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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 33 - Témoignages du 19 novembre 2018


OTTAWA, le lundi 19 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures, afin de poursuivre son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, et à huis clos, pour l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs, honorables sénatrices et membres du public. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit son étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, et nous concluons, aujourd’hui, le quatrième volet de notre étude qui porte sur le secteur de la justice.

Nous avons le plaisir d’accueillir M. Justin Dubois, avocat spécialisé en droit du travail et de l’emploi, en droit administratif et en droit constitutionnel, au sein du cabinet Emond Harnden.

Nous devions accueillir M. Matthew Harrington, professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal, mais il a dû se désister au dernier moment pour des raisons personnelles.

Avant de passer la parole à notre témoin, j’inviterais les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Mégie : Bonjour. Marie-Françoise Mégie, sénatrice du Québec.

Le sénateur Maltais : Bienvenue. Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

Le sénateur McIntyre : Bienvenue. Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Monsieur Dubois, bienvenue et merci d’être parmi nous. La parole est à vous.

Justin Dubois, avocat, Emond Harnden LLP, à titre personnel : Merci, monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs, de m’avoir invité à vous adresser la parole aujourd’hui. Comme on l’a déjà dit, je m’appelle Justin Dubois, je suis avocat en pratique privée chez Emond Harnden, et j’ai consacré une grande partie de ma carrière, jusqu’à présent, à des dossiers où il est question de droits linguistiques. C’est sans doute en partie en raison de mon propre vécu. Je suis Fransaskois, et j’ai passé les 17 ou 18 premières années de ma vie en Saskatchewan. Maintenant, tout comme vous, j’habite Ottawa, au moins une partie du temps.

La perspective que j’aimerais partager avec vous ce soir est celle d’un praticien. Je vais vous donner la perspective très pratique d’une personne qui travaille avec la loi et qui a travaillé sur des dossiers concernant la loi. S’il y a un élément que j’aimerais voir ressortir de mon témoignage, c’est la recherche de mécanismes législatifs permettant de rendre la loi plus pratique. Je le mentionne parce que, par le passé, j’ai agi à titre d’avocat ou de conseiller juridique pour certains groupes communautaires et associations issus du monde de la francophonie qui ont témoigné devant vous pendant votre étude. Plus récemment, j’ai représenté et je représente encore des institutions fédérales qui ont l’obligation d’offrir des services en vertu de la loi et de respecter ces obligations. Je suis évidemment ici à titre individuel, je ne témoigne pour personne d’autre, mais il est clair que ma perspective est alimentée par mon vécu, autant du côté du droit que de celui des obligations. Lorsque je parle d’une approche pratique, c’est que j’aimerais qu’on réfléchisse à des pistes de réflexion afin de réunir les deux côtés.

La première piste de réflexion concerne l’ajout de précisions. Dans la loi, certaines obligations pourraient être précisées, selon moi, et ce, tant pour le bien-être du public que pour les institutions fédérales, particulièrement en ce qui concerne la partie VII et les mesures positives. La décision la plus récente de la Cour fédérale concernant la partie VII et rendue en mai 2018 au sujet de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique illustre à quel point les institutions et le public auraient pu tirer parti de la loi si elle avait offert plus de précisions.

Voici la question qui tue : qu’est-ce qu’on veut dire lorsqu’on parle de mesures positives? J’aimerais vous présenter deux mesures positives fondamentales qui pourraient contribuer à une mise en œuvre de la loi plus efficace.

Premièrement, lorsqu’on parle de mesures positives, il faudrait savoir ce que comporte une mesure positive, ce qui impliquerait nécessairement des moyens de communication avec les communautés, qu’il s’agisse de consultations ou de réunions — on peut appeler ça comme on veut —, pour que les institutions fédérales puissent comprendre et bien cerner en quoi consistent ces mesures. Il s’agit d’un élément très important qui pourrait être inséré à la loi.

