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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 47 - Témoignages du 18 octobre 2018


OTTAWA, le jeudi 18 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 10 h 31, afin de poursuivre son étude des questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général (sujet : l’étude sur la santé mentale des enfants et des adolescents).

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

Je m’appelle Chantal Peticlerc, sénatrice du Québec. C’est avec plaisir que je préside la réunion de ce matin.

[Traduction]

Avant de céder la parole aux témoins, que nous sommes heureux d’accueillir, j’invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, vice-présidente du comité, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l’Ontario.

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La présidente : Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur la santé mentale des enfants et des adolescents. Il s’agit de rencontres préliminaires.

[Traduction]

Il s’agit de la troisième réunion préliminaire dans le cadre de la présente étude. Ce processus a été très utile. Lorsqu’il est question des jeunes et de la santé mentale, il y a de nombreuses considérations, de nombreux défis et beaucoup de cloisonnements. Nous avons très hâte de connaître vos points de vue et de bénéficier de votre expertise de façon à ce que nous puissions formuler nos recommandations au gouvernement fédéral.

Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins de la journée. Nous accueillons Mme Calla Barnett, présidente du Centre canadien de la diversité des genres et de la sexualité. Nous sommes aussi heureux d’accueillir Karen Cohen, chef de la direction de la Société canadienne de psychologie.

[Français]

Bienvenue à tous.

[Traduction]

Je vais vous demander de commencer votre déclaration préliminaire. Essayez de vous en tenir à moins de sept minutes.

[Français]

Nous allons commencer avec vous, madame Cohen.

[Traduction]

Karen Cohen, chef de la direction, Société canadienne de psychologie : Bonjour.

La SCP, la Société canadienne de psychologie, est l’association nationale de la science, de la pratique et de l’éducation de la psychologie au Canada. Nous sommes très heureux de savoir que le comité s’intéresse à la santé mentale des enfants et des jeunes. En 2006, c’est le même comité qui a publié le rapport De l’ombre à la lumière : la transformation des services concernant la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie au Canada, rapport qui a vraiment constitué un moment décisif pour l’avancement de la santé mentale des Canadiens.

Nous avons fait beaucoup de chemin depuis la publication du rapport : on a créé la Commission de la santé mentale et publié la première stratégie nationale en matière de santé mentale. La santé mentale est un sujet important, et la stigmatisation et la discrimination diminuent.

Le budget de 2017 prévoyait 5 milliards de dollars sur 10 ans pour la santé mentale. Même si la SCP appuie fortement cet engagement, nous croyons qu’un financement à long terme, durable et prévisible lié à l’amélioration de l’accès à des services fondés sur des données probantes est requis pour qu’il soit possible d’atteindre la parité entre les maladies physiques et les maladies mentales au Canada.

La page 5 du rapport souligne un point important :

Les statistiques prouvent que les médicaments seuls ne donnent pas des résultats aussi efficaces que lorsqu’ils sont jumelés à des séances de psychothérapie. D’autres types de thérapies ne sont pas accessibles à ceux et celles d’entre nous qui ont un revenu fixe ou un revenu insuffisant pour pouvoir couvrir les coûts parfois élevés liés à des thérapies faisant appel à des psychologues, des travailleurs sociaux et à des praticiens de médecine douce.

Malheureusement, malgré les réalisations liées à la santé mentale des 12 dernières années, cette affirmation est toujours d’actualité.

Selon la Commission de la santé mentale du Canada, environ 1,2 million d’enfants et de jeunes au pays ont des problèmes de maladie mentale, mais moins de 20 p. 100 recevront un traitement approprié. Rendu à 25 ans, environ 20 p. 100 des Canadiens afficheront une maladie mentale.

À tout moment, environ 12,6 p. 100 des enfants âgés de 4 à 17 ans éprouvent des problèmes de santé mentale cliniquement importants, des problèmes pouvant avoir de graves conséquences, comme un mauvais rendement à l’école, la toxicomanie ou l’automutilation. On peut cerner les enfants qui ont des problèmes importants dès l’âge de 4 à 7 ans.

