Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 28 - Témoignages du 15 octobre 2018
OTTAWA, le lundi 15 octobre 2018
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures, afin d’examiner la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, et à huis clos, afin de procéder à l’étude d’une ébauche de rapport.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bonsoir. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit son étude en cinq volets sur la perspective des Canadiens au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Le comité entame aujourd’hui le quatrième volet de son étude, portant sur le secteur de la justice.
Nous avons le plaisir d’accueillir M. Daniel Boivin, président de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law.
[Traduction]
Nous sommes heureux d’accueillir, de l’Association des juristes d’expression anglaise du Québec, M. Michael Bergman, président et cofondateur, ainsi que M. Casper Bloom, vice-président.
Avant de donner la parole à nos témoins, j’invite les sénateurs à se présenter.
[Français]
La sénatrice Poirier : Bonsoir. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
Le président : Merci. Bienvenue, sénatrice Moncion, de l’Ontario.
Sans plus tarder, monsieur Boivin, la parole est à vous.
Daniel Boivin, président, Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc. : Merci, monsieur le président. C’est avec grand plaisir que j’ai accepté de discuter de ce volet très intéressant touchant la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
La FAJEF est un organisme fédéral qui regroupe sept associations de juristes d’expression française provinciales. Quand on regarde les associations qui composent la FAJEF, le réseau compte environ 1 800 juristes qui, eux, servent environ un million de francophones à travers le pays. Le mandat de la FAJEF n’est pas d’être l’avocat de service pour la francophonie, mais plutôt d’assurer un accès à la justice à la population francophone. Vous constaterez que le thème de mes propos d’aujourd’hui est basé sur l’accès à la justice.
La FAJEF est aussi membre de la FCFA, la Fédération des communautés francophones et acadienne. Vous constaterez par ailleurs que les propos de la FAJEF sont tout à fait conformes avec ce qui a été déposé par la FCFA et ce que la FCFA a indiqué dans son factum, qui vous a été remis un peu plus tôt cette année.
Les trois grands thèmes dans les représentations de la FCFA sont les suivants : premièrement, l’importance d’avoir une véritable agence centrale fédérale pour coordonner la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles; deuxièmement, l’intégration du principe du « pour » et « par » dans la Loi sur les langues officielles afin de donner aux communautés de langue officielle en situation minoritaire une participation à la mise en œuvre; et, enfin, la modernisation des mécanismes de surveillance et d’imputabilité. Ces trois directions qui sont suggérées par la FCFA sont endossées complètement par la FAJEF.
Le secteur de la justice, comme plusieurs autres secteurs, éprouve un grand problème en ce qui a trait à la Loi sur les langues officielles, soit la difficulté de mettre en œuvre les objectifs de la Loi sur les langues officielles, et, donc, l’application pratique et la possibilité de forcer les intervenants assujettis à la Loi sur les langues officielles à aller de l’avant avec les buts extrêmement louables de la Loi sur les langues officielles. Pour la justice comme pour les autres secteurs, c’est un gros problème.
La justice est une courtepointe qui comprend beaucoup de joueurs. On parle, bien entendu, des compétences provinciales et fédérales, constitutionnelles, pour toutes les questions juridiques. Mais aussi, quand on regarde la question d’accès à la justice, il faut prendre en compte la magistrature fédérale, les magistratures provinciales, les ministères provinciaux, le ministère fédéral de la Justice, l’aide juridique, qui est différente un peu partout, les facultés de droit, qui ont des orientations un peu différentes, les administrateurs des tribunaux, qui sont les administrateurs provinciaux qui gèrent souvent des matières fédérales, les barreaux, qui ont des priorités différentes, les corps policiers, les pénitenciers, et ainsi de suite. Donc, cette courtepointe, qui rassemble énormément d’intervenants, va assurer un accès à la justice aux Canadiens et aux Canadiennes.
Puisque c’est un système complexe, il est particulièrement important d’avoir une Loi sur les langues officielles qui identifie clairement un chef de file. Il nous faut quelqu’un qui sera en mesure de créer une agence centrale forte, qui pourra donner un sens de la direction clair pour l’administration de la justice, afin que l’ensemble des institutions fédérales, tout d’abord, soient capables de réagir dans la même direction. Même si on s’en tient à l’échelon fédéral, les intervenants dans le système de justice sont très nombreux. Avec la partie VII, il faudra une agence qui pourra également imposer une direction quant au respect des droits linguistiques des citoyens et des citoyennes que tous les autres intervenants, qui ne sont pas nécessairement assujettis à l’application de la Loi sur les langues officielles, devront suivre. C’est pour cette raison que la Loi sur les langues officielles peut avoir un impact extrêmement important sur le secteur de la justice. L’absence d’engagement de la part d’un joueur clé pourrait facilement avoir des conséquences négatives sur l’accès à la justice.
Vous recevrez plusieurs témoins du domaine de la justice. Ils parleront sans doute, au cours des prochaines semaines, de plusieurs sujets, mais je voudrais concentrer mes propos sur deux sujets en particulier, soit le droit d’être entendu et compris à la Cour suprême du Canada sans l’aide de l’interprétation et l’importance, pour les justiciables, d’avoir un recours efficace lorsqu’il y a contestation de l’application de la Loi sur les langues officielles.
En ce qui concerne la question d’être entendu et compris à la Cour suprême du Canada sans l’aide de l’interprétation, c’est une position que la FAJEF met de l’avant depuis longtemps, et plusieurs acteurs dans le domaine de la justice ont déjà revendiqué ce droit. Voici quelques dates clés dans l’évolution de l’accès à la justice en français. En 1867, l’article 133 de la Loi constitutionnelle permettait l’utilisation du français devant les tribunaux fédéraux. On a un peu élargi cet acquis avec le droit d’être entendu et compris sans l’aide de l’interprétation devant les tribunaux fédéraux, sauf devant la Cour suprême, avec les amendements de 1988 à la Loi sur les langues officielles. De plus, en 1990, le Code criminel a été amendé pour prévoir le droit d’être entendu et compris sans l’aide de l’interprétation à travers le pays. Donc, les droits linguistiques et l’accès du citoyen à la justice dans les deux langues vont en augmentant. Il est donc naturel et normal que, maintenant que la justice parle vraiment dans les deux langues au pays, la Cour suprême soit en mesure d’entendre les gens qui se présentent devant elle sans l’aide de l’interprétation.
L’interprétation est différente de l’interaction directe avec les juges. La langue française est pleine de subtilités. Le débat juridique est plein de subtilités, surtout lorsqu’il est question de sujets extrêmement techniques, à la fine pointe du droit, qui sont traités devant la Cour suprême. Les interprètes sont des linguistes de très haut niveau, mais ils doivent saisir à la volée une terminologie qui peut être inexacte, quand on la regarde ex post facto, dans le grand contexte de l’argument. Également, plusieurs plaideurs qui ont eu la chance de s’entendre au moyen de l’interprétation, après avoir fait leur plaidoyer devant la Cour suprême ou un autre tribunal où il était nécessaire d’avoir l’interprétation, ne reconnaissaient pas leur argument. Il ne peut donc y avoir de pleine justice avec l’interprétation.
Plusieurs personnes ont soulevé la question d’un obstacle et ont affirmé qu’il faudrait apporter une modification à la Loi sur les langues officielles en ce qui a trait à l’exigence de nommer à la Cour suprême des juges qui peuvent s’exprimer dans les deux langues, ce qui rendrait un amendement constitutionnel nécessaire. Le Barreau du Québec, dans le mémoire qu’il a présenté devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes en avril 2017, a exprimé clairement la position selon laquelle un tel amendement constitutionnel n’était pas nécessaire.
Le constitutionnaliste Sébastien Grammond, qui est maintenant juge à la Cour fédérale, est du même avis. De plus, la FAJEF abonde dans le même sens, affirmant que cela n’est pas nécessaire puisqu’on ne change pas la composition de la Cour suprême, on ne change que les qualifications de ceux qui peuvent y siéger.
Enfin, quant à l’importance d’avoir un recours efficace en vertu de la Loi sur les langues officielles, je crois qu’il n’y a pas d’accès à la justice sans un accès à une décision efficace, et il n’y a pas non plus d’accès à la justice ou à un droit sans un recours associé à la mise en œuvre de ce droit.
Le régime actuel, en plus d’être lent, manque de clarté et en met beaucoup sur les épaules du contribuable lorsque le commissaire aux langues officielles fait une recommandation de changement qui n’est pas acceptée par le gouvernement fédéral. Le système de plaintes est lent. De plus, certaines plaintes sont dans le collimateur depuis très longtemps et elles ne sont pas près d’obtenir un recours.
La FAJEF approuve totalement les demandes de la FCFA, qui sont de créer un tribunal qui examinerait rapidement et simplement les questions afférentes aux langues officielles et de donner au commissaire aux langues officielles un rôle plus actif dans les litiges qui sont jugés importants. Les représentations sont bien faites dans le mémoire de la FCFA, mémoire que, je le répète, nous endossons complètement.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Boivin.
[Traduction]
Monsieur Bergman et monsieur Bloom, vous avez la parole.
Michael Bergman, président et cofondateur, Association des juristes d’expression anglaise du Québec : Merci beaucoup. C’est un honneur d’être ici et de discuter avec vous de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, en particulier sur le plan de l’accès à la justice.
