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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 47 - Témoignages du 17 octobre 2018


OTTAWA, le mercredi 17 octobre 2018

Le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour examiner, en vue d’en faire rapport, des questions liées aux affaires sociales, aux sciences et à la technologie en général (sujet : étude sur la santé mentale des enfants et des adolescents).

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Français]

Je suis Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec. C’est un grand plaisir et un privilège pour moi de présider cette réunion.

[Traduction]

Avant de céder la parole à nos témoins, j’aimerais inviter mes collègues à se présenter.

La sénatrice Seidman : Sénatrice Judith Seidman de Montréal, au Québec.

Le sénateur Ravalia : Bonjour. Je suis le sénateur Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Mégie : Sénatrice Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Sénateur Munson, de l’Ontario.

La sénatrice Omidvar : Sénatrice Omidvar, de l’Ontario.

[Français]

La présidente : Nous poursuivons aujourd’hui notre étude préliminaire sur la santé mentale des enfants et des adolescents.

La semaine dernière — vous l’avez peut-être noté —, l’Organisation mondiale de la Santé révélait que 50 p. 100 de tous les troubles mentaux commencent avant l’âge de 14 ans. On comprend donc l’importance de ce sujet.

[Traduction]

Nous avons peu de temps en raison d’un vote différé qui se tiendra à 17 h 30, donc nous n’aurons que 45 minutes par groupe de témoins.

Pour notre premier groupe de témoins aujourd’hui, nous entendrons, par vidéoconférence, Joanna Henderson, directrice générale, Carrefours bien-être pour les jeunes de l’Ontario, Centre de toxicomanie et de santé mentale. Nous sommes aussi ravis d’accueillir la Dre Sophia Hrycko, ancienne présidente, Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Bienvenue à vous deux. Je vous demanderais de commencer par votre déclaration liminaire et d’essayer de vous en tenir à moins de sept minutes. Par vidéoconférence, Mme Joanna Henderson; allez-y.

Joanna Henderson, représentante, directrice générale, Carrefours bien-être pour les jeunes de l’Ontario, Centre de toxicomanie et de santé mentale : Merci beaucoup, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Au Margaret and Wallace McCain Centre for Child, Youth & Family Mental Health, du Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto, nous effectuons et appuyons des recherches cliniques. Nous souhaitons ardemment produire des effets sur les pratiques et les politiques et avons pour engagement fondamental de collaborer avec les jeunes, les membres de la famille et les fournisseurs de services. Le centre s’inscrit au sein du vaste engagement du CAMH qui est de stimuler le changement social grâce à l’excellence dans les soins cliniques, l’innovation, la recherche et l’application de connaissances.

Nous savons tous que les défis sont nombreux dans notre secteur de la santé mentale des enfants et des adolescents. Le Sondage sur la consommation de drogues et la santé des élèves de l’Ontario, mené depuis longtemps par le CAMH, a récemment constaté que 14 p. 100 des élèves du secondaire ont déclaré avoir songé sérieusement au suicide au cours de la dernière année, et 4 p. 100 des élèves déclarent avoir fait une tentative de suicide durant la dernière année. En outre, plus du tiers des élèves éprouvent des accès de détresse psychologique allant de modérée à grave et plus du tiers des élèvent signalent qu’ils ont voulu, au cours de la dernière année, parler à quelqu’un au sujet d’un problème de santé mentale, mais qu’il ne savait pas vers qui se tourner.

Notre approche conventionnelle de longue date à l’égard de la santé mentale et de la maladie mentale repose sur les symptômes, les diagnostics et un modèle de soins axé sur les spécialistes. Ce système est essentiel dans le contexte de certains symptômes et à certains niveaux de gravité, mais l’accent qui est mis sur les troubles et les spécialistes peut aussi contribuer à de longs retards au chapitre de l’engagement à offrir des services aux jeunes. Les jeunes et les familles n’assimilent pas nécessairement leur détresse ou leurs préoccupations à des troubles de santé mentale. Et du côté des services, de longs délais d’attente surviennent puisque tous les jeunes reçoivent le même niveau de soins spécialisés, peu importe le niveau de besoin.

Souvent, les difficultés des jeunes doivent s’accentuer de façon considérable, y compris jusqu’au niveau de l’automutilation répétée et des idées suicidaires, avant qu’ils reçoivent un traitement. De toute évidence, nous avons besoin d’innovation et de nouveaux modèles de prestation de services, mais pour obtenir un résultat différent, nous devons employer une approche différente.

Dans ce domaine, les progrès ont été vraiment encourageants. On a reconnu que de nouveaux modèles de prestation de services doivent être créés en collaboration avec les jeunes ayant une expérience vécue. Si nous voulons un système qui mobilise les jeunes et répond à leurs besoins, ils doivent faire partie du processus d’élaboration. Ils doivent nous guider et nous aider à comprendre les résultats qui sont importants pour eux, ils doivent se prononcer par rapport aux attributs qu’ils recherchent dans le traitement et ils doivent nous guider pour ce qui est de déterminer les secteurs qui doivent être rassemblés.

C’est exactement ce sur quoi trois grandes équipes de jeunes, de membres de la famille, de fournisseurs de services et de chercheurs de partout au Canada ont travaillé au cours des quatre dernières années. Au CAMH, un groupe formé de jeunes ayant une expérience vécue et de partenaires communautaires, de moi-même, du Dr Peter Szatmari, chef des soins de santé mentale pour adolescents au CAMH, de Sick Kids et de l’Université de Toronto a été financé par l’initiative de la Stratégie de recherche axée sur le patient, la SRAP, afin d’élaborer et d’évaluer avec rigueur un modèle de prestation de services intégré et facile d’accès pour les jeunes âgés de 12 à 25 ans, fourni au moyen d’une plateforme directe et offert dans des carrefours adaptés aux jeunes qui renferment les soins primaires, la santé mentale, la toxicomanie, le logement professionnel et d’autres mesures de soutien communautaire et social. Le tout dans un modèle de soins à guichet unique.

Récemment, l’organisme Carrefours bien-être pour les jeunes de l’Ontario a été lancé pour évaluer ce modèle dans 10 collectivités dans l’ensemble de l’Ontario, pour explorer les adaptations qui sont requises pour les contextes rural, francophone et autochtone ainsi que d’autres contextes. Parallèlement, ACCESS Esprits ouverts, financé par l’intermédiaire de l’initiative nationale de la SRAP des Instituts de recherche en santé du Canada, a mis à l’essai un modèle semblable créé en collaboration avec des jeunes dans 14 collectivités du Canada, dont la moitié sont des collectivités autochtones. En Colombie-Britannique, la Foundry Initiative apporte des services intégrés pour les jeunes à 11 collectivités de la Colombie-Britannique, et le gouvernement s’est engagé à l’intensifier davantage.

Ces initiatives vont perturber de façon novatrice notre système conventionnel, ce qui est nécessaire pour obtenir les meilleurs résultats de santé mentale chez les jeunes que nous souhaitons. Les services sont accessibles, offerts de façon directe, y compris le soir et la fin de semaine, lorsque les jeunes ont besoin de services et veulent en obtenir. Les services sont intensifiés ou organisés en réponse à un niveau de besoins, et la mesure des résultats est intégrée dans chaque séance de soins habituels. Les services de divers secteurs et de fournisseurs de services non spécialistes, comme les travailleurs de soutien par les pairs, sont intégrés dans un ensemble cohérent de services, et du soutien familial est fourni.

Il importe de noter particulièrement que, même si ces initiatives sont entreprises dans des administrations différentes avec des volets de financement variés, elles ont été en mesure de se réunir pour déterminer des valeurs communes, des éléments de services partagés et des mesures qui se recoupent. Cela a été rendu possible grâce à Frayme, une plateforme internationale d’application des connaissances du RCE financée par le gouvernement fédéral, axée sur la prestation de services de santé mentale pour les jeunes et dirigée par le Dr Ian Manion. Frayme offre du soutien à ces initiatives et à d’autres administrations, comme l’Alberta, le Québec et Terre-Neuve, qui souhaitent élaborer et mettre en œuvre des services intégrés pour les jeunes.

Qu’est-ce qui manque? Où sont les lacunes? Afin de pleinement exploiter le potentiel de ce mouvement qui est devenu de portée nationale, on doit consentir de plus grands investissements dans la recherche sur les services de santé mentale adaptés à l’âge qui suppose la collaboration entre les secteurs, nécessite la participation des jeunes et de leur famille et s’associe avec des services sur le terrain qui reflètent le contexte réel de la prestation de services dans le monde.

Par exemple, nous devons élaborer de meilleures approches fondées sur les données probantes pour ce qui est de l’intégration de la santé mentale et des mesures de soutien à l’emploi pour les jeunes qui ne participent pas au milieu scolaire, au milieu du travail et à la formation, qu’on appelle parfois les jeunes NEET. Ces jeunes représentent un raté majeur en ce qui concerne le potentiel économique si nous ne les appuyons pas efficacement pour qu’ils se raccrochent à nos systèmes.

Nous avons besoin de plus de recherches afin de mieux comprendre les idées suicidaires et la façon de mieux intervenir lorsque les jeunes sont en crise. Nous devons comprendre comment enseigner efficacement à tous les enfants et les jeunes à composer avec le stress et à atteindre un état de bien-être mental.

