Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 37 - Témoignages du 15 février 2018
OTTAWA, le jeudi 15 février 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, en séance publique, pour examiner les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général, puis à huis clos, pour faire l’étude d’une ébauche de rapport.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je suis Art Eggleton, sénateur de Toronto, et je suis président du comité. Je vais demander aux membres du comité de se présenter, à commencer par ma droite.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, vice-présidente du comité, de Montréal, au Québec.
La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Sénatrice Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
Le président : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la création des fonds de financement social. C’est la deuxième journée d’audience sur ce sujet.
Nous avons un seul groupe de témoins aujourd’hui, mais il est composé de plusieurs personnes. Je leur sais gré d’avoir accepté de limiter leurs déclarations liminaires à cinq minutes. Vous aurez certainement l’occasion d’ajouter des éléments à d’autres moments, en répondant aux questions, alors cela ne devrait pas être trop difficile.
Nos témoins d’aujourd’hui sont Derek Ballantyne, associé directeur, Newmarket Funds et, en vidéoconférence, Christine Bergeron, directrice exécutive, Expérience des membres et engagement communautaire, à Vancity; Hilary Pearson, présidente de Fondations philanthropiques Canada, qui est présente à la table; Jane Bisbee, directrice générale du Social Enterprise Fund, d’Edmonton, en Alberta; et, de ma propre ville, Duncan Farthing-Nichol, gestionnaire, Recherche et consultation au MaRS Centre for Impact Investing.
Nous avons jusqu’à midi. À partir de midi, nous allons poursuivre à huis clos pour discuter des instructions de rédaction d’un rapport. C’est notre ordre du jour. Sur ce, je vais demander à Derek Ballantyne de présenter le premier exposé de cinq minutes.
Derek Ballantyne, associé directeur, New Market Funds : Merci beaucoup, sénateur. Je suis ici, comme vous l’avez indiqué, à titre d’associé directeur de New Market Funds, que je vais vous décrire brièvement. Nous sommes une plateforme de gestion de fonds de placement. Ce n’est pas vraiment clair, comme désignation, alors je dirai que nous sommes une entité ou une société qui s’adonne à diverses activités. Nous avons divers secteurs d’activité.
Notre société est de la Colombie-Britannique, mais nous sommes présents partout au Canada. Nous investissons et réunissons des capitaux partout au Canada, et nous sommes le produit des efforts de six organismes de bienfaisance qui se sont réunis pour essayer de créer un véhicule par lequel ils pourraient eux-mêmes trouver de l’investissement d’impact, mais qui en encouragerait d’autres à faire de l’investissement à impact social.
Nous avons un fonds qui investit dans le logement abordable, ce qui fait que nous investissons des capitaux dans des ensembles de logements abordables sans but lucratif. Nous avons deux fonds d’emprunt, dont l’un est destiné à une entreprise coopérative que nous gérons, et l’autre est un fonds d’emprunt pour l’investissement communautaire. Nous travaillons avec des organismes sans but lucratif, des organismes de bienfaisance et d’autres entreprises sociales, dans ces fonds, et nous gérons une entreprise sociale prenant la forme d’une société de production de logements sans but lucratif. Nous produisons donc en fait de nouveaux logements et d’autres immeubles à vocation sociale, avec cette société sans but lucratif.
Dans toutes les activités que nous entreprenons, nous obtenons des capitaux de la part d’investisseurs. Nous avons environ 50 investisseurs qui travaillent avec nous dans les divers secteurs d’activité que nous avons, dont certains dans plusieurs secteurs, et d’autres dans un seul. Il peut s’agir de particuliers — des particuliers qualifiés, je dirais, parce que nous n’offrons pas des occasions d’investissement au détail, et nous sommes donc limités aux particuliers fortunés ou aux personnes qui sont qualifiées pour investir avec nous —, ou il peut s’agir de sociétés, d’établissements financiers, et surtout de fondations, ce qui est très important pour nous parce qu’elles représentent l’essentiel de nos investisseurs.
Quand vous regardez l’ensemble de nos activités, nous gérons et investissons autour de 65 millions de dollars en capitaux. Par l’intermédiaire des différents fonds, nous avons accumulé ce montant de capital avec l’intention d’essayer de dépasser les 100 millions de dollars, car c’est vraiment à cette échelle qu’il devient économique d’avoir ce type d’entreprise. Le volume est important pour l’efficacité et pour l’assurance d’avoir des ressources suffisantes pour pouvoir trouver les choses dans lesquelles l’investissement produira le plus d’effet et pour pouvoir mesurer et contrôler les résultats également.
Nous sommes trois à gérer cette entreprise. Nous avons tous l’expérience de la gestion de petits fonds, et il devient de plus en plus difficile de faire fonctionner les aspects économiques : des capitaux importants sont nécessaires.
Pour ce que nous pensons que le gouvernement fédéral pourrait faire et qui serait d’une grande aide, nous ne dirons rien de très différent des autres : investissez dans le secteur. Placez des capitaux dans le secteur et permettez au secteur de l’utiliser pour croître, pour attirer d’autres capitaux, pour réduire le risque souvent perçu de l’investissement d’impact et pour permettre la normalisation du secteur de l’investissement d’impact sur une période de temps.
Nous pouvons tous avoir des opinions différentes sur le montant de capitaux nécessaire à cette fin. Ce qui est important d’après moi, c’est de premièrement fixer un objectif et dire que si nous voulons que le secteur social soit vraiment prospère et viable, dans ce pays, dans cinq ans, il faudrait probablement qu’un montant identifiable de 2 milliards de dollars y soit investi. Nous avons 65 millions de dollars, alors cela ne viendra pas que de nous. Je ne pense pas qu’en ce moment, si nous voulons être très honnêtes avec nous-mêmes, nous pourrions trouver 2 milliards de dollars dans le secteur social. Je crois que c’est une cible raisonnable, pour en faire un marché d’investissement viable et reconnaissable.
Ce que le gouvernement fédéral pourrait faire, c’est nous encourager à atteindre une cible, puis investir des montants progressifs de capital dans le secteur. Je crois qu’il y a deux manières simples de faire cela. L’une est d’investir et de placer des capitaux dans ces fonds et ces intermédiaires — cela peut sembler intéressé —, et je pense que vous pouvez facilement en trouver une douzaine au pays qui ont réussi à atteindre une certaine échelle, qui sont viables et qui vont faire croître l’investissement du gouvernement. Avancez ce capital dans l’optique d’en attirer d’autres, ou faites-en une condition pour le capital, puis tirez-en parti.
L’autre manière serait un investissement dans un seul organisme constitué à cette fin qui viserait les idées qui ont du potentiel sans être encore en place ou encore bien formées. Cet organisme pourrait très bien être chargé de développer des capacités, mais il serait certainement responsable d’encourager et de comprendre les investissements qui sont viables et ceux qui ne le sont pas, et de promouvoir les investissements viables dans le marché.
Je suggère une approche en deux volets : investir là où il y a déjà des investissements afin de maintenir l’élan et le capital que cela attire, puis créer un organisme qui va vraiment être axé sur ce que je pense être de grandes idées intéressantes dans le marché, mais qui n’ont pas encore trouvé leurs racines dans un fonds ou un instrument particulier.
Ce rôle fédéral est, pour moi, le rôle que nous avons joué dans d’autres secteurs. Quand nous avons voulu accélérer le capital de risque dans ce pays, nous avons utilisé ces types d’approches : le financement de fonds de capital de risque, ainsi que le financement de la création de capital de risque. Je crois que cela nous aidera à accélérer l’investissement dans ce secteur et à stabiliser et augmenter les fonds et les intermédiaires qui sont déjà présents sur le marché. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup. La prochaine personne sur la liste est Christine Bergeron, qui est avec nous de Vancouver, je présume, par vidéoconférence.
Christine Bergeron, directrice exécutive, Expérience des membres et engagement communautaire, Vancity : Oui. Bonjour. Pour ceux qui ne connaissent pas Vancity, nous sommes la plus importante coopérative de crédit communautaire au Canada. Nous servons plus de 525 000 membres et avons plus de 25 milliards en actifs et en actifs administrés.
Nous sommes un établissement financier axé sur les valeurs, et notre but est de veiller à ce que tous nos actifs avec le temps — nous n’en sommes pas encore là — servent à obtenir des résultats percutants. Nous avons une façon de penser très délibérée en ce qui concerne le financement social et l’investissement d’impact, et nous utilisons intentionnellement du capital pour bâtir des collectivités plus saines.
Mes antécédents sont, en fait, dans l’investissement de capital de risque et j’ai aussi été gestionnaire de fonds spéculatif et investisseuse dans la recherche de technologies propres et d’innovations perturbatrices, alors mes antécédents sont plutôt traditionnels, mais je suis à Vancity depuis quelques années maintenant, et je m’intéresse beaucoup à la façon d’appliquer ce travail au financement social. Mon rôle, à Vancity, est de superviser nos secteurs d’activité. Cela inclut l’investissement d’impact ainsi que notre travail d’engagement communautaire à l’appui du développement du milieu.
Notre expérience nous a permis de constater qu’il y a une insuffisance de capitaux sur le marché. Un des éléments de nos stratégies d’affectation de capital à l’investissement d’impact est de faire des transferts entre fonds. Pour ceux d’entre vous qui connaissent moins cela, nous prenons une partie de notre argent, en fait, et nous l’investissons dans des fonds qui vont directement à des organisations ayant des résultats percutants plutôt que de le faire nous-mêmes.
Compte tenu de cette insuffisance de capitaux, nous voyons et avons vu au fil des années des sociétés et des organisations qui cherchent à combler des lacunes sociales et des problèmes complexes. Elles le font par le développement de technologies ou au moyen de modèles d’affaires novateurs.
Nous faisons donc travailler notre argent. Même si nous sommes un établissement financier assez important, par rapport à d’autres coopératives de crédit, les capitaux que nous pouvons déployer nous-mêmes sont quand même limités. Nous avons vu au cours des quelques dernières années que nous pouvons déployer un montant supérieur en fonction de la demande du marché. Je suis tout à fait d’accord avec ce que Derek a dit concernant les montants; nous ne pourrions pas en déployer 10 fois plus, mais nous pourrions certainement en déployer plus dans l’état actuel des choses.
