Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 7 - Témoignages du 11 mai 2016
OTTAWA, le mercredi 11 mai 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, afin de poursuivre son étude sur la question de la démence dans notre société.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je m'appelle Kelvin Ogilvie, je suis de la Nouvelle-Écosse et je préside ce comité. J'invite maintenant mes collègues à se présenter.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto, vice-président du comité.
La sénatrice Merchant : Bonjour. Pana Merchant, de la Saskatchewan.
La sénatrice Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal.
Le président : Je rappelle au comité que nous poursuivons notre étude sur la question de la démence dans notre société. Nous accueillons trois témoins et je suis ravi qu'ils aient pu se rendre à notre invitation.
Je vous invite à commencer par vos exposés dans l'ordre convenu, après quoi je céderai la parole à mes collègues pour leurs questions.
Sur ce, j'invite Katherine McGilton, chercheuse principale et professeure agrégée, Institut de réadaptation de Toronto — Réseau universitaire de santé, à prendre la parole. Elle témoigne à titre individuel.
Katherine McGilton, chercheuse principale et professeure agrégée, Institut de réadaptation de Toronto — Réseau universitaire de santé : Permettez-moi d'abord de remercier le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour m'avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui.
Je suis infirmière autorisée et scientifique principale au Toronto Rehabilitation Institute du Réseau universitaire de santé et professeure agrégée de la faculté de soins infirmiers Lawrence S. Bloomberg de l'Université de Toronto. Dans le cadre de ma carrière, je me suis appliquée à trouver des moyens de maintenir la capacité fonctionnelle de personnes souffrant de déficit cognitif, y compris de démence, et d'améliorer la qualité de leur vie quotidienne.
Récemment, au Danemark, j'ai participé à un groupe d'experts qui était organisé par un centre d'études et de recherches mondial et qui portait sur la réadaptation des personnes souffrant de démence.
Je vais vous parler du peu d'accès pour les personnes souffrant de démence, non seulement aux installations spécialisées dans la réadaptation, mais également aux services de réadaptation offerts par les hôpitaux, les maisons de soins infirmiers, les résidences pour personnes âgées et les services communautaires. Cela n'est pas sans avoir un profond effet sur leur capacité à bien vieillir. Il s'agit d'une crise nationale qui existe surtout parce que les gens croient, de manière nihiliste, qu'une personne atteinte de démence ne peut pas participer de manière efficace à sa réadaptation.
Les Canadiens vivent plus longtemps qu'avant. Toutefois, ce ne sont pas tous les Canadiens âgés qui jouissent d'une bonne santé et qui peuvent profiter de la vie en vieillissant. Comme la population vieillit et l'espérance de vie augmente, le nombre de Canadiens souffrant de maladies chroniques multiples et de problèmes de santé complexes ira en augmentant. C'est d'autant plus vrai pour les personnes âgées dont les capacités fonctionnelles et cognitives sont réduites, que l'on parle de déficience cognitive légère ou de démence avancée. Les personnes souffrant de démence sont à risque et susceptibles d'être prises en charge prématurément par des établissements.
La majorité des Canadiens veulent continuer de vivre leur vieillesse dans leur propre foyer, malgré leurs problèmes de santé. Or, ce n'est souvent pas possible pour les Canadiens âgés atteints de démence. Ces Canadiens ont des problèmes de santé et des symptômes cognitifs qui nuisent à leur fonctionnement quotidien, comme leur capacité de s'habiller, de manger ou de marcher, au fur et à mesure que la maladie progresse. Il est donc beaucoup plus difficile pour ces personnes de vieillir dans leur foyer.
La perte de capacités fonctionnelles a non seulement une incidence négative sur la vie des personnes souffrant de démence, mais elle représente un lourd fardeau et de graves risques pour l'aidant principal, qui est souvent un conjoint vieillissant. Les soins à domicile subventionnés par l'État qui sont offerts à ces familles se font rares et, souvent, ils ne mettent pas l'accent sur le maintien des capacités fonctionnelles ou la prévention d'un déclin. Par conséquent, un grand nombre de personnes atteintes de démence deviennent dépendantes d'autrui pour leurs soins et doivent être placées en établissement.
Par ailleurs, la personne démente qui subit un revers, comme une fracture de la hanche, et qui nécessite des soins actifs en milieu hospitalier, connaîtra fort probablement une baisse significative de ses capacités fonctionnelles. En raison du manque de ressources et de personnel qualifié, et vu le peu d'importance généralement accordé au maintien de l'autonomie, les personnes atteintes de démence sont très susceptibles de connaître, en milieu hospitalier, un déclin de leurs fonctions cognitives et fonctionnelles beaucoup plus grave que celui auquel on pourrait s'attendre compte tenu de leur maladie.
Malheureusement, bon nombre des personnes souffrant de démence et qui sont désignées comme étant des personnes nécessitant « un autre niveau de soins », occasionneront des coûts plus élevés à l'échelle du système que les autres groupes et elles devront attendre dans les unités de soins de courte durée jusqu'à ce qu'il y ait une place dans les unités de soins de longue durée, ce qui contribuera à diminuer encore plus leurs capacités fonctionnelles.
Nous savons que les personnes atteintes de démence, lorsqu'elles reçoivent leur congé après une hospitalisation aux soins de courte durée, n'ont pratiquement aucun accès aux rares services de réadaptation au Canada pour les aider à regagner les capacités qu'elles ont perdues. Comme ils sont convaincus, de manière nihiliste, qu'une personne atteinte de démence ne peut pas participer de manière efficace à sa réadaptation, les administrateurs et les fournisseurs de soins de santé accordent peu de ressources pour la réadaptation des patients ayant une déficience cognitive, peu importe leur lieu de vie.
Il est important de signaler ici que, contrairement à cette croyance, de plus en plus de recherches montrent que les personnes souffrant de démence peuvent être réadaptées. On constate d'ailleurs la mise en place, au pays et à l'étranger, comme à notre centre de réadaptation de Toronto, de quelques rares programmes de réadaptation qui s'adressent également à ce groupe de patients. Ces programmes donnent des résultats fonctionnels et cognitifs positifs chez les personnes atteintes de démence.
Cependant, les efforts déployés pour offrir des services de réadaptation adaptés à cette clientèle sont plutôt modestes et n'en sont qu'à leurs balbutiements. En outre, dans le cas des personnes atteintes de démence qui connaissent un déclin significatif de leurs capacités fonctionnelles, trop souvent encore, la solution consiste en un placement dans des établissements de soins de longue durée. Cette solution soulève des préoccupations.
D'abord, le placement dans un tel établissement est contraire au désir de chacun de rester à la maison. Ensuite, les personnes souffrant de démence perdent plus rapidement leurs capacités fonctionnelles lorsqu'elles sont admises en soins de longue durée. Cela est attribuable au manque de services de réadaptation adaptés dans les établissements de soins de longue durée. Selon des données tirées d'un sondage récent mené auprès de ces établissements partout au Canada, entre 63 et 88 p. 100 des résidants ne reçoivent pas de services de physiothérapie ou d'ergothérapie, et les résidants âgés souffrant de déficit cognitif sont encore moins susceptibles de recevoir des services de réadaptation. Les membres du personnel des résidences pour personnes âgées ne sont pas en mesure de maintenir la capacité fonctionnelle des aînés souffrant de démence, qui représentent maintenant plus de 62 p. 100 de la population de ces établissements. Et ces chiffrent continuent d'augmenter.
Qu'est-ce qui explique cela? Que devons-nous faire pour aider dès aujourd'hui les personnes atteintes de démence? Selon le rapport de l'Organisation mondiale de la Santé, nous devons investir des ressources pour améliorer et maintenir les capacités fonctionnelles et l'autonomie des aînés à risque qui connaissent une diminution de leurs capacités, comme les personnes démentes qui font peser un fardeau pour les aidants professionnels et naturels, car la dépendance sur les aidants a pour effet d'accélérer les niveaux de dépendance. Je suis tout à fait d'accord avec cela.
Je propose quatre stratégies pour renverser cette tendance : premièrement, offrir des services de réadaptation aux personnes souffrant de démence. Ces services devraient avoir pour objectif d'améliorer et de maintenir la capacité fonctionnelle des patients, soit de s'habiller, de manger et de marcher.
Deuxièmement, former un comité fédéral-provincial-territorial chargé d'établir des normes et des programmes de réadaptation, notamment une stratégie nationale pour les soins des personnes atteintes de démence.
Troisièmement, établir et mettre en place un programme d'études postsecondaires pour enseigner aux professionnels de la santé et aux aidants professionnels et naturels les pratiques exemplaires en matière de soins quotidiens des personnes souffrant de démence. Idéalement, ce programme reposerait sur la stratégie, les normes et les pratiques établies par le comité proposé au point précédent.
Enfin, financer plus d'études axées sur le maintien des capacités fonctionnelles des personnes atteintes de démence.
Tout récemment, au Royaume-Uni, un processus de consultation exhaustif des patients a été mené. Ont été consultés des personnes atteintes de démence, leurs aidants, les fournisseurs de soins de santé et de services sociaux travaillant avec cette clientèle et des organisations représentant ces groupes.
Ils devaient indiquer quelle était la principale problématique en matière de soins pour les personnes souffrant de démence. Selon eux, la principale question qui reste à résoudre est la suivante : « Quels sont les éléments de soins de santé les plus efficaces pour préserver le plus possible l'autonomie d'une personne atteinte de démence aux différents stades de la maladie en milieu institutionnel? Notre équipe est en train de mener la même enquête au Canada et nous n'avons aucune raison de penser que les résultats seront différents.
Le message devrait être le suivant : « vivre du mieux que l'on peut avec la démence ». Il faut mettre l'accent sur le maintien et le rétablissement des capacités fonctionnelles. Le maintien des capacités est essentiel au vieillissement en santé et à la qualité de vie. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup. Passons au Dr Reichman, président et chef de la direction, Sciences de la santé Baycrest, qui témoigne au nom de SoinsSantéCAN.
William E. Reichman, président et chef de la direction, Sciences de la santé Baycrest au nom de SoinsSantéCAN : Bonjour et merci.
Permettez-moi d'abord de remercier le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour m'avoir donné l'occasion de comparaître et pour son leadership dans l'étude des défis cruciaux posés par la démence sur la santé publique.
Je suis ici au nom de SoinsSantéCAN, le porte-parole national des organisations de soins de santé et des hôpitaux du Canada. Nous sommes déterminés à améliorer la santé des Canadiens par un système de soins de santé innovateur et fondé sur des éléments probants. En tant qu'organisation, nous continuons de plaider en faveur d'une stratégie et d'un plan d'action canadiens en matière de démence.
Mes commentaires découlent de mes expériences professionnelles et personnelles par rapport à la démence. Je suis médecin spécialisé depuis près de 30 ans dans le soin de patients atteints de la maladie d'Alzheimer et d'autres formes de démence connexes. Mes recherches antérieures ont porté principalement sur la mise au point de médicaments pour le traitement de la maladie d'Alzheimer et sur l'efficacité des approches aux soins de la démence en milieu institutionnel.
Mes deux grands-parents, qui ont financé mon éducation après le décès de mon père, souffraient d'Alzheimer et j'ai été leur aidant principal.
