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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 2 - Témoignages du 9 mars 2016


OTTAWA, le mercredi 9 mars 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 39, pour étudier la question de la démence dans notre société.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie. Je viens de la Nouvelle-Écosse, et je suis président du comité. Je vais inviter mes collègues à se présenter, en commençant par les sénateurs assis à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Je m'appelle Art Eggleton. Je viens de Toronto, et je suis vice-président du comité.

La sénatrice Merchant : Bonjour. Je m'appelle Pana Merchant, et je viens de la Saskatchewan.

La sénatrice Raine : Je m'appelle Nancy Greene Raine, et je viens de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Frum : Je m'appelle Linda Frum, et je viens de l'Ontario.

La sénatrice Seidman : Je m'appelle Judith Seidman, et je viens de Montréal, au Québec.

Le président : Merci, chers collègues.

Nous commençons une nouvelle étude à laquelle nous travaillerons pendant un certain temps, et je vais tout simplement préciser, pour le compte rendu, sur quoi elle repose.

Le 23 février 2016, le Sénat a adopté un ordre de renvoi autorisant notre comité à examiner, pour en faire rapport, la question de la démence dans notre société, plus précisément dans le but que le comité examine les programmes et les services destinés aux personnes atteintes de démence, les lacunes qu'il faut corriger pour répondre aux besoins des patients et de leurs familles, ainsi que les incidences du vieillissement de la population sur la prestation future des services; que le comité examine les stratégies en matière de démence adoptées dans d'autres pays; que le comité se penche sur le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral pour aider les Canadiens atteints de démence; que le comité présente son rapport final au plus tard le 31 janvier 2017.

Aujourd'hui, le comité lancera l'étude en écoutant le témoignage du représentant de l'Agence de la santé publique du Canada et du représentant des Instituts de recherche en santé du Canada. Donc, sans plus tarder, je souhaite la bienvenue à nos deux témoins. Comme convenu, j'invite le Dr Yves Joanette, qui est directeur scientifique de l'Institut du vieillissement des IRSC et président du Conseil mondial de lutte contre la démence, à prendre la parole en premier. Il représente les Instituts de recherche en santé du Canada.

[Français]

Dr Yves Joanette, directeur scientifique de l'Institut du vieillissement des IRSC, président du Conseil mondial de lutte contre la démence, Instituts de recherche en santé du Canada : Je vous remercie de l'invitation à comparaître devant votre comité pour traiter de la question importante et cruciale de la démence. Je comprends que plusieurs membres du comité sont déjà au courant du travail que font les Instituts de recherche en santé du Canada, les IRSC. En tant que directeur scientifique de l'un des 13 instituts des IRSC, soit l'Institut du vieillissement, je suis très honoré de représenter les IRSC et de contribuer au travail essentiel du présent comité.

[Traduction]

J'aimerais d'abord vous parler de ce qu'on entend par démence. Je vais donner un bref aperçu de la démence et de ses causes. La démence est un état clinique caractérisé par une diminution lente et progressive de la mémoire et d'autres fonctions cognitives, accompagnée de changements de la personnalité et de l'humeur. C'est ce qu'on appelle un syndrome clinique, soit un ensemble de signes cliniques. La démence n'est pas une maladie en soi, mais plutôt la manifestation de maladies du cerveau progressant lentement.

La majorité des cas de démence — de 55 à 60 p. 100 — sont dus à la maladie d'Alzheimer, maladie qui cause la dégénération progressive des cellules du cerveau, c'est-à-dire une maladie neurodégénérative. Elle n'est cependant pas la seule maladie causant la démence; la plupart sont aussi associées à un certain degré à des maladies vasculaires.

On ne sait toujours pas ce qui provoque la démence. Seule une faible proportion est réellement héréditaire. Dans certains cas, la génétique fait partie du tableau, mais la cause réelle est probablement une multitude de facteurs interreliés encore à mettre en évidence. De plus, comme les maladies causant la démence commencent généralement à se développer de 20 à 25 ans avant l'apparition des premiers signes cliniques, il est extrêmement difficile de les arrêter dès le début, ou de créer un médicament ou une intervention capable de les freiner ou de les ralentir.

En fait, la démence est le problème de santé lié au vieillissement le plus craint par les jeunes adultes. Elle n'est pas rare : elle touche plus de 7 p. 100 des Canadiens de plus de 65 ans, et plus de 35 à 40 p. 100 de ceux de 85 ans, ce qui fait de l'âge le principal facteur de risque de démence.

Ce qui est marquant, c'est que la démence est beaucoup plus fréquente chez la femme que chez l'homme, et cette différence n'est pas seulement due à l'espérance de vie puisque 70 p. 100 des personnes atteintes sont des femmes, de même que 80 p. 100 de leurs aidants.

Le nombre de personnes atteintes de démence connaît une croissance explosive. De 2011 à 2031, le nombre de Canadiens atteints doublera. Dans le monde, la prévalence de la démence est actuellement estimée à 45 millions de personnes, et un nouveau cas est diagnostiqué toutes les trois secondes environ. Cela signifie qu'il y a aura plus de 75 millions de personnes atteintes de démence en 2030, et plus de 135 millions en 2050.

[Français]

Que font les IRSC pour s'attaquer à la démence? Comme vous le savez, les IRSC représentent l'organisme de financement fédéral qui appuie l'excellence dans toutes les dimensions de la recherche en santé, notamment la recherche biomédicale fondamentale, la santé des populations et les aspects sociaux. Ils sont composés de 13 instituts qui appuient chacun leurs propres initiatives afin de cibler des questions relatives à la santé.

En tant que directeur scientifique de l'Institut du vieillissement, je suis fier de vous dire que nous travaillons fort pour appuyer la recherche sur une multitude de troubles associés au vieillissement, y compris la démence, et pour faire la promotion du vieillissement en santé. Au cours des cinq dernières années, les IRSC ont investi plus de 180 millions de dollars en recherche sur la démence, y compris plus de 41 millions de dollars en 2014-2015 seulement.

Ce financement appuie la recherche qui génère des retombées pour les Canadiens — par exemple, sur le diagnostic —, tant pour les personnes atteintes que pour les aidants. Les Drs Nasreddine et Chertkow, de Montréal, ont introduit un test d'évaluation cognitive, le Montreal Cognitive Assessment (MoCA). Cet outil permet aux cliniciens de diagnostiquer des formes de troubles cognitifs encore plus légères qu'auparavant, et fait passer le temps d'évaluation de plus d'une heure à environ 10 minutes. Accessible gratuitement sur le Web en plus de 40 langues, le MoCA est utilisé dans plus de 100 pays. Il améliore les systèmes de soins de santé partout dans le monde et apporte une reconnaissance internationale à la recherche canadienne.

La Dre Keefe, de Halifax, s'est intéressée aux besoins parfois négligés des aidants familiaux ou des proches qui aident les personnes atteintes de démence. Elle a codirigé la création de l'AIDE-PROCHES, un questionnaire psychosocial qui permet de déterminer les besoins complexes des aidants familiaux et des personnes à risque. L'AIDE- PROCHES a aidé à influencer l'élaboration de politiques et de programmes de soutien aux aidants.

[Traduction]

En plus de fournir du financement aux chercheurs qui leur présentent des idées novatrices, les IRSC offrent une vision visant à relever ce défi mondial. La Stratégie de recherche sur la démence correspond au volet de recherche du Plan national de recherche et de prévention concernant la démence annoncé par le gouvernement du Canada en septembre 2014.

La stratégie vise à accroître la collaboration entre les chercheurs, les universités et les centres de recherche, et à promouvoir le partage de plateformes de recherche et la dissémination des résultats au public, aux cliniciens, et aux décideurs. Elle a pour but de fournir des données de recherche dans trois domaines clés : la prévention de la maladie, le ralentissement ou l'arrêt de la progression de la maladie et l'amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de démence et de leurs aidants.

La stratégie comprend deux éléments complémentaires. Le premier est national. Il s'agit du Consortium canadien en neurodégénérescence associée au vieillissement, lancé le 10 septembre 2014. Il rassemble plus de 350 chercheurs canadiens dans les domaines de recherche que je viens de mentionner. En cinq ans, les IRSC et leurs 14 partenaires investiront environ 32 millions de dollars dans ce consortium.

Le CCNV donne aux chercheurs la possibilité de travailler en collaboration sur des questions importantes comme la génétique des maladies du cerveau causant la démence, l'influence de la stimulation cognitive sur le moment de l'apparition de la démence ou sa progression, les questions sur la démence propres aux populations autochtones et même des questions très pratiques comme la conduite automobile chez les personnes atteintes de démence.

Huit plateformes de recherche seront accessibles aux chercheurs d'un bout à l'autre du pays, y compris une première banque de cerveaux harmonisée et une cohorte de volontaires atteints de démence afin de faciliter la tenue d'essais cliniques et d'accélérer l'essai de médicaments potentiels pour ralentir ou arrêter la progression de la maladie.

Le consortium s'intéresse aussi à plusieurs thèmes transversaux, dont le plus unique est le Programme sur les femmes, le genre, le sexe et la démence, qui garantit que les recherches faites par le Consortium, de la génétique aux aspects sociaux de la démence, tiennent compte de la dimension du sexe et du genre. Nous devons comprendre pourquoi les femmes sont plus vulnérables à la démence que les hommes.

Le consortium joue aussi un rôle important dans la communication des données de recherche au public, aux cliniciens et aux responsables des politiques.

Monsieur le président, j'ai apporté au comité une petite carte postale dans les deux langues officielles qui donne un aperçu de ce consortium unique.

Ce type de recherche est important pour les Canadiens. Par exemple, la capacité à parcourir de longues distances est un enjeu de taille au Canada. Les gens des communautés rurales et éloignées subissent des retards supplémentaires dans le diagnostic de la démence; ils ont parfois besoin de plus d'un an pour gérer l'ensemble des recommandations et des rendez-vous, souvent à distance.

En réaction à ces problèmes réels, la Dre Debra Morgan et son équipe ont fondé à Saskatoon la Clinique de la mémoire en région rurale et éloignée, guichet unique où les patients peuvent subir différents tests et consulter des experts sur la démence le même jour, puis obtenir un diagnostic et un plan de traitement avant de retourner à la maison. Plus de 400 patients y ont été traités, et près de 1 000 membres de la famille ont reçu des services de soutien. Grâce au CCNV, la Dre Morgan et son équipe approfondiront la question des soins de la démence pour les populations rurales et autochtones.

