Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 30 - Témoignages du 26 octobre 2018
OTTAWA, le vendredi 26 octobre 2018
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 9 h 48, afin de poursuivre son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateur et sénatrices, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai l’honneur de présider la réunion d’aujourd’hui.
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit aujourd’hui son étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Michel Carrier, commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick par intérim. Il est accompagné de M. Hugues Beaulieu, directeur général.
Alors, avant de donner la parole à notre témoin, la sénatrice Gagné propose que le personnel des communications du Sénat soit autorisé à prendre des photos pendant la séance. Êtes-vous tous en faveur?
Des voix : D’accord.
Le président : D’accord, je vous remercie.
Avant de poursuivre la réunion, j’invite mes collègues à se présenter, en commençant à ma droite.
La sénatrice Poirier : Bonjour et bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le président : Bonjour et bienvenue, messieurs. Nous avons lu avec beaucoup d’intérêt le mémoire que vous nous avez présenté. Sans plus tarder, monsieur Carrier, la parole est à vous.
Michel Carrier, commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick par intérim, Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick : Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de l’invitation à venir comparaître devant votre comité dans le cadre de votre étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada.
Je suis accompagné de M. Beaulieu. À la suite de mon exposé, M. Beaulieu et moi serons heureux de répondre à vos questions.
J’aimerais d’abord vous remercier de mener cette importante étude. Je suis convaincu qu’elle contribuera grandement à accroître la vitalité de nos deux langues officielles ici, dans la seule province officiellement bilingue au Canada, et ailleurs au Canada, évidemment.
Comme vous le savez, l’an prochain, le Canada et le Nouveau-Brunswick célébreront tous les deux le 50e anniversaire de l’adoption de la Loi sur les langues officielles. Cette étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada est un excellent prélude à ce 50e anniversaire.
[Traduction]
Le 11 juin dernier, Katherine d’Entremont, celle qui m’a précédé dans ce poste, avait la chance de comparaître devant vous. Elle vous a donné les grandes lignes de la position du Commissariat concernant la modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada, et par la même occasion, vous a fait savoir qu’un document plus détaillé suivrait dans quelques mois. Je suis ravi aujourd’hui de vous présenter notre mémoire.
Dans mon exposé d’aujourd’hui, je vais revenir brièvement sur certains des éléments que Mme d’Entremont avait mentionnés, mais je ne vais manifestement pas tout répéter.
[Français]
Notre mémoire explique en détail les raisons qui nous amènent à proposer deux modifications à la loi fédérale. D’une part, cette loi devrait reconnaître la spécificité constitutionnelle du Nouveau-Brunswick, et, d’autre part, elle devrait refléter le statut et les droits, et les privilèges égaux des deux communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick.
Nous croyons que la Loi sur les langues officielles du Canada doit prévoir l’obligation du gouvernement fédéral d’offrir ses services et de communiquer dans les deux langues officielles partout au Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Conformément à la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, les membres du public ont le droit de communiquer avec n’importe quelle institution et d'en obtenir les services dans la langue de leur choix partout dans la province. Cela tranche avec le régime fédéral, selon lequel le droit de communiquer et d’obtenir des services dans la langue officielle de choix existe là où le nombre le justifie.
Nous recommandons par conséquent que la Loi sur les langues officielles exige du gouvernement fédéral qu’il offre ses services dans les deux langues officielles à l’échelle du Nouveau-Brunswick. Il est possible de le faire en exigeant que les obligations énoncées dans l’article 22 de la Loi sur les langues officielles s’appliquent à tous les organismes et bureaux fédéraux du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Qui plus est, la loi fédérale devrait obliger le gouvernement du Canada à tenir compte et à appuyer l’égalité de statut des droits et des privilèges des communautés linguistiques françaises et anglaises au Nouveau-Brunswick, y compris ses institutions distinctes auxquelles elles ont droit.
Comme vous le savez, l’article 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés enchâsse les droits et privilèges égaux des communautés linguistiques françaises et anglaises du Nouveau-Brunswick, incluant leurs droits à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.
La raison d’être de cette garantie constitutionnelle est la suivante :
[Traduction]
Pour s’épanouir, toute communauté linguistique a besoin de lieux où elle peut vivre pleinement dans sa langue. C’est la raison d’être des institutions culturelles et éducatives distinctes. En assurant le développement de chaque communauté, ces institutions favorisent l’égalité des deux communautés. Et l’égalité favorise l’unité.
Des institutions distinctes n’empêchent toutefois pas le dialogue entre les deux groupes linguistiques. Ils se côtoient régulièrement dans plusieurs domaines d’activité, par exemple au travail ou dans les loisirs.
[Français]
Fait à noter ; le principe de l’égalité constitutionnelle, tel qu’il est formulé à l’article 16.1, ne se reflète pas dans l’actuelle Loi sur les langues officielles du Canada. Le Parlement devrait moderniser la loi, à la lumière de l’ajout de l’article 16.1 de la Charte en 1993, pour que celle-ci prévoie et encadre une obligation du gouvernement fédéral de tenir compte des droits et des privilèges égaux des communautés linguistiques françaises et anglaises au Nouveau-Brunswick.
Une telle modernisation pourrait être atteinte en prévoyant à la partie VII de la loi fédérale un engagement additionnel — accompagné d’une obligation de prendre des mesures positives afin de le mettre en œuvre — du gouvernement fédéral de reconnaître et de promouvoir le statut et les droits et les privilèges égaux des communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick, notamment le droit de celles-ci aux institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion. Un tel régime encadrerait le pouvoir du gouvernement fédéral de dépenser.
Par ailleurs, l’égalité constitutionnelle des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick devrait également guider l’élaboration et l’application de politiques d’immigration du gouvernement fédéral.
À cet égard, j’aimerais souligner qu’une étude récente sur la vitalité de nos deux langues officielles a révélé qu’environ un immigrant récent sur dix avait le français comme première langue officielle parlée, alors que sept sur dix avait l’anglais à ce titre, en 2016.
La loi fédérale devrait obliger le gouvernement fédéral à tenir compte de l’équilibre linguistique spécifique du Nouveau-Brunswick et de la reconnaissance du statut des droits et des privilèges égaux des communautés linguistiques françaises et anglaises dans la province, dans ses politiques d’immigration, de sorte à y maintenir l’équilibre linguistique existant.
[Traduction]
L’un des deux grands rôles de mon bureau est de promouvoir l’avancement des deux langues officielles dans la province. Il y a quelques mois, dans notre dernier rapport, ma prédécesseure présentait les grandes lignes d’une étude réalisée pour le Commissariat par l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, organisme basé à Moncton, sur la vitalité du français et de l’anglais au Nouveau-Brunswick.
Cette étude a révélé des tendances inquiétantes concernant la langue française. Par exemple, le pourcentage de Néo-Brunswickois dont la langue maternelle est le français a atteint un creux de 31,9 p. 100 en 2016, par rapport à 33,8 p. 100 en 1971, alors que le pourcentage de personnes dont la langue maternelle est l’anglais n’a pas changé depuis 1971 et est resté à environ 65 p. 100.
Autre exemple : l’immigration et l’anglicisation des immigrants et de leurs enfants ont avantagé de façon disproportionnée la communauté anglophone.
[Français]
Les faits saillants de cette étude comprennent aussi un signe encourageant pour la vitalité de la langue française. Ainsi, les francophones en couples mixtes, surtout les mères, transmettent de plus en plus le français à leurs enfants. C’est maintenant plus de la moitié des enfants des mères francophones en couples mixtes qui se sont vu transmettre le français comme langue maternelle, alors que ce pourcentage n’était que de 43 p. 100 en 2001.
Lors de la publication des faits saillants de cette étude, la commissaire a déclaré ceci : « La vitalité future de la langue française au Nouveau-Brunswick est loin d’être assurée. » L’étude de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques nous a fait prendre conscience que l’avenir d’une langue repose sur plusieurs facteurs interreliés. Il faut agir efficacement et d’une manière coordonnée sur l’ensemble des facteurs de vitalité, pour assurer l’avenir de la langue française au Nouveau-Brunswick.
Nous croyons qu’une loi sur les langues officielles fédérale qui tient compte du caractère unique de notre province, du Nouveau-Brunswick, qui respecte le principe d’égalité des deux communautés linguistiques officielles du Nouveau-Brunswick en matière d’immigration, par exemple, est l’un des facteurs qui permettront d’appuyer la vitalité de nos deux langues officielles ici, au Nouveau-Brunswick, et ailleurs au Canada.
Voilà pourquoi nous fondons beaucoup d’espoir sur vos travaux. Votre étude nous apparaît très importante pour l’avenir de nos deux langues, et nous vous remercions de la mener. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Carrier.
Nous allons commencer notre période de questions avec les membres du comité.
La sénatrice Poirier : Merci à nouveau d’être ici. J’ai quelques questions à vous poser.
Selon vous, quels sont les mécanismes qui manquent pour assurer que la Loi sur les langues officielles soit pleinement appliquée? Est-ce que sa mise en œuvre devrait être confiée à un ministère spécifique, comme le Conseil du Trésor ou la ministre de Patrimoine canadien?
M. Carrier : Je crois que plusieurs personnes sont d’avis qu’une agence centrale dédiée, au lieu d’avoir les responsabilités partagées au sein de plusieurs agences fédérales, améliorerait non seulement la livraison, mais aussi la coordination pour faire en sorte qu’on n’échappe pas certains éléments importants qui pourraient se perdre dans l’échange entre diverses agences.
En général, d’après ce que j’ai lu et ce que j’ai entendu, et d’après ce que nous pensons aussi, il devrait y avoir une agence centrale. Au Nouveau-Brunswick, la loi prévoit que la responsabilité revient au bureau du premier ministre.
