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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 22 - Témoignages du 3 mai 2017


OTTAWA, le mercredi 3 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour poursuivre son étude sur le rôle de la robotique, de l'impression 3D et de l'intelligence artificielle dans le système de santé.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse, et je préside ce comité. Je commencerai par inviter mes collègues à se présenter, en commençant à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto, et vice-président de ce comité.

Le sénateur Dean : Tony Dean, sénateur de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Betty Unger, d'Edmonton, en Alberta.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : Nous poursuivons notre étude sur le rôle de la robotique, de l'impression 3D et de l'intelligence artificielle dans le système de santé. Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui deux témoins. J'invite M. Bengio, qui est directeur et professeur titulaire à l'Université de Montréal, plus précisément à l'Institut des algorithmes d'apprentissage de Montréal, à nous livrer son témoignage.

Monsieur Bengio, nous vous écoutons.

Yoshua Bengio, directeur et professeur titulaire, Université de Montréal, Institut des algorithmes d'apprentissage de Montréal : Je vous remercie. Je suis heureux d'être ici. L'Université de Montréal a fait office de pionnière dans le domaine de l'intelligence artificielle, en particulier dans un secteur que l'on appelle l'apprentissage profond, dont vous avez entendu parler lors de réunions précédentes, d'après ce que j'ai cru comprendre. Au cours des 10 dernières années, depuis cette percée dans l'apprentissage profond, notre laboratoire a beaucoup grandi, et nous affichons maintenant la plus forte concentration au monde d'étudiants et de chercheurs en apprentissage profond en milieu universitaire.

Si vous le permettez, j'aimerais dire quelques mots au sujet des progrès réalisés en intelligence artificielle. Les ordinateurs sont maintenant beaucoup plus en mesure de comprendre au moins certains aspects du monde, et de prendre de bonnes décisions qui nous aideront de différentes façons, mais ils ne font probablement que commencer à s'approcher de l'intelligence humaine. Nous ne pouvons prédire l'avenir, mais même en ne tenant compte que des progrès réalisés jusqu'ici du point de vue scientifique, ces percées auront d'importantes retombées économiques et sociales dans la prochaine décennie.

Par exemple, une percée a pu être observée dans les dernières années au chapitre de l'utilisation de l'apprentissage profond pour permettre aux ordinateurs de reconnaître le contenu d'images, de comprendre la parole, c'est-à-dire de traduire les sons en mots, sans que cela ne signifie toutefois qu'ils en comprennent le sens, traduire d'une langue à l'autre, contrôler des robots, contrôler des voitures, planifier des séquences d'actions avancées, par exemple pour jouer à des jeux complexes comme le jeu de Go et battre le champion du monde de l'année dernière.

C'est la même science sous-jacente, la même technologie, qui est derrière toutes ces avancées et d'autres dont je n'aurai pas le temps de vous parler. Ces progrès sont assez horizontaux et généraux, et c'est pourquoi ils peuvent avoir un tel impact sur l'économie en général et sur bon nombre de différents types d'applications.

Ce qui est intéressant à ce sujet pour le Canada, c'est que notre pays a été un chef de file dans la science de l'IA, en particulier l'apprentissage profond, et qu'une grande partie des progrès ont été réalisés à Toronto et à Montréal et, dans une certaine mesure, à Edmonton, en particulier dans le domaine de l'apprentissage par renforcement.

Les universitaires canadiens ont été de véritables chefs de file mondiaux dans ce domaine, mais malheureusement, la plupart des investissements des entreprises dans ce domaine ont été faits ailleurs, principalement aux États-Unis et, dans une certaine mesure, peut-être encore plus maintenant, en Chine et aussi au Royaume-Uni.

Nous assistons depuis un certain nombre d'années à un exode des cerveaux, bon nombre d'ex-diplômés et d'universitaires canadiens ayant quitté le pays.

Les choses commencent toutefois à changer. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont pris conscience de l'importance stratégique de l'IA et commencent à investir, à la fois pour continuer de faire avancer la recherche fondamentale et afin de favoriser l'innovation en reliant les universités et les entreprises au Canada.

À Montréal, par exemple, si nous additionnons les différentes subventions et promesses faites par les gouvernements et les entreprises dans la dernière année en prévision des cinq prochaines années, et avec ce que nous attendons avec une forte probabilité dans la prochaine année, on arrive à plus d'un demi-milliard de dollars pour Montréal seulement, et c'est à peu près la même chose à Toronto.

Il est véritablement en train de se produire un changement sur la scène canadienne, tant dans les universités que dans la composition des écosystèmes de petites et grandes entreprises qui investissent dans l'IA.

Ainsi, à Montréal, au cours des six derniers mois, de grandes multinationales ont annoncé la création de laboratoires de recherche en apprentissage profond. La société Google a parti le bal, suivie de Microsoft, et Facebook, Huawei et IBM et d'autres en ont fait autant la semaine dernière.

Il est important de le signaler, parce que les économistes et les scientifiques s'attendent à ce que les retombées économiques de ces progrès soient très importantes, voire comparables ou même plus importantes que celles de l'électrification au début du XXe siècle, mais à un rythme probablement encore plus rapide, et c'est un aspect qui doit nous préoccuper. Par exemple, on estime que plus de la moitié des emplois, et même s'il s'agit d'une étude américaine, nous pouvons imaginer que la même chose se produira au Canada, seront partiellement ou complètement automatisés, ce qui permettra d'offrir de nouveaux produits et services et d'augmenter sensiblement la productivité, mais pourrait également entraîner des effets négatifs pour ce qui est du taux de chômage. De nouveaux emplois seront aussi créés, mais ils le seront ailleurs.

Il nous importe beaucoup de créer un grand nombre d'emplois technologiques, mais il est certain que les personnes qui perdent leur emploi ne sont pas celles qui ont un doctorat ou une maîtrise et qui créent ces technologies. De nouveaux emplois non routiniers seront toutefois aussi créés, et il y aura aussi de nouveaux emplois pour les personnes qui travaillent dans des domaines où l'aspect relationnel ou humain est primordial. Par exemple, je ne voudrais pas qu'un robot prenne soin de mes enfants.

Il y aura une transition, et elle pourrait être pénible et entraîner une grande misère humaine. Il est donc important de commencer à y penser et à réfléchir à la façon dont notre filet de sécurité sociale et les systèmes d'éducation pourraient devoir être adaptés à cette transformation dans la prochaine décennie.

Sur le plan financier, il est important de signaler que l'IA créera une grande richesse, mais que cette richesse sera principalement concentrée dans les pays où cette technologie est en cours de développement et où les entreprises la créent. Nous aimerions que le Canada soit un producteur d'IA, et pas seulement un consommateur. Tous les pays du monde consommeront ces technologies et pourraient subir certains de ces effets négatifs. Nous aimerions que cette création de richesse profite à notre assiette fiscale, au moins suffisamment pour que nous puissions assumer le coût de cette transition à venir.

En conséquence, les efforts déployés par les gouvernements pour stimuler l'innovation et le transfert de technologie dans ce domaine sont très importants. Il existe un élément particulièrement crucial, et il s'agit du talent et de l'expertise que nous possédons ou que nous pouvons attirer. Par exemple, à Montréal, à Toronto et à Edmonton, nous créons des instituts d'IA qui nous permettront d'offrir les meilleures installations au monde aux chercheurs qui font des recherches fondamentales en IA, et d'entourer ces personnes de groupes de spécialistes de la recherche appliquée et de l'innovation qui assureront la liaison entre ce talent et l'industrie locale, et qui stimuleront la création de petites et de grandes entreprises.

Il y a une autre chose importante qui fait l'objet de discussions dans la collectivité, ainsi qu'avec les gouvernements, et c'est qu'il importe de réfléchir non seulement aux applications rentables de l'IA, mais aussi aux applications qui auront un impact socialement positif, sans être nécessairement très rentables, mais qui pourraient être fort importantes pour bon nombre de personnes. Il suffit de penser aux applications dans le domaine médical, auxquelles ce comité attache aussi une grande importance. On peut aussi penser à d'autres domaines, comme la prestation de services gratuits aux plus démunis. Cela pourrait être utile pour bien des gens.

À l'Institut des algorithmes d'apprentissage de Montréal, où je travaille, nous collaborons déjà avec des dizaines d'entreprises, et une centaine d'entreprises ont exprimé leur intérêt de collaborer avec nous. Un grand nombre de nouvelles entreprises sont créées, parfois par les étudiants en laboratoire et parfois par des étrangers qui viennent nous demander une aide technique. En particulier, nous collaborons aussi avec des entreprises du domaine médical, ainsi qu'avec des chercheurs médicaux et des hôpitaux, pour explorer les nombreuses applications en milieu médical de l'apprentissage profond et de l'IA.

Je pense notamment à l'exemple de la société Imagia, qui a mis au point, pour un type particulier de cancer intestinal, un système de détection qui permet d'identifier les parties d'images médicales qui révèlent des cellules cancéreuses. Selon leurs tests, ce système permet de faire des diagnostics légèrement supérieurs à ceux des meilleurs médecins et largement supérieurs à ceux des médecins moyens.

En plus de tous ces investissements dans la science et l'innovation fondamentales, nous croyons que nous devons commencer à réfléchir aux répercussions sociales et éthiques de ces changements et lancer au sein de notre société une discussion qui réunit non seulement des scientifiques et des ingénieurs, mais également les experts en sciences sociales, humaines et éthiques qui ont quelque chose d'important à dire sur la façon de gérer ces changements.

En guise de comparaison, et pour nous motiver à pousser notre réflexion, il suffit d'imaginer toute la misère humaine et les troubles politiques que nous aurions pu éviter si, à la fin du XIXe siècle, les personnes au pouvoir avaient compris que la révolution industrielle ferait des ravages dévastateurs avant de produire beaucoup de richesse. Si le filet de sécurité sociale qui a fini par être instauré dans les années 1940, 1950 et 1960 avait été mis en place plus tôt, disons au début du XXe siècle, une grande partie de cette misère aurait pu être évitée.

