Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 30 - Témoignages du 25 octobre 2018
MONCTON, le jeudi 25 octobre 2018
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 13 h 30, afin de poursuivre son étude sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour. Je suis le sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la rencontre d’aujourd’hui.
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit son étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles dans le cadre de son quatrième volet portant sur le secteur de la justice.
Nous avons le plaisir d’accueillir M. Érik Labelle Eastaugh, directeur de l’Observatoire international des droits linguistiques. Bienvenue, monsieur.
Avant de passer la parole à notre témoin, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant par ma droite.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier. Je suis de Saint-Louis-de-Kent.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le président : Merci, chers collègues. Avant de commencer, j’aimerais recevoir une motion permettant que le personnel des communications du Sénat soit autorisé à prendre des photos pendant la séance. La motion est proposée par la sénatrice Moncion. Tout le monde est d’accord?
La sénatrice Moncion : Absolument.
Le président : Je vous remercie.
Alors, bienvenue, monsieur Eastaugh. La parole est à vous.
Érik Labelle Eastaugh, directeur, Observatoire international des droits linguistiques, Université de Moncton, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président. Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui à partager avec vous mes réflexions sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Je suis très honoré de pouvoir contribuer à vos délibérations.
Les réflexions que je vais partager avec vous sont tirées de deux sources. Premièrement, selon mon expérience en tant qu’avocat de litige ayant participé à plusieurs dossiers liés à la Loi sur les langues officielles, et deuxièmement, comme chercheur universitaire et, évidemment, à titre de directeur de l’Observatoire, où je travaille depuis 14 mois.
Évidemment, la modernisation d’une loi comme la Loi sur les langues officielles offre un chantier très vaste. Moi, je vais concentrer mes remarques préliminaires sur deux aspects en particulier. Ensuite, je serai heureux de répondre à vos questions sur n’importe quelle partie de la loi qui vous intéresse. Donc, je vais me concentrer sur la partie V et la partie VII.
En ce qui concerne la partie VII, j’ai le mérite — si on peut appeler ça comme ça — d’avoir une thèse de doctorat sur l’interprétation de la partie VII. Il faut reconnaître que la partie VII a besoin de réformes. Les institutions fédérales peinent toujours à comprendre la nature de leurs obligations en vertu de l’article 41, et les tribunaux se sont montrés très réticents à prononcer des ordonnances sur la base de l’article 41 et de la partie VII. On a vu tout récemment une décision de la Cour fédérale, sortie de la Colombie-Britannique, où le juge Gascon a avalisé la théorie, ou l’interprétation, proposée par le gouvernement selon laquelle l’article 41 n’imposait aucune obligation spécifique aux institutions fédérales et qu’elles disposent essentiellement d’une discrétion illimitée lorsqu’il s’agit de déterminer comment s’acquitter de leurs obligations.
Au cas où mon témoignage serait repéré par les tribunaux à un moment donné, je veux dire clairement que je crois que la Cour fédérale a erré dans son jugement, et je suis d’avis que l’article 41, dans sa forme actuelle, impose des obligations précises.
Un peu à l’instar de feu le sénateur Gauthier, je crois qu’il faut clarifier la portée de l’article 41, et de la partie VII, en général, pour éviter ce genre de problème. Il faut constater qu’on a vu la complexité et l’étendue des activités qu’on cherche à régir avec la partie VII et qu’on a voulu se limiter à des termes généraux. Mais le problème, c’est que les termes sont trop généraux pour pouvoir être définis avec suffisamment de précision, du moins pour les juristes et les tribunaux. Lorsqu’ils se retrouvent devant ce langage-là, ils ne savent pas trop quoi faire avec. Donc, pour remédier à ce problème, je propose une série de trois modifications qui permettraient de préciser davantage la partie VII.
Dans un premier temps, je crois qu’il faut clarifier que la partie VII vise deux objectifs distincts, qui sont reliés, mais qui sont distincts l’un de l’autre.
Premièrement, il faut reconnaître que la partie VII a pour objectif de faire en sorte que les intérêts et la spécificité des communautés de langue officielle en situation minoritaire soient pris en compte en amont, lors du processus décisionnel de toute institution fédérale, dans l’élaboration de programmes, de services, de politiques, et cetera. Bref, que la partie VII ait une mission transversale par rapport à la loi. C’est-à-dire, on veut s’assurer, entre autres pour respecter le principe de l’égalité réelle, de tenir compte des différences culturelles et sociologiques assez importantes entre les différentes communautés linguistiques, et que ces facteurs-là soient pris en compte par les institutions fédérales avant une prise de décision, avant qu’elles s’arrêtent sur un service donné ou un modèle de service particulier. Donc, on veut clarifier que la partie VII, ce n’est pas tout simplement des obligations additionnelles et distinctes, mais que la partie VII est censée s’appliquer dans le cadre de toutes les activités, même celles qui sont également régies, par exemple, par la partie IV.
Je veux clarifier aussi que la partie VII a un autre objectif qui, évidemment, rejoint le premier, mais qui est distinct, et c’est celui d’imposer l’obligation aux institutions fédérales d’appuyer la vitalité linguistique des communautés en situation minoritaire lorsque l’occasion se présente dans le cadre de leurs mandats. Ça, ce n’est pas la même chose que de respecter le principe de l’égalité réelle. L’égalité réelle exige que les services soient réellement adaptés aux besoins des deux communautés, ce qui peut exiger un modèle de services différent pour chaque communauté. Évidemment, ça va aussi appuyer la vitalité linguistique. Mais il y a également d’autres occasions qui se présentent aux institutions fédérales et elles ont l’obligation de les cerner et de passer à l’acte lorsqu’elles les ont établies.
Donc, afin d’atteindre ces deux objectifs-là, il y a d’autres modifications qui s’imposent à la partie VII. Premièrement, il faut préciser qu’il y a une obligation de consulter les communautés elles-mêmes, par rapport à toute décision qui est susceptible d’avoir un impact sur leurs intérêts. Encore une fois, pour les futurs litiges, je suis d’avis qu’une telle obligation existe déjà en vertu de l’article 41, mais je crois qu’il serait souhaitable qu’elle soit énoncée de façon explicite, pour éliminer tout doute sur la question.
Il faudrait également reconnaître un droit aux communautés de participer à l’élaboration de tout programme politique ou service qui aura un impact sur leurs intérêts, en tant que communautés linguistiques, sur leur vitalité sociolinguistique. Ici, on parle du fameux principe du « par et pour », que d’autres témoins ont mentionné. Je crois, par contre, que j’irais plus loin que certains témoins, comme la Fédération, qui s’est gardée de préciser l’obligation de consulter et de tenir compte des représentations des communautés. Je crois qu’il faut aller plus loin et reconnaître un droit de participer comme tel à l’élaboration des programmes et des services, là où c’est approprié.
Ce que j’ai en tête, c’est un peu le modèle qui est en cause dans l’affaire Desrochers. Je ne sais pas si vous connaissez cette cause-là. C’était un dossier où il y avait un programme de développement économique communautaire mis sur pied par Industrie Canada, et ce qu’on revendiquait, c’était le droit de maintenir en place une agence francophone séparée qui était branchée sur la communauté des affaires de la région concernée, soit Huronia, en Ontario, pour faire en sorte que la communauté elle-même gère directement le programme et définisse les orientations et les priorités du programme. C’est un peu ce genre de modèle. Il faudrait donner une reconnaissance plus explicite selon laquelle ce genre de modèle doit être envisagé dans certains cas.
Enfin — c’est la troisième modification —, il s’agit de prévoir que dans certains cas il y aura même une obligation de déléguer la gestion et la prestation de programmes ou de services à des organismes communautaires autonomes. Encore une fois, c’est un peu le modèle qui a servi d’inspiration dans l’affaire Desrochers aussi, et c’est le modèle de la gouvernance scolaire. On sait que les écoles relèvent de l’État provincial, mais en ce qui concerne certains aspects de leurs activités, ils doivent être gérés par la communauté ou par les ayants droit.
De plus, pour faire fonctionner toutes ces recommandations-là, il y a certaines autres recommandations ou modifications qui s’imposeraient également. Premièrement, il faut que la loi accorde un statut officiel aux porte-paroles des communautés, pour qu’elles soient reconnues directement dans la loi.
Deuxièmement, il faut leur garantir un financement de base minimal, pour leur permettre d’assurer leur rôle de consultation et de participation dans l’élaboration et la gestion de programmes, au besoin. Et pour préserver leur autonomie, parce qu’un des problèmes que plusieurs chercheurs ont soulevés, c’est que le modèle de financement actuel fait en sorte que les organisations communautaires deviennent de plus en plus des prolongements de l’État fédéral, parce qu’elles doivent fonctionner dans le cadre de priorités qui sont cernées par le gouvernement et non pas par les communautés elles-mêmes. Donc, il faut préserver cette indépendance de réflexion, cette autonomie des communautés.
Troisièmement, il faudrait exiger la conclusion d’ententes communautaires exécutoires relatives à la mise en œuvre de la partie VII. C’est là le point culminant de toutes les modifications, parce que ce serait des ententes qui permettraient de vraiment préciser des normes qui seraient justiciables. Parce que le problème, à la base, avec la partie VII, c’est qu’elle n’a pas les moyens de ses ambitions. La partie VII est formulée en termes tellement généraux que, lorsqu’on se retrouve devant les tribunaux, lorsqu’il y a un désaccord avec une institution fédérale, c’est trop général et c’est trop facile pour le ministère de la Justice ou pour le gouvernement d’adopter une interprétation minimaliste de ses obligations. Donc, l’étape de la conclusion d’une entente exécutoire permettrait de préciser davantage le contenu des obligations.
Je voudrais simplement ajouter, très brièvement, par rapport à la partie V, qu’elle souffre également d’un certain excès de généralité, selon moi. Je constate aussi qu’il y a très peu de témoins, en fait, qui ont parlé de la partie V devant vous, je crois. C’est un peu l’enfant pauvre de la loi, à part la partie VII. Je proposerais donc deux modifications principales à la partie V pour remédier au problème d’excès de généralité.
Premièrement, il faudrait modifier la partie V pour qu’elle énonce clairement que tout individu a les mêmes droits en vertu de la partie V, en matière de normes de travail, peu importe qu’il soit unilingue ou bilingue. Donc, il faut préciser que les personnes bilingues, qui par hasard se trouvent à être bilingues, n’ont pas moins de droits linguistiques que les personnes unilingues. La raison pour laquelle il faut ajouter une disposition à cet effet, selon moi, c’est qu’à l’heure actuelle, les personnes bilingues dans la fonction publique font les frais du bilinguisme officiel et de Loi sur les langues officielles. Et les institutions fédérales se permettent de ne pas mettre en place des structures et des mesures qui s’imposeraient pour respecter pleinement leurs obligations, parce qu’il y a suffisamment de personnes bilingues pour faire fonctionner la machine sans avoir besoin de mettre en place de tels systèmes.
Ce qui m’amène à la deuxième proposition. Il faut clarifier davantage la portée de l’obligation qui est prévue actuellement à l’article 36, quand on parle d’obligations minimales, soit la portée des services et des autres ressources qui doivent être mis à la disposition d’une personne pour qu’elle puisse travailler dans la langue officielle de son choix. Le principe général devrait être que toute personne, que tout employé devrait avoir accès à tout ce dont il a besoin pour s’acquitter de ses responsabilités en tant qu’employé. Bref, si cette personne était unilingue, de quoi aurait-elle besoin pour pouvoir faire son travail? Et ça, c’est la façon dont on devrait définir l’étendue des obligations de l’institution fédérale par rapport à ses employés.
Parce qu’on s’entend que c’est la situation en ce moment pour les personnes unilingues. Si on ne leur donne pas les moyens d’effectuer leur travail, elles ne peuvent tout simplement pas le faire, alors que, dans le cas des personnes bilingues, souvent on va se permettre de ne pas mettre à leur disposition les ressources dans les deux langues officielles, parce qu’on va s’attendre à ce qu’elles utilisent les ressources dans l’autre langue, même si n’est pas leur langue choisie.
On devrait préciser dans la loi les exceptions à ce principe-là. Les exceptions devraient être assez limitées, soit des situations où la prestation du travail du poste comme tel exige que la personne utilise l’autre langue. Donc, par exemple, dans le cas d’une personne qui donne des services au public, on peut s’attendre à ce que cette personne-là communique dans la langue officielle choisie par le membre du public et non dans celle qu’elle veut utiliser. Ou, par exemple, si une personne occupe un poste de cadre, cette personne-là, pour respecter les droits linguistiques de l’employé, doit pouvoir communiquer avec elle dans la langue officielle de son choix.
Hormis des situations comme celles-là, où le respect des droits linguistiques exige l’utilisation d’une langue particulière, une institution fédérale ne devrait pas pouvoir justifier une exigence imposée à l’employé pour qu’elle utilise l’autre langue.
Pour vous donner l’exemple qui suscite ma réflexion à cet égard, je fais partie de l’équipe des avocats qui représentent M. André Dionne dans un recours en Cour fédérale en ce moment. M. Dionne, c’est un employé du Bureau du surintendant des institutions financières à Montréal. Il occupe un poste qui est désigné bilingue parce que son poste exige qu’il communique avec le public et les institutions financières, dont certaines veulent communiquer en anglais, et d’autres, en français. Pour pouvoir effectuer son travail, M. Dionne a besoin de communiquer de façon presque quotidienne, selon le dossier, avec des spécialistes en matière de gestion de risques financiers, et sans l’apport de ces spécialistes-là, il ne peut pas effectuer son travail. Presque tous les spécialistes du BSF sont situés à Toronto, et jusqu’à très récemment, tous ces postes-là étaient désignés unilingues anglophones. Ce qui voulait dire que M. Dionne et tous ceux qui se trouvaient dans sa position devaient communiquer en anglais pour une partie importante de leur travail, même si c’était des communications internes.
