Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 12 - Témoignages du 30 novembre 2016
OTTAWA, le mercredi 30 novembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour examiner la teneur des éléments des sections 1 et 2 de la partie 4 du projet de loi C-29, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2016 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Art Eggleton (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
Je m'appelle Art Eggleton, et je suis un sénateur de Toronto. Je suis vice-président du comité, et je remplace le président qui est retenu et qui arrivera un peu plus tard.
Comme le veut notre coutume, j'aimerais demander à chaque sénateur de se présenter.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Bovey : Sénatrice Bovey, du Manitoba.
La sénatrice Frum : Linda Frum, de l'Ontario.
La sénatrice Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.
Le vice-président : Le projet de loi C-29 est la Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé le 22 mars 2016. Comme nous le savons, ce projet de loi a été déposé à la Chambre des communes le 25 octobre par le ministre des Finances, l'honorable Bill Morneau.
Le 22 novembre, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a été autorisé à examiner la teneur des éléments des sections 1 et 2 de la partie 4 du projet de loi C-29. Ces sections regroupent des modifications à la Loi sur l'assurance-emploi et à la Loi sur la sécurité de la vieillesse.
Nous faisons cela avant que le Sénat soit saisi du projet de loi; il s'agit donc d'une étude préalable.
Je tiens à souhaiter la bienvenue à la sénatrice Bovey qui siège au comité pour la première fois. C'est un plaisir de vous compter parmi nous. Deux réunions ont été prévues pour l'étude. Le comité tiendra aujourd'hui deux séances de discussion qui dureront au plus une heure chacune. Nous avions prévu que plus de gens soient présents aujourd'hui; nous n'aurons donc peut-être pas besoin de tout ce temps. Nous espérons que l'autre témoin sera là, si jamais nous terminons à l'avance la première partie de notre réunion. Le témoin traitera de diverses sections.
Je vous présente David Gray, professeur agrégé au Département des sciences économiques de l'Université d'Ottawa. Il parlera des modifications à la Loi sur l'assurance-emploi.
David Gray, professeur, Département des sciences économiques, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le vice-président.
J'aimerais apporter une petite correction. Je suis professeur à temps complet. J'ai déjà été professeur agrégé, mais j'ai été promu il y a huit ans et je n'ai pas encore été rétrogradé.
Le vice-président : Mes notes doivent être désuètes.
M. Gray : J'ai témoigné devant des comités du Sénat et de la Chambre des communes à quelques reprises au fil des ans.
D'accord. Je crois comprendre le contexte et la situation.
[Français]
À propos, je suis disposé à recevoir des questions en français.
[Traduction]
Vous pouvez me poser des questions en français, et je suis aussi capable de vous répondre en français.
Premièrement, je vais suivre le plan qui se trouve ici. En prenant connaissance du résumé que j'ai reçu il y a à peine deux ou trois heures, je me suis rendu compte qu'il est aussi question d'une modification assez importante à la Loi sur l'assurance-emploi qui avait été adoptée en 2012 par le gouvernement conservateur, soit l'initiative Jumeler les Canadiens aux emplois disponibles. Selon ce que j'en comprends, dans le budget de 2016, soit quatre ans plus tard, les règles concernant l'obligation pour un prestataire de rechercher assidûment un autre emploi ont maintenant été abrogées.
Au sujet de ce qui a été fait il y a quatre ans, je dois tout d'abord dire que j'étais certainement fortement d'accord avec le titre de l'initiative, soit la nécessité de jumeler les Canadiens aux emplois disponibles, mais que je désapprouve cette mesure concernant la recherche d'emploi pour les raisons que voici. En gros, son application dépendait beaucoup du pouvoir discrétionnaire de l'administration, ce qui rend le programme plus dispendieux à administrer que si ce n'était pas le cas. Toutefois, cela ouvre surtout la porte au sein du gouvernement fédéral et de la Commission de l'assurance-emploi à une vaste gamme d'objectifs judicieux et de décisions ambiguës, qui à leur tour ouvrent toute grande la porte au sein de la Commission de l'assurance-emploi à des appels longs et coûteux.
Comme je l'ai indiqué ici, j'ai extrait les phrases suivantes du document actuel. Je précise que j'ai ajouté l'italique.
Il est question du taux et des conditions admis par les bons employeurs. Que se passe-t-il si l'administrateur du programme affirme que l'entreprise A est un bon employeur, mais que le prestataire d'assurance-emploi dit le contraire et refuse de travailler là pour le salaire offert?
Voici un autre extrait : « conditions moins favorables [...] qu'il pourrait raisonnablement s'attendre à obtenir ». C'est encore une fois très subjectif. Chaque personne peut le comprendre différemment.
Cela remonte à pratiquement 40 ans, mais je me souviens de l'époque où j'étais débarrasseur dans un restaurant pour un salaire en deçà du salaire minimum et que je me suis plaint de cette paie ridicule à mon père qui m'a répondu que c'était un salaire très bien et généreux. Deux personnes avaient deux opinions différentes en ce qui concerne mes attentes et leur caractère raisonnable.
Passons à la phrase qui suit : « Suite à l'expiration du délai raisonnable suivant la date à laquelle un assuré est en chômage ». Je crois que « raisonnable » veut dire ici que l'administrateur dans le bureau local peut se dire : « Vous êtes rendu à mi-chemin des prestations auxquelles vous êtes admissible, et je n'ai pas l'impression que vous mettez vraiment tous les efforts nécessaires pour vous trouver un emploi. Je vais commencer à utiliser le bâton et la carotte, et je vais vous retirer vos prestations. »
Le prestataire peut interjeter appel d'une telle décision. Je ne suis pas certain si cela s'est concrétisé, mais je m'attendais à l'époque à ce que le personnel hésite normalement à utiliser le bâton et à priver des gens de leurs prestations. Pour commencer, je ne crois pas qu'il tient vraiment à détenir ce pouvoir, ce qui mine l'objectif de la réforme.
Je crois pouvoir parler au nom de la majorité de mes collègues qui analysent le régime d'assurance-emploi en disant que nous pensions qu'il s'agissait d'une réforme inutilement complexe qui dépendait énormément de l'administration. Si nous présumons que l'objectif est réellement d'encourager la recherche d'emploi, je préférerais réduire la période de prestations dans certains cas.
Cela donnerait aux prestataires une grande autonomie pour se trouver un nouvel emploi sans que l'administration de l'assurance-emploi les embête et s'en mêle et les inciterait peut-être à se prévaloir des avantages offerts en vertu de la partie II de la Loi sur l'assurance-emploi, notamment les services d'orientation professionnelle.
