliorer l’accès.
Les ressources de l’Université McGill sont principalement versées aux établissements de soins de santé d’un bout à l’autre de la province, afin qu’ils offrent une formation langagière aux professionnels de la santé. De plus petites sommes sont également réservées pour les programmes de bourses pour les étudiants qui étudient dans le secteur de la santé et des services sociaux, pour les programmes de rétention, et même pour la promotion de certaines recherches.
Dans le secteur communautaire, notre enveloppe est répartie entre l’établissement de réseaux, le perfectionnement des connaissances de la communauté, les données, et cetera. Elle appuie également l’amélioration des services dans nos établissements de santé.
Ces 150 millions de dollars sur 15 ans ont eu des répercussions importantes sur la communauté anglophone du Québec. Je dirais que ces répercussions ont même dépassé le secteur de la santé. En effet, cet argent a influencé d’autres secteurs, car un solide organisme communautaire qui a atteint ses objectifs dans le domaine de la santé commence soudainement à les atteindre aussi dans le développement économique et dans les programmes pour les enfants de zéro à cinq ans, et cetera. Cela a engendré un effet domino dans les collectivités d’un bout à l’autre de la province.
En fait, grâce au soutien à la formation langagière qu’ils obtiennent de l’Université McGill, aux ressources que nous leur fournissons et au fait que des organismes communautaires locaux peuvent parler en leur nom et collaborer avec des partenaires publics, les établissements de soins de santé, pour la première fois depuis des générations, ont l’impression d’avoir la capacité nécessaire pour améliorer l’accès à leurs services locaux dans leurs collectivités.
Au cours des 15 dernières années, on a commencé à mieux comprendre la réalité de la communauté anglophone, et sa capacité de changer et d’adapter les services pour mieux servir ses communautés. De plus, cette impression de vitalité et d’identité de la communauté est beaucoup mieux définie.
La sénatrice Moncion : Est-ce le programme que vous suggériez d’imiter, car c’est un exemple de réussite et de croissance?
Mme Johnson : Je crois qu’il y a des éléments transférables dans le modèle que nous avons élaboré dans le secteur de la santé et des services sociaux. Toutefois, vous ne pouvez pas prendre les éléments que nous avons élaborés et les intégrer à un autre programme sans les adapter. Je crois qu’il y a quelques éléments importants qui sont transférables, par exemple veiller à ce qu’il y ait des programmes de contributions dans lesquels les communautés reçoivent et contrôlent les ressources. Ces communautés exercent une grande influence sur l’établissement des priorités. Il faut établir une bonne relation entre les organismes provinciaux qui travaillent dans ce domaine et les organismes communautaires qui travailleront dans ces domaines.
Je crois que tous ces principes peuvent être utiles dans un grand nombre de différents secteurs.
La sénatrice Moncion : En ce qui concerne l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec, vous disiez que le gouvernement provincial reçoit, je crois, 65 millions de dollars par année, et vous ne voyez pas cet argent ou vous ne semblez pas savoir où cet argent est dépensé.
Mme Maccarone : C’est exact. Nous avons posé la question à de nombreuses reprises, afin de nous faire une idée de la situation.
Certains de ces fonds sont versés à la table des directeurs généraux pour qu’ils soient répartis entre les neuf commissions scolaires anglophones, qui établissent des priorités en matière d’éducation. Nous savons, par exemple, qu’environ 35 millions de dollars devraient être affectés aux fonds d’infrastructure. Rien n’est clair. Il n’y a aucun détail. Nous n’avons pas eu accès à ces fonds. J’ai participé à des réunions avec le premier ministre du Québec et je lui ai demandé si son gouvernement était en mesure de faire preuve de transparence au sujet de ces fonds, et il ne peut même pas nous donner ces détails.
Cela soulève des préoccupations, car si nous présumons qu’on prévoit de 8 000 $ à 10 000 $ par élève dans la province — présumons qu’il s’agit de 10 000 $ par élève. Nous savons que les plus petites écoles d’une collectivité en milieu minoritaire ont besoin de fonds supplémentaires.
Un peu plus tôt, nous avons mentionné la région de Gaspé. Ce territoire de commission scolaire couvre plus de 4 000 kilomètres — c’est la superficie de l’Espagne — pour 1 200 élèves. Certains de nos élèves doivent prendre l’avion ou un traversier pour se rendre à l’école. Il existe des écoles qui ont une seule salle où s’entassent 40 élèves de la maternelle à la 11e année. Manifestement, ils auront de plus grands besoins, mais le financement, c’est-à-dire 10 000 $ par élève, n’est pas augmenté en fonction de leurs besoins. On se demande si chaque élève est traité de façon équitable dans la province de Québec, et c’est peut-être en raison d’un manque de transparence.
Il se peut que ces 10 000 $ comprennent 9 000 $ et ensuite 1 000 $ de financement fédéral. Nous sommes incapables d’obtenir les précisions nécessaires pour déterminer si c’est la réalité dans notre collectivité ou si les élèves reçoivent 10 000 $ plus 1 000 $ pour répondre à leurs besoins très diversifiés et précis.
