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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 15 - Témoignages du 9 février 2017


OTTAWA, le jeudi 9 février 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, afin de poursuivre son étude sur le rôle de l'automatisation dans le système de santé, notamment de la robotique, de l'intelligence artificielle et de l'impression 3D.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse, président du comité. Je vais inviter mes collègues à se présenter, en commençant par ma droite.

La sénatrice Seidman: Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Stewart Olsen: Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Raine: Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Unger: Betty Unger, de l'Alberta, en remplacement aujourd'hui.

[Français]

Le sénateur Cormier: Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Merchant: Bienvenue. Pana Merchant, Saskatchewan.

Le sénateur Eggleton: Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.

Le président: Merci, chers collègues, et bienvenue à nos invités.

Nous poursuivons notre étude sur le rôle de la robotique, de l'impression 3D et de l'intelligence artificielle dans le système de santé. Il s'agit de notre quatrième séance. Aujourd'hui, nous allons entendre parler de certaines des recherches menées dans le domaine de l'intelligence artificielle aux universités Acadia et McGill.

Je suis ravi d'accueillir nos témoins d'aujourd'hui. Je vais les inviter à prendre la parole dans l'ordre où ils figurent sur ma liste, puisque je crois savoir qu'ils ne se sont pas disputés la première place au bras-de-fer. Dans ce cas, je vais inviter MmeJoelle Pineau, professeure agrégée, Centre des machines intelligentes, Université McGill, à nous présenter un exposé.

Joelle Pineau, professeure agrégée, Centre des machines intelligentes, Université McGill, à titre personnel: Je vous remercie tous de l'invitation. Je suis ravie de comparaître ce matin.

[Français]

Je m'appelle Joelle Pineau, professeure à l'École d'informatique de l'Université McGill et représentante du Centre de recherche sur les machines intelligentes de l'Université McGill. Depuis 15 ans, avec mon équipe de recherche, nous concevons, construisons et testons des robots intelligents. Certains de ces robots sont conçus pour aider les personnes à mobilité réduite qui, au lieu d'utiliser un fauteuil roulant motorisé typique, pourront bientôt avoir accès à un fauteuil intelligent capable de répondre aux commandes vocales et de naviguer de façon autonome dans des lieux variés en évitant les obstacles et en se déplaçant de façon efficace à travers les foules.

D'autres robots ont été conçus pour permettre aux personnes âgées de rester à domicile plus longtemps. Ils offrent une présence alternative, une surveillance discrète qui permet de rassurer les proches, et des soins de base, tels des rappels de prise de médicament.

[Traduction]

Les progrès récemment réalisés dans les domaines de la robotique et de l'intelligence artificielle sont également mis à profit dans le but d'élaborer de nouvelles méthodes de traitement avancées pour plusieurs maladies, dont le cancer, le diabète, l'épilepsie, la maladie mentale et bien d'autres. Dans ces contextes, les robots n'ont pas de bras ni de jambes. Ils ne ressemblent pas à C-3PO ou R2-D2, mais ils ont la capacité de percevoir et d'interpréter des renseignements complexes et de mener des interventions sur des patients.

Un exemple de ces robots, c'est le pancréas artificiel actuellement mis au point à l'Institut de recherche clinique de Montréal. Ce robot apprend à calibrer la dose d'insuline qui doit être administrée en fonction de lectures en temps réel des taux de glycémie. Il fait tout cela automatiquement, et les doses d'insuline sont adaptées à la physiologie du patient, à son apport alimentaire et à son degré d'activité.

Une autre technologie robotique prometteuse est destinée aux patients atteints de cancer. Cet appareil fonctionne en envoyant la radiothérapie directement dans une tumeur, tout en contrôlant activement un bouclier qui protège les tissus sains situés à proximité.

Le robot médical le plus utilisé ces temps-ci, c'est probablement le fameux robot da Vinci, qui aide les chirurgiens dans le cadre de centaines de milliers d'interventions chirurgicales chaque année.

Alors que les robots peuvent exécuter des interventions physiques, l'intelligence artificielle — ou IA — est le cerveau derrière la machine. L'IA est un programme informatique qui peut comprendre et manipuler des données complexes, de petits ensembles de données et des gros.

Dans le contexte des soins de santé, il s'agit d'un programme informatique qui peut lire l'EEG d'un patient en temps réel afin de déterminer si et quand le patient est susceptible d'avoir des convulsions. Ce programme informatique peut analyser et lire une échographie et trouver l'emplacement d'une tumeur cérébrale. Il peut s'agir d'un programme informatique qui analyse les tendances relatives à la consommation de médicaments en vente libre afin de prédire le moment et le lieu où va frapper la prochaine épidémie de grippe.

Ici, au Canada, nous avons beaucoup de chance. Notre système de santé publique fait l'envie de bien des gens partout dans le monde. Nous possédons également un excellent réseau d'universités publiques. Dans ces universités, nous menons des recherches dans les domaines de la robotique et de l'IA, qui sont reconnues à l'échelle internationale. Nous formons également la prochaine génération d'ingénieurs, de scientifiques et de chercheurs qui construira les robots et l'IA pour les décennies à venir.

Au cours des trois derniers mois, Google et Microsoft ont tous deux annoncé qu'ils ouvraient un nouveau laboratoire de recherche à Montréal. Évidemment, nous nous doutons tous qu'ils n'ont pas choisi cet endroit pour son climat. Ils l'ont choisi parce qu'il s'agit fort probablement de la ville qui produit le plus grand nombre de diplômés postdoctoraux au monde dans une sous-discipline de l'IA appelée «apprentissage profond».

Pour ceux d'entre vous qui n'en ont pas encore entendu parler, laissez-moi tenter de démystifier brièvement cette sous-discipline. L'apprentissage profond, c'est essentiellement un moyen d'enseigner aux machines à apprendre d'elles- mêmes. Il s'inspire du fonctionnement de notre propre cerveau, grâce à un programme informatique qui simule un grand nombre de neurones fonctionnant tous ensemble afin d'analyser des données et de prendre des décisions. Lorsque notre programme informatique stimule des centaines de milliers de ces neurones artificielles à l'aide d'une infrastructure informatique de haute performance de Calcul Canada et qu'il expose ces neurones à des milliers d'exemples de données, notre programme peut apprendre à reconnaître des modèles et des données complexes et à faire la distinction entre des milliers de maladies et de symptômes différents.

Le Canada est reconnu comme chef de file mondial de l'apprentissage profond pour une raison. J'ai déjà mentionné le pipeline de diplômés postdoctoraux et les excellents laboratoires de recherche. Ce sont les produits d'années de financement de la recherche fondamentale par le gouvernement canadien. En créant et en appuyant des organisations comme l'ICRA — l'Institut canadien de recherches avancées —, qui a financé l'apprentissage profond pendant plusieurs années de progrès très obscurs avant sa percée sur la scène mondiale, nous avons créé des connaissances, de la richesse et de l'expertise au Canada.

Grâce au financement du Réseau canadien CRSNG pour la robotique de terrain, qui rassemble 11 laboratoires de recherche de partout au pays et des entreprises clés du domaine de la robotique — petites et grandes —, nous avons créé un écosystème de recherche en robotique et de croissance économique.

Grâce à la création d'un réseau de centres d'excellence financé à l'échelon fédéral appelé AGE-WELL, qui rassemble plus de 100 partenaires de l'industrie, du gouvernement et du milieu sans but lucratif, nous avons créé un réseau national ayant pour but de régler des problèmes complexes dans les domaines de la technologie et des soins de santé.

Plus récemment, grâce au Fonds d'excellence en recherche à Apogée Canada, y compris un fonds de McGill appelé Cerveau en santé, gage d'une vie en santé, un de l'Université de Montréal sur l'apprentissage machine et un de l'École Polytechnique de Montréal appelé TransMedTech, nous disposons maintenant des ressources nécessaires pour faire des découvertes fondamentales au croisement de l'IA et de la médecine.

Laissez-moi conclure en disant que, même si je suis enthousiaste au sujet des possibilités offertes au Canada relativement aux conséquences de la robotique et de l'IA sur les soins de santé, je vois plusieurs défis à l'horizon. Premièrement, nous devons réfléchir à la façon de veiller à ce que nos experts les plus talentueux restent au Canada. Deuxièmement, nous devons penser à la façon dont nous allons profiter de cette nouvelle technologie, d'un point de vue économique. Troisièmement — et c'est le plus important —, nous devons réfléchir à la façon dont nous allons utiliser cette technologie d'une manière qui profite à toute la société. Cela signifie qu'il faudra établir des codes sociaux et des principes éthiques qui orienteront l'élaboration de cette technologie. Cela veut dire qu'on devra s'assurer que les préoccupations relatives à la sécurité et à la vie privée seront dissipées, surtout lorsqu'il s'agit de s'occuper du dossier médical des gens, et cela signifie qu'il faudra prévoir les changements sociaux profonds qui découlent de cette technologie.

Il ne faut pas se leurrer: nous sommes au début d'une révolution de l'IA, et la raison pour laquelle je suis là aujourd'hui, c'est pour m'assurer que nous travaillons ensemble afin de permettre que les répercussions soient positives sur tous les membres de notre société. Merci.

Le président: Merci, madame Pineau.

Nous allons maintenant entendre le témoignage de M.Daniel L. Silver, professeur, directeur, Institut Acadia d'analytique des données, Université Acadia. Je suis ravi de vous accueillir. Veuillez nous présenter votre exposé.

Daniel L. Silver, professeur, directeur, Acadia Institute for Data Analytics, Université Acadia: Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs les honorables sénateurs et les autres membres du comité. J'espère compléter l'excellente déclaration de Mme Pineau.

Je suis informaticien. Je le suis depuis maintenant près de 40 ans. Le temps a passé vite. J'ai travaillé au sein de l'industrie pendant la première partie de cette période, et en tant que professeur doctorant pendant la dernière partie, et tout mon travail a été effectué en grande partie dans le domaine de l'intelligence artificielle, alors c'est principalement de cela que je vais parler.

L'IA est importante non seulement dans les grands centres urbains et les grandes universités, mais aussi pour les régions rurales et les petites universités, du point de vue des soins de santé et d'autres aspects que nous étudions.

Pour revenir sur les commentaires formulés par Mme Pineau, l'intelligence artificielle est une technologie à l'égard de laquelle nous ne devrions pas nous bercer d'illusions; elle est au même niveau que l'énergie nucléaire et la génomique. Elle a le pouvoir de faire des choses incroyables dans un proche avenir, mais elle peut aussi faire des choses terribles. Je ne veux pas en faire le point saillant, mais je pense qu'il y a lieu de s'inquiéter un peu. Elle pourrait devenir l'un de nos plus grands problèmes, et il s'agit de trouver des méthodes pour la déployer adéquatement.

IA est un outil puissant qui peut être utilisé dans le secteur des soins de santé pour améliorer le processus décisionnel médical, les diagnostics, les pronostics et certainement le choix des meilleures méthodes de traitement, en explorant un mirage truffé de nouvelles découvertes en santé, du fait qu'elle est capable de se concentrer sur un seul patient et de mettre les meilleurs traitements à contribution. Elle nous permet de mieux utiliser nos ressources humaines et matérielles dans les cliniques et les hôpitaux et d'être plus efficaces et efficients en soins à domicile, domaine dans lequel j'effectue une bonne quantité de travail. Elle nous permet également d'avoir des employés en meilleure santé et, au bout du compte, des citoyens plus en santé.

En même temps, elle peut également donner des résultats négatifs, et vous en avez déjà imaginé certains — je le soupçonne — lors de vos séances précédentes. Elle peut être utilisée pour établir le profil d'employés ou de citoyens, pour obtenir des avantages sur les plans de l'emploi ou de la santé. Nous devons faire attention pour qu'elle ne détériore pas les soins de santé en considérant l'IA comme une panacée dans ce domaine. Ce n'est pas le cas. Il s'agira d'un outil. Elle évoque l'image d'un guichet automatique médical qu'on pourrait utiliser.

Actuellement, dans le milieu des affaires, l'IA est utilisée comme technologie pour mettre à l'échelle le travail axé sur le savoir. Elle le fait de deux façons. Premièrement, elle peut reproduire très rapidement certains aspects de l'intelligence humaine. Elle peut prendre les décisions de la même manière que le ferait un humain dans des domaines limités et le faire de façon répétitive. Elle permet aux entreprises d'accroître leurs activités du point de vue de l'interaction avec les clients.

Ensuite, l'IA peut aller au-delà des capacités des humains. Elle en est là à présent. Par exemple, il est reconnu que l'apprentissage profond peut créer des modèles qui sont meilleurs que les humains pour classer des images par catégorie. Il peut reconnaître la voix mieux qu'un humain, du moins, dans certains domaines limités. Alors, nous y sommes.

