Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 14 - Témoignages du 2 février 2017


OTTAWA, le jeudi 2 février 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, afin de poursuivre son étude sur le rôle de la robotique, de l'intelligence artificielle et de l'impression 3D dans le système de santé.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie, je suis sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du comité. Je vais ouvrir cette séance en demandant à mes collègues de bien vouloir se présenter.

La sénatrice Mégie : Je m'appelle Marie-Françoise Mégie et je suis de Montréal.

[Français]

J'étais médecin de famille jusqu'au 31 décembre 2016. J'ai pris ma retraite récemment, et je suis maintenant sénatrice au Sénat du Canada.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Hartling : Bonjour, je suis Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Dean : Tony Dean de Toronto; je représente l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Meredith : Sénateur Don Meredith, Ontario.

La sénatrice Merchant : Pana Merchant, Saskatchewan.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.

Le président : Merci, chers collègues. Nous poursuivons notre étude, entamée hier, sur le rôle de la robotique, de l'impression 3D et de l'intelligence artificielle dans le système de santé.

Aujourd'hui, le comité recueillera les témoignages, à titre personnel, de deux experts futuristes en nouvelles technologies, témoignages qui porteront sur le potentiel que présentent les progrès technologiques réalisés en robotique, en intelligence artificielle et en impression 3D, ainsi que sur l'application de ces technologies à la santé et aux soins de santé.

Chers collègues, comme l'un de nos témoins comparaît par vidéoconférence, il sera très important qu'au moment de poser vos questions, vous désigniez le témoin à qui elles s'adressent. Ne dites pas simplement « ma question s'adresse à n'importe lequel de vous deux ». Cela ne fonctionnera pas dans les circonstances. Si vous voulez que les deux témoins répondent, posez la question à l'un d'eux et passez ensuite au second. Par ailleurs, attendez-vous à un léger délai dans la réponse du témoin qui est en vidéoconférence. Nous avons fait les vérifications techniques et le tout semble assez bien fonctionner, sans un délai très important, mais donnez la chance au témoin distant de vous répondre.

Comme il y a toujours un risque de difficultés techniques, nous allons commencer par notre témoin qui comparaît par vidéoconférence. Je cède donc la parole au Dr Bertalan Mesko, futurologue médical, que j'invite à faire son exposé.

Bertalan Mesko, futurologue médical, à titre personnel : Merci, monsieur le président. C'est un honneur pour moi, le futurologue médical, de pouvoir faire connaître mes travaux de recherche sur la mesure dans laquelle l'automatisation peut changer les soins de santé. Je suis convaincu que l'automatisation, particulièrement l'intelligence artificielle, la robotique et l'impression 3D, est un élément essentiel pour rendre les soins de santé viables. Les systèmes de santé ne sont pas viables dans le monde. Des patients reçoivent des diagnostics tardifs; les coûts liés à des traitements modernes augmentent et, selon les estimations de l'Organisation mondiale de la Santé, il manque environ quatre millions de travailleurs de la santé à travers le monde.

Pendant 2 000 ans, soit depuis Hippocrate, les données, les technologies, l'expérience et les connaissances en matière médicale n'ont été accessibles qu'au sein de cette prétendue tour d'ivoire qu'est le monde de la médecine, mais tel n'est plus le cas. Plutôt que de pratiquer l'art de sauver et d'améliorer des vies, le médecin moderne passe la majeure partie de son temps à accomplir des tâches qui pourraient être automatisées, ce qui l'empêche de consacrer son temps précieux à des tâches ardues qui requièrent le recours à sa créativité et à son jugement en tant que professionnel qualifié.

Les nouvelles technologies, désignées sous le vocable de « santé numérique », ont changé les choses. La relation entre le médecin et son patient se transforme de plus en plus en une collaboration d'égal à égal et les médecins peuvent accéder aux données et aux technologies dont ils ont besoin. Tout cela est désormais à la portée des patients et des médecins.

Les avantages sont évidents. La collaboration entre les médecins et leurs patients, alimentée par l'utilisation de technologies de rupture, peut bousculer le statu quo, ce qui est nécessaire pour faire passer le point de mire du traitement à la prévention. Ce changement a la capacité de donner lieu à un système où la prévention systématique des maladies sera moins coûteuse à terme que les traitements. Je dirais que, dans ce modèle de soins, l'automatisation est incontournable. Je vais maintenant vous donner quelques exemples d'application de l'intelligence artificielle ou IA.

IBM Watson a mis au point un algorithme en nuage qui permet aux cliniciens d'accéder à toutes les études et données probantes relatives aux cas qu'ils ont à traiter. Il suffit de quelques minutes à cet algorithme pour effectuer le travail de recherche qui aurait nécessité des dizaines d'années à un médecin.

Une autre utilisation prometteuse de l'IA concerne le développement plus rapide de produits pharmaceutiques. Il est à la fois très long et très coûteux de mettre un produit pharmaceutique au point. Il faut parfois plus d'une décennie et l'investissement se chiffre en milliards de dollars. L'entreprise Atomwise a découvert deux médicaments, grâce aux algorithmes en nuage, qui visent à réduire considérablement l'infectiosité de l'Ebola. Cette analyse, qui aurait nécessité normalement des mois ou des années, a été réalisée en moins d'une journée.

Ma seconde série d'exemples concerne la robotique. La société InTouch Health fournit aux patients de régions éloignées et mal desservies l'accès à des consultations d'urgence grâce à des robots de télémédecine. Des drones médicaux automatisés peuvent fournir de l'équipement et des médicaments dans des situations d'urgence, lorsque les conditions routières ne permettent pas à une ambulance de se rendre sur les lieux.

Pour ce qui est de l'impression 3D, Organovo a annoncé que le foie humain qu'elle a fabriqué par impression 3D peut fonctionner pendant plus de 40 jours. Selon des spécialistes du domaine, d'ici 10 ans, nous serons en mesure de fabriquer par impression des organes complets, comme le foie, la peau et les reins. Imaginez ce que cela pourrait donner pour les centaines de milliers de patients qui, de par le monde, sont en attente d'un donneur d'organes.

Enfin, la FDA a approuvé le tout premier médicament imprimé en 3D. La technologie, qui n'est appliquée qu'en situation d'urgence, permet de superposer de multiples couches de poudre de médicament pour que celui-ci puisse se dissoudre plus rapidement que les comprimés habituels. Cette technique nous transportera dans l'ère de la vraie médecine personnalisée, avec des aliments et des médicaments imprimés en 3D conçus en fonction de nos traits moléculaires et de nos problèmes de santé spécifiques.

Cependant, toutes ces tendances technologiques sont de portée limitée et elles n'auront pas d'effets sur la vie des patients si le rôle d'un gouvernement ne change pas. Je ne crois pas que la technologie constitue, à elle seule, la solution. Un appareil de suivi portable, un robot ou un algorithme d'IA ne peuvent améliorer nos vies. Cela étant, nous pouvons changer nos habitudes de vie avec l'aide de technologies réglementées et des règlements bien pensés pourraient effectivement contribuer à l'adoption de telles technologies.

Mon autre exemple nous vient du Royaume-Uni où, cette année, le National Health Service, le NHS, distribuera des applications gratuites ainsi que des dispositifs intelligents à des millions de patients afin de les outiller pour qu'ils puissent mieux gérer des maladies chroniques tout en permettant d'économiser en traitement et en services de réadaptation.

En somme, grâce à l'automatisation, nous pourrions créer un écosystème de soins de santé porteur de certaines possibilités. Utiliser les connaissances des médecins plutôt que les pousser à accomplir des tâches répétitives qui leur font perdre du temps. Former des médecins sur l'utilisation de technologies numériques en santé de sorte que le facteur humain et la prise de décisions difficiles demeurent la partie essentielle de leur travail. L'automatisation pourrait leur permettre de prévenir et de traiter des maladies comme jamais auparavant — cet écosystème permettrait d'accroître la capacité des patients d'intervenir de façon proactive dans leur santé et dans le traitement de leur maladie. Deuxièmement, grâce à une nuée de biocapteurs, il est maintenant possible de mettre dans les mains des patients les données qui les concernent afin de mieux les outiller. Troisièmement, il s'agit d'un écosystème qui permettra à de jeunes entreprises de mettre au point des technologies novatrices qui feront l'objet de l'adoption rapide de règlements afin de les faire parvenir le plus vite possible aux patients. L'objectif est d'éviter que les patients se débrouillent par eux-mêmes dans le labyrinthe des solutions de santé numériques.

Je suis intimement convaincu qu'un gouvernement qui est favorable à l'innovation en soins de santé et qui veut accroître la capacité des patients sera en mesure de changer la situation actuelle. L'intégration de l'automatisation dans la pratique de sorte que la partie la plus importante de la relation entre un médecin et son patient — soit le côté humain, la créativité, le jugement humain et l'empathie — demeure le volet essentiel est susceptible de donner lieu à un véritable système de santé entièrement renouvelé.

C'est ainsi, selon moi, que toutes les tâches répétitives, l'analyse de données massives, l'épidémiologie et la collecte de données médicales pourraient être réalisées dans le cadre de solutions automatisées réglementées, efficaces et abordables. Dans ces conditions, les patients et les fournisseurs de soins pourraient enfin s'accorder réciproquement toute l'attention voulue.

Merci de m'avoir donné l'occasion de vous parler.

Le président : Merci beaucoup. Nous passons maintenant à notre témoin sur place, et j'ai le plaisir d'accueillir Abishur Prakash, futurologue géopolitique du Center for Innovating the Future. Je vous en prie.

Abishur Prakash, futurologue géopolitique, Center for Innovating the Future : Bonjour et merci de m'avoir invité. Je m'appelle Abishur Prakash, et je suis futurologue géopolitique dans un laboratoire d'innovation stratégique situé à Toronto. Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas bien ce rôle, ma profession se situe au carrefour de la géopolitique, de la futurologie et de la technologie. De plus, j'ai récemment publié un livre intitulé Next Geopolitics.

À titre de futurologue géopolitique, une de mes principales responsabilités consiste à examiner la façon dont les pays adoptent les nouvelles technologies dans des domaines comme la robotique, l'intelligence artificielle et l'impression 3D. Par exemple, en Chine, certains scientifiques ont imprimé des vaisseaux sanguins en 3D qu'ils ont implantés chez un singe. Il s'agit d'une des premières étapes vers l'impression d'organes en 3D et d'une source d'espoir pour les 1,8 milliard de personnes dans le monde qui souffrent de troubles cardiaques.

En Corée du Sud, des chercheurs ont conçu des lentilles de contact et des lunettes intelligentes pouvant aider les personnes atteintes de diabète. L'ensemble lentilles-lunettes leur permet de contrôler leur diabète à partir de leur œil, puis de libérer des médicaments. Selon les chercheurs, il serait possible de les porter pendant au moins un mois.

Aux États-Unis, un hôpital a commencé à utiliser des dizaines de robots TUG, nom donné aux robots autonomes. Ces robots peuvent administrer des médicaments, changer les draps, apporter les repas et débarrasser la table. En 2015, ils représentaient la plus grande flotte de robots médicaux en service sur la planète.

En Finlande, des municipalités et des hôpitaux cherchent à appliquer l'intelligence artificielle aux soins de santé. Là- bas, toutes les données sur les soins de santé et les patients des 30 dernières années ont été numérisées. Un des hôpitaux régionaux, qui dessert 24 municipalités, souhaite utiliser l'intelligence artificielle pour prédire les problèmes de santé.

Au Royaume-Uni, une jeune entreprise a mis au point un robot conversationnel doté d'intelligence artificielle afin d'aider les gens au niveau des diagnostics et des questions en matière de santé. Il utilise des données appelées « carte médicale », qui permettent à une personne de parler au robot, de communiquer ses symptômes, de recevoir un diagnostic et d'obtenir des réponses à d'autres questions. Ce robot apprend constamment de ses interactions.

Je viens donc de vous brosser le tableau de la situation actuelle de la robotique, de l'intelligence artificielle et de l'impression 3D dans le domaine des soins de santé. Cependant, on observe également de nouvelles tendances. La première de ces tendances concerne les téléphones intelligents médecins. Bien que de nombreuses personnes utilisent déjà des applications et des prêts-à-porter connectés pour effectuer un suivi de leur santé et de leur condition physique, l'intelligence artificielle et la robotique repousseront les limites actuelles.

Dans l'avenir, nos téléphones intelligents nous aideront à diagnostiquer les maladies. Ainsi, nous ne dépendrons plus des hôpitaux ou des cliniques pour savoir ce qui se passe. Par exemple, grâce au téléphone intelligent, les gens pourront prendre des photos d'une éruption ou de taches cutanées, et l'intelligence artificielle leur confirmera s'il s'agit d'une maladie ou non. Cette avancée aura un impact sur l'utilisation des cartes d'assurance-maladie partout au Canada. L'évolution de la technologie est telle que les téléphones intelligents sont en mesure de parler à l'aide de biocapteurs fixés à un patient et de suivre son état. La surveillance à distance permettra le suivi à domicile d'un plus grand nombre de patients à moindre coût.

Est-il possible d'aller encore plus loin? Dans l'avenir, si plusieurs personnes éternuent ou toussent dans un quartier, l'intelligence artificielle des téléphones pourra détecter qu'une épidémie se propage. Ensuite, ce système pourra informer les hôpitaux, les cliniques et les pharmacies du quartier.