Mais tout cela ne suffit pas. La démence est un énorme enjeu mondial. L'Organisation mondiale de la santé reconnaît qu'il s'agit du défi de santé publique mondial le plus important. Le Conseil mondial de lutte contre la démence a aussi indiqué très clairement qu'un effort mondial de recherche concertée est nécessaire, car aucun pays ne pourra percer le code et résoudre le casse-tête de la démence seul.

C'est là qu'entre en jeu la deuxième composante de notre stratégie de recherche, soit la participation à des programmes internationaux de recherche concertée qui rapprochent les chercheurs canadiens et leurs collègues du monde entier. Nous avons investi dans des programmes avec la Chine, ainsi que dans une initiative mondiale avec les États-Unis. Mais un des programmes conjoints internationaux les plus impressionnants a commencé en Europe.

Le programme conjoint de l'Union européenne sur les maladies neurodégénératives, ou JPND, est la plus vaste initiative de recherche mondiale aidant des équipes multinationales à s'attaquer au défi des maladies neurodégénératives, comme l'Alzheimer. Il réunit actuellement 30 pays, majoritairement en Europe. Grâce aux IRSC, le Canada a été le premier pays non européen à devenir membre à part entière de l'initiative, ce qui a récemment inspiré l'Australie à faire de même.

Dans le cadre d'une initiative financée par le JPND, le Dr Judes Poirier, de l'Université McGill à Montréal, travaille avec des chercheurs suédois, danois, finlandais, français et allemands pour améliorer la façon dont les tests de biomarqueurs actuels sont effectués pour le dépistage précoce des maladies d'Alzheimer et de Parkinson, pour créer de nouveaux tests et pour trouver de meilleurs biomarqueurs.

Ces recherches fondamentales auront une énorme incidence sur la recherche clinique et la mise au point de nouveaux candidats-médicaments pour les maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer.

[Français]

En conclusion, comme vous pouvez le constater, les IRSC appuient la recherche porteuse sur la démence et mènent les efforts de recherche nationaux et internationaux. Nous sommes très fiers de la contribution des chercheurs canadiens, ici et à l'étranger.

Une approche mondiale est essentielle, et je ne saurais trop insister sur le fait que le problème, le défi est mondial. À cet égard, j'ai récemment été élu président du Conseil mondial de lutte contre la démence, qui a pour objet d'accélérer l'identification de médicaments ou autres interventions pour ceux qui vivent avec la démence, d'accroître le recours aux mégadonnées à accès ouvert en recherche, de trouver de nouvelles sources de financement pour l'innovation, d'assurer le partage entre pays des meilleures pratiques en soins adaptés et d'accélérer les stratégies de réduction de risques.

[Traduction]

Regardons la situation sous un autre angle. Selon Alzheimer's Disease International, si le fardeau mondial des soins de la maladie d'Alzheimer était un pays, son économie serait évaluée à plus de 800 millions de dollars — à vrai dire, 1 milliard en 2018 —, ce qui en ferait la 18e puissance économique au monde. Les problèmes liés à cette maladie sont plus grands que chacun de nous. Nous travaillons ensemble, car nous ne pouvons pas y arriver seuls.

Monsieur le président, merci encore de m'avoir donné l'occasion de vous présenter notre travail, et je répondrai à vos questions avec plaisir.

Le président : Merci, docteur Joanette.

Je vais maintenant donner la parole à Rodney Ghali, qui est directeur général du Centre de prévention des maladies chroniques de l'Agence de la santé publique du Canada.

Rodney Ghali, directeur général, Centre de prévention des maladies chroniques, Agence de la santé publique du Canada : Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole devant vous pour discuter de la démence. Comme vous le savez, il s'agit d'un enjeu de santé complexe et déterminant qui est très important pour tous les Canadiens.

[Français]

Compte tenu de son importance, nous avons été heureux d'apprendre que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie entreprendra une étude sur la question de la démence dans la société canadienne.

[Traduction]

Au Canada, les aînés forment la tranche d'âge qui augmente le plus rapidement, ce qui modifie de manière importante la démographie de la population. Or, à mesure que la population vieillit, la proportion de personnes atteintes de démence s'accroît aussi. De fait, selon les plus récentes données de l'Agence de la santé publique du Canada, on prévoit que le nombre de Canadiens âgés de 40 ans et plus qui vivent avec la maladie d'Alzheimer ou d'autres formes de démence passera d'environ 395 000 en 2016 à 674 000 en 2031.

Il est important de souligner que si l'âge est le principal facteur de risque de la maladie d'Alzheimer, la démence n'est toutefois pas une conséquence naturelle du vieillissement. De plus, bien que plus sporadiquement, une forme précoce de la démence a été diagnostiquée chez des Canadiens qui sont dans la trentaine, la quarantaine ou la cinquantaine. La démence est un état de santé ayant d'importantes répercussions sociales et économiques. Ses effets ont une vaste portée et une incidence considérable sur les personnes qui vivent avec cette maladie, leurs familles et leurs aides-soignants.

Vu le nombre grandissant de personnes atteintes de démence, la société devra prendre en compte les besoins à long terme des personnes touchées et de leurs cercles de soins. Les personnes souffrant de démence ont tendance à nécessiter des niveaux croissants de soins, et pour répondre à ces besoins croissants, les familles, les amis et les voisins investissent environ 74 heures par semaine en soins informels offerts aux personnes touchées.

Les soignants qui s'occupent de personnes atteintes de maladies neurologiques comme la démence, comparativement à d'autres maladies, tendent à s'investir davantage auprès de ces personnes et sont deux fois plus à risque de souffrir de détresse. Sur le plan économique, on estime qu'en 2011 la maladie d'Alzheimer ainsi que d'autres démences ont coûté à l'économie canadienne environ 8,3 milliards de dollars, et ce, uniquement en coûts directs. D'ici 2031, on prévoit que les coûts directs de la démence pour le secteur de la santé s'élèveront à 16,6 milliards de dollars par an.

Compte tenu de ces nouvelles tendances des dernières années, on a accordé une attention croissante, au Canada comme à l'étranger, à la meilleure façon de relever ce défi de santé publique grandissant et de réduire le fardeau de la maladie pour les personnes atteintes de démence, leurs familles et leurs aides-soignants.

Le gouvernement du Canada a fortement contribué aux efforts nationaux et internationaux visant à améliorer l'efficacité du traitement de la démence et sa prévention, guidé par le Plan national de recherche et de prévention concernant la démence, dont mon collègue vient tout juste de parler. Déployé en 2014, ce plan a jeté les bases des travaux effectués par le gouvernement en collaboration avec d'autres intervenants gouvernementaux afin que la question de la lutte contre la démence devienne une priorité de santé publique. L'un des piliers centraux du plan est un investissement substantiel dans la recherche coopérative, dont le Dr Joanette a déjà fait le survol.

Sur le plan international, le Canada a participé en décembre 2013 au Sommet du G8 sur la démence, qui a eu lieu à Londres, en Angleterre. Lors de ce sommet, qui visait à accroître la collaboration internationale pour contrer le problème mondial croissant de la démence, le Canada a uni ses forces avec celles de ses homologues du G8 — maintenant le G7 — et adopté une déclaration ayant comme objectif ambitieux de trouver un remède à la démence ou un traitement modificateur de la maladie d'ici 2025.

Les engagements pris lors du Sommet ont été renforcés à la première conférence ministérielle de l'OMS sur l'action mondiale contre la démence qui s'est déroulée à Genève, en Suisse, en mars 2015. Le Canada est l'un des 80 pays à avoir adopté un appel à l'action pour faire progresser les efforts de lutte contre la démence et faire de cet enjeu une priorité dans le cadre des programmes nationaux et internationaux. Plus tard ce printemps, notre gouvernement coparrainera avec la Suisse un événement parallèle sur la maladie d'Alzheimer et d'autres démences apparentées qui se tiendra le premier jour de la 69e Assemblée mondiale de la Santé, à Genève. Cet événement parallèle se présentera sous la forme d'une table ronde portant sur les possibilités d'élaborer une action concertée et unifiée à l'échelle internationale en vue d'optimiser notre impact sur ce problème de santé publique.

Ici au Canada, les activités de l'Agence de la santé publique relativement à la démence se concentrent dans trois domaines principaux : premièrement, la surveillance et le suivi de la maladie; deuxièmement, l'établissement de partenariats novateurs afin d'améliorer la qualité de vie; troisièmement, la sensibilisation à la maladie et la réduction de la stigmatisation.

Les traitements et les soins contre la démence, comme la plupart des services de santé directs, relèvent principalement de la compétence des provinces et des territoires. Nous espérons renforcer notre collaboration fédérale, provinciale et territoriale sur la question de la démence grâce à l'établissement de priorités communes en matière de santé et à des possibilités d'amélioration dans des domaines comme les soins à domicile.

Une part importante de notre contribution fédérale en vue d'aborder la question de la démence a été de mieux comprendre les maladies neurologiques — dont la démence —, leurs incidences sur les Canadiens, leurs facteurs de risque ainsi que l'utilisation des services communautaires et de soins de santé. Le gouvernement a investi 50 millions de dollars dans une étude nationale de la santé des populations relative aux maladies neurologiques qui a été réalisée sur quatre ans et dirigée par l'agence et les Organismes caritatifs neurologiques du Canada.

Comme legs de cette étude, nous travaillons avec les provinces et les territoires en vue d'établir une surveillance continue de la démence ainsi que de trois autres troubles neurologiques — l'épilepsie, la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson — au moyen du Système national de surveillance des maladies chroniques, qui existe déjà. Ce système nous permettra de suivre les tendances à long terme des troubles neurologiques au sein de la population canadienne. L'analyse des taux de démence au fil du temps et la présentation de rapports à cet égard nous renseignent sur le rendement de nos efforts collectifs visant à réduire la prévalence de la démence de même que sur les pressions et les exigences continues à l'endroit de nos systèmes que nous devons gérer. L'Agence de la santé publique joue un rôle de premier plan dans la présentation de rapports sur ces tendances d'une administration canadienne à l'autre, et nous comptons commencer à produire des rapports annuels dès le printemps 2017.