J'enseigne actuellement la psychiatrie à la faculté de médecine de l'Université de Toronto et, depuis 2008, je suis président et chef de la direction de Sciences de la santé Baycrest, à Toronto, qui est un chef de file mondial en milieu de vie résidentiel, en soins de santé, en recherche et en innovation, de même qu'en éducation en gériatrie. Presque tous nos clients sont atteints de multiples troubles physiques chroniques et de maladies du cerveau, comme l'Alzheimer et les troubles conséquents à un AVC. Nous hébergeons l'Institut de recherche Rotman qui s'est récemment classé au premier rang mondial pour l'impact de ses travaux scientifiques sur la compréhension que nous avons aujourd'hui de la mémoire humaine et du vieillissement.
Notre organisation dirige également le Centre canadien d'innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement, un accélérateur de solutions conçu pour améliorer les résultats des soins de santé et générer des avantages économiques en favorisant les collaborations entre des innovateurs mondiaux et les principales organisations de soins aux personnes âgées. Cet investissement de 123,5 millions de dollars sur cinq ans jouit du soutien généreux de 42 millions de dollars de l'Agence de santé publique du Canada.
Votre comité a entendu diverses organisations et personnes prééminentes qui ont fourni des conseils d'expert pour vous aider à mieux comprendre les défis locaux, nationaux et mondiaux de la démence. Vous êtes certainement conscients des coûts socioéconomiques anticipés associés à la démence. Je me joins à ces organisations pour inviter le gouvernement du Canada à adopter une stratégie et un plan d'action canadiens en matière de démence et j'offrirai des solutions pratiques reposant sur cinq piliers :
Premier pilier : la promotion de la santé. Il faut sensibiliser la population au maintien de la santé du cerveau à chaque stade de développement tout au long de la vie.
Les bons soins périnataux, l'éducation préscolaire enrichie et les efforts de sensibilisation en jeune âge améliorent le développement du cerveau de l'enfant et du jeune adulte. En outre, le fait d'encourager la bonne condition physique dès la petite enfance jusqu'au début de l'âge adulte favorise la maturation cérébrale saine et la constitution d'une réserve cognitive.
Au mitan de la vie, l'exercice régulier, le contrôle des facteurs de risque cardiovasculaire, la limite de l'apport calorique, la pratique d'activités professionnelles stimulantes et la gestion du stress contribuent tous à maintenir la santé cérébrale.
Plus tard dans la vie, la poursuite d'activités récréatives stimulantes et nouvelles, la socialisation, l'activité physique et la faible consommation de gras saturés sont toutes des mesures qui favorisent le vieillissement cognitif et émotionnel sain. Il est également essentiel d'éviter les traumatismes crâniens pour réduire le risque de démence à un âge avancé.
Deuxième pilier : il faut miser sur le dépistage précoce et l'intervention rapide. Il faut sensibiliser le public aux premiers signes et symptômes de la démence et établir des cibles publiques pour le diagnostic précoce. L'identification précoce des personnes qui éprouvent un déclin cognitif et l'intervention rapide sont essentielles à la prévention de nombreuses conséquences évitables, y compris la piètre conformité aux recommandations médicales, la prise de mauvaises décisions financières qui augmentent la vulnérabilité et l'exploitation, et les risques pour la sécurité, comme les pratiques de conduite dangereuses.
Troisième pilier : le soutien aux aidants familiaux. Il faut s'assurer que les aidants ont accès à l'information en temps opportun, à la gestion efficace des soins et à des services de soins de relève.
L'information pratique permet aux aidants de mieux comprendre la situation. Ainsi, ils éprouvent un sentiment accru d'habilitation et une plus grande confiance, ce qui réduit l'anxiété et la dépression. Dans bien des provinces et territoires, les adultes atteints de démence et leurs familles doivent naviguer à travers de nombreux fournisseurs de soins médicaux, de services sociaux, de services juridiques, de services financiers, de services de transport et de services de soins à domicile. Tout cela peut devenir bien difficile à coordonner.
L'accès à un seul gestionnaire ou coordonnateur des soins liés à la démence aide les familles à utiliser de la façon la plus rentable les services de soutien et de soins médicaux, tout en atténuant les risques sociaux et financiers associés à la démence.
Les familles doivent également avoir accès à de l'aide aux soins à domicile abordable pour la personne atteinte de démence. Par ailleurs, bien des aidants profitent aussi grandement de l'accès abordable à des services de soins de relève pendant le jour, comme des centres de jour pour personnes atteintes de démence, ainsi qu'à des soins périodiques de nuit à domicile.
Quatrième pilier : la formation. Il faut doter les professionnels des soins de santé des outils nécessaires pour établir des diagnostics clairs et soigner correctement les personnes qui vivent avec la démence. Il faut favoriser l'amélioration de la formation des professionnels qui prodiguent des soins aux personnes atteintes de démence et l'utilisation de meilleurs outils. Les milieux de soins où ces besoins semblent les plus pressants sont notamment les établissements de soins de première ligne, les établissements de soins de longue durée et les maisons de retraite, ainsi que les soins de santé communautaires à domicile. Certains des plus grands défis portent sur la prévention et la gestion des comportements réactifs associés à la démence, dont la résistance face aux soins, l'agression, l'agitation, les problèmes de sommeil et l'anxiété et la dépression.
Cinquième pilier : la recherche. Il convient de désigner la démence comme un domaine prioritaire aux fins du financement fédéral de la recherche, à la mesure des efforts déployés pour éradiquer le cancer et la maladie cardiaque.
Comme ceux des autres pays du G8, les organismes de financement de la recherche du Canada doivent rester déterminés à soutenir tous les aspects des travaux de recherche liés à la démence, allant de la science de la découverte à la recherche translationnelle avancée à l'échelle des systèmes. L'avenir des interventions préventives et des traitements efficaces pour la démence réside dans les partenariats entre le milieu universitaire, le gouvernement, le milieu philanthropique et l'industrie.
Nous pouvons saisir l'occasion. Les Canadiens ont démontré qu'ils peuvent relever les plus grands défis de santé publique quand il le faut. Souvenons-nous des efforts concertés des gouvernements, des universitaires, des intervenants en sciences de la vie et des industries biomédicales qui pendant des décennies nous ont renseignés sur l'importance de maintenir une bonne santé cardiaque et d'éviter les facteurs de risque, comme l'hypertension, l'obésité et des taux de cholestérol élevés. Aujourd'hui, nous sommes tous conscients de l'importance de rester actif physiquement et de ne pas fumer. En somme, nous avons aidé les Canadiens à « penser à leur cœur ».
Nous avons fait la même chose dans le cas du cancer. Dans un rapport de 2015, la Société canadienne du cancer souligne que « grâce aux efforts de prévention du cancer et de lutte contre cette maladie, on estime que plus de 143 000 décès ont été évités depuis que le taux de mortalité au Canada est passé par un sommet en 1988 ». Les auteurs du rapport félicitent également le Canada pour être l'un des rares pays à s'être doté de registres du cancer fondés sur la population, qui permettent de surveiller le cancer dans toute la population. Les informations recueillies sont précieuses pour surveiller les tendances relatives au cancer et elles servent de sources de données pour planifier la lutte contre le cancer, l'attribution des ressources dans le domaine de la santé et la recherche.
Nos parents et nos grands-parents craignaient la maladie cardiaque et le cancer, mais par des efforts et des investissements publics ciblés, nous avons fait de grands progrès dans la prévention et le traitement de ces menaces à notre bien-être. Pour notre génération et celle de nos enfants, nous devons maintenant faire de même pour la santé du cerveau et les maladies du cerveau, comme l'Alzheimer. Travaillons maintenant ensemble à l'adoption et à la mise en œuvre d'une stratégie et d'un plan d'action canadiens en matière de démence. Je vous remercie.
Angus Campbell, directeur général, Association Caregivers Nova Scotia : Monsieur le président, membres du comité, je vous salue. C'est pour moi un honneur d'avoir été invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui. Comme d'autres qui ont témoigné ici, j'ai été, dans ma vie personnelle, touché par le problème de la démence.
Les aidants naturels jouent un rôle essentiel dans la vie de ceux qui vivent avec une personne atteinte de démence, et je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de parler en leur nom.
Comme vous avez pu le lire dans mon mémoire, Caregivers Nova Scotia est un organisme panprovincial qui, depuis deux décennies, appuie les aidants naturels non rémunérés, qu'il s'agisse d'amis ou de membres de la famille, en leur apportant de l'information, du soutien, des programmes éducatifs et des activités de promotion de leurs intérêts.
Nos aidants naturels s'occupent d'un proche qui peut être atteint de l'un ou l'autre d'une vaste gamme de problèmes de santé ou de maladies, y compris la démence. La plupart de nos aidants naturels s'occupent d'une personne âgée, et bon nombre d'entre eux sont eux-mêmes âgés, ce qui signifie qu'ils ont leurs propres problèmes de santé.
Dans ce domaine, le plus grand défi qui se pose est celui d'éviter l'épuisement de l'aidant naturel, d'empêcher que l'aidant naturel ne soit plus en mesure d'exercer son rôle. C'est alors que le bénéficiaire de l'aide naturelle devra vraisemblablement être admis dans un établissement de soins de longue durée, comme le sera aussi, dans certains cas, l'aidant naturel lui-même à cause de son épuisement physique, émotif et spirituel. Le facteur le plus fréquent de l'épuisement des aidants naturels est le stress, dont les causes peuvent être nombreuses et variées.
Les difficultés financières sont le problème le plus souvent évoqué par les aidants naturels. Certains d'entre eux ont dû quitter leur emploi ou prendre une retraite anticipée, d'autres ont à supporter les frais de transport, des fournitures médicales ou des dispositifs d'assistance. Les déplacements peuvent être particulièrement onéreux pour ceux qui vivent en région rurale ou dans des endroits éloignés.
L'aide naturelle à domicile devient de plus en plus complexe. On s'attend à ce que les aidants naturels puissent maîtriser certaines procédures médicales, ainsi qu'interpréter le comportement difficile typique des personnes atteintes de démence et y réagir correctement. La plupart d'entre eux doivent également pouvoir gérer la médication et voir à l'hygiène bucco-dentaire.
L'aide naturelle peut être un travail solitaire et mener à l'isolement. Beaucoup d'aidants naturels disent que leurs amis et les membres de leur famille ne comprennent pas leur situation, si bien qu'ils ne peuvent ou préfèrent ne pas leur en parler.
Par conséquent, il est de la plus haute importance, pour leur propre équilibre mental et leur propre bien-être, que les aidants naturels prennent soin d'eux-mêmes. Les aidants naturels doivent acquérir les compétences nécessaires pour composer avec leur situation. Comme je l'ai expliqué dans mon mémoire, Caregivers Nova Scotia tient 20 réunions de groupe de soutien en personne par mois, ainsi des ateliers éducatifs, portant, par exemple, sur la gestion du stress, à leur intention.
Tous nos programmes sont ouverts aux aidants naturels, quel que soit la maladie, le problème de santé ou la situation du bénéficiaire de leur aide. L'expérience nous a appris qu'un groupe diversifié de pairs peut s'avérer particulièrement utile.
