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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 40 - Témoignages du 16 avril 2018


OTTAWA, le lundi 16 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 14 heures, afin de poursuivre son étude de ce projet de loi.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m’appelle Art Eggleton, sénateur de Toronto et président du comité. Je demanderais maintenant à mes collègues, tant les membres réguliers que les remplaçants, de bien vouloir se présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de Toronto.

La sénatrice Unger : Je suis Betty Unger, d’Edmonton, en Alberta.

[Français]

Le sénateur Pratte : Sénateur André Pratte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Jim Munson, d’Ottawa, Canada.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Sénatrice Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

Le président : Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Nous accueillons trois groupes de témoins aujourd’hui. Nous nous entretiendrons avec le premier groupe, qui compte trois témoins, pendant une heure et demie. Je vais les présenter à mesure qu’ils prennent la parole. Le troisième témoin n’est pas encore là. Il s’agit du Dr Bernard Le Foll, de Toronto. Il représente le Centre de toxicomanie et de santé mentale. Il est en route. Je suis arrivé ici ce matin par train; c’était la seule façon possible, en raison de l’interruption du service aérien. Le Dr Le Foll se joindra aux autres témoins à un moment ou à un autre.

D’ici là, nous accueillons le Dr Harold Kalant, professeur émérite de la faculté de médecine de l’Université de Toronto, qui participe par téléconférence, et Mme Amy Porath, directrice de la recherche du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances.

Je vais commencer par vous, docteur Kalant, qui comparaissez par vidéoconférence. Je vais demander à chaque témoin de formuler des commentaires préliminaires d’une durée de sept minutes. Nous passerons ensuite aux questions de mes collègues du Sénat.

Dr Harold Kalant, professeur émérite, faculté de médecine, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux membres du comité de me permettre de vous parler cet après-midi. Les conditions météorologiques à Toronto ont fait en sorte qu’il était impossible pour moi de prendre l’avion.

Avant de formuler les points dont je veux vous parler, je vais vous dire une ou deux choses sur mes qualifications, mis à part mon poste de professeur à l’Université de Toronto. Depuis 1959, j’ai aussi été directeur de la recherche biologique et comportementale à l’Addiction Research Foundation de l’Ontario. J’ai été président ou été membre de groupes consultatifs d’experts pour l’Organisation mondiale de la Santé, Santé Canada, les National Institutes of Health des États-Unis et l’Addiction Research Foundation de Californie. J’ai publié beaucoup d’articles sur l’alcool, le cannabis, les opioïdes et d’autres drogues causant une dépendance.

Dans le cadre d’un débat que j’ai publié il y a deux ou trois ans — je sais que certains d’entre vous l’ont vu —, j’ai fait valoir que la décriminalisation immédiate du cannabis et le fait d’accorder un pardon aux personnes reconnues coupables par le passé de possession simple de petites quantités de cannabis pour usage personnel permettraient d’éliminer les préjudices causés par le système actuel sans risquer d’augmenter le niveau de consommation de cannabis en général et, par conséquent, d’accroître les effets préjudiciables dont sont victimes ceux qui en consomment trop.

Si on prévoyait un certain laps de temps entre la décriminalisation et le pardon afin de pouvoir observer ce qui se passe dans d’autres domaines, dans d’autres administrations qui ont légalisé le cannabis et de pouvoir réaliser les recherches qui s’imposent — que je décrirai dans quelques instants —, alors, à la fin de cette période d’observation, on pourrait procéder à une analyse rationnelle des coûts et des avantages associés à la légalisation afin de prendre une décision bien éclairée avant d’aller de l’avant.

Si le processus que j’ai décrit n’est pas possible, alors la tâche du Sénat consiste à rendre le processus de légalisation le plus sécuritaire possible en l’absence de cette période d’observation qui serait bénéfique.

Le CAMH et le groupe de travail sur la légalisation et la réglementation ont tous deux recommandé que la motivation de la légalisation devait être non pas le profit, mais plutôt la protection de la santé publique, tout en corrigeant les préjudices découlant du Code criminel actuel. Cependant, l’activité du marché boursier au cours des récents mois et l’accent constant mis par les médias sur les profits et l’utilisation publique de choses comme des recettes pour utiliser de la marijuana en cuisinant — ce à quoi s’ajoute l’utilisation du thème de la feuille de marijuana dans différents types de décoration — donnent à penser qu’on court vraiment le risque que les profits l’emportent sur les préoccupations liées à la santé publique. Par conséquent, il est extrêmement important de prendre toutes les mesures possibles pour protéger la composante de la santé publique.

De façon générale, les consommateurs matures et occasionnels de cannabis ne subiront pas de graves préjudices, à part ce qu’on peut appeler les répercussions majeures, comme les accidents de la route, les blessures et les décès, les infarctus du myocarde ou les accidents vasculaires cérébraux chez ceux qui ont des problèmes vasculaires préexistants ou les problèmes de psychose chez ceux qui ont des antécédents familiaux de schizophrénie.

Ce n’est probablement pas les consommateurs occasionnels qui nous causeront des ennuis, mais dans toute population importante, il y a toujours de grands utilisateurs chroniques, des personnes qui consomment trop et qui souffrent en conséquence d’une diversité de problèmes physiques et de santé mentale, minant ainsi leur fonctionnement social. Beaucoup de données probantes tirées d’études sur l’alcool, le tabac et d’autres drogues révèlent qu’une consommation à plus grande échelle est toujours accompagnée d’une augmentation du nombre de grands utilisateurs et, par conséquent, du nombre de problèmes graves. Les facteurs qui entraînent une telle augmentation de la consommation sont la facilité d’accès, la réduction des prix, l’acceptation sociale et la puissance accrue de la drogue.

On a constaté, au Colorado et dans l’État de Washington, que la facilité d’accès associée à la légalisation entraîne une augmentation du nombre total de consommateurs et des préjudices associés au genre de choses dont j’ai parlé. Une des mesures que le Sénat pourrait prendre pour aider à prévenir une telle chose serait de limiter le nombre de points de vente, de permettre une option locale pour les régions et les municipalités qui ne veulent pas de la légalisation et d’annuler la disposition sur la culture à domicile, parce qu’il est évidemment impossible de contrôler une telle culture à domicile pour s’assurer qu’elle se limitera bien à quatre plants, pour déterminer quels membres de la famille auront accès au cannabis — y compris même des adolescents —, et pour s’assurer qu’aucune partie de cette production ne se retrouve sur le marché noir.

La réduction des prix dans un effort pour concurrencer le marché noir entraînera aussi l’augmentation de la consommation. Par conséquent, une mesure appropriée pour le Sénat serait de suggérer un prix élevé, même si cela signifie qu’il ne serait pas possible de concurrencer le marché noir. De toute façon, espérer des prix compétitifs n’est pas réaliste parce que les exemples du Colorado et de l’État de Washington ont montré que la légalisation n’entraîne pas une réduction de la taille du marché noir. Les services policiers des deux États ont déclaré que le marché noir se porte très bien. Par conséquent, si les prix sont réduits pour concurrencer le marché noir, il faudra nécessairement imposer une limite stricte à la quantité pouvant être vendue à un seul client à la fois ou durant une période donnée.

L’acceptation sociale a tendance à promouvoir l’idée que la drogue est sans danger. Le remède ici — ou la mesure de prévention — doit être des programmes d’éducation, ce dont, si je ne m’abuse, Mme Porath parlera plus en détail aujourd’hui. Cependant, une seule campagne d’éducation ponctuelle ne fera pas l’affaire. Il faut miser sur des efforts durables, à long terme et variés quant aux moyens utilisés afin d’éviter l’ennui de l’auditoire. Il faut utiliser un ton réaliste et faire intervenir les groupes de pairs. Les jeunes, surtout, écoutent davantage lorsque l’information vient des propres chefs de leur groupe de pairs, les lanceurs de mode. En outre, il faut trouver une façon de les faire participer.

Passons à la question de la puissance. Je n’arrive vraiment pas à comprendre pourquoi Santé Canada n’a pas établi des limites strictes aux concentrations maximales de THC dans les préparations qui seront utilisées à des fins médicales. Il est encore plus important de limiter la concentration dans les préparations qui seront utilisées à des fins non médicales, des situations où il n’y a pas de supervision quant à la façon dont le cannabis est consommé, la fréquence de cette consommation et la quantité consommée.

Le contrôle. Si on veut surveiller les résultats de la légalisation afin que le Parlement puisse régler tout problème rencontré, il faut bien comprendre la situation actuelle, parce que nous ne pourrons pas cerner de changements comparativement à la situation actuelle si nous ne savons pas exactement ce qu’il en est actuellement. Un tel processus prend aussi du temps.

Ma dernière suggestion, c’est que le Sénat pourrait recommander un délai d’une durée raisonnable entre l’adoption de la légalisation et son application afin de permettre le travail d’éducation et la réalisation des recherches nécessaires pour définir le point de départ.

Cela dit, je crois que je vais m’arrêter ici. Je serai heureux de répondre aux questions que vous me poserez.

Le président : Merci, docteur Kalant.

Nous allons maintenant passer à Mme Amy Porath, directrice de la recherche au Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances.

Amy Porath, directrice des recherches, Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances : Bonjour, monsieur le président, et bonjour aux membres du comité. Je m’appelle Amy Porath et je suis directrice de la recherche au Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, le CCDUS.

Créé en 1988, le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances est le seul organisme du Canada titulaire d’un mandat législatif national visant à réduire les méfaits liés à l’alcool et aux autres drogues sur la société canadienne.

Nous vous remercions de nous donner l’occasion aujourd’hui de parler du projet de loi C-45. Le cannabis est un domaine prioritaire du CCDUS depuis 2008. Nous avons publié plusieurs études sur le sujet et nous nous intéressons, avec des partenaires nationaux et internationaux, aux répercussions du cannabis sur la santé et la société, à la drogue au volant et aux options réglementaires. Nous avons donc une expertise confirmée dans le dossier.

Je tâcherai d’être brève, car je sais que mon temps de parole est limité. Mon exposé abordera les effets sur la santé du cannabis consommé à des fins non thérapeutiques et l’importance des campagnes factuelles d’information du public. Si le comité le désire, le CCDUS pourrait aborder d’autres aspects du projet de loi à une date ultérieure.

Les jeunes Canadiens ont un des taux les plus élevés de consommation de cannabis dans le monde et, malgré une diminution de l’usage ces dernières années, le cannabis demeure la substance illégale la plus couramment consommée par les Canadiens âgés de 15 à 24 ans. Ces jeunes adultes sont plus de deux fois plus susceptibles d’avoir pris du cannabis dans la dernière année que les adultes de 25 ans et plus.

De plus, les jeunes risquent davantage de subir des méfaits liés au cannabis, car l’adolescence est une période marquée par un développement rapide du cerveau. Plus un jeune commence à prendre du cannabis tôt, plus son niveau de risque associé à la consommation augmente, tout comme la fréquence de la consommation et la quantité prise. Retarder le début de la consommation du cannabis, en réduire la fréquence et prendre de plus petites quantités d’un cannabis moins puissant, voilà des éléments qui viennent réduire ce risque.

La recherche a montré que le cannabis nuit à des fonctions cognitives comme la durée d’attention, l’apprentissage et la prise de décisions. L’usage chronique ou régulier est associé à des atteintes légères de la mémoire, de l’attention et d’autres fonctions cognitives. Ajoutons que nous ne savons pas avec certitude dans quelle mesure ces effets sont réversibles après l’arrêt de la consommation.

Des données cohérentes indiquent que le cannabis nuit aussi à la capacité de conduire un véhicule en toute sécurité. En fait, il fait doubler le risque d’accident, et ce risque est encore plus élevé lorsque le cannabis est consommé avec de l’alcool, même en petites quantités.

En ce qui a trait à la santé mentale, des données cohérentes montrent que la consommation régulière à l’adolescence est associée à un risque accru de symptômes psychotiques ou de schizophrénie, particulièrement en cas d’antécédents familiaux. Si les plus récentes recherches indiquent qu’il existe un lien entre l’usage chronique du cannabis et d’autres troubles de santé mentale, comme la dépression, l’anxiété et les comportements suicidaires, il faut procéder à d’autres études pour mieux comprendre la nature de ce lien.

Nous savons aussi grâce à ces recherches qu’une consommation prolongée, fréquente et importante de cannabis peut engendrer une dépendance physique et la toxicomanie. Les jeunes sont particulièrement vulnérables, car leur cerveau est encore en développement. On estime qu’environ 1 consommateur de cannabis sur 11, soit 9 p. 100, acquerra une dépendance. Ce taux passe à 1 sur 6, soit 17 p. 100, chez ceux qui commencent à consommer à l’adolescence et il peut atteindre 1 sur 2 chez ceux qui prennent du cannabis tous les jours ou presque.

Nous en savons certes beaucoup au sujet des effets du cannabis non médical sur la santé, mais nos connaissances présentent de grandes lacunes, d’où la nécessité de procéder à des investissements durables dans la recherche, en particulier concernant les effets chez les jeunes. C’est pourquoi l’investissement de 10 millions de dollars du gouvernement du Canada prévu dans le budget de 2018 arrive à point nommé, compte tenu de la légalisation à venir. Ce financement permettra au CCDUS d’étudier davantage les répercussions de la consommation de cannabis.

Je tenais aussi à souligner rapidement l’importance d’aborder la sensibilisation et la prévention selon une démarche factuelle complète qui permettra de fournir aux Canadiens — et surtout aux jeunes — les connaissances et les compétences nécessaires pour prendre des décisions éclairées concernant la consommation de cannabis. Une telle démarche complète miserait notamment sur des programmes scolaires et parascolaires, des ressources pour les parents, les familles et les collectivités et le recours à des médias payants et non payants, et chercherait à informer le public sur le cannabis pour arriver aux meilleurs résultats possible. Cela dit, il faudra aussi faire des investissements constants, et il faudra mener des activités de suivi et d’évaluation pour s’assurer que la démarche produit l’effet souhaité.

À titre d’organisme axé sur la recherche, le CCDUS a organisé des groupes de discussion avec des jeunes Canadiens pour en apprendre plus sur la façon dont ils perçoivent le cannabis et sa consommation. Ce qu’ils nous ont dit, c’est qu’ils veulent des renseignements sur le cannabis qui sont fondés sur des faits, et non sur la peur. Par exemple, ils veulent savoir exactement comment l’usage du cannabis pourrait nuire à leur capacité de conduire un véhicule et à quel niveau de consommation. Ils aimeraient aussi en savoir plus sur les stratégies de réduction des méfaits qui existent, pour pouvoir atténuer les risques associés au cannabis, s’ils décident d’en consommer. Donc, pour avoir des retombées positives, les activités de sensibilisation et de prévention devraient tenir compte de ces commentaires des jeunes Canadiens.

Les jeunes Canadiens ont aussi dit vouloir se renseigner sur le cannabis auprès de sources fiables et crédibles. Ces sources varient selon l’âge et pourraient inclure les parents, les enseignants, mais aussi, et c’est le plus important, leurs pairs. Pour bien renseigner les jeunes, il faudrait former des alliés des jeunes, comme des enseignants, des conseillers, des fournisseurs de services pour les jeunes, des entraîneurs, des professionnels de la santé, pour leur fournir des ressources et des messages uniformes et les aider à vraiment amorcer la discussion. En ce moment, le CCDUS participe activement à la création d’une ressource de ce genre. Il s’agit d’un guide de communication sur le cannabis qui sera rendu public dans les mois à venir.

Mentionnons aussi que, pour aider les jeunes à prendre des décisions éclairées, il faudra livrer des messages ciblés sur les risques que pose la consommation à risque élevé de cannabis, des messages qui aborderont notamment les effets de l’usage fréquent ou marqué, la consommation à un jeune âge ou en combinaison avec d’autres substances et la consommation chez des jeunes ayant des troubles de santé mentale et chez les jeunes femmes enceintes.

En conclusion, je tiens à souligner que, pour assurer le succès de la réglementation du cannabis non médical, il est important d’investir de façon durable dans des activités de recherche, de sensibilisation et de prévention.

Je tiens à remercier le comité de m’avoir permis de prendre la parole aujourd’hui. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

Le Dr Bernard Le Foll arrivera, si je ne m’abuse, très bientôt. À son arrivée, j’interromprai la période de questions et de réponses afin qu’on puisse s’entretenir avec lui. Cependant, nous allons maintenant passer aux questions de mes collègues. Comme d’habitude, je vais commencer par la vice-présidente.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie tous de votre présence et de vos commentaires très pertinents.

Ma première question s’adresse à Mme Porath. Comme plusieurs, j’ai lu le rapport intitulé Les perceptions des jeunes Canadiens sur le cannabis résultant d’une étude à laquelle ont participé 77 jeunes. Également, plusieurs autres jeunes ont rencontré des sénateurs. On parle beaucoup d’acceptation sociale, de normalisation. Je sais que c’est difficile à quantifier. Je sais aussi que certains disent que, de toute façon, les jeunes Canadiens consomment beaucoup de cannabis. C’est déjà normalisé et accepté socialement.

D’après vous, quel impact le projet de loi C-45 pourrait-il avoir chez nos jeunes?

[Traduction]

Mme Porath : Merci de la question. Évidemment, l’une des choses que nous avons entendues dans le cadre de nos recherches, c’est que certains jeunes croient que les jeunes Canadiens consomment tout le temps du cannabis. Nous avons parlé à certains jeunes qui, de toute évidence, n’en consomment pas, alors, dans le cadre de nos efforts d’éducation publique, il faut vraiment essayer de s’attaquer à cette norme sociale selon laquelle tout le monde consomme du cannabis tout le temps.

Si on regarde certaines des études prévalentes supervisées par Statistique Canada et Santé Canada, je crois que, en 2015, environ 20 ou 21 p. 100 des jeunes avaient déclaré avoir consommé du cannabis au cours des 12 mois précédents. Je dirais que c’est le genre de données probantes qu’il faut intégrer dans certaines activités d’éducation publique et de prévention, et ce, tout simplement pour dissiper le mythe selon lequel tous les jeunes consomment du cannabis tout le temps parce que, de toute évidence, il ne s’agit pas de la majorité des jeunes. C’est tout de même une importante proportion de jeunes, mais je crois que le projet de loi C-45 nous offre réellement l’occasion de communiquer de façon constante des messages d’éducation publique fondée sur des données probantes. Et lorsque je dis qu’il faut des efforts durables, c’est qu’il ne faut pas seulement mener une campagne ponctuelle. Je sais que certaines publicités passent actuellement, et j’aimerais qu’elles se poursuivent après la sanction royale, et même de façon continue au cours des deux ou trois premières années.

Je suggère aussi de miser sur une approche globale en matière d’éducation publique afin que les parents sachent comment en parler avec leurs jeunes et de façon à ce que les enseignants, les éducateurs et les écoles — en plus des fournisseurs de soins de santé — puissent communiquer les principaux messages et les principaux renseignements. Selon moi, il faut vraiment miser sur une approche globale et durable dans le cadre du projet de loi pour s’assurer d’informer les jeunes au sujet du cannabis.

La sénatrice Petitclerc : Je ne sais pas, docteur Kalant, si vous avez…

Le président : Docteur Kalant, voulez-vous ajouter quelque chose relativement à la question?

Dr Kalant : Oui. Merci, monsieur le président. Je suis totalement d’accord avec ce que Mme Porath a dit. J’aimerais souligner le fait que la « banalisation » — ou l’acceptation — donne vraiment l’impression que la substance est sécuritaire parce que, si tout le monde en consomme, de toute évidence, ça ne peut pas être néfaste et ça doit être correct. Cependant, si on regarde l’alcool, qui est consommé à très grande échelle — beaucoup plus que le cannabis, jusqu’à présent —, il est clair que, même si cette consommation fait partie intégrante de notre culture et de nos pratiques, elle peut causer beaucoup de dommages et en cause bel et bien. La plupart des gens ne le comprennent pas, et il faut leur rappeler sans arrêt.

La sénatrice Seidman : Merci à vous deux de vos exposés.

Docteur Kalant, je vais commencer par vous. En fait, vous venez de mentionner l’alcool, et j’aimerais vous poser quelques questions à ce sujet. On a entendu dire que la justification du projet de loi, le projet de loi C-45, est fondée, d’une certaine façon, sur l’hypothèse que la légalisation permettra de réduire le nombre de consommateurs de cannabis et, ce qui est encore plus important, de prévenir l’accès à la marijuana des utilisateurs mineurs. Les personnes favorables à la légalisation nous ont dit que les mesures de contrôle de l’alcool sont un bon modèle pour ce qui est du contrôle de l’accès des jeunes au cannabis après la légalisation. Pouvez-vous nous en parler rapidement et nous parler de la réussite ou de l’échec des mesures de contrôle de l’alcool quant à la consommation chez les adolescents? Avez-vous des raisons de croire qu’un régime similaire pour la marijuana sera efficace?

Dr Kalant : Merci de la question. C’est une question très importante. Je crois que l’expérience de l’alcool nous montre très clairement que la réglementation à elle seule ne peut pas contrôler le niveau de consommation des jeunes. Dans les conditions actuelles, en Ontario, par exemple, des sondages auprès des étudiants du secondaire de l’Ontario ont révélé que, dans le cadre du régime actuel, où il est illégal de vendre, d’acheter ou de distribuer de l’alcool aux personnes qui ont moins de 19 ans, il y a malgré tout — même dans la tranche des jeunes âgés de 12 ans — environ 10 p. 100 d’entre ces jeunes qui ont consommé de l’alcool au cours de la dernière année. Et pour ce qui est des jeunes de 17 ans, environ 20 p. 100 d’entre eux ont consommé de l’alcool ou consommé de l’alcool de façon excessive au cours du dernier mois. Je crois que notre expérience liée à l’alcool illustre très clairement que la réglementation à elle seule n’est pas la réponse. On peut faire fi de la réglementation, et c’est ce qui s’est produit dans une large mesure.

De plus, l’idée que le cannabis est plus sécuritaire que l’alcool et que, par conséquent, ce n’est pas logique de rendre cette drogue illégale si l’alcool est légal est aussi un argument vraiment trompeur. Bien sûr, à certains égards, l’alcool est plus dangereux que le cannabis. Par exemple, on peut mourir d’une surdose d’alcool, mais on ne peut pas mourir d’une surdose de cannabis seulement. Cependant, si on meurt dans un accident de la route causé par un conducteur dont les facultés ont été affaiblies par le cannabis, on est tout aussi mort que si on meurt d’une surdose d’alcool.