Nous croyons aussi que du capital venant du gouvernement, en particulier à ce point-ci du développement du secteur, aiderait à développer le milieu et à augmenter bon nombre des solutions que nous voyons sur le marché.
C’est la teneur de ma déclaration liminaire. Je suis impatiente de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup. Vous avez pris nettement moins de cinq minutes, alors le prochain intervenant aura un peu plus de temps.
Hilary Pearson, présidente, Fondations philanthropiques du Canada : Merci à vous tous. Merci, sénateur Eggleton, de me donner l’occasion de venir m’adresser au comité aujourd’hui.
Sur une note personnelle, je souligne que c’est le Jour du drapeau aujourd’hui, et que je suis ravie d’être ici sur la Colline du Parlement pour le Jour du drapeau, ou du moins à proximité de la Colline du Parlement. J’étais ici le jour où le drapeau a été hissé pour la première fois. Je n’avais que 10 ans, alors c’était un événement majeur pour moi. Je suis simplement contente d’être ici encore pour cette journée.
Je suis ici à titre de représentante de Fondations philanthropiques du Canada. Nous sommes une organisation pancanadienne. Nous sommes une association de bailleurs de fonds philanthropiques — de fournisseurs de fonds —, et nous comptons parmi nos membres des fondations publiques et privées, de même que des programmes de dons d’entreprise et d’autres bailleurs de fonds sans but lucratif qui s’identifient principalement comme étant des subventionnaires.
Les fondations publiques et privées au Canada ont versé quelque 5,6 milliards de dollars en subventions à des organismes de bienfaisance canadiens en 2015. C’est l’information la plus récente que nous ayons de l’Agence du revenu du Canada. Les subventions permettent généralement aux organismes de bienfaisance de lancer un nouveau programme, de mettre à l’essai une nouvelle approche afin d’entreprendre une initiative stratégique ou tout simplement de poursuivre leurs activités.
Les montants varient d’une année à l’autre, mais les particuliers donnent de 8 milliards à 10 milliards de dollars. Ce sont beaucoup de milliards, mais les données de l’ARC ne sont pas toujours complètement à jour. Même si vous combinez les subventions et les dons des fondations et des organismes de bienfaisance, cela ne dépasse pas la barre des 10 à 15 p. 100 du financement qui est là pour le secteur caritatif.
Selon une recherche menée par Imagine Canada, ce qu’on appelle le déficit social structurel ou l’écart entre les services demandés et les revenus disponibles pour répondre à ces besoins va augmenter rapidement au cours des quelques années à venir s’il n’y a pas de nouvelles sources de capital pour le secteur.
Les bailleurs de fonds privés peuvent être des catalyseurs importants de l’innovation sociale et de l’activité entrepreneuriale dans le secteur sans but lucratif. Nous pensons que nous nous trouvons à un moment décisif pour les investissements à retombées sociales que les fondations font au Canada. De plus en plus de fondations recourent à cette approche pour soutenir des organisations et des projets qui sont en phase avec leur mission. Elles investissent davantage de capitaux pour agir relativement à des enjeux comme la production alimentaire durable, les énergies renouvelables, l’adaptation aux changements climatiques, le logement abordable — Derek en a parlé — et le développement des collectivités autochtones. Ce sont tous des domaines pour lesquels des investissements à retombées sociales sont faits dans des organisations, des sociétés ou des entreprises sociales qui travaillent dans des secteurs où le capital est maintenant déployé. Bien entendu, c’est du capital qui, contrairement aux subventions, donne un rendement financier. Les fondations y mettent donc de l’argent et s’attendent à le récupérer afin de le redéployer.
Le Canada compte environ 10 000 fondations de bienfaisance publiques et privées. Elles ont des actifs combinés de près de 40 milliards de dollars. Il est clair que cette réserve d’argent, si nous pouvons voir cela comme une réserve d’argent, serait très importante pour la création des initiatives à caractère social qui sont nécessaires au Canada. De plus en plus de fondations passent à l’action et consacrent entre 5 et 10 p. 100 de leurs avoirs à de tels investissements. Je pense donc que ce marché gagne en importance, et Derek l’a déjà mentionné.
Certaines de ces fondations font des investissements liés à leur mission ou des investissements à retombées sociales dans des sociétés exploitées de façon socialement responsable. Ce sont des investissements commerciaux dans des sociétés, et elles le font en achetant des actions de ces sociétés qui sont cotées en bourse. Ou bien elles achètent des parts dans des sociétés en commandite. La raison de cela, c’est qu’il y a quelques années, le gouvernement fédéral a finalement accepté de permettre aux fondations privées en particulier d’investir dans les sociétés en commandite, qui sont, contrairement aux sociétés cotées en bourse, accessibles aux organisations sans but lucratif.
En fait, le Fonds de progrès communautaire, dont vous avez peut-être déjà entendu parler, est une organisation qui a été structurée en société en commandite, de sorte que les fondations privées puissent soutenir cette organisation intermédiaire en achetant des parts de ce fonds.
Quelques fondations expérimentent des investissements liés à un programme, qui sont généralement des prêts accordés sans intermédiaire à des organismes de bienfaisance ou encore à des organismes sans but lucratif. Les prêts peuvent être consentis à des organismes de bienfaisance à des taux d’intérêt inférieurs à celui du marché. Par exemple, une fondation privée peut accorder — c’est un cas qui s’est réellement produit, en fait — à un organisme de bienfaisance dans le domaine de l’éducation du financement pour un prêt hypothécaire de 10 millions de dollars à un taux d’intérêt inférieur à celui du marché, avec report du remboursement des intérêts à la fin du terme de cinq ans, pour terminer la construction d’installations scolaires.
Voici un autre exemple. Une fondation privée a accordé à un organisme de services sociaux un prêt pour lui permettre d’acheter un foyer de transition. Le prêt est garanti par une hypothèque, par le titre de propriété. Ces prêts sont souvent accordés pour des investissements immobiliers et dans le logement parce qu’ils ont une valeur marchande et qu’il est possible d’hypothéquer cette valeur.
J’ai un autre exemple. La Lawson Foundation, qui est membre de notre organisation basée à London et Toronto, a fixé un objectif de 3 p. 100 pour ses actifs dans les investissements à retombées sociales. Elle développe son portefeuille d’investissements. Elle a fait l’acquisition d’une obligation communautaire offerte par une organisation appelée Innovation Works London, en Ontario. Cette organisation construisait un espace de travail partagé pour diverses entreprises sociales, et elle avait besoin d’argent pour terminer la construction des installations. L’obligation communautaire a permis à la fondation d’investir et de fournir du capital à cette organisation. L’obligation est remboursable à un taux d’intérêt annuel de 3 p. 100 par année sur cinq ans.
Les fondations ont ainsi une façon de déployer des actifs qui, autrement, resteraient dans leur fonds de dotation à fins sociales.
Malgré ces activités, il est clair que nous n’en sommes qu’aux débuts. Je dois admettre que la majorité des fondations canadiennes n’ont pas encore établi de cibles pour consacrer des capitaux à des investissements à retombées sociales. Nous les aidons. FPC et Fondations communautaires du Canada ont créé un guide en ligne sur l’investissement à retombées sociales. Si cela vous intéresse, le guide est en fait conçu d’une excellente façon pour les personnes qui ne sont pas des investisseurs et qui ont besoin de comprendre le langage de l’investissement. Il aide les fondations et les conseils des fondations à se lancer dans le domaine de l’investissement à retombées sociales. Sans cela, c’est plutôt effrayant.
Toutefois, la plupart des fondations n’ont pas l’expertise ni les ressources nécessaires pour accorder et gérer des prêts directement, et ce, même si elles veulent consacrer une partie de leurs capitaux à ce type d’activité.
Ce sont les obstacles auxquelles les fondations se heurtent. Elles n’ont pas la capacité interne leur permettant de faire preuve de diligence raisonnable pour les prêts ou les occasions d’investissement. Elles n’ont pas la taille qu’il faut pour respecter les seuils exigés concernant certains investissements sociaux. Il y a des fonds pour lesquels vous… Oh! Je dois me dépêcher.
Il est difficile de mettre beaucoup d’argent dans certains de ces fonds, et il y a des seuils. Il existe des restrictions concernant les prêts pouvant être consentis à des organismes autres que les organismes de bienfaisance. Comme Derek l’a indiqué, pour faciliter les flux de capitaux, nous avons donc besoin de plus d’organisations intermédiaires comme le Fonds de progrès communautaire.
Je terminerai en parlant de l’obstacle réglementaire que nous tentons d’éliminer en collaboration avec l’Agence du revenu du Canada. Je reviens aux investissements ou aux prêts liés à des programmes. L’ARC a établi des règles à cet égard. Elle a publié des orientations stratégiques sur le sujet en 2012, mais ces orientations ne sont pas claires. Elles ont également été enchâssées dans un autre document concernant le développement économique communautaire. L’orientation concernant les ILP n’est pas facilement accessible à quiconque ne veut pas faire du développement économique communautaire, mais souhaiterait peut-être soutenir l’environnement ou le logement.
Les conditions selon lesquelles des prêts peuvent être accordés à des organismes sans but lucratif ne sont pas très claires, elles non plus. Beaucoup de conditions très astreignantes, d’orientations et de règles de contrôle sont imposées aux fondations sans but lucratif dans le but de contrôler leurs fonds. Bien qu’il soit tout à fait légitime d’insister pour que les fondations comprennent que leurs fonds sont utilisés à des fins de bienfaisance, selon nous, ces règles sont beaucoup trop astreignantes pour favoriser ce genre d’activité. Nous aimerions que ces règles soient légèrement assouplies et précisées. Cela encouragerait certainement les fondations à investir dans le secteur. Merci beaucoup.
Le président : Pourriez-vous nous faire parvenir par écrit vos suggestions sur ce que pourrait faire le gouvernement pour faciliter ce que vous suggérez?
Mme Pearson : Certainement.
Le président : J’aimerais également souligner que je rejoins ce que vous dites au sujet du drapeau, car j’étais là, il y a 53 ans, lorsque le drapeau a été hissé.
Mme Pearson : Nous ne voulons pas révéler notre âge.