La deuxième tendance concerne les soins de santé prédictifs. Comme la plupart d'entre vous le savent déjà, les crises cardiaques représentent la deuxième cause de décès en importance au Canada. Près de 600 000 Canadiens vivent avec une forme ou une autre de maladie cardiaque. On estime que 50 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année. Nul besoin d'entrer dans les détails pour ce qui est des répercussions connexes sur les ambulances, les opérations chirurgicales, la médication, les changements au mode de vie, et j'en passe. Alors, qu'est-ce que la robotique peut apporter dans ce domaine?

Des chercheurs du Royaume-Uni ont inventé un dispositif doté d'intelligence artificielle qui peut prédire le décès d'une personne souffrant d'une insuffisance cardiaque. Il est fiable dans 80 p. 100 des cas comparativement à 60 p. 100 en ce qui concerne les médecins humains. Si l'intelligence artificielle peut prédire l'insuffisance cardiaque, les soins de santé préventifs deviennent donc d'une extrême importance. Outre qu'elle permet d'établir les priorités dans les listes d'attente pour don de cœur, elle accélère le développement de l'impression de cœurs en 3D.

Elle pourrait aussi prédire d'autres problèmes de santé. Une entreprise technologique affirme que l'intelligence artificielle pourra prédire des problèmes de santé mentale comme la dépression, la maladie d'Alzheimer et d'autres troubles mentaux, au cours des cinq prochaines années.

La troisième tendance est celle des hôpitaux automatisés. Des robots sont déployés dans des hôpitaux aux quatre coins du globe. À Toronto, un robot effectue le mélange de médicaments chimiothérapeutiques. Dans les Émirats arabes unis, un hôpital commencera à utiliser le premier pharmacien robot dans le monde, qui est capable d'administrer 12 médicaments en moins d'une minute. Lors d'une intervention chirurgicale, un robot appelé STAR a opéré un cochon presque entièrement à lui seul et a surpassé les chirurgiens humains. Aux États-Unis, un algorithme a été mis au point pour diagnostiquer le cancer de la peau, et un hôpital emploie des robots pour lutter contre les germes. L'automatisation du milieu hospitalier permettra d'améliorer l'efficacité des hôpitaux existants, d'établir de nouveaux hôpitaux à un coût beaucoup moins élevé et également de créer et de concevoir des hôpitaux en fonction de certains types de maladies ou de certaines caractéristiques démographiques.

La quatrième et dernière tendance est celle dite du « retour de bâton de l'automatisation ». Le système de soins de santé devra se préparer au retour de bâton de l'automatisation. Deux études démontrent que plus de 42 p. 100 des emplois canadiens ou 7,5 millions d'emplois sont à risque en raison de l'automatisation. Cette situation aura d'énormes répercussions sur la conception et la prestation du système de soins de santé. Les gens seront-ils davantage déprimés? Seront-ils plus enclins à cesser de s'entraîner ou de manger sainement? Boiront-ils davantage, consommeront-ils des drogues illicites et mangeront-ils des aliments encore plus gras? Auront-ils des rapports sexuels non protégés? Et également, d'où proviendront les revenus en vue de dispenser des soins de santé lorsque les gens n'auront plus d'emploi et ne paieront plus d'impôts?

Les véhicules autonomes posent aussi un défi unique. Ils devraient permettre de réduire les accidents de façon spectaculaire, étant donné qu'au moins 90 p. 100 des accidents sont attribuables à une erreur humaine. Toutefois, un don d'organe sur cinq provient d'une victime d'un accident de la route. Si les accidents de la route diminuent, les dons d'organes diminueront également. Et c'est sur ce plan que l'impression d'organes en 3D jouera un rôle important à cet égard. Cette situation pourrait, sans impression 3D, obliger les patients à rester dans les hôpitaux plus longtemps, à essayer d'autres traitements ou à demeurer sur des listes d'attente.

Voilà pour ce qui est de mon exposé liminaire sur la situation actuelle des soins de santé et son évolution dans l'avenir. Je serai très heureux d'en discuter davantage avec vous au cours de la prochaine heure. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Je rappelle à mes collègues qu'ils doivent désigner la personne à qui ils souhaitent adresser leurs questions, surtout dans le cas de notre témoin en vidéoconférence. Je vous rappelle également que je vais contrôler la montre parce que nous voulons que chaque sénateur ait la possibilité de participer à cette discussion. Nos témoins nous ont donné beaucoup de matière à digérer pour alimenter les discussions. Je commence par le sénateur Eggleton.

Le sénateur Eggleton : Comme vous l'avez demandé, j'adresse ma première question à M. Mesko qui est actuellement en Hongrie. J'invite l'autre témoin à réagir également, parce que ma question concerne nos deux invités.

Que de choses à digérer effectivement. Il est difficile d'intégrer tout ce dont vous nous avez parlé quant aux possibilités qui se dessinent, mais nous devons déterminer comment toutes ces applications pourront se retrouver dans le système et comment le gouvernement pourra contribuer à cette forme d'intégration. Vous pourriez peut-être commencer par nous parler du scepticisme qu'il faut surmonter chez certains professionnels de la santé. Chaque fois qu'on propose quelque chose de nouveau, il faut les convaincre que le changement en vaut vraiment la peine, sans perdre de vue l'aspect économique sous la forme d'une analyse coûts-avantages dans le cas d'un grand nombre des technologies dont vous nous avez parlé.

Comment, selon vous, pourrait-on effectuer ce genre de transition pour que ces idées puissent être testées sur le marché, si je puis dire, autrement dit au sein du système de soins et dans les hôpitaux ou dans les autres composantes du système de soins?

M. Mesko : Merci d'avoir soulevé cette question. C'est effectivement délicat. J'enseigne à des étudiants en médecine depuis plus d'une décennie. Chaque fois que l'on propose des technologies qui risquent de supprimer des emplois dans les soins de santé ou de modifier le rôle des professionnels de la santé, les médecins font barrage. Il suffit cependant de leur montrer que ce genre de choses peut fonctionner dans la pratique et, dès qu'ils comprennent que la technologie n'est pas là pour les remplacer, mais plutôt pour les aider à bien des égards dans l'exercice de leur profession, ils en viennent à dire : « Il me suffit d'apprendre comment travailler avec ces nouvelles technologies, mais elles ne risquent pas de me remplacer. Mon travail consistera à m'appuyer sur la technologie pour aller encore plus loin. »

Ainsi, quand je sens la résistance des médecins à qui j'explique ces nouvelles solutions, je leur pose une question : êtes-vous satisfait de ce que vous faites actuellement, jour après jour? Faites-vous vraiment ce pourquoi vous avez été formés pendant tant d'années? Vous passez le plus clair de votre temps à des tâches administratives et à des appels téléphoniques. Vous n'avez pas de temps pour vos patients. En moyenne, vous leur consacrez trois minutes et demie chacun. C'est insensé. Ce n'est suffisant dans aucun cas, même pas pour leur prendre la tension. Personnellement, j'estime qu'il devrait être possible d'automatiser toutes les tâches répétitives et de consacrer le reste du temps, un temps très précieux, aux patients.

Oui en effet, il faut enseigner la santé numérique aux médecins, parce qu'ils n'ont jamais vraiment appris à se servir de la technologie. Quand ils sortent de la faculté de médecine, le monde technologique risque d'être déjà complètement différent. En cinq à sept ans, les téléphones intelligents nous sont tombés du ciel, la réalité virtuelle a commencé à se concrétiser, et les médias sociaux ont pris une place énorme en attirant des milliards d'utilisateurs. Nous ne pouvons pas leur dire quelle technologie ils devront utiliser. Mais j'ai remarqué que nous pouvons enseigner toutes ces compétences aux étudiants en médecine pour qu'ils puissent choisir les technologies qui les aideront le mieux dans leur pratique et écarter complètement celles qui ne leur serviront pas.

J'assume deux rôles, et l'un d'eux est mon rôle de médecin. Je suis profondément convaincu que la médecine humaine est extrêmement efficace et que notre relation avec les patients doit naître d'un esprit empathique. Mais je suis futurologue, et je suis aussi convaincu que nous devons utiliser la technologie. Le plus difficile alors n'est pas de déterminer lequel de ces aspects doit remplacer l'autre, ou lequel est plus efficace que l'autre, mais d'équilibrer leur application en préparant les professionnels de la santé et les patients à accepter ce monde technologique. Il est également difficile de déboulonner le mythe ridicule qui veut que les technologies annoncent l'avenir. Il est crucial d'établir cet équilibre afin de continuer à exercer une médecine humaine, parce que selon moi, c'est la source même des bons soins de santé.

M. Prakash : Monsieur le sénateur, votre question contient deux éléments. Le premier a trait à la réglementation de ces technologies et à leur intégration dans l'économie canadienne. Le second concerne leur prix élevé.

Pour aborder le premier élément, je vous dirai que le Canada devrait établir une stratégie robotique officielle. Le Japon en a une, intitulée New Robot Strategy. Celle de la Chine s'intitule Made in China 2025. Toutefois, ces stratégies visent avant tout le domaine de la fabrication et non celui des soins de santé.

Mais le Canada n'a pas de stratégie robotique; à l'heure actuelle, il offre des subventions. Même les provinces n'ont pas établi de stratégies robotiques. Par conséquent, la seule façon d'intégrer des robots dans l'économie canadienne — en visant non seulement à avantager et à aider les entreprises et les patients, mais à garantir la sûreté des robots — sera d'établir un cadre de réglementation.

En ce qui concerne le deuxième élément de votre question — les prix —, eh bien, à l'heure actuelle, les robots en soins de santé sont très chers. Mais l'industrie robotique évolue. L'un de ses principaux progrès est la robotique de service.

Disons que nous représentons une clinique ou un hôpital et que nous voulons acheter un robot; cela nous coûtera dès le départ de 250 000 à 300 000 $. La robotique de service fonctionne un peu comme Netflix. Au lieu d'acheter un robot, vous payez ses services une fois par mois. Une entreprise chinoise vient de commercialiser un robot. Elle offrira les services de ce robot dans le marché américain, notamment dans le domaine des soins de santé.

Oui, il y a des coûts initiaux à débourser. À l'heure actuelle, 99 p. 100 des applications robotiques utilisées en soins de santé ne sont pas offertes sous forme de services robotiques. Il faut donc acheter le robot, en débourser le prix. Mais ce domaine change, et je crois qu'au cours des années à venir, on verra beaucoup plus de robotique de service.

La sénatrice Stewart Olsen : Monsieur Prakash, je vous remercie beaucoup pour votre allocution. Quand je vous ai dit que je ne connais rien à ce domaine, vous m'avez donné d'excellentes explications. Je ne comprends vraiment rien à ces choses, et j'ai bien l'impression que la plupart des gens qui nous regardent ne les comprennent pas non plus. Pourriez-vous me dire de quelle façon l'impression 3D peut créer une veine ou une hanche réelle que l'on peut greffer dans le corps d'une personne? Je ne comprends pas cela.

M. Prakash : Vous recevriez probablement une meilleure réponse d'un ingénieur. Je ne suis pas ingénieur; je ne veux pas vous induire en erreur en me trompant dans les détails techniques. Mais dans le cas de l'impression d'organes en 3D, je sais qu'il y a des difficultés.

Le premier problème est le fait que les gens affirment qu'il est possible d'imprimer en 3D des foies, des reins et des poumons, et cela paraît miraculeux. Mais l'une des grandes difficultés de l'impression d'un organe en 3D est d'imprimer ses cellules de manière à ce qu'elles continuent à vivre après. Dans la plupart des cas, les organes imprimés en 3D meurent tout de suite, ou peu de temps après, parce que leurs cellules ne peuvent pas rester en vie. Nous ne pouvons pas inverser ce mécanisme d'ingénierie. En Corée du Sud, des chercheurs ont imprimé des cellules de souris en 3D qu'ils ont réussi à garder en vie pendant 30 jours. Alors, vous avez ici le premier des problèmes.

Le deuxième est en fait le coût. À l'heure actuelle, vous pouvez faire imprimer un crayon en 3D à partir de chez vous. Mais l'impression 3D pour le domaine de la santé est très chère, surtout dans les universités. C'est pourquoi les innovations de l'Université de la Caroline du Nord et d'autres universités sont toutes imprimées en 3D dans des universités. Les établissements privés et les universités financent cette technologie. Les gens ne peuvent pas le faire dans leur garage, et les hôpitaux ne peuvent pas le faire à moins d'obtenir un financement important du gouvernement. Je dirais que l'impression 3D est entravée par l'impression des cellules et par les coûts élevés.

Le président : Le Dr Mesko pourra peut-être vous donner plus de détails. Je vais lui passer la parole en lui demandant s'il pourrait prendre l'exemple de la colonne vertébrale. On a imprimé des éléments de la colonne vertébrale en 3D. Je crois qu'il serait bon que vous donniez aux membres de notre comité une idée du mélange que l'on verse dans l'imprimante et des couches qui passent dans la machine pour créer un produit.

M. Mesko : Bien sûr. En fait, à l'heure actuelle, on n'imprime que des tissus en 3D, et non des organes. L'impression d'organes est encore très loin.

Évidemment que pour imprimer des tissus en 3D, nous n'imprimons pas les cellules. Nous sommes encore très loin de pouvoir le faire. Ces entreprises utilisent les cellules vivantes en guise de liens. Mais la plus grande difficulté de la création d'organes est la structure. Ce sont des structures en trois dimensions. Les cellules se connectent dans de nombreuses directions. Elles communiquent les unes avec les autres. La création d'une structure tridimensionnelle présente donc un énorme défi. C'est pourquoi les entreprises créent pour chaque organe des échafaudages très spéciaux qui servent à des fins diverses. Elles insèrent ensuite les cellules dans ces échafaudages de manière à ce qu'elles puissent continuer à s'y développer.