Comme je le mentionne plus bas dans le document, ce ne sont pas tous les analystes de la politique du marché du travail, mais bien la majorité des analystes qui s'inquiètent des mesures d'encouragement et de dissuasion qui sont inhérentes au régime en ce qui concerne la recherche d'emploi. Les ouvrages scientifiques au Canada et aux États-Unis ont montré que la modification de la période de prestations — la durée maximale d'admissibilité — motive énormément les prestataires à se trouver un nouvel emploi. C'est l'instrument de politique le plus acceptable et le plus direct si vous essayez de forcer certains prestataires à essayer de se trouver un nouvel emploi.
Toutefois, il ne faut pas oublier que le régime d'assurance-emploi est conçu pour indemniser les personnes qui ont perdu leur emploi pour des raisons indépendantes de leur volonté. Nous voulons indemniser les gens et leur donner des prestations adéquates pour améliorer leur bien-être, mais nous voulons également dans la majorité des cas vraiment faciliter la recherche d'emploi. Nous devons prêter attention aux mesures de dissuasion qui sont inhérentes au régime. Nous avons donc toujours ce compromis; il faut indemniser les travailleurs pour éviter que leur niveau de vie s'amenuise et leur donner les ressources dont ils ont besoin pour avoir une recherche d'emploi fructueuse sans — comme les ouvrages le diraient — subventionner inutilement leurs congés. Il y a donc un compromis inhérent au régime d'assurance-emploi.
Je crois certainement que le projet de loi est un pas dans la bonne direction, et j'approuve ce qui a été fait, mais je ne pense pas que le gouvernement ne devrait plus modifier le régime à partir de maintenant. D'autres réformes sont nécessaires en vue d'essayer d'atteindre les deux objectifs de faciliter la recherche d'emploi et d'aider les travailleurs qui ont définitivement été mis à pied, comme je le mentionne vers la fin du document. Les travailleurs qui ont définitivement été mis à pied ont désespérément besoin de services d'aide à la transition.
Lorsque nous leur apprenons qu'ils doivent se débrouiller seuls et que nous leur disons que c'est dommage qu'ils n'aient pas suivi une formation en programmation de jeux vidéo et qu'ils ne possèdent pas ces compétences très recherchées en 2016. Nous avons vu ce qui est arrivé le 8 novembre aux États-Unis lorsque le gouvernement ne prête pas suffisamment attention aux travailleurs dont les compétences ne sont pas actuellement recherchées dans le marché du travail d'aujourd'hui, soit un marché instable et inégalitaire qui évolue rapidement.
Voilà mes commentaires. À quel point ai-je pris trop de temps?
Le vice-président : Ce n'est pas le cas. C'est bien. Je ne vous accorderais pas plus de temps, mais c'est bien. Passons aux séries de questions et aux discussions qui en découleront.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vous souhaite la bienvenue, professeur Gray. Ma question concerne la fin de votre allocution lorsque vous faites référence aux mesures actives pour soutenir les personnes sans emploi, pour améliorer leur employabilité. Vous travaillez à l'Université d'Ottawa, mais je ne sais pas si vous êtes familier avec l'ensemble des dispositifs de services au Canada.
M. Gray : Oui, de temps en temps, je travaille pour Emploi et Développement social Canada en tant qu'expert- conseil externe.
La sénatrice Bellemare : Selon vous, les investissements réalisés en matière d'assurance-emploi, dans le contexte des services d'emploi, des mesures actives et des ententes de main-d'œuvre qu'a conclues le gouvernement fédéral avec les différentes provinces sont-ils suffisants pour faciliter davantage l'adaptation des personnes au chômage dans le contexte du marché du travail d'aujourd'hui?
Je sais que ma question est un peu hors contexte.
M. Gray : Quelle bonne question substantielle! Oui, en fait, je suis au courant de la recherche qu'effectue le gouvernement fédéral par l'intermédiaire du ministère de l'Emploi et du Développement social. Il a consacré bon nombre de ressources pour examiner l'efficacité de ces mesures. Jusqu'à présent, la recherche montrait des résultats positifs, mais pas extraordinaires, et c'est un peu décevant.
C'est presque la seule voie disponible. Il est hors de question que le Canada s'engage dans le protectionnisme à la Donald Trump, car les anciens postes du secteur manufacturier ne reviendront jamais. Il faut apporter des ajustements à notre marché du travail. Comment? Personne n'a la réponse. Certaines mesures sont efficaces, mais la situation en général est un peu décevante. Pour une personne de mon âge, par exemple, qui est licencié de façon permanente, c'est très difficile de trouver un emploi au même niveau salarial.
Donc, c'est impossible d'aider tout le monde, mais je crois qu'on peut faire mieux. Un dispositif qui, à mon avis, est efficace est d'investir dans la formation professionnelle continue au collège, par exemple. Le réseau des cégeps du Québec est de classe internationale. Compte tenu des objectifs de sa clientèle, ce qu'ils font est tout à fait magnifique, tout comme le réseau des collèges de la Colombie-Britannique et celui de l'Ontario. Donc, je crois que renforcer la lecture, l'écriture, le calcul et l'interprétation des documents pourrait s'avérer très fructueux pour les personnes âgées de 40 ans et moins. C'est une voie prometteuse, mais cela ne va pas aider tout le monde. Il y en aura, je le crains, qui perdront pour toujours.
La sénatrice Bellemare : De plus en plus de chômeurs occasionnels reviennent régulièrement, parce que l'emploi est saisonnier ou, même s'il n'est pas saisonnier dans sa nature même, certaines pratiques d'entreprises font qu'on licencie les gens pendant un certain temps et qu'on les réembauche quelques mois plus tard.
Prévoyez-vous des mesures particulières à l'assurance-emploi pour contrer ce phénomène où l'assurance-emploi est utilisée davantage comme soutien de revenu?
M. Gray : En ce qui concerne l'emploi saisonnier, l'autre côté, c'est le chômage saisonnier. Les deux vont toujours ensemble. Le taux d'incidences a vraiment chuté depuis 30 ans. Il y a beaucoup moins de chômage et de chômeurs saisonniers par rapport aux années 1970, par exemple. Par contre, je crois que le taux d'emplois à temps partiel et le taux d'emplois occasionnels augmentent, mais pas forcément dans ce cadre saisonnier.
À mon avis, oui, depuis longtemps, la majorité de notre profession a favorisé le développement d'une caisse séparée avec des politiques différentes pour ces personnes, et ce, afin de les aider à briser ce cycle de dépendance et d'accéder à un travail, pas nécessairement à temps plein, mais pour toute l'année. De plus, pour ceux qui n'ont pas ce choix du tout, comme certains travailleurs qui ont plus de 40 ans, il y a une caisse d'indemnités.
La sénatrice Bellemare : Plus de 40 ans, d'accord.
M. Gray : Oui, plus de 40 ans. À mon avis, le marché de l'emploi et l'économie canadienne ne veulent pas encourager les jeunes de 20 ans à aspirer à une carrière pendant 45 ans de travail saisonnier, par exemple.
La sénatrice Bellemare : Non.