Un élément qui découle de cela et qui, selon moi, est encore plus important est l’obligation de tenir compte de l’incidence des politiques et des programmes des institutions fédérales sur les communautés en situation minoritaire. Dès l’élaboration des politiques et des programmes, il faudrait tenir compte des incidences sur les communautés, à savoir si elles ont été consultées et si la politique aura des effets sur elles. En fait, c’est quelque chose qui se fait déjà en pratique. Parfois, ça se fait bien, mais d’autres fois, c’est moins bien. Il existe un guide de Patrimoine canadien à l’intention des institutions fédérales qui traite de la mise en œuvre de la partie VII. Dans ce guide, on suggère aux institutions fédérales de tenir compte, dès l’élaboration des politiques et des programmes, de l’incidence de leurs projets sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Selon moi, légiférer cette obligation serait une mesure positive. En théorie, ça se fait déjà. Alors, pourquoi ne pas l’inscrire dans la loi pour que ce soit avantageux pour tous et afin que tout le monde ait une meilleure connaissance de ses obligations et de ses droits?

Vous avez déjà beaucoup entendu parler du rôle du commissaire aux langues officielles. Vous allez sûrement en entendre parler davantage si le commissaire a le droit de prendre des ordonnances contraignantes ou des directives contraignantes. Je ne veux pas passer trop de temps sur ce sujet, mais quand on pense au rôle du commissaire aux langues officielles et aux propositions qui y sont liées, c’est dans la perspective de faciliter l’accès à la justice. Qu’est-ce que nous pouvons faire pour que le public puisse faire valoir ses droits plus facilement, plus efficacement et plus rapidement, et de façon moins coûteuse?

Dans le monde judiciaire, l’un des mécanismes qui a été adopté au cours des dernières décennies, c’est la médiation. Dans certaines juridictions, la médiation est même obligatoire. Avant de se rendre devant le tribunal, les parties doivent se rencontrer, pas nécessairement dans la même salle, mais avec l’aide d’un médiateur professionnel ou d’une médiatrice professionnelle — peut-être un juge — pour tenter de trouver une solution. J’avoue qu’il y a des dossiers dont les différends sont impossibles à régler. Il y a des dossiers qui comportent des questions de principe. Il y a différentes interprétations possibles, et la cour doit trancher. Dans un monde où il y aurait un tribunal administratif, ou même dans le monde actuel où les recours se font directement à la Cour fédérale, il n’y a aucun mécanisme de médiation. Cependant, ça se fait. Il y a des ententes. On peut penser à l’entente hors cour dans le cas du Programme de contestation judiciaire. Cela s’est fait malgré l’absence d’un processus formel inscrit dans la loi ou dans la Loi sur les Cours fédérales. Je ne veux pas dire que c’est le fruit du hasard, car les gens ont beaucoup travaillé pour y arriver, mais c’est un enjeu qui mérite une réflexion plus poussée, à savoir comment on pourrait insérer dans la loi — pas nécessairement de façon obligatoire — des mécanismes qui favoriseraient des règlements plus rapides et qui pourraient satisfaire toutes les parties.

J’aimerais aussi faire un commentaire à titre de praticien. Il y a l’idée de la divulgation pour favoriser les règlements et accélérer les procédures administratives, entre autres devant la Cour fédérale. À l’heure actuelle, en matière de recours, il y a les plaintes déposées au Commissariat aux langues officielles. Si les membres du public veulent amorcer un recours, ils doivent s’adresser à la Cour fédérale. Il y a l’échange des déclarations sous serment, il peut y avoir des contre-interrogatoires et, ensuite, l’audience. Lorsqu’un tribunal administratif prend une décision et que l’on conteste cette décision, le tribunal administratif, généralement, a l’obligation de produire le dossier de la cour qui contient la documentation sur laquelle le tribunal s’est fondé pour prendre sa décision. La divulgation et le partage d’information permettraient donc à tout le monde de connaître les étapes qu’a suivies l’institution fédérale ou la documentation sur laquelle elle s’est basée pour prendre ses décisions. Si nous avions accès à ces renseignements au début du processus, cela pourrait faciliter les pourparlers et l’atteinte de règlements. Encore une fois, il n’est pas possible de le faire pour certains dossiers, mais c’est une piste de réflexion que j’aimerais partager avec vous ce soir.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Dubois, de votre présentation. Nous allons poursuivre avec une période de questions.

Le sénateur Maltais : Merci, maître Dubois, de votre témoignage. J’aimerais savoir si vous avez pratiqué le droit du travail uniquement en matière de lois fédérales ou si vous avez traité également avec les lois des différentes provinces.