Il faut comprendre que le spectre des effets négatifs est différent dans le cas de l’alcool et dans le cas du cannabis, alors on ne peut pas simplement comparer les deux. Je crois qu’il est important de détromper les gens qui croient que le cannabis est sécuritaire et que la position rationnelle, c’est la légalisation, comme c’est le cas de l’alcool. Ce sont de piètres arguments. Ils sont trompeurs et peuvent être dangereux pour la société.

La sénatrice Seidman : Ce que vous nous dites, donc, c’est que le modèle des mesures de contrôle de l’alcool ne fonctionnerait pas vraiment pour le cannabis. Que répondrez-vous à ceux qui affirment aussi que la légalisation réduira le nombre de consommateurs de cannabis et préviendra l’accès à la marijuana par des consommateurs mineurs?

Dr Kalant : Rien ne prouve tout ça. En fait, les données probantes que nous avons du Colorado, de l’État de Washington et d’autres endroits qui ont rendu l’accès extrêmement facile vont dans le sens opposé. La légalisation entraîne une augmentation de la consommation, de la consommation totale. On note une augmentation du nombre de visites à l’urgence, une augmentation du nombre d’hospitalisations liées à des causes attribuables au cannabis ainsi qu’une augmentation du détournement vers le marché noir. On a montré que, même dans le cas de la prétendue marijuana thérapeutique au Colorado, et maintenant encore plus en raison de l’accès légal à du cannabis à des fins non thérapeutiques là-bas, la production du Colorado se retrouve dans d’autres États qui n’ont pas procédé à la légalisation. En d’autres mots, une proportion importante de la production se retrouve sur le marché noir. L’argument selon lequel la légalisation permettra de réduire la consommation n’est tout simplement pas logique. C’est contraire à tout ce que nous ont jamais appris les autres drogues.

Mme Porath : Je voulais revenir sur une chose en ce qui concerne la comparaison entre l’alcool et le cannabis. Je suis d’accord avec ce que le Dr Kalant a dit, et je crois qu’une des raisons pour lesquelles les gens ont l’impression que le cannabis est plus sécuritaire que l’alcool, c’est tout simplement le fait qu’il n’y a pas eu de campagne de prévention et d’éducation publique. Le public ne connaît tout simplement pas les effets de la consommation du cannabis.

L’autre chose, c’est que nous étudions l’alcool et les effets de l’alcool depuis des décennies, et nous n’avons tout simplement pas accès à la même base de données probantes dans le cas du cannabis. Si nous allons de l’avant avec la légalisation, j’espère que cela fera en sorte qu’il sera plus facile de réaliser des recherches liées à la santé afin de mieux comprendre certaines des répercussions sur la santé, parce que, actuellement, il est très difficile et fastidieux d’obtenir les diverses approbations nécessaires pour réaliser ce type de recherche.

Le sénateur Pratte : Madame Porath, vous avez expliqué dans votre exposé les différents risques associés à la consommation de cannabis, et votre organisation a réalisé beaucoup de recherches à ce sujet. Vous ne nous avez pas précisé l’opinion de votre organisation, si elle en a une, sur le projet de loi en tant que tel, et surtout, sur la légalisation du cannabis.

Mme Porath : Le CCDUS est une organisation fondée sur des données probantes. Par conséquent, mon rôle, ici, aujourd’hui, et le rôle de notre organisation, est de prodiguer des conseils experts au Parlement et au Sénat sur différents aspects du projet de loi. Je sais qu’un de mes collègues a participé à une réunion d’un des comités précédemment et en a parlé. Je suis ici aujourd’hui pour vous parler de certaines répercussions sur la santé. Nous nous sommes rendus dans l’État de Washington et au Colorado et avons produit un rapport sur les leçons apprises, et je sais que ce rapport vous a été communiqué par mon collègue. Mon rôle, ici, aujourd’hui, c’est de répondre à vos questions, de vous prodiguer des conseils d’expert et de vous fournir une analyse afin de vous aider à prendre les décisions qui s’imposent pour que fonctionne le projet de loi.

Je sais que le CCDUS est favorable à une approche fondée sur la santé publique permettant de réduire au minimum les préjudices pour les Canadiens et de fournir aux Canadiens les renseignements dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées au sujet de la consommation de cannabis.

Le sénateur Pratte : Dans le cadre de votre recherche qualitative auprès des jeunes, avez-vous discuté de la légalisation? Qu’avaient-ils à dire à ce sujet?

Mme Porath : Absolument. Ils avaient beaucoup de choses à dire au sujet de la légalisation. Nous avons réalisé cette recherche après l’annonce par le gouvernement libéral que la légalisation faisait partie du programme du parti.

Les jeunes avaient des choses contradictoires à dire. Certains estimaient que c’était une bonne chose et que le gouvernement pourrait générer des revenus et que c’était là une façon de contrôler le marché illicite de la drogue.

D’autres jeunes à qui nous avons parlé sont contre une telle mesure. Selon eux, ils auront plus de difficulté à se procurer du cannabis, et le gouvernement ne devrait pas se mêler de cela. Ils avaient l’impression que le gouvernement allait imposer des limites à la concentration en THC du cannabis.

Par conséquent, dans le cadre de notre recherche, nous avons parlé à des jeunes qui ont exprimé des points de vue opposés.

Le sénateur Pratte : Docteur Kalant, vous avez mentionné deux ou trois fois, apparemment, à la lumière de l’expérience au Colorado et dans l’État de Washington — et j’ai entendu des points de vue différents à ce sujet, alors, j’imagine que tout dépend à qui l’on parle —, l’impact de la légalisation sur le cannabis illégal et le crime organisé. Assurément, si une partie du cannabis est achetée légalement, au moins, cette part du marché n’appartiendra plus à des organisations illégales. Vous comprenez, si on achète 50 kilos de marijuana légalement, ces 50 kilos ne seront plus vendus par le crime organisé, et donc, au moins, ils ne seront plus vendus illégalement.

Dr Kalant : Oui, c’est tout à fait vrai. La question consiste à savoir quelle proportion de la consommation totale viendra du marché noir et quelle proportion viendra de sources légales. Si la légalisation entraîne une augmentation de la consommation totale, alors le marché noir pourrait ne pas être touché en chiffres absolus, même si ses parts de marchés totales diminuent, et c’est quelque chose que nous devrons vraiment continuer d’observer pendant un certain temps.

Au cours des deux premières années suivant la légalisation au Colorado, par exemple, on a noté une augmentation marquée de la quantité consommée et de la fréquence de consommation dans tous les groupes d’âge. Cependant, durant la troisième année, la consommation parmi les jeunes — je parle ici des jeunes mineurs — a commencé à diminuer légèrement, et nous ne savons pas s’il s’agit là d’un changement temporaire ou s’il s’agira d’une tendance à long terme, parce que les choses ne vont pas toujours en ligne droite. Il y a des hauts et des bas au fil du temps, et ce, pour diverses raisons. Il faut observer tout cela afin de brosser un tableau clair de l’effet que la légalisation aura sur la consommation chez les jeunes.

Cependant, la consommation chez les jeunes adultes, les personnes d’âge moyen et même les personnes âgées a continué d’augmenter. La consommation totale a augmenté. Je crois que ce n’est pas un bon présage de ce qui est susceptible de se produire quant à nos jeunes.

Le sénateur Munson : Nous avons rencontré un certain nombre de témoins, et la dernière fois que nous avons parlé à des dirigeants de villes canadiennes qui auront à composer avec la loi sur la marijuana lorsqu’elle sera adoptée, ils ont utilisé des mots comme « échappatoire », « marché noir » et « situation précaire ». On leur demandait s’ils étaient prêts et ils nous répondaient par la négative. Je m’inquiète de l’échéancier que nous semblons avoir adopté, le 1er juillet, et puis, 90 jours plus tard, la loi entrerait en vigueur. Un témoin a recommandé tantôt de retarder tout le processus d’un an afin de mieux comprendre ce que nous sommes sur le point d’adopter. Je me demande, docteur, ce qui se passerait durant cette année qui permettrait d’améliorer le projet de loi.

Madame Porath, vous avez parlé d’éducation. Vous avez tous les deux parlé d’éducation. J’aimerais savoir ce à quoi cela pourrait ressembler. Où offrirait-on cette éducation? Dans les différentes écoles primaires du pays? Y aura-t-il des enseignants spéciaux et ainsi de suite? Nous semblons miser sur l’idée d’une approche fondée sur les affaires publiques, une approche de communication et de message accrocheur sur les médias sociaux, mais il serait peut-être préférable d’utiliser une approche plus personnelle.

Nous avons la capacité, ici, au sein du comité, de modifier le projet de loi, et je crois que nous allons y apporter des amendements. Je lance ces idées en l’air pour connaître vos réactions à tous les deux.

Le président : Nous allons commencer par le Dr Kalant. Qu’est-ce que cette année de plus donnerait en ce qui a trait à une meilleure information?

Dr Kalant : Oui, je crois que nous avons tous les deux déclaré que, dans le cas de l’éducation, il faut utiliser un large éventail d’approches différentes destinées à différentes populations, utilisant différentes méthodes, différents langages, mais que ces approches doivent tout de même être durables, répétées, fréquentes et réalistes. En d’autres mots, il ne faut pas utiliser une tactique alarmiste. Les messages doivent être solidement ancrés dans des données probantes, et il faut les communiquer de façon calme et factuelle en cernant clairement les fausses idées communes, pourquoi elles sont fausses et ce qu’il en est vraiment.

Je m’en remets à Mme Porath, qui va vous en parler plus en détail, parce que c’est elle l’experte dans ce domaine, mais j’aimerais souligner que j’ai présenté un mémoire qui, je l’espère, vous a été distribué à vous tous. Dans ce document, je définis plus en détail les points que j’ai soulevés dans ma déclaration préliminaire, y compris certaines des raisons justifiant mes diverses recommandations. Le temps est essentiel. Tant pour l’éducation qu’afin d’obtenir les connaissances d’évaluation nécessaires que nous ne possédons pas encore sur certains des aspects liés à la situation actuelle, avant l’entrée en vigueur de la légalisation. Nous en avons besoin pour savoir ce qui va changer après la légalisation.

Mme Porath : Si je peux reprendre ce que le Dr Kalant a dit dans sa déclaration, absolument, je ne saurais trop insister sur l’importance d’une éducation publique fondée sur des données probantes. Lorsque des représentants du CCDUS se sont rendus dans l’État de Washington et au Colorado, l’un des conseils qui leur ont été prodigués, c’est qu’ils n’avaient tout simplement pas eu les ressources ni la capacité, avant la légalisation, de communiquer de tels messages.

Étant donné mon rôle au sein du CCDUS, j’ai eu la grande chance de travailler avec Santé Canada sur certaines des mesures d’éducation publique. Je crois que la ministre a comparu ici, précédemment, et je ne peux pas parler au nom de Santé Canada, mais je sais que certains efforts sont en voie d’être déployés. Je sais que Sécurité publique Canada a produit certaines campagnes prélégalisation.

Pour ce qui est du centre, étant donné mon poste, je sais ce que font certaines organisations pour des groupes clés de personnes : les femmes enceintes, et les personnes qui ont des problèmes de santé mentale, par exemple. Je sais donc que certains efforts sont actuellement déployés, et, au centre, nous nous efforçons aussi, dans une certaine mesure, d’accroître la sensibilisation parmi les Canadiens, surtout les jeunes Canadiens.

Comme le Dr Kalant l’a mentionné, il y a beaucoup de populations clés, et il faut des messages ciblés. Un message qui est peut-être efficace pour un jeune ne le sera pas nécessairement pour un adulte plus âgé qui commence à consommer du cannabis.

Mon conseil serait de s’assurer que l’on continue de réaliser de telles initiatives d’éducation publique. Je sais qu’elles sont en cours et qu’on prévoit aussi en réaliser certaines après la sanction royale. Nous devons tout simplement nous assurer que c’est un effort durable.

Si on regarde l’éducation publique pour la conduite avec facultés affaiblies, il a fallu presque quatre décennies avant que nous puissions constater un changement de culture faisant en sorte qu’il est maintenant socialement inacceptable de conduire lorsqu’on a consommé de l’alcool. Il faudra un certain temps pour modifier les perceptions du public. Je crois qu’il faut commencer par éduquer le public avant de pouvoir commencer à modifier les perceptions selon lesquelles la consommation de cannabis est sécuritaire au volant, qu’il est sécuritaire de conduire après avoir consommé du cannabis ou que le cannabis est une drogue plus sécuritaire que les autres.

Le sénateur Munson : Allons-nous trop vite avec ce projet de loi? C’est une question que je vous pose à tous les deux.

Mme Porath : Ce que nous avons compris en nous rendant dans l’État de Washington et au Colorado, c’est que les deux administrations nous ont dit de prendre le temps dont nous avions besoin pour bien faire les choses. Je crois que ce sont des représentants du Colorado qui ont dit avoir l’impression d’être en train de bâtir l’avion tout en essayant de la faire voler.

Je sais qu’il y a beaucoup d’efforts en cours et que les provinces et les territoires tentent de se préparer pour la loi, alors je ne veux pas sous-estimer les efforts en cours, mais, vraiment, il faut s’assurer de réfléchir à tous les aspects du projet de loi de façon à bien faire les choses pour les Canadiens.

Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose à cela, docteur Kalant?

Dr Kalant : Oui, merci. Je veux souligner que, évidemment, il faut tenir compte des réalités politiques au moment de déterminer de quelle façon adopter une loi, mais plus il y a un long laps de temps entre le parachèvement du projet de loi en tant que tel, son étude devant le Parlement, son adoption, sa promulgation et son entrée en vigueur, eh bien, plus le laps de temps est long, plus on a l’occasion de mettre en place les programmes d’éducation et de les mettre en œuvre avant qu’une consommation accrue entre solidement dans les mœurs.

De plus, pour ce qui est de répondre à certaines des questions de recherche auxquelles il faut répondre afin de pouvoir reconnaître quelles seront les conséquences de la légalisation dans notre société, la question de la période réaliste pour arriver — comment dire —, eh bien, c’est une question qui vous revient, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est à vous de déterminer quelle période vous recommanderez. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’il est évident que, plus on aura de temps, mieux ce sera.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup à vous deux. C’est très important que le plus de personnes possible entendent ce que vous avez à dire.

Je veux poser ma première question à Mme Porath. Vous avez mentionné l’âge et que, en ce qui concerne la consommation chez les jeunes, 9 p. 100 en avaient consommé régulièrement, puis, 17 p. 100 — on parle de jeunes qui sont vulnérables aux effets du cannabis — 17 p. 100 des adolescents, et 50 p. 100 de ces adolescents qui en consomment chaque jour ou presque tous les jours. Je n’avais jamais entendu dire que 50 p. 100 des consommateurs adolescents réguliers deviendraient très vulnérables à la dépendance. Pouvez-vous confirmer que j’ai bien compris ce que vous avez dit? Je n’avais pas entendu dire que c’était autant, mais je crains que ce le soit.

Mme Porath : C’est une excellente question. Parmi ceux qui ont commencé à consommer du cannabis durant l’adolescence, on parle d’un sur six, ou 17 p. 100, et le taux augmente à un sur deux dans le cas des personnes qui consomment du cannabis quotidiennement ou presque tous les jours. Cette statistique est tirée du rapport de 2015 de l’Organisation mondiale de la Santé sur les effets sociaux et liés à la santé de la consommation de cannabis à des fins non thérapeutiques. Je peux vous donner la référence de ce rapport à la fin de la réunion, si cela peut vous être utile.

La sénatrice Raine : Je trouve très alarmant de vous entendre tous les deux dire qu’il faut aller un peu moins vite et qu’il faut vraiment mettre l’accent sur l’éducation publique et ce qu’on pourrait considérer comme une consommation sécuritaire de la marijuana.

Je pense au fait que la marijuana thérapeutique est disponible également au Canada depuis quelques années maintenant. Docteur Kalant, j’ai parlé à un médecin de famille qui exerce la médecine dans une région de notre province, la Colombie-Britannique, où le taux de consommation de cannabis est très élevé, et il hésite à prescrire de la marijuana ou refuse de le faire parce que, selon lui, la recherche médicale n’a tout simplement pas été faite et qu’un produit pharmacologique n’a jamais été introduit et légalisé dans notre pays sans passer par toutes les mesures de contrôle imposées actuellement aux produits pharmaceutiques normaux. Pouvez-vous formuler des commentaires sur l’état des connaissances actuelles au sujet de l’utilisation pharmacologique du cannabis et préciser où on en est? C’est une pratique qui a cours depuis plusieurs années. Est-ce que la recherche avance quant au nombre de médecins qui en prescrivent?

Dr Kalant : Merci. Encore une fois, je crois que c’est une donnée très importante que le Parlement et le grand public doivent prendre en considération.

Pour commencer, je dois dire que, selon moi, il faut reconnaître clairement que la consommation thérapeutique et la consommation non thérapeutique sont deux enjeux distincts. Je tiens à rappeler que, au Canada, il est légal de prescrire de l’héroïne aux patients en phase terminale de cancer. Il est quasiment impossible de trouver l’héroïne parce que la demande est tellement faible que l’entreprise qui en importait du Royaume-Uni a tout simplement arrêté de le faire. Il n’y avait pas assez d’argent à faire. Toutefois, malgré tout, c’est légal. Il existe aussi certains cas très limités d’utilisation légale de cocaïne dans le cadre d’interventions chirurgicales au nez ou à la gorge, mais, malgré tout, personne ne dit que, puisque cette utilisation est légale, la cocaïne, l’héroïne et d’autres drogues qui ont une utilisation thérapeutique devraient être librement accessibles à quiconque veut en consommer à des fins non médicales. Ce n’est tout simplement pas logique. Ce sont deux enjeux distincts, et c’est ainsi qu’il faut les aborder.

Toutefois, pour en revenir à la question de la soi-disant utilisation à des fins médicales, le cannabis peut servir à traiter certains symptômes ou maladies. Le cannabis n’a pas reçu l’approbation de Santé Canada pour une raison assez simple. Habituellement, lorsqu’une entreprise veut fabriquer un nouveau médicament et le faire approuver par Santé Canada, elle a d’abord mené des recherches ou financé la recherche dans des universités ou ailleurs afin d’en démontrer l’efficacité, l’innocuité et l’efficacité comparativement à d’autres médicaments utilisés pour traiter les mêmes problèmes.

Puisque le cannabis est un produit naturel, il est impossible de le breveter, et c’est pourquoi aucune entreprise pharmaceutique ne tient à demander à Santé Canada l’autorisation de légaliser les plants de cannabis. Seuls ceux qui produisent des cannabinoïdes purs, soit les ingrédients actifs ou les extraits modifiés qui ont un taux élevé de CBD et un taux modéré ou faible de THC, ont demandé l’approbation de Santé Canada et l’ont reçue. Par contre, il est peu probable qu’il y ait une demande d’approbation pour la plante comme telle, et c’est pourquoi nous devons nous fier aux résultats des essais cliniques.

Cela dit, j’aimerais souligner brièvement qu’un taux modérément élevé ou modérément faible de THC peut être utile, et un taux de CBD plus élevé peut être encore plus utile dans certaines circonstances. Ceux-ci permettent notamment d’apaiser certains types de douleurs chroniques, de stimuler l’appétit des patients en chimiothérapie et de traiter certains types d’épilepsie et particulièrement pour les enfants à qui l’on ne veut pas administrer du THC, mais pour qui le CBD s’avère efficace. Ces utilisations font l’objet de recherches continues.

Je dirais qu’il y a de la place pour certaines formes de cannabis ou de cannabinoïdes et qu’il faut sensibiliser davantage les médecins à leur utilisation appropriée et aux utilisations prétendues qui ne sont pas appropriées. Par exemple, on prétend que le cannabis permet de traiter la haute pression intraoculaire pouvant endommager l’œil, mais cette utilisation n’est pas valide, car il a été démontré que, dans le cas du glaucome, il faut contrôler la pression intraoculaire 24 heures sur 24 afin d’éviter un endommagement de la rétine. Une personne qui voudrait avoir recours au cannabis pour traiter cette affection serait obligée d’en consommer à répétition, jour et nuit, et cela n’est tout simplement pas réalisable.

Je crois que c’est tout ce que je pouvais ajouter pour l’instant.

Le président : Notre troisième témoin est maintenant arrivé. Je vais lui demander de nous présenter son mot d’ouverture. Je vous ai à peine donné le temps de vous asseoir et de reprendre votre souffle. Vous avez dû faire du chemin pour vous rendre ici, mais je suis très heureux de votre présence.

Docteur Bernard Le Foll, chef médical du Centre de toxicomanie et de santé mentale, le CAMH, nous sommes prêts à entendre votre mot d’ouverture.

[Français]

Dr Bernard Le Foll, chef médical, Centre de toxicomanie et de santé mentale : Honorables sénateurs, je suis heureux d’être avec vous aujourd’hui. J’aimerais commencer par présenter le Centre de toxicomanie et de santé mentale, que je représente. Le CAMH est l’hôpital universitaire le plus important au Canada pour le traitement de la santé mentale et de la dépendance. Il est aussi l’un des principaux centres de recherche dans le monde dans ces domaines. Je suis le médecin responsable du traitement ambulatoire des dépendances. Je suis également un chercheur clinicien qui travaille sur le cannabis depuis une quinzaine d’années. Je m’intéresse notamment à l’amélioration du traitement de la dépendance au cannabis, à l’effet du cannabis sur la conduite automobile et à l’utilisation du cannabis à des fins médicales.

Comme vous le savez, en octobre 2014, le CAMH a publié un document décrivant sa position vis-à-vis du cannabis. Ce document est disponible en ligne et est intitulé Cadre stratégique pour le contrôle du cannabis. J’ai eu l’honneur de participer à l’élaboration des recommandations avec d’autres médecins et chercheurs, tels que le Dr Benedikt Fischer et le Dr Jürgen Rehm. Nous avions alors examiné les connaissances sur le contrôle du cannabis et nous avions tiré les conclusions suivantes. La consommation de cannabis comporte des risques importants pour la santé, en particulier pour les personnes qui l’utilisent fréquemment ou qui commencent à l’utiliser à un âge précoce. La criminalisation aggrave ces problèmes et cause des dommages sociaux. Une approche de santé publique axée sur les utilisateurs et les pratiques à haut risque semblables aux approches utilisées pour l’alcool et le tabac permettrait un meilleur contrôle des facteurs de risque associés aux dommages liés au cannabis. Nous avions également conclu que la législation associée à une réglementation stricte, axée sur la santé, offre l’occasion de réduire les méfaits associés à l’usage de cannabis.

Le cannabis est la drogue illégale la plus utilisée au Canada. Nous savons que, malgré l’interdiction du cannabis, plus d’un tiers des jeunes adultes sont utilisateurs, et notre approche actuelle exacerbe les dommages. Il est temps de reconsidérer notre approche en matière de contrôle du cannabis.