Les données probantes les plus solides du rendement des investissements en santé mentale concernent les services et les mesures de soutien pour les enfants et les jeunes : les services qui permettent de réduire les troubles du comportement et la dépression, de fournir des compétences parentales, de fournir une éducation contre l’intimidation et la stigmatisation, de promouvoir la santé dans les écoles et d’assurer un dépistage de la dépression et de l’alcoolisme dans le cadre des soins de santé primaires.

Il est essentiel d’atteindre les enfants là où ils vivent, apprennent et jouent, ce qui signifie qu’il faut les joindre dans les écoles, où les psychologues jouent un rôle important dans la prévention, l’intervention précoce et le traitement des problèmes de santé mentale. Les psychologues dans les écoles mettent à profit leur expérience spécialisée dans l’élaboration et l’évaluation de programmes de prévention, d’intervention, d’évaluation et de diagnostic relativement aux troubles psychologiques et cognitifs. Lorsqu’un traitement est nécessaire, les psychologues scolaires peuvent avoir recours à des interventions fondées sur des données probantes.

Pour s’assurer que les psychologues scolaires peuvent offrir ces services, il faut maintenir un ratio adéquat entre les psychologues et les étudiants. De façon générale, le ratio ne devrait pas dépasser un psychologue scolaire pour 1 000 étudiants. Lorsque le champ d’exercice inclut des services complets de prévention et de traitement, comme des évaluations, des consultations avec les enseignants et les parents, l’intervention en cas de crise et des traitements psychologiques, un tel ratio ne devrait pas dépasser un psychologue scolaire pour de 500 à 700 étudiants. En outre, lorsque les psychologues doivent travailler principalement avec les étudiants qui ont d’importants besoins spéciaux, comme ceux qui ont de graves troubles émotionnels, comportementaux ou développementaux, le ratio entre les psychologues scolaires et les étudiants devrait être encore plus bas.

L’intégration des services de santé mentale dans les services de soins primaires est aussi une étape importante, parce que c’est souvent là que les parents et les familles font part pour la première fois de leur préoccupation en matière de santé. Le fait d’affecter des psychologues et d’autres fournisseurs de soins de santé mentale dans les milieux de soins primaires peut permettre l’adoption d’une approche de soins progressive à la fois rapide et adaptée.

Le développement durant la petite enfance a une incidence sur tout le reste de la vie, y compris la santé mentale aux étapes ultérieures de la vie. L’important développement neurologique, physique, cognitif et comportemental qui se produit durant les premières années est fortement influencé par l’expérience. Les parents et les soignants peuvent façonner ces expériences, et les enfants sont les cibles parfaites pour des interventions le plus précoces possible, de façon à soutenir la santé mentale des gens tout au long de leur vie.

Le soutien aux familles et aux bébés peut inclure des campagnes d’information. De telles campagnes peuvent être aussi simples et peu coûteuses que le fait de poser des affiches dans des endroits souvent fréquentés par les familles, comme des supermarchés et des arrêts d’autobus. Ces affiches peuvent cerner des façons précises et faciles pour les parents d’encourager un développement optimal. En outre, les visites à domicile, qu’on réalise déjà au Canada, se sont révélées efficaces pour réduire le recours aux soins de santé d’urgence et les résultats négatifs du point de vue cognitif, comportemental et psychologique, et le soutien en santé mentale pour les parents, particulièrement les parents qui éprouvent des difficultés.

Malgré les efforts de promotion de la santé et de prévention des maladies, certaines personnes vont finir par afficher des problèmes et des troubles psychologiques pour lesquels ils auront besoin d’un traitement. Il faudrait offrir à tous les Canadiens un accès à une intervention efficace pour lutter contre les problèmes de santé mentale, et ce, peu importe leur niveau de revenu ou l’accès à une assurance-maladie privée.