M. Dubois : J’ai pratiqué le droit du travail avec les lois des différentes provinces.

Le sénateur Maltais : Vous avez soulevé un point fort important, celui du commissaire aux langues officielles. Vous n’êtes pas le premier à nous dire que les pouvoirs du commissaire aux langues officielles ne sont que des vœux pieux. Pourquoi? Parce que tout le monde aimerait que le commissaire aux langues officielles ait des pouvoirs coercitifs, mais le gouvernement ne voudra jamais les lui accorder, parce que la principale clientèle du commissaire aux langues officielles, c’est le gouvernement. Est-ce qu’on a déjà vu un gouvernement se flageller en raison d’une loi? Je ne crois pas.

Par contre, en ce qui concerne la partie VII, ce que vous avez dit est très important. D’autres collègues vous questionneront sur d’autres sujets, mais la médiation dans les tribunaux administratifs, est-ce courant ou exceptionnel?

M. Dubois : Il y a plusieurs tribunaux administratifs à l’échelon provincial et fédéral. Selon mon expérience, c’est courant, et là où ce n’est pas nécessairement prévu par la loi, c’est une approche qui est souvent favorisée par les décideurs ou le tribunal lui-même, justement pour arriver à un règlement plus rapide et plus juste.

Le sénateur Maltais : Comment cela se passe-t-il dans les cours supérieures provinciales en ce qui a trait à la médiation?

M. Dubois : Je vais vous donner l’exemple de la Cour supérieure de justice ici, à Ottawa. En vertu des règles de procédure provinciale, à Ottawa, il y a la médiation obligatoire dans les procédures civiles. À titre d’exemple, si on parle d’un congédiement injustifié ou d’une poursuite pour délit contractuel ou quoi que ce soit, avant de se rendre au processus de l’audience, il faut tenir une médiation entre les parties. Je ne pourrais pas vous donner les statistiques, mais on pourrait les trouver pour vous, car il y a plusieurs dossiers qui se règlent.

Le sénateur Maltais : J’ai une dernière petite question, si vous me le permettez. Lorsque vous parlez de divulgation de la preuve, bien sûr, vous êtes un avocat plaideur, et je comprends ce que cette demande représente pour vous, mais je ne crois pas qu’on puisse l’inclure dans la loi, honnêtement, parce que ce serait favoriser l’un par rapport à l’autre. Le procureur de la Couronne dévoile sa preuve lors du procès, mais je ne crois pas que le public puisse avoir accès à la divulgation de la preuve. Je ne suis pas avocat, mais je ne vois pas la nécessité pour le public d’avoir accès à cette preuve. S’il s’agit d’un recours collectif, je n’ai rien contre, mais en ce qui concerne les procès privés, c’est inacceptable, à mon avis.

M. Dubois : Dans les dossiers qui concernent l’article 77 de la loi, si on se rend devant le tribunal, les institutions fédérales préparent un dossier de preuve et des déclarations sous serment. Ce n’est pas une obligation, mais les institutions fédérales voudront bien entendu présenter une preuve. Il y a donc deux questions qui se posent. Est-ce qu’on veut devancer cette étape? Aussi, est-ce qu’on veut prévoir une obligation, peut-être dans le cas de documents qui ne seraient pas nécessairement divulgués dans les déclarations sous serment si on croyait qu’ils n’étaient pas nécessaires?

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup.

La sénatrice Mégie : Ma question est complémentaire à celle du sénateur Maltais. La transmission des renseignements divulgués est-elle ralentie par un obstacle linguistique?

M. Dubois : Non, aucunement. C’est plutôt dans l’optique de la rapidité de l’accès à la justice. Les règles de la Cour fédérale en vertu desquelles les recours sont pris prévoient déjà un échéancier tout de même assez rapide : 30 jours pour les déclarations sous serment des demandeurs, 30 jours pour celles de la partie défenderesse, et 15 ou 20 jours pour les contre-interrogatoires. Souvent, les parties vont repousser les échéances, parce qu’il faut un peu plus de temps pour rassembler les documents pour les déclarations sous serment, et cetera.

Ce que j’aimerais offrir comme piste de réflexion, c’est l’idée que, s’il y a une modification au processus judiciaire ou quasi judiciaire, s’il y a un nouveau processus, est-ce qu’on veut penser différemment à cette obligation de divulgation ou au partage de la preuve? Il s’agirait de penser de façon pratique pour que ce soit fait assez tôt et assez rapidement de sorte que tout le monde ait accès à l’information qui sera présentée éventuellement devant la cour. Le fait d’obtenir l’information au début permet de discuter des solutions possibles au lieu d’attendre un peu plus longtemps.

