Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 2 - Témoignages du 10 mars 2016
OTTAWA, le jeudi 10 mars 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour poursuivre son étude sur la question de la démence dans notre société.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je suis Kelvin Ogilvie, sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du comité. J'invite mes collègues à se présenter, en commençant à ma droite.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman de Montréal, Québec.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Nancy Ruth : Sénatrice Nancy Ruth de Toronto.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, sénatrice de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton de Toronto et vice-président du comité.
Le président : Merci, chers collègues. Je rappelle à tous que nous poursuivons notre nouvelle étude portant sur la démence dans notre société.
Je signale que nous avions prévu initialement la présence d'un deuxième témoin, un représentant de l'organisation Alzheimer's Disease International, mais ce témoignage a été reporté en raison de difficultés techniques. Nous allons assurément fixer une nouvelle date pour ce témoignage.
Aujourd'hui, nous recevons Dr Shekhar Saxena, directeur du Département de Santé mentale et abus de substances psychoactives à l'Organisation mondiale de la santé. Il témoignera par vidéoconférence depuis Genève, en Suisse.
Docteur, nous sommes impatients d'entendre votre témoignage. Après votre exposé, les membres du comité vous poseront des questions. Veuillez commencer, je vous prie.
Dr Shekhar Saxena, directeur, Département de Santé mentale et abus de substances psychoactives, Organisation mondiale de la santé : Tout d'abord, je tiens à dire à quel point je suis honoré de témoigner devant le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Le Canada étant un État membre de l'OMS, c'est un honneur de lui fournir de l'assistance technique par l'intermédiaire d'un comité sénatorial permanent.
Mon témoignage est basé sur des documents existants de l'Organisation mondiale de la santé. Je vais présenter la démence dans une perspective globale. Il s'agit d'un syndrome caractérisé par une dégradation de la mémoire, de la pensée, du comportement et de la capacité d'effectuer les activités courantes. Elle touche principalement les personnes âgées, bien qu'elle ne constitue pas une composante normale du vieillissement. Plus de 47 millions de personnes dans le monde sont atteintes de démence et sept millions de nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année. La maladie d'Alzheimer est la cause la plus courante de démence; elle expliquerait de 60 à 70 p. 100 des cas dans le monde.
La démence est l'une des principales causes de dépendance et d'invalidité chez les personnes âgées dans le monde. Elle entraîne des répercussions d'ordre physique, psychologique et économique chez les personnes atteintes, bien sûr, mais aussi chez les soignants et les familles ainsi que dans la société. La maladie a un impact économique sérieux. À l'échelle mondiale, elle cause des pertes de 600 milliards de dollars chaque année et ce montant atteindra probablement 1,2 mille milliards de dollars d'ici l'an 2030. Étant donné la mutation démographique qui s'opère dans la majorité des pays, la prévalence de la démence connaîtra sans doute une hausse considérable au cours des prochaines années.
Depuis environ six ans, l'OMS considère la démence comme une priorité en matière de santé publique. Son premier rapport technique sur la question, publié en 2012, s'intitule Dementia : A public health priority. Je l'ai entre les mains. L'hyperlien vers le rapport en ligne a été fourni au comité sénatorial. Le rapport traite du fardeau qu'impose la démence aux individus, à la société et aux familles et propose quelques interventions fondées sur des données probantes et utiles du point de vue clinique et de la santé publique.
En mars 2015, l'OMS a donné suite au rapport en organisant une réunion ministérielle, à laquelle ont participé de nombreux pays de partout dans le monde, dont le Canada, afin de considérer la démence dans une perspective de santé publique. Lors de l'événement, Margaret Chan, directrice générale de l'OMS, a déclaré :
Nulle autre maladie ne me vient à l'esprit qui entraîne aussi profondément une perte des fonctions cognitives, une perte d'indépendance et un besoin criant de soins. Nulle autre maladie ne me semble plus profondément redoutée par quiconque souhaite vieillir sereinement et dans la dignité.
Je ne vois nulle autre maladie qui fasse peser un fardeau aussi lourd sur les familles, les communautés et les sociétés. Je ne vois nulle autre maladie pour laquelle le besoin d'innovation, y compris de découvertes novatrices pour mettre au point un traitement, se fasse si cruellement sentir.
À cette réunion de mars 2015, le Canada était représenté par la sous-ministre adjointe Kim Elmslie et Dr Alain Beaudet, président des Instituts de recherche en santé du Canada.
Par ailleurs, l'OMS agit à titre de membre associé du World Dementia Council qui, je suis heureux de le souligner, est actuellement présidé par le Canadien Yves Joanette des Instituts de recherche en santé du Canada. Nous collaborons avec lui et les membres du conseil pour que la démence devienne une priorité beaucoup plus grande à l'échelle mondiale.
Nous sommes également à fonder un observatoire mondial de la démence, qui recueillera et diffusera des données sur la démence au plus grand nombre de pays possible. L'objectif est d'étendre le projet à l'échelle mondiale. L'observatoire sera opérationnel d'ici la fin de l'année. Le Canada est l'un des pays où le projet sera mis à l'essai. Nous nous attendons à ce qu'il joue un rôle de premier plan dans la collecte de données et qu'il propose des façons d'exercer une surveillance adéquate à l'échelle mondiale.
Enfin, l'Assemblée mondiale de la Santé, qui réunit les ministres de la Santé de tous les pays, y compris le Canada, tiendra sans doute des discussions sur la démence au cours des prochaines années. Il est prévu que le conseil exécutif en discute au cours de l'année 2016.
J'aimerais maintenant répondre à la question précise que l'on m'a posée sur ce que devrait être le contenu et la logique d'une stratégie nationale sur la démence. Selon nous, une stratégie nationale, un plan ou une politique sur la démence pourrait jouer un rôle important dans un pays, surtout dans un pays développé comme le Canada, qui pourrait agir à titre de chef de file pour tous les pays. La stratégie devrait être multisectorielle et mettre à contribution les principaux intervenants de tous les secteurs du pays.