Si les ratios de dotation de personnel en santé mentale dans les établissements publics du Canada ne sont pas réalistes ou ne sont pas respectés, les enfants et les familles qui n’ont pas les moyens de se payer un traitement dans le secteur privé se retrouvent sur de longues listes d’attente, se tournent vers la seule médication ou n’obtiennent pas d’aide du tout.

Si nous voulons un système de soins de santé qui offre des soins efficaces du point de vue des coûts et des résultats cliniques, il faut revoir les politiques, les programmes et les structures de financement par l’intermédiaire desquels on assure la prestation des soins de santé.

La SCP exhorte tous les ordres de gouvernement à investir dans des solutions de santé mentale fondées sur des données probantes. Le Canada a pris du retard sur d’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Australie, les Pays-Bas et la Finlande, qui ont tous mis en place des initiatives en santé mentale qui incluent la couverture publique des services des psychologues. De telles initiatives se révèlent efficaces du point de vue tant des coûts que des résultats cliniques. Ce sont des initiatives qui fournissent aux gens les soins dont ils ont besoin, des soins qui sont fournis par des professionnels de la santé réglementés qui ont reçu la formation appropriée. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à vous, madame Barnett.

Calla Barnett, présidente, Centre canadien de la diversité des genres et de la sexualité : Merci beaucoup. En tant que présidente du Centre canadien de la diversité des genres et de la sexualité, je suis ici pour parler précisément de la santé mentale des jeunes LGBTQ2SIA, soit les lesbiennes, les gais, les bisexuels, les transgenres, les queers, les bispirituels, les intersexués et les asexuels.

Nous sommes un organisme de défense des droits et d’éducation. Nous travaillons dans les écoles partout au Canada. Nous travaillons aussi avec la fonction publique fédérale et d’autres organismes qui veulent de la formation. Certains cours sont offerts gratuitement, et d’autres sont facturés. Cela dépend de la situation, et nous sommes toujours heureux de négocier.

Nous travaillons très précisément avec les jeunes, et ce, à grande échelle. L’année dernière, nous avons produit ce que nous avons appelé le programme rose, qui souligne nos priorités dans divers domaines intersectionnels de la défense des droits des LGBTQ2SIA contre la discrimination. Nos trois points saillants en ce qui a trait aux problèmes de santé mentale sont que nous avons besoin de plus de ressources, de plus de formation et plus de financement, et pas seulement dans les écoles. Tout particulièrement, il faut former les psychologues, les psychiatres et les travailleurs sociaux qui travaillent auprès de nos jeunes LGBTQ2SIA, parce qu’ils n’ont pas nécessairement accès à l’information nécessaire pour composer efficacement avec un enfant transsexuel suicidaire. Le suicide chez les queers et les jeunes transgenres est un problème très prévalent. Je viens de lire une étude de Veale et de ses collaborateurs selon laquelle, pour chaque suicide de cisgenre, il y a 18 suicides de transgenre. C’est un problème omniprésent dans nos collectivités.

Deuxièmement, il faut interdire la thérapie de conversion. La thérapie de conversion est une thérapie en vertu de laquelle un enfant soupçonné d’être LGBTQ2SIA est habituellement envoyé dans un camp où il apprend à être hétérosexuel ou cisgenre. Les méthodes utilisées sont généralement très violentes et peuvent avoir un impact sur la santé mentale du jeune. Comme nous le savons tous, nous sommes nés comme ça — les queers et les transgenres —, et le fait d’envoyer les jeunes à un endroit où on leur dit qu’ils sont mauvais toute la journée... Chaque jour passé dans un tel endroit aura des répercussions néfastes sur ces jeunes, et ce, pour le reste de leur vie.

Enfin, nous préconisons l’accès gratuit aux services de santé mentale et aux programmes de bien-être mental partout au pays. Ce sont nos trois principaux points. J’aimerais souligner que l’Ontario, le Manitoba et, plus récemment, le 25 septembre, si je ne m’abuse, et la Nouvelle-Écosse ont interdit d’une façon ou d’une autre la thérapie de conversion. Nous applaudissons ces efforts et espérons qu’on ne s’arrêtera pas là.