La sénatrice Mégie : Merci. J’essayais de voir le lien avec la portion linguistique.

M. Dubois : C’est une très bonne question, mais je vous présente plutôt ma perspective de praticien.

La sénatrice Gagné : Bienvenue, maître Dubois. Je vois que vous avez défendu les droits de la commission scolaire dans la cause Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale). Avez-vous déjà fait appel au Programme de contestation judiciaire?

M. Dubois : Je ne crois pas que je puisse répondre à cette question, car il s’agit d’une information privilégiée. Cependant, je peux vous dire que certains conseils scolaires y ont fait appel.

La sénatrice Gagné : Je vais vous poser une autre question sur le même sujet. J’aimerais vous entendre au sujet des changements récents qui ont été apportés au Programme de contestation judiciaire.

M. Dubois : C’est une excellente question, mais je ne crois pas avoir toute l’information. À ma connaissance, on attend encore certaines précisions. Cependant, je crois que si on pouvait faire en sorte que le Programme de contestation judiciaire soit solide et bien financé, ce serait un avantage, au lieu de prévoir un financement sur deux ans, trois ans, quatre ans ou cinq ans.

La sénatrice Gagné : Croyez-vous que le programme devrait être codifié dans la loi?

M. Dubois : Je ne pense pas que ce serait une mauvaise chose, parce que le financement peut toujours dépendre des gouvernements que nous avons. Je pense que ce serait un atout pour les communautés.

La sénatrice Gagné : Au début de votre présentation, vous avez mentionné que Patrimoine canadien avait élaboré un guide; est-ce un guide de consultation?

M. Dubois : C’est un guide de mise en œuvre de la partie VII.

La sénatrice Gagné : D’accord. J’aimerais que vous nous en disiez davantage sur ce guide. Est-il bien étoffé? Est-il utilisé par les institutions fédérales?

M. Dubois : Je peux répondre selon mes connaissances. Vous avez entendu le témoignage des représentants de Patrimoine canadien; il y a certainement de très bonnes idées dans le guide, et je crois que certaines institutions, à un certain moment donné, l’ont mis en œuvre avec application, alors que dans d’autres cas, l’élaboration des mesures positives a été moins « positive ». L’une des difficultés, justement, c’est qu’il n’y a pas d’accord commun sur la valeur de ces mesures positives. Ce débat et cette difficulté existeront tant que cet aspect ne sera pas codifié ou qu’on n’aura pas accès à davantage de décisions jurisprudentielles.

Ainsi, s’il y a des consultations, les communautés et les institutions fédérales seront en mesure de déterminer quelles pourraient être les mesures positives, ce qui aura pour effet d’en favoriser la mise en œuvre, tant au chapitre public qu’institutionnel.

La sénatrice Gagné : De façon pratique, si le guide est bien rédigé, il pourrait répondre à la décision du juge Gascon selon laquelle on n’a pas bien défini les mesures positives. Qu’une mesure soit suffisante ou non, au moins, il y a une mesure. Alors, comment concilie-t-on les deux? Nous avons un guide de mise en application et un jugement qui souligne le fait qu’on ne sait pas ce qui peut constituer une mesure positive.

M. Dubois : Selon l’interprétation que le juge Gascon a donnée de la loi, je pense qu’une des difficultés serait de déterminer ce qu’il faut changer dans la loi ou dans un règlement pris en vertu de la loi pour définir de façon plus précise quelles sont ces mesures. Ce serait probablement le meilleur moyen de veiller à ce que les institutions puissent bien appliquer les mécanismes proposés dans le guide.

La sénatrice Gagné : D’accord, merci.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Dubois, de votre présentation. À titre de praticien, vous avez soulevé deux enjeux très importants, soit la médiation obligatoire et, naturellement, la divulgation.

Je comprends que vous avez déjà plaidé devant la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick et devant la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick. J’aimerais savoir quelle a été votre expérience devant ces deux instances.

De plus, selon vous, faudrait-il reconnaître la spécificité constitutionnelle du Nouveau-Brunswick dans la Loi sur les langues officielles, qui représente la seule province officiellement bilingue au Canada?