Le président : J’avais un peu plus de 10 ans, mais je me souviens d’avoir vu votre grand-père, le premier ministre, présider la cérémonie de lever du drapeau ce jour-là. Donc, je vous remercie.
Jane Bisbee, directrice générale, Social Enterprise Fund : Bonjour et merci de nous avoir invités à comparaître.
Je vais vous parler du financement social sur le terrain, car c’est ce que je connais et ce que nous faisons.
Le Social Enterprise Fund accorde des prêts. Nous accordons des prêts à des entrepreneurs sociaux et à des entreprises sociales de toute structure organisationnelle — à but non lucratif, à but lucratif — partout en Alberta.
Notre organisation a été créée il y a 10 ans — nous célébrons cette année notre 10e anniversaire — grâce à un partenariat entre la Ville d’Edmonton et l’Edmonton Community Foundation. Des capitaux ont également été investis par des particuliers et Centraide, tous des gens ou organismes qui considéraient le financement social et les établissements bancaires comme étant une nécessité pour les petites entreprises sans but lucratif et à but lucratif qui tentent de se développer dans des marchés non traditionnels.
Donc, le Social Enterprise Fund accorde principalement des prêts. Nous pouvons également avancer des capitaux, mais nous avons réalisé que les prêts, c’est ce qui nous convient et c’est là où il y a un véritable besoin. Comme nous le disons affectueusement, les prêts, c’est la vallée de la mort pour beaucoup de secteurs avec lesquels nous travaillons.
Nous travaillons dans le domaine de la salubrité alimentaire et participons à des projets environnementaux, à des défis sociaux et à des projets abordables et avec services de soutien — essentiellement, tout projet qui vise à améliorer la situation des communautés.
Depuis notre fondation, nous avons investi dans 55 projets, bientôt 56, car nous avons présenté une offre hier à un groupe d’immigrantes somaliennes qui souhaitent ouvrir une garderie. Je suis très enthousiasmée par ce projet. En tout, nous avons investi environ 30 millions de dollars dans le réseau.
Une grande partie de notre financement provient de l’Edmonton Community Foundation qui s’est engagée, en 2011, à investir 10 p. 100 de ses fonds dans le financement social et l’investissement d’impact communautaire et c’est ce que nous faisons pour elles. Elle achète des parts de sociétés en commandite simple créées pour assembler ces fonds. Nous sommes essentiellement un fonds de fonds. C’est ainsi que nous sommes structurés, si vous vous interrogez sur notre gouvernance.
Nous avons utilisé tous les types possibles d’emprunts. Nous avons utilisé des fonds pour aider des entreprises à prospérer et des organisations à se stabiliser, nous avons accordé des prêts hypothécaires à des organismes sans but lucratif qui souhaitaient acheter des édifices, bref, pratiquement tous les types d’emprunts.
J’aimerais faire quelques observations. Nous savons que le financement social fonctionne, car nous en avons vu les résultats à maintes reprises : des emplois de grande qualité ont été créés pour les plus vulnérables de nos sociétés; des logements ont été construits pour des gens qui font face à divers défis afin de leur permettre de vivre dans la communauté; des organismes sans but lucratif qui autrement auraient disparu ont été stabilisés; des organismes ont pu passer à la prochaine étape afin de poursuivre leur travail au sein des communautés. Donc, nous savons que le financement social fonctionne.
Les prêts nous sont remboursés. Je sais que les gens ont de la difficulté à le croire. Même si nous sommes une petite organisation, nous sommes soutenus par les revenus que nous touchons grâce à nos taux d’intérêt et selon les comptables qui travaillent à notre fin d’exercice, notre retour sur investissement cette année s’élève à environ 4 p. 100, après les dépenses. Ce n’est pas si mal.
La Ville d’Edmonton a investi environ 1,2 million dans notre capital initial. Depuis, ces fonds nous ont permis d’accorder 4,8 millions de dollars en prêts. Nous récupérons nos fonds et les investissons de nouveau. Je crois que ces clients sont plus déterminés que la plupart des autres à rembourser leurs prêts et à faire le nécessaire pour y arriver.
Évidemment, en tant que prêteurs, nous devons faire preuve d’imagination et être extrêmement patients. Certains de nos prêts ne seront jamais remboursés de mon vivant, et je n’ai pas l’intention de mourir bientôt. Mais c’est le genre de chose qu’il faut faire. Il faut penser différemment. Je fais des choses qui rendraient certainement folles des banques traditionnelles, mais c’est possible et ça fonctionne. C’est un outil qui peut permettre aux organisations avec lesquelles nous travaillons de s’améliorer.
Voyons voir. J’essaie de penser rapidement. À un certain moment, si le temps le permet, j’aimerais vous raconter quelques histoires. C’est toujours amusant, car elles montrent ce qui est possible.
J’aimerais formuler quelques commentaires sur les meilleures choses que le gouvernement pourrait faire pour intervenir dans ce secteur.
D’abord, investir par l’entremise d’organisations déjà sur le terrain. Pour avoir un impact immédiat, il doit invertir et laisser ces fonds travailler. Par exemple, nous avons été récemment choisis par l’Edmonton Community Foundation pour faire parvenir un investissement de 10 millions de dollars à la toute nouvelle Edmonton Community Economic Corporation. Nous allons travailler en partenariat. L’Edmonton Community Foundation passe par nous pour distribuer rapidement ces fonds. Soit dit en passant, il s’agit d’un investissement équivalent au terrain de 10 millions de dollars qu’a donné la Ville d’Edmonton à la société de développement communautaire pour que les choses s’activent. Ils sont à pied d’œuvre. Ils ont commencé en janvier et ont déjà des fonds à investir et un terrain.
Ensuite, investir dans le secteur qui travaille dans ce domaine, car des efforts de renforcement de capacité doivent être déployés, tant pour les organisations existantes que pour les régions du pays qui tentent de se développer. Par exemple, j’ai été très heureuse de voir l’évolution de VERGE Capital, à London, en Ontario. Je sais que le secteur a fait ce qu’il a pu pour aider cette organisation, mais plus nous pouvons aider ces organisations à se développer, mieux ce sera. Il existe des possibilités de partenariats.
Le gouvernement doit être clair sur les résultats qu’il souhaite obtenir. Que souhaite-t-il accomplir? Personnellement, je dois savoir ce que souhaitent accomplir les investisseurs dans la communauté. Il est très important pour le gouvernement de définir les résultats qu’il souhaite obtenir. Je sais qu’il est possible d’accomplir des choses intéressantes. Il est possible de faire bouger les choses sans que ce soit complexe et de vraiment changer des vies au pays. Je vais m’arrêter ici.
Le président : Merci. J’espère que, au cours de la prochaine heure, vous aurez l’occasion de nous raconter une ou deux de ces histoires, car je crois qu’elles aident beaucoup à comprendre la valeur des activités et qui est touché par ces activités.
Duncan Farthing-Nichol, gestionnaire, Recherche et consultation, MaRS Centre for Impact Investing : Merci beaucoup de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui.
Le MaRS Centre for Impact Investing, le MaRS Discovery District, conseille gouvernements, investisseurs et organisations sociales sur les stratégies à adopter pour utiliser des fonds privés à des fins publiques. Nous travaillons à jumeler objectifs sociaux et rendement financier.
Selon nous, un fonds de financement social gouvernemental pourrait aider les organisations sociales du Canada à se développer de façon à ce qu’elles aient les moyens de régler les problèmes qu’elles souhaitent régler. Toutefois, les exemples internationaux nous apprennent que pour atteindre ces objectifs, un fonds de financement social doit être bien conçu. Nous effectuons quelques recherches à ce sujet et souhaitons vous présenter quelques principes que nous avons retenus de ces exemples internationaux.
Premièrement, le problème que l’on tente de régler doit être clairement défini. Sinon, le fonds risque de se perdre financièrement dans de nombreuses théories du changement. Le Social Impact Accelerator est un fonds de financement social européen de 243 millions d’euros. Il investit dans des fonds de capital de risque qui investissent dans des corporations sociales en démarrage. Le fonds définit le problème comme étant un manque de capital conventionnel pour ces corporations sociales. Selon lui, les investisseurs conventionnels, comme les fonds de pension et les sociétés d’assurance, investissent trop peu, car ils associent ces objectifs sociaux à un faible rendement financier. Le fonds tente de démontrer que les corporations sociales peuvent être tout aussi profitables pour les investisseurs que les entreprises conventionnelles.
Big Society Capital est un fonds de financement social britannique de 625 millions de livres. Vous en avez probablement déjà entendu parler. Ce fonds investit dans des fonds et autres intermédiaires qui investissent dans des organismes à but non lucratif et des entreprises sociales. Il définit le problème comme étant un manque de financement sur mesure pour les organismes à but non lucratif et les entreprises sociales. Big Society Capital s’attaque à ce problème de deux façons. Premièrement, il investit parfois lorsque les conditions sont avantageuses, par exemple, lorsque les taux d’intérêt sont bas ou lorsque les périodes sont plus longues ou il investit des sommes plus petites que le ferait une banque ou un autre investisseur conventionnel. Deuxièmement, comme l’a souligné Jane, Big Society Capital fait la même chose en investissant dans des structures créatives.
Les produits financiers ordinaires ne cadrent pas toujours avec les objectifs sociaux. Par exemple, Big Society Capital a investi 50 millions de livres dans le Real Lettings Property Fund qui achète des appartements à Londres pour les louer à des organismes à but non lucratif qui luttent contre l’itinérance. Ces organismes louent les appartements à des gens qui risquent de se retrouver sans abri. Les investisseurs touchent un retour sur les loyers payés et la vente des appartements après sept ans.
L’élaboration d’une théorie claire sur la façon de régler un problème permet de répondre à beaucoup des questions que doit répondre un fonds de financement social. Certaines variables, comme la taille du fonds, le prix de ses capitaux, sa durée de vie et même la source de ses revenus doivent être établis en fonction d’un problème et d’une théorie sur laquelle les intervenants concernés s’entendent.