Merci beaucoup. Ce sont de brèves déclarations. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

[Français]

La présidente : Merci à nos deux témoins.

[Traduction]

Nous avons des questions. Je suis sûre qu’il y en aura beaucoup. Nous allons commencer par la vice-présidente.

La sénatrice Seidman : Merci à vous deux de vos exposés.

Si vous me permettez d’examiner un peu plus en profondeur les statistiques que vous avez présentées... Dois-je vous appeler Mme Cohen ou...?

Mme Cohen : Je suis titulaire d’un doctorat.

La sénatrice Seidman : Madame Cohen, le rapport d’étape de 2016 de l’Agence de la santé publique du Canada sur le cadre fédéral de prévention du suicide résume certaines statistiques canadiennes. Nous savons que le suicide arrive au deuxième rang des causes de décès chez les enfants et les jeunes âgés de 10 à 19 ans. Bien sûr, je crois que les accidents sont la première cause, ce qui va malheureusement de soi. Jusqu’à 90 p. 100 des 4 000 personnes qui se suicident chaque année au Canada ont une maladie mentale; 90 p. 100. Si on regarde plus précisément la situation des enfants et des jeunes qui se suicident — si vous avez ces statistiques —, quelle proportion d’entre eux avaient des problèmes de santé mentale?

Mme Cohen : Me demandez-vous si la proportion est aussi d’environ 90 p. 100?

La sénatrice Seidman : Oui.

Mme Cohen : Je n’ai pas l’information sous la main. J’imagine que ce serait similaire à ce qui a été constaté, mais je peux obtenir cette information pour vous.

La sénatrice Seidman : D’accord. Ce serait parfait.

Savons-nous, par exemple, quelles sont les différences au chapitre du genre entre ces jeunes âgés de 10 à 19 ans? Les différences liées au genre, le cas échéant, pour ce qui est des taux de suicide, des tentatives de suicide et de l’automutilation? Il y a trois catégories.

Mme Cohen : Je peux essayer, là aussi, d’obtenir ces données pour vous.

La sénatrice Seidman : D’accord.

Mme Cohen : Les seules différences liées au genre dont j’ai eu connaissance concernent la fin du continuum de l’âge, et je parle ici des hommes âgés, mais je peux aussi me pencher là-dessus pour vous.

La sénatrice Seidman : Et êtes-vous au fait d’autres facteurs de risque, comme des facteurs sociodémographiques, ou encore d’autres facteurs qui peuvent nous aider à comprendre s’il y a des différences importantes au sein de la population? J’aimerais obtenir des statistiques démographiques.

Mme Cohen : Lorsque nous avons produit un document il y a plusieurs années pour le comité, l’une des choses que nous avons suggérées, c’est que, en raison de la très haute proportion de personnes qui avaient des problèmes de santé mentale et des maladies mentales, il est évident qu’il fallait intervenir beaucoup plus rapidement. L’un des grands défis auxquels nous sommes confrontés partout au pays — et je crois que Calla y a fait aussi allusion — c’est qu’il y a de réels obstacles et parfois de réels obstacles économiques, aussi, pour obtenir de l’aide en santé mentale.

La sénatrice Seidman : Exactement et il y a aussi des obstacles liés à l’âge, comme nous l’avons entendu.

Mme Cohen : Oui. Une partie des obstacles liés à l’âge sont associés à l’autre point que nous avons soulevé, soit le fait qu’il faut joindre les enfants là où ils vivent et là où ils sont, pas nécessairement dans des installations tertiaires, comme des hôpitaux, mais dans les écoles et les collectivités, et dans les cliniques de soins primaires, où, trop souvent, le financement pour une aide en santé mentale ou des ressources accessibles en matière de santé mentale se font trop rares.

