Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 35 - Témoignages du 10 décembre 2018
OTTAWA, le lundi 10 décembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit à huis clos aujourd’hui, à 16 h 6, afin de poursuivre son examen de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, et en séance publique, afin de poursuivre son étude sur l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi et son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, nous reprenons la séance en public. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion aujourd’hui.
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit son étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles et, aujourd’hui, nous poursuivons le cinquième volet de cette étude qui porte sur les institutions fédérales. De plus, le comité poursuit son étude sur l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant au sein des institutions assujetties à la loi.
Nous avons le plaisir d’accueillir M. Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles du Canada. Il est accompagné de Mme Ghislaine Saikaley, commissaire adjointe, Direction générale de l’assurance de la conformité, de M. Pierre Leduc, commissaire adjoint, Direction générale des politiques et communications, et de Mme Pascale Giguère, avocate générale.
Avant de céder la parole à notre témoin, j’invite les membres du comité à se présenter, en commençant à ma gauche.
La sénatrice Poirier : Bonsoir et bienvenue. Sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
Le président : Monsieur le commissaire, merci d’être avec nous. Vous êtes notre dernier témoin avant la période des Fêtes. Nous allons considérer que vous êtes un peu comme un cadeau des Fêtes pour nous. Je tiens à vous remercier de votre récente comparution devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes. Nous avons pris connaissance de votre témoignage avec grand intérêt.
Monsieur le commissaire, la parole est à vous et, par la suite, nous procéderons à une période de questions et d’échanges avec les sénateurs et sénatrices.
Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Monsieur le président, honorables membres du comité, bonsoir.
Vous savez sans doute que j’ai comparu devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes le 18 octobre dernier, afin de faire état de mon rapport annuel de 2017-2018. Aujourd’hui, j’aborderai certains éléments de mon rapport annuel et je vous parlerai de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. À cet effet, vous avez devant vous un exemplaire du rapport intitulé Modernisation de la Loi sur les langues officielles : La vision du commissaire aux langues officielles, que je vous invite à consulter avec la plus grande attention.
J’aimerais d’abord souligner les efforts et le travail de consultation que votre comité a consacrés jusqu’à présent au projet de modernisation de la loi. Je suis ravi de voir que cet enjeu nous tient tous à cœur. Je suis également avec grand intérêt tous vos travaux.
[Traduction]
Je tiens aussi à profiter de cette tribune pour parler d’un sujet d’actualité qui ne laisse personne indifférent : l’annonce du gouvernement de l’Ontario d’abolir le Commissariat aux services en français et de démanteler le projet de l’Université de l’Ontario français.
Bien sûr, les Franco-Ontariens sont en désaccord avec le compromis proposé qui consiste à transférer le bureau du commissaire au sein du bureau de l’ombudsman, un changement qui amenuiserait considérablement le rôle du commissaire en éliminant sa capacité de promouvoir et de recommander des façons d’améliorer les services en français en Ontario. Cela m’amène à un bien triste constat : la mouvance qui porte atteinte aux droits linguistiques n’a plus de frontières.
En tant que commissaire aux langues officielles, il m’incombe de représenter les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au pays. Ces communautés se retrouvent maintenant au cœur d’un important débat identitaire et l’annonce du gouvernement de l’Ontario représente un véritable recul en matière de droits linguistiques. Nous commençons d’ailleurs à voir des exemples qui dépassent les frontières de l’Ontario. Pensons notamment à l’incertitude entourant l’avenir de la dualité linguistique à la suite des élections provinciales au Nouveau-Brunswick, ou même à la dissolution de la Direction de l’éducation française au sein du ministère de l’Éducation en Alberta, où les services de langue française sont maintenant intégrés à ceux de la majorité.
Je constate qu’après des efforts qui se sont échelonnés sur plus d’un demi-siècle, il faudra qu’on se penche à nouveau sur la question du contrat social. Les langues officielles sont l’affaire de tous.
Les reculs en matière de droits linguistiques portent atteinte à tous les Canadiens. Les leaders ont le devoir de protéger nos acquis et c’est mon objectif en tant que commissaire aux langues officielles du Canada. J’appelle donc les élus à en faire autant, peu importe leurs allégeances politiques.
Maintenant, laissez-moi vous expliquer ce que représente la modernisation de la loi pour le Commissariat aux langues officielles. Je suis d’avis que le 50e anniversaire de la loi doit servir de tremplin pour classer la modernisation de la loi au rang des priorités.
La loi de 1969 et celle de 1988 répondaient à des contextes et à des réalités sociales qui leur étaient propres. Les années qui ont suivi ont ainsi permis de réaliser d’importants progrès sur le plan linguistique et identitaire canadien. Ce cheminement législatif a consolidé et codifié les assises juridiques sur lesquelles repose la dualité linguistique canadienne. Le défi aujourd’hui consiste à poursuivre une mise en œuvre intégrale de la loi pour lui donner son plein effet.
À la lumière de l’expérience du commissariat et du contexte contemporain, il est devenu évident que cela ne peut être accompli sans apporter des modifications majeures et structurelles à la loi.
Ma vision pour une loi modernisée s’inscrit dans les trois piliers suivants : une loi actuelle, dynamique et robuste.
[Français]
Dans tous ses aspects, la loi doit refléter la société canadienne d’aujourd’hui, ses besoins, mais aussi ses aspirations à vivre dans un pays qui valorise pleinement la dualité linguistique. Ainsi, elle doit être pertinente au contexte qui nous est propre. De plus, la loi doit s’appliquer en harmonie avec les changements que vit la société canadienne, tout en reposant sur de solides fondations acquises grâce à la jurisprudence. Finalement, elle doit établir clairement les responsabilités des différents joueurs clés dans le cadre de sa mise en œuvre, de même que les moyens dont ils disposent pour assurer son respect.
Afin d’y parvenir, le gouvernement doit notamment assurer un meilleur accès, en français et en anglais, au système de justice fédéral. Il doit aussi veiller à ce que les obligations en matière de communications et de prestation des services soient claires et répondent aux besoins de la population canadienne. De plus, il doit actualiser les droits et clarifier les obligations en matière de langue de travail dans la fonction publique canadienne, tout en élaborant un cadre réglementaire visant à concrétiser l’engagement du gouvernement fédéral à l’égard des communautés de langue officielle en situation minoritaire, ainsi que celui qui vise à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage des deux langues officielles.