Deuxième principe : un fonds de financement social doit pouvoir modifier sa stratégie. Aucune stratégie initiale ne cadre parfaitement avec le marché de financement social du fonds. Le fonds doit être suffisamment souple pour pouvoir s’adapter lorsque la situation change et que le marché évolue. Le Portugal Social Innovation est un fonds de financement social portugais de 150 millions d’euros. Au début, ce fonds devait fonctionner comme le Social Impact Accelerator et Big Society Capital, soit qu’il devait investir dans des fonds et autres intermédiaires. Il n’était pas prévu qu’il investisse directement dans des organisations sociales. Toutefois, après un certain temps, on a compris que le Portugal comptait trop peu de projets d’investissement pour que ce modèle intermédiaire fonctionne. Le fonds a donc été réorganisé afin de soutenir les organisations sociales par l’entremise de garanties et d’investissements directs.
Il est difficile de savoir quelle est la bonne façon de créer un jeune marché. Les autres témoins ont exprimé leur souhait de voir les choses se développer beaucoup plus. Peu importe le fonds, la première stratégie adoptée n’est peut-être pas la bonne.
Bien entendu, selon nous, un fonds d’investissement social doit définir ce qui constitue un investissement social, mais un nombre trop élevé de restrictions immuables, comme la forme juridique que doivent prendre les organisations sociales, les régions où elles doivent investir ou les objectifs à viser, l’étoufferont. Plus les contraintes sont nombreuses, plus il sera difficile pour un fonds de défendre un marché en constante évolution.
Un fonds d’investissement social canadien tracera sa propre voie afin de satisfaire son propre marché, mais il devra tirer des leçons de ce qui s’est fait au Royaume-Uni, dans l'Union européenne, au Portugal, en Australie, au Japon et dans d’autres pays. Un fonds canadien devra bien définir le problème et adopter une approche souple pour le résoudre. Nous croyons qu’avec cela, les chances sont élevées pour que nos meilleurs entrepreneurs sociaux puissent résoudre certains de nos problèmes les plus difficiles.
Le président : Merci beaucoup. Certains d’entre vous ont formulé des commentaires précis sur ce que le gouvernement devrait faire. Pour ceux d’entre vous qui n’ont pas formulé de tels commentaires et qui souhaiteraient le faire, je vous demanderais de nous les faire parvenir le plus tôt possible par écrit, comme je l’ai proposé à Hilary Pearson un peu plus tôt. Nous allons bientôt rédiger notre rapport et aurons besoin de ces informations.
Ceci met fin aux exposés des témoins. Nous allons maintenant passer aux questions des membres. Nous accueillons cinq témoins aujourd’hui. Je demanderais donc aux membres du comité de préciser à qui s’adresse leur question et, si d’autres témoins souhaitent intervenir, ils n’auront qu’à me faire signe et je leur laisserai la parole.
Ceci dit, notre première intervenante sera la sénatrice Omidvar, qui a proposé cette étude.
La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur le président. Merci aux témoins d’avoir pris le temps de venir participer à cette étude vraiment passionnante.
D’une façon ou d’une autre, vous avez tous abordé ce que devrait faire le gouvernement. Cela sera inclus dans notre rapport. Nous sommes conscients que notre temps est limité et que nous devons donner une forme et une structure au gouvernement. Je vais donc me concentrer sur cet aspect.
Si je ne m’abuse, vous avez tous dit que le gouvernement devrait investir dans les intermédiaires qui ont fait leurs preuves, mais aussi dans des efforts et intermédiaires qui n’ont pas encore fait leurs preuves afin de les aider à se développer.
Je ne veux pas compliquer les choses, mais ma question s’adresse à n’importe lequel d’entre vous. Quelle devrait être la structure de cet effort? Plus précisément, selon vous, cela devrait-il se faire à l’intérieur du gouvernement fédéral ou à l’extérieur? Des témoins hier nous ont parlé des sociétés d’État, des compétences provinciales et des efforts locaux.
Selon vous, idéalement, quelle forme devrait prendre la réponse du gouvernement fédéral?
Le président : J’ai besoin d’un volontaire. Derek?
M. Ballantyne : Je serai heureux de répondre d’abord et mes collègues pourront ensuite me contredire.
D’abord, je crois que cela devrait initialement se faire à l’extérieur du gouvernement, et ce, pour quelques raisons. Comme l’a souligné Jane, peu importe le niveau d’investissement, il faut faire preuve d’une certaine dextérité et d’une certaine capacité à prendre des risques et à comprendre les risques que l’on nous demande de prendre dans ce secteur. Honnêtement, je crois qu’il est injuste de demander à un gouvernement de s’en charger, car il doit mesurer le risque par rapport à d’autres risques ou règlements avec lesquels il doit composer. Je crois que cette responsabilité peut être confiée à un agent ou à un organisme en particulier.
Je crois également qu’il serait important qu’il s’agisse d’un véhicule que l’on peut utiliser pour bâtir de vrais partenariats avec d’autres capitaux. Il n’est pas nécessaire de se fier uniquement au capital du gouvernement. Il est difficile d’investir les capitaux d’un tiers dans le gouvernement, mais il est facile pour deux sources de capitaux de collaborer à l’extérieur du gouvernement et de s’engager au développement des capacités, notamment, ce que fait déjà le secteur philanthropique. Toutefois, ce dernier voudrait peut-être travailler dans le cadre d’une telle relation.
L’externalisation est un modèle qui rapporte, pourvu que les entités externes demeurent comptables et tenues d’atteindre des objectifs précis relativement à la répartition régionale des fonds et à l’obtention de retombées positives mesurables pour la collectivité. Au bout du compte, toutes les dépenses relatives aux programmes sociaux sont axées sur la collectivité. Je ne suis pas certain que toutes les collectivités doivent participer à l’administration de ces dépenses, mais celles-ci doivent ultimement profiter aux services communautaires.
Il y a moyen de structurer un tel mécanisme de façon à assurer la responsabilisation et la transparence nécessaires, sans pour autant freiner le dynamisme des entités non gouvernementales.
Le président : Pourrait-il s’agir d’une société d’État, comme la Banque de développement du Canada?
M. Ballantyne : Ce pourrait être une société d’État, ou encore un partenariat entre le gouvernement et des organisations externes. Je ne m’en fais pas trop à propos de la structure en tant que telle. Je tiens avant tout aux caractéristiques à respecter et aux pouvoirs qui lui sont conférés.
Le président : Quelqu’un d’autre?
Mme Bisbee : Je suis du même avis, absolument. Pour avoir travaillé au gouvernement, et j’ai eu à assurer un partenariat fédéral-provincial, je sais qu’il y a beaucoup moins de contraintes à l’externe.
Même si nous avons des liens avec la Ville d’Edmonton, par exemple, et que les structures de gouvernance de notre partenariat nous permettent d’avoir sa rétroaction en cours de route, c’est dans le monde des finances que cela se passe véritablement.
J’ai été bureaucrate assez longtemps pour me permettre d’être brutalement honnête. La bureaucratie entrave l’efficacité des partenariats externes dont a parlé Derek.
La sénatrice Omidvar : Que pensez-vous de l’idée d’une société d’État? Comment est-ce que cela pourrait fonctionner par rapport aux considérations de compétence provinciale?
M. Ballantyne : Si cette structure devait être une société d’État?
La sénatrice Omidvar : Oui.
M. Ballantyne : Sénatrice, à vrai dire, je n’y ai pas trop réfléchi, mais ce modèle a ses limites. Il faudrait examiner soigneusement la question, mais cela pourrait restreindre les sources de financement possibles ou créer des barrières imprévues.
Mme Bisbee : Cela mérite une bonne réflexion, mais je n’y avais pas vraiment pensé non plus.
La sénatrice Omidvar : Si cela vous convient d’examiner la question, vos observations nous seraient très utiles.
Mme Bisbee : Bien sûr. Je vais faire mes devoirs.
Mme Bergeron : À ce sujet, je crois qu’une structure qui permet d’aller chercher d’autres sources de financement peut s’avérer avantageuse. Le point a déjà été soulevé, mais c’est un facteur très important. Les investisseurs aiment pouvoir travailler avec d’autres sources de financement. Tant que la structure n’empêche pas cela, je crois que cela pourrait très bien fonctionner.
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à tout le monde, mais je reviens à ce que nous a dit Mme Bisbee concernant les investissements non conventionnels. Je suis curieuse d’en savoir plus à ce sujet, car, en ce moment, la finance sociale est un phénomène qui semble couler de source. Je crois que c’est vous, madame Pearson, qui avez parlé de la création d’un écosystème.
J’aimerais savoir comment cela se passe, pour que nous sachions comment aller chercher des sources de financement plus conventionnelles. Est-ce qu’on offre des mesures incitatives ou y a-t-il une sensibilisation à faire? Devrions-nous nous en charger? Sinon, qui le devrait?
C’est une question assez vaste.
Mme Bisbee : Je vais me permettre un commentaire, et Christine pourra sans doute intervenir elle aussi.
Au Canada, nous voulons que notre système bancaire soit robuste, et nous avons mis en place une réglementation rigoureuse pour que ce soit le cas. Nous avons certaines attentes face aux banques. En tant que citoyenne, je veux que ma banque ait les reins solides.
Parfois, mon travail ressemble un peu plus à celui d’un investisseur providentiel. Je n’ai pas à appliquer les mêmes principes d’évaluation des risques et de diligence raisonnable qu’un banquier le ferait pour un prêt traditionnel.
Il y a des gens qui viennent me voir qui n’ont jamais fait d’encaisse, ou qui n’ont pas les garanties que réclamerait une banque. Je pense notamment à une ligue communautaire qui veut construire un nouvel immeuble, mais sur un terrain appartenant à la ville. Elle ne pourrait jamais obtenir une hypothèque auprès d’une banque traditionnelle, car c’est ce que veut la réglementation.
Cela donne lieu à des solutions nouvelles, une situation qui se produit souvent dans le monde dans lequel nous travaillons.
Il y a aussi le fait que je travaille avec des industries naissantes, en environnement ou en sécurité alimentaire, par exemple. Les banques ne sont pas vraiment encore au fait des normes, alors elles n’ont rien pour faire des comparaisons, un exercice qui fait partie de leur processus traditionnel d’évaluation des risques.