La sénatrice Seidman : J’aimerais vous poser une question précise au sujet de quelque chose que vous avez dit dans votre déclaration. Vous avez dit qu’il est important de miser sur des solutions en santé mentale fondées sur des données probantes. Je le soulève maintenant, parce que vous avez parlé des écoles, parmi les lieux de soins primaires. C’est aussi quelque chose dont vous avez aussi parlé, madame Barnett : l’importance d’offrir des services dans ces milieux, aider ces enfants avant qu’on se retrouve avec d’énormes crises. Vous avez dit que le Canada a pris du retard sur d’autres pays, comme le Royaume-Uni et la Finlande. Vous en avez nommé quelques autres.

Y a-t-il des solutions fondées sur des données probantes en matière de santé mentale? Dans quelle mesure avons-nous pris du retard? À quoi faites-vous référence exactement, ici?

Mme Cohen : Je peux vous parler des interventions qui misent davantage sur des programmes réalisés au Royaume-Uni et en Australie. Le Royaume-Uni mise sur un programme d’amélioration de l’accès aux services psychologiques. Les Britanniques ont commencé par les conditions révélatrices, la dépression et l’anxiété, et la prestation de soins connexes. Il s’agit d’approches cognitivocomportementales élaborées pour lutter contre la dépression et l’anxiété. Ils forment des thérapeutes, qui sont souvent supervisés par des psychologues chargés d’évaluer leurs résultats. Ils recueillent des données sur l’efficacité de ces programmes... Jusqu’à 90 p. 100 des séances, si j’ai bien compris. Si je ne m’abuse, environ 45 p. 100 des participants au programme qui étaient aussi bénéficiaires dans le cadre d’un programme d’invalidité cessent d’être bénéficiaires d’un tel programme après l’intervention. Ils ont beaucoup de mesures qui confirment l’efficacité des interventions. C’est quelque chose qu’ils ont fait avec les deniers publics. C’est plus facile à faire au Royaume-Uni qu’au Canada, parce qu’il y a là-bas un seul service de santé national, tandis que, ici, nous en avons plusieurs, et la coordination est donc plus difficile. C’est quelque chose dont notre association a parlé à Santé Canada et à l’Agence de la santé publique du Canada, et ce, depuis un certain temps, particulièrement au moment où le gouvernement envisageait des transferts ciblés pour la santé mentale; nous estimions alors qu’il fallait miser sur une approche un peu plus systématique.

L’Australie a adopté une approche différente. Les Australiens le font par l’intermédiaire des soins primaires, qui sont financés à l’échelle nationale, tandis que les soins tertiaires relèvent des États. Si je ne m’abuse, ils ont recours à des psychologues, des travailleurs sociaux formés et des ergothérapeutiques, et encore là, par l’intermédiaire du système public de soins primaires.

Ils offrent un certain nombre de séances couvertes aux gens qui en ont besoin. Tout ça est supervisé grâce au renvoi d’un médecin de famille. Ils ont réussi à faciliter l’accès à des traitements financés publiquement.

Il est certain que le Québec et l’Ontario ont annoncé en partie leurs intentions en ce qui a trait aux transferts ciblés et ce qu’ils comptent faire du point de vue de la santé mentale, et c’est parfait. Je crois que l’Ontario veut concentrer ses efforts sur les enfants et les jeunes. Les Ontariens ont utilisé ce qu’on appelle la psychothérapie structurée, qui, si j’ai bien compris, mise essentiellement sur des interventions de type cognivocomportemental. Ce sont des interventions qu’on utilise souvent pour des choses comme la dépression, l’anxiété, la maîtrise de la colère et tous ces genres de problèmes. C’est tout simplement que d’autres pays ont réussi à le faire à plus grande échelle et, surtout, à rendre les interventions accessibles au moyen d’un financement accru.

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup à vous deux de vos exposés. J’ai des questions pour vous deux.

Madame Cohen, cette idée sur les écoles semble être une façon tellement logique de commencer. Est-ce que les commissions scolaires ont affiché un intérêt à ce qu’un plus grand nombre de psychologues évaluent directement les enfants qui sont à la maternelle et à la prématernelle, qu’ils les observent? Constate-t-on un engouement marqué des écoles afin d’aller de l’avant?