Les principes de droit qui ont transformé la manière dont les droits linguistiques sont aujourd’hui interprétés et appliqués, tels que l’égalité réelle, devraient être intégrés dans une loi modernisée afin de solidifier la fondation sur laquelle elle repose.
Par ailleurs, assurer un texte de loi neutre sur le plan technologique et, par le fait même, sa pertinence au gré de l’évolution des nouvelles technologies, ou encore garantir un examen périodique de la loi, représentent des solutions précises qui contribueront au maintien de ce dynamisme dont la loi doit faire preuve.
La modernisation de la loi présente une première occasion, depuis 1988, pour le gouvernement de réfléchir sérieusement aux changements qui pourraient y être apportés, notamment en matière de gouvernance. Si les rôles et les responsabilités sont clairs, j’ose espérer que les institutions fédérales sauront davantage se conformer à la loi.
En outre, les institutions fédérales qui valorisent l’égalité du français et de l’anglais sont plus aptes à fournir des services au public et à communiquer avec lui dans les deux langues officielles, à appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire au moyen de mesures concrètes et à favoriser la progression de la dualité linguistique dans la société canadienne.
Une fonction publique canadienne qui bénéficie d’un environnement de travail propice à l’usage des deux langues officielles contribue à la prestation de services de qualité, dans les deux langues officielles, au public canadien. Pour ce faire, les droits en matière de langue de travail des fonctionnaires doivent être en harmonie avec les obligations des bureaux qui doivent offrir des services au public dans les deux langues officielles.
[Traduction]
C’est la raison pour laquelle les deux recommandations de mon rapport annuel 2017-2018 portaient sur l’examen des outils d’évaluation du rendement des institutions fédérales en matière de langues officielles ainsi que sur la mise en œuvre des recommandations du rapport sur la langue de travail publié en 2017 par le greffier du Conseil privé.
Mon équipe travaille actuellement à élaborer le tout premier Modèle de maturité des langues officielles pour marquer le 50e anniversaire de la loi en 2019. Cet outil permettra aux institutions fédérales d’effectuer un examen diagnostique organisationnel et les aidera à progresser de façon continue en matière de langues officielles.
Cependant, au-delà des outils et des mécanismes, c’est le leadership qui est essentiel. Il se doit d’être exercé par le gouvernement et dans la fonction publique, et ce, à tous les échelons.
La tâche à accomplir peut sembler titanesque, mais, pour viser une prestation des services constante et efficace, les institutions fédérales doivent progresser elles-mêmes vers une situation où la conformité à la Loi est le résultat d’une culture et de processus organisationnels qui tiennent pleinement compte des langues officielles.
Je compte sur le gouvernement fédéral, qui se doit d’exercer un leadership continu, pour effectuer une réelle modernisation de la loi. Il faut maintenir les langues officielles à l’ordre du jour et ainsi favoriser l’essor de la dualité linguistique au Canada. Le fait de limiter sa révision à une simple mise à jour de ses articles, sans revoir les responsabilités des différents joueurs clés et les moyens dont elle dispose pour assurer son respect, serait une occasion manquée de réellement faire d’elle une loi robuste qui encourage une mise en œuvre exemplaire.
Si la loi est plus claire et laisse moins de place à l’interprétation, elle sera plus efficace et sa mise en œuvre s’en trouvera facilitée.
[Français]
Je vous remercie de votre attention. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, que je vous invite à poser dans la langue officielle de votre choix.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le commissaire. Nous allons donc commencer notre échange. Je rappelle à mes collègues que nous disposons de cinq minutes pour les questions et réponses pour chacune de vos interventions au cours du premier tour. Si nous avons le temps, nous ferons un deuxième tour de questions.
La sénatrice Poirier : L’un des enjeux importants concernant la modification de la Loi sur les langues officielles est sa mise en œuvre. Plusieurs témoins nous ont dit, comme vous, qu’il faut une orientation et un leadership clairs. Cependant, cet été, le gouvernement a décidé de rendre les choix un peu moins clairs en retirant le portefeuille des Langues officielles du ministre du Patrimoine canadien.
Selon vous, comment peut-on modifier la loi afin d’éviter une situation semblable et de sorte à obtenir une orientation et un leadership clairement définis?
M. Théberge : Lorsqu’on parle de la gouvernance de la Loi sur les langues officielles, il est important d’établir certains principes qui pourraient se refléter dans le texte de la loi. Lorsqu’on parle d’orientation et de leadership, on doit parler de responsabilisation. En d’autres mots, qui est chargé de la mise en œuvre de la loi? Depuis 2003, il y avait un ministre responsable des Langues officielles, il y avait un comité de ministres responsables des Langues officielles. Auparavant, nous avions aussi un comité de sous-ministres responsables des Langues officielles. Maintenant, nous avons un comité de sous-ministres adjoints des langues officielles qui est réparti entre Patrimoine canadien pour la partie VII et le Conseil du Trésor pour les parties IV, V et VI.
Il est important d’établir une gouvernance beaucoup plus transversale où il y a un point d’entrée. Lequel? Je ne sais pas. Dans les études et dans les consultations que nous avons menées, on parle d’un organe central, peut-être le Conseil privé. Je ne le sais pas, mais il faut qu’il soit très clair qui est responsable des langues officielles. Il est aussi important de s’assurer que les langues officielles sont au cœur des priorités dans la planification des travaux des ministères.
D’abord et avant tout, le défi qu’on a en ce moment, c’est de savoir qui est responsable des langues officielles. On dit que tout le monde est responsable, ce qui sous-entend que personne n’est responsable.
La sénatrice Poirier : Ma deuxième question porte sur votre analyse des modifications proposées au règlement. Nous sommes tous d’accord pour dire que c’est un pas dans la bonne direction et que la présence d’une école est un indicateur de la nécessité d’offrir des services bilingues. Vous indiquez la difficulté que le grand public continue d’éprouver, à savoir où et comment on peut obtenir des services dans la langue officielle de son choix. Pourquoi serait-il difficile pour les Canadiens de savoir où et comment ils peuvent obtenir des services dans la langue officielle de leur choix? Pouvez-vous apporter des précisions en ce qui a trait à la complexité du règlement et ce qui le rend si complexe?