M. Gray : Cela laisse nos ressources humaines sous-exploitées, souvent pour des postes qui n'exigent pas de formation. Nous sommes presque le seul pays dans le monde développé qui oriente son régime d'assurance-chômage et d'assurance-emploi de cette façon.
En France, le système est axé sur les gens plus âgés. Il n'y a pas de logique régionale dans le système français, ni dans le système allemand. Donc, je favorise un clivage entre deux genres de chômeurs, ceux qui ont été licenciés de façon permanente et ceux qui sont au chômage saisonnier ou occasionnel en raison de structures de travail très instables.
Nous ne voulons pas d'emplois instables. Nous voulons que les gens aient des postes stables, parfois à temps plein, parfois à temps partiel. On ne veut pas forcément des emplois à temps plein, mais on veut des emplois stables pour tout le monde.
[Traduction]
Le vice-président : Je pourrais intervenir un instant pendant que les autres se préparent à poser leurs questions.
Le professeur Gray, en collaboration avec Colin Busby, a écrit le rapport Unequal Access : Making Sense of EI Eligibility Rules and How to Improve Them pour le compte de l'Institut C.D. Howe. Vous avez évidemment longuement réfléchi à l'ensemble du régime.
Selon vous, les modifications proposées tiennent-elles suffisamment compte d'un aspect dont il n'a pas encore été question, soit l'emploi précaire? Nous avons un grand nombre de personnes qui deviennent des salariés à emploi précaire. Autrement dit, ils ont des emplois à temps partiel. C'était plus ou moins où vous vouliez en venir. Les modifications proposées en tiennent-elles suffisamment compte?
M. Gray : Les modifications proposées ont une portée assez limitée. Donc, non. Je ne crois pas que ces modifications changent la donne pour le mieux ou pour le pire; elles n'améliorent pas ou ne détériorent pas la situation. Je ne crois pas qu'elles visent vraiment ce problème. En ce qui a trait aux emplois précaires, je suis d'accord pour subventionner les formations et le recyclage. J'ai mentionné les collèges et la formation professionnelle.
Le vice-président : Oui. C'est vrai.
M. Gray : Les États-Unis et d'autres pays doivent composer avec le même problème ou même un problème plus grave. Selon ce que j'en sais, nous n'avons pas encore trouvé la solution miracle. Les situations dans lesquelles se trouvent les gens sont incroyablement hétérogènes. Je parle des chômeurs ou des personnes qui sont en périphérie du marché du travail pour toute une gamme de raisons. Il est tout simplement impossible d'arriver à trouver une solution unique. Nous ne devrions même pas essayer. Une solution unique est impossible.
Le vice-président : Merci.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci de vos commentaires. Je ne sais pas si vous en avez parlé ou si je l'ai manqué, mais je m'inquiète un peu des modifications concernant la disposition en ce qui concerne un « emploi non convenable » et la tentative de définir ce qui est « non convenable ». D'après vous, le seul critère pour déterminer le caractère convenable de l'emploi est-il que ce ne serait pas convenable si le taux de rémunération est plus bas ou que les conditions... Je peux comprendre que les conditions soient moins favorables, mais je ne suis pas certaine que nous pouvons dire que les travailleurs devraient toucher le même salaire qu'ils gagnaient dans leur emploi précédent. Je crois que cela coûtera très cher. Je ne suis pas convaincue que nous devrions dire cela. Avez-vous des suggestions concernant la manière de définir un emploi non convenable qui ne s'attarderait peut-être pas aussi attentivement sur cet aspect?
M. Gray : Je comprends vraiment ce que vous dites, mais je crois que le point que j'essayais de faire valoir était que ce n'est pas nécessairement une bonne règle à appliquer pour les administrateurs. Nous nous inquiétons que les prestations d'assurance-chômage servent à subventionner des congés. Je suis certain qu'un représentant du Congrès du travail du Canada serait fortement en désaccord avec ce que je viens de dire, mais nous nous préoccupons grandement des mesures de dissuasion.
La recherche scientifique nous apprend que ces mesures de dissuasion sont réelles et qu'elles font mal, mais je suis d'avis que le meilleur moyen d'essayer de limiter les mesures de dissuasion et d'empêcher les travailleurs de recevoir des prestations plus longtemps que c'est nécessaire est probablement de réduire la période de prestations. Je crois que les conseillers en emploi et les autres professionnels connexes devraient mettre l'accent sur les prestataires fréquents.
Il est parfois possible de limiter les effets des mesures de dissuasion, tout comme le fait ma compagnie d'assurance- maladie. Une limite est établie. La compagnie me remboursera au plus 400 $ pour les services d'un physiothérapeute. C'est tout. Toutefois, je peux en profiter autant que je le désire tant que je respecte cette limite.
La manière la plus efficace d'essayer de dissuader les prestataires d'adopter le comportement auquel je crois que vous faites référence est probablement de modifier les paramètres du régime, en particulier la durée maximale de la période de prestations. C'est beaucoup plus délicat, mais la durée de la période d'admissibilité est beaucoup plus difficile à modifier que la période de prestations.
La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends ce que vous essayez de dire. Je considère cela comme une police d'assurance. Vous payez des cotisations, et cela vous donne le droit de recevoir des prestations. Je ne suis tout simplement pas certaine de ce qui se passera. Je n'ai pas passé en revue le reste du projet de loi. J'ai seulement examiné les parties dont nous sommes saisis, mais nous avons la disposition concernant le travail pendant une période de prestations. Je me demande si cela aura des effets sur cet élément ou la disposition relativement à un « emploi non convenable ». Actuellement, nous pouvons...
M. Gray : Vous soulevez un excellent point.
La sénatrice Stewart Olsen : Je me demande ce qu'il en est.
M. Gray : J'ai réalisé des recherches sur le travail pendant une période de prestations. C'est un sujet assez difficile à analyser pour des raisons de méthodologie, parce qu'un seul type de chômeurs choisit de travailler pendant une période de prestations.
Je crois que c'est à la fois bon et mauvais. Soit dit en passant, c'est une pratique fort populaire. L'avantage du travail pendant une période de prestations est que cela permet aux entreprises d'avoir une grande marge de manœuvre relativement à leurs pratiques d'embauche et de congédiement. Cela leur donne une certaine flexibilité que je peux vous dire que l'Université d'Ottawa aimerait avoir en tant qu'employeur.
D'un côté, toute politique qui permet de jumeler un travailleur prêt à travailler à un employeur prêt à l'embaucher et à conclure un marché par une poignée de main accroît la production à court terme.
Cependant, à long terme, cela aggrave en quelque sorte le problème des prestataires fréquents de l'assurance-emploi. Cela permet aux travailleurs qui dépendent du régime chaque année d'avoir un revenu total beaucoup plus élevé qu'ils auraient autrement. Bref, je crois que cela nuit à l'adaptation de la main-d'œuvre à long terme.