Les recherches montrent que la démence a de nombreux facteurs de risque en commun avec d'autres maladies chroniques telles que le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires. À l'Agence de la santé publique, nous investissons dans des approches novatrices et de nouveaux partenariats afin d'atténuer les répercussions qu'ont ces facteurs de risque communs sur les maladies chroniques, et nous évaluons actuellement la possibilité de conjuguer ces efforts dans le but de s'attaquer à certaines formes de démence.

[Français]

Comme il n'y a pas de cure, nous reconnaissons la nécessité de mettre en place des approches novatrices et du soutien pour améliorer la qualité de vie des Canadiens aux prises avec la démence et celle de leurs soignants. Une part importante de cela consiste à combattre les préjugés et les idées préconçues sur ce à quoi ressemble la vie avec la démence ou la prestation de soins à une personne atteinte de démence.

En comprenant mieux l'impact de la démence chez les gens dès ses premiers stades, ainsi que les facteurs de risque potentiel, nous pourrons mieux appuyer les personnes touchées par la démence en maintenant leur indépendance et leur qualité de vie.

[Traduction]

En juin 2015, le programme Amis de la santé cognitive a été lancé en collaboration avec la Société Alzheimer du Canada. Inspirée de programmes similaires au Japon et au Royaume-Uni, cette initiative nationale sur support numérique invite les Canadiens à comprendre ce qu'est la démence et la manière de soutenir les personnes touchées. En mettant l'accent sur l'utilisation des médias sociaux et d'autres médias numériques, nous pouvons joindre les Canadiens là où ils vivent et travaillent et amorcer une conversation importante qui aidera la population canadienne à mieux comprendre ce que cela signifie d'être atteint de démence et les mesures pouvant être adoptées pour aider ceux qui vivent avec cette maladie à se sentir connectés et appuyés au sein de leur collectivité. J'invite toutes les personnes ici présentes à visiter le site web des Amis de la santé cognitive à www.dementiafriends.ca\fr et à vous y inscrire pour devenir un ami de la santé cognitive. J'ai le plaisir de vous annoncer que le programme compte désormais plus de 17 000 amis de la santé cognitive et que nous travaillons fort, en collaboration avec la Société Alzheimer du Canada, pour atteindre notre objectif d'un million d'amis d'ici la fin de 2017.

Notre gouvernement s'est démarqué par sa capacité de reconnaître que les problèmes de santé complexes, tels que la démence, ne peuvent pas être traités efficacement sans une collaboration ou des partenariats entre de multiples secteurs. À cet égard, par l'entremise de l'Agence de la santé publique du Canada, nous investissons dans les innovations technologiques en ce qui concerne la démence à titre de partenaire de plateforme du Centre canadien d'innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement. Les innovations dans le secteur des applications et des dispositifs technologiques sur la santé du cerveau offrent de formidables perspectives pour favoriser la capacité des personnes de vieillir dans l'environnement de leur choix, tout en maintenant leur bien-être et leur indépendance le plus longtemps possible. Nous accordons un investissement de 42 millions de dollars sur cinq ans, à partir de cette année, à Baycrest Health Sciences, qui est situé à Toronto. C'est un chef de file mondial dans les soins gériatriques et la recherche, l'innovation et la sensibilisation sur la santé du cerveau. Le gouvernement du Canada est le plus important de la quarantaine de partenaires dans les secteurs public, commercial, universitaire et sans but lucratif qui contribuent à cette initiative. Le financement fourni par les partenaires de plateforme, parmi lesquels figurent, outre l'Agence de la santé publique du Canada, la Fondation Baycrest et le gouvernement de l'Ontario, soutiendra la création, l'essai et la mise à l'échelle de produits et de services destinés à appuyer la santé cérébrale et le vieillissement, en particulier la démence. Une fois entièrement opérationnel, le centre devrait être continuellement engagé dans une dizaine à une quinzaine de projets. Parmi ces projets, citons par exemple des innovations telles que Cogniciti, un outil en ligne validé permettant d'évaluer la santé cognitive et la mémoire; The Virtual Brain, un modèle informatique intégré destiné à l'essai de traitements cérébraux expérimentaux, et le projet de télésoins gériatriques à domicile, qui utilise la technologie en vue d'améliorer l'accès aux services gériatriques pour les aînés confinés à leur domicile. Ces projets présentent une occasion unique de transformer les résultats de la recherche fondamentale en des outils pratiques et utiles testés dans des situations réelles pour améliorer le diagnostic de la maladie et la qualité de vie des personnes atteintes.

[Français]

Nous sommes d'avis que ces investissements et ces initiatives s'appuient sur les engagements pris dans le Plan national de recherche et de prévention concernant la démence. Toutefois, il existe encore de nombreux facteurs que nous ne comprenons pas au sujet des causes, des facteurs de risque et des méthodes efficaces de prévention et de traitement.

[Traduction]

Le double objectif du gouvernement fédéral à l'égard de la recherche sur la démence et de la prévention est essentiel pour améliorer les soins et le bien-être des Canadiens, car il vise à comprendre comment potentiellement retarder les premières manifestations de la démence grâce à un mode de vie sain et à améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de démence et de leurs aidants.

Avant de conclure, je souhaiterais remercier le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie qui se penche sur la question de la démence dans notre société. Nous sommes fiers des stratégies et des investissements que je vous ai exposés aujourd'hui. Bien que nous ayons fait des percées pour surmonter les défis que présente la démence, nous aurons besoin de temps et des efforts concertés de tous les secteurs pour être témoins de progrès notables.

Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci beaucoup aux deux témoins. Nous sommes heureux d'accueillir de nouveau vos organisations devant notre comité. Nous avons souvent eu l'occasion de vous accueillir au fil du temps dans le cadre de bon nombre d'études. Nous vous remercions énormément d'être ici et de nous servir de point de départ dans ce domaine. Je cède maintenant la parole à mes collègues qui aimeraient vous poser des questions.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup aux deux témoins de leur présence. Je crois qu'il était particulièrement approprié dans votre cas, docteur Joanette, en votre qualité de président du Conseil mondial de lutte contre la démence, d'être le premier témoin à prendre la parole. Je vous félicite de votre récente nomination. Je crois que nous partageons vos préoccupations en ce qui a trait au traitement de cette question, en particulier étant donné que le nombre de cas augmente très rapidement à mesure que la population vieillit.

Comme vous le savez peut-être, le comité vient de terminer une étude sur l'obésité. Un article du Guardian a été porté à mon attention. Cet article remonte à environ trois ans, mais les auteurs avancent qu'il existe un lien étroit entre les mauvaises habitudes alimentaires, la pauvreté et la démence. Ils ajoutent que beaucoup de données indiquent maintenant que la maladie d'Alzheimer est principalement une maladie métabolique. Certains scientifiques sont même allés jusqu'à renommer cette maladie le diabète de type 3.

L'article explique en détail ce lien et mentionne que le lien entre la maladie d'Alzheimer et le diabète de type 2 est prouvé depuis longtemps. Les personnes atteintes de diabète de type 2 sont de deux à trois fois plus susceptibles d'être atteintes de cette forme de démence que la population en général.

Les auteurs concluent en affirmant qu'il reste encore beaucoup de recherches à faire, mais que la maladie d'Alzheimer, si les présentes indications se confirment, pourrait être un autre effet catastrophique de l'industrie de la malbouffe et que ce serait le pire effet découvert jusqu'à présent. Cependant, l'article conclut en précisant que nous ne pouvons pas encore affirmer sans l'ombre d'un doute que les mauvaises habitudes alimentaires sont la principale cause de la maladie d'Alzheimer, mais nous pouvons dire que les données scientifiques sont solides et que les preuves s'accumulent. S'il y a un cas où s'impose le principe de précaution, c'est bien celui-là.

Cet article date de trois ans. Quelles sont les dernières nouvelles au sujet de ce lien?

Dr Joanette : Je vous remercie d'avoir mentionné que c'est une gamme de facteurs complexes qui déclenchent la suite d'événements dans le cerveau qui entraînent cette maladie neurodégénérative. Les facteurs de cette suite d'événements ne sont pas clairement déterminés. Évidemment, ce que vous avez mentionné est certainement un facteur important sur lequel il faut nous pencher. Il y a aussi les inflammations bénignes et les maladies vasculaires, même si elles sont contrôlées dans un cadre clinique, mais il ne faut évidemment pas oublier la sensibilité ou la prédisposition génétique.

Si vous prenez tous ces facteurs, le problème est que le facteur déclencheur et le rôle exact de chaque facteur ne sont pas bien connus. Comme je l'ai mentionné, ce qui complique les choses, c'est que cette suite d'événements ne commence pas le jour même du diagnostic; cela commence 20 ou 25 ans plus tôt dans le cerveau. Si une personne reçoit un diagnostic de démence à 65 ans, cela signifie que sa maladie a commencé dans son cerveau lorsqu'elle était dans la quarantaine. Nous pouvons le voir, et des recherches spéciales ont recours à l'imagerie cérébrale. Nous pouvons commencer à voir les dommages progresser, mais la combinaison exacte de tous ces facteurs qui déclenchent cette suite d'événements n'est pas encore comprise. Le diabète compte certainement parmi les facteurs présumés.

Le sénateur Eggleton : Les équipes de recherches dont vous avez parlé dans votre exposé se penchent-elles sur le lien entre la malbouffe et la maladie d'Alzheimer?

Dr Joanette : Exactement. La raison pour laquelle nous n'avons pas tout simplement soutenu en vase clos la recherche sur le diabète et la démence et les maladies vasculaires et la démence et que nous avons créé le consortium canadien, c'était pour faire le pont entre tous ces chercheurs.

Au sein du consortium canadien, une équipe travaille sur la nutrition, le diabète et la démence, mais elle échange avec les autres. Le rôle du consortium est de créer une synergie novatrice avec tous les autres. Pour la première fois, tous ces chercheurs se parlent entre eux; nous pourrons ainsi avoir une vue d'ensemble.