Premièrement, la stratégie devrait être axée sur la santé publique, ce qui implique une analyse de la situation actuelle ainsi que des mécanismes de suivi. Elle doit aussi traiter du renforcement des ressources humaines et de modèles intégrés de soins de santé et de services sociaux mettant l'accent sur les soins communautaires, la prévention et la réduction des risques.
Deuxièmement, la stratégie devrait traiter des soins cliniques, ce qui comprend un diagnostic et un traitement précoces, l'établissement de normes minimales en matière de soins, l'utilisation de nouveaux médicaments et de technologies émergentes, de même que le soutien aux soignants, qui est extrêmement important.
La stratégie devrait comporter un troisième volet, celui de l'action communautaire, incluant l'éducation et la sensibilisation du public et des programmes connexes, comme le programme Amis de la santé cognitive, qui est déjà en place au Canada, je crois.
Le quatrième volet de la stratégie devrait être la recherche. Je parle de la recherche scientifique fondamentale, afin de trouver la cause de la démence, et de la recherche appliquée, en vue de mettre en pratique des stratégies fondées sur des données probantes, notamment, et surtout, de nouveaux médicaments et des technologies de pointe.
La stratégie devrait tenir compte du sexe, des différences ethniques et des droits de la personne. Il faut aussi prévoir des mécanismes de financement, dont des modèles de financement innovateurs, et la modélisation des besoins futurs en matière de ressources. La stratégie devrait également faire l'objet d'un partenariat public-privé. Nous sommes d'avis qu'il incombe d'abord au gouvernement de faire preuve de leadership sur une question comme celle de la démence, mais que le secteur privé, y compris les organismes non gouvernementaux, devrait également participer à ces efforts.
Enfin, il est important que la collaboration internationale fasse partie de la stratégie. Selon nous, aucun pays ne devrait avoir à composer entièrement seul avec le problème de la démence. Une collaboration internationale entre les pays développés, auquel participeraient aussi des pays à revenu faible ou intermédiaire, pourrait contribuer considérablement à la détermination de la meilleure stratégie et à l'apprentissage réciproque entre les pays.
Selon nous, ce sont là les principes de base et les composantes d'une stratégie nationale sur la démence, si on veut l'appeler ainsi.
Je sais que le Canada est composé de provinces et que les responsabilités sont clairement partagées entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Nous croyons toutefois qu'en exerçant un certain leadership qui mettrait à contribution les ordres de gouvernement aux niveaux provincial et local, et en tirant profit des collaborations établies au pays et à l'étranger, le gouvernement fédéral contribuerait grandement à faire progresser les choses de manière cohérente.
Pour conclure, je propose au nom de l'OMS que la démence devienne une priorité nationale, à un niveau beaucoup plus élevé que ce qui est actuellement possible. Il devrait y avoir une intervention nationale coordonnée, ainsi que des occasions d'apprentissage et de collaboration entre les pays.
Je vais m'arrêter ici. Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de fournir des précisions et de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, docteur. Je rappelle qu'il y a un délai dans la transmission des questions et des réponses.
Passons maintenant à la période des questions, en commençant par le sénateur Eggleton.
Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup, docteur Saxena. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'avoir clairement énoncé ce dont il faudrait tenir compte dans la création d'une stratégie sur la démence. Je signale que le Dr Joanette, dont vous avez fait mention et qui est président du World Dementia Council, a témoigné hier devant le comité afin de nous guider dans la présente étude.
Tout d'abord, en ce qui concerne le nombre croissant de personnes atteintes de démence, j'aimerais vous entendre sur les questions de prévalence et d'incidence. Évidemment, étant donné les mutations démographiques des populations, on s'attend à ce que de plus en plus de gens souffrent de démence, mais est-ce que l'incidence de la démence augmente également? Y a-t-il lieu de s'inquiéter de certains facteurs — comme notre mode de vie, par exemple — qui causeraient une hausse de l'incidence ou est-ce que la multiplication des cas est entièrement attribuable aux changements démographiques?
Dr Saxena : Vous soulevez une question extrêmement importante. Selon certaines informations de l'OMS — qui ne sont pas concluantes, je l'admets —, l'incidence et la prévalence de la démence seraient en hausse et celles-ci sont évidemment liées.
L'incidence varie en fonction de l'âge. Autrement dit, on observe une augmentation de l'incidence dans chaque groupe d'âge à l'échelle mondiale, bien que ce ne soit pas tout à fait le cas dans chaque pays.
Cette situation est causée par des facteurs liés au mode de vie, comme vous l'avez mentionné. Les cas d'obésité, de diabète et d'hypertension non traitée sont plus nombreux. D'autres facteurs de risque, comme le tabagisme, contribuent à l'augmentation de l'incidence de la démence dans chaque groupe d'âge. Selon nous, certains pays contrôlent ces facteurs de risque beaucoup mieux que d'autres.
Il faudra déterminer précisément ce qui en est de la situation canadienne pour contextualiser adéquatement ces informations globales. Voici un exemple. Certains pays où l'incidence du VIH est élevée sont aussi aux prises avec une incidence élevée de démence causée par le VIH. Il en va de même pour d'autres maladies qui constituent des facteurs de risque pour la démence.
Je dois revenir sur la question du changement démographique. Bien qu'on observe une légère hausse de l'incidence, celle-ci est principalement causée par le changement démographique. La longévité augmente, de même que le pourcentage de personnes âgées dans la population. Nous savons que l'incidence de la démence croît d'une tranche d'âge à une autre. Si les groupes plus âgés comptent plus de personnes, les cas de démence y seront plus nombreux.