Tout récemment, dans le dernier rapport annuel, Mme d’Entremont a suggéré de créer un secrétariat qui pourrait appuyer le travail du premier ministre. Le premier ministre a bien d’autres chats à fouetter. Par conséquent, le dossier des langues officielles pourrait peut-être ne pas recevoir l’attention nécessaire. La création d’un secrétariat, semblable à d’autres secrétariats qui existent au Nouveau-Brunswick, pourrait offrir une coordination plus présente et avoir une influence aussi sur le travail de la haute direction au sein des ministères.
J’entendais hier, encore dans un certain domaine, que là où le bât blesse, c’est surtout au niveau des gestionnaires. On peut avoir des plans d’implantation en matière de langues officielles au Nouveau-Brunswick; si les gestionnaires n’y croient pas ou n’embarquent pas, ou ne sont pas engagés, peut-être que ça ne donnera pas les résultats escomptés.
Alors, la création d’un secrétariat, qui pourrait être dirigé par une personne au sein du bureau du sous-ministre, pourrait avoir une meilleure influence.
Si on prend l’exemple du Nouveau-Brunswick et qu’on le ramène au gouvernement fédéral… Je ne sais pas si ça répond à votre question, mais ça pourrait certainement donner de meilleurs résultats.
La sénatrice Poirier : En tant que commissaire aux langues officielles pour la province du Nouveau-Brunswick, comment percevez-vous la qualité de la traduction des jugements rendus? Selon vous, est-ce que cela pose problème?
M. Carrier : Vous voulez dire en ce qui concerne la traduction?
La sénatrice Poirier : Oui?
M. Carrier : Pas à ce que je sache.
La sénatrice Poirier : Non?
M. Carrier : Ici, au Nouveau-Brunswick, la Loi sur les langues officielles prévoit qu’une décision qui a une importance pour le public doit être traduite et publiée dans les deux langues officielles.
La Cour d’appel a décidé que toutes ses décisions tombent dans cette catégorie et toutes les décisions de la Cour d’appel sont traduites. Elles sont traduites par le Centre de traduction et de terminologie juridiques de l’Université de Moncton, le CTTJ, et ils font un travail extraordinaire.
J’ai déjà eu des discussions à ce sujet avec des juges et d’autres juristes. Il ne semble pas y avoir de préoccupations en ce qui concerne la justesse de la traduction.
La sénatrice Poirier : Je pose la question parce que des témoins, entre autres de la Cour suprême, nous ont dit qu’à l’échelon fédéral, parfois, il y a des délais importants et lorsque les documents traduits reviennent, ils doivent être révisés à plusieurs reprises.
Êtes-vous en mesure de comparer la qualité des traductions de la Cour fédérale et de la Cour provinciale au Nouveau-Brunswick? Avez-vous des commentaires à formuler?
M. Carrier : Pas vraiment. On ne s’est pas arrêté à comparer les deux. Comme je vous l’ai mentionné, cette question n’a pas été soulevée par les juristes du Nouveau-Brunswick pour ce qui est de la traduction des jugements.
La sénatrice Poirier : D’accord.
M. Carrier : Selon nous, cette question est réglée, dans le sens que la traduction est juste et de qualité.
Au début, on a dû apporter des ajustements. Évidemment, lorsque la traduction revient, les juges peuvent réajuster le tir. C’est un exercice qui peut quand même aider.
On sait qu’en matière juridique il faut être précis et il faut que l’idée soit bien transmise. Quand on fait une traduction, ça peut aider à apporter certaines précisions.
Dans un travail antérieur, j’étais directeur général du Barreau du Nouveau-Brunswick. À un moment donné, on a fait traduire un document portant sur un projet d’envergure. C’était la refonte de la Loi sur le Barreau du Nouveau-Brunswick. Cela nous a permis d’être plus précis, d’être plus justes. On a fait affaire avec le CTTJ, qui nous a remis un produit exceptionnel.
La sénatrice Poirier : Parfait. Merci beaucoup. C’est clair.
Le sénateur McIntyre : Merci de votre présentation, monsieur Carrier. Merci de nous donner votre perspective sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Vous avez été commissaire de 2003 à 2013. Vous occupez le poste de manière intérimaire depuis le départ de Mme d’Entremont. Ma question est la suivante : peut-on établir une comparaison entre la période de 2003 à 2013 et celle de 2013 à 2018?
M. Carrier : Le dossier sur les langues officielles remonte à 1969. Il s’agit d’un projet à long terme. C’est un projet qui exige une attention constante. Quand je suis arrivé en 2003, les représentants des institutions me disaient qu’ils souhaitaient satisfaire les exigences de la loi, mais qu’ils avaient des défis en matière de personnel, de finances, de structures, et cetera.
Après un certain temps, j’ai commencé à leur dire que oui, effectivement, ils ont des défis, mais pas seulement au niveau des langues officielles. Je leur ai demandé ce qu’ils faisaient lorsqu’ils sont confrontés à des défis. Je leur ai dit qu’ils doivent planifier, qu’ils doivent être stratégiques.
Alors, j’ai proposé aux institutions individuelles et à l’ensemble du gouvernement de se doter d’un plan stratégique en matière de langues officielles. Avant d’être remplacé en 2013, le gouvernement avait non seulement accepté de se doter d’un plan, mais aussi de l’insérer dans la Loi sur les langues officielles.
Maintenant, la refonte de la loi en 2013 contient des articles sur un plan de mise en œuvre en matière de langues officielles.
Les 10 années durant lesquelles j’étais commissaire, les choses ont progressé. Quand je suis arrivé au mois de juillet, en discutant avec le personnel du bureau, je me suis aperçu que le plan était là, mais qu’il n’y avait pas tellement de suivi. Est-ce qu’on a vraiment progressé? Je dirais qu’il y a eu des progrès. On a vu un certain avancement depuis les dernières années et on peut se réjouir des progrès qui ont été réalisés. On peut se réjouir d’avoir un plan. Cependant, il faut aller plus loin et s’assurer que le plan est mis en œuvre et qu’il y a une agence qui s’en occupe au quotidien.
Le commissariat continuera à surveiller et à faire des recommandations, mais la mise en œuvre, ce n’est pas nous qui la faisons. Cela relève du gouvernement.
Alors, les choses sont un peu pareilles. Il y a eu des progrès. Une évaluation a été faite par le bureau lorsque Mme d’Entremont était en fonction, et les résultats sont quand même assez favorables. Alors, ça progresse.
Ça continue de progresser. Je pense que le bureau comme tel, de 2003 à aujourd’hui, a eu une influence, mais il faut s’y attarder, il faut s’en occuper. Il faut être présent. Il faut dialoguer. Il faut cajoler cette initiative. Il faut surtout donner des explications et ce n’est pas toujours facile.
Au cours des derniers jours, des dernières semaines, des derniers mois, comme vous avez pu le constater, la question des langues officielles est soulevée dans les débats politiques. Alors, on s’aperçoit que les gens reviennent sur les mêmes questions qu’on devait répondre il y a quelques années.
Alors je me dis : il ne faut pas se décourager, il faut continuer. Il faut surtout continuer à donner des explications. On demande aux gens d’avoir de l’empathie, de comprendre les défis de la communauté acadienne pour ce qui est de la vitalité de sa langue et de sa culture, mais souvent c’est mal compris par quelqu’un qui n’a pas eu à vivre ça au quotidien. Alors, il faut continuer à l’expliquer. Je crois que c’est le rôle du commissaire. Du moins, c’est ainsi que je le vois. Le rôle de la promotion est très important et même plus important que celui de chien de garde.
Le sénateur McIntyre : En vertu de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, le premier ministre est le seul et unique responsable de la loi. Le premier ministre actuel avait délégué cette responsabilité à un ministre. Il a depuis rectifié le tir, heureusement.
Vous mentionnez qu’il y a beaucoup de travail à faire. Je suis d’accord avec vous. Le Commissariat aux langues officielles doit continuer de jouer un rôle clé pour la promotion des langues officielles. Selon vous, le premier ministre devrait-il continuer à être le seul et unique responsable de la Loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick telle qu’elle est rédigée à l’heure actuelle?
M. Carrier : Absolument. On parlait tantôt d’un secrétariat pour appuyer les efforts du premier ministre. Je pense qu’il y a quand même un symbolisme important. La Loi sur les langues officielles est importante au Nouveau-Brunswick. Elle a une valeur pour le Nouveau-Brunswick. Le Nouveau-Brunswick se démarque partout au Canada en raison de son statut officiellement bilingue. C’est une valeur ajoutée. C’est une valeur dont on devrait se servir pour promouvoir l’économie, promouvoir la culture, promouvoir nos échanges.
Alors, c’est important pour la population de reconnaître cette valeur et le symbolisme selon lequel la personne désignée pour diriger la province est la personne responsable de cette loi. Je pense que c’est absolument nécessaire. Alors, confier cette tâche à un ministre, ça pourrait peut-être fonctionner, mais on perd ce symbolisme-là qui, selon moi, est très important.
J’ai fait le tour de la question et ma réponse est oui.
Le sénateur McIntyre : C’est une très bonne réponse. Je vous remercie, monsieur Carrier.
La sénatrice Gagné : Merci. Avant de poser mes questions sur un autre sujet, j’aimerais « faire du pouce » sur la question qui vient d’être posée par mon collègue, le sénateur McIntyre.
Je vous envie. Je viens du Manitoba et j’envie vraiment le Nouveau-Brunswick, parce qu’ils se sont dotés d’un cadre législatif qui permet le développement et l’épanouissement de la communauté acadienne et francophone. Il y a des pratiques exemplaires qu’on devrait suivre à l’échelle du pays.
Quelles sont les choses qui fonctionnent moins bien, qu’on doit éviter?
M. Carrier : Quelles sont les choses qui fonctionnent moins bien?
La sénatrice Gagné : En ce qui concerne votre loi.
M. Carrier : En fonction de la loi?
La sénatrice Gagné : Oui, c’est ça.
M. Carrier : En général, les choses qui fonctionnent moins bien…
La sénatrice Gagné : Étant donné qu’on parle de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, j’ai tenu pour acquis que c’était ça que j’avais dit.
M. Carrier : Je suis une personne qui met l’accent sur le positif, malheureusement.
La sénatrice Gagné : Malheureusement?