Donc, ce que je vise avec mes propositions, c’est ce genre de situation où une institution fédérale se permet de ne pas mettre en place les ressources requises qui permettraient à une personne de travailler dans la langue officielle de son choix, parce qu’elle occupe déjà un poste bilingue. Mais la désignation bilingue n’existe pas au bénéfice de l’institution pour lui permettre d’éviter certains coûts; la désignation bilingue existe pour protéger les droits linguistiques, soit du public ou des employés. Donc, c’est une perversion, selon moi, de l’esprit de la loi.
Je vais m’arrêter là, et je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci beaucoup pour cette présentation fort instructive.
Nous allons commencer nos échanges en commençant par la sénatrice Poirier.
La sénatrice Poirier : Merci pour votre présentation. J’espère que je ne vais pas vous demander de répéter, mais je voulais quand même poser une question sur la partie VII. Je sais qu’il y a une partie de ma question qui rejoint ce dont vous nous avez déjà parlé, mais on a entendu de plusieurs témoins l’importance de la partie VII. C’est une des parties de la loi dont on entend beaucoup parler, au chapitre des langues officielles. Cependant, c’est aussi la partie de la loi qui n’est pas toujours claire, selon ce que les gens nous disent.
Donc, je me demandais si vous voyez le besoin de l’éclaircir et si vous croyez qu’à l’heure actuelle la partie VII est adéquate ou qu’elle a besoin d’être modifiée. Si oui, comment imaginez-vous qu’on pourrait la renforcer? Je sais que vous avez partagé quelques recommandations. La dernière partie de ces questions est à savoir si on doit mieux définir ce à quoi on s’attend, quand on parle de mesures positives.
M. Labelle Eastaugh : Donc, oui à toutes ces questions. Je pense que c’est clair que même en 2005, au moment de la réforme, le législateur reconnaissait qu’il fallait des normes plus précises pour mettre en œuvre de façon efficace la partie VII. C’est pour ça qu’on a prévu que le gouverneur en conseil pourrait adopter des règlements. Or, ces règlements n’ont jamais été adoptés. Et d’ailleurs, ce serait difficile d’adopter un règlement efficace et fonctionnel sans l’apport des communautés.
Là, je ferais l’analogie encore avec l’article 23 de la Charte, qui, selon moi, est vraiment la meilleure analogie ici. Dans l’arrêt Mahé de 1990, la Cour suprême a reconnu un droit de gestion et de contrôle pour les parents ayants droit, en vertu de l’article 23. Et une des raisons principales qui ont motivé la reconnaissance de ce droit-là, c’est qu’il y a un problème pratique, ou un problème épistémologique, qu’on dirait en jargon académique, et c’est qu’une institution qui est dominée par la majorité va avoir de la difficulté à comprendre les besoins de la minorité, même si elle est de bonne volonté. Il faut reconnaître qu’elle ne l’est pas toujours. Mais même si elle est de bonne volonté, la majorité n’aura tout simplement pas la même compréhension des besoins de la minorité, et sa définition des priorités sera différente. Donc, si on n’incorpore pas la minorité directement au processus décisionnel et au processus de gestion, on n’aura pas accès à l’information dont on aura besoin pour que la mise en œuvre du droit soit efficace et pour que les services soient réellement de qualité égale dans les deux langues.
C’est pour ça qu’à mon sens, un règlement, ce n’est pas suffisant. Même s’il avait été adopté, un règlement, c’est un geste unilatéral qui provient du gouvernement fédéral qui indique comment les choses seront faites. Il faudrait mettre en place un processus, selon moi, qui obligerait le gouvernement à inclure la communauté dans un processus structuré qui mènerait à la conclusion d’ententes, qui joueraient le rôle du règlement. Donc, les ententes préciseraient les normes qui devraient guider la mise en œuvre de la partie VII.
Il faudrait aussi que le processus soit obligatoire. On pourrait faire l’analogie avec la négociation collective, en droit du travail, par exemple. Parce qu’un autre problème avec la partie VII actuellement, c’est que le règlement est facultatif. Le gouvernement n’a pas l’obligation d’adopter un règlement. Il peut le faire. Il ne l’a pas fait, ce qui nous laisse avec un vide juridique.
Donc, voilà. Je ne sais pas si j’ai répondu à tous les aspects de votre question.
La sénatrice Poirier : Ma prochaine question est une question plus générale que je pose souvent aux différents témoins. En 2002, je faisais partie du gouvernement du Nouveau-Brunswick, qui était la seule province bilingue du Canada qui avait lancé une révision de la loi, indiquant que la loi devait être révisée de nouveau tous les 10 ans. Est-ce que vous pensez que c’est quelque chose qu’on devrait inclure dans la Loi sur les langues officielles au niveau fédéral? Quelle est votre opinion à ce sujet?
M. Labelle Eastaugh : Je crois que ce serait une excellente idée. La réalité, c’est que le législateur va adopter une loi avec certaines présomptions en tête, sur le fonctionnement de la loi et la réalité sur le terrain, et sur la façon dont seront interprétées certaines dispositions. Et ces présomptions-là, il va toujours y en avoir certaines qui seront erronées.
Donc, il serait tout à fait salutaire, à mon sens, qu’il y ait un processus de révision périodique, et qu’il soit obligatoire. Parce que la question des langues officielles peut être sensible, au point de vue politique, et certains gouvernements ne voudront pas y toucher à moins d’y être contraints par une disposition de la loi. Donc, à mon avis, ce serait bonne idée.
La sénatrice Poirier : Quant au rôle du commissaire aux langues officielles fédéral, est-ce que vous croyez que son rôle devrait être assorti de plus de pouvoir? Est-ce qu’il devrait avoir la possibilité d’imposer des sanctions au besoin? Qu’est-ce que vous pensez de son rôle?
M. Labelle Eastaugh : J’ai constaté que c’est un point qui a été souvent discuté devant vous. J’ai beaucoup de sympathie pour le point de vue exprimé par M. Fraser et M. Boileau comme quoi ils ne veulent pas que le rôle du commissaire, en tant que médiateur, soit compromis si on lui confie un rôle de policier ou de chien de garde.
L’une des propositions que le commissaire Fraser avait faites dans son rapport spécial sur Air Canada, c’est qu’il y ait une division administrative qui soit introduite au sein du commissariat pour qu’il y ait une section des recours et une section des enquêtes, ce qui permettrait peut-être de préserver le rôle d’ombudsman, de son point de vue. Il y a aussi la possibilité d’un tribunal administratif.
En fin de compte, la réalité, c’est que la loi, actuellement, donne beaucoup de pouvoir au commissaire et, au sein de l’appareil fédéral, on ne s’en sert pas. Donc, la question est de savoir pourquoi on ne s’en sert pas. Le pouvoir de réparation qui est donné à la Cour fédérale en vertu de la partie VII est énorme. C’est exactement le même pouvoir qui est conféré en vertu de la Charte, et les tribunaux peuvent ordonner presque n’importe quoi. Le commissaire s’en sert relativement peu, et de façon relativement peu créative et peu agressive. Dans la question des amendes, par exemple, selon moi, le commissaire pourrait demander à la Cour fédérale d’imposer une amende. Ça se ferait.
Je crois qu’il faut reconnaître que le commissaire, en pratique, va se sentir dans l’impossibilité d’agir trop agressivement, parce qu’il va compromettre son efficacité en tant qu’ombudsman. Donc, il faut trouver une solution à ce problème particulier. Est-ce que c’est la création d’un tribunal administratif? Là, je ne le sais pas, parce qu’un tribunal administratif pourrait être plus simple que la Cour fédérale, mais je n’ai pas l’impression que le problème, en ce moment, c’est la complexité du processus devant la Cour fédérale, qui est déjà une procédure sommaire.
Moi, j’aime beaucoup l’idée du commissaire Fraser de créer une nouvelle section administrative. Ça pourrait aussi être une entité complètement différente. Il y aurait le commissaire en tant qu’ombudsman, qui mène des enquêtes, et une autre entité qui recevrait les rapports, et qui déciderait ensuite de procéder ou pas avec un recours judiciaire. Il faudrait clarifier que le commissaire peut ester directement en justice, qu’il n’a pas besoin de demander l’autorisation de la personne ayant porté plainte.
La sénatrice Poirier : Merci.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Labelle Eastaugh, merci de votre présentation.
Décidément, l’Observatoire a une ouverture internationale. Je comprends que votre organisme a signé un partenariat avec l’Organisation internationale de la Francophonie. Alors, ma question est la suivante : pourriez-vous nous expliquer un peu ce que comprend ce partenariat?
M. Labelle Eastaugh : Donc, c’est une entente en vue d’identifier l’Observatoire comme un partenaire potentiel pour l’OIF. Il faut comprendre que les partenariats avec des organisations comme l’OIF ont tendance à procéder en deux temps. Dans un premier temps, we agree to agree. On crée une entente-cadre qui va prévoir les modalités d’une future collaboration, et ensuite, il va y avoir des projets particuliers qui vont s’insérer dans le cadre de l’entente. Donc, l’entente qui a été signée au printemps dernier, c’est une entente qui crée les modalités pour la coopération de l’Observatoire et de l’OIF. On est donc en train de discuter de projets particuliers qu’on pourrait poursuivre dans le cadre de cette entente-là.
Le sénateur McIntyre : Comme vous le savez, il existe deux organismes, l’OIF et l’APF, l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. L’OIF est surtout composée d’États et de gouvernements, alors que l’APF est composée de parlementaires de la Chambre des communes et du Sénat, si on pense à la situation actuelle au Canada.
Alors, ma question est la suivante : croyez-vous qu’il aurait été avantageux et profitable de signer également un partenariat avec l’APF?
M. Labelle Eastaugh : Malheureusement, vous m’attrapez au dépourvu. Ce n’est pas une question à laquelle j’ai réfléchi, malheureusement.
Le sénateur McIntyre : C’est parce qu’on oublie souvent l’APF. On pense plutôt à l’OIF.
M. Labelle Eastaugh : Oui. Je n’ai aucune raison de croire que ce ne serait pas souhaitable, mais je ne peux pas vraiment en dire plus, parce que je n’ai pas vraiment examiné la possibilité.
Le sénateur McIntyre : Peut-être une prochaine question, si vous le permettez, monsieur le président?
Les pratiques en place au Nouveau-Brunswick, ou ailleurs dans le monde, peuvent-elles inspirer le gouvernement fédéral dans la modernisation de Loi sur les langues officielles?
M. Labelle Eastaugh : Oui, absolument. Je crois qu’un aspect du régime néo-brunswickois qui mérite d’être souligné, c’est qu’il y a une plus grande ouverture, une reconnaissance plus explicite, en tout cas, de la dimension collective des droits linguistiques. Je pense entre autres à l’article 16.1 de la Charte, ou de la Loi no 88.
Le système au niveau fédéral actuellement est un peu hybride. C’est-à-dire qu’il a été conçu par la Commission Laurendeau-Dunton qui était très ouverte à l’idée de la dimension collective. Mais ensuite, il a été mis en place par le gouvernement Trudeau, qui était plus favorable aux droits individuels. Par la suite, il y a eu une refonte de la loi en 1988, de pair avec l’accord du lac Meech qui, justement, cherchait à faire évoluer le droit dans la direction d’une plus grande ouverture envers la dimension collective.
À mon sens, je crois que le fédéral devrait s’inspirer de ce que le Nouveau-Brunswick a fait à ce niveau-là et conférer une reconnaissance plus explicite au niveau communautaire, et reconnaître notamment l’importance des institutions et de l’autonomie institutionnelle à la vitalité linguistique et communautaire.
Le sénateur McIntyre : Merci.
La sénatrice Gagné : Bienvenue et merci de votre présentation.
Je me suis posé une question lorsque vous avez présenté vos recommandations en ce qui a trait à la partie VII. Vous avez tout de même fait allusion au fait qu’il serait important de codifier l’obligation de consultation, de même qu’une obligation de délégation. Est-ce que j’ai bien compris?
M. Labelle Eastaugh : Oui.
La sénatrice Gagné : En étudiant l’état du droit, en ce qui a trait aux droits autochtones, on a constaté tout de même, dans les dernières années, qu’on a cheminé beaucoup plus vers la consultation et aussi la délégation des pouvoirs, un peu comme ce qu’on retrouve dans l’article 23. Est-ce qu’il y a là des façons de faire, des modèles qui pourraient nous être utiles en ce qui a trait aux changements proposés à la Loi sur les langues officielles?
M. Labelle Eastaugh : La question est délicate. D’un point de vue très général, je dirais que oui, dans la mesure où l’autonomie est un point qui est considéré comme étant très important dans le domaine du droit autochtone et en ce qui a trait aux revendications des peuples autochtones.
Il y a un accord de principe en ce moment, une reconnaissance, du moins, de principe de la part du gouvernement fédéral, selon lequel les communautés autochtones devraient pouvoir jouir d’une pleine autonomie. Le défi est au niveau des détails, parce que les communautés varient beaucoup, en termes de leurs tailles, de leurs ressources, de leur situation géographique, et cetera. Donc, même au niveau des communautés autochtones, il n’y a pas un seul modèle qui pourrait s’appliquer. C’est pour ça qu’il faut négocier des traités, entre autres, qui vont déterminer les frontières d’une éventuelle autonomie autochtone.
La sénatrice Gagné : Je vais peut-être renchérir. Me Michel Bastarache, lorsqu’il a comparu, a aussi mentionné que, dans le contexte de la partie VII de la loi, on devrait préciser les obligations qui en découlent, en tenant compte du fait qu’il y a deux publics à desservir, un public anglophone et un public francophone, donc les besoins ne sont pas identiques. Comment fait-on ça?
M. Labelle Eastaugh : Bien, c’est justement ce que je visais, entre autres, avec mes propositions de modifications à la partie VII. Ce dont parlait Me Bastarache, on appelle ça le principe de l’égalité réelle, en linguistique, et c’est une reconnaissance du fait que, pour que deux personnes bénéficient également d’un même service, il se peut que le service doive être prodigué de façon différente. On pense à une personne en fauteuil roulant, par exemple, qui a besoin d’une rampe pour entrer dans l’édifice. Donc, c’est le même principe, mais appliqué au domaine linguistique. Il faut reconnaître que la façon dont un service sera reçu et perçu par une communauté peut varier d’une communauté linguistique à l’autre, et il est très difficile de savoir comment, exactement. Le diable est dans les détails.