Nous devons nous inspirer de cela. Le dernier point que j'aimerais signaler, en ce qui a trait aux aspects sociaux et éthiques, concerne une des préoccupations des gens de ma collectivité, et les discussions partout dans le monde sont nombreuses à ce sujet, à savoir le risque que ces progrès dans le domaine de l'IA puissent être exploités à des fins contraires à l'éthique. L'un des exemples les plus frappants concerne l'utilisation de l'IA dans des armes autonomes et mortelles, qui peuvent tuer sans l'aide d'aucun être humain. Comme bon nombre d'autres personnes, j'ai signé il y a deux ans des lettres demandant aux gouvernements de faire quelque chose à ce sujet, et un comité des Nations Unies se penche actuellement sur cette question.

Mon petit discours s'arrête ici.

Le président : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à M. Ferguson-Pell, qui est professeur à l'Université de l'Alberta, mais qui témoigne aujourd'hui à titre personnel. La parole est à vous.

Martin Ferguson-Pell, professeur, Université de l'Alberta, à titre personnel : Merci beaucoup. Je travaille à la faculté de médecine de réadaptation de l'Université de l'Alberta, de sorte que mon témoignage portera surtout sur l'utilisation de ce que je décrirais comme une trousse d'outils qui peut nous aider à résoudre les problèmes de gestion de la réadaptation et des maladies chroniques.

Je vais aborder trois aspects, même si la portée de mes propos pourrait être beaucoup plus vaste. Le premier concerne la prestation de soins aux personnes qui vivent dans des collectivités rurales éloignées. Le deuxième porte sur le secteur des prothèses, et le troisième concerne l'accroissement de l'efficacité de l'éducation.

La trousse d'outils englobe en fait toute une série de technologies différentes. Nous associons certaines d'entre elles à la robotique, de très près dans certains cas et plus vaguement dans d'autres. Par exemple, la réalité virtuelle et la réalité augmentée sont des domaines à croissance rapide qui ont, selon moi, un énorme potentiel au regard des trois aspects que je viens de vous énoncer. J'aimerais utiliser le temps dont je dispose pour parler surtout de réalité virtuelle et de réalité augmentée.

Le problème auquel nous sommes confrontés, en ce qui a trait aux personnes qui vivent dans des collectivités rurales éloignées, concerne les coûts astronomiques qu'il faut engager pour que des cliniciens se rendent chez elles, ou pour qu'elles puissent se rendre chez les cliniciens, ou les deux. Dans le domaine de la gestion des maladies chroniques, l'une des difficultés réside dans le fait que bon nombre des soins dont ces patients ont besoin sont, pour ainsi dire, des soins en série ou longitudinaux. Il ne s'agit pas d'interactions ponctuelles en personne où un diagnostic est établi et une intervention chirurgicale peut être effectuée pour que tout soit terminé et que le problème soit réglé. Il s'agit de soins de longue durée étalés sur de nombreuses années.

Cela devient extrêmement difficile pour les personnes qui vivent dans des collectivités rurales éloignées ou dans des réserves autochtones, et aussi pour les militaires.

Quand on pense à la télémédecine, ou médecine à distance, je crois que nous imaginons d'abord une caméra web posée sur le dessus d'un écran plat et peut-être un groupe de personnes réunies dans une pièce pour discuter. D'une certaine façon, c'est ainsi que la télémédecine a tendance à être offerte, dans la mesure où elle mène davantage à une discussion qu'à une interaction physique.

À la faculté de médecine de réadaptation de l'Université de l'Alberta toutefois, nous offrons depuis cinq ou six ans un programme de maîtrise en physiothérapie et en ergothérapie à distance, sur deux sites distincts en même temps. Nous avons donc notre pôle central à Edmonton et nous avons deux programmes satellites, l'un à Camrose et l'autre à Calgary.

Si nous avons décidé de procéder ainsi, c'est parce que nous trouvions que les cliniciens avaient tendance à s'installer là où ils recevaient leur formation, et dans une province comme l'Alberta, cela signifiait que nous avions un accès très inégal à ces professionnels. Nous avons donc mis en place un moyen très avancé d'offrir ce que nous appelons un « enseignement synchrone » aux étudiants, avec un professeur généraliste à distance et un professeur spécialiste au pôle central.

Le généraliste suit donc les instructions du spécialiste et explique aux étudiants les divers sujets traités.

Nous avons donc pensé que si nous pouvions procéder ainsi et enseigner aux étudiants, alors pourquoi ne pourrions- nous pas en faire autant, mais de manière très pratique dans la prestation de soins aux patients dans des collectivités éloignées? L'une des difficultés réside dans le fait que nous avons besoin d'informations que nous tenons pour acquises quand il s'agit d'une interaction en personne avec des patients, mais auxquelles nous n'avons pas accès lorsque nous traitons quelqu'un qui habite en région éloignée. Qu'il suffise de penser au toucher ou à la force exercée par le patient, ou à certaines nuances anatomiques du patient que nous devons surveiller pendant qu'il effectue une certaine série de mouvements.

Tout cela fait partie de la façon dont une évaluation médicale est établie, et ce que nous pouvons désormais faire, et cela, à un prix fort raisonnable, consiste essentiellement à mettre au point, pour moins de 10 000 $, une trousse qui serait gardée dans une clinique à distance avec un clinicien généraliste qui pourrait suivre les instructions d'un clinicien spécialisé qui travaillerait à partir d'un pôle en milieu urbain central.

Cette trousse Internet constitue essentiellement une trousse d'outils complète de différents types de capteurs qui peuvent être branchés sur Internet, et les données qu'ils produisent sont reçues à un autre endroit.

Nous avons donc commencé à mettre en place les éléments nécessaires pour mener une série de différents types d'évaluations cliniques, souvent de manière longitudinale, sur plusieurs semaines ou plusieurs mois. Cela peut permettre de tenir compte de la force du patient, de voir en détail certaines caractéristiques du patient et de mesurer le mouvement de différentes parties du corps d'une manière très précise et quantitative.

Nous pouvons l'utiliser, par exemple, pour évaluer la stabilité du patient. Donc, si un patient a une commotion cérébrale ou une autre forme d'incapacité qui peut affecter sa capacité de se maintenir en position debout, nous sommes en mesure de le déterminer. Chez quelqu'un qui a eu un accident vasculaire cérébral, nous voulons surveiller, par exemple, l'évolution de la négligence visuelle, et il est possible de le faire en utilisant ces capteurs relativement peu coûteux.

Lorsque vous utilisez ces outils, vous générez de nombreux canaux de données en même temps, si bien que selon le concept que nous développons et que nous avons démontré dans notre laboratoire, nous envoyons des données brutes par le réseau Internet vers le pôle urbain central, et nous pouvons ensuite créer une série d'applications qui peuvent alors interpréter ces données et les transmettre au clinicien spécialisé, qui peut les afficher en portant des lunettes de réalité virtuelle ou un appareil de réalité mixte HoloLens.

L'avantage de cette technologie, c'est qu'elle nous permet de transmettre les données qui nous intéressent. Imaginez que vous êtes assis là-bas, et que vous voyez devant vous en réalité virtuelle une série de tableaux de bord, représentant chacun un capteur différent. Si vous voulez examiner l'activité musculaire, vous y jetez un coup d'œil, puis vous y regardez de plus près avec l'affichage du monde virtuel.

Vous voulez peut-être ensuite observer quelque chose d'autre, comme une mesure de la force, alors vous n'avez qu'à regarder vers une autre direction, et le tour est joué.

Dans les documents que je vous ai fait parvenir se trouve ce qui nous inspire, et il s'agit de travaux menés par Microsoft, relativement à une technique appelée « holoportation ». L'holoportation nous transporte tout droit dans l'univers de Star Trek, puisqu'elle nous permet de prendre une représentation tridimensionnelle d'une personne dans un endroit éloigné, en direct, et de transmettre l'image 3D de cette personne vers un deuxième endroit qui, dans notre cas, est le pôle du centre urbain.

Si vous regardez bien le document que je vous ai remis, il s'y trouve un lien qui vous mène à une petite vidéo YouTube de Microsoft qui explique le phénomène de l'holoportation.

Je crois que dans les trois à cinq prochaines années, cette technologie deviendra courante et elle révolutionnera notre capacité d'interagir avec des patients de régions éloignées. Nous commençons à mettre les piliers en place, et cette technologie nous permettra de réaliser de petits miracles cliniques.

Pourquoi est-ce donc si important pour le Canada? Parce que le Canada est dans la position idéale pour être le laboratoire vivant qui développera ces technologies. Il suffit de regarder l'Alberta. Vous avez deux centres urbains exceptionnels pour la qualité des soins médicaux qui y sont dispensés. En Alberta, nous avons un seul système de soins de santé, l'Alberta Health Services, et nous avons la responsabilité d'une énorme empreinte géographique.

En conséquence, si nous cherchions l'environnement parfait pour commencer à illustrer le bien-fondé de ces technologies, le Canada serait un très bon candidat. Pourquoi est-ce important sur le plan économique? Parce que lorsque vous commencez à réunir ces applications et ces technologies, elles peuvent ensuite être utilisées dans bon nombre de régions éloignées, partout dans le monde, comme en Chine, en Afrique, en Australie, en Écosse et à de nombreux autres endroits où il est difficile de soigner les gens des régions éloignées.

J'aimerais vous signaler ce que je considère comme une possibilité très stimulante, du point de vue clinique, pour les patients dont le gouvernement fédéral est responsable, comme les Autochtones et les membres des Forces armées canadiennes, et aussi l'occasion d'envisager le développement de ces technologies également en vue d'en tirer un avantage économique. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup à tous les deux. Je cède maintenant la parole à mes collègues, et nous commencerons par le sénateur Eggleton.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup à vous deux pour vos exposés instructifs présentés dans le cadre de cette réunion.

Monsieur Bengio, je vais commencer par vous. Merci d'avoir soulevé le problème des répercussions sociales et éthiques de ces changements. Vous avez parlé de perturbations pour l'emploi de nombreuses personnes. Il est vrai que de nouveaux emplois seront créés, mais au bout du compte, nous en perdrons aussi en grand nombre. Il est important de le souligner.

L'autre question qui nous vient à l'esprit est la suivante : jusqu'où devons-nous aller? Où devons-nous tracer la ligne en matière d'intelligence artificielle et de systèmes automatisés? Vous avez vous-même tracé une ligne quand vous avez dit que vous ne voudriez pas que vos enfants soient soignés par un robot. Or, pour certaines choses, en particulier lorsqu'il est question d'apprentissage profond, si je comprends bien, des machines pourraient être assez puissantes et influentes et potentiellement dangereuses à certains égards. Elles pourraient très bien manipuler une personne en exerçant sur elle une influence indue.