M. Carrier : Non, non, heureusement. Je veux dire, malheureusement pour certains. Lorsque j’ai été nommé, il y a plusieurs années, dans certains coins de la province on me traitait de « bon entendiste », parce que je voulais faire rayonner la bonne entente. Toutefois, il y avait un plan derrière ça. Il ne s’agissait pas simplement d’abandonner les droits linguistiques, au contraire.
En ce qui concerne la Loi sur les langues officielles, certaines parties de la loi portent à confusion. Il y a eu un arrêt de la Cour suprême du Canada il y a quelques années sur la définition d’institution en ce qui concerne les municipalités. La Cour suprême a décidé que les municipalités du Nouveau-Brunswick ne sont pas des institutions au même titre qu’un ministère.
C’était une décision à cinq contre quatre. Le juge Bastarache a exprimé sa dissidence.
On s’est alors demandé si les forces policières de certaines municipalités, qui ne sont pas couvertes par la loi, sont sujettes ou non. L’interprétation qu’a faite la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac, entre autres, est large et généreuse. Pourtant, on aimerait avoir plus de précisions.
Alors, au niveau de la loi, je pense que la définition d’institution devrait être un peu plus claire quant à la façon dont on traite les municipalités, entre autres.
On avait aussi noté certaines lacunes en ce qui concerne les plaintes. On a apporté des modifications à cet égard, il y a quelques années. Les gens ne se plaignent pas. Ils ont peur des représailles. On a convaincu le gouvernement d’inclure dans la loi provinciale des mesures qui empêchent les gens de subir des représailles. Si une personne use de représailles, on peut intenter des poursuites criminelles contre elle. Alors, on a réglé ce problème.
Y a-t-il autre chose qui te vient à l’esprit à ce sujet?
Hugues Beaulieu, directeur général, Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick : Comme le commissaire l’a mentionné plus tôt, on a fait beaucoup de progrès. Selon une étude menée il y a deux ans, il y avait un haut taux de conformité au sein des ministères et des agences gouvernementales.
Le commissaire a mentionné plus tôt l’importance d’avoir un plan. Souvent, dans une loi, on retrouve des éléments où on affirme l’égalité. Les gens ont le droit de recevoir des services dans leur langue. Cependant, comment opérationnaliser ces services? C’est là où le bât blesse au niveau de la mise en œuvre, de la planification des besoins et de l’établissement des normes.
Le plan devait apporter une solution en 2013. On a inséré dans la loi des articles pour que le gouvernement soit beaucoup plus proactif lorsqu’il s’agit de se conformer à la loi.
Le plan est très intéressant. En consultant l’article 5.1 de Loi sur les langues officielles, vous constaterez qu’il y a beaucoup de mesures très intéressantes. Ce plan a le potentiel de faire progresser de façon importante le Nouveau-Brunswick.
L’ennui — c’est ce qu’on a constaté lors des études que nous avons menées cette année —, c’est qu’il y a une unité qui doit coordonner la mise en œuvre de ce plan, mais il n’y a pas suffisamment de ressources. On ne s’est pas donné les moyens de mettre en œuvre le plan.
Comme le premier ministre est responsable de l’application de la loi et du plan sur les langues officielles, on a recommandé qu’il soit appuyé pour mettre en œuvre ce plan. Alors, on a bon espoir qu’on va progresser. C’est un outil très important qui devrait être considéré dans le cadre de la révision de la loi fédérale.
Vous aviez posé une question, je crois, sur ce qui fonctionne moins bien.
La sénatrice Gagné : Oui, parce qu’on cite souvent la loi du Nouveau-Brunswick comme un modèle, une bonne pratique. Si on compte apporter des modifications à la loi, on aimerait appliquer les meilleures pratiques.
Alors, souvent, l’expérience vient faire ressortir les pépins qu’il faut éviter. C’est la raison de ma question.
M. Carrier : Il y a une chose qui vient de me venir à l’esprit. Parce qu’à mon âge, les choses — ça vient, ça s’en va. Ce n’est pas comme en 2003 où j’étais tellement conscient.
Après avoir lu la question du plan, je croyais qu’on allait insérer dans la loi une responsabilité claire des sous-ministres, à savoir qu’ils devaient faire rapport annuellement sur les progrès et les manquements, et qu’ils devaient être responsables devant le premier ministre. Cela n’avait pas été fait.
On peut s’attendre à leur bonne foi et à leur participation, mais je pense qu’il devrait y avoir des mesures plus contraignantes. Le sous-ministre ou la sous-ministre devrait être responsable annuellement des progrès, mais aussi des manquements.
Alors, c’est peut-être quelque chose qui devrait être inséré dans notre loi, à savoir des mesures plus contraignantes face à la haute direction.
La sénatrice Gagné : Merci. Je pense que c’est important qu’on ait ce genre de rétroaction. Ça nous permet de voir comment on peut ajuster le tir à partir déjà d’un modèle qui est exemplaire.
La sénatrice Mégie : Merci à nos invités. Ma question porte sur l’immigration. Comment se passe le choix des immigrants au Nouveau-Brunswick? Est-ce que la question linguistique fait partie des critères du Secrétariat?
M. Carrier : La question linguistique est considérée. Il y a eu une entente récente avec le gouvernement fédéral au sujet de la langue. Alors, on en tient compte pour ce qui est de la clarté et pour assurer qu’on maintienne l’égalité linguistique.
Il faut s’assurer que le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial en tiennent compte. Il faut que ce soit un des critères importants dans la sélection. Cela permettra aussi d’attirer des gens au Nouveau-Brunswick.
La question de l’immigration est très importante au Nouveau-Brunswick, particulièrement en raison de notre taux de natalité et du vieillissement de la population. Alors, ce débat ne date pas d’hier.
Les études démontrent une amélioration, mais il reste encore beaucoup à faire. Comme l’étude de l’Institut a démontré, un sur dix ou deux sur dix, ce n’est pas suffisant pour maintenir cet équilibre-là entre nos deux communautés.
Le problème de l’immigration ne se situe pas simplement au niveau de la langue. C’est au niveau de la rétention. Il faut non seulement attirer des gens ici et les convaincre d’y rester. Le taux de rétention pourrait être meilleur. Comment on y arrive? Bien, ce sont des questions que tout le monde se pose. On a des débats à ce sujet depuis plusieurs années qui vont au-delà de la question de la langue.
Alors, je pense que le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral doivent travailler de pair, pour assurer que le Nouveau-Brunswick puisse attirer et retenir des gens d’ailleurs. Aussi, aller chercher des gens d’expression française qui pourraient faire partie de notre communauté. Être fier, non seulement d’être ici, mais se sentir accueilli. C’est un peu ce qui continue à animer les discussions.
La sénatrice Mégie : Vous êtes en concurrence avec les autres provinces et elles pourraient aussi vouloir la même chose.
M. Carrier : Je suis d’accord. C’est un effort concerté. On parlait du « syndrome MTV » : Montréal-Toronto-Vancouver. Les gens qui arrivent ici, après quelques années, se déplacent pour différentes raisons. Ce n’est pas parce qu’ils ne se sentent pas accueillis, mais parce qu’ils veulent être près de gens comme eux. Les communautés sont plus grandes ailleurs.
Dans le cadre d’un projet dans la région de Saint-Léonard, une petite localité du nord-ouest du Nouveau-Brunswick, on a accueilli des Africains qui sont venus s’y installer. La communauté a vraiment fait un effort considérable pour les accueillir. Les gens se sentaient bien accueillis. J’ai parlé à l’une de ces personnes et elle disait qu’elle passe presque toutes ses fins de semaine à Québec parce qu’il y a des gens de chez eux. Ils se rencontrent. Ils partagent des repas qu’ils connaissent bien, et cetera. Elle dit qu’elle aime ça, ici, mais qu’elle passe beaucoup de temps là-bas. Ce sont là des facteurs importants.
C’est pour ça qu’il faut regarder tous les facteurs pour attirer les gens, surtout au Nouveau-Brunswick. On a besoin de gens pour appuyer nos efforts, pour rester en vie et pour maintenir notre identité.
M. Beaulieu : J’aimerais attirer votre attention sur un point. Dans le dernier rapport annuel de 2017-2018 du commissariat, on présente les faits saillants d’une étude sur la vitalité des deux communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick. Cette étude a été préparée par l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques et comporte toute une section sur l’immigration.
L’immigration, c’est crucial pour l’avenir des communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick. J’aimerais à nouveau souligner ce que le commissaire a dit plus tôt. On a réalisé des progrès du côté du gouvernement provincial. Depuis déjà plusieurs années, il a reconnu que l’immigration doit profiter aux deux communautés linguistiques. On part de très loin. Avant, on n’osait même pas dire que les pratiques en matière d’immigration devaient refléter l’équilibre. Maintenant, on en parle. Le gouvernement provincial s’est doté d’un plan axé sur le maintien de l’équilibre linguistique.
Il y a quand même beaucoup d’immigrants qui entrent par les canaux fédéraux. Ça fait des années qu’on fait des présentations devant le gouvernement fédéral pour lui dire que ses pratiques en matière d’immigration au Nouveau-Brunswick ne doivent pas nuire à la vitalité d’une des deux communautés.
Imaginez si la Loi sur les langues officielles du gouvernement fédéral avait reconnu le principe de l’égalité des deux communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick. Cela aurait été un argument très fort pour dire au gouvernement fédéral de faire attention, car ses politiques en matière d’immigration doivent profiter également aux deux communautés linguistiques.
On a progressé. Il y a deux ans, il a annoncé une entente. Le gouvernement fédéral l’a reconnu. Toutefois, si la loi fédérale avait déjà eu cet article, je crois qu’on aurait progressé beaucoup plus rapidement.
La sénatrice Mégie : Donc, c’est un point majeur, d’après vous, dans le cadre de notre étude sur la modernisation de la loi.
M. Beaulieu : Absolument.
La sénatrice Mégie : Parfait, merci.