Nous sommes certainement en mesure d'utiliser cette technologie pour prendre de meilleures décisions, reconnaître des tendances, reconnaître la voix, utiliser le traitement en langage naturel et l'apprentissage machine et analyser des textes, et cetera, prévoir la prochaine étape et recommander la prochaine mesure qu'on pourrait prendre, dans tout domaine, pourvu que nous puissions fournir les données nécessaires aux systèmes.

Je suis d'avis que les soins directs aux patients présentent notre plus grande possibilité d'utiliser l'intelligence artificielle, mais c'est aussi là que se trouvent les plus grands risques. En réalité, l'objectif devrait être de compléter les connaissances des cliniciens qualifiés et chevronnés. La capacité d'offrir un portail ciblé et neutre dans la collecte croissante et changeante de renseignements sur les soins de santé, c'est quelque chose à l'égard de quoi l'IA peut nous aider. L'intelligence humaine augmentée grâce à l'utilisation de notre IA du futur rapproché est probablement le meilleur moyen à adopter et sur lequel miser comme point de départ.

L'IA a le potentiel d'améliorer les résultats, probablement de 30 à 40 p.100, selon moi. De nombreuses personnes affirment qu'elle nous permettra de faire des économies de 50 p.100, d'un point de vue financier. Je ne crois pas cela. Je suis dans le domaine des TIC depuis longtemps. Ces technologies nous ont rarement permis d'économiser de l'argent. Elles augmentent la productivité. Cela signifie qu'on peut aider plus de gens par de meilleurs moyens. Peut- être que nous pourrons en discuter davantage.

Google DeepMind Health et WatsonPaths d'IBM sont deux des chefs de file dans l'extraction de connaissances des dossiers de santé électroniques et dans la prise de meilleures décisions. L'entreprise Bay Labs, de San Francisco, utilise des capteurs de type ultrasonique bon marché et bruyants en parallèle avec des techniques d'apprentissage machine afin de créer de meilleures méthodes de détection des symptômes de rhumatisme cardiaque au Kenya. Des techniques semblables consistent à utiliser des capteurs habituellement bruyants en parallèle avec l'apprentissage machine dans l'IA pour faire des choses incroyables.

Les soins indirects aux patients sont probablement notre tout premier choix en ce qui concerne le déploiement de l'IA. Il y a là une capacité exceptionnelle de procéder à une adoption précoce, compte tenu des nombreuses améliorations apportées aux meilleures utilisations du matériel humain, des ressources financières et du fait que les préoccupations relatives à la confidentialité ou aux conséquences directes sur les patients sont moins grandes. Par exemple, il y a la planification automatique pour l'amélioration du déroulement des activités et de la logistique d'un hôpital, les solutions offertes par le respect de contraintes aux fins d'une utilisation améliorée des ressources, de l'équipement et des espaces communs, et une meilleure gestion des stocks permettant de garder les coûts peu élevés et de réduire au minimum le gaspillage grâce à la prévision de l'utilisation et du besoin du matériel.

L'un des aspects auxquels il faut réfléchir, qui a vraiment de l'importance en ce qui concerne les soins de santé et qui brille par son absence depuis longtemps, c'est qu'il pourrait s'agir de la première étape pour boucler la boucle des soins de santé. Ce à quoi je fais allusion, c'est au fait de pouvoir déduire si un patient a vraiment suivi le traitement prescrit par un médecin. A-t-il pris les médicaments pendant toute la durée de son traitement? Il est difficile d'obtenir cette information directement. Il existe peut-être des façons de le faire indirectement, par le truchement des médias sociaux ouverts.

Les soins de santé à domicile sont un domaine dans lequel j'ai un peu travaillé au cours des deux ou trois dernières années. Il s'agit d'un excellent domaine pour la réduction des coûts liés aux soins de santé. Il y a des risques. L'IA pourrait réduire les taux d'hospitalisation ou les éliminer grâce à un dispositif de surveillance continue de type biocapteur relié à des bureaux centraux. L'IA peut effectivement agir comme une équipe de cliniciens affectée à la surveillance de chaque patient à domicile. Une nouvelle entreprise, sentrian.com, fait maintenant cela. Les données dans l'IA peuvent être utilisées pour combler les lacunes entre les divers travailleurs qui prodiguent des soins à domicile.

Pour ceux d'entre vous dont des membres de la famille ont déjà reçu des soins à domicile, vous constaterez qu'il arrive que de l'information se perde d'un travailleur à un autre.

En Nouvelle-Écosse, Health Outcomes Worldwide, du Cap-Breton, est un excellent exemple de cette situation. La directrice de cette entreprise est une dame qui s'appelle Corrine McIsaac. Elle a réussi à réduire le temps nécessaire pour soigner une blessure de pas moins de 70 p.100 simplement en communiquant, en échangeant des renseignements entre travailleurs des soins à domicile et en fournissant des pratiques exemplaires, au point où, maintenant, on envisage de pouvoir prendre une image de la blessure, l'envoyer à un serveur et fournir de l'information quant à ce qu'il faut faire à partir de l'image seulement.

Seniorscentre.info est un portail que nous élaborons à l'Université Acadia, et le sénateur Ogilvie en sait probablement quelque chose. Ce portail est conçu pour les personnes âgées, mais il vise également à faire le suivi de l'aide que souhaitent obtenir ces personnes âgées et les membres de leur famille et à ainsi comprendre le plus grand domaine d'intérêt et de besoin. Nous utilisons des méthodes d'analyse dans cet esprit.

Je terminerai par une dernière réflexion que certains d'entre vous n'avez peut-être pas encore prise en considération. J'y ai été confronté au cours de la dernière année et demie. Il s'agit de l'analyse sportive. Je suis de plus en plus conscient du fait que cette analyse pourrait être l'important fer-de-lance de la meilleure façon de faire de l'informatique et de l'analyse médicales dans le milieu des soins de santé. Les équipes sportives veulent être gagnantes, mais elles veulent également être composées de joueurs durables, heureux et en santé au fil du temps. C'est ce qu'ont toujours fait les entraîneurs. L'IA commence à intervenir dans ce domaine. Dans le même ordre d'idées, les entreprises veulent avoir des employés en santé, heureux et productifs. Elles veulent gagner toutes les parties. On peut présumer que nous voulons la même chose pour nos citoyens.

Je vais m'arrêter là, car je suis certain que vous êtes prêts à poser des questions et formuler des commentaires. Merci beaucoup.

Le président: Je vous remercie tous les deux infiniment. Je vais céder la parole à mes collègues afin qu'ils posent des questions.

Le sénateur Eggleton: Pour revenir sur le dernier commentaire, peut-être que l'analyse sportive serait utile aux Maple Leafs de Toronto. Je ne sais pas; peut-être pas.

La question que je voudrais poser concerne l'exposé que vous avez présenté, madame Pineau, mais vous pouvez répondre tous les deux, si vous voulez.

Dans vos commentaires de conclusion, vous avez affirmé ce qui suit:

[...] je vois plusieurs défis à l'horizon. Premièrement, nous devons réfléchir à la façon de veiller à ce que nos experts les plus talentueux restent au Canada. Deuxièmement, nous devons penser à la façon dont nous allons profiter de cette nouvelle technologie, d'un point de vue économique. Troisièmement — et c'est le plus important —, nous devons réfléchir à la façon dont nous allons utiliser cette technologie d'une manière qui profite à toute la société. Cela signifie... établir des codes sociaux et des principes éthiques...

Oui, je pense que nous devons y réfléchir. Je suis certain que vous y avez déjà pensé. Pouvez-vous nous donner des idées? Selon vous, quels sont certains des moyens que nous pourrions recommander afin que nous puissions relever ces défis?

Mme Pineau: Nous allons dans deux directions différentes. L'une consiste à commencer à tenir beaucoup plus de conversations avec nos collègues qui ne sont pas des informaticiens. Cela signifie tenir des conversations avec des gens qui sont des experts en matière de droit, d'éthique et d'économie.

Il s'agit de disposer des espaces et des occasions nécessaires pour tenir ces conversations. Depuis un an ou deux, j'ai assisté à quelques événements portant sur l'avenir de l'IA. Ils rassemblaient des gens de ces milieux très divers. Ces événements ont été très fructueux, mais je dirais que ces discussions ne font que commencer. Nous sommes encore en train d'élaborer une langue commune et une façon de réfléchir à ces enjeux.

On me demande souvent de formuler des commentaires au sujet des perspectives d'avenir de l'IA, de ses conséquences sur l'économie, sur la sécurité et ainsi de suite. Je ne suis pas experte dans ces domaines; je me spécialise dans la programmation d'ordinateurs, bien honnêtement. Je peux aborder ces éléments en tant que citoyenne éduquée, mais pas vraiment en tant qu'experte. Alors, nous devons tenir ces conversations.

De même, nombre de mes collègues de la faculté de droit de McGill, par exemple, s'intéressent à la technologie, mais ne sont pas experts dans le domaine des technologies sous-jacentes. Nous devons acquérir une certaine expertise au point d'intersection de ces domaines afin de commencer à poser ces questions.

Une autre chose que nous faisons, c'est songer à intégrer certains mécanismes dans nos programmes informatiques. La notion d'équité en est une bonne. Il y a eu plusieurs signalements de systèmes d'IA ayant fait des prédictions qui ne sont pas équitables. Ils doivent afficher des préjugés sexuels, des préjugés raciaux et ainsi de suite. C'est une source d'inquiétude. Nous élaborons maintenant de nouveaux algorithmes qui possèdent des propriétés nous permettant de donner des garanties quant à l'équité et à des caractéristiques particulières. Si, par exemple, votre système d'IA détermine quels membres de la société devraient recevoir des prêts, une libération conditionnelle et ainsi de suite, il importe que ces systèmes soient validés adéquatement à des fins d'équité. Nous élaborons des solutions algorithmiques à ces problèmes.

Le sénateur Eggleton: Avant que nous ne passions à M. Silver, pouvez-vous approfondir un peu la façon dont nous pouvons garder les experts talentueux ici, au Canada, et profiter de cette nouvelle technologie, d'un point de vue économique? Injectons-nous suffisamment d'argent dans la recherche fondamentale pour pouvoir garder ces gens ici?

Du point de vue de l'avantage économique, sommes-nous en mesure d'amener la technologie au-delà de ces étapes et jusqu'à la production afin que nous puissions en profiter au pays? Nous avons entendu un des témoins qui ont comparu hier parler du projet neuroArm, de Calgary. Après que la technologie a été élaborée jusque dans une certaine mesure à Calgary, elle a fini par aller aux États-Unis afin d'y être perfectionnée davantage.

Comment pouvons-nous profiter de cette nouvelle technologie, d'un point de vue économique, et comment pouvons-nous amener les experts à rester au Canada?

Mme Pineau: Beaucoup de signes prometteurs ont été observés depuis environ un an. Un certain nombre d'entreprises en démarrage sont en train de devenir des entreprises de taille moyenne. Lorsqu'une entreprise devient assez grande, il est plus difficile de la déplacer. Il est facile de déménager une entreprise en démarrage de quatre ou cinq personnes en Californie. Quand il y en a 50, c'est plus difficile à faire.

À Montréal, il y a une entreprise en démarrage appelée Element AI. En quelques mois, elle est passée d'un petit nombre de personnes à 40 ou 50 personnes. Non, elle a atteint la taille où elle va rester ici. À Toronto, il y a une autre entreprise en démarrage appelée NextAI, qui garde les talents au Canada.

On a vraiment besoin d'un écosystème sain. Il faut beaucoup de diplômés qui sortent des universités. Nous nous portons très bien, mais je pense que nous pourrions faire mieux en affectant davantage de membres du corps enseignant dans des domaines ciblés.

On a besoin d'entreprises en démarrage parce que, de ces entreprises, quelques-unes vont devenir des entreprises de taille moyenne. Ensuite, je pense qu'il importe que certaines des structures soient en place pour permettre aux entreprises de taille moyenne de réussir et de ne pas se faire acheter trop tôt. Je ne suis pas expert dans ce domaine, mais j'ai discuté avec suffisamment de gens de l'industrie pour savoir que certaines conditions financières doivent être en place pour leur permettre de croître jusqu'à cette étape.

M. Silver: Je vais donner deux réponses. Premièrement, on a de la difficulté, pas seulement dans les domaines de l'intelligence artificielle et de la robotique, à garder les excellentes ressources au Canada. Il y a les problèmes liés à la structure du capital des entreprises et au fait que l'on trouve des entreprises plus lucratives au sud de la frontière... Google, plus particulièrement. Nombre de nos professeurs travaillent pour ces entreprises — au moins à contrat — et sont attirés dans cette direction. En fin de compte, c'est un mélange d'argent et de possibilités qui ferait et qui a fait toute la différence pour certaines personnes.