M. Théberge : Premièrement, dans ce qui est proposé comme amendement au règlement, il y a tout de même des éléments positifs. La définition est beaucoup plus inclusive. Cependant, il y a trois points qui présentent certaines lacunes, selon nous. Premièrement, lorsqu’on parle d’une école, c’est l’indicateur qu’on utilise pour parler de la vitalité d’une communauté.
À l’heure actuelle, les écoles se trouvent souvent dans des milieux plus développés, et on sait très bien qu’il est difficile de faire aménager de nouvelles écoles dans de nouvelles régions où il n’y en a pas. La vitalité d’une communauté n’est pas liée à la seule présence d’une école. Il peut s’agir d’un centre culturel, d’un organisme de développement économique ou de médias francophones. On devrait élargir le concept de vitalité pour y inclure un volet quantitatif, mais aussi qualitatif. On ne devrait jamais définir l’accès aux services en fonction de la proportion de francophones par rapport à la majorité.
À long terme, étant donné les changements démographiques, même si, dans le règlement que vous proposez, il y a une disposition sur les droits acquis dans les régions rurales, cela ne tient pas compte de ce qui se passe dans les grands centres. On sait qu’il y a un mouvement vers les grands centres, donc on n’atteindra pas la cible de 5 p. 100 de la population. À notre avis, un chiffre absolu serait beaucoup mieux.
Finalement, la complexité est un calcul mathématique. C’est une formule très compliquée. Par exemple, si on regarde le public voyageur, dans l’espace d’un même vol, on peut être admissible à des services bilingues, mais si on prend un autre vol, ce n’est plus le cas, même s’il s’agit du même trajet. Il faut définir où ces services sont disponibles. Lorsqu’on parle de la langue de travail et du règlement, les régions désignées bilingues reflètent une réalité de 1977. Il n’y a pas de concordance entre les bureaux désignés bilingues et les endroits où les fonctionnaires doivent travailler.
La sénatrice Gagné : Bienvenue à vous tous. Je suis toujours heureuse de vous recevoir au comité. Monsieur Théberge, dans le contexte de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, vous prônez une loi qui est actuelle, qui reflète la société d’aujourd’hui, une loi dynamique et robuste. Pour favoriser une loi dynamique, vous suggérez ce qui suit, et je cite :
[…] en cristallisant dans la loi les principes clés qui ont transformé la manière dont les droits linguistiques sont aujourd’hui interprétés et appliqués, tels que l’égalité réelle, le caractère réparateur des droits linguistiques et le statut quasi constitutionnel de la loi.
Selon vous, quel serait l’effet de la reconnaissance de ces principes dans la loi? En ce moment, le gouvernement est tenu de respecter ces principes d’interprétation. Cependant, le fait de les inscrire dans la loi permettrait-il d’adopter un règlement ou des lignes directrices qui expliqueraient aux ministères la façon d’évaluer le rôle réparateur de la loi ou les services qui en découlent?
M. Théberge : Lorsqu’on parle de codifier ces trois grands principes dans la loi, il est important de savoir que cela permettra une interprétation beaucoup plus large de la part des tribunaux. Si nous prenons l’exemple de l’égalité réelle, qui est un des grands défis dans la société à l’heure actuelle, il est clair que le statut des deux langues n’est pas le même partout au pays. Si nous le codifions en l’intégrant dans le préambule, cela ne donne pas force de loi, mais une force d’interprétation, ce qui fera en sorte que la loi soit beaucoup plus forte et ce qui permettra aux tribunaux de l’utiliser dans leurs jugements. L’égalité réelle, c’est la décision DesRochers c. Canada (Industrie), en 2009, entre autres. Souvent, nous constatons dans nos activités quotidiennes que l’égalité réelle est l’inégalité de statut des deux langues.
Le caractère réparateur des droits linguistiques est l’autre point important. Il ne s’agit pas seulement de déterminer s’il y a violation ou non, mais de statuer sur ce que nous faisons pour aider les communautés à atteindre l’égalité.
Quant aux outils, il serait extrêmement important de pouvoir démontrer qu’il s’agit d’une loi quasi constitutionnelle qui existe pour appuyer l’égalité de statut, l’usage du français et de l’anglais et le caractère réparateur. Si nous pouvons assurer le développement des communautés, le caractère réparateur fera en sorte que nous prenions les mesures positives pour y arriver.
La sénatrice Gagné : Ce qui signifie le règlement de la partie VII.
M. Théberge : Effectivement.
La sénatrice Gagné : Vous avez porté la décision du juge Gascon en appel en parlant des mesures positives. C’est dans le dossier qui impliquait la FFCB et qui porte sur l’interprétation de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. La ministre Joly a dit qu’elle vous encourageait à adopter une interprétation large de la partie VII. Quelle est la position du gouvernement devant la Cour d’appel fédérale? Les avocats du gouvernement n’ont-ils pas plaidé en faveur d’une interprétation restrictive en première instance?
M. Théberge : Effectivement. C’est une chose de dire qu’on favorise une interprétation très large du jugement, mais il s’agit tout de même d’un jugement exécutoire. Nous pouvons aller aussi loin que le jugement nous le permet. Comme vous le mentionniez, c’est le gouvernement fédéral qui est l’un des interlocuteurs dans ce dossier. Le jugement Gascon est une autre preuve qui démontre qu’on doit absolument moderniser la loi, et particulièrement la partie VII. La partie VII est au cœur du développement et de l’épanouissement des communautés, mais c’est une partie de la loi qui manque de précision. C’est un peu sur cela que le juge s’est basé. De fait, dans son jugement, le juge Gascon nous invite à interjeter appel, parce qu’il y a beaucoup trop d’ambiguïtés. Le terme « mesure positive » n’est pas défini. Que signifie le mot « épanouissement » à titre d’engagement de la part des gouvernements? Il faut des définitions. Il est important d’avoir un préambule qui vise l’égalité. Ensuite, il est important d’avoir des définitions pour les termes « mesure positive » et « épanouissement ». Par la suite, il faudra prévoir des directives, par exemple, pour indiquer ce qu’est une mesure positive. Dans le jugement, on indique que presque n’importe quoi peut représenter une mesure positive. Par exemple, si un ministère décide de mettre sur pied un comité pour étudier la question, c’est une mesure positive. Il faut donc des clarifications par rapport aux définitions.