La sénatrice Gagné : C’est ça. C’est pour ça que je voulais dire que, parfois, c’est difficile.
M. Labelle Eastaugh : C’est ça.
La sénatrice Gagné : On a besoin de réfléchir davantage à ça.
M. Labelle Eastaugh : Oui, mais la solution qui a été trouvée dans le cas de l’éducation avec l’article 23, c’est la gouvernance.
La sénatrice Gagné : Oui, d’accord.
Alors, je me demandais s’il y avait des modèles qui existent ailleurs, dont on pourrait s’inspirer. Je dirais peut-être même à l’international, dans d’autres pays, et qui nous permettraient justement de solidifier notre loi et de lui donner plus de mordant.
M. Labelle Eastaugh : Il y a un modèle qui, selon moi, est particulièrement intéressant. C’est ce modèle qu’on appelle dans le jargon académique « l’autonomie non territoriale ». C’est ce qu’on retrouve en Belgique, entre autres, avec les communautés linguistiques. Donc, la Belgique a des entités géographiques : la Wallonie, la Flandre et Bruxelles, et il y a des communautés linguistiques qui sont définies par l’appartenance linguistique et non pas par l’emplacement géographique.
Vu la démographie de la Belgique, il y a un chevauchement presque parfait entre les deux, mais ce n’est pas le cas au Canada. C’est un modèle qui pourrait être très intéressant, pour donner une certaine reconnaissance officielle aux communautés qui serait détachée de la géographie, et qui leur permettrait de participer plus directement à l’élaboration de programmes et de services.
La sénatrice Gagné : Merci.
Le président : Merci de votre présentation. Vous suscitez toute une panoplie de questions et de sous-questions, et de sous-sous-questions, en fait, et j’essayais de cibler celles d’entre elles qui seraient les plus urgentes ou les plus pertinentes dans le contexte.
En ce qui concerne la situation de la Belgique, quel est l’impact de cette idée d’autonomie linguistique sans territoire géographique dans le contexte actuel, si on utilisait une telle formule pour déterminer là où les besoins justifient la livraison de services, et cetera, de la part du gouvernement fédéral? Qu’est-ce que ça poserait comme défi, dans ce contexte-là?
M. Labelle Eastaugh : Ça, c’est tout un défi. En fait, dans ma vie antérieure comme avocat, je faisais partie de l’équipe qui représentait la Société franco-manitobaine dans son recours qui conteste la validité du règlement qui porte sur la notion de demande importante. Je vois en fait une synergie assez claire entre ce que je propose et cette problématique-là, parce que, dans le cadre de l’article 23, par exemple, et de la notion de « là où le nombre le justifie », la Cour suprême a reconnu qu’on ne peut pas donner une formule mathématique. Il ne peut s’agir de pourcentages, et cetera, ce doit être un critère plus qualitatif. Et un des problèmes avec le règlement fédéral, c’est que, justement, il définit la même notion avec des critères mathématiques.
Mais si on n’utilise pas de critères mathématiques, comment est-ce qu’on fait pour définir la notion de la demande importante? On a une douzaine d’institutions fédérales dans toutes sortes de contextes différents, et je comprends le réflexe du gouvernement de vouloir imposer une certaine structure à tout ça. Peut-être que, ce qui serait préférable, ce serait de permettre une négociation entre les communautés et le gouvernement, sur ces points-là, pour déterminer quelles sont les régions à demande importante.
Il y a déjà un modèle semblable qui existe en matière de santé, par exemple, en Ontario, où les soins de santé sont gérés par des entités qui s’appellent les Réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS), qui vont établir les priorités, financer les services, et cetera. Mais les RLISS sont tenus de négocier et de consulter une autre entité, qui s’appelle une entité de planification des services de santé en français, qui est aussi créée par la loi et qui a pour mandat de veiller exclusivement aux besoins des francophones. Ensemble, ils définissent les besoins et les priorités en matière de services de soins de santé en français. C’est un modèle qu’on pourrait reproduire au niveau fédéral, selon moi, et qui pourrait fonctionner très bien.
Le président : J’ai une deuxième question avant de passer la parole à la sénatrice Moncion.
Le commissaire Boileau, dans un de ses témoignages ou dans un mémoire, proposait de prévoir dans la loi des mesures encourageant un régime d’adoption volontaire de droits et d’obligations en matière de langues officielles par les provinces et les territoires, dans une volonté d’harmonisation des régimes linguistiques fédéral et provincial et d’affirmation du leadership du gouvernement fédéral en la matière.
On sait bien que, dans la question de la partie VII et de l’action du gouvernement fédéral, dans ce contexte, il y a un lien avec la façon dont les choses se passent sur le terrain, et un lien avec les provinces. Alors, qu’est-ce que vous pouvez nous dire par rapport à ça?
M. Labelle Eastaugh : C’est le nœud gordien de la chose.
Écoutez, c’est très difficile, vu que les contextes politiques sont tellement différents d’une province à l’autre. Il y a certaines provinces qui seraient très ouvertes à l’idée d’une augmentation des droits linguistiques ou d’une normalisation avec le fédéral, alors que d’autres le seraient moins, et la symétrie ne va pas toujours dans le même sens. Par exemple, entre l’Ontario et le fédéral, probablement que si on généralise un peu, on pourrait dire que le régime fédéral est un peu plus généreux que le régime provincial. Mais dans le cas du Nouveau-Brunswick, ça va dans l’autre sens, notamment, parce qu’il n’y a pas de critères de demande importante au Nouveau-Brunswick.
Donc, la dynamique en jeu est différente d’un cas à l’autre, et je ne suis pas certain qu’il y ait une approche ou un modèle qui pourrait être suivi, sauf que le fédéral peut utiliser de son pouvoir de dépenser pour inciter les provinces à donner plus de droits. Je pense que ça devrait toujours aller dans cette direction-là, mais ce que ça représente d’un cas à l’autre peut être assez différent. Par exemple, si on compare l’Ontario, qui a déjà une loi sur les services en français qui est assez robuste, à la Colombie-Britannique, qui n’a même pas de politique en matière de services en français, absolument rien. Donc, il y a un pas géant entre la Colombie-Britannique et l’Ontario. Comment est-ce que le fédéral s’insère là-dedans? Est-ce que le fédéral essaie de convaincre la Colombie-Britannique de mettre en place une loi sur les services en français? Je ne pense pas que le climat politique serait propice à une telle loi, mais je ne suis pas politicien.
Le président : D’accord. Merci beaucoup.
La sénatrice Moncion : Bienvenue. Vous avez parlé rapidement de la partie V, parce que vous aviez un peu moins de temps. Vous avez parlé de deux modifications qui traitent de l’énoncé des droits des personnes et des individus au travail. En outre, vous avez parlé de préciser les exceptions, comme les services au public.
Nous avons accueilli un autre témoin qui nous a parlé aussi de la partie V, où il s’agissait des communications électroniques. On a mentionné aussi l’abandon des régions désignées pour les communications électroniques, et des dispositions de droits acquis en cas de modification de territoires. J’aimerais donc vous entendre sur ces éléments-là.
M. Labelle Eastaugh : Ce sont des points importants auxquels il faut réfléchir. Il est vrai que les nouvelles technologies ont ajouté un niveau de complexité qui n’existait pas avant, en ce qui concerne la gestion de ces questions. Parce qu’on se retrouve plus souvent devant une situation où une personne dans une ville va devoir travailler avec une personne qui travaille, non seulement dans un autre bureau, mais dans une autre ville complètement, ce que les technologies de la communication rendent plus facile.
En même temps, il faut reconnaître que c’est l’environnement physique où travaille une personne qui aura le rôle le plus important, donc je ne sais pas si je serais à l’aise d’abandonner complètement l’idée des régions désignées, mais il est clair qu’il faut des normes qui sont mieux adaptées à la réalité pratique.
Si je reviens à la suggestion que je faisais tout à l’heure, la question qu’il faut se poser à la base, c’est quelles sont les ressources dont aurait besoin une personne particulière pour pouvoir effectuer son travail? Ça, ça se définit selon les fonctions de la personne. C’est seulement une fois qu’on a fait cet exercice-là qu’on est en mesure de déterminer quelles mesures pratiques s’imposeraient.
Peut-être qu’en ce moment, il y a beaucoup de communications qui se font entre bureaux, dont l’un est dans une région désignée bilingue et l’autre est situé en région unilingue, parce que ça a été toléré jusqu’à maintenant. Il est vrai que le statu quo crée une certaine complexité pratique, mais peut-être que c’est une situation qu’il faudrait éliminer. Peut-être qu’il faudrait plutôt créer des équipes de travail qui sont définies en termes linguistiques. Si c’était le cas, la complexité créée par les technologies de la communication pourrait se dissiper.
Je ne suis pas sûr d’avoir répondu de façon très satisfaisante.
La sénatrice Moncion : C’est parce que vous nous amenez un autre élément où on pourrait commencer à penser en termes des améliorations qu’on peut apporter à cette partie-là pour l’élargir et justement la moderniser. Vous nous donnez quand même des éléments en disant que si on est en mesure d’adapter aux normes d’aujourd’hui, aux besoins d’aujourd’hui… Ce que je comprends bien, c’est que si on élargit les régions, par exemple, et qu’on est en mesure de répondre aux besoins de façon électronique en créant des équipes, on modernise. On offre un service, mais on n’a plus nécessairement une présence physique. La partie V pourrait potentiellement ouvrir cette porte, mais en proposant possiblement autre chose.
On ne veut pas retirer les droits, mais est-ce qu’on peut donner un peu plus de flexibilité à la loi pour nous adapter?
M. Labelle Eastaugh : Je pense qu’on pourrait absolument faire ça. Le problème, ou le défi, plutôt, c’est la grande variété de situations que la loi devra gérer.
Donc, par exemple, serait-il possible, pour une personne qui travaille à Toronto, de lui fournir toutes les ressources à distance dont elle aurait besoin pour pouvoir travailler pleinement en français, alors qu’elle est située dans une région présentement désignée unilingue? Peut-être, mais ça va dépendre du poste. Il faut aussi s’interroger sur la question de savoir ce que ça veut dire et comment elle va gérer ses rapports avec ses collègues au bureau.
Ce qu’il faudrait définitivement faire, c’est encourager… À la base, il faudrait y réfléchir davantage.
Malheureusement, je n’ai pas toutes les réponses. Il faut pousser toutes les institutions dans cette direction. Les institutions fédérales ont comme réflexe de vouloir définir le plus restrictivement leurs obligations à ce chapitre, alors qu’il faudrait avoir le réflexe contraire de penser en amont. Comment est-ce qu’on peut être créatif? Comment est-ce qu’on peut trouver de nouvelles solutions? Il y a plusieurs commissaires de suite qui ont souligné le fait que la culture au sein des institutions fédérales n’était pas nécessairement propice à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles, mais ce serait une réponse au défi.
La sénatrice Moncion : Est-ce qu’il n’y aurait pas un danger de réduire, si on veut, des droits acquis? S’il y a des droits acquis et si on peut parler de droits acquis, n’y aurait-il pas danger de réduire les droits acquis des personnes de ces fameuses régions?
M. Labelle Eastaugh : C’est pour ça qu’il faudrait vraiment y réfléchir, et il s’agirait de formuler les normes de façon très précise, pour éviter justement ce problème-là. C’est ça, le défi, lorsqu’on cherche à formuler les normes qui vont s’appliquer à toute une gamme de différents contextes. Ce qui peut être approprié dans un contexte peut être limitatif dans l’autre. On pense à l’article 23, par exemple; on a voulu limiter la liberté de choix pour empêcher les francophones d’envoyer leurs enfants aux écoles anglaises au Québec, mais ça a eu pour effet que les écoles francophones dans certaines provinces, certains territoires, ne peuvent pas accueillir d’enfants dont les parents sont francophones, mais qui ne sont pas citoyens canadiens, même si c’est clairement dans l’intérêt de la communauté de pouvoir accueillir ces gens-là dans les écoles.
Donc, il faudrait s’assurer de préserver les droits acquis tout en enchaussant un principe qui permet d’élargir la portée.
La sénatrice Moncion : Merci.
Le président : D’accord. Merci beaucoup.
La sénatrice Mégie : Tout à l’heure, monsieur Labelle Eastaugh, vous avez parlé du modèle de la Belgique. Y aurait-il d’autres pays qui vivraient un peu la même situation et qui pourraient nous servir de modèle? Ou est-ce nous qui leur servons de modèle? J’aimerais entendre votre opinion là-dessus.
M. Labelle Eastaugh : Oui, pour vous raconter une petite histoire, lorsque j’ai commencé à faire mon doctorat, ce que je voulais faire au départ, c’était un projet de droit constitutionnel comparé qui inclurait le Canada. Là, j’ai dû constater que pour les questions qui m’intéressaient, le Canada était loin devant tous les autres pays, donc j’ai dû abandonner pour me concentrer uniquement sur le Canada.
C’est ça, la réalité, c’est que le Canada va beaucoup plus loin que la très grande majorité des autres pays. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas certaines choses, certains pays qui pourraient nous servir d’inspiration par rapport à certaines questions, comme le cas de la Belgique et ses régions linguistiques. D’ailleurs, il y a d’autres pays en Europe de l’Est qui ont adopté un modèle semblable. Je crois que la Lituanie ou l’Estonie a un modèle de communautés linguistiques en tant qu’entités corporatives, donc territoriales, qui sont reconnues et qui ont un pouvoir de gestion sur les écoles et certaines autres questions.
Mais pour ce qui est de la protection juridique et constitutionnelle des droits linguistiques, le Canada est vraiment loin devant la grande majorité des autres pays. Même au Pays de Galles, par exemple, ou en Écosse, il n’y a pas de recours judiciaires pour avoir droit aux écoles. Donc, il y a des écoles qui fonctionnent en gallois au Pays de Galles, mais si une personne est mécontente de la situation ou si elle veut que le gouvernement crée une nouvelle école dans son village ou dans son quartier, elle n’a pas de recours judiciaires pour forcer le gouvernement à le faire.