Lorsque j’ai vu pour la première fois le programme et les points de référence du comité sur cet enjeu, et j’ai été frappé par le mot « modernisation ». La modernisation ne signifie pas l’amélioration. Des améliorations peuvent toujours être apportées. En effet, il y a toujours des choses à améliorer. Selon nous, l’amélioration est rétrospective — c’est-à-dire qu’il faut regarder en arrière, tenter de régler des problèmes précédents, des injustices précédentes et des torts précédents. C’est d’ailleurs l’origine de cette loi.
Si nous souhaitons la moderniser, nous devons adopter une approche prospective. Nous devons regarder vers l’avenir. Nous devons prévoir les problèmes à venir. À cet égard, nous aimerions porter plusieurs enjeux à votre connaissance.
Tout d’abord, la vitalité de l’anglais et du français au Canada découle de la capacité de ce merveilleux pays à soutenir une communauté francophone et anglophone. Cela signifie soutenir non seulement une langue, mais aussi une identité et une culture. Toutefois, cela n’est mentionné nulle part dans la loi.
Si nous souhaitons soutenir une identité et une culture et la langue dans laquelle ces notions sont communiquées, nous devons avoir la capacité de créer un point central, comme l’a dit mon collègue à ma droite. Toutefois, j’irais plus loin. Il a utilisé le mot « central ». J’utiliserais plutôt les mots « autocrate linguistique ». Il nous faut une personne responsable de la loi et on doit conférer à cette personne le pouvoir non seulement de mener des investigations et de formuler des recommandations, mais également d’appliquer la loi et d’intervenir.
En ce qui concerne l’accès à la justice, le commissaire aux langues officielles devrait tout d’abord être autorisé par la loi à intervenir à sa volonté dans tout litige lié à la langue, que ce soit pour représenter ceux qui ne peuvent pas parler ou pour représenter un point de vue. Cette intervention est essentielle et il y a de nombreux cas d’un bout à l’autre du pays à cet égard. Il doit être en mesure d’obtenir un résultat, que ce soit en donnant des directives ou des ordres. Le processus de plainte est satisfaisant, mais pourquoi laisser aux intervenants judiciaires le soin de présenter l’affaire devant la Cour fédérale ou devant un autre tribunal? C’est le commissaire qui devrait faire respecter ces droits.
« Je veux avoir accès à la justice » est un cliché populaire en anglais et en français de nos jours. Tout le monde le dit, incluant la plupart des juristes. Parlons du Québec, car je reconnais — et je crois que c’est naturel — qu’on se concentre surtout sur la minorité francophone à l’extérieur du Québec. Toutefois, il est parfois facile d’oublier, sans le vouloir, les communautés anglophones du Québec. Après tout, selon la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme — elle remonte à 1963, si je ne me trompe pas, ou 1964 —, les communautés anglophones du Québec sont un prolongement de la population anglophone majoritaire du Canada. Si cela a déjà été vrai, ce ne l’est certainement plus aujourd’hui.
À quoi ressemble l’accès à la justice au Québec? J’exerce le droit au Québec depuis 41 ans. Je suis également avocat agréé en Ontario et j’ai eu le privilège d’exercer à Toronto, à Ottawa et à Kingston. Le système du Québec, à mes débuts — lorsque j’avais plus de cheveux —, était assez bilingue, selon moi. En effet, on pouvait s’adresser à un greffier du tribunal dans une langue ou dans l’autre. À l’époque, il y avait très peu de ce que nous appelons des tribunaux de droit administratif, et on faisait affaire avec très peu de fonctionnaires ou de greffiers dans une langue ou dans l’autre, car ces tribunaux n’existaient pas.
Aujourd’hui, il y a une multitude de ces tribunaux, à la fois à l’échelon fédéral et à l’échelon provincial. Le problème, évidemment, c’est qu’à l’échelon provincial, il est presque impossible de communiquer avec les greffiers et les fonctionnaires au comptoir en anglais. C’est une courtoisie. C’est une courtoisie qui vous est offerte si vous êtes assez chanceux pour tomber sur une personne qui se débrouille bien en anglais. Manifestement, la plupart des avocats parlent automatiquement en français, même si ce sont des avocats anglophones, à titre de courtoisie, mais également par nécessité.
Le commissaire doit avoir le pouvoir — même s’il s’agit d’une compétence provinciale —, d’au moins indiquer au gouvernement fédéral d’utiliser ses fonds sagement lorsqu’il investit dans les systèmes de justice à l’échelon provincial, afin de conclure des ententes qui favoriseront la nature bilingue du système judiciaire et de l’accès à la justice. Sans cette mesure, le système devient graduellement unilingue français, à l’exception des juges nommés par le gouvernement fédéral. J’ajouterais que, étant donné que le gouvernement fédéral nomme la plupart des juges de la Cour supérieure, il serait peut-être possible d’insister, puisqu’ils sont nommés par le gouvernement fédéral, qu’ils soient bilingues et que le système le soit aussi.
Je dois également commenter la partie VII, intitulée « Promotion du français et de l’anglais ». Ce sont de très beaux mots; c’est même de la poésie. Malheureusement, la poésie ne produit pas nécessairement des résultats lorsqu’il s’agit de l’accès à la justice. C’est peut-être très beau à entendre, mais cela ne réglera pas nos problèmes. Le gouvernement et le Parlement du Canada doivent s’engager à prendre des mesures fermes pour renforcer les langues officielles au pays de toutes les façons possibles dans le cadre de la compétence fédérale. Autrement, il s’agit simplement d’une liste de souhaits.
Nous pouvons parler d’un grand nombre d’autres enjeux, par exemple l’inclusion de la corédaction dans la loi et la nature bilingue des décisions judiciaires. Un enjeu sur lequel j’aimerais me concentrer en ce qui concerne l’accès à la justice, et je crois que c’est un enjeu extrêmement important, mais qu’on oublie toujours, c’est que, lorsque nous pratiquons le droit d’un bout à l’autre du Canada, nous nous rendons compte rapidement que le Code civil du Québec est presque inconnu à l’extérieur du Québec. Les jugements rendus par les tribunaux du Québec, qui sont à 98 p. 100 en français — et c’est compréhensible — ne sont jamais traduits. Les jugements de la Cour d’appel du Québec, qui renferment d’importantes considérations et prises de position sur les lois fédérales du Canada, ne sont pas traduits. Il s’ensuit que tout un ensemble de jurisprudence reste inconnu. En Colombie-Britannique, vous ne pouvez jamais vraiment choisir la façon de décider sur un point qui a déjà été tranché au Québec, mais les juges de la Colombie-Britannique n’ont aucun accès à cette décision, et les avocats non plus.
II incombe aux autorités fédérales dans cette loi de payer les coûts pour traduire au moins les jugements de la Cour d’appel du Québec. Si nous sommes réellement un pays officiellement bilingue, biculturel et bijuridique — et c’est l’un de nos plus grands avantages sur les autres systèmes du monde—, nous devons savoir comment le Québec interprète les lois.
Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, messieurs, de vos exposés. Nous allons passer aux questions. J’aimerais rappeler à mes collègues qu’ils ont cinq minutes pour poser une question et recevoir une réponse de nos témoins. Je vous demanderais de vous en tenir au temps imparti.
Les sénateurs peuvent poser une question en français ou en anglais. Vous avez un écouteur et nous avons des interprètes, si vous en avez besoin.
[Français]
La sénatrice Poirier : Le gouvernement a récemment annoncé son Plan d’action pour les langues officielles de 2018-2023. Ce plan comporte un volet visant à améliorer l’accès à la justice avec, entre autres, un investissement de 2 millions de dollars sur deux ans pour augmenter la capacité ainsi qu’un plan d’action à l’intérieur du Plan d’action pour les langues officielles en vue d’améliorer la capacité de bilinguisme de la magistrature des cours supérieures. Selon vous, ces mesures sont-elles suffisantes pour répondre aux besoins? Si non, quelles mesures le gouvernement devrait-il prendre afin d’améliorer la situation?
M. Boivin : Merci, madame la sénatrice. C’est une excellente question. C’est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant pour répondre à tous les besoins. La raison est que le financement n’a pas été actualisé par rapport au plan Dion d’autrefois. Le plan Dion a créé un réseau de justice dans les provinces et a donné de la vie aux communautés en leur permettant d’obtenir un accès à la justice. Lorsque le financement de base a changé sous le gouvernement précédent, le plan Dion a fait l’objet de compressions sévères et de nombreuses associations de juristes ont cessé de fonctionner, lors qu’auparavant on avait des associations qui fonctionnaient en créant des liens avec le reste de la communauté. On se retrouve maintenant dans une situation où les bénévoles font le strict nécessaire. Pour actualiser ce que le plan Dion faisait il y a 10 ans, il aurait fallu plus d’argent. Les représentations avaient été faites à ce moment-là. On va prendre le financement que le gouvernement a accordé et on va faire des miracles avec l’argent mis sur la table. Il est certain qu’un financement supplémentaire serait très bénéfique.
La sénatrice Poirier : Selon vous, des modifications à la Loi sur les langues officielles feraient-elles partie de la solution? Si oui, comment devrait-on la modifier? Si non, quelles mesures le gouvernement fédéral devrait-il prendre?
M. Boivin : Si la loi était plus efficace, cela prendrait moins de temps et d’énergie pour faire valider les droits des justiciables francophones. Donc, une loi plus efficace, tout comme des recours plus rapides où on n’a pas besoin d’investir tant d’argent, serait certainement un pas dans la bonne direction.