À court terme, ce que nous pouvons faire, c'est tenter de mieux nous en tirer dans ces circonstances. Je ne suis certainement pas l'expert qui va fournir les réponses à cet égard.

Toutefois, à long terme, on peut faire deux choses. La première, c'est que nous devons enseigner davantage aux jeunes et les informer de ces possibilités dans les régions de partout au Canada, et leur offrir tôt une formation en informatique et en intelligence artificielle — ou la possibilité de suivre une telle formation — afin que nous disposions d'un plus grand bassin de jeunes qui entrent dans le milieu. Au bout du compte, ce sera extrêmement utile.

Du point de vue du financement, certains d'entre vous savez peut-être qu'un changement est survenu dans le système au cours des huit à neuf dernières années, c'est-à-dire que la même somme d'argent a été répartie et placée à des endroits différents dans l'ensemble du pays. De grandes quantités d'argent sont envoyées aux grandes universités, et les petites en reçoivent très peu. En ce qui concerne la chaîne alimentaire des jeunes Canadiens brillants qui évoluent dans le système de l'école secondaire jusqu'à l'école supérieure, en passant par l'université, il est très important que l'on voie une répartition égale de ce financement afin que nous puissions faire progresser ces gens. Ceux qui souhaitent rester au Canada créeront un bassin plus grand de tels talents.

La sénatrice Seidman: Madame Pineau, je vais vous poser un peu plus de questions au sujet de ce fascinant incubateur d'apprentissage profond qui a commencé à Montréal et qui a pris de l'envergure — comme vous dites — en une période très courte. Je crois que vous êtes boursière de l'incubateur de l'institut de démarrage, alors pourriez-vous nous donner une certaine indication de la façon dont le travail qui est effectué là-bas pourrait être ou sera intégré dans l'usage aux fins de la médecine et du système de santé?

Mme Pineau: L'entreprise s'appelle Element AI. Elle a été lancée à l'automne. Elle a rapidement pris de l'envergure, grâce à un mélange de gens qui ont beaucoup de bonnes compétences en affaires et de très bonnes compétences en recherche.

L'une de leurs missions consiste à faciliter le transfert des connaissances des laboratoires universitaires vers les entreprises et l'industrie, ce qui est susceptible de la rendre rentable, d'un point de vue commercial.

Dans bien des cas, des étapes du transfert sont vraiment difficiles. Nous voyons de nombreuses entreprises nous aborder à notre poste universitaire afin que nous procédions à cette étape du transfert, mais, dans bien des cas, nous ne disposons ni des ressources ni du temps nécessaires pour le faire. Cette entreprise tente réellement de jouer le rôle consistant à faciliter cette étape. Elle compte plusieurs clients parmi les petites et les grandes entreprises, dont certaines sont du secteur des soins de santé et d'autres, des communications, des transports, de l'aérospatiale et ainsi de suite.

Ainsi, en tant que boursiers, nous — et nous sommes environ 10 boursiers universitaires qui donnent un certain nombre d'heures à l'entreprise — aidons essentiellement les responsables à sélectionner les projets, à étudier la faisabilité et à établir le programme de recherche. Toutefois, ils doivent ensuite disposer du personnel nécessaire sur place pour effectuer le développement — le volet «D» de la R-D — et le faire en collaboration avec les clients et les diverses entreprises.

C'est particulièrement utile pour les entreprises. Il y a de grandes entreprises — nous entendons parler de Google, de Facebook, de Microsoft — qui sont dotées de groupes de recherche sur l'IA, mais de nombreuses entreprises n'ont pas établi de tels groupes. Elles ne disposent pas de l'expertise nécessaire pour mettre sur pied une telle équipe, et elles ne peuvent pas nécessairement attirer les meilleurs experts. Alors, au lieu de faire cela, elles travailleraient avec une entreprise comme Element AI pour faire ce travail.

La sénatrice Seidman: Google — et je crois que Microsoft le fait également — participe maintenant à cet incubateur.

Mme Pineau: Je ne connais pas le terme précis. Je sais que Google et Microsoft ont tous deux annoncé qu'ils allaient ouvrir un laboratoire de recherche à Montréal. Ces entreprises vont soit embaucher certains membres de leur équipe de recherche, soit en déplacer une partie à Montréal et établir une présence en recherche dans la ville. Pour ce qui est de faire croître ces capacités alors qu'il y a quelques années, nous constations que les diplômés de mon laboratoire déménageaient rapidement en Californie, à Seattle et à New York, maintenant, ils restent en ville, et Google et Microsoft viennent à Montréal pour les embaucher.

La sénatrice Seidman: Dans le cadre de la mise sur pied d'une entreprise comme celle-là, y a-t-il une distribution proportionnelle dans des domaines particuliers? Est-ce que ce groupe dit «d'accord, 30 p.100 de ce que nous faisons ici va être dans le domaine de la santé et s'orienter vers diverses disciplines»? Comment procède-t-on?

Mme Pineau: Je ne sais pas encore comment les grandes entreprises comme Google et Microsoft vont procéder. Je sais certainement qu'Element AI étudie actuellement un certain nombre de projets dans le domaine des soins de santé. L'un des fondateurs possède une autre entreprise en démarrage dans le domaine de l'imagerie médicale, alors les responsables s'intéressent assurément à ce domaine.

Dans le cas des autres entreprises, il est trop tôt pour savoir. Je pense qu'elles font davantage de recherche fondamentale, de la recherche très fondamentale dans le domaine de l'IA et de l'apprentissage machine.

La sénatrice Seidman: C'était en fait à Element AI que je faisais allusion, et vous dites qu'il y a un plan pour les soins de santé?

Mme Pineau: Cette entreprise s'intéresse assurément aux soins de santé, oui.

La sénatrice Seidman: Monsieur Silver, dans la liste des préoccupations majeures que vous nous avez présentées — et, bien entendu, il est tout à fait normal qu'on ait des préoccupations —, vous parlez d'essais et d'homologation appropriés avant le déploiement. L'un des problèmes qui ont été soulevés dans le cadre des discussions que nous avons tenues hier est lié à l'acceptation de la part des patients et de leur famille.

Quel est votre avis au sujet des essais, de l'homologation et du rôle de l'utilisateur dans l'élaboration? Est-ce à cela que vous faites allusion lorsque vous parlez d'essais et d'homologation appropriés?

M. Silver: Il y a deux ou trois niveaux différents.

Comme vous pouvez l'imaginer, il est possible de choisir une population à partir de laquelle on pourrait élaborer un modèle prédictif à des fins de mise à l'essai. Si, par exemple, cette population n'est pas vraiment représentative de l'ensemble de la population d'une province ou du pays, le modèle pourrait en fait donner un assez bon résultat à l'intérieur de l'ensemble de données qu'on a établi et soumis aux essais, mais ne pas donner de bons résultats dans la réalité. Cela peut arriver.

Habituellement, dans le monde des affaires, en commercialisation ciblée, vous établissez un modèle et le mettez à l'essai à partir des données dont vous disposez, puis vous faites ce qui consiste à téléphoner aux gens à 18 heures — à l'heure du souper — pour leur demander s'ils sont intéressés par le produit. On vérifie en fait, dans une certaine mesure, ce modèle de base pour voir s'il fonctionne de la façon dont on pensait qu'il fonctionnerait. On a déjà prédit si les gens vont répondre par l'affirmative ou par la négative. On ne fait que vérifier pour voir si, en fait, les gens répondent bel et bien par l'affirmative ou par la négative, puis on procède à une campagne de commercialisation plus importante.

En quoi est-ce lié aux soins de santé? Cela suppose l'établissement de bons modèles à partir de grands ensembles de données sur les patients, par exemple, afin d'effectuer du travail de type diagnostique ou prédictif, puis on doit les mettre à l'essai auprès d'une population supplémentaire indépendante et le faire de manière protégée, de sorte qu'il y ait la surveillance appropriée nécessaire pour que l'on puisse s'assurer que ce n'est pas exclusivement la machine qui prend la décision dans ces cas. Selon la nature de la prédiction, son incidence pourrait être énorme ou ne pas l'être. Il est préférable qu'un clinicien participe toujours et que ce soit lui qui finisse par prendre la décision, mais ce serait tout.

L'autre chose que je proposerais dans ce domaine et qui est déjà le cas... Deux ou trois médecins m'ont dit qu'en vertu de la loi ils doivent toujours être en position de pouvoir expliquer les mesures qu'ils ont prises, le résultat, le plan de traitement. Par conséquent, un essai qu'il serait bien de mener consisterait à veiller à ce que l'IA employée soit toujours capable d'expliquer sa décision ou qu'elle puisse aider le médecin à expliquer comment la décision a été prise.

Je m'intéresse beaucoup à l'apprentissage profond. J'adore ce truc, mais lorsqu'il fait certaines des choses incroyables, on ne sait pas comment il le fait. Nous commençons à le comprendre, mais il s'agit là de l'un des défis à relever.

La sénatrice Stewart Olsen: Madame Pineau, vous disiez que nous devons établir un code d'éthique relativement à la façon dont nous utilisons toutes ces choses. Est-ce en cours actuellement? Parce que ce domaine connaît de très grandes avancées, et je pense qu'il pourrait être très important que nous mentionnions quelque chose à ce sujet dans notre rapport. Savez-vous si ce code est en préparation, qui le fait ou ce qui se passe?

Mme Pineau: Je dois dire qu'il y a de la marge pour que l'on s'en tire beaucoup mieux sur ce plan. En ce moment, nous tenons beaucoup de discussions préliminaires. La volonté est là, et les gens le savent, mais je ne peux pas vous indiquer d'ensembles précis de normes ou de pratiques exemplaires que nous avons établis. Je pense que c'est là que nous devons être.

Du point de vue médical, certaines normes sont en place. La LAD est un exemple, et même les dispositifs médicaux de pointe sont encore soumis à cette procédure en ce qui a trait à l'évaluation. Donc, on procède actuellement à des évaluations relativement à la sécurité et à l'efficacité.

D'un point de vue plus vaste en ce qui concerne l'IA et l'apprentissage machine, je ne pense pas que nous soyons encore tout à fait dotés des normes dont nous avons besoin. Je ne pense pas que nous ayons encore établi de cadre pour élaborer ces normes, mais il y a beaucoup de bonne volonté de la part de plusieurs parties prenantes à cette discussion.

La sénatrice Stewart Olsen: Qui sont ces parties? Qui fait cela?

Mme Pineau: Dans les milieux universitaires, un certain nombre de conférences ont été tenues sur ce sujet, lesquelles ont rassemblé plusieurs intervenants de l'industrie et des universités. Certaines des plus grandes entreprises — Google, Microsoft, Amazon, IBM, Facebook et, plus récemment, Apple — ont annoncé la formation d'un consortium mixte ayant précisément pour but d'aborder le déploiement sécuritaire de l'IA et les conséquences sur la société. Allons-nous laisser ces grandes entreprises prendre toutes ces décisions? C'est une bonne question.

Quelques organismes sans but lucratif ont été mis sur pied. Ceux que je connais sont du côté américain de la frontière, mais ils ont été établis avec pour mandat précis de promouvoir une recherche qui est responsable afin qu'elle profite à tous et que l'on pose les questions difficiles, d'ordre éthique, sans nécessairement avoir un intérêt commercial pour la question.

La sénatrice Stewart Olsen: Monsieur Silver, vous avez mentionné que vous aviez pas mal travaillé sur les applications en soins à domicile au cours des deux ou trois dernières années. Pourriez-vous nous donner quelques exemples précis de cas où, selon vous, c'est tout simplement génial? Ce serait grandement utile si vous pouviez vous concentrer sur les régions rurales et éloignées.

M. Silver: Peut-être qu'avant de continuer, je mentionnerai qu'il y a aussi un mouvement d'IA ouverte qui prend de l'ampleur dans le monde et qui vise à faire connaître les méthodes et les pratiques. Cette question suscite également certaines préoccupations, du moins, à l'étape initiale.

Il y a deux ou trois choses. Premièrement, les renseignements dont ont besoin de nombreuses personnes qui sont dans une situation où elles ont besoin de soins à domicile se trouvent en grande quantité sur le Web, mais il est difficile de s'y retrouver, d'où la raison d'être du projet seniorscentre.info que nous menons en ce moment. Une partie du projet est menée à la manière de Google, c'est-à-dire que les gens se déplacent sur le site web, puis effectuent l'analyse des données en question après coup afin de déterminer s'ils s'intéressent à des choses comme celles-là. Voilà un aspect des situations où l'IA peut être appliquée dans ce genre de base de réseau.