La sénatrice Mégie : C’est intéressant à savoir. Merci.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Labelle Eastaugh, je comprends que l’Observatoire donne des conférences et organise des colloques, publie une revue et tient un blogue bilingue sur les droits linguistiques. De quelle façon cette approche contribue-t-elle à enrichir les connaissances dans le domaine des droits linguistiques?
M. Labelle Eastaugh : Donc, l’Observatoire, c’est un centre de recherche, et toutes ses activités ont pour objectif soit de produire de nouvelles recherches, soit de diffuser la recherche, soit de vulgariser la recherche. Donc, l’Observatoire se retrouve un peu au centre d’un réseau de chercheurs qui s’intéressent aux questions linguistiques. La revue a pour objectif justement de permettre la publication d’articles qui portent directement sur les questions linguistiques, qui n’intéressent pas toutes les revues juridiques existantes.
Le blogue, lui, a pour mission de permettre la publication de textes qui sont peut-être un peu moins poussés, qui exigent un peu moins de travail qu’un article scientifique qu’on publierait dans une revue avec évaluation par les pairs, et de réagir plus rapidement aux questions d’actualité.
Les colloques, bien sûr, représentent une activité très importante. En fait, l’été prochain on organise, de concert avec l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques de l’Université de Moncton, un colloque pour célébrer le 50e anniversaire de la Loi sur les langues officielles. Je crois que M. le sénateur Cormier va peut-être nous rejoindre lors de cette conférence. C’est une occasion non seulement de partager le savoir qui a été créé par les chercheurs, mais aussi de réunir des gens, de créer des liens et des réseaux, et cetera.
Tout ça, c’est extrêmement important. On a tendance à penser à la recherche comme à une chose abstraite, mais la recherche, c’est une activité sociale. Il y a des questions que les chercheurs se posent et auxquelles ils cherchent à répondre, qui sont définies par un contexte social, au sens du milieu scientifique, mais social au sens plus large aussi. Donc, il faut constamment être en interaction les uns avec les autres pour nous assurer que nos travaux restent centrés sur les questions pertinentes.
Le sénateur McIntyre : Est-ce qu’il y a une grande participation de la part des individus? Êtes-vous satisfait de cette participation?
M. Labelle Eastaugh : On pourrait toujours en avoir plus, mais il y a quand même un intérêt assez important pour les questions.
Le président : J’aimerais vous ramener à la question des fameuses ententes dont vous avez parlé pour la partie VII, qui pourraient contribuer à la rendre exécutoire. Nous avons rencontré des conseils scolaires qui proposaient d’intégrer à la loi un mécanisme par lequel ils seraient impliqués avec le gouvernement fédéral dans les négociations des ententes fédérales-provinciales. Est-ce que ce type d’entente, quand vous parlez d’ententes exécutoires, pourrait s’y apparenter? Et comment, par exemple, ces ententes sont-elles différentes des plans communautaires qui existent entre Patrimoine canadien et les organismes provinciaux?
M. Labelle Eastaugh : Donc, pour le procès-verbal, je vais répondre oui à la question. Ce que j’envisage ressemblerait à un processus comme celui des critères proposés par les commissions scolaires. La différence principale tiendrait au fait que ce serait un processus qui serait obligatoire pour le gouvernement fédéral, qui serait structuré de telle sorte à garantir l’autonomie des communautés.
Parce qu’actuellement, le gouvernement détient tout le pouvoir de l’argent. Il contrôle les services. Il contrôle les institutions pertinentes. Il y a sans doute un intérêt politique, peut-être, de s’intéresser à la vie des communautés, de s’assurer que les communautés se sentent plus ou moins satisfaites de ce que le gouvernement fédéral fait. Mais en fin de compte, les communautés sont un peu limitées. Elles doivent essentiellement accepter ce que le gouvernement veut leur proposer, et s’il ne veut pas faire certaines choses, il n’y a plus de mécanismes qui leur permettraient de forcer le gouvernement à aller plus loin. Alors, l’idée, ce serait de créer une structure obligatoire qui exigerait la conclusion d’ententes, donc qui exigerait le concours des organisations communautaires, et qui leur donnerait un certain pouvoir qu’elles n’ont pas actuellement.
L’autre différence, c’est que ça s’appliquerait non seulement à des dossiers particuliers, où le gouvernement fédéral, lui, considère qu’il y a une certaine pertinence pour les communautés. Ce serait les communautés, elles aussi, qui pourraient définir quels sont les dossiers qui sont pertinents, ou prioritaires pour elles.
Donc, il y a peut-être certains types de services que le fédéral considère comme n’étant pas vraiment reliés à la vitalité communautaire, mais que les communautés, elles, pourraient juger pertinents. Un processus comme celui que j’envisage permettrait aux communautés de faire en sorte que la question soit ajoutée à l’ordre du jour des négociations et que l’entente puisse prévoir certaines mesures à cet égard.
Le président : Si j’ai bien compris votre raisonnement, c’est que dans ce contexte-là, il n’y aurait pas de règlement. Ces ententes viendraient remplacer l’idée qu’un règlement puisse être associé à la partie VII.
M. Labelle Eastaugh : Oui. Cependant, il pourrait y avoir un règlement aussi. Il n’y a aucun problème avec l’idée d’un règlement comme tel. Il est sûr que le gouvernement a un pouvoir réglementaire pour adopter les règlements. La raison principale pour laquelle on a prévu un pouvoir d’adopter des règlements, c’est en raison d’un principe général. Ce que le principe général exige, dans les cas particuliers, on ne peut pas le définir à l’avance. Il faut une connaissance des faits particuliers du dossier, des enjeux économiques, sociaux, peu importe. C’est seulement une fois qu’on a cette information-là qu’on est en mesure de déterminer ce que le principe signifie dans tel contexte.
Donc, le but du règlement, c’était d’avoir un processus en deux temps qui permettrait justement de préciser ce que signifie le principe, en pratique. C’est un peu comme le rapport entre l’article 16 de la Charte et la loi elle-même. L’article 16 pose le principe général de l’égalité de l’anglais et du français, mais on s’entend que la tâche de préciser ce que ça veut dire, l’égalité, dans les institutions fédérales, c’est très compliqué. Il faut étudier les questions de façon plus détaillée, avec la meilleure connaissance des détails. Donc, il faut une loi plus précise pour mettre en œuvre le principe général.
Je pense que c’était ça, l’idée derrière la création d’un pouvoir réglementaire. À mon sens, le même objectif pourrait être atteint avec des ententes négociées avec les communautés, et le résultat serait supérieur parce que les communautés participeraient directement et ça permettrait d’assurer que leurs intérêts, leurs besoins et leurs spécificités soient réellement pris en compte et que le gouvernement ne puisse pas tout simplement imposer une façon de faire selon sa façon de voir les choses.
Le président : D’accord. Alors, s’il n’y a pas d’autres questions, nous sommes rendus à la fin de cette séance. Monsieur Labelle Eastaugh, merci beaucoup de votre présentation. Je pense qu’on pourrait approfondir de nombreux aspects de votre présentation, donc merci beaucoup. Ça va être certainement fort utile pour notre rapport, et on vous remercie d’avoir assisté cet après-midi et d’avoir été présent parmi nous.
Honorables sénateurs et sénatrices, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Rachel Maillet Bard, présidente du Conseil des gouverneurs du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick. Mme Maillet Bard est accompagnée de M. Sylvio Boudreau, premier vice-président, et de Mme Josée Rioux-Walker, conseillère sectorielle, métiers et justice.
Nous avons aussi le plaisir d’accueillir Mme Karine McLaren, directrice du Centre de traduction et de terminologie juridiques de l’Université de Moncton.
Alors, mesdames, messieurs, bienvenue. Nous sommes heureux de vous recevoir cet après-midi. Nous sommes très heureux, d’ailleurs, d’être à Moncton et d’être au Nouveau-Brunswick pour cette consultation.
Alors, la parole est à vous, madame Maillet Bard.
Rachel Maillet Bard, présidente, Collège communautaire du Nouveau-Brunswick : Merci beaucoup, monsieur le président, et bonjour, sénatrices et sénateur. C’est certainement un plaisir pour nous d’être ici.
Je tiens tout d’abord à vous remercier de l’invitation, parce que c’est très important de pouvoir comparaître devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles.
De plus, je vous félicite de l’initiative de moderniser la Loi sur les langues officielles. J’ai d’autant plus le plaisir de le faire à titre de présidente du Conseil des gouverneurs du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, car le thème de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, plus précisément dans le secteur de la justice, nous interpelle tout particulièrement.
Je n’ai pas à vous convaincre de l’importance des actions touchant les langues officielles au Canada, face aux objectifs d’épanouissement des communautés en situation minoritaire. Au Nouveau-Brunswick, dans le domaine de l’éducation et, particulièrement de l’éducation postsecondaire, les différentes initiatives d’appui aux langues officielles contribuent à la vitalité de nos institutions francophones et au développement socioéconomique de nos régions acadiennes et francophones.
Je vais donc vous parler brièvement de notre institution de formation, de notre rôle comme membre du Réseau national de formation en justice, pour terminer avec quelques-unes des recommandations et pistes d’action liées au secteur de la formation en justice dans un contexte d’égalité des deux langues officielles.
J’allais vous présenter mes collègues, mais vous l’avez déjà fait. Ils sont ici certainement pour répondre à vos questions plus spécifiques, parce qu’ils sont tout près du dossier, de plusieurs façons.
Alors, en tant qu’institution de formation technique et professionnelle, le CCNB contribue depuis 40 ans à l’épanouissement de la société acadienne et francophone de la seule province officiellement bilingue au pays.
Notre communauté constitue un tiers des 750 000 habitants de la province, pourtant, ni la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, ni la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, ni l’inscription dans la Charte canadienne des droits et libertés du principe de l’égalité des deux communautés linguistiques du Nouveau-Brunswick n’ont su apporter dans les faits le niveau de développement économique et l’égalité réelle tant souhaités.
Récemment, en 2010, la Loi sur les collèges communautaires du Nouveau-Brunswick nous a finalement dotés de notre société collégiale autonome en français, remplaçant ainsi une structure bilingue préconisée jusqu’alors.
La mission du CCNB est de contribuer à l’épanouissement des personnes et de la société acadienne et francophone en offrant des programmes de formation axés sur les compétences en lien avec le marché de l’emploi, en soutenant des activités de recherche appliquée qui stimulent le processus d’innovation, et en nous engageant activement au sein de nos communautés. Cela se traduit par plus de 87 programmes de formation technique et professionnelle offerts par nos cinq campus, qui sont en adéquation avec les besoins du marché.
En 2017 et 2018, le CCNB a accueilli plus de 9 676 étudiants dans sa programmation régulière et sa formation continue, qui affichaient un taux de placement de 88 p. 100 durant les années suivant l’obtention de leurs diplômes.
Vous nous avez invités ici aujourd’hui plus particulièrement comme livreurs de formation du côté du domaine de la justice, alors on va parler un peu de justice, en partie.
Alors, effectivement, nous livrons des programmes de formation de deux ans en techniques correctionnelles, techniques d’intervention en délinquance, techniques parajudiciaires et techniques policières, et des programmes d’un an en télécommunications en services d’urgence. Ces programmes, offerts aux campus d’Edmundston, dans le nord-ouest de la province, et à Dieppe, au sud-est, sont toujours très populaires auprès de la clientèle francophone du Nouveau-Brunswick.
En tant que membre fondateur du Réseau national de formation en justice de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne, le CCNB partage les préoccupations du Réseau quant à l’administration de la justice et aux enjeux de mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles.
Fort de ses 16 membres provenant de partout au Canada, le Réseau peut répondre à toute commande de la part du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires, et de tout autre intervenant en justice, en matière de normalisation du vocabulaire français de la common law, de la production et de la diffusion d’outils juridiques et jurilinguistiques, de la formation postsecondaire, de la formation en cours d’emploi, et de la certification des compétences linguistiques en contexte juridique.
Le CCNB collabore avec les autres collèges membres, afin de mettre en place des programmes qui répondent aux besoins de l’ensemble, en permettant d’éviter dans la mesure du possible de dupliquer l’offre de programmes. Un exemple d’initiative où le CCNB a collaboré avec les membres du Réseau a été une étude des besoins pour une formation pancanadienne en techniques policières offerte à distance. Cette analyse regroupait, en plus du CCNB, le Collège de la Cité, le Collège Boréal, le Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta et l’Université de Saint-Boniface. Il s’agissait d’un projet pour répondre à la pénurie de policiers bilingues à l’échelle nationale. La deuxième phase du projet, malheureusement, soit celle du développement du programme comme tel, n’a pas vu le jour faute de financement.
Cependant, il y a des manques flagrants de formation en français en Atlantique aussi. Par exemple, il est impossible d’obtenir une formation de policier municipal auprès de la seule institution certifiée qui offre un tel programme, puisque l’Atlantic Police Academy n’offre aucune formation en français. Pourtant, ces policiers municipaux jouent un rôle dans la mise en œuvre du Code criminel.
Le CCNB serait prêt à remédier à cette situation en mettant en place une académie de police pour avoir accès à une formation en français, mais ceci exigerait un financement approprié.
Concernant les recommandations liées à des pistes d’action, pour les besoins de votre étude, comme institution de formation postsecondaire, notre préoccupation majeure se situe à un niveau où il faudrait mettre en place un mécanisme faisant que les étudiants et étudiantes désirant poursuivre leurs études en français dans un domaine de droit et de justice puissent le faire, dans les conditions semblables à celles de leurs homologues qui étudient en anglais dans les mêmes domaines.
Il est essentiel que la collaboration et le financement entre le fédéral et les provinces soient accrus, afin d’éviter les difficultés que les diplômés francophones — en santé, par exemple — rencontrent, pour être en mesure d’exercer leurs professions. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, les associations professionnelles qui réglementent une profession doivent offrir leurs services et leurs communications dans les deux langues officielles. On constate cependant que ces associations ne respectent pas toujours la Loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick. Les institutions de formation doivent donc mettre en place des mesures d’accommodement pour permettre aux francophones de réussir leurs examens d’accréditation auprès de ces associations-là.