[Traduction]
La sénatrice Poirier : Dans vos commentaires, vous avez dit que le gouvernement devait s’engager à trouver des façons de faire respecter la Loi sur les langues officielles. Pouvez-vous me suggérer des façons dont il serait possible de faire respecter cette loi, selon vous?
M. Bergman : J’ai déjà mentionné les pouvoirs du commissaire. Le commissaire est un élément essentiel dans cette structure, car il fait respecter l’ensemble de la loi. Manifestement, il relève du Parlement — et la ministre du Patrimoine a certaines responsabilités —, mais c’est au commissaire que tout le monde s’adresse. Actuellement, le commissaire rédige des rapports, mène des investigations et formule des recommandations, mais il ne fait pas respecter la loi.
La sénatrice Poirier : Croyez-vous qu’il devrait pouvoir imposer des sanctions?
M. Bergman : Si c’est nécessaire, oui.
[Français]
La sénatrice Gagné : Merci d’être avec nous ce soir. Je vais poser une question sur les pouvoirs du commissaire aux langues officielles. Lors d’une présentation, il y a quelques mois, Me Boileau, qui est commissaire aux services en français en Ontario, a mentionné qu’il fallait éviter de donner au commissaire aux langues officielles le rôle de juge et partie en lui offrant les outils appropriés pour jouer son rôle de médiateur, en évitant de lui donner des pouvoirs de sanction et en envisageant plutôt la création d’un tribunal administratif où il pourrait être appelé à agir comme intervenant. J’aimerais entendre votre point de vue à ce sujet, monsieur Bergman et maître Boivin.
[Traduction]
M. Bergman : C’est une idée ou une notion extrêmement intéressante. Nous encourageons cette idée, mais cela révolutionnerait le rôle du commissaire. Nous devons envisager une différente fonction pour le commissaire. En effet, le commissaire n’est pas une nomination politique ou ne devrait pas l’être, même si ces derniers mois, il y a eu des problèmes liés à la nomination d’un nouveau commissaire. Le commissaire devrait être une personne responsable de l’application, de la vérification, de la formulation d’ordres et de directives, de la collecte de renseignements, de la recherche statistique et des litiges lorsque c’est nécessaire. À moins qu’on adopte le nouveau point de vue prospectif proposé pour le rôle du commissaire, tout ce que fait ce dernier, c’est de tenter de régler un problème par la modération, la persuasion, la conversation et la médiation. Cela peut fonctionner dans certains cas, mais dans de très nombreux cas précédents, cela n’a pas fonctionné. Même actuellement, de nombreux cas sont le produit de l’incapacité d’entreprendre une médiation. La médiation est à la mode chez les juristes d’aujourd’hui, mais la médiation ne permet pas de résoudre ces types d’enjeux fondamentaux relatifs à l’identité qui sont liés aux droits fondamentaux.
Même si la Cour suprême du Canada a déclaré que les droits linguistiques étaient le produit d’un compromis politique, le tribunal a soutenu qu’ils sont néanmoins aussi importants que les droits fondamentaux. Nous ne devrions pas confondre, sur le plan politique ou dans une discussion sociale, ce qui semble être un compromis social, une convention politique, car ces notions sont distinctes des droits fondamentaux. Dans notre pays, les droits linguistiques sont des droits fondamentaux. Dès que nous affirmons qu’ils sont seulement politiques et le produit de compromis, que ce soit un compromis historique ou un autre type de compromis, nous leur enlevons leur fonction de fondement. Nous disons qu’un jour, dans 40 ou 50 ans, il pourrait y avoir un nouveau compromis politique. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous voulons que le bilinguisme officiel du Canada continue non seulement d’exister, mais également de se renforcer.
[Français]
La sénatrice Gagné : Merci. Vous êtes donc plus ou moins d’accord avec ce que votre collègue a dit?
M. Boivin : Le modèle mis de l’avant par la FCFA et FAJEF est celui que le commissaire Boileau proposait : un tribunal ainsi qu’un commissaire qui aurait des pouvoirs d’enquête, qui pourrait intervenir, mais qui resterait suffisamment neutre pour être un agent de changement plutôt qu’un policier et un juge en même temps.
La sénatrice Gagné : D’accord. La Loi sur les langues officielles est probablement la loi la plus souvent violée par les institutions fédérales. Y a-t-il des parallèles à faire avec d’autres lois où il y avait cette problématique et que nous avons réussi à régler?
M. Boivin : Il est difficile de trouver une loi quasi constitutionnelle qui a une application si générale et des souhaits si grands sans avoir les mesures qui pourraient lui donner du mordant. J’ai de la difficulté à trouver un parallèle assez fort pour vous dire : voilà le modèle qu’il faut suivre. Cependant, les pistes de solution sont identifiées de façon assez claire par les intervenants qui sont devant vous. Nous avons besoin de plus de mordant, de recours plus faciles pour le citoyen ainsi que d’un organisme qui s’assurerait que nous ne divisons pas l’application de la loi et qu’elle sera appliquée par tous.
La sénatrice Mégie : Ma question a trait aux juges de la Cour suprême. Je sais que, dans le domaine de la santé, plusieurs études démontrent que, lorsque quelqu’un est en détresse et veut l’exprimer à son médecin ou à un professionnel de la santé, il est nécessaire qu’il le fasse dans sa langue et devant un professionnel qui est en mesure de le comprendre.
J’ai un document qui montre qu’il y a plusieurs projets de loi qui ont été défaits relativement à la modification de la Loi sur la Cour suprême. Cela concernait le bilinguisme des juges. Sur quoi se basent-ils? Il y a deux propositions; l’une serait d’imposer un bilinguisme individuel, donc chacun des neuf juges devrait être bilingue, et l’autre serait de n’avoir que cinq juges bilingues pour qu’il y ait quorum. Pourquoi aucun de ces projets n’a-t-il fonctionné?
M. Boivin : Merci. C’est une excellente question, madame la sénatrice. Il y a eu une grande évolution dans la capacité linguistique des juristes dans les ressorts de common law. Il y a eu une époque où il était difficile de trouver des francophones chez les bons juristes, des francophones qui pouvaient pratiquer le droit à un niveau qui leur permettait d’accéder à la magistrature et à la Cour suprême. Nous ne sommes plus à cette époque. Regardez maintenant la composition de la cour; le gouvernement a pu trouver des juges extrêmement compétents, bilingues et en mesure d’entendre les justiciables dans les deux langues officielles. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis ce projet de loi, ainsi que depuis la mise à jour de la Loi sur les langues officielles. Il serait maintenant temps d’exiger le bilinguisme chez les juges et de protéger de manière législative la présente pratique du gouvernement, qui pourrait disparaître avec l’élection d’un nouveau gouvernement.
[Traduction]
Le président : Avez-vous des commentaires à formuler, monsieur Bergman?
M. Bergman : Oui. La question de savoir si les juges de la Cour suprême devraient être bilingues ne représente même pas une préoccupation pour la grande majorité des Canadiens, et c’est facile à comprendre. Il s’agit plutôt d’un problème symbolique, selon moi. Si notre pays s’efforce de maintenir deux langues officielles et de fournir l’accès à la justice dans ces deux langues officielles, il est nécessaire que le plus haut tribunal du pays soit en mesure d’honorer ce système.
Et, oui, il y a un problème, car maintenant, nous devrons exclure plusieurs juristes éminents et qualifiés qui ne pourront pas siéger au tribunal parce qu’ils ne sont pas bilingues. C’est un choix difficile, mais si nous créons un pays unique au monde dont les parties distinctes et individuelles coexistent pacifiquement, le symbolisme de sa Cour suprême est extrêmement important, que le Canadien ordinaire s’en soucie ou le reconnaisse. La plupart des Canadiens qui participent à un litige devant la Cour suprême ne plaideront pas leur cause eux-mêmes. Ce serait rare et extrêmement difficile.
Je ne crois donc pas que c’est une question de pratique, mais plutôt de symbolisme. Sur ce plan, nous devons faire un compromis, car nos symboles, de nombreuses façons, sont aussi importants que nos pratiques.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de vos exposés fort pertinents.
Monsieur Bergman, vous avez soulevé la question des décisions rendues au Québec. Quelles solutions le gouvernement fédéral pourrait-il mettre en œuvre pour veiller à ce que les décisions des tribunaux du Québec soient lues, comprises et citées dans les décisions rendues dans les autres provinces? De plus, comment pourrait-il veiller à ce que les décisions d’autres provinces soient lues, comprises et citées dans les décisions rendues au Québec?
M. Bergman : C’est simple, mais peut-être coûteux — je ne suis pas comptable, et je ne peux donc pas établir le budget d’un tel projet. Le gouvernement fédéral ne devrait pas attendre que les provinces traduisent les décisions. Cela ne se produit pas. Le Québec a un processus par lequel vous pouvez faire traduire un jugement, mais de 36 à 38 jugements sont traduits par année. Cela prend donc de nombreux mois. Lorsque vous avez enfin la version anglaise — car les jugements sont habituellement en français, évidemment —, cela ne sert plus vraiment à rien.
Le gouvernement fédéral, dans le cadre de la loi — si elle sera réellement modernisée —, devrait prévoir que chaque jugement d’une cour d’appel soit traduit dans l’autre langue officielle dans un délai raisonnable. C’est la voie de l’avenir. De cette façon, les avocats de common law pourraient connaître les excellentes décisions rendues par nos cours d’appel de droit civil et vice versa.