J'aimerais ajouter un point intéressant. N'oublions pas que nous devons tous éventuellement mourir de quelque chose. Aujourd'hui, certaines maladies mortelles sont mieux contrôlées, comme les maladies cardiaques, le cancer et d'autres causes de mortalité courantes à l'âge moyen et au début de la vieillesse. Bien que les gens soient appelés à vivre plus longtemps, ils mourront un jour, de démence dans certains cas. Ainsi, le contrôle accru d'autres maladies contribuera à la hausse des cas de démence. Plus les personnes atteintes de démence seront bien soignées, plus leur vie se prolongera. Résultat : la prévalence de la démence augmentera.
La prévalence de la démence va croître avec la qualité des soins prodigués aux personnes qui en souffrent, ce qui peut paraître contradictoire. Il s'agit toutefois d'un facteur qu'il faut analyser et modéliser sur une période de temps.
Le sénateur Eggleton : Est-ce à dire que certaines personnes mourront quand même de maladies liées à la démence, malgré un meilleur contrôle de celle-ci et la mise en œuvre d'une stratégie? S'agit-il alors de veiller à ce que les personnes qui mourront de démence jouissent plus longtemps d'une bonne santé avant d'en arriver là? Si elles vivent plus longtemps, l'objectif ne devrait-il pas consister à leur éviter de passer leurs dernières années dans la souffrance et en mauvaise santé?
Dr Saxena : C'est exactement là où je veux en venir : les personnes atteintes de démence vivront plus longtemps si nous les soignons adéquatement. Si des soins leur sont prodigués plus tôt, elles vivront plus longtemps dans des conditions de vie convenables pour elles et leur famille.
Des soins d'une plus grande qualité prolongent l'existence et se traduisent par une qualité de vie accrue sur une plus longue période. Puisqu'il n'existe pas encore de remède pour la démence, l'état des personnes atteintes est appelé à se détériorer tôt ou tard. À l'heure actuelle, nous ne pouvons que retarder le processus; il nous est impossible de l'arrêter ou de le renverser. Il ne faut pas oublier que ces gens verront leur qualité de vie se détériorer grandement et qu'ils devront subir en fin de vie des soins nécessaires et obligatoires qui pourraient susciter un grand mécontentement.
Le sénateur Eggleton : J'aimerais préciser un point que vous avez soulevé à propos du mode de vie. Je me souviens avoir vu un tableau — je ne l'ai pas avec moi en ce moment — qui montrait que la prévalence était plus élevée dans les pays plus pauvres, particulièrement en Afrique. Vous avez évoqué le VIH dans votre exposé. Y a-t-il une raison qui explique la prévalence plus élevée de démence dans certains pays d'Afrique?
Dr Saxena : Le VIH est l'une des causes de démence en Afrique et dans d'autres pays, mais ce n'est certainement pas la principale cause. L'augmentation des cas de maladie non transmissible et des cas de maladie infectieuse touchant le cerveau qui sont observés dans certains pays font partie des autres causes de démence. Nous savons que, sur l'ensemble des cas de démence, on note un plus grand nombre de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer dans les pays à revenu élevé que dans les pays à revenu faible, où les cas de démence vasculaire et de démence attribuable à des causes secondaires sont plus nombreux que les cas de maladie d'Alzheimer. La situation varie selon la région du monde. Dans les pays à faible revenu, y compris les pays d'Afrique, les causes secondaires sont beaucoup plus importantes. Le VIH n'est qu'une cause parmi d'autres.
La sénatrice Seidman : J'ai examiné le document de l'OMS intitulé Dementia : a public health priority, qui donne un aperçu très détaillé et fort apprécié de la situation. Je vous en remercie. Lorsqu'il s'agit de soutenir les aidants naturels des personnes qui vivent avec la démence, le document souligne un aspect important en disant que, dans les pays à revenu élevé, une foule de programmes et de services ont été élaborés pour aider les aidants naturels et alléger leur fardeau. Cependant, les activités de recherche sont limitées lorsqu'il s'agit de déterminer l'efficacité de ces mesures dans différents contextes sociaux, culturels et géographiques. Cela tend à démontrer l'urgence d'élaborer et de mettre en œuvre une foule de services à coût faible ou nul au moyen d'une infrastructure accessible afin que même les personnes qui sont aux prises avec d'importants obstacles à l'accessibilité puissent accéder à ces services s'ils ont la motivation nécessaire.
Ma question a trait plus particulièrement à un tableau qui se trouve quelques pages plus loin dans le même document, et qui fournit les chiffres que l'OMS a recueillis sur le nombre d'heures de soins qui sont offerts quotidiennement par des aidants naturels dans différentes régions. Il est renversant de constater que, en moyenne, les aidants naturels passent environ 8,2 heures par jour à subvenir aux besoins quotidiens de personnes atteintes de démence, que ce soit des membres de la famille, des amis ou toute autre personne. En examinant les données de l'Europe centrale et de l'Europe orientale, on note que ce chiffre s'élève à environ 10 heures par jour. Dans certaines régions, le nombre est moins élevé, mais à peine. Au bas de l'échelle, on peut trouver des régions avec un total de six ou sept heures. Comme je l'ai dit, la moyenne s'élève à 8,2 heures par jour.
Lorsque j'examine ce tableau et que je lis vos principales observations sur l'importance de soutenir les aidants familiaux et les aidants naturels, je me demande comment nous pouvons y parvenir? Que pourriez-vous nous dire à ce sujet?
Dr Saxena : Cela fait partie des domaines très importants où les possibilités d'intervention sont nombreuses, même si nous n'avons pas de remède contre la démence. Dans les familles, ce sont les aidants naturels, en particulier les membres de la famille, et surtout les femmes — que ce soit l'épouse, la fille ou la belle-fille —, qui prennent soin des personnes atteintes de démence.