Je pense que les domaines les plus intéressants ont trait aux cas où on applique in situ — à domicile, dans les foyers pour personnes âgées — une technologie qui permet de surveiller la santé d'une personne. Ce peut être fait de façons très simples. Il y a maintenant des produits sur le marché qu'il est possible de se procurer, comme un revêtement de sol qui enregistre la pression. On peut utiliser ces produits pour reconnaître le fait qu'une personne tombe par terre, au lieu de s'étendre sur le sol, ou qu'elle se promène, ce qui est une bonne chose. Nous évoluons constamment.

J'ai rencontré M.Sumi Helal, de la Floride, qui assistera à une séance sur les maisons intelligentes pour les personnes âgées que nous organisons pour le début de l'été, à l'Université Acadia. La question suivante lui avait été posée: «Quels sont les capteurs les plus simples que vous installeriez dans une maison?» Sa réponse a été: «Un capteur sur la toilette, car, si maman et papa n'ont pas tiré la chasse d'eau depuis un moment, on sait que quelque chose ne va pas.»

Cela montre les deux aspects de cette technologie. Il s'agit d'un capteur très simple et peu coûteux, mais très invasif. Il y a également cet aspect.

Les gens étudient la technologie radio, c'est-à-dire, essentiellement, votre corps qui perturbe le mouvement des ondes radio dans un environnement comme méthode de détection du mouvement et peut-être des chutes, des blessures, de ce genre de choses.

Les gens s'éloignent vraiment de tout ce qu'on peut porter. Ma mère a eu une crise cardiaque. Elle portait l'appareil à son cou, mais elle a pris le téléphone; elle l'avait complètement oublié.

Les capteurs qui peuvent être utilisés de cette manière sont en train de devenir l'Internet des choses dans la maison, à ces fins... On revient aux bureaux centralisés, où cette fusion d'information est intégrée, puis utilisée pour prédire des événements pouvant constituer une menace pour la vie; ou bien, de façon plus proactive, le médecin pourrait commencer à se dire que vous êtes sur le divan depuis un peu trop longtemps. Cette technologie nous serait peut-être utile à tous; je n'en suis pas certain.

Le fait est que cette technologie peut exister. L'IA permet d'utiliser cette information sensorielle un peu bruyante, mais on peut l'épurer afin de pouvoir détecter des profils. C'est passionnant et, dans la mesure où les gens ne trouvent pas l'appareil trop intrusif, ce pourrait vraiment être très utile. Il s'agit de l'un des domaines où l'IA peut permettre de passer à l'échelle supérieure. On peut recevoir cette information provenant de milliers de maisons.

Je voudrais donner un petit avertissement. Je vais vous ramener à l'époque avant l'avènement du réseau local, quand on utilisait des petites disquettes pour transférer des données d'un ordinateur à un autre. On allait mettre en place un réseau local, et nous étions censés économiser beaucoup d'argent à cet égard. Cela n'a pas fonctionné de cette manière. Tous les systèmes que nous allons mettre en place s'assortiront de coûts. Alors, encore une fois, ne confondez pas productivité et économies de coût.

La sénatrice Galvez: Merci beaucoup. Ce que vous faites est incroyable; vraiment, c'est fantastique. La technologie progresse tellement vite.

Vous avez donné des exemples de façons dont la robotique et l'IA peuvent améliorer le fonctionnement dans les hôpitaux, et je considère cette technologie comme un outil permettant d'améliorer l'efficience, la gestion des ressources et les soins prodigués aux patients dans les hôpitaux ou dans les régions éloignées. Vous avez également mentionné que nous sommes dotés d'un système de santé publique qui fait l'envie de nombreux endroits dans le monde.

Je veux dire que ces services de santé coûtent beaucoup d'argent et que, une fois qu'une personne est à l'hôpital, il est déjà trop tard. Que pouvons-nous faire afin d'utiliser ces technologies — qui semblent très puissantes — à des fins de prévention?

Je me demande si vous avez un lien avec la génétique — il y a tellement d'information — qui nous permettrait de prévenir les maladies et les problèmes de santé afin que nous puissions économiser de l'argent en amont au lieu d'attendre à la fin et d'avoir à recourir à un chirurgien ou à toutes sortes d'interventions coûteuses.

M. Silver: Je soulignerai deux éléments que j'avais inscrits dans les notes, que je crois que vous avez sous les yeux... à la page 2, au milieu de la page, juste au-dessus de «soins de santé indirects au patient». L'un a lieu à l'Université de Toronto, grâce à Brendan Frey, qui a eu pour professeur Geoff Hinton. Il a démarré une entreprise appelée Deep Genomics. Le but est d'utiliser des systèmes d'apprentissage machine pour prédire les effets moléculaires de la variation génétique. On le fait en grande partie afin de pouvoir utiliser ces systèmes dans le milieu pharmaceutique, pour l'instant, mais le but est le suivant: à partir des centaines de milliers de liens connus entre les différences dans le génome et de la façon dont elles deviennent ensuite des structures moléculaires, on peut faire des prédictions. Si je modifie le génome de telle manière, quelles seront les conséquences? Au départ, cette technologie a des effets d'un point de vue pharmaceutique, mais elle pourrait également être utilisée pour trouver des prédispositions à des maladies ou des changements au chapitre de ces dispositions.

L'autre entreprise que je mentionne, ici — et il y en a deux ou trois dans ce domaine — c'est iCarbonX, qui est aux États-Unis. Cela semble incroyable, mais elle travaille sur un avatar d'ADN numérique: elle cultive essentiellement les propriétés fondées sur des renseignements génétiques, puis elle les utilise pour simuler, dans divers environnements — dans un milieu fumeur ou non fumeur —, le stress sur la vie de l'animal. Je pense qu'on commence par travailler à l'échelon de l'animal, mais qu'en faisant cela on veut prédire la santé à venir d'un organe... plus particulièrement, quel serait le stress subi par les reins ou le foie dans certaines conditions environnementales, compte tenu d'un certain programme de base qui nous est donné par l'ADN?

Tout cela est fait par des ordinateurs et à l'aide de concepts d'IA. À mes yeux, il s'agit de l'extrémité de là où regardent les gens actuellement.

L'autre élément que j'ai observé récemment, c'était la capacité de prédire le visage d'une personne, son apparence, d'après son ADN. Des travaux ont été effectués dans ce domaine récemment. J'ai vu cela dans une conférence TED, il y a deux ou trois semaines. C'est une technologie incroyable.

Nous allons y arriver, mais cette technologie suscite autant de préoccupations qu'elle présente des possibilités de bons résultats.

La sénatrice Galvez: Quand les technologies de diagnostics automatiques seront prêtes... quelle est la position des médecins, des spécialistes? Seront-ils en concurrence? Le diagnostic de qui prévaudra? Celui qui aura été établi par l'IA ou par l'humain? Est-ce que ce sera un comité qui prendra la décision finale quant à ce qu'il faut faire du patient, ou bien allons-nous faire confiance aux machines?

Mme Pineau: Je pense que la réponse à cette question dépend beaucoup du type de maladie auquel nous avons affaire, plus particulièrement du contexte dans lequel les décisions sont prises.

Dans le cas du pancréas artificiel, il y a un système de contrôle. Un capteur examine le taux de glycémie en temps réel, puis la décision d'ajuster ou non la dose d'insuline est prise dans un très bref délai... Les mêmes décisions que celles que prennent actuellement d'eux-mêmes les patients. Dans le cas de ces genres de décisions, je pense que nous allons observer un transfert rapide vers l'adoption des machines, et nous n'aurons plus besoin qu'un médecin intervienne pour vérifier la décision à chaque fois. Le médecin sera là, au début, pour ajuster les paramètres de la machine, mais la plupart des décisions seront prises en temps réel.

Dans bien d'autres cas, les interventions sont bien plus importantes et ont des répercussions à long terme. Si nous pensons à la chirurgie cérébrale, nous disposons de la technologie d'imagerie. L'ordinateur aide à trouver l'emplacement exact de la tumeur, en procédant à ce que nous appelons la segmentation de la tumeur. Dans certains cas, la chirurgie est la meilleure option. Nous n'allons pas nécessairement envoyer un robot procéder à l'intervention sans consulter de médecins au sujet du plan chirurgical, et probablement une équipe de médecins.

La situation va d'un bout à l'autre. En particulier durant la période de transition, pendant que nous acquérons de la confiance à l'égard de la capacité du système de bien faire le travail, les médecins seront au courant de tout. À mesure que nous deviendrons de plus en plus confiants du fait que le système fonctionne bien et que, dans certains cas, il dépasse le rendement des médecins humains, alors, nous pourrons donner plus de contrôle à la machine pour ce qui est d'exécuter l'intervention. Dans bien des cas, la machine sera principalement là pour donner des conseils concernant le déroulement du traitement, pendant de nombreuses années.

Le président: M.Frey, que M. Silver a mentionné, figure sur notre liste de témoins potentiels.

Le sénateur Meredith: Je vous remercie tous les deux de votre présence aujourd'hui ainsi que de votre dévouement et de vos recherches continues relativement à l'amélioration de la vie des Canadiens et à l'incidence qu'aura la technologie sur le monde. Monsieur Silver, je vous félicite pour votre prix d'excellence.

Ma question s'adresse à vous précisément, monsieur. Vous avez mentionné que l'adoption de la technologie ne réduit pas les coûts dans le système de santé. Voilà ce qui devrait préoccuper toutes les provinces. Par contre, vous avez affirmé qu'elle pourrait également maintenir les coûts à un niveau peu élevé et réduire au minimum le gaspillage grâce à la prévision de l'utilisation et du besoin. Pourriez-vous nous donner des détails à ce sujet? Ensuite, j'ai aussi une question qui s'adresse précisément à Mme Pineau.

M. Silver: Je pense qu'on a en fait la possibilité de réduire les coûts du point de vue des ressources matérielles et humaines à l'intérieur du système de santé grâce à ce type de choses. Nous pouvons intégrer ces systèmes dans les hôpitaux — dans des types de zones bien définies et contrôlées — et il y aura des économies de coût au chapitre du calendrier des interventions chirurgicales et des ressources humaines, des soins infirmiers. Beaucoup de ces choses sont faisables.

Dans le domaine des soins de santé aussi, il y a beaucoup de défis à relever. En Nouvelle-Écosse, une personne vit juste à côté d'une autre qui a besoin de soins de santé le lundi matin, et on l'envoie 50 kilomètres plus loin afin de traiter quelqu'un d'autre. Ce genre de choses arrive.

Je pense que nous pouvons économiser des coûts à cet égard. Je ne suis pas certain de la partie de l'équation que cela représente. Ma mise en garde concernait davantage l'aspect consistant à évoquer la nouvelle méthode de surveillance à l'intérieur des foyers et à reporter cette information vers des lieux centralisés. Les coûts sont semblables à ceux que nous avons observés dans le cas du passage du réseau pédestre au réseau local, où des administrateurs et des gens installaient et entretenaient ces choses. Ce sont des travailleurs différents, mais ce coût est réel également.

Cette technologie présente d'excellents avantages. Je ne sais pas comment nous pouvons les mesurer. Je pense que nous pouvons réduire les coûts à certains égards grâce à certaines de ces technologies, comme je l'ai mentionné. Espérons que nous puissions maintenir la stabilité des autres, mais que nous puissions en même temps augmenter la qualité des soins de santé. Voilà le compromis.

Je pense que j'aurais l'impression de me tromper si je disais — en particulier dans le domaine qui consiste à installer beaucoup de nouvelles technologies pour la surveillance des soins de santé ou à actualiser les connaissances des médecins et des membres de leur personnel en ce qui concerne la technologie — qu'au fil du temps elle nous fera économiser beaucoup d'argent, en soi. Ce qu'elle fera, c'est qu'elle va beaucoup améliorer la qualité des soins de santé. Toutefois, nous pouvons certainement déployer des choses dans d'autres domaines, gérer les ressources, ce qui réduira les coûts.

Le sénateur Meredith: Madame Pineau, vous avez parlé des préjugés, du code et du fait que ces technologies d'IA évoluent. Comment pouvons-nous prévenir cela, en ce qui a trait aux préjugés humains qui sont introduits dans ces systèmes? De toute évidence, ils vont recracher les genres de résultats dont nous ne voulons pas, du point de vue de la sécurité. Je veux que vous formuliez tous les deux un commentaire à ce sujet. Oui, l'adoption de ces technologies est essentielle et avantageuse pour les Canadiens. Encore une fois, du point de vue de la sécurité générale des Canadiens, vous êtes en train de mettre au point le SmartWheeler. Pourriez-vous nous parler un peu de ce fauteuil roulant également, et nous dire à quelle étape de sa conception vous en êtes? Quels genres de mécanismes sont intégrés, du point de vue de la sécurité? Je suis très préoccupé à ce sujet.