Le CAMH ne fait aucune déclaration morale sur le cannabis et n’encourage pas son utilisation. Nous sommes reconnaissants que les recommandations du CAMH aient été reprises par le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis et qu’elles appuient également le projet de loi C-45 sur le cannabis.

J’aimerais maintenant parler de l’usage du cannabis. Je ne détaillerai pas les usages médicaux qui me semblent prometteurs. Les patients ont déjà accès au cannabis à des fins thérapeutiques en vertu de la législation actuelle.

L’usage de cannabis comporte des risques pour la santé. Le cannabis n’est pas une substance bénigne. Ses méfaits augmentent avec l’intensité d’utilisation, particulièrement lorsqu’il est utilisé fréquemment, quotidiennement ou presque quotidiennement. Le cannabis est alors associé à un risque accru de problèmes de fonctionnement cognitif, psychomoteur, de dépendance et de problèmes de santé mentale, entre autres.

Concernant les problèmes de fonctionnement cognitif et psychomoteur, je dirai simplement que la consommation de cannabis est connue pour avoir un effet négatif sur la mémoire, la capacité d’attention et la capacité psychomotrice. L’utilisation fréquente peut réduire la motivation et la performance d’apprentissage. Chez les adultes, ces effets ne sont généralement pas permanents. Les effets disparaissent habituellement plusieurs semaines après avoir arrêté l’utilisation.

Un aspect important pour la santé publique est l’impact de l’usage du cannabis sur les compétences nécessaires à la conduite de véhicules. Bien que l’alcool semble présenter des risques d’accident de la route supérieurs par rapport au cannabis, c’est néanmoins une grave préoccupation.

Je vais développer plus en détail le risque de dépendance et l’impact sur la santé mentale.

Le cannabis est une drogue addictive. L’arrêt de l’usage du cannabis, après un usage régulier et prolongé, est associé à un syndrome de sevrage reconnu, soit l’anxiété, la dysphorie, les troubles du sommeil, l’irritabilité et l’anorexie. Bien que le syndrome de sevrage du cannabis puisse être angoissant, il ne met pas la vie en danger. Contrairement à d’autres drogues, comme l’alcool et les opiacés, il n’y a pas, en général, de surdoses associées à l’usage du cannabis. Le principal défi est la perte de contrôle sur l’utilisation, qui se développe chez une fraction des utilisateurs, ou la dépendance — notamment chez les jeunes, ce risque est accru. Ce trouble est défini comme étant le « trouble d’utilisation du cannabis ». On estime que 9 p. 100 des personnes qui ont consommé du cannabis développent une dépendance au cannabis, qui est la forme la plus sévère du trouble d’utilisation du cannabis. Une plus grande fraction des utilisateurs développera un trouble d’intensité modérée. Il convient de noter que la plupart d’entre eux ne nécessiteront pas de traitement spécialisé.

Nous avons récemment évalué, en collaboration avec le groupe Cochrane, l’ensemble de la littérature publiée pour le traitement de la dépendance au cannabis. La bonne nouvelle est que nous avons des traitements efficaces. Notamment, les interventions psychothérapeutiques telles que la thérapie cognitivocomportementale et la thérapie d’augmentation de la motivation ont montré leur efficacité. Par contre, une moins bonne nouvelle est que nous n’avons pas de traitement pharmacologique à l’heure actuelle.

Concernant les problèmes de santé mentale, il y a une forte association statistique entre l’utilisation fréquente du cannabis et différentes maladies mentales. Je vais parler ici des troubles psychotiques, dépressifs et anxieux.

Il est clair que, chez certains sujets, l’exposition au cannabis peut provoquer des troubles psychotiques. Toutefois, il semble peu probable que l’exposition au cannabis produise la maladie qu’on appelle schizophrénie, car la prévalence de cette maladie n’a pas augmenté malgré une augmentation très forte de l’exposition au cannabis dans la population. Il y a eu, au cours des 20 dernières années, une augmentation de la concentration de THC multiplié par cinq et une augmentation du nombre d’usagers. Malgré tout, la prévalence de la schizophrénie n’a pas changé et est restée stable. Il semble plutôt que des symptômes semblables à la schizophrénie peuvent être induits par le cannabis ou se produire chez un usager ayant une prédisposition.

Il y a une association entre le cannabis et les troubles anxieux et dépressifs. Une analyse des études prospectives dans ce domaine semble indiquer que l’usage fréquent de cannabis augmente le risque de développer la dépression. Il semble y avoir peu de risque chez les usagers intermittents. Pour l’anxiété, cette association est moins claire. Il faut rappeler qu’une association statistique ne signifie pas causalité. Il est possible qu’une partie de ces usagers s’automédicamentent avec le cannabis.

En conclusion, le CAMH soutient que la légalisation avec un objectif de santé publique pourrait améliorer la santé de la population. Des gains pourraient également venir d’un transfert de l’usage de drogues plus néfastes, comme les opiacés et l’alcool, vers le cannabis. Les complications en ce qui a trait à la population sont essentiellement liées à la dépendance au cannabis et à l’impact sur la conduite automobile. Ces deux domaines sont donc prioritaires pour réduire l’impact négatif du cannabis sur la population.

Il est important de préparer notre système de santé à l’utilisation de traitements valides et soutenir davantage d’études cliniques dans ce domaine. Le CAMH vient de mettre en place une clinique qui fournit ces traitements valides. Je voudrais également mentionner ici les lignes directrices sur l’usage du cannabis à faible risque, qui ont été développées par l’équipe du Dr Fischer et qui permettraient de réduire l’impact négatif du cannabis.

Merci de m’avoir donné l’occasion de vous parler aujourd’hui.

Le président : Merci beaucoup, docteur Le Foll.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Ma question s’adresse au Dr Kalant. Je vous remercie du mémoire que j’ai entre les mains. J’apprécie énormément la façon dont vous exposez les problèmes que vous avez cernés et les solutions que vous proposez.

J’ai une question au sujet des données du Colorado que vous avez citées. Un des problèmes que nous rencontrons dans le cadre de l’examen du projet de loi, c’est que les données mises à notre disposition viennent de partout et ne vont pas toutes dans la même direction.

Je vais vous citer les données du Colorado qui découlent d’un sondage national mené sur la consommation de drogues et la santé aux États-Unis. Il a été révélé — en fait, c’est le directeur général du département du Revenu qui l’a affirmé — que trois ans après la légalisation de la marijuana, 70 p. 100 du marché est maintenant légal, et les 30 p. 100 restants sont dans une zone grise des ventes découlant de la culture à domicile. Ces chiffres contredisent ceux que vous nous avez donnés relativement à la hausse ou à la baisse de la consommation. Je me demande si vous pourriez nous donner vos sources afin que nous puissions les consulter et comparer les données à celles dont nous disposons. C’est donc plus une demande qu’une question.

Ma question, toutefois, reprend celle de la sénatrice Seidman, qui cherchait à obtenir une comparaison entre l’alcool et le cannabis. Je me demande s’il ne serait pas plus juste de comparer le cannabis au tabac, car la réglementation qui régit l’alcool est plus laxiste que celle régissant le tabac. Le gouvernement a bien réussi à réduire le taux de consommation de tabac, qui est passé de 50 p. 100 en 1969 à 15 p. 100, en 2013. Croyez-vous que, si des mesures appropriées sont en place, les Canadiens pourraient constater une réduction de la consommation de cannabis chez les jeunes, comme cela a été le cas avec le tabac?

Dr Kalant : Je dirais tout d’abord que je ne suis pas d’accord avec votre affirmation selon laquelle le gouvernement a réussi à réduire la consommation de tabac. C’est, en fait, le public lui-même, et particulièrement les jeunes qui ont fait de la pression pour réduire la consommation de tabac. Je m’en souviens très bien. Je suis assez vieux pour avoir une mémoire qui remonte très loin dans le temps. Je me souviens de ce que de nombreux enfants ont dit à leurs parents : « Voulez-vous que nous devenions orphelins? » Ils insistaient pour que leurs parents cessent de fumer, et c’est un point important à retenir pour ce qui est du cannabis. Si les enfants eux-mêmes étaient capables de faire cela, pourquoi ne réagissent-ils pas de la même façon avec le cannabis? Nous devons savoir comment encourager les jeunes à persuader d’autres jeunes et à influencer le public en général, par la bande.

En ce qui a trait aux divergences d’opinions et d’information du Colorado, par exemple, je constate comme vous que les rapports sont contradictoires, mais il faut d’abord vérifier l’objectif de ces rapports et les données sur lesquelles ils sont fondés. À titre d’exemple, au cours des deux premières années qui ont suivi la légalisation, un rapport fondé sur les données du sondage national sur la consommation de drogues utilisait un échantillon de la population équilibré et structuré à l’image de la population de chaque État. Ce sondage a révélé une augmentation de la consommation chez les jeunes après la légalisation.

Au même moment, une enquête a été menée par certaines écoles secondaires de l’État, et cela constituait un échantillon non représentatif, car il ne touchait que 10 ou 12 écoles qui ne se trouvaient dans aucune des régions de l’État connues pour une forte consommation de cannabis. Cette étude a constaté une infime augmentation, voire aucune. Il est surprenant que, trois et quatre ans après la légalisation, le sondage national ait démontré le début d’une diminution de la consommation chez les jeunes, tandis que l’étude des écoles secondaires a plutôt commencé à observer une augmentation.

Nous devons être très prudents et très rigoureux et consulter des sondages bien organisés pour obtenir les faits dans de telles circonstances. Ce sont les sondages nationaux qui sont les meilleurs, et il est évident que, dans l’ensemble, la consommation est à la hausse, y compris chez les personnes âgées de plus de 65 ans, ce qui m’étonne.

La sénatrice Omidvar : Merci, docteur Kalant. Ma prochaine question s’adresse encore à vous, mais n’hésitez pas à demander aux autres d’intervenir.

D’après tous les rapports de recherche qui nous ont été fournis, 21 p. 100 des jeunes âgés de 15 à 19 ans et 30 p. 100 des jeunes adultes âgés de 20 à 24 ans consomment du cannabis au Canada. Vous demandez — et je crois que Mme Porath le demande aussi — d’adopter une approche progressive et continue, et de faire des recherches, ce qui est parfaitement sensé. Lorsque nous ne maîtrisons pas un sujet, nous devons y aller lentement, mais sûrement. Par contre, nous sommes aux prises avec un nombre grandissant de personnes qui consomment une drogue achetée illégalement et qui n’est ni testée ni sécuritaire. Selon vous, n’est-il pas plus sécuritaire et sain de fournir des produits de cannabis sûrs, testés, étiquetés convenablement afin d’en connaître la puissance et les risques pour la santé, et vendus dans un environnement très réglementé?

Mme Porath : Tout à fait. Je crois qu’il sera beaucoup plus sécuritaire pour les Canadiens de réglementer le cannabis, étant donné ce que nous observons actuellement dans le marché illégal et de les éduquer davantage afin qu’ils puissent prendre une décision éclairée. Comme je l’ai mentionné plus tôt, beaucoup d’efforts sont déployés en ce moment en vue de ce changement législatif, et je crois que nous pouvons intégrer à notre projet de loi les leçons retenues par les États américains qui ont légalisé le cannabis avant nous. Ils ont quatre ans d’expérience. Je crois que nous pourrons tirer profit de leur expérience et retenir les éléments qui correspondent à notre réalité au Canada. Ce serait très utile.

Le président : Docteur Le Foll, voulez-vous répondre également à la question ou avez-vous quelque chose à ajouter?

Dr Le Foll : Oui, bien sûr.

[Français]

Il y a l’exemple de la situation aux États-Unis. On peut également regarder la situation en Europe. Il y a, par exemple, dans les Pays-Bas, un accès au cannabis qui existe depuis très longtemps tandis qu’en France, il y a une interdiction totale. On s’est aperçu qu’aux Pays-Bas, l’usage du cannabis est plus faible que celui en France et que l’augmentation de l’usage du cannabis n’est pas apparue à la suite de l’ouverture à l’accès au cannabis. De telles expériences, qui durent depuis des décennies, fournissent aussi des informations précieuses.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Je tiens à remercier les médecins de leur présence et de leurs témoignages fort intéressants.

Madame Porath, j’aimerais vous poser une question au sujet d’un groupe de personnes que nous n’avons pas encore abordé; je veux parler des problèmes socioéconomiques qui persisteront chez les adultes d’âge moyen qui sont des consommateurs réguliers, qui ont une mobilité sociale réduite et qui éprouvent davantage de problèmes financiers. Ces personnes manquent d’initiative. En théorie, les jeunes qui deviennent des consommateurs réguliers avaient peut-être des rêves et de grandes aspirations, mais ne tenteront jamais de les réaliser.

J’ai une question pour vous, docteur Kalant — vous pouvez répondre tous les deux. Le cannabis compte de 400 à 500 propriétés ou substances chimiques, mais nous n’en connaissons que trois ou quatre. Qu’en est-il des autres substances chimiques toxiques qui composent le THC et que nous ne connaissons pas?

Je m’interroge aussi — docteur Le Foll, vous pouvez également commenter — sur le débat entourant le temps qu’il faut à l’organisme pour éliminer le THC. Comme il est soluble dans l’huile, il ne peut pas vraiment être comparé à l’alcool, dont les propriétés sont complètement différentes. Pouvez-vous nous en dire davantage?

[Français]

Dr Le Foll : Vous avez tout à fait raison. Différents composés ont été identifiés dans les plants de cannabis. À l’heure actuelle, nous connaissons bien le Delta-9-THC et le cannabidiol. D’autres composants sont également actifs biologiquement, mais à des concentrations beaucoup plus faibles.

Très peu de recherches ont été menées sur ces composants jusqu’à maintenant. L’essentiel des recherches a été fait sur des modèles animaux. Nous n’avons pas d’information sur les effets directs de ces substances sur l’être humain. Certaines indications suggèrent qu’elles pourraient avoir des vertus médicales, mais je dirais que c’est encore du domaine de la recherche.

[Traduction]

Mme Porath : Je peux peut-être répondre à votre première question. Il est évident que certaines personnes qui commencent à consommer du cannabis à un jeune âge continueront d’en consommer plus tard. Les effets négatifs sont bien réels pour ces personnes.

Une étude de Monitoring the Future a été publiée il y a quelques semaines. Cette étude menée aux États-Unis se concentre sur le comportement et la perception des jeunes depuis leur entrée à l’école secondaire; ces jeunes sont suivis depuis plusieurs années, et l’on se penche sur la réalité de ceux qui ont commencé à consommer à un jeune âge afin de savoir quels sont les effets à long terme, peut-être à la fin de la quarantaine ou au début de la cinquantaine. L’étude a réussi à démontrer qu’un groupe de personnes continuait d’en subir les effets négatifs.

Je tiens toutefois à souligner que certains jeunes qui consomment à l’adolescence ont tendance à cesser de consommer au début de l’âge adulte. Cela correspond d’une certaine façon au moment où l’on décroche un emploi, vit en couple et commence une vie de famille avec des enfants. La majorité des jeunes vont finir par cesser de consommer du cannabis, et cette tendance s’applique non seulement à cette drogue, mais aussi à d’autres drogues illégales.

Dr Kalant : J’aimerais répondre aux deux questions qui ont été posées.

Tout d’abord, pour ce qui est de la composition du cannabis, je conviens avec Dr Le Foll que certaines autres substances composant le cannabis ont probablement des effets pharmacologiques. Ce qu’il ne faut pas oublier cependant, c’est que leur concentration dans le cannabis est extrêmement faible et qu’ils contribuent très peu à l’effet général du cannabis brut. Si l’on veut étudier leurs propriétés médicales potentielles ou leurs effets néfastes ou les effets indésirables du traitement visé, il faudrait isoler ces substances et en obtenir un extrait pur qui pourra être utilisé dans une concentration ou une dose beaucoup plus élevée que ce que contient le cannabis lui-même.

Pour ce qui est de la réalité des personnes plus âgées qui ont commencé à consommer durant leur jeunesse, comme Mme Porath l’a mentionné, il est vrai que la majorité de ceux qui n’étaient pas des consommateurs réguliers et qui, heureusement, en ont seulement consommé à l’occasion — à des fêtes, par exemple — finissent habituellement par cesser de consommer au fur et à mesure qu’elles vieillissent, qu’elles accumulent les responsabilités; ces personnes se rendent compte que le cannabis a nui à leur mémoire ou à leur degré d’enthousiasme, et cetera.

Par contre, il est maintenant évident que même les personnes âgées de 60 ans, de 70 ans et plus sont plus nombreuses à continuer de consommer du cannabis ou à commencer à le faire, et l’Académie canadienne de gérontopsychiatrie mène actuellement une étude en vue d’évaluer le risque de la consommation de cannabis et de la dépendance chez les personnes âgées. Cela signifie que le processus de banalisation dont nous avons déjà parlé touche aussi la consommation à des âges qui n’étaient pas pris en considération auparavant.

Je crois que ce sont les deux seuls points que je voulais apporter.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question concerne les campagnes de sensibilisation et de prévention. Je sais que le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances prépare des documents, tout comme Santé Canada. J’ai même compris que des entreprises qui tirent profit du cannabis vont aussi mettre en oeuvre des programmes de prévention et de sensibilisation.

Ne serait-il pas logique de réfléchir à une instance supérieure qui aurait droit de regard sur les différents messages transmis? Ainsi, on pourrait peut-être éviter des messages discordants. En ce qui concerne l’alcool, notamment, on fait le bon geste en informant la population sur les méfaits de l’abus d’alcool, mais, en même temps, on dit qu’un bon petit verre de vin peut faire du bien. Je ne serais pas à l’aise si un pareil message était véhiculé concernant la marijuana, surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises productrices. Que pensez-vous d’une instance supérieure pour gérer tout cela?

[Traduction]

Mme Porath : Vous soulevez un excellent point. On m’a posé la même question il y a quelques semaines lorsqu’un journaliste m’interviewait au sujet de la sensibilisation du public; il voulait savoir s’il était possible de s’assurer que les messages et les ressources sont fondés sur des données probantes et que l’information véhiculée est exacte.

À ma connaissance, aucun organisme de surveillance n’approuve ces messages. J’insiste auprès des Canadiens pour qu’ils vérifient quels sont les auteurs de ces messages. Je sais que Santé Canada met en place un site web qui contiendra des programmes fondés sur des données probantes et les ressources approuvées par le ministère. Mon organisme, le CCDUS, est également en train d’élaborer un nouveau site web où nous fournirons des outils et ferons la promotion du travail d’autres organismes. Beaucoup d’organismes font un excellent travail; je crois que la demande est très forte et que nous avons besoin de nombreuses ressources de tous genres, et je suis ravie de voir ces organismes à l’œuvre.

Votre suggestion à propos d’un organisme de surveillance et de l’approbation des lignes directrices est excellente.

Dr Kalant : J’ai lu un rapport produit par un groupe d’intervention auprès des jeunes au sujet du cannabis et qui a été subventionné par le plus grand producteur de cannabis au Canada. J’ai constaté que le rapport était assez bon dans son ensemble. Toutefois, de façon générale, les professionnels et les scientifiques voient d’un mauvais œil l’information préparée grâce au financement de producteurs de drogues, car le conflit d’intérêts est évident. L’entreprise en question a bien agi en déclarant qu’elle n’a aucune relation d’attache avec le groupe et qu’elle n’a aucunement participé à la production du rapport.

Cependant, on ne peut pas en dire autant de tous les renseignements publiés par les producteurs en raison du risque intrinsèque de conflit d’intérêts, et les directeurs de revues professionnelles et scientifiques exigeront généralement une déclaration de conflit d’intérêts lorsqu’un rapport à publier est influencé d’une façon ou d’une autre par un producteur de drogue ou d’alcool. Cela confirme, sénatrice, l’importance de votre suggestion selon laquelle il devrait y avoir un organisme d’approbation indépendant qui évaluera la qualité du matériel à publier lorsqu’un conflit d’intérêts est soupçonné, et il faudrait peut-être envisager de modifier la loi à cette fin.

Le président : Merci.

Docteur Le Foll, avez-vous quelque chose à ajouter?

[Français]

Dr Le Foll : Je voudrais également soutenir que c’est une bonne idée et, notamment, la comparaison avec la situation de l’alcool, pour laquelle on sait que des promotions sont faites, ne couvre pas les risques de la même manière que les potentiels bénéfices de l’usage. Donc, il est clair qu’avec le cannabis, on devrait avoir une approche plus stricte afin d’éviter les mêmes problèmes.

[Traduction]

Le président : La première période de questions est maintenant terminée. J’ai quatre sénateurs pour la deuxième période, et il nous reste six minutes. Nous n’aurons probablement pas le temps de passer tout le monde, alors je vous demanderais de vous en tenir à une seule question chacun, et nous verrons s’il reste du temps.

La sénatrice Seidman : Étant donné tout ce que vous dites au sujet du manque de données probantes, du manque d’information et du besoin d’exercer un certain contrôle de la qualité de cette information — ce qui sera essentiel —, croyez-vous que la loi devrait inclure des exigences de suivi, d’évaluation et de reddition de comptes afin que l’on puisse mettre sur pied un organisme de surveillance ou un comité d’examen indépendant qui devra répondre au gouvernement et évaluer les effets de la loi et les données scientifiques, ce qui n’existe pas encore? Devrait-on mettre en place un système de rapports obligatoires et un processus de surveillance? Si c’est le cas, comment cela pourrait-il se concrétiser?

Mme Porath : Je crois que ce que vous suggérez renforcerait le projet de loi. Je crois que les résultats de l’examen intéressent énormément les Canadiens. Comme vous l’avez mentionné, nous savons bien peu de choses, et je crois qu’il y aura beaucoup de pression pour que l’on examine les effets de cette modification de la loi. Je crois qu’un processus intégré de surveillance et d’évaluation permettrait au gouvernement de s’adapter au fur et à mesure. Dans l’État de Washington et au Colorado, on nous a dit de nous attendre à faire face à l’inattendu et à apporter progressivement des changements. Je crois que votre suggestion est bonne et qu’elle permettrait d’étayer le projet de loi au fur et à mesure de sa mise en place.

Le président : Laissez-moi demander aux autres témoins s’ils ont quelque chose à ajouter, car nous devons poursuivre. Aviez-vous quelque chose à ajouter? Non? D’accord.

[Français]

Le sénateur Pratte : Ma question s’adresse au Dr Le Foll. Vous êtes en faveur de la légalisation du cannabis. Ne croyez-vous pas que la légalisation du cannabis risque d’entraîner une sorte de normalisation, c’est-à-dire que légalisation veuille dire « produit sûr », donc sans danger, et par conséquent que ce message entraîne une augmentation de l’usage ou de la consommation?