Je ne sais pas si ce rapport de 2012 dit qu'il n'y a pas suffisamment de données sur les programmes de soutien aux aidants naturels, d'information et d'aide pour déterminer leur efficacité et leur efficience dans les différents contextes culturels. Aujourd'hui, en 2016, nous en savons un peu plus qu'en 2012. Même si on ne peut toujours pas tirer de conclusion à cet égard, les données tendent davantage à démontrer que les programmes de soutien aux aidants naturels peuvent améliorer la qualité de vie à la fois des personnes atteintes de démence et des aidants. À long terme, ils peuvent contribuer très efficacement à alléger le fardeau de manière à ce qu'un plus grand nombre de personnes puissent continuer de vivre avec leur famille ou dans leur collectivité au lieu d'être prises en charge par un établissement. Évidemment, c'est l'objectif qui sera visé dans toutes les régions d'un pays.
Les programmes de soutien aux aidants naturels qui ont été mis à l'essai dans différents pays visaient notamment à ce que les fournisseurs de soins de santé et de services sociaux offrent de l'information et de l'aide en se servant de mécanismes et de méthodes adaptés à leur collectivité, y compris des consultations en personne, de l'information offerte par écrit, sur support audio ou vidéo et en ligne, notamment grâce à des applications web et mobiles dans le domaine de la santé, autant de moyens utiles pour fournir de l'aide et de l'information.
Cela inclut également l'aide offerte par le secteur social, y compris les soins de relève et les groupes d'entraide. Les gens peuvent se regrouper et s'informer sur les meilleures façons d'offrir des soins, et ils peuvent aussi offrir des soins de relève, ce qui est très important. Les soins de relève sont les soins qui permettent aux personnes qui s'occupent d'un membre de leur famille atteint de démence de prendre une pause, que ce soit pendant quelques heures, une journée ou un week-end. D'autres personnes peuvent offrir cette aide, en particulier des aidants d'autres familles, et c'est une approche qui fonctionne très bien.
La troisième méthode fréquemment employée pour soutenir les aidants consiste à fournir de l'aide financière. On peut notamment offrir des allègements fiscaux ou des avantages directs sous forme d'aide financière ou non financière. Cette méthode peut s'avérer très utile.
Même si cela n'a pas été démontré, certains soutiennent que les avantages que procure ce genre d'aide compensent largement les dépenses qui s'y rattachent. Par exemple, si l'État offre une aide non financière aux familles sous forme de soins de relève ou de contribution aux tâches quotidiennes, le bénéficiaire des soins reste plus longtemps auprès de sa famille. Cela finit par faire économiser beaucoup d'argent aux collectivités et aux pays.
Aujourd'hui, l'OMS est mieux outillée qu'en 2012 pour étayer sa recommandation en affirmant que le soutien aux aidants naturels est un moyen très efficace de prendre soin des personnes atteintes de démence au sein des collectivités et des familles.
La sénatrice Seidman : Si vous ne l'avez pas dit expressément, vous avez certainement laissé entendre que, pour améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de démence, il est important de leur permettre de vivre plus longtemps dans leur collectivité au lieu d'être prises en charge par un hôpital ou un établissement. De nos jours, nous savons tous que la majorité de nos ressources sont consacrées aux soins actifs offerts dans les hôpitaux. Est-ce à dire que les gouvernements devraient envisager de réaffecter des ressources vers les soins communautaires et les services sociaux au lieu de les concentrer dans les hôpitaux?
Dr Saxena : J'en suis absolument convaincu. La recommandation de l'OMS est sans équivoque. Pour améliorer la qualité de vie d'une personne atteinte de démence et des membres de sa famille, il est important que des ressources soient réaffectées vers les soins communautaires. Les données tendent à démontrer que, en répartissant les ressources dans l'ensemble du système de santé et de services sociaux au lieu de les concentrer dans un secteur du système, afin de passer d'une approche axée sur les soins en établissement à une autre qui mise sur les soins communautaires, on peut rendre les soins plus efficaces, voire plus efficients, et c'est l'objectif que devrait viser l'ensemble des collectivités ou des pays.
La sénatrice Seidman : Je suis vraiment ravie de vous l'entendre dire, car l'OMS a un rôle de chef de file très important à assumer. S'il y a un aspect plus important que les autres, je pense que vous venez de le souligner. Je vous en suis fort reconnaissante. Merci.
La sénatrice Nancy Ruth : Merci, monsieur. En ce qui concerne l'aspect stratégique, vous avez dit notamment que nous devrions tenir compte du genre. Je me demande si vous pourriez préciser un peu plus ce que vous entendez par là. Je vous interrogerai ensuite sur les relations que vous entretenez avec ONU Femmes, le cas échéant.
Dr Saxena : Le genre est un facteur très déterminant pour bon nombre de problèmes de santé, et c'est certainement le cas de la démence. Par exemple, en ce qui a trait à la démence, le taux de prévalence et le nombre de cas observés sont différents chez les hommes et les femmes. Par ailleurs, comme je l'ai souligné dans ma réponse à une question précédente, la vaste majorité des aidants naturels des personnes atteintes de démence sont des femmes. Cet aspect n'est souvent pas pris en compte au moment d'élaborer une stratégie, que ce soit à l'échelle nationale, provinciale ou locale. Il faut que cet aspect soit beaucoup mieux pris en compte dans les stratégies, mais aussi dans la prestation de services, afin que les personnes atteintes de démence et les aidants puissent tirer parti de ces stratégies et services le plus possible et le mieux possible. Évidemment, la façon dont les femmes réagissent au stress et assument le rôle d'aidant est très différente de celle des hommes. Ce sont des aspects importants dont il faut tenir compte lors de l'élaboration de stratégies et de services.
Je dois, hélas, admettre que les données sur certains de ces aspects sont plutôt rares, car ils n'ont pas été étudiés aussi minutieusement qu'ils auraient dû l'être. Même s'il existe de la documentation à ce sujet, elle s'appuie en grande partie sur l'expérience pratique, et nous devons en apprendre davantage à ce sujet. C'est ce que nous ferons à mesure que nous commencerons à mettre en œuvre les stratégies qui tombent sous le sens, et nous tirerons des leçons dans d'autres domaines où la documentation liée à la santé et à l'invalidité est un peu plus détaillée que celle qui a trait à la démence.