Il est aussi important d’avoir une liste d’institutions qui doivent faire partie de la partie VII, des institutions qui ont un mandat, une mission spécifique. Par exemple, on compte beaucoup sur les données de Statistique Canada pour la mise en œuvre de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés en ce qui a trait aux écoles, pour déterminer, par exemple, selon le règlement, les endroits où on doit offrir des services en français ou en anglais. Il y a des institutions fédérales qui sont cruciales. On devrait en tenir compte.
Il devrait aussi y avoir un plan pangouvernemental pour assurer la pérennité des engagements du gouvernement fédéral envers les communautés de langue officielle. La partie VII est tout de même l’endroit où il faut élaborer un cadre réglementaire pour donner une bien meilleure orientation aux institutions fédérales.
Le président : Avant de céder la parole à la sénatrice Mégie, j’ai une sous-question. Dans votre rapport spécial au Parlement sur la modernisation, vous parlez de la question de la compatibilité entre la partie IV et la partie VII. Je cite un extrait de votre rapport :
En termes concrets, pour mettre ce principe en œuvre, la version modernisée du Règlement devrait chercher à :
favoriser une mise en œuvre holistique plutôt que compartimentée de la Loi, ce qui comprend une mise en œuvre cohérente et efficace des diverses parties de la Loi, particulièrement des parties IV, V et VII de la Loi.
Est-ce que ce principe devrait s’appliquer à l’ensemble des parties de la loi? Quel est votre point de vue?
M. Théberge : Effectivement, avec nos propositions, nous visons une mise en œuvre intégrale et cohérente de la loi. On ne peut pas avoir des incohérences entre la partie IV et la partie V et s’attendre à avoir des communications et la prestation des services dans les deux langues officielles. Il en est de même avec les parties IV, VII et III. Au cours des années, des modifications ont été apportées, des éléments ont été ajoutés à la loi sans tenir compte des autres parties de la loi. Les parlementaires doivent étudier toutes les parties de la loi pour voir comment elles peuvent s’intégrer les unes aux autres et proposer une approche cohérente. C’est clair. C’est un principe de base.
Le président : Est-ce que cela passerait par des mécanismes? Comment cela se ferait-il, d’après vous?
M. Théberge : Nous sommes à élaborer un ensemble de recommandations qui vont tenir compte des impacts des changements proposés sur les parties V, VI et VII. Il y a aussi l’impact sur la partie IX, qui traite des pouvoirs du commissaire. Il faut regarder tout cela ensemble.
Le président : Je vous remercie, monsieur le commissaire.
La sénatrice Mégie : Tout à l’heure, vous avez parlé de la robustesse de la loi grâce aux trois piliers que représente une loi actuelle, dynamique et robuste. D’après les témoignages que nous avons entendus, la loi n’aurait pas suffisamment de mordant, nécessiterait des sanctions, et ainsi de suite. Chacun y allait de son point de vue. Je croyais que, en ce qui a trait à la robustesse, un leader pouvait gérer tout cela. Or, je vois que vous avez proposé qu’il y ait deux instances : une qui s’occupe des parties IV, V et VI, et Patrimoine canadien, qui s’occuperait de la partie VII. Ai-je mal compris?
M. Théberge : Oui. Il s’agit de la situation actuelle. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous désirons une centralisation de la gouvernance.
La sénatrice Mégie : Parfait. Ce n’était pas clair pour moi. Merci.
M. Théberge : De rien.
Le sénateur Maltais : Monsieur Théberge, la gouvernance est un vrai capharnaüm. Nous avons trois ministres, trois groupes de fonctionnaires, trois groupes de sous-ministres, trois groupes de sous-ministres adjoints, trois directions générales, trois directions générales adjointes. À quel moment pensez-vous que votre lettre se rendra au ministre? Jamais. Est-ce que la seule vraie façon de faire bouger les choses pour les langues officielles, c’est qu’elle relève du Conseil privé, comme vous l’avez dit plus tôt dans votre introduction? Si c’est le cas, les directives provenant du Conseil privé s’adresseront à tous les ministères.
Le responsable, vis-à-vis la population, sera le président du Conseil privé, ou le premier ministre. C’est uniquement de cette manière que nous aboutirons à la mise en œuvre d’une Loi sur les langues officielles. Autrement, on rêve en couleur. On ne peut compter sur une règle punitive, car la partie rébarbative, c’est le gouvernement fédéral. Or, la reine ne s’impose pas elle-même une amende. Le seul moyen d’y arriver, c’est en comptant sur la force du Conseil privé qui doit envoyer des instructions très claires aux différents ministères.
Je le répète, si on veut que cette loi soit mise en œuvre, oublions la ministre responsable des Langues officielles, oublions le ministre du Patrimoine canadien, oublions le président du Conseil du Trésor. Cela ne fonctionne pas. Ces gens ne font que discuter et ne prennent aucune mesure précise. Je vous cède maintenant la parole.
M. Théberge : Durant l’ensemble de nos consultations auprès d’une cinquantaine de groupes à travers le pays, la question de la gouvernance a été fondamentale. Parmi les différentes suggestions qui ont été émises, le sujet d’un organe central est revenu sur la table à plusieurs reprises. Nous avons même mandaté M. Donald Savoie, un expert bien connu, pour qu’il nous fasse part de sa vision de la gouvernance dans la prochaine loi. Tout le monde s’entendait sur un organe central. Lequel? Il y avait tout de même des divisions. Nous y réfléchissons en ce moment et nous allons créer une recommandation à ce sujet. Il est clair que le Conseil privé a un certain pouvoir; cependant, si on recule en 2003, le ministre Dion était en place. Est-ce la bonne solution? C’est certainement une partie de la solution. Je crois que les parlementaires devront se pencher sérieusement sur cet aspect.