Je parle ici du domaine médical. Vous avez déjà parlé d'un cas que nous ne devrions pas autoriser, et c'est celui des armes mortelles autonomes. Je comprends et je suis entièrement d'accord avec vous.

Permettez-moi de m'immiscer dans le secteur des soins de santé. Où devons-nous tracer la ligne dans ce cas? Nous devons réfléchir à l'avance à où tout cela nous mène afin de ne pas emprunter une voie susceptible de nous entraîner sur une pente dangereuse. Pouvez-vous dire où nous devons tracer la ligne?

M. Bengio : Pour l'instant, je pense aux types d'outils qui seront développés au cours des prochaines années, avec l'apprentissage profond, dans le domaine des applications médicales. Il s'agit principalement de fournir des éléments d'information supplémentaires aux médecins, du moins dans des pays comme le Canada. Je ne vois pas cela comme une menace en vue de remplacer un jour les médecins. Nous voulons que les médecins continuent d'interagir avec leurs patients.

Je n'ai pas d'exemple précis où j'ai pu constater un danger potentiel avec les applications médicales. Une question est toutefois liée à ces préoccupations, et c'est celle de la protection des renseignements personnels. Sur le plan social, un dilemme se pose, à savoir que personne n'aimerait que ses renseignements personnels soient utilisés par des personnes qui ne devraient pas y avoir accès. En parallèle, pour assurer un véritable succès de l'apprentissage profond et de l'IA, nous devons réunir les données de millions de personnes. Il s'agit de trouver un équilibre entre ces deux impératifs.

Je ne vois pas cela comme un danger, mais plutôt comme l'exigence de trouver le juste équilibre entre le besoin individuel de protection de la vie privée et le besoin collectif de meilleurs traitements.

Aviez-vous à l'esprit quelque chose de précis?

Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de vous donner un exemple qui a déjà été soulevé ici. C'est un outil qui s'appelle, si je ne m'abuse, IBM Watson, et qui peut semble-t-il établir de meilleurs diagnostics que certains médecins.

Ce qui est préoccupant avec ce genre d'outils, c'est l'influence qu'ils risquent d'avoir sur la communauté médicale, et le risque que le médecin se sente obligé de s'incliner devant la machine lorsque ses instincts suggèrent autrement, simplement parce que l'outil utilise une meilleure analyse statistique. Lorsque vous traitez un patient, il est probablement normal d'y aller avec la solution la plus sûre... permettez-moi d'utiliser cet exemple.

M. Bengio : Je pense que c'est un problème, mais je ne m'inquiète pas trop. À l'heure actuelle, certains médecins et probablement bon nombre d'entre eux s'inquiètent et se disent qu'ils n'utiliseront pas ce robot. En réalité, une fois que vous vous habituez aux machines et aux calculs qu'elles peuvent faire pour vous, vous apprenez à faire confiance à leur fiabilité, et ce n'est pas bien différent du médecin qui utilise un test qui a été développé au moyen d'un robot qui analyse le sang d'un patient et en définit les paramètres. Le médecin n'a pas réellement fait les tests elle-même. Elle a confiance que la machine qui a compté les cellules ne s'est pas trompée. Je ne m'inquiète donc pas trop de cet aspect.

Le sénateur Eggleton : D'accord. Si je peux poser une question à M. Ferguson-Pell, ce que vous décrivez ici est fascinant. Je pense que de nombreuses inquiétudes ont été exprimées quant à la possibilité de fournir de bons traitements médicaux aux personnes qui vivent dans des régions rurales. Votre programme de télémédecine semble très prometteur à cet égard.

Comment est-il financé? Vous rendez-vous dans la plupart des collectivités éloignées? J'imagine que cela exigerait des dépenses assez élevées. Il s'agit d'un équipement à la fine pointe de la technologie. Réussissez-vous à rejoindre une vaste clientèle en Alberta?

M. Ferguson-Pell : Nous en sommes au stade de la validation de principe. Nous ne dispensons donc pas de soins pour l'instant, mais nous avons examiné très attentivement cette question sous plusieurs angles. L'un d'eux est le financement; l'autre est la vitesse à laquelle cette technologie peut être développée de manière à garder l'avance sur la concurrence.

L'une des difficultés que pose la télémédecine, lorsqu'il est question de soins de santé primaires, est la question de la protection des renseignements personnels, qui ralentit la capacité de développement.

Cette question pour nous est en trois volets. Nous considérons que bon nombre des services avec lesquels nous commençons sont offerts couramment dans des cliniques de physiothérapie dans le secteur privé. Un grand nombre de services que les gens reçoivent en physiothérapie sont des dépenses directes. Cela nous permet de commencer sans nous embourber dans la complexité d'un changement de politique ou d'un changement de modèle de financement du système de soins de santé qui tiendrait compte du fait que nous comptons maintenant plusieurs cliniciens, généralistes comme spécialistes. Ensuite, il peut y avoir d'autres personnes dans l'équipe, comme des médecins et des physiothérapeutes, avec des rôles différents. C'est une façon d'accélérer le développement d'un point de vue technologique.

Le sénateur Eggleton : Dans l'espoir de pouvoir éventuellement adhérer au système de soins de santé?

M. Ferguson-Pell : Tout à fait, c'est notre intention. C'est aussi la raison pour laquelle le troisième volet consiste à travailler de concert avec les Forces armées canadiennes.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci à vous deux d'être ici aujourd'hui. J'ai une question pour chacun de vous.

Monsieur Bengio, ce que nous constatons entre autres avec ces technologies, c'est que le monde change. Avez-vous réfléchi à la préparation de nos jeunes? Il faut presque tout de suite leur en parler au début du secondaire ou même à l'école primaire, quand ils commencent à penser à leur carrière. À quoi doivent-ils s'attendre? Ce sera le portrait de l'emploi. D'autres emplois vont changer. Comment peuvent-ils évoluer dans ce contexte? À quoi doivent-ils penser?

M. Bengio : Puisque les changements seront très rapides, je crois qu'il est vraiment important que notre système d'éducation prépare nos jeunes à être très scolarisés. S'ils se spécialisent dans un domaine, et que ce domaine finit par être entièrement automatisé, ce ne sera pas très bon pour eux. C'est l'un des aspects dont il faut tenir compte.

L'autre aspect, qui est assez évident, c'est que nous voulons encourager les jeunes qui vont contribuer au développement de ces technologies, en particulier les spécialistes de l'informatique et les ingénieurs. Un effet peut déjà être observé en raison de toutes les discussions dans les médias sur l'IA et sur les percées récentes. Je peux imaginer des collèges nous appeler et nous demander s'ils peuvent organiser des visites pour les étudiants du secondaire et du premier cycle qui sont intéressés. Nous avons évidemment besoin d'un plus grand nombre de ces spécialistes parce que le Canada doit offrir autant que possible de ces emplois bien rémunérés qui permettront de créer ces technologies ici.

Nous devons continuer de bien évaluer comment la situation évolue. Si vous tenez compte de ce qu'écrivent les économistes ou simplement de votre bon sens, vous pouvez émettre de bonnes hypothèses. Les personnes responsables des programmes pédagogiques dans les écoles et les collèges doivent être attentives et tenir les étudiants au courant afin qu'ils puissent faire les bons choix.

La sénatrice Stewart Olsen : Monsieur Ferguson-Pell, ce que vous nous dites sur ce qui se passe en Alberta est formidable. Je viens du Nouveau-Brunswick, où nous n'avons pas d'école de médecine. Ma question est la suivante : vos initiatives sont-elles menées en vase clos? Les progrès en télémédecine sont-ils strictement réservés à l'Alberta, aux régions éloignées de l'Alberta, ou pouvez-vous envisager un Canada où une école en Colombie-Britannique pourrait offrir ce genre d'apprentissage à quelqu'un, à une école ou à une classe du Nouveau-Brunswick?

M. Ferguson-Pell : Tout à fait. Je peux vous en donner un exemple en ce moment, dans notre faculté, et il concerne le problème du bégaiement. Nous avons un institut appelé ISTAR qui est là pour aider les personnes qui bégaient à surmonter ce handicap. Nous offrons une thérapie contre le bégaiement, essentiellement, à des pays du Moyen-Orient. Cela devient simplement une question, d'une certaine façon, de logistique financière en ce qui concerne la façon dont vous gérez les ressources nécessaires pour offrir le service.

Dans une certaine mesure, il faut en arriver à une certaine harmonisation de la méthodologie pour que nous nous entendions au sujet de protocoles de base sur la manière d'offrir un certain type d'évaluation. Pensez à quelqu'un qui a une blessure de la coiffe des rotateurs. Nous avons un mode de fonctionnement normalisé que nous voudrions observer au titre de l'utilisation de cette technologie afin de pouvoir en arriver à une évaluation systématique de la coiffe des rotateurs de cette personne. Nous voudrions que ce mode de fonctionnement soit harmonisé avec ceux des autres provinces ou d'autres organisations collaboratrices afin d'assurer un fonctionnement rapide et en douceur.

Avec tout cela, une grande partie du coût tourne autour du temps qu'il faut pour effectuer l'évaluation. Cela signifie que la technologie doit être harmonieuse et fiable; vous branchez le tout et vous êtes prêts. Nous avons tous eu cette expérience avec la vidéoconférence. Deuxièmement, les protocoles peuvent nous aider en ce sens.

Pour vous convaincre de la faisabilité de ce projet, je peux vous parler de notre expérience d'enseignement aux ergothérapeutes et aux physiothérapeutes dans des régions éloignées, mais pas trop, à savoir Calgary et Camrose. Avec des groupes colocalisés, nous avons démontré que ces étudiants, lorsqu'ils obtiennent leur diplôme et font l'examen national, décrochent des notes égales ou meilleures que ceux qui ont suivi un enseignement en personne. Je suis convaincu que notre méthode fonctionnera et qu'elle aboutira à des soins de qualité, mais nous devons assurer un certain degré d'harmonisation.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie tous les deux de votre présence.

En tant que montréalaise, c'est à vous que je m'adresse, monsieur Bengio. J'aimerais commencer par vous féliciter sincèrement pour les énormes efforts que vous avez déployés pour créer ce centre à Montréal. J'ai consulté les journaux, Google et Microsoft, et j'ai ressenti une grande fierté et une grande énergie à ce sujet.