M. Dubois : Merci de votre question. J’adore le Nouveau-Brunswick, et j’aime beaucoup plaider devant ses tribunaux.

L’un des avantages qu’offre le Nouveau-Brunswick, c’est que l’on peut plaider en français ou en anglais, non seulement dans les cours, mais dans tout l’organe administratif. J’ai trouvé que les juges, tout comme l’expérience que j’y ai vécue, étaient excellents. Je me souviens d’un dossier qui comportait différentes parties, et tout s’est déroulé beaucoup plus facilement qu’en Saskatchewan.

Quant à l’idée d’insérer la spécificité du Nouveau-Brunswick dans la Loi sur les langues officielles, je n’y vois aucun problème ni aucun point négatif. Je pense que la question serait plutôt de savoir si cela permettrait d’améliorer la loi ou non. Pour le Nouveau-Brunswick, ce serait certainement un atout que cet aspect soit inscrit dans une autre loi fédérale que la Charte.

Le sénateur McIntyre : Au cours de notre étude, parmi les témoins qui ont comparu devant notre comité, plusieurs ont formulé des recommandations ayant comme objectif de moderniser la Loi sur les langues officielles. Parmi les recommandations, nous retrouvons, par exemple, l’obligation en matière de bilinguisme pour les juges de la Cour suprême, la codification des principes reconnus de la jurisprudence, la création d’un tribunal administratif sur les langues officielles, l’inscription de la pratique de corédaction des lois fédérales, et j’en passe.

J’aimerais connaître votre opinion sur ces recommandations.

M. Dubois : Je dirais que la corédaction est déjà un principe ou une pratique qui existe. Est-il nécessaire de la codifier? Je ne le crois pas.

Je pense que l’obligation liée au bilinguisme des juges de la Cour suprême est importante, tant au chapitre juridique que symbolique. Je pense que c’est certainement un aspect qui serait favorable pour le monde juridique.

Pour ce qui est de la codification des principes, je trouve que c’est moins avantageux. La Cour suprême a rendu une décision, vendredi dernier, dans l’affaire Mazraani, dans laquelle les principes d’interprétation des lois sont soulignés, tout comme les principes établis dans l’arrêt Beaulac. Ces principes existent, qu’ils soient codifiés ou non. J’ai des préoccupations quant à la codification des principes. Dans le cas où un gouvernement décidait de modifier la loi et de retirer ces principes de la loi, qu’arriverait-il avec les principes qui existaient, qui étaient codifiés et qu’on a retirés? Pour moi, il est moins important de codifier ces principes d’interprétation, parce qu’ils existent déjà. Ils ont force de loi, et ils sont appliqués par les tribunaux à l’heure actuelle.

Le sénateur McIntyre : Merci.

La sénatrice Moncion : J’aime beaucoup votre approche pratique. Pourriez-vous me parler des objectifs en matière de collaboration fédérale, provinciale et territoriale dans le secteur de la justice et préciser s’ils devraient être inscrits dans la loi? Le cas échéant, selon votre approche de praticien, où devrait-on les insérer?

M. Dubois : Pouvez-vous préciser ce que vous avez en tête lorsque vous parlez de collaboration? Voulez-vous parler des programmes?

La sénatrice Moncion : Il peut s’agir de programmes, d’échanges de sommes d’argent; bref, de différentes choses qui existent entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.

M. Dubois : On peut certainement penser, par exemple, au financement fédéral qui vise à favoriser l’administration de la justice dans les provinces. C’est un domaine de compétence provinciale, et même si le gouvernement fédéral peut demander aux provinces de faire certaines choses, il lui serait plus difficile de leur imposer des conditions, par exemple, pour exiger que toute personne qui travaille dans les cours soit bilingue. Est-ce que c’est nécessaire? Ce n’est probablement pas réaliste, mais ce devrait être favorisé.