Le sénateur Eggleton : Est-ce quelque chose qui a découlé de la déclaration du G7 ou du G8? Cela a-t-il mené à la collaboration, ou cette collaboration est-elle le fruit de votre travail?

Dr Joanette : À titre de dirigeants de la stratégie de recherche sur la démence des IRSC, Dr Phillips de Vancouver, moi-même et nos équipes avons senti que nous devions soutenir une approche axée sur la collaboration ici au Canada. C'était extrêmement opportun, compte tenu de la recommandation du G8 ou du G7 et de la création du Conseil mondial de lutte contre la démence.

En effet, le consortium canadien est maintenant considéré par d'autres pays comme l'exemple à suivre. Par exemple, le Royaume-Uni se prépare à investir une somme considérable, soit 150 millions de livres sterling, pour créer un institut de recherche sur la démence, et les autorités songent à regarder du côté du modèle canadien.

Le sénateur Eggleton : Monsieur Ghali, vous avez mentionné certains aspects que fait l'Agence de la santé publique : la surveillance, la supervision, la poursuite de partenariats novateurs, l'amélioration de la qualité de vie, et cetera. Vous avez ajouté que le traitement et les soins de la démence relèvent des provinces, mais vous avez également parlé des soins à domicile et des soins pour les proches des personnes atteintes de démence. Qu'est-ce que l'Agence de la santé publique peut faire en la matière? Il y a beaucoup de proches très inquiets qui sont rongés par le stress et l'anxiété et qui ont besoin d'un répit. Qu'est-ce que l'Agence de la santé publique peut faire en ce qui concerne ces aidants naturels?

M. Ghali : Vous soulevez une importante question. Comme je l'ai souligné dans mon exposé, je crois que le réseau des aidants naturels est solide au Canada et prend de l'ampleur.

Étant donné que nous constatons une augmentation des cas de démence, c'est quelque chose dont les gouvernements provinciaux et fédéral et l'ensemble de la société devront être très conscients. Si nous pensons à certains investissements que nous avons faits, notamment dans le programme Amis de la santé cognitive, c'est un premier pas dans la bonne direction en vue de sensibiliser tous les Canadiens et de leur permettre de comprendre ce qu'est la démence et ce que nous pouvons faire pour aider les gens atteints de démence et les personnes qui en prennent soin, c'est-à-dire les petits gestes que nous pouvons faire. La communication des renseignements les plus fondamentaux est une étape importante que nous considérons au sein de l'agence comme primordiale à notre rôle.

À mesure que nous commençons à sortir de ce cercle, nous pouvons examiner nos investissements concernant notamment la mise sur pied du Centre canadien d'innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement qui examine la manière dont nous pouvons commencer à tirer profit de la technologie et des partenariats pour également commencer à appuyer les aidants naturels. Certains exemples dont j'ai parlé commencent à tirer profit de la notion et à essayer de créer des communautés, comme le modèle de Télésanté, en vue d'aider les aidants naturels dans leur milieu. Cela leur permettra de communiquer avec d'autres et avec des professionnels de la santé en adoptant une approche différente quant à la prestation des soins.

Nous considérons ces investissements comme importants, et c'est nécessaire dans le milieu complexe dans lequel nous vivons.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup aux deux témoins.

J'essaie de comprendre le rôle du gouvernement fédéral, parce qu'il est évidemment question de la santé et que c'est un domaine complexe en raison de la séparation des pouvoirs. J'aimerais essayer d'examiner le rôle que le gouvernement fédéral peut jouer en la matière, et j'aimerais avoir des précisions concernant deux ou trois choses. Nous avons de nombreux aspects différents dans l'ensemble, et vous avez dressé la liste d'un grand nombre de programmes, qui sont majoritairement des recherches, si je vous ai bien compris, mais il y a beaucoup de programmes. Vous avez tous les deux parlé de la nécessité de la collaboration aux échelles internationale et nationale. J'essaie donc de comprendre tous ces éléments, leur place et en particulier la façon dont ils se rapportent au gouvernement fédéral.

Par exemple, le Plan national de recherche et de prévention concernant la démence a été mis sur pied en 2014 par la ministre de la Santé. Il concerne une très vaste base de financement pour divers types de recherche. Par ailleurs, beaucoup de groupes d'intervenants demandent une stratégie nationale sur la démence au Canada.

Si je tiens compte de tout cela, à savoir les demandes concernant une stratégie nationale sur la démence, ce qui a été annoncé en 2014 en ce qui concerne le Plan national de recherche et de prévention concernant la démence et le rôle que joue le Canada sur les scènes nationale et internationale, comment pouvons-nous tirer profit de toutes ces mesures? Diriez-vous qu'une stratégie nationale sur la démence aurait des effets positifs sur ce que nous essayons d'accomplir dans ce domaine? Dans l'affirmative, comment renforceriez-vous ce que nous avons actuellement? Je sais qu'il s'agit d'une question difficile à répondre, mais nous aimerions vous entendre à ce sujet.

Dr Joanette : Je peux commencer par aborder la question du point de vue de la recherche. À titre de précision, le volet de recherche de la stratégie nationale de recherche et de prévention est en fait soutenu et dirigé par la stratégie de recherche sur la démence des IRSC. C'est lié. Ce que nous essayons de faire aux IRSC, c'est d'essayer de tout regrouper les organismes canadiens, étrangers et même provinciaux. Je ne l'ai pas mentionné, mais le consortium canadien est constitué de 14 partenaires, dont de nombreux organismes provinciaux de financement, y compris l'Institut ontarien du cerveau, le FRSQ, la Fondation Michael Smith et des fondations du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan. Tous les organismes y participent, et ce serait dommage d'avoir des actions parallèles dans le domaine. Tout est donc regroupé.

Nous avons même aux IRSC une table pour discuter avec d'autres acteurs du milieu de la recherche au Canada, comme Baycrest, dont nous venons d'entendre parler, mais aussi certains centres d'excellence nationaux, comme le réseau AGE-WELL et le Réseau canadien des soins aux personnes fragilisées. Nous appelons cela la stratégie et le partenariat sur les troubles cognitifs liés au vieillissement, et l'objectif est d'avoir une approche cohérente et de prendre des mesures complémentaires.

Du point de vue de la recherche, il faut un plan national. Nous en avons un qui est tranquillement mis en œuvre pour que notre pays soit en bonne position.

M. Ghali : Je vais m'appuyer sur ce que vous avez dit. Du point de vue du gouvernement fédéral, le plan national de recherche et de prévention est le volet fédéral de recherche le plus important dans le domaine de la démence au pays, et cela s'ajoute à ce que fait l'agence en ce qui a trait à la surveillance, à l'établissement de partenariats ciblés, à la sensibilisation de la population et à la réduction des préjugés. Cela englobe une grande partie des mesures fédérales au pays.

Comme vous l'avez souligné, sénatrice, il y a un débat important en cours au pays sur la nécessité d'une stratégie nationale sur la démence, et c'est une discussion importante. Nous devons la laisser suivre son cours. Nous devons reconnaître que les provinces et les territoires ont également cette discussion importante. Nous constatons que certaines provinces ont leur propre stratégie provinciale sur la démence. Je crois que certaines provinces ont des volets sur la démence dans le cadre de leur stratégie sur le vieillissement.

Pour reprendre l'un des mots importants de votre question, c'est une question de collaboration. D'après moi, ce qui est vraiment important de retenir dans ce que vous attendez de ma part et de la part de Dr Joanette — et de la majorité de nos partenaires —, c'est que la collaboration est absolument nécessaire et qu'il faut aligner nos mesures sur ces principaux objectifs.

Je dirais que, dans le travail que nous faisons et que vous faites, nos objectifs sont assurément précis. Je crois que nous constatons que c'est là que nos mesures sont les plus appropriées.

La sénatrice Seidman : Qui a déterminé ces objectifs précis?

M. Ghali : Je vais laisser Dr Joanette parler de la recherche. C'est probablement le principal volet à ce chapitre.

Dr Joanette : Il est bien certain, madame la sénatrice, que nous prêtons une oreille attentive à ce que les Canadiens et les cliniciens ont à nous dire. À titre d'exemple, nous avons effectué, à la suite de ma nomination en 2011, la tournée Parlons vieillissement afin de rencontrer partout au pays des citoyens, des décideurs et d'autres intervenants. Nous avons ainsi tenu une quinzaine d'assemblées publiques, y compris une avec des représentants de la population autochtone à Winnipeg, où les préoccupations les plus importantes ont pu être soulevées. Je peux vous dire que les déficiences cognitives associées au vieillissement figuraient en très bonne place sur cette liste.

Ce sont donc les Canadiens eux-mêmes qui ont établi les grands paramètres. Pour la suite, compte tenu des nombreuses actions menées à gauche et à droite et du manque de collaboration à la grandeur du pays, nous avons jugé bon d'élaborer notre Stratégie de recherche sur la démence. Il s'agissait d'intégrer l'aspect collaboration aux efforts déjà déployés dans un contexte où, comme vous le savez sans doute, le Canada est reconnu pour ses capacités et son excellence en recherche sur le cerveau. J'ai aussi la ferme conviction que ces efforts doivent être coordonnés à l'échelle internationale, car aucun pays ne pourra venir à bout de ce problème à lui seul. Comme le disait mon collègue, c'est ici que les termes « collaboration », « harmonisation » et « convergence » prennent tout leur sens.

La sénatrice Seidman : Je veux seulement m'assurer d'une chose. N'êtes-vous pas en train de nous dire essentiellement que nous avons déjà dans les faits une stratégie nationale en matière de démence? Je veux seulement m'en assurer.

Le Dr Joanette : Du point de vue de la recherche, je dirais que oui.

La sénatrice Seidman : Du point de vue de la recherche, d'accord.

M. Ghali : De notre côté, pour ce qui est de la cueillette de données et des activités de surveillance, j'abonderais dans le même sens que le Dr Joanette. Nous en sommes arrivés aux résultats actuels grâce à une collaboration de tous les instants pendant les quatre années qu'a duré notre étude, et grâce également à la surveillance constante que nous pouvons exercer en vertu de nos liens étroits avec les Organismes caritatifs neurologiques du Canada, un regroupement d'une vingtaine des plus grandes organisations de bienfaisance dans le domaine de la santé au pays.