La sénatrice Nancy Ruth : Lorsque vous dites que la majorité des aidants et des patients sont des femmes, et qu'il faut en tenir compte dans les stratégies, quels sont les exemples qui vous viennent à l'esprit?
Dr Saxena : Juste pour vous donner un exemple, je dirais que le genre de systèmes d'information et d'aide qui sont utilisés par les femmes peuvent souvent être très différents de ceux qu'utilisent les hommes. Ce n'est peut-être pas le cas au Canada, mais c'est certainement ce qu'on observe à l'échelle mondiale, car, dans un pays donné, la proportion de femmes qui sont sur le marché du travail et qui sont instruites et formées peut varier énormément. Il faudra tenir compte de ces facteurs observés à l'échelle mondiale lorsqu'on élaborera des stratégies dans ce domaine.
Je ne peux pas me prononcer sur la situation au Canada pour la simple raison que je ne suis pas très au fait de ces circonstances. Cependant, aux fins de l'élaboration d'une stratégie, j'encourage fortement le comité sénatorial à consulter les Canadiens qui pourraient être beaucoup plus au fait de la situation et qui ont travaillé dans ce domaine.
La sénatrice Nancy Ruth : Votre organisation collabore-t-elle avec ONU Femmes dans ce dossier, et serait-il judicieux de le faire?
Dr Saxena : Actuellement, notre collaboration avec ONU Femmes se limite à certains dossiers, et celui de la démence n'en fait pas partie. Cependant, je prends bonne note de votre suggestion, et je pense que c'est ce que nous devrions faire.
La sénatrice Nancy Ruth : J'aimerais vous poser une dernière question sur le facteur ethnique. Le Canada est une société où se côtoient des gens de différentes origines ethniques. Je ne sais pas quelles sont les données disponibles à ce sujet, mais y a-t-il des groupes ethniques qui sont plus susceptibles que les autres d'être atteints de démence ou de la maladie d'Alzheimer, et devrions-nous élaborer une stratégie de santé publique en tenant compte de ce facteur?
Dr Saxena : Je ne sais pas s'il y a des différences majeures entre les groupes ethniques, mais, comme nous l'avons souligné plus tôt, il y a certainement des facteurs liés aux circonstances personnelles et aux habitudes de vie qui ont une plus grande incidence. Si ces facteurs ont un lien avec l'origine ethnique, alors celle-ci aura une incidence, mais je ne connais aucune documentation qui démontre que ce facteur joue un rôle déterminant.
Le président : Avant de donner la parole à la sénatrice Raine, je devrais signaler à ceux qui écoutent les délibérations que, dans sa réponse, le témoin a parlé d'applications mobiles dans le domaine de la santé. C'est un terme que nous n'employons pas fréquemment, et que bon nombre des personnes qui nous écoutent ne connaissent peut-être pas.
La sénatrice Raine : Je vous remercie infiniment de votre présence.
J'aimerais étudier la question sous un autre angle et savoir si l'OMS s'emploie à devenir une source de référence sur les pratiques exemplaires. Je pense que, lorsqu'on veut que les gens puissent rester chez eux et dans leur collectivité, on doit souvent composer avec l'insuffisance de ressources telles que des fauteuils roulants et des installations pour donner le bain à ces personnes. Il me semble que, lorsque l'équipement nécessaire est de nature médicale, les coûts sont très élevés.
Partout dans le monde, est-ce qu'on élabore des solutions à faible coût plus judicieuses et réalisables pour aider les personnes qui perdent de la mobilité à mesure que la maladie progresse? C'est une question très importante, car, lorsqu'une personne perd sa mobilité, et surtout lorsqu'elle souffre d'embonpoint ou d'obésité, il devient presque impossible de la garder à la maison. Je me demande s'il y a un moyen de communiquer les meilleures pratiques élaborées dans le monde entier afin de faciliter la tâche aux aidants.
Dr Saxena : En fait, je vais apporter des précisions sur un aspect dont j'ai parlé plus tôt et qui est lié à votre question. Il s'agit de faciliter l'échange de connaissances entre les pays et les cultures; nous croyons que c'est très important. Il faut échanger les connaissances sur le plan stratégique, mais aussi les connaissances liées aux pratiques communautaires et aux autres expertises qui sont à la disposition de plusieurs collectivités et pays.
Nous croyons que beaucoup d'apprentissage mutuel doit se faire à tous les niveaux. Pour cette raison, nous avons commencé deux projets. Le premier est la création d'un observatoire mondial de la démence, dont j'ai parlé plus tôt, qui sera davantage pour les pays et les gouvernements. Dans le cadre de ce projet, les données sur la prévalence, la fréquence, le fardeau — de même que sur les ressources, les stratégies, les systèmes de soins de santé et la recherche — seront recueillies de chaque pays et seront faciles d'accès, et des documents de politique et de pratique seront rédigés pour aider les pays à déterminer ce qu'ils pourraient faire mieux.
Cet observatoire comportera aussi un ensemble de pratiques exemplaires que nous diffuserons de diverses parties du monde et collectivités, qui pourraient aider grandement les gens à voir ce qui pourrait être fait dans le cadre des infrastructures qu'ils possèdent ou qu'ils sont susceptibles de posséder à l'avenir.
Je fais ici référence surtout aux stratégies peu coûteuses qui, d'après nous, sont importantes non seulement pour les pays à faible ou moyen revenu, mais aussi extrêmement importantes pour les pays à revenus élevés. Nous croyons que chaque pays, peu importe son niveau de revenu, est un pays en développement dans le domaine de la démence. Chaque pays a beaucoup à apprendre, et cet apprentissage pourrait s'élever au-delà des différences de revenus et des différences culturelles qui existent. L'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, cherche à combler le fossé de la manière la plus appropriée possible, et nous faisons de cet enjeu une grande priorité.