Sur le plan pratique, la plupart des juges de la Cour d’appel du Québec sont bilingues ou fonctionnent assez bien en anglais pour pouvoir lire les décisions de common law. Le problème, c’est que les avocats du Québec qui ne sont pas bilingues ne peuvent pas consulter ces décisions et vice versa, comme je l’ai déjà dit.
Comme dans le cas de ma réponse au sujet de la Cour suprême — et c’est plus que symbolique —, nous devons faire le nécessaire et assumer les coûts. Il faut créer un système bijuridique à l’échelle du Canada dans lequel les avocats qui sont habituellement à l’avant-garde de l’évolution du droit ont accès à toutes les décisions importantes — du moins à celles de la cour d’appel — de chaque province.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Jusqu’à maintenant, nous avons entendu plusieurs propositions de modernisation de la Loi sur les langues officielles touchant à la législation et à la justice. Ces propositions ont touché principalement le préambule ainsi que les parties II, III, VII et X de la loi. Selon vous, devrait-on codifier, dans le préambule de la loi, les principes reconnus par la jurisprudence?
M. Boivin : Il serait utile de le faire. Le préambule est utile dans l’interprétation de la loi. En ce qui concerne les priorités, il y a des problèmes plus importants à régler que cela, mais manifestement une plus grande clarté sur la façon dont la loi peut être interprétée pourrait être très utile à l’avenir. J’ose espérer, par contre, que les tribunaux se sont penchés suffisamment sur la Loi sur les langues officielles pour que la portée quasi constitutionnelle du statut soit bien comprise.
Le sénateur McIntyre : Vous avez parlé de la partie VII. Une des propositions que nous avons reçues est de prévoir explicitement l’obligation d’aider les provinces et les territoires à assurer l’accès, dans les deux langues officielles, à l’ensemble du système de justice. Êtes-vous d’accord?
M. Boivin : Tout à fait. Je parlais de la courtepointe de la justice. C’est une disposition de ce genre qui pourrait mettre le gouvernement fédéral dans une position de leader pour faire en sorte que tous les intervenants dans le système de justice, les intervenants provinciaux et fédéraux, aillent dans la même direction.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Monsieur Bergman et monsieur Bloom, êtes-vous d’accord avec l’affirmation selon laquelle la Loi sur les langues officielles devrait codifier les principes reconnus dans la jurisprudence?
Casper Bloom, vice-président, Association des juristes d’expression anglaise du Québec : Oui.
Le sénateur McIntyre : Quels principes de jurisprudence devraient être codifiés?
M. Bergman : Le premier principe, c’est que le gouvernement fédéral a l’obligation, et le Parlement fédéral a l’obligation ferme, d’appuyer et de renforcer les langues officielles au Canada.
Le second principe de jurisprudence, c’est le droit de recevoir des dommages-intérêts si ces principes sont violés.
Le troisième, c’est que le citoyen est au centre. La loi concerne l’identité et la façon dont cette identité sera maintenue dans un contexte litigieux.
Ce sont les trois droits auxquels je peux penser.
[Français]
Le sénateur Maltais : Merci beaucoup, messieurs, pour votre témoignage. Je vais m’adresser à M. Bergman en premier lieu. Vous savez, notre grand pays, le Canada, ne s’est pas fondé sur des compromis politiques, mais bien sur les bases solides d’un État de droit. Cela, c’est une prémisse à laquelle on ne peut rien changer.
Avec le temps, le 150e anniversaire de notre pays a été fêté et, bien sûr, il y a eu des compromis. En ce qui concerne les langues officielles, vous avez totalement raison lorsque vous dites qu’on aura beau avoir la meilleure loi au Canada, s’il n’y a pas de volonté politique pour l’appliquer, elle n’aura pas de dents, étant donné que la très grande majorité des causes, comme l’a dit la sénatrice Gagné, proviennent du gouvernement fédéral ou de ses composantes.
J’ai une dernière petite question. Vous avez parlé de la traduction des jugements. Je viens du domaine des assurances, et vous savez qu’on y utilise un langage international. Je ne peux pas concevoir qu’un jugement rendu au Québec sur un cas d’assurance qui est le même qu’en Colombie-Britannique ne soit pas traduit en anglais ou vice-versa, parce que cela prend une jurisprudence quelque part, puisqu’il s’agit d’une loi internationale. Cela ne me rentre pas dans la tête. Je ne peux pas concevoir cela. En tant qu’avocat qui pratique, n’avez-vous pas vu des cas semblables?
[Traduction]
M. Bergman : Je vois cela tous les jours. Prenons l’exemple des assurances. J’imagine que vous avez déjà été un expert dans la lecture des polices d’assurance. Vous savez qu’elles sont parfois difficiles à lire. Toutefois, ce sont des polices normalisées. Elles sont normalisées, en grande partie, d’un bout à l’autre du pays. Et lorsqu’on a une police normalisée, elle devrait faire l’objet d’une seule interprétation. La Cour d’appel du Québec déclare que c’est une chose et la cour de l’Alberta déclare que c’est autre chose, mais ce sont les mêmes mots. La seule différence, c’est qu’une police a été rédigée en français et une affaire a été tranchée en français. Une autre a été écrite en anglais et l’affaire a été tranchée en anglais. Qu’est-ce qui cloche dans ce scénario?
Nous n’avons pas cette capacité. Ce n’est pas qu’on ne veut pas appliquer la loi de façon uniforme d’un bout à l’autre du pays, c’est que les gens n’ont pas les outils nécessaires pour la comprendre, car malheureusement, nous ne sommes pas un pays parfaitement bilingue. Les juristes doivent avoir les outils nécessaires pour se comprendre entre eux, et cela se fait par l’entremise de l’interprétation et de la traduction de jugements.
[Français]
Le sénateur Maltais : Vous avez raison. En ce moment, on vit une situation au Canada qu’on n’avait jamais vue à cause des tempêtes et des tornades, que vous avez eues dans l’Est du Canada, dans l’Ouest et en Colombie-Britannique.
On sait que l’intercalaire d’un contrat d’assurance, c’est la base de tout. Alors, j’espère que les jugements rendus pour Monsieur et Madame X en Colombie-Britannique ou en Saskatchewan seront les mêmes que ceux de Gatineau il y a quelques semaines. Il faut absolument qu’un jour ou l’autre — et je ne sais pas si c’est une demande qui a déjà été faite à la Cour suprême — les jugements des cours provinciales soient traduits automatiquement et servent de référence dans les deux langues. Je ne sais pas.
[Traduction]
M. Bergman : Le problème, sénateur, c’est que très peu de cas se rendent à la Cour suprême. La Cour suprême pourrait trancher la question et identifier le problème, mais ce tribunal traite seulement environ 100 affaires par année et reçoit de 3 000 à 4 000 demandes d’autorisation d’interjeter appel. La plupart des affaires sont tranchées par la Cour supérieure ou la cour d’appel d’une province, et elles sont traduites. Donc, oui, lorsque vous parlez de tornades, vous pouvez avoir différents résultats dans différents endroits à cause d’un manque d’information.
[Français]
Le sénateur Maltais : Est-ce que le ministre de la Justice ne devrait pas décréter cela, selon vous?
[Traduction]
M. Bergman : Idéalement, cela devrait être une politique du gouvernement, du Parlement, mais je recommande de l’insérer dans cette loi. Il faut qu’il y soit écrit que le Parlement du Canada a le devoir d’affecter des fonds pour faire traduire, à tout le moins, les décisions importantes des cours d’appel des provinces du pays. Nous traduisons déjà celles de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédérale. Ce n’est pas un grand changement. On ne parle pas de l’embauche d’une équipe d’interprètes et de traducteurs pouvant remplir un immeuble. Il s’agit des éléments de base nécessaires pour y parvenir, et c’est ce qui se fait à l’échelle fédérale depuis des décennies. Il faut juste financer davantage la traduction.
[Français]
La sénatrice Moncion : J’ai bien aimé vos commentaires. Il y en a même quelques-uns qui m’ont fait sourire, parce que vous avez utilisé des mots qu’on n’entend pas souvent ici, entre autres, « Language Tsar ».
[Traduction]
J’ai bien aimé l’expression. Vous avez également employé le mot « courtoisie », ainsi que le concept d’approche prospective par rapport à une approche rétrospective.
[Français]
J’aimerais savoir ce que vous pensez, dans votre approche prospective, lorsqu’on parle de nommer le commissaire aux langues officielles en gardant un regard prospectif, parce que vous avez parlé de...
[Traduction]
... quelqu’un qui est responsable d’investir, de faire respecter les règles, d’intervenir, et de quelqu’un qui peut exiger un recours et affecter des ressources. J’aimerais entendre vos idées sur le processus et sur le type de personne que nous devrions chercher, si nous nous engageons dans cette voie.
M. Bergman : Nous devons comprendre, madame la sénatrice, que lorsque la Loi sur les langues officielles a été créée, le contexte était totalement différent. Au fil des ans, les modifications telles qu’elles existent ont été adoptées dans un autre contexte.
Aujourd’hui, quand je dis que nous devons adopter une approche prospective et que nous avons besoin d’un responsable de l’application, il nous faut le genre de personne qui possède les bonnes compétences juridiques, qui comprend parfaitement le problème linguistique d’un océan à l’autre; qui n’a pas besoin d’apprendre en milieu de travail, comme doivent le faire beaucoup de commissaires de la communauté anglophone au Québec ou de la communauté francophone dans le reste du pays; qui a peut-être de l’expérience relative aux affaires juridiques liées aux langues ou à la politique linguistique; et, enfin, que l’on invite à présenter sa candidature, comme on le fait actuellement pour vos collègues sénateurs, qui présentent leur propre candidature, ou pour un juge de la Cour suprême. Ils se nomment eux-mêmes et expliquent pourquoi ils devraient assumer ces fonctions et comment ils veulent les gérer.