Dans votre exposé d'aujourd'hui, vous avez dit clairement que les choses changent et que nous avançons dans de nouvelles directions. Vous avez dit que pour garder nos personnes de talent et en attirer davantage, nous devons offrir les meilleures installations au monde. Vous voulez que le Canada soit un producteur d'IA, et non seulement un consommateur. Vous le prouvez déjà à Montréal.

Si vous utilisez Montréal comme modèle pour d'autres centres qui pourraient voir le jour au pays, et j'espère que c'est bien ce qui se passe...

M. Bengio : C'est ce qui se passe.

La sénatrice Seidman : Quels étaient les atouts positifs? Quel est le modèle que vous allez reproduire dans d'autres parties du pays? Quels étaient les atouts positifs, et quelles ont été les difficultés particulières que vous avez eu à surmonter?

M. Bengio : L'atout de base est une masse critique de talent. Je parle ici de talents de haut niveau : des personnes, des chercheurs, des professeurs, des étudiants au doctorat, au postdoctorat qui font les meilleures recherches au monde, réunis en un seul endroit, qui travaillent ensemble et attirent l'attention non seulement de la communauté scientifique, mais aussi du milieu des affaires.

C'est ce qui s'est passé.

Il s'est aussi produit un changement dans les attitudes des investisseurs et des gens d'affaires, mais ce n'est qu'un début, qui permet aux entreprises d'IA en démarrage de commencer immédiatement et ne pas être aspirées vers la Silicon Valley. Autrefois, les Canadiens qui démarraient des entreprises de haute technologie, aussitôt que ces entreprises atteignaient un certain niveau, n'étaient pas nécessairement achetées, mais des investisseurs qui osaient prendre suffisamment de risques, et il n'y en avait pas assez au Canada, c'étaient essentiellement des investisseurs de Californie, demandaient à ces entrepreneurs de déménager en Californie pour se rapprocher d'eux, et c'est comme cela que beaucoup d'entreprises ont déménagé.

Tout cela a changé maintenant. Les investisseurs canadiens commencent à comprendre l'actif que nous avons ici, et les investisseurs étrangers comprennent également que s'ils veulent se joindre au mouvement, ils doivent accepter que les entreprises canadiennes resteront au Canada. L'effet de la concurrence fait évoluer la situation dans la bonne direction.

De façon générale, pour revenir à ma première réponse à propos de la masse critique, c'est un cercle vertueux. C'est pourquoi l'intervention du gouvernement est si importante. Elle permet d'injecter l'énergie nécessaire au mouvement, et de faire partir le développement dans la bonne direction. Nous devrons probablement continuer d'injecter cette énergie, mais les grandes entreprises adhèrent maintenant au mouvement.

Puisque vous m'avez posé des questions sur les difficultés, je dois vous répondre qu'il reste des défis à relever. En général, il faut changer la mentalité des investisseurs au Canada, qui sont très conservateurs. En outre, les grandes entreprises au Canada sont encore plus conservatrices. Elles ne sont pas habituées de faire de gros investissements audacieux pour l'avenir. Elles ont besoin de savoir que tout ce qu'elles achètent constitue un placement sûr. Nous devons changer cela d'une façon ou d'une autre. Je sais que certaines entreprises commencent à s'ouvrir à ce changement, et c'est tout à fait essentiel.

La sénatrice Seidman : J'aimerais vous poser la même question, monsieur Ferguson-Pell, pourvu que je puisse poser ensuite une autre question à M. Bengio.

Le président : J'inscris votre nom pour une autre question, mais je ne peux rien vous garantir.

La sénatrice Seidman : J'ai cru comprendre que vous êtes aussi très porté sur l'innovation. Je dois avouer que la notion d'holoportation est renversante. C'est une notion très futuriste, et j'arrive à me l'imaginer. J'aimerais vous poser la même question que j'ai posée à M. Bengio.

M. Ferguson-Pell : Si je me souviens bien de votre question, vous demandiez d'abord quels ont été les moteurs de cette innovation et quelles ressources ou quels investissements sont nécessaires pour assurer la réussite?

C'est une question très difficile dans ce contexte, car les intervenants sont nombreux. L'un de ces intervenants, pour ainsi dire, est notre conscience morale, par rapport à l'importance de fournir un accès équitable aux soins de santé. C'est l'un des principes fondamentaux des soins de santé au Canada. De nombreuses données révèlent des inégalités pour les personnes qui vivent dans des régions éloignées et rurales, du simple fait de leur emplacement géographique.

Je ne peux pas garantir que cette technologie mènera nécessairement à une réduction directe des coûts, c'est-à-dire que vous pourriez faire des calculs simplistes et dire qu'au lieu de faire voyager une personne d'une région éloignée jusqu'à Edmonton pour 5 000 $, vous pourriez payer la moitié de cette trousse d'outils, qui pourrait ensuite être utile à une centaine de patients. C'est une façon simpliste de voir les choses, puisque la personne n'aurait probablement jamais fait ce voyage en premier lieu, pour bon nombre des raisons que nous avons invoquées jusqu'ici.

Il s'agit d'un investissement effectué en partie pour des raisons d'équité et en partie pour développer une technologie qui présente un potentiel économique avantageux pour le Canada dans son ensemble.

Deuxièmement, les intervenants sont assez dispersés. Comme nous l'avons dit il y a quelques minutes, cette technologie pourrait être avantageuse pour toutes les provinces et davantage. Le soutien fédéral au développement de ces technologies, du point de vue de l'innovation, est important, et il a déjà été fourni. Nous avons obtenu des fonds de la FCI et de MITACS, et c'est exactement le genre de financement dont nous avons besoin pour faire ce type de travail. Il est plus difficile de positionner ce genre de travail dans le contexte des IRSC.

Ces programmes revêtent une importance cruciale pour la concrétisation de ces innovations.

Je dirais que cela offre également des possibilités d'investissement à l'industrie. Le financement que nous avons reçu de Mitacs, par exemple, résulte d'un investissement de TELUS Santé. Les entreprises du secteur des communications y trouvent des avantages; elles peuvent en tirer des avantages secondaires du fait que l'utilisation de leur infrastructure de TI augmente. Elles n'investissent donc pas directement, mais elles profitent des retombées parce qu'elles voient leur secteur croître grâce à la technologie de la santé.

Voilà qui vous donne une idée de la complexité de notre contexte de travail.

La sénatrice Seidman : Et cela contribue — M. Bengio a dit que le Canada devait être un producteur de technologie. Nous pouvons ensuite exporter cette technologie pour qu'on en bénéficie, non seulement dans notre pays, mais aussi à l'extérieur. Est-ce également votre avis?

M. Ferguson-Pell : Oui, et c'est plus difficile à faire pour certaines technologies que pour d'autres, simplement parce qu'il y a beaucoup d'autres acteurs dans ce domaine. Par conséquent, pour pouvoir vraiment réussir, agir prestement et commercialiser rapidement nos produits, il faut l'appui des fournisseurs de capital-risque et des investisseurs providentiels dont M. Bengio a parlé pour être les premiers sur le marché. Il nous arrive souvent de ne pas être les premiers parce que cette culture n'est pas développée chez nous.

Dans ce cas particulier, je dirais que la géographie est de notre côté et que nous pouvons peut-être en profiter pour devancer les autres, car nous avons des centres médicaux et d'excellents soins de santé. Nous avons un système de soins de santé public qui est bien placé pour pouvoir faire ce genre de choses. Nous avons la géographie voulue et la technologie, et nous avons donc de bons atouts en main.

Le sénateur Dean : Merci à tous les deux. C'est formidable et passionnant. Je voudrais parler un peu du rôle du gouvernement. D'après ce que nous avons entendu, le gouvernement fournit des fonds de démarrage et ce financement est important. C'est ce que vous avez dit tous les deux.

Si nous examinons les facteurs qui ont contribué aux réussites formidables de ces 10 dernières années, y a-t-il d'autres choses que le gouvernement pourrait faire, à part apporter son financement, ou devrait-il simplement se contenter de fournir l'argent et rester en dehors de tout cela? Voilà la première question.

Deuxièmement, nous sommes au courant des effets sociaux et économiques bénéfiques et positifs. Je voudrais parler des impacts négatifs, sans entrer dans les détails, car étant donné la nature de la technologie, il peut y avoir un grand nombre de conséquences négatives imprévisibles.

Qui en assume la responsabilité? Qui réfléchit à cette question et cherche à prévoir certaines des conséquences négatives que cela pourrait avoir? Nous avons entendu parler de l'iniquité en matière de santé. L'exportation des avantages de la technologie vers d'autres pays alors que d'autres n'en profiteront peut-être pas pose évidemment un autre problème. Avez-vous réfléchi à ces questions?

M. Bengio : Pour ce qui est du rôle des gouvernements, en plus de stimuler l'innovation dans le secteur de l'intelligence artificielle, il faut conserver ou faire venir au Canada les meilleurs spécialistes de ce domaine, des chercheurs et aussi des chefs d'entreprise. Notre processus d'immigration joue un rôle important.

En tant que professeur, je suis confronté à de nombreux problèmes. Les étudiants ont des difficultés, surtout ceux qui viennent pour des stages de courte durée, mais aussi les étudiants diplômés dont la venue est retardée et qui décident d'aller dans une autre université, dans un autre pays. Je crois que nous pourrions accélérer la délivrance des visas et des permis de travail surtout dans les domaines aussi essentiels que celui-ci, mais idéalement, pour tout le monde. C'est donc un aspect pour lequel je pense que la politique est importante.

Un autre aspect problématique est le partage des données. La santé est principalement du ressort des provinces. Le Québec et l'Ontario, par exemple, réussissent bien à centraliser les données médicales. Cela deviendra vraiment important pour l'IA, mais chaque province le fait séparément.

Je ne sais pas exactement comment nous allons pouvoir régler cela, mais notre pays pourrait non seulement fournir de meilleurs soins de santé, mais exporter ses systèmes et être beaucoup plus concurrentiel si les différentes provinces trouvaient un moyen de permettre aux chercheurs et aux entreprises qui participent au développement de ces produits d'avoir accès à des données partagées. Bien entendu, compte tenu de toutes les techniques utilisées, nous devons veiller à ce qu'il n'y ait pas de fuite des données. C'est un problème de compétence pour lequel le gouvernement fédéral pourrait peut-être jouer un rôle en amenant les différentes provinces à s'entendre.

Le sénateur Dean : Merci.