Lorsque les aidants naturels ont la possibilité d'oublier un instant les soins qu'ils doivent porter à leur proche pour se concentrer sur leurs propres besoins, ils peuvent prendre conscience de l'importance de prendre soin de soi. Ils peuvent partager leur expérience avec d'autres personnes. En cela, Caregivers Nova Scotia, Caregivers Alberta et Family Caregivers of British Columbia professent la même philosophie.
Bien que l'aide naturelle puisse être enrichissante, elle peut également s'avérer éprouvante et exigeante. En tant que directeur d'un organisme de première ligne, je formulerais les recommandations d'ordre pratique qui suivent pour une stratégie nationale :
Accroître la collaboration et la coopération. Si les régimes provinciaux de soins à domicile, les organismes d'aide naturelle et les sociétés Alzheimer travaillaient ensemble, les aidants naturels pourraient savoir plus facilement par qui sont offerts tels ou tels services ou programmes.
Faire l'évaluation des aidants naturels. Tout comme les bénéficiaires de soins à domicile sont évalués, les aidants naturels devraient l'être également afin de déterminer leur volonté, leur capacité et leur disposition à assumer ce rôle.
Offrir un accès hâtif aux soutiens aux aidants naturels. S'ils sont soutenus tôt dans le processus, les aidants naturels seront en mesure d'assumer plus longtemps leur rôle, ce qui signifie que leur proche pourra rester à la maison plus longtemps.
Tenir compte de tous les segments de la population et de leurs besoins éventuels de programmes spéciaux. La démence se retrouve dans toutes les communautés, y compris les Premières Nations, les GLBT, les immigrants et les néo-Canadiens. Des ressources linguistiques et culturellement adaptées sont nécessaires.
Accroître le soutien accordé aux aidants naturels. Un grand progrès a été accompli récemment avec l'introduction et l'extension des prestations fédérales d'assurance-emploi, mais, pour l'essentiel, ce sont seulement les aidants naturels assurant des soins palliatifs qui en bénéficient. Les gouvernements, les entreprises, grandes et petites, doivent introduire une certaine souplesse afin de permettre aux aidants naturels de demeurer sur le marché du travail pendant qu'ils s'occupent d'un proche.
Imprimer les manuels et autres ressources. La tendance au gouvernement est de mettre les ressources en ligne. C'est une bonne idée, mais cela n'aide en rien les personnes qui n'ont pas l'accès à l'Internet ou les connaissances voulues pour y accéder. De plus, certains documents, comme le manuel des aidants naturels publié par mon organisme, compte 94 pages et doit être imprimé dans un format utilisable.
Mettre à jour les sites du gouvernement du Canada. Ajouter au site web preparez-vous.gc.ca/ de l'information sur les préparatifs en cas d'urgence à l'intention des aidants naturels et des personnes atteintes de démence, spécialement à la lumière des événements à Fort McMurray. Sur le portail seniors.gc.ca/fra/, ajouter des liens directs aux organismes d'aide naturelle pour remplacer l'invitation à composer le 2-1-1.
Offrir des soins de répit novateurs. Pour être réellement utiles et valables, les travailleurs assurant les soins de répit et leurs gestionnaires devraient consulter les aidants naturels pour demander comment ils peuvent les aider, de quelles tâches ils pourraient se charger pour vraiment les aider les aidants naturels et les bénéficiaires de leurs soins.
Accroître la disponibilité de programmes de jour abordables pour adultes, qui constituent une forme précieuse de répit.
Accorder un financement opérationnel aux organismes provinciaux existants d'aide naturelle. Le financement de projets nécessite la préparation de demandes de subvention individuelles, la production de rapports spécialisés et l'embauche d'employés temporaires. C'est autant de temps que nous ne pouvons pas consacrer à notre travail en première ligne, là où il est le plus nécessaire.
Les aidants naturels, parents et amis non rémunérés, jouent un rôle important dans la vie des personnes atteintes de démence. Je vous remercie de nouveau de m'avoir donné l'occasion d'exprimer leurs préoccupations.
Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Campbell. Avant de céder la parole à mes collègues, je tiens à dire que j'ai trouvé votre site web remarquablement convivial. Il n'y a pas de tape-à-l'œil, rien de théâtral. Chaque fois que j'ai cliqué, j'ai trouvé l'information qui était annoncée. Mon expérience de recherche sur les sites web m'a appris que ce n'est pas toujours le cas. Ce que je cherchais était simplement là, sans être embrouillé de toutes sortes d'autres choses. Je constate que vous mettez ainsi en pratique l'approche que vous préconisez dans quelques-unes de vos recommandations.
Le sénateur Eggleton : Je vous remercie. Les trois exposés que nous avons entendus nous seront très utiles.
Monsieur Campbell, vous parlez ici de programmes très étendus à l'intention des aidants naturels, leur offrant 20 rencontres en personne de groupes de soutien par mois, des ateliers et des ressources de gestion du stress, par exemple. Comment est-ce que tout cela est financé? Est-ce par la province?
M. Campbell : Le ministère de la Santé et du Bien-être de la Nouvelle-Écosse nous accorde un financement annuel. Nous sommes inscrits comme article d'exécution dans le budget, de telle sorte que nous n'avons pas à demander de subventions. À ce que je sache, nous sommes le seul organisme provincial d'aide naturelle au Canada dans cette situation. Cela nous permet de travailler sans discontinuité. C'est pourquoi j'ai cru bon de mentionner le financement. Il nous permet de poursuivre nos activités, de créer de nouveaux programmes et de joindre ainsi plus d'aidants naturels.
Le sénateur Eggleton : Depuis combien de temps vos programmes existent-ils?
M. Campbell : Notre organisme existe depuis 20 ans et le gouvernement a commencé à nous financer en 2001.
Le sénateur Eggleton : Appliquez-vous, de quelque façon, le principe de l'utilisateur-payeur? Y a-t-il des aidants naturels qui ont à payer un certain montant? Comment déterminez-vous leur admissibilité? Je peux m'imaginer que vous seriez débordés, en particulier en raison du taux de vieillissement et de l'incidence des personnes atteintes de la démence. Vous pourriez très facilement être débordés. Comment est-ce que vous vous en tirez?
M. Campbell : Tous nos programmes et services sont gratuits. Lorsque quelqu'un nous appelle ou fait des démarches auprès de nous, nous lui posons quelques questions. Nous avons un dépliant que nous distribuons dans les foires sur la santé, dans lequel nous demandons aux gens s'ils sont des aidants non rémunérés. Nous leur posons cinq différentes questions. S'ils répondent affirmativement à une seule des cinq questions, c'est qu'ils sont des aidants naturels. S'ils s'occupent de prendre les rendez-vous chez le médecin, s'ils accompagnent le bénéficiaire chez le médecin ou se chargent d'aller chercher ses médicaments, c'est qu'ils prennent part aux soins. Sans eux, les bénéficiaires seraient perdus.
Le sénateur Eggleton : Docteur Reichman, vous avez mentionné un gestionnaire ou coordonnateur des soins aux personnes atteintes de démence. Les soins informels ou formels ont un champ d'application très vaste. Il existe tellement de différentes façons d'aider les gens que l'idée d'avoir un gestionnaire ou un coordonnateur est intéressante. Est-ce que cette formule est actuellement appliquée quelque part? Les qualifications professionnelles de ces gens sont- elles suffisantes?
Dr Reichman : Il existe des variations sur ce thème, qui diffèrent essentiellement dans l'étendue de la coordination des soins. En Ontario, selon mon expérience, les CASC chargés de la coordination des soins fonctionnent très largement d'après une formule transactionnelle, de telle sorte que si votre mère, par exemple, a besoin de trois heures par semaine de soins à domicile, les arrangements seront pris à cet effet. Bien que cela aide les familles, leurs besoins sont dynamiques et sujets à changement.
Elles pourraient bénéficier d'une coordination des soins, c'est-à-dire d'une compréhension exhaustive, holistique, des besoins de la famille et de la personne recevant les soins, non seulement pour les aider à se retrouver dans les dédales d'un système de soins de santé qui demeure plutôt fragmenté, mais aussi pour les aider à composer avec d'autres répercussions collatérales de leur situation, comme la prise de décisions financières, le fait de permettre ou non à la personne de conduire un véhicule, les possibilités d'activités sociales et récréatives enrichissantes et le soutien des besoins émotionnels de l'aidant naturel.
Au fil des années, ayant traité des patients atteints de la maladie d'Alzheimer et de problèmes apparentés, après avoir appris, par exemple, que la mère avait été placée dans un établissement de soins de longue durée ou que le père était décédé, les membres de la famille me remerciaient de tout ce que j'avais fait pour eux. À mes débuts, je me demandais ce que j'avais effectivement fait. Il s'agissait de maladies évolutives, terminales, et les patients atteints en étaient morts. Dans les faits, quelle avait été ma contribution? Maintenant que je suis un médecin d'un certain âge, j'en suis venu à comprendre que le simple fait d'être là, comme point d'ancrage pour les aider à se retrouver, que le fait d'être disponible lorsqu'ils sont stressés, incertains et vulnérables a été beaucoup plus bénéfique à mes patients et à leur famille que n'importe quelle ordonnance que j'ai pu rédiger en 30 ans. C'est ce que j'ai fini par comprendre, mais il n'est pas nécessaire d'être médecin pour jouer ce rôle. Voilà le point qui importe.
Le sénateur Eggleton : Madame McGilton, devant le manque d'accès aux services de réadaptation, d'hôpitaux, de maisons de retraite avec soins infirmiers dans la communauté pour les personnes atteintes de démence, quelles seraient vos recommandations précises à cet égard? Je suppose que vous en avez dit quelque chose, mais je n'ai pas réussi à tout saisir.
Mme McGilton : Ce que je recommande, dans le cas d'une personne qui a subi une fracture de la hanche ou qui a été prise en charge par le système des soins actifs, lorsqu'elle rentre chez elle, si elle y va directement, c'est qu'il y ait une forme quelconque de réadaptation à domicile de façon à assurer le suivi.
Ce qui se produit trop souvent lorsqu'une personne atteinte de démence doit recevoir des soins actifs, c'est qu'elle devient handicapée au-delà de sa maladie. Nous devons donc aider à la ramener au point où elle était avant l'incident. Ainsi, il y aurait peut-être lieu de fournir des soins à domicile basés sur des objectifs et des cibles que nous établirions, assortis d'interventions limitées dans le temps afin de nous assurer que la réadaptation est possible et qu'elle peut redevenir autonome et faire les choses comme auparavant. Il en va de même des cas en soins actifs et d'obtenir accès à un lit en réadaptation. Le nombre de lits est très restreint, et il y aurait donc lieu peut-être de créer des milieux offrant un meilleur accès à un établissement de réadaptation active.
Le sénateur Eggleton : Vous avez dit que les établissements de soins de longue durée n'offrent pas ce genre de services de réadaptation.
Mme McGilton : Tout à fait, et c'est le prochain problème.
Le sénateur Eggleton : Il va sans dire qu'on veut les sortir des soins actifs, et c'est donc les soins de longue durée ou le retour à domicile. Vous dites que de meilleures chances de services de réadaptation à domicile...