La sénatrice Moncion : Encore une fois, il y a de nombreux points communs entre ce que vous dites et ce que nous observons dans d’autres provinces où les francophones ont aussi des inquiétudes. Merci.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue, mesdames et monsieur. Je vais commencer par l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec, parce que je vous connais bien.
Mme Maccarone : Ah oui? Bonne nouvelle.
Le sénateur Maltais : Dans les années 1976-1978, j’étais vice-président de la Fédération des commissions scolaires du Québec et nous travaillions avec le directeur général de Montréal de l’époque.
Mme Maccarone : C’était une bonne relation j’espère.
Le sénateur Maltais : Très bonne. La preuve, c’est que, sur la Côte-Nord, nous avons une commission scolaire anglophone qui fais partie de l’Association des commissions scolaires de la Côte-Nord, qui regroupe toutes les petites municipalités de Mingan à Saint-Augustin. Il y a 11 communautés entièrement anglophones. Cela fonctionne très bien.
Vous avez un sous-ministre de l’Éducation aux affaires anglophones, si je ne me trompe pas?
Mme Maccarone : Récemment nommé.
Le sénateur Maltais : Voilà. Je crois que vous faites des échanges très fructueux entre les deux communautés sur le plan des commissions scolaires. Ce n’est pas la guerre, comme on le voit au Nouveau-Brunswick où les élèves francophones ne peuvent prendre le même autobus que les élèves anglophones. Il n’y a plus ce genre de guerre depuis 1759. Il y a beaucoup d’échanges productifs. Surtout, pour les jeunes qui se préparent à poursuivre leurs études au niveau collégial et universitaire, c’est indispensable.
Vous avez parlé de dénatalité et du nombre d’anglophones qui diminue. C’est le même pourcentage que chez les francophones. Les familles sont moins nombreuses qu’il y a 50 ans. C’est malheureux, mais c’est la réalité. Nous devons composer avec cela. J’imagine que ce n’est pas facile pour vous. Vous avez de grandes écoles. Les subventions sont données pour l’entretien au pied carré. Si vous n’occupez que la moitié de l’espace, vous n’aurez que la moitié de la subvention, mais la loi vous oblige à entretenir toute l’école. Donc, vous vivez le même problème que les francophones sur ce point.
En ce qui concerne les ententes particulières, nous pouvons établir d’entrée de jeu que l’éducation est de compétence provinciale. Il y a des ententes avec Patrimoine canadien. Vous en avez et vous en aurez encore. Le problème, c’est que les ententes ne sont pas récurrentes, vous ne pouvez pas vous baser sur elles à long terme, pour préparer un plan quinquennal, par exemple. Si, par exemple,vous voulez rénover votre gymnase sur une période de cinq ans à raison de 1 million de dollars par année, vous ne pourrez pas le faire, parce que le financement n’est pas récurrent. Cela dépend de la bonne humeur du ministre et de ses budgets. Cette dépendance n’est pas normale. Cela devrait être récurrent lorsqu’il y a des ententes à long terme; des ententes factuelles, ça va, mais à long terme.
Pour ce qui est de la reddition de comptes, nous avons reçu à deux reprises le président du Conseil du Trésor du Canada, Scott Brison. La première année de sa nomination, je lui ai demandé s’il pouvait s’assurer qu’il y ait une reddition de comptes quant à l’argent qui est versé par Patrimoine canadien aux provinces. Il m’a répondu qu’il n’y avait pas de problème, et je lui ai souhaité bonne chance. Il m’est revenu deux ans plus tard en me disant que c’était impossible. Je le savais, parce que ce sont des transferts globaux qui sont transférés aux provinces et que les provinces les traitent dans leur juridiction. En matière de santé et d’éducation, ce sont les provinces qui en font le départage et non pas le gouvernement fédéral.
Souvent, on reproche au ministre de Patrimoine canadien de ne pas verser l’argent prévu. Ce n’est pas nécessairement vrai. Le gouvernement canadien l’a versé dans des transferts globaux, et c’est aux provinces d’en faire la distribution. Dans le cas de situations telles que celles vécues en Colombie-Britannique, c’est parce que la province n’en verse pas au conseil scolaire francophone. Il en va de même pour d’autres provinces que je ne nommerai pas.
Si c’était indiqué dans la Constitution, les sommes versées seraient destinées à l’éducation, et il n’y aurait pas de problème. Toutefois, l’argent est versé globalement dans ce qu’on appelle la péréquation et les provinces en font la répartition. Donc, oubliez la reddition de comptes. Au Québec, c’est possible si vous avez une entente particulière avec le gouvernement du Québec. Disons que le budget prévoyait 100 000 $ et que vous en avez reçu 40 000 $; vous avez le droit de savoir où les 60 000 $ sont allés grâce à la Loi sur l’accès à l’information et à la Loi sur le Protecteur du citoyen.
Maintenant, j’aimerais savoir combien d’élèves francophones vous accueillez.
Mme Maccarone : C’est une très bonne question. Nous n’avons pas de chiffres exacts, mais de 25 à 30 p. 100 de nos élèves sont francophones.