Dr Le Foll : La comparaison à la situation actuelle, c’est que ce sont les revendeurs de produits illicites qui fournissent l’information aux jeunes. Je crois que la légalisation apporte un avantage en déplaçant ce volet dans le domaine légal et en permettant aux institutions de santé de disséminer un message validé et basé sur les preuves.

Nous avons l’exemple du tabac qui montre qu’à partir du moment où les risques sont présentés de façon claire aux usagers, graduellement, les usagers changent leur consommation. Nous pensons au CAMH que la même chose peut arriver avec le cannabis si on met l’accent sur les efforts en éducation et sur les risques de la consommation.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Ma question concerne l’âge. Je regrette sincèrement que l’âge minimal soit établi à 18 ans dans la loi. Certaines provinces ont augmenté l’âge minimal, et nous nous retrouvons donc avec une réglementation non uniforme d’un bout à l’autre du Canada. Selon vous, quel devrait être l’âge minimal?

Le président : Je vais demander aux trois témoins de répondre rapidement à la question. Commençons avec le Dr Kalant. Devrait-il y avoir un âge minimal? La question de la sénatrice Raine concerne l’âge minimal. La loi l’établit à 18 ans. Certaines provinces l’établissent à 19 ans. Elle demande à chacun d’entre vous quel devrait être l’âge minimal prévu par la loi.

Dr Kalant : Est-ce que je peux commencer?

Le président : Oui. Répondez rapidement, s’il vous plaît.

Dr Kalant : Selon les données médicales, le cannabis pourrait nuire à la maturation de certaines parties importantes du cerveau jusqu’à l’âge de 24 ou 25 ans. Je crois qu’il est très peu probable que le Parlement accepte un âge minimal de 25 ans. Tout ce que je peux dire, c’est que plus l’âge minimal est élevé, mieux c’est. Selon moi, l’âge de 21 ans est beaucoup mieux que 18 ou 19 ans, et cela pourrait convaincre certains députés, car il s’agissait anciennement du début de l’âge adulte.

Le président : Merci, docteur Kalant. Je suis désolé, mais nous devons continuer. C’est à votre tour de répondre à la question, madame Porath.

Mme Porath : Je crois que l’âge de 18 ans est un bon compromis. La recherche médicale nous confirme que l’âge de 25 ans serait l’âge idéal, mais nous savons aussi que les jeunes consomment avant l’âge de 18 ans. Ces jeunes qui consomment peuvent faire l’objet de peines criminelles. Il faut absolument que le projet de loi réduise les préjudices au minimum, et les provinces et territoires ont la possibilité d’augmenter l’âge minimal. Si nous pouvons miser sur l’importance de la sensibilisation du public, nous réussirons à faire comprendre aux jeunes qu’ils doivent consommer le plus tard possible afin de protéger la santé de leur cerveau.

[Français]

Dr Le Foll : Le CAMH soutient que l’âge de 19 ans est probablement adapté pour l’Ontario pour s’aligner avec la situation de l’alcool. Nous estimons que c’est une approche pragmatique qui tient compte non seulement des aspects médicaux, mais également des aspects sociaux de la situation actuelle.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : J’ai une question pour le Dr Le Foll. Pouvez-vous nous confirmer si le cannabis est ou non une drogue tremplin vers des drogues plus dures?

[Français]

Dr Le Foll : Il a été dit que le cannabis était une porte d’entrée aux autres substances. Maintenant, cette idée est en grande partie rejetée par le monde scientifique. Des études ont été faites sur les animaux qui ont été exposés à du THC ou à d’autres drogues afin de savoir s’ils sont plus à risque de s’auto-administrer d’autres substances ou d’avoir du plaisir en étant exposés à d’autres substances.

Si on soumet les substances à ce genre de test, on s’aperçoit qu’il n’y a pas d’évidence pour soutenir la porte d’entrée du THC. Au contraire, la nicotine semble avoir des propriétés de sensibilisation aux effets subséquents des drogues beaucoup plus importants. Aussi, les séquences d’exposition aux drogues montrent qu’il est vrai que certains usagers vont progresser d’une drogue à une autre. Effectivement, il semble y avoir un effet de porte d’entrée. On s’aperçoit que lorsqu’on étudie du point de vue épistémologique un groupe de sujets à risque, ils passeront de la nicotine au cannabis, à l’alcool, et cetera. Par contre, lorsqu’on étudie la population de manière plus large, il n’y a aucune évidence directe concernant la porte d’entrée après avoir consommé du cannabis.

[Traduction]

Le président : La période tire à sa fin. Je tiens à remercier chaleureusement les trois témoins — docteur Kalant, madame Porath et docteur Le Foll — qui ont su nous éclairer avec des faits et leurs réponses à nos questions.

Passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins pour notre étude du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis — le thème du jour concerne les incidences sur la santé, mais le deuxième groupe nous parlera surtout du fait de fumer le cannabis et des conséquences connexes. Je souhaite donc la bienvenue à David Sweanor, professeur auxiliaire à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, qui témoigne à titre personnel, et deux membres de l’Association pour les droits des non-fumeurs, soit Melodie Tilson, directrice des politiques, et Pippa Beck, analyste principale en matière de politiques.

Bienvenue à vous trois. Vous disposez tous de sept minutes pour votre mot d’ouverture, et les membres du comité vous poseront ensuite leurs questions. Je vais y aller dans l’ordre que j’ai devant moi. Maître Sweanor, nous vous écoutons.

David Sweanor, professeur auxiliaire, faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci, monsieur le président. En plus d’être professeur auxiliaire à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, je préside le conseil consultatif du Centre de droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa.

Je crois que la raison pour laquelle j’ai été invité à témoigner est que j’ai travaillé comme avocat spécialiste des mesures politiques visant à réduire le tabagisme à partir de 1993. J’ai joué un rôle important dans les politiques antitabac.

Je vais tout de suite contredire ce que le Dr Kalant a affirmé. Le taux de tabagisme n’a pas été réduit grâce aux enfants qui ont persuadé leurs parents de cesser de fumer. Comme dans de nombreux autres cas, c’est l’œuvre des politiques. Ce sont les mesures du gouvernement qui ont fait la différence. Ce qui a réellement fonctionné, c’est de changer les règles et la réalité économique, de mieux informer le public et de leur offrir de meilleures options.

Mes intérêts vont par contre bien au-delà du tabagisme et de la santé. Je travaille dans de nombreux secteurs de la santé publique. J’y travaille, j’encadre des intervenants et je finance des initiatives. J’ai notamment reçu à titre personnel un prix de philanthrope exceptionnel d’Ottawa en 2016 en raison de l’intérêt que je porte à la question, et je suis maintenant en paix avec l’idée que ma vie ne sera pas assez longue pour accomplir toutes les choses qui m’intéressent. Je dois trouver des personnes qui le feront à ma place.

L’objectif que nous ne devons jamais oublier, c’est que nous devrions tenter de manière rationnelle et pragmatique de réaliser des choses qui rendront notre monde meilleur. C’est le principe qui devrait toujours nous éclairer. Comment pouvons-nous utiliser la science, tenir des débats rationnels et faire avancer certains aspects qui peuvent grandement améliorer notre société à faible coût et sans effort gigantesque dans le contexte de cette vision, et favoriser ce besoin de rationalité et de pragmatisme?

Le tabagisme est un excellent exemple. Nous avons fait des pas de géant. Nous n’avons toujours pas la vision nécessaire pour en faire encore davantage. Le tabagisme tue encore 20 000 personnes chaque jour dans le monde entier. Elles meurent parce qu’elles ont inhalé de la fumée, façon mortelle de consommer une drogue et pertinente au projet de loi C-45, mais aussi parce que les gouvernements manquent de vision et ne font pas ce qu’il faut pour modifier cette tendance, c’est-à-dire faire quelque chose pour que les personnes cessent de mourir en raison de leur mode de consommation.

Une de mes principales préoccupations au sujet du projet de loi C-45 est qu’il traite encore la consommation de drogues comme un crime au lieu d’un problème de santé publique. Nous sommes des décennies après le rapport de la commission Le Dain de 1972 qui, selon moi, proposait une approche très bien adaptée, et celui du Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites, publié en 2002, qui affirmait que « la puissance publique doit le plus possible favoriser l’autonomie et conséquemment utiliser avec parcimonie les outils de contrainte ».

C’est une très mauvaise idée d’avoir recours au droit criminel pour s’attaquer aux problèmes de santé publique. Il serait beaucoup plus logique d’adopter une approche axée sur la santé publique. La lutte aux drogues illicites axée sur le droit criminel a engendré des approches non seulement incapables d’atteindre les objectifs, mais qui se sont avérées catastrophiques pour le Canada et même davantage pour nos voisins du Sud. Le projet de loi C-45 prévoit quelques exemptions — souvent difficiles à comprendre —, mais dans l’ensemble, il conserve la même approche où cela est traité comme un crime. C’est un problème.

Le projet de loi prévoit qu’une personne peut avoir en sa possession jusqu’à 30 grammes de cannabis. Deux personnes pourraient aller acheter 25 grammes chacune dans une boutique — pourvu que ce soit une boutique légale —, mais qu’arrive-t-il si l’une d’entre elles demande à l’autre d’apporter son cannabis parce qu’elle doit faire un arrêt avant d’aller à leur soirée? La personne risque une peine d’emprisonnement de cinq ans. Si la boutique est fermée, et que je connais quelqu’un qui en vend, je risque une peine de cinq ans. Si j’ai quatre plants et que vous avez aussi quatre plants et que nous décidons d’emménager ensemble et de garder tous nos plants, nous allons avoir plus de quatre plants chez nous, et nous risquons cinq ans de prison pour cela.

Qu’arrive-t-il si une personne qui a tout juste 18 ans donne du cannabis à une personne qui a seulement presque 18 ans? Elle risque 14 ans de prison. Vous pouvez dire tant que vous le voulez que ce genre de sanctions ne seront jamais imposées au Canada et qu’elles existent seulement dans des pays comme les États-Unis, nous savons, car l’histoire nous l’a enseigné, que les lois sont appliquées différemment d’une personne à l’autre, et c’est inacceptable. Cela ne peut que semer de la confusion au sein du public.

L’un des plus importants problèmes du projet de loi est qu’il permet aux gens de fumer du cannabis, mais il maintient l’interdiction de se procurer le produit sous une forme non combustible, même si c’est sous cette forme que beaucoup de gens le consomment déjà. À moins que je ne me trompe, j’ai été invité à témoigner à cause des articles que j’ai écrits sur le cannabis et la cigarette. Le problème, le plus gros danger pour la santé, c’est la fumée. Fumer est la façon la plus nocive de consommer une drogue. La chose la plus dangereuse, c’est la fumée. Le marché du vapotage et des produits comestibles du cannabis existe déjà. Santé Canada a déjà approuvé Volcano Medic, un produit pour le vapotage du cannabis.

Selon moi, au bout du compte, nous nous retrouvons avec les mêmes problèmes que ceux qui existent dans le projet de loi S-5, c’est-à-dire que nous protégeons la forme de consommation la plus dangereuse : la fumée. Je voulais témoigner à propos du projet de loi S-5, mais on ne m’a pas autorisé à le faire. Nous sommes en train de négliger la relativité des risques; pourtant, nous avons le devoir, selon un principe moral, de prendre en considération chaque danger relatif. En faisant fi des droits des consommateurs, nous privons les gens de leur droit de consommer le produit de façon moins nocive.

L’information qui reflète la réalité est déformée ou proscrite, comme cela est fait dans une grande mesure dans le projet de loi S-5. Aux termes de ce projet de loi, il est illégal pour une entreprise d’informer les gens de la différence entre les niveaux de risque que pose chacun de ses produits, même quand la différence est énorme. Des formes de consommation moins nocives sont interdites, comme c’est le cas dans le projet de loi C-45. Même si vous dites que cela pourrait être modifié plus tard, la question demeure : pourquoi remettre cette discussion à plus tard? Pourquoi est-ce que fumer du cannabis est jugé acceptable alors que le vapotage serait un problème?

Nous sommes en train de tromper le public. Ce que nous sommes en train de faire va à l’encontre de la Charte des droits et libertés. Je crois que les projets de loi S-5 et C-45 survivraient très difficilement à une contestation constitutionnelle.

Il faut reconnaître que le problème, c’est la fumée. Dans le cas des cigarettes, nous pourrions essentiellement mettre un terme rapidement à l’épidémie de maladies liées au tabac en faisant preuve d’un peu de jugement, de pragmatisme et d’ambition. L’approche générale que nous devons adopter par rapport à l’ensemble des drogues illicites doit être axée sur la santé publique, et non sur le droit criminel. Nous pourrons grandement réduire les méfaits liés aux drogues illicites, y compris le cannabis, en adoptant une approche axée sur les questions sous-jacentes de santé publique. La plupart des méfaits sont en vérité le fruit des lois en vigueur, et non des drogues elles-mêmes. Nous serons en mesure de réduire les méfaits associés aux drogues beaucoup plus efficacement dans un marché légal. Pour ce faire, il serait donc logique d’étudier les différentes façons de consommer de manière rationnelle. Merci.

Le président : La parole va maintenant aux deux représentantes de l’Association pour les droits des non-fumeurs, qui se partageront le temps. Madame Melodie Tilson, vous pouvez y aller.

Melodie Tilson, directrice des politiques, Association pour les droits des non-fumeurs : Je vous remercie de nous avoir invitées à témoigner aujourd’hui à propos de la réglementation des produits du cannabis.

Ma collègue, Pippa Beck, et moi comptons ensemble plus de 40 ans d’expérience dans la lutte contre le tabagisme. Depuis 1974, notre organisation a été à l’avant-garde des réformes visant le secteur du tabac : nous avons mené des campagnes pour la Loi réglementant les produits du tabac du gouvernement fédéral ainsi que pour la loi qui l’a remplacée, la Loi sur le tabac. En 1994, nous faisions déjà la promotion de la banalisation des emballages et de l’ajout de mises en garde sanitaires explicites sur les paquets de cigarettes, du jamais vu dans le monde. Ce ne sont que quelques exemples. Nous avons un trésor d’expériences dans la réglementation efficace d’un produit addictif et nocif qui est surtout fumé, et nous voulons que vous en tiriez parti dans votre étude sur la façon de réglementer de façon appropriée le cannabis.

Nous félicitons le gouvernement d’avoir déclaré dès le départ qu’il était important d’adopter une approche axée sur la santé publique relativement à la réglementation du cannabis. Cependant, on ne soulignera jamais assez le fait que malgré les profits qu’offre la vente d’un produit entraînant une dépendance, cela constitue un danger pour la santé publique. Nous savons déjà ce que l’industrie du tabac est prête à faire pour les profits. Le Canada doit donc se munir de lois suffisamment contraignantes en ce qui concerne les intérêts commerciaux si on veut éviter de revivre avec le cannabis ce qui s’est déjà passé avec les grandes entreprises de tabac.

Nous savons déjà que les actions dans le cannabis ont bondi de façon fulgurante depuis un an environ. Selon les données du groupe Bloomberg, il y a 84 entreprises œuvrant dans le secteur du cannabis inscrites à des bourses au Canada. Ensemble, ces entreprises représentent une valeur de 37 milliards de dollars. Nous savons que cela comprend les activités de vente nationales et d’exportation de cannabis médical, mais il demeure que la majeure partie de l’engouement est liée au cannabis à des fins récréatives.

L’objectif de ces entreprises sera de continuer à faire fructifier le marché du cannabis à des fins récréatives au Canada, et nous sommes d’avis que les mesures proposées actuellement pour la réglementation du cannabis ne suffiront pas à protéger efficacement la santé publique contre cette nouvelle industrie prête à faire des milliards de dollars.

Je vais maintenant céder la parole à Pippa Beck, qui va vous parler de deux sujets : le besoin de restreindre plus strictement les activités de promotion et le besoin de sensibiliser le public de façon adéquate.

Pippa Beck, analyste principale en matière de politiques, Association des droits des non-fumeurs : Merci, Melodie. Une approche axée sur la santé publique pour la réglementation du cannabis devrait en priorité cesser de banaliser le fait de fumer et insister sur la sensibilisation efficace du public par l’intermédiaire des médias de masse et des médias sociaux. Il est également très important d’afficher des mises en garde sanitaires sur les paquets à propos des dangers liés à la consommation, à la fumée secondaire du cannabis et aux autres risques connexes.

Le public semble mal comprendre le fait qu’il est nocif d’inspirer de la fumée, peu importe d’où elle vient, que ce soit du tabac ou du cannabis. Le public est aussi rarement au courant du fait que le vapotage présente beaucoup moins de risques que la manière traditionnelle de fumer. Pendant des décennies, nous avons déployé des efforts en matière de législation et de sensibilisation pour éliminer le tabagisme des habitudes sociales. Malheureusement, selon l’Enquête canadienne sur le cannabis 2017, fumer demeure le mode de consommation du cannabis le plus fréquent, à hauteur de 94 p. 100.

Les études sur le tabac ont conclu que les mises en garde sur les paquets sont une façon extrêmement ciblée, efficace et efficiente de sensibiliser le public. Cependant, parmi les six mises en garde proposées actuellement, il n’y en a aucune qui compare les risques de fumer du cannabis et les autres formes de consommation. Il n’y en a non plus aucun sur les dangers de la fumée secondaire du cannabis, ou sur les risques de combiner le tabac et le cannabis. Nous prions donc les sénateurs de recommander d’ajouter des mises en garde à ces sujets sur la liste des avertissements de santé obligatoires relatifs aux produits du cannabis.

Je vais maintenant aborder le sujet de la promotion. Le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis a conclu, à juste titre, que les activités de commercialisation, de publicité et de promotion de la marijuana peuvent uniquement servir à banaliser sa présence dans la société et à encourager et à augmenter sa consommation. En conséquence, nous sommes d’avis que le projet de loi C-45 devrait être modifié de façon à interdire la promotion visant directement les détaillants et les distributeurs. Il s’agit de la section 2, sous-section A, alinéas 16c) et d).

À la lumière de notre expérience avec l’industrie du tabac, nous savons que les producteurs se tournent vers les détaillants lorsque des restrictions sont imposées aux activités de promotion. Ils poussent les détaillants à faire eux-mêmes de la promotion en utilisant des contrats, des programmes d’encouragement, des programmes de récompense, et cetera, afin de mousser les ventes. Pour reprendre ce qu’a dit la British American Tobacco en 2010, plus l’industrie est près des détaillants, plus elle est près du consommateur. Ce sera donc important de modifier le projet de loi pour les provinces où les entreprises privées peuvent demander un permis de commerce de détail, comme l’Alberta, la Colombie-Britannique, le Manitoba et la Saskatchewan. C’est très facile de tirer parti des failles de ce système. Ce serait donc préférable qu’une loi fédérale interdise ce genre d’activités de promotion au lieu d’avoir un ensemble disparate de lois provinciales.

Nous recommandons également de modifier le paragraphe 17(6) du projet de loi de façon à interdire l’exposition d’un élément de marque lié au cannabis sur tout ce qui n’est pas du cannabis ou un accessoire connexe, même s’il ne s’agit pas de quelque chose qui pourrait être attrayant pour les jeunes ou qui est associé à une façon de vivre attrayante. La population de la marque est une stratégie de commercialisation efficace pour augmenter la notoriété d’un produit et, en conséquence, sa consommation.

Nous savons aussi, d’après notre expérience dans la lutte contre le tabac, que les entreprises tirent souvent parti du laxisme dans l’application des lois, en particulier lorsqu’il s’agit de dispositions sujettes à interprétation. Le fait de permettre l’exposition d’éléments de marque sur un chandail, une casquette, une tasse ou toute autre chose n’est pas compatible avec une approche axée sur la santé publique.

Un autre outil promotionnel très important est l’emballage. Nous sommes d’accord pour dire que le nom de la marque ne doit pas être plus visible que la mise en garde sanitaire. Cependant, nous nous préoccupons du fait qu’aucune restriction n’est imposée en ce qui concerne les noms des marques elles-mêmes. Nous avons vu ce qui s’est passé en Australie avec la banalisation des emballages : lorsque les éléments décoratifs sur l’emballage sont limités, l’industrie du tabac peut devenir très créative pour trouver des noms de marque et de marque dérivée qui renvoient à un style de vie attrayant.

Nous redoutons donc que la même chose se produise au Canada avec les marques de cannabis si les restrictions appropriées ne sont pas imposées. Une recherche rapide sur Internet nous a permis de trouver des exemples de noms de marque évocateurs comme SuicideGirls, Pura Vida Health et Everyone Does It. De plus, si on n’impose pas de limite au nombre de mots dans le nom de la marque, on court le risque que le nom de la marque soit utilisé pour détourner l’attention de la mise en garde de santé.

Dans le même ordre d’idées, nous nous préoccupons de l’absence de restrictions relatives aux éléments de marque additionnels, mis à part la taille des caractères du slogan ou la taille du logo. Le slogan pourrait occuper tout le reste de l’espace blanc sur l’emballage pour détourner l’attention de la mise en garde sanitaire et pour envoyer un message promotionnel convaincant.

Il est aussi crucial que la réglementation interdise l’utilisation des technologies pour contrevenir à l’esprit de la loi. Je parle, par exemple, d’afficher des liens qui peuvent être décodés par un téléphone intelligent vers du matériel promotionnel comme un site web, des images ou des vidéos.

Pour conclure, nous croyons qu’une sensibilisation rigoureuse du public tirant parti des médias de masse et des médias sociaux ainsi qu’une grande variété de mises en garde sanitaires et des restrictions plus strictes en matière de promotion aideront énormément à préserver les intérêts du public en matière de santé. Il est beaucoup plus facile d’assouplir les restrictions plus tard que d’essayer de maîtriser une industrie puissante en pleine expansion.

Merci. Nous sommes prêtes à répondre à vos questions.

Le président : Merci à tous nos témoins de leur exposé. À présent, mes collègues ont des questions pour vous.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de nous avoir présenté vos exposés. Je crois que je vais poser ma question à David Sweanor.

Le Dr Le Foll, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, a témoigné avant vous. Il est toujours ici, et je me dis que j’aurais probablement dû lui poser cette question, mais vous serez probablement aussi en mesure de répondre. En octobre 2014, le Centre de toxicomanie et de santé mentale a publié son Cadre stratégique pour le contrôle du cannabis. Ce document a été cité et utilisé de nombreuses fois dans l’élaboration du projet de loi à l’étude. Le centre proposait 10 principes de base pour orienter la réglementation sur la consommation légale du cannabis. Selon eux, il s’agit des exigences minimales. Selon la recommandation no 5, il faudrait restreindre les produits et les formulations à risque élevé, y compris les formulations et produits plus puissants conçus pour attirer les jeunes.