Mme Cohen : Multipliez toutes les provinces et les territoires par le nombre de commissions scolaires. La situation est probablement différente d’une commission scolaire à l’autre. Nous avons entendu un certain nombre de choses de nos membres qui travaillent dans des écoles. Souvent, ils ne sont pas assez nombreux. Les enfants attendent peut-être 12 ou 18 mois pour faire l’objet d’une évaluation.

La sénatrice Eaton : C’est trop long.

Mme Cohen : Si un enfant a un trouble d’apprentissage ou un problème de développement et qu’il n’est pas évalué en temps opportun, qu’arrive-t-il? Eh bien, cette année ou ces 18 mois durant lesquels on rit peut-être de lui ou durant lesquels il ne réussit pas sur le plan social parce qu’il n’obtient pas l’aide dont il a besoin pour composer avec un problème connu... Il est évident que la pénurie est un des problèmes.

Il y a aussi la question de la façon dont les rôles et les tâches des psychologues sont définis lorsqu’ils ne sont pas assez nombreux. Doivent-ils seulement évaluer les enfants? Ou doivent-ils intervenir et faire quelque chose pour les aider?

Je sais que, localement, j’ai souvent entendu des collègues qui travaillent en psychologie pédiatrique dire que, même dans le secteur privé, il faut parfois attendre deux ou trois mois avant de voir quelqu’un. Les parents le font. Ils veulent que leurs enfants soient évalués et ils veulent un soutien rapide.

La sénatrice Eaton : Ce que vous me dites, essentiellement, c’est que les écoles n’ont pas encore vu là une occasion de commencer à aider les enfants à un très jeune âge? Elles n’ont pas encore consacré les ressources nécessaires pour embaucher plus de psychologues?

Mme Cohen : Ou elles n’en ont peut-être pas assez. J’imagine que c’est ça, le défi. Assurément, je sais ce que les membres de notre profession vivent : lorsque les institutions publiques font face à des pressions, qu’il s’agisse d’un hôpital, d’une école ou d’un établissement correctionnel, au bout du compte, la situation a une incidence sur les ressources humaines salariées, y compris les psychologues. J’ai entendu des administrateurs d’établissement dire que les gens pouvaient obtenir ce genre de soins dans la collectivité. Eh bien, dans la collectivité, de tels soins ne sont pas couverts par notre régime d’assurance-maladie.

La sénatrice Eaton : Vous avez fait valoir un excellent point, à savoir qu’il faut cibler les enfants là où ils travaillent, là où ils jouent.

Madame Barnett, aviez-vous quelque chose à ajouter? J’ai ensuite une question à vous poser.

Mme Barnett : Oui. C’est un peu anecdotique, mais un de mes parents a une maîtrise en travail social, et j’ai grandi dans le milieu du travail social. J’ai aussi une fille qui souffre de TDAH et qui est passée par le système scolaire pour obtenir un soutien psychologique.

Ici, à Ottawa, dans le conseil scolaire public francophone, il y a deux psychologues pour l’ensemble du territoire. Deux pour toutes les personnes âgées de 4 à 17 ans de la ville. Je ne sais pas combien il y a de personnes, mais une telle situation exige d’établir les priorités en fonction du niveau d’urgence. Le fait que ma fille était suspendue tous les jours pendant deux semaines en raison de son TDAH et parce qu’elle n’arrivait pas à se contrôler passe après le cas d’un adolescent suicidaire, mais cette situation est à même de créer des problèmes pour ma fille plus tard. Tout a fini par s’arranger — les gens ont été incroyables —, mais j’ai dû déployer beaucoup d’efforts en tant que parent. Une partie du problème, c’est qu’il faut faire participer davantage les parents lorsqu’il est question de la santé mentale de leurs enfants.

La sénatrice Eaton : Ou faire participer davantage les écoles d’entrée de jeu.