Les comités d’évaluation parlent des « projets fous de Jane », parce que je leur présente des projets qui valent le risque, selon moi. Ce sont des idées nouvelles qui pourraient très bien révolutionner les choses. Je leur dis : « Sous ses airs d’œuvre de bienfaisance, cette organisation est un pouvoir mondial en devenir. »
Nous devons donc délaisser quelque peu les mécanismes traditionnels au profit d’idées nouvelles. Vancity mène la parade de ce côté. Des organisations traditionnelles, il y en a. En Alberta, ATB a commencé à tâter le terrain en vue de s’engager plus activement dans ce genre de projets. Nous travaillons en partenariat avec elle.
Nous avons entre autres financé un projet en partenariat avec la BDC. Il est donc possible de travailler ensemble. Parfois, il suffit que je me lance pour que d’autres décident de suivre.
Mme Pearson : C’est une question très importante, car on sait que ce n’est pas l’argent qui manque à l’échelle du monde pour financer toutes sortes de choses. Vous l’avez probablement entendu hier, mais il y a des réserves d’argent importantes qui sont détenues par des fonds, comme BlackRock et d’autres grands fonds d’investissement, pas par des banques. Et je parle ici de capitaux disponibles pour l’investissement dans tout projet, essentiellement, qui pourrait offrir un bon rendement.
Ces fonds vont généralement investir dans des entreprises nouvelles ou innovatrices dont la validation de principe promet de rapporter gros aux investisseurs.
Jusqu’ici, les fonds en question n’ont pas investi dans des projets à vocation sociale, mais je crois que les frontières s’estompent de plus en plus. Il serait sans doute également utile d’avoir un portrait clair de la situation. Il est de plus en plus commun de voir les investisseurs s’intéresser à des entreprises à vocation sociale ou à vocation mixte.
Par exemple, les nouvelles formes de production d’énergie, comme l’énergie solaire ou éolienne, deviennent particulièrement attrayantes sur le plan commercial aux États-Unis, alors il n’est pas surprenant que d’importants fonds d’investissement s’y intéressent. Peut-on alors parler d’investissement social, ou s’agit-il simplement du développement d’un secteur de l’économie qui contribue à la croissance et au développement durables, et qui a ainsi une utilité sociale? La distinction est difficile à faire.
Je vais ajouter une dernière chose. On s’efforce au Canada de sensibiliser les entreprises aux répercussions de leurs activités sur l’environnement, la société et la gouvernance. Je pense notamment à SHARE, une organisation qui a pour mandat d’encourager les fondations et autres investisseurs qui détiennent des actions dans une compagnie à utiliser ces parts afin d’exiger l’adoption de meilleures pratiques au sein de l’entreprise, des pratiques favorables à la durabilité, à l’environnement, à la société et à la bonne gouvernance. Ces efforts commencent à porter leurs fruits.
C’est donc dire que le secteur commercial s’intéresse beaucoup plus aux investissements responsables, et aux investisseurs responsables, au nombre desquels pourraient figurer des fondations, des fonds de retraite ou d’autres investisseurs institutionnels.
Cela va bien au-delà de ce que le gouvernement fédéral peut faire, mais c’est un aspect intéressant de la question, et je crois qu’il est important de comprendre le contexte.
Mme Bergeron : Je partage l’avis de mes collègues. C’est une question très importante, et je pense qu’il est très difficile de corriger la structure systémique du financement traditionnel qui est reliée à de grandes sommes d’argent qui doivent être investies dans de très grands projets. Il est difficile d’utiliser des fonds de pension et des sources financières importantes pour contribuer au financement d’organisations de plus petite taille qui comblent des lacunes sociales cruciales grâce à l’innovation. On observe donc de grandes tendances en ce qui concerne les enjeux systémiques liés à des fonds importants tels que BlackRock, comme Hilary l’a mentionné, et d’autres intervenants qui surveillent ces résultats. Toutefois, la dynamique de leurs profils et de leurs mandats en matière de rendement va à l’encontre de toute tentative de financement d’organisations de plus petite taille, et plus précisément celles ayant une mission sociale intentionnelle.
En fait, comme Jane l’a indiqué, cela ressemble aux écarts de financement que nous observons aujourd’hui à l’échelle nationale sur le plan du capital de risque. Il y a des secteurs où il n’est même pas logique de rechercher des investissements conventionnels pour obtenir du financement conventionnel. Lorsqu’on ajoute à cela le cadre social et environnemental, ainsi que les mythes qui s’y rattachent, cela cause un léger irritant.
Je crois que les éléments qui aident sont les données, les bilans et le rendement. Au cours des cinq ou six dernières années, nous avons démontré, à l’aide d’une quantité de données plutôt importante, qu’il n’est pas plus risqué d’accorder des prêts ayant une grande incidence ou d’investir d’une façon socialement responsable. Cependant, il se peut que l’envergure et l’efficacité de ces investissements n’atteignent pas le niveau que recherche un investisseur plus traditionnel. Certains éléments systémiques pas mal importants sont donc plutôt difficiles à corriger, mais je crois que c’est aussi lié à l’étape où l’on doit déterminer où les investissements sont requis et comment on déploiera ce capital.
Oui, comme certains de mes collègues l’ont dit, avec le temps, la finance sociale et la finance à impact devraient devenir idéalement la finance tout court, mais nous n’en sommes pas encore là. Par conséquent, il y a encore des cas où nous devons intervenir dès les premières étapes du développement des entreprises.
M. Ballantyne : Je peux peut-être ajouter quelques commentaires. Je suis complètement d’accord avec Christine. L’envergure est un énorme problème. Je peux vous avouer que nous ne sommes pas timides lorsqu’il s’agit de demander aux gens d’investir avec nous, et nous avons rendu visite aux responsables d’importants fonds de pension. Ils ont répondu : « C’est une fabuleuse idée. Nous aimerions faire cela. Le problème, c’est que nous investissons quotidiennement 42 millions de dollars. Nous ne pouvons pas nous arrêter pour envisager d’investir 5 millions de dollars dans votre fonds. » Nous opérons dans des milieux dont l’envergure diffère. C’est la raison pour laquelle il est important, à mon avis, de développer l’envergure des investissements de cette nature si nous souhaitons que ce secteur absorbe une plus grande quantité de capitaux conventionnels.
Nous exploitons également un fonds d’emprunts. Je sais donc quel est le but ésotérique d’un investissement social, mais certains produits d’investissement conventionnels ont aussi une grande incidence sociale. Le logement en est un. Il peut offrir un rendement de marché aux investisseurs, mais personne n’a encore trouvé une façon de donner de l’envergure à un nombre suffisant de ces investissements pour être en mesure d’accomplir cela. Il est donc difficile d’attirer des réserves de capital plus importantes. Même les institutions financières ont du mal à y investir des capitaux suffisamment importants, parce que personne ne souhaite posséder plus de 10 p. 100 de n’importe quel fonds. C’est un bon outil de gestion du risque. Par conséquent, si vous souhaitez investir 60 millions de dollars, vous devez trouver un fonds de 600 millions de dollars.
M. Farthing-Nichol : Du point de vue de Big Society Capital, qui a parlé avec quelques-unes des sociétés bénéficiaires de ses investissements et avec sa haute direction au sujet de leurs exigences en matière de coinvestissement, il semble préférable d’obtenir plus de capitaux et un effet de levier plus important, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Certes, les restrictions que Big Society Capital juge les plus contraignantes sont celles qui découlent de ses tentatives pour trouver d’autres investisseurs prêts à l’accompagner dans ses investissements. Ce n’est pas nécessairement la structure juridique de ces transactions ou les différentes conditions du gouvernement qui perturbent ses dirigeants, mais plutôt ce que recherchent ses coinvestisseurs.
Comme Jane l’a mentionné, lorsque nous discutons avec certains individus des fonds dans lesquels ils investissent, ils disent parfois être frustrés par le degré de formalité et la diligence raisonnable dont font preuve les investisseurs traditionnels. Ces gens ont l’impression que c’est inapproprié pour le genre de projets dans lesquels ils investissent et que ce n’est pas une bonne utilisation de leur temps, compte tenu de l’envergure de l’investissement.
Si vous arrivez à faire fonctionner le coinvestissement, en particulier pour certaines de ces transactions immobilières, il est merveilleux d’obtenir plus de capitaux, mais je crois qu’il faut être prudent à cet égard. Avant d’établir un objectif trop élevé en matière d’effet de levier, il faut examiner soigneusement ce que le fonds tente d’accomplir.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie tous infiniment de vos exposés.
Monsieur Ballantyne, j’aimerais vous adresser ma question, parce que vous avez parlé directement d’un enjeu qui va manifestement nous préoccuper lorsque nous rédigerons ce rapport très ciblé après aussi peu d’audiences. Nous sommes peut-être au tout début des tentatives visant à cerner cet enjeu, mais vous avez dit avoir travaillé pendant deux ans avec des partenaires du secteur afin de déterminer les mesures bénéfiques que les gouvernements pouvaient prendre à cet égard. Vous étudiez donc cette question depuis un certain temps. Vous avez déclaré que les interventions des gouvernements devraient avoir trois objectifs, que vous avez énumérés très clairement.
J’aimerais maintenant revenir à la question dont la sénatrice Omidvar discutait avec vous, à savoir la façon de gérer le capital, parce que cette question est préoccupante. Vous avez dit que le capital devrait être géré par un organisme indépendant capable de faire des investissements qui respectent des critères convenus et produisent des résultats mesurables. Bien entendu, les critères convenus et les résultats mesurables sont toujours problématiques.
Pour répondre à la sénatrice Omidvar, vous avez également indiqué que vous étiez moins préoccupé par le type d’organismes, quand nous parlons d’une société d’État, que par les caractéristiques qu’il doit avoir et ce qu’il peut accomplir. Si vous pouviez nous en dire davantage à ce sujet, je vous en serais reconnaissante.
M. Ballantyne : Bien sûr. En ce qui a trait à ce que l’organisme peut accomplir, je pense que, quelle que soit sa nature, il doit posséder deux ou trois capacités. Premièrement, il doit pouvoir traiter avec un système existant et composer avec lui. Je crois qu’il doit également pouvoir investir une partie du capital dans des secteurs de la finance sociale du Canada non exploités en ce moment.