La sénatrice Merchant : Mes questions vont porter plus précisément sur le projet RaDAR réalisé à Saskatoon. Vous avez parlé de financement, mais pouvez-vous me dire si ce projet a pu voir le jour grâce au financement des IRSC? J'ai en effet cru comprendre que le ministère provincial de la Santé finance également cette clinique. Pouvez-vous nous expliquer un peu comment tout cela a fonctionné?

Dr Joanette : Je suis moi-même chercheur à l'Université de Montréal, et je peux vous dire qu'il est rare que les chercheurs aient une seule source de financement. Nous devons nous diversifier, et nos fonds peuvent provenir entre autres du provincial, d'organisations caritatives, de la Société Alzheimer et des IRSC. Ce sont tous ces éléments, en plus de la contribution provinciale à la clinique, non pas pour la recherche mais pour les services, qui expliquent sans doute le succès de l'expérience de Saskatoon. Je pense que c'est la combinaison de multiples facteurs.

Notre consortium en tire une certaine fierté, parce que nous y avons injecté des ressources en intégrant ce projet à nos efforts collectifs pour qu'il puisse servir d'exemple au reste du pays. Ainsi, tous peuvent profiter de l'expertise développée à Saskatoon pour améliorer la qualité des services offerts aux citoyens des collectivités rurales et éloignées, plutôt que de devoir essayer de réinventer la roue à chaque fois.

La sénatrice Merchant : Je pense que c'est une très bonne chose pour la Saskatchewan, en raison du vieillissement de notre population, de la présence de groupes autochtones et du fait que nous avons de longues distances à parcourir.

Il est possible que des représentants de cette clinique comparaissent éventuellement devant nous, mais j'aimerais tout de même vous poser quelques questions préliminaires. Un patient peut s'y rendre avec des membres de sa famille et rencontrer dans la même journée un neurologue, une neuropsychologue, une infirmière, un psychométricien, une physiothérapeute et une diététiste. Tout cela se fait dans une seule journée de telle sorte que le patient n'ait pas à parcourir de longs trajets à répétition. Il est possible que je fasse erreur, mais je crois avoir lu quelque part que la clinique recevait deux patients par semaine.

Le Dr Joanette : Je ne saurais vous en dire davantage, car je n'ai pas tous les détails en main, mais je pourrai certes vous les communiquer ultérieurement. Quoi qu'il en soit, tous les intervenants que vous avez mentionnés, y compris les membres de la famille, ont un rôle essentiel à jouer pour que les choses se passent correctement dans l'établissement du diagnostic et aux fins du suivi pour les cas où la démence est confirmée. J'estime exceptionnel le travail de coordination accompli par cette clinique pour minimiser les déplacements.

La sénatrice Merchant : Peut-être avez-vous déjà tous ces détails.

Le président : Nous pourrons régler cela une autre fois. Essayons plutôt pour l'instant d'obtenir le plus d'information possible de nos témoins.

La sénatrice Frum : Docteur Joanette, permettez-moi d'abord de vous féliciter pour votre élection à titre de président du Conseil mondial de lutte contre la démence. Je suis persuadée que vos compatriotes canadiens pourront s'enorgueillir de votre travail. Je suis fière de savoir que vous avez pu accéder à ce poste.

Vous avez dit que le nombre de personnes atteintes de démence connaît une croissance explosive. Est-ce seulement dû au vieillissement de la population ou y a-t-il d'autres facteurs?

Dr Joannette : Vous posez là, madame la sénatrice, une question très pertinente. Il semble bien que l'évolution démographique soit le principal facteur. Au Canada comme ailleurs dans le monde, on sait bien sûr que le vieillissement de la population est lié à une espérance de vie à la hausse. Il faut toutefois comprendre que le segment de la population qui connaît la plus forte croissance, c'est celui des plus vieux parmi les plus vieux, c'est-à-dire les 85 ans et plus. En fait, c'est le nombre de centenaires qui augmente le plus vite au Canada. Et comme les risques d'apparition d'une maladie causant la démence grimpent de façon quasi-exponentielle avec l'âge, ces maladies prennent énormément d'expansion dans un contexte de vieillissement de la population où le nombre de personnes très âgées connaît une croissance accélérée. C'est donc attribuable à des facteurs démographiques, mais ceux-ci ne sont pas linéaires.

La sénatrice Frum : Vous avez indiqué dans vos observations que les jeunes Canadiens ont peur de développer ces maladies. Je serais portée à croire que cette crainte vient de l'impression qu'il s'agit d'une affection aléatoire et accidentelle pouvant atteindre le cerveau. Monsieur Ghali, vous avez parlé des préjugés à combattre. Je suppose que s'il y a des préjugés, c'est parce que les gens croient, un peu dans le sens des questions du sénateur Eggleton, que ce sont des maladies qui pourraient être évitées et que les gens qui en souffrent auraient dû mieux s'alimenter ou faire davantage de sudokus ou de mots croisés.

Dans l'état actuel de nos connaissances scientifiques, peut-on dire que ces maladies sont évitables et qu'il nous est possible d'exercer un certain contrôle? Dans quel sens vont les recherches?

Dr Joannette : Il est possible de faire quelque chose, et les recherches le prouvent. À titre d'exemple, ma collègue finlandaise, Miia Kivipelto, a mené une vaste étude sur la réduction des risques. Nous ne pouvons pas totalement empêcher le développement de ces maladies, mais nous pouvons diminuer les risques de démence de deux façons. On peut d'abord limiter les risques en agissant sur ces conditions, dont parlait le sénateur Eggleton, qui semblent contribuer à déclencher la cascade des événements. On peut dire dans cette optique que ce qui est bon pour le cœur l'est tout autant pour le cerveau. En surveillant votre alimentation, en faisant de l'exercice et tout le reste, vous risquez moins de créer les conditions propices à l'apparition de la maladie.

Par ailleurs, en sachant que la maladie va malheureusement frapper de toute manière, il faut se demander s'il est possible de diminuer les risques qu'elle cause la démence. Celle-ci n'est pas systématiquement liée au vieillissement, mais il y a une incidence. Nous savons maintenant, recherches à l'appui, qu'il est possible de rendre son cerveau mieux apte à compenser les impacts de la maladie sur les fonctions cognitives. Autrement dit, vous pouvez repousser le moment où la démence va apparaître parce que votre cerveau est capable de lutter contre la maladie, laquelle ne va toutefois pas disparaître ni changer en rien. En poursuivant des activités cognitives tout au long de votre vie, vous améliorez vos capacités cérébrales à cette fin. Il existe d'ailleurs certaines stratégies, comme l'apprentissage d'une langue seconde. Il est reconnu que l'utilisation d'une autre langue peut permettre de reporter de quelques années l'apparition des premiers signes de maladie sans cependant en modifier la trajectoire. La conclusion sera la même. Il s'agit simplement de diminuer le nombre d'années où la démence fait son œuvre. Ce sont donc les deux façons de réduire les risques.

La sénatrice Frum : Je me disais que le fait que vous soyez déjà bilingue vous donne une longueur d'avance sur une personne unilingue comme moi.

Dr Joanette : Je parle aussi l'espagnol.

La sénatrice Frum : Oh, vous êtes trilingue! Vous n'avez vraiment rien à craindre.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. J'ai moi aussi grand-hâte de voir où nous amènera cette étude qui revêt selon moi une grande importance pour les Canadiens, et ce, à bien des égards.

J'aimerais que vous me disiez, et ce sera sans doute le Dr Joanette, s'il existe des statistiques sur l'incidence de l'Alzheimer ou de la démence au cours des 30 ou 40 dernières années que l'on pourrait mettre en corrélation avec les données sur les changements intervenus dans notre environnement en matière d'alimentation, d'activité physique et d'autres considérations de la sorte. J'aimerais bien que l'on puisse me dire que tous ces enfants qui sont moins actifs physiquement en raison du temps qu'ils passent devant leurs appareils électroniques bénéficient tout au moins du fait que leur cerveau travaille davantage. Y a-t-il des études qui se sont penchées sur les habitudes de vie de nos jeunes concitoyens pour tenter de déterminer ce que l'avenir leur réserve?

Dr Joanette : Merci pour la question, sénatrice. Sachez que les Instituts de recherche en santé du Canada appuient également l'Étude longitudinale canadienne sur le vieillissement (ÉLCV). Pas moins de 52 000 personnes de 45 à 65 ans ont été recrutées pour participer à cette étude. Il n'a malheureusement pas été possible d'intégrer des sujets plus jeunes, car cela aurait trop fait grimper les coûts.

Cette étude nous procure exactement ce dont nous avons besoin en nous permettant de suivre des personnes pendant 20 ans, une période suffisamment longue. Comme il y a malheureusement une partie des sujets qui vont être atteints de démence, l'examen de leur situation sous différents angles nous permettra notamment de savoir dans quel environnement ils évoluaient, qu'elles étaient leurs habitudes de travail et, bien évidemment, s'ils étaient en bonne santé. Pour ce faire, on prélève des échantillons sanguins et on prend différentes autres mesures à tous les trois ans. Grâce à cette étude qui vient de se mettre en branle, nous serons mieux aptes à déterminer les moyens à mettre en œuvre pour améliorer la situation.

Les IRSC songent par ailleurs à investir dans une étude qui pourrait porter sur de jeunes enfants de manière à connaître les déterminants précoces de la santé. Il faudra toutefois s'armer de patience d'ici à ce que ces jeunes deviennent des aînés. Reste quand même qu'il nous faut investir dès maintenant pour pouvoir compter dans 50 ou 60 ans d'ici sur une cohorte semblable nous permettant d'établir les corrélations nécessaires. Nous ne disposons pas à l'heure actuelle de données de la sorte.

La sénatrice Raine : Merci.

Le président : J'aimerais poursuivre dans la même veine que les deux dernières questions posées. J'allais vous demander s'il existe une courte liste d'éléments reconnus pour retarder l'apparition de la démence. Je crois que vous avez déjà en quelque sorte répondu à cette question en parlant de l'alimentation, de la condition physique et des activités cognitives qui semblent tout au moins avoir un tel effet. Est-ce bien ce que vous avez dit?