Le défi qu’on rencontre, c’est que parfois, ces associations-là sont de nature nationale. Alors, à ce moment-là, il n’y a pas nécessairement de volet offert par la province, surtout dans certains de nos programmes techniques dans le domaine de la santé, par exemple. Ça amène des défis, parce qu’ils ne sont pas nécessairement assujettis à la loi du Nouveau-Brunswick. Alors, on a toujours besoin de faire des accommodements.
Pour nous, je donne cet exemple, parce qu’il faut absolument éviter de revivre en justice ce que les étudiants en sciences infirmières — je vous donne un autre exemple, mais je pense que vous êtes au courant — vivent aujourd’hui pour tenter de réussir leurs examens d’accréditation. Bref, on veut éviter ce genre d’expérience au niveau de la justice. Alors, il serait important, dans la modernisation de la loi, de prendre cet élément en considération, pour qu’il y ait une disposition à l’intérieur de la loi nationale permettant d’assurer qu’on respecte ces particularités. C’est une nette démonstration que l’égalité des services n’est pas atteinte si on n’en tient pas compte.
La modernisation de Loi sur les langues officielles du Canada devrait donc inclure des dispositions touchant les associations professionnelles qui ont un mandat de réglementation ou d’accréditation quelconque. On a aussi des exemples, je pense, qui s’appliquent même dans les métiers, alors c’est toujours un défi.
Comme pour le secteur de la santé, les professionnels dans le secteur de la justice sont souvent les premiers répondants en situation d’urgence. Alors, l’offre active en justice doit aussi faire partie des dispositions de la loi.
En conclusion, la modernisation de la Loi sur les langues officielles doit exiger la mise en place d’un système de justice canadien qui peut fonctionner également dans les deux langues officielles. Avec un tel système en place, la Canadienne ou le Canadien choisit d’obtenir des services juridiques dans la langue officielle de son choix, pour obtenir un accès égal qui répond à son identité linguistique et culturelle. Sans accès, on ne saurait parler de justice.
Il est essentiel qu’on puisse travailler ensemble et collaborer, et nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Maillet Bard.
Madame McLaren, merci d’être avec nous. La parole est à vous.
Karine McLaren, directrice, Centre de traduction et de terminologie juridiques, Université de Moncton, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je suis très heureuse d’avoir l’occasion de participer à votre étude aujourd’hui. Je vais m’en tenir à la période de cinq minutes qui m’est accordée. J’ai choisi, pour cette raison, de me concentrer sur deux enjeux qui me touchent quotidiennement dans mon travail, soit les outils jurilinguistiques qui permettent l’expression du droit pour la minorité linguistique et la traduction des décisions de justice.
Commençons par les outils jurilinguistiques. J’enseigne la common law exclusivement en français. Je dirige aussi un centre qui est spécialisé en traduction et en terminologie juridiques. J’ai besoin de vocabulaire, de terminologie et d’outils linguistiques qui sont fiables et qui me permettent d’exprimer le droit en français — dans mon cas, la common law — de manière exacte. Ce sont mes outils de travail.
Rédacteurs, traducteurs, professeurs, avocats, juges, interprètes, étudiants et l’ensemble des acteurs du secteur juridique en situation linguistique minoritaire, y compris le public, se partagent les mêmes besoins. Or, ces besoins ne sont pas remplis adéquatement.
Le réseau terminologique français de la common law est toujours en situation de rattrapage majeur. Plus spécifiquement, le vocabulaire français normalisé de la common law est insuffisant, comme le sont les outils jurilinguistiques qui dérivent de cette entreprise, comme le sont les ouvrages didactiques.
En fait, il est pratiquement impossible d’enseigner ou d’exercer la common law en français sans être confronté au problème du manque de ressources. On comprend que cette situation porte conséquence sur l’expression même du droit en français.
J’en viens à la langue des décisions judiciaires. Il est notoire que les obligations relatives au bilinguisme des décisions judiciaires contenues à l’article 20 de la Loi sur les langues officielles ne sont pas respectées en pratique. Pourquoi? D’abord, parce que les considérations d’ordre budgétaire s’opposent à sa mise en œuvre. Ces considérations aboutissent à l’adoption par certains tribunaux de pratiques qui font échec à l’article 20.
Ensuite, parce que la formulation même de l’article 20 donne lieu à des interprétations diverses. Il ne semble exister aucune uniformité quant aux critères qu’appliquent les tribunaux pour déterminer ce qui constitue un point de droit qui présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public. Tous sont pourtant assujettis exactement à la même disposition législative.
Enfin, l’article 20 ne sanctionne pas les violations. Même si une décision n’est rendue que dans une langue, elle demeure valide. Cette absence de sanction n’invite-t-elle pas le manque de respect de la loi?
Le manque de certitude quant à la valeur juridique de la version traduite d’une décision judiciaire est aussi une anomalie. À quoi sert une version linguistique d’une décision de la Cour fédérale précédée de la mention « traduction française certifiée, non révisée. »
Les versions linguistiques devraient-elles avoir valeur égale? La réponse est oui, bien sûr. C’est cela, l’égalité réelle.
Existe-t-il des défis pratiques liés à cette obligation? Oui. D’abord et avant tout, la qualité de la version traduite des décisions judiciaires est souvent remise en question. Pourquoi? C’est encore une question de ressources : ressources insuffisantes accordées à la traduction des décisions judiciaires et absence totale de formation formelle ou continue en traduction juridique visant la common law, un domaine hautement spécialisé.
Pour que la Loi sur les langues officielles puisse véritablement être mise en œuvre, que ce soit dans sa version actuelle ou modernisée, il faut commencer par doter le système juridique de la capacité de fonctionner aussi bien dans chacune des deux langues officielles.
D’abord, il faut que les Canadiens aient accès dans les deux langues officielles aux sources fondamentales du droit, notamment aux lois et à leurs textes d’application, aux décisions judiciaires et aux ouvrages de doctrine. Ces textes doivent être de qualité rédactionnelle égale.
Mais pour que cela soit même possible, il faut d’abord et avant tout créer et alimenter de manière continue le vocabulaire, la terminologie et les outils qui permettent aux locuteurs du droit en situation linguistique minoritaire de s’exprimer dans leur langue, et il faut par conséquent investir dans la formation des jurilangagiers, car ce sont ces spécialistes en voie de disparition qui créent la langue du droit.
Je remercie les membres du comité de m’avoir écoutée.
Le président : Merci beaucoup, madame McLaren.
Nous allons donc commencer notre période d’échanges avec le sénateur et les sénatrices, en commençant par la sénatrice Poirier.
La sénatrice Poirier : Merci pour vos présentations.
J’aurais une question pour les gens du CCNB. Au niveau des ententes entre les différentes institutions postsecondaires, par exemple, votre cours de techniques parajudiciaires peut amener à une formation à l’Université St. Thomas. Pourriez-vous m’expliquer comment ces ententes fonctionnent et si ce serait une bonne solution d’avoir davantage de ces ententes afin d’améliorer l’accès à la justice dans l’ensemble du pays?
Josée Rioux-Walker, conseillère sectorielle-métiers et justice, Collège communautaire du Nouveau-Brunswick : Merci pour la question, madame la sénatrice.
Oui, le collège a différentes ententes avec certaines hautes institutions au Nouveau-Brunswick et ailleurs au Canada, plus particulièrement pour le programme parajudiciaire, en techniques parajudiciaires. L’entente est un « deux plus deux », avec l’Université St. Thomas, dans son bac en criminologie. Alors, l’étudiant peut faire ses deux ans de techniques de base avec la CCNB et ensuite poursuivre au niveau du bac en criminologie avec l’Université St. Thomas.
Il y a d’autres institutions avec qui nous sommes en pourparlers très fréquemment, dont l’Université de Moncton, et même Simon Fraser, en Colombie-Britannique, pour pouvoir offrir des passerelles comme semblables. On en offre dans d’autres domaines, comme en administration et en santé; en justice, ça commence à se développer.
La sénatrice Poirier : Vous avez parlé aussi dans votre présentation du nombre d’étudiants que vous accueilliez au Collège communautaire du Nouveau-Brunswick. Vous avez parlé aussi de certains programmes de deux ans.
Je suis curieuse de savoir, dans les programmes que vous offrez en français, côté justice, si la majorité de vos étudiants viennent du Nouveau-Brunswick ou si vous faites de la promotion à l’extérieur du Nouveau-Brunswick pour attirer les étudiants au collège ici. Est-ce que l’enseignement est offert seulement au collège ou est-ce que ça peut être de l’éducation à distance aussi?
Mme Rioux-Walker : Merci encore pour la question.
Nos programmes — comme les autres programmes du CCNB — sont bâtis pour répondre aux besoins de l’industrie du Nouveau-Brunswick principalement. Alors, oui, nous attirons principalement des étudiants du Nouveau-Brunswick.
Nous en avons un peu dans les régions frontalières, comme à Edmundston, au campus d’Edmundston, par exemple, où il se peut qu’on reçoive des étudiants qui viennent de la région du Bas-Saint-Laurent, parce que c’est à proximité. Mais ce n’est pas la majorité. Nous avons quand même des étudiants de l’international qui s’intéressent à nos programmes, surtout dans le domaine de la délinquance et un peu en techniques policières aussi.
On n’attire pas une grande clientèle qui vient d’ailleurs au Canada. Par contre, oui, une des avenues qu’on se donne, c’est la formation à distance. On offre tout de suite le programme TSU — techniques en services d’urgence — qui sont les services du 9-1-1, les appels d’urgence. Celui-là est entièrement développé pour que la personne puisse suivre la formation à partir de son domicile. Alors, nous avons des étudiants qui sont en classe, l’enseignant est en classe et offre la formation. L’étudiant, cependant, peut suivre toute la formation à partir de chez lui.
Ça aide, surtout pour les régions du nord de la province. Ça évite que la personne soit obligée de se déplacer pour venir en salle de classe. C’est une avenue qu’on se donne. On a des défis à ce niveau-là. Ce n’est pas tout le monde qui est habitué à ce type de formation.
Mais dans l’exemple que notre présidente a mentionné, pour le cas des techniques policières, c’était un exemple qu’on voulait développer avec les autres institutions pancanadiennes pour offrir les techniques policières à distance, au niveau technique. Ensuite, nos partenaires dans ces provinces allaient offrir les composantes plutôt applicables, soient les ateliers, parce qu’il y a différents cours au niveau de la forme physique et tout ça. Il est difficile de donner ce volet à distance. Mais c’était ça, la collaboration qu’on voulait, pour ne pas, justement, dupliquer nos ressources d’une province à l’autre. Malheureusement, on a juste réussi à se rendre à la première phase, qui était l’analyse des besoins. On a soumis une demande au ministère de la Justice pour aller plus loin — parce qu’on faisait ça en collaboration avec l’institut de la police de l’Ontario, dont j’oublie le nom —, mais ça n’a pas abouti l’année dernière, à cause d’un manque de financement.
Ce n’est pas un projet qui est mort. Ça fait partie des programmes et des projets qui ont été soumis de la part des partenaires du Réseau de la formation en justice. Mais on attend de recevoir une autre enveloppe financière pour pouvoir aller de l’avant.
Donc, oui, la formation à distance, c’est une avenue qu’on veut développer davantage.
La sénatrice Poirier : Quelles recommandations aimeriez-vous voir dans la révision qu’on est en train de faire de la Loi sur les langues officielles du gouvernement fédéral et qui pourraient vous aider?
Silvio Boudreau, premier vice-président, Collège communautaire du Nouveau-Brunswick : Je vais vous donner quatre piliers, et je vois qu’il en a quelques-uns qui sont revenus. J’ai eu le temps de parcourir en 15 minutes les données.
La première chose, c’est qu’il faut que le fédéral prenne connaissance de l’écosystème des communautés francophones, pour comprendre que les actions et les mises en œuvre se font beaucoup, pour les services en français et le développement des communautés, avec l’écosystème des organismes et institutions francophones. Alors, ça doit être des partenaires, au niveau du gouvernement.
Il faudrait aussi que le gouvernement ait une approche proactive et une interprétation généreuse de la Loi sur les langues officielles. Actuellement, il a une approche cordiale, pour essayer de nous faire plaisir. Moi, je donne souvent l’exemple qu’on nous donne de la dopamine et de la sérotonine pour nous faire sentir bien, mais on a besoin d’adrénaline. C’est de l’action qu’il nous faut, pas du mouvement avant et arrière. Donc, il est important que la loi ait une interprétation généreuse. Par exemple, dans le cas des juges, des nominations bilingues représenteraient une approche qui serait très, très proactive. Une formation en français pour les policiers, c’est une approche proactive.
Donc, si on veut qu’il y ait une offre active sur le terrain, il faut que le gouvernement soit proactif, pas en dessous et prévoir tout simplement une offre cordiale, quand il y a de la pression, parce qu’un accident arrive ou… Donc, ça, c’est un élément important.
Il est important aussi que les négociations se fassent de façon multilatérale. Souvent, on ne fait pas partie, les communautés, des négociations entre le fédéral et le provincial, par exemple. C’est important que ça se fasse dans les langues officielles, pour les services en français, et c’est important aussi que ça se fasse dans les programmes de langues officielles pour l’enseignement, quand les programmes se mettent en place. Au Nouveau-Brunswick, on est chanceux. On a une très, très bonne collaboration avec la province, habituellement, mais vous savez, tout peut se passer au Nouveau-Brunswick. Il y a des alliances, il y a des partis politiques qui veulent faire disparaître une partie du bilinguisme. Ce n’est jamais gagné.
Donc, pour nous, c’est important que les communautés fassent partie des négociations quand vous négociez des ententes avec le provincial.
L’autre problème, c’est la reddition de comptes. J’ai vu qu’on en parlait dans le document aussi. Donc, c’est beau d’annoncer des milliards de dollars, dans certains plans du gouvernement, mais quand vous essayez de comptabiliser où l’argent a été, vous allez voir que ça diminue très rapidement. Donc, la reddition de comptes est importante.