À l’heure actuelle, très peu de collectivités autochtones bénéficient de la finance sociale. Ce n’est pas faute d’idées ou de points d’intervention, mais personne n’a encore été en mesure de réunir suffisamment de capitaux et de cibler un ensemble particulier de résultats.
Nous travaillons à la réalisation de quelques projets de ce genre en ce moment. Je ne peux donc pas dire que personne n’y songe, mais, si j’étudie le paysage actuel, je constate que rien de particulier n’existe, parce que d’autres genres de risques se rattachent à ces projets. J’estime que cet organisme doit avoir la capacité de prendre ces genres de risques.
Deuxièmement, pour en revenir à l’argument que Christine a fait valoir, l’organisme doit avoir la capacité d’autoriser l’investissement d’autres capitaux. Du point de vue de l’effet de levier, si le gouvernement investit, il le fait tout à fait intentionnellement afin d’attirer d’autres capitaux. Alors, les fonds investis par le gouvernement ne sont pas les seuls en jeu puisque, selon moi, l’argent investi par les partenaires amplifie l’incidence de ces investissements.
Lorsque je parle d’une entité indépendante, il m’est beaucoup plus facile d’imaginer la présence de ces caractéristiques au sein d’un organisme nommé pour accomplir ce travail qu’au sein d’un ministère, pour mentionner l’autre extrême. Comme j'ai déjà travaillé au sein de structures gouvernementales, j’ai acquis un peu d’expérience qui me permet de comprendre le concept qui existe, en particulier à l’égard de la gestion des risques et de la souplesse en matière de structuration de transactions. Au sein d’un gouvernement, ces activités sont restreintes pour toutes sortes de bonnes raisons, notamment en raison des précédents qu’elles établissent, mais elles pourraient être exercées plus facilement à l’extérieur du gouvernement, si cela peut vous aider à définir cet organisme.
La sénatrice Seidman : Cela cerne ce que l’organisme peut faire. Avez-vous nommé les caractéristiques qu’il doit avoir? Pensiez-vous à quelque chose en particulier lorsque vous avez dit cela, lorsque vous avez parlé de cet organisme indépendant qui fait des investissements?
M. Ballantyne : Évidemment, il doit pouvoir comprendre l’environnement. Il doit disposer des compétences nécessaires pour comprendre ce qui constitue un bon investissement. Il faut qu’il sache comment faire preuve de diligence raisonnable et comment structurer des investissements. Jane vous dira qu’aucune transaction ne se ressemble lorsque vous faites ces genres d’investissements. Leur structure doit rendre compte des circonstances de l’investissement et des résultats escomptés. L’organisme doit posséder ces genres de capacités.
Mme Bisbee : De l’imagination.
M. Ballantyne : Il faut de l’imagination et de la discipline financière. Il ne suffit pas de saupoudrer de l’argent à gauche et à droite. Il faut investir intelligemment.
La sénatrice Seidman : Il faut donc rassembler l’imagination et la discipline financière, ce qui représente tout un défi. Il est extrêmement difficile de trouver ces deux qualités dans la même personne.
Si je puis me permettre, j’aimerais maintenant parler des investissements annuels conditionnels à la réalisation des objectifs en matière de durabilité pour tirer parti de l’investissement du gouvernement, à la fois au niveau du fonds et de la transaction, et en fonction de critères préétablis. Par conséquent, à l’heure actuelle, on se fie aux mesures des résultats avant de réinvestir, n’est-ce pas? Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
M. Ballantyne : Concrètement — et je crois avoir admis qu’il s’agissait d’une simple esquisse, car nous pourrions écrire un long rapport là-dessus —, j’entrevois deux dangers. Le premier est qu’il y ait trop d’argent qui entre dans le système, ce qui pourrait ne pas donner les résultats désirés. Je ne pense pas que vous voudriez trop investir avant de comprendre réellement comment le capital est absorbé et où il est placé. Étant donné que nous n’avons pas une structure intermédiaire de financement social très bien développée, le fait d’inonder le système de capitaux pourrait donner lieu à des inefficacités et à des comportements inefficaces. Il ne faut pas investir dans n’importe quoi sous prétexte qu’il faut investir. Je ne crois pas que ce soit la solution, parce que cela ne contribuera pas à la durabilité à long terme.
Je propose donc un investissement initial, puis des investissements subséquents, qui pourraient être annuels, mais conditionnels aux résultats initialement escomptés, que ce soit par un effet de levier financier ou par la croissance dans certains secteurs. Pouvons-nous quantifier les résultats obtenus? Est-ce que cela est réparti à l’échelle régionale? Grâce à cette reddition de comptes, nous pouvons décider d’effectuer la prochaine tranche d’investissements dans le secteur.
Mme Bisbee : Si vous me permettez d’ajouter une chose, je vous dirais qu’il faut investir moins au début puis planifier à plus long terme. Je pense qu’il y a une chose que nous avions mal analysée au départ, et c’est le fait qu’une période de trois à cinq ans était suffisante. Une période de 5 à 7 ans, voire de 7 à 10 ans, est probablement plus réaliste. Je suis tout à fait d’accord. Il ne faut pas injecter trop d’argent dès le départ; et il faut être patient et conscient que cela va prendre un certain temps. Cela permettra aux gens qui prennent les décisions et qui concluent des ententes de collaborer avec les organisations d’une façon qui correspond aux réalités du terrain.
M. Farthing-Nichol : J’aimerais ajouter quelque chose. Il est important de ne pas avoir trop d’argent au début, et nous en avons été témoins avec les fonds Social Impact Accelerator, en Europe, et Big Society Capital. Certains étaient frustrés de ne pouvoir rien faire de l’argent pendant un bon bout de temps. Je pense qu’il est important de trouver un équilibre avec le fait d’avoir une importante somme d’argent et un engagement à long terme.
S’il y a une entente selon laquelle on effectue des tranches d’investissement en fonction des résultats obtenus, à ce moment-là, c’est coulé dans le béton et les investisseurs et les marchés peuvent s’y fier à plus long terme. Même si le fonds Big Society Capital n’a pas investi tout son argent encore, le fait qu’il y ait 600 millions de livres à un endroit pour un objectif donné a démontré à tout le monde sur le marché que c’est quelque chose d’important pour le gouvernement, que cela durera toujours, et que par conséquent, cela vaut la peine d’y participer.
Le président : Bon point.
La sénatrice Griffin : Je ne sais pas à quel témoin m’adresser; cela s’applique peut-être à vous tous. En ce qui concerne les obstacles, selon vous, quelle est la chose la plus importante que le gouvernement du Canada pourrait faire pour promouvoir le développement de ces fonds?
Le président : Nous allons commencer par Mme Pearson.
Mme Pearson : Je dois dire que je ne suis pas une experte en finances. J’en sais davantage sur la façon dont les fondations de bienfaisance s’engagent sur ce marché ou non.
Je vais répondre à votre question sur ce que peut faire le gouvernement à cet égard. Je suis sûre que les autres témoins auront d’autres observations à faire par la suite.
Les organismes de bienfaisance et les fondations que je représente sont, dans la plupart des cas, des organismes de bienfaisance enregistrés et ils sont assujettis aux restrictions fiscales imposées aux organismes de bienfaisance au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu. La plupart sont légitimes, mais ne tiennent pas toujours compte des réalités du marché de l’investissement et du financement social, et de cette fusion des aspects social et commercial dont je parlais plus tôt.
La Loi de l’impôt sur le revenu présume que les organismes de bienfaisance sont d’un côté et les entreprises de l’autre, et qu’il n’y aura pas de mélange des deux, ce qui complique la tâche des fondations qui font quelque chose qui pourrait aller au-delà d’un investissement classique. Il leur est donc difficile d’innover et de prendre plus de risques.
À vrai dire, la Loi de l’impôt sur le revenu ne parle pas, au sens strict, de la politique d’investissement pour les fondations. Ce sont en fait les provinces qui en ont la responsabilité en vertu de la Constitution. Cependant, la Loi de l’impôt sur le revenu est intrusive et influe sur les décisions d’investissement des fondations, en partie à cause des règles dont je parlais tout à l’heure, les règles relatives à l’octroi de prêts aux organismes caritatifs et aux autres organismes.
Cela dit, des précisions s’imposent, d’où l’importance de moderniser tout le cadre régissant les organismes de bienfaisance. C’est un autre problème beaucoup plus important qui se rapporte au sujet à l’étude et qui a certainement une incidence sur les fondations. Il est essentiel que le gouvernement en tienne compte pour savoir s’il veut encourager davantage le capital philanthropique dans des entreprises qui ne sont pas nécessairement reconnues par la Loi de l’impôt sur le revenu ou qui pourraient présenter un niveau d’innovation ou de risque qui n’est normalement pas attribué aux organismes de bienfaisance.
Voilà des choses que le gouvernement fédéral pourrait faire, selon moi, et il m’apparaît tout indiqué de revoir les règles régissant le fonctionnement des organismes de bienfaisance. Je peux vous donner des suggestions et des exemples plus précis, et je pense que Duncan peut le faire également, sur la façon dont ces règles sur les investissements liés aux programmes pourraient être améliorées.
Mme Bergeron : C’est un obstacle. D’après notre expérience, lorsque nous essayons d’appuyer des fonds, nous constatons que dans ce secteur, il y a souvent de ce qu’on appelle des nouveaux fonds, c’est-à-dire des fonds qui n’ont pas recueilli des capitaux deux ou trois fois, alors ils n’ont pas nécessairement de bilan. Cela ne signifie pas que les personnes qui s’en occupent n’ont pas d’expérience, mais plutôt que le fonds lui-même n’a pas de bilan à présenter.
Cela revient donc à ce que l’on disait plus tôt sur les cadres conventionnels traditionnels et leur incidence sur les investissements dans les fonds de financement social. Le fait d’investir plus de capitaux spécifiquement consacrés aux fonds de démarrage ou aux nouveaux fonds en voie de développement constitue un très grand obstacle pour ceux qui réunissent des capitaux. Encore une fois, cela se rapporte à ce que Derek et moi avons dit plus tôt au sujet des sommes d’argent et des pourcentages que les gens veulent détenir. On a beau avoir un fonds de 10 millions de dollars qui correspond exactement à ce que l’on recherche; il est extrêmement difficile d’aller chercher un demi-million d’un côté et un de l’autre. Ce fonds est trop petit à certains égards, même s’il est la taille parfaite pour les résultats que l’on vise.