Selon moi, il n’est pas nécessaire de légiférer sur de telles questions. Par exemple, si on prend les dispositions de transfert, je crois qu’il est plus important que le gouvernement fasse le suivi afin de s’assurer que la province ou le tiers respecte les obligations en matière de langues officielles qui sont énoncées dans ces dispositions. Ce serait probablement un exemple très important. Encore une fois, cela ressort de la décision sur la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Moncion : D’un point de vue pratique, vous dites qu’il est tout de même difficile de dire aux provinces comment faire leur travail en matière de justice, d’éducation, et cetera. Mais pour reprendre votre exemple sur les dispositions de transfert, comment peut-on, justement, s’assurer que les suivis se fassent et qu’ils soient codifiés dans la loi, afin d’être en mesure de veiller à ce que les sommes destinées, par exemple, aux activités dans le domaine de la santé ou de l’éducation en français soient réellement versées à ces secteurs? C’est la même chose au Québec où il faut pouvoir s’assurer que les sommes qui sont transférées au gouvernement du Québec pour appuyer la santé et l’éducation en anglais sont vraiment distribuées aux bons endroits.

M. Dubois : C’est une excellente question sur la responsabilisation. S’il y avait de meilleurs mécanismes de reddition de comptes, ce serait certainement avantageux. On sait qu’avec le Protocole d’entente relatif à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement de la langue seconde, c’est un enjeu de savoir si l’argent est toujours versé au bon endroit, s’il se rend toujours aux commissions scolaires francophones. On aurait donc besoin de meilleurs mécanismes de reddition de comptes. C’est un peu plus difficile. Vous me demandez mon opinion à titre de praticien, mais c’est une question politique. Je recommande que ces obligations figurent à même les ententes et que les communautés aient également leur mot à dire dans le cadre de ces ententes.

La sénatrice Moncion : Justement, ces fameuses ententes sont-elles des ententes contractuelles? Est-ce que les provinces et le gouvernement fédéral signent des ententes officielles?

M. Dubois : Certainement. Pas toutes, mais lorsqu’il s’agit d’ententes contractuelles, oui.

La sénatrice Moncion : C’est donc dans ces ententes qu’on pourrait insérer les dispositions, plutôt que dans la loi. Merci beaucoup.

Le président : À mon tour, j’aimerais vous poser quelques questions. Je m’intéresse aux relations fédérales-provinciales. En tant qu’avocat francophone, quel est l’obstacle principal en matière de justice en français auquel vous et vos collègues avez été confrontés? On aimerait comprendre les défis auxquels un avocat francophone doit faire face dans la réalisation de son travail. Est-ce que ça varie d’un domaine de droit à l’autre, d’un tribunal à l’autre?

M. Dubois : Premièrement, vous avez déjà entendu parler de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario et de la Section des juristes d’expression française de common law. Ce sont ces deux organismes qui pourraient vous en parler davantage.

Je peux vous parler de mes expériences personnelles. Cela peut varier selon qu’il s’agit d’un tribunal ou d’une cour, et selon l’endroit où on se trouve. C’est plus difficile. En général, il faut plus de temps pour avoir accès à des tribunaux en français. Par exemple, dans le cas d’une ville en Ontario où on fait une demande pour une date de motion, une motion simple pour faire radier un des défendeurs, on peut obtenir une date dans un mois, puis une autre date trois ou quatre mois plus tard. C’est long pour une simple motion. Ce peut être en raison du fait qu’il y a seulement un ou deux juges bilingues et qu’ils sont occupés avec d’autres procès. Ils ont alors moins de disponibilité. C’est certainement un des défis.

Le président : Quel est l’impact de ce temps d’attente?

M. Dubois : Comme on le dit en anglais : « justice delayed is justice denied ». Plus on attend, moins on sent qu’on a accès à la justice. Lorsque nous voyons que nos collègues en Ontario ont accès plus facilement à la justice en anglais ou à la justice en français au Québec, nous avons l’impression qu’on accorde moins de valeur à notre métier, à la justice en français ou aux droits des francophones. Alors, ce côté symbolique peut également être important sur le plan juridique. Évidemment, ce n’est pas le cas. Sur le plan juridique, c’est plutôt l’attente qui pose problème. Je sais qu’il y a des domaines qui comportent de nombreux enjeux, notamment le droit familial. Il faudrait donc modifier les lois pour favoriser l’accès à la justice en français.

Le président : Merci. S’il n’y a pas d’autres questions, monsieur Dubois, je tiens à vous remercier, au nom des membres du comité, d’avoir comparu devant nous aujourd’hui. Vos explications et votre expérience nous seront utiles dans notre réflexion et dans la production de notre rapport.

Nous allons maintenant poursuivre notre séance à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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