La sénatrice Moncion : Merci. J’aimerais aborder trois sujets un peu différents. Dans le document intérimaire qui nous a été remis, la partie IV, que je n’ai pas retrouvée dans le document officiel que vous avez déposé, est fort intéressante. Vous parlez d’essayer d’unifier les commissaires aux langues officielles partout au pays. Il n’y en a pas beaucoup. Vous avez parlé d’un fédéralisme coopératif. Je trouvais ça intéressant comme concept. Vous parlez d’un « fédéralisme coopératif en structurant le pouvoir de dépenser », et d’unifier les travaux qui sont faits par les différents commissaires. Vous l’avez retiré de votre document final, mais je trouvais que l’idée était bonne. Pourquoi l’avez-vous supprimé du document?
M. Carrier : La suggestion, selon moi, allait au-delà des compétences dans le cadre du fédéralisme canadien. Je croyais qu’on pouvait interpréter ça comme si le gouvernement fédéral devait apporter une aide financière à mon bureau. Je ne crois pas que ce genre de recommandation aurait été accepté.
La sénatrice Moncion : D’accord.
M. Carrier : Je ne suis pas contre la coopération. La coopération, elle existe. Il y a plusieurs années on a signé des ententes de coopération entre le bureau de M. Fraser et mon bureau, entre le bureau de M. Boileau, en Ontario. Alors, on a des ententes de coopération.
Il y a une association de commissaires aux langues internationale à laquelle participent le Nouveau-Brunswick, l’Ontario, le gouvernement fédéral, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest. Il y a une coopération qui se fait en ce sens. On échange régulièrement sur les meilleures pratiques pour essayer de comprendre, pour apprendre l’un de l’autre.
Quand M. Boileau a été nommé au bureau de l’Ontario, on a eu beaucoup d’échanges. Il voulait savoir comment on faisait les choses puisqu’on était là depuis plusieurs années.
François avait travaillé au gouvernement fédéral pour le bureau du commissaire. Il avait beaucoup d’expérience, mais sa boîte était différente de celle de M. Fraser. Alors, il est venu nous consulter, et ça continue.
La question de la coopération est importante, mais recommander que le gouvernement fédéral vienne nous appuyer financièrement, je trouvais que c’était quelque chose qui n’allait pas être retenu. En relisant le tout, j’ai décidé de l’enlever.
La sénatrice Moncion : Je ne voyais pas cette recommandation du point de vue du financement. Je croyais que vous vouliez recommander la création d’un commissaire aux langues officielles dans chacune des provinces et des territoires — étant donné qu’ils sont nommés par tous les gouvernements —, un peu comme un conseil de ministres qui se rencontrent pour trouver les meilleures pratiques et faire des propositions au gouvernement fédéral. Je pensais que vous alliez dans cette direction-là. Je trouvais que c’était une excellente idée tout simplement parce que les droits des minorités de toutes les provinces seraient analysés à l’échelle provinciale et regroupés à l’échelon fédéral, où on révise et où on échange.
C’est pourquoi je trouvais votre idée intéressante. C’est quelque chose qu’on n’a pas nécessairement vu. Il y a quand même une valeur ajoutée à cette fameuse promotion-là qui se ferait d’un océan à l’autre.
M. Carrier : Votre idée est bonne. Je ne pense pas que c’était notre intention. Je pourrais vous dire que c’est exactement ce qu’on pensait. Alors, vous êtes la seule à l’avoir compris.
M. Beaulieu : Il y a une collaboration très forte entre l’Ontario, le Nouveau-Brunswick, le commissariat fédéral et le Nunavut en ce qui concerne l’accès à la justice en français. Il y a quelques années, on a publié un rapport commun. Aussi, il y a deux ans, les trois commissariats ont publié une déclaration commune à l’occasion du Forum sur l’immigration francophone qui s’est tenu ici, à Moncton. Alors, je vous rassure : il y a quand même une certaine collaboration qui existe entre nos groupes sur des dossiers communs.
La sénatrice Moncion : On pourrait peut-être prendre ça en note.
M. Carrier : Oui.
La sénatrice Moncion : J’ai une troisième question, mais je vais y revenir plus tard. Je vais juste vous raconter une petite anecdote.
Il y a quelques années, j’ai suivi ma formation pour obtenir mon doctorat. Un des professeurs était un historien du Nouveau-Brunswick. Il nous parlait de l’histoire des Acadiens, de la version francophone et anglophone de l’histoire des Acadiens. Comme il le disait, du côté des historiens anglophones du Nouveau-Brunswick, on ne veut pas parler de l’histoire des Acadiens. On ne veut pas en parler dans l’objectif qu’en arrêtant d’en parler ça va arrêter d’exister. Les historiens francophones, quant à eux, voulaient continuer à parler de l’importance de l’histoire des Acadiens et de la fierté du peuple acadien, parce qu’ils disaient que c’est comme ça qu’on garde vivante l’histoire acadienne.
J’ai étudié en Ontario et à Sudbury. J’avais trouvé ce parallèle-là intéressant, c’est-à-dire de voir le côté anglophone et le côté francophone de l’histoire des Acadiens. On arrête d’en parler, puis on l’oublie. On continue d’en parler et ça demeure vivant.
Le président : Il nous reste peu de temps. J’ai quelques questions à poser et j’essaierai d’être bref. Je vous invite, chers témoins, à répondre brièvement parce qu’on a vu ce qui se passait avec toutes les autres réponses.
Dans votre mémoire, vous proposez d’encadrer le rôle du Bureau de la traduction. Pouvez-vous préciser votre pensée? Comment cela devrait-il être pris en compte dans la loi?
M. Carrier : Le Bureau de la traduction du Nouveau-Brunswick a fait beaucoup pour le gouvernement. On sait qu’une bonne partie du travail se fait dans la langue de la majorité. Le Bureau de la traduction a donné un appui considérable et il continue à le faire. Sauf qu’on remet souvent en question sa validité. Dans nos discussions avec le Bureau de traduction, il est souvent question du financement qui leur est accordé.
Comme il a été important d’enchâsser certains articles dans la Charte pour empêcher de remettre en question certaines institutions, voire de les affaiblir ou de s’en débarrasser, je pense qu’il faudrait reconnaître l’importance du Bureau de la traduction pour empêcher qu’on remette en question sa valeur et ce qu’il a apporté au cours des dernières années, ici au Canada. C’est pour cette raison que le bureau fait souvent face à des contraintes budgétaires, comme tous les autres.
Le président : Lorsque vous dites encadrer vos traductions, qu’est-ce que vous voulez dire?
M. Carrier : Il s’agirait de le reconnaître officiellement dans la loi. Il faudrait mentionner que le Bureau de la traduction est une valeur dont on a besoin et qu’on doit le reconnaître officiellement dans la loi pour l’appuyer et empêcher qu’il soit remis en question. Il faut surtout reconnaître sa valeur et assurer sa permanence. On parlait plus tôt de symbolisme. Je pense que tout le monde a en tête l’apport des traducteurs et des interprètes dans l’évolution et la permanence.
Le président : D’accord. Merci beaucoup.
Dans votre mémoire, aux pages 30 et 31, vous faites des propositions quant au rôle du commissaire aux langues officielles, soit l’obligation de protéger les plaignants, de rendre les rapports d’enquête publique et de préciser les étapes du processus de nomination du commissaire. Si nous voulons apprendre de cette expérience, qu’est-ce qu’on peut dire sur les changements qui ont eu lieu depuis que ces mesures ont été adoptées?
M. Carrier : Le Bureau du commissaire, comme le Bureau de l’ombudsman, et cetera — ici, au Nouveau-Brunswick, on les appelle les officiers de l’Assemblée législative —, comporte des postes indépendants. Ce sont des postes qui n’ont pas de pouvoirs comme tels. Le pouvoir, c’est d’influencer. La crédibilité du bureau et de la personne qui occupe le poste apporte beaucoup à l’efficacité du bureau.
Par le passé, ces postes étaient souvent pourvus avec des gens qui étaient très près du parti au pouvoir. On le fait dans d’autres domaines. Selon moi, ça peut venir teinter la crédibilité de la personne en poste. Il doit y avoir une approche objective, neutre et impartiale pour trouver la candidate ou le candidat pour le poste de commissaire et tous les autres postes d’agents de l’Assemblée législative.
On a réussi à convaincre le gouvernement de se doter d’un processus qui est actuellement en cours pour remplacer Mme d’Entremont. Un comité a été créé. Il comprend une personne de la magistrature, du milieu académique, le greffier de l’Assemblée législative, le greffier du Conseil exécutif.
Ce comité indépendant choisira ou recommandera une personne basée sur des facteurs importants. Il reste toujours que la nomination se fait à l’Assemblée législative, recommandée par le premier ministre, mais ça limite beaucoup l’impact de la politique sur la nomination.
Je me réjouis. Lorsque j’étais là, de 2003 à 2013, avec mon collègue, l’ombudsman, M. Richard, et d’autres, on a réussi à proposer ce genre de processus, qui a été adopté. Je pense que ça donne un nouveau blason au processus.
Le président : Deux questions ont été abordées avec d’autres groupes de témoins à propos du renforcement du rôle du commissaire aux langues officielles à l’échelon fédéral. Premièrement, il a été question de la création d’un tribunal administratif ou de permettre au commissaire aux langues officielles de faire des sanctions quand la loi n’est pas respectée. Que pensez-vous de cela?
Deuxièmement, en ce qui concerne l’inclusion du statut unique et spécifique du Nouveau-Brunswick à l’intérieur de la loi, certains témoins sont d’avis que ce n’était pas nécessaire parce que c’est dans la Charte canadienne des droits et libertés. Comme c’est déjà dans la Constitution, ce n’est pas nécessaire de l’inclure dans la Loi sur les langues officielles.
J’aimerais vous entendre plus fortement ou plus précisément à ce sujet puisque votre point de vue est d’inclure dans la loi le statut spécifique du Nouveau-Brunswick.