Mme Barnett : Peut-être, oui, mais, dans mon cas, l’école participait.

La sénatrice Eaton : Mais elle n’avait pas assez de ressources?

Mme Barnett : Exactement.

La sénatrice Eaton : Vous avez dit que, très souvent, dans le cas des enfants transgenres ou gais, les psychologues n’ont pas l’information dont ils ont besoin pour repérer un enfant pouvant être suicidaire.

Mme Barnett : Oui. C’est un peu plus compliqué que ça.

La sénatrice Eaton : Expliquez-le-moi. Je vous pose la question.

Mme Barnett : Absolument. Il ne s’agit pas seulement de repérer les tendances suicidaires, il faut savoir de quelle façon soutenir cet enfant s’il est suicidaire ou déprimé. L’enfant peut être aux prises avec une peur bien réelle qu’il sera rejeté par sa famille. Ce qui arrive à cet enfant, c’est qu’on lui dit qu’il est trop jeune pour prendre de telles décisions et on le force à être quelque chose qu’il n’est pas. Il a peur d’être rejeté par son enseignant et son école. Il est peut-être d’une autre confession que la confession chrétienne et, dans un tel cas, la composante religieuse de ce à quoi il est confronté peut être différente.

C’est vraiment honteux que tous les psychologues ne soient pas formés pour composer avec de tels cas, des choses comme la dysmorphie corporelle, par exemple, le fait de croire que notre corps n’est pas le nôtre, ce qui est un problème courant chez les jeunes transgenres suicidaires. Ce que cela signifie...

La sénatrice Eaton : Ils ne s’identifient pas à leur corps?

Mme Barnett : Ils ne s’identifient pas à leur corps. Ce qu’ils ont dans la tête et ce qu’ils ressentent dans leur corps ne correspondent pas. Même si on les accepte, même si tout le monde accepte qui ils sont, même s’ils sont sortis du placard et que tout va bien, ils restent déprimés.

L’accès à ce genre de formation n’est pas courant pour les professionnels de la santé mentale partout au pays. Beaucoup de professionnels de la santé mentale ont reçu une formation, mais elle est facultative. C’est un choix. C’est quelque chose dont nous pourrions discuter davantage, surtout dans les écoles.

La sénatrice Eaton : Me reste-t-il du temps? Non?

La présidente : Nous pouvons vous inscrire au deuxième tour.

Le sénateur Manning : Bienvenue à nos invités. J’ai beaucoup de questions et peu de temps pour les poser.

Vous avez mentionné tantôt, madame Cohen, la répartition initiale de 5 milliards de dollars sur 10 ans, financement relativement auquel s’est engagé le gouvernement fédéral l’année dernière. Durant l’exercice 2017-2018, c’est 100 millions de dollars qui ont été distribués au prorata de la population aux provinces et aux territoires, soit environ 2 p. 100 des 5 milliards.

Selon vous, est-ce que ce niveau d’investissement... Il reste encore neuf ans. Quels sont les domaines prioritaires? Doit-on en faire plus? À ce rythme, si nous continuons de verser le même montant, nous allons seulement dépenser environ 1 milliard de dollars sur les 5 milliards de dollars annoncés... Et dépenser le montant supplémentaire... Je me demande si vous pourriez nous en parler.

Mme Cohen : Il y a deux ou trois enjeux liés à tout ça. La SCP est membre de l’Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale. L’une des choses que ce groupe a demandées, c’est l’augmentation de la proportion du budget de la santé consacré aux besoins en santé mentale. Habituellement, cette proportion est d’environ 7 p. 100. Elle devrait être de 9 p. 100. Les transferts ciblés, comme je l’ai dit, sont un très bon début, mais, selon moi, les provinces doivent pouvoir compter sur la durabilité de ce financement. Je crois que les solutions doivent être adaptées à l’administration. Différentes administrations peuvent avoir des problèmes différents lorsqu’il est question de la santé mentale de leur population.