On a d'abord réussi à imprimer un foie à cause de sa structure hexagonale tridimensionnelle. La société Organovo, dont je vous ai parlé tout à l'heure, a réussi à créer un nouveau système d'échafaudages dans lequel elle a réussi à injecter les cellules vivantes du foie programmées comme on le fait dans les laboratoires de biologie moléculaire. L'échafaudage créé par Organovo a réussi à maintenir ces cellules en vie. Le tissu lui-même, cette structure de cellules tridimensionnelle, a fonctionné comme un foie humain pendant 40 jours. C'est pourquoi cette société est convaincue de pouvoir créer dans 5 à 10 ans un tissu réellement fonctionnel qu'on pourra le greffer dans des corps humains.

La FDA pourrait approuver ce tissu — pas l'organe, juste le tissu du foie — dans deux ou trois ans.

Le président : Docteur Mesko, je voudrais retourner un peu en arrière. Je crois que le comité désire se faire une idée plus physique de l'impression d'un organe. C'est pourquoi je vous ai demandé de nous présenter l'exemple de l'impression d'une section de la colonne vertébrale. J'ai entendu dire qu'on l'avait fait récemment, et je crois que les éléments sont assez simples pour que vous puissiez nous expliquer les différentes couches de cette construction. Il s'agissait d'une section flexible de la colonne vertébrale.

M. Mesko : Je sais qu'on a imprimé du tissu, mais pas la colonne vertébrale même. Nous sommes malheureusement encore très loin d'y parvenir. Mais on utilise des cellules vivantes dans l'imprimante. Prenons l'exemple d'une imprimante ordinaire que nous utilisons quotidiennement; il y a de l'encre dans l'imprimante. Nous savons exactement ce que nous voulons imprimer, et nous utilisons le papier comme un échafaudage. L'objet à imprimer se trouve dans le logiciel et s'imprime sur le papier grâce à l'encre de l'imprimante.

Pour imprimer un organe, ou plutôt le tissu d'un organe, l'encre vient sous forme de cellules vivantes, et l'échafaudage est une structure très particulière produite par l'entreprise. Celle-ci utilise le logiciel pour créer un modèle tridimensionnel qui reconnaît la structure de l'échafaudage et dans lequel on peut injecter les cellules vivantes. Je le répète, les cellules vivantes représentent l'encre de nos imprimantes ordinaires.

Le président : Merci beaucoup. Je crois que nous allons nous arrêter là.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie tous les deux. J'aimerais faire un ou deux pas en arrière, parce que j'ai l'impression que nos collègues et les membres de l'auditoire pensent se trouver dans un contexte de science-fiction. Je vais vous poser des questions sur deux ou trois concepts.

L'un de ces concepts est la futurologie. Vous nous dites tous deux que vous êtes des futurologues, mais je crois que la plupart d'entre nous ne savent pas en quoi consiste ce rôle. Suivez-vous un cadre théorique, ou est-ce que vous rêvassez dans un fauteuil de ce qui risque d'arriver au cours des 50 ans à venir? Qu'est-ce qu'un futurologue?

M. Mesko : Ce serait merveilleux! Merci beaucoup d'avoir posé cette question. La profession que vous décrivez semble merveilleuse.

Je suis futurologue médical. Autrement dit, j'apprends continuellement à utiliser des méthodes pour créer des scénarios futurs et des modèles de prédiction. Il est évidemment impossible de prédire l'avenir. De plus, on ne peut pas dire à une personne qu'il existe un grand nombre d'avenirs, mais que celui-ci lui conviendra le mieux. Ce sont des choses absolument impossibles.

Nous apportons notre aide en prédisant constamment différents scénarios d'avenir ayant trait aux coûts et à l'économie, aux progrès technologiques et aux changements culturels. Nous cherchons les scénarios qui tiennent compte d'un grand nombre de ces perceptions. Nous continuons à développer ces modèles en faisant part de ces scénarios aux gens du monde entier, notamment à des technologues et à des décideurs, et même à des patients et à des médecins. Quand nous constatons que la réalité et cette science-fiction ressemblent à l'un de ces scénarios, nous disposons déjà d'un cadre bien défini de visions, de pensées, de règlements et d'idées à concrétiser dans la réalité pratique actuelle.

J'espère que j'ai bien répondu à votre question. Nous ne faisons pas de prédictions du genre science-fiction; nous relions ce qui pourrait devenir possible demain à ce qui se passe aujourd'hui.

M. Prakash : Votre question est excellente. Vous m'avez mis sur la sellette. Dans ma profession de futurologue, qu'est-ce que je fais?

J'ai pour tâche d'aider les entreprises à se préparer pour l'avenir. Je travaille surtout dans le secteur privé. J'aide de grandes sociétés, des sociétés de Fortune 500 comme des entreprises en démarrage. Je les aide à se préparer pour l'avenir et à comprendre l'évolution de leur secteur. Je leur montre les variables qui émergent et à quoi leur industrie ressemblera dans deux ans, cinq ans, sept ans pour qu'elles puissent s'y préparer activement et établir une stratégie qu'elles pourront suivre afin de demeurer viables.

À titre de futurologue géopolitique, je cherche avant tout à comprendre de quelles manières les technologies nouvelles comme la robotique et l'IA transformeront les affaires mondiales. Quels effets ces technologies différentes auront-elles sur la politique étrangère des nations? Grâce à ces observations, je sais parfaitement ce qui se passe dans le monde de la robotique, de l'IA, de l'impression 3D, du clonage des aliments, de la modification du matériel génétique et de toutes ces choses dont on entend parler. Je crois que c'est la raison pour laquelle on m'a demandé de comparaître ici, pour que je présente les effets que, selon moi, la robotique et l'IA auront sur les soins de santé.

Mais surtout, je crois qu'à l'heure actuelle, tout le monde se dit futurologue. Je ne fais pas de prédictions. À mon avis, il est impossible de faire des prédictions dans le monde actuel, parce que les choses évoluent trop rapidement. Il y a beaucoup trop de variables inconnues. Ce dont je vous parle aujourd'hui sera désuet dans six mois. Ce que je vous dis aujourd'hui sur la robotique, l'IA et les soins de santé vous semble incroyable, mais dans six mois ces données seront archaïques. C'est pourquoi je ne fais pas de prédictions. J'ai pour tâche d'établir les liens nécessaires. J'établis des scénarios de ce qui pourrait arriver et j'aide les entreprises à comprendre leur avenir pour qu'elles puissent s'y préparer.

La sénatrice Seidman : Vous dites que ce que vous observez devient périmé en six mois. Mais, alors, comment veillez- vous à ce que vos conseils ne soient pas désuets avant que vous ne les présentiez? J'essaie de comprendre à quoi ressemble le cadre théorique sur lequel vous vous basez dans votre travail de futurologue. Ma question est très sérieuse.

M. Prakash : Je comprends. Les entreprises m'engagent pour leur dire continuellement ce qui se passe. Je leur répète souvent que si elles ne « s'Uberisent » pas, elles se feront « Uberiser ». Il faut vous préparer à ce qui va arriver, sinon vous vous retrouvez dans le fossé, et tout le monde vous dépasse.

Je donne des ateliers continuels. Ce sont des ateliers où je fournis des renseignements qui incitent à l'action. La semaine dernière, j'ai rencontré les responsables d'une grande banque canadienne pour leur donner une séance d'information. Votre question est très importante. C'est une chose de vous parler de ces choses aujourd'hui, mais comment vous tenir au courant dans six mois? Facile : il vous suffit de m'embaucher. Engagez mes services d'expert- conseil. C'est tout simple.

Je peux aussi vous répondre que dans notre monde actuel, nous devons tous nous préparer pour l'avenir. Nous sommes tous plus ou moins responsables d'observer, de déterminer ce qui se passe, de lire les manchettes un peu plus attentivement, d'approfondir les enjeux, de poser des questions, puis d'envoyer des courriels. Chaque jour, je passe des heures à faire des recherches afin de me tenir au courant de ce qui se passe.

La sénatrice Seidman : Maintenant j'ai la réponse à ma question. C'était justement ce que je vous demandais — comment vous vous y prenez pour le faire.

Le président : C'était la réponse que nous attendions.

Le sénateur Meredith : Vos allocutions m'ont beaucoup impressionné. Je suis fasciné par votre mémoire intellectuelle. Si vous m'en offriez un petit pourcentage, je l'accepterais tout de suite.

Le fait est que nous constatons nous aussi avec quelle rapidité la technologie évolue. Vous nous avez aussi dit que la Chine a établi une stratégie. Qu'auriez-vous à dire à notre gouvernement ici au Canada au sujet de l'innovation? Nous savons que le Canada est en retard sur les autres nations. Selon certaines statistiques, nous nous plaçons au neuvième rang des pays du monde. D'autres indiquent que nous sommes au quinzième rang dans les domaines de l'innovation, des sciences et de la technologie. Comment convaincre le gouvernement de nous lancer sur la bonne voie?

Je vais vous dire par exemple ce qui s'est passé il n'y a pas longtemps dans ma ville. Un employé se sentait malade; on l'a emmené d'urgence à l'hôpital. Il a attendu pendant quatre heures sur une chaise dans la salle d'attente, et c'est là qu'il est mort. Il y a à peine deux semaines de cela. Parlons donc de nous servir de la technologie que vous nous avez mentionnée pour évaluer rapidement le patient afin que les médecins puissent le traiter avec succès. Nous savons qu'il y a toute une liste de symptômes et de diagnostics à considérer, mais comment agir rapidement pour éviter une telle tragédie? Cet homme laisse derrière lui deux enfants, son épouse et le reste de sa famille. Cet incident m'a profondément touché.

Il est grand temps que nous cessions de discutailler et que nous agissions. Comment convaincre le gouvernement d'avancer plus rapidement?

M. Prakash : J'ai deux réponses à votre question. La première, c'est que l'on développe déjà la technologie dont ce monsieur aurait eu besoin à l'hôpital.

Des chercheurs de l'Université de Pennsylvanie ont déjà créé l'intelligence artificielle qui permet de prédire quand les gens iront à l'urgence. Pour le moment, on se concentre sur l'oncologie, sur les tumeurs, mais on vise à prédire que tel patient viendra mercredi afin de tout préparer pour lui, au lieu être surpris de son arrivée et de devoir considérer une dizaine de facteurs pour l'évaluer. Ce système utilise toutes sortes d'ensembles de données, des rapports de radiologie, des rapports sur le patient, et cetera.

L'IA peut aussi le faire. Par exemple, dans une université, on a saisi environ 1 000 cas dans une IBM Watson. Dans 99 p. 100 des cas, l'IBM Watson a prescrit le même traitement que les médecins. Dans 30 p. 100 de ces cas, elle a même fait mieux en indiquant des traitements auxquels les médecins n'avaient pas pensé.

Je crois bien que l'IA en est à ses tout débuts, mais elle va se développer au cours des années à venir. Déjà aujourd'hui, les progrès technologiques rendent notre système de soins de santé bien plus efficace. Il coûte moins cher, il est plus efficace du point de vue des contribuables, et il permet d'éviter des décès terribles comme celui de ce monsieur. Évidemment que ces progrès posent d'autres défis, dont je pourrai parler au cours d'une autre séance de questions et réponses.

Ma deuxième réponse est le fait que le Japon a établi une nouvelle stratégie robotique. Les Japonais veulent se placer en tête de file de la robotique dans le monde. La Chine a fondé Making China 2025, désirant elle aussi se placer en tête de file de la robotique dans le monde. Le Canada n'a rien. Il ne s'agit pas d'un simple problème de soins de santé, mais de la viabilité de notre pays dans le monde. Nous ne pouvons pas dépendre uniquement du pétrole. Il faut que nous dépendions aussi de la robotique et de l'intelligence artificielle.

Je conseille au Sénat du Canada ainsi qu'au premier ministre Trudeau et à son Cabinet d'établir une stratégie de robotique globale qui tienne compte de l'économie et de sa diversification ainsi que du design social, de l'effet qu'aura l'automation sur les sociétés ainsi que des répercussions qu'aura la robotique sur le système de santé, sur la politique étrangère et sur ces divers enjeux. Il ne suffit pas d'établir un plan robotique pour le système de santé en laissant le reste du pays traîner derrière le reste du monde.

À l'heure actuelle, les provinces agissent en autonomie. La Saskatchewan a 11 robots en état de fonctionnement. Elle a créé quelque chose qu'on appelle comme « médecin dans une boîte », qui permet aux ambulanciers d'appeler un médecin pendant qu'ils transportent le patient. Ce médecin dirige les actions des ambulanciers pendant le transport du patient à l'hôpital.

La Saskatchewan met à l'essai un autre robot dans une réserve, que l'on a nommé Rosy. Les Premières Nations qui vivent dans les réserves n'ont souvent pas accès à un hôpital. Rosy leur permet donc de parler à un médecin par téléconférence sans fil.

Vous avez donc deux réponses. J'espère que l'une d'entre elles au moins a répondu à votre question.

La sénatrice Merchant : Je vais retourner un peu en arrière. Je vais jouer le rôle de la patiente. Je viens de Regina, en Saskatchewan, et je vous remercie d'avoir parlé si positivement de notre province. Hier, j'ai souligné quelques autres réussites de la Saskatchewan.

Docteur Mesko, vous avez répété plusieurs fois que mes résultats de patiente seront bien meilleurs. Est-ce que l'amélioration de mes résultats de santé sera due à toutes ces nouvelles technologies et à votre point de vue futuriste des soins de santé?