Pour ce qui est de la définition d'un emploi convenable, je présume que les travailleurs sont normalement plutôt enclins à travailler pendant une période de prestations. Lorsqu'ils le font, ils renoncent à leurs prestations pour la semaine en question, mais ils peuvent reporter cette semaine. Cela leur permet donc de retarder la date à laquelle ils ne recevront plus de prestations.
En résumé, je ne pense pas que les travailleurs sont très difficiles au sujet des petites offres d'emploi qui leur permettent de travailler pendant une période de prestations; il s'agit normalement de deux semaines ici, de trois semaines là, ou il se peut qu'un employeur s'attende à recevoir plus de visiteurs, parce que la météo en juillet est mieux que ce qu'il avait prévu. Je crois que ces travailleurs y sont assez enclins. Je présume qu'une personne du milieu pourrait le confirmer.
Le personnel d'EDSC sur le terrain connaît le marché du travail local. Il sait mieux que moi comment fonctionne et ne fonctionne pas le marché du travail. Je présume que ce sont de vaillants travailleurs qui occupent de tels emplois durant seulement deux ou trois semaines.
La sénatrice Raine : Je dois avouer ne pas avoir de connaissances très approfondies en ce qui concerne l'assurance- emploi, parce que j'ai toujours été travailleuse autonome. Par contre, vous avez mentionné que, si nous voulions changer le régime, il serait mieux d'envisager de modifier la durée de la période...
M. Gray : En fonction de cette prémisse, oui.
La sénatrice Raine : ... plutôt que de nous montrer trop flexibles quant à sa définition.
M. Gray : Il est facile d'interjeter appel des décisions prises en raison du trop grand pouvoir discrétionnaire accordé à l'administration, et le gouvernement a grandement été malmené dans les médias en 2012 à ce sujet. Il suffit d'une histoire d'horreur d'une personne qui a perdu ses prestations pour que les médias d'information sautent sur l'occasion. Lorsque cela s'est produit, j'ai secoué la tête et j'ai dit que j'aurais pu prédire à EDSC que cela entraînerait du mécontentement et de la mauvaise publicité.
La sénatrice Raine : Je me souviens d'avoir lu il y a plusieurs années une étude qui démontrait clairement que plus le régime d'assurance-emploi et les prestations étaient généreux, plus le taux de chômage était élevé. Voici ce que je me suis dit après avoir lu cela : « C'est vraiment logique. Si les prestations sont très généreuses, pourquoi travailler plus ou plus longtemps? »
Si nous considérons cela comme la réalité et que nous nous inquiétons le moindrement du coût des programmes de soutien de l'emploi, ne devrions-nous donc pas nous assurer que les travailleurs comprennent que c'est un programme de transition?
M. Gray : Oui. C'est ainsi que je le vois. Je le vois ainsi pour la majorité de la population active canadienne. En fait, c'est bien ce que c'est.
La sénatrice Raine : Oui.
M. Gray : Pour ce qui est des travailleurs saisonniers, je crois qu'il y a environ 300 000 prestataires fréquents de l'assurance-emploi. Nous sommes 36 millions de Canadiens, et je crois que notre population active s'élève environ à 19 millions de Canadiens. Bref, pour la très grande majorité de la population active, tant les personnes occupées que les chômeurs, il s'agit d'un programme de transition.
La sénatrice Raine : Comme nous avons en quelque sorte mis un peu la table, je regarde du côté de l'industrie que je connais le mieux, soit l'industrie du ski, qui cesse normalement ses activités en même temps que la neige disparaît. Nous avons des travailleurs saisonniers qui, lorsque la neige fond et qu'ils sont congédiés, estiment avoir le droit de demander des prestations pour avoir de belles vacances.
Dans de tels cas, je dirais que nous devrions offrir à ces travailleurs l'option de ne pas prélever un montant pour l'assurance-emploi sur leur paye...
M. Gray : Ils ne la prendraient pas.
La sénatrice Raine : Vous seriez surpris.
M. Gray : Vraiment?
La sénatrice Raine : Ce sont des travailleurs qui arrivent et qui partent; ce sont des jeunes qui voyagent. Ils préféraient avoir des payes plus grosses que d'économiser pour être au chômage, parce que c'est leur intention.
M. Gray : Premièrement, si tous les autres facteurs demeurent constants, la recherche théorique et la recherche empirique nous indiquent en effet que plus les prestations d'assurance-emploi sont généreuses, plus le taux de chômage est élevé. Cependant, cet effet se produit de diverses manières.
Cela étant dit, ce n'est pas réaliste ou souhaitable de nous attendre à ce qu'il n'y ait aucun effet sur le taux de chômage, parce que nous avons un régime d'assurance-emploi pour une raison, soit fournir un soutien du revenu temporaire aux travailleurs qui ont perdu leur emploi pour des raisons indépendantes de leur volonté.
Je parle ici comme un économiste, mais je présume que c'est ce que je suis censé faire.
Peu importe, le programme accroît temporairement le bien-être de cette personne et de sa famille. Dans un monde idéal, nous voudrions vraiment subventionner la recherche d'emploi plutôt que des vacances. Toutefois, nous ne voulons pas que des travailleurs acceptent immédiatement de nouveaux emplois pour lesquels ils sont peut-être énormément surqualifiés, par exemple. Nous voulons que les chômeurs cherchent un emploi durant un mois ou même jusqu'à six, sept ou huit mois dans certains cas en vue de trouver un emploi qui correspond à leurs compétences, comme nous, les économistes du travail, le disons.
Nous croyons que nous sommes prêts à payer un petit prix pour ce faire qui prend la forme d'un taux de chômage légèrement plus élevé que si nous n'avions aucun régime, parce que nous nous retrouverions avec un très grand nombre de travailleurs dans des emplois non adaptés à leurs compétences, si nous n'en avions pas. Des travailleurs qui perdent leur travail se sentiraient obligés d'accepter immédiatement un autre emploi où le salaire est très faible et où ils n'utilisent pas leurs compétences.
Cependant, il est convenu que nous voulons de manière générale limiter la générosité des prestations, et le régime est beaucoup moins généreux qu'auparavant. C'était à la fin des années 1980 que le régime d'assurance-emploi était le plus généreux, et nous sommes très loin de ce qui avait cours à l'époque. S'il reste du temps, je serais ravi de vous parler de ce que je souhaiterais voir comme réforme, mais ma priorité pour l'instant est de répondre à vos questions.
Le vice-président : Nous serions ravis de recevoir un mémoire de votre part concernant d'autres réformes à ce chapitre.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup. Le comité a examiné certaines des modifications à la Loi sur l'assurance- emploi qui étaient incluses dans le budget de 2012 dont il est question aujourd'hui.