Le sénateur Maltais : Tant et aussi longtemps que les ministères ne seront pas redevables, ils vont considérer cela comme un encombrement. Pour certains ministères importants — qu’il s’agisse de celui qui est responsable d’Air Canada ou des différents aéroports, notamment —, ce n’est pas une préoccupation, mais alors pas du tout. Il faudra donner un coup de barre. Le ministre responsable de ces organismes devra répondre devant le Conseil privé. Les ministres n’aiment pas se faire disputer par le Conseil privé. Bien souvent, cela entraîne même une démission. Ainsi, ils vont s’assurer que les organismes qui relèvent de leurs compétences appliquent la Loi sur les langues officielles. S’il n’y a pas de pression, on n’arrivera à rien.
Au Québec, on a dû créer l’Office québécois de la langue française afin de faire respecter la loi. Encore là, Dieu sait que ce n’est pas encore parfait. Pourtant, le ministre délégué à l’Office québécois de la langue française relève du premier ministre. Ainsi, lorsque vous interviendrez, vous avertirez tout le monde, y compris le premier ministre. S’il n’y a pas de suite à vos recommandations, le premier ministre reprendra le flambeau. Je ne vois pas d’autres solutions. Nous avons entendu ici de très beaux vœux pieux, mais lorsque nous avons posé des questions sur la reddition de comptes, personne n’a pu nous répondre. Le président du Conseil du Trésor nous a dit à deux reprises qu’il n’avait pas la capacité de nous informer, car il s’agit de transferts globaux dans la péréquation, ainsi de suite.
À la fin, allons-nous tourner en rond éternellement ou allons-nous imposer un cran d’arrêt en disant que cette responsabilité relève du Conseil privé? Je ne vois pas d’autres solutions. Si vous connaissez d’autres solutions miraculeuses, n’hésitez pas à nous les faire découvrir. Depuis 15 ans...
Le président : Monsieur le sénateur, je vais être obligé de vous interrompre. Vous pourrez vous reprendre lors du deuxième tour, peut-être. Je vous remercie de votre question et de votre commentaire.
La sénatrice Moncion : Le 3 décembre dernier, vous avez rencontré la ministre Joly, je crois. Corrigez-moi si je me trompe.
M. Théberge : C’était au mois de novembre.
La sénatrice Moncion : D’accord. À la suite de cette rencontre, une lettre aurait été envoyée à tous les ministres pour leur rappeler l’importance d’utiliser une interprétation large des mesures positives — vous en parliez plus tôt —, considérant qu’il y a peu de définitions et d’encadrement autour des mesures positives, et pour leur rappeler l’existence du guide à l’intention des institutions fédérales sur la partie VII. Avez-vous reçu des nouvelles de la part des différents ministères en réponse à cette fameuse lettre?
M. Théberge : Non. On n’a rien reçu de la part des institutions fédérales suite à l’envoi de cette lettre. Il serait peut-être bon de faire le point. Le jugement Gascon n’empêche pas les institutions fédérales de prendre des mesures positives. Ceux et celles qui sont de bonne volonté peuvent aller de l’avant sans problème.
J’ai rencontré un groupe de hauts fonctionnaires et je leur ai demandé s’ils étaient au courant du jugement Gascon. Très peu d’entre eux connaissaient ce jugement. En principe, ce n’est pas considéré comme un empêchement de prendre des mesures positives. Par contre, si on travaille moins en amont, disons, on peut certainement contourner des mesures positives larges, et se limiter à des mesures positives qui sont très étroites en matière de définition.
En ce moment, ce jugement est en appel, et tant et aussi longtemps qu’il en est là, il fait acte de loi. Voilà pourquoi il est important d’interjeter appel. Je peux vous dire tout de suite comment cela fonctionnera. Peu importe qui gagne, le dossier se rendra en Cour suprême. L’échéancier sera très long, d’où l’importance, à mon avis, de se concentrer sur la modernisation de la loi qui, en termes d’échéancier, est beaucoup plus raisonnable. En tout cas, je l’espère.
La sénatrice Gagné : N’y a-t-il pas là une contradiction? D’une part, le gouvernement s’oppose devant les tribunaux à une interprétation large et libérale de la Loi sur les langues officielles; d’autre part, la ministre demande aux institutions fédérales de l’interpréter de façon large et libérale. N’y a-t-il pas une contradiction dans le système?
M. Théberge : Vous avez raison. C’est le gouvernement qui est devant les tribunaux et qui, effectivement, est en train de limiter les droits des francophones en Colombie-Britannique.
La sénatrice Moncion : Je croyais que vous auriez reçu de l’information de la part des différents ministères.
Maintenant, je vais vous parler de l’autoévaluation qui a été effectuée par les institutions fédérales. Elles avaient un questionnaire à remplir, je crois, afin de vous donner un peu de rétroaction sur le bilan des langues officielles dans les différents ministères. Il s’agissait d’une autoévaluation. Pouvez-vous nous donner de l’information sur cet exercice d’autoévaluation?
M. Théberge : Cela a été fait par l’intermédiaire du Conseil du Trésor. Nous recevons beaucoup de ces rapports qui, si je peux m’exprimer ainsi, sont de qualité inégale. À titre d’exemple, certains sont présentés sous forme de liste d’activités. Dans notre rapport annuel, nous avons relevé le fait que les outils d’évaluation ne sont pas à la hauteur. Nous devrons nous doter de nouveaux outils si nous voulons vraiment comprendre ce qui se passe au sein des institutions fédérales. Comme je l’ai mentionné plus tôt, en 2019, nous lancerons un nouvel outil qui s’appelle Le modèle de maturité dans les langues officielles. C’est un outil de diagnostic. Dans bon nombre d’institutions fédérales, on remplit ce rapport parce qu’on doit le faire. Ces rapports valent ce qu’ils valent.
La sénatrice Moncion : C’est ce à quoi je m’attendais comme réponse.
Le président : J’aimerais faire un commentaire avant de passer la parole au sénateur McIntyre.
Je ne savais pas qu’on appelait cela une autoévaluation. À la lecture de plusieurs de ces rapports, je constate qu’il y a un compte rendu des activités complétées qui sont liées à leurs obligations, mais qu’il n’y a pas beaucoup d’évaluation sur ce qui a été moins bien fait et sur ce qui aurait pu être mieux fait. Est-ce que je me trompe?