Mme McGilton : Non, je m'excuse. En ce moment, il y a, en fait, très peu qui se fait à domicile. C'est là que réside le problème. À titre d'exemple, ma mère, qui est atteinte de démence, vit dans une maison de retraite, où elle a déjà fait deux chutes. J'ai téléphoné au CASC pour m'informer de ce qu'elle pourrait obtenir comme services. Rien, m'a-t-on répondu, tant qu'elle ne se fracture pas la hanche. Nous voyons que le déclin se produit, mais il n'y a, en fait, pas de services de prévention.
En sortant des soins actifs, la victime d'un incident critique découvrira qu'il y a très peu de lits disponibles en réadaptation pour lui faciliter le retour à son état antérieur.
La sénatrice Stewart Olsen : C'est très intéressant. Merci à tous pour vos exposés.
Madame McGilton, quand vous parlez de réadaptation, qu'est-ce que vous voulez dire exactement? Je ne m'attarde pas aux gens qui ont une fracture de la hanche ou quelque chose du genre. Je ne suis pas certaine si vous voulez dire que des personnes peuvent réapprendre, ce qui serait très prometteur.
Mme McGilton : Il y a une réadaptation cognitive lorsqu'on tente de faire réapprendre des choses à des personnes atteintes de démence légère ou moyenne. On cherche à apprendre aux patients comment se rappeler le nom des personnes, où elles ont laissé leurs clés, par exemple. Certaines stratégies se sont avérées efficaces.
À mesure que la démence progresse, la tâche devient plus ardue. Il y a parallèlement des programmes de réadaptation physique qui peuvent les aider. Le plus important, c'est de se faire une bonne idée des habiletés que la personne a conservées et de s'assurer de les renforcer afin de contrer une décompensation qui entraînerait la perte d'autonomie.
Je vous donnerai un exemple qui illustre ce qui se passe souvent à domicile. Des personnes vivant à domicile ont parfois de la difficulté à manger, et l'aidant naturel tente naturellement de la nourrir. Il y a cependant beaucoup de moyens suggestifs et incitatifs pour amener la personne à se nourrir de façon autonome, mais cette information n'est pas facilement disponible aux aidants naturels. Des situations similaires surviennent dans les foyers de soins infirmiers, où l'on trouve qu'il est plus facile et plus rapide de servir des aliments à manger avec les doigts ou de nourrir la personne qui se débat avec sa fourchette ou sa cuillère que de lui réapprendre péniblement à utiliser les ustensiles.
Il existe des stratégies auxquelles nous avons recours pour préserver les habiletés et élaborer un programme de soins afin de maintenir ces personnes aussi longtemps que possible en état d'autonomie maximale. Est-ce utile? La question est beaucoup plus vaste. La séance de réflexion à laquelle j'ai assisté au Danemark s'est penchée sur la réadaptation, qui consiste à examiner comment une personne peut revenir au point où elle devrait être à la suite d'un recul.
La sénatrice Stewart Olsen : J'ai toujours été très intéressée à ce qui se fait au Danemark, et ce que vous venez de dire est probablement l'une des choses les plus prometteuses que nous avons entendues jusqu'à présent. Je suis très heureuse que vous ayez trouvé le temps pour nous en parler.
Monsieur Campbell, vous avez mentionné les rencontres mensuelles de vos groupes de soutien. Faites-vous venir des spécialistes? Comment sont-elles organisées?
M. Campbell : Merci. Chacune est différente. Nous tenons sept rencontres dans la région de Halifax et 13 ailleurs dans la province. Chaque groupe est unique en son genre et autonome. Il y a un groupe particulier qui aime inviter un conférencier, un ergothérapeute, un physiothérapeute, quelqu'un qui travaille en soins continus. Ce groupe fait venir un nouvel invité à intervalle de quelques mois.
À l'opposé, il y a quelques groupes de soutien qui ne consacrent que deux heures à leurs rencontres. Leurs membres préfèrent se pencher sur leurs propres problèmes. Ils assisteront à des événements spéciaux lorsqu'ils veulent obtenir de l'information supplémentaire.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci. Docteur Reichman, vous avez parlé de la peur. Les patients qui reçoivent assez tôt un diagnostic de démence ou de maladie d'Alzheimer éprouvent une grande peur. Ils vivent en état de peur à la suite d'un tel diagnostic, ou même avant s'ils l'ont pressenti. Si nous avions des moyens de les rassurer, de leur faire comprendre que des mesures seront prises, que ce n'est pas forcément un déclin rapide qui les attend, qu'une certaine stabilité peut leur être offerte, je pense que tout cela pourrait les aider. Auriez-vous des commentaires à faire à ce sujet?
Dr Reichman : Je suis tout à fait d'accord avec la prémisse de votre question. Tout d'abord, il va sans dire que la démence, comme la maladie d'Alzheimer, est très variable. Certains patients peuvent subir une très lente détérioration s'étalant sur une décennie ou plus. Ils peuvent continuer pendant de nombreuses années de prendre part aux activités qui leur sont agréables ou importantes, que ce soit des rencontres avec des parents ou des amis ou d'autres activités qui leur plaisent. Ils peuvent se livrer à toutes ces activités.
J'encourage mes patients et les membres de leur famille à considérer la démence comme une maladie essentiellement chronique. Il y aura bien sûr des poussées actives, que nous devrons gérer, mais il ne s'agit pas d'une sentence de mort. Au fil du temps, nous arriverons à composer avec la maladie. Je constate que les familles se sentent rassurées lorsqu'elles entendent que la personne atteinte pourra demeurer elle-même et continuer de faire beaucoup des choses qui lui importent. Je répète assez souvent ce message d'espoir. Je leur dis de faire ce que la science nous indique qu'il faut continuer de faire pour préserver la santé de notre cerveau : exercice physique, bonne alimentation, maintien de la stimulation, gestion du stress, nuits de sommeil complètes et ainsi de suite. Ce sont toutes des choses qu'ils peuvent contrôler.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci.
La sénatrice Seidman : Merci à tous pour vos exposés. Vous avez tous mentionné l'importance des soins de répit. Nous avons entendu beaucoup de recommandations portant sur une stratégie nationale en matière de démence. Les exigences des soins de répit sont-elles différentes dans le cas de la démence de celles indiquées pour d'autres maladies? Si oui, que recommanderiez-vous que le gouvernement fédéral fasse pour assumer un certain rôle dans le domaine des soins de répit? Je laisse à tous et chacun le soin de répondre.
M. Campbell : Je crois que, précisément, les soins de répit doivent être novateurs et répondre réellement aux besoins de l'aidant naturel et du bénéficiaire. Ils sont alors utiles. Il peut être question de la durée et de la fréquence des soins. Bon nombre des entreprises de soins à domicile veulent imposer des blocs horaires de quatre ou de huit heures parce que cela facilite la préparation des horaires de travail, mais ce n'est pas nécessairement commode pour la famille.
Pour ce qui est des soins de répit dans le cas d'une personne atteinte de démence, la personne qui assure ces soins doit être formée, et bien formée. L'une des plaintes qui nous sont adressées par bon nombre d'aidants naturels est que la personne chargée de ces soins n'a pas toutes les compétences voulues.
Je sais qu'en Nouvelle-Écosse il y a un tout nouveau cours qui est offert dans le cadre du programme d'assistance aux soins continus aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou d'autres formes de démence. Les infirmières et infirmiers auxiliaires autorisés ainsi que toute autre personne peuvent s'inscrire à ce programme. Il s'agit en quelque sorte d'une accréditation supplémentaire. Des propositions ont été faites au sujet d'une formation spéciale à l'intention des professionnels de la santé. Nous avons aussi besoin des autres fournisseurs de soins de la santé.
Dr Reichman : Je suis, pour l'essentiel, d'accord avec la position de M. Campbell. Qu'est-ce que le gouvernement fédéral peut faire dans ce domaine? C'est là une question plus vaste que celle portant sur ce que le gouvernement fédéral devrait faire. J'espère que nous en viendrons au moins à nous entendre sur la nécessité d'établir des normes. Dans l'ensemble du pays, nous nous attendrons à ce que les différentes autorités, du niveau très local jusqu'à celui de la planification provinciale des soins de la santé, s'engagent à rendre des services de répit disponibles dans toutes les collectivités et établissent une norme à laquelle nous aurons tous à nous conformer. Je suis d'avis que les familles bénéficient considérablement des services de répit lorsque ceux-ci sont offerts sous différentes formes et à différents degrés. Il s'agit d'un moyen crucial pour permettre aux aidants naturels d'exercer leur rôle sans tomber prématurément d'épuisement.
Mme McGilton : Mon commentaire porte sur la continuité. Il arrive souvent que les personnes atteintes de démence ne veuillent pas d'un étranger dans leur maison. C'est un énorme problème. Si un bon rapport vient à s'établir avec la personne qui assure les soins de répit, la bataille est gagnée. Il est important de trouver, pour les clients de ce groupe, quelqu'un qui vient sur une base régulière, parce qu'il devient alors probable qu'il n'y aura pas résistance à sa présence dans la maison du fait qu'un rapport s'est établi. Voilà la compétence relationnelle nécessaire dont nous ne parlons pas. En fait, comment établir un rapport avec quelqu'un atteint de démence? Ce sont là des règles non écrites. C'est ici qu'il faut que tous possèdent les pratiques exemplaires en matière de soins. Une fois qu'un rapport s'est établi, l'aidant naturel pourra quitter les lieux sans se faire des soucis tout le temps de son absence, ce qui irait à l'encontre de l'objectif même des soins de répit. La continuité est la clé.
La sénatrice Seidman : Docteur Reichman, vous avez bien exprimé les choses. La santé est du ressort des provinces. Tous nous comprenons les questions de compétence qui se posent. Vous avez mentionné l'établissement de normes au niveau national. Les soins de répit sont assurés par des professionnels qui sont, je suppose, membres d'une association professionnelle. Ces associations ont-elles des normes? Existe-t-il actuellement un dépositaire de normes sur les soins de répit?
Dr Reichman : Non, il n'y en a pas. Les soins de répit sont de différentes sortes. Nous avons parlé des soins à domicile. Une personne vient à la maison et reste avec votre mère, par exemple, pour la nuit ou les quatre jours qui suivent, ce qui vous donne la possibilité d'aller voir votre petit-enfant. Il y a aussi des services de répit qui sont offerts dans des milieux existants de soins en commun.
À titre d'exemple, dans notre maison de retraite à Baycrest, les familles amènent parfois un proche pour un séjour de deux jours ou de deux semaines dans le but de donner un répit aux membres de la famille et leur permettre ainsi de s'occuper d'autres besoins pressants. Il arrive parfois que la famille, voyant des bienfaits qui résultent pour leur proche d'être en compagnie d'autres personnes et d'avoir plus d'activités, décident de les laisser là indéfiniment. La maison de retraite devient leur nouveau foyer.
La question de ce que le gouvernement fédéral devrait ou ne devrait pas faire vis-à-vis les provinces soulève évidemment la question des transferts de fonds aux provinces. Quelles obligations redditionnelles devraient s'appliquer aux fonds transférés? Devrait-il y avoir des normes, comme c'est le cas pour les taux d'immunisation des enfants ou les visites évitables à l'urgence? Quoi qu'il en soit, je crois fermement à la reddition de comptes, mais non dans une optique strictement quantitative. Accordez le financement de base puis, si les provinces réussissent à apporter des améliorations dans certains domaines, versez-leur des paiements incitatifs supplémentaires. Ainsi, les provinces non performantes ne perdront rien, tandis que les provinces performantes seront gagnantes.