Nous devons renforcer la base de données probantes concernant la façon dont les approches de soins de santé mentale personnalisées ou intensifiées et les rôles de non-spécialistes, comme les travailleurs de soutien par les pairs, améliorent la rentabilité et contribuent à des résultats positifs. Il nous faut de meilleures données probantes sur la question de savoir comment intensifier en réalité et soutenir l’innovation dans les services aux jeunes au fil du temps et entre les administrations.

Grâce à diverses initiatives des Carrefours, nous avons l’occasion de nous pencher sur ces questions dans l’ensemble des administrations, de partout au Canada, et c’est une occasion sans précédent.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis impatiente d’entendre vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, madame Henderson.

[Français]

Dre Sophia Hrycko, ancienne présidente, Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : Merci beaucoup. C’est un plaisir et un privilège pour moi d’être ici avec vous aujourd’hui.

[Traduction]

J’ai vraiment aimé la déclaration de Mme Henderson, et je ne vais pas m’étendre sur toutes les excellentes initiatives que vous avez mentionnées, mais ce sont certainement des choses qui pourraient être abordées.

Au nom de l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, je remercie le comité de me donner l’occasion de vous faire part des besoins importants en matière de santé mentale de nos enfants et de nos jeunes, mais aussi de parler de leur force et résilience incroyables.

L’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est notre organisation nationale des psychiatres pour enfants et adolescents et d’autres professionnels au Canada, qui est déterminée à favoriser la santé mentale des enfants, des jeunes et des familles grâce à la promotion de l’excellence des soins, à la défense des intérêts, à la recherche en éducation et à la collaboration avec d’autres professionnels. Notre plus grande ressource est notre passion et nos bénévoles dévoués. Nous n’avons qu’un employé, et c’est tout.

J’aimerais vous donner une idée de la mesure dans laquelle c’est difficile, pour des enfants, ainsi que pour leurs aidants, d’accéder en temps opportun à des services fondés sur des données probantes lorsqu’ils sont aux prises avec des problèmes de santé mentale — ou pire, lorsqu’ils sont en plein milieu d’une crise. C’est un énorme effort pour ceux qui vivent dans des régions urbaines et qui ont les compétences cognitives, l’éducation et la connaissance des services qui leur sont offerts. Imaginez à quel point cela doit être décourageant pour un parent qui vit pauvrement dans une région rurale, qui appartient à une minorité, qui souffre d’une maladie mentale et qui s’occupe d’un enfant ayant une déficience intellectuelle.

Prenons l’exemple d’un garçon qui s’appelle Tom, un francophone ayant un grave TDAH, une déficience intellectuelle et une anomalie génétique. Imaginez que vous avez été le soignant de Tom, à la suite d’un accident d’automobile où ses parents se sont retrouvés au service de soins intensifs. Tom a été adopté par des parents très bienveillants et il vit dans une collectivité rurale. Il ne peut pas fonctionner dans une salle de classe ordinaire, puisqu’il a du mal à comprendre ce qu’on attend de lui. Il est touché par de très petits changements et est déstabilisé quand un changement est apporté à sa routine. Cela donne lieu à de l’agressivité physique, ce qui est clairement inacceptable dans le contexte scolaire.

L’an dernier, Tom a été autorisé à fréquenter l’école une heure par jour, pendant toute l’année. En conséquence, son père a dû quitter le travail pour s’occuper de lui. L’été dernier, son père a dû subir une chirurgie cervicale et n’a pas été en mesure de s’occuper de son fils. Il portait une orthèse. Tom a été suspendu trois jours après son retour à l’école en septembre, une nouvelle école, parce qu’il a 12 ans et que c’est l’année de transition. Lorsqu’il a été autorisé à retourner à l’école, il a de nouveau été suspendu pendant 20 jours parce qu’il était agressif; c’était sa deuxième suspension en moins d’une semaine d’école. Sa mère a dû prendre congé de son travail afin de s’occuper de lui.

Dans ce genre de situation, par où commencez-vous? Qui peut vous aider? Qui peut gérer et vous aider à gérer Tom et comment allez-vous continuer de travailler et de vous acquitter de vos autres responsabilités? Cela semble insurmontable.

Vous découvrirez que, malgré certaines des excellentes initiatives qui ont cours, il y a toujours un manque de coordination, un point d’entrée unique intégré où vous pouvez commencer et qui vous aide par rapport au parcours de Tom et qui est là pour vous fournir du soutien et des services, puisque ses besoins vont changer.

Nos enfants et nos jeunes sont notre avenir et notre ressource la plus précieuse. Nous devons travailler ensemble pour répondre aux besoins de gens comme Tom et sa famille, que je décris comme les orphelins de l’orphelin. Qui sont ces orphelins? Ce sont les plus vulnérables des vulnérables. Le 1 p. 100 de la population touché par une déficience intellectuelle ou l’autisme.

Ce sont ceux qui vont s’efforcer, souvent sans succès, d’atteindre un état de vie indépendant et qui vont continuer de dépendre du soutien de leur famille bien longtemps à l’âge adulte.

C’est également celui, sur cinq Canadiens, qui souffrira d’une maladie mentale. Ce sont les enfants d’un parent ayant une maladie mentale qui sont de 30 à 50 p. 100 plus susceptibles de souffrir d’une maladie mentale. Saviez-vous qu’il y a au Canada plus d’un demi-million de travailleurs en santé mentale de première ligne âgés de moins de 12 ans qui doivent s’occuper seuls d’un parent qui souffre d’une maladie mentale?

La personne qui souffre d’une maladie du cerveau ou d’une maladie mentale a besoin de tout le soutien que nous pouvons lui offrir. Souffrir de maladie mentale, ce n’est pas comme se casser une jambe. Vous savez que, si vous vous cassez une jambe, vous ressentirez de la douleur. Vous aurez peut-être besoin d’une intervention chirurgicale ou d’un plâtre. Vous serez assurément atteint. Vous aurez besoin de services, que ce soit des mesures d’adaptation à la maison, à l’école et dans le cadre des activités quotidiennes. Vous devrez faire de la physiothérapie. À supposer que votre rétablissement se fasse en douceur, comme on dit, et que vous ayez un accès opportun à des services et aucune complication.

Contrairement à une fracture de la jambe, une fracture du cerveau apporte aussi de la douleur. Vous souffrez d’anxiété et de dépression et avez un grave trouble d’apprentissage. Le problème, c’est qu’il n’a pas encore été diagnostiqué, parce qu’il n’est pas visible. Comme enfant ou jeune, vous ne pouvez pas exprimer ce qui se passe en vous. Même si vous pouvez montrer par votre comportement que vous souffrez, l’obtention d’un accès opportun à des services sera un parcours douloureux pour vous et vos parents. Cela vous laissera souvent des cicatrices, puisque la stigmatisation est toujours présente, à chaque niveau de notre société.

Nous serions tous gagnants si nous embrassions le concept de santé mentale défini par le Cadre du continuum du bien-être mental des Premières Nations. Il indique que le bien-être mental est l’équilibre entre les aspects mental, physique, spirituel et émotionnel. Cet équilibre est enrichi à mesure que les personnes trouvent un but dans leur vie quotidienne, de l’espoir envers l’avenir, un sentiment d’appartenance et de liens au sein de leur famille, un sens à la vie et la compréhension de la façon dont leur vie et celle de leur famille et de leur collectivité font partie de la création et d’une riche histoire.

Le bien-être mental est essentiel et devrait être un droit pour tous les Canadiens, peu importe leur genre, leur groupe ethnique, leur orientation sexuelle ou leur situation économique. Nous comprenons tous qu’un enfant voit le jour à la naissance. En fait, l’enfance commence avant la naissance, puisque la santé et les soins de la mère sont importants et peuvent optimiser la santé des nourrissons. Malheureusement, la consommation de substances durant la grossesse continue de toucher nos enfants — la nicotine est associée au TDAH, et l’alcool a des effets sur le développement neurologique.

Quand est-ce qu’un enfant n’est plus un enfant? Qu’un jeune n’est plus un jeune? Cela dépend des administrations. Parfois, c’est à 18 ans. Dans d’autres administrations, c’est à 19 ans. Cela devrait vraiment être 25 ans — et je soutiendrai que cela peut être plus tard —, puisque le cerveau continue de se développer et de mûrir au moins jusqu’à cet âge. Le nouvel adulte qui a une maladie mentale fait face à des défis uniques et n’est souvent pas préparé pour composer avec la réalité de la santé mentale des adultes. Le système lui-même n’est pas doté des connaissances ou des ressources nécessaires pour fournir des services de santé mentale opportuns et adaptés sur le plan développemental de façon harmonieuse.

D’après un sondage, les enfants ont indiqué que leur première préoccupation était la santé mentale et l’intimidation, ainsi que la pauvreté.

En 2015, le Canada avait un des taux de suicide des adolescents les plus élevés au monde — plus de 10 pour 100 000 adolescents. C’est la deuxième cause de décès chez les enfants âgés de 1 à 17 ans. Les taux de suicide sont de 5 à 7 fois supérieurs chez les Premières Nations et de 6 à 11 fois supérieurs que la moyenne nationale chez les jeunes inuits.