M. Gray : Oui.
La sénatrice Seidman : Je me rappelle que l'un des aspects qui nous préoccupaient le plus à l'époque était les travailleurs de longue date qui auraient besoin d'une prolongation des prestations.
M. Gray : Oui.
La sénatrice Seidman : Une formule avait été élaborée à l'époque pour déterminer les régions les plus touchées en ce qui concerne le chômage. L'un des plus grands défis à l'époque était la question des régions qui avaient été exclues des calculs. Je ne sais pas si vous vous en souvenez.
M. Gray : Oh, oui.
La sénatrice Seidman : Les calculs se fondaient sur le lieu de résidence des gens et pas nécessairement sur leur lieu de travail.
C'était devenu un facteur qui venait compliquer les choses. Qu'avez-vous à dire à ce sujet? J'aimerais savoir si les modifications proposées tiennent compte de cet énorme défi ou si le gouvernement devrait revoir la formule utilisée pour déterminer les régions les plus touchées.
M. Gray : Faites-vous référence, comme je le crois, à ce que nous pourrions pratiquement qualifier de débâcle en Alberta?
La sénatrice Seidman : Oui.
M. Gray : C'était une autre fois où je n'ai pas pu m'empêcher de dire en regardant la télévision : « Je vous l'avais dit. Je vous l'avais bien dit. »
Nous croyons que nous devrions tout simplement nous débarrasser complètement de la question des régions et que les prestations devraient être modulées en fonction de deux critères. Premièrement, combien de temps le travailleur a-t- il cotisé au régime d'assurance-emploi? Tout comme dans le cas du régime de retraite, plus longtemps vous cotisez, plus élevée sera votre pension. Deuxièmement, quelles sont vos compétences? Il faudrait élaborer une certaine formule — au moins, elle ne se fonderait pas sur la région — pour tenir compte du niveau de compétence, du niveau d'études et des capacités physiques de la personne. Nous pourrions absolument accorder une période prolongée de prestations et des prestations plus généreuses aux personnes pour lesquelles les coûts d'adaptation sont les plus élevés. Les travailleurs pour lesquels les coûts d'adaptation sont les plus élevés devraient recevoir des prestations plus généreuses.
En revanche, les travailleurs devraient être définitivement mis à pied. Ils ne peuvent pas attendre en espérant que leur employeur les rappelle ou que la morue revienne un jour. Ils devraient renoncer à leur précédente situation d'emploi, mais pas leur précédent métier. Ils devraient y renoncer en vue de profiter des mesures d'aide à l'adaptation. Autrement, ils n'en ont pas besoin.
La sénatrice Seidman : Merci.
Le vice-président : Il n'y a pas d'autres questions. Cela veut donc dire qu'il ne me reste plus qu'à vous remercier, monsieur Gray, de nous avoir fait part de vos commentaires à ce sujet et d'avoir répondu à nos questions aujourd'hui. Si vous voulez nous soumettre quelque chose d'autre, vous pouvez le faire par écrit, et nous serons heureux d'y jeter un coup d'œil.
M. Gray : Je souhaiterais vraiment avoir la réponse à cette question à 100 milliards de dollars. Comment composer avec le marché du travail d'aujourd'hui qui évolue extrêmement rapidement? Il n'y a plus vraiment beaucoup de gens qui ont une sécurité d'emploi absolue. Comment former et recycler ces travailleurs?
Je dis à mes propres étudiants qu'ils devront probablement suivre des formations et se recycler à quelques reprises d'ici leur retraite. Nous avons une petite idée de ce qui fonctionne, mais c'est encore très loin d'être suffisant.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Nous allons maintenant accueillir un autre témoin, et le président en bonne et due forme du comité prendra la relève.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
Le président : Nous examinons aujourd'hui la teneur des éléments des sections 1 et 2 de la partie 4 du projet de loi C- 29, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2016 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Dans la deuxième partie de la réunion, nous traiterons de la section 2, soit les modifications à la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Je suis très heureux de souhaiter la bienvenue à Megan Hooft, directrice adjointe à Canada sans pauvreté. Nous écouterons votre exposé, puis les sénateurs vous poseront des questions.
Megan Hooft, directrice adjointe, Canada sans pauvreté : Merci de l'invitation. À titre de précision, mes commentaires porteront sur la Sécurité de la vieillesse, mais aussi en partie sur l'assurance-emploi, parce que je me suis fait dire que je pouvais aussi en parler. Vous le verrez dans mes commentaires et également dans les notes que vous avez reçues.
Bonjour, honorables sénateurs. Je suis ravie d'être ici et de témoigner au nom de Canada sans pauvreté. Nous vous remercions énormément de nous en donner l'occasion.
Il est question ici d'enjeux importants relativement à l'assurance-emploi et à la Sécurité de la vieillesse, et nous sommes heureux de vous faire part de nos commentaires en la matière.
Je m'appelle Megan Hooft. Je suis directrice adjointe à Canada sans pauvreté. Mes commentaires mettront aujourd'hui l'accent sur les modifications proposées et certains éléments de l'assurance-emploi, comme je l'ai mentionné, que nous considérons comme importants. J'aimerais en particulier discuter avec vous de la prochaine stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, si l'occasion se présente. Nous croyons qu'il est important de voir cela comme un tout.
J'aimerais vous parler de Canada sans pauvreté ou CSP, comme nous l'appelons affectueusement. Nous sommes un organisme de bienfaisance constitué sous le régime fédéral ayant pour objectif d'éradiquer la pauvreté au Canada. Lorsque notre organisme a vu le jour en 1971, nous étions connus sous le nom de l'Organisation nationale anti- pauvreté, et bon nombre de gens nous connaissent sous ce sigle, soit l'ONAP. Les membres de notre conseil d'administration ont directement connu la pauvreté, soit au cours de leur enfance ou de leur vie adulte. Cette expérience imprègne tous les aspects de notre travail et nous donne une idée de l'étendue de ce qui se passe partout au pays relativement à la pauvreté.
CSP a trouvé encourageante la décision du gouvernement de modifier la Loi sur la sécurité de la vieillesse en vue d'améliorer l'accès aux prestations pour les personnes âgées qui sont aux prises avec une augmentation du coût de la vie, parce qu'elles doivent vivre séparées de leur conjoint.
Tandis que le nombre de personnes âgées au Canada augmente, les inquiétudes concernant la retraite sont constantes. Selon l'organisme CARP, en 2011, 36 p. 100 des personnes interrogées au Canada ont fait état de manque de confiance en leurs capacités d'épargner en vue de la retraite. Comme vous l'avez probablement déjà entendu, même si les personnes âgées ont réalisé d'importants gains en ce qui concerne leur revenu après impôt, encore 600 000 aînés vivent dans la pauvreté. Ce n'est donc pas tout le monde qui peut en profiter.