Dr Joanette : C'est bien cela. Ces éléments peuvent limiter les risques de déclenchement d'une maladie neurodégénérative ou réduire la prédisposition à développer une telle maladie. Ils peuvent également renforcer votre cerveau, vos capacités cognitives, ce qui procure ce que nous appelons une « réserve cognitive » vous permettant de lutter contre une éventuelle maladie.

Le président : Je comprends donc qu'il est possible de retarder le déclenchement. Si l'on tient compte de l'ensemble des données disponibles pour tous les groupes d'âge, peut-on conclure que les gens qui ont toujours eu un mode de vie sain risquent moins de développer ces maladies? Ou s'agit-il simplement d'en retarder l'apparition?

Dr Joanette : D'après ce que nous savons actuellement, cela permettrait plutôt de retarder l'apparition de la maladie, plutôt que de déterminer si la personne va la développer ou pas.

Le président : Merci. Nous essayons de jeter les bases contextuelles de notre étude pour être en mesure de mieux situer les témoignages qui vont suivre. Tout cela nous est extrêmement utile.

Je voulais revenir aux questions posées par la sénatrice Seidman en m'intéressant au lien à établir entre ce qui se passe actuellement et la possibilité d'une stratégie nationale.

Je vais d'abord m'adresser au Dr Joanette. Y aurait-il actuellement au Canada d'importants travaux de recherche sur la démence qui seraient réalisés à l'extérieur du cadre que vous avez établi pour la concertation des efforts en la matière?

Dr Joanette : Des travaux de recherche portant directement sur la démence?

Le président : Qui mettraient principalement l'accent sur la démence, oui.

Dr Joanette : Le gouvernement du Canada consent certains investissements via d'autres mécanismes qui visent en partie à appuyer la recherche sur la démence. C'est le cas notamment pour une portion du financement accordé à la fondation Brain Canada ainsi qu'à certains centres d'excellence nationaux, mais leurs travaux ne portent pas principalement ou exclusivement sur la démence. Nous finançons à cet effet l'initiative Stratégie et partenariat sur les troubles cognitifs liés au vieillissement qui permet d'assurer une certaine coordination de ces efforts.

Le président : Je vais maintenant m'adresser à M. Ghali en lui posant la question un peu différemment. En me documentant sur le sujet, et je m'intéresse surtout à l'aspect social de la question, j'ai pu constater qu'une forte proportion des gens atteints de démence ne semblent pas avoir droit à un traitement particulier dans nos établissements de soins et par ailleurs. Ainsi, on ne fait pas d'effort supplémentaire pour regrouper ces gens en vue de créer un environnement social mieux adapté aux difficultés qu'ils vivent que la formule de salle commune qui caractérise généralement ces établissements.

Toujours à l'extérieur de vos propres efforts de collaboration dans ce domaine, y a-t-il au Canada des gens qui s'emploient à trouver la meilleure façon de prendre en charge ces patients du point de vue des traitements, du logement, de l'entretien, des équipes médicales et tout le reste?

M. Ghali : Je vais vous répondre dans deux perspectives différentes. Il y a tout un éventail de travaux sur les sujets dont vous parlez qui ont cours à l'extérieur de la sphère fédérale de responsabilité, laquelle étant principalement axée sur la recherche, la cueillette de données, la sensibilisation et la lutte contre les préjugés.

Pour ce qui est des provinces et des territoires, d'importants efforts sont déployés, comme je vous le mentionnais, pour garantir cette cohérence dont vous parlez entre les systèmes en place, tant du point de vue de la santé que des services sociaux. Cette nécessité d'offrir des modèles de soins différents est également ressortie de quelques autres questions. Une chose est certaine : il n'existe pas de solution qui convienne dans tous les cas. Il faut déterminer les mesures qui s'imposent en fonction des caractéristiques particulières à chaque situation. C'étaient donc les deux volets de ma réponse.

Le président : Je m'attendais un peu à ce dernier élément de réponse. D'après ce que vous nous avez dit, je crois comprendre qu'il n'y a pas de véritable volonté de collaborer, de travailler en coordination et de compiler les données provenant des différents secteurs qui sont actifs dans ce dossier, et qu'il n'y a pas non plus de stratégie nationale pour la mise en commun systématique des résultats de ces différentes activités.

M. Ghali : Tout dépend de quelles activités vous voulez parler. Je peux vous dire pour ma part ce qu'il en est de la collecte des données et de la surveillance. C'est un travail qui se fait de concert avec les provinces et les territoires. Les activités continues de collecte de données se font assurément en concertation.

Il y a aussi collaboration entre les autres gouvernements au Canada et à l'intérieur de chaque province et territoire. Cela n'est toutefois pas de notre ressort.

Le président : Je crois que l'Agence de santé publique offre l'accès à un portail web des pratiques exemplaires. Je présume qu'il est accessible à tous. Est-ce que les intervenants qui mènent ces activités de recherche non coordonnées dont nous parlons pourraient y présenter leurs résultats de telle sorte que tous les intéressés puissent savoir rapidement quelles sont les nouvelles avancées?

M. Ghali : Je vais laisser au Dr Joanette le soin de vous répondre concernant les travaux de recherche et leur application sous forme de pratiques exemplaires.

Le président : D'accord, et vous allez vous en tenir aux activités dont vous parliez.

M. Ghali : Tout à fait.

Le président : Est-ce que le portail pourrait aussi être utilisé pour faire connaître ces activités?

M. Gali : Je crois que vous avez raison; il y a beaucoup de gens qui accomplissent un excellent travail. Il y a sans doute des possibilités de mettre en commun ces pratiques exemplaires; il faut simplement trouver le meilleur moyen de le faire.

Dr Joanette : Merci, monsieur le président, de me permettre de traiter d'un autre rôle important des IRSC qui doivent non seulement appuyer la recherche et la production de nouvelles connaissances, mais aussi faire en sorte que tout cela puisse se traduire en pratiques exemplaires. À ce titre, les ISRC offrent le programme d'échanges Meilleurs cerveaux. Il s'agit simplement d'échanges entre décideurs et chercheurs; il n'est pas question d'échanger les cerveaux de qui que ce soit. Par exemple, un gouvernement provincial, une organisation ou un ministère en quête de soutien peut accueillir un certain nombre d'experts pendant une ou deux journées pour approfondir des sujets d'intérêt en vue d'une éventuelle prise de décisions. Ainsi, il y a eu récemment au Nouveau-Brunswick une séance d'échanges Meilleurs cerveaux qui portait sur la démence et l'Alzheimer. Les IRSC ont alors délégué un groupe d'experts qui ont rencontré les dirigeants du gouvernement néobrunswickois.

Dans une perspective plus générale, nous avons des stratégies de transfert et de diffusion des connaissances, et nous nous attendons à ce que nos chercheurs fassent profiter les utilisateurs des résultats de leurs travaux. Mais nous allons encore plus loin. À titre d'exemple, le Consortium canadien en neurodégénérescence associée au vieillissement a insisté pour que l'on intègre une plateforme de transfert des connaissances qui vient appuyer le Réseau canadien d'application des connaissances sur la démence. Ce réseau est constitué de différents sites web où les gens peuvent trouver de l'information leur permettant notamment de savoir comment réduire les risques et de mieux comprendre la démence. Cela montre bien à quel point il est important de faire connaître les pratiques les plus efficaces à la lumière des recherches effectuées.

Le sénateur Eggleton : Dans la déclaration rendue publique à l'issue du Sommet du G8 sur la démence tenu en décembre 2013, on s'est fixé l'ambitieux objectif de trouver un remède ou un traitement modificateur pour la démence d'ici 2025.

Voilà des années que nous entendons parler de traitements pour le cancer, de traitements pour ceci et de traitements pour cela. S'agit-il de vœux pieux ou y a-t-il des raisons d'être optimistes? A-t-on réalisé des progrès à ce chapitre? C'était en 2013. Il reste encore neuf ans. Il existe différentes formes de démence. Parle-t-on simplement de la démence en général? Pouvez-vous m'en dire plus long au sujet de cet objectif? Est-il vraiment réaliste?

Dr Joanette : Tout d'abord, sénateur, vous avez tout à fait raison. La démence est un amalgame de nombreux éléments distincts, car il existe bien des maladies pouvant la causer, comme l'Alzheimer, la dégénérescence frontotemporale et la maladie de Pick. Les maladies sont nombreuses et, pour ajouter encore plus à la complexité, il peut exister pour certaines d'entre elles des sous-catégories comme c'est le cas pour l'Alzheimer. Du point de vue du processus biologique et des mécanismes en jeu, il est sans doute important de bien comprendre cette complexité.

J'estime raisonnable cette déclaration faite en 2013 à l'issue du Sommet du G8 convoqué par le premier ministre Cameron. On n'arrivera pas nécessairement à trouver un remède, car il faudrait pour ce faire éradiquer toutes les maladies neurodégénératives, ce qui exigera probablement davantage de temps, mais on pourrait trouver un traitement modificateur de la maladie qui pourrait prendre la forme d'un médicament, ou d'une combinaison de médicaments agissant sur différents aspects. Nous savons ainsi qu'un seul médicament n'influe pas sur l'évolution du VIH, mais que la trithérapie, soit la combinaison de trois médicaments, donne des résultats. Il faut aussi penser qu'une intervention sur un tableau unique ne permettra pas nécessairement de venir à bout de ces maladies et que les médicaments à eux seuls ne seront peut-être pas suffisants. Peut-être faudra-t-il tabler sur des interventions cognitives ou comportementales en combinaison avec des médicaments pour influer sur l'évolution d'une maladie après s'être assuré d'adapter le tout à cette maladie ou à une de ses composantes.

Comme vous pouvez le constater, la situation est complexe, mais je pense qu'il y a tout lieu d'être optimiste. En effet, il y a trois ou quatre ans à peine, les chercheurs dans ce domaine s'efforçaient de comprendre le processus à l'origine de la démence ou de la maladie d'Alzheimer. Ils sont désormais beaucoup plus conscients de la grande complexité de ces enjeux, ce qui m'incite à croire que nous trouverons d'ici 2025 des solutions capables de changer le cours de ces maladies.

Le sénateur Eggleton : Vous avez parlé de médicaments, mais aussi d'interventions. Quelle forme prendraient les interventions?