Le Canada connaît une crise au chapitre des ressources humaines dans les soins de santé mentale. Nous avons une pénurie nationale de psychiatres pour enfants et adolescents. Une étude dirigée par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario et l’Ontario Medical Association a estimé que nous aurons besoin de 300 nouveaux psychiatres d’ici 2030 pour satisfaire à ce besoin croissant. Nous pouvons également nous attendre à une diminution de 15 p. 100 d’ici 2030.

Nous avons entendu dire que 70 p. 100 des problèmes de santé mentale commencent durant l’enfance, donc l’intervention précoce est essentielle. Le Canada a besoin de 1 500 psychiatres pour enfants et adolescents afin de servir ce segment croissant de la population.

D’abord, nous devons nous assurer que tous les enfants, les jeunes et les nouveaux adultes ont un accès opportun à des services de santé mentale, qui sont adaptés sur le plan culturel, axés sur les traumatismes, fondés sur les données probantes, peu importe leur lieu.

Ensuite, nous avons besoin d’un point d’entrée unique, intégré et coordonné pour les soins de santé mentale, qui peut répondre à tous les niveaux de besoins. Il nous faut intégrer la recherche, l’évaluation continue, l’amélioration de la qualité dans les services que nous fournissons de sorte que nous puissions continuellement améliorer ce que nous faisons.

Nous avons besoin d’une base de données nationale qui va guider notre pratique fondée sur des données probantes et financée à l’échelle nationale, ainsi que de lignes directrices cliniques reposant sur la recherche particulière dans le domaine.

Enfin, nous devons nous assurer que les jeunes et la famille sont au cœur de ces processus et sont pris en considération dans toutes ses étapes.

Merci beaucoup. Je serai heureux de vous en dire davantage.

La présidente : Merci à vous deux.

La sénatrice Seidman : Merci à vous deux de vos commentaires très utiles tandis que nous amorçons les premières étapes de notre étude sur la santé mentale des jeunes.

Je vais dire une chose et j’aimerais connaître votre réaction, si possible. On a dit que les enjeux mondiaux, les médias sociaux et l’Internet, ainsi qu’un monde qui évolue rapidement — y compris, aujourd’hui, la légalisation du cannabis — ont donné lieu à de nouvelles difficultés à l’égard de la santé mentale des jeunes.

Pourriez-vous me dire si vous croyez que c’est le cas? Si oui, quels seraient ces défis particuliers?

Mme Henderson : Absolument, les jeunes aujourd’hui font face à des difficultés sans précédent avec lesquelles les adultes et les jeunes n’ont pas dû composer auparavant. Les jeunes qui sont maintenant adolescents ont grandi avec les médias sociaux tout au long de leur enfance et leur adolescence.

Vous ne serez pas surpris de m’entendre dire que nous devons faire participer les jeunes pour trouver les solutions, parce qu’ils sont le mieux placés pour comprendre leurs expériences. Lorsque nous les mobilisons afin de planifier des solutions, nous pouvons mieux comprendre ce qui pourrait aider.

Nous ne devons pas non plus voir la technologie comme l’ennemi. C’est vrai qu’elles créent de nombreuses difficultés pour les jeunes, mais pour d’autres jeunes, c’est ce qui les a incités à servir une collectivité et leur a donné un sentiment d’appartenance qui n’est peut-être pas présent dans leur lieu géographique.

Nous devons comprendre comment exploiter cette technologie, ce lien avec les médias sociaux, pour fournir des services en utilisant ces formats et élargir notre portée, particulièrement dans un pays aussi géographiquement vaste que le Canada, où les jeunes ne peuvent peut-être pas se présenter physiquement dans un carrefour intégré de services pour les jeunes ou un hôpital afin d’y recevoir des services.

Dre Hrycko : Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il importe d’intégrer les jeunes et la famille pour créer la solution.

Je conviens également que nous devons travailler avec la technologie; la télésanté mentale et la télépsychiatrie ont été une initiative formidable. Malheureusement, nous n’avons pas l’infrastructure nécessaire pour établir si cela contribue vraiment à changer les choses, pour voir comment nous pouvons maximiser leur utilisation et recueillir des données par rapport à l’utilisation de cette nouvelle technologie. Vous avez entendu parler du projet Foundry. Il s’agit d’utiliser en combinaison des plateformes électroniques et des ressources. C’est impressionnant, parce qu’il fournit des soins dans des régions éloignées. Ce serait idéal si ça pouvait être dans tout le pays et si c’était adapté aux besoins particuliers d’une collectivité.

J’ai pris la liberté de vous faire part, en ce jour intéressant, d’une affiche créée par l’Association des médecins psychiatres du Québec, puis adoptée par l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et l’Association des psychiatres du Canada. Elle illustre bien les effets de la marijuana sur le cerveau en développement. Aujourd’hui, c’est certainement un jour intéressant à bien des égards.

Le sénateur Munson : Merci d’être ici. C’est un enjeu tellement important. C’est une question générale, parce que nous sommes à l’étape exploratoire. Nous commençons à peine et nous avons un long chemin à parcourir, en tant que sénateurs du comité, avant d’arriver avec des recommandations.

Je suis heureux que vous ayez soulevé les questions de la déficience intellectuelle et de l’autisme. Je travaille dans le domaine de l’autisme depuis environ 15 ans. Je trouve toujours perturbant, en ce qui concerne le diagnostic, que des gens disent qu’un enfant a reçu un diagnostic d’autisme, et donc, il fera partie de la catégorie du dossier de l’autisme, et on le traitera de cette façon, mais cet enfant autiste a des problèmes de santé mentale. C’est un enjeu important.

Vous avez parlé d’un guichet unique pour les services. Nous avons travaillé là-dessus. Des programmes ont été financés par le gouvernement fédéral, mais ce n’est pas assez. C’est une mosaïque de programmes pour aider les gens aux prises avec l’autisme.

À votre avis, quel serait le rôle du gouvernement fédéral pour s’occuper de la santé mentale des dizaines de milliers de jeunes qui souffrent d’autisme, qui sont susceptibles d’avoir des accès de violence et j’en passe? Je ne parle pas juste d’argent; je fais référence aux programmes. Les gens de CAMH, vous pouvez peut-être aussi me dire comment vous vous sentez. Docteure Hrycko, avez-vous une feuille de route par rapport à cela?

Dre Hrycko : J’aimerais pouvoir vous en donner une. J’étais très emballée ce matin, parce que j’ai entendu parler du service complexe. C’est tellement nouveau que je ne me rappelle même pas l’acronyme intéressant qui y a été utilisé. Ça doit être très simple. Essentiellement, c’est un programme nouvellement créé. C’est fédéral et c’est censé être un guichet unique pour les enfants avec au moins deux fournisseurs de services. Cela pourrait donc comprendre, par exemple, une personne ayant le syndrome de Down et l’autisme.

Aujourd’hui, je suis tombée sur trois personnes qui ont été aiguillées vers ce programme. Quand j’ai dit : « Parlez-moi de ce programme, parce que cela semble vraiment emballant », elles ont répondu : « On ne nous a pas encore rappelés. »

Qu’est-ce qui pourrait être utile? Avoir une infrastructure qui est bien pensée; inclure les familles dans sa création; avoir assez de financement pour permettre les évaluations, la mise en cœur et les modifications, pour s’assurer d’acquérir quelques connaissances par rapport à ce qui est nécessaire; et construire une infrastructure qui peut être durable. Malheureusement, il y a de petits projets ici et là, mais j’ai entendu dire trois fois aujourd’hui : « Le travailleur est parti, donc nous devons attendre. » J’ai aussi entendu ceci : « Le spécialiste qui a établi le diagnostic pour notre enfant a perdu notre dossier. » Ils ont dit : « Je vais vous renvoyer à l’autisme. » — et je ne dirai pas de quel groupe d’autisme il s’agit. Ce n’est pas pour pointer du doigt, parce que cela pourrait se passer n’importe où au pays. C’était en mai. Lorsque ces personnes ont appelé en août, parce qu’elles n’avaient pas eu de nouvelles, on leur a dit : « Nous avons perdu votre dossier. En fait, je m’en vais, donc je laisserai votre nom à la prochaine personne. »

Je pense que c’est ce qui serait nécessaire, que nous ayons en place l’infrastructure pour fournir de l’aide et soutenir la famille tout au long des étapes.

La présidente : Madame Henderson, aviez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Henderson : Je suis d’accord avec tout ce qui vient d’être dit. Je dirais aussi que je crois que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour ce qui est de créer des attentes et de communiquer — aux jeunes Canadiens, aux membres de la famille, aux fournisseurs de services et aux administrateurs — l’attente selon laquelle les services de santé mentale peuvent et devraient rendre des comptes à l’égard de la qualité des services et des résultats. Nous avons besoin d’un engagement national pour y donner suite.