Mme Pineau: Il y a quelques notions de sécurité différentes. L'une d'entre elles tient aux préjugés qui se présentent dans certains de nos algorithmes. Dans bien des cas — comme vous l'avez souligné très judicieusement —, les préjugés proviennent des données utilisées pour entraîner nos algorithmes. Si nous recueillons des données et du texte sur le Web, puis que nous entraînons un agent conversationnel à parler, nous allons obtenir un agent qui parle comme certains des sites web qui existent. Selon les sites web que vous aurez choisis pour entraîner votre agent, vous obtiendrez des styles de conversation très différents. Il y a une grande responsabilité consistant à recueillir des données les plus diverses possible et aussi représentatives que nous voulons que le soit le comportement de notre agent.

Nous faisons la même chose lorsque nous soumettons de nouvelles procédures médicales à des essais cliniques. Si nous recueillons des données auprès d'un très petit nombre de membres de notre population, nous allons obtenir des résultats qui ne s'appliquent qu'à ce petit segment de la population. Ainsi, il nous incombe, à nous, les chercheurs, de veiller à ce que notre représentation soit vaste du point de vue de l'endroit où nous recueillons les données.

En ce qui concerne notre SmartWheeler, il s'agit d'un fauteuil roulant intelligent que nous mettons au point depuis plusieurs années, à l'Université McGill. Les préoccupations relatives à la sécurité sont un peu différentes, et ressemblent peut-être un peu à celles que nous anticipons relativement à la technologie de conduite autonome. C'est un fauteuil roulant qui peut conduire par lui-même. Il a la capacité — grâce au système d'intelligence — de contrôler les moteurs: aller, s'arrêter et changer de direction.

Depuis maintenant plusieurs années, nous travaillons en partenariat avec l'un des centres commerciaux de la région de Montréal afin que nous puissions le mettre à l'essai non seulement dans un laboratoire universitaire, mais aussi dans un centre commercial et que nous exposions le système à la diversité des situations qu'il rencontrera dans le monde réel. Il s'agit d'un centre commercial dont beaucoup des clients réguliers sont des utilisateurs de fauteuil roulant. Alors, dans un sens, le centre commercial est très bien adapté à notre fauteuil roulant. Par contre, notre fauteuil roulant doit faire face aux mêmes genres de difficultés que celles auxquelles font face ces personnes tous les jours.

Ce projet est très intéressant. Nous élaborons une nouvelle technologie faisant en sorte que le robot puisse se déplacer de façon plus fluide dans le centre commercial. Pour ceux d'entre vous qui viennent de la région de Montréal, il s'agit du Complexe Alexis-Nihon. Il est relié au réseau de métro. Environ toutes les quatre minutes, des centaines de personnes en sortent, alors le fauteuil roulant doit être perceptif afin d'éviter les collisions. Jusqu'ici, je suis heureuse de pouvoir déclarer que nous n'avons provoqué aucune collision. Nous faisons encore appel à un humain. Cela signifie qu'un doctorant se tient habituellement juste derrière avec une main sur le bouton d'arrêt et qu'il peut en garantir la sécurité. Durant l'été, nous avons effectué des essais auprès d'un certain nombre de personnes qui sont des utilisateurs réguliers de fauteuil roulant, et nous nous préparons maintenant à analyser toutes ces données.

Le sénateur Meredith: En ce qui a trait à l'établissement d'un cadre réglementaire, que doit-il se passer lorsque ces nouvelles technologies sont mises en œuvre, du côté de Santé Canada et de la Loi sur les aliments et drogues? J'aimerais entendre ce que vous avez à dire tous les deux à ce sujet.

M. Silver: J'y ai pensé un peu, et j'ai rédigé quelques commentaires à la dernière page. Je vais les expliquer un peu plus.

Certes, il importe de progresser graduellement à cet égard, de l'étudiant au doctorat qui a la main sur le bouton, à la méthode utilisée pour interrompre le processus de manière créative.

Au sujet de la réglementation, il sera important que les concepteurs en IA divulguent les risques potentiels de même que les avantages, possiblement de la même manière que pour l'expérimentation actuelle des médicaments, et que la personne soit pleinement consciente des problèmes potentiels de sorte qu'elle puisse prendre des décisions éclairées à cet égard et que les travailleurs de la santé en soient informés. Au moment d'élaborer ces technologies, il est important que les concepteurs respectent les bonnes pratiques et méthodes en matière de génie logiciel. Dans ce secteur, il y a habituellement un organisme d'assurance de la qualité qui assume un rôle de surveillance à l'aide de normes, par exemple ISO 9000, norme applicable à la plupart des groupes d'ingénierie. La GQT, gestion de la qualité totale, serait importante.

L'autre aspect que je vais souligner, c'est qu'à l'avenir, les cliniciens — et les médecins plus particulièrement — devront en savoir davantage au sujet de ce type de technologies. Avant de venir ici, j'en ai parlé avec deux des médecins les plus progressistes dans notre domaine. Ils ont insisté sur le fait que la science informatique et l'IA devaient faire partie de la formation médicale. Les professionnels de la médecine n'ont pas à savoir de quelle manière sont conçues ces technologies, mais ils doivent avoir une idée de ce qui peut mal tourner. Ils devront comprendre de plus en plus l'incidence de ces technologies afin de pouvoir permettre à l'IA de jouer un plus grand rôle dans les soins de santé.

La sénatrice Merchant: Merci beaucoup à tous les deux. Je pense que vous avez répondu en quelque sorte à ma question en ce qui a trait à la façon dont les médecins vont se préparer à composer avec ces avancées technologiques et à la vitesse à laquelle ces technologies vont changer. Les ordinateurs en soi ont beaucoup changé depuis quelques années. Vous travaillez tous d'arrache-pied, vous êtes enthousiastes et vous travaillez avec des gens qui sont très inspirés par le sujet.

Je me questionne au sujet des médecins. Peut-être avez-vous répondu en partie à cette question. Combien de fois dans leur vie les médecins devront-ils être formés de nouveau? Auront-ils besoin d'une importante actualisation des connaissances?

Ma deuxième question est la suivante: vous avez dit, professeur, que nous étions chanceux d'avoir un bon système de santé au Canada. Je m'interroge quant à l'uniformité de la prestation des soins. Compte tenu des facteurs démographiques et du fait que la prestation des soins de santé relève des provinces, pensez-vous que certaines régions du pays seront mieux outillées que d'autres? Est-ce que des patients diront : «Je pourrais aller à Montréal»? Vous devez y réfléchir, parce que vous faites tout cela pour améliorer les résultats et la qualité de vie. Comment gérez-vous tout cela?

M. Silver: J'aborderai quelques pistes de réflexion au sujet de la formation. Comme je l'ai déjà dit, je pense qu'elle doit commencer tôt. Elle doit commencer avant que la personne ne devienne médecin. À l'échelle mondiale, nous comprenons de plus en plus qu'avec la pensée computationnelle en informatique, ces aspects techniques doivent être intégrés dès le début dans notre système d'éducation.

Ce n'est pas facile. Nous sommes aux prises avec ce problème en Nouvelle-Écosse. Un de mes collègues collabore maintenant avec le ministère de l'Éducation de la province pour faire en sorte que l'informatique soit davantage au cœur des activités de formation, et, bien sûr, le problème réside dans le fait qu'il faut trouver de quelle manière l'intégrer au reste. En définitive, une nouvelle génération de médecins qui comprendront déjà certaines de ces questions verra le jour.

Puis, il faut l'intégrer en cours d'emploi pour ceux qui pratiquent déjà la médecine et l'enchâsser dans les programmes d'éducation qui précèdent l'exercice de la médecine. Encore une fois, cela suppose beaucoup de changements, mais nous pourrions nous démarquer sur la scène internationale en permettant à des gens d'utiliser l'IA comme outil et de prendre part à son évolution alors que de nombreux autres pays le font peut-être de façon plus ponctuelle.

Mme Pineau: Je vais répondre à votre deuxième question, qui concerne la façon d'assurer l'uniformité de la prestation. Honnêtement, je pense qu'il s'agit d'un défi de taille. Nous avons observé le phénomène depuis plusieurs années dans l'évolution de la recherche biomédicale. Lorsqu'on fait des études multicentriques, on voit souvent que l'une des variables les plus prévisibles en matière de résultats est le centre où le traitement a été administré. En ce qui concerne les études qui finissent par donner lieu à une technologie biomédicale, on observe d'immenses différences quant aux mesures de résultats entre certains grands hôpitaux universitaires et certains petits hôpitaux en régions rurales.

Je pense que l'application des connaissances liées à l'IA et à la robotique n'est pas si différente de celle d'autres recherches biomédicales. Des défis se posent déjà pour la plupart des recherches biomédicales et l'accès des patients aux divers types de traitement. Ce n'est pas la même chose si vous êtes dans un grand centre où il y un hôpital universitaire que si vous êtes dans un petit centre. Je pense que nous allons continuer à être exposés à ce problème, mais je ne pense pas qu'il soit propre à l'IA et à la robotique.

Je pense qu'il faut mettre en place une structure pour permettre à tous les hôpitaux, de même qu'aux cliniques de soins primaires, entre autres, d'avoir accès à cette technologie et d'avoir sur place des personnes qui savent l'utiliser adéquatement.

La sénatrice Merchant: Actuellement, il est difficile de convaincre les médecins d'aller travailler dans les régions rurales. Pour quelle raison un médecin voudrait-il travailler dans un petit hôpital alors qu'il pourrait faire bien plus ailleurs? À l'heure actuelle, vous leur dites: si vous travaillez en région pendant deux ans, nous réduirons vos...

Le président: Ces problèmes ne sont pas propres à l'IA. Je pense que vous avez très bien répondu à la question, et cela s'appliquera au système dans son ensemble. On nous a déjà rapporté quelques exemples de la façon dont vous pourriez favoriser l'accès à distance à la médecine ici. Je pense que nous entendrons des exemples très précis à mesure que nous poursuivrons. Merci, madame la sénatrice.

La sénatrice Unger: Merci beaucoup à tous les deux. Vos exposés étaient fascinants.

Madame Pineau, vous avez parlé d'apprentissage en profondeur. Je me demande de quelle façon cela va s'appliquer aux personnes souffrant d'un traumatisme médullaire, par exemple. Cette technologie est-elle appliquée à l'heure actuelle ou le sera-t-elle?

Mme Pineau: J'ai assisté à un exposé fascinant l'été dernier. Un chercheur de la Californie examine des personnes souffrant d'un traumatisme médullaire. Ses travaux portent précisément sur la régénération de certains nerfs à l'aide d'une stimulation électrique. Dans le cadre de ses travaux, il a déjà montré que, après une certaine séquence de stimulation, des personnes en fauteuil roulant depuis de nombreuses années pouvaient gagner suffisamment de mobilité pour marcher de nouveau. Elles ne sont pas encore prêtes à courir un marathon, mais certaines ont été capables de faire quelques pas et elles continuent de s'améliorer.

Il y a beaucoup de travail à faire pour déterminer quelle est la séquence de stimulation électrique appropriée pour une personne en fonction de sa physiologie, de sa blessure et d'autres facteurs. L'apprentissage en profondeur est une technologie qui peut contribuer à cela. Il peut être utile de cibler des séquences à partir de lectures complexes de la physiologie et d'essayer d'optimiser la séquence particulière de stimulation électrique. Je ne pense pas que ce soit déjà fait, mais je crois que ces deux éléments vont se rejoindre dans une certaine mesure.

Par ailleurs, dans notre laboratoire, nous faisons de la recherche touchant les fauteuils roulants intelligents, ce qui aide également les gens souffrant d'un traumatisme médullaire. Dans ce cas, l'apprentissage en profondeur est davantage utilisé dans les cas de fauteuils roulants intelligents pour traiter l'information concernant l'environnement.

La sénatrice Unger: Monsieur Silver, selon l'information dont je dispose, d'énormes quantités de données médicales ont été recueillies au sujet de la majorité des gens dans les pays développés. On mentionne que l'évolution de l'IA a commencé dans les années 1980. À tout le moins, certaines de ces données sont disponibles sous forme électronique. Toutefois, l'analyse des données est limitée par des questions juridiques et éthiques. Dans quelle mesure est-ce un problème à l'heure actuelle?

M. Silver: Je regrette, mais vous me prenez au dépourvu. Je n'ai pas ces renseignements.

La sénatrice Unger: C'est un aperçu de l'intelligence artificielle qui nous a été fourni.

Le président: Je pense que nous ferions mieux d'éclaircir la question.