M. Carrier : Il est vrai que la loi suprême de notre pays a ces garanties-là pour le Nouveau-Brunswick. Pourquoi ça ne serait pas reconnu encore une fois dans la Loi sur les langues officielles? C’est envoyer un autre message. Selon nous, ça ajoute. Ça n’enlève rien. Ça ajoute à la visibilité des droits linguistiques à l’intérieur des agences gouvernementales. Surtout, c’est un message envoyé à la population canadienne.
Cela exprime le point de vue du bureau. En préparant le mémoire, on s’est dit : pourquoi pas? C’est là. C’est une façon pour la loi fédérale sur les langues officielles de faire un petit coup de chapeau au Nouveau-Brunswick, de reconnaître tout le travail qui a été accompli au fil des années — comme le mémoire le démontre — par les anciens premiers ministres, dont M. Hatfield, M. McKenna, et les autres. Il s’agit d’une marque de reconnaissance qui ajouterait à la fierté et la vitalité de notre communauté.
Le président : Mais sur le rôle du commissaire…
M. Carrier : Écoutez; le rôle de l’ombudsman est particulier. La création d’un tribunal pourrait peut-être fonctionner. J’ai anticipé un peu cette question, alors j’ai fait des recherches. Je voulais savoir combien de dossiers avaient été traités au Tribunal provincial sur les droits de la personne. Seulement un a été traité au cours des dernières années. Il portait sur une question de discrimination en milieu universitaire. On alléguait que l’équipe féminine de hockey de l’Université du Nouveau-Brunswick n’avait pas reçu le même financement, le même appui. Alors, elle s’est retrouvée devant le conseil. Ce dossier a été réglé au bout de sept ans.
La décision Charlebois, qui a fait changer les choses, a été rendue au bout de trois ans. Une autre cause, qui s’est rendue à la Cour suprême du Canada, portant sur les droits linguistiques au Nouveau-Brunswick, a été réglée au bout de quatre ans.
Il y a cette question de temps qui joue sur ce qu’un tribunal va régler. Même le juge Bastarache s’est prononcé sur la question des délais.
Notre bureau peut traiter des plaintes dans un court laps de temps. On fait quand même un travail rigoureux. Notre travail comporte deux volets, deux mandats. Le volet du chien de garde et de celui de faire la promotion.
Je ne suis pas sûr qu’un tribunal puisse se permettre de faire ça. On est un petit bureau. On ne peut pas jouer un rôle comme tel.
Ça fait 50 ans que la Loi sur les langues officielles existe, mais c’est seulement depuis 2002 qu’on l’a modifiée de sens en ajoutant l’offre active, en ajoutant des précisions sur ce qu’on doit faire.
Depuis 2003, depuis l’arrivée du bureau du commissaire, on a fait des progrès. Toutefois, il y a encore des faiblesses et des manquements. C’est un travail à long terme. On a réussi. Même si on n’avait pas un pouvoir exécutoire ou de coercition, on a réussi.
Il y a un certain danger de vouloir peut-être… Il y a un certain rythme aux changements dans une société, pour imposer des changements, même si la plupart des gens respectent la loi, et cetera, il y a toujours des discussions sous-jacentes. On a encore des discussions, de nos jours, sur le bien-fondé de la loi.
Dans certaines institutions, les employés remettent en question la loi lorsqu’ils devraient l’avoir acceptée depuis longtemps. A-t-on pris le temps nécessaire pour y réfléchir?
J’ai lu que changer la société, c’est comme monter des escaliers. Tu arrives à la première marche, tu reprends ton souffle. Tu continues. Tu montes encore. Alors, c’est le rôle de l’ombudsman. Moi, j’ai peur que si on nous impose cela, on alourdisse le processus. Ça nous empêche de jouer le rôle de promoteur.
Il y a aussi toute la question juridique. On va remettre plein de choses en question. Il y aura requête par-dessus requête, ce qui ralentira le processus. Certains tribunaux fonctionnent bien. Il y a peut-être des gens qui disent que, à moins d’avoir une décision d’un tribunal ou d’une cour, les choses ne changeront pas. Je n’en suis pas convaincu. Je pense qu’il y a une autre façon de faire.
Le président : D’accord. Merci beaucoup.
La sénatrice Gagné : Ce que j’ai retenu de vos interventions, c’est qu’il faut préciser les obligations qui découlent de la partie VII.
J’aimerais vous entendre sur le fait qu’on devrait préciser des obligations qui découlent de la partie VII en tenant compte qu’on a deux publics à desservir : le public anglophone et francophone, dont les besoins ne sont pas identiques. Comment peut-on clarifier cela pour ce qui est de la spécificité des communautés?
M. Carrier : En fait, la reconnaissance des droits et des besoins, c’est une chose. Il faut tenir compte des besoins spécifiques d’une communauté face à l’État. Les anglophones du Québec n’ont peut-être pas les mêmes besoins que les francophones du Manitoba. Il y a une certaine différence. Il faut se donner certaines marges de manœuvre. On ne peut pas clarifier et avoir… Je pense qu’on peut quand même démontrer clairement, non seulement le désir, mais le vouloir d’aller plus loin pour appuyer les communautés en adoptant des mesures positives pour le faire. Il faut reconnaître que ça prend ça. Par la suite, on pourra ajuster le tir, au besoin, selon les spécificités de la population.
La sénatrice Gagné : La question du caractère réparateur de la loi devrait-elle figurer…
M. Carrier : Définitivement.
La sénatrice Gagné : Merci.
Le président : Alors sur ce, messieurs Carrier et Beaulieu, merci beaucoup de votre présentation.
On vous remercie, monsieur Carrier, de votre longue contribution à la défense des droits linguistiques du Nouveau-Brunswick. Je pense que votre parcours au commissariat pendant toutes ces longues années — et votre retour pour assumer cette tâche intérimaire — est significatif et inspirant pour l’ensemble des Néo-Brunswickois et des Néo-Brunswickoises, et des Canadiens, plus largement. Alors, merci de votre présence et bon après-midi.
M. Carrier : C’est gentil. Merci beaucoup.
Le président : Nous poursuivons le quatrième volet de notre étude, qui porte sur le secteur de la justice. Nous avons le plaisir d’accueillir Me Dominic Caron, avocat.
Monsieur Caron, nous sommes heureux de vous accueillir. Vous êtes le dernier témoin que nous allons rencontrer ici, au Nouveau-Brunswick. Ce n’est pas pour mettre de la pression, mais pour souligner à quel point on apprécie votre présence parmi nous. Donc, la parole est à vous, et ensuite on procédera à une période d’échange et de questions.
Dominic Caron, avocat, Pink Larkin, à titre personnel : Parfait. Merci.
Mon nom est Dominic Caron. Je suis en pratique privée. Je travaille surtout en droit du travail, mais j’ai plusieurs dossiers liés aux langues officielles. Il s’agit plutôt de dossiers provinciaux. Je travaille avec la SANB, entre autres.
Pour mon témoignage aujourd’hui, je ne savais pas trop quel serait le format, donc j’ai préparé une grande présentation, mais on m’a dit d’être bref, alors je vais vous en présenter les grandes lignes.
Le président : Oui, veuillez nous présenter le sommaire de votre présentation, et ensuite, pendant la période des questions, vous pourrez nous transmettre de l’information supplémentaire. Il y aura du temps pour ça.
M. Caron : Parfait. Donc, ce que j’allais présenter porte sur l’égalité. Ici, on sait que la Loi sur les langues officielles, c’est l’égalité des deux langues, mais c’est quoi, cette égalité? C’est une égalité réelle. Alors, qu’est-ce que ça veut dire? Il y a bien sûr le volet de l’épanouissement des minorités, qui m’amène à parler du Programme de contestation judiciaire, de la langue des juges à la Cour suprême du Canada et la langue des décisions des cours fédérales. J’ai aussi quelques commentaires sur le préambule qui, selon moi, devrait faire allusion à la Charte. Le préambule de la Loi sur les langues officielles fait allusion à la Constitution, mais pas à la Charte. Alors qu’au Nouveau-Brunswick, il y a une espèce de consécration des lois qui est garantie par la Charte.
J’avais aussi un dernier commentaire sur la qualité pour agir. C’est une loi tout de même spéciale, et selon moi, dans la loi, il devrait y avoir une disposition qui donne aux organismes qui revendiquent les droits linguistiques la possibilité d’agir.
Comme je l’ai dit, j’avais préparé une grande présentation, mais comme il est presque midi…
Le président : Oui. Maître Caron, vous pourriez nous remettre la présentation que vous avez préparée, car nous utilisons aussi des documents écrits, donc on pourra en utiliser le contenu.
M. Caron : D’accord.
Le président : Entre-temps, vous avez tout de même énoncé quelques points sur lesquels on peut discuter, si mes collègues ont des questions sur différents aspects.
Alors, je propose qu’on entre tout de suite dans une période de questions et d’échanges avec vous, et ça vous permettra à ce moment-là d’approfondir vos idées et de nous partager vos points de vue.
M. Caron : D’accord, absolument. Comme je l’ai dit, je travaille souvent dans le cadre de dossiers provinciaux. Je connaissais la Loi sur les langues officielles fédérales, bien sûr, mais j’ai voulu me familiariser davantage avec son contenu. Donc, le hic, c’est que je ne suis pas nécessairement un expert de la Loi sur les langues officielles fédérale, alors il y a des questions auxquelles je n’aurai tout simplement pas de réponses.
Le président : D’accord. Mais on va surtout miser sur votre expérience et comprendre, dans le cadre de votre expérience et de votre pratique, comment se vit la question des langues officielles dans le domaine de la justice.
Alors, on va passer à la période des questions, en commençant par la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier.
La sénatrice Poirier : Merci d’être ici et d’avoir accepté de nous envoyer vos notes, c’est grandement apprécié.
J’ai quelques questions. Ma première question porte sur le processus de la nomination du commissaire aux langues officielles. Il y a eu, lors du dernier processus, des délais qui n’étaient pas nécessaires pour la nomination du commissaire. Selon vous, comment peut-on modifier la Loi sur les langues officielles afin de ne pas se retrouver dans une situation similaire? Je parle au niveau fédéral.