Il nous faut des systèmes de données qui ne reposent pas sur des ensembles de données administratives, mais il nous faut en fait un système à vocation spécifique qui reflète les résultats importants pour les jeunes et les familles, reflète le bon travail effectué dans notre système de services de spécialistes et de non-spécialistes et répond aux besoins du gouvernement. Cela doit se faire à plusieurs niveaux de service, mais aussi au niveau où nous communiquons aux Canadiens ce à quoi ils doivent raisonnablement s’attendre.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Dre Hrycko, et peut-être que Mme Henderson pourrait compléter. La population dont on veut étudier la santé mentale a entre 0 et 19 ans. Comme vous l’avez mentionné, un cinquième de la population canadienne a des problèmes de santé mentale. Lorsque les jeunes atteignent 17 ou 18 ans, on dit qu’ils s’en vont vers l’âge adulte, et il y a un vide : on ne sait pas si on doit les envoyer dans un milieu pour les adultes ou si on doit continuer à en prendre soin jusqu’à 19 et 20 ans. Y a-t-on déjà pensé? Je vous parle d’une situation que j’ai vécue il y a plus de cinq ans. Y a-t-il eu du nouveau depuis ce temps?

Dre Hrycko : Oui, absolument. En fait, il y a les adultes émergents, qui sont les 16 à 25 ans, sur lesquels porte le document-cadre Evergreen, du Dr Stan Kutcher et de plusieurs autres intervenants. Il a été publié en 2015 et il contient plusieurs excellentes recommandations liées à ces éléments. Il est important de continuer d’offrir des services adaptés aux jeunes adultes, parce qu’à 18 ou 19 ans, ils ne sont pas encore des adultes. Si on souffre de troubles de santé mentale, on a besoin d’être épaulé et d’être guidé. Notre système en ce moment a une rupture, et la réalité est complètement différente. À mon avis, c’est presque un traumatisme qu’on inflige à ces jeunes lorsqu’ils doivent être hospitalisés.

[Traduction]

La présidente : Aviez-vous quelque chose à ajouter, madame Henderson?

Mme Henderson : Je suis d’accord moi aussi pour dire que c’est une question cruciale. La seule chose que j’ajouterais, c’est qu’il y a aussi une grande différence entre les problèmes dont nous jugeons le traitement approprié dans notre système de santé mentale pour adolescents et ce qu’on traite habituellement dans notre système de santé mentale pour adultes. Le même problème qu’on peut avoir à 17 ans et relativement auquel on peut obtenir un soutien au sein du système, eh bien, une fois qu’on a 18 ans, on ne peut plus obtenir de services à ce sujet, parce que le système pour adultes met vraiment l’accent sur les maladies mentales graves, comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires, ce qui fait en sorte que beaucoup de jeunes n’ont pas accès aux services. Non seulement ils doivent changer de système, mais, pour bon nombre d’entre eux, ils n’ont rien vers quoi se tourner dans le cadre du système pour adultes.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie tous les deux d’être là. Je me pose des questions sur les taux de suicide et les tendances, et vous pourrez peut-être nous aider à y voir plus clair. Je parle ici des jeunes hommes et des jeunes femmes, y compris ceux dont Mme Henderson a parlé; je m’intéresse non seulement aux taux de suicide, mais aussi aux jeunes qui ont des idées suicidaires. Ces tendances sont inquiétantes.

Pouvez-vous formuler des commentaires sur le rapport de Statistique Canada selon lequel le taux de suicide est plus élevé chez les filles âgées de 10 à 14 ans, et plus élevé du côté des jeunes hommes âgés de 15 à 24 ans? Qu’est-ce qui arrive? Les filles de 10 à 14 ans et les garçons de 15 à 24 ans... Comment expliquez-vous cette situation?

Mme Henderson : C’est une question sur laquelle nous devons assurément effectuer plus de recherche, mais c’est ce qu’on a constaté à plusieurs reprises.

Un des éléments qui vont de pair avec tout ça, c’est que, lorsqu’on a examiné l’émergence des troubles anxieux importants et des troubles de l’humeur, nous avons vu là des parallèles. Ce n’est pas seulement le risque de suicide, c’est aussi ce qui se passe dans un contexte plus large. Parmi ces jeunes filles, nous constatons des taux plus élevés d’internalisation de certains genres de troubles, comme des troubles anxieux et des troubles de l’humeur.

Pour ce qui est des garçons, c’est beaucoup moins marqué. Les jeunes garçons adolescents ont tendance à avoir plus de problèmes d’externalisation, comme le TDAH, les genres de comportements d’opposition et la propension à se battre. Lorsqu’on examine le groupe des jeunes hommes plus âgés — le groupe d’âge dont vous avez parlé —, et même les 16 à 25 ans, c’est là qu’on constate des taux plus élevés d’internalisation et qu’on commence à voir des jeunes hommes qui ont plus de problèmes liés à l’humeur et à l’anxiété.

Ces faits découlent peut-être, et probablement d’ailleurs, de l’interaction de multiples facteurs. Il y a des changements biologiques, bien sûr, et les jeunes filles et les jeunes hommes présentent des rythmes de développement différents durant l’adolescence. Il y a aussi des pressions différentes exercées sur les sexes à des étapes différentes. Mentionnons aussi des contextes familiaux différents et des différences liées à la collectivité et aux attentes sociales. Tout ça interagit de façon complexe et crée non seulement un risque de suicide, mais aussi des problèmes de santé mentale plus généraux.

C’est assurément un domaine où il faut réaliser des recherches supplémentaires.

Dre Hrycko : J’ajouterais simplement qu’il est évidemment clair qu’il faut faire plus de recherche.

Le sénateur Ravalia : Ma question s’adresse à Mme Henderson. Étant donné la grande pénurie de psychiatres pour enfants et adolescents et la tendance à miser en premier lieu sur les méthodes pharmacologiques, avez-vous tiré des données probantes de votre approche multidisciplinaire à volets multiples indiquant qu’on peut obtenir de meilleurs résultats en réduisant la médication et en misant davantage sur une intervention multidisciplinaire efficace?

Mme Henderson : Je ne peux pas vous parler de tout ça en fonction des divers carrefours de services intégrés pour les jeunes actuellement en place, parce qu’on en est au tout début du processus et que nous n’avons pas de données concernant les résultats de cette initiative précise. Cependant, il y a assurément de plus en plus de données probantes dans divers contextes qui montrent que les interventions psychosociales peuvent donner les mêmes résultats que la médication et, dans certains cas, en donner de meilleurs en raison de la capacité de mobiliser les jeunes plus efficacement.

De plus, une intervention en psychiatrie et le recours à des spécialistes — donc la psychiatrie et la psychologie —, ne sont pas nécessaires si l’on veut obtenir des résultats. C’est ce que l’on constate dans de multiples contextes, y compris à l’échelle internationale, dans des pays à revenu faible et intermédiaire qui n’ont pas accès à la psychiatrie et qui adoptent des approches très novatrices pour œuvrer avec des travailleurs de la santé peu spécialisés et des travailleurs en entraide dans le but d’accroître l’incidence des interventions.

Non seulement ces méthodes sont-elles aussi efficaces, mais comme je l’ai déjà dit, les jeunes les trouvent plus intéressantes et plus stimulantes. Il y a donc deux volets à tout ça.

Dre Hrycko : Je suis tout à fait d’accord. Pour moi, la médication est probablement une solution de dernier recours. La meilleure approche consiste probablement à s’attaquer aux principaux déterminants de la santé et à faire participer les jeunes et leur famille. Je suis d’accord.

La présidente : Une dernière question pour vous, madame la sénatrice Dasko.

La sénatrice Dasko : Merci à vous deux d’être là aujourd’hui. L’une des choses qui m’intéressent toujours lorsque nous discutons de maladies... Nous passons beaucoup de temps à parler de traitements et de diagnostics, mais je m’intéresse toujours à la question de la prévention. J’aimerais connaître l’importance que vous accordez à la prévention et j’aimerais savoir, selon vous, ce qu’on peut faire et les gestes qu’on a posés à cet égard. Je sais que c’est une question très générale — ce qu’on a fait et ce qu’on peut faire —, mais j’aimerais savoir ce que vous en pensez. Dans tellement de domaines de la maladie — la prévention du cancer —, nous pensons à tout ça... Il y a l’importante composante de la recherche. C’est capital dans tellement de domaines de la santé qui me sont familiers et avec lesquels j’ai dû composer durant ma carrière de chercheure. C’est donc la question que je vous pose à tous les deux.

Dre Hrycko : Le plus important, c’est de rappeler aux gens que le cerveau est seulement un organe parmi tant d’autres, et qu’il faut en prendre soin. Il faut donc montrer aux gens à exprimer les émotions et à interagir avec les autres. C’est quelque chose qu’on peut faire très simplement. Le fait de lutter contre la stigmatisation serait une façon de faire de la prévention, et ce, à plus d’un égard. Montrer aux parents à aider leurs enfants à exprimer leurs émotions. Ce serait déjà un pas merveilleux, parce que, jour après jour, on voit souvent des gens qui ont honte, qui se sentent coupables et qui ont de la difficulté à exprimer ce qu’ils ressentent. En ce qui concerne la prévention, ce serait ma première suggestion.