Monsieur Silver, ces renseignements se trouvent dans un document qui a été fourni aux sénateurs en guise de documentation. Cela ne vient pas de votre exposé.

La sénatrice Unger: Merci, monsieur le président.

M. Silver: Pouvez-vous me reposer la question s'il vous plaît?

La sénatrice Unger: C'est au sujet des données médicales sur des particuliers qui ont été recueillies, et je pense qu'elles concernent une autre époque. Certaines des données sont disponibles en format électronique. Toutefois, l'analyse des données est limitée par des questions juridiques et éthiques.

M. Silver: C'est vrai. Par exemple, lorsque j'étais au doctorat, j'ai travaillé avec un radiologue à l'hôpital Victoria à London, en Ontario. Il avait son propre ensemble de données personnelles concernant 500 patients, et c'est pour cette raison qu'il pouvait faire le travail. Il lui avait fallu 17 ou 18 ans pour les recueillir. Il s'agissait de patients souffrant d'une obstruction des artères coronaires, et nous utilisions des images tomographiques. J'utilisais l'apprentissage machine pour prédire à partir des images si une personne souffrait d'un type particulier d'occlusion artérielle ou d'une sténose de l'artère. Mais c'est précisément grâce à ses données que nous étions en mesure de faire ces choses.

Donc des groupes vont se former, et des médecins vont faire équipe, s'ils ont la permission appropriée. C'est le problème qui existe à l'heure actuelle en raison de la Loi sur les renseignements personnels et les documents électroniques. S'ils ont obtenu les approbations appropriées, ils peuvent rassembler l'information et l'utiliser. Mais cela pose certaines difficultés puisqu'il s'agit de renseignements personnels.

En définitive, tous ces systèmes dont nous parlons abondamment de nos jours fonctionnent selon un principe d'apprentissage par les exemples. C'est ce qui fait leur force: ils ne sont plus des algorithmes réalisés par des médecins experts ou des radiologistes. Ce sont en fait des exemples de personnes qui ont ou qui n'ont pas certaines maladies particulières. Les algorithmes créent les programmes, si vous voulez, et les modèles directement à partir de ces exemples. Donc, plus nous en avons, mieux c'est.

En théorie, si chaque patient, disons à Comox ou à Cap-Breton, était classé selon des catégories particulières de maladies et selon le fait qu'il souffre ou non d'un certain type de maladie — une maladie du cœur, par exemple —, nous pourrions probablement découvrir certaines choses intéressantes au sujet de cette pathologie, mais pour cela, vous devez être en mesure de rassembler les données.

Et elles doivent être exactes. C'est un autre problème. Beaucoup de données dans le domaine médical ne sont pas exactes.

La sénatrice Unger: À quel point l'IA est-elle près de l'intelligence humaine réelle?

M. Silver: Tout d'abord, le grand défi consiste à définir ce qu'est l'intelligence. Je ne dis pas cela à la blague. Il est vrai qu'il s'agit probablement du plus gros problème auquel nous avons été confrontés: qu'est-ce que ça signifie? Je pense que l'IA nous a probablement aidés à cet égard et a repoussé les limites quant à la compréhension de ce que signifie être intelligent.

Mme Pineau: J'ajouterais que l'IA est excellente pour effectuer quelques tâches très précises. L'IA peut jouer aux échecs mieux que moi. Elle peut traduire du persan au japonais beaucoup mieux que je peux le faire. Mais en ce qui en trait à la richesse des choses que je peux faire, l'IA ne m'arrive pas à la cheville. Elle a les mêmes facultés qu'un petit rongeur.

Le président: Je vais apporter des précisions quant aux références auxquelles a fait allusion la sénatrice Unger. Dans un document d'information, j'ai fait remarquer à nos sénateurs qu'il existe déjà des règles bien établies au sujet de l'éthique, de ce qui peut être fait, des permissions et de tout le reste au chapitre de l'utilisation de données et d'autres renseignements médicaux. Donc, il n'est pas question de tout recommencer. Nous disposons déjà d'une base pour l'utilisation de données. Voilà de quoi il était question.

[Français]

La sénatrice Mégie: Merci pour votre présentation. Lorsqu'on est à la recherche d'un jeune médecin dans une clinique, la première question qu'il nous pose, c'est à savoir si nos dossiers sont électroniques ou si nous disposons des nouvelles technologies en matière d'intelligence artificielle. C'est ainsi que les jeunes médecins décident dans quelle clinique ils vont pratiquer. Cependant, ces équipements les éloignent du patient. Il y a donc très peu de contact humain. Je suis contente de voir que vous avez des préoccupations éthiques par rapport à la propriété et à la confidentialité des données.

Ma question porte sur les inquiétudes. À mon avis, elles sont beaucoup plus grandes que celles que vous avez soulevées ici. Certains patients font une recherche sur Google pour obtenir un diagnostic pour un mal de tête, par exemple. Le médecin pose des questions: «Avez-vous des engourdissements dans les mains?» Le patient répond qu'hier, il avait le bras engourdi. En fin de compte, après ses recherches en ligne, le patient conclut qu'il a une tumeur cérébrale. Le patient arrive alors au bureau du médecin et dit: «Selon Wikipédia, j'ai une tumeur cérébrale et j'ai besoin d'une résonance magnétique tout de suite.» Imaginez la réaction du médecin en entendant cela. Le patient est extrêmement inquiet, ce qui empoisonne sa vie. Cependant, lorsque le médecin parle à son patient, il perçoit le langage corporel. Je ne sais pas si l'intelligence artificielle est en mesure de faire cela. Le comportement non verbal peut permettre à un médecin de savoir si son patient vient chercher un formulaire pour un congé de maladie ou s'il est vraiment malade.

Ma question est la suivante: l'intelligence artificielle peut-elle arriver à faire suffisamment de discrimination quant aux symptômes et aux associations de symptômes pour poser un diagnostic le plus près possible de la réalité?

[Traduction]

M. Silver: Comme je l'ai mentionné, j'ai discuté avec deux ou trois médecins. Ils ont soulevé cette question, et j'y pensais également. Comme vous l'avez dit, il y a déjà des patients qui se présentent avec leur propre solution à leur problème; il se peut qu'à l'avenir, ils soient en mesure d'utiliser l'IA de Google, si vous voulez, et tout simplement dire: «Qu'est-ce qui ne va pas chez moi?»

Ils ont répondu, parce que ce sont eux les vrais experts, plus que moi, je pense, que les médecins allaient devoir être davantage formés pour pouvoir gérer la situation. Bien sûr, selon une application rigoureuse de la démarche scientifique, ce qu'ils doivent faire, c'est revenir aux symptômes. Quel serait le premier traitement approprié ou quels tests devraient être effectués?

Toutefois, il est certainement possible que l'information qui pourrait être obtenue à la maison ou dans le cabinet du médecin, maintenant et dans un avenir rapproché, puisse comprendre des données découlant d'une combinaison d'éléments, en plus des données démographiques du patient, de son âge, de sa pression sanguine — les paramètres cliniques qu'on obtient habituellement —, et pointer plus facilement vers la première étape la plus logique pour cerner le problème.

Je pense que le fait d'encourager les gens à comprendre les signes que leur corps leur envoie est toujours une bonne chose dans le domaine des soins de santé. Le fait de permettre arbitrairement à l'IA de prendre la décision n'est probablement pas la meilleure des idées à l'heure actuelle.

Comme l'a mentionné Mme Pineau, il existe maintenant des technologies qui peuvent mesurer la glycémie de façon immédiate; ce sont des choses que nous devons utiliser. Il y a à peine quelques années de cela, certains aspects auraient été considérés comme de l'IA.

L'une des choses que vous avez peut-être remarquées à la première pagede mes observations, c'est que mon directeur de thèse m'a dit il y a longtemps que l'intelligence artificielle était de l'intelligence artificielle seulement jusqu'à ce qu'une certaine masse critique comprenne son fonctionnement. Ce n'est alors qu'un programme informatique, rien d'autre.

Encore une fois, l'éducation est la clé ici pour permettre aux médecins qui doivent composer avec des patients qui ont une idée de ce qu'est leur maladie et qui à l'avenir devront composer avec des personnes qui se présenteront au cabinet en disant: «Bien, d'après l'IA...»

[Français]

Mme Pineau: J'aimerais ajouter quelques nuances à ce que vous venez de dire. Le cas de la personne qui souffre d'un mal de tête et qui conclut, à la suite de ses recherches sur Internet, qu'elle a un problème cérébral, c'est un cas où il y a un manque d'intelligence humaine. C'est que l'ensemble des symptômes étudiés n'était pas assez complet pour poser un diagnostic. Si ce même genre de problème est examiné avec l'aide d'un logiciel d'intelligence artificielle bien conçu, il y aurait eu une meilleure étude des symptômes. Le système d'intelligence artificielle pose un nombre de questions suffisantes pour établir un bon diagnostic. Il faut viser des agents qui sont capables d'évaluer avec précision un diagnostic avec suffisamment d'information et de communiquer lorsqu'il manque d'information.

En parallèle à cela, nos systèmes d'intelligence artificielle à l'heure actuelle n'ont pas la même perception des systèmes complexes. Vous parliez de la communication physique non verbale. On travaille très fort sur cet aspect, mais on n'est pas très efficace en ce qui concerne la communication non verbale, beaucoup moins que les êtres humains, évidemment. Pendant encore bon nombre d'années, j'imagine que les médecins seront beaucoup plus aptes à analyser les situations complexes. Toutefois, les systèmes d'intelligence artificielle peuvent diagnostiquer de manière très précise certaines maladies à partir d'échantillons de sang.

[Traduction]

La sénatrice Raine: Merci beaucoup. C'est fascinant. Nous vous remercions d'être là aujourd'hui.

J'ai une question au sujet de l'interface entre l'IA et l'intelligence naturelle, et de la façon dont, en tant que responsables de notre corps et de notre santé, si vous le voulez, nous utilisons l'intelligence artificielle à l'égard de notre organisme pour nous motiver à prendre la responsabilité d'être proactifs en matière de soins de santé préventifs. Nous savons qu'il existe des Fitbit et toutes sortes de podomètres, mais pourtant, même en sachant qu'elles ne sont pas en forme, de nombreuses personnes ne sont pas motivées à bouger. Pourtant, lorsqu'on regarde les différents produits pharmaceutiques ou les placebos, on voit que l'exercice est la meilleure façon d'être en santé. Avez-vous des commentaires à formuler quant au rôle que peut jouer l'intelligence artificielle au moment de motiver les gens à être responsables de leur santé?

Mme Pineau: À cette étape-ci, je dirais que nous ne connaissons pas de stratégie magique pour amener les gens à faire de l'exercice, à bien manger, à cesser de fumer ou à dormir suffisamment. Mais ce que l'IA et l'apprentissage machine nous donnent en particulier est l'habileté d'apprendre d'un grand nombre de personnes. Comme nous sommes de plus en plus nombreux à posséder des Fitbit et des téléphones intelligents qui peuvent être programmés de manière à nous encourager, nous pouvons savoir quels types d'encouragements ou de mesures incitatives motivent les gens. Je ne sais pas quelles sont ces mesures incitatives, mais j'ai certainement une bonne idée de la façon de concevoir un programme pour apprendre à le faire. Certains de nos collègues le font actuellement, plus particulièrement aux fins de la gestion des personnes qui ont des problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie. Il existe quelques stratégies d'intervention différentes, mais dans de nombreux cas, il faut que la personne prenne des mesures, qu'il s'agisse d'appeler un médecin, un membre de la famille ou un ami.

Dans ce cas, ils mettent au point des applications pour que les téléphones puissent servir à l'intervention. Puisque les applications fonctionnent sur un téléphone, ils peuvent les distribuer auprès de nombreuses personnes, puis savoir quels types d'interventions sont plus efficaces et les jumeler lorsque les interventions appliquées sont comparables dans le contexte en ce qui a trait au milieu, au moment de la journée et ainsi de suite.

M. Silver: C'est une excellente question. La plupart des médecins vous diront que le point de départ consiste à déterminer le problème. La difficulté réside dans le fait d'amener les gens à prendre des mesures.

Je suis d'accord avec Mme Pineau. Nous avons mis en place des méthodes à l'aide desquelles nous pouvons commencer à réfléchir à la façon de trouver les mots magiques en matière de motivation. Les courriels et les autres fonctions semblables qu'offrent les Fitbit et ce genre de choses ne sont que des expériences pour le moment. Dans certains cas elles fonctionnent. Elles réussissent à vous faire lever du canapé, à vous faire marcher, à vous encourager, à vous récompenser lorsque vous passez à l'action.

C'est probablement la chose la plus importante que peut faire cette technologie, de nombreuses manières, parce qu'en définitive, cela évite aux gens de subir une opération ou une intervention médicale.