La sénatrice Seidman : Connaissez-vous d'autres pays où de telles approches ont été adoptées et qui pourraient nous servir de modèles?
Dr Reichman : Dans les centres de services Medicare et Medicaid aux États-Unis, toute une gamme de mesures incitatives a été intégrée au système de remboursement de Medicare, qui s'appliquent notamment aux secteurs des soins actifs et qui s'étendent maintenant aux soins primaires pour ce qui est de certaines cibles atteignables, que ce soit par rapport à la population, à l'amélioration des taux d'immunisation, au recul des réadmissions à l'hôpital ou des complications médicales à l'hôpital. Ils ont mis au point des formules de remboursement qui récompensent les performances exceptionnelles.
La sénatrice Merchant : Merci. Tout ceci est très intéressant. Très utile aussi du fait que vous offrez des solutions que nous pouvons appliquer dès maintenant. Dans tout ce que vous avez dit, on trouve quelque chose que nous pouvons faire dans l'immédiat.
Nous savons que la démence et la maladie d'Alzheimer sont un problème grandissant du fait que les gens atteignent un âge plus avancé grâce à toutes les percées survenues dans le domaine de la santé. Je vous remercie beaucoup de l'information concrète et précise que vous nous avez donnée.
Je m'adresserai d'abord à vous, docteur Reichman, parce que vous avez travaillé dans ce domaine et que vous êtes, de votre propre aveu, un médecin plus âgé. Les percées en sciences prennent beaucoup de temps, et nous n'avons peut- être pas autant de temps que nous le pensons.
Dans votre pratique et votre travail auprès de patients, avez-vous constaté quelque avancée importante?
Dr Reichman : En réalité, je ne pense pas que nous ayons, malgré des investissements considérables au cours des 35 dernières années, réussi à trouver une thérapie vraiment utile contre la maladie d'Alzheimer. Telle est la dure réalité.
Cependant, nous commençons à comprendre que l'une des raisons de cet échec, c'est que nous intervenons trop tard dans la progression de la maladie. C'est comme si nous tentions d'améliorer la santé cardiovasculaire de la population, mais en ne mettant au point que des médicaments destinés aux gens de 85 ans en état avancé de défaillance cardiaque congestive. Une intervention tardive à ce point ne fera pas grand-chose pour améliorer la santé cardiaque de la population; il en est de même de sa santé cérébrale.
Nous commençons maintenant à voir des efforts beaucoup plus grands en prévention. Les données s'accumulent qui montrent que l'âge spécifique d'incidence de la démence est effectivement en baisse. Cela s'explique probablement par une meilleure gestion des facteurs de risque de maladie cardiovasculaire, qui ont une importance pour le cerveau, ainsi que par un niveau de scolarité plus élevé dans l'ensemble de la population, une meilleure alimentation et une activité physique accrue.
Ce que nous constatons actuellement, c'est que nous pouvons intervenir plus tôt dans la vie pour retarder l'apparition de la démence. Pour ce qui est d'éventuelles avancées, c'est cela qu'indique la plus grande partie des activités de recherche.
La sénatrice Merchant : Y a-t-il eu des progrès dans le domaine pharmaceutique? Ont-ils découvert une pilule ou quelque chose qui pourrait aider? Je connais certaines personnes qui participent à des essais cliniques au Canada, mais je ne sais pas quels ont été les progrès réalisés, le degré de réussite.
Dr Reichman : La réalité, madame la sénatrice, il est regrettable d'avoir à le dire, c'est que 99,7 p. 100 des essais cliniques cruciaux de l'efficacité des médicaments proposés pour traiter la maladie d'Alzheimer se soldent par un échec. J'ai bien dit 99,7 p. 100.
Diverses raisons expliquent cette situation, la principale étant probablement que nous intervenons trop tard dans la progression de la maladie. Depuis des décennies, nous concevons le traitement de la maladie d'Alzheimer comme un traitement destiné à des grands-parents, à des gens âgés de 75 ou 80 ans. À l'avenir, le traitement de la maladie d'Alzheimer ciblera des gens au milieu de la vie. C'est ce que je crois. Comme pour la cardiopathie, c'est à cet âge que débute la pathologie, mais il peut s'écouler des décennies avant que les symptômes se manifestent. Le traitement visera des gens de mon âge, peut-être plus jeunes encore.
Ces études sont actuellement en cours. Il existe toute une diversité d'approches qui ont été adoptées, mais je pense que, pour le moment, ce qu'il faut faire, c'est de privilégier la prévention et d'aider les gens à comprendre comment ils peuvent conserver une bonne santé cérébrale tout au long de leur vie sans se fier outre mesure à l'apparition d'une pilule magique ou d'un cocktail de pilules qui viendra nous sauver, nous de la génération du baby-boom.
La sénatrice Merchant : Monsieur Campbell, je vous félicite d'avoir fait œuvre de pionnier en Nouvelle-Écosse. Vous avez mentionné l'Alberta et la Colombie-Britannique, n'est-ce pas?
M. Campbell : Oui.
La sénatrice Merchant : Que se passe-t-il avec les autres provinces? Viennent-elles vous voir, allez-vous les voir? Organisez-vous des séminaires dans le pays, lors desquels vous invitez des gens de la Saskatchewan ou du Manitoba, les autres provinces, à venir voir comment vous travaillez?
M. Campbell : Pas jusqu'ici. Nous nous sommes réunis quelques fois ces deux dernières années avec la Coalition canadienne des aidantes et aidants naturels lorsqu'il y avait des projets de travail et nous avons réuni diverses parties intéressées. En réalité il n'y a que trois organisations de prestation de soins qui travaillent sur toute une province. Il y a aussi un réseau de soignants au Manitoba. Il y avait, au sein du ministère des Aînés de Terre-Neuve-et-Labrador, Caregivers Out of Isolation Newfoundland and Labrador. Mais étant donné les récentes coupes budgétaires, cette fonction n'existe plus alors personne ne propose plus ces services.
Il n'y a pas d'organisation de prestation de soins à l'Î.-P.-É. ni au Nouveau-Brunswick, à ma connaissance, à moins qu'elles ne soient très petites et ne desservent qu'une communauté restreinte, une ville par exemple. Nous n'en avons trouvé aucune.
Comme la santé relève du niveau provincial, tout le monde travaille selon des modèles différents. Je ne dis pas que notre modèle fonctionnerait forcément partout, mais il fonctionne bien pour nous.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Nous apprécions votre venue parmi nous.
J'ai une question pour le Dr Reichman.
L'établissement Baycrest, le Baycrest Centre — je regarde vos notes — il y a plus d'un patient par soignant. C'est une très grande organisation qui comporte plusieurs niveaux.
Comment cela fonctionne-t-il? Comment fait-on pour s'y inscrire? Soyons sérieux, bien entendu ce que vous faites est très bien, mais malgré tout c'est situé en un seul endroit. Est-ce transposable? Est-ce exportable vers d'autres centres urbains?
Dr Reichman : Tout d'abord, j'aimerais que nous ayons un ratio d'un soignant par patient, pour tous nos résidants.
La sénatrice Raine : J'ai lu 1 500 personnes et 1 800 membres du personnel, 2 000 volontaires, 1 500 étudiants.
Dr Reichman : C'est beaucoup. Nous sommes un établissement relativement bien doté, sans aucun doute. On ne peut pas s'attendre à ce que toutes les organisations de prestations de soins pour aînés aient le genre de ressources que nous avons, pas plus que l'on ne s'attendrait à ce que toutes les organisations qui s'occupent d'enfants soient comme la fondation SickKids.
Nonobstant toute la fierté que j'ai pour les attributs de Baycrest et pour ce que nous avons accompli, il y a beaucoup d'excellentes organisations de prestations de soins pour aînés dans ce pays et le Canada a déjà fait la démonstration de son intérêt pour les soins de qualité pour les personnes âgées. La question est de savoir comment nous pouvons encore améliorer les choses et comment nous pouvons être considérés comme les chefs de file dans ce qui constitue sans doute l'un des plus grands défis démographiques auxquels nous ayons été confrontés en tant qu'espèce.
Je pense que nous pouvons faire mieux. Tandis que j'aime à citer le Danemark et peut-être en matière de gestion des soins, l'Écosse, en exemples, je crois que notre pays est très bien placé pour innover et pour introduire de nouvelles manières de soigner les personnes que les comités comme celui-ci au Danemark et en Écosse citeront en exemple. Mais cela nécessite de la volonté, de la collaboration et de la responsabilité.
La sénatrice Raine : Pour rebondir sur ce que vous disiez, parce que les prestations de soins sont dispensées au niveau provincial, il est possible de faire les choses différemment dans différentes parties du pays. Mais je suppose qu'une stratégie nationale reviendrait à rassembler toutes ces informations et à s'assurer que les gens sont en mesure de s'adapter à ce qui est le mieux. Est-ce cela que vous recherchez tous les trois dans une stratégie nationale?
Mme McGilton : Absolument. Il faudrait réunir des gens ayant des programmes de grande qualité pour qu'ils puissent en discuter. Il faut donc rassembler des administrateurs, des chercheurs, des gens qui ont de l'expérience vécue et qui ont dit : « Ce programme est extraordinaire ». Il faut réunir les meilleurs et leur demander ce qu'ils font de si merveilleux dans leur coin que nous ne faisons pas en Ontario. Cela serait une façon fabuleuse de le faire, de construire un programme intégré, vous avez des experts et nous pouvons apprendre les uns des autres pour connaître les meilleures pratiques.
M. Campbell : J'ajouterais que nous avons beaucoup de services de bonne qualité ici, mais qu'il y a parfois une déconnexion entre les services, ce qui fait que nous ne savons pas toujours qui fait quoi. C'est pourquoi je pense que nous devons vraiment réunir tout le monde et dire clairement : « Vous vous occupez de ces programmes et de ces services, nous nous occupons de ceux-là. » Lorsqu'une personne entre dans un système de soins continus avec un diagnostic de démence, il faut que l'on puisse commencer tout de suite à la mettre en relation avec les services appropriés. Tandis que la maladie progresse, ou si la démence est diagnostiquée, alors nous savons comment mettre cette personne en lien avec les sociétés Alzheimer et ainsi de suite, pour que le suivi se poursuive. C'est là qu'il nous faut travailler ensemble et non pas en vase clos.
Dr Reichman : Il faut insister sur le résultat souhaité. La manière dont nous y parvenons, de façon financièrement efficace, n'importe pas vraiment. Ce qui fonctionnera peut-être au Nouveau-Brunswick ne fonctionnera peut-être pas aussi bien dans la région urbaine de Toronto. Mais si nous parvenons aux mêmes résultats rentables, nous aurons réussi quelque chose.
Je crois que définir clairement les objectifs est ce qu'il y a de plus important.