La présidente : Madame Henderson, je vois que vous hochez la tête. Voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Henderson : Absolument. Je suis d’accord. Les chercheurs du Canada sont des leaders à l’échelle internationale en matière de prévention. Si vous regardez des travaux comme ceux réalisés par Patricia Conrod et Sherry Stewart... Patricia Conrod est à Montréal, à l’Université de Montréal, et Sherry Stewart est en Nouvelle-Écosse. Il est essentiel de miser sur le système scolaire. Ces deux femmes ont mis au point un programme qui aide les jeunes adolescents à acquérir la capacité de composer avec les défis qu’ils rencontreront. C’est une intervention brève, mais elle a eu des répercussions importantes pour retarder le début de la consommation de substances, réduire la probabilité de consommation problématique et améliorer la santé mentale en ce qui concerne l’anxiété et la dépression.

L’ironie, c’est que nous avons la capacité nécessaire et que nous avons élaboré des interventions qui sont utilisées dans d’autres pays, mais, ici, au Canada, on les utilise seulement de façon irrégulière. Je pense que la situation reflète ce que j’ai déjà mentionné, soit le besoin d’infrastructure et le besoin de compter sur l’orientation du gouvernement fédéral quant au rôle clé que la prévention peut jouer pour promouvoir la santé mentale chez nos jeunes.

La présidente : Merci, chers collègues, de vos questions. Merci à nos témoins de nous avoir fait part de leur expertise.

[Français]

Sur ce, chers collègues, le comité suspend sa séance jusqu’à 17 h 45, car nous devons nous rendre au Sénat pour voter.

(La séance est suspendue.)


(La séance reprend.)

[Traduction]

La présidente : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Nous sommes heureux de vous accueillir. Nous savons que vous avez un horaire chargé, tout comme nous, d’ailleurs. Nous allons commencer tout de suite par la présentation de nos témoins et de leurs déclarations préliminaires.

Nous sommes heureux d’accueillir la Dre Sandra Fisman, professeure, de l’Association canadienne des centres de santé pédiatrique, et le Dr Chris Wilkes, professeur, de l’Association des psychiatres du Canada. Je vous demande de vous en tenir à une déclaration de moins de sept minutes. Nous avons seulement 45 minutes. Je tiens à souligner à mes collègues que, si je ne m’abuse, la Dre Fisman doit partir à 18 h 15. Nous ferons de notre mieux pour lui poser des questions en premier. Commençons par vous, Dre Fisman.

Dre Sandra Fisman, professeure, Association canadienne des centres de santé pédiatrique : Je suis psychiatre auprès des enfants et des adolescents, et je dis souvent à nos stagiaires que, si je pouvais recommencer ma vie, je ferais exactement la même chose. J’ai eu une carrière magnifique, et mon travail me passionne.

J’ai le privilège de m’adresser à votre important comité au nom de l’Association canadienne des centres de santé pédiatrique. Comme vous avez en votre possession notre note d’information plus étoffée, je vais essayer d’être aussi brève que possible.

En 2017, l’ACCSP a déterminé que la santé mentale des enfants et des jeunes était une priorité et, en 2018, elle a établi une communauté de pratique pour échanger et apprendre les uns des autres.

Ceux d’entre nous qui prennent soin d’enfants et de jeunes ont une préoccupation commune. En 2016, l’ICIS a communiqué des données indiquant, chez les enfants et les jeunes, une augmentation de 40 p. 100 de l’utilisation des services de santé mentale pédiatrique d’urgence et des places de soins actifs ainsi qu’une augmentation de 60 p. 100 de la prescription de médicaments psychotropes.

Nous sommes donc confrontés à un défi. Comment peut-on faire mieux et de quelle façon faut-il investir dans un système qui permettra à nos enfants de devenir des adultes en santé?

Selon nous, nous devons créer ensemble un système intégré et homogène. Le temps est venu de mettre en place un système qui réunit les professionnels, chacun misant sur son champ d’exercice complet. Les médecins, les psychiatres, les pédiatres, les médecins de famille, les psychologues, le personnel infirmier, les travailleurs sociaux, les ergothérapeutes et les récréothérapeutes, les physiothérapeutes... Nous devons tous travailler en équipe et miser sur l’ensemble de nos champs d’activité.

Nous croyons également que, en ce qui concerne les ministères et le gouvernement... Les ministères doivent se parler. Les ministères responsables du réseau des enfants et des jeunes, la Santé, les Services sociaux, l’Éducation, la Justice et la Culture, tous doivent travailler ensemble, plutôt qu’en vase clos.

Fait plus important encore, les enfants ou les jeunes et leur famille doivent être au centre des soins tout en étant des partenaires dans le cadre du processus. L’époque où nous disions aux gens quoi faire et comment le faire est révolue. Ils sont nos partenaires.

Pour ce faire, nous avons besoin d’une culture axée sur la collaboration. Une telle culture est essentielle à l’intégration des systèmes. La collaboration est un processus relationnel complexe qu’il faut continuellement entretenir pour en assurer la durabilité. Un tel système doit faire partie des expériences quotidiennes des gens afin qu’ils finissent par intégrer notre culture. Il faut de la confiance et de l’authenticité. C’est essentiel pour maintenir des relations de travail axées sur la collaboration efficaces.

Une culture axée sur la collaboration est tout particulièrement nécessaire lorsque les contextes sont complexes, que l’avenir est incertain et qu’il y a des changements transformationnels, et ce sont toutes des caractéristiques très pertinentes dans le cadre du processus de transformation actuelle des soins de santé.

Tandis que nous planifions un système intégré de prestation de services en santé mentale pour les jeunes et les enfants, nous devons être conscients de notre culture et garder à l’esprit un certain nombre d’évidences et de défis.

Premièrement, il faut comprendre que les jeunes sont des personnes à part entière. Il y a une interaction et un chevauchement entre les processus liés à la santé physique et à la santé mentale.

Deuxièmement, nous savons qu’il y a des déterminants communs qui ont une incidence sur la santé physique et la santé psychologique, y compris des facteurs comme la pauvreté et la privation sociale et tout le spectre de la négligence des enfants et de la violence psychologique, physique et sexuelle.

Troisièmement, nous sommes conscients du fait que les enfants ne sont pas statiques dans le cadre de leur développement. Il y a un processus naturel de changement durant le développement, lorsque l’individu passe de la jeunesse à l’adolescence, puis à l’âge adulte. Ces changements interagissent avec les circonstances environnementales de la personne, ce qui inclut le genre d’environnement dans lequel les gens grandissent, les facteurs de stress de la vie qui sont prévisibles et imprévisibles et les contextes culturels.

Nous avons donc de grands défis à relever. On a entendu parler de la hausse de l’incidence et de la prévalence des cas d’automutilation et de suicide chez les jeunes ainsi que de l’impact de la toxicomanie sur le cerveau en développement et le corps, tout comme des risques psychologiques et physiques connexes auxquels nos enfants et nos jeunes sont exposés. Puis, bien sûr, tout ça est amplifié chez les jeunes des Premières Nations et ancré dans le sentiment intergénérationnel de désespoir. De quelle façon pouvons-nous briser ce cycle et intervenir de façon adaptée sur le plan culturel et tenant compte des traumatismes?

J’aimerais parler, en passant, des innovations perturbatrices. Nous devons ébranler nos approches traditionnelles axées sur les systèmes et normatives face aux soins. Je ne sais pas si vous connaissez ses travaux, mais Clayton Christensen, de la Harvard Business School, a écrit vers 2002 au sujet des innovations perturbatrices dans l’industrie et le milieu des affaires. Les innovations perturbatrices sont de plus en plus pertinentes dans le cadre du processus de transformation des soins de santé.

Elles nous permettent de créer de nouvelles façons de faire les choses en mettant au point des modèles adaptatifs qui misent sur de nouvelles approches beaucoup plus conformes aux besoins sociétaux et en matière de soins de santé actuels.

Dans le document, vous trouverez un tel processus perturbateur. Vous devez commencer par visualiser une pyramide. À sa base, il y a une large plateforme de possibilités de promotion de la santé de première ligne. C’est le premier niveau.

Tandis qu’on grimpe dans la pyramide et qu’on passe aux niveaux 2, 3, 4, 5 et 6, les services deviennent de plus en plus intensifs, et les mesures précoces et efficaces d’intervention et de prévention visent à réduire au minimum le besoin de se tourner vers les interventions plus coûteuses et plus intensives situées en haut de la pyramide. Il s’agirait là des soins de santé aigus à l’hôpital et des programmes de soins tertiaires. De cette façon, nous espérons pouvoir limiter ces genres d’interventions à la toute fin du continuum et miser sur une base très large de services de premier niveau.

Nous avons des modèles de soins évolutifs dans notre merveilleux pays, et ces modèles correspondent à ce paradigme. Le modèle le plus impressionnant, selon moi, c’est celui de la transformation du cadre de santé mentale des jeunes au Nouveau-Brunswick. Je me suis permis de résumer le développement et l’évolution de ce cadre de services intégrés et des réseaux d’excellence connexes mis en place de 2009 à aujourd’hui au Nouveau-Brunswick, y compris les résultats du processus, son évaluation et les principaux facteurs de réussite. Je vous parlerai volontiers de certaines de ces choses durant notre discussion.