Dr Joanette : Les interventions cognitives s'adressent à ceux qui manifestent les tout premiers signes de démence, avant qu'un diagnostic clinique ne soit posé. Il y a une période intermédiaire entre la normalité et la démence, et c'est ce qu'on appelle la déficience cognitive légère. Lorsque ces signes sont décelés dès le début, certaines interventions cognitives montrent déjà qu'il est possible d'en modifier la trajectoire et de retarder un peu les symptômes.

Il peut s'agir d'une combinaison de médicaments et d'interventions, ou d'autres types de traitements. C'est un sujet brûlant pour les chercheurs d'aujourd'hui.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup à tous les deux.

J'aimerais revenir à un point dont vous avez tous deux parlé. Monsieur Ghali, vous avez dit dans votre exposé que vous espérez renforcer la collaboration fédérale, provinciale et territoriale sur la question de la démence grâce à l'établissement de priorités communes en matière de santé et à des possibilités d'amélioration dans des domaines comme les soins à domicile.

Docteur Joanette, selon la stratégie de recherche des IRSC sur la démence, qui est publiée en ligne, les objectifs en la matière s'articulent autour de trois thèmes : la prévention primaire, la prévention secondaire et la qualité de vie.

Je tente d'établir des liens entre la qualité de vie et les soins à domicile, ce dont vous nous avez tous deux parlé. Voici ma question : comment cet aspect est-il traité par le consortium canadien chargé de la recherche sur la démence et, en quelque sorte, par l'organisme-cadre national? De toute évidence, à la lumière des données démographiques sur le vieillissement, si je songe à la démence et aux familles qui prennent soin d'un proche atteint de démence, il ne fait aucun doute dans mon esprit que les soins à domicile et les soins communautaires permettraient de mieux répondre aux besoins de ces personnes et d'améliorer leur qualité de vie. Ma question est très décousue, mais en somme, pourriez- vous m'expliquer un peu quelles mesures vous prenez à cet égard, dans les limites de vos mandats respectifs?

Dr Joanette : Vous avez tout à fait raison : les efforts de recherche visent non seulement à essayer de comprendre comment prévenir les maladies causant la démence ou comment ralentir, arrêter, voire inverser leur progression, mais aussi à assurer la qualité de vie de ceux qui vivent déjà avec une démence. Il faut savoir que le consortium canadien compte 20 équipes réparties entre les trois thèmes que vous venez de mentionner. Si ma mémoire est bonne, l'équipe no 19 se penche justement sur les moyens d'optimiser le système de santé afin d'appuyer les personnes atteintes de démence tout au long de leur parcours, allant du soutien à domicile et des services communautaires offerts chez la personne jusqu'aux services un peu plus poussés, s'il y a lieu, et aux installations de soins à long terme, et cetera. C'est un sujet d'importance.

Une autre équipe étudie la conduite automobile chez les personnes atteintes de démence. Je viens d'en parler. C'est très important, je dirais, surtout pour les hommes, mais aussi pour les femmes. Pourquoi? Parce que, vu la vaste superficie de notre pays, la conduite automobile est une nécessité si nous voulons éviter de nous isoler et de nous cloîtrer chez nous. Les chercheurs se penchent sur diverses questions — par exemple, quand conduire, quelles précautions prendre, jusqu'à quelle distance parcourir? —, tout en proposant des solutions de rechange, entre autres. C'est Dr Gary Naglie, de Toronto, qui dirige cette équipe. Il s'agit de mesures concrètes et pratiques.

Une autre équipe encore examine la question des aidants. Nous n'en avons pas trop parlé. Je le répète, 80 p. 100 des aidants sont des femmes — l'épouse ou la fille d'un malade. Dans certains cas, les filles se retrouvent dans ce qu'on appelle la « génération sandwich », car elles doivent s'occuper de leurs parents et élever leurs enfants. Voilà donc une autre piste de recherche importante. En fait, les IRSC ont également élaboré une stratégie sur la santé et la productivité au travail, qui porte précisément sur ces défis. En tout cas, c'est là un autre aspect crucial, car nous devons appuyer la santé et le bien-être de ceux qui prennent soin de personnes atteintes de démence, puisqu'ils sont vulnérables. À vrai dire, un diagnostic de démence touche non pas seulement une personne, mais au moins deux ou trois autres personnes.

La sénatrice Seidman : Monsieur Ghali, comment ce genre d'effort s'intègre-t-il dans le mandat de l'Agence de la santé publique?

M. Ghali : C'est, à mon avis, une excellente question. Comme point de départ, je vais revenir un peu sur ce que le Dr Joanette a dit. En fait, je vais reprendre une expression que j'ai utilisée dans mon exposé : le cercle de soins. C'est là un élément pertinent pour répondre à votre question. Et ce cercle de soins est quand même assez vaste. Lorsque nous parlons de ce concept, nous pensons le plus souvent à la personne atteinte de démence et à ses aidants immédiats, mais ce qui importe surtout, là encore, c'est une approche qui fait appel à l'ensemble de la société. C'est là que l'Agence, les IRSC et d'autres intervenants ont un rôle très important à jouer, et cet effort s'inscrit dans un mandat, somme toute, très large.

Comme je l'ai dit, nous devons tenir compte du cercle de soins dans son sens le plus large. C'est d'ailleurs ce que nous essayons de faire dans le cadre de l'initiative Amis de la santé cognitive; notre priorité absolue, c'est d'essayer de transmettre des connaissances au sujet de la démence à la population en général, d'éliminer la stigmatisation qui s'y rattache, de faire comprendre aux gens ce qu'est la démence et ce qu'elle n'est pas et de leur expliquer quoi faire lorsqu'ils observent des signes possibles de démence chez quelqu'un. Ce travail est au cœur même des soins les plus élémentaires que nous puissions dispenser à nos citoyens.

À l'intérieur du cercle de soins, nous essayons de déployer nos ressources, en collaboration avec des partenaires comme la Société Alzheimer du Canada, par l'entremise du programme Amis de la santé cognitive, pour ensuite mobiliser le soutien dont le Dr Joanette a parlé, c'est-à-dire fournir aux aidants les connaissances et les compétences dont ils ont besoin, sachant fort bien que les aidants naturels constituent toujours la majorité des intervenants du réseau de prestation de soins partout au Canada.

Examinons maintenant certains des investissements que nous effectuons par l'entremise de l'Agence de la santé publique du Canada et, bien entendu, dans le cas du Dr Joanette, par l'intermédiaire des IRSC. À cet égard, il s'agit d'examiner d'autres modes de prestation de soins, et on parle là non seulement du système de santé, mais aussi des services au sein de la collectivité. Ces investissements nous ont notamment permis d'établir, par l'entremise de Baycrest, le Centre d'innovation canadien sur la santé du cerveau et le vieillissement, qui travaille sur le dossier des télésoins gériatriques à domicile. Comme on l'a dit, il faut tenir compte de la réalité géographique du pays et de la disponibilité des services et reconnaître les problèmes de mobilité que les gens pourraient avoir lorsqu'ils souffrent d'une démence avancée, d'où la nécessité de leur offrir des services à domicile et de miser sur la technologie dont on dispose actuellement au Canada, de manière à améliorer sensiblement leur qualité de vie.

Voilà le rôle que nous jouons dans les différentes sphères du cercle des soins, évidemment en étroite collaboration avec les chercheurs des IRSC et, dans le fond, avec tous nos partenaires.

La sénatrice Raine : J'ai lu le document d'information que vous nous avez remis. Il existe très peu de médicaments pouvant ralentir l'apparition de la maladie d'Alzheimer, et il n'y a rien pour l'arrêter. Évidemment, il est dans l'intérêt de tous de recevoir un diagnostic le plus tôt possible.

J'ai d'ailleurs un peu d'expérience en la matière, puisque des membres de ma famille ont passé par là. Donc, ce sont les proches qui constatent que quelque chose ne tourne pas rond. Y a-t-il un moyen pour eux de cocher des cases sur un questionnaire quelconque, de sorte que les gens puissent subir un test de dépistage rapidement?

J'ai trouvé intéressant de vous entendre dire que ces mesures ne changent peut-être pas l'issue de la maladie, mais elles permettent au patient d'être heureux et en santé pendant plus longtemps. Avez-vous des idées à proposer à ce sujet?

Soit dit en passant, quand on tape sur Google la question « ai-je la maladie d'Alzheimer? », on tombe sur une foule de tests en ligne qui servent à déterminer si on souffre de cette maladie. Ces outils sont-ils valables?

Dr Joanette : Merci de la question, sénatrice Raine. Bien entendu, il est important de détecter le plus tôt possible les premiers symptômes de la démence, même si, comme vous l'avez mentionné, je doute que nous ayons un médicament qui soit efficace dans tous les cas. Les médicaments actuels ont peu d'effets dans certains cas, mais la société pharmaceutique pourrait vous dire qu'elle a investi, au cours des 10 ou 15 dernières années, des milliards et des milliards de dollars dans des essais cliniques qui ont donné des résultats négatifs, probablement en raison de l'état de la recherche. Toutefois, je crois que nous pouvons être optimistes aujourd'hui, du moins de ce point de vue-là.

Cela dit, vous voulez savoir ce qui pourrait être envisageable. Eh bien, comme mon collègue Rodney Ghali l'a dit, nous devons sensibiliser davantage la population afin que les gens puissent reconnaître les signes. Je crois que nous connaissons tous des gens atteints de démence; en fait, la famille et les amis intimes peuvent toujours confirmer, a posteriori, que oui, effectivement, la personne agit ainsi depuis deux ou trois ans. Et comme je l'ai indiqué, cela met en cause non seulement la mémoire et la cognition, mais aussi la personnalité et les émotions. Nous devons donc intensifier ces efforts. La recherche doit être plus efficace en ce qui concerne la diffusion de listes de vérification.

Par ailleurs, il y a lieu de croire qu'à l'avenir, la cybersanté pourrait s'avérer utile. Par exemple, des gens travaillent à mettre à profit les petits dispositifs que nous utilisons dans notre quotidien; ainsi, dès que l'application détecte certains changements dans vos habitudes, une petite sonnerie pourrait retentir pour vérifier si tout va bien.