Les femmes âgées sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté; elles représentent plus de 73 p. 100 des aînés démunis au Canada. L'ONU s'est dite préoccupée par la situation à maintes reprises, en particulier lorsque le Canada a lui-même fait l'objet d'un examen par les organes de défense des droits créés en vertu d'instruments internationaux. Elle a souligné que l'accès inadéquat aux prestations d'aide sociale ainsi qu'au logement pour les femmes âgées est un problème grave auquel doit s'attaquer le gouvernement.
Il est inadmissible de penser que, dans un pays aussi riche que le Canada, une personne âgée peut être expulsée de chez elle ou même se retrouver dans la rue ou ne pas être en mesure d'avoir les médicaments dont elle a besoin, parce qu'elle n'en a tout simplement pas les moyens.
Les personnes âgées vivant dans la pauvreté dépendent de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti pour s'assurer d'avoir un niveau de vie adéquat. Cela inclut la nourriture, le logement, les vêtements et d'autres besoins. Cela concerne les besoins fondamentaux; cela concerne les droits de la personne.
Les modifications proposées à la Sécurité de la vieillesse sont une indication claire que le gouvernement est prêt à aller de l'avant pour respecter ses obligations internationales en matière de droits de la personne. Par ailleurs, nous en sommes ravis, et nous considérons que cela aura des effets positifs sur les personnes vivant dans la pauvreté.
En ce qui concerne la Sécurité de la vieillesse, nous trouvons encourageantes les modifications proposées dans le projet de loi, en particulier la partie 4. Comme bon nombre de membres du Comité le savent probablement, un travail ne nous immunise malheureusement pas contre la pauvreté, l'itinérance et la faim. Dans les faits, 70 p. 100 des gens vivant dans la pauvreté sont considérés comme des travailleurs pauvres. En soi, cette expression représente un défi et indique la présence d'un problème. Cela veut dire non seulement que ces personnes ont de la difficulté à joindre les deux bouts pendant qu'elles travaillent, mais aussi qu'elles sont aux prises avec considérablement plus de problèmes lorsqu'elles se retrouvent sans emploi.
Une autre dure réalité en ce qui concerne l'assurance-emploi est que ce n'est pas tout le monde qui est admissible aux prestations. Selon les estimations, environ seulement 38 p. 100 des personnes sans emploi sont en fait admissibles aux prestations d'assurance-emploi. Dans certaines régions, la situation est encore pire. À une certaine époque, selon les statistiques, le pourcentage était d'environ 26 p. 100 à Toronto. Ce n'est pas de bon augure pour un pays où la précarité d'emploi est en croissance.
Comme le mentionne l'alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral du Centre canadien de politiques alternatives, le régime d'assurance-emploi ne suit pas les réalités du marché du travail d'aujourd'hui, où 20 p. 100 des emplois sont à temps partiel et environ 14 p. 100 sont de nature contractuelle ou saisonnière. La majorité des emplois créés au Canada sont des emplois mal rémunérés, à temps partiel, temporaires ou contractuels qui n'ont aucun avantage à long terme et qui ne procurent aucune sécurité d'emploi. À peine la moitié des travailleurs actuels ont des emplois permanents à temps plein qui leur procurent un degré de sécurité d'emploi dont la majorité des gens ne jouissent pas. Les emplois précaires ont notamment augmenté de près de 50 p. 100 depuis 20 ans. Dans les Maritimes, le manque d'emplois stables à temps plein crève les yeux. Prenons l'exemple de l'Île-du-Prince-Édouard, où seulement 45 p. 100 des travailleurs ont des emplois à temps plein.
Il est vraiment important de penser aux réalités que vivent les gens — des individus qui ont une famille et qui font partie d'une collectivité — lorsque nous réfléchissons à des initiatives stratégiques qui atténueront ou qui amélioreront peut-être la stabilité des gens sans emploi.
À CSP, nous avons recours à une approche qui se fonde sur les droits de la personne dans nos travaux. L'emploi, la pauvreté et un niveau de vie adéquat sont des enjeux liés aux droits de la personne. Le Canada a des obligations internationales en matière de droits de la personne qu'il doit respecter, notamment s'engager à agir au maximum de ses ressources disponibles pour veiller au respect des droits de la personne.
Les modifications proposées aujourd'hui représentent un progrès important vers le respect des obligations du Canada en matière de droits de la personne et le respect des droits et des besoins des individus.
Cependant, il y a encore du chemin à faire entre les politiques individuelles et une stratégie complète de réduction de la pauvreté qui se fonde sur les droits. Trop de personnes vivent dans la pauvreté, vivent dans des conditions inadéquates ou sont au bord de la faillite, parce qu'elles ont perdu leur emploi. Nous avons besoin d'un meilleur filet de sécurité sociale que ce que nous avons actuellement.
À moins d'adopter un plan global de lutte contre la pauvreté qui repose sur les droits de la personne, nous ne pourrons pas corriger convenablement les causes profondes de la pauvreté chez les aînés et de la précarité de l'emploi.
En résumé, dans le cadre de vos délibérations sur ce projet de loi, nous tenons d'abord à vous féliciter des modifications que vous avez apportées, mais nous aimerions vous proposer de recommander que le Canada aborde la question dans l'optique d'une réduction plus vaste de la pauvreté, en ciblant ses causes systémiques et en allant au-delà d'une approche fragmentaire.
Merci du temps que vous m'avez accordé; je suis impatiente de répondre à toutes vos questions.
Le président : Merci beaucoup. Je vais maintenant donner la parole à mes collègues. Au cours de la séance, nous aimerions certainement entendre des questions sur la partie du projet de loi qui porte sur la Sécurité de la vieillesse et peut-être ensuite des questions supplémentaires concernant l'assurance-emploi, mais nous voulons sans aucun doute entendre vos réponses aux questions des sénateurs sur la Sécurité de la vieillesse. Nous allons commencer par le sénateur Eggleton.
Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup de votre exposé. Je connais bien votre organisation, comme vous le savez, et je souscris à tout ce que vous avez dit.
Je veux toutefois vous poser une question sur la disposition relative à la Sécurité de la vieillesse, car elle est très limitée et concerne la façon dont les prestations d'un couple seront calculées s'il doit se séparer dans des circonstances qui échappent à la volonté des membres, par exemple si l'un des deux doit déménager dans un centre de soins infirmiers. Cela semble aussi se rapporter aux cas où l'un des membres pourrait recevoir le Supplément de revenu garanti alors que l'autre reçoit l'allocation, qui est offerte aux personnes âgées de 60 à 64 ans.
Son application est très limitée. Pensez-vous que d'autres conditions devraient être satisfaites lorsque les gens sont séparés et qu'il leur est difficile d'avoir un revenu convenable pour survivre? Y avez-vous pensé?