Au moyen de ces critères, on crée essentiellement une institution très différente et on cherche une personne très différente par rapport à avant. On cherche également une personne qui est au-dessus ou qui ne fait pas partie du milieu politique, une personne qui est là pour défendre les principes fondamentaux nécessaires à l’existence du pays, qui font partie de son ordre constitutionnel, peu importe si cet ordre constitutionnel est écrit ou non écrit, comme le dit la cour — les principes constitutionnels non écrits.
C’est le genre de personne qu’il faut chercher, mais avant de pouvoir l’embaucher — et je ne cherche aucunement à critiquer le titulaire actuel de cette charge publique —, vous devrez transformer l’institution. C’est la première question stratégique et législative sur laquelle vous devez vous pencher. Nous pouvons ensuite voir quel genre de personne il vous faut pour poursuivre les activités de cette institution transformée.
Il vous faut peut-être un nouveau nom. Je n’en propose pas un, mais il sera peut-être nécessaire de ne plus parler de commissaire.
La sénatrice Moncion : Ce serait unique. Il s’agirait probablement de la seule loi au Canada dont l’application serait assurée par une personne nommée.
M. Bergman : N’oubliez pas que cette loi est unique au Canada, comme l’a dit M. Boivin il y a un instant. Elle n’existe nulle part ailleurs. Nous avons créé quelque chose de différent, qui convient aux valeurs, à l’identité et aux besoins de notre pays.
La sénatrice Moncion : Merci.
[Français]
Le président : Je vais poser deux questions. Monsieur Boivin, vous avez comparu le 6 avril 2017 devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes dans le cadre de son étude. Lors de cette séance, vous avez discuté de l’enjeu de la participation des membres des communautés linguistiques en situation minoritaire au fameux comité consultatif en ce qui concerne les nominations à la magistrature des cours supérieures. Pouvez-vous parler de cet enjeu et des démarches qui ont été faites depuis en vue d’assurer la participation des communautés de langue officielle, et nous dire pourquoi il est important, dans cet espace, d’avoir quelqu’un qui représente les CLOSM?
M. Boivin : Les comités qui examinent les nominations pour les postes de juges fédéraux sont les yeux et les oreilles de la communauté qui sera servie pendant plusieurs années par le magistrat qui est nommé. Si on n’a pas les yeux et les oreilles de la communauté en situation minoritaire, il pourrait y avoir, d’une part, d’excellents candidats et d’excellentes candidates qui ne sont pas identifiés et, d’autre part, des besoins de la communauté qui ne sont pas cernés non plus. La présence des comités, l’intelligence d’un comité qui se trouve dans la communauté, permettent de s’assurer d’avoir la bonne personne en place.
Le président : Merci. On a entendu plusieurs témoins parler des droits linguistiques dans le domaine du divorce. Est-ce que ces droits devraient être clarifiés dans la Loi sur les langues officielles ou dans la Loi sur le divorce? Y a-t-il d’autres domaines du droit dans lesquels le gouvernement fédéral devrait intervenir pour clarifier les obligations linguistiques qui y sont rattachées?
M. Boivin : Il y a deux grands domaines à travers le pays où il n’y a toujours pas de garantie de traiter un litige dans les deux langues officielles. On a réglé le problème au sein du système de justice pénale. Pour ce qui est de la Loi sur le divorce, cela n’est pas encore possible et la question doit être réglée définitivement. Je comparaîtrai sous peu devant les parlementaires pour les encourager à modifier la Loi sur le divorce à ce chapitre. C’est la même chose pour la Loi sur la faillite. Deux mécanismes sont possibles. On pourrait modifier les lois par le biais de la Loi sur les langues officielles pour faire, avec ces deux statuts, la même chose que pour le Code criminel. On pourrait aller directement dans les statuts. L’ouverture du Parlement en ce qui a trait à la modification de la Loi sur le divorce est certainement une occasion que la FAJEF va saisir.
[Traduction]
Le président : Monsieur Bergman, avez-vous une observation à faire à ce sujet?
M. Bergman : Je veux parler de la Loi sur le divorce, car il y a un chiffre dont on ne tient pas souvent compte. Au Québec, 45 p. 100 des plaideurs dans les causes de divorce se représentent eux-mêmes. Ils n’ont pas d’avocat. C’est devenu commun au point où même la magistrature a de la difficulté à gérer la situation étant donné que ces personnes n’ont pas toujours les compétences nécessaires pour vraiment se représenter, ce qui est d’autant plus vrai quand la langue pose problème.
Imaginez que deux plaideurs anglophones veuillent divorcer. Le juge est bilingue, mais seulement dans la mesure où il peut parler la langue, pas l’écrire. Donc, après une longue audience contestée, le résultat est une décision rendue par écrit, en français, mais les plaideurs sont anglophones. Ils peuvent peut-être lire le français, peut-être pas, comprendre une partie de la décision, ou non. Ils sont bouleversés, car c’est l’expérience la plus bouleversante de leur vie, et ils n’ont pourtant pas de document qu’ils peuvent consulter pour connaître le résultat, savoir s’ils ont gagné ou non, si c’est bon ou mauvais. Lorsqu’on se représente soi-même, personne n’est là pour nous expliquer ce qu’il en est. Il est important de reconnaître que de plus en plus, dans certains domaines du droit — c’est également vrai en cas de faillite, mais surtout dans les divorces —, les gens se représentent eux-mêmes.
Le président : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Gagné : La Loi sur les langues officielles a enfin établi un cadre qui vise des objectifs en matière de bilinguisme judiciaire et de bilinguisme législatif. On souhaite également appuyer le développement et l’épanouissement des communautés minoritaires francophones et anglophones. Comment assure-t-on la cohérence entre les dispositions liées à l’accès à la justice, à tout ce qui concerne les institutions fédérales, et le membre d’une communauté qui veut continuer à vivre dans sa langue maternelle? Quelles modifications faut-il apporter pour assurer cette cohérence, pour que la partie VII ne devienne pas de la poésie?
M. Boivin : Il nous faut une agence qui a le mandat clair de mettre en œuvre tous ces principes plutôt que de parsemer la mission parmi plusieurs agences. Si l’agence centrale pouvait avoir ce mandat-là et ne pouvait pas, comme c’est le cas maintenant, déléguer ce mandat à d’autres agences, on aurait un message clair qui pourrait être communiqué aux citoyens ou aux citoyennes de façon plus efficace.
La sénatrice Gagné : Au-delà d’une agence centrale, avons-nous besoin d’autre chose?
M. Boivin : On a, de toute évidence, besoin d’un commissaire avec un mandat de diffusion clair, qui a les moyens de transmettre le message de l’agence et de diriger le citoyen vers la loi. Il nous faut contribuer, à titre de leaders, à l’essor à la justice, au tissu, à la courtepointe de la justice, pour que les autres intervenants puissent comprendre le même message. La partie VII nous donne cet outil-là. Encore faut-il donner vie à la partie VII. Si on ne peut pas la mettre en œuvre ou forcer le gouvernement à se rendre dans les communautés afin de transmettre ce message, il sera difficile à transmettre au citoyen ou à la citoyenne.
La sénatrice Gagné : Outiller les communautés, cela se fait souvent par l’entremise des provinces, des municipalités et des transferts de fonds. Y a-t-il d’autres moyens à considérer pour pouvoir assurer une cohérence entre les trois?
M. Boivin : Dans le secteur de la justice, il y a plusieurs exemples de transferts fédéraux qui créent des pôles de rencontre au sein des communautés. On n’a qu’à penser aux centres d’accès à la justice, qui sont des créations du programme d’accès aux langues officielles. Ces centres permettent à une multitude d’autres intervenants de se greffer ces structures pour avoir accès à toutes sortes de domaines.
Même si ce n’est pas le but premier de ces centres, on constate qu’ils représentent maintenant des outils extraordinaires pour les nouveaux Canadiens. Voilà un bon exemple de projet financé par le gouvernement fédéral, qui est implanté dans un milieu provincial et qui porte ses fruits.
[Traduction]
M. Bergman : Si vous voulez, je peux ajouter un mot.
Le président : Si vous avez une observation, vous pouvez la faire.
M. Bergman : Pour le commun des mortels et les groupes communautaires, c’est une question de connaissances. La plupart des gens ne sont pas au courant. Il n’y a pas assez de publicité, premièrement.
Deuxièmement, comme j’y ai fait allusion plus tôt, lorsque le gouvernement fédéral donne de l’argent à la province, il devrait y avoir des conditions pour changer les choses.
Je vais vous donner un exemple. Le ministère de la Justice du Canada donne de l’argent à son homologue québécois. Les lois provinciales, qui sont en français, sont très mal traduites en anglais. La plupart des avocats ne se donnent pas la peine de consulter la version anglaise parce qu’elle est truffée d’erreurs, et les tribunaux l’ont signalé. En effet, il y a six ou huit mois, le Barreau du Québec a intenté une poursuite, qui a été suspendue pendant les élections. Est-ce que cela changerait les choses si le gouvernement fédéral disait qu’il allait donner de l’argent qui devra servir à certaines choses comme une meilleure traduction des lois afin que la version anglaise soit logique?