M. Caron : Quand vous faites allusion à la situation, parlez-vous de la situation avec Madeleine Meilleur?
La sénatrice Poirier : Je parle du processus, mais pas nécessairement d’un individu. Je ne veux pas nécessairement nommer personne. Il s’agit de la manière dont fonctionne le processus de nomination du commissaire aux langues officielles. Est-ce qu’il y aurait une autre façon de faire que vous pourriez suggérer?
M. Caron : Selon ce que j’ai compris, jusqu’à la nomination dont on parle, tous les commissaires avaient été nommés de façon unanime, par le Parlement. Donc, moi, je suggérerais qu’il y ait cette obligation que le Parlement nomme le ou la commissaire de façon unanime, parce que cette personne-là, c’est un agent du Parlement.
La sénatrice Poirier : D’accord. Ensuite, y a-t-il quelque chose, selon vous, qu’on devrait modifier dans la loi? Est-ce qu’il devrait y avoir quelque chose de spécifique dans la loi? Sur le processus?
M. Caron : Oui, justement, que la personne soit nommée de façon unanime. Comme ça, il n’y aurait pas, selon moi, de partisanerie par rapport à la nomination.
Pour répondre à vos questions, j’ai peut-être une liste de cadeaux, dans le fond, quant aux éléments que je demande. Je comprends qu’il y a des difficultés, mais je vous réponds dans un monde idéal. Selon moi, si on peut codifier le plus possible, le mieux c’est, parce que, sinon, on est vraiment à la disposition et à la merci des différents gouvernements.
La sénatrice Poirier : Selon vous, est-ce que les pouvoirs du commissaire doivent être modifiés afin qu’on puisse lui donner plus de mordant?
M. Caron : C’est une bonne question, parce que, je comprends que son rôle, c’est de faire des recommandations. Parallèlement, il y a le rôle des tribunaux judiciaires, qui eux, ont plus de pouvoir. Comme je suis juriste, j’aime bien aller devant les tribunaux. Je crois que le système actuel est bon, avec les tribunaux judiciaires qui peuvent ordonner des mesures plus contraignantes. J’allais parler aussi d’une source de financement pour les différents organismes, de sorte qu’ils puissent revendiquer leurs droits devant les tribunaux.
Donc, je réponds non à votre question, car je crois que le statu quo est correct de ce côté-là.
La sénatrice Poirier : J’ai une autre question, qui porte sur l’accès à la justice. Notre étude porte présentement sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Selon vous, quels sont les éléments qui manquent pour assurer l’accès égal à la justice? Est-ce qu’il y a une solution possible pour modifier la loi?
M. Caron : Justement, c’est le Programme de contestation judiciaire, qui est devenu le Programme d’aide aux droits linguistiques, je crois. Il s’agit de mesures positives qui donnent accès à la justice, parce qu’autrement, on le sait, les frais juridiques sont exorbitants pour un individu dont les droits sont bafoués. Souvent, le fait d’aller devant les tribunaux sans aide quelconque ne vaut vraiment pas la peine.
Il s’agit d’un programme gouvernemental, et dans les questions que le greffier m’avait envoyées, il y avait la question à savoir s’il vaudrait la peine de le codifier. Absolument, parce qu’ici, on l’a vu tout récemment, le programme a changé. En 2015, le nouveau gouvernement a décidé de le remettre en vigueur, et on se retrouve aujourd’hui, à la fin de 2018, et le programme n’est toujours pas opérationnel. Donc, je sais qu’ils ont pris toutes les mesures possibles, et que c’est une question de temps, il sera opérationnel bientôt, mais s’il y a un nouveau gouvernement en 2019, ça pourrait tomber à l’eau de nouveau.
Il s’agirait donc de le codifier dans la loi, sous la partie VII, qui parle de l’épanouissement des minorités linguistiques, parce que le fait de permettre de revendiquer des droits et d’obtenir une source de financement, c’est une mesure positive à l’épanouissement.
La sénatrice Poirier : Merci.
Comment jugez-vous la qualité des jugements rendus dans la langue traduite, et quel rôle le gouvernement fédéral devrait-il jouer dans ce domaine?
M. Caron : Je trouve que la qualité de la traduction est très, très bonne. On sait que, dans la loi, sous le paragraphe 20(2), je crois, ce n’est pas toutes les décisions qui doivent être traduites, et selon moi elles devraient toutes être traduites, parce qu’on fonctionne avec la common law, sous ce qu’on appelle stare decisis, qui veut dire qu’il faut suivre les décisions.
Mais ce n’est pas juste pour un juriste francophone, car ça peut être un anglophone, dépendamment. Il y a une décision qui porte exactement le cas qu’il ou elle veut utiliser, mais cette décision-là est dans l’autre langue. Ce n’est pas nécessairement juste, dans le sens où les décisions ont un impact sur tout le monde. Elles devraient nécessairement être toutes traduites, selon moi.
Un peu comme au Nouveau-Brunswick, la Loi sur les langues officielles exige que la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick traduise toutes ses décisions.
Il arrive parfois que le ou la juge rende sa décision sur le banc. Selon moi, il n’y a pas de problème qu’il ou elle rende sa décision dans une langue officielle. Mais quand les décisions sont écrites et motivées, elles devraient être rendues simultanément dans les deux langues.
La sénatrice Poirier : Merci.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Caron, pour votre présentation.
Dans votre introduction et en réponse à une question soulevée par la sénatrice Poirier, vous nous avez parlé d’égalité et de contestation judiciaire, donc je continue dans la même veine. Croyez-vous que la Loi sur les langues officielles devrait permettre les recours judiciaires pour l’ensemble de ses parties?
M. Caron : Absolument. Je comprends qu’en vertu de l’article 77, ce ne sont pas toutes les parties pour lesquelles on peut déposer un recours judiciaire. Mais qu’est-ce que ça signifie, avoir des droits? Si on a un droit sans remède, est-ce que c’est réellement un droit? Je sais que je vous relance la balle, mais c’est une réflexion. Selon moi, si on a un droit, on devrait avoir un recours, nécessairement.
Le sénateur McIntyre : Oui. Alors, vous y voyez un certain élément punitif, qu’on devrait créer.
Par exemple, si un organisme ne respecte pas la Loi sur les langues officielles et s’il y a non-respect de ses obligations, il devrait nécessairement y avoir un recours judiciaire.
M. Caron : J’hésite parfois à utiliser le mot « punitif », parce que je sais que notre système de droit vise la compensation pour les pertes, habituellement, mais en même temps, je suis peut-être d’accord pour dire que, dans un cas comme celui-ci, avec la Loi sur les langues officielles, il faut peut-être avoir un élément dissuasif, parce que sinon, si on ne se fait pas taper sur les doigts, souvent, on va recommencer.
Le sénateur McIntyre : Par exemple, Justice Canada a des obligations. Vous seriez d’accord pour dire que les obligations qui incombent à Justice Canada devraient être clairement énoncées dans la Loi sur les langues officielles.
M. Caron : C’est une bonne question, parce que les juges ont tout de même une certaine discrétion, et dans la Loi sur les langues officielles, maintenant, il est indiqué que les juges peuvent ordonner les mesures qui s’imposent. Donc, ils ont cette discrétion-là. Je ne suis pas sûr qu’on ait besoin d’inclure spécifiquement quel remède répondrait à quelle violation, et cetera, dans la loi.
Le sénateur McIntyre : Dernière question : êtes-vous en faveur de la création d’un tribunal administratif pour les langues officielles?
M. Caron : C’est une bonne question. Oui, si ça peut accélérer les choses et les rendre plus efficaces.
J’ai fait du travail avec le Tribunal des droits de la personne fédéral et, dans le fond, le tribunal marche très bien. Je vous dirais que la Commission des droits de la personne est archi-lente, selon mon expérience. J’ai eu un dossier pendant cinq ans avant qu’il se rende au tribunal, ce qui est absolument excessif.
Donc, si on contemple la possibilité d’avoir un tribunal, c’est nécessairement pour que ça soit plus efficace. Si c’est plus efficace, et que les ressources sont prévues, oui, absolument. Sinon, je crois que les cours sont bien armées pour s’occuper des questions liées à la Loi sur les langues officielles.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Caron.
Le président : J’aurais une question complémentaire à celle-là.
Quelles sont les embûches que vous avez rencontrées dans vos rapports avec la Commission des droits de la personne dans une cause? Pouvez-vous nous énoncer les principales difficultés que vous avez rencontrées, et si ça a un lien direct avec le Tribunal des droits de la personne? Ou est-ce strictement au niveau de la commission que ça s’est passé?
M. Caron : C’était strictement au niveau de la commission. C’est que c’était, je dirais, archi-administratif, dans le sens où on amène notre position. Moi, je représentais le plaignant. J’amène sa position. C’était dans un cas de discrimination avec un employeur. Un employeur peut présenter ses soumissions, et ensuite, nous présentons les nôtres. Donc, les soumissions n’arrêtaient pas, car l’employeur disait constamment avoir besoin de soumissions. Vous comprendrez que la Commission des droits de la personne fédérale, c’est une espèce de gatekeeper. Donc, ça doit passer un certain seuil avant que ça se rende au tribunal. Et si on adoptait la même chose ici, il faudrait s’assurer que le seuil sera tout de même bas pour que ça ne prenne pas trop de temps.
J’ai un peu de difficulté à m’exprimer là-dessus, mais c’était très administratif. Il y avait toujours des soumissions et des soumissions et des soumissions, et il y avait un roulement de personnel. Donc, la personne à la commission qui était responsable du dossier, elle partait. Il y avait ensuite une nouvelle personne, qui devait recommencer, pas nécessairement à zéro, mais vraiment, ça tombait dans les craques. Alors qu’à la cour, il y a un registraire qui s’occupe des causes pour les acheminer devant les tribunaux.
Le président : Alors, si je comprends ce que vous nous dites, dans l’idée où le Commissariat aux langues officielles serait associé à un tribunal, il faudrait que les mesures qui permettent d’amener le cas assez rapidement au tribunal soient mises en place pour qu’il n’y ait pas trop de barrières administratives; c’est ce que vous dites?