Il s’agit d’une exigence minimale, selon le Centre. Cependant, il semble que le projet de loi ne comprend pas assez de dispositions pour réduire les méfaits. Donc, j’aimerais que vous vous prononciez sur… Vous avez vous-même demandé au gouvernement de reconnaître les méfaits de fumer du cannabis. Nous savons que plus ou moins 90 p. 100 des jeunes qui consomment du cannabis le fument. L’autre partie de l’équation, en ce qui concerne le cannabis qui est fumé, donc consommé sous une forme combustible, est la concentration de THC. Le projet de loi ne prévoit pas réglementer la concentration dans le cannabis.

Peut-être pourriez-vous nous donner des exemples de mesures stratégiques que vous recommanderiez au gouvernement d’adopter afin de réduire les méfaits associés au cannabis fumé? Comment pouvons-nous modifier le projet de loi C-45 afin de promouvoir les produits non combustibles et, par le fait même, la réduction des méfaits dans l’ensemble?

M. Sweanor : Merci de me poser cette question.

Selon moi, il est important de reconnaître qu’un grand nombre de nos plus grandes réussites dans toute l’histoire de la santé publique reposent sur deux choses toutes simples : premièrement, il faut donner aux gens suffisamment d’informations pour qu’ils puissent prendre une décision éclairée; et deuxièmement, les gens doivent être libres d’agir en fonction de leurs décisions. Au cours des dernières années, on a aussi commencé à utiliser des « incitatifs », c’est-à-dire des mesures pour encourager les gens à adopter la position que l’on souhaite. Ce projet de loi fait exactement l’inverse en permettant aux gens de consommer du cannabis de la façon la plus nocive tout en interdisant les façons moins nocives.

Je crois que ce qu’il faut faire, c’est encourager Santé Canada à agir rapidement pour rendre accessible l’information qui n’est pas répandue actuellement sur le cannabis ou sur les risques associés au vapotage pour consommer de la nicotine. Il faut que les consommateurs aient accès à cette information pour qu’ils puissent décider de ce qu’ils veulent faire. Actuellement, le nombre de fumeurs dans des pays et des endroits aux quatre coins du monde diminue à un rythme inégalé, simplement parce qu’il existe d’autres façons de consommer. Les gens connaissent l’existence de produits moins nocifs et y ont accès.

Les consommateurs de drogues illicites savent tout cela depuis de nombreuses années. Les utilisateurs de drogues intraveineuses savaient utiliser l’eau de Javel pour stériliser les seringues aux États-Unis pendant la guerre contre la drogue, parce qu’ils avaient accès à cette information et qu’ils pouvaient la communiquer pour atténuer les risques pour leur vie.

Notre gouvernement doit donner aux gens des renseignements exacts et la possibilité d’agir à la lumière de cette information. Ils doivent savoir quels sont les produits et quelles sont les concentrations. Présentement, beaucoup de gens consomment du THC par vapotage, et il est fortement recommandé d’aller dans un head-shop, parce qu’on peut y trouver beaucoup de gens qui connaissent les risques associés au cannabis fumé. Ils recommandent à la place de le vapoter. Donc, nous allons prendre quelque chose qu’un grand nombre de Canadiens utilise déjà et allons le rendre illégal. Ce n’est pas une bonne politique de santé publique.

Mme Beck : Merci de la question.

J’ai remarqué que le gouvernement avait mentionné que la réglementation au sujet des produits comestibles ou liquides pour le vapotage qui contiennent du THC ne sera pas étudiée avant un an. J’ai aussi vu, en ligne, des vidéos d’instructions plutôt louches sur la façon de préparer son propre liquide à vapotage contenant du THC. Les gens vont essayer de doser et de titrer leur propre liquide, et je suis très préoccupée de la possibilité que ces personnes n’obtiendront pas la bonne concentration et que cela aura un impact néfaste sur la santé publique.

Je recommande donc au gouvernement d’accélérer le processus pour la réglementation du liquide à vapoter avec THC et les produits comestibles. Je sais qu’il doit y avoir beaucoup de menus détails qui doivent être arrêtés relativement aux concentrations permises dans les produits comestibles, et je comprends pourquoi cela passe en deuxième. Je crois cependant que nous devons déployer davantage d’efforts sur ces autres produits afin de réduire les méfaits, parce que si les gens ne peuvent pas s’en procurer au magasin, ils vont essayer de faire leurs propres produits, ce qui ne nous avancera à rien en matière de santé publique.

Mme Tilson : Dans notre exposé, nous avons souligné l’importance de sensibiliser le public à l’égard des différents niveaux de risque des modes de consommation. C’est quelque chose de plutôt méconnu par le grand public.

Le dernier groupe de témoins s’est penché sur les questions de santé. Leur témoignage a surtout porté là-dessus, et pourtant, aucun des témoins n’a mis en relief le fait qu’il est beaucoup moins nocif de vapoter le cannabis que de le fumer. Il s’agit même de la cinquième recommandation du Centre de toxicomanie et de santé mentale dans ses Directives canadiennes d’usage de cannabis à faible risque. Pourtant, ce genre d’information n’est ni répandu ni reconnu.

Un autre point sur lequel nous voulons insister est le fait qu’un tiers des jeunes qui consomment du cannabis le mélangent avec du tabac dans leur joint pour le fumer. Cela augmente énormément les risques, pas seulement le risque de dépendance, mais également les risques pour la santé liés au tabagisme.

La sénatrice Seidman : Cela pourrait donc, dans les faits, contribuer à augmenter le taux de tabagisme chez les jeunes, puisque 90 p. 100 d’entre eux fument du cannabis. Est-ce bien ce que vous dites?

Mme Tilson : C’est exact. À dire vrai, il n’y a pas eu beaucoup d’études sur les répercussions à long terme du fait de mélanger le tabac et le cannabis, mais cela semble logique, puisque la consommation de nicotine augmente le risque de devenir dépendant au tabac ainsi qu’à la marijuana, qu’au cannabis.

La sénatrice Seidman : Rapidement, avant de terminer, j’avais aussi demandé comment on pourrait encourager les modes de consommation moins risqués, autres que fumer, par exemple. D’après vous, cela serait-il possible de faire cela avec ce projet de loi?

M. Sweanor : Avant tout, il faudrait que ces options soient légales pour que les gens y aient accès. Ensuite, il faut que les gens aient de l’information à propos des risques liés à chaque option. La capacité des gens de prendre des décisions éclairées dépend de l’information à laquelle ils ont accès. Présentement, ils n’ont pas accès à de l’information sur le vapotage du cannabis, tout comme ils n’ont pas l’information sur la possibilité de remplacer la cigarette par le vapotage. Il faut donner aux gens de l’information pour qu’ils puissent prendre de bonnes décisions.

Ensuite, nous aurons différentes options stratégiques en matière d’imposition une fois que le marché légal sera établi. J’ai publié un article dans le New England Journal of Medicine sur les risques de la nicotine et d’autres risques connexes. Cela a donné des résultats très intéressants, par exemple en poussant les gens à utiliser de l’essence sans plomb au lieu de l’essence au plomb. Nous pouvons tirer parti de toutes les options qui s’offrent à nous relativement aux normes sur la commercialisation et la promotion.

Il y avait ce genre de mesures dans la Loi réglementant les produits du tabac de 1988, laquelle n’a pas survécu à une contestation des entreprises du tabac. Cette loi aurait pu changer complètement le marché du tabac, et je crois que nous avons une occasion similaire à saisir ici.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup d’être ici et de témoigner devant nous. Avant tout, j’aimerais connaître l’opinion de M. Sweanor et du reste d’entre vous à propos de la façon dont le projet de loi aborde — ou même s’il l’aborde —, ce qui va arriver aux gens qui fument du cannabis en public. D’après ce que j’en ai compris, ce sera légal et permis de fumer du cannabis en public là où c’est légal et permis de fumer du tabac en public. Je sais que les provinces et les municipalités pourront réglementer cela, mais je serais curieuse d’entendre ce que vous avez à dire à propos des impacts sur la santé et bien sûr, de la banalisation du fait de fumer du cannabis au lieu d’autre chose. Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?

M. Sweanor : À l’instar du président, j’ai passé de nombreuses années à promouvoir des efforts législatifs pour restreindre le tabagisme dans bon nombre de lieux publics ainsi que la fumée secondaire. Il va arriver la même chose que ce qui est arrivé avec la cigarette, c’est-à-dire que les provinces et les municipalités vont réglementer ce qui sera fait par rapport à la consommation publique de cannabis.

L’un des problèmes dont nous avons déjà discuté était la désinformation et le fait que les gens ne savent pas distinguer les différents niveaux de risque associés à chaque produit. Nous savons qu’il y a déjà des municipalités qui disent qu’elles vont traiter le vapotage comme s’il s’agissait de la cigarette, mais si on prend le niveau de risque respectif de chaque produit, on constate que rien ne justifie cela; tout ce que cela fait, c’est semer le doute dans l’esprit du public et le dissuader d’utiliser un produit moins nocif. Les gens peuvent être induits en erreur par ce qu’ils voient dans la collectivité.

C’est ce genre de situations qui existaient avec la cigarette, à mes débuts dans le domaine. La cigarette était omniprésente. Les publicités vantant un mode de vie montraient des gens qui fumaient, et tout le monde fumait dans les ascenseurs, les épiceries et les avions. Il n’y avait aucune mise en garde sur les emballages. Vous n’avez pas à vous demander pourquoi 42 p. 100 des jeunes de 15 à 19 ans fumaient quotidiennement au début des années 1980. Le message qui était véhiculé dans l’environnement était que c’était sans danger.

Si le message qui est véhiculé dans ce contexte est qu’il n’y a aucune différence entre fumer et consommer un produit non combustible, nous induisons les gens en erreur. La conséquence logique de cela est que plus de gens vont fumer ce produit plutôt que le vapoter ou de le consommer d’une autre façon moins nocive.

Nous faisons face à ce genre de problèmes présentement avec la nicotine, et je crois que nous devons éviter que cela ne se reproduise avec le cannabis. L’un des problèmes est qu’il n’y a aucune réglementation — même si ce n’est pas légal pour l’instant — qui établit ce que nous devons faire, et ce que les gens qui vapotent déjà du cannabis doivent faire.

Mme Beck : Notre organisation est préoccupée par l’augmentation de l’exposition à la fumée secondaire, en particulier dans les complexes d’habitation. C’est un sujet qui a pris de plus en plus d’importance au cours des derniers mois. Les médias en parlent souvent.

Ici, en Ontario, le gouvernement a annoncé qu’il sera pratiquement interdit partout en public de consommer du cannabis, de le fumer ou de le vapoter. En conséquence, nous sommes très préoccupés du fait que les gens vont se réfugier à l’intérieur pour consommer, ce qui créera beaucoup de problèmes pour les gens qui n’ont pas accès à une cour ou à un balcon. Les gens vont consommer leur cannabis, probablement en le fumant, à l’intérieur de leur domicile. La principale raison pour laquelle le public communique avec l’Association pour les droits des non-fumeurs est l’exposition indésirable à de la fumée secondaire chez eux. À nouveau, ce problème nous ramène à la sensibilisation du public à propos des différentes options de consommation, par exemple vapoter ou fumer. Nous encourageons les gouvernements à déployer beaucoup d’efforts pour sensibiliser le public et à légaliser ces modes de consommation.

Bien sûr, le gouvernement ne peut pas réglementer ce qui se fait dans une résidence privée, mais les propriétaires et les conseils d’administration de condominiums et de coopératives d’habitation, et cetera, peuvent être sensibilisés afin d’éviter que les interdictions de fumer — qui sont de plus en plus répandues — ne s’appliquent à tous les produits sans discrimination. Une interdiction de fumer ne doit pas être aussi une interdiction de vapoter. Aucune étude scientifique ne permet de conclure que la vapeur — le produit en aérosol — peut voyager à travers les fissures, les ouvertures ou les systèmes d’aération. Rien ne justifie d’interdire le vapotage chez les gens.

La sénatrice Petitclerc : Madame Beck, j’ai essayé de trouver des données probantes, parce que je sais que nous en avons pour le tabac. Quels sont les véritables risques que pose la fumée secondaire du cannabis pour les autres personnes? Avons-nous des données concrètes à ce sujet? Est-ce que des études existent, ou est-ce trop tôt pour savoir ce genre de choses? À quel point cela est-il différent, si vous avez ce genre d’information?

Mme Beck : Puisque le cannabis est illégal et va continuer de l’être dans de nombreux pays du monde, nous ne disposons pas des mêmes genres de données solides que nous avons pour le tabac. Cependant, nous savons que la fumée du cannabis et la fumée du tabac comptent environ 33 substances toxiques similaires. Vous pouvez consulter la proposition 65 de l’État de la Californie; c’est une liste des substances carcinogènes connues et des produits chimiques pouvant causer des anomalies congénitales. L’une des mises en garde proposées par Santé Canada porte là-dessus. Les gens se trompent lorsqu’ils pensent : « Ah, le cannabis. C’est vert, c’est organique, c’est naturel. Il n’y a là-dedans aucun des produits chimiques que les méchantes entreprises du tabac mettent dans les cigarettes. » C’est absolument faux. Toutes ces substances néfastes sont produites par la combustion. Donc, nous avons encore beaucoup de travail à faire.

Je suis assez surprise de n’avoir encore rien vu de la part du gouvernement. Je suis allée sur son site web, et il y a là des renseignements, mais nous avons besoin des médias de masse et des médias sociaux. On aurait dû le faire il y a des mois, éduquer les gens, parce que l’exposition à n’importe quel type de fumée est nocive pour les poumons. C’est nocif pour le cœur. C’est nocif pour beaucoup de parties du corps.

Le sénateur Pratte : Dans votre déclaration, mesdames Beck et Tilson, vous avez dit qu’une approche de santé publique à l’égard de la réglementation du cannabis devrait consister à ne pas banaliser le fait de fumer. De nombreuses personnes croient que la légalisation va banaliser non seulement le fait de fumer de la marijuana, mais simplement la consommation de marijuana sous toutes ses formes, avec les risques pour la santé qui y sont associés. Je demanderais ceci aux groupes de témoins : qu’avez-vous à dire par rapport à cette préoccupation selon laquelle la légalisation va entraîner la banalisation de la consommation de marijuana?

Mme Beck : Nous sommes tout à fait préoccupés par une augmentation de la consommation, et je pense que cette préoccupation sera directement liée à la façon dont ces entreprises sont réglementées, en ce qui concerne ce qu’elles sont autorisées à faire en matière de publicité et de promotion et ce qui se retrouve sur l’emballage, et à la façon dont elles sont en mesure de communiquer leur image de marque aux consommateurs. Avec les produits comestibles et toutes les autres formes qui existent, je pense que nous allons assister à une augmentation. Donc, encore une fois, cela revient à la question de l’éducation du public, qui aurait dû commencer hier, au moyen des médias de masse et des médias sociaux, de toutes les façons possibles. Je vais donner la parole à ma collègue, qui pourra en dire davantage à ce sujet.

Mme Tilson : L’éducation du public, assurément, mais en ce qui concerne ce que les entreprises sont autorisées à faire… C’est pourquoi nous avons formulé un certain nombre de recommandations particulières relativement au resserrement de ce que les entreprises peuvent faire en matière de publicité et de promotion.

Cet après-midi, nous avons parlé un peu de l’expérience relative au contrôle du tabac au cours des 30 ou 40 dernières années, et une des choses les plus efficaces que le gouvernement a faites, c’est de vraiment de limiter la façon dont l’industrie a été en mesure de promouvoir le produit, non seulement au moyen de différents véhicules de commercialisation, mais aussi de l’emballage même, de l’image de marque. Même si le projet de loi nous aidera énormément à cet égard — il n’impose pas vraiment la banalisation des emballages, mais ce n’est pas loin — il doit tout de même y avoir des mesures de contrôle plus serrées par rapport à ce que les entreprises peuvent faire afin qu’on puisse réduire la mesure dans laquelle le cannabis est banalisé.

Il ne fait aucun doute que le public aura une perception différente lorsque le produit sera légal. La perception concernant la nocivité du produit sera influencée par son accessibilité, son coût et, encore une fois, la façon de commercialiser ces produits. C’est pourquoi je crois que le comité a un rôle très important à jouer.

M. Sweanor : Par rapport à la banalisation, soyons clairs. Dans une approche fondée sur le droit pénal, le fait de rendre les drogues illégales n’a pas très bien contribué à supprimer la banalisation. Nous avons une consommation de marijuana supérieure à celle du tabac chez les jeunes. Je pense que la culture contemporaine — nous avons tous grandi dans cette culture — joue un rôle énorme pour ce qui est de banaliser les drogues, mais le fait de considérer les drogues comme illicites les banalise probablement au sein des cercles de personnes qui sont susceptibles d’en consommer.

Un exemple intéressant est celui du Portugal, qui a adopté une approche de santé publique selon laquelle elles sont toutes légales. Si vous consommez une drogue, on pourrait vous envoyer consulter un psychiatre, mais vous ne serez pas jeté en prison. L’argument qu’on faisait valoir, c’est que si vous faites cela, tout le monde va consommer des drogues. En réalité, il semble que ce soit beaucoup moins de personnes qui en consomment. Vous nous voyez comme des jeunes de 17 ans. « Hé, j’ai de la marijuana. Veux-tu en fumer à l’heure du dîner? » Si les gens disent : « Tu pourrais aller en prison pour cela », nous sommes vraiment dans le coup. S’ils disent : « Tu pourrais devoir subir une évaluation psychiatrique pour cela », vous direz probablement non.

Nous devons examiner ce qui banalise ou non, dans les faits, une chose. Je pense qu’il est intéressant de constater que, à mesure que nous trouvons des produits de rechange, si nous banalisons les produits moins dangereux, comme on l’a vu dans divers marchés où il y a des solutions de rechange au tabagisme, nous finissons par avoir une consommation de cigarettes bien inférieure. C’est un peu comme dire à un adolescent : « Pourquoi n’utiliserais-tu pas ce téléphone à clapet plutôt qu’un téléphone intelligent? » Il n’y a aucun intérêt. À mesure que le vapotage a pris son envol dans divers marchés, nous avons vu diminuer très rapidement le tabagisme chez les jeunes.

Je pense que nous pouvons jouer divers rôles à cet égard et, certainement, par rapport à l’idée de l’information, mais si nous adoptons une approche où on rend une drogue illégale pendant que les gens écoutent de la musique contemporaine et entendent des commentaires au sujet de la consommation de drogues, nous allons perdre.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup d’être ici. J’aimerais adresser mes questions aux dames de l’Association pour les droits des non-fumeurs. Moi aussi, je me préoccupe au sujet de l’ambiguïté qu’il y a peut-être dans les lois, particulièrement si elles sont toutes différentes aux quatre coins du pays, parce qu’on devra s’en remettre à la compétence provinciale. Il s’agit des lois concernant la capacité d’un propriétaire d’expulser quelqu’un s’il fume, de l’en empêcher. Nous devons nous pencher sur ce qui se produit en ce moment dans une période de transition. Votre organisation travaille-t-elle sur un modèle qui pourrait être recommandé à l’ensemble des provinces, comme un type de contrat entre propriétaires et locataires qui indiquerait très clairement que le fait de fumer de la marijuana ou du tabac est autorisé ou non chez eux? C’est important. Il pourrait y avoir des propriétaires qui sont heureux que des gens fument dans leurs installations, et d’autres qui ne le veulent pas. La décision devrait revenir à l’investisseur dans l’immeuble. C’est le premier élément.

Voici la deuxième question à laquelle j’aimerais que vous répondiez : votre groupe serait-il en mesure de rassembler de l’information sur la façon de recommander à des syndicats de copropriétaires de partout au pays un type de règlement ayant force exécutoire qu’ils pourraient mettre en place? Je sais que c’est une question à laquelle de nombreux syndicats de copropriétaires n’ont tout simplement pas l’expertise pour s’attaquer, et j’ose espérer que vous l’examinerez.

Pourriez-vous vous exprimer sur ces deux possibilités qui s’offrent?

Mme Beck : Absolument. Comme je l’ai dit plus tôt, cela a été un enjeu énorme pour notre organisation. Nous avons, en réalité, un site web consacré, smokefreehousingon.ca, et c’est un site web sœur qui s’apparente à d’autres au Québec, en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique. Je pense que ça s’arrête là en ce moment.

Nous n’avons jamais préconisé une loi qui forcerait les propriétaires à interdire le fait de fumer. Nous avons toujours défendu un équilibre entre la demande et l’offre, et, en ce moment, la demande est terriblement inadéquate. Cependant, les propriétaires croient que c’est discriminatoire, illégal ou, en quelque sorte, inapplicable de proposer une politique sur l’interdiction de fumer.

Nous avons un modèle disponible sur notre site web. Il y a des modèles semblables sur le site web de nos collègues d’autres provinces, parce que les lois diffèrent légèrement, et aussi pour les syndicats de copropriétaires. On y trouve aussi des renseignements sur les droits de la personne. Nous avons commencé à parler davantage du cannabis dans ces sites. Un propriétaire peut tout à fait interdire aux locataires de fumer quoi que ce soit dans son immeuble, mais, encore une fois, nous prenons bien soin de faire la distinction entre le vapotage et le fait de fumer. Si les gens n’ont même pas le droit de vapoter dans leur propre maison, où vont-ils consommer ce qu’ils veulent consommer? Je pense que c’est une distinction importante à faire. Toutefois, il y a beaucoup de renseignements sur le site smokefreehousingon.ca.

Mme Tilson : C’est un enjeu qui, comme Pippa l’a mentionné, a été à l’avant-plan de notre mission pendant au moins 10 ans, et c’est l’enjeu qui a fait en sorte que le public a communiqué avec nous plus qu’avec toute autre entité. C’est, en grande partie, lié à la fumée de tabac, mais au cours des trois dernières années, les appels qu’on a reçus concernaient plus souvent l’exposition à la fumée secondaire du cannabis. Au cours des derniers mois, on a beaucoup vu dans les actualités des propriétaires qui s’inquiétaient du fait que des gens fumaient du cannabis dans leur complexe d’habitation, mais le grand enjeu demeure les gens qui fument du tabac dans des immeubles à logements multiples.

Comme Pippa l’a dit, il y a environ quatre provinces qui ont des ressources exhaustives. Ce n’est pas partout au pays, et Santé Canada pourrait jouer un rôle important pour aider d’autres provinces à obtenir les ressources nécessaires.