En 1994, mon collègue, Casper Bloom, a entamé une révision du Code civil du Québec qui a duré 20 ans. Son comité a trouvé 5 000 erreurs et n’en a corrigé que 3 500, à peu près, l’année dernière ou il y a deux ans.
L’exemple classique est celui qui dit que les personnes morales « act through their organs ». De toute évidence, en français, il est écrit que « les personnes morales agissent par leurs organes ». Ce n’est pas la même chose. Que se passe-t-il ici? Est-ce une sorte de, disons, observation obscène sur ce que font vraiment les personnes morales? C’est pourtant carrément ce qui est écrit.
D’une certaine façon, l’Assemblée législative du Québec se couvre de ridicule, mais personne ne se penche sur ces choses. Il a fallu 20 ans pour corriger 5 000 erreurs. Savez-vous combien de lois au Québec présentent les mêmes problèmes? Le nouveau Code de procédure civile, qui regroupe les règles de procédure judiciaire, comportait également des passages mal traduits ou des termes inexacts. Cela ne finit jamais. Si nous avons vraiment à cœur d’avoir une loi, le gouvernement fédéral devrait alors au moins dire au Québec — ou à toute autre province — que s’il fait traduire des lois ou que la Constitution l’oblige à le faire, il doit le faire correctement. Le gouvernement fédéral donne de l’argent à la province et veut qu’elle l’utilise d’une certaine façon.
[Français]
La sénatrice Poirier : Monsieur Boivin, dans votre présentation, vous avez affirmé qu’il faut un leader clair et qu’il faut savoir qui est ce leader. Selon vous, qui devrait être ce leader pour les langues officielles?
Vous avez également mentionné qu’il y avait un danger à ne pas avoir de leader, que cela pouvait amener des résultats négatifs. Pouvez-vous donner des exemples de résultats négatifs, en l’absence d’un leader pour les langues officielles?
M. Boivin : Je vous réfère à la position de la FCFA qui, dans son mémoire adopté par la FAJEF, mentionne qu’il faut un leader qui a les moyens de forcer les gens autour de la table à aller de l’avant.
Par exemple, si le Conseil du Trésor était l’organisme chargé d’appliquer la loi et qu’il pouvait dire, dans le cas d’un transfert de fonds : « Vous ne faites pas votre travail sur cette question, vous n’aurez pas les fonds », les choses avanceraient un peu plus rapidement. C’est la position qui est mise de l’avant.
Un des problèmes que l’on constate présentement, c’est que le leader peut déléguer son autorité à d’autres agences, afin qu’une multitude de gens puissent prendre des décisions en ce qui a trait à la Loi sur les langues officielles. Ce faisant, on diminue la possibilité qu’une personne soit responsable de faire rapport sur ce qui se passe.
Dans un contexte où une agence a le mandat clair de le faire, le rapport qui devra être soumis au Parlement sur le fonctionnement des dispositions de la loi liées aux langues officielles sera beaucoup plus clair, et la personne qui est responsable de l’administration ou de l’absence d’administration sera beaucoup plus facilement identifiable.
La sénatrice Poirier : Selon vous, cette agence responsable devrait-elle être le Conseil du Trésor?
M. Boivin : Oui. C’est la position de la FCFA.
La sénatrice Poirier : Merci.
Le président : On parle beaucoup d’une agence centrale. Croyez-vous que les responsabilités de Justice Canada devraient aussi être précisées dans la loi?
M. Boivin : Pour l’administration de certains aspects, ce serait très utile d’avoir des précisions dans la loi. Par exemple, s’il fallait mentionner spécifiquement que Justice Canada doit s’assurer de la capacité linguistique des juges, ce serait extrêmement utile de le faire. On aurait quelqu’un qui aurait un mandat clair dans la loi, et la communauté aurait un intervenant facilement identifiable qui pourrait rendre des comptes.
[Traduction]
M. Bergman : Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter quelque chose. Peu importe à quel point je crois comprendre les liens entre les différents intervenants, les différents ministères, je ne sais pas qui est responsable. De qui s’agit-il? Est-ce le ministre du Patrimoine canadien, le Conseil du Trésor, le commissaire, quelqu’un d’autre? Si je ne m’abuse, je pense que lors du remaniement ministériel, les rôles ont été divisés. Je ne vois nulle part dans la loi que ces rôles peuvent être divisés. Qui est alors la personne responsable? Je suis d’accord avec mon collègue, Daniel Boivin.
Le président : Merci beaucoup, messieurs, de vos exposés. Ils étaient utiles et inspirants.
[Français]
Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir Louis Beaudoin, président, Services linguistiques universels. Bienvenue, monsieur Beaudoin. La parole est à vous.
Louis Beaudoin, président, Services linguistiques universels : Je vous remercie de l’invitation. C’est vraiment un privilège de pouvoir parler d’un sujet qui me passionne, qui me fait vibrer. Tout à l’heure, je me retenais de ne pas me lever et crier « bravo! » à certaines interventions. J’étais enthousiaste. Merci de cette occasion.
Je suis traducteur et juriste. J’ai fait cinq ans de droit civil et j’ai également étudié la common law. Je suis traducteur juridique et jurilinguiste à mon compte et je fais de la formation auprès des juges, des traducteurs et des avocats. Ma passion, ce sont les mots du droit.
Le sujet me tient à cœur, car j’en suis venu à m’interroger sur le sujet à force de donner des conférences et de voyager autour du monde. Le Canada est un modèle pour la corédaction. C’est d’ailleurs le titre de ma conférence ou de mon mémoire, « Bilinguisme judiciaire, bilinguisme linguistique — un modèle à géométrie variable ». Pour une raison historique, politique ou en raison d’un manque de volonté politique, on constate qu’au Canada on n’accorde pas la même importance au bilinguisme judiciaire et au bilinguisme juridique.
Avec la Charte de 1982, on a consacré l’égalité des langues et, au cours des années 1960 et 1970, on a donné un sérieux coup de barre en ce qui concerne la version française des lois. On a alors adopté un modèle de corédaction des lois qui fait l’envie du monde. J’en ai entendu parler avec bien des louanges. Ce modèle, en bref, c’est simplement que les lois fédérales sont rédigées par un anglophone et un francophone de chaque tradition et de chaque langue pour en arriver à une version dans les deux langues qui reflète le mieux possible la culture des deux langues.
Pour ce qui est des jugements, on a une situation complètement différente. Il y a un déséquilibre, une inégalité de traitement. Même à la Cour suprême, cela n’est pas évident. Les deux versions n’ont pas la même valeur ni la même autorité. Il y a la version originale et la version traduite. Je ne remets pas en question la qualité de la traduction, mais il s’agit toujours d’une traduction et elle n’a pas la même autorité ni la même valeur. Donc, même pour la Cour suprême du Canada, on a toujours l’original et la traduction, que ce soit pour le français ou l’anglais. Donc, comme l’explique la professeure Karen McLaren :
La solution employée actuellement à l’égard des décisions de certains tribunaux revient à traiter la traduction comme s’il y avait une langue officielle principale, la langue de rédaction des jugements, et une obligation d’accommodement en ce qui concerne l’emploi de l’autre langue officielle, la langue dans laquelle ces décisions sont traduites.
À quoi cela sert-il de traduire un jugement si les deux versions n’ont pas la même valeur et la même autorité? Comment peut-on parler d’égalité si une des langues est défavorisée lorsque vient le temps de choisir la version d’une décision judiciaire? Je me plais à citer M. Michel Bastarache, qui a comparu devant vous il y a deux semaines, en ce qui a trait aux précédents en common law. La common law s’élabore à partir des précédents. M. Bastarache expliquait ceci :
[U]ne décision judiciaire, une fois rendue, fait partie du droit. Cela est particulièrement vrai des matières de common law. Ce fait souligne à nouveau qu’il est essentiel de reconnaître que des raisons importantes justifient de considérer les jugements comme des documents entièrement bilingues dont les deux versions font autorité.
Il disait cela en 2009; c’était un souhait qu’il exprimait.
En réalité, on constate une inégalité. D’une part, on a le traitement réservé aux lois, dont les versions anglaise et française font également autorité et qui ont la même valeur et, d’autre part, il y a des décisions et des jugements qui n’ont pas cette valeur ou cette reconnaissance officielle. Quelles sont les conséquences? On en a parlé tout à l’heure. Ce qui arrive, c’est que, lorsqu’il n’y a pas de volonté politique au niveau des provinces ou même du législateur fédéral, on n’accorde pas les fonds et l’importance voulus.
J’ai trouvé les propos de Me Bergman formidables. Il a dit, mot pour mot, ce que je voulais dire. On assiste à l’élaboration parallèle de deux jurisprudences. En fait, ce sont vraiment les deux solitudes du Canada. Il y a le droit civil, qui se définit de plus en plus seulement en français, et la common law, qui s’élabore pratiquement en anglais seulement. Au Manitoba, en Ontario et au Nouveau-Brunswick, par exemple, il y a des lois bilingues très bien rédigées. Il y a une volonté politique. On a réalisé des progrès incroyables au cours des 30 dernières années. On a une solide législation bilingue, mais les tribunaux n’ont pas suivi. On n’a pas eu de suite logique. Il s’agit d’une lacune profonde.