M. Ferguson-Pell : Premièrement, je suis entièrement d'accord au sujet des données et j'ajouterais à cela que les données peuvent être utilisées de diverses façons. En tant qu'universitaires, nous voulons utiliser les données pour nos recherches. Il faut que nous puissions y avoir accès conformément aux normes d'éthique. L'approbation éthique est assez complexe, car cela veut dire que chaque patient doit avoir autorisé que les données le concernant servent aux fins indiquées par les chercheurs.

La création d'une culture — je ne pense pas que les patients y voient beaucoup d'objection — selon laquelle les patients autoriseraient l'utilisation de leurs données à des fins de recherche, à la condition qu'elles soient anonymes, pourrait vraiment faciliter les choses. C'est une question qui nous cause vraiment des difficultés en Alberta parce que cette province a tendance à protéger davantage les données que les autres.

Cela pose certainement un problème au milieu universitaire en Alberta, mais je dirais que c'est relativement fréquent d'un bout à l'autre du pays.

En deuxième lieu, je mentionnerai la nécessité d'avoir une approche intégrée, tant au niveau provincial que fédéral. En ce qui concerne les soins aigus et chroniques, nous avons de la difficulté à nous entendre sur ce que sont vraiment les soins holistiques, notamment pour le maintien à domicile des personnes âgées, alors que des interventions relativement peu coûteuses au niveau communautaire permettent d'économiser énormément d'argent sur les soins aigus. Néanmoins, la capacité de transférer l'argent d'un secteur à l'autre, de modifier les politiques et les responsabilités administratives d'un secteur à l'autre est assez problématique. Ce n'est pas logique, mais c'est à cause de la façon dont les choses sont organisées.

Cela constitue un véritable obstacle, je crois, pour la gestion des maladies chroniques, car il est difficile de démontrer isolément que vous économisez de l'argent. Néanmoins, si vous prenez les interventions, l'innovation dans son ensemble, et les avantages que cela apporte sur le plan des soins aigus, cela devient une évidence. Voilà le défi à relever, je pense, au niveau provincial et fédéral.

M. Bengio : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Pour ce qui est de faire accepter par les patients que leurs données servent pour la recherche, nous devons veiller à ce que les patients sachent que leurs données sont en sécurité; le gouvernement canadien s'est penché sur la question de ce que les compagnies d'assurance pourraient faire des données portant sur les patients.

Je ne me lancerai pas dans ce débat, mais pour développer l'IA grâce aux données des patients, il vaut beaucoup mieux que ces derniers aient l'assurance que leurs données ne seront pas utilisées contre eux d'une façon ou d'une autre.

La sénatrice Unger : Merci beaucoup à vous deux pour vos remarques extrêmement intéressantes. Monsieur Bengio, je vous dirais seulement que j'aime vraiment votre message selon lequel si vous voulez faire des affaires avec nous, venez au Canada. Je vous dis bravo. J'ai lu récemment dans un de nos journaux nationaux qu'une entreprise de Californie était venue s'installer à Toronto précisément pour l'IA. C'est un excellent message.

Vous avez parlé de votre travail avec des dizaines d'entreprises et des centaines d'autres qui viennent frapper à votre porte. Je me demande comment vous allez gérer toute cette clientèle potentielle.

M. Bengio : Une bonne partie de l'argent que nous allons recevoir du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral au cours des prochaines années va permettre aux chercheurs de mon groupe de recruter des spécialistes de la recherche appliquée qui vont se charger du transfert technologique et travailler avec les entreprises.

Pour la plupart, les professeurs et les étudiants des cycles supérieurs continueront de faire leurs recherches fondamentales, leurs recherches à long terme. Nous ne voulons pas arrêter cela; autrement, nous finirons par perdre du terrain au profit d'autres pays qui poursuivent ces recherches. Nous n'aurons plus la même capacité d'attirer des talents.

Nous devons plutôt réunir au même endroit — c'est ce que les instituts sont censés faire, à Montréal, Toronto et Edmonton — ceux qui font de la recherche fondamentale et qui sont déjà là, mais nous voulons aussi recruter un grand nombre, peut-être même plus important que notre effectif actuel d'étudiants et de professeurs, d'anciens étudiants, d'ingénieurs, de gens que nous recruterons à l'étranger pour assurer l'interface entre les entreprises et les chercheurs.

Par exemple, dans mon groupe, lorsque nous recrutons des gens, nous leur disons que leur principale mission sera de travailler avec les entreprises et que cela absorbera environ 80 p. 100 de leur temps, mais que pendant le reste du temps, ils pourront collaborer avec les étudiants de 2e et 3e cycles et les postdoctorants à des recherches fondamentales, et publier leurs travaux. Cela leur permettra de rester au fait des progrès scientifiques et leur donnera envie de rester là au lieu d'aller travailler dans l'industrie où ils auront peut-être des meilleurs salaires.

La sénatrice Unger : Merci.

Les questions que je voulais adresser à vous deux ont déjà été posées, mais monsieur Ferguson-Pell, vous avez mentionné le financement parce que l'Alberta a ce genre de système. Pensez-vous que le secteur privé a un rôle à jouer ou qu'il peut participer à votre travail?

M. Ferguson-Pell : Absolument, et je pense même que le secteur privé pourrait être le premier à adopter ces technologies et pourrait nous permettre d'obtenir le capital-risque nécessaire pour réaliser rapidement certains de ces projets. Les cliniques de physiothérapie font un certain nombre d'interventions rémunérées à l'acte que le patient paye directement et si elles élargissent leur marché en étant capables de mieux rejoindre les communautés rurales, cela pourrait être très intéressant pour elles. Il faut, bien sûr, que les localités éloignées aient les moyens de s'offrir ce service. Il y a donc une iniquité au niveau de la prestation des services de physiothérapie, par exemple.

En Alberta, si vous recevez une prothèse de hanche ou de genou, vous avez droit à un certain nombre de séances de physiothérapie. Ce serait un excellent point de départ.

Pour ce qui est, je pense, d'une autre possibilité à l'interface entre le financement du système de santé et le financement privé, nous avons actuellement un programme appelé GLA:D, qui nous vient du Danemark. C'est une intervention de physiothérapie visant à retarder le moment où vous devrez vous faire opérer du genou ou de la hanche. Autrement dit, ce programme de physiothérapie rallonge la période pendant laquelle vous pouvez continuer à vivre et fonctionner confortablement avant de vous faire remplacer la hanche ou le genou.

C'est avantageux pour le système des soins de santé et le patient, en plus d'améliorer la qualité de vie de ce dernier, et cela offre à une clinique privée la possibilité d'offrir ce service. Voilà le genre de possibilités intéressantes que nous pourrions envisager au départ, car cela ferait l'affaire d'à peu près tout le monde, sans qu'on ait à se demander d'où viendra l'argent pour offrir ces services, ce qui est toujours problématique, surtout en période de difficultés économiques.

La sénatrice Unger : Oui. J'ai une autre brève question.

Le président : Très bien.

La sénatrice Unger : Je m'inquiète aussi de la sécurité et de la protection des données.

M. Ferguson-Pell : Oui. Les données concernant des choses comme la mesure de la force, les mesures du mouvement, et cetera, sont très faciles à crypter et sont généralement peu identifiables parce qu'elles sont transmises en temps réel. Elles sont ensuite stockées de la façon normale.

L'information vidéo est plus problématique, et il y a des protocoles à cet égard en télémédecine qu'il faudra améliorer lorsque l'utilisation de cette technologie va se développer, mais nous avons déjà les moyens de le faire. Il s'agit seulement d'obtenir les approbations nécessaires et la garantie que les techniques de cryptage sont suffisamment solides pour que le système puisse les accepter.

La sénatrice Unger : Merci beaucoup à tous les deux.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie tous les deux d'être parmi nous, et je vous remercie de vos présentations. Ma question s'adresse autant à l'un qu'à l'autre.

Monsieur Bengio, comme je suis également de Montréal, je vais commencer par vous.

[Traduction]

J'essaie de voir dans quelle mesure votre secteur et votre domaine sont ou seront démocratiques. Je sais que c'est vraiment passionnant et je suppose qu'il y a plusieurs éléments à considérer.

J'essaie de voir d'où vient cette initiative. Vient-elle des entreprises? Vient-elle des universitaires ou des deux? J'aimerais le savoir, car je vois que cela représente un investissement considérable et que c'est de la haute technologie. J'ai l'impression que cela représente des recherches et des produits très coûteux.

Comment allez-vous les mettre à la disposition du maximum de Canadiens? Comment cela va-t-il aider le plus de Canadiens possible? Cela pourrait être réservé à quelques privilégiés ou pourrait sauver le monde — je l'ignore — et vous pourriez peut-être me dire ce que vous en pensez et quelle est votre opinion à ce sujet.

M. Bengio : Je dirais qu'il se passe quelque chose de très positif dans la communauté scientifique de l'apprentissage machine, à savoir qu'elle est très ouverte, et cela depuis de nombreuses années. Non seulement les chercheurs publient leurs travaux de la façon habituelle, mais ils les déposent avant qu'ils ne soient évalués par leurs pairs dans un répertoire « en libre accès ».

Dès que quelqu'un a une bonne idée suffisamment étayée, elle est publiée sur le Web et les chercheurs ne sont pas les seuls à le faire. Les chercheurs de l'industrie, du moins dans le secteur de l'intelligence artificielle, donc des sociétés comme Google, Microsoft, Facebook, IBM, font la même chose. Il y a une grande circulation des idées.

Les étudiants passent du temps à un endroit, puis à un autre, si bien que tout le monde sait très rapidement ce que chacun fait. Si j'en parle, c'est parce que quiconque a la formation voulue, comme c'est, bien entendu, le cas de milliers de personnes dans le monde, peut savoir très rapidement s'il se passe quelque chose de nouveau. Ce n'est pas comme dans les films où vous voyez des chercheurs au service d'une entreprise qui font une grande découverte dont personne n'est au courant. Ce n'est pas du tout ce qui se passe. La science progresse par petites étapes, même si chacune d'elles peut avoir un impact important. Néanmoins, la science progresse par petites étapes qui s'ajoutent à ce que font les autres et tout le monde sait ce qui se passe.