La sénatrice Raine : Seriez-vous d’accord pour distinguer la fumée du vapotage? Si je sors de chez moi et qu’il y a trois ou quatre personnes qui vapotent et que j’inhale la vapeur, est-ce que c’est nocif pour moi?

M. Sweanor : Ce n’est rien par rapport à ce que vous inhaleriez d’une chandelle sur votre table au restaurant. De très bonnes évaluations ont été faites à cet égard, et même si nous trouvons des produits chimiques dans le vapotage, leur niveau est très faible par rapport à celui des cigarettes. Igor Burstyn, un Canadien de l’Université Drexel, a publié de nombreux articles sur ce sujet. Il y a de bons renseignements provenant de sources de santé publique au Royaume-Uni. Rien n’est sans risque, mais le risque lié à l’exposition secondaire au vapotage est très faible par rapport au risque associé aux produits de combustion.

Mme Beck : On a entendu un si grand nombre de messages contradictoires qui prêtaient à confusion dans les médias. En ce moment, en ce qui concerne le vapotage et les aérosols, nous n’avons pas de méthodes d’études normalisées, donc certains scientifiques utilisent des machines, et d’autres, des humains. Les machines surchauffent parfois et créent toutes ces toxines qui ne seraient jamais tolérées par les humains, et puis on annonce qu’il existe des niveaux extrêmement élevés de formaldéhyde dans les aérosols et que cela sera super mauvais pour tout le monde. Malheureusement, nous savons que le vapotage est beaucoup moins nocif que le fait de fumer, mais nous devons travailler avec tout le bruit qui est fait, et nous avons des partis pris en matière de normalisation et de méthodologie qui doivent être éliminés pour que nous puissions obtenir de meilleures données, parce qu’en ce moment, c’est assez trompeur. Cependant, comme l’a dit David, c’est beaucoup moins nocif que l’exposition à la fumée secondaire.

La sénatrice Omidvar : Maître Sweanor, vous avez dit, presque en passant, je pense, que le projet de loi C-45 contrevient aux droits garantis par la Charte. Pourriez-vous expliquer davantage cette affirmation?

M. Sweanor : Bien sûr. Si nous examinons les enjeux qui consistent à pouvoir vapoter pour obtenir le produit et que le projet de loi ne le permet pas, cela ouvre seulement la voie à une route plus dangereuse. Si nous regardons le jugement InSite rendu par notre cour suprême qui parle de la consommation de drogues injectables et dit que quelqu’un qui consomme une drogue est considéré comme ayant une maladie, une accoutumance ou une dépendance, et si on force cette personne à l’obtenir d’une façon qui est plus dangereuse, alors il s’agit d’une violation de ses droits au titre de l’article 7, tout comme dans l’affaire R. c. Smith sur la marijuana. J’en parle, mais nous avons eu une panne d’électricité dans le Glebe aujourd’hui, donc je n’ai pas été en mesure de trouver toutes les choses que j’aurais autrement fait valoir; alors je vais y aller de mémoire. Je reviens d’Europe, et nous verrons donc à quel point je suis en décalage horaire. C’était l’affaire R. c. Smith sur la marijuana, la capacité de consommer quelque chose comme un produit comestible, plutôt que de le fumer, et, encore une fois, le droit à la vie.

Je pense que nous avons également l’enjeu des paroles véritables. Qu’allons-nous autoriser les gens à dire? C’est très difficile lorsque vous rendez un système illégal. Ce sont les mêmes problèmes que ceux que vous avez eus avec le projet de loi S-5, qui concernent le vapotage et les produits de substitution au tabac. Le gouvernement est sur le point de faire en sorte qu’il soit illégal pour une entreprise de fournir des renseignements véridiques au sujet de la différence dans les risques entre les produits de tabac. Je ne crois pas qu’il y ait de question. C’est une violation de la Charte. Peu importe ce qu’une personne peut penser au sujet du projet de loi, cela ne sert à personne s’il se fait simplement invalidé.

Je pense que nous devons faire attention à ces choses. Je suis étonné par la tendance où l’on propose un projet de loi qui, à mon avis, est inconstitutionnel.

La sénatrice Omidvar : Ma prochaine question s’adresse à Mme Beck. Je suis curieuse et je n’ai pas réussi à trouver la bonne réponse en ligne : lorsque vous vapotez du cannabis, l’odeur est-elle réduite ou s’évapore-t-elle?

Mme Beck : Je ne sais pas si je peux répondre à cette question.

M. Sweanor : Vous pouvez vapoter un produit d’une façon qui empêchera toute personne de dire que vous le faites. Si vous parlez à des vapoteurs d’expérience, ils vous montreront comment faire. L’odeur s’en va très rapidement, et cela fait partie de la raison pour laquelle les gens qui disent qu’il y a aura une interdiction pour quiconque vapote dans son propre domicile… Vous ne pouvez non seulement trouver de fondement en matière de santé pour le faire, mais il n’y a pas de réelle façon de l’appliquer, autrement que d’installer des caméras de télévision en circuit fermé chez tout le monde et de surveiller. Vous pouvez vapoter pour qu’il n’y ait pas d’odeur et pas de risque non plus. C’est pourquoi les gens vapotent dans les avions. Ils apprennent comment vapoter sans que quiconque sache qu’ils le font.

De nouveaux produits sont en train de sortir. La technologie change. Si nous jetons un coup d’œil au livre Innovation and Its Enemies, de Calestous Juma, la nouvelle technologie essuie constamment une opposition, comme nous le voyons avec le vapotage et comme nous l’avons vu avec la réfrigération, les presses d’imprimerie, la mécanisation agricole et tout le reste. Une des réponses qu’on entend lorsqu’une personne dit : « Il y a quelque chose que je n’aime pas là-dedans », c’est « Attendez deux ans. »

Nous avons ici des marchés énormes. Comme je le dis, nous avons au Canada des entreprises évaluées collectivement à des dizaines de milliards de dollars. C’est un marché énorme pour des formes plus sécuritaires de libération de THC, tout comme il y a un marché absolument gigantesque pour des façons plus sécuritaires d’obtenir de la nicotine pour des gens qui fument la cigarette. Nous permettons à l’innovation de fonctionner et nous l’encourageons à avancer dans une certaine direction. Nous reproduisons ce que nous avons vu avec la loi de 1906 sur la pureté des produits alimentaires aux États-Unis. Elle a révolutionné le secteur alimentaire en fournissant des incitatifs à fabriquer des produits moins dangereux. En 1938, tandis que la FDA a adopté des produits pharmaceutiques fondés sur la science, en 12 ans, 90 p. 100 de tous les produits pharmaceutiques vendus aux États-Unis étaient des produits qui n’existaient pas avant l’entrée en vigueur de la loi.

Je pense que nous avons la capacité de la façonner, et cela revient au rôle que la politique joue en disant : où voulons-nous aller en tant que pays? Que pouvons-nous faire pour rendre le monde meilleur et quel est votre rôle pour ce qui est de faire avancer les lois qui rendent cela possible, qui s’emparent des forces du marché et facilitent les changements que nous souhaitons voir apporter? Nous l’avons fait de si nombreuses fois. Nous avons réduit le taux de décès liés aux accidents de la route de 80 p. 100 depuis mon adolescence. Ce n’était pas une coïncidence. C’est lié aux politiques. Nous avons grandement réduit la fumée de cigarette. C’était aussi lié aux politiques. Nous avons cessé d’essayer de réduire le tabagisme. C’était une mauvaise politique. Nous pouvons faire ces choses, et il s’agit de savoir quel genre d’incitatifs nous souhaitons utiliser. Quel pouvoir avez-vous en tant que législateurs?

Le sénateur Munson : Merci d’être ici. Lorsque j’étais reporter en Chine, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, nous avons parlé des processus de commercialisation. Lorsqu’ici, on vivait les affres liées à l’interdiction de fumer dans les restaurants, en Chine, on faisait la promotion de nouvelles cigarettes appelées « longévité ». J’ai fait un reportage là-dessus : les cigarettes « longévité ». J’y pensais justement. Dans une des histoires, il y avait une phrase où je disais que, au Canada, c’est illégal de ne pas fumer dans les restaurants en Chine. Pourquoi attendre? C’était quelque chose à voir. C’est encore le cas.

Par rapport à votre discussion concernant les 37 milliards de dollars et les marchés boursiers, il semble y avoir beaucoup de conversations au sujet du fait que les entreprises et beaucoup de personnes vont s’enrichir, et beaucoup de personnes qui sont associées à des gouvernements et à des forces policières sont maintenant des actionnaires, et ainsi de suite. Cependant, je n’entends pas beaucoup parler des gouvernements et de leur nouvelle assiette fiscale. Je pense que les gouvernements sentent qu’ils vont s’enrichir en fonction de ce qui s’en vient, que ce soit dans un an, six mois ou quoi que ce soit d’autre. Que pensez-vous du fait d’utiliser cet argent supplémentaire que le gouvernement va tirer des ventes de cannabis? Devrait-on l’affecter et l’utiliser pour des programmes de santé et d’éducation? Je sais qu’il s’agit d’une certaine forme d’impasse, mais je n’ai pas entendu beaucoup de témoins parler de cette question.

M. Sweanor : C’est un de mes sujets favoris. Les gouvernements sont un problème. Nous pouvons utiliser l’Ontario comme exemple. Nous avons eu la régie des alcools, qui est censée réduire la consommation d’alcool. Elle ouvre maintenant plus de magasins, offre des rabais en libre-service et donne des Air Miles. Le gouvernement fait 3 milliards de dollars par année sur l’alcool en Ontario et ne met pratiquement aucune partie de cet argent dans des programmes de traitement. Il ne fournit pas aux gens des renseignements adéquats.

Comme j’ai participé à la poursuite contre des entreprises de tabac relativement à leur comportement, je pense que le gouvernement de l’Ontario, par rapport à la question de l’alcool, des loteries, des casinos et des cigarettes, essaie d’empêcher des gens d’adopter des solutions de rechange, et c’est un problème. Nous devons reconnaître que les gouvernements peuvent devenir dépendants aux revenus. Il y a de l’inertie. Je suis très préoccupé par rapport à ce qui va se passer, lorsque nous avons des gouvernements comme l’Ontario qui disent vouloir diriger le commerce de détail.

Je pense qu’on devrait les tenir responsables. Lorsque des gouvernements prennent l’argent des personnes les plus désavantagées de notre société, ils ont l’obligation éthique de rendre cet argent. Il doit y avoir une certaine façon de les tenir responsables, s’ils prennent l’argent des personnes qui sont dépendantes — et je recommande fortement la lecture d’Addiction by Design au sujet des terminaux de loterie vidéo et de garder à l’esprit qui dirige ces choses — si on rend les gens dépendants, qu’on prend leur argent et l’argent des personnes désavantagées et à faible revenu et de celles qui ont, dans de nombreux cas, des problèmes psychiatriques. Ce ne sont pas des revenus généraux. Vous devez trouver une façon de rendre cet argent, et je pense que nous devrions effectivement accorder beaucoup plus d’attention à cela et au fait de savoir où va l’argent. Ce n’est pas une vache à lait. Cela devrait être une approche de santé publique. Qu’allons-nous faire pour rendre la société meilleure? À ce jour, nous ne faisons rien.

Mme Tilson : Nous sommes entièrement d’accord pour dire qu’un élément clé de l’approche de santé publique est d’assurer la fourniture d’information publique adéquate ainsi qu’une surveillance et des recherches adéquates. Il y aura assez d’argent dans le système grâce à cette nouvelle source de revenus lorsque le produit deviendra légal. Il incombe au gouvernement d’affecter une partie des nouveaux revenus à l’éducation du public.

La sénatrice Bernard : Merci de votre témoignage ce soir. Une de mes questions a déjà été posée. Celle-ci est pour vous, maître Sweanor. Nous avons beaucoup entendu parler de la surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans les prisons en raison de la consommation de cannabis et de la criminalisation. Cela veut-t-il dire qu’il y a une prévalence supérieure de consommation parmi ces populations? Vous pourriez également inclure là-dedans les pauvres et d’autres personnes désavantagées. Si oui, comment l’approche de santé publique pourrait-elle réagir à cette situation ou la corriger?

M. Sweanor : Bien sûr. Il y a divers livres que je recommande vraiment à ce sujet, dont Chasing the Scream de Hari, mais il y en a plusieurs autres, et je serais ravi de faire un suivi auprès de quiconque a un intérêt.

Dans de nombreux cas, nous ne voyons aucune différence dans la consommation de drogues au sein de communautés différentes. Les États-Unis sont un très bon exemple. Si vous êtes Noir ou hispanophone, vous êtes plus susceptibles de vous retrouver en prison parce que vous consommez ces drogues. J’ai rendu visite à des personnes dans des prisons américaines. Il est reconnu que c’est une approche raciste. C’est une des préoccupations que j’ai lorsque vous exercez votre pouvoir discrétionnaire. Vous ou moi pourrions faire des choses dont un policier se moquerait, mais qu’arrive-t-il si vous êtes une personne racialisée, considérée comme arrogante et que la police ne vous aime pas pour quelque raison que ce soit? C’est pourquoi je n’aime pas l’approche fondée sur le droit pénal. Si nous achetons chacun 25 grammes et que vous apportez les miens pour moi à la fête, parce que je veux m’arrêter à la quincaillerie, l’agent de police s’en moque-t-il ou vous accuse-t-il et vous envoie-t-il en prison pour cinq ans? Si une personne de 18 ans passe un joint à une personne de 17 ans et 11 mois dans une fête de l’école secondaire, pourrait-elle être traitée différemment, selon la façon dont le policier la voit?

Selon l’approche de santé publique, il y a parfois des taux de consommation différents et il y a des raisons à cela. Les gens consomment des drogues pour des raisons différentes, comme le divertissement. Nous cherchons à modifier la conscience, que ce soit en joggant ou en regardant un coucher de soleil, ou encore en nous enfonçant une aiguille dans le bras. En tant qu’espèce, nous cherchons à modifier la conscience. Nous le faisons pour des raisons variées. Parfois, c’est par pur divertissement, et parfois, pour oublier. Il y a des raisons différentes pour lesquelles les gens consomment de la drogue. Le fait de traiter cela comme un enjeu de droit pénal plutôt que comme un enjeu de santé publique est atroce. Nous voyons d’énormes problèmes associés à cela.

Prenez quelqu’un qui consomme une drogue pour oublier parce que, comme Gabor Maté l’écrit dans In the Realm of Hungry Ghosts au sujet du quartier est du centre-ville de Vancouver, les consommateurs de drogues injectables sont en grande partie des personnes qui ont été agressées durant l’enfance. Elles recherchent l’oubli, et pourtant, nous les jetons en prison.

Mme Beck : Nous savons que les taux de tabagisme parmi les populations autochtones sont beaucoup supérieurs au taux moyen. Le taux moyen est de moins de 20 p. 100. Dans de nombreuses collectivités autochtones, il est de plus de 60 p. 100. On doit s’intéresser davantage au travail politique qui est fait dans ces collectivités autochtones et affecter à celles-ci les ressources adéquates pour qu’elles puissent mettre en place le même type de politiques sans fumée et le même type de politiques d’imposition, le même type de politiques qui sauvent des vies que celles que nous avons parmi la population générale.

Nous voyons les débuts de l’autonomie gouvernementale en ce qui concerne le contrôle du tabac, et j’ose espérer que nous pourrions concentrer les ressources pour faire mettre en place non seulement des politiques sur le cannabis, mais aussi des politiques sur le tabac dans les collectivités autochtones. Le taux de tabagisme est supérieur, et je pense qu’il y a une corrélation entre le fait de fumer du cannabis et le fait de fumer du tabac. Je crains que nous ne commencions à voir une augmentation des taux de consommation de cannabis dans les collectivités des Premières Nations également.

La sénatrice Unger : Merci de vos exposés. Vous semblez préconiser de façon unanime le vapotage par rapport au tabagisme. Lorsque vous fumez une cigarette, vous agressez vos poumons. Quel est le rapport entre une cigarette de tabac et une cigarette de marijuana? Le savez-vous?

M. Sweanor : En ce qui concerne le risque relatif?

La sénatrice Unger : Oui.

M. Sweanor : Il y a des estimations diverses à ce sujet. Celles que je juge les plus crédibles, compte tenu de la tendance à retenir plus longtemps la fumée de marijuana dans les poumons, sont probablement de trois pour un. La différence, c’est que les gens ne fument pas 20 joints de marijuana par jour, donc le risque global de la marijuana pour la santé est moindre que celui des cigarettes de tabac, tout simplement en raison de la consommation moins fréquente.

La sénatrice Unger : Vous ne pensez donc pas qu’un soit plus toxique que l’autre?

M. Sweanor : Je pense que, dans les mêmes proportions, la marijuana sera plus toxique, simplement parce qu’on la retient plus longtemps. Si nous nous assoyons devant un feu de camp, que la fumée vient vers vous, que vous l’aspirez dans vos poumons et voyez combien de temps vous pouvez la retenir, cela sera plus dangereux que d’essayer de l’éviter.

Mme Beck : Mon collègue a dit que les gens ne fument pas 20 cigarettes de cannabis par jour, mais si on ne s’attache pas attentivement à limiter la publicité et la promotion, nous commencerons à voir des changements dans les tendances de consommation et plus de dommages liés au cœur et aux poumons et à toutes les parties de l’organisme pour lesquelles le tabac est néfaste.

Pour revenir à l’importance de la sensibilisation du public et de la limitation des capacités publicitaires et promotionnelles des entreprises à l’égard de leurs produits, cela va accroître l’acceptabilité sociale du cannabis.

Le président : Je veux remercier Me Sweanor, Pippa Beck et Melodie Tilson d’avoir été des nôtres aujourd’hui et de nous avoir présenté leurs réflexions au sujet du projet de loi C-45 et de la direction dans laquelle nous allons avec ce texte de loi.

Nous allons maintenant accueillir notre troisième groupe de témoins de la journée afin de continuer à étudier les effets sur la santé du projet de loi C-45, la loi proposée concernant le cannabis. Je suis très heureux de souhaiter la bienvenue à deux personnes très distinguées qui vont discuter avec nous. Par vidéoconférence, nous accueillons le Dr Meldon Kahan, directeur médical, Service de toxicomanie, Women’s College Hospital — mon hôpital préféré; c’est là que je suis né —, qui fait partie du Département de médecine familiale de l’Université de Toronto. Nous accueillons la Dre Sharon Levy, ici présente, directrice médicale, Programme d’intervention pour adolescents toxicomanes, Boston Children’s Hospital. Elle est également professeure agrégée de pédiatrie à l’École de médecine de l’Université Harvard. Bienvenue à vous deux.

Je vais commencer par la Dre Levy. Je vous demanderais à tous les deux de nous faire une déclaration préliminaire d’environ sept minutes, puis nous procéderons à la période de questions des membres du comité. Docteure Levy.

Dre Sharon Levy, directrice médicale, Programme d’intervention pour adolescents toxicomanes, Boston Children’s Hospital; professeure agrégée de pédiatrie, École de médecine de l’Université Harvard, à titre personnel : Merci de me donner la possibilité de formuler des commentaires sur le projet de loi C-45.

À titre de pédiatre du développement et du comportement, de spécialiste en médecine des toxicomanies et de chercheuse dans le domaine de la consommation de substances chez les adolescents, je suis profondément préoccupée au sujet des conséquences potentielles du projet de loi sur la santé des enfants et des adolescents. J’ai été présidente du Comité sur la consommation de substances et la prévention de l’American Academy of Pediatrics, et je suis directrice du Programme d’intervention pour les adolescents toxicomanes au Boston Children’s Hospital depuis sa création en 2000. Au cours des 18 dernières années, j’ai évalué et traité des milliers d’adolescents présentant d’importants troubles de consommation. J’ai personnellement été témoin des ravages causés par la dépendance dans la vie de ces jeunes et dans celle d’innombrables amis, parents et frères et sœurs. En puisant dans mon expérience de chercheuse et de clinicienne, je voudrais formuler trois suggestions concernant le projet de loi C-45.

Premièrement, préparez les effectifs de la santé en ajoutant la médecine des toxicomanies et, plus particulièrement, la médecine des toxicomanies pédiatriques à la Liste des spécialités en demande au Canada. En conséquence de la légalisation du cannabis, il y aura inévitablement plus de jeunes qui présenteront des troubles liés à la consommation de cette substance, ce qui entraînera un besoin toujours croissant de fournisseurs de soins de santé spécialisés dans la dépendance chez les jeunes. La médecine des toxicomanies est nouvellement reconnue par l’American Board of Medical Specialties, et je suis heureuse de déclarer que le premier médecin à suivre une formation spécialisée en médecine des toxicomanies pédiatriques en Amérique du Nord est un Canadien qui est actuellement en stage au Boston Children’s Hospital. Toutefois, la médecine des toxicomanies ne figure actuellement pas sur la Liste des spécialités en demande, ce qui crée des obstacles pour les médecins canadiens. Son ajout contribuerait à permettre aux médecins d’acquérir l’expertise nécessaire dans le traitement des troubles de la toxicomanie et de se préparer à diriger le domaine dans l’avenir.

Deuxièmement, resserrez la définition du terme « cannabis » prévue dans la loi. Le projet de loi C-45 définit ce terme ainsi : « Plante de cannabis et toute chose visée à l’annexe 1. Sont exclues de la présente définition les choses visées à l’annexe 2. » Cette définition est trop vaste. Les efforts déployés dans le but de légaliser la marijuana ont modifié notre langage, de sorte que le mot « cannabis » peut maintenant être utilisé pour désigner tout produit qui contient des cannabinoïdes, des tiges et des feuilles d’un plant de cannabis sativa — la signification initiale du terme — aux huiles concentrées se trouvant dans les bonbons au cannabis. Il faut remédier à cette faille, car les innovations au chapitre des produits à base de cannabis posent d’importants risques pour la santé publique, et les adolescents en particulier sont plus susceptibles de rechercher la nouveauté et de faire l’essai de nouveaux produits.

Troisièmement, faites passer l’âge minimal pour l’achat de cannabis à 21 ans. Les âges limites peuvent être efficaces pour ce qui est de réduire la consommation de substances chez les jeunes. Le développement du cerveau se poursuit jusqu’au milieu de la vingtaine. Non seulement l’établissement de l’âge minimal à 21 ans dans la loi fédérale repoussera l’âge auquel les jeunes commencent à consommer du cannabis, mais la norme uniforme facilitera également l’application de la loi.

À l’appui de ces recommandations, je ferai les observations suivantes fondées sur mes années de pratique et de recherche cliniques.