Le président : Madame McGilton, vous avez évoqué quelque chose qui n'a pas encore été formulé devant notre comité à ce stade et qui à mon sens est important. Pourtant cela semble si simple, cette idée qu'il faut une continuité du soignant.
J'ai vu tellement de cas de personnes âgées qui sont véritablement traumatisées par l'arrivée inattendue d'une nouvelle personne et elles font face à des problèmes très intimes dans un état d'esprit et un niveau d'implication sociale très fragilisés. C'était une remarque extraordinairement importante.
L'autre enjeu est celui du suivi consécutif à une blessure sérieuse, la rééducation. Quel que soit votre âge, il faut s'activer, bouger et si vous n'en avez pas l'occasion cela aura un impact négatif sur toutes vos capacités.
Ce sont des personnes très vulnérables qui, comme vous l'avez dit, dans certaines circonstances ne reçoivent pas tous les soins. C'est vraiment très regrettable.
Je voudrais aussi souligner, docteur Reichman, que vous avez prononcé plusieurs fois un simple mot qui constitue le seul enjeu qui n'existe pas dans notre système de soins de santé, la responsabilité. Et ce n'est pas juste dans ce domaine.
La nature du système fédéral, avec toutes ces entités autonomes qui se battent pour leurs propres intérêts en ne permettant à aucune organisation, en l'occurrence l'organisation fédérale, de leur demander des comptes sur les transferts de fonds avec les provinces constitue un problème majeur que nous avons déjà examiné lors de précédentes études. Je voulais le souligner.
Docteur Reichman, lorsque la population dont nous parlons prend de l'âge elle est souvent touchée par des comorbidités telles que la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques ou autre. Nous essayons d'émettre des recommandations pour une stratégie nationale de gestion de la démence. En dehors des traitements adaptés aux symptômes de ces différentes maladies, les soins requis par les personnes qui développent une ou plusieurs de ces maladies en plus de la démence sont-ils radicalement différents et faut-il un autre type de soignant pour s'occuper des besoins quotidiens de la personne?
Dr Reichman : Oui. Prenez simplement le nombre de médicaments que ces patients doivent prendre et la complexité des schémas posologiques auxquels les médecins pensent trop souvent que les familles vont pouvoir s'adapter. C'est vraiment insurmontable. D'autant que nous avons réussi à mettre au point de nouveaux médicaments pour une personne de 80 ans qui souffre d'arthrite, d'hypertension et de toutes ces choses.
Le président : La gestion des prescriptions se trouve clairement modifiée par les comorbidités. Qu'en est-il des soins quotidiens généraux?
Dr Reichman : Quand la démence s'accompagne de problèmes musculosquelettiques et cardiovasculaires, cela complique les choses lorsqu'il s'agit de sortir le patient de la maison pour voir une myriade de spécialistes, de l'emmener au centre de soins pour la démence, de l'emmener faire une activité récréative. La capacité de la personne atteinte de démence à s'engager dans toutes ces activités qui donnent un sens à notre vie est compromise. Et plus les comorbidités médicales s'accumulent plus cela devient difficile et compliqué.
Mme McGilton : Je voudrais ajouter quelque chose. Dans la littérature au sujet de la multi-morbidité, ce qui s'est passé c'est que nous avons exclu les personnes les plus âgées de la plupart des études que nous avons menées. Les personnes âgées de 85 ans sont exclues, avec une démence, vous êtes exclu, nous n'avons donc pas beaucoup de résultats de recherche pour étayer tout ceci.
C'est aussi un phénomène nouveau. Avant c'était la démence, mais maintenant vous allez avoir des comorbidités, comme vous l'avez dit, parce que les gens vivent plus vieux. Nous n'avons pas de résultats de bonne qualité, mais ce que nous savons c'est que traiter une maladie, un diagnostic, de façon isolée ne fonctionne pas non plus. Nous travaillons au contrôle des symptômes. Nous devons prendre en charge la douleur et la fatigue et gérer les symptômes selon une approche beaucoup plus pluridisciplinaire, plutôt que d'avoir le médecin qui vous envoie consulter le chirurgien cardiovasculaire puis, quelqu'un s'occupe de votre foie et ainsi de suite. Nous devons réfléchir à la manière de prendre en charge cette population différemment.
Le président : C'est vrai. Nous avons fait une étude sur l'obésité et ce même problème de l'individu s'est posé. J'ai parlé de nos autres études, si nos automobiles étaient traitées, lorsqu'elles sont en panne, de la même manière que nous le sommes lorsque nous avons plusieurs problèmes, nous changerions de garagiste très rapidement. Nous n'avons pas cette possibilité et il y a un sérieux problème lié au fait que les gens sont trimballés de droite et de gauche au sein du système.
Je voulais entendre ces réponses pour mémoire. Nous ne pouvons traiter que des choses qui nous sont présentées lors des études. Vous m'avez apporté les réponses que je cherchais sur ce point particulier. Je vous remercie.
Je voudrais en venir à la question principale, le concept de stratégie nationale. Les gouvernements réussissent peut- être bien à développer, de façon conceptuelle, des approches nationales aux problèmes, mais les gérer de façon concrète c'est tout à fait autre chose, surtout lorsqu'il s'agit de questions de santé qui recouvrent toutes les compétences, les gouvernements ont beaucoup de mal à faire cela.
Il nous faut envisager les choses un peu différemment si nous voulons avoir une stratégie nationale, une stratégie nationale implique automatiquement le gouvernement, ne serait-ce qu'au niveau du financement, ce qui est un enjeu majeur évidemment, mais il faut aussi prendre en compte la question de la responsabilité dont parlait le Dr Reichman.
Je ne veux pas passer une demi-heure sur chaque réponse alors il faudra peut-être que vous nous recontactiez. Comment verriez-vous la mise en place d'une stratégie nationale au nom du peuple canadien, ce qui signifie une implication du gouvernement fédéral d'une manière ou d'une autre?
Pour donner un exemple, nous avons au niveau national la Société Alzheimer du Canada qui a aussi des antennes provinciales, une organisation qui peut avoir la capacité d'opérer au niveau national et provincial, mais qui peut aussi interagir avec le gouvernement fédéral pour développer une stratégie, mais qui administre cette stratégie pour la rendre efficace d'un point de vue administratif et qui soit en mesure d'éviter les enjeux politiques que l'on rencontre lorsque le gouvernement fédéral et les provinces tentent de développer une stratégie.
Avez-vous un rapide exemple et sinon seriez-vous prêt à nous recontacter par l'intermédiaire du greffier?
Dr Reichman : Nous pouvons tirer profit des exemples d'Europe de l'Ouest où un certain nombre de pays ont mis en place avec succès une stratégie nationale. Cela ne règle pas le problème fondamental du rôle approprié du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, c'est notre propre fardeau et c'est à nous de le résoudre.
Pour la mise en place il faudra un effort coordonné entre les organisations telles que la Société Alzheimer du Canada et ses entités locales, les organismes de financement au niveau provincial et ici, en Ontario, au niveau des RLISS, les organismes fournisseurs et ainsi de suite. Donc, la mise en place nécessitera l'action des différentes parties intéressées.
Là où je crois que le gouvernement fédéral a le plus clairement un rôle à jouer, c'est pour établir des normes — je sais que je me répète — au nom de la population nationale. Nous croyons que tous les Canadiens souffrant de démence y ont le droit. Peu nous importe l'endroit où ils vivent, ce qui compte, c'est que là où ils habitent ces normes soient respectées. Nous nous assurerons qu'au moyen du mécanisme de financement, c'est à ce niveau que vous avez le plus de levier, vous nous demanderez des comptes.
Le président : Si seulement c'était comme cela. Ce n'est pas ce qui s'est passé pour l'instant.
M. Campbell : Je préférerais vous recontacter à ce sujet, car j'ai examiné un certain nombre de stratégies sur la démence et j'ai aussi participé à celle que nous avons récemment établie en Nouvelle-Écosse. Chacune d'entre elles peut nous apporter ses enseignements.
Le président : Merci.
Mme McGilton : Je voudrais moi aussi vous recontacter. L'établissement de normes et de pratiques pour accompagner les lignes directrices est essentiel au niveau du comité.
Le président : Merci beaucoup. Je suis ravi de votre réponse.
Docteur Reichman, le problème auquel nous avons été confrontés au niveau des pratiques en matière de transferts fédéraux et de système éducatif c'est qu'il y a eu une forte résistance à toute responsabilité directe, mais votre argument n'en est pas moins d'une grande valeur. Nous n'allons pas poursuivre sur ce point aujourd'hui, mais c'est absolument fondamental.
Nous allons passer au deuxième tour de questions.
Le sénateur Eggleton : Je voudrais reprendre la question de la responsabilité. Cela me rappelle l'Accord sur le renouvellement des soins de santé. Il y a beaucoup été question de responsabilité.
Le nouveau gouvernement parle d'un nouvel accord sur la santé. Comme vous vous en souvenez peut-être, il y a avait dans le précédent accord des secteurs limités et des secteurs de préoccupation principaux pour la maladie. Est-ce que la démence doit y être ajoutée? Doit-elle devenir un facteur clé du prochain accord sur la santé?
Dr Reichman : Je crois que les données épidémiologiques sont si impérieuses que cela va devenir un des grands défis de santé publique de notre époque. Oui, il le faudrait.
Le sénateur Eggleton : Vous avez évoqué le fait de tenir les provinces pour responsables de l'amélioration des choses et du transfert de l'argent parce que le premier accord sur la santé était basé là-dessus.
Dr Reichman : En tant que fournisseurs de soins de santé en Ontario, nous devons rendre des comptes en fonction du financement que nous recevons.
Dans ces circonstances, nous suggérons que la responsabilité soit mise en œuvre en récompensant l'amélioration des performances dans les domaines que nous pensons être les plus importants pour la santé publique, alors que la résistance viscérale à la responsabilité liée au financement apparaît lorsque nous ne pouvons pas gagner, mais que nous ne pouvons que perdre.
Le président : Il s'agirait donc d'un référentiel général et à partir de là vous obtiendriez des augmentations basées sur des résultats positifs?
M. Reichman : C'est mon point de vue.
Le sénateur Eggleton : Le président a mentionné la Société Alzheimer du Canada. Il y a quelques années elle a proposé un partenariat canadien pour lutter contre la démence et la maladie d'Alzheimer, je ne sais pas si vous le savez. La Société Alzheimer du Canada a suggéré qu'elle pourrait aider à diriger les différentes parties intéressées, les différents acteurs, si le gouvernement ne le faisait pas plus directement. Vous n'en avez pas entendu parler. Très bien.
Je voudrais vous interroger sur une autre entité de la sphère fédérale parce que nous ne nous concentrons pas uniquement sur la stratégie. Tout le monde souhaite une stratégie et nous sommes enclins à aller dans ce sens, mais concentrons-nous maintenant sur l'action qui découle de la stratégie.
Qu'en est-il de l'Agence de la santé publique du Canada, quel pourrait-être son rôle dans tout cela?
Dr Reichman : Ce que nous avons réussi à faire dans ce pays autour de la santé du cœur ou du cancer, nous pouvons le réussir pour la santé du cerveau. Je ne crois pas que la plupart des gens dans ce pays savent qu'il y a des choses que nous pouvons faire tout au long de la vie pour maintenir notre cerveau en bonne santé.