M. Théberge : Effectivement, j’appellerais cela un rapport d’activités : on a fait plusieurs activités, donc en voici le rapport. On ne mesure pas l’impact des interventions. Ce n’est pas réalisé en fonction des résultats. En fin de compte, cela devient une partie de la mécanique de l’appareil. Ce n’est pas cela qui va changer le comportement des institutions fédérales.
Le président : Merci.
La sénatrice Moncion : Ce sont tout de même des questionnaires préétablis.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Théberge, de votre présentation. En vous écoutant, il est plus important que jamais de moderniser la loi actuelle et d’avoir un bon règlement pour la soutenir afin de conserver nos acquis linguistiques. En parlant du règlement, les changements qui y sont apportés répondent-ils aux cinq principes énoncés dans votre rapport spécial au Parlement?
M. Théberge : La réponse courte est non. Comme je l’ai mentionné tantôt à la sénatrice Poirier, il y a trois éléments avec lesquels nous ne sommes pas d’accord. Premièrement, il y a encore la formule mathématique pour calculer là où le nombre est important, alors qu’on devrait viser un chiffre absolu. Ce chiffre peut changer facilement en raison des changements démographiques, d’immigration, et ainsi de suite.
Deuxièmement, le concept de vitalité est beaucoup trop étroit. Comme je le disais tantôt, il y a beaucoup de communautés qui n’ont pas encore d’école et, comme vous le savez, il est très difficile d’obtenir des écoles dans ces collectivités. Cela pénalise les communautés en émergence par rapport aux communautés déjà établies. Finalement, on ne devrait pas définir les services en fonction de la taille de la minorité par rapport à une majorité.
Le sénateur McIntyre : Ma prochaine question porte sur votre rapport annuel de 2017-2018. Ce rapport dresse un portrait du nombre de plaintes reçues. Il est vrai que le nombre de plaintes a diminué par rapport à l’an dernier. Par ailleurs, on remarque un nombre croissant de plaintes liées aux parties IV, V et VII et à l’article 91 de la loi. Comment expliquez-vous la hausse constante des plaintes liées à ces parties?
M. Théberge : Il y a plusieurs raisons, mais l’une des principales, c’est que les gens sont de plus en plus conscients de leurs droits et connaissent le mécanisme de plainte. De plus, il est important de mentionner que même s’il y a eu une légère baisse quant au nombre de plaintes, l’année précédente était une année record. Il y a 50 p. 100 des plaintes qui sont reliées au service public, que ce soit Air Canada, les aéroports, les services frontaliers ou autres. Ensuite, il y a beaucoup de plaintes liées à l’article 91. La classification des postes en termes de profil linguistique est très importante ici. Très souvent, on a tendance à sous-estimer les compétences linguistiques nécessaires à un poste.
Il y a beaucoup moins de plaintes liées à la partie VII que pour les autres parties, mais la croissance du nombre de plaintes est claire. Après une dizaine de mois en poste, je constate qu’il y a des plaintes systémiques qui traitent des mêmes institutions. Oui, certains respectent nos recommandations, mais cela ne change pas les comportements. Voilà le problème : les comportements ne changent pas parce qu’il n’y a pas de conséquences.
Le sénateur McIntyre : Je remarque que l’Agence des services frontaliers du Canada, Air Canada et le ministère de la Défense nationale font toujours partie des cinq institutions qui reçoivent le plus grand nombre de plaintes. Quels sont les obstacles auxquels ces institutions font face? Les modifications au règlement aideront-elles ces institutions à améliorer leur performance?
M. Théberge : Depuis les 27 dernières années, Air Canada est toujours en première, deuxième ou troisième place en matière du nombre de plaintes. Nous avons eu des rencontres avec Air Canada. Elle fait des efforts. Il y a des problèmes opérationnels de son côté. Une chose est claire : nous n’avons pas de pouvoir au-delà du pouvoir de recommandation.
Dans le rapport spécial sur Air Canada, nous parlions de certains mécanismes de conformité, que ce soit des sanctions pécuniaires, des ententes exécutoires, des transactions ou autre. Pour certains — pas pour la majorité —, il faut se donner les outils nécessaires pour être en mesure de faire un suivi.
Le sénateur Maltais : Puisque nous parlons d’Air Canada, elle est de mauvaise foi. Je vais vous donner un exemple. Vous le vérifierez. Cela fait trois ou quatre fois que je le vérifie.
Lorsque vous voyagez avec Air Canada pour un vol long-courrier, on vous offre un petit catalogue. Quand vous faites signe à l’agent de bord et que vous lui dites en français que vous voudriez commander tel article, il va chercher quelqu’un qui parle français. Cela prend 10 secondes, parce qu’il s’agit d’une vente. C’est de l’argent dans leurs poches. Mais lorsqu’on fait une annonce, c’est complètement en anglais.
Il m’est arrivé à quelques reprises, en revenant d’Europe, qu’Air Canada n’ait plus de place et qu’elle m’ait transféré à une autre compagnie aérienne comme Lufthansa. Air Canada ne parle qu’une langue, tandis que Lufthansa vous offre le service en allemand, en anglais et en français. Ses agents sont capables de le faire, mais pas ceux d’Air Canada. Je ne comprends pas. C’est de la mauvaise volonté. Vous avez beau rencontrer ses représentants et faire des plaintes, mais, comme vous le dites, vous n’avez pas de pouvoir punitif. Si vous aviez le pouvoir d’imposer une amende d’un million de dollars par jour jusqu’à ce qu’elle se conforme, elle trouverait des agents de bord bilingues très rapidement. Dans une semaine, il y en aurait d’un océan à l’autre. À l’heure actuelle, vous ne pouvez que déplorer la situation.
Le président : Aviez-vous une question?
Le sénateur Maltais : Pas du tout.
Le président : D’accord, je vous remercie. J’attendais, car je voulais être sûr.
Le sénateur Maltais : Je connais la réponse.
La sénatrice Moncion : J’aimerais que vous me parliez de pouvoirs additionnels, par exemple, des pouvoirs de sanction que pourrait avoir le commissaire aux langues officielles. Plusieurs l’ont proposé parmi les modifications à apporter à la Loi sur les langues officielles. J’aimerais vous entendre là-dessus.