En fait, les entreprises qui cherchent à travailler en secret sont perdantes. Elles perdent du terrain. C'est pourquoi, par exemple, une société comme Apple, qui était extrêmement secrète, a décidé, du moins en ce qui concerne l'apprentissage profond — de commencer à publier ses recherches. C'était pour elle le seul moyen de recruter des chercheurs solides dans ce domaine. Autrement, elle n'aurait même pas pu en recruter, parce que ces chercheurs trouvent plus important de faire partie de la communauté, de pouvoir parler à leurs pairs et d'obtenir leur rétroaction que de toucher 10 p. 100 ou un meilleur salaire.

Cela veut dire que quiconque ayant la formation voulue peut construire son propre modèle. Même en ce qui concerne les brevets, ces dernières années, les grandes entreprises ont commencé à dire qu'elles se serviraient uniquement de leurs brevets de façon défensive. Autrement dit, elles n'empêcheraient pas les autres entreprises de se servir de la science qu'elles produisent ou ne prendraient même pas de brevets sur les éléments plus scientifiques que ce qu'elles produisent. C'est une excellente chose.

Même s'il est vrai qu'il est nécessaire de disposer de capitaux pour développer cette science, c'est surtout une question de ressources humaines. Il faut de l'équipement informatique, mais surtout des gens, et cela n'est donc pas vraiment capitalistique. Une bonne partie des choses qui sont mises au point font déjà l'objet d'une distribution de masse. Si vous utilisez pratiquement tous les services Google ou une bonne partie des services Facebook, vous avez déjà recours à l'apprentissage profond et pratiquement gratuitement. Il y a des annonces publicitaires, mais c'est un autre problème.

Cette technologie est utilisée et fait en quelque sorte l'objet d'une distribution de masse. Nous utiliserons tous ces choses un jour, ou nous les utilisons déjà dans une certaine mesure.

Il s'agit d'une question de démocratisation au niveau commercial. Je suis le cofondateur d'une compagnie appelée Element AI, qui tente de rendre ce genre de technologie accessible à d'autres entreprises, outre les grandes entreprises des TI, des entreprises qui n'ont pas l'expertise nécessaire. Cela concerne de nombreuses entreprises canadiennes, même importantes, voire même de grandes multinationales. Elles n'ont tout simplement pas l'expertise ou les talents, ce qui fait qu'elles ne savent pas comment sauter dans le train. Cela pose donc un problème, mais des entreprises comme Element AI et IBM sont là pour mettre ce genre d'expertise à leur disposition.

Je ne suis pas certain d'avoir répondu à votre question ou si pensiez à quelque chose d'autre.

La sénatrice Petitclerc : Nous voulons avoir une idée de l'impact sur la santé. Êtes-vous d'avis que cela aura des répercussions positives sur la santé des Canadiens? En fin de compte, n'est-ce pas là le résultat que nous souhaitons?

M. Bengio : Oui. Dans un sens, cela est lié à ce dont Martin a parlé un peu plus tôt. Il y a des cas où il est assez évident qu'il est rentable pour une entreprise de mettre au point un produit qui sera utilisé par les hôpitaux, par exemple. J'ai parlé plus tôt de l'imagerie médicale, un domaine en pleine expansion, parce qu'il est très facile, une fois la technologie mise au point, de faire de l'argent en l'exploitant.

Toutefois, je suis certain qu'il y aura d'autres cas où cela sera moins évident d'un point de vue commercial, alors que l'impact social positif pourrait être important. C'est à ce niveau-là qu'un rôle bien établi pour les gouvernements, par exemple, la création d'instituts, prend tout son sens.

Les chercheurs universitaires sont très motivés par l'idée que les recherches qu'ils font peuvent avoir des répercussions positives sur un grand nombre de personnes. Dans mon groupe, nous sommes prêts à nous attaquer à des enjeux auxquels aucune autre entreprise ne s'intéresse, que des médecins ou des hôpitaux considèrent comme importants et potentiellement utiles pour de nombreuses personnes. Cela nous incite à aller de l'avant. Nos salaires, en tant que professeurs, sont payés par le gouvernement, ce qui fait que dans notre travail, nous visons le bien commun. Cela ne fonctionnerait pas nécessairement de cette façon dans un pays où tout est motivé par le profit immédiat.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter?

M. Ferguson-Pell : Non. Je suis complètement d'accord. Je crois que nous avons bien couvert la question.

Le président : Avant de passer à la deuxième ronde, j'aimerais poser des questions concernant certains sujets qui ont été abordés.

En ce qui a trait à la confiance et à l'éthique liées à l'utilisation des données, dont vous et le sénateur Eggleton avez commencé à discuter, monsieur Bengio, je crois que vous avez donné un très bon exemple lorsque vous avez parlé de la numération des cellules, un excellent exemple, à mon avis, axé sur la réalité plutôt que sur des hypothèses. Nous sommes prompts à accepter la technologie qui nous fournit de l'information utile pour faire un diagnostic ou résoudre des problèmes, et nous cessons rapidement de nous préoccuper des questions d'éthique qui entourent cette technologie.

Passons maintenant à quelque chose d'un peu plus compliqué, soit l'imagerie 3D, l'imagerie cérébrale. Comment pouvons-nous savoir que l'interprétation de l'imagerie cérébrale d'un individu n'a pas été influencée par les données qui ont servi à programmer la machine pour l'examen du cerveau et l'utilisation des résultats? Nous ne le savons tout simplement pas. Une personne qui souffre d'une lésion cérébrale souhaite avoir accès à l'imagerie sans délai. Lorsqu'il y a détérioration d'une capacité mentale, la première chose que l'on souhaite obtenir, c'est une image. En fait, aujourd'hui, lorsque les gens se présentent à l'hôpital, ils exigent presque une IRM, quel que soit le problème dont ils souffrent.

Je crois que l'une des choses que nous devons faire lorsque nous examinons les questions éthiques entourant la concentration des données, c'est de déterminer la façon dont ces données sont utilisées et les avantages réels qu'elles comportent, ainsi que de peser les avantages possibles par rapport aux problèmes potentiels.

Nous avons déjà discuté de cette question. Au fur et à mesure que nous progressons dans le domaine de l'apprentissage profond, nous savons comment l'apprentissage est structuré. On nous a montré comment nous sommes passés du simple empilage de photocopies à la modélisation du cerveau et de son fonctionnement, le Canada étant un chef de file dans ce domaine. Cela vient en partie du fait que nous avons poussé la recherche dans le domaine neurologique bien plus loin que de nombreux autres pays.

Nous sommes arrivés au point où, en ce qui a trait au diagnostic des maladies, nous savons que nombre d'entre elles ont des racines culturelles ou ethniques. Leur incidence est plus élevée et plus prononcée dans certains groupes ethniques que dans d'autres. Le problème qui se pose alors est le suivant : les données sont-elles suffisantes? À mon avis, votre exemple simple de la numération des cellules représente une bonne base de réflexion pour nous, la production de données suffisantes n'ayant plus d'importance, parce qu'en présence d'une présélection ethnique complète dans un échantillon suffisant et solide d'une population, il est beaucoup plus probable que tous les facteurs seront pris en compte. En fait, il y a probablement plus de diversité dans un seul groupe ethnique que d'un groupe ethnique à un autre. Nous savons que la génétique, et plus particulièrement au niveau du microbiome, même à l'intérieur d'un groupe ethnique donné, varie considérablement dans la population. Ces facteurs doivent être pris en compte maintenant, dans le cadre de l'étude des microbes notamment.

Je ne veux pas trop m'étendre sur le sujet, parce que j'ai une question pour M. Ferguson-Pell. Y a-t-il quelque chose dans mon résumé qui vous amènerait à aller plus loin dans votre réponse à la question du sénateur Eggleton?

M. Bengio : Parmi les problèmes que vous avez soulevés et qui sont bien étudiés maintenant figure la question du biais attribuable au choix particulier des données utilisées pour programmer la machine. La machine se limite à imiter ce qu'elle voit dans les données de programmation, ce qui fait que si ces dernières reflètent les biais des personnes ou l'absence de diversité dans les sources de données, cela aura un effet, à moins que nous fassions quelque chose de particulier à ce sujet. Et nous pouvons faire quelque chose.

Depuis quelques années, et certaines des études à ce sujet ont été faites au Canada, nous connaissons des techniques qui peuvent nous aider à réduire considérablement ce problème. L'idée est la suivante : si nous décidons aussi, disons, que l'origine ethnique est la variable que nous aimerions que le système laisse de côté, parce que nous souhaitons qu'il décide sans tenir compte du sexe, de l'origine raciale ou de tout autre variable, nous pouvons le faire. Nous pouvons simplement programmer la machine pour qu'elle prédise ces variables et qu'elle les laisse de côté dans ses autres décisions. Le résultat n'est pas nécessairement parfait, mais nous connaissons les mécanismes nécessaires pour y arriver.

Je peux imaginer que, dans certains cas, cela pourrait être prévu dans la loi, une forme de respect des valeurs d'un pays en particulier, afin que certains systèmes dans les domaines de la médecine ou du droit comportent ce genre de mesures de sécurité. D'un point de vue scientifique, nous savons comment le faire. Il faut prévoir un effort additionnel pour s'assurer que le système n'est pas biaisé, et il se peut que cela se fasse au détriment de la précision. Souvent, les entreprises ne le feront pas, à moins qu'on leur demande.

Le président : Vous avez mentionné quelque chose que je souhaitais entendre de vous, à savoir que si nous obtenons des données suffisantes pour un nombre suffisant de groupes ethniques, nous avons non seulement l'information nécessaire pour augmenter la probabilité que la première image soit réussie, mais nous avons aussi la capacité de poser une deuxième question.

Une fois les données nécessaires obtenues, si vous prenez votre sous-ensemble d'un groupe ethnique particulier et que vous l'appliquez à l'échantillon utilisé pour programmer votre instrument robotisé, votre interprétation de l'image que vous avez obtenue change-t-elle? Ultimement, si nous intégrons suffisamment de données dans le système, nous avons la possibilité non seulement d'obtenir une réponse générale rapidement, ce qui peut convenir absolument, mais aussi de raffiner les questions en fonction de structures corporelles et de groupes ethniques différents, notamment.

Je vais m'arrêter là.

M. Bengio : C'est certain.

Le président : Monsieur Ferguson-Pell, j'ai été frappé par l'exemple de la technologie Holoportation que vous avez donné, c'est-à-dire, si j'ai bien compris, la capacité de simuler la présence physique d'une personne en trois dimensions. J'aimerais pousser cela plus loin.