Je crois avoir respecté les sept minutes. Merci de votre attention. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Dr Chris Wilkes, professeur, Association des psychiatres du Canada : Merci, honorables sénateurs, de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui. Je m’appelle Chris Wilkes. Je suis psychiatre et un ancien pédiatre. Je viens de Calgary, où je suis chef de la section des services ambulatoires à l’intention des enfants et des adolescents et chef de la division de pédopsychiatrie. Je suis aussi professeur au département de psychiatrie de l’Université de Calgary.

Je suis heureux d’être ici et de représenter l’APC, l’Association des psychiatres du Canada, une association professionnelle bénévole d’environ 5 000 psychiatres et 900 résidents en psychiatrie. L’Association compte aussi un conseil des académies, qui inclut l’Académie canadienne de psychiatrie des enfants et des adolescents.

La psychiatrie est une pratique fondée sur les données probantes qui repose sur les meilleures recherches que nous avons et qui permet d’obtenir les meilleurs résultats possible en matière de santé mentale.

J’aimerais commencer par remercier mes collègues de l’ACP et vous remercier vous aussi de faire preuve d’une diligence prudente et raisonnable relativement au sujet à la fois important et complexe qu’est la santé mentale des enfants et des jeunes.

Les recherches ont montré clairement qu’un développement social et émotionnel sain au cours des premières années de la vie est essentiel, y compris dans l’utérus, comme nous le rappellent les problèmes d’alcoolisation foetale et, si on remonte plus loin, le dossier de la thalidomide. Nous avons maintenant aussi accès à des recherches qui soulignent que le stress toxique joue un rôle crucial dans ce processus. Ces premières années sont le fondement de la bonne santé mentale et de la résilience tout au long de la vie. En fait, dans de nombreuses régions du globe, on définit maintenant la santé mentale comme la résilience face à l’adversité.

La Commission de la santé mentale du Canada estime que 1,2 million d’enfants et de jeunes au Canada ont des problèmes de maladie mentale et, malgré tout, moins de 20 à 25 p. 100 d’entre eux auront accès à des services de traitement spécialisés. L’écart en matière de santé mentale — même dans un pays industrialisé comme le Canada — est important, alors il est clair que nous ne sommes pas encore sortis du bois.

Et là, des études récentes ont révélé que la moitié des troubles de santé mentale chez les adultes sont déclenchés durant l’enfance et que 75 p. 100 des problèmes étaient déjà là lorsque la personne avait 25 ans. Par conséquent, il existe une corrélation entre toute la question de la vulnérabilité du cerveau en développement et de son exposition possible à de multiples événements néfastes durant l’enfance, d’une part, et les résultats négatifs en matière de santé mentale, comme la toxicomanie, le suicide et d’autres troubles, notamment les maladies cardiaques, l’obésité et le diabète d’autre part, au Canada. C’est le spectre traumatique des troubles de la santé.

Les investissements dans la santé mentale des enfants et des jeunes doivent inclure une intervention précoce et un meilleur accès à des traitements appropriés fondés sur des données probantes; c’est essentiel si nous voulons éviter aux Canadiens des conséquences permanentes.

Si on regarde les très importants déterminants sociaux de la santé, comme l’insécurité alimentaire, des logements inadéquats, le chômage, le racisme et un manque d’accès aux soins de santé, on constate qu’ils augmentent la probabilité de présenter une maladie mentale.

Comme on l’a déjà entendu plusieurs fois aujourd’hui, les jeunes Autochtones sont confrontés à des défis supplémentaires en raison des disparités au chapitre de la richesse et de l’accès aux services. Nos enfants et collègues autochtones sont confrontés à des injustices historiques, à quoi s’ajoutent les traumatismes intergénérationnels, les conditions socioéconomiques et la marginalisation politique.

Cependant, il y a des projets novateurs sur lesquels nous nous devons d’attirer votre attention, comme le programme ontarien d’intervention précoce, Partir d’un bon pas pour un avenir meilleur, qui a prouvé qu’un investissement dans la prévention et la promotion durant la petite enfance peut aider à prévenir de moins bons résultats développementaux, ce qui exigera moins d’interventions dispendieuses plus tard. C’est aussi quelque chose qui a été montré et prouvé par les travaux de Heckman, en 2009. En effet, ce dernier a montré que, pour chaque dollar investi dans les soins à la petite enfance, on économise 9 $ plus tard grâce à la réduction des coûts liés aux services d’éducation et aux services spécialisés requis, à la protection de l’enfance et à la justice et aux recettes fiscales accrues, puisque ces personnes peuvent devenir des membres productifs de la société.

Malheureusement, si nous regardons nos propres ressources, en 2015, seulement 7 p. 100 des dépenses totales en soins de santé au Canada ont été consacrés aux soins de santé mentale non liés à la démence, ce qui est beaucoup moins que dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni et l’Australie, qui consacrent environ de 12 à 14 p. 100 dans de tels soins.

Grâce aux efforts de sensibilisation à la santé publique et à la lutte contre la stigmatisation, plus de Canadiens demandent de l’aide pour des troubles mentaux. Vous venez d’entendre parler des données de l’ICIS, qui note un nombre accru de visites à l’urgence, un nombre accru d’admissions de jeunes et un recours plus large à la médication.

Un sondage de Santé mentale pour enfants Ontario a montré clairement que, tous les deux ou trois ans, on note une augmentation de 10 p. 100 de l’aiguillage vers des services de counseling et de thérapie. Dans différentes régions du pays, le temps passé sur une liste d’attente peut atteindre de 6 à 18 mois dans le cas des services les plus demandés. C’est inacceptable.

Il reste encore beaucoup à faire pour assurer un meilleur accès à des soins de santé de qualité. Dois-je vous rappeler que le suicide n’est jamais loin de nous? Le suicide se classe au deuxième rang des causes de décès chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans. Comme vous l’avez entendu, il y a en moyenne 11 suicides par jour. Cependant, lorsqu’on se tourne vers l’ouest du Canada et vers le nord, vers les populations autochtones, ce pourcentage augmente. Le taux de suicide chez ces jeunes vulnérables est de cinq à six fois plus élevé.

Le sous-financement chronique a mené à un accès inadéquat à des soins biopsychosociaux complets. Nous devons fournir des interventions efficaces et rapides aux enfants, des interventions qui sont fondées sur les meilleures données probantes accessibles et offertes par les professionnels de la santé les plus appropriés en vertu d’une approche par paliers, allant de la santé mentale en ligne à la télépsychiatrie jusqu’à d’autres interventions psychosociales et au traitement intensif à l’hôpital des personnes dont les besoins sont élevés.

Les nouvelles données montrent clairement que le cerveau continue de se développer jusqu’à 25 ou 26 ans. Par conséquent, nous tentons maintenant d’examiner le rôle des jeunes et des nouveaux adultes. Il s’agit d’une population particulièrement vulnérable tandis qu’ils passent des services pour enfants et adolescents au système pour les adultes. Nous savons que 52 p. 100 des jeunes qui font la transition vers les services pour les adultes mettent fin au processus à un moment où les maladies mentales graves sont les plus susceptibles d’apparaître.

Sans accès aux évaluations et traitements nécessaires, les services de santé mentale et les services sociaux seront vitaux. Il y a un énorme coût humain et économique, et il faut mettre en place une approche en matière de prestation de services fondée sur des données probantes et faire un suivi de cette population.

Étant donné que 1,6 million de Canadiens ont des besoins non comblés en matière de santé mentale et que 75 p. 100 des enfants n’obtiennent pas les soins spécialisés appropriés, il est important d’investir dans notre système. Il faut aussi recueillir des données et les analyser pour mesurer l’incidence des stratégies que nous mettons en place.

Malheureusement, il manque actuellement de données fiables et comparables qui portent sur les services pour les enfants, les services sociaux, l’éducation, la justice et la santé dans l’ensemble des provinces et des territoires. Les systèmes de dossiers de santé électronique qui existent sont souvent cloisonnés et non compatibles.

On a noté une amélioration grâce à un financement accru et permanent, et on peut faire encore plus de progrès. Une telle amélioration est liée au pouvoir des partenariats, qui renforcent les capacités et les connaissances en santé mentale. Nous avons aussi entendu parler aujourd’hui d’innovations dans le système scolaire et les soins primaires, du modèle de soins partagés et du modèle CanREACH. De tels modèles aident à combler le fossé entre les ministères de la Santé, les services de protection de l’enfance et les services sociaux et le ministère de la Justice et misent sur un cadre de travail global et intégré.

En résumé, les quatre points que voulait souligner l’ACP sont alignés sur ce qui est prévu dans le Plan d’action pour la santé mentale 2013-2020 à l’échelle mondiale. Ce plan souligne l’importance d’un leadership efficace pour assurer de plus importants investissements dans la santé mentale des enfants et des jeunes, et notamment des interventions précoces et un accès accru à des traitements appropriés fondés sur des données probantes.

Ici, un leadership fédéral pourrait assurément être un grand atout. Certains des revenus fiscaux canadiens découlant de la vente du cannabis, légal depuis aujourd’hui, pourraient être consacrés à la santé mentale.

Il faut aussi soutenir la diffusion et la prestation de traitements novateurs et économiques qui permettent de promouvoir les connaissances en santé mentale et de prévenir les troubles mentaux chez nos jeunes vulnérables, surtout dans les écoles.