La flexibilité de pouvoir examiner un fonds sans avoir à consulter le bilan des 20 dernières années, soit en examinant davantage les gens et d’autres facteurs qui entrent en jeu, vous donnerait une bonne idée des résultats. Je pense que le même cadre s’applique aux rendements potentiels.
Encore une fois, si vous songez à investir dans des entreprises, une entreprise vous dira toujours qu’elle vise un rendement de 30 p. 100 ou plus, ce qui arrive très rarement, mais c’est ce qu’elle vous dira. Il est donc important d’avoir une certaine souplesse concernant les rendements, sans dire qu’il ne devrait pas y en avoir, mais plutôt qu’ils doivent être proportionnels aux résultats généraux. Par conséquent, la flexibilité de ces deux éléments serait très utile pour surmonter les obstacles dont on a parlé.
Mme Bisbee : J’aurais quelque chose à ajouter, pour faire suite à ce qu’a dit Christine. On a beau avoir un petit fonds dans une région qui correspond exactement à ce que l’on recherche, il n’empêche que les coûts de transaction et de fonctionnement peuvent représenter un défi de taille. Comment est-ce qu’on met en place les employés pour faire le travail à partir du rendement de ce fonds? C’est un rôle que pourrait jouer le gouvernement. Il pourrait apporter une aide financière pour couvrir les coûts de fonctionnement jusqu’à ce qu’on ait atteint un seuil de rentabilité.
En ce qui nous concerne, nous avons été très chanceux; nous avions un filet de sécurité, mais ce n’est pas le cas de tous les fonds. Nous sommes maintenant autosuffisants, mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Mme Bergeron : Très bon point.
La sénatrice Bernard : Merci à vous tous pour vos témoignages. Je suis curieuse d’entendre certaines de vos histoires, alors ma question s’adresse à Mme Bisbee.
J’ai bien aimé lorsque vous avez parlé de « financement social sur le terrain ». J’ai toutefois quelques réserves concernant l’établissement de ce fonds. Comment peut-on s’assurer que les plus vulnérables de la société y ont accès? Je crois que vous avez sans doute un peu de sagesse et de conseils à nous faire part, selon votre expérience à Edmonton. Je songe notamment aux populations autochtones, aux réfugiés et aux anciens détenus qui essaient de se réinsérer dans la société et de rebâtir leur vie. Si vous avez des exemples qui se rapportent particulièrement à ces communautés, ce serait fantastique. Sinon, vous n’avez qu’à nous dire ce que vous savez.
Mme Bisbee : Dans un premier temps, j’aimerais parler d’une organisation à Edmonton qui s’appelle Jasper Place Wellness Centre. Il s’agit d’un centre d’accueil dans l’ouest d’Edmonton qui a été mis sur pied par un homme d’affaires, après que sa fille lui ait demandé ce qu’il faisait pour rendre le monde meilleur. Il a aussitôt vendu son entreprise et ouvert ce centre. Toutefois, on ne peut pas arrêter un homme animé d’un esprit d’entrepreneur de faire des affaires. Il s’est dit que ce dont les gens ont besoin, ce sont des emplois. Ils ont besoin de toucher un revenu. On a beau construire tous les logements possibles, s’ils ne peuvent pas payer leur loyer, à quoi cela sert-il?
Il a donc lancé différentes entreprises. Celle qu’il nous a présentée était une entreprise de collecte d’objets encombrants. Il a su répondre à un besoin sur le marché, en sachant, par exemple, que certaines femmes d’âge moyen avaient des garages remplis de choses dont elles voulaient se débarrasser. Il est expert en analyse web, mais il a démarré cette entreprise, qui recrutait de plus en plus d’employés, alors il s’était adressé à nous pour obtenir un prêt en vue d’acheter plus de camions. Il a donc créé d’autres emplois.
Il s’est ensuite rendu compte que les matelas seraient une avenue intéressante. Il fallait recycler les matelas. Cette année, il envisage de recycler 100 000 matelas. Il a obtenu le contrat de la Ville d’Edmonton; on parle ici d’approvisionnement social. Ainsi, les matelas ne finissent pas dans les dépotoirs. Il a également conclu un contrat avec Sleep Country et plusieurs autres municipalités environnantes. Il exploite son entreprise et offre des emplois à des gens qui, parfois, viennent de sortir de prison et se sont retrouvés dans ce quartier, ou à des réfugiés ou des membres de Premières Nations. J’adore cette histoire.
Je vais vous parler d’une autre entreprise à but lucratif établie à Calgary qui s’appelle CommonGood. Cette entreprise offre des services de blanchisserie à de petits restaurants et hôtels locaux. Elle a conclu un partenariat avec le Calgary Drop-in; Rehab Centre. Elle fournit donc du travail aux résidants de ce centre. Elle leur offre un salaire convenable de 18 $ l’heure. Cela aide donc ces gens à reprendre leur vie en main. Récemment, elle a d’ailleurs voulu embaucher un homme comme livreur, malgré le fait qu’il avait un casier judiciaire pour conduite avec facultés affaiblies, car elle jugeait qu’il faisait preuve d’entregent et qu’il serait en mesure d’effectuer ce travail.
La dernière histoire que je vais vous raconter provient de St. Paul, une ville qui compte 6 000 habitants et qui se trouve dans la partie nord-est de l’Alberta. Le St. Paul Abilities Network a été créé il y a 50 ans. Il s’agit d’une organisation caritative mise sur pied par des parents qui voulaient changer la vie de leurs enfants handicapés. Finalement, les enfants handicapés sont devenus des adultes. Ils dirigent sept entreprises sociales différentes et financent la plupart de leurs activités par l’intermédiaire de ces entreprises sociales. Ils ont commencé avec un magasin d’aubaines. Ils possèdent la plus importante blanchisserie industrielle du Nord de l’Alberta et desservent des chantiers pétroliers et les forces armées dans le Nord. Ils ont un service de traiteur et une entreprise de camionnage, car lorsqu’on offre des services de blanchissage, on a besoin de camions. Nous leur avons octroyé un prêt pour un projet qui sera lancé en mars, et il s’agit d’un hôtel. Ils ont décidé de se lancer dans le secteur de l’hôtellerie. Il s’agit du premier organisme caritatif à détenir une franchise Hampton Inn & Suites. Ils vont utiliser cet hôtel pour offrir des emplois aux gens des six réserves des Premières Nations qui entourent St. Paul, où le taux de chômage s’élève à 65 p. 100. On procurera donc du travail aux membres, aux clients, au traiteur et à la blanchisserie. Ils pourront également fournir des certificats en gestion hôtelière aux gens de la communauté, en collaboration avec un collège communautaire local. Il s’agit d’une entreprise sociale très dynamique. Cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas reconnus pour l’excellence de leur travail à l’égard des gens qui souffrent de déficiences et de lésions cérébrales. Ils sont reconnus à l’échelle de la province. Il y a même des familles qui sont déménagées à cet endroit parce qu’elles savent qu’elles peuvent recevoir de l’aide.
Cela fonctionne si on donne les bons outils à ces gens. Ils ne pouvaient pas s’adresser à une banque traditionnelle pour obtenir le financement nécessaire à la construction de leur hôtel, alors ils ont fait appel à la BDC et à nous. Nous sommes les bailleurs de fonds secondaires. La BDC s’est occupée de la première partie du financement. Il y a donc moyen d’établir des partenariats pour réaliser des projets.
La sénatrice Bernard : Merci.
Le président : Y en a-t-il d’autres qui ont des exemples à nous donner? Cela nous prendrait une autre heure. Puisque personne ne veut intervenir, je vais céder la parole au sénateur Mockler, qui a été invité aujourd’hui à remplacer un membre du comité. Vous êtes président du Comité des finances, et puisque nous discutons de financement, vous avez cru bon de participer à cette séance.
Le sénateur Mockler : Merci, monsieur le président. Je dois tout d’abord admettre que je suis très touché par ce que vous faites, car je suis le fils d’une mère monoparentale bénéficiaire de l’aide sociale, alors je n’aurais jamais pensé être ici un jour pour vous poser des questions.
Cela dit, faites-vous connaître vos pratiques exemplaires dans l’ensemble du Canada? On entend toutes sortes d’histoires intéressantes à ce sujet. En tant qu’ancien ministre au Nouveau-Brunswick, je faisais partie de l’organisme Saint John Community Loan Fund, tout comme notre gouvernement. Il y a beaucoup de bons exemples comme ceux que vous nous avez donnés.
Nous avons des organismes régionaux partout au Canada. Dans l’Atlantique, on a l’APECA; dans l’Ouest du Canada, on a Diversification de l’économie de l’Ouest Canada. Ces organismes participent-ils à vos programmes?
Mme Bisbee : Est-ce que vous parlez des autres organisations comme l’organisme de Saint John?
Le sénateur Mockler : Non, je parle de Diversification de l’Ouest. Nous avons des organismes de développement régional dans toutes les provinces.
Mme Bisbee : Je ne sais pas pour les autres, mais, en ce qui nous concerne, nous n’avons pas travaillé avec eux.
M. Ballantyne : Nous sommes un intermédiaire. Ils ne travaillent pas avec nous, mais nous nous sommes trouvés à financer des projets en Nouvelle-Écosse, par l’entremise d’un de nos fonds, et il y a des agents de transfert dans la communauté autochtone qui participent avec nous. Par conséquent, les fonds de développement entrent en jeu, mais c’est au niveau du projet, et non pas au niveau du fonds ni au niveau intermédiaire.
Mme Bergeron : Il y a quelque temps, nous avons collaboré avec Diversification de l’économie de l’Ouest pour certains de nos prêts les plus risqués, mais je crois que leur mandat a changé.