Ensuite, j'essaie de comprendre de quelle façon ces technologies réduiraient les coûts. S'agirait-il des coûts qu'assument les gouvernements? Réduiraient-elles mes frais à moi? Mes médicaments coûteront-ils moins cher? Aujourd'hui, mon diagnostic est favorable, mais je ne peux pas payer ma médication. Certains de ces médicaments sont bien trop chers pour moi.

De mon point de vue de patiente, quels avantages est-ce que je vais en retirer? Je vis au Canada, et non en Corée ou en Chine ou aux États-Unis. Nous avons notre propre système de santé. En quoi ces nouvelles technologies m'avantageront-elles?

M. Mesko : Vos deux questions sont extraordinaires. Je vais essayer d'y répondre brièvement.

Tout d'abord, je crois que si une nation se concentre sur une technologie en particulier, elle n'avantagera aucunement son système de santé. Je crois vraiment que de nos jours, nous assistons à une révolution non pas technologique, mais culturelle. La technologie va continuer à se développer sans nous. Il nous incombe de l'adopter ou de la rejeter. Nous serons tous des patients un jour ou l'autre. Comment réagissons-nous à l'évolution de la technologie? Notre plus grand défi réside dans la préparation des patients et des médecins à un monde technologique.

Vous me demandez si l'usage de ces technologies améliorera mes soins ou ma vie. Je peux simplement vous répondre — au risque de paraître sans cœur — que toutes les vies dépendent des coups du sort, purement et simplement. Elles dépendent d'une foule de variables, comme d'obtenir au bon moment un médecin qui a lu les résultats des 27 millions d'études médicales publiées. Votre vie dépend aussi des procédures diagnostiques que l'on applique à votre cas, du traitement qu'on vous administre et de votre fidélité à ce traitement. Il y a tellement de variables que nos vies dépendent uniquement des impondérables, c'est aussi simple que cela.

Mais je ne veux pas que ma vie dépende de circonstances aléatoires. Si je suis atteint d'une maladie, je veux qu'on la diagnostique aussitôt que possible. Sans posséder de données sur ma santé comme mes signes vitaux, mes paramètres physiologiques et mes séquences génétiques — que n'importe qui pourrait obtenir en ligne à partir de son fauteuil de salon —, il est impossible de prendre des décisions judicieuses. À l'heure actuelle, nos décisions reposent sur quelques données que nous ne pouvons obtenir qu'en allant chez le médecin, et non à partir de notre domicile.

Au cours de ces deux ou trois dernières années, on a créé un nouveau type de capteur de paramètres physiologiques. Les gens commencent à mesurer leurs propres paramètres. Ils veulent gérer leur maladie plus judicieusement, alors ils se servent de leurs téléphones intelligents et de solutions de santé numériques.

Je tiens donc à souligner que si le pays n'établit pas une stratégie de santé numérique vraiment efficace qui tienne compte des patients, des médecins, des décideurs, des chercheurs et des concepteurs, en soi aucune technologie ne pourra réduire les coûts des soins de santé et en rendre la prestation plus efficiente et plus accessible. Il est crucial de se concentrer sur les aspects culturels du développement des technologies.

Votre deuxième question est primordiale dans le domaine de la santé numérique — comment l'offrir à des coûts inférieurs à ceux que nous payons à l'heure actuelle. Comme je l'ai indiqué dans mon mémoire, il est toujours beaucoup moins cher de prévenir une maladie que de la soigner. Une ronde de chimiothérapie, les procédures de diagnostic du cancer, tous ces actes coûtent incroyablement cher. Mais il est extrêmement efficace de prédire un trouble de santé en surveillant les quelques variables qui changent dans le corps. On peut alors prendre de nombreuses mesures soit pour vaincre la maladie à son tout début, soit pour en prévenir l'éclosion. Les coûts ne sont absolument pas comparables.

Je vais vous donner un exemple pratique d'ingérence qui peut réduire les coûts des soins de santé. Une société américaine avait décidé d'aider les infirmières. En effet, il est très difficile de trouver une veine pour faire un prélèvement sanguin — nous avons tous vécu cela, n'est-ce pas? Cette société a créé un capteur qui affiche les veines sur la peau du patient en quelques secondes. C'est une chose extraordinaire à voir. Il en coûte entre 5 000 et 6 000 $ pour produire un de ces appareils. L'année dernière, deux étudiants en médecine ont créé une appli pour téléphone intelligent grâce à laquelle n'importe qui peut voir les veines de la même façon, mais sans frais. Cet acte coûtait 6 000 $. Maintenant, il est gratuit. C'est le genre d'évolution que subissent les prix. Si une technologie n'est pas abordable, elle ne suffit pas. C'est ainsi que nous poussons les entreprises à faire avancer les choses.

M. Prakash : Je ne suis pas convaincu que nos vies dépendent uniquement des coups du sort. Je suis sûr que c'était le cas jusqu'à présent. Mais n'oublions pas que le iPhone n'a que 10 ans. Il est sorti en 2007. Bien des choses ont changé en 10 ans.

À l'heure actuelle, un pays de Scandinavie adopte une loi obligeant les foyers et les hôpitaux pour personnes âgées à utiliser des robots. Il existe même des robots sociaux capables de soutenir une conversation et de faire Dieu sait quoi d'autre. Ce pays lance cette mesure à l'heure actuelle.

En 2012, des médecins américains ont imprimé une trachée en 3D qu'ils ont insérée dans un bébé pour l'aider à respirer. Nous y sommes, et même depuis plusieurs années. Ce n'est plus une question de coups de dés. Tout dépend de la capacité qu'a l'entreprise de s'adapter à ce qui se passe autour d'elle. Si l'entreprise ne réussit pas à s'adapter, si elle ne réussit pas à s'intégrer, si elle ne réussit pas à suivre les autres, elle prend du retard sur les autres. Mais si elle réussit à innover, alors elle produit des choses extraordinaires.

Quant aux avantages, eh bien je crois que le premier — le principal — est lié au diagnostic. L'intelligence artificielle est en mesure de diagnostiquer des troubles comme on ne l'a jamais fait jusqu'à présent. Une étude a démontré que l'intelligence artificielle peut détecter 17 maladies différentes dans l'haleine d'une personne. J'ai parlé tout à l'heure de l'idée de photographier une éruption cutanée avec un téléphone intelligent pour que l'IA vous dise si vous êtes atteint d'une maladie ou non. Cette simple mesure soulagera énormément le fardeau du système de soins de santé. Les gens n'iront plus consulter leur médecin aussi souvent.

Quant au prix d'un tel service, eh bien maintenant nous pensons au système de santé du Canada. Nous pensons à ses paramètres, mais pour quelle raison? Parce que jusqu'à présent, quand nous tombons malades, nous allons consulter un médecin humain au Canada. Nous allons dans un hôpital géré par des humains. Nous allons voir un pharmacien humain. S'il existait une entreprise américaine qui vous facture 20 $ par mois pour vous diagnostiquer à l'aide d'une solution d'IA, vous économiseriez beaucoup. Vous n'auriez plus besoin de vous fier à un système de santé qui vous fait perdre un temps fou et qui n'accomplit même pas ce qu'il vous faut. Quand vous consultez un médecin, il vous dit que vous avez peut-être ceci, ou cela, qu'il voudrait vous faire subir d'autres tests, et ainsi de suite. Ce service réduirait énormément le coût des services médicaux. Mais pour le moment, nous n'avons pas de solution.

Les Japonais cherchent à utiliser l'intelligence artificielle pour examiner les patients cancéreux. L'appareil recueillerait les différents points de données du patient — le stade d'évolution de son cancer, son type de cancer — pour indiquer le type de traitement à prescrire.

Tout repose sur le diagnostic. Je crois que l'IA allégera l'énorme fardeau du système de soins de santé.

Le président : Je tiens à préciser qu'à mon avis, le Dr Mesko parlait de la vie réelle des gens dans le monde actuel, et en ce sens je dirais qu'il a raison. Il me semble que vous nous parlez du potentiel d'éviter les coups de dés si ces appareils sortent quand les gens en ont besoin.

M. Prakash : C'est vrai.

Le président : Nous n'allons pas nous attarder sur ce sujet. Je crois que nous avons compris et que vous nous avez illustré les différentes possibilités qui pointent à l'horizon.

La sénatrice Mégie : J'ai deux questions à poser.

[Français]

Est-ce que tous ces ingénieurs ont un comité sur l'éthique pour les conseiller? Par exemple, pour prévenir la maladie d'Alzheimer, Motorola, il y a 20 ans, avait prévu un petit appareil où, avec une goutte de sang, on pouvait savoir si une personne était à risque d'être atteinte de la maladie d'Alzheimer, selon le taux de gras dans le sang. Génétiquement, il pouvait y avoir trois catégories. Le comité sur l'éthique lui a demandé d'arrêter, parce que si à 40 ans on sait qu'on a 75 p. 100 de chances d'avoir la maladie d'Alzheimer, cela risque de détruire une vie; qu'est-ce qu'on fait? Les progrès continuent, mais Motorola n'a pas distribué son appareil.

Pour toutes ces choses fascinantes, est-ce que vous avez un comité sur l'éthique qui vous conseille pour que vous sachiez jusqu'où vous pouvez aller?

[Traduction]

M. Prakash : Vous me demandez si à titre de futurologue, j'ai mon propre comité d'éthique?

La sénatrice Mégie : Pas vous, mais votre cabinet. Avez-vous un comité d'éthique?

Le président : Nous sommes au fait de votre situation, et je comprends l'objectif de votre question. Je crois que la sénatrice voudrait savoir si l'accès à ces technologies nouvelles et leur application sont sous le contrôle d'un cadre d'éthique.

M. Prakash : C'est une question très importante, et je dois vous dire que non. L'éthique ne fait qu'apparaître à l'horizon. Au début du mois, je faisais partie d'un groupe d'experts en robotique au salon CES, et un collègue m'a posé une question. Cela ne se rapporte pas au domaine de la santé, mais vous comprendrez la question de l'éthique. La programmation d'un robot est très subjective. Ces préférences personnelles reposent sur toutes sortes de facteurs. Par conséquent, les ingénieurs et les programmeurs en assument la responsabilité, mais de quel droit?

L'éthique devrait être primordiale dans le domaine de la création de robots et d'applications d'intelligence artificielle. Malheureusement, son absence dans cette industrie crée un vide énorme, parce que personne ne sait comment l'appliquer. Ou plutôt, chaque pays adopte une approche différente.

J'espère avoir plus ou moins répondu à votre question. Personnellement, je m'efforce de rester aussi neutre que possible dans le cadre de mon travail. Cependant, nous avons tous des partis pris.

Le président : Avant de passer la parole au Dr Mesko, je vais vous faire part de notre plan. Nous avons bien sûr cherché des éthiciens dans ce domaine. Il n'y en a pas, comme M. Prakash l'a dit, mais certaines personnes à l'étranger travaillent dans des milieux où la question se pose. Nous espérons donc que quelques-unes d'entre elles pourront répondre d'une manière un peu plus directe à votre question. Pouvons-nous maintenant passer la parole au Dr Mesko?

La sénatrice Mégie : Oui, bien sûr.

[Français]

C'est pour savoir s'il y a un comité sur l'éthique de la recherche ou un comité sur l'éthique clinique médicale qui conseille l'équipe de futurologues.

[Traduction]

M. Mesko : Il y en a un, bien sûr. Les situations sont nombreuses. L'institut Future of Humanity engage des bioéthiciens qui travaillent très fort pour aider les concepteurs, les décideurs et les futurologues à prendre les décisions adéquates.

En outre, toutes les études de recherche médicale et clinique menées à l'heure actuelle sont examinées avec soin par des comités d'éthique. L'éthique est primordiale pour la prise des décisions qui concernent l'avenir. De plus, Elon Musk et d'autres technologues visionnaires ont créé l'association OpenAI afin d'éviter qu'en élaborant des applications d'intelligence artificielle, nous ne créions pas une application énorme que nous serions incapables de comprendre. Ces technologues veulent garantir que nous développions l'IA dans une boîte et que nous tenions ce qui s'y trouve sous contrôle.

La sénatrice Mégie : Merci.

Le sénateur Dean : Je remercie nos témoins. Je vais poursuivre dans la veine de la question très importante de la sénatrice Mégie au sujet de l'éthique. Toutefois, je vais poser ma question sous un angle différent.

Vous nous décrivez un avenir où la prestation des soins de santé acquerra une vaste étendue. Ce type de prestation engagera inévitablement une grande partie du secteur privé un peu partout dans le monde.

Je voudrais savoir quelles en seraient les répercussions sur l'équité et sur l'accès aux soins de santé. On pourrait déduire d'un côté que cet accès personnalisé à la robotique démocratisera plus que jamais les soins de santé. D'un autre côté, ces technologies nouvelles et l'impression d'organes sur commande risquent de favoriser les patients qui peuvent se les payer.

Dans votre esprit de futurologues, quel serait selon vous le rôle que les gouvernements et les organismes de réglementation devront assumer, après la commercialisation de ces techniques, pour protéger l'accès et l'équité aux soins de santé? Qu'en pensez-vous? Monsieur Prakash, vous avez parlé de conception et de répercussions sociales. Vous pourriez peut-être aborder ma question en premier.

M. Prakash : On commence à entendre parler de soins de santé transfrontaliers. En mettant à l'essai les robots créés en Saskatchewan, on a examiné la question du cloisonnement des soins de santé, puisqu'autant les provinces que le gouvernement fédéral s'en occupent. Qu'arrivera-t-il quand la prestation des soins débordera les frontières? Par quels moyens le gouvernement pourra-t-il continuer à facturer les soins de santé et à en tirer des recettes?