Nous voulons une meilleure collecte de données pour promouvoir la recherche, étayer les politiques et mesurer l’impact des ressources supplémentaires que nous consacrons dans ce domaine.

Nous avons aussi besoin d’un accès accru aux services de soins primaires. Il faut intégrer la santé mentale dans les systèmes de soins communautaires de façon à pouvoir compter sur un système intégré, complet et adapté. Bref, j’insiste sur le fait que, si nous travaillons en collaboration, nous serons plus forts et plus efficaces. Merci.

La présidente : Merci à nos deux témoins. Nous sommes prêts à passer aux questions. Je vous rappelle que la Dre Fisman doit bientôt partir. Si vous voulez commencer par lui poser directement une question, c’est parfait.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos précieux commentaires. En effet, docteur Wilkes, vous avez dit que c’est un sujet complexe; nous en sommes en fait aux premières étapes de notre étude sur la santé mentale des jeunes et nous espérons pouvoir circonscrire l’enjeu et vraiment nous concentrer sur certaines choses précises. Nous cherchons quelque chose qui sera pertinent et significatif tout en gardant à l’esprit les enjeux liés aux sphères de compétence. Nous sommes des parlementaires, et nous avons accès aux outils qui relèvent de la compétence fédérale.

Cela dit, j’aimerais dire ce qui suit, puis écouter ce que vous avez à dire à ce sujet. Il a été dit que des enjeux mondiaux, comme les bouleversements causés par les guerres, les médias sociaux et Internet dans un monde en rapide évolution et la légalisation du cannabis, aujourd’hui même, eh bien, que tout ça a créé de nouveaux défis en ce qui a trait à la santé mentale des jeunes. J’aimerais savoir si, selon vous, c’est le cas et, dans l’affirmative, quels sont, selon vous, ces nouveaux défis précis? Pourquoi ne pas commencer par vous, docteure Fisman.

Dre Fisman : Je pense que nous en avons parlé un peu durant la séance précédente et, selon moi, il ne fait aucun doute que tout ça a créé des défis. Lorsque je pense au fait de grandir et que je pense aux enfants qui passent par là aujourd’hui, c’est très différent. L’organisation de la société est très différente. Il y a eu des bouleversements familiaux dans ce que nous appelions la famille traditionnelle. Je ne dis pas que c’est bien ou mal, mais il y a du changement, beaucoup de changements. L’économie fait en sorte que les deux parents travaillent, et, après l’école, les enfants reviennent donc dans des maisons vides. Ce n’est pas ce que nous avons vécu. Puis, lorsqu’Internet a pris de l’expansion, nous avons commencé à voir des aspects positifs et des aspects négatifs, certainement sur le plan de la santé mentale; des problèmes comme la cyberintimidation et son lien avec le suicide sont devenus une expérience quotidienne pour nous en tant que professionnels de la santé.

Tout ça, c’est notre réalité, et ce que nous devons faire, c’est mettre au point des systèmes qui permettent d’atténuer le changement et de l’accepter comme on peut et d’utiliser de nouveaux modèles afin que nous puissions avoir des enfants sains. Je crois que c’est très difficile de grandir, aujourd’hui, comparativement à il y a 20 ou 30 ans.

La sénatrice Seidman : Merci.

Dr Wilkes : C’est une bonne question, et j’insiste sur le fait que, chaque fois que nous allons à l’encontre de notre biologie, nous perdons. La modernité est fluide et elle ne permet pas toujours une identification facile en matière de rôle et d’identité. Bien sûr, dans de nombreuses populations nous sommes confrontés à plus de problèmes et de défis liés à la pauvreté relationnelle plutôt que la pauvreté matérielle. C’est la pauvreté relationnelle, la modélisation, qui favorisent les techniques de régulation des émotions. Beaucoup d’enfants que nous voyons à l’urgence en ce moment possèdent moins de techniques de régulation des émotions et ils utilisent des expédients courants comme le cannabis et l’alcool ou encore le magasinage pour créer des liens et se sentir mieux. Ils cherchent l’« autre magique » plutôt que d’avoir l’occasion de compter sur un adulte, ce qui leur permettrait de vraiment acquérir les compétences nécessaires pour définir leurs responsabilités personnelles et acquérir de la retenue. Il ne fait aucun doute qu’il y a des problèmes de maturation émotionnelle. Les données sont déjà là. Au cours des 50 à 60 dernières années, on note un nombre accru de cas de narcissisme et d’absence d’altruisme dans les étudiants au niveau collégial en Amérique du Nord. Il faut plus de temps pour devenir adulte. L’ancien cap de 18 ans est maintenant passé à 28 ans dans beaucoup de cas. Il y a des défis, et, malgré tout, on a accès à Internet et à la gratification immédiate, ce qui favorise l’impulsivité. On se retrouve dans une situation où la maturation des compétences émotionnelles est retardée, tout en ayant un accès accru aux privilèges modernes. Tout ça est dangereux.

Dre Fisman : Nous avons parlé à quelques reprises aujourd’hui de la régulation émotionnelle, de l’effet, des troubles émotifs, et tout ça est enraciné dans le développement précoce. C’est enraciné dans la relation entre le soignant et l’enfant et l’apprentissage très précoce de la modulation des émotions. Étant donné les changements et la perturbation sociale, nous constatons qu’une telle régulation émotionnelle ne se produit pas aussi régulièrement qu’avant. Plus rapidement nous pouvons intervenir afin de permettre l’acquisition des compétences d’adaptation favorisant la régulation émotionnelle, plus on est susceptibles de réussir à sauver nos jeunes de la psychopathologie à l’âge adulte, et la psychopathologie classique, c’est le trouble de la personnalité limite.

Nous avons essayé d’appliquer à plus grande échelle une intervention fondée sur des données probantes dans le Sud-Ouest de l’Ontario — pour donner une idée à petite échelle de quelque chose qui fonctionne bien —, ce qu’on appelle la thérapie comportementale dialectique. Nous réalisons une étude longitudinale en ce moment pour en connaître les résultats. La beauté de la thérapie comportementale dialectique dans sa forme la plus pure, à l’adolescence, c’est qu’elle fait intervenir un soignant ou un parent et le jeune. On procède à une intervention de 20 semaines comptant des modules, et les participants apprennent les compétences ensemble. Il y a un ensemble de compétences précis que les participants acquièrent, un module qu’on appelle la voie du centre, et qui permet aux participants d’apprendre à négocier avec l’autre et à régler les conflits.

Le Dr Wilkes a parlé des données probantes, et nous avons entendu d’autres personnes en parler aussi. Par exemple, les nouvelles données probantes qui appuient la TCD sont vraiment solides. Notre programme est offert par du personnel infirmier. Ces personnes sont qualifiées. Il faut les former pour qu’elles puissent réaliser l’intervention. Ceux qui travaillent auprès des enfants et des jeunes peuvent être formés. En ce moment, cependant, ils ne sont pas des professionnels réglementés et ils ne peuvent donc pas offrir la TCD. Par conséquent, il faut modifier les politiques pour donner un peu plus de liberté, permettre à des choses de se produire, des interventions qui perturbent nos systèmes et nous permettent de réaliser ces genres d’intervention, qui sont très efficaces et qui coûtent relativement peu d’argent.

La présidente : Merci, docteure Fisman.

Le sénateur Munson : Je suis un sénateur de l’Ontario, mais je viens du Nouveau-Brunswick. Il n’y a pas beaucoup d’argent au Nouveau-Brunswick. Vous nous avez présenté ce plan. En termes simples, pouvez-vous nous dire pourquoi c’est un bon plan et pourquoi ce devrait être le modèle canadien? Le modèle a-t-il fait ses preuves au Nouveau-Brunswick?

Dre Fisman : Les données semblent excellentes. La beauté du programme, c’est qu’il a permis de réunir des bailleurs de fonds. La question économique est toujours importante. La volonté politique de faire quelque chose de majeur est aussi importante. Au Nouveau-Brunswick, tout a commencé par le haut. La volonté politique de changer les choses et d’apporter des changements était là. Un certain nombre de ministères se sont réunis autour du thème de l’enfant et ont créé un modèle de gouvernance qui a permis tout ça.

Selon moi, vous devez former les gens, les mobiliser, créer des relations de collaboration... Toutes les choses que nous avons faites. On n’y est pas arrivé du jour au lendemain. C’est un processus. Le processus était dirigé par deux professeurs d’université de concert avec le gouvernement et des fournisseurs de services, et le processus a été progressif. Leurs mesures, qui sont résumées dans le document de deux pages, montrent des réductions des listes d’attente et un nombre accru de personnes rencontrées et rencontrées plus rapidement. Puis — et je vais utiliser le mot métastase — le programme s’est métastasé dans différentes régions du Nouveau-Brunswick et a fini par être réalisé dans toute la province.

Cela s’est fait sur une période de neuf ans. Ce sera important de maintenir la cadence, mais, selon moi, c’est un modèle qui vaut la peine d’être examiné. C’est très impressionnant.

La présidente : Merci beaucoup, docteure Fisman d’être là. Je sais que vous avez un avion à prendre, mais nous vous sommes vraiment reconnaissants d’avoir pris un peu plus de temps.