M. Caron : Oui, c’est ça, exactement.
Le président : D’accord.
La sénatrice Gagné : Merci d’avoir accepté notre invitation. Je voudrais vous poser deux questions. Je me demandais si vous avez lu le jugement de la décision rendue par le juge Gascon dans l’affaire de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique.
M. Caron : Rappelez-moi les faits?
La sénatrice Gagné : Ça va. C’est par rapport à la partie VII, et finalement, dans la décision, il dit que c’est un peu une coquille vide en ce qui a trait aux mesures positives. En fin de compte, étant donné qu’on n’a pas défini ce que sont les mesures positives, le juge a finalement décidé que, dans le cas de la province, lorsque le gouvernement fédéral avait transféré son programme, il n’y avait pas eu de mesure négative qui avait été appliquée, et que, finalement, la fédération n’avait pas raison dans cette cause.
M. Caron : Je crois que c’est la cause Caron, non?
La sénatrice Gagné : Eh bien, c’est la Fédération des francophones, et je pense que ça a été rendu au mois de mai. Mais on va passer à autre chose.
Depuis le début de la Loi sur les langues officielles, qui va avoir 50 ans, il y a eu tout de même des amendements. Il y a eu plusieurs jugements, aussi, depuis 50 ans, et plusieurs grands principes qui découlent de ces jugements. Je me pose la question à savoir quels principes de la jurisprudence il faudrait codifier dans la Loi sur les langues officielles.
M. Caron : Le plus grand principe de la jurisprudence — et je crois qu’il est déjà codifié —, selon moi, c’est le fait que l’égalité est réelle. Ce n’est pas une égalité par accommodement, et ça a été précisé dans plusieurs décisions. Il y a la décision Paulin qu’avait rendue le juge Bastarache en 2008. Il y a plusieurs décisions, comme la décision Beaulac.
Il ne s’agit pas de colmater les brèches et d’accommoder. Il faut vraiment une égalité réelle entre les deux. Vous savez, dans la Loi sur les langues officielles, il y a une exception, si on veut, pour les juges des cours fédérales. Tous les juges des cours fédérales ont l’obligation d’entendre la personne dans sa langue, sauf les juges de la Cour suprême du Canada. Pour moi, ça pose problème au concept d’égalité réelle. Si on regarde, par exemple, le juge Moldaver, qui est unilingue anglophone. C’est un juge qui est expert en droit criminel. Donc, quand il y a des causes de droit criminel à la Cour suprême du Canada, c’est souvent lui qui va rendre le jugement, qui va écrire le jugement, quand c’est en anglais, mais pas quand c’est en français. Ça pose problème, parce que le juriste francophone et l’accusé francophone en droit criminel n’auront pas nécessairement accès à l’expertise du juge Moldaver.
Ça, c’est juste un exemple concret d’une raison pour laquelle on ne respecte pas l’égalité réelle, selon moi.
La sénatrice Gagné : Ça va. Merci.
La sénatrice Mégie : On avait posé certaines questions hier par rapport à la traduction des jugements rendus par les cours de justice du Nouveau-Brunswick. La réponse qu’on a eue, c’était que, idéalement, il faudrait que tout soit traduit, mais que compte tenu de la réalité les ressources en place, ce n’est pas possible. Vous venez de nous donner un bel exemple d’un jugement rendu dans une langue, parce que c’est la langue du juge, et qui aurait même de la difficulté à trouver peut-être le pendant pour créer l’égalité.
Donc, qu’est-ce qu’il faudrait qu’on ajoute dans la loi, pendant qu’on la modernise, pour tenter de favoriser la traduction, pas pour l’imposer, mais pour exiger que ce soit traduit?
M. Caron : Je crois que c’est le paragraphe 20(2) où il faudrait indiquer que la décision doit être rendue en français et en anglais simultanément.
Je comprends qu’il y a des contraintes financières, mais en même temps, on parle d’égalité réelle par rapport aux contraintes financières. À un moment donné, il faut déterminer s’il s’agit d’égalité réelle ou pas. Les frais de traduction, je n’ai pas regardé combien ça coûte, et tout, mais j’imagine que par rapport à ce principe constitutionnel fondamental, on ne devrait pas en tenir compte.
La sénatrice Mégie : Bon, supposons qu’on dit qu’il faut en tenir compte, et c’est ce qui nous a été dit, y a-t-il des choix possibles parmi les différents jugements rendus? Parce que cet aspect est ressorti aussi. Ce n’est pas que l’un soit supérieur à l’autre, mais il y en a qui sont tellement importants pour la jurisprudence qu’on pourrait peut-être choisir ceux qui sont importants et les faire traduire.
M. Caron : Je comprends. Mais cette disposition existe déjà dans la loi. Elle indique que les décisions qu’on qualifie d’importantes, d’intérêt national, d’intérêt public, et cetera, doivent être traduites. Ce qui manque dans la loi, c’est qu’il n’est pas nécessaire de le faire de façon simultanée. Mais ça existe déjà.
La sénatrice Mégie : Dans la loi du Nouveau-Brunswick ou dans la loi fédérale?
M. Caron : Dans la loi fédérale. Je ne sais pas si vous l’avez avec vous. Je crois que c’est le paragraphe 20(2).
La sénatrice Mégie : Merci, ça va.
La sénatrice Moncion : J’aurais une question, qui fait suite à celle de la sénatrice Poirier au sujet de la nomination du commissaire ou de la commissaire aux langues officielles. Vous avez parlé du processus de nomination du commissaire aux langues officielles. Pourriez-vous nous en dire davantage sur le processus qui existe à l’heure actuelle?
M. Caron : Honnêtement, je ne me souviens pas tant que ça du processus. Je sais qu’il y a une consultation qui est faite avec les chefs — ou le chef de l’opposition officielle. C’est censé être, dans le fond, un processus qui inclut tous les partis du Parlement, mais, honnêtement, je ne me souviens pas trop du processus comme tel. Il est prévu dans la loi, c’est certain. En fait, j’ai traité un dossier sur cette question, mais ça fait quand même un an et demi.
La sénatrice Moncion : C’est parce que dans la loi, il y a un seul article, le paragraphe 49(1), qui en parle :
Le gouverneur en conseil nomme le commissaire aux langues officielles du Canada par commission sous le grand sceau, après consultation du chef de chacun des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes et approbation par résolution du Sénat et de la Chambre des communes.
Donc, il n’y a pas nécessairement besoin, dans le processus, d’obtenir l’approbation des chefs de parti. Il faut l’approbation du Sénat et de la Chambre des communes.
M. Caron : Exactement et, dans le fond, ça revient à ma proposition, si on veut, selon laquelle ce devrait être unanime. Si on avait l’approbation des chefs, ça comblerait cette proposition que ce soit unanime.
La sénatrice Moncion : Est-ce que ça a été fait exprès dans la loi justement pour qu’on n’ait pas cette demande-là, parce qu’on peut arriver et se retrouver avec une situation où on ne s’entendra jamais sur la personne qui va être nommée? Si la personne n’est pas, par exemple, du Parti conservateur, du Parti libéral ou du Nouveau Parti démocratique, on pourrait ne jamais obtenir le consentement.
En parlant spécifiquement de l’article 49, qu’est-ce que vous pensez par rapport à ça? Parce qu’on peut se retrouver vraiment, à un moment donné…
M. Caron : Dans une impasse, dans le fond.
La sénatrice Moncion : Oui.
M. Caron : La raison pour laquelle je le suggérais — et corrigez-moi si j’ai tort —, c’est que jusqu’à récemment, tous les commissaires avaient été nommés de façon unanime.
Ensuite, c’est quoi, le rôle d’un commissaire? C’est d’être indépendant et de rendre des comptes au Parlement. Donc, ce n’est pas un rôle qui devrait être politique, bien sûr. Mais il est certain qu’il pourrait y avoir une impasse. Quand j’ai répondu à la question, j’ai dit : dans un monde idéal.
La sénatrice Moncion : D’accord.
M. Caron : Peut-être que je ne suis pas la meilleure personne non plus, du côté politique, pour y répondre. Vous êtes plus compétents et compétentes pour répondre à cette question.
La sénatrice Moncion : Ce qui arrive, c’est que dans les choix des personnes, il peut y avoir des personnes qui ont des idées de droite ou de gauche. Nous sommes tous soit d’un côté ou de l’autre. On peut avoir des idées qui sont un peu plus socialistes, mais la majorité des gens sont soit de droite et de gauche, avec leurs 50 nuances de gris.
M. Caron : Absolument. Mais si on regarde le cas de Graham Fraser, qui était là avant, j’imagine que c’est pareil pour lui. Il doit être plus de droite, plus de gauche, mais tous reconnaissaient que c’était la personne compétente pour le faire.
La sénatrice Moncion : On peut en discuter longtemps.
M. Caron : Oui.
La sénatrice Moncion : C’est que moi, je voulais plutôt faire référence à l’article 49, pour savoir s’il a besoin d’être modifié concernant le choix du commissaire, ou si l’article, de la façon dont il est rédigé, permet suffisamment de flexibilité.
M. Caron : C’est une bonne question, et honnêtement, je n’ai pas la réponse à ça, ce matin.
La sénatrice Moncion : J’ai une autre question pour vous, parce que je trouvais intéressant de voir le travail que vous avez fait pour la reconnaissance des droits des jeunes qui partageaient les autobus scolaires bilingues, et tout ça.
Le fardeau, si on veut, de la Loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick retombe souvent sur le dos des francophones, parce que ce sont les francophones qui vont dire que leurs droits sont brimés. Dans le cas des autobus scolaires, les anglophones auraient pu dire qu’ils ne voulaient pas de francophones non plus, dans leurs autobus.
Donc, les anglophones auraient pu présenter cette requête-là, eux aussi.