Les renseignements collaboratifs venant de nombreuses personnes différentes qui ont une morphologie semblable et qui sont passées à l'action les aident à faire mieux. Je présume que ce serait une bonne chose de fournir de l'information à l'aide de statistiques. Nous pouvons le faire. Tout d'abord, l'IA pourrait déterminer votre type de morphologie et cerner des choses que vous faites bien et peut-être d'autres que vous faites moins bien et vous montrer au moyen de statistiques de quelle manière les autres qui ont adopté de telles mesures vivent plus longtemps et plus heureux.

Nous avons toutes les raisons de croire que ce serait une bonne sphère d'enquête et de recherche en matière d'IA.

La sénatrice Raine: Si vous regardez toutes les revues de mise en forme et ce genre de choses, on peut y lire ce qui suit: «Consultez votre médecin avant d'entreprendre tout programme de mise en forme.» Pourtant, lorsque vous consultez votre médecin et que vous lui demandez ce que vous devriez faire, il vous répond: «Eh bien, oui, vous devriez faire de l'activité physique.» Ils ne délivrent pas une ordonnance pour prescrire de l'exercice. Je sais que la Société canadienne de physiologie de l'exercice y travaille.

Existe-t-il une interface d'intelligence artificielle — il est question ici non pas de robotique, mais bien d'IA — qui permettrait d'accroître les connaissances des professionnels de la santé quant à la façon de prescrire de l'exercice? Je pense que la plupart des gens qui vont chez le médecin savent qu'ils doivent faire quelque chose. Ils font réellement confiance au médecin, mais je ne suis pas certaine qu'ils obtiennent l'information dont ils ont besoin.

M. Silver: Cela aiderait certainement les médecins à savoir quoi dire aux patients en ce qui a trait à la gestion proactive de leur santé. J'aimerais croire que beaucoup de médecins le font déjà, mais il serait utile de résumer les antécédents médicaux des patients et de leur donner de bonnes idées ou des suggestions. Mais d'amener les médecins et les cliniciens à prendre des mesures pour le faire est une autre paire de manches. Je ne sais pas dans quelle mesure ils sont formés à cet égard, ni si c'est fréquent.

La sénatrice Raine: Je sais qu'ils suivent une formation continue offerte par les vendeurs de produits pharmaceutiques, mais je ne sais pas s'ils ont suffisamment de formation pour le reste.

Je veux vous faire part d'une information. Je connais un jeune homme à Ottawa qui consacre beaucoup de temps à la robotique. C'est un étudiant. Il joue à un jeu d'ordinateur appelé Minecraft. Grâce à ce jeu, il apprend ces compétences à un très jeune âge.

Avez-vous des commentaires quant à l'utilisation d'Internet par les jeunes pour commencer à apprendre ces compétences? Le monde universitaire en fait-il un suivi dans le but de former de futurs spécialistes en robotique?

M. Silver: Depuis deux ou trois ans, quelques organisations mondiales importantes, comme Code.org, la Computer Science Teachers Association et d'autres groupes du genre, encouragent les enfants à apprendre à rédiger du code et à mettre de l'avant des idées de pensée computationnelle sur le Web à l'aide de programmes amusants comme Scratch, qui utilisent des méthodes iconiques et graphiques de programmation pour que les jeunes puissent déplacer et changer des choses à l'écran, ce qui est vraiment bien.

En fait, nous utilisons de tels outils même à l'université pour faire découvrir l'informatique à ceux qui n'ont jamais eu de cours de science informatique à l'école secondaire. Il y a maintenant beaucoup de sensibilisation auprès des jeunes et des écoles à cet égard, dans nos établissements. L'intérêt des jeunes à l'égard de la robotique est énorme à l'échelle mondiale.

Mme Pineau: Je suis d'accord avec mon collègue.

J'ai commencé à faire de la programmation lorsque j'étais âgée de 18 ans, ce qui est très tard comparativement aux jeunes d'aujourd'hui. De nos jours, ils commencent à en faire lorsqu'ils ont quatre ou cinq ans. Ces outils sont excellents.

Je suis particulièrement enthousiaste à l'idée de faire connaître la programmation à un plus jeune âge parce que de nombreuses études montrent que les filles cessent de s'intéresser aux mathématiques et à la science aux alentours de 11 ou 12 ans. Si les filles ne commencent pas à faire de la programmation avant 18 ans, nous perdrons nombre d'entre elles. Si elles commencent à faire de la programmation alors qu'elles sont âgées de quatre ou cinq ans, il y a de meilleures chances qu'elles restent dans le domaine de la science pour faire de la science informatique leur discipline.

Le président: Avant de commencer la deuxième série de questions, j'aimerais poser quelques questions et formuler certaines observations.

Tout d'abord, en ce qui concerne la question de l'utilisation éthique de l'intelligence artificielle et de ses produits, je crois que nous devons nous rappeler l'ère biotechnologique à la fin des années 1970 et au début des années 1980. En réalité, ce sont les scientifiques venus des quatre coins du monde qui se sont rassemblés à l'occasion de la célèbre conférence d'Asilomar qui ont formulé des recommandations quant à la façon de mener des expériences liées à l'ADN et au matériel génétique. Ils ont émis des recommandations très détaillées à l'intention des gouvernements. Ces recommandations ont été adoptées par tous les pays.

Cela fait maintenant déjà 40 ans, et il n'y a eu qu'un seul exemple de pays qui a dérogé, dernièrement, à la recommandation la plus stricte. Les situations sont assez semblables.

Existe-t-il une initiative parmi les dirigeants du secteur universitaire et les chercheurs dans le domaine visant à organiser une conférence internationale dans le but de formuler des recommandations en fonction de leurs expériences et de leurs prévisions en utilisant peut-être les résultats de la conférence d'Asilomar pour guider l'établissement d'un programme? Êtes-vous au courant d'une quelconque initiative à cet égard?

Mme Pineau: Les choses ne sont pas aussi avancées que vous le dites. Nous en sommes actuellement à la phase préliminaire de l'enquête. Avant que la communauté soit prête à formuler une recommandation judicieuse qui s'appliquera pour les 40 prochaines années, il y a du travail préparatoire à faire. Plus précisément, cela porte sur ce que j'ai dit un peu plus tôt, que les scientifiques et les spécialistes en droit et en éthique devaient se rassembler et élaborer un lexique très exhaustif. Il y a eu plusieurs de ces rencontres dernièrement, et il y en a eu quelques-unes depuis trois ou quatre ans.

Je m'attends à ce que cela finisse par mener à certaines recommandations officielles à l'intention des gouvernements, mais nous n'en sommes pas là encore. C'est une très bonne occasion pour les universitaires de faire preuve d'initiative à cet égard.

M. Silver: Il s'est formé un mouvement au cours des quelques dernières années, mené en particulier par Stuart Russell, qui compte parmi les personnes les plus célèbres à avoir rédigé des manuels d'introduction à l'IA, et Peter Norvig. Peter est chez Google, et Stuart Russell, à Stanford. Ce mouvement est surtout issu des préoccupations touchant l'utilisation de l'IA dans le domaine militaire.

Récemment, vous avez peut-être entendu parler des préoccupations qu'a soulevées Stephen Hawking à cet égard, en particulier à propos de l'apprentissage machine et de la capacité d'une machine d'accroître ses capacités de façon exponentielle. C'est la préoccupation: qu'il dépasse notre capacité à le contrôler de façon efficace.

Il existe un mouvement naissant. Jusqu'à maintenant, il s'agit surtout d'ateliers tenus dans le cadre de conférences, plutôt que des conférences portant sur le sujet, je crois. Je pourrais me tromper, mais je ne suis au courant d'aucune conférence consacrée à ce sujet.

Le président: Vous ne rateriez pas une conférence du même genre que celle d'Asilomar, n'est-ce pas?

M. Silver: Non.

Les membres de la communauté ont très certainement des préoccupations communes.

Le président: Je crois que le point que vous avez soulevé, madame Pineau, concernant l'évolution du vocabulaire, est manifestement essentiel. Lors de la conférence d'Asilomar, les biotechnologistes pouvaient compter sur des années de développement du vocabulaire, à partir de celui de la microbiologie, qui pouvait servir dans leur champ d'expertise. Cela serait essentiel pour structurer toute discussion dans ce domaine. Je vous remercie beaucoup tous les deux.

Monsieur Silver, dans le document que vous nous avez remis, nous n'avons pas tout à fait compris la signification du sigle TLN.

M. Silver: Traitement du langage naturel.

Le président: Merci beaucoup.

Vous faites figure d'autorité dans le domaine dont nous discutons aujourd'hui; c'est pourquoi vous êtes ici. Certains de vos collègues en kinésiologie sont reconnus pour avoir mis au point des programmes portant sur la santé des aînés et en particulier sur la santé cardiaque et les personnes ayant subi un infarctus. Ils ont élaboré des programmes d'exercice pour ces trois catégories de personnes qui sont tellement aimés par les participants que ceux-ci, à l'approche du congé de Noël, détestent la perspective de devoir prendre une pause de leurs activités.

En fonction de ce que vous et Mme Pineau avez mentionné concernant les diagnostics, et ainsi de suite, il m'apparaît que vous avez un public captif idéal devant vous pour mettre à l'épreuve certains outils diagnostiques. Par exemple, nous avons entendu qu'il existe un outil diagnostique en ce moment pouvant être porté par une personne ayant reçu un diagnostic de maladie cardiaque. Cet outil peut prévoir le moment où la personne pourrait subir un infarctus. Le fait est que la possibilité de connaître la situation un ou deux jours d'avance change énormément la donne en ce qui concerne le traitement de cette personne, la possibilité de la protéger et la réduction spectaculaire des coûts pour le système de santé.

Je me demandais si vous avez réfléchi à certaines possibilités de collaboration avec vos collègues dans ce domaine.

M. Silver: Eh bien, votre question tombe à point. Elle touche deux choses dont nous discutons; d'une part, l'analytique sportive et, d'autre part, l'idée d'inciter les gens à mieux prendre soin d'eux-mêmes.

J'ai collaboré avec des personnes du domaine de la kinésiologie ainsi qu'avec Kinduct, une entreprise installée en Nouvelle-Écosse. Nous sommes en train d'organiser un colloque sur l'analytique sportive qui devrait se tenir en juillet. Un des éléments dont nous avons discuté est la façon dont cela vient s'ajouter aux soins de santé en général. Le département de kinésiologie avait mis au point un programme à l'intention des personnes ayant subi un infarctus pour les éduquer à propos de l'exercice physique. Il est vrai que ces personnes arrivent au point où l'exercice occupe une place importante dans leur vie. Ce serait une bonne idée d'effectuer un suivi auprès de ces personnes et de dégager des éléments permettant de prévoir leur progrès et de cerner comment elles pourraient s'améliorer, ou peut-être de déceler l'apparition de problèmes particuliers.

L'analytique sportive se penche sur les mêmes préoccupations, mais ne vise pas autant les infarctus. Les personnes dans ce domaine sont davantage préoccupées par les blessures. C'est ce qui les intéresse. Ils cherchent à dépister des cas de surentraînement ou de sous-entraînement ou des indices montrant que la personne subira une blessure.

Le président: Ma dernière question s'adresse à vous deux. Un des problèmes constamment soulevés dans ce domaine tient aux préjugés liés à la reconnaissance. Voilà un domaine dans la société où tout tient non pas tant à une question de préjugés qu'à une erreur de reconnaissance. Des études très récentes ont montré que les témoins oculaires sont très faillibles. Ils sont peut-être fiables pour ce qui est de donner un compte rendu général, mais pas en ce qui concerne les détails.

Une des applications possibles clairement cernée de l'intelligence artificielle jumelée à l'électronique est l'identification et la reconnaissance d'une situation. Prenons le même exemple.

Le vocabulaire de l'intelligence artificielle en ce qui concerne un problème particulier est élaboré par les humains. La qualité des résultats dépend des données, des paramètres et des algorithmes qui sont spécifiquement cernés pour interpréter les données d'une certaine façon.

À votre avis, sommes-nous prêts à utiliser les données et la création d'algorithmes pour éliminer les erreurs de reconnaissance? Bien entendu, les préjugés liés aux données seraient écartés. Pouvez-vous nous donner vos commentaires à ce sujet en utilisant l'exemple que je vous ai donné?