Comme je viens de le dire, je crois qu'à l'avenir, les gens pourront s'abonner à une sorte de service de diagnostic par l'IA. Il est évident que l'IA ne pourra pas diagnostiquer toutes les maladies. À l'heure actuelle, IBM est en tête de file de ces développements, et pour le moment, on peut se servir de l'appareil IBM Watson sans frais. À l'aide de certaines applications, on peut accéder sans frais au superordinateur d'IBM.

À l'avenir, si IBM ou la société Medtronic ou une autre entreprise décide d'offrir un service pour 10 ou 20 $, ou si les gens préfèrent dépenser 500 $ pour une opération chirurgicale effectuée par un robot chinois au lieu de la subir dans un hôpital canadien, alors le rôle du gouvernement changera.

Quel sera ce rôle, à mon avis? Dans un pays comme le Canada, le gouvernement devra maintenir l'équilibre entre le système public de santé et les progrès du secteur privé. Il devra trouver moyen d'intégrer ces progrès dans son système de santé. Autrement dit, il devra s'adapter à un monde nouveau. Nous ne dépendrons plus uniquement des humains. Quand un autre pays offrira les services de robots qui réduiront considérablement le prix des interventions chirurgicales, les gens préféreront probablement ces services à ceux du système de santé canadien.

Vous soulevez une question d'éthique importante, tout comme votre collègue vient de le faire. Il est très difficile d'y répondre, car nous faisons face à un grand vide dans ce domaine. Certains groupes s'efforcent de résoudre ce problème, comme l'a souligné mon collègue. Mais chaque pays, chaque province adoptera probablement une approche différente, ce qui créera des conflits et des tensions. Ce problème concerne tout le domaine géopolitique, mais nous allons nous en tenir à celui des soins de santé aujourd'hui.

M. Mesko : Je crois qu'à l'heure actuelle, le gouvernement a pour rôle d'améliorer les soins de santé en créant un cadre réglementaire qui favorise l'innovation tout en surveillant la sûreté des services. Vous voyez, je peux par exemple envoyer un prélèvement de tissu à une entreprise en démarrage belge pour définir l'ADN de ce tissu, puis y faire appliquer un algorithme aux États-Unis pour déterminer les meilleurs traitements offerts dans le monde. Une entreprise naissante en Espagne pourra trouver les essais cliniques en cours sur le type de mutation génétique détecté dans mon prélèvement. D'abord, le monde a surmonté les frontières pour trouver des solutions et puis, sans jamais rencontrer mes fournisseurs de soins, j'ai obtenu le traitement qui conviendra le mieux à mon trouble de santé personnel.

En deuxième lieu, si des technologies de rupture commencent à être utilisées dans les soins de santé, il devient assez évident que les patients n'attendront pas la création de cadres réglementaires. En voici un exemple concret : il y a environ cinq ans, on s'est rendu compte que pour les patients atteints de diabète, il était possible de créer un pancréas artificiel, de toute évidence pas un organe artificiel, mais un capteur sur la peau permettant de mesurer les taux de glucose dans le sang, et un deuxième capteur permettant d'administrer de l'insuline au besoin, ainsi qu'un algorithme servant à prendre des décisions à ce sujet.

Toutefois, ce n'est que l'été dernier que la FDA, aux États-Unis, a approuvé un tel système. C'est donc dire que pendant les cinq dernières années, les patients ont créé eux-mêmes leur propre système à la maison, ce qui peut être problématique. Évidemment, ces personnes savaient qu'il existait une solution technologique à leurs problèmes de santé, et elles avaient le choix d'attendre que le pays crée le cadre pouvant servir à son approbation, ou de se contenter d'utiliser un téléphone intelligent et les médias sociaux pour trouver une solution. Neuf personnes sur dix ont opté pour la deuxième solution, et cela est compréhensible.

Aujourd'hui, notre responsabilité est d'être ouverts à l'innovation, mais aussi d'assurer la sécurité des produits.

M. Prakash : J'aimerais ajouter quelques autres points, si possible. Ce scénario peut sembler effrayant, mais les technologies de rupture existent, et il se pourrait que nous ayons aussi à repenser fondamentalement le rôle du gouvernement. En ce qui a trait à l'impression 3D de médicaments à la maison, j'ai lu quelque chose au sujet d'un robot extraordinaire qui se fixe au plafond et fait la cuisine pour vous. Il est muni de bras et il peut préparer des repas, nettoyer, et que sais-je d'autre. Qu'arriverait-il si demain, après une mise à niveau, il pouvait aussi faire des interventions chirurgicales? Lorsque je dis demain, je ne veux évidemment pas dire dans un an, mais vous avez une idée d'où je veux en venir.

Il se peut que nous devions redéfinir radicalement le rôle du gouvernement, d'une façon sans précédent, et cela pourrait signifier, comme mon collègue l'a dit, un simple rôle de réglementation. Dans un hôpital automatisé, où les seuls êtres humains sont les patients, comment est-il possible d'assurer une supervision et un fonctionnement appropriés? La politique publique devient la seule voie.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Tout cela est absolument fascinant.

Deux pensées me viennent. Une est que la politique publique ne peut pas devancer l'opinion publique. Nous avons le privilège aujourd'hui de vous avoir tous les deux pour nous éclairer, et grâce à CPAC, quelques spectateurs aussi, je l'espère, qui peuvent profiter de votre savoir. Je me demande toutefois si nous ne devrions pas encourager notre diffuseur national à présenter une émission spéciale d'une heure sur ce genre de progrès et sur les questions qu'il soulève. Nous devons non seulement sensibiliser les médecins, mais aussi les patients, et tout le monde, en fait. J'aimerais savoir ce que vous en pensez tous les deux. Croyez-vous qu'il s'agit d'un exercice utile? Je crois que des émissions sans substance sont diffusées à la télévision, alors que nous avons aussi la possibilité, grâce à notre diffuseur public, de présenter des choses qui pourraient être utiles pour éduquer les gens. J'aimerais que vous commentiez cela.

En deuxième lieu, j'aimerais revenir à la réalité présente. Aujourd'hui, un patient subit une biopsie, et celle-ci est évaluée par un pathologiste. Y a-t-il des hôpitaux ici au pays où les pathologistes ont accès à IBM Watson ou à une autre forme d'intelligence artificielle pour arriver au meilleur diagnostic?

M. Prakash : Dans le cas de votre première question, je crois définitivement que oui. Il faut absolument que le gouvernement fasse davantage d'efforts pour éduquer les gens concernant le futur et ce qu'il signifiera pour eux. J'irais plus loin qu'une émission de télévision et je dirais que nous devrions intégrer cela dans les programmes scolaires de la maternelle à la 12e année.

Mon collègue s'intéresse surtout à la coexistence avec les robots. Nous sommes tous des êtres humains, mais les enfants et les adolescents qui sont diplômés des écoles secondaires ou des universités, contrairement à nous, doivent se rallier à l'idée qu'il y aura des robots. Dans 10 ou 15 ans, il se peut que l'on coexiste avec des robots. Impossible de savoir. Les jeunes doivent donc être au courant de ce qui se produit dans la société et comment cela la transformera. Cela leur procure un avantage concurrentiel, en fin de compte, dans leur recherche d'un emploi.

Pouvez-vous répéter votre deuxième question?

La sénatrice Raine : Dans le scénario présent, lorsque le pathologiste examine la biopsie, a-t-il accès à l'intelligence artificielle?

M. Prakash : Nombre des progrès que j'ai mentionnés se limitent encore aux laboratoires des universités. Ils en sont encore au stade des rapports, de l'expérimentation. Toutefois, selon un rapport de Harvard, le travail des pathologistes et, je crois, des radiologistes, pourrait être automatisé d'ici 15 à 20 ans. On y arrive. À ma connaissance, il n'y a pas d'hôpitaux à l'heure actuelle qui utilisent activement l'intelligence artificielle, plutôt que d'avoir recours à des êtres humains, mais si de tels hôpitaux existaient, ils continueraient d'être supervisés par des humains, qui continueraient d'approuver la façon dont les choses se font. J'espère que cela répond à votre question.

M. Mesko : Merci beaucoup pour la première question. Elle est très intéressante. Aucune technologie ne pourra modifier les soins de santé si, à l'échelle de la société, nous n'avons pas une idée de ce qui arrivera par la suite. Je crois qu'un tsunami de changements technologiques se dirige vers nous et que si cette vague nous frappe maintenant et submerge le système de santé que nous avons mis des milliers d'années à perfectionner, nous nous retrouverons en présence de services dénués d'émotions, sans interactions humaines. Nous sommes des êtres sociaux et nous avons besoin d'interactions. Plus nous nous préparons aujourd'hui, mieux nous pourrons utiliser les technologies de façon appropriée pour faire une réelle révolution culturelle, et non pas une révolution uniquement technologique.

En ce qui a trait à votre deuxième question, je n'ai pas accès à ces renseignements. IBM Watson est actuellement utilisé aux États-Unis, uniquement dans des centres d'oncologie. Comme ce système est encore très coûteux à acquérir pour un établissement, il est seulement disponible à l'échelle nationale, dans ce cas, les États-Unis.

Par ailleurs, même pour ce qui est d'IBM Watson, on ne parle pas d'intelligence artificielle. Il s'agit plutôt d'une intelligence artificielle limitée. Pour être bien clairs, nous sommes encore à des années, et peut-être même une décennie, de la véritable intelligence artificielle.

Le président : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Neufeld : Il y a des questions d'adaptation dont vous discutez avec le gouvernement. Notre système de santé au Canada est très axé sur le gouvernement. Du point de vue fédéral, il n'est pas possible pour les provinces de faire bande à part, au risque d'avoir des problèmes à obtenir du financement.

Tout au long de ma vie, j'ai été convaincu que les gouvernements sont parmi les plus lents à s'adapter à la nouveauté, particulièrement du genre de celle dont vous parlez. Je crois que dans les pays où il n'y a pas de système de santé gouvernemental, on progressera beaucoup plus rapidement que nous au Canada, simplement en raison de cela. J'aimerais avoir votre impression à ce sujet.

En Saskatchewan, il se passe de toute évidence des choses. Est-ce qu'il en va de même dans d'autres provinces, ou vous êtes-vous adressé aux responsables de la santé du gouvernement fédéral ou des provinces pour leur parler de ce que vous avez abordé avec nous aujourd'hui? Je ne doute pas que vous l'ayez fait, mais je ne suis pas très familier avec le domaine. Les gouvernements prennent-ils actuellement des mesures en ce sens? Vous écoutent-ils? Sont-ils même intéressés, ou le domaine est-il entièrement nouveau pour eux, comme il l'est de toute évidence pour moi, mais peut-être pas pour d'autres présents ici aujourd'hui.

M. Prakash : Je crois que cela va dans le sens des points soulevés par vos collègues, à savoir le rôle que le gouvernement va jouer. À l'heure actuelle, le système de santé est une responsabilité gouvernementale, mais nous devons réellement nous demander pourquoi il en est ainsi. Est-ce parce que si vous devez entreprendre une démarche aujourd'hui, vous devez rester à l'intérieur des paramètres du système de santé pour y arriver, qu'il s'agisse d'un médecin, d'un pharmacien, d'une chirurgie, peu importe, si vous ne voulez pas payer? Si vous êtes disposé à payer, vous avez d'autres options.

Dans le cas d'une offre de service de type Netflix, comme pour les consommateurs de la Chine, des États-Unis, de la Corée du Sud, tout a trait à la façon dont le gouvernement emboîte le pas. À l'heure actuelle, le gouvernement peut limiter la marge de manœuvre des consommateurs. Si le gouvernement devait déclarer illégaux certains médicaments, les consommateurs ne pourraient pas y accéder légalement. Demain, toutefois, si un patient a accès à l'intelligence artificielle aux États-Unis, et peut obtenir un diagnostic, au moyen d'images, d'un biocapteur ou de quelque chose d'autre, cela modifiera complètement le rôle du gouvernement.

Le sénateur Neufeld : Avez-vous fait des présentations à Santé Canada? Avez-vous soumis ces idées à d'autres provinces au Canada? Y a-t-il quelqu'un au gouvernement qui se penche sur ces questions dans votre perspective? C'est la question que je me pose. Si rien de cela ne se passe, je suis inquiet.

M. Prakash : Personnellement, je n'ai pas fait de présentations à ni l'une ni l'autre des organisations que vous avez mentionnées, ce qui fait que je ne peux pas commenter leur réceptivité à ce sujet.

Votre question était la suivante : les gouvernements qui contrôlent le système de santé auront-il besoin de plus de temps pour intégrer ces technologies que ceux qui ne le contrôlent pas? Ma réponse est la suivante : les gouvernements qui n'ont pas de stratégie en matière de robotique en général, peu importe leur système de santé, seront plus lents à intégrer la robotique que les gouvernements qui en ont une. En Chine, d'ici 2020, les personnes âgées représenteront 30 p. 100 de la population. Elles sont actuellement à 12 p. 100. Dans ce pays, on investit beaucoup dans les robots à des fins médicales pour tenir compte de ce phénomène.

Statistique Canada a indiqué qu'en 2015, le nombre de personnes de 65 ans et plus au Canada sera supérieur à celui de jeunes de moins de 15 ans. On compte actuellement plus de personnes âgées que d'enfants au Canada. Le gouvernement a-t-il une stratégie en matière de robotique pour les personnes âgées? Non, il n'en a pas.