M. Théberge : Dans nos consultations, la question des pouvoirs du commissaire est revenue à maintes reprises. Il est clair que, depuis mon entrée en fonction il y a une dizaine de mois, ma pensée a beaucoup évolué quant aux mécanismes de conformité. Comme je le disais tantôt, nous avons beaucoup de pouvoirs d’enquête et de « subpœna », mais ultimement, tout ce que nous avons, c’est un pouvoir de recommandation.
Dans l’étude qui portait sur Air Canada, certains mécanismes ont été cernés. Il y en a deux qui reviennent souvent. Le premier concerne les ententes exécutoires, c’est-à-dire des ententes de conformité négociées entre l’institution et le commissariat. Il y a un échéancier et un document légal qui mène à des conséquences. L’autre approche concerne les sanctions administratives pécuniaires (SAP). C’est revenu souvent, car il y a d’autres agents du Parlement qui utilisent les sanctions administratives pécuniaires pour différents types de violation. Ce que nous envisageons, c’est de créer un fonds de la dualité linguistique pour les communautés à la suite des sanctions qui seraient imposées. Il est clair que, dans plusieurs cas, le fait d’avoir la possibilité d’imposer une sanction permettra de changer des comportements. Quant à la citation à comparaître, Mme Saikaley me corrigera, mais je pense qu’on ne l’a jamais utilisé au cours des 50 dernières années. Nous avons souvent dit que nous voulions le faire, mais le simple fait de le mentionner nous permettait d’obtenir les documents et l’information dont nous avions besoin.
Le président : Monsieur le commissaire, pouvez-vous nous expliquer rapidement ce qu’est une citation à comparaître?
M. Théberge : C’est un pouvoir qui nous permet d’aller chercher de l’information de façon légale. Si quelqu’un ne veut pas la donner, on lui envoie la citation à comparaître et il n’a pas le choix de nous la donner. C’est un outil très précieux, même si on ne s’en sert pas. Il est clair que, lorsque je rencontre les représentants des institutions fédérales, leur approche est de gérer les risques. Si on dépose une plainte contre une institution et que la plainte est fondée, qu’arrive-t-il? Au lieu de travailler en amont pour faire en sorte que les langues officielles fassent partie de leur organisation et de leur planification, ils gèrent le risque. Je pense que si on ne se donne pas des mécanismes de conformité, on va continuer à vivre cette situation.
La sénatrice Moncion : Est-ce que vous voulez avoir des pouvoirs de sanction? Je sais que vous en avez quelques-uns, mais ce sont davantage des pouvoirs de persuasion à l’heure actuelle. Est-ce quelque chose que vous aimeriez qu’on inscrive dans la loi? Voudriez-vous la création d’un tribunal administratif afin d’entendre ces causes?
M. Théberge : Effectivement, on parle d’un tribunal administratif, et cette suggestion a été soulevée dans la plupart de nos consultations. Je ne suis pas contre l’idée d’un tribunal administratif, mais ça dépend de son type et de son fonctionnement. La Commission canadienne des droits de la personne a un tribunal administratif, et c’est un exemple qui est très pertinent, parce que c’est la commission qui transmet les cas au tribunal. Ce ne sont pas toutes les plaintes qui aboutissent devant le tribunal. Il y a des faits précis sur le type de plaintes qui sont transmises au tribunal. Souvent, ce sont des clarifications du point de droit. Aussi, la commission examine la complexité des cas et détermine s’il y a eu une enquête. Dans ce sens, ce serait un recours pour les plaignants qui serait beaucoup moins coûteux et beaucoup plus rapide que la Cour fédérale. Cela dit, il y a plusieurs modèles de tribunaux administratifs, et il reviendra aux parlementaires de décider du type de tribunal administratif qu’ils veulent établir. Ils établissent aussi les pouvoirs supplémentaires accordés au commissaire. C’est une décision qui ne relève pas de moi.
La sénatrice Moncion : Merci.
La sénatrice Poirier : Vous avez dit que vous aviez seulement le pouvoir de faire des recommandations. À qui faites-vous les recommandations qui concernent une organisation? Est-ce qu’elle a l’obligation de répondre à vos recommandations?
M. Théberge : De façon générale, nous adressons nos recommandations à l’administration générale de l’institution. Dans la majorité des cas, les obligations sont respectées. C’est seulement dans certains cas qu’on remet en question nos recommandations. Le problème, c’est qu’on respecte les recommandations, mais ça ne semble pas changer les comportements. Mme Saikaley a beaucoup plus d’expérience que moi en ce qui concerne les recommandations et leur mise en œuvre, mais je crois qu’elle serait d’accord pour dire qu’elles sont respectées, mais que très souvent...
La sénatrice Poirier : Elles sont vite oubliées.
M. Théberge : Oui.
Ghislaine Saikaley, commissaire adjointe, Direction générale de l’assurance de la conformité, Commissariat aux langues officielles : Nous faisons toujours des suivis de nos recommandations. Nous accordons toujours un certain temps afin que les institutions puissent mettre nos recommandations en œuvre. Habituellement, après un certain temps, nous faisons un suivi pour constater si les recommandations ont été mises en œuvre ou pas, et nous rédigeons un nouveau rapport. Si elles n’ont pas été mises en œuvre, à ce moment-là, le commissaire envoie un nouveau rapport en indiquant que les recommandations n’ont pas été mises en œuvre.
La sénatrice Poirier : Si ce n’est pas fait, est-ce que le rapport reste sur les tablettes?
Mme Saikaley : Ça peut arriver, effectivement, qu’elles ne soient pas mises en œuvre, mais comme M. Théberge l’a mentionné, c’est très rare. On constate que la plupart des institutions fédérales ont mis les recommandations en œuvre. Ensuite, le commissaire peut utiliser un autre de ses outils, il peut faire une vérification et prévoir d’autres interventions. Il pourrait éventuellement même aller en recours si c’était approprié.
La sénatrice Poirier : D’accord. Alors, vous mettez de la pression quant à vos recommandations, et c’est une bonne chose.
Mme Saikaley : Oui.
M. Théberge : Oui.
Le président : Alors, j’ai deux questions pour vous. J’aimerais vous ramener à la question du tribunal administratif, monsieur le commissaire. Vous parliez de la Commission canadienne des droits de la personne. Nos témoins nous disent que les travaux de cette commission sont très longs. Est-ce qu’il y a d’autres modèles? Il semble que c’est un modèle où les plaintes qui sont déposées prennent du temps à être entendues.