M. Silver: Mme Pineau a souligné quelques fois que certains modèles de prévision contiennent des préjugés; cela est lié en grande partie à la cueillette des données utilisées pour élaborer ces modèles et à la population ou aux connaissances à partir desquelles on a recueilli les données. Je crois que cela est toujours le cas. Évidemment, on pourrait croire que le fait d'augmenter la quantité de données utilisées pour mettre au point ces systèmes aiderait à éliminer les préjugés, mais la source demeure le problème. Peut-être que des patients d'un groupe ou d'un type en particulier pourraient recevoir davantage de soins médicaux et être plus susceptibles de subir des analyses. Ce sont ces données qui seront ensuite utilisées dans le système. La question alors porte non pas tant sur les résultats obtenus au moyen de l'IA que sur la source des données qui permet de générer les nouvelles connaissances formées par l'IA.

Mme Pineau: Il y a un aspect dont nous n'avons pas encore discuté; c'est la notion d'incertitude inhérente aux machines. Quand des humains analysent des informations, il y a une part d'incertitude. Si un médecin examine l'image d'une tumeur, dans certains cas, il pourrait ne pas être tout à fait certain; il existe de l'incertitude. Dans bien des cas, certains algorithmes que nous mettons au point contiennent une façon de calculer l'incertitude. Souvent, nous ne communiquons pas ce renseignement. Nous formulons une prévision concernant l'image qui correspond à une maladie ou à une personne. Il existe des algorithmes permettant de calculer cette part d'incertitude. Nous devons établir la bonne façon de communiquer la décision obtenue par les machines afin qu'elles reflètent le degré d'incertitude. Ainsi, la personne recevant l'information peut prendre des décisions différentes en se fondant sur la mesure de l'incertitude. Si nous ne sommes pas certains des prévisions concernant une tumeur en particulier, nous n'effectuerons pas d'intervention chirurgicale tout de suite; nous demanderons plutôt d'autres analyses. Cette notion d'incertitude est essentielle dans certains systèmes.

Ce n'est pas réalisable dans tous les systèmes. Si une voiture fonctionne sur le mode pilote automatique, elle ne peut pas s'arrêter et demander au conducteur: «Croyez-vous vraiment qu'il y a un camion là-bas?» Dans certains cas, ce n'est pas possible de prendre en compte l'incertitude parce que le temps accordé à la prise de décision est trop court. Mais dans les cas où nous avons le temps, il s'agit d'une information très utile.

Le président: À votre connaissance, y a-t-il un exemple d'un appareil auquel on aurait soumis un visage parmi une foule et ensuite demandé de reconnaître ce visage dans une espèce de séance d'identification pour vérifier si l'apprentissage machine est plus fiable que la reconnaissance effectuée par un humain?

Mme Pineau: À ce que je sache, nous n'avons pas fait cela dans le cadre d'une séance d'identification, mais nous l'avons assurément fait avec des ensembles de données sur des personnes pour essayer de sélectionner un visage parmi un ensemble de visages et de trouver celui qui est identique.

La machine est plus fiable quand le nombre de candidats est très grand. Mais dans certains cas, si l'on place deux visages côte à côte, c'est l'humain qui est le plus fiable. Si le visage doit être reconnu parmi 20000, la machine a tendance à être plus fiable parce que l'humain se fatigue et que son regard erre.

La sénatrice Galvez: Je suis ingénieure, donc je sais que la qualité des données est fondamentale en ce qui a trait à l'exactitude et à la fiabilité des résultats.

Vous venez de mentionner l'incertitude. Il y a deux ans, je me suis cassé la cheville. J'ai dû consulter trois médecins parce qu'ils n'arrivaient pas à décider si je devais subir une chirurgie et faire installer une tige ou si ma blessure guérirait d'elle-même. Parmi les facteurs, il y avait le fait que j'ai plus de 50 ans et que je suis une personne de petite taille, si je me compare au sénateur Meredith.

Je comprends que ces données seront très homogènes en ce qui concerne une société ou une population homogène donnée et que les diagnostics seront fiables. Mais qu'advient-il dans le cas d'une population hétérogène et multiethnique? Sommes-nous encore loin d'obtenir un degré de certitude acceptable?

Mme Pineau: Cela dépend vraiment de l'accessibilité des données. Si nous pouvons obtenir des données d'une grande partie de la population, nous réussissons assez bien à produire des prévisions pour une grande tranche de la population. Si nous n'avons pas accès à autant de données, les systèmes d'IA ne seront pas d'une grande utilité.

Je vais vous donner en exemple le domaine de la reconnaissance vocale, où une machine transpose par écrit une langue parlée. Les résultats obtenus avec l'anglais étaient bien meilleurs que ceux obtenus avec d'autres langues tout simplement parce que nous travaillions surtout avec des systèmes en langue anglaise. Maintenant, les résultats obtenus avec d'autres langues s'améliorent graduellement parce que nous versons des données d'autres langues dans nos machines. Il se produit la même chose en ce qui concerne les diagnostics médicaux et l'analyse des symptômes.

Quand nous commençons par implanter la technologie seulement dans de grands hôpitaux situés dans des grandes villes, nous recueillons des données d'une partie de la population. À mesure que nous recueillons des données d'une partie beaucoup plus grande de la population, nous prenons des décisions qui sont meilleures pour tous.

[Français]

La sénatrice Mégie: Monsieur Silver, dans votre document, on retrouve la prise de mesures légales dissuasives appropriées dans le cas d'une utilisation à mauvais escient. Est-ce que vous pensiez aux compagnies d'assurance qui utiliseraient les données ou y a-t-il d'autres choses auxquelles vous avez pensé?

[Traduction]

M. Silver: Le fait est que, de la même façon dont on pourrait se servir d'un algorithme d'IA pour cibler les personnes les plus susceptibles d'avoir une maladie cardiaque dans le but de leur recommander de prendre des vacances, de faire de l'exercice et d'autres choses du genre, on pourrait aussi s'en servir dans la prise de décisions concernant l'octroi d'une promotion. Ce n'est peut-être pas tellement le cas au Canada, mais, ailleurs dans le monde, il existe un lien important entre les employeurs et les soins de santé; il s'agit donc de préoccupations légitimes.

De façon plus large, on pourrait imaginer que la même chose pourrait se produire à l'échelle de la population d'un État. Cela se produit maintenant dans une certaine mesure. Les médecins doivent décider si une personne aura un remplacement de la hanche en fonction de son âge et de son état de santé. Nous espérons que ces décisions sont prises — et je suis certain que c'est le cas — de la façon la plus éthique possible compte tenu des contraintes pesant sur le système, mais d'autres facteurs pourraient s'immiscer dans les processus de prise de décisions, j'imagine, si l'on s'en remettait à l'IA et que nous en venions à accepter que son fonctionnement est excellent et que la décision rendue est bonne.

[Français]

La sénatrice Mégie: Moi, j'avais pensé que les compagnies d'assurance pourraient les utiliser pour refuser d'assurer des gens. C'est plutôt dans ce sens-là.

Pour ma deuxième question, vous avez mis dans vos inquiétudes une diminution de la qualité des soins de santé par l'intermédiaire de l'intelligence artificielle pour des raisons économiques. Je ne sais pas si j'ai manqué votre réponse, mais je comprends mal, parce qu'on dit que le Canada a le meilleur système de santé. Cependant, vous écrivez que l'intelligence artificielle pourrait en diminuer la qualité. Ai-je mal compris?

[Traduction]

M. Silver: Non. Vous avez très bien compris. En fait, cette inquiétude est partagée par des médecins avec qui j'ai discuté d'IA au cours des quelques dernières semaines. On pense qu'il serait possible de réduire les coûts des soins de santé en affectant un ambulancier ou une infirmière autorisée dans certaines situations, avec l'assistance de l'IA. Cela pourrait être une très bonne chose. C'est une façon de réduire les coûts ou, devrais-je dire, de possiblement accroître la productivité en augmentant le nombre de patients. Toutefois, cette façon de faire n'écarte pas la possibilité que de mauvaises décisions soient prises.

Dans ces situations, la personne doit être formée pour être en mesure de reconnaître dans quels cas il faut consulter un médecin pour qu'il aide à faire le choix approprié, à poser le bon diagnostic, à déterminer le traitement, ce genre de choses. C'est très bien, mais si nous justifions l'utilisation de la technologie par la réduction des coûts, il se pourrait que nous ne recevions pas la même qualité de soins. Voilà où je veux en venir.

[Français]

La sénatrice Mégie: On peut fonctionner quand même sans l'intelligence artificielle. C'est donc pour cette raison que je vous posais la question.

[Traduction]

Le sénateur Meredith: Madame Pineau, je vous remercie encore une fois d'être présente. Vous êtes la codirectrice du Laboratoire de recherche sur le raisonnement et l'apprentissage. Le terme «système probabiliste» a été évoqué. Pourriez-vous expliquer ce que cela signifie aux fins de notre étude approfondie de cette technologie de pointe?

Mme Pineau: Le raisonnement et l'apprentissage sont deux des tâches essentielles quand il s'agit d'intelligence. Selon moi, la différence tient au fait que, en ce qui concerne l'apprentissage, l'information est acquise à partir de données pour qu'on puisse ensuite en extraire des prévisions; pour ce qui est du raisonnement, nous utilisons de multiples faits complexes et différents renseignements, puis les manipulons pour prendre des décisions complexes. Dans le cas des échecs, il s'agit davantage de raisonnement que d'apprentissage, parce que nous pouvons écrire toutes les règles. Quand il s'agit de reconnaître des visages, des objets et des maladies, cela fait davantage appel à l'apprentissage. Nous travaillons avec des systèmes d'IA qui exigent les deux à la fois.

Nous examinons en particulier les systèmes probabilistes parce que le domaine des probabilités nous donne le vocabulaire pour parler d'incertitude. J'ai mentionné plus tôt l'importance de caractériser l'incertitude liée à nos prévisions et à nos décisions, et ce domaine nous fournit le langage mathématique à l'aide duquel nous pouvons réfléchir à l'expression de l'incertitude.

Le sénateur Meredith: Pouvez-vous nous parler de la collaboration à l'extérieur du Canada, de ce qui se passe de ce côté, afin d'éviter que nous ne réinventions la roue?

Mme Pineau: Il y a des sous-domaines en ce qui concerne l'apprentissage machine. J'ai mentionné le domaine de l'apprentissage profond. C'est celui qui suscite l'intérêt de façon générale.

Le prochain domaine de pointe est l'apprentissage par renforcement. Nous avons deux des principaux centres de recherche en apprentissage par renforcement à l'Université McGill et à l'Université de l'Alberta, située à Edmonton. Ce type d'apprentissage sert, en particulier, à prendre des séries de décisions, pas seulement une décision ponctuelle — voici une image, qui est-ce? —, à déterminer comment prendre une série de décisions.

Les autres principaux groupes dans ce domaine sont partout dans le monde. Un des plus importants est l'entreprise Google DeepMind, située à Londres. Vous en avez peut-être entendu parler. Elle a créé un joueur de Go virtuel qui a battu le champion du monde à ce jeu en mars dernier, et ce fait a été remarqué à l'échelle internationale parce que ce jeu est très difficile.

Il y a beaucoup d'activités dans ce domaine, et nous collaborons avec des équipes aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe dans le but de progresser.

Le président: Je tiens à vous remercier tous les deux de votre présence aujourd'hui. Je suis d'avis que cette séance a été très intéressante. Vous avez été en mesure de parler du potentiel dans ce domaine, sans trop traiter de l'aspect théorique, et d'où cela peut nous mener, en étayant vos réponses à l'aide d'exemples pratiques.

Monsieur Silver, je vais ajouter à un de vos commentaires concernant le financement de la recherche. Il s'agit d'une de mes préoccupations depuis longtemps — la reconnaissance. Nous devons inciter les jeunes à s'inscrire à des programmes d'études de deuxième ou de troisième cycle et à passer à des programmes professionnels. Nous savons que les petites universités ont obtenu du succès de façon disproportionnée par le passé, mais, de nos jours, le développement du savoir et l'accès à celui-ci, les installations de recherche, et ainsi de suite, sont essentiels.

Aujourd'hui, nous avons avec nous une représentante d'un des établissements de recherche les plus anciens, importants et solides au Canada, reconnu à l'échelle internationale dans ce domaine, et un représentant d'une des petites universités, parmi celles qui se sont démarquées depuis longtemps.

Pour ce qui est de l'aspect futuriste de l'intelligence artificielle, de la robotique et de l'impression 3D, on ne pourrait avoir un meilleur exemple de l'étendue de la recherche et de la nécessité de reconnaître l'importance de ces secteurs de façon à nous assurer d'être toujours en mesure d'inciter les jeunes à poursuivre leurs études vers les cycles supérieurs à l'Université McGill et à d'autres formidables universités au pays. Il s'agit d'un des faits saillants de notre rencontre d'aujourd'hui.

Encore une fois, je souhaite remercier mes collègues de leurs questions qui continuent de nous aider à progresser dans le cadre de la présente étude.

(La séance est levée.)

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