M. Mesko : En ce qui a trait à votre question concernant l'assurance-maladie privée ou les soins de santé privés, par rapport aux soins de santé pris en charge par le gouvernement, je crois que si nous fournissons à un patient les options de traitement, les technologies, la réalité virtuelle et l'intelligence artificielle les plus modernes aujourd'hui, sans l'aide de professionnels, cela ne résoudra pas ses problèmes. Même en présence des meilleures solutions technologiques, nous avons besoin de l'expertise, de la vision et du point de vue des professionnels de la santé. Lorsqu'il y a un bon système de santé de base, comme au Canada, l'ajout de ces technologies représente un avantage supplémentaire, mais ne remplacera rien qui existe déjà dans le système.

Je ne tiens pas ce discours parce que je suis devant vous aujourd'hui, mais s'il y a un endroit où la probabilité est la plus forte de gagner la course dans le domaine de la santé numérique, c'est au Canada, en raison du bon système de santé qui existe déjà, et des probabilités d'y intégrer des technologies de rupture. Si cela n'est pas fait à temps, grâce à quelques mesures audacieuses pour l'avenir, les patients trouveront ce qui leur convient. Ils n'attendront pas l'avènement d'une bonne réglementation, dans 15 ans, parce qu'il se peut qu'ils ne soient plus là dans 15 ans. Ils seront constamment à la recherche d'options en ligne concernant leur santé, et ils trouveront de l'information par l'entremise des médias sociaux. Ils auront recours au socio-financement pour obtenir les sommes dont ils ont besoin pour que leur traitement devienne réalité. Ils chercheront des solutions, tant qu'ils n'en auront pas trouvé, parce qu'aujourd'hui, avec la santé numérique, les possibilités sont infinies.

Le président : Monsieur le sénateur, je crois que vous avez mis le doigt sur un élément qui fait ressortir la valeur de l'étude que nous menons. En fait, nous pouvons nous considérer comme futuristes à cet égard, à notre manière.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie de votre présence ici. J'ai une question qui va nous amener dans une direction différente. J'ai été impressionnée par tout ce que vous avez dit et par toutes les images que vous avez fait surgir dans nos esprits pour l'avenir; impressionnée et un peu inquiète, je dois l'admettre.

Pour moi, les avantages au chapitre de la performance que nous pouvons tirer de cela sont très clairs. Je le vois, particulièrement avec les exemples que vous avez mentionnés. Peut-être que M. Prakash pourrait répondre en premier. Vous avez donné l'exemple d'un hôpital uniquement doté de robots, sans humains, et du genre d'interactions que cela suppose pour les personnes âgées, et ainsi de suite. Est-ce que nous nous y préparons? Y a-t-il des groupes d'études ou des études ou des évaluations psychologiques concernant les répercussions sociales et psychologiques ou les contrecoups de ce genre de technologies?

M. Prakash : La question est très bonne. Je suis sûr qu'il existe des groupes qui font cela, mais je n'en ai jamais rencontré moi-même.

Vous avez soulevé un point extrêmement important, à savoir que les démarches pour automatiser le travail suscitent des contrecoups. Et que penser de l'automatisation des tâches des médecins ou des infirmières? En Belgique, dans un hôpital, on a commencé à utiliser Pepper, un robot japonais d'une compagnie appelée SoftBank Robotics. Il est très intelligent. On a commencé à l'utiliser comme réceptionniste. Lorsque vous entrez dans cet hôpital, vous voyez un robot à la réception, qui peut vous indiquer où aller. Il peut aussi vous y amener. Il peut vous identifier selon votre âge. Ce genre d'hôpital automatisé arrive lentement, mais on n'en est pas encore à l'hôpital entièrement automatisé. On ne verra pas ça dans 5 ou 10 ans, mais plutôt dans 15 ou 20 ans.

Je n'ai pris connaissance d'aucune étude portant sur les répercussions sociales et économiques ou les exigences en matière de réglementation. Selon les données dont je dispose, au cours des 14 dernières années, on a enregistré 144 décès et plus de 1 000 blessures en raison de la robotisation des interventions chirurgicales aux États-Unis, ce qui fait que des règlements en matière de sécurité doivent être mis en place aussi, lorsque des gens subissent une intervention chirurgicale, pour le cas où ils seraient brûlés ou blessés par accident, ou si quelque chose d'autre se produisait. J'espère que cela répond à votre question.

M. Mesko : Je crois que la question est plus futuriste que j'aimerais qu'elle le soit. En tout respect, je crois que le réel défi auquel vous faites face n'a pas tant trait aux conséquences de la présence d'hôpitaux uniquement dotés de robots. Si cela devait arriver, ce serait beaucoup plus tard. Le réel défi auquel vous faites face en tant que gouvernement aujourd'hui est que nombre de patients décèdent des décennies plus tôt parce que vous n'avez pas accès aux données sur leur santé. Vous ne faites rien pour leur venir en aide avec des données automatisées pour prédire les maladies, encore une fois des décennies plus tôt. Vous ne leur permettez pas de s'occuper de façon proactive de leur propre santé.

Je suis heureux de parler d'un futur de science-fiction, de la situation dans 30, 40 ou 50 ans d'ici, mais nous sommes encore aux prises avec des problèmes d'accès pur et simple à nos propres dossiers médicaux dans nos établissements de santé. Je ne parle pas de robots et d'intelligence artificielle, mais seulement de l'accès à mes propres données, afin que je puisse m'en servir pour prendre des décisions concernant mon mode de vie et ma situation. À partir de là, lorsque des données numériques sur la santé seront disponibles, nous pourrons commencer à penser au futur lointain, aux robots, aux algorithmes et à cette impressionnante science-fiction, comme les hôpitaux entièrement automatisés.

Le président : Avant de passer à la deuxième ronde, j'aimerais revenir un peu sur ce qui s'est dit. Tout d'abord, en ce qui a trait au dernier commentaire, le sénateur Dean a soulevé une question hier, mais je l'ai interrompu et nous sommes passés à l'intelligence artificielle et aux dossiers médicaux et dossiers de santé électroniques. C'est pourquoi j'aimerais consigner au compte rendu que, de l'avis de ce comité, le Canada a bien mal dépensé des milliards de dollars pour tenter de créer des dossiers médicaux électroniques. Le dossier médical électronique est le dossier de santé complet que nous souhaitons avoir. Le dossier médical électronique est le dossier du bureau de médecin. Comme je l'ai dit, nous avons dépensé des milliards de dollars et nous avons talonné l'organisme gouvernemental qui est responsable de cela pour qu'il fasse progresser cet enjeu critique, parce que pour moi, il est absolument essentiel aujourd'hui que ce type de dossier soit disponible sans parler de l'avenir.

Je me suis penché sur cela un peu en dehors de ce comité, et il me semble que le problème le plus grave est l'obsession au sujet de la protection des données. Au Canada, nous avons une fascination absolue pour la protection des données; toutefois, nous communiquons toutes nos données fiscales à un système dont nous savons qu'il est... et dans lequel on retrouve beaucoup plus de données que dans un dossier de santé.

Étant donné que le sénateur Dean a soulevé cet aspect, et qu'il est ressorti aujourd'hui, je voulais mettre tout cela en perspective, afin de déterminer où nous nous situons. Nous avons soutenu qu'il s'agit d'un enjeu essentiel, et nous avons fait des recommandations sérieuses, dans le cadre de certains de nos rapports sur ce domaine particulier.

J'aimerais revenir à notre question d'aujourd'hui. Une chose est ressortie pendant cette séance, et ressort dans les discussions concernant les répercussions futures de l'intelligence artificielle, soit la possibilité que des millions de personnes se retrouvent sans travail, c'est-à-dire que des emplois existants soient abolis; des emplois qui ne sont plus nécessaires parce qu'ils sont remplacés par des robots ou une forme ou une autre de technologie. La question est donc la suivante : si des millions de personnes se retrouvent, disons-le simplement, en chômage et que des emplois qui génèrent des impôts sont éliminés, comment les gouvernements financeront-ils les conséquences? Cela veut dire, fournir les services dans un monde d'intelligence artificielle, d'une part, et prévoir un nouveau mode de vie, parce que le mode de vie des personnes qui se retrouveront sans emploi changera de façon marquée, initialement à tout le moins. La situation sera beaucoup plus complexe que cela, mais il s'agit de concepts que nous pouvons comprendre aujourd'hui. La question est donc, comment y arrivera-t-on?

J'aimerais vous faire une suggestion directe pour centrer la discussion, et je m'adresserai à M. Prakash en premier. Pourquoi ne pouvons-nous pas envisager un avenir où des taxes seront imposées aux robots? Les gouvernements, nous le savons, sont terriblement mauvais en matière d'innovation, mais ils devront faire un effort en ce sens dans ce domaine. Pourquoi ne pourraient-ils pas mettre au point un nouveau régime d'imposition innovateur et futuriste, permettant de tirer des revenus des technologies à la source même des perturbations sociales?

M. Prakash : Monsieur le sénateur, la réponse est facile : lisez mon livre. C'est aussi simple que cela. J'ai abordé tous ces aspects dans mon livre, qui résume bien ma pensée.

Pour répondre à votre première question concernant la protection des données, comme je l'ai mentionné au début, la Finlande a procédé à la numérisation de toutes les données sur les patients au cours des 30 dernières années. Cela lui permet de prédire les problèmes de santé; on parle d'un système de santé préventif.

Est-ce que nous sommes tous familiers avec le terme « chaîne de blocs »? Une chaîne de blocs est un genre de grand livre numérique qui enregistre des opérations. Si ce sénateur retire 5 $, cela sera consigné. Si cette sénatrice dépose 10 $, cela sera consigné. Il s'agit d'un grand livre numérique, accessible à tous et complètement transparent. La transparence que l'on envisage pour l'avenir. Aux États-Unis, IBM a établi un partenariat avec la Food and Drug Administration, afin d'utiliser des chaînes de blocs pour conserver de façon sécuritaire les données des patients. Ce n'est là qu'un exemple de ce qui se passe dans le grand domaine de la protection des données.

Parmi les autres points à considérer figure le fait qu'un robot humanoïde ne risque jamais d'être absent, si vous y pensez bien. Si l'objectif est d'aider les personnes âgées, d'administrer des médicaments ou d'apporter des repas ou, si le robot est doté d'une caméra, de pouvoir communiquer avec les gens, ce robot sera toujours en fonction et vous surveillera sans arrêt. D'abord, comment est-il possible de sécuriser ces données? En deuxième lieu, qu'arrive-t-il si c'est un gouvernement étranger qui a ces données en sa possession? Si le robot est japonais, c'est une compagnie japonaise qui aura accès à ces données. Cela signifie-t-il que le Canada devra légiférer sur ce que la Chine a fait et mandater des compagnies pour conserver ces données en Chine? Est-ce que c'est cela que le Canada devrait faire? Je ne sais pas, je ne fais que mentionner la chose.

En ce qui a trait à l'automatisation, 85 p. 100 des emplois sont à risque en Éthiopie; 49 p. 100 aux États-Unis; 50 p. 100 au Royaume-Uni; 42 p. 100 au Canada; 48 ou 49 p. 100 en Allemagne. Au début du mois de janvier, une compagnie d'assurances du Japon a mis à pied 34 personnes et les a remplacées par IBM Watson. Je ne parle pas de quelque chose qui se produira dans 15 ou 20 ans, mais plutôt de quelque chose qui est arrivé il y a quelques semaines.

Je crois que nous devrons prendre des mesures pour nous occuper de la question de l'automatisation. Qu'est-ce que le gouvernement devrait faire? Est-ce que l'imposition de taxes aux robots est une bonne idée? La question est plutôt la suivante : si une entreprise de l'étranger installe ses activités ici, disons une entreprise allemande qui installe ses activités et ses usines ici et utilise uniquement des robots, et si on impose des taxes à cette entreprise, qu'est-ce qui l'empêchera, dans 24 mois, de partir? Ou qu'est-ce qui empêchera le gouvernement allemand de taxer les compagnies canadiennes qui ont des activités en Allemagne? Oui, nous pouvons parler d'une taxe sur les robots et nous pouvons parler de l'imposition de taxes aux robots industriels, bras mécaniques ou autres innovations, mais chaque choix que nous faisons comporte des ramifications.

Le président : Je pense à des façons de contourner cela, mais je n'en débattrai pas aujourd'hui. Je demande donc au Dr Mesko d'intervenir.

M. Mesko : Je continue de croire que les pirates informatiques s'intéressent davantage aux détails de mon compte de banque qu'aux mesures de ma tension artérielle sur mon téléphone intelligent. De toute évidence, la protection des renseignements personnels est la question la plus importante, même si les dossiers médicaux ne représentent que la première étape. Les personnes font face à des défis plus grands. En Islande, on a séquencé les génomes de dizaines de milliers de patients. Cela signifie que des données sur leur ADN sont disponibles. Le gouvernement a utilisé des algorithmes d'intelligence artificielle pour exploiter ces données, et le défi auquel il fait face aujourd'hui est qu'il peut dire à de nombreux patients qu'ils pourraient avoir un cancer du sein ou un cancer de l'ovaire plus tard, selon leur profil d'ADN. Toutefois, la décision de révéler ou non ces faits aux patients représente une réelle question d'éthique. La protection des renseignements personnels est de toute évidence énormément importante.