Dre Fisman : Merci de m’en avoir donné l’occasion.

La présidente : Il nous reste 10 minutes, alors je veux encourager mes collègues à poser des questions brèves et notre témoin, à s’en tenir à des réponses courtes, si possible.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup de votre excellent exposé. Je me demande si vous êtes préoccupés par la quantité de médicaments psychotropes prescrits à nos jeunes et aux personnes qui ont des problèmes de santé mentale. En outre, selon vous, y a-t-il, peut-être, des différences métaboliques quant à la façon dont ces médicaments sont absorbés par les membres de différents groupes, entre les colons, les Autochtones, les populations immigrantes...

Dr Wilkes : Pour répondre simplement à cette question, oui, nous sommes inquiets. Il y a beaucoup plus de médicaments prescrits. Je vais vous donner un exemple du résultat des discussions qu’on a eues à ce sujet à Calgary, en Alberta. Il y a eu beaucoup de jeunes qui se retrouvaient à l’urgence, des personnes qui étaient hospitalisées longtemps et des patients qui faisaient l’aller-retour et qui ne pouvaient pas obtenir de congé en raison de leur comportement. Ils prenaient beaucoup de médicaments. Certains affichaient un trouble de la personnalité limite, d’autres des TED et des TSA ou encore des déficiences développementales comme des problèmes d’alcoolisation foetale ou des troubles du spectre autistique.

Nous avons constaté que, lorsque nous réalisons un programme qui mise sur une approche englobante de pair avec les services de protection de l’enfance, des organisations non gouvernementales qui fournissent des soins en établissement et des services de santé et de santé mentale et que tous ces intervenants travaillent ensemble, nous réussissons à éliminer 98 p. 100 des jours d’hospitalisation, ce qui a représenté environ 1 000 jours lorsque nous avons réalisé notre dernier examen. C’est très rentable quand on pense qu’une journée à l’hôpital coûte 1 000 $. Si on a évité 1 000 jours d’hospitalisation, c’est beaucoup d’argent.

Nous savons que l’approche enveloppante est très efficace pour les enfants qui consomment beaucoup plus de médicaments.

Nous savons également que quelque chose comme environ 3 p. 100 des enfants qui sont souvent pris en charge par le système de protection de l’enfance sont ceux qui utilisent le plus de ressources. Ce sont souvent eux qui affichent les problèmes neurodéveloppementaux les plus complexes et qui consomment le plus de médicaments. Ce sont aussi eux qui ont reçu les soins de suivi les plus perturbés. Ils passent d’un médecin à l’autre, et aucun médecin ne veut vraiment arrêter la médication et empirer la situation. Cependant, si on a un programme résidentiel et qu’on travaille en collaboration avec d’autres partenaires, on peut le faire. Cependant, sans ça, les médecins essaient d’assurer la sécurité des jeunes grâce à un encadrement pharmacologique de façon à ce que les enfants n’aillent pas courir au milieu des voitures, n’assassinent pas un parent ou ne montrent pas d’agression à l’égard des autres.

Il s’agit effectivement d’un enjeu qui préoccupe beaucoup de médecins. Nous savons que, s’il y a des antécédents de traumatismes, il s’agit habituellement d’adolescents chez qui les traitements traditionnels ne fonctionnent pas très bien.

Le Sheldon Kennedy Child Advocacy Centre a réuni des responsables de la santé, de la santé mentale, de la Justice et de la protection de l’enfance. Lorsqu’un tel groupe d’intervenants travaille en étroite collaboration, on réduit la quantité de médicaments prescrits.

Il faudrait définir ce qu’on veut dire par thérapie. Par exemple, les thérapies canine, équine, musicale ou sportive sont d’excellentes façons de maîtriser les émotions. Une fois la base solide, on peut commencer à miser sur d’autres interventions.

La sénatrice Omidvar : Docteur Wilkes, l’une de vos recommandations — la première — c’est que l’APC recommande un leadership efficace pour accroître les investissements dans la santé mentale des enfants et des jeunes. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez des investissements que le gouvernement fédéral a annoncés dans le budget de 2017? J’ai une ventilation, ici. On parle d’environ 5 milliards de dollars sur 10 ans, et ce montant est réparti entre les provinces en fonction de la taille de la population. Par exemple, votre province, l’Alberta, obtient 586 millions de dollars sur 10 ans. La province de l’Ontario, d’où je viens, 1,9 milliard de dollars.

Diriez-vous que c’est une bonne première étape? Que ce n’est pas assez? Avez-vous une idée des fonds supplémentaires qu’il faut fournir ou s’agit-il plutôt de réfléchir à la façon dont les fonds sont utilisés? « Ce n’est pas la quantité de fonds en tant que telle, mais la façon qu’on les utilise. » Pouvez-vous m’aider à comprendre.

Dr Wilkes : C’est une excellente question. En Alberta, nous avons eu la chance de faire du lobbying et de la promotion auprès du milieu des affaires. Nous réalisons souvent des projets conjoints dans le cadre desquels la collectivité a versé une somme équivalente à celle du gouvernement afin de réaliser différents projets. Nous avons eu de nouveaux hôpitaux. Nous avons un nouveau centre de santé mentale, qui est en train d’être construit.

Par conséquent, pour ce qui est du premier point, c’est vraiment une bonne première étape, mais il faut aussi rappeler aux gens que, au bout du compte, c’est une question de droits de la personne. Il y a d’excellents services dans les villes, mais la répartition est très mauvaise, tout comme l’accès. Il faut faire un suivi et soutenir les gens afin qu’ils utilisent ces services. Par exemple, aider pour ce qui est du stationnement et prolonger les heures d’ouverture des cliniques jusqu’au soir pour répondre aux besoins des familles monoparentales. Il y a beaucoup d’autres détails plus précis qui peuvent changer la donne quant à la façon dont un service est offert et la façon dont on peut y avoir accès, mais ça reste un très bon premier pas.

La sénatrice Omidvar : Puisque vous venez de l’Alberta, vous avez décrit l’initiative Sheldon Kennedy, que je connais un peu, et vous avez réuni des intervenants pour fournir des services holistiques fondés sur l’approche englobante. L’Alberta s’est vu attribuer 586 millions de dollars sur 10 ans, et ce montant ira s’ajouter à tout ce que l’Alberta et les municipalités fourniront. J’aimerais savoir si vous participez aux discussions quant à la façon dont l’argent est distribué en Alberta.

Dr Wilkes : Je ne participe pas à ces réunions. C’est pour des gens plus haut placés que moi, je crois. Cependant, le gouvernement provincial, comme Sarah Hoffman, la ministre de la Santé, et d’autres cadres des autres composantes des services de santé albertains y participent.

La sénatrice Omidvar : Est-ce que l’APC est consultée à ce sujet?

Dr Wilkes : Bonne question. L’ACP n’est pas consultée à ce sujet, précisément. Il y a des médecins qui participent à ces réunions de conseil, et on leur demande leur avis quant à la façon dont l’argent doit être dépensé. Les intervenants discutent en table ronde de tout ça.

La sénatrice Dasko : Docteur Wilkes, vous avez mentionné la cybersanté?

Dr Wilkes : Les services de santé mentale en ligne, oui.

La sénatrice Dasko : Selon vous, est-ce que les services de santé mentale en ligne constituent une méthode efficace et moins coûteuse d’assurer la prestation de services et ont-ils pour effet d’accroître l’accessibilité? Est-ce quelque chose dont vous faites la promotion?

Dr Wilkes : En Alberta, nous tentons de promouvoir ces services comme une meilleure façon pour les gens d’avoir accès à l’information dans les collectivités pour promouvoir la littéracie en matière de santé mentale. Comme on l’a dit précédemment, beaucoup de personnes ont de la difficulté à maîtriser leurs émotions. Nous tentons d’améliorer les connaissances communautaires en matière de santé mentale dans les écoles et dans d’autres régions, comme dans les régions Autochtones et les réserves. Nous voulons aussi nous assurer que tout ça est facilement accessible pour les médecins de famille qui peuvent consulter l’information et aiguiller leurs patients vers ces autres ressources.

Il y a l’ABC de la thérapie cognitive, une approche de traitement bien connue pour lutter contre la dépression, qui est accessible. Des ressources pour les gens qui sont aux prises avec l’intimidation, des ressources pour ceux qui ont des problèmes de violence ou de négligence. On tente de permettre aux jeunes d’avoir accès aux services.

La sénatrice Dasko : Donc ça couvre beaucoup de domaines?

Dr Wilkes : Oui, et je participe aux discussions quant à la façon dont nous pouvons mettre en place des services de santé mentale en ligne afin d’essayer d’améliorer les services. Comme toute province, les régions nordiques, loin des grandes villes, dans les zones plus rurales, ont moins de ressources. C’est une autre façon de fournir de l’aide aux médecins de famille, et aussi à d’autres psychiatres, qui n’ont pas de connaissances spécialisées liées aux enfants et à l’adolescence, mais qui peuvent avoir accès à ces services de santé mentale en ligne.

La présidente : Je tiens à remercier nos témoins.

Vos commentaires, vos idées et votre expertise se sont déjà révélés très précieuses dans le cadre de notre étude, et je tiens à vous en remercier.

(La séance est levée.)

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