La technologie pourra également faciliter cet aspect. Mais, un des défis dans le contexte actuel, c'est précisément ce dont vous avez parlé, sénatrice, à savoir l'abondance de solutions sur le Web qui prétendent nous aider à dépister un problème. Très peu d'entre elles ont été validées. Elles ont peut-être un mérite, mais nous ne le savons pas. Rares sont celles qui ont fait l'objet d'une validation. C'est pourquoi un certain nombre de groupes déploient des efforts pour procéder à une méta-analyse, c'est-à-dire pour examiner les recherches et essayer de valider les résultats ou d'en confirmer l'utilité.

C'est justement à quoi sert le portail de l'Université McMaster sur le vieillissement. Il en va de même pour le Council on Brain Health, qui est appuyé par l'AARP, soit l'American Association of Retired Persons, et Age UK.

Nous aurons besoin de plus en plus de ce genre d'approches appuyées et validées par la recherche, car à l'heure actuelle, il y a une foule de pseudo-solutions. Certaines d'entre elles sont peut-être bonnes, mais nous ne le savons pas.

La sénatrice Stewart Olsen : Je crois que vous pouvez en déduire de nos questions que nous commençons tout juste cette étude et que nous peinons à nous y retrouver. Du moins, c'est le cas pour moi.

Ma prochaine question peut vous paraître simpliste, mais la démence est-elle une maladie ou un état causé par une maladie? Si vous pouvez répondre, j'aurai une question complémentaire à vous poser par la suite.

Dr Joanette : Sénatrice, vous avez raison de poser cette question qui en cache une autre. La démence est un état clinique. La démence n'est pas une maladie.

En fait, même si vous ne verrez pas beaucoup de gens mettre fin à leur vie à cause de la démence, beaucoup en sont atteints plus tard dans la vie, mais ce n'est pas la majorité.

Les maladies pouvant causer la démence sont celles qui touchent le cerveau de manière progressive, c'est-à-dire des maladies neurodégénératives, dont la maladie d'Alzheimer dans 55 ou 60 p. 100 des cas. Il y a également les maladies vasculaires et d'autres types de maladies neurodégénératives.

La sénatrice Stewart Olsen : L'Alzheimer est, en soi, une maladie.

Dr Joanette : L'Alzheimer est une maladie. Nous pensons aujourd'hui qu'il s'agit d'une constellation de maladies, mais peu importe. C'est une maladie.

La sénatrice Stewart Olsen : Comme il y a différentes maladies qui causent la démence, je présume alors que les traitements sont assez différents dans bien des cas. À mon sens, cela signifie que les aidants naturels et les gens de leur entourage risquent d'avoir plus de mal à accéder à des renseignements sur les modes de traitement. Par exemple, la personne pourrait souffrir non pas de la maladie d'Alzheimer, mais d'une démence vasculaire. On peut voir en quoi cela sème la confusion. C'est trop vaste pour que les gens puissent s'en remettre aux soins à domicile.

Je vis dans une région rurale, et je ne crois pas que les gens comprennent exactement toutes ces différences.

Dr Joanette : Sénatrice, il y a effectivement beaucoup de maladies qui causent la démence. Mais, de façon générale, une démence est une démence. Même s'il existe de petites différences ici et là, toute mesure à cet égard — qu'il s'agisse de conseil, d'attitude, de stratégie ou de sensibilisation du public — sera bénéfique pour toutes les formes de démence. Les causes de la démence sont variées, mais ses manifestations cliniques sont homogènes.

La sénatrice Raine : Je vous ai interrogé sur les médicaments, mais, bien entendu, il y a aussi des remèdes maison, pour ainsi dire.

Sur la scène internationale, y a-t-il des groupes d'habitants ou des cultures qui présentent moins d'occurrences de démence que nous? Est-ce lié à la population? Est-ce culturel?

Dr Joanette : Sénatrice Raine, votre question est tout à fait pertinente et importante parce que nous pourrions mieux comprendre les liens de causalité.

Parmi les populations où il y a moins de maladies vasculaires, l'aspect vasculaire a moins tendance à se présenter en cas de démence. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de démence, mais elle sera un peu modulée.

Ainsi, j'ai toujours été fasciné par les études menées en Inde, où ma collègue, Suvarna Alladi, étudie la démence auprès de populations qui maîtrisent ou qui parlent de nombreuses langues.

Par exemple, à Hyderabad, en Inde, il faut parler au moins cinq ou six langues, parce qu'il y a une vingtaine ou une trentaine de langues officielles au pays. Cette ville se trouve dans le centre, et les gens viennent d'un peu partout. Il semble y avoir une plus faible prévalence de cas de démence, probablement parce que les gens ont développé une plus grande réserve cognitive au niveau cérébral.

Ces données sont reliées à ce que nous savons, mais il est possible de trouver des exemples un peu partout dans le monde sur les facteurs de risque de la démence.

La sénatrice Merchant : Vous avez dit que la démence est liée au vieillissement. Certaines personnes en sont atteintes à un jeune âge. À quel âge cela peut-il se manifester?

Dr Joanette : Malheureusement, dans des cas exceptionnels, des gens peuvent développer une démence dans la quarantaine, voire à la fin de la trentaine, mais le plus souvent, dans la quarantaine et la cinquantaine. C'est ce qu'on observe dans certains cas de démence familiale, qui sont très rares.

Les maladies causant la démence ne sont pas attribuables au vieillissement. Je ne veux pas laisser entendre que la démence ou les maladies causant la démence sont la conséquence naturelle du vieillissement ou qu'elles font partie du processus normal de vieillissement. Il s'agit de maladies dont l'occurrence exige un certain nombre de facteurs, comme je l'ai mentionné. Elles semblent interagir, en partie, avec la biologie du vieillissement.

On assiste à l'avènement d'une nouvelle science, appelée la géroscience, qui étudie la relation entre la biologie du vieillissement et tous les facteurs qui le causent. Cela donne beaucoup d'espoir aux chercheurs.

La sénatrice Merchant : De nos jours, on accorde beaucoup d'attention aux sports et aux traumatismes cérébraux. Je me demande s'il y a un lien entre les deux. Nous avons parlé de régime alimentaire, mais je me demande s'il y a un rapport quelconque avec les blessures qu'une personne peut subir dans sa jeunesse à la suite d'activités sportives.

Dr Joanette : Bien entendu, certains événements de la vie peuvent augmenter le risque d'une telle série de symptômes. Il est bien établi que les traumatismes crâniens au début de la vie peuvent accroître le risque de développer plus tard une maladie causant la démence.

Le président : Dans le document d'information sur la démence, on peut lire que si des symptômes se présentent à l'âge de 60 ans, il s'agit d'une « apparition précoce » de la démence. Je suppose que vous avez déjà répondu à la question, car vous avez dit clairement — et c'est un point que nous devons reconnaître — que les gens qui en sont atteints à un jeune âge constituent des cas exceptionnels, et que leur nombre n'est pas à la hausse. D'après la documentation, quand des signes se manifestent est au début de la soixantaine, on est en présence d'une apparition précoce. Est-ce exact?

Dr Joanette : Monsieur le président, il fut un temps où l'on croyait que la démence était liée au vieillissement, à la sénilité, puis à l'apparition précoce. C'était à l'époque où l'on établissait ce genre de distinction. Aujourd'hui, nous n'utilisons pas trop cette distinction. Je dirais que l'apparition très précoce serait certainement avant la soixantaine. Disons que du point de vue du processus, il n'y a pas tellement de différence entre ces concepts, mais c'est ainsi qu'on concevait la démence dans le passé

Le président : L'autre chose qui a été mentionnée dans vos observations préliminaires et votre témoignage d'aujourd'hui, c'est qu'un certain nombre des problèmes de santé que vous avez relevés semblent être sous-entendus d'une certaine façon, ou se rapporter à ce que d'autres secteurs appellent le syndrome métabolique, l'inflammation et ce genre de troubles.

Je n'aime pas vous poser la question aussi directement, mais est-il possible que le sucre soit un facteur important dans tout cela, si on y pense? Vous ne voudrez peut-être pas répondre maintenant, mais le sucre a bel et bien une incidence sur un certain nombre d'autres problèmes qui surviennent ou qui entraînent un syndrome métabolique.

Dr Joanette : Je dirais qu'une approche systémique et métabolique sera assurément un facteur important pour comprendre ce qui se passe, mais il est très difficile de cibler un élément parmi tant d'autres. Je ne dis pas que le sucre ne joue aucun rôle, mais il ne semble pas être un facteur majeur à ce stade-ci.

Le président : Il ne semble pas être un exemple flagrant à ce stade-ci.

Lorsque j'ai pris connaissance de votre carte pour la première fois, j'ai cru que c'était un test. Si nous pouvons trouver un moyen d'éviter tout cela, nous pouvons affirmer que nous ne sommes encore rendus à aucun stade. J'essaie de montrer, je crois, que j'ai bel et bien réussi à contourner la carte.

J'ai une question. On retrouve « banque de cerveaux » tout au bas de la liste, vers la gauche, dans la section bleue. Est-ce à des fins de recherches que des cerveaux de patients atteints de la maladie d'Alzheimer ou de démence sont recueillis, puis étudiés en détail dans le but de trouver des facteurs identifiables?

Dr Joanette : Bien des recherches nécessitent des cerveaux, si l'on veut comprendre ce qui se passe dans le cerveau.

Le président : Mon interprétation est bonne. Il s'agit de cerveaux conservés à des fins de recherche.

Dr Joanette : Oui, mais chaque groupe des différentes villes et universités canadiennes ont leur propre façon de préparer les spécimens, par exemple. Un des avantages de cette banque, c'est qu'elle respectera un protocole pancanadien, puis offrira un spécimen de comparaison qui permet de faire ces recherches en bonne et due forme. Le Dr Sultan Darvesh de l'Université Dalhousie est à la tête du projet.

Le président : Il n'y a donc aucun tissu cérébral qui ne soit actuellement prélevé à des fins de traitement, n'est-ce pas?

Dr Joanette : Non. Il s'agit de personnes décédées qui ont donné leur cerveau à la science.

Le président : Merci. Vous nous avez beaucoup aidés à ouvrir le bal, comme votre organisme le fait toujours. Nous vous remercions infiniment d'avoir témoigné devant nous aujourd'hui, et je déclare sans plus tarder la séance levée.

(La séance est levée.)

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