En ce qui a trait à votre deuxième question, qui est réellement futuriste, et je suis d'ailleurs moi-même un amateur de science-fiction, j'en mange littéralement, nous devons nous rappeler que lorsque l'automatisation supprime des emplois sur le marché, elle en crée aussi d'autres, dont les titulaires peuvent jouer de nouveaux rôles. Beaucoup de patients ont besoin d'empathie, et ces personnes peuvent en faire preuve à leur égard. Même si les décisions pénibles ont été prises par des machines et des professionnels de la santé, on aura besoin d'un nouveau type de travailleurs de la santé. Nous aurons des stratèges de vie, qui pourront aider les patients à utiliser les données dont ils disposent au sujet d'eux-mêmes pour prendre des décisions judicieuses quant à leur mode de vie. On aura besoin de personnes qui peuvent réparer ces robots, qui peuvent concevoir des interactions d'un agent conversationnel avec l'intelligence artificielle, qui peuvent concevoir des imprimantes 3D et des organes pour les gens, des personnes qui peuvent assister les patients et les aider à se démêler dans toutes les données de santé disponibles, au moment où ils auront à prendre de nombreuses décisions concernant le traitement à choisir ou le diagnostic à utiliser. C'est donc dire qu'un tout un nouveau marché s'ouvre pour de nouveaux genres d'emplois. Il s'agit là de l'essence même de la rupture; elle n'est pas linéaire, mais exponentielle. Lorsqu'elle élimine des choses, elle en crée aussi de nouvelles.

M. Prakash : Ces observations sont très judicieuses. Je suis entièrement d'accord.

J'aimerais mentionner un premier point, à savoir qu'au Canada, on prévoit que 42 p. 100 des emplois risquent d'être automatisés. Dans une autre étude, on parle de 7,5 millions d'emplois.

Disons que ces études se trompent. Elles nous projettent 15 ou 20 ans en avant, mais disons qu'elles ont un taux d'erreur de 50 p. 100. Quelle que soit l'étude, la diminution est quand même considérable. On parle encore de la disparition de trois à quatre millions d'emplois. Il est probable, comme pour les vagues passées d'automatisation, que de nouveaux emplois seront créés, mais je ne sais pas si leur nombre atteindra quatre millions. Même si ce n'est qu'une fraction de ces projections qui se concrétisent, on parle encore d'un nombre important.

Le président : J'aimerais beaucoup continuer à parler de cela, mais nous allons passer à la deuxième ronde.

Le sénateur Meredith : Ma question s'adresse à vous deux. Elle concerne la réglementation intelligente. Docteur Mesko et monsieur Prakash, vous parlez du secteur privé et du gouvernement qui vont de l'avant et qui ne laissent personne derrière lorsqu'il s'agit d'adopter ces innovations. Pouvez-vous me parler du lien que vous voyez entre la technologie qui est mise au point, les sociétés qui en sont propriétaires et la façon d'intégrer les deux pour inciter les gouvernements à veiller à ce qu'une réglementation intelligente soit mise en œuvre dans les faits, et pouvez-vous me mentionner les avantages que cela comporte pour les Canadiens, du point de vue tout d'abord des soins de santé appropriés pour les personnes? Le diagnostic est là, les statistiques sont là; il faut faire le pont et utiliser la technologie et avoir recours à ces entreprises.

Lorsque je vais à l'hôpital, j'obtiens rapidement un diagnostic, je reçois un traitement et ces services sont facturés. Dès le départ, les compagnies d'assurances les facturent. Quel est leur rôle? Quelle est leur responsabilité?

M. Mesko : Je vous remercie de votre question. Comme nous l'avons dit précédemment, il est possible aujourd'hui d'imprimer et réaliser des tissus vivants en 3D, des tissus réels à partir d'organes, alors qu'il y a cinq ans, on pensait que c'était de la science-fiction. L'entreprise que j'ai mentionnée dans mon rapport, Organovo, a commencé à travailler à l'impression de tissus du foie, qui peuvent fonctionner comme un foie. Les responsables savaient qu'ils n'avaient aucune chance d'obtenir l'approbation de la FDA, en raison de la nouveauté de la technologie qu'ils mettaient au point, mais ils ont continué d'insister auprès de celle-ci pour qu'elle commence à tout le moins à tenir des ateliers pour les entreprises, en mettant l'accent sur l'impression 3D. En 2015, la FDA a tenu un atelier axé sur l'impression 3D à l'intention des entreprises, et ces dernières ont commencé à collaborer et à travailler étroitement avec elle pour comprendre ce que l'on attendait d'elles, afin de pouvoir créer des produits susceptibles d'être approuvés par la FDA en dernier ressort. La FDA souhaitait comprendre en quoi consistait la technologie, qui était nouvelle pour elle. Elle a dû comprendre les détails et apprendre comment établir son propre cadre pour être prête le plus rapidement possible, pour le cas où la technologie serait appliquée. On a annoncé, il y a quelques mois, que dans trois ou quatre ans, les premiers tissus biologiques imprimés au moyen d'une imprimante 3D pourraient obtenir l'autorisation de la FDA.

C'est ainsi que cela fonctionne. Les entreprises intelligentes font progresser la réglementation, et les responsables intelligents de la réglementation souhaitent comprendre comment la technologie fonctionne, parce qu'ils veulent obtenir les meilleures options de traitement possible pour leurs patients.

M. Prakash : Mon collègue et moi avons parlé de nombreuses technologies différentes, de nombreuses applications différentes. Laissons tout cela de côté pendant un moment et pensons uniquement à l'intelligence artificielle utilisée pour les diagnostics. Je l'ai dit auparavant, l'intelligence artificielle permet de prendre des images. Attardons-nous seulement à cet aspect.

J'ai moi aussi une question pour vous, ainsi que pour le reste du comité et le gouvernement canadien : Pourquoi une compagnie devrait-elle collaborer avec vous? Si une compagnie adopte un modèle d'affaires de la même façon qu'Uber l'a fait, pourquoi devrait-elle collaborer avec vous? Si une compagnie est installée aux États-Unis et offre cette technologie pour 10 $ par mois ou 20 $ par mois ou 1 000 $ par mois, et que les gens au Canada sont disposés à payer un tel montant, comment pouvez-vous les arrêter? Imposez-vous une taxe à Netflix, ce qui, je crois, a été proposé récemment? Pourquoi devraient-elles collaborer avec vous? Doivent-elles le faire?

Ma réponse est la suivante : non, elles n'ont pas à le faire au départ. Elles n'ont pas à collaborer avec vous au départ, à moins que des manifestations se tiennent à leur siège social, ou que la violence gronde, ou quelque chose comme cela. Quels incitatifs le gouvernement canadien devrait-il offrir pour aider ces entreprises en démarrage ou ces grandes entreprises à collaborer avec lui lorsqu'elles proposent ces modèles d'affaires?

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Merchant : Monsieur Prakash, vous avez mentionné cela plus tôt dans votre présentation. La technologie progresse très rapidement et les choses changent sans arrêt. Je pense au téléphone cellulaire, aux choses qui nous sont familières, ainsi qu'au fait que presque tous les mois, un nouveau téléphone cellulaire voit le jour, qui est supérieur au précédent.

Qu'adviendra-t-il de ces robots? Devra-t-on les remplacer constamment? Serons-nous en mesure de suivre le mouvement? Il se peut que l'hôpital de Regina ne puisse pas remplacer ces choses, et il se peut aussi que le médecin aux États-Unis ne veuille pas utiliser le modèle que nous avons à Regina.

Qu'entrevoyez-vous pour l'avenir? Comment envisagez-vous cela? Les entreprises vont vouloir faire de l'argent. Il y aura beaucoup de publicité de tous les genres : voici un meilleur modèle, essayez-le. Puis, les gens diront : « Je ne veux pas aller à l'hôpital à Regina parce qu'ils n'ont pas la dernière technologie. » Je devrais pouvoir aller ailleurs, à Ottawa ou à Toronto, par exemple. Lorsque vous envisagez l'avenir, que se passera-t-il selon vous?

M. Prakash : J'étais au Danemark l'année dernière, et j'ai visité une compagnie importante de robotique. Cette compagnie vend un bras robotisé aux usines. Ce bras n'est pas garanti. Votre question est donc très valide, et la vraie réponse est qu'il n'y a pas de réponse.

S'il s'agit d'un modèle d'affaires, des nouveaux robots seront produits constamment, lorsque les entreprises le souhaitent et de la façon dont elles le souhaitent. C'est là toutefois que je perçois la robotique comme un service pour lequel, comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, vous pouvez payer des frais mensuels, plutôt que d'acheter un robot, une façon de faire qui prendra de plus en plus de place. Par exemple, à Toronto, l'hôpital Humber River a commencé à utiliser des robots pour mélanger les médicaments chimiothérapeutiques, pour déplacer des fournitures, et cetera. Cela lui coûte probablement des millions de dollars, voire davantage. S'il pouvait simplement dépenser 10 000 $ par mois ou 20 000 $ par mois pour obtenir la nouvelle version lorsqu'elle devient disponible, l'incitatif serait beaucoup plus grand que de dépenser toute la somme au début.

Oui, les entreprises vont continuer de produire de nouveaux robots. Comme je le dis aux gens, nous allons commencer à voir la robotique comme faisant partie intégrante de la vie à partir de maintenant. À cet égard, nous allons commencer à voir des robots de plus en plus perfectionnés. Donc, oui, de nouveaux robots continueront de voir le jour. Je crois donc que la robotique en tant que service sera la démarche à adopter.

Le président : Je suis d'avis qu'il s'agit là d'un bon exemple de l'évolution des pratiques existantes. Prenons la location d'automobiles, qui vous permet d'échanger votre véhicule sur une base régulière, et de plus en plus souvent, grâce aux promotions offertes pour que vous passiez à un nouveau modèle. Je crois donc que vous nous avez donné un bon aperçu de la façon dont cela pourrait être abordé d'un point de vue pratique.

M. Prakash : Une dernière chose : j'imagine que vous pensez à des robots physiques. Nous parlons de robots physiques. Si c'est de cela qu'il s'agit, évidemment, ils doivent être remplacés. Mais lorsque l'on parle d'intelligence artificielle, de l'IA au service de la médecine, il se peut bien qu'il ne soit plus nécessaire de dépenser. C'est comme Netflix qui met sans cesse à jour son catalogue. Il y aura sans doute une mise à niveau constante des capacités et des algorithmes.

Le président : Les données biométriques sont mises à jour sur une base régulière.

[Français]

La sénatrice Mégie : J'aimerais parler de la fabrication des organes en 3D. Je sais que la technologie n'est pas encore au point, mais ça viendra. A-t-on pensé au phénomène de rejet? Quand on fait une transplantation d'organe d'humain à humain, la personne doit prendre plusieurs médicaments très dispendieux et recevoir un suivi médical régulier, car, si l'organe est rejeté, c'est terminé.

Dans les critères de fabrication en 3D, a-t-on pensé à la tolérance du corps au produit, comme à l'encre, au papier ou au plastique?

[Traduction]

M. Prakash : Oui, j'ai pensé au rejet. Je soulèverai un autre point à la fin.

Dans une université aux États-Unis, on fabrique ce que l'on appelle un os hyperréaliste au moyen de l'impression 3D. À l'heure actuelle, si vous avez besoin d'une transplantation osseuse, on utilise des greffons osseux pris ailleurs dans le corps. Ces greffons comportent des cellules souches. Ces dernières peuvent automatiquement se reproduire. Le problème est de le faire au moyen d'une imprimante 3D, mais on y est arrivé. Cela repose sur ce dont mon collègue a parlé en ce qui a trait à l'échafaudage.

J'aimerais soulever une autre question relativement à l'impression 3D. Si les gens peuvent imprimer des organes en 3D, et on est encore bien loin de cela, comment la réglementation sera-t-elle assurée par le gouvernement? Nous verrons émerger un nouveau marché noir. Nous allons assister à un trafic d'impressions en 3D de reins, de foies, de cœurs, et cetera. Il est bien de penser que l'impression 3D en arrivera à un stade où tous pourront se la permettre, mais si les machines continuent de coûter 500 000 $ ou 1 million de dollars, je crois que nous allons voir un immense marché noir émerger. Le comité pourrait en discuter plus tard, mais il faut y penser.

M. Mesko : Je crois que les entreprises qui procèdent à l'impression biologique en 3D seraient très heureuses de s'occuper du problème de rejet aujourd'hui, parce que cela signifierait qu'elles ont déjà des tissus d'organes fonctionnels à mettre en marché, ce qui n'est pas le cas. Il faudra une ou deux décennies pour y arriver, malgré les nouvelles recherches qui sont axées sur un enrobage nanométrique permettant de prévenir les rejets, même si cet organe ne provient pas d'une cellule souche du patient. Encore une fois, nous parlons de quelque chose qui n'arrivera pas de sitôt. On continue de mettre l'accent sur la création de tissus d'organes qui peuvent fonctionner comme des organes humains, et cela présente encore un défi énorme.

Le président : Est-il possible que, dans certains des exemples que vous avez donnés concernant les approches en matière d'organes fonctionnels, les cellules du patient puissent être recueillies et multipliées, puis servir d'encre? Si des cellules et d'autres tissus du patient étaient clonés et intégrés dans le processus, cela ne contribuerait-il pas à résoudre le problème?

M. Mesko : Je crois que c'est absolument possible, même si je n'ai pas de formation de biologiste moléculaire. Je continue de croire que la création de la structure tridimensionnelle dans laquelle les cellules communiquent les unes avec les autres, comme dans un organe, pose un problème beaucoup plus important qu'une telle création à partir des cellules souches du patient. Ce sont les défis structurels qui sont les plus importants maintenant.

Le président : Absolument. Je vous remercie beaucoup.

La sénatrice Seidman : Cette question s'adresse peut-être davantage à vous, monsieur Prakash. Dans l'ensemble des dépenses nationales en R-D sur les robots, l'intelligence artificielle et l'impression 3D, quelle est la proportion consacrée au domaine des soins de santé? Y a-t-il des interactions entre les industries, ou celles-ci fonctionnent-elles de façon isolée?