Le sénateur Maltais : Vous accueillez également des élèves anglophones d’autres provinces.
Mme Maccarone : Oui, mais ce chiffre est minime.
Le sénateur Maltais : À Québec, la base militaire de Valcartier accueille beaucoup de militaires qui viennent de partout au Canada et, souvent, ce sont des anglophones. La commission scolaire anglophone leur offre l’éducation de la maternelle jusqu’au collège, parce qu’il reste un cégep anglophone.
Mme Maccarone : Ce sont des ayants droit.
Le sénateur Maltais : C’est bien cela? Merci beaucoup, madame.
En matière de santé, c’est encore la même chose. Vous pouvez avoir des ententes particulières une année, mais qui se terminent, parce que tout est dans les transferts fédéraux. Vous avez un sous-ministre anglophone à la Santé au Québec, je crois, ou un directeur général, si je ne me trompe pas. Le hic, c’est que les ententes particulières que vous avez conclues avec McGill ne se renouvelleront pas tous les ans. Vous n’en obtiendrez pas non plus une reddition de comptes, parce que les crédits qui sont transférés pour la santé relèvent de la province. Or, les provinces sont jalouses de la répartition de leur budget global.
Je tiens à vous féliciter pour les crédits de 150 millions de dollars. C’est intéressant.
Quelle est l’étendue du territoire où vous offrez des services?
[Traduction]
Mme Johnson : Tout d’abord, j’aimerais préciser que nous avons signé des ententes de contribution sur cinq ans. Nous ne signons pas une nouvelle entente de contribution chaque année. Depuis 2003, nous avons signé trois différentes ententes de contribution. Cela nous aide à élaborer des plans à long terme et à établir des partenariats et des relations. Il est très important de pouvoir compter sur ce type de stabilité.
En ce qui concerne nos territoires, nous avons des réseaux dans chaque région de la province de Québec, à l’exception du Saguenay, où nous travaillons à la mise sur pied d’un organisme. C’est le seul territoire, en ce moment, où nous n’avons pas de réseau. Il y a également plusieurs sous-régions qui n’ont pas de réseau pour les représenter dans le secteur de la santé et des services sociaux. Nous tenterons de régler la question de ces réseaux à l’aide, nous l’espérons, de nouvelles ressources supplémentaires que nous fournira Santé Canada dans ce nouveau cycle de financement.
[Français]
Le sénateur Maltais : Allez-vous dans les communautés autochtones de langue anglaise? Je pense particulièrement aux Innus et aux Atikamekw. Allez-vous dans ces territoires ou est-ce que vous vous limitez au bord du Saint-Laurent?
[Traduction]
Mme Johnson : Plusieurs de nos réseaux entretiennent de bonnes relations avec les collectivités des Premières Nations anglophones. Par exemple, dans la région de Gaspé, nos réseaux collaborent avec les collectivités micmaques. Sur la Côte-Nord, ils collaborent avec la communauté naskapie et en Montérégie, nous avons établi une relation avec la communauté mohawk. Je ne dirai pas que nous les desservons, mais je crois que nous avons établi de bonnes relations et que nous tentons de veiller à entretenir un bon dialogue.
Ces gens ont leurs propres comités qui représentent…
[Français]
Le sénateur Maltais : Lorsque je fais référence aux communautés du Nord du Québec, je ne parle pas des Naskapis, parce qu’ils sont collés sur le fleuve. Je fais référence aux habitants de Schefferville, de la baie James et de la baie d’Hudson. Offrez-vous des services à cette communauté innue?
[Traduction]
Mme Johnson : Chacun de nos réseaux offre des services à l’échelle locale. Si un membre anglophone d’une Première Nation souhaite recevoir des services, alors oui, absolument. Ce ne sont pas des services conçus pour les collectivités des Premières Nations, mais si leurs membres souhaitent participer, ils le peuvent certainement.
[Français]
Le président : Je vais laisser la parole à la sénatrice Gagné, mais auparavant, j’aimerais obtenir une précision sur la question des transferts fédéraux. Il y a bien une entente fédérale-provinciale en matière d’éducation qui permet le transfert de fonds directement en éducation. Vous bénéficiez de cette entente, n’est-ce pas?
Mme Maccarone : Oui.
Le président : D’accord. Merci de cette précision.
La sénatrice Gagné : Tout compte fait, je voulais apporter une clarification. Depuis 1983, il y a un protocole d’entente relatif à l’enseignement de la langue de la minorité et de la langue seconde. Il s’agit d’une entente multilatérale.
Le sénateur Maltais : Est-ce seulement au niveau supérieur?
La sénatrice Gagné : Non.
Le sénateur Maltais : Au niveau primaire?
La sénatrice Gagné : Dans le cadre de ce protocole, c’est le Conseil des ministres de l’Éducation qui négocie l’entente multilatérale. Il y a une formule qui est établie et ensuite des ententes bilatérales sont signées. Je tenais simplement à apporter cette précision. Je n’ai pas d’autres questions.
Le président : Sur ce, mesdames et monsieur, je vous remercie beaucoup de vos présentations. Elles vont certainement nous aider dans la rédaction de notre rapport.
(La séance est levée.)