Nous le savons un peu en ce qui concerne le cœur ou le cancer, mais je ne crois pas que nous le comprenions au sujet du cerveau. Je crois que l'Agence de la santé publique du Canada avec peut-être la Société Alzheimer du Canada et toute autre partie intéressée appropriée pourrait lancer une campagne nationale de promotion de la santé orientée sur la santé du cerveau. Nous avons réussi à le faire pour le cœur et le cancer, nous devrions pouvoir le faire pour le cerveau.
Le sénateur Eggleton : Permettez-moi d'ajouter une dernière question. C'est un programme spécifique et vous l'avez souligné, monsieur Campbell, la prestation d'assurance-emploi, le programme d'AE qui prévoit un arrêt temporaire de travail pour aider et soutenir un membre de la famille, à la condition que cette personne soit gravement malade, avec un risque significatif de décès dans les 26 semaines, donc c'est vraiment limité à des soins de fin de vie, une situation de soins palliatifs en quelque sorte.
Est-ce que le gouvernement fédéral devrait étendre le programme de prestation d'assurance-emploi? Cela peut bien sûr représenter un effort assez coûteux, mais en allant au-delà de son application actuelle et en prenant en charge des soins non professionnels pour les personnes ayant besoin de soins de répit.
M. Campbell : Le programme a récemment été étendu. Cela a été bien reçu. Les gens que nous connaissons et qui l'utilisent en sont assez contents et ils trouvent que ce soutien financier les aide, surtout lorsqu'ils traversent un moment si difficile sur le plan émotionnel.
Que le gouvernement fédéral développe la prestation d'assurance-emploi ou qu'il instaure une nouvelle prestation ou un nouveau programme, je ne sais pas ce qui est la bonne chose à faire, mais nous avons clairement besoin de souplesse.
Dans l'avion qui m'a amené ici aujourd'hui, j'étais assis à côté d'une dame de Terre-Neuve-et-Labrador qui vit ici. Elle rentrait chez elle après avoir été enterrer sa mère. Sa mère est décédée ici à Ottawa où elle a reçu un traitement formidable contre le cancer.
Elle disait que le soutien à domicile avait été formidable, que le centre de soutien palliatif était bien, que l'on venait la chercher pour l'emmener au centre de soins palliatifs quelques heures par jour et qu'elle était soulagée de cette manière et ainsi de suite. Je lui ai demandé comment elle s'en sortait avec tout cela. Elle m'a répondu : « Je n'aurais jamais pu m'en sortir si mon employeur ne m'avait pas permis de travailler depuis mon domicile. »
Voilà un bon exemple de souplesse. Il n'y a pas de perte pour l'employeur, il y a juste de la souplesse quant au lieu de travail.
Notre organisation doit être un chef de file à cet égard; nous avons transformé notre congé de maladie en congé pour raisons personnelles. Donc, si une personne a besoin de soutenir un proche, de l'emmener à un rendez-vous médical par exemple et qu'elle a besoin de prendre quelques heures le matin pour cela, elle peut facilement me prévenir à l'avance. Nous enlevons alors quelques heures sur son temps personnel, car nous ne comptons plus en journées, mais en heures pour que cela soit facile pour tout le monde.
En fin de compte, si la personne a épuisé son temps alors nous examinons la situation et s'il faut quelques semaines de plus, nous pouvons le faire. Il faut que nous ayons de la souplesse pour pouvoir nous adapter à chaque cas particulier.
Le sénateur Eggleton : Est-ce que vous encouragez les entreprises, les sociétés de Nouvelle-Écosse à faire quelque chose de similaire à ce que vous faites?
M. Campbell : J'ai prévu de le faire.
Le sénateur Eggleton : Que cela soit pour le programme d'AE, ou lorsque le gouvernement fédéral ou les entreprises accordent du temps libre, il faut de la souplesse?
M. Campbell : Oui, il en faut aussi pour le lieu de travail, avec la technologie c'est assez facile à faire.
Le président : Pour rebondir sur la question du sénateur concernant l'accès à l'information et les maladies neurologiques en général, si vous prenez une personne ordinaire qui se rend sur un site web pour essayer d'obtenir des informations sur la démence, pensez-vous qu'elle chercherait des choses sur les problèmes neurologiques ou est-ce qu'un bulletin spécial sur la démence serait bien supérieur pour permettre au public de rapidement trouver des informations sur le problème auquel il pense être confronté?
Dr Reichman : Je peux vous parler de notre expérience, sans aucune couverture médiatique, sans mercatique, nous avons lancé un site web avec une plateforme permettant aux gens de répondre à la question : « Est-ce que ma mémoire est normale ou devrais-je consulter mon médecin? » Nous avons lancé ce site sans aucune publicité. Il y a eu un article dans le National Post qui en a parlé et en quelques semaines 80 000 Canadiens se sont rendus sur le site. Près de la moitié de ces personnes ont passé 15 minutes sur le site et ont fait le test. Nous disposons maintenant de données concernant plus de 100 000 Canadiens, sans avoir fait la promotion du site web.
Donc je crois qu'il y a une énorme demande, en particulier chez les personnes d'âge moyen qui se demandent : « Dois-je m'inquiéter parce que j'oublie des choses? Ma mère et mon grand-père ont eu la maladie d'Alzheimer, que dois- je faire? »
Je vois de plus en plus de gens de mon âge, un peu plus âgés peut-être, entrer dans ma clinique. Ils veulent savoir ce qui est normal à leur âge et quels sont les signes précoces de la maladie d'Alzheimer. « Est-ce que j'ai vraiment la maladie d'Alzheimer? Oh, mon Dieu, que puis-je faire? » Il y a une énorme demande du public et nous devons leur proposer les outils permettant de répondre à ce type de questions.
Le président : Vous avez absolument raison. C'était le fondement de ma question. Il y a une énorme demande d'information au sein du public. Je vous pose la question parce que sur le site web de l'ASPC, il n'y a aucune mention directe de la démence. Il y est question de maladies neurologiques et ainsi de suite. Très franchement cela ne me mène pas instantanément vers le problème que vous avez donné en exemple. Je ne souhaite pas poursuivre cela plus avant.
La sénatrice Seidman : Je voudrais poursuivre sur ce sujet. Là encore, vous pouvez tous répondre.
Je voudrais savoir si vos recherches ou vos revendications sur la démence ont eu pour résultat des changements de politiques provinciales et nationales. Et si oui, quelles étaient les recherches et les revendications et quels étaient les changements de politiques?
Mme McGilton : Je peux vous répondre. J'avais une bourse de recherche au ministère de la Santé en Ontario lorsqu'ils avaient le programme. Une des choses qu'il fallait faire s'était rembourser, donc il a fallu que j'aille au ministère pour travailler sur un projet qui était aligné sur mon travail. En réalité j'y étais lorsque le ministère travaillait sur la réglementation des soins à long terme. C'était très intéressant pour moi de participer au choix des meilleurs résultats que nous pouvions apporter pour étayer la réglementation et faire qu'elle soit la meilleure possible.
En fin de compte — j'ai entendu Bill en parler. L'expression « comportements réceptifs » ne figurait pas dans la réglementation à ce stade. Nous parlions alors de « comportements difficiles. » Nous parlons souvent de comportements difficiles lorsque nous évoquons les personnes atteintes de démence. J'ai lu les travaux de Sherry Dupuis et j'ai dit : « Elle parle de comportements réceptifs. » C'est une philosophie différente. Si vous dites qu'une personne atteinte de démence a des « comportements réceptifs » au lieu de dire « comportements difficiles » — l'avocat m'a demandé : « Est-ce le goût du jour, Kathy? » J'ai répondu : « C'est le goût de l'avenir. »
Si nous expliquons aux gens qu'il y a des raisons pour lesquelles les personnes atteintes de démence sont angoissées, agressives et agitées, peut-être que cela nous encouragera à former les professionnels pour qu'ils sachent ce qui se passe plutôt que de partir du principe que les personnes sont difficiles et qu'il faut leur donner des sédatifs, ce qui est notre pratique courante. C'est assez fascinant de pouvoir influer sur les politiques.
La réglementation a changé. Toutes les occurrences de l'expression « comportements difficiles » ont été remplacées par « comportements réceptifs. » Je crois que c'est un grand changement.
L'autre chose que j'ai pu faire, puisque nous réhabilitions les personnes atteintes de démence, nous avons pu reproduire ce modèle de soins dans différents sites en Ontario. Différentes provinces ont manifesté leur intérêt pour notre travail. Il y a un travail en cours pour la reconnaissance du fait qu'une population mérite une chance, alors comment reproduire cela dans d'autres provinces? Il y a des exemples de changements dans les politiques et dans les pratiques.
La sénatrice Seidman : C'était très utile. Merci.
Dr Reichman : Ce sont de très bons exemples. Il est clair que les récentes bourses d'études ont eu des conséquences sur le cadre réglementaire, vous en avez donné des exemples. Il y a aussi l'utilisation des médicaments antipsychotiques pour les personnes atteintes de démence, c'est une norme appliquée de manière très rigoureuse désormais, en tout cas dans le cadre réglementaire de l'Ontario sur les soins à long terme. Ces médicaments peuvent provoquer des lésions et ils ne sont pas toujours prescrits de manière raisonnée et sont probablement trop prescrits dans notre pays.
Il y a aussi l'utilisation des contentions physiques. Pendant des années, les personnes atteintes de démence qui avaient des comportements réceptifs subissaient diverses contentions physiques. Les recherches nous ont montré que cela provoque en réalité davantage de blessures que l'absence de contention, alors c'est également devenu une part importante du cadre réglementaire.
La sénatrice Seidman : C'est intéressant, merci. Monsieur Campbell?
M. Campbell : Je vais peut-être parler de la défense des intérêts.
La sénatrice Seidman : C'est ce que j'espérais.
M. Campbell : Même si je pourrais parler de certaines recherches. J'ai utilisé le mot « difficile. » J'ai pensé qu'il serait mieux compris ici. J'espère que je peux dire cela.
Concernant la défense des intérêts des soignants — et je suis sérieux en disant cela, très souvent aujourd'hui, on entend la formule « aidant naturel ». Je dois vous dire que les soignants n'aiment pas du tout cette expression. Je sais qu'elle vient de l'université et qu'elle ne se veut pas insultante. C'est parce qu'ils ont reçu une formation informelle par opposition à quelqu'un qui a reçu une formation formelle, dans un hôpital par exemple.
Une des choses que nous essayons de faire en Nouvelle-Écosse et nous y sommes parvenus pour la stratégie de lutte contre la démence, c'est de supprimer l'expression « aidant naturel ».
Il y a aussi une tendance à l'utilisation de « partenaire de soins ». Les soignants disent : « Qu'est-ce que c'est que ce machin? Qu'est-ce qu'un partenaire de soins? » Dans les conventions et autres nous avons entendu des infirmières dire « Nous pensions que nous étions des partenaires de soins. » Eh bien oui, mais ce que nous disons, c'est que nous sommes tous des « partenaires en soins. »
J'aime expliquer aux gens que c'est la dyade du soigné et du soignant. Ce sont ces deux personnes qui forment une unité, nous n'aurions pas l'un sans l'autre. Puis, il y a les partenaires en soins qui les entourent, à savoir le médecin, les infirmières et les autres soignants. C'est cela qui forme le partenariat.