M. Prakash : Je vais aborder cela dans une perspective mondiale. Sommes-nous tous familiers avec le terme densité de robots? La densité de robots sert à mesurer les progrès d'un pays en matière de robotique. Il s'agit essentiellement du nombre de robots pour 10 000 travailleurs. C'est cela que l'on appelle la densité de robots.

À l'heure actuelle, le Japon, la Corée du Sud et l'Allemagne viennent en tête à ce chapitre. Le Canada est loin derrière. Lorsque l'on parle d'investissements gouvernementaux à l'heure actuelle, la Corée du Sud vient de révéler un investissement de 5,8 milliards de dollars américains en robotique et en intelligence artificielle. L'objectif premier est l'automatisation industrielle, ainsi que le travail en usine et l'automatisation de ce dernier.

Je n'ai jamais entendu parler d'un gouvernement qui investit des milliards de dollars uniquement pour des robots servant aux soins de santé, même si je pense, et c'est là mon humble opinion, que la Chine le fait, parce que l'une de ses provinces a prévu 150 milliards de dollars pour la robotique. Par suite du vieillissement de la population, je crois que Beijing investira dans des robots pour les soins de santé. Toutefois, il est difficile de savoir où se situent ses investissements. Ce domaine fait encore l'objet de censure.

M. Mesko : Lorsque l'on regarde les entreprises en démarrage les plus innovatrices à l'échelle mondiale, je dirais, selon mon expérience, mais je n'ai pas d'études à ce sujet, que moins de 10 p. 100 d'entre elles se concentrent sur les soins de santé. Même celles qui sont purement technologiques pourraient s'attaquer au domaine de la santé, parce qu'elles voient les occasions qui s'offrent, mais elles s'inquiètent de toute la réglementation et des limites, ainsi que de la réticence des médecins et de la difficulté à convaincre les patients de changer leur mode de vie.

Même Google a échoué dans ce domaine. Google a lancé Google Health, il y a environ sept ou huit ans, en affirmant qu'il s'agissait de la solution ultime en matière de dossiers médicaux à l'échelle mondiale. Nous savons que cette entreprise peut proposer des solutions mondiales dans de nombreux domaines, mais dans celui-là, elle a échoué très rapidement. Elle s'est rendu compte qu'il s'agissait d'un marché dans lequel elle ne voulait pas encore plonger.

L'année 2017 pourrait bien être celle où un géant technologique commencera à mettre au point quelque chose de réellement impressionnant dans le domaine des soins de santé. Je sais que la compagnie mère de Google est devenue Alphabet l'an dernier, et qu'Alphabet a commencé à investir dans des entreprises qui sont axées sur les technologies des soins de santé, mais avec le savoir et les ressources de Google.

Par exemple, elle vient de signifier vouloir mettre au point un nouveau système de robot chirurgical. Elle collabore avec la compagnie pharmaceutique Johnson et Johnson. Il pourrait s'agir du premier concurrent du système chirurgical da Vinci, qui est utilisé depuis de nombreuses années.

Nous savons donc que les géants technologiques tentent de trouver des solutions en matière de soins de santé, mais aucun d'entre eux ne consacre suffisamment d'attention, d'argent et de ressources humaines à cela.

M. Prakash : Il y a aussi des investissements indirects dans les soins de santé. La stratégie officielle du Japon à cet égard s'appelle New Robot Strategy. L'un des objectifs de cette stratégie est ce que l'on appelle une usine intelligente, c'est-à-dire une usine entièrement automatisée, qui fonctionne 24 heures par jour, 7 jours sur 7, sans l'intervention d'êtres humains. À l'échelle du Japon, peut-on s'attendre à ce que certaines de ces usines soient consacrées à la médecine? Est-ce que certaines seront consacrées à autre chose? Nous ne savons pas encore. Il y a aussi l'effet indirect.

Comme au Japon, avec IBM Watson qui a remplacé 34 employés il y a quelques semaines, tiendra-t-on compte de cela au moment de l'investissement en robotique et de l'automatisation des soins de santé? Cela peut avoir des effets indirects aussi.

La sénatrice Raine : J'aimerais que nous revenions à la situation actuelle. L'avenir est presque troublant. Nous semblons avoir de la difficulté à mettre au point de bons systèmes de dossiers de santé électroniques, des systèmes auxquels peuvent accéder non seulement tous les médecins, peu importe où vous vous trouvez au pays, mais aussi les patients. En Colombie-Britannique, nous avons un programme appelé my ehealth.

Il y a toujours un danger de dire que nous avons besoin d'un système universel, alors que c'est peut-être une façon de faire communiquer les différents systèmes entre eux dont nous avons besoin. Pour l'avenir, existe-t-il un domaine spécialisé qui permettrait que tous ces éléments communiquent entre eux?

M. Prakash : Vous parlez d'interopérabilité entre les différents systèmes, une question qui a déjà été soulevée. À l'heure actuelle, selon ce que je comprends, on s'y est attaqué dans le domaine militaire, en raison des progrès accomplis, comme ceux de la DARPA avec l'intelligence artificielle et les drones, ainsi qu'à la façon dont ces différentes technologies interagiront sur les champs de bataille. De quelle façon communiqueront-elles entre elles? Cela s'apparente à la question que vous vous posiez, à savoir le lien qui existe entre ces différents systèmes, et non pas seulement dans le domaine des dossiers de santé électroniques.

Par exemple, supposons qu'un robot ait été lancé le mois dernier ou soit lancé ce mois-ci, et qu'il soit destiné aux patients âgés. Vous l'apportez à la maison, vous le posez sur votre bureau et sa fonction est de vous administrer des médicaments lorsque vous en avez besoin. En plus, ce robot peut communiquer avec les professionnels de la santé et répondre à vos questions dans ce domaine. Vous avez donc un robot qui est préprogrammé avec ce logiciel, mais qu'arrive-t-il si demain, le professionnel de la santé en question est une IA? Comment le robot communiquera-t-il avec l'IA? La réponse est qu'il n'existe encore rien pour permettre cela, rien dont j'ai pris connaissance, mais nous devons résoudre ce problème.

La sénatrice Raine : Si toutes ces sociétés font ces percées, elles n'ont pas réellement de motivation à établir des liens entre elles.

M. Prakash : Oui et non. Comme mon collègue l'a mentionné, Elon Musk et quelques autres ont créé quelque chose appelé OpenAI, une source ouverte de création d'intelligence artificielle permettant que celle-ci se répande plus rapidement, plutôt qu'Apple crée une IA, que Microsoft crée une IA, et que tous fonctionnent isolément.

Nous verrons des entreprises collaborer sur la base d'objectifs communs. Un groupe d'intelligence artificielle vient d'être créé par différentes entreprises, afin de trouver des façons de réglementer l'IA. Quel est le code d'éthique s'appliquant à l'IA? Ces entreprises se sont regroupées pour déterminer cela.

Y aura-t-il un tel regroupement pour les soins de santé? Est-ce que les systèmes interagiront? Qui plus est, interagiront-ils avec les systèmes du gouvernement? Si le gouvernement utilise encore la version 1 et que les autres utilisent quelque chose d'autre, y a-t-il possibilité d'interconnexion? Je ne sais pas encore.

M. Mesko : La façon dont la question a été posée nous ramène à l'ancienne structure de la médecine et des soins de santé, dans laquelle un gouvernement, un établissement ou une compagnie d'assurance s'occupe de fournir les soins que les patients reçoivent. Toutefois, selon les tendances actuelles, la situation est différente. Je suis à peu près certain que je disposerai de tous mes dossiers médicaux, des résultats des tests génétiques que j'ai passés, dans mon téléphone intelligent, plus rapidement que ne le pourrait n'importe quel système de dossiers médicaux dans le monde.

La santé numérique est synonyme d'habilitation des patients. Je ne veux pas que mes données soient conservées ailleurs. Je veux posséder les données pour lesquelles j'ai payé, que ce soit au moyen de mes impôts ou des frais de services. Je veux utiliser mes données pour pousser l'analyse. Je veux avoir recours aux médecins, à une deuxième opinion et à l'intelligence artificielle pour continuer d'analyser mes données. Lorsque j'amène des résultats à mon professionnel de la santé ou mon médecin, je veux que nous soyons sur un pied d'égalité. Cela signifie que le système de dossiers médicaux doit se trouver au même endroit que les patients.

Le terme point de service est le terme que nous utilisons pour désigner l'endroit où le diagnostic ou les traitements ont lieu. Le point de service a servi à désigner les hôpitaux, les cliniques ou les cabinets de médecin pendant des centaines d'années. À l'avenir, le point de service sera le patient lui-même. Peu importe où il se trouvera, il pourra accéder à toute l'information, grâce à des services de santé automatisés ou à un téléphone intelligent, et il pourra même tirer davantage de conclusions à partir de cela.

Le président : Je vous remercie beaucoup tous les deux. Avant de résumer, s'il y a un point qui n'a pas été soulevé aujourd'hui et dont vous voudriez nous faire part en tant que message particulier ou sous forme d'observation générale, n'hésitez pas à le faire. Je vais commencer avec vous, docteur Mesko. Y a-t-il un point qui n'a pas été soulevé et dont vous aimeriez parler avant de partir?

M. Mesko : Il s'agit d'une faveur ou d'un plaidoyer. Dans mon travail, je mets constamment l'accent sur les tendances et les technologies qui modifieront pour le mieux les soins de santé. Je me penche sur la façon dont la révolution culturelle se produit. Si on se contente de mettre l'accent sur certaines technologies, cela ne donnera rien de bon pour les gens. Nous devons mettre l'accent sur la façon dont nous aidons les gens à comprendre les technologies, comment nous les aidons à les appliquer dans leur vie, et comment nous habilitons les patients à prendre leurs propres décisions avec l'aide des professionnels de la santé. Personne ne peut mieux prendre soin de votre santé que vous- même. C'est la possibilité que nous avons. Nous devons mettre des données entre les mains des patients et commencer à adopter une approche proactive.

Si vous vous penchez sur ce que les patients habilités au pays attendent de vous, ce qu'ils exigent de vous, vous êtes sur la bonne voie. Tout pays qui tient compte de ce que ces patients ont à dire, par l'entremise des médias sociaux, est sur la bonne voie. Les autres continueront de mettre la technologie à l'avant-plan.

Merci de m'avoir donné l'occasion de vous exposer ces questions aujourd'hui.

M. Prakash : Mon seul commentaire est de vous inciter à poursuivre ce que vous faites. Et ce message est destiné à vous tous. Ce comité tente de déchiffrer l'avenir et ce qu'il signifie pour le Canada. Il s'agit là d'une nécessité fondamentale. Si le gouvernement ne le fait pas et ne prépare pas le pays pour le faire, qui le fera? Poursuivez votre travail, et merci de m'avoir invité.

Le président : Merci beaucoup. Nous avons couvert de façon très intéressante de nombreux aspects de cette question essentielle.

J'ai été frappé par votre dernier commentaire, docteur Mesko, en ce qui a trait à l'information et à la disponibilité de l'information, mais nous devons adopter une façon de faire permettant aux patients de déterminer rapidement les sources d'information fiables.

Nous avons fait une étude récente sur la démence au Canada, domaine dans lequel il n'existe pas d'approche organisée pour aider les Canadiens aux prises avec cette maladie. Nous avons recommandé que le Canada mette sur pied une stratégie nationale dans ce domaine. Le défi pour une personne qui est atteinte de démence est de savoir où aller pour obtenir de l'information sur ce problème de santé. Si vous tapez démence dans Google, ce que j'ai fait hier matin, vous obtiendrez plus de 12 millions de résultats. Comment un patient peut-il, individuellement, lorsqu'il vient de recevoir un diagnostic, avoir une idée des étapes à suivre? Les résultats sur Google concernent principalement des annonces de médicaments pour cette maladie ou d'autres publicités.

Dans ce cas particulier, nous avons recommandé que l'Agence de la santé publique du Canada, qui a comme mandat d'informer les Canadiens dans ces domaines importants, crée et organise un site web où les Canadiens pourraient aller initialement pour trouver de bonnes données de référence. Dans le cas du Canada, cela les amènerait probablement à un site dans leur propre province, et ainsi de suite.

Avez-vous un commentaire sur la nécessité pour les gens de déterminer la fiabilité des données qu'ils consultent, monsieur Prakash?

M. Prakash : Je crois qu'il existe une façon différente d'envisager cela. À l'avenir, l'information nous arrivera. Pour vous donner un exemple de ce que cela signifie, pensez que nos téléphones intelligents d'aujourd'hui sont idiots. Ils attendent que nous interagissions avec eux. Huawei, une compagnie chinoise, a récemment annoncé qu'elle veut faire de ses téléphones un double de vous-même, grâce à l'intelligence artificielle. Cela signifie que le téléphone interagira avec le monde qui vous entoure, à partir de votre poche. L'intelligence artificielle permet de déterminer, selon le niveau de pollution et la température, que l'endroit où vous vous trouvez est dangereux pour votre santé. Et vous le saurez. Ces renseignements vous parviendront. Vous recevrez une notification. Aujourd'hui, nous recevons des notifications Twitter; demain, nous recevrons des notifications en matière de santé. L'information vous parviendra, et vous n'aurez plus à faire de démarches pour la trouver.

Le président : Je crois que c'est excellent.

Je conclus, chers collègues, en vous remerciant pour les questions que vous avez soulevées et qui nous ont permis de recevoir des réponses éclairantes. Il s'agit d'un excellent point de départ pour cette étude extrêmement importante.

(La séance est levée.)

Haut de page