Le cannabis est une drogue qui crée une dépendance et qui est particulièrement préjudiciable pour le cerveau en développement des adolescents. Ceux qui en consomment obtiennent des résultats relatifs à la qualité de vie médiocres selon un certain nombre de mesures. Ils présentent davantage de troubles de la santé mentale, notamment la dépression, l’anxiété et des troubles de la pensée comme la schizophrénie. Dans l’ensemble, ils atteignent un niveau de scolarité moindre et sont plus susceptibles d’être sans emploi ou sous-employés que leurs pairs.

En tant que directrice d’un programme d’intervention pour adolescents toxicomanes destiné aux jeunes âgés de 12 à 24 ans, je travaille régulièrement auprès d’enfants et de jeunes adultes qui consomment du cannabis. De fait, plus de 90 p. 100 de mes patients présentent un trouble lié à la consommation de cette substance. Presque tous mes patients qui reçoivent un traitement pour la dépendance aux opioïdes ont commencé par le cannabis, et la plupart continuent à en consommer de façon importante. J’ai traité un certain nombre d’adolescents consommateurs de cannabis que j’ai vus de mes propres yeux devenir schizophrènes. Je ne sais pas ce qui leur serait arrivé s’ils n’avaient pas consommé de cannabis, mais les statistiques m’amènent toujours à me demander si leur vie aurait pu être différente sans ce facteur de risque entièrement évitable.

Même si les troubles carrément psychotiques sont peu fréquents, les symptômes psychotiques sont sous-reconnus. Dans une étude récente menée auprès d’adolescents en santé à notre hôpital, nous avons découvert que plus d’un consommateur de cannabis sur quatre déclarait avoir eu au moins une hallucination et que près d’un sur trois affirmait ressentir de la paranoïa relativement à leur consommation. Dans l’ensemble, plus de 40 p. 100 de ces adolescents en santé présentaient au moins un symptôme d’un trouble de santé mentale.

Les adolescents sont plus nombreux à consommer du cannabis lorsqu’il est légal. Au Colorado, le nombre d’adolescents consommateurs de cannabis a augmenté de 20 p. 100 durant les deux années qui ont suivi immédiatement la légalisation, alors qu’il a diminué de 4 p.100 à l’échelle nationale. Comme pédiatre et, j’ajouterais, mère de deux adolescents, cette conclusion ne me surprend pas. La vente de cannabis au détail banalise la consommation. Si cette substance est présentée comme bénigne, inoffensive ou même saine, les adolescents sont plus nombreux à en faire l’essai et à en consommer en grande quantité.

En tant que directrice du programme de formation du Pediatric Addiction Medicine Fellowship, à Boston, j’ai l’impression que le système de santé du Canada — comme celui des États-Unis — n’est pas adéquatement préparé à offrir un traitement approprié aux adolescents qui développent des troubles liés à la consommation de cannabis. Ce problème deviendra bien pire après que la vente légale de cannabis aura commencé.

Au cours de ma carrière, j’ai observé une évolution dans la présentation de la consommation de cannabis chez mes patients adolescents, laquelle correspond aux changements dans les types de produits à base de cannabis offerts et dans leur puissance. Les plants ont fait l’objet d’une reproduction sélective visant à accroître leur teneur en THC, et des produits comestibles et des huiles hautement concentrées — qui n’étaient pas offertes il y a 20 ans et, en passant, n’ont rien à voir avec la matière végétale qui viendrait à l’esprit des parents lorsqu’ils entendent le mot « cannabis » — sont maintenant utilisés couramment par les adolescents. Compte tenu de ces changements, je vois en consultation un plus grand nombre d’adolescents présentant des symptômes d’un trouble de santé mentale et davantage de vomissements chroniques. Quand j’ai commencé à exercer, il y a des années, on pouvait lire au sujet du syndrome d’hyperémèse dans les manuels. Maintenant, j’en vois souvent des cas.

Ces changements sont le résultat direct des politiques permissives en matière de cannabis aux États-Unis et du fait qu’on a permis à l’industrie d’expérimenter et de créer des produits qui se vendent mieux, lesquels créent habituellement plus de dépendance et sont plus dommageables. L’offre de produits nouveaux et améliorés est une technique de marketing éprouvée qui encourage les utilisateurs expérimentés et débutants à acheter plus de produits. Toutefois, dans le cas de substances créant une dépendance, comme le cannabis, elle est préjudiciable, et ce sont les adolescents qui en paient le plus le prix. On a désespérément besoin de nouvelles approches réglementaires en matière de substances toxicomanogènes qui limitent l’élaboration de tels produits.

Le projet de loi C-45 interdirait la vente de cannabis aux adolescents et aux jeunes adultes âgés de moins de 18 ans, ainsi que toute activité promotionnelle s’adressant à eux, mais cette approche a échoué par le passé. Les restrictions en matière de marketing sont d’une utilité limitée vu les profits substantiels possibles. Même s’il est illégal pour les sociétés productrices de tabac de faire la promotion de cigarettes auprès de jeunes âgés de moins de 18 ans, l’histoire bien connue de Joe Camel est un bon exemple de la mesure dans laquelle la publicité peut être pernicieuse.

L’augmentation de l’âge limite et l’imposition de limites strictes quant à l’élaboration de produits font partie des meilleurs moyens de protéger les enfants contre l’industrialisation du cannabis.

Merci de votre temps et de l’attention que vous prêtez à ces enjeux importants. Je serais heureuse de fournir plus de renseignements sur les conséquences de la marijuana sur les adolescents, et la meilleure façon de me joindre est par courriel.

Le président : Merci beaucoup, docteure Levy.

Dr Meldon Kahan, directeur médical, Service de toxicomanie, Women’s College Hospital, Département de médecine familiale, Université de Toronto, à titre personnel : C’est un honneur et un privilège que de comparaître devant le comité sénatorial, et je veux remercier la Dre Levy d’avoir présenté un excellent exposé qui correspond au message que je veux envoyer.

J’exerce la médecine des toxicomanies à Toronto depuis 34 ans. Je participe activement à l’éducation en matière de politiques et de médecine. Un grand nombre de mes collègues et moi-même sommes gravement préoccupés au sujet des conséquences du projet de loi sur la santé publique. Je résumerai brièvement ces préoccupations et proposerai des solutions.

La grande préoccupation concerne la possibilité que le taux de consommation de cannabis augmente à la fois chez les personnes âgées de 18 ans et plus et chez celles qui sont âgées de moins de 18 ans. Comme l’a dit la Dre Levy, après la légalisation, le cannabis sera facile à obtenir : il suffira de se rendre dans un magasin. Il sera peu coûteux; il semblerait qu’il ne se vendra qu’à 10 $ le gramme. Il sera socialement acceptable, et les jeunes pourront en consommer, on le suppose, dans le sous-sol de leurs parents, et le public aura l’impression que ce n’est pas dangereux. Ce sont toutes les conséquences de la légalisation.

Les personnes âgées de 18 ans et plus, pour qui ce sera légal, ne seront pas les seuls à consommer davantage de cannabis; son utilisation augmentera également chez les mineurs. Des jeunes âgés de 18 ans en vendront à d’autres qui sont âgés de 17 ans. Pourquoi un jeune de 17 ans ne voudrait-il pas en acheter d’un ami plus âgé quand il obtiendra un produit légal et pur dont il connaît la puissance? Les revendeurs de cannabis cultivé de façon illicite baisseront leur prix afin de faire concurrence au marché du cannabis légal. Autrement dit, les marchés légal et noir se nourriront l’un de l’autre, tout comme dans le cas des opiacés, où des produits légaux se mêlent à des produits illégaux.

En Californie, la preuve est faite. Dans le cas des jeunes qui s’inscrivent à un programme de traitement de la dépendance au cannabis, la principale source de leur marijuana, ce sont des titulaires d’une carte permettant d’acheter de la marijuana thérapeutique. Autrement dit, ils en achètent auprès de personnes qui se la procurent légalement.

Ce phénomène est bien connu au Colorado. Un sondage a été mené dans cet État auprès de plus de 5 000 étudiants de niveau collégial. De ceux qui étaient âgés de plus de 21 ans, 40 p. 100 ont déclaré avoir consommé du cannabis dans l’année précédant la légalisation. Après la légalisation, 61 p. 100 du même groupe ont déclaré en avoir consommé; il s’agit d’une augmentation de 21 p. 100. Toutefois, on a également observé une augmentation importante chez les jeunes âgés de moins de 21 ans, qui est l’âge légal au Canada. La proportion est passée de 45 à 53 p. 100, ce qui montre que, malgré l’établissement d’un âge limite, la légalisation fait augmenter la consommation, même chez les jeunes qui n’ont pas l’âge légal.

Parmi les personnes qui en consommeront légalement, un grand nombre ne subiront aucun préjudice, mais il ne fait aucun doute que le taux de préjudices causés par le cannabis va augmenter. Cela a été le cas de toutes les substances : l’alcool, les opiacés et le tabac. Lorsque la consommation augmente au sein de la population, les préjudices augmentent également. Cela a également été le cas au Colorado, où le nombre de visites au service des urgences d’adolescents n’ayant pas l’âge légal de consommer en raison de préjudices liés au cannabis est passé de 1,8 par millier de visites avant la légalisation à 4,9 par millier de visites après la légalisation.

Alors, quelles sont les suggestions pour changer la situation? Je crois vraiment — tout comme un grand nombre de mes pairs — que la limite légale devrait passer de 18 à 25 ans. Il s’agit d’un âge auquel il a été démontré que le cerveau a atteint sa pleine maturité et après lequel le cannabis semble causer un peu moins de dommages. Cette augmentation de l’âge rendra la tâche plus difficile aux jeunes qui veulent consommer du cannabis. Dans le groupe des 18 à 25 ans, ça ne sera pas légal, et les jeunes de 16 à 17 ans ne pourront pas acheter de cannabis auprès de leurs amis qui en ont acheté légalement dans un magasin, et le marché noir n’aura pas à livrer concurrence au marché légal et à abaisser ses prix. Je pense que nous devons nous rendre compte du fait que le projet de loi ne nous débarrassera en aucune manière du marché noir. S’il a un quelconque effet sur ce marché, ce sera d’en accroître l’importance, et c’est parce que le cannabis est vraiment facile à faire pousser et à cultiver. Il ne requiert aucune machinerie complexe ni quoi que ce soit de ce genre. Si nous fixons l’âge limite à 25 ans, cela enverra aux jeunes un puissant message de santé publique selon lequel la consommation de cannabis est dangereuse et devrait être évitée.

Je propose également que des limites soient fixées en ce qui concerne la quantité de cannabis et sa puissance. Les dommages causés par le cannabis sont liés au pourcentage de THC qu’il contient ainsi que la quantité consommée. Dans sa forme actuelle, le projet de loi permet l’achat d’une quantité allant jusqu’à 30 grammes par transaction et n’impose aucune limite quant à la puissance, alors les entreprises cultivent des plants qui contiennent 25 p. 100 ou plus de THC. Comme la Dre Levy y a fait allusion, dans les années 1960, les concentrations de THC dans le cannabis oscillaient autour de 3 p. 100. Il est question non pas d’une plante inoffensive, mais d’une drogue, et nous savons que les dommages causés par le cannabis sont intimement liés au pourcentage de THC en ce qui concerne l’affaiblissement des capacités cognitives et motrices, l’altération de la perception et le risque de dépendance et de maladie psychiatrique.

Nous suggérons que des limites soient imposées relativement au cannabis, peut-être un maximum de 15 grammes par achat et de 15 p. 100 en ce qui concerne la concentration de THC, ou peut-être même un coût plus élevé pour une plus forte teneur en THC comme nous le faisons dans le cas de l’alcool. C’est-à-dire qu’une bouteille de whisky coûte beaucoup plus cher qu’une bouteille de bière.

Enfin, ce pourrait sembler paradoxal, mais les sanctions prévues dans le projet de loi C-45 pour la vente de cannabis sont très dures et semblent aller à l’encontre du but global du projet de loi, qui est d’éviter que les jeunes soient criminalisés et que la vie des gens soit ruinée. Dans le projet de loi, il est question de mettre des gens en prison pour une période allant jusqu’à trois ans pour avoir vendu ce qui est essentiellement un produit légal. Ces dispositions ne sont vraiment pas logiques; elles semblent injustes, détruiront la vie de jeunes et iront à l’encontre du but recherché par le projet de loi.

En résumé, nous pensons que le projet de loi causera d’importants préjudices pour la santé publique. Il fera augmenter la consommation de cannabis et les dommages causés par cette substance, et ces dommages pourraient être atténués par l’augmentation de l’âge légal d’achat, par la limitation de la quantité de produit acheté et de sa puissance et par la réduction des sanctions imposées pour la vente de cannabis.

Merci beaucoup.

Le président : Merci à vous deux.

La sénatrice Petitclerc : Merci à vous deux de vos exposés et de vos connaissances. Je veux revenir en arrière. J’aimerais en entendre un peu plus au sujet de l’âge limite que vous avez mentionné, car vous avez tous deux affirmé que 18 ans n’est pas l’âge que vous suggéreriez, alors que c’est celui qui est proposé dans le projet de loi. Nous avons entendu de nombreux témoins affirmer que tout le monde s’entend sur le fait que le cerveau est vulnérable jusqu’à 24 ou 25 ans et que 18 ans est l’âge qui, si je puis dire, est logique « d’un point de vue logistique », car il correspond à l’âge adulte pour de nombreuses raisons. Nous avons vu de nombreuses associations et organisations médicales appuyer l’âge de 18 ou 19 ans et lu leurs documents à ce sujet; pourtant, vous êtes en faveur d’un âge minimal de 21 ans, voire de 25 ans.

Tout d’abord, que dites-vous aux personnes qui affirment que cet âge doit correspondre à l’âge adulte légal permettant d’acheter de l’alcool ou d’autres choses et aux autres qui affirment que les jeunes de plus de 18 ans se procureront des produits non réglementés illicites si c’est l’âge que nous choisissons? Quelle est l’importance de cet âge limite plus élevé, selon votre avis médical?

Dre Levy : Je dirais que le plus élevé sera le mieux. J’avais proposé 21 ans, parce qu’il y a des précédents concernant l’utilisation de cet âge, mais, d’un point de vue médical, je pense que 25 ans serait mieux. On pourrait dire : « Eh bien, dans ce cas, les jeunes de 18 ans vont aller sur le marché illicite », mais, si on fixe l’âge à 18 ans, on pourra dire que les jeunes de 16 et 17 ans iront sur le marché illicite. Quel que soit l’âge auquel on fixe la limite, ce problème se posera.

En tant que pédiatre du développement, je peux vous dire que l’adolescence — même si elle a toujours fait partie de la nature humaine — n’a été reconnue que tout récemment. La loi n’a pas toujours vu juste. Particulièrement ces temps-ci, époque où l’adolescence s’étire souvent — les gens ne sont habituellement pas indépendants avant le début de la vingtaine —, 18 ans n’est tout simplement pas le bon âge. Nous observons encore un comportement très adolescent chez des jeunes de ce groupe d’âge, et je pense que nous pourrions commettre une erreur historique en fixant l’âge adulte à 18 ans.

Dr Kahan : Je ne pense pas que le problème logistique soit très difficile à surmonter. Il est à supposer qu’il suffirait de présenter une preuve d’âge. Les diverses associations qui font la promotion de cet âge limite n’ont pas nécessairement le même avis que les gens qui travaillent véritablement auprès des adolescents et des patients ayant une dépendance. J’estime que, parmi mes collègues, la préoccupation au sujet des conséquences néfastes de cet âge limite est unanime.

Y a-t-il une incohérence? Oui, je suppose, mais qu’est-ce que cela change, si c’est avantageux pour le public? Je ne pense vraiment pas que ces associations médicales parlent au nom des nombreux experts qui travaillent sur le terrain.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie tous les deux de votre exposé.

Vous avez tous deux affirmé très clairement que les données probantes montrent qu’après la légalisation, en raison de l’acceptation sociale, la proportion de consommateurs et la fréquence de consommation augmenteront. Quand j’entends cela, je suis très préoccupée par le fait qu’aucune tentative n’ait été faite dans le but de limiter la concentration de THC du cannabis thérapeutique. Vous avez tous deux abordé cette question.

Nous avons entendu dire que le cannabis est moins dangereux que l’alcool, par exemple, ou que d’autres drogues, car il est impossible de faire une surdose. Est-ce vraiment le cas? En outre, vaudrait-il mieux que le gouvernement établisse des limites quant à la teneur en THC de tous les produits du cannabis? Je commencerai peut-être par la Dre Levy, puis le Dr Kahan pourrait répondre ensuite.

Dre Levy : Je souscris entièrement à l’opinion du Dr Kahan à ce sujet. Il n’est pas impossible de faire une surdose de cannabis. Nous l’avons constaté dans le cas de très jeunes enfants, qui peuvent développer de l’hypoventilation, mais c’est très rare, honnêtement. Néanmoins, ce n’est qu’un facteur de préjudice. On ne peut vraiment pas faire de surdose de nicotine; pourtant, le tabagisme n’est pas considéré comme un comportement sûr pour la santé. Les véritables préoccupations liées au cannabis concernent davantage les préjudices chroniques : les augmentations au chapitre des résultats relatifs à la qualité de vie médiocres et des troubles de santé mentale.

Le type et la concentration de THC dans les produits sont tout à fait liés à la fréquence à laquelle nous avons observé ces problèmes, soit les taux de dépendance, de troubles de santé mentale et de symptômes connexes. Tous les résultats négatifs sont étroitement liés à ces aspects. Nous observons déjà — c’est certainement le cas aux États-Unis — un changement dans la présentation à mesure que nous voyons la drogue changer.

L’autre problème tient au fait qu’une fois qu’un produit devient industrialisé et qu’une industrie est prête à en produire tous les divers types, on obtient de nouveaux produits qui sont très intrigants pour les nouveaux utilisateurs. C’est particulièrement risqué pour les jeunes, qui sont les plus susceptibles de faire l’essai de nouveaux produits. Habituellement, ces produits sont attrayants pour eux, même s’ils ne sont pas censés l’être.

C’est pour toutes ces raisons qu’il incombe vraiment au Sénat d’envisager de limiter strictement la concentration de THC dans le produit ainsi que les types de produits et d’accessoires qui viennent inévitablement avec les produits autorisés.

La sénatrice Seidman : Avez-vous quelque chose de précis à recommander du point de vue des limites et du taux de THC?

Dre Levy : Une chose qui serait importante, ce serait de retourner à une définition plus standard de la nature même du cannabis. Encore une fois, il est question de matière végétale. Par le passé — si on retourne dans les années 1960 —, comme l’a mentionné le Dr Kahan, le taux de THC était de 3 à 4 p. 100. De nos jours, il est bien plus élevé. Je ne connais pas le bon taux. Je ne fais que souligner qu’il est préoccupant que l’on permette au taux d’augmenter.

Dr Kahan : Il importe de souligner les parallèles entre ce que fait actuellement l’industrie du cannabis et ce qu’ont fait celles du tabac et des opiacés. Les sociétés productrices de tabac ont délibérément augmenté la concentration de nicotine dans leurs produits afin qu’ils créent une plus grande dépendance. Les fabricants d’opiacés ont fait quelque chose de semblable. Il ne fait aucun doute que les fabricants de cannabis font des produits dont la teneur en THC va bien au-delà de ce qui est nécessaire du point de vue de toute consommation médicale ou récréative, et ils le font précisément dans le but de rendre leurs produits plus attrayants pour les jeunes. Il n’y a aucune autre explication des motifs qui les poussent à offrir des produits incroyablement puissants et dangereux comme ceux qui contiennent 25 p. 100 de THC. Je pense que le moment est venu pour nous de prendre position et de faire face à l’industrie, pendant qu’elle est encore assez jeune et peut-être plus vulnérable à la réglementation.

Nous pouvons souligner que les études indiquent que la concentration de THC dans la marijuana thérapeutique n’est pas supérieure à 9 p. 100, alors peut-être que le taux du cannabis récréatif peut ressembler à cela… Ou 12 p. 100. C’est quelque chose dont on peut débattre ou discuter, mais ce devrait être bien inférieur à 25 p. 100.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie, docteure Levy. Tout d’abord, je voudrais clarifier quelque chose. Vous avez mentionné le fait qu’une fois que le cannabis sera légal, davantage d’adolescents en consommeront, et vous avez évoqué le cas du Colorado, deux ans après la légalisation. Les données que j’avais vues concernant le Colorado, qui provenaient du National Survey on Drug Use and Health, montraient une augmentation, puis une diminution : 12,6 en 2013-2014, puis 9,1 en 2015-2016. Alors, il semble y avoir eu une augmentation, puis une diminution. Le même phénomène s’est produit dans l’État de Washington : une augmentation, puis une légère diminution chez les 12 à 17 ans. Pouvez-vous préciser d’où proviennent vos données? Elles sont peut-être d’une source différente.

Dre Levy : J’ai ici un document de référence qui provient de la Rocky Mountain High Intensity Drug Trafficking Area; il en fait mention ici.

Il est toujours compliqué de faire des évaluations. Les taux de consommation de marijuana chez les jeunes subissent l’influence de plus d’un facteur. Les données empiriques sont très solides en ce qui concerne la légalisation et plus particulièrement la commercialisation. C’est non pas simplement le fait qu’une loi est adoptée, mais aussi le fait que ces produits sont sur les marchés et que les gens peuvent les acheter.

La réduction très importante du risque perçu de préjudice est une chose qui est très constante et que nous avons observée partout aux États-Unis, et il s’agit de l’un des meilleurs signes avant-coureurs non seulement d’une consommation ultérieure, mais d’une forte consommation ultérieure. Ainsi, davantage de jeunes en consomment, et ceux qui le font sont plus nombreux à en consommer de façon très importante.

Il y a d’autres facteurs. Nous avons tiré ces chiffres du rapport qui avait été produit par le gouvernement du Colorado, mais il est certain que d’autres facteurs influent sur les taux de consommation chez les jeunes et que certains d’entre eux font contrepoids. Toutefois — encore une fois —, je pense que, si on regarde les données empiriques en général, c’est la consommation chez les jeunes adultes qui a le plus augmenté. Puis, il y a eu des augmentations chez les 12 à 17 ans également. Par ailleurs, si on regarde le risque perçu de préjudice, il diminue de façon très marquée. Cette diminution aura d’importantes conséquences.

Le sénateur Pratte : J’aimerais revenir sur la question de l’âge minimal fixé à 18 ans. Je pose ma question à l’autre témoin également. Docteure Levy, vous semblez affirmer que l’âge de la majorité fixé à 18 ans — ou à 21 ans, dans la plupart des États — pourrait être arbitraire, mais, quoi qu’il en soit, ici, c’est 18 ans et, par exemple, un jeune peut conduire une voiture à 16 ans. Dix-huit ans est l’âge de la majorité pour la plupart des décisions. On peut être dans l’armée à 17 ans, alors un âge minimal de 21 ou de 25 ans semblerait arbitraire parce que, depuis maintenant de nombreuses années, nous avons décidé, en tant que société, que 18 ans était l’âge auquel on pouvait prendre ce genre de décisions de façon autonome. Alors, pourquoi pas dans le cas du cannabis?