M. Théberge : Est-ce que vous parlez des plaintes qui sont déposées auprès de la commission ou des plaintes qui sont redirigées au tribunal?
Le président : Les deux, en fait. En ce qui a trait au tribunal administratif, quand on donnait l’exemple du tribunal des droits de la personne, les gens disaient que le processus était lent. Est-ce bien le cas? Si oui, est-ce qu’il y a d’autres modèles où le processus serait moins lent pour traiter les plaintes?
M. Théberge : Je n’ai pas d’exemples qui me viennent à l’esprit en ce moment, mais peut-être que Mme Giguère en a.
Pascale Giguère, avocate générale, Commissariat aux langues officielles : En fait, il y a beaucoup de tribunaux administratifs à l’échelon fédéral. Il y en a plusieurs qui sont un deuxième palier pour traiter des plaintes en matière de travail. Donc, il y a un tribunal administratif qui entend les plaintes après que les griefs ont passé toutes les étapes. Le Tribunal des droits de la personne est l’exemple qui nous ressemble le plus, parce qu’il y a une commission qui fait enquête sur les plaintes et, ensuite, un tribunal de deuxième palier a un pouvoir réparateur qui peut donner des dommages-intérêts et une panoplie d’autres réparations. C’est certainement l’exemple qui nous ressemble le plus, mais quant aux différents types de tribunaux administratifs à l’échelon fédéral, il y a plusieurs modèles.
Le président : D’accord.
M. Théberge : Ce qui est important lorsqu’on parle d’un tribunal administratif dans le cas du commissariat, c’est que ce n’est pas à nous de décider du type de tribunal administratif qui pourrait être établi. Cela revient aux parlementaires. On ne le voit pas d’un mauvais œil. Par contre, il faut que ce soit un tribunal qui fonctionne, car on ne veut pas créer de plus en plus de délais nécessairement. Aussi, il faut s’assurer que ce ne seront pas toutes les plaintes — on parle de 800 000 plaintes — qui seront transférées à un tribunal administratif, car cela n’apporterait pas beaucoup de changements. Le rôle d’un tribunal serait de trancher sur des points importants.
Le président : D’accord, merci.
Ma dernière question concerne vos rapports d’enquête. Si mes informations sont justes, au Nouveau-Brunswick, les rapports d’enquête du commissaire sont rendus publics. Qu’en pensez-vous? Quel est votre point de vue sur l’idée de rendre publics les rapports d’enquête du commissariat?
M. Théberge : Nous pouvons maintenant rendre publiques les recommandations liées à une enquête, et nous le faisons. On peut maintenant trouver des résumés d’enquêtes menées par le Commissariat aux langues officielles sur son site web. Lorsque les enquêtes sont rendues publiques, la relation avec les institutions fédérales change. À l’heure actuelle, nous notons une grande collaboration et beaucoup de coopération de la part des institutions fédérales. Si tout ce qu’elles nous fournissent est publié sur le site web, cela pourrait changer cette relation. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas quelque chose que l’on devrait faire, mais c’est une chose à laquelle on devrait sérieusement songer avant d’agir. Nous avons souvent discuté de ce sujet à l’interne pour déterminer quel type d’information nous devrions publier. Je ne sais pas s’il s’agit vraiment d’un incitatif pour les institutions fédérales, mais nous devons sérieusement y penser.
Le président : Cela ne rendrait-il pas les institutions fédérales plus responsables? Cela ne vous donnerait-il pas plus de force? Le fait que les rapports d’enquête soient publiés ne favoriserait-il pas un renforcement à la fois de vos pouvoirs, mais également de la reddition de comptes des institutions fédérales?
M. Théberge : Cela pourrait avoir un effet positif. Cela pourrait aussi tout simplement faire partie d’un calcul de la gestion de risque. Par exemple, si les rapports apparaissent automatiquement sur le site web, les institutions fédérales pourraient décider de gérer la question plus tard, puisqu’il n’y aurait pas vraiment de conséquences pour elles.
La difficulté vient du fait que personne n’est imputable. En 2003, il y avait un ministre responsable et, ensuite, il y a eu des sous-ministres responsables. Tant et aussi longtemps que cette responsabilité sera absente, selon moi, ce genre d’intervention ne nous mènera pas nécessairement très loin.
Le président : D’accord, merci.
Le sénateur Maltais : Vous avez parlé de sites web. Par hasard, auriez-vous l’intention de leur suggérer un élève de deuxième année qui pourrait le traduire en français? À l’heure actuelle, pour la version française, la langue utilisée n’est ni du français ni de l’anglais; il y a tellement de fautes que personne ne peut comprendre. Avez-vous examiné le site web du gouvernement et vu les appels d’offres? C’est une vraie catastrophe.
M. Théberge : Il est vrai que nous avons reçu plusieurs plaintes en ce qui a trait aux appels d’offres. Effectivement, l’outil Google Translate est parfois utilisé pour traduire les appels d’offres. Nous avons rencontré certains ministères afin qu’ils se penchent sur ce problème et qu’ils utilisent les ressources nécessaires pour obtenir de vraies traductions et qu’ils cessent d’effectuer des traductions à l’aide de Google Translate. Il arrive que des gens pensent bien faire en utilisant Google Translate, mais ils ne comprennent absolument pas ce qu’ils viennent de traduire puisqu’ils ne connaissent pas la langue française.
Le sénateur Maltais : Cela pourrait être traduit en latin et ils n’en auraient pas connaissance.
M. Théberge : Encore une fois, il s’agit d’une technologie qui n’est pas au point, qui est à la portée de tous, et qui ne donne pas les résultats escomptés.
Le président : Monsieur le commissaire, au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier, vous et vos collègues du Commissariat aux langues officielles, pour le travail que vous avez réalisé. Les discussions et le travail commun que nous pouvons accomplir dans le cadre de la modernisation de la loi sont extrêmement importants pour toutes les Canadiennes et tous les Canadiens. C’est un travail en continuité qui va se poursuivre, et nous vous remercions d’avoir été des nôtres aujourd’hui.
Sur ce, chers collègues, je vous souhaite une bonne semaine.
(La séance est levée.)