Je crois que nous devons être très sensibles au langage. Oui, nous disons : « ami ou membre de la famille soignant bénévole ». Nous incluons le mot « ami », car 16 p. 100 des soignants ne sont liés au soigné ni par le sang ni par le mariage. Nous devons les reconnaître.
Mme McGilton : Je suis coupable d'avoir utilisé les mots formel et informel. Je m'en excuse. Je veux parler du formel, car en matière de défense des intérêts, nous avons oublié les soignants qui s'occupent de cette population vulnérable. Comment pouvons-nous nous assurer qu'ils soient formés, mais aussi soutenus dans leurs vies quotidiennes, en particulier dans les centres de soins à long terme?
Ce que j'essaie de faire au niveau international en travaillant avec d'autres chercheurs, c'est d'examiner le rôle des infirmières professionnelles dans ces environnements, de voir ce qui ce passe et faire en sorte que nous défendions les équipes de soignants, en particulier dans les maisons de soins infirmiers dans lesquelles le personnel s'occupe de clients complexes. Cela sera de plus en plus difficile. Comment pouvons-nous le faire bien? Je crois que c'est une tout autre question qu'il nous faut vraiment évoquer aujourd'hui, et qui a été oubliée. C'est difficile de garder le personnel dans certains environnements, alors nous devrons faire attention à l'avenir parce que ces groupes seront de plus en plus difficiles et exigeants. Je ne sais pas qui sera là pour s'occuper d'eux.
La sénatrice Seidman : C'est intéressant parce que vous exprimez vos espoirs vis-à-vis de changements de politiques à l'avenir?
Mme McGilton : Oui, absolument.
La sénatrice Seidman : Docteur Reichman, je me demande si vous souhaitez exprimer un espoir de futur changement de politique en particulier. Vous avez parlé de l'impact de la recherche sur certaines politiques. Avez-vous des espoirs pour l'avenir que cela soit dans la défense des intérêts ou les résultats de recherches.
Dr Reichman : Je crois qu'il y a une chose qui nous empêche de dormir Kathy et moi — et peut-être que vous aussi, en ce qui concerne le besoin de soignants — c'est de savoir si nous aurons assez de personnel. Nous ne voyons pas de jeunes qui étudient les soins infirmiers, la médecine ou la physiothérapie qui veulent s'orienter vers ce domaine. Ils ne viennent pas travailler dans les organisations comme la nôtre. Ils ne vont pas dans les organismes de soins à domicile. Ils se tournent vers les hôpitaux de soins actifs ou peut-être vers les centres de soins primaires et cela nous inquiète.
Je crois que ce dont nous avons besoin c'est d'attirer de jeunes gens dans ce domaine alors qu'ils sont malléables, tôt dans leur formation et leur montrer ce qui est gratifiant. Nous ne ferions pas ce travail si nous ne le trouvions pas gratifiant, cela peut-être très gratifiant.
Je crois qu'il faut davantage développer les programmes d'enseignement et montrer aux jeunes ce que c'est que ce travail parce nous aurons besoin d'eux pour s'occuper de nous.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup.
Le président : Je voudrais vous interroger, docteur Reichman, à propos de la polypharmacie. Vous en avez rapidement parlé tout à l'heure, uniquement dans le cadre de la comorbidité. Nous savons d'après les résultats d'études que les personnes âgées ont en général tendance à être surmédicalisées, avec des prescriptions multiples. Au sein de votre organisation, avec vos divers centres, comment gérez-vous cette question des prescriptions? Y a-t-il une personne responsable des prescriptions dans une institution donnée qui regarde les contre-indications et d'autres types de problèmes?
Dr Reichman : Cela dépend du cadre des soins. Pour les soins à long terme nous avons un pharmacien qui peut regarder la liste des médicaments et identifier les risques potentiels liés à la consommation de plusieurs médicaments qui pourraient être dangereux.
Eh dehors des cadres institutionnels, une des raisons pour lesquelles les personnes âgées prennent trop de médicaments c'est parce qu'elles voient trop de médecins. Le docteur Smith ne sait pas ce que fait le docteur Jones et puis, un troisième intervenant est consulté et personne ne coordonne ces soins.
C'était censé être le rôle du gériatre, mais il y en a très peu et leur nombre baisse. Nous observons pour le nombre de personnes qui veulent entrer en médecine gériatrique la même tendance que pour toutes les autres disciplines et nous ne savons pas encore, en tant qu'enseignants, comment nous allons inverser cette tendance. Dans les endroits comme Baycrest, ou à Toronto Rehab où travaille Kathy, les médecins sont déjà informés de tout cela. Ils sont les meilleurs élèves de la classe en matière de prescriptions. Beaucoup de nos médecins passent plus de temps à retirer des médicaments qu'à écrire des ordonnances. En fait, je crois que j'interromps plus de traitements que je n'en prescris.
C'est une question d'éducation des médecins et des consommateurs. Cette femme adulte qui est responsable de sa mère devrait sérieusement interroger le médecin sur la nécessité qu'il y a pour sa mère de prendre trois antihypertenseurs.
Le président : Alors la réalité sur le terrain correspond à ce que nous avons vu dans d'autres études. Est-ce que l'idée des dossiers de santé et des dossiers médicaux électroniques dans le bureau du médecin local relève davantage du mythe que de la réalité?
Dr Reichman : Je crois que la promesse n'a pas encore été tenue. Cela ne veut pas dire que le potentiel n'existe pas.
Le président : C'est une bonne manière de présenter les choses.
La sénatrice Raine : Pour continuer là-dessus, je crois que même s'il est très difficile pour la plupart des Canadiens de trouver un médecin pour la vie, la plupart d'entre eux peuvent trouver une pharmacie qu'ils peuvent fréquenter à long terme. Travailler avec un pharmacien sur ces listes est sans doute une meilleure manière de les corriger.
Je sais que nous ne parlons pas de la recherche dans notre étude, mais dans les recherches que j'ai faites, j'ai vu que beaucoup d'avancées avaient été faites dans l'imagerie cérébrale permettant de détecter des changements précoces dans le cerveau et faire quelque chose avant qu'il ne soit trop tard.
Est-ce que cela fait partie des choses auxquelles on peut s'attendre et qui permettraient d'aider les personnes d'âge moyen qui sont très concernées par leur santé et comme vous avez pu le mesurer, ont très envie de trouver des réponses à leurs questions?
Dr Reichman : Oui. Je crois que l'imagerie est un des développements les plus prometteurs. Nous sommes désormais capables, dans le cadre d'une maladie d'Alzheimer par exemple, d'avoir une image d'un cerveau d'âge moyen comme le mien et de visualiser des changements pathologiques qui peuvent survenir de nombreuses années avant le début des symptômes de démence.
Cela s'appelle l'imagerie amyloïde et à l'heure actuelle des études sont menées sur des personnes qui ne montrent aucun signe de démence, mais qui peuvent avoir des antécédents familiaux ou des facteurs de risque génétiques. Nous faisons des images de leur cerveau, nous voyons qu'elles ont une accumulation anormale d'amyloïde — ce qui crée un risque à terme d'être atteint de démence — et nous leur donnons un médicament anti-amyloïde pour voir si cela prévient totalement le déclenchement de la démence à 75 ans, ou si au moins cela en retarde le déclenchement.
Il y a quatre essais cruciaux dans le monde en ce moment même pour déterminer si cette approche va porter ses fruits. Nous l'espérons, mais si ce n'est pas le cas, cela réinitialisera complètement la manière dont nous avons conceptualisé ce qui provoque la maladie d'Alzheimer dans le cerveau.
Nous sommes de plus en plus capables de déterminer les personnes qui, à l'âge moyen, présentent des risques et ensuite de tester des thérapies sur ces personnes avant qu'elles ne développent la confusion mentale de la démence. Mais pour le moment nous ne disposons pas de thérapies pour les personnes comme moi afin de les empêcher de développer une maladie d'Alzheimer, même si le scanner cérébral montre des niveaux anormaux d'amyloïde qui s'accumulent dans le cerveau.
La sénatrice Raine : Si vous vouliez avoir une imagerie de votre cerveau, juste pour vous tranquilliser l'esprit, pourriez-vous le faire?
Dr Reichman : Actuellement, l'imagerie du cerveau pour détecter l'accumulation d'amyloïde, qui constitue une des pistes les plus prometteuses, n'est pas accessible cliniquement. Ce n'est accessible que par la participation à une étude de recherche. Vous pouvez vous rendre dans un laboratoire pour faire un dépistage génétique afin d'identifier le gène le plus courant qui confère un risque de développer la maladie d'Alzheimer chez les personnes âgées. C'est l'allèle APOE 4.
Le problème c'est que si vous êtes porteur de l'un de ces gènes — c'est peut-être votre mère qui vous l'a transmis, car nous recevons une copie de chaque gène de nos deux parents — cela vous donne une probabilité d'environ 35 à 40 p. 100 de développer la maladie d'Alzheimer durant votre vie, mais cela veut également dire que vous avez 60 à 70 p. 100 de chances de ne pas l'avoir. L'information n'est pas très significative, c'est pourquoi nous n'encourageons pas les gens à faire ce type de dépistage génétique.
La sénatrice Raine : J'ai assisté à un débat de la DET sur l'imagerie TEM. Est-ce un autre type d'imagerie?
Dr Reichman : C'est un autre type d'imagerie. Ce que nous regardons c'est la proportion relative de circulation du sang vers les différentes parties du cerveau. Dans les cas de maladie d'Alzheimer, il y a une anomalie caractéristique dans la circulation sanguine, en particulier vers les parties postérieures du cerveau qui sont importantes pour certaines des fonctions intellectuelles qui sont perdues dans la maladie d'Alzheimer.
Toutefois, l'imagerie TEM n'est pas assez spécifique et sensible pour être utilisée de manière fiable. Si nous sommes préoccupés par la démence d'une personne et que nous demandons une imagerie TEM, cela peut être parce que nous ne sommes pas certains de la cause, qu'il s'agisse d'Alzheimer ou d'une autre cause. Nous utiliserons peut-être l'imagerie TEM pour aider à répondre à cette question, mais comme imagerie de routine, elle n'est pas très utile.
Le président : Cette session a été remarquable et comme l'a dit mon collègue tout à l'heure, vous nous avez donné le genre d'informations que nous espérions. Nous vous avons choisis à dessein en espérant que nous aurions un aperçu unique de ces questions, grâce à vos parcours et vos expériences et cela a clairement été le cas. Vos réponses ont été extrêmement réfléchies, très clairement formulées et très bénéfiques pour nous.
Après votre départ, s'il vous vient à l'esprit des questions que vous auriez voulu aborder, merci de nous les transmettre par l'intermédiaire du greffier. Et, bien sûr, vous allez nous recommander une organisation pour gérer cela qui soit efficace et responsable pour nous permettre d'avancer.
Au nom du comité, je veux vous remercier d'être venus aujourd'hui, et de nous avoir présenté les choses de cette façon, merci encore à mes collègues pour leurs questions.
(La séance est levée.)