Pour vous situer un peu, je vais prendre trois exemples : l’Ontario, le Québec et le Manitoba. En Ontario, on a très peu de décisions rendues en français ou traduites en français. Le Centre de traduction de l’Université d’Ottawa traduit quelques décisions à la demande des parties. Les demandes sont triées sur le volet. Au Manitoba, même si le bilinguisme législatif est plus officiel, mieux ancré et reconnu, il est difficile de trouver des décisions en français. C’est pratiquement un parcours du combattant; il y en a très peu. Au Québec — j’ai trouvé extraordinaire ce que M. Bergman a dit —, c’est vraiment incroyable. Les tribunaux ne traduisent pas les jugements et ils ne sont publiés qu’en français dans l’immense majorité des cas — ou parfois même en anglais — et le juge n’a aucune obligation de rendre ou de rédiger son jugement dans la langue des parties. Dans certains cas, le procès s’est déroulé en français, les parties étaient francophones, mais le juge rédigeait sa décision en anglais. Il y a des cas où c’est le contraire, comme on l’a entendu plus tôt. Il n’y a aucune obligation légale de rendre ou d’écrire sa décision dans la langue des parties.
Le problème auquel on est confronté, c’est que les parties ont le droit de s’adresser au juge dans leur langue, d’avoir un procès dans leur langue, mais ne peuvent pas exiger qu’une décision soit rendue dans leur langue. Nous avons vu des exemples de cela plus tôt avec une décision de divorce qui n’a pas été rendue dans la langue des parties, notamment. Des statistiques de 2017 révèlent que, pour la Cour d’appel du Québec, 18 arrêts seulement ont été traduits du français à l’anglais. Le problème de cette jurisprudence parallèle, c’est que, effectivement, des décisions importantes qui sont rendues au Québec passent tout à fait inaperçues alors qu’elles peuvent avoir des conséquences dans le reste du Canada. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Cette situation s’est produite à plusieurs reprises. J’en donne d’ailleurs des exemples dans mon mémoire. Donc, les avocats s’arrachent les cheveux. Ils cherchent la version anglaise, mais elle n’existe pas. Je vais citer une décision de la Cour d’appel du Québec du 20 octobre 2017. L’avocat a écrit ceci :
[Traduction]
Une affaire intéressante, qui est maintenant renvoyée à la Cour suprême, a été portée à mon attention grâce au bulletin de Supreme Advocacy. On résume l’essentiel du problème en demandant si les avocats peuvent être tenus responsables de l’aiguillage vers des professionnels. Pour être bref, cela semble plutôt inquiétant, et ce qui l’est autant, c’est que la Cour d’appel du Québec a répondu « oui ». J’ai donc consulté la décision pour voir ce qu’il en était.
[Français]
Voici ce sur quoi je voulais attirer votre attention :
[Traduction]
Je devrais mentionner que je ne suis pas bilingue. J’ai lu et interprété la décision de la Cour d’appel du Québec à l’aide de l’outil de traduction automatique de Google Chrome [...]
[Français]
Non seulement ce juriste n’est pas scandalisé par le fait qu’il n’existe pas de traduction, mais il n’hésite pas à utiliser Google Translate. Il s’émerveille de ce que Google Translate lui donne. Le résultat, c’est une traduction qui n’a ni queue ni tête. Je la cite :
[Traduction]
In an excellent metaphor for causation, the Court of Appeal described the doomed investments as « inextricably linked in a gear where the appellants were trained by M. Salomon’s faults ». [sic]
[Français]
En fait, la version originale en français était : « Ces investissements s’inscrivent de manière indissociable dans un engrenage où les appelantes ont été entraînées par les fautes de Me Salomon. » Donc, il n’y a aucun rapport.
Un autre problème a été cerné : l’accès à la justice. Étant donné que peu de décisions sont rendues en français en common law dans les provinces autres que le Québec et que peu de jugements sont traduits en anglais en droit civil au Canada, le citoyen a un accès partiel et limité à la justice dans sa propre langue. Le citoyen a le droit d’avoir un procès dans sa langue. Le fait qu’aucune obligation n’est imposée au juge de rendre sa décision dans la langue du justiciable ni aux tribunaux de publier leurs jugements dans les deux langues officielles est aberrant, à mon avis, dans un pays qui se veut un modèle en matière de bilinguisme et de bijuridisme.
Je trouve encore étonnant qu’on s’interroge — je vais peut-être un peu plus loin que ce qu’on a entendu — sur la nécessité d’être bilingues pour les juges de la Cour suprême. Vous allez peut-être trouver cela étonnant, mais cela n’a rien à voir avec des questions de politique et de langue. C’est simplement en raison de leur description de tâches. Le rôle du juge, c’est d’interpréter la loi. Son rôle, c’est d’interpréter la loi, de l’appliquer au litige dont il est saisi. Or, c’est un sujet qu’on n’aborde pas. Je ne sais pas pourquoi. C’est un sujet tabou, mais le juge doit tenir compte des principes d’interprétation de la loi. De nombreux ouvrages canadiens — Côté, Beaupré — ont été publiés à ce sujet. Un des principes de base de l’interprétation des lois, c’est de confronter les deux versions, française et anglaise. Imaginez un juge unilingue anglophone à la Cour suprême qui n’est pas capable de lire la version française. C’est inacceptable, parce que cela fait partie de sa description de tâches. C’est comme si on embauchait un ouvrier qui ne peut pas faire la moitié de son travail. Cela n’a rien à voir avec la langue ou la politique. C’est une question d’être en mesure d’accomplir son travail. Un juge doit être en mesure de comparer l’anglais et le français pour saisir les subtilités.
Donc, je trouve cela extraordinaire. Moi, je ne serais pas allé aussi loin, mais si on pouvait, idéalement, proposer au gouvernement fédéral... Parce que c’est vrai, la volonté politique à l’échelon provincial, y compris au Québec, n’est pas présente pour assurer un bilinguisme. Soyons conséquents. Veut-on vraiment un pays bilingue et bijuridique, ou veut-on avoir deux systèmes qui s’en vont à la dérive en parallèle? Sinon, il faut corriger le tir. Il y a des lois solides, des lois qui fonctionnent bien et qui sont appliquées au Nouveau-Brunswick. La deuxième étape serait d’obtenir au moins les jugements des cours d’appel des provinces en français et en anglais. De plus, les juges de la Cour suprême devraient être obligés de maîtriser les deux langues avant d’être nommés. Cela résume, en gros, mes recommandations et mon opinion. Je peux maintenant répondre à vos questions.
Le président : Je vous remercie, monsieur Beaudoin. Compte tenu du temps dont nous disposons, vous pourrez poursuivre durant la période des questions.
La sénatrice Poirier : Monsieur Beaudoin, merci d’être venu. Dans votre mémoire, vous recommandez que la Loi sur les langues officielles exige que tous les jugements de la Cour d’appel fédérale soient publiés dans les deux langues officielles en même temps, et que les jugements des autres tribunaux fédéraux soient publiés dans un délai raisonnable. J’ai une question à ce sujet : d’après vous, quel serait un délai raisonnable, et craignez-vous qu’une notion suggestive comme le délai raisonnable n’obtienne le même traitement que la partie VII sur les mesures positives?
M. Beaudoin : J’avoue que j’ai laissé cette notion floue, parce que le pas que l’on franchirait en exigeant la publication des jugements de la Cour d’appel fédérale simultanément dans les deux langues — et là, j’ajouterais les jugements des autres tribunaux des provinces — est tellement grand qu’il ne serait pas réaliste d’imposer une publication simultanée pour tous les jugements. Donc, quand je parle d’un délai raisonnable, c’est comme si je laissais la question en suspens en mentionnant ce principe et en laissant à quelqu’un d’autre, au final, le soin de préciser. J’avoue que j’ai manqué de courage ou de précision, et je n’ai pas été capable d’aller plus loin dans cette notion.
La sénatrice Poirier : En ce qui a trait à ce délai, pour les cours, de rendre les décisions disponibles dans les deux langues officielles, quelle est l’approche des autres pays dans ce domaine, et pouvons-nous apprendre d’eux afin de résoudre ce problème?
M. Beaudoin : C’est une bonne question. Le seul exemple qui me vient à l’esprit est celui de la Cour européenne de justice, les grandes institutions européennes ou les tribunaux internationaux. Dans ces cas-là, c’est un peu étrange, parce que le français est la langue première, donc tous les juges rédigent leur jugement en français et, après cela, le jugement est traduit dans d’autres langues. Cependant, je ne peux pas parler en connaissance de cause, parce que je ne connais pas toute la mécanique. Je crois, sous toute réserve, que la publication se fait simultanément dans toutes les langues officielles; c’est un peu comme à la Cour suprême, même si les deux versions n’ont pas la même valeur. Elles ont, dans les faits, la même valeur, mais ce n’est pas déclaré officiellement. En réalité, les jugements de la Cour suprême sont publiés simultanément dans les deux langues. Ce n’est pas l’anglais qui est publié en premier et ensuite le français deux semaines plus tard. Les deux versions sont publiées en même temps. Donc, c’est un peu le modèle que je suggère pour la Cour d’appel fédérale, c’est-à-dire que le même traitement soit réservé pour cette cour, qui a tout de même une plus grande importance.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Beaudoin, je vous félicite pour votre beau travail de juriste-traducteur et de jurilinguiste depuis 35 ans.
Vous avez raison; il existe un déséquilibre marqué entre le bilinguisme législatif et le bilinguisme judiciaire. Dans le cas du bilinguisme judiciaire, il est grand temps de reconnaître l’autorité égale de la version traduite des jugements. La meilleure façon de le faire est de modifier la Loi sur les langues officielles. D’ailleurs, comme vous l’avez mentionné, la reconnaissance du principe de l’égalité de l’autorité de la version française et de la version anglaise est déjà consacrée dans la législation fédérale et dans les lois du Nouveau-Brunswick.