La question que je me pose en ce qui a trait à nos capacités dans les domaines de l'optique et de l'apprentissage profond, compte tenu des références que j'ai, a trait aux interventions chirurgicales dans des endroits difficiles d'accès, par exemple dans les cas de cooccurrence d'un cancer colorectal et d'un cancer de la prostate. Nous savons que des erreurs sont commises parce que le chirurgien est incapable de bien voir où pratiquer l'intervention, les organes en question étant très rapprochés et un petit geste pouvant être très dommageable à long terme.

On dit que le système progresse rapidement vers un aperçu tridimensionnel de la zone à opérer, avec des détails concernant la structure physique, la très grande proximité des organes, et je n'irai pas plus loin, leur énorme importance.

Selon votre expérience de la technologie Holoportation, croyez-vous qu'elle pourrait être utilisée pour les deux interventions que je viens de donner en exemple?

M. Ferguson-Pell : Oui. Je crois que cela est déjà possible, toutefois pas en temps réel, mais plutôt au moment de la planification de l'intervention, à condition de prendre des images qui ont été créées, par exemple des images de tomodensitométrie ou d'IRM, et de savoir quelle intervention sera pratiquée. L'exemple que nous avons du remplacement, à l'Université de l'Alberta, d'une valve cardiaque implantée précédemment, montre des résultats impressionnants. L'intervention est pratiquée au moyen d'un cathéter. On ne parle pas de chirurgie à cœur ouvert. Toutefois, il est difficile de faire passer l'instrument dans les veines pour se rendre au bon endroit, enlever l'ancienne valve et en mettre une nouvelle, particulièrement si elle n'est pas idéalement placée. Le fait de pouvoir répéter cette intervention avant de la pratiquer peut réduire de façon significative les risques de problèmes que vous avez décrits.

Je dirais que les résultats les plus faciles à obtenir dans ce domaine se situent au niveau de la planification et de la répétition d'une intervention, ainsi que de la simulation d'une situation, à partir des données propres au patient. Par le passé, nous avons utilisé des modèles génériques pour permettre aux spécialistes de répéter les interventions. Récemment, dans certains domaines, on a créé des modèles personnalisés des patients eux-mêmes, en vue de répéter les interventions, ce qui exige la production d'un modèle physique, pour laquelle l'impression 3D peut être utile.

Toutefois, les possibilités au chapitre de la réalité virtuelle et augmentée viennent de ce qu'il est possible d'utiliser les données d'IRM d'un patient en particulier. Cela permet de répéter l'intervention, mais aussi de modifier l'échelle. Contrairement aux instruments dont l'échelle est fixe, ce dispositif permet d'entrer dans le corps et d'avoir un aperçu global des vaisseaux sanguins ou d'une autre partie du cœur, par exemple, ainsi que d'en voir exactement la forme. Je crois que c'est là que résident les possibilités dans l'immédiat pour ce genre d'intervention chirurgicale.

Le président : Merci beaucoup. Votre réponse était très intéressante.

Je veux en venir à la question de la confidentialité des données. Il me semble qu'au Canada, nous n'avons pas beaucoup progressé dans le domaine de la santé en raison de notre paranoïa à l'égard de nos renseignements personnels. Par exemple, nous n'avons toujours pas de dossiers de santé électroniques pour les Canadiens. À cet égard, nous avons entendu le témoignage d'Inforoute Santé du Canada et d'autres intervenants ici, et nous avons approfondi plusieurs aspects de cette question. Je suis de plus en plus d'avis que les exigences que nous imposons aux fournisseurs, la protection de la confidentialité étant la principale dans les demandes de propositions dans ce domaine, sont telles qu'il devient pratiquement impossible de créer un dossier de santé électronique.

Si nous ne pouvons même pas créer de dossier de santé électronique, nous ne parviendrons certainement pas aux résultats que vous avez mentionnés, au moyen des données dont nous disposons pour prendre des décisions en matière de mise au point d'instruments et de développement technologique, notamment. Nous sommes déjà désavantagés en raison de notre population nationale, qui est plus petite que celle de la nation très avancée qui se trouve au sud de notre frontière. Nous devons pouvoir y parvenir.

Je suis toujours surpris de cette paranoïa dans ce domaine particulier, alors que, par ailleurs, les gens n'hésitent pas à soumettre leur déclaration de revenus sous forme électronique. Il me semble que j'ai entendu que 80 p. 100 l'ont fait cette année. Je pense que du point de vue des dommages concrets, il n'y a rien de plus délicat que les données financières des particuliers, et pourtant nous avons été en mesure de trouver une solution dans ce cas.

J'aimerais revenir au point que vous avez soulevé. Je crois que l'accès aux mégadonnées est essentiel pour que nos entreprises puissent progresser en vue d'aider les Canadiens, sans parler de leur compétitivité au chapitre des produits. Nous devons pouvoir résoudre cet enjeu. Le réel problème, que vous avez d'ailleurs abordé, je crois, est la protection contre l'utilisation des données d'un particulier pour bloquer ses possibilités d'emploi. Ces problèmes sont très réels, mais ils sont différents de la question des données totales comprises dans un système, qui servent à analyser ce qui se produit, en présence d'un symptôme donné, chez un grand nombre de patients, dans une vaste gamme de contextes.

Si nous voulons progresser autant que M. Bengio le souhaite en ce qui a trait à l'intelligence artificielle et aux avantages qu'elle comporte pour les Canadiens, nous devons être en mesure de résoudre ce problème concret. Autrement, nous n'y arriverons pas.

Nous allons maintenant passer à la deuxième ronde.

Le sénateur Eggleton : Messieurs, dans le projet de loi C-43, le gouvernement a prévu 125 millions de dollars pour l'Institut canadien de recherches avancées, l'ICRA, afin d'appuyer une stratégie pancanadienne en matière d'intelligence artificielle. Sauf erreur, monsieur Bengio, vous participez à cela.

Quelles sont les composantes de cette stratégie et quel échéancier entrevoyez-vous pour son élaboration?

M. Bengio : La stratégie comporte un certain nombre de composantes. La majorité de l'argent va à trois instituts. Selon ce que je sais, pour Montréal et Toronto, le plan prévoit environ 40 millions de dollars sur cinq ans. De cette somme, 30 millions de dollars serviraient à créer des chaires, afin d'attirer et de retenir les meilleurs professeurs dans le domaine et à payer des étudiants et des études postdoctorales, et cetera, les 10 millions qui restent servant au fonctionnement de l'institut. Cela s'étend sur une période de cinq ans. On parle donc de 2 millions de dollars par année. Je ne me rappelle pas des chiffres pour Edmonton, mais je ne crois pas qu'ils sont officiels. Ces renseignements viennent des discussions auxquelles j'ai participé.

Le montant total est d'environ 100 millions de dollars. Le reste va à des activités qui se situent davantage au niveau pancanadien et qui sont gérées par l'ICRA. L'une d'entre elles est de favoriser les discussions concernant les aspects éthiques et sociaux de l'IA. Une autre est d'encourager la collaboration entre les différents centres. Enfin, 10 millions de dollars sont prévus pour aider d'autres organismes dans les trois grandes villes. Par exemple, l'Université de la Colombie-Britannique avait un groupe assez important de chercheurs, mais, malheureusement, en raison de l'exode des cerveaux, la plupart d'entre eux sont partis. Le recrutement pourrait être accentué, et cet argent pourrait servir à attirer des professeurs dans ce domaine. C'est en gros la répartition, à ma connaissance.

Quelle était votre autre question?

Le sénateur Eggleton : L'échéancier.

M. Bengio : Les trois instituts ont été constitués. L'Institut Vector à Toronto a été créé il y a quelques semaines. On s'attend à ce que celui de Montréal voie le jour au cours des prochaines semaines. Selon le plan, les trois devraient commencer leurs activités au cours de l'année.

Le sénateur Eggleton : Cette stratégie se déroulera-t-elle par étape? Y aura-t-il des rapports sur ses progrès?

M. Bengio : Oui. L'ICRA a été mandaté comme organisation chargée de suivre les progrès. Il fait déjà cela pour ses programmes courants, des programmes de recherche fondamentale. Un secrétariat ou un comité sera mis en place pour procéder à des évaluations et prendre des décisions globales, par exemple, ainsi que pour évaluer la qualité des candidatures pour ces chaires, de façon uniforme partout au pays.

Le sénateur Eggleton : Croyez-vous que la somme investie par le gouvernement fédéral, même s'il est toujours plus intéressant d'avoir davantage, est suffisante pour faire une différence?

M. Bengio : Cet argent contribuera réellement aux aspects fondamentaux de la recherche. Nous tentons d'obtenir de l'argent du gouvernement fédéral pour l'aspect de l'innovation.

Vous vous rappellerez que je vous ai dit que nous souhaitions créer des instituts qui comptent à la fois des groupes de recherche fondamentale et des groupes de transfert de technologie appliquée. Du financement additionnel sera nécessaire pour que cela se produise. Les provinces investissent des sommes dans les deux, mais les montants additionnels obtenus du gouvernement fédéral joueront un rôle important. Si nous investissons uniquement dans la recherche universitaire et que nous n'aidons pas au transfert, nous perdons une bonne occasion de faire de ce projet une réussite globalement.

Le sénateur Eggleton : J'aimerais savoir, monsieur Ferguson-Pell, si le programme reçoit des fonds fédéraux ou s'il est entièrement financé par la province de l'Alberta.

M. Ferguson-Pell : Celui dont je parle en ce moment?

Le sénateur Eggleton : Oui.

M. Ferguson-Pell : Oui, surtout dans notre secteur. Outre les fonds que nous avons reçus de la FCI et de Mitacs, ce sont de petits montants, mais qui peuvent avoir leur importance.

Notre domaine présente l'intérêt d'être plutôt éclectique. Les avantages accessoires sont nombreux. Par exemple, le financement de l'apprentissage machine nous sert aussi, indirectement. Imaginez que des données soient envoyées d'une localité rurale à un grand centre et emmagasinées dans un dépôt. Si vous le faites à l'échelle nationale, vous disposez d'une mine où puiser pour étudier des trajectoires de soins, vous êtes capable de prédire l'issue possible pour un patient atteint d'une maladie chronique complexe qui exige beaucoup de ressources et une planification soigneuse.