Et il est possible, quand le fédéral veut agir sur les provinces, de passer par les organismes. Je vois qu’il l’a fait avec la Fédération culturelle canadienne-française, par exemple. Donc, il y a des ententes bilatérales qui peuvent se faire comme ça. Par exemple, pour les activités d’animation culturelle dans les écoles ou dans les communautés, il pourrait passer directement par le réseau ou l’organisme.
La dernière approche — j’ai vu que c’était mentionné à la page 49 de votre document —, c’est l’approche adaptée aux communautés. Il n’y a pas de « fit for all. » Il faut vraiment adapter.
Quant à l’utilisation des organismes, on a vu un très bon exemple dans le domaine de la santé, où un réseau de santé en français s’est mis en place pour faire de l’offre active sur le terrain, et on a aussi un consortium qui s’est mis en œuvre pour offrir la formation, parce qu’on avait besoin de former des gens.
Ce sont des exemples où le fédéral a été proactif pour offrir ce genre de services, pour que ce soit réel sur le terrain. Donc, on aimerait le voir dans le domaine juridique, et on aimerait le voir dans le domaine de la recherche appliquée. On aimerait le voir dans le domaine de la jeunesse, et dans beaucoup de domaines, comme celui du développement économique aussi. Ce genre d’approche donne des résultats.
Le président : Merci.
Le sénateur McIntyre : Merci pour vos présentations.
Le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick a été créé en 1970. Quarante ans plus tard, soit en 2010, en vertu de la Loi sur les collèges communautaires du Nouveau-Brunswick, la province a créé deux collèges communautaires autonomes, l’un francophone, l’autre anglophone. Cela étant dit, parlez-nous un peu de la relation qui existe entre ces deux collèges communautaires. Est-ce que vous travaillez plutôt d’une façon individuelle ou d’une façon collective?
Mme Maillet Bard : Je pense que c’est les deux, en partie, parce que, bien sûr, on fait des études, des analyses des besoins du marché, pour les francophones. Notre mission, d’une part, c’est de développer de la formation pour répondre aux besoins de la main-d’œuvre et du volet de développement économique et communautaire. Mais on a aussi des partenariats et des échanges. Il y a certainement des échanges au niveau de la gouvernance entre les deux conseils de direction, parce que c’est bon de respecter les différences, mais aussi de travailler où c’est possible. Alors, on a des échanges à ce niveau-là. Au niveau des directions et de la recherche, il y a des échanges qui se font. On tente de voir s’il y a des passerelles de collaboration ou des partenariats pour monter le volet dans chacun des secteurs respectifs. Il y a peut-être d’autres exemples que vous pouvez avancer?
M. Boudreau : Oui, il y a toutes sortes de collaborations. Par exemple, en technologie, on travaille séparément, mais on s’échange tout ce qui se développe de ce côté-là. Donc, il y a des services qui se développent.
On travaille dans le cadre d’un réseau de l’Atlantique, donc pas uniquement avec le NBCC, dans le domaine du craft and design, où on va collaborer. On fait partie d’Atlantic Colleges Atlantique, où on fait par exemple des sondages communs sur les services en français. On va combiner nos énergies. Quand on regarde le développement économique au Nouveau-Brunswick, on partage l’information. On siège à des tables communes aussi, au niveau de l’académique et des registraires. Donc, il y a beaucoup de travail qui se fait là. On a le même service, qu’on appelle le SAC, le Service d’admission collégiale. C’est le même service qui est utilisé par les trois collèges. Donc, tout est central de ce côté-là. On partage l’information et les statistiques aussi.
Souvent on travaille avec le ministère directement, pour établir notre façon de faire, le travail, nos normes, et tout ça. On commence à discuter sur des échanges de programmes. On a des contrats qui s’en viennent à l’international, par exemple, pour collaborer avec le NBCC, ou le NBCC va collaborer avec le CCNB pour offrir des formations qui sont parfois offertes dans d’autres langues que le français. Donc, ça se fait déjà beaucoup à ce niveau-là.
Le sénateur McIntyre : Merci.
Madame McLaren, j’aurais une question pour vous. Décidément, il existe des lacunes en matière de terminologie et de traduction juridique. Pourriez-vous nous dire où se situent ces lacunes? Est-ce que ces lacunes varient d’une province à l’autre ou d’un tribunal à l’autre?
Mme McLaren : Donc, je vais commencer par la terminologie juridique.
Une chose qu’il faut comprendre, c’est que pour être capable d’exercer la common law en français, le gouvernement fédéral avait lancé une initiative sous l’égide du PAJLO dans les années 1984, et cette initiative visait à normaliser le vocabulaire français de la common law. Cette entreprise de normalisation, c’était essentiellement la création de la terminologie française de la common law canadienne, selon une approche scientifique.
Et son objectif était d’établir en français un langage de la common law qui coïncide exactement avec celui de la common law en anglais, et qui soit le même d’une province à l’autre. Parce que le problème à cette époque, c’est que les provinces créaient un langage de la common law en français qui n’était pas le même, donc il n’y avait pas de sécurité linguistique. On ne pouvait pas utiliser les mêmes termes d’une province à l’autre, et cela avait un effet négatif sur la possibilité même d’exercer le droit en français.
Le problème, aujourd’hui, c’est que cette initiative s’est poursuivie depuis les années 1984, mais que son financement n’est pas assuré ou garanti. Ce sont les centres jurilinguistiques qui font ces exercices avec le Bureau de la traduction fédérale. Tous les ans, le ministère de la Justice nous donne des fonds qui proviennent du Fonds d’appui à l’accès à la justice dans les deux langues officielles, et cette somme moyenne n’a pas vraiment augmenté depuis 1984. Donc, on parle d’à peu près 150 000 $ en moyenne par année pour chacun des centres. Si bien que, on fait le travail avec les moyens qu’on a, et la façon dont on fait le travail, c’est qu’on choisit un domaine de droit à normaliser. Mais avec ces ressources, c’est impossible d’effectuer le rattrapage nécessaire pour que le vocabulaire normalisé de la common law en français soit au niveau du vocabulaire anglais, qui, lui aussi, continue à évoluer rapidement.
Alors, aujourd’hui, il reste des domaines entiers de droit qui n’ont pas été normalisés, comme le droit des assurances, le droit autochtone, le droit de l’immigration, et cetera. Je pourrais vous en donner d’autres. Et on ne peut pas rattraper non plus parce que le financement est annuel. Alors, tous les ans, il nous faut présenter une demande au ministère de la Justice. Les préoccupations ou les orientations du fonds changent avec les gouvernements. Il n’est pas garanti qu’on reçoive ce financement. On doit arrêter le travail avant de savoir si on va recevoir le financement. Si bien qu’il est pratiquement impossible d’attirer des personnes compétentes pour faire ce travail sans garantie que l’année prochaine elles vont avoir un emploi.
Alors voilà où on en est aujourd’hui.
Le sénateur McIntyre : Notre étude porte sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Selon vous, une modification de la loi pourrait-elle réduire ces lacunes? Brièvement.
Mme McLaren : Si la Loi sur les langues officielles est le seul moyen dont on dispose pour essayer de doter ce système juridique de la capacité de fonctionner dans les deux langues officielles, alors une solution possible serait d’insérer dans la loi une obligation de prendre des mesures positives justement pour doter le système juridique d’outils linguistiques et aussi pour favoriser la formation des jurilangagiers. Ça pourrait s’insérer dans la partie VII de la Loi sur les langues officielles, par exemple, parce que j’ai remarqué que dans la partie VII, selon la liste d’obligations vagues que contient la loi, rien n’est mentionné au sujet du langage juridique. Donc, ça, c’est vraiment une solution possible.
L’article 41, par exemple, qui parle de la promotion du français et de l’anglais, ne vise pas directement les mesures propres à alimenter la langue du droit en situation minoritaire et pourrait être élargi. Et l’article 43 qui vise la mise en œuvre pourrait aussi contenir un engagement plus ferme, pas simplement une obligation de prendre les mesures qu’on estime indiquées. On pourrait aussi ajouter un alinéa qui vise spécifiquement la langue du droit, la normalisation du vocabulaire français de la common law, la formation des jurilangagiers, et cetera.
À mon avis, c’est par là que ça commence, parce qu’on est aujourd’hui à parler du volet de la justice, mais la justice ne peut exister à moins qu’on ait ce code de langage, ce langage qui nous permet de nous exprimer en droit. C’est par là que tout commence, et c’est une responsabilité étatique. C’est une responsabilité du gouvernement fédéral de s’assurer qu’on a le vocabulaire juridique et les outils qui nous permettent de nous exprimer, en common law, en français, ou encore en droit civil en anglais, alors c’est la même chose pour le Québec. C’est le même problème là-bas.
Le sénateur McIntyre : Merci.
La sénatrice Moncion : Bienvenue.
J’ai une question pour vous, madame McLaren, au sujet des outils et du vocabulaire. Vous aviez mentionné que le financement que vous recevez pour faire ce travail est le même depuis 1984.
Mme McLaren : À peu près, oui.
La sénatrice Moncion : Même avec les changements qui ont été apportés dernièrement, dans le cadre du plan, il n’y a pas eu plus d’argent qui vous a été accordé.
Mme McLaren : Non. Ce qui s’est passé, c’est que nous sommes aussi membres du Réseau national de formation en justice. Vous avez parlé à M. Ronald Bisson. Dans le cadre de ce plan d’action, qui avait été accepté par le Comité permanent de la Chambre des communes et recommandé au gouvernement, nous avions présenté deux lettres d’intention au ministère de la Justice, justement pour couvrir les deux choses dont on a parlé aujourd’hui. Le premier programme, c’était un programme d’outillage à la pratique du droit en français, en contexte de common law. Et là, on demandait une somme de 10 millions de dollars sur cinq ans. Ce n’était pas juste pour nous, c’était pour tous nos partenaires qui auraient pu justement établir un programme structuré et systématique pour mettre le vocabulaire de la common law en français au même niveau que celui en anglais, pour produire les outils dont on a besoin, et cetera.
Et le deuxième projet qu’on a soumis au gouvernement fédéral, c’était le programme de formation à l’intention des membres actuels et futurs de la profession jurilangagière. Et ça, c’était 7,5 millions de dollars sur cinq ans. Et là, on parle de la formation continue et aussi universitaire des traducteurs juridiques, mais aussi des interprètes. Il y a un grand manque d’interprètes judiciaires au pays. Or, on s’est fait dire qu’il n’y a pas suffisamment d’argent pour ces programmes. Alors, voilà où on en est aujourd’hui. On est en train de revoir la situation, et notre prochain objectif est d’engager un dialogue avec le ministère de la Justice pour voir s’il y a quelque chose pour nous. Et si oui, combien? Et est-ce que dans le cadre de cette enveloppe, il est même possible d’envisager de tels programmes?
La sénatrice Mégie : D’accord. Maintenant, vous avez parlé de l’article 20 de la loi, et vous parlez justement du fait que les jugements ne sont pas nécessairement traduits. Dans le cadre de votre programme de formation, pourriez-vous nous dire comment ça peut nuire à votre travail lorsque vous n’avez pas tous les jugements récents, disons?
Mme McLaren : En fait, la grande majorité des jugements sur les sites des cours fédérales sont affichés seulement dans une des langues officielles, et le plus souvent, c’est en anglais. La traduction suit, parfois plusieurs mois ou parfois plusieurs années après. Si vous allez voir le rapport du Commissariat aux langues officielles de 2016, en mars 2016, il avait noté que sur les 100 décisions les plus récentes de la Cour fédérale, je crois, 82 étaient seulement en anglais.
Moi, j’enseigne le droit en français, le droit des fiducies. J’ai besoin de ces ressources pour pouvoir enseigner le droit, mais ce n’est pas juste les professeurs qui ont besoin de ça, c’est aussi un outil pour les avocats. Le droit jurisprudentiel, c’est une source de droit aussi fondamentale dans notre système que les lois. Les lois bilingues existent, les lois fédérales bilingues existent, mais les décisions judiciaires des tribunaux fédéraux ne sont pas toujours dans les deux langues officielles. En fait, elles le sont plutôt rarement. Enfin, on peut dire que c’est parfois impossible d’obtenir la traduction d’un jugement d’une cour fédérale.
L’autre problème, c’est la qualité de ces décisions judiciaires. Ça aussi, c’est un gros problème. Parce que la manière dont la Cour suprême traduit ses jugements est tout à fait différente de la manière dont le reste des cours fédérales procèdent à la traduction de leurs jugements. Si vous voyez le processus sur un continuum, la Cour suprême aurait la meilleure méthode, tandis que les cours fédérales traduisent leurs jugements par l’intermédiaire du Service administratif des tribunaux judiciaires, qui envoie ses demandes de traduction au Bureau de la traduction, qui à son tour envoie les traductions à des pigistes. Souvent, ces traductions ne sont pas révisées par les services du Service administratif des tribunaux judiciaires, parce que le service n’a pas la capacité de réviser tous ces jugements, si bien que, comme je l’ai dit tout à l’heure, les cours fédérales passent la mention « traduction officielle non révisée ».
On ne peut pas se fier à ce genre de traduction judiciaire, donc, naturellement, on va aller voir la version anglaise, puisque ça sert à quoi d’aller voir une version française qui pourrait contenir des erreurs ou des ambiguïtés?
La sénatrice Moncion : Est-ce que vous utilisez les jugements qui viennent du Québec dans votre formation?
Mme McLaren : Non, je n’utilise jamais les jugements qui viennent du Québec, qui sont souvent en français, oui, mais moi, j’enseigne le droit privé, donc je pourrais aller voir les jugements qui portent sur le droit des fiducies au Québec, mais je ne le fais pas en ce moment, parce que j’ai commencé à donner ce cours. Donc pour le moment, c’est une option que je ferai plus tard. Il est possible que j’aille voir à l’avenir une décision de justice du Québec.