Dre Levy : Eh bien, je pense que, comme vous le soulignez, il existe déjà un système graduel. On a le droit de conduire une voiture à 16 ans. On a le droit de joindre les rangs de l’armée à 17 ans. À 18 ans, on peut prendre d’autres décisions, notamment en ce qui concerne la consommation d’alcool. Tout cela n’arrive pas en même temps. Je pense qu’un grand nombre de ces âges ont été fixés de façon très arbitraire. La suggestion de repousser l’âge limite vise en réalité à protéger la santé publique, car les données scientifiques sont très claires quant au fait que le cerveau en développement est vraiment mis à risque par la consommation de marijuana. Cette fourchette d’âge de l’adolescence au début de l’âge adulte est le moment où les gens deviennent dépendants aux substances, en particulier dans le cas de la marijuana. Les personnes qui subissent les plus grands préjudices sont celles qui consomment dans cette fourchette d’âge. Alors, quoi que vous puissiez faire pour repousser l’âge auquel les gens commencent à consommer du cannabis contribuera à la protection de la santé publique.

Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter, docteur Kahan?

Dr Kahan : Je crois qu’il est important de souligner que le cannabis est une drogue et que nous imposons beaucoup de restrictions à l’égard des drogues. La consommation de cannabis n’est pas un droit au même titre que la conduite ou le droit de vote. La consommation de cocaïne est illégale à tout âge, alors je ne vois pas pourquoi nous ne pouvons pas dire que, du point de vue de la santé publique, il est dangereux pour les jeunes de consommer du cannabis et que, en tant que société, nous allons protéger nos jeunes, nos familles et imposer un âge minimal. Je pense que les gens croient à tort que la consommation de cannabis ou d’héroïne ou de toute autre drogue est un droit universel.

La sénatrice Omidvar : Docteur Kahan, j’aimerais simplement préciser que des limites de THC sont proposées dans le projet de loi. Je les avais devant moi, mais je ne les trouve plus. Toutefois, je pense qu’il est important de mentionner que le projet de loi prévoit effectivement certaines limites en matière de THC, de cannabis séché, de cannabis en capsule, de cannabinoïde, et ainsi de suite.

Ma question est donc la suivante : vous proposez que l’âge légal de l’accès soit établi à 25 ans; pourtant, nous savons que ce sont les gens âgés de moins de 25 ans et de moins de 19 ans qui sont les plus grands consommateurs de cannabis. Ne croyez-vous pas que cela va les inciter davantage à recourir au marché noir? C’est ce qui me préoccupe.

Dr Kahan : Je crois que le marché noir va prendre beaucoup d’expansion en raison de la légalisation, puisque beaucoup de gens vendront du cannabis à des jeunes âgés de moins de 18 ans ou peu importe ce que prévoit la loi. De façon générale, je crois que la légalisation va accroître la consommation de cannabis chez les gens de moins de 18 ans ou de moins de 25 ans ou peu importe ce qu’est l’âge minimal. Cela ne va pas freiner le marché noir, bien au contraire, comme nous l’avons observé avec d’autres drogues également, comme les produits opiacés. En fait, comme je l’ai dit, il est très facile de cultiver du cannabis et d’en vendre, il est donc faux de penser que vous allez, d’une quelconque manière, vous débarrasser du marché noir.

La sénatrice Omidvar : Mais si on adopte une approche axée sur la santé à l’égard de la légalisation du cannabis, ne pensez-vous pas qu’il serait plus sécuritaire et plus sain, en fin de compte, qu’il y ait du cannabis sécuritaire et éprouvé, assorti d’une étiquette mentionnant la puissance et d’avertissements clairs quant aux risques pour la santé, et vendu dans un cadre hautement réglementé et contrôlé? Ils en consommeront de toute manière. Ils vont s’en procurer autrement sur le marché noir. J’ai quelques réserves à ce sujet.

Dr Kahan : Je pense que le cannabis acheté légalement qui contient 25 p. 100 de THC, comme celui que l’on produit à l’heure actuelle, est en fait plus dangereux que le cannabis vendu dans la rue, qui contient environ 15 p. 100 de THC. Il s’agit de la même drogue; c’est la même plante. Toutefois, c’est la puissance qui détermine le danger.

Je suis certain que vous avez raison. J’ai regardé dans le projet de loi et je n’ai vu aucune mention quant aux limites. J’ai seulement vu qu’il était question de quantité.

La sénatrice Omidvar : C’est dans la réglementation. Toutes mes excuses, cela figure dans la réglementation.

Une voix : Il n’y a pas de réglementation.

La sénatrice Raine : Elle n’a pas encore été élaborée.

Le président : Le gouvernement a proposé des dispositions réglementaires à des fins de discussion. Elles ne font pas partie du projet de loi, mais elles suivront le projet de loi et seront adoptées, selon le gouvernement, en même temps que l’entrée en vigueur du projet de loi. C’est l’une des raisons pour lesquelles il demande une période de 8 à 12 semaines suivant l’adoption du projet de loi pour l’entrée en vigueur de ces dispositions réglementaires. Elles traiteront du THC.

La sénatrice Omidvar : Le Dr Kahan pourrait peut-être se pencher sur la réglementation proposée et formuler des commentaires à cet égard.

Dr Kahan : Bien sûr, je serais ravi de l’étudier.

Dre Levy : J’ajouterais que nous voyons tout le temps des patients âgés de 13 ou 14 ans. Donc, peu importe l’âge minimal que vous établirez, il y aura des personnes plus jeunes qui tenteront de s’en procurer et d’y avoir accès illégalement.

L’autre point que j’aimerais soulever tient au fait que la commercialisation du tabac et son accessibilité dans les magasins n’en ont pas fait un produit plus sécuritaire pour les jeunes ou pour la santé publique.

La sénatrice Raine : J’aimerais seulement savoir si nos deux témoins présents aujourd’hui — et je vous remercie d’être ici — voudraient commenter les systèmes de distribution en place au Canada selon leur expérience, car nous verrons maintenant des disparités entre les différents règlements, groupes d’âge et systèmes de distribution à l’échelle du pays. J’aimerais savoir si vous avez des commentaires à cet égard.

Dr Kahan : Je crois que, si les provinces établissent un âge minimal différent, cela suscitera des difficultés. Si l’âge minimal en Alberta est de deux ans de moins qu’en Colombie-Britannique, les gens vont se promener d’une province à l’autre pour acheter leur cannabis, puis revenir. Je crois qu’il vaudrait mieux en arriver à un certain consensus parmi les provinces. Peut-être y en aura-t-il un. Je ne suis pas au courant.

Pour ce qui est du système de distribution, je ne connais que la proposition de l’Ontario à propos de magasins autonomes, comme les magasins d’alcool de la LCBO, mais qui ne vendraient que des produits de cannabis. Je crois que, peu importe la méthode de distribution, il sera beaucoup plus facile pour les gens de se procurer du cannabis, c’est le résultat et le danger de ce projet de loi.

Dre Levy : D’après ce que je comprends, le système de distribution est une combinaison d’accès public et privé. Est-ce exact? Il y a des centres de distribution publics ainsi que des boutiques privées.

Le président : Tout dépend de la province.

La sénatrice Raine : J’ajouterais que, à l’heure actuelle, la marijuana thérapeutique est accessible par la poste, dans des magasins autonomes dans certaines provinces et chez des distributeurs réglementés dans d’autres. C’est très compliqué. J’aimerais savoir si vous avez des commentaires à formuler sur le sujet et si vous avez compris ce qui s’est passé lorsque la marijuana a été légalisée au Colorado et dans l’État de Washington. Comment ont-ils procédé, et est-ce que cela fonctionne?

Dre Levy : L’un des aspects pour lequel nous avons milité dans divers États américains, où il y a beaucoup de disparités, c’est l’utilisation d’un système de distribution public, comme pour l’alcool. Certains États utilisent encore ce système, et sont mieux en mesure d’assurer la réglementation. Il est plus facile de limiter les bénéfices que les gens pourraient être tentés d’obtenir, et c’est pourquoi je crois qu’il s’agit d’un meilleur système.

Je crois comprendre que, s’il s’agit d’un système uniquement public, certains craignent qu’il y ait de la concurrence avec le marché noir. Pour être honnête, je ne crois pas que ce soit une préoccupation crédible, car si les gens peuvent se procurer légalement du cannabis, je pense qu’ils le feront massivement. Je ne crois pas qu’ils se désintéresseront du cannabis, sauf s’ils doivent aller dans une boutique privée.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à nos deux témoins. Dans votre pratique, vous recevez de jeunes patients qui sont déjà identifiés comme étant des consommateurs de cannabis. Maintenant, avec la légalisation, vous allez peut-être rencontrer d’autres enfants qui ne déclarent pas qu’ils en consomment puisque c’est illégal. Toutefois, une fois que ce sera légalisé, les gens âgés de 18 à 25 ans seront à l’aise de le déclarer, ce qui entraînera une augmentation du taux de déclarations positives, à savoir que ces gens sont des consommateurs.

Quel impact pourrait avoir la légalisation du cannabis sur la recherche? Comme il y aurait une déclaration plus élevée du nombre de consommateurs, puisque ce ne sont pas tous les consommateurs qui se déclarent comme tels, est-ce que la légalisation pourrait aider à avoir plus de données fiables afin d’aller plus loin dans nos recherches sur les méfaits ou les effets positifs du point de vue médical du cannabis?

[Traduction]

Dr Kahan : Il est possible que les gens soient plus enclins à révéler leur consommation de cannabis dans le cadre d’études de recherche. Je ne sais pas si c’est une bonne raison pour faire adopter une loi qui, selon moi, va accroître considérablement la consommation de cannabis et entraînera des préjudices.

Il y a une chose que je peux vous dire à propos des gens qui déclarent leur consommation de cannabis à leur médecin. Les jeunes que je vois font valoir que le cannabis est une herbe inoffensive et, si on en parle en mal ou qu’on conseille d’en diminuer la consommation, ils sont vivement réfractaires. Ils répètent un message qu’ils entendent des médias et du public, parfois d’autres médecins et certainement de l’industrie, voulant que le cannabis soit un produit sécuritaire et que toute préoccupation à cet égard est exagérée et fait partie de la lutte antidrogue. Je crois que la légalisation va empirer ce problème. Le Canada est sans doute le pays développé le plus en faveur de la marijuana, et c’est un très gros problème qui accompagne le projet de loi.

Dre Levy : Je suis d’accord avec le Dr Kahan pour dire qu’il s’agit d’un avantage très mineur. En outre, la recherche montre très clairement que, lorsqu’on réalise une étude et qu’on permet aux gens de répondre en toute confidentialité, cela est considéré comme le critère normatif, qu’il s’agisse d’un comportement légal ou illégal.

J’ajouterai que, à notre époque, même si nous utilisons encore les données d’enquête et que cela a encore de l’importance, nous nous dirigeons vers d’autres mécanismes : des choses comme les médias sociaux et les mégadonnées, et, à l’avenir, c’est ainsi que nous obtiendrons l’information, du moins à l’échelle de la population.

La sénatrice Unger : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Ils étaient clairs et concis, et je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit.

Docteure Levy, j’ai une question à vous poser au sujet de votre déclaration concernant le traitement des adolescents consommateurs de cannabis. Vous avez dit que vous les avez vus de vos propres yeux devenir schizophrènes et qu’ils ne seront jamais en mesure de prendre soin d’eux-mêmes. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Dre Levy : Oui. J’ai vu un certain nombre d’adolescents qui sont venus me voir lorsqu’ils étaient plus jeunes, disons à l’âge de 13, 14 ou 15 ans et qui consommaient déjà beaucoup de marijuana. Ils ont commencé à présenter des symptômes de trouble psychotique et ont dû suivre un traitement pour le reste de leur vie. Ils étaient incapables de vivre de manière autonome, et leurs parents ont dû déposer une demande auprès du département de santé mentale de l’État pour réellement conserver leur garde même une fois que ces jeunes ont atteint l’âge adulte.

Nous ne savons pas qui souffrira de schizophrénie et qui n’en souffrira pas, mais j’ai vu des jeunes qui n’avaient pas vraiment de signes avant-coureurs présenter des symptômes après avoir commencé à consommer du cannabis. Cela est très étroitement lié à la consommation de cannabis, particulièrement durant l’adolescence. D’après l’estimation la plus exacte, le risque de présenter des troubles psychotiques est multiplié par six.

Selon certaines publications, y compris The Lancet, il existe suffisamment de données montrant qu’il existe à tout le moins un lien de cause avec la consommation de cannabis. Nous en savons un peu plus en matière de neurobiologie, et nous savons que les consommateurs de cannabis présentent parfois les mêmes déficits que les patients souffrant de schizophrénie lorsqu’on examine la scintigraphie cérébrale. C’est très préoccupant.

La sénatrice Unger : J’aimerais poser une question concernant une autre étude liée à ce sujet. Cela concerne le lien entre les changements cérébraux et la consommation occasionnelle de marijuana chez les jeunes adultes, et le fait que l’accent a toujours été mis sur les adolescents plus âgés et sur les gens de 20 à 25 ans. Il s’agit d’une étude qui a été publiée dans le Journal of Neuroscience, et on y explique que le cerveau des enfants beaucoup plus jeunes peut être modifié, plus particulièrement les deux zones du cerveau associées au désir. D’après des examens d’imagerie par résonance magnétique et des autopsies, après coup, bien sûr, l’amygdale et le noyau accumbens du cerveau sont modifiés, et ce sont les zones du cerveau associées à la récompense.

Donc, même plus jeunes… Nous nous demandons si l’âge minimal devrait être établi à 25, 21 ou 18 ans, mais nous parlons d’enfants, littéralement. Personnellement, j’aimerais que l’âge minimal soit établi à 25 ans; 21 ans serait plus acceptable que 18 ans. J’ai vraiment des réserves à ce que des enfants puissent consommer cette drogue.

Dre Levy : Je suis d’accord.

La sénatrice Unger : Je n’avais pas vraiment de question. Je suis désolée.

Le président : J’ai pensé que vous voudriez peut-être une réponse.

La sénatrice Unger : S’il y en a une.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Ma question concerne les répercussions négatives du cannabis sur la santé mentale. Comme vous l’avez tous les deux mentionné lors de votre exposé, des gens peuvent éprouver de l’anxiété ou même des symptômes psychotiques après avoir consommé du cannabis, particulièrement les consommateurs inexpérimentés ou ceux qui souffrent déjà d’un problème de santé mentale.

Je suis d’accord avec votre exposé à cet égard. J’ai été président de la Commission d’examen du Nouveau-Brunswick pendant 25 ans. Il y a une commission dans chaque province et chaque territoire. En résumé, la commission s’occupe des personnes qui souffrent d’un trouble mental et qui commettent un acte criminel. En vertu de la loi, elles sont accusées et, dans la majorité des cas, elles sont jugées soit inaptes à subir un procès, soit aptes à subir un procès, mais non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. Elles sont placées en détention dans l’aile psychiatrique d’un établissement carcéral, ou elles sont mises en liberté dans la collectivité en attendant la tenue par la commission d’une audience relative à la décision. Au total, 90 p. 100 des causes que j’ai entendues en tant que président de la commission étaient liées à la consommation de marijuana. En d’autres mots, les personnes étaient vulnérables aux effets négatifs du cannabis sur la santé mentale.

Nous savons que le THC peut accroître les symptômes. Vous avez lu le projet de loi C-45. Je ne sais pas de quelle manière le projet de loi va gérer les répercussions négatives du cannabis sur la santé mentale, mais il est question de campagnes de sensibilisation. Les renseignements liés aux effets du THC sont-ils trop scientifiques pour une campagne de sensibilisation publique?

Dre Levy : Je dirais que non. Aux États-Unis, nous avons milité pour que les fournisseurs de soins de santé donnent réellement un message clair et uniforme selon lequel la non-consommation est meilleure pour la santé. C’est un message très facile à véhiculer. D’après mon expérience d’enseignement auprès des enfants et des parents, il s’agit d’un point assez facile à faire valoir. C’est une bonne question, puisque le message strict selon lequel la non-consommation est meilleure pour la santé peut sembler trop sommaire pour les enfants, nous abordons donc les choses plus en profondeur avec nos patients qui ont déjà commencé à consommer. Le message peut être résumé de manière à être compris par les adolescents.

Le sénateur McIntyre : En d’autres mots, nous devons trouver une manière de nous occuper des répercussions négatives du cannabis sur la santé mentale. C’est ce qui compte selon moi.

Dre Levy : C’est exact. J’ai aussi parlé d’augmenter le nombre de ressources médicales en toxicomanie et d’accroître la formation destinée aux médecins et aux autres professionnels de la santé qui prendront soin de ces enfants. Pour une famille, il peut être très difficile de trouver une personne qui sait quoi faire avec un enfant aux prises avec ce problème.

Le sénateur McIntyre : Docteur Kahan, souhaitez-vous approfondir le sujet?

Dr Kahan : Non. La Dre Levy l’a très bien décrit. Je n’ai rien à ajouter.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup d’être ici. Nous avons entendu beaucoup de préoccupations et nous en avons aussi beaucoup. Je suis certain que le Sénat apportera des amendements au projet de loi, mais que nous le voulions ou non, la légalisation au pays sera chose faite à un moment donné. Certains d’entre nous aimeraient ralentir un peu la cadence.

Docteure Levy, vous enseignez à Boston. Vous êtes dans le domaine de la pédiatrie et vous êtes inquiète. Je viens de consulter le site web. Nous parlons du Colorado, mais une des manchettes du Boston Globe est « Tout ce que vous devez savoir à propos des nouvelles règles sur le cannabis au Massachusetts ». Ce sera bientôt en vente près de chez vous. On parle des dispensaires de marijuana à des fins thérapeutiques et ainsi de suite. Ce sera bientôt mis en œuvre au Massachusetts. Pouvez-vous nous dire ce qu’en pense aujourd’hui la communauté médicale du Massachusetts? C’est peut-être injuste, mais qu’en est-il de la communauté politique et de l’ensemble de la communauté de l’État?

Dre Levy : Au Massachusetts, la légalisation a été adoptée à l’aide d’un processus de scrutin, c’est la population qui a voté. La communauté médicale s’est opposée haut et fort contre la proposition. Elle a été adoptée quand même. Ses promoteurs ont dépensé beaucoup d’argent pour en faire la campagne et cela a surtout été décrit comme une question de liberté civile.

C’est malheureux, parce qu’on parle de l’aspect légal contre l’aspect illégal comme si tout était noir ou blanc, et je ne pense pas que les choses doivent réellement être comme cela. Il y a aussi du gris. La présente audience vise à trouver un juste milieu où ce pourrait être légal, mais nous pourrions empêcher, à l’autre extrême, qu’une industrie en prenne le contrôle. Nous avons déjà vu cela. C’était la même chose avec le tabac et les opioïdes. Nous risquons réellement de nous retrouver dans la même situation encore une fois. Si nous faisons preuve de créativité en imposant des limites quant à ce que l’on peut faire avec le produit, la quantité que l’on peut produire et la marge de profit que l’on peut générer, nous serons peut-être en mesure d’éviter certaines de ces tragédies.

Le sénateur Munson : En guise de question complémentaire, docteur Kahan, vous avez dit que le Canada donnait un mauvais exemple. Qu’en est-il du Massachusetts?

Dr Kahan : Au Canada, nous prenons des risques à l’échelle internationale. Notre consommation de cannabis par personne figure déjà parmi les plus élevées au monde, malgré les mesures législatives que nous avions. C’est que nous sommes un pays favorable au cannabis. Il règne une perception générale selon laquelle le cannabis est sécuritaire, agréable et relaxant. Ce message est renforcé dans les médias et, très malheureusement, par un groupe de médecins qui disent des faussetés à propos de ses effets thérapeutiques. Je crois que ce projet de loi va accroître cette perception.

Je crois que nous allons le regretter si nous donnons un accès facile au cannabis aux gens de 18 ans. Je crois que, dans 10 ans, les journaux déborderont d’histoires d’horreur comme celles qu’a décrites la Dre Levy à propos de jeunes et de leur famille qui ont subi des préjudices. J’espère réellement que le comité peut mettre en place certains facteurs d’atténuation pour éviter cela. Le principal objectif du projet de loi était d’empêcher les préjudices liés à la criminalisation de ce produit, et, comme l’a dit la Dre Levy, cela aurait pu se faire sans carrément faire la promotion du cannabis.

Le président : Nous allons passer à notre dernière question.

La sénatrice Poirier : Merci d’être ici. En parlant du projet de loi sur le cannabis avec différentes personnes au cours des derniers mois, je me suis rendu compte qu’on semblait croire qu’il n’est pas dangereux de consommer ou de fumer du cannabis et de conduire. Au début, j’ai entendu certains jeunes le dire, puis j’ai entendu le même discours plus tard chez des adultes. Ils ne voient pas le danger. Ils ne monteraient pas à bord d’un véhicule si le conducteur avait bu de l’alcool, mais ils ne voient pas de danger s’il a fumé du cannabis. Je sais que vous travaillez avec des gens qui ont eu des dépendances ou des problèmes liés au cannabis par le passé. Croyez-vous qu’une personne qui fume du cannabis ou qui est sous l’influence du cannabis est sécuritaire au volant?

Dre Levy : Absolument pas. Les données empiriques le prouvent amplement. Les gens qui consomment régulièrement du cannabis croient souvent qu’ils sont de meilleurs conducteurs. Il y a une raison à cela. À cause de la façon dont le cannabis agit sur le cerveau, ils se sentent plus confiants. En réalité, leurs compétences sont médiocres. Nous l’avons vu aux États-Unis. Le taux d’accident sur la route est à la hausse.

Le président : Docteur Kahan, vous avez le dernier mot.

Dr Kahan : La question ne se pose pas. Les études se poursuivent sur le sujet, mais le risque d’accidents de la route liés au cannabis augmente avec la quantité consommée et la quantité de cannabis dans le sang. Des études expérimentales et des études cas-témoins fiables montrent sans aucun doute que le cannabis affaiblit les facultés de conduite et constitue un facteur de risque pour les accidents mortels. La combinaison du cannabis et de l’alcool est encore pire.

Le président : Merci beaucoup. Je remercie la Dre Levy et le Dr Kahan d’avoir pris part à nos discussions et d’avoir témoigné aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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