Mme Hooft : J'aimerais pouvoir me dire que les personnes ou les familles qui se retrouvent dans cette situation ont un endroit où aller pour faire part de ces problèmes ou réclamer des prestations. Par exemple, disons qu'une personne ne répond pas tout à fait aux critères dont vous parlez aujourd'hui, mais que vous vous rendez compte que cela nuit énormément à son revenu parce qu'elle ne reçoit pas le montant total des prestations de la Sécurité de la vieillesse ou qu'elle a perdu le Supplément de revenu garanti. Cette personne doit être en mesure de se rendre quelque part pour réclamer ces prestations.
J'aimerais croire que le gouvernement fait preuve d'une certaine souplesse en tenant compte de toutes les circonstances. Si votre objectif est de faire en sorte que les aînés ne vivent pas dans la pauvreté, vous devez en tenir compte et apporter des correctifs à mesure que vous examinez les dossiers.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci de votre exposé. Je suis très intéressée par les régions rurales. Je viens du Nouveau-Brunswick, et la question que vous venez tout juste d'aborder a de grandes répercussions. On ose espérer que les aînés ont un endroit où aller, mais ce n'est pas le cas dans les régions rurales. Votre organisation a-t-elle examiné la question? Qu'arrive-t-il aux gens des régions rurales, qui sont probablement nombreux pour cette raison à ne même pas demander de prestations de la Sécurité de la vieillesse ou le Supplément de revenu garanti?
Mme Hooft : Nous n'avons pas examiné de manière précise les régions rurales ou déterminé qui exactement a accès à la Sécurité de la vieillesse et au Supplément de revenu garanti.
Le sénatrice Stewart Olsen : Pensez-vous que le gouvernement devrait le faire?
Mme Hooft : Tout à fait. Les gouvernements doivent être créatifs et ne pas se contenter d'écouter les organisations et les gens à des moments précis — par exemple lorsqu'on étudie un projet de loi. Il doit y avoir une sorte de mécanisme de suivi ou de surveillance auquel les gens peuvent recourir, une ligne téléphonique — ce qui est plus probable qu'un bureau dans une région rurale en raison des coûts élevés —, un moyen pour les gens de signaler leurs problèmes concernant la Sécurité de la vieillesse ou d'obtenir de l'aide pour y avoir accès.
La sénatrice Stewart Olsen : J'aimerais voir une sorte d'étude réalisée par votre organisation. Rien ne devrait se faire au pays sans tenir compte de nos régions rurales. Nous avons quelques grandes villes et beaucoup de petites régions, et je pense que nous ne rendons pas service aux Canadiens en nous concentrant sur les grandes villes. J'aimerais donc voir une étude là-dessus.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de votre exposé. Il ne fait aucun doute que la proportion de femmes âgées et pauvres qui vivent seules est démesurée. Selon vos chiffres, elles représentent 73 p. 100 des aînés pauvres vivant seuls au Canada. De toute évidence, la solitude est une des raisons qui expliquent leur pauvreté, car ils doivent tout payer seuls.
Au paragraphe 19.8, il est écrit : « [...] dans les cas où les époux ou conjoints de fait vivent séparés pour des raisons indépendantes de leur volonté, par exemple lorsqu'un époux doit vivre dans un centre de soins infirmiers ». On donne donc un exemple, mais il n'y en a pas d'autres, ce qui laisse place à l'interprétation.
Le libellé vous semble-t-il assez clair? Tient-il compte de tout? Est-il trop vague? Est-il trop ambigu? Accorde-t-il trop de place à l'interprétation à défaut de donner une définition complète? J'aimerais avoir votre avis sur la façon dont cela fonctionne?
Mme Hooft : Cela semble plutôt précis à ce stade-ci. Je ne peux pas prédire les circonstances, et je suppose qu'on décidera à un moment donné si elles sont raisonnables.
J'aimerais savoir dans quel genre de système quelqu'un affirme que le versement de prestations est justifié. Cela ne fonctionne pas. Disons que je vis séparé de mon époux, que je me retrouve dans la pauvreté. Je ne sais pas à quoi m'en tenir, et je ne pense pas que le projet de loi indique comment les gens présenteront des demandes ou signaleront le genre de situations auxquelles le gouvernement donnera suite.
Il leur revient de s'adresser à vous, mais d'une façon qui n'est pas tout à fait claire. En tant que personne qui a eu accès aux services gouvernementaux de différentes façons, je sais qu'il est difficile de s'y retrouver. On doit préciser que le gouvernement sera ouvert à l'examen des dossiers, et que le but est de réduire la pauvreté et d'en sortir les aînés. Si votre objectif est de protéger des droits et de partir de ce principe, vous ne pouvez pas vous contenter de simplement aborder la question dans une phrase d'un projet de loi d'exécution du budget.
La sénatrice Seidman : Dans un mariage, il arrive souvent que ce soit l'homme qui se retrouve dans un foyer et que la femme soit laissée à elle-même, et vous dites qu'ils n'auraient personne à qui s'adresser, qu'on ne communiquerait pas automatiquement avec eux. Comment pourraient-ils enclencher le processus?
Mme Hooft : Quel est le processus?
La sénatrice Seidman : Exactement. Quel est le processus? Il n'est pas défini.
Mme Hooft : Ce n'est pas clair pour moi.
La sénatrice Seidman : Pensez-vous que la disposition devrait être rétroactive? Elle entrera en vigueur le 1er janvier 2017.
Mme Hooft : C'est intéressant. Je ne l'avais pas envisagé, mais dans l'optique de réduire la pauvreté, j'ose espérer que lorsque des gens traversent des circonstances désespérées, un filet de sécurité sociale permet au gouvernement d'aider, par exemple, ceux qui ont dépensé beaucoup plus en frais médicaux à défaut d'avoir reçu assez d'argent. Nous devrions peut-être approfondir la question pour savoir à quoi ressemblerait ce filet de sécurité et quels en seraient les coûts, en travaillant avec différents ministères, car c'est peut-être une question de santé ainsi que d'assurance-emploi ou de finances. Oui, j'ose espérer que ce sera envisagé.
Le président : Nous allons maintenant commencer un deuxième tour pour poser des questions liées à l'assurance- emploi. Juste pour être certain que nous avons saisi les principaux points que vous avez soulevés à propos de l'article sur la Sécurité de la vieillesse, je crois comprendre, d'après vos réponses, qu'il y a entre autres l'idée d'un processus qui permet aux éventuels prestataires d'avoir accès au soutien offert, ainsi que le fait que vous ne pouvez pas prédire les autres circonstances qu'il serait raisonnable d'examiner aux fins d'admissibilité dans cette situation. C'est une réponse très rationnelle. Il s'agit des deux principaux points que vous avez fait valoir, n'est-ce pas?
Mme Hooft : Le troisième point concerne le mécanisme de communication, par exemple lorsque quelqu'un se retrouve dans une situation qu'il croit injuste, ou lorsqu'on demande des prestations rétroactives. Quel est le mécanisme qui soutiendra ces démarches?