Le deuxième projet dont je dois parler porte aussi sur une question qui a été posée auparavant. Nous établissons une plateforme en ligne que nous appelons iSupport, et qui fournira des renseignements et du soutien aux aidants. Ce sera une plateforme électronique et mobile qui permettra aux aidants, peu importe où ils se trouvent, de trouver des renseignements et des conseils pratiques sur ce qu'ils pourraient faire à l'aide de leurs propres ressources et aussi des ressources du système de santé qui pourraient être disponibles. Cette plateforme en ligne sera fonctionnelle en anglais d'ici la fin de l'année, mais nous encouragerons les pays à la traduire dans leur langue et à l'adapter pour répondre à leurs exigences nationales, ce qui permettra aussi de répondre à la question que vous avez soulevée, à savoir si les gens peuvent tirer des leçons des expériences des autres et partager leurs meilleures pratiques. C'est ce que cette plateforme fera pour les aidants. En revanche, l'observatoire mondial de la démence sera davantage destiné aux planificateurs de politiques et aux fournisseurs de soins de santé, qui apprendront des choses les uns des autres.
Bref, nous sommes très conscients des possibilités d'apprendre des choses d'autres pays et collectivités. De manière modeste, nous tentons de faciliter cette interaction. Je dois ajouter que cela pourrait se faire à un niveau national afin que différentes provinces et localités puissent apprendre les unes des autres. Il vaudrait aussi la peine d'envisager l'établissement de plateformes nationales pour l'atteinte de ces objectifs.
La sénatrice Raine : Je pense que c'est une excellente innovation. Lorsque la maladie d'Alzheimer ou la démence frappe, il faut évidemment former les membres de la famille de la personne atteinte de cette maladie afin qu'ils puissent prendre soin d'elle à domicile. Ils doivent apprendre ce qu'ils doivent faire et ce à quoi ils peuvent s'attendre. Dans les établissements, en revanche, je présume qu'il existe des normes internationales de formation. Comment les gens fournissent-ils des soins en établissement, qu'ils soient publics ou privés, et comment sont-ils formés partout dans le monde? Y a-t-il un échange de normes pour ce genre de soins?
J'ai personnellement été extrêmement impressionnée par les soins de compassion prodigués dans les établissements avec lesquels j'ai été en contact, mais je ne sais pas quel genre de formation ses membres ont reçue. C'est comme si ce type de travail est une vocation. Si les gens ont cette vocation, la compassion dont ils font preuve ne compense-t-elle pas le manque de formation technique? J'aimerais savoir s'il existe une interface avec ce genre de formation.
Dr Saxena : À l'échelle internationale, il n'y a pas de norme minimale en matière de soins ou de formation. Partout dans le monde, de même qu'à l'intérieur des pays, il y a un écart considérable entre le genre de formation que les aidants professionnels reçoivent et les soins qui sont réellement prodigués aux gens en milieu hospitalier ou institutionnel.
Même si vous avez eu une très bonne expérience — et je respecte cela —, dans beaucoup de pays et de collectivités, les soins que les gens reçoivent sont bien inférieurs à ce qui devrait être acceptable sur les plans éthique et médical. Nous savons que, dans de nombreux pays, les violations des droits de la personne et, disons-le franchement, la maltraitance des personnes souffrant de démence sont très répandues. Nous croyons qu'il s'agit là d'un problème grave auquel doit s'attaquer non seulement la communauté internationale, mais aussi les pays, afin de pouvoir établir des normes minimales, d'adopter un code d'éthique et de veiller à ce qu'il soit respecté, surtout dans les établissements de soins, mais aussi dans les collectivités. La maltraitance des aînés devient un problème très grave, et les personnes atteintes de démence sont particulièrement à risque.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Je crois que nous devrions nous pencher là-dessus dans le cadre de notre étude.
La sénatrice Merchant : Merci, docteur, d'être avec nous ce matin.
Pour continuer dans la même veine de questions et de réponses, on nous a dit hier quelque chose que nous savions tous déjà, à savoir que l'un des problèmes vient du fait que certaines personnes vivent dans des régions éloignées. Notre pays est très grand, et parfois la population est clairsemée et les gens sont séparés par de longues distances. Même si des normes existent, il devient plus difficile d'offrir tous les services. Puisque le Canada est une société d'abondance et un pays développé, il n'est peut-être pas dans une situation aussi critique que certains des autres pays.
Les différences culturelles sont un autre point que vous avez abordé plusieurs fois. Dans certaines cultures, ce sont les membres de la famille d'une personne qui doivent s'occuper d'elle. Dans ces cultures, il n'est pas très acceptable de mettre ses parents dans des établissements, et ce pour deux raisons : premièrement, les parents s'attendent à ce que les membres de leur famille s'occupent d'eux; et, deuxièmement, les membres de la famille ne veulent pas mettre leurs parents dans un établissement parce que les autres pourraient ne pas avoir une bonne opinion d'eux, surtout s'ils habitent dans une petite localité.
Je me demande juste quelles lignes directrices l'OMS publie pour aider les gens qui pourraient se trouver dans ce genre de situation à cause de leur culture.
Dr Saxena : En ce qui concerne la première question que vous avez soulevée, nous savons que même les pays développés et à revenus élevés peuvent avoir des populations qui sont mal desservies, notamment parce qu'elles demeurent dans des régions éloignées. Le Canada en est un exemple. Cela s'applique à bon nombre d'autres domaines de la santé. Ce ne sont pas seulement les gens atteints de la démence qui sont mal desservis dans les régions éloignées.
Pour offrir des services à ces populations, le Canada pourrait se servir de technologies, comme la télémédecine, les consultations téléphoniques et vidéo et la transmission de données. C'est une approche qui a bien fonctionné en Australie, qui a également des populations éloignées, et qui pourrait aussi fonctionner au Canada. Le recours à certaines de ces techniques de pointe pourrait être très utile à cet égard.