Vous parlez des décisions de justice du Québec. Le Québec a le même problème que nous. Les enseignants qui enseignent le droit au Québec en anglais, par exemple — si c’est une possibilité, je ne le sais même pas —, n’ont pas accès aux décisions de justice en anglais. C’est le même problème, mais c’est le contraire là-bas. Il n’y a presque aucune traduction des décisions de justice au Québec qui se fait, parce qu’au Québec, la traduction des décisions de justice se fait sur la demande d’une personne. Il n’y a aucune obligation de traduire systématiquement les décisions de justice.
La sénatrice Moncion : C’est curieux. Au début de la semaine, on a rencontré un témoin de la Cour suprême qui nous disait que tous les jugements étaient traduits et disponibles. Je n’étais pas à la réunion longtemps, mais il s’agissait de tous les jugements de la Cour suprême.
Mme McLaren : Tous les jugements de la Cour suprême sont traduits.
La sénatrice Moncion : D’accord.
Ma prochaine question s’adresse au CCNB.
Vous avez parlé des étudiants internationaux, et l’Université de Moncton nous parle également des étudiants internationaux. Vous semblez avoir beaucoup de succès de ce côté-là. À quoi attribuez-vous le succès d’avoir autant de capacité à attirer des gens au niveau international?
Mme Maillet Bard : C’est Sylvio qui va vous répondre.
M. Boudreau : Oui, effectivement, on a une très forte augmentation. Il y a quelques années, on avait 4 p. 100 d’étudiants internationaux. Cinq ans plus tard, on en a 19 p. 100 et, dans certains campus, 26 p. 100 et 22 p. 100. Donc, c’est une très, très forte augmentation. Il y a la langue qui aide, parce qu’une bonne majorité de nos étudiants internationaux viennent de l’Afrique, donc de l’Afrique française. Donc, ça, c’est un élément.
Nos frais de scolarité, aussi, sont intéressants, par rapport à la compétition au pays, et il y a le fait qu’on est un petit collège. Il ne s’agit pas de gros collèges comme Algonquin, en Ontario, où il y a plusieurs gros collèges. C’est intéressant pour les gens, parce que c’est beaucoup plus facile de s’adapter, d’apprendre rapidement et de s’intégrer dans une communauté.
Mme Maillet Bard : Si je pouvais ajouter aussi que les étudiants internationaux, quand on leur demande : pourquoi ils ont choisi le CCNB, ils répondent justement ça. Ils disent que c’est parce qu’ils se sentent bien. C’est plus petit. C’est comme une famille. Alors, ils se sentent beaucoup plus encadrés. Bien sûr, au niveau des différents campus, on tente maintenant d’augmenter la capacité des infrastructures, de les accommoder, de les aider à s’adapter ou à s’orienter dans la communauté comme telle.
De plus, la CCNB offre des programmes à l’international. Alors, c’est un autre moyen pour nous de nous faire connaître, parce qu’en Afrique, on offre spécifiquement des programmes du CCNB. Donc, les diplômés ont une certification du CCNB qui est offerte en Afrique aussi.
Alors, c’est ça qui se fait. On se fait connaître, ce qui incite les gens à venir au Nouveau-Brunswick, pour voir le côté du CCNB au Canada.
La sénatrice Moncion : Quel succès avez-vous? Parce que vous avez parlé tout à l’heure du taux de placement. Je pense que vous avez mentionné 88 p. 100. Mais qu’en est-il de la rétention, pour que ces gens-là restent ici et travaillent ici, dans la communauté, et deviennent citoyens canadiens?
M. Boudreau : En fait, ça, c’est un défi, parce que souvent, l’une des conditions pour que les gens reçoivent leurs visas pour étudier ici, c’est qu’ils retournent dans leurs pays. Alors, c’est très difficile de les garder. Donc, il y a un double discours au niveau politique. On veut en faire venir, mais il n’y a pas de moyens de les garder ici, ou il n’y a pas d’incitatifs à les garder ici.
Certains réussissent à rester, car souvent, ils veulent faire venir leur famille, par exemple. En outre, il y a un travail énorme à faire pour que les employeurs les embauchent après leur stage. Il y a aussi un défi énorme à ce niveau-là.
Donc, ça, c’est un gros travail, surtout qu’on a une augmentation rapide actuellement. C’est un travail auquel on s’attarde pour essayer de garder les gens ici, de les suivre quand ils partent, pour savoir s’ils changent de région, et cetera. Est-ce qu’ils restent au Canada? Et est-ce qu’ils ont un emploi au Canada? C’est un travail qu’on est en train de faire, étant donné le volume qu’on reçoit. Mais c’est un défi, parce que c’est un double discours. Pour obtenir leur visa, on leur dit qu’ils peuvent venir étudier, mais qu’ils doivent retourner dans leur pays après, alors que nous, on veut les garder.
La sénatrice Moncion : D’accord. Merci beaucoup.
Le président : Merci. La sénatrice Poirier a une question complémentaire, je crois, à ce sujet.
La sénatrice Poirier : Oui. Quel rôle jouez-vous dans la promotion, pour attirer des gens de l’extérieur à venir étudier ici? Est-ce vous, le CCNB, qui assumez ce rôle de promotion ou est-ce que c’est au niveau de la province ou de la gouvernance provinciale?
M. Boudreau : Bien, on est chanceux parce qu’on n’a presque pas besoin de faire de promotion. Oui, on est présent, comme Mme la présidente le disait tout à l’heure, parce qu’un étudiant peut recevoir un certificat du CCNB en Afrique, un certificat ou un diplôme.
On a déjà un réseau, parce qu’on est très impliqué dans le développement de la francophonie aussi, donc ce travail se fait. On fait un peu de promotion, dans le sens où on participe aux foires d’emplois là-bas, au Maroc ou dans des endroits semblables, mais on n’en fait presque pas. On a déjà une très bonne réputation à l’international. Il y a beaucoup de bouche à oreille qui se fait, mais on n’a pas de recruteurs sur place. On ne fait pas affaire avec des firmes.
L’année passée, on a eu plus de demandes d’admission de l’international que de demandes d’admission canadiennes. Donc, on est juste chanceux, c’est un beau problème. La problématique, c’est souvent la conversion, parce que la difficulté d’avoir des visas pour venir au Canada ralentit beaucoup les gens de ce côté-là.
La sénatrice Poirier : Mais quand vous êtes passés de 4 p. 100 à 19 p. 100 puis à 26 p. 100, il devait y avoir quelque chose qui y a contribué, comme quelque chose dans le domaine de la promotion, non?
M. Boudreau : Non, pas dans le sens d’accorder plus d’argent à la promotion. Mais ce qu’on a fait, par exemple, ce sont des suivis à l’international avant qu’ils viennent. Donc, on les encadre avant de venir. Cette année, à cause du volume, on fait beaucoup d’accompagnement lorsqu’ils sont sur place.
Comme Mme la présidente le disait aussi, au CCNB, on offre du soutien. On consacre beaucoup de temps à l’inclusion, à la santé mentale et à l’appui à la réussite. On met beaucoup d’efforts de ce côté-là, au CCNB, pour accueillir la diversité, les gens qu’on veut avoir, et les différents types de personnes. Donc, ça, c’est communiqué aussi, entre les gens.
La sénatrice Poirier : Est-ce que vous avez un pourcentage de personnes qui restent ici après?
M. Boudreau : On n’en a pas encore, non. On essaie d’avoir ces données-là.
Mme Maillet Bard : J’ajouterais aussi qu’il y a eu des efforts qui ont été faits dans les dernières années pour essayer de débloquer, au niveau de tout le processus d’obtention du certificat d’immigration ou du passeport, parce qu’il y a toutes sortes de règles qui, souvent, ralentissent le processus jusqu’au moment où on veut les admettre en septembre. Ils n’arrivent pas à passer à travers tous les procédés nécessaires pour entrer au pays. Alors, ça retarde parfois leur admission en janvier, ou parfois on perd des admissions, à cause de ça.
M. Boudreau : En fait, une personne sur dix qui faisait une demande pouvait venir, et là, cette année, on a travaillé pour faire augmenter ce nombre-là. On a justement tous les petits irritants, qui sont souvent les problèmes de papiers, de transfert, d’accords pour les visas. Le moment où on traitait leurs demandes aussi. Donc, on travaille beaucoup à améliorer ça, ce qui fait que l’augmentation joue aussi. Plus il y a de gens qui font des demandes, l’année suivante, ça double. Donc, on est pas mal chanceux de ce côté-là.
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Mme McLaren.
Avez-vous une idée approximative du pourcentage des documents ou des jugements au Nouveau-Brunswick qui sont traduits avec égalité dans la version française et la version anglaise?
Mme McLaren : Non, je n’ai pas cette information. Je sais que toutes les décisions de la Cour d’appel ici sont traduites. Le problème se situe au niveau de la Cour du Banc de la Reine, plutôt. Je n’ai pas cette information-là. Il faudrait qu’il y ait une enquête aussi bien au Nouveau-Brunswick qu’au niveau fédéral, en ce qui concerne les cours fédérales.
Il y a, par exemple, un problème au niveau de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Vous devez être au courant de cette problématique. C’est une commission qui avait justement adopté une politique selon laquelle elle ne voulait plus publier ses décisions en anglais sur son site web, parce que la publication implique la traduction, donc en raison des milliers de décisions que prend cette commission, son budget ne lui permettait pas de respecter l’article 20. Elle a donc adopté la politique de ne rien publier.
Donc, ça prive évidemment ceux qui veulent obtenir le statut de réfugié d’une jurisprudence importante. Il y a un gros problème au niveau de l’article 20 aujourd’hui et dans la façon dont il est rédigé, parce que son effet pervers justement, c’est d’inviter les pratiques qui violent l’article 20.
La sénatrice Mégie : J’ai une autre question. Je conversais, justement, de ce sujet-là avec des avocats nouvellement diplômés, et ils me disaient qu’ils ont appris que, dans certaines provinces, quand on fait la publication des jugements, souvent, on publie les jugements dans la langue de l’accusé ou du moins dans celle du perdant. Qu’est-ce que vous pensez de cette approche-là? Avez-vous connaissance de ça?
Mme McLaren : Je n’ai pas connaissance de cette pratique, non, je ne sais pas d’où ça vient.
La sénatrice Mégie : Ils disent que c’est un problème financier, d’une part, comme vous l’avez souligné, soit l’obstacle financier, et aussi de délai, en raison du temps que ça prendrait pour faire la traduction.
Mme McLaren : Il est certain qu’il y a un gros problème de délai. L’une des questions dans la fiche que j’ai reçue du comité est la suivante : est-ce que toutes les décisions devraient être traduites de manière simultanée? Dans un monde idéal, oui. Est-ce que ce serait possible en ce moment? Non, ce serait impossible. Nous n’avons simplement pas les ressources qui permettraient de publier tout de manière simultanée. Il n’y a pas suffisamment de traducteurs juridiques compétents pour faire ce travail. Est-ce que ça veut dire qu’on ne devrait pas publier tout de manière simultanée? Non. Ce qu’on devrait faire, au nom de l’égalité, c’est se doter de cette capacité.
L’autre question qu’on doit se poser est à savoir si toutes les décisions méritent d’être publiées. Ce ne sont pas toutes les décisions qui font évoluer le droit. Certaines ne font qu’appliquer le droit existant à des faits. Ce sont des questions valides à se poser aujourd’hui, quand vient le moment pour vous de réviser l’article 20 de la Loi sur les langues officielles.
La sénatrice Mégie : Je comprends vraiment ce que vous dites, mais là, je vous demande en vertu de quels critères peut-on se baser pour déterminer quel est le jugement qui va faire avancer le droit. Bon, il y en a peut-être qui sont évidents, comme ceux dont on pense qui vont faire jurisprudence, mais les autres, est-ce qu’on les met dans un gros panier en disant que ceux-là ne font pas avancer le droit, et on s’arrête là?
Mme McLaren : Absolument, et c’est une question très difficile. La manière dont l’article 20 est rédigé aujourd’hui ne fonctionne pas, parce qu’on parle de ce qui est d’importance pour le public. Qu’est-ce que ça veut dire, d’importance pour le public?
Pourquoi est-ce que les tribunaux se posent tous la même question et pourquoi est-ce qu’ils adoptent tous des critères qui sont différents? Ce n’est pas normal. Ils sont tous assujettis à la même obligation, donc ça aussi, c’est problématique. C’est une question que le comité doit se poser, en effet, sur la formulation même de cette obligation.
Mais l’autre grande question, c’est l’égale valeur qu’on accorde. Ça sert à quoi de traduire une décision judiciaire si elle n’a pas égale autorité? Si elle n’est pas fiable? Si elle n’est pas bien faite? Ça ne sert absolument à rien. C’est une perte d’argent.
La sénatrice Mégie : Merci.
La sénatrice Gagné : Bienvenue. Les collèges et les universités, et la francophonie canadienne se sont dotés d’une voix que je trouve très forte en matière d’éducation postsecondaire.
J’aimerais tout d’abord vous remercier de votre contribution au sein de ce réseau. J’ai eu le plaisir d’entretenir d’excellentes relations avec le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, ainsi qu’avec l’Université de Moncton, et je dois dire que l’Université de Saint-Boniface, en tant qu’établissement dans ma province, a beaucoup profité de vos expertises et de votre leadership. Alors, j’aimerais vous remercier.
Vous avez fait allusion au manque de ressources. M. Bisson, quand il s’est présenté, a parlé surtout de l’accès à la justice. Il a mentionné que, lorsqu’on fait la liste des programmes offerts et des programmes dans le domaine de la justice offerts en anglais au Canada, par rapport à ce qui est offert en français, on peut constater que nous ne sommes pas traités de manière égale. Ça, c’est évident. On a juste à regarder la liste, et pas seulement en ce qui concerne l’accès à la justice. On peut le faire pour l’ensemble des programmes offerts au niveau postsecondaire.
Je constate aussi qu’au cours des dernières années, il y a eu un genre de ralentissement. On est vraiment dans une période assez importante, parce qu’on n’a pas vu dans les dernières années une augmentation dans le financement en ce qui a trait au Consortium national de formation en santé ni pour ce qui est du domaine du Réseau national de formation en justice. Je me pose toujours la question à savoir où le bât blesse, premièrement. Ensuite, comment peut-on s’assurer d’être en mesure, par l’entremise de la Loi sur les langues officielles, d’assurer justement le développement de nos communautés par l’entremise de l’éducation, que ce soit à partir de la petite enfance, en passant par le primaire et le secondaire, pour ensuite aller à l’éducation postsecondaire?