M. Beaudoin : Absolument.
Le sénateur McIntyre : Au premier groupe de témoins, j’ai posé cette question : devrait-on codifier, dans la Loi sur les langues officielles, les principes reconnus par la jurisprudence?
Je vous pose la question : la Loi sur les langues officielles devrait-elle codifier les principes applicables au bilinguisme?
M. Beaudoin : Je vous remercie de votre question. Je ne me suis pas vraiment penché sur cette question; je dirais que oui, si cette codification des principes doit guider les juges dans l’interprétation de la loi et lui donner plus de vigueur et plus de force, puisque je pense que c’est là l’idée ou le but. Si on consacre ces principes dans la loi, les juges, à ce moment-là, lorsqu’ils sont saisis d’un litige, doivent en tenir compte encore davantage, et aussi l’ombudsman ou le commissaire qui sera nommé.
Donc, à première vue, je dirais que oui, puisque cela donne une plus grande valeur et une plus grande solennité. Cela vient consacrer des principes que la Cour suprême a dégagés au fil des années. J’irais peut-être davantage vers ce qu’on a suggéré tout à l’heure comme mécanisme d’efficacité, soit la centralisation aux mains d’une seule personne et la reconnaissance de la valeur égale des deux versions. C’est certainement un pas dans la bonne direction.
Le sénateur McIntyre : Oui, parce que le premier groupe de témoins était d’accord pour codifier les principes reconnus par la jurisprudence dans la Loi sur les langues officielles.
M. Beaudoin : Absolument, oui.
La sénatrice Gagné : Je vais également renchérir sur les commentaires de mon collègue, le sénateur McIntyre.
Votre mémoire est très bien construit, il est très clair et vos recommandations vont nous permettre d’alimenter notre réflexion dans ce domaine. Vous avez bien exposé la problématique entourant le principe d’égalité des langues officielles. Vous avez également mentionné dans votre mémoire qu’il faudrait confier de nouveau la gestion de la traduction des décisions des tribunaux fédéraux au Bureau de la traduction de petits cabinets indépendants, sous la direction de la SAT.
M. Beaudoin : En fait, c’est le Service d’appui aux tribunaux judiciaires; je me suis trompé.
La sénatrice Gagné : D’accord. J’aimerais revenir sur l’importance de pouvoir également soutenir le travail. Nous avons besoin de traducteurs spécialisés. J’ai l’impression que, pour les universités — et je peux le dire, parce que j’ai été à la tête d’une université francophone au Manitoba —, il est difficile de recruter des étudiants pour s’inscrire à des programmes, à moins qu’il y ait un soutien en vue d’attirer des gens qui sont déjà des professionnels dans d’autres domaines pour qu’ils complètent leur formation de base. Comment fait-on pour bâtir cette connaissance et pour être en mesure de soutenir le travail qui devrait être fait au niveau de la traduction?
M. Beaudoin : Il y a certaines balises. Il faut reconnaître, comme vous l’avez fait, que c’est un travail spécialisé. La traduction des jugements et des lois est un travail spécialisé. On ne peut pas confier cela à des non-juristes ou à des gens qui n’ont pas les connaissances, la sensibilité ou la rigueur requises pour faire ce travail.
Il y a des jurilinguistes qui ne sont pas nécessairement formés en droit; il faut avoir la rigueur, l’intérêt ou la formation nécessaires. Le problème qui est survenu au cours des dernières années, c’est que la traduction des jugements des tribunaux fédéraux a été confiée à deux ou trois gros cabinets qui n’ont pas de traducteurs juridiques ni de jurilinguistes; c’est une question de réduction des coûts. Donc, on se retrouve avec un sérieux problème de terminologie et de qualité.
Actuellement, il y a un programme à McGill pour former des étudiants en traduction juridique. On peut encadrer des débutants, des étudiants. Je pense que c’est une question de sensibilité, de volonté. Ce qu’il faut éviter, c’est de vouloir obtenir le plus bas coût pour le plus gros volume de traduction. Ce sont des erreurs que nous ne devons plus faire. Les coûts sont astronomiques quand il faut tout recommencer.
Toutes les formules sont bonnes. J’ai travaillé avec les universités et il y a d’excellents traducteurs, parce qu’il y a des gens dans les universités qui sont sensibilisés à ces questions. Donc, toutes les formules sont bonnes, sauf, évidemment, celle de confier ce travail à des non-juristes ou à de grosses boîtes qui sont là pour le rendement.
C’est un peu comme quand je fais des congrès aux États-Unis. Parfois, je suis étonné par le fait que la traduction est vue comme une entreprise. Par contre, on n’en est pas là. En ce qui concerne cette passion du bijuridisme et du bilinguisme qui sont ancrés dans les valeurs canadiennes, il faut que la qualité soit au rendez-vous.
La sénatrice Moncion : Je renchéris, comme mes collègues, sur la qualité de votre document.
M. Beaudoin : Merci.
La sénatrice Moncion : Ma question touche la common law par rapport au droit civil. Jusqu’à quel point y a-t-il une reconnaissance canadienne et une réciprocité qui se crée entre les deux systèmes? Parce que souvent, je vois bien que — et c’est peut-être une impression personnelle — ce qui se passe au Québec concerne le Québec, et ce qui se passe dans le reste du Canada au niveau de la common law se passe dans le reste du Canada. Pourriez-vous me parler de cette réciprocité?
M. Beaudoin : Le droit québécois est hybride. Il y a les matières purement civilistes et il y a des domaines qui font partie de la common law, comme le commerce et le droit criminel. C’est pour cela que, tout à l’heure, lorsque je parlais de jugements rendus au Québec, en droit criminel par exemple, et qui passent inaperçus, c’est vraiment dommage, parce que c’est de la common law qui vient du Québec et qui reste en vase clos.
En réalité, le droit québécois n’est pas taillé au couteau comme cela. Il y a les matières privées, les biens, et d’autres matières, mais il y a aussi le droit public, la faillite, le commerce, le droit pénal, et tout cela est pancanadien.
La sénatrice Moncion : C’est reconnu?
M. Beaudoin : Oui, c’est applicable uniformément et de la même manière partout.
La sénatrice Moncion : Non, je comprends l’application, mais est-ce reconnu partout à l’intérieur du Canada?
M. Beaudoin : C’est le problème qu’on a soulevé. Non, cela n’est pas reconnu, parce qu’il n’y a pas de traduction ni d’accès. Il y a un problème d’accès à la version dans l’autre langue, comme dans le cas dont j’ai parlé tout à l’heure, où l’avocat était désespéré et a utilisé la traduction de Google pour comprendre un jugement important de la Cour d’appel du Québec en matière de personnes morales, donc qui avait trait aux compagnies.
Bon, peut-être qu’il y a des lois différentes : la Loi sur les compagnies du Québec n’est pas la même qu’en Ontario, mais c’est un bon exemple. Alors, cet avocat voulait absolument lire ce jugement et il l’a probablement mal interprété, ou alors il avait une mauvaise traduction. Je pense que, si on avait accès aux arrêts des cours d’appel dans les deux langues partout au Canada, cela réglerait beaucoup de problèmes.
La sénatrice Mégie : Merci, monsieur Beaudoin. J’ai découvert une nouvelle spécialité dont je ne connaissais pas l’existence. De temps en temps, dans certains projets de loi, on essaie de trouver ce qui ne fonctionne pas et de déterminer pourquoi tel projet de loi a été traduit comme ça. Pour faire suite à la question de la sénatrice Moncion, vous avez dit que, si on se sert de Google pour traduire, on aura sûrement une traduction absurde...
M. Beaudoin : Pas nécessairement, mais il y a de grands risques, surtout en droit.
La sénatrice Mégie : Avec des conséquences délétères pour celui qui va les subir. Avec l’évolution de la nouvelle technologie, où la plupart des choses sont affichées en anglais, qu’est-ce qui risque de se passer?
M. Beaudoin : Que voulez-vous dire?
La sénatrice Mégie : Est-ce que les jugements traduits sont publiés sur Internet?
M. Beaudoin : Bonne question. Oui, mais pas tous. Il y a eu un litige devant la cour parce que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada s’est soustraite à ses obligations en affirmant qu’elle ne traduirait pas toutes ses décisions en français, parce qu’elle ne les publie pas toutes et qu’elle va traduire seulement ce qui est publié sur Internet.
En principe, tout n’est pas publié; en Cour d’appel fédérale et en Cour suprême, certainement. Par contre, pas mal tout doit nécessairement être accessible sur le Web.
La sénatrice Mégie : Il faut que la traduction soit bonne si elle est accessible.
M. Beaudoin : Oui, et ce n’est pas toujours le cas.
La sénatrice Mégie : Y a-t-il beaucoup de gens formés comme vous dans cette spécialisation pour faire ce travail?
M. Beaudoin : Oui, il y en a, bien sûr. C’est vraiment un intérêt qu’on développe avec le temps. Oui, il y a des spécialistes.
La sénatrice Mégie : C’est peut-être cela qui va aider.
M. Beaudoin : Oui, sûrement.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Beaudoin. J’aimerais à mon tour souligner la qualité de votre mémoire ainsi que la précision de vos commentaires. Merci beaucoup. Nous allons suspendre la séance et la poursuivre à huis clos dans quelques instants.
(La séance se poursuit à huis clos.)