Au bout du compte, ce sont les familles qui s'occupent des personnes malades, surtout dans les régions éloignées, parce que les établissements sont loin d'elles. Comme vous l'avez dit dans la deuxième partie de vos remarques, les familles pourraient ne pas vouloir utiliser les établissements institutionnels en raison de leur culture, ce que l'on devrait respecter.
Cela m'amène à un autre point, à savoir que les services et les soins doivent tenir compte des opinions et des traditions culturelles des gens, y compris ceux atteints de démence, et que les services doivent être adaptés aux besoins perçus et réels exprimés par les gens. Comme je l'ai mentionné dans mes observations initiales, il est absolument essentiel de mener une consultation auprès de divers intervenants quand nous élaborons les stratégies. Ces intervenants incluent des membres des collectivités, ainsi que des gens atteints de démence qui doivent être consultés afin de déterminer ce qui est mieux pour eux. Il faut entendre ce qu'ont à dire les personnes souffrant de démence. Sans cela, rien ne sera applicable également aux personnes atteintes de démence et à leur famille. Elles doivent être consultées pour savoir ce qu'elles préfèrent. Cela s'appliquera également aux personnes vivant dans des régions éloignées.
La sénatrice Merchant : Dans une société multiculturelle comme la nôtre — et nous sommes un pays bilingue — il est parfois difficile de communiquer dans une langue que le patient comprendrait. Je ne pense pas que l'OMS puisse adopter un règlement à ce sujet, mais je suis certaine que vous êtes sensible à cela. Parfois, quand on communique avec des personnes, surtout des personnes âgées, si l'on ne parle pas dans leur langue, les membres de leur famille deviendront beaucoup plus importants parce qu'elles peuvent leur parler dans une langue qu'elles comprennent.
Je me demande une chose : bien que la démence soit une affection, cause-t-elle de la douleur? Lorsque les gens vieillissent, ils n'aiment pas vraiment admettre qu'ils perdent leurs facultés. Nous aimons croire que nous pouvons tout faire par nous-mêmes. Mon père, âgé de 95 ans, me disait toujours : « Ne marche pas à mes côtés parce que je ne veux pas que les gens pensent que tu m'aides. » Je devais marcher quelques pas derrière lui lorsque nous allions nous promener. Il ne voulait pas que les gens me voient marcher près de lui. Je suis Grecque. C'est pourquoi je parle de différences culturelles. Mon père était Grec, et il voulait que je sache qu'il n'avait pas besoin que je le tienne.
Y a-t-il quelque chose qui peut nous alerter? Y a-t-il une sorte de douleur qui n'est pas liée à d'autres affections dont nous souffrons et qui pourrait nous amener à penser que nous avons peut-être besoin d'aide ou m'amener à penser que peut-être mon père a besoin d'un peu plus d'aide qu'il me laisse croire?
Dr Saxena : Je crois que vous demandez peut-être s'il y a des souffrances physiques ou psychologiques qui sont associées à la perte par une personne de ses capacités cognitives. Les gens ont certainement une réaction au déclin de leurs capacités cognitives. Certaines personnes sont anxieuses ou déprimées. L'incidence des troubles dépressifs associés à la démence est très élevée parce que les capacités cognitives sont perdues. C'est comme toute autre perte, et cela peut entraîner une dépression.
Le traitement avec respect et dignité des personnes atteintes de démence devrait être au cœur de tous les soins prodigués, que ce soit par des fournisseurs de soins professionnels ou des aidants naturels. Nous devons leur témoigner du respect. Il faut vraiment tenir compte de leurs préférences et de leurs priorités lorsque nous élaborons leur programme de soins. Dans bien des cas, les personnes atteintes de démence ont de la difficulté à accepter qu'elles ne peuvent plus faire les choses qu'elles pouvaient faire auparavant. Il faut trouver une solution appropriée à ce problème, tout en gardant, bien sûr, au premier plan la sécurité de la personne. Après cela, il faut prendre en considération les préférences de la personne, s'efforcer de préserver sa dignité et lui conférer le respect auquel chaque être humain, qu'il soit atteint de démence ou non, a le droit. Ce sont des éléments qui doivent être intégrés dans les services et les renseignements donnés aux membres de la famille afin de trouver le meilleur compromis entre la sécurité et les préférences et priorités des personnes dont les capacités cognitives sont en déclin.
La sénatrice Merchant : Merci, docteur.
Le sénateur Eggleton : Au début de votre intervention, docteur, vous avez donné une définition de la démence. J'ai un texte sous les yeux. Je pense qu'il est conforme à ce que vous avez dit, mais la description qui s'y trouve indique que certains problèmes de perte de mémoire sont attribuables au vieillissement normal d'une personne en bonne santé. La démence, en revanche, est une maladie évolutive qui prive une personne de beaucoup plus que la capacité à se souvenir de certains événements, de noms ou d'idées. La démence est une maladie évolutive entraînant un déclin des fonctions cognitives. Contrairement à l'oubli attribuable à l'âge et à l'affaiblissement cognitif léger, la démence a des effets prononcés sur la capacité d'une personne à vivre et à fonctionner de façon autonome.
Premièrement, êtes-vous d'accord avec cela? Deuxièmement, comment le citoyen moyen sait-il quand il a franchi cette ligne? Le citoyen moyen pourrait être réticent à aller chez le médecin. Très fréquemment, il refuse d'admettre qu'il a un problème. Nous oublions tous des choses de temps en temps, y compris moi. Comment pouvons-nous savoir si nous souffrons d'un début de démence? Tel que vous l'avez signalé, le dépistage précoce est très important, mais comment le citoyen moyen peut savoir quand aller consulter un médecin? Vous ne voulez pas aller voir le médecin uniquement parce que vous avez oublié le nom d'un ami pendant quelques heures, un rendez-vous ou une chose qui est peut-être anodine. Or, vous devez aussi être en mesure de reconnaître, ou votre famille doit l'être, si votre état s'aggrave. Comment pouvons-nous aider les gens à comprendre quand ils ont franchi cette ligne?