Je le demande à Mme Maillet Bard.
Mme Maillet Bard : Dans un premier temps… je demanderai ensuite à mes collègues qui participent au réseau.
Selon mon expérience, et j’ai fait partie justement de plusieurs programmes, tant au niveau de la formation que de la livraison des services, comme le Consortium, bien sûr, et la Société Santé en français, je pense qu’il faut vraiment avoir une concertation et une collaboration entre les provinces et avec le fédéral, et il faut s’assurer d’adopter le principe d’égalité, parce que la loi y fait référence. Cependant, il n’y a pas d’outils, ou pas de mordant dans la loi pour s’assurer à ce moment-là que ça se transforme selon le principe d’établir des programmes parallèles ou des programmes pouvant répondre aux besoins de la communauté francophone.
L’autre problème, comme je vous l’ai mentionné aussi, c’est que quand on développe des programmes, après, nos diplômés doivent passer l’examen ou se préparer à passer l’examen. Or, parfois, on n’a même pas d’outils la possibilité de développer des outils pour les aider à être traités équitablement et sur une base égale avec les étudiants anglophones.
Alors, ça prend vraiment un engagement du côté fédéral, comme on a l’occasion de moderniser la loi, pour s’assurer que le principe d’égalité, on pourra le voir en action.
La sénatrice Gagné : En ce moment, pour le Consortium national de formation en santé, il y a une entente selon laquelle des fonds sont transférés au secrétariat. Il y a aussi des ententes bilatérales. C’est la même chose, je crois, avec le Réseau national de formation en justice. Je crois qu’il y a quand même des programmes qui ont été financés, dans le cadre d’ententes avec Justice Canada. Ensuite, il y a les ententes entre le fédéral et les provinces en matière d’enseignement scolaire et postsecondaire. Donc, il faut être contorsionniste aussi, quand on travaille dans les collèges et les universités en francophonie canadienne. Alors, comment est-ce qu’on peut réunir tout ça dans le cadre de la Loi sur les langues officielles?
La sénatrice Moncion : Dans un tout cohérent.
La sénatrice Gagné : oui, merci.
M. Boudreau : Comme on l’a dit tantôt, il faut de l’adrénaline dans la loi qui nous permette d’être plus proactifs. On a vu l’exemple pour la traduction. Ce n’est pas avec 100 et quelques mille dollars qu’on va faire du travail qui demande peut-être des millions par année. Donc, ça, c’est un exemple.
Ce qu’on fait, au niveau pancanadien… parce qu’on est un écosystème tissé serré et on essaie de ne pas être juste efficace, mais d’être efficient aussi. Quand on se met ensemble pour essayer d’offrir le même programme à partir de 10 provinces, on va travailler en complémentarité. Donc, déjà là, quand on part de l’idée qu’on peut travailler avec des organismes à l’échelle nationale qui se coordonnent, on avance de beaucoup. On coordonne beaucoup. Donc, ce sont des négociations qui peuvent se faire avec les gouvernements.
Il est certain que le financement y joue un rôle important, mais ça coûte encore moins cher d’investir dans les organismes que dans les services gouvernementaux, par exemple. Donc, je pense qu’il y a un partenariat à faire à ce chapitre. Moi, j’y crois. Je l’ai fait à plusieurs reprises avec le gouvernement dans différents domaines où j’ai travaillé, et ça peut marcher.
Alors, ça nous demande d’être originaux. Ça nous demande d’être complémentaires et de travailler ensemble. Si on peut travailler avec le gouvernement pour donner plus de mordant à la loi… L’interprétation généreuse de la loi, c’est l’article 20, par exemple, où on indique quelque chose, mais de façon très, très faible. Ce n’est pas parce qu’on a coché à un endroit qu’on est nécessairement efficient. Ce n’est pas parce qu’on a coché en disant qu’on a donné 180 000 $ dans un secteur que le travail est fait. Souvent, il faut en faire plus.
Mme Maillet Bard : J’ajouterais aussi que, avec la modernisation, s’il y a des éléments, justement, où d’autres programmes financiers doivent… En association avec l’amélioration de la loi, il faut s’assurer que les changements s’appliquent à ce niveau-là, de sorte qu’il n’y ait pas de bris au niveau des services et dans les programmes d’appui.
La sénatrice Gagné : Alors, est-ce que vous seriez d’accord pour dire qu’au sein de la loi, il y ait une reconnaissance du fait que l’éducation postsecondaire contribue au développement et à l’épanouissement des communautés? Parce que ça devrait faire partie de la partie VII, en d’autres mots.
M. Boudreau : On parle beaucoup, nous, du continuum, un peu comme vous l’avez mentionné tantôt, de la petite enfance jusqu’au postsecondaire. On a gagné des batailles pour tout ce qui est dans les écoles, que soit au primaire ou au secondaire. Pour l’instant, si vous regardez les communautés, on le voit dans le plan du ministère du Patrimoine; il l’inclut, mais il n’inclut pas nécessairement plus d’argent.
Cette année, il n’y a pas eu d’augmentation pour personne. On prévoit une augmentation l’année prochaine, en espérant que le gouvernement sera au pouvoir l’année prochaine. Ça, c’est toujours le danger. Vous verrez la même chose dans le domaine de la justice, en recherche appliquée, pour les jeunes, ils vont tous demander à peu près cette reconnaissance-là.
Quand on parle de la promotion et de l’épanouissement aux articles 41 et 42 de la loi, ça doit être vu comme étant une norme proactive. On ne peut pas se baser sur juste jouer… on a vu tantôt que le rattrapage qu’il y a à faire quant aux anglophones est tellement grand qu’on ne peut pas le faire d’une façon cordiale. Ça doit être interprété d’une façon proactive dans l’ensemble des domaines, et de façon pluriannuelle aussi.
Mme Maillet Bard : J’ajouterais qu’il ne faut pas oublier, à la suite de la dernière étude, la formation en français et la contribution du CCNB au développement économique. Alors, quand on parle de développement des communautés, ça a aussi un impact sur le développement économique de la province.
La sénatrice Gagné : D’accord. Merci.
Le président : Avant de passer au deuxième tour avec le sénateur McIntyre, j’ai quelques questions.
Mes questions vont s’adresser à vous, madame McLaren, mais je veux à mon tour profiter de notre passage au Nouveau-Brunswick pour vous remercier, le CCNB, de votre travail, et évidemment, comme je suis du secteur des arts et de la culture, je veux particulièrement souligner le travail qui se fait dans la péninsule acadienne dans le domaine des arts et de la culture et de la formation pour susciter un travail en innovation et en créativité. Je trouve que c’est assez formidable. Donc, je veux vous féliciter et vous remercier pour cela et transmettre aussi mes salutations à l’ensemble de votre personnel.
Mes questions s’adressent à Mme McLaren. En fait, j’en ai deux, et la première est la suivante : les obligations qui incombent à Justice Canada devraient-elles être clairement énoncées dans la Loi sur les langues officielles?
Mme McLaren : Vous voulez dire, spécifiquement celles du ministère de la Justice du Canada?
Le président : Oui.
Mme McLaren : Je pense que c’est une bonne idée. C’est une bonne idée de viser plus spécifiquement la langue du droit en situation linguistique minoritaire, non seulement le vocabulaire français de la common law, mais aussi le droit civil pour les locuteurs anglophones du Québec.
Le président : Et vous avez beaucoup parlé de l’article 20, en fait, que j’ai lu avec attention. Je ne veux pas vous inviter nécessairement à faire du mot à mot, mais si vous aviez à résumer ce qu’il vous semble important de modifier à l’article 20, comment l’articuleriez-vous?
Mme McLaren : Oui, j’ai beaucoup de choses à dire à propos de l’article 20. Une des choses les plus importantes, à mon sens, ce serait de faire en sorte que l’article 20 dote les deux versions linguistiques des décisions judiciaires traduites de la même autorité en droit. Sinon, à mon sens, ça ne sert à rien de traduire des décisions judiciaires si on sait que l’une est la traduction de l’autre. Non seulement ça, mais elles peuvent être identifiées comme traductions. Et vous savez que dans le cas des lois fédérales, on ne peut identifier quelle est la version… en fait, il n’y a pas de version traduite, parce que c’est la corédaction qui s’applique.
Mais la corédaction, c’est le produit de toute une évolution. Et je pense que c’est le fait que les deux versions linguistiques des lois avaient égale autorité qui avait poussé le gouvernement fédéral à faire en sorte que les méthodes de production des deux versions permettent de produire deux versions qui sont de qualité égale.
Donc, si on modifie l’article 20 pour codifier ce principe en ce qui concerne les décisions judiciaires, on va forcer le marché à s’adapter pour faire en sorte que la version traduite d’une décision judiciaire soit de qualité rédactionnelle acceptable.
Le président : Donc, ce serait votre principale recommandation.
Mme McLaren : J’ai en d’autres, mais ce serait ma principale recommandation.
Le président : D’accord.
Le sénateur McIntyre : Je m’adresse également à Mme McLaren.
Madame McLaren, on entend souvent parler de bilinguisme législatif par rapport au bilinguisme judiciaire. Cela étant dit, je comprends que vous avez écrit sur l’évolution des droits linguistiques en matière de bilinguisme législatif et de bilinguisme judiciaire.
Je porte votre attention sur les pratiques actuelles. Selon vous, les pratiques actuelles garantissent-elles l’égale qualité des versions linguistiques?
Mme McLaren : Est-ce que vous parlez des lois?
Le sénateur McIntyre : Oui.
Mme McLaren : D’abord, ça dépend où je me situe. Si je commence par le gouvernement fédéral, il a adopté la corédaction en 1984 – je ne me souviens plus de la date – et, en fait, je peux vous dire que la version française des lois et des règlements fédéraux est aujourd’hui de bien meilleure qualité qu’elle ne l’était dans les années 1970, quand c’était la traduction en vase clos qui était adoptée pour produire les versions françaises des lois. À mon sens, c’est, à l’heure actuelle, le meilleur système qui existe au Canada pour produire des versions linguistiques des lois qui sont de qualité égale.
Je peux dire aussi qu’il y a toujours du travail à faire pour fournir à ces rédacteurs législatifs le vocabulaire et la terminologie dont ils ont besoin pour faire leur travail. Là, je reviens sur cette problématique de la normalisation, parce qu’ils utilisent le vocabulaire normalisé. Et il faut qu’ils utilisent le vocabulaire normalisé, parce que ce vocabulaire se propage partout dans les provinces, et les provinces suivent. Par exemple, le Nouveau-Brunswick promulgue aussi ses lois dans les deux langues officielles. Donc, c’est ça, le problème, c’est qu’eux aussi ont besoin d’outils. Je suis allée voir les rédacteurs législatifs au gouvernement fédéral et, souvent, surtout dans le cas de lois assez techniques, on a un manque de vocabulaire ou de terminologie total qui est très difficile pour les rédacteurs. Disons qu’on a besoin d’investir dans cette entreprise de normalisation, de création de vocabulaire en situation linguistique minoritaire.
En ce qui concerne les provinces, si ça vous intéresse, le Nouveau-Brunswick a aussi adopté un modèle de corédaction qui diffère quelque peu de celui du gouvernement fédéral, encore une fois en raison des ressources.
Dans mon étude, j’ai souligné le fait que, premièrement, la révision jurilinguistique des versions des lois du Nouveau-Brunswick se fait simplement sur la version française. Donc, on ne révise pas la version anglaise, ce qui est un problème pour les corédacteurs du Nouveau-Brunswick. Il y a aussi le fait que, souvent, la corédaction au Nouveau-Brunswick s’apparente à un modèle de traduction en raison du temps. Le temps est trop limité. Les rédacteurs n’ont pas le temps de s’asseoir côte à côte et de rédiger chacun leur version. Un des rédacteurs va souvent prendre les devants, va commencer à faire la rédaction et ensuite envoyer sa version à l’autre, si bien qu’en fait, le produit de la corédaction s’apparente de très près à de la traduction.
Ensuite, il y a le Manitoba et l’Ontario, où il y a un modèle de traduction. Mais c’est un modèle de traduction plus coopératif et dialogique. Le modèle le moins avancé, c’est celui du Québec, où, selon mes dernières informations, ce sont les traducteurs de l’Assemblée nationale qui traduisent les versions françaises des lois, mais quand ces versions leur arrivent, elles sont complètement rédigées à la toute fin du processus et, justement, le processus de concertation entre traducteurs et rédacteurs est très difficile pour eux, parce qu’il y a des obstacles au libre échange qui est nécessaire pour qu’une version linguistique soit de qualité égale à l’autre.
Donc, c’est un tour très rapide de mon étude.
Le sénateur McIntyre : Merci, madame McLaren.
Le président : Alors, pour conclure, le Sénat a une très belle question à vous poser, en espérant pouvoir obtenir une vraie réponse. Des témoins ont proposé de codifier le principe de corédaction dans la loi. Le Nouveau-Brunswick le fait. Qu’en pensez-vous?
Mme McLaren : Oui. Je pense que le principe de corédaction est le fruit d’une longue évolution des méthodes de production des textes législatifs au sein du gouvernement fédéral. Le fait de codifier cette exigence est naturel et pourrait servir d’inspiration aux autres législatures, parce que son objectif est d’assurer la pleine participation des deux groupes linguistiques à l’élaboration même des projets de loi. Il est normal que ce soit cette méthode qui soit favorisée par le gouvernement fédéral et par le Nouveau-Brunswick, qui ont tous les deux conféré un statut égal aux deux langues officielles. Ce statut, c’est la condition sine qua non de l’existence de la corédaction.
Le président : Sur ce, merci beaucoup pour vos réponses et pour votre participation à la séance, madame McLaren, madame Maillet Bard, monsieur Boudreau et madame Rioux-Walker. Vos commentaires et réflexions sont très intéressants et pertinents dans le cadre de notre étude.
(La séance est levée.)