L'apprentissage machine est probablement le seul moyen par lequel vous pourrez obtenir le fin mot sur ces trajectoires.

Nous devons étendre la notion de « données ». Plus tôt, nous parlions de profils génétiques, par exemple, de métabolites et d'autres mesures versés dans une base de données. Ces éléments se prêtent à merveille à l'apprentissage machine. Prenons un autre scénario : une plaie chronique, un énorme problème, extrêmement coûteux pour notre système de santé. Quelles données produisons-nous autour des plaies chroniques? Que mesurons-nous? Que cherchons-nous? Qu'est-ce qui caractérise une plaie chronique? Qu'est-ce qui nous aide à comprendre en quoi consiste le traitement? Comment pouvons- nous obtenir le meilleur taux de guérison de cette plaie et comment décidons-nous s'il faut lui appliquer un traitement de conservation ou une chirurgie plastique?

Voilà une affection qui coûte très cher à notre système. Ce n'est pas un sujet agréable à aborder. Il n'attire pas l'élite des milieux universitaires parce qu'il faut se salir les mains. Pourtant, c'est un domaine intéressant à explorer et qui pourrait bénéficier des techniques de l'apprentissage machine.

Je reviens au point précédent, à savoir qu'une fois effectuée cette recherche fondamentale, les bienfaits pour la société dépendent largement de notre imagination et de notre faculté de l'appliquer à des domaines intéressants, stimulants et importants, dont celui des plaies chroniques.

Le sénateur Eggleton : Qu'entendez-vous par plaie chronique?

M. Ferguson-Pell : Une plaie de pression, un ulcère diabétique, un champ opératoire qui ne s'est pas bien régénéré, et cetera.

Le sénateur Eggleton : Je vois. Merci beaucoup.

La sénatrice Seidman : Merci à vous deux de nous fournir constamment de la matière aussi stimulante.

Monsieur Bengio, vous nous avez parlé de votre entreprise Element AI, mais nous ne savons pas vraiment comment elle s'intègre dans ce grand casse-tête que vous avez présenté. Or, il y a des aspects pancanadiens et beaucoup de pièces mobiles à considérer.

M. Bengio : Oui.

La sénatrice Seidman : Je sais que c'est toujours le cas quand on est au beau milieu d'une innovation marquante.

Comment Element AI s'intègre-t-elle dans le grand ensemble?

M. Bengio : Nous essayons d'élaborer un écosystème où évoluent des départements universitaires, des petites entreprises et des incubateurs, des entreprises en démarrage et des grandes sociétés. Encore une toute jeune pousse l'automne dernier, Element AI est en train de devenir très rapidement une entreprise de taille moyenne, qui va probablement briser le record de la plus grosse mise de fonds de série A, probablement d'ici les prochaines semaines.

Il existe un énorme intérêt pour ce genre d'entreprises au Canada et ailleurs dans le monde.

En un sens, elles viendront compléter ce que nous faisons avec les instituts, qui sont des organismes à direction universitaire et à but non lucratif. Element AI est une société commerciale qui recherche le profit. Elle a déjà recruté un certain nombre de chercheurs de haut niveau et elle fait à la fois de la recherche pure et de la recherche plutôt appliquée. Certains demanderont : « Mais pourquoi cette curieuse combinaison d'instituts et d'entreprises? » Parce que c'est une façon différente de fonctionner. Nous attirons d'autres sortes de gens et nous réglons d'autres sortes de problèmes.

Il y a donc tous ces acteurs différents, dont Element AI qui joue un rôle à elle, du moins dans l'écosystème de Montréal, formant un groupe assez imposant et visible sur la scène internationale pour attirer le genre de personnes qui vont actuellement, disons, chez DeepMind à Londres, la plus grande société d'intelligence artificielle de nos jours... C'est ainsi qu'on arrive à concurrencer les sociétés spécialisées dans le domaine qui sont assez grosses pour attirer des éléments vraiment solides.

La sénatrice Seidman : On peut compter là-dedans ce que vous avez décrit auparavant, l'Institut des algorithmes d'apprentissage de Montréal (MILA), par exemple; c'est un partenariat privé et public, donc il y a du financement privé et public, n'est-ce pas?

M. Bengio : Oui, mais c'est vraiment un organisme à but non lucratif. Nous obtenons des contrats de sociétés, mais c'est nous qui les choisissons, en fonction de leur incidence dans l'écosystème et de leurs bienfaits pour la société. On peut s'offrir le luxe de pareilles considérations quand on est un organisme à financement public, mais une société comme Element AI recherche le profit, ce qui change l'angle d'approche.

La sénatrice Seidman : Vous me voyez venir avec ma série de questions, parce que c'est précisément ce que j'essaie de comprendre : comment vous établissez vos priorités, et en fonction de quoi? Au MILA, par exemple, on trouve un élément de bienfait social.

M. Bengio : Oui, absolument.

La sénatrice Seidman : Comme notre comité s'intéresse en particulier à la santé, je vais faire un pas dans cette direction.

M. Bengio : Nous insistons beaucoup sur les applications dans les soins de santé, peu importe qu'elles soient rentables ou non. Nous parlons à de nombreux chercheurs en médecine, et nous allons chercher notre financement en partie dans ce que l'État nous verse déjà, mais aussi auprès d'autres instances comme les Instituts de recherche en santé du Canada et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, et éventuellement auprès d'entreprises commerciales.

C'est un mélange d'un peu tout, mais en fin de compte, nous ne nous arrêtons pas à savoir si l'investissement sera rentable dans deux ans ou quelque autre échéance.

La sénatrice Seidman : Pouvez-vous nous indiquer quels seraient les meilleurs investissements à faire dans le domaine de la santé, où ils auraient la plus forte incidence? Quels sont, au meilleur de vos connaissances, les vrais investissements de l'avenir?

M. Bengio : L'imagerie médicale, cela va de soi. Le fruit ne demande qu'à être cueilli et il y a déjà des entreprises qui s'y sont engagées.

Une autre chose importante pour la collecte de données serait par exemple de faciliter le traitement des rapports médicaux rédigés en langage de tous les jours. En apprentissage profond, nous en sommes maintenant au point où des ordinateurs extraient de l'information à partir du simple texte; cela n'a pas besoin d'être des données structurées. Les rapports des médecins sont difficiles à comprendre, même pour les humains. Or, ils sont riches en information. Leur contenu pourrait servir de complément aux images médicales et amener la machine à interpréter ce que le médecin a pu déduire en examinant les images.

Il y a beaucoup d'endroits dans le domaine des données médicales où nous disposons des tests et des chiffres habituels, ainsi de suite, mais la nouveauté, outre la capacité de traiter d'énormes quantités de données, c'est la capacité d'exploiter les données textuelles. Nous devons nous assurer de cueillir cette richesse; c'est le cas normalement, du moins au Québec.

On peut dès lors envisager de nombreuses applications où les rapports médicaux serviraient à former d'autres machines ou à réduire la charge de travail des gens qui traitent ces rapports, et cetera

Le président : Nous avons sans doute épuisé le sujet au sens général, mais sûrement pas dans ses applications et ses répercussions.

Monsieur Ferguson-Pell, nous avons été fascinés voilà quelques années lorsqu'on nous a demandé de revoir l'accord sur la santé. Notre étude pancanadienne nous a révélé des applications intéressantes de la télémédecine pratiquée dans l'Ouest, à Winnipeg, à Saskatoon et dans d'autres endroits. Votre présentation nous a dévoilé encore plus de l'énorme potentiel qu'il y a là.

Finalement, nous savons à force d'observations que peu importe où vous avez affaire au système de santé, le meilleur endroit où obtenir un prompt rétablissement est votre propre maison ou, en tout cas, quelque part près de chez vous. Nous savons que les progrès technologiques actuels sont extrêmement prometteurs pour les soins à domicile — pour reprendre l'exemple que vous avez donné — et transmettre l'échantillon prélevé à l'infirmière praticienne qui s'en occupe à la maison, d'après un diagnostic déjà établi à partir de l'information recueillie et acheminée par un outil robotisé ou à un vrai praticien qui interprète les données à mesure.

Je ne vous demande pas de répondre aujourd'hui, mais s'il vous vient des réflexions en cours de route, elles pourraient être lourdes de conséquences et venir secouer un système de santé qui est déjà surchargé, surtout parce que l'innovation et la prestation des soins y font défaut.

Vous en particulier, monsieur Ferguson-Pell, si vous pouviez nous dire comment il se fait que nous n'avons pas vraiment un système au Canada, mais plutôt une collection de systèmes balkanisés. Comment innover pour répondre à la demande de consommateurs qui sauront qu'il leur faut trouver un traitement pour le genre de maladie dont ils sont atteints, d'après ce que leur aura indiqué leur iPhone, avec consigne de se rendre dans un centre de soins?

Je vous laisse y réfléchir.

Monsieur Bengio, nous accueillerons volontiers vos réflexions sur les répercussions profondes de l'intelligence artificielle.

Nous pouvons conclure à ce stade, je pense, que le Canada tire de l'arrière dans la concurrence internationale où les vrais centres d'excellence réunissent un large éventail d'activités interconnectées. En biotechnologie, nous ne progressons pas assez rapidement parce que nous n'arrivons pas à réunir un ensemble de compétences spécialisées dans un centre où les applications se feraient spontanément. Afin que les chercheurs sachent exactement où se trouve leur compte, ils doivent interagir avec des gens qui ont besoin d'un usage pratique du savoir. Pour reprendre l'exemple de la biotechnologie, rien qu'à San Diego, on dénombre plus d'entreprises que dans le Canada entier. Vous sortez déjeuner, vous vous retrouvez à deux tables voisines et vous dites à M. Ferguson-Pell : « Écoutez, nous venons d'observer ceci et nous avons entendu votre conférence l'autre jour. » C'est ainsi que se propage le savoir.

Dans ce domaine de l'intelligence artificielle où nous investissons des sommes importantes, j'ai bon espoir que nous pourrons créer de véritables centres qui auront des retombées et des avantages énormes pour les Canadiens, mais aussi dans le sens plus large de l'économie et du savoir, qui auront des produits à offrir au monde et ces produits pourront, en retour, bénéficier au Canada.

Je vous remercie sincèrement tous les deux. Si vous avez d'autres réflexions à confier à notre greffière, nous serons ravis de les entendre.

Encore une fois, merci. Quant à vous, chers collègues, on se revoit demain.

(La séance est levée.)

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