Dr Saxena : Vous avez soulevé une question très importante sur laquelle on trouve quelques renseignements et témoignages dans la documentation de nombreux pays. Je suis d'accord avec vous pour dire que la démence est une maladie dégénérative du cerveau et qu'elle n'est pas similaire au vieillissement normal, situation que nous vivons tous. Tous nos organes changent lorsque nous vieillissons, y compris notre cerveau. Ce sont des changements normaux qui sont très différents des changements attribuables à la démence, qui est comprise dans la Classification internationale des maladies comme un problème de santé ou une maladie. Il y a 10 éditions de cet ouvrage.
Cela étant dit, vous demandez comment les gens savent qu'ils pourraient être atteints de démence. Il existe plusieurs méthodes de dépistage précoce.
La personne elle-même peut observer qu'elle vit un déclin rapide plutôt qu'un déclin très lent et imperceptible, ce qui indique qu'elle pourrait être atteinte de démence. Les petits oublis sont normaux, mais des oublis qui ont une incidence sur ses activités quotidiennes et les situations prévisibles de la vie devraient indiquer à la personne qu'elle pourrait avoir un début de démence. Comme vous l'avez mentionné, à juste titre, ce sont les fonctions mnésiques que l'on perd habituellement, mais pas toujours, en premier.
Quant aux membres de la famille — et j'ajouterais les collègues et les amis qui observent la personne depuis un certain temps — là encore, s'ils constatent un déclin rapide des fonctions cognitives, mais aussi des changements de comportement ou dans les activités quotidiennes qui ne peuvent s'expliquer par d'autres facteurs, cela est un signe qu'il faut consulter.
La question la plus importante ici est : qu'est-ce qui arrive à la personne lorsqu'elle consulte? Malheureusement, du moins à l'échelle mondiale, il y a un gros problème du fait que les médecins généralistes et le personnel infirmier ne sont pas suffisamment formés pour détecter la démence aux premiers stades de la maladie. Dans beaucoup de pays, les connaissances et les compétences des fournisseurs de soins de santé généralistes — je ne parle pas ici des spécialistes — sont bien inférieures à ce qui serait nécessaire. Il faudrait contrôler systématiquement les fonctions cognitives de toute personne rendue à un âge où la démence est courante pour voir si elle pourrait être atteinte de démence, quel que soit le motif de sa consultation, même si elle ne consulte pas parce qu'elle soupçonne qu'elle en est atteinte. Si la personne consulte pour le diabète ou toute autre maladie, le fournisseur de soins de santé devrait systématiquement vérifier si elle pourrait être atteinte de démence.
Cela devient encore plus important en présence de facteurs de risque, comme des maladies non transmissibles, notamment une maladie cardio-vasculaire, un taux de cholestérol élevé, de l'obésité et des habitudes préjudiciables, comme le tabagisme, la consommation d'alcool, qui incidemment est l'un des facteurs de risque de démence, de même que la présence d'un autre facteur de risque qui pourrait prédisposer la personne à la démence. En présence de ces facteurs, il est encore plus important de procéder à un dépistage au moyen des technologies standard qui existent, y compris les tests de fonctions cognitives, en plus des tests physiques qui seraient faits.
Je dois dire que, même dans un grand nombre de pays développés, le taux de dépistage de la démence est de 50 p. 100 ou moins, ce qui montre bien l'ignorance sur cette maladie dans la population et dans le système de santé.
Le sénateur Eggleton : J'ai une question complémentaire : Y a-t-il un pays qui arrive mieux que les autres à gérer ce problème?
Dr Saxena : Il me sera difficile de répondre à cette question. Je ne nommerais pas un seul pays. Toutefois, les systèmes de santé très développés, y compris dans certains pays nordiques, en Australie — et je dois ajouter, selon l'information dont je dispose, au Canada — sont dotés d'un système assez bien développé pour diagnostiquer et soigner les personnes atteintes de démence. Ce sont des pays qui sont de bons exemples pour les pays à revenus élevés. Manifestement, la situation dans les pays à faible revenu est grandement différente et les pays peuvent apprendre beaucoup les uns des autres.
La sénatrice Raine : Est-ce que le test de Montréal serait un bon test à administrer, disons, lors d'un bilan annuel à partir d'un certain âge ou en présence de tous les autres facteurs? Nous avons entendu parler du test de Montréal.
Dr Saxena : Parlez-vous d'un instrument en particulier? Je n'ai pas bien entendu votre question.
La sénatrice Raine : Nous avons entendu parler hier d'un test, le test de Montréal, qui sert à dépister la maladie d'Alzheimer.
Le président : C'était le test d'évaluation cognitive de Montréal.
Dr Saxena : Je ne connais pas très bien ce test en particulier, mais je sais qu'il existe de nombreux tests qui ont été validés au sein de la population de divers pays et qui sont utiles pour détecter la démence. Je dirais que le recours à un test validé standardisé dans les différents pays et populations serait indiqué. Il reste à voir lequel est le plus utile pour la population locale, compte tenu des variantes culturelles et linguistiques qu'il pourrait y avoir. Je ne suis pas en mesure de commenter ce test en particulier.
Le président : Merci beaucoup, docteur. Votre contribution a été très utile et nous en a appris beaucoup sur ce qui se fait dans le monde dans ce domaine particulier.
Au nom du comité, je vous remercie beaucoup d'avoir comparu au nom de l'OMS, qui est un contributeur de grande réputation à nos connaissances sur la santé dans le monde.
Sur ce, je déclare que la séance est levée.
(La séance est levée.)