J’ouvre une parenthèse pour préciser que j’ai fait partie du conseil d’administration du Women's Enterprise Centre, ici, en Colombie-Britannique, une organisation qui collaborerait avec ce type d’organisme. Il dispose d’un petit fonds permettant de prêter de petits montants à des entrepreneuses, c’est-à-dire de moins de 200 000 $. Nous, à Vancity, nous ne travaillons pas souvent directement avec ces organismes sur le financement. Nous les connaissons et nous appuyons certainement différents projets, de concert avec eux, parfois, mais ce n’est pas dans un cadre officiel.
Le sénateur Mockler : Monsieur le président, nous devrions nous intéresser à l’APECA, qui joue un certain rôle dans le financement communautaire. Quand nous nous interrogeons sur le rôle possible des gouvernements, c’est certainement un moyen que nous devrions envisager. La Banque de développement du Canada joue un rôle; cet autre organisme devrait aussi le jouer. Il faut profiter de cette occasion. Je sais que, dans le Canada atlantique, on le fait.
Combien d’investisseurs votre fonds rassemble-t-il, madame Bisbee? Quels avantages retirent-ils de leurs investissements?
Mme Bisbee : Actuellement, nous détenons surtout des fonds de la Ville d’Edmonton, de Centraide. On compte une demi-douzaine d’investisseurs privés, mais, de loin, la plus grande partie de notre investissement provient de l’Edmonton Community Foundation. En ce moment, nous aurions accès à 55 millions de dollars de sa dotation qu’elle nous a attribués. Beaucoup d’investisseurs ont contribué à ce fonds de dotation. Certains viennent maintenant y investir par désir d’obtenir un impact social et parce qu’ils s’intéressent aux finances sociales.
Nous commençons aussi à être approchés par des particuliers fortunés, qui s’intéressent à ce que nous faisons. Ça donne actuellement à réfléchir. Mais la question réside vraiment dans les rendements escomptés par les investisseurs et la durée pendant laquelle ils sont disposés à laisser l’argent dans le fonds. Actuellement, nos investisseurs se contentent d’y laisser les retours sur leurs investissements, ce qui permet de les capitaliser et de faire rouler l’argent. Nous couvrons ainsi nos dépenses et nous faisons circuler l’argent, qui, pour cette raison, n’a pas été retiré du fonds.
Actuellement, nous avons une discussion intéressante sur les conséquences de l’arrivée éventuelle d’autres investisseurs. C’est en partie la conséquence de la loi adoptée récemment en Alberta, qui institue un crédit d’impôt pour l’investissement à impact social. Les règlements sont encore à venir, mais une partie de ce qui se prépare a déclenché la discussion, chez nous, sur les conséquences que nous pouvons en attendre.
Le sénateur Mockler : Hier soir, en me préparant à la séance d’aujourd’hui, j’ai visité votre site web où vous faisiez allusion à une « tanière du dragon ». De quoi s’agit-il?
Mme Bisbee : C’est une allusion à l’émission télévisée du côté anglais de Radio-Canada, Dragon’s Den. Quand j’ai obtenu l’emploi que j’occupe actuellement, j’expliquais de quoi il s’agissait à une amie qui a eu cette réaction : « Oh! C’est comme cette émission, mais pour vrai. » C’est en quelque sorte une bonne explication. Ça ressemble plus à ce genre d’investissement en actions qu’aux prêts bancaires traditionnels.
Le président : D’accord. Merci. Je voudrais questionner Derek Ballantyne sur un passage de son exposé. Vous avez parlé d’une cinquantaine de vos investisseurs, à New Market, qui cherchent à exercer un impact social et à obtenir des profits. Parlez-nous un peu d’eux. Quel genre de rendement financier recherchent-ils? Quel genre d’impact social? Qu’est-ce qui les motive à participer à ce fonds d’investissement avec vous?
M. Ballantyne : Tous nos investisseurs cherchent d’abord à obtenir un impact pas seulement financier. C’est le point de départ. C’est un intérêt plus ou moins variable selon la personne, mais tous sont désireux d’obtenir pour leur investissement des résultats qui ne sont pas seulement financiers. Est-ce la création de logements plus abordables? Une entreprise sans but lucratif dont on peut financer certaines activités? Un théâtre qu’on a pu rénover et par lequel, par conséquent, on a pu offrir plus de programmes communautaires et ainsi de suite? C’est le dénominateur commun de tous les investisseurs.
Voici un aperçu de ce que nous offrons : la caisse de crédit a un rendement d’environ 3 p. 100 par année pour les investisseurs; le fonds d’investissement dans le logement locatif toujours abordable, 6 p. 100 pendant la durée de l’investissement, qui est de 8 à 10 ans, ce qui fait donc 6 p. 100 par année pendant cette durée. Je n’entrerai pas dans les détails du montage. Le rendement n’est pas toujours de 6 p. 100, et, à la fin, l’investisseur retire un montant important.
Dans l’activité de l’entreprise, nous avons trouvé du capital pour financer ses activités et nous avons demandé aux investisseurs d’assumer pour elle un risque pur. Si l’entreprise réussit, nous remettons un rendement du capital-actions de 12 à 13 p. 100, ce qui est dans bas de gamme. Sinon, l’investisseur ne revoit pas la couleur de son argent. Il a donc pris un pur risque.
C’est probablement la fourchette qu’offre le marché. Les investisseurs sont motivés par l’importance de l’impact recherché et le rendement mesuré qu’ils accepteront de recevoir en échange et ils choisiront eux-mêmes la gamme des produits ou certains produits seulement. Je pense que c’est équitable.
Nous essayons d’offrir un rendement financier proportionnel au risque que nous demandons aux investisseurs d’assumer. Nous n’exigeons pas d’eux beaucoup de concessions; nous voulons leur accorder un rendement équitable. Mais nous les avertissons que les risques seront mesurés différemment dans les divers fonds que nous exploitons par rapport à la façon de les mesurer en finance classique. J’ignore si ça vous éclaire.
Parmi nos investisseurs, nous avons d’autres fonds de placement. Des institutions financières ont décidé qu’elles voulaient appuyer ces plateformes et ces fonds de placement. Des particuliers sont motivés par la recherche de tel type d’effet pour leurs placements. Les fondations constituent un groupe central d’investisseurs dans la totalité du fonds. Les fondations, qui nous ont créés, sont venues investir avec nous en vue d’obtenir ainsi dans leur mission un impact plus fort, qui donnerait plus d’envergure à leur mission.
La sénatrice Omidvar : Madame Pearson, vous avez parlé des 40 milliards de dollars d’actifs que des fondations privées détiennent. C’est beaucoup de petite monnaie.
Mme Pearson : Des fondations privées et publiques.
La sénatrice Omidvar : J’ai travaillé 15 ans dans les fondations privées, et je connais très bien mes collègues de ce secteur. Même si certains d’entre eux sont des fonceurs, je serais portée à croire que la majorité de vos membres ou que les fondations privées sont plutôt timides, particulièrement quand il s’agit de gestion et de croissance des actifs.
Les règlements qu’applique l’Agence du revenu du Canada prévoient un plancher pour les débours annuels destinés aux dons de bienfaisance, 3 p. 100, si je me rappelle bien.
Mme Pearson : Trois et demi pour cent, effectivement.
La sénatrice Omidvar : Trois et demi. Devrait-il y avoir un investissement minimal semblable pour la gestion des actifs? Imaginons un règlement de l’ARC obligeant à investir 3 p. 100 des actifs dans ce nouvel écosystème. C’est la question que je vous pose.
Mme Pearson : L’agence applique la Loi de l’impôt sur le revenu. Je ne suis pas certaine que cette loi comprenne des dispositions autorisant la prise d’un règlement pour encadrer les investissements. Cela existe pour les dons, mais pas pour les investissements. C’est vraiment du ressort de la province.
L’Ontario a été la province qui a réglementé le plus en détail le comportement d’investissement attendu de la part des organismes de bienfaisance, mais la règle qui s’est appliquée jusqu’ici a été celle de l’investisseur prudent. On s’attend que les organismes de charité gèrent leurs actifs avec prudence, en raison de leur mission orientée vers le bien public et, par conséquent, ils devront investir prudemment leurs actifs à cette fin, sans prendre de risques excessifs.
Heureusement, l’Ontario a modifié récemment ses règles et a clarifié sa définition d’investissement prudent, en précisant que les fondations pouvaient prendre plus de risques que ce que beaucoup d’entre elles auraient pu croire possible tout en continuant de pouvoir être considérées comme gérant prudemment leurs fonds destinés à servir le bien public.
Les choses changent. Les provinces désirent autoriser la prise de plus de risques dans les investissements, mais dans le respect de la loi.
Je reviens aux règles de l’ARC sur les prêts. On peut se poser la question sur la compétence de l’agence pour l’élaboration de directives dans ce domaine, mais l’agence s’est chargée de ce mandat et elle essaie d’élucider les relations financières qu’elle discerne entre un organisme de bienfaisance et un organisme sans vocation de bienfaisance et de les assujettir à ce qu’elle appelle des « règles de direction et de contrôle ». Elle essaie d’enjoindre aux fondations de destiner leurs subventions seulement à des donataires reconnus, donc seulement à d’autres organismes de bienfaisance enregistrés ou à des organisations qui répondent à la définition de donataires reconnus. Voilà pourquoi les fondations ne peuvent pas accorder de subventions pour appuyer la création d’organisations intermédiaires, par exemple. Mais on se trouve dans une zone grise, où une fondation, en sa qualité d’organisme de bienfaisance, peut prêter de l’argent, ce qui n’est pas une subvention, à un organisme sans vocation de bienfaisance, tant qu’elle se conforme aux règles de direction et de contrôle.
Nous leur disons que ces règles, en général, sont extrêmement pénibles et excessivement prescriptives, pour assurer l’utilisation effective de l’argent à des fins de bienfaisance. Elles débordent donc le cadre de ce que vous envisagez actuellement, mais je pense que c’est un élément important d’information quand il s’agit de déterminer comment les fondations charitables peuvent déployer plus efficacement leurs actifs.
Le président : Je suis désolé. Notre temps est écoulé. Mais nous avons bien dialogué, et vous cinq, vous avez apporté différents points de vue et des observations très utiles. Merci beaucoup.
Chers collègues, nous poursuivons maintenant à huis clos pour discuter plus en profondeur de la question en ce qui concerne les instructions à donner au personnel.
(La séance se poursuit à huis clos.)