M. Caron : Probablement. J’ai écrit ça comme anecdote. J’ai grandi à Moncton et je peux vous garantir que dans l’autobus, tous parlaient en anglais. Les anglophones n’auraient sans doute pas refusé les francophones dans l’autobus, car cela ne changeait rien pour eux. Par contre, pour les francophones, ça change tout parce qu’il faut adopter une langue qui n’est pas la nôtre.
La sénatrice Moncion : Je ne suis peut-être pas claire dans mes questions. À l’intérieur du processus qui existe dans la Loi sur les langues officielles, le recours pourrait-il venir des anglophones plutôt que des francophones dans ce contexte-là?
M. Caron : Ce serait en fonction de la Charte canadienne des droits et libertés, qui, au fond, donne les garanties aux minorités. Bien sûr, je ne vous donne pas un avis juridique. Il faudrait que je regarde le tout. La Charte canadienne des droits et libertés fournit les garanties juridiques aux minorités. Ici, les anglophones ne sont pas minoritaires. Donc, ça serait pour les francophones, au Nouveau-Brunswick. Si l’inverse se produisait au Québec, par exemple, bien sûr les anglophones pourraient revendiquer les mêmes droits.
La sénatrice Moncion : Donc, la loi est conçue pour les minorités d’une province. Par exemple, ici, elle sera faite pour les francophones, et au Québec, la Loi sur les langues officielles est faite pour les anglophones qui sont minoritaires au Québec.
M. Caron : Exactement. On le voit dans la partie VII, soit l’épanouissement et l’atteinte de l’égalité réelle, parce que la majorité assimilera toujours la minorité. Cela fait partie de la réalité. Donc, il faut essayer de freiner cette assimilation.
La sénatrice Moncion : Dans un cas comme celui-là, peut-être qu’on pourrait renverser ça afin que les francophones ne soient pas les plaignants, mais plutôt les anglophones. Les francophones sont toujours vus à l’intérieur de la Loi sur les langues officielles comme étant les plaignants, si on veut.
M. Caron : C’est parce qu’on est en situation minoritaire.
La sénatrice Poirier : J’aimerais faire un suivi à ce sujet puisqu’on parle du Nouveau-Brunswick. À Miscou, ce sont les anglophones qui sont en situation minoritaire, et non les francophones.
M. Caron : Absolument.
La sénatrice Poirier : Les anglophones pourraient faire la même demande. Ça donne un exemple.
M. Caron : C’est vrai, absolument.
Le président : Est-ce que l’égalité réelle des deux communautés au Nouveau-Brunswick fait en sorte qu’une communauté anglophone dans un milieu francophone qui se retrouve en situation minoritaire, dans les faits, peut être considérée comme une minorité, ou non?
M. Caron : Selon moi, oui. Si on reprend l’exemple de l’autobus, ce serait en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, qui donne énormément de flexibilité. Ce n’est pas parce qu’on est un anglophone au Nouveau-Brunswick qu’on ne peut se trouver dans une situation minoritaire. On s’entend que dans la majorité des cas, ce sont les francophones qui vivent cette situation. Ce serait à la cour de répondre, bien sûr. Toutefois, la cour donnerait énormément de latitude à l’interprétation parce que bon nombre de lois sont toujours interprétées de façon large. La Loi sur les langues officielles, quand elle octroie des droits, ils sont interprétés de façon large et libérale. Donc, dans cette optique, je répondrais : oui.
Le sénateur McIntyre : Oui; je suis d’accord. L’objectif est de protéger les minorités, que ce soit une minorité francophone ou une minorité anglophone. Ici, au Nouveau-Brunswick ou au Québec.
La sénatrice Poirier : J’aimerais faire quelques observations. Cette question est vraiment intéressante et je vous remercie. Je pense qu’on a une grande différence d’âge, alors peut-être que les choses ont changé au cours des dernières années. À l’époque où je suis déménagée dans la région de Saint-Louis-de-Kent, on avait une population francophone et anglophone. Cela variait d’un village à l’autre. Puisque j’habitais une ville où il n’y avait pas d’écoles françaises, j’ai continué mes études en anglais. Dans l’autobus, il y avait des élèves francophones et anglophones. Quand une personne me demandait dans quelle langue je voulais parler —dans notre cas, c’était un peu différent —, je lui répondais dans sa langue. Si je m’adressais à ma voisine qui était francophone, je lui parlais en français. Lorsque je parlais à un autre voisin qui habitait à deux rues de chez moi, on se parlait en anglais. Alors, il y avait un mélange des deux langues. Le conducteur de l’autobus était parfaitement bilingue. Il pouvait répondre aux besoins de tous les élèves dans l’autobus, peu importe leur langue. Je constate que la situation est différente d’une région à l’autre de la province.
M. Caron : Je suis d’accord avec vous. Si une personne à côté de moi est francophone, je vais sûrement m’adresser à elle en français. Je ferais la même chose si je prenais l’autobus à Moncton aujourd’hui. Il n’y a pas de doute. Lorsque j’ai écrit cet article-là sur les autobus, je me disais qu’il fallait mettre une ligne quelque part par rapport au système d’éducation. Cette question à propos des autobus n’a jamais été tranchée. On l’a renvoyée à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, qui l’a finalement retirée. C’était mon point de vue, mais c’est certain qu’il y a des points de vue opposés, qui sont tous aussi valides.
Le sénateur McIntyre : À mon époque, on n’avait pas ce problème-là. Il n’y en avait pas d’autobus scolaires. On « faisait du pouce » pour aller à l’école. Si le chauffeur de l’automobile était anglophone, on parlait anglais, et vice versa. La question ne se posait même pas.
La sénatrice Gagné : J’allais vous demander quel était le nom de votre cheval, mais vous étiez au moins rendu à l’âge de l’automobile. J’aimerais revenir à la question sur cet échange-là. J’ai trouvé une citation de la Cour suprême sur le site de l’Université d’Ottawa sur les langues officielles et l’égalité linguistique. Je cite la décision Beaulac :
La Cour suprême, sans se prononcer sur le caractère de langues officielles, a statué que l’égalité linguistique signifiait une égalité réelle […] donc axée sur les besoins de la minorité […]
Par la suite, on cite la décision Desrochers. Je pense qu’il ne faut pas négliger le fait qu’on a statué au niveau de l’égalité réelle axée sur les besoins de la minorité linguistique. Je voulais juste ajouter cette précision.
Le président : J’aimerais aborder la question des organismes et des outils qui sont à leur disposition afin de pouvoir négocier avec l’appareil judiciaire. J’aimerais comprendre mieux comment vous voyez ça. Est-ce que ce serait au sein d’un comité consultatif ou — comme on l’a entendu de M. Érik Labelle Eastaugh — ce serait un financement garanti et une autonomie qui permettraient aux organismes d’agir comme bon leur semble, ou ce sont les deux? Il y avait aussi l’idée de créer un comité consultatif qui permettrait une communication entre les organismes et le système.
M. Caron : Au début, je parlais des organismes communautaires sur le plan juridique. Pour déposer une action ou un quelconque recours judiciaire, il faut avoir la qualité pour agir, ce qui n’est pas nécessairement un obstacle pour les organismes communautaires comme la SANB, par exemple.
Le président : Excusez-moi. Qu’entendez-vous par « qualité pour agir »?
M. Caron : Par exemple, si la sénatrice Moncion fait trébucher la sénatrice Gagné et la blesse, elle ne peut pas aller devant les tribunaux pour dire : « J’ai fait trébucher la sénatrice Gagné. » C’est la sénatrice Gagné qui peut aller devant les tribunaux, qui a la qualité pour agir.
Le président : D’accord.
M. Caron : Dans une situation où les droits linguistiques sont bafoués, les gens ne veulent pas aller devant les tribunaux. Ce sont des questions qui ont un impact beaucoup plus grand sur la communauté et qui peuvent inciter des organismes communautaires à aller devant les tribunaux.
Le président : Au nom des citoyens?
M. Caron : Au nom des citoyens.
Le président : D’accord.
M. Caron : En général, il n’y a pas de problème en ce qui concerne la qualité pour agir, mais les avocats essaient aussi d’entraîner la victime dans le recours en lui demandant son nom pour s’assurer qu’elle a la qualité pour agir. Parallèlement, l’organisme communautaire va l’avoir aussi.
À ce que je sache, il n’y a pas de cas où c’est juste l’organisme qui, de son propre chef, va devant les tribunaux sans avoir la victime.
Le président : D’accord.
M. Caron : Je ne sais pas si vous me suivez.
Le président : Je veux juste être sûr de bien comprendre. Au fond, il y a un événement — comme dans l’exemple que vous avez donné avec la sénatrice Gagné — où un citoyen est lésé. L’organisme porte cette cause en justice parce que si elle fait jurisprudence, cela aura un impact plus important pour la communauté. C’est ce que vous dites.
M. Caron : Oui, exactement. Au fond, j’ai un bon exemple. La décision Paulin de la Cour suprême du Canada. Une dame, je crois, du comté de Charlotte, au Nouveau-Brunswick, n’a pas obtenu des services en français de la part d’un policier. Elle a payé son amende, mais elle a ensuite déposé un recours pour faire une déclaration. Partout au Nouveau-Brunswick, elle devrait pouvoir recevoir des services dans la langue officielle de son choix dans un délai raisonnable. Toutefois, la SANB s’en est mêlée parce qu’elle a une meilleure source de financement. Si, par exemple, Mme Paulin ne voulait rien savoir de l’appareil judiciaire; la SANB, de son propre chef, aurait pu prendre en charge ce cas.
Le président : Sans la plaignante?
M. Caron : C’est exact. Comme on le sait, ça fait jurisprudence. Maintenant, partout au Nouveau-Brunswick, les policiers ont l’obligation d’offrir les services en français et en anglais, dans un délai raisonnable, bien sûr.
Le président : D’accord. Merci. S’il n’y a pas d’autres questions de la part de mes collègues, on va conclure la séance.
Monsieur Caron, je tiens à vous remercier de votre présence à notre réunion. Au nom de mes collègues, je vous souhaite bonne chance dans votre carrière. Merci de votre contribution et de votre engagement envers le Nouveau-Brunswick. Bonne journée.
(La séance est levée.)