Le sénateur Eggleton : Eh bien, pour ce qui est de l'assurance-emploi, ce que le gouvernement propose, c'est l'annulation d'une disposition adoptée en 2012 qui préoccupait beaucoup de personnes qui auraient peut-être dû quitter leur collectivité pour occuper des emplois moins bien rémunérés, ou être disposées à le faire, afin de se conformer au Règlement sur l'assurance-emploi. Il semble que cette disposition ait déjà été éliminée parce qu'elle venait du règlement. Elle a été éliminée dans le Règlement le 3 juillet.
Cette disposition vise vraisemblablement à inscrire dans la loi ce qui constitue un emploi convenable et ce qui ne l'est pas aux fins de l'assurance-emploi. On veut que cela prenne une forme juridique dans ce document, plutôt que de seulement l'inscrire dans le règlement, mais cela ne change aucune politique; la politique a déjà été modifiée.
J'ai abordé le sujet avec M. Gray, et vous en avez parlé dans votre mémoire, à savoir toute la question des emplois précaires, de savoir si les dispositions sur l'admissibilité ou les emplois non convenables devraient tenir compte du fait que de plus en plus de gens peuvent seulement obtenir un emploi précaire ou à temps partiel. Beaucoup de personnes peuvent décrocher un emploi à temps partiel, à long terme, mais ils ne touchent pas de prestations, et ils sont nombreux à ne pas en recevoir beaucoup. Nous savons tous ce qu'on entend par emploi partiel.
Vous dites qu'il est important de tenir compte de ces réalités, mais avez-vous une idée précise de la façon dont on pourrait s'y prendre, que ce soit au moyen de ces amendements ou de modifications futures à la loi?
Mme Hooft : C'est le moment idéal pour en discuter alors qu'on affirme qu'une stratégie canadienne de réduction de la pauvreté sera élaborée l'année prochaine. De toute évidence, il sera également question d'emploi et de revenu, et ces discussions arrivent donc à point nommé.
En ce qui a trait à l'assurance-emploi et à la question que nous avons soulevée ici, il convient de dire que l'emploi est une relation réciproque. On a l'employé et l'employeur, et on parle beaucoup de l'assurance-emploi et des employés. On se demande ce qu'ils font, comment ils y ont accès. C'est préoccupant, car la majorité des gens n'en bénéficient pas, ou le taux de prestations est moins élevé que ce qu'ils voudraient ou que ce qu'il devrait être. Que fait-on alors pour l'emploi? Certains salaires sont extrêmement faibles. Par conséquent, même si quelqu'un est admissible à l'assurance- emploi et qu'il obtient 55 p. 100 de son salaire, la baisse salariale est considérable. Près de la moitié des Canadiens vivent d'un chèque de paie à l'autre. Que se passerait-il s'ils perdaient la moitié de leur chèque? Cette situation pourrait nuire grandement à l'économie, à une société, à une collectivité.
Ma question est la suivante : que faites-vous ou quelles sont les conversations qui commencent à mijoter, espérons- le, à propos des employeurs, d'un salaire suffisant? Qu'est-ce que cela signifie de gagner le salaire minimum? Quel est le plancher que nous sommes en train de fixer? S'agit-il du seuil de la pauvreté? Lorsqu'un emploi est perdu, pour une raison ou une autre, y a-t-il un filet de sécurité sociale? L'assurance-emploi est-elle là pour aider ces personnes? Il semble que ce soit la question à laquelle le projet de loi d'exécution du budget tente de répondre.
C'est ce que mes collègues et moi avions en tête au moment de rédiger le projet de loi.
Le sénateur Eggleton : Merci.
Le président : J'ai lu le projet de loi en entier. Je le comprends très bien. Je n'ai pas de question fondamentale à vous poser, mais M. Gray m'a intrigué avec sa proposition de régime d'assurance-emploi dont les prestations sont établies en fonction des revenus gagnés pendant une certaine période. Je ne veux pas en parler trop en détail, mais avez-vous quelques mots à nous dire à ce sujet?
Mme Hooft : C'est très intéressant, mais cela dépend du salaire. Le plancher est fixé très bas pour une personne à faible revenu. Comment pouvons-nous fixer un plancher raisonnable? C'est ce qui a été proposé par d'autres organisations, dont le Centre canadien de politiques alternatives, que j'ai cité plus tôt, et le Congrès du travail du Canada, que M. Gray a cité. Nous devons nous assurer que le plancher est raisonnable, car le but de l'assurance- emploi est de servir de filet de sécurité, comme il l'a mentionné et comme vous le savez. Elle sert à assurer la transition entre deux emplois. C'est sa principale fonction. Nous évitons aux gens d'essuyer une baisse considérable de revenu ou de vivre dans la pauvreté pendant cette période. Ce que vous voulez, c'est avoir un peu de stabilité — cela devrait être le but — pour les aider à traverser cette période.
J'ai moi-même recouru au régime, et il fonctionnait bien à l'époque. Je n'avais pas d'enfants. J'étais une jeune femme célibataire, et c'était donc un peu moins problématique. Par contre, pour ceux qui ont une famille, c'est une question cruciale, surtout dans une ville comme la mienne, Vancouver, où la vie coûte extrêmement cher. Lorsqu'on ne gagne pas assez d'argent pour en mettre de côté, l'assurance-emploi constitue un filet de sécurité sociale très important.
Le président : Il me semble que, selon la façon de la mettre en œuvre, cette proposition pourrait avoir des conséquences imprévues, surtout pour les petits salariés. Il faut être très prudent, mais je pense que c'est une idée intéressante.
Mme Hooft : Oui.
Le président : Nous avons examiné de nombreuses questions liées à ces conditions sociales difficiles. En fait, je suis arrivé en retard à cause du rapport sur la démence que nous avons déposé dernièrement, dans lequel nous abordons la question des familles dont un membre atteint de démence perd, en général, immédiatement son emploi, doit quitter le marché du travail. Ensuite, il y a évidemment la question des aidants naturels qui sont habituellement au début des membres de la famille. Ils doivent souvent quitter leur emploi pour fournir une aide ininterrompue. Nous avons formulé des recommandations à cet égard, sur le régime fiscal et la création de crédits remboursables dans ces cas particuliers. Juste avant de venir ici, j'en ai parlé pendant deux ou trois heures dans le cadre d'une entrevue qui sera diffusée à l'échelle nationale.
Une grande partie de ces questions doivent être abordées ensemble quand il s'agit d'aider les gens à continuer de vivre convenablement, en fonction des circonstances dans lesquelles ils se retrouvent, de leurs conditions économiques.
Je vous suis très reconnaissant d'avoir témoigné.
Mme Hooft : Merci.
Le président : Vous avez donné des réponses claires à nos questions et contribué ainsi à notre étude du projet de loi. Sur ce, chers collègues sénateurs, je déclare la séance levée.
(La séance est levée.)