L’une des préoccupations qu’a eues la SCP dans le passé, cependant, c’est que nous parlons de la santé mentale comme s’il s’agissait d’une chose unique. Nous avons une Commission de la santé mentale. Nous n’aurions jamais une commission de la santé physique. Ce serait ridicule. Nous agissons comme s’il y avait un seul problème de santé mentale et une seule solution, aussi. Ce n’est pas le cas.

Même ce que l’Ontario et le Québec proposent actuellement — comme je l’ai mentionné, en Ontario, on parle de programmes structurés pour les enfants et les jeunes — ne permettra pas de répondre aux besoins en matière de santé mentale de tous les résidents de l’Ontario, et c’est la raison pour laquelle, selon moi, une approche fondée sur les soins de santé primaires présente un certain attrait. Un service de soins de santé primaires peut se doter d’employés en fonction des besoins des personnes et des patients qu’il sert.

J’imagine que ce n’était pas une mauvaise réponse budgétaire, mais la situation est peut-être un peu plus compliquée.

Le sénateur Manning : C’est parfait. Madame Barnett, je ne suis pas sûr d’avoir compris exactement ce que vous avez dit. L’un de vos problèmes, c’est l’accès à des soins de santé mentale gratuits ou l’accès à des soins de santé?

Mme Barnett : Des soins de santé mentale gratuits.

Le sénateur Manning : Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? De quelle façon peut-on corriger le tir? Avez-vous des suggestions sur la façon de procéder?

Mme Barnett : Eh bien, Mme Cohen a formulé beaucoup de suggestions pour ce qui est d’envoyer des psychologues dans les écoles afin de joindre les enfants là où ils sont. D’autres problèmes découlent des régimes de santé provinciaux qui, avant, couvraient certains services de santé mentale, ce qui n’est plus le cas. C’est un choix qu’on a fait. Je sais qu’il y a eu un changement important récemment en Ontario en ce qui a trait à la structure des services de santé mentale.

Toutes les agences qui font du travail social font des pieds et des mains pour respecter les exigences redditionnelles qui viennent d’être changées alors qu’elles venaient tout juste de s’habituer aux exigences précédentes. Beaucoup d’argent est englouti lorsque les gouvernements provinciaux se succèdent, ce qui fait en sorte que moins de fonds sont consacrés aux services et à l’accès, et plus d’argent est affecté aux rapports et à la responsabilisation.

De plus, les régimes privés d’assurance et les régimes d’assurance-maladie ne sont pas offerts dans les universités. Les jeunes qui vont à l’université sont couverts, mais seulement pendant trois séances. Ce n’est pas assez. Trois séances avec un psychiatre, c’est à peine suffisant. Dix pourraient être assez. Puis, il y a les psychiatres qui décident de facturer plus cher lorsqu’une personne a une assurance, et qui, une fois le montant écoulé, facturent leurs clients à un taux plus bas. Il se produit plein de choses qui font en sorte qu’il est difficile d’avoir accès aux soins de santé pour des raisons financières. Je vais m’arrêter ici.

Le sénateur Manning : Je suis préoccupé par la question de l’accès, peu importe où on vit au Canada. Je viens d’une petite collectivité rurale de Terre-Neuve-et-Labrador. Je connais des enfants qui ont des problèmes de santé mentale. Il y a une stigmatisation à cet égard, surtout dans les petites collectivités et les petites écoles. Le gouvernement fédéral a annoncé pas mal d’argent pour le programme. La prestation des soins de santé est, dans la plupart des cas, une compétence provinciale.

Est-ce que l’une ou l’autre d’entre vous pourrait me dire si on fait quelque chose en Ontario, au Québec, au Manitoba ou je ne sais trop où, que les autres provinces devraient imiter en ce qui a trait à la prestation des soins de santé mentale? Ma préoccupation concerne l’ensemble du pays, en haut comme en bas, surtout lorsqu’on parle des collectivités côtières ou rurales, loin des grands centres. Je vais en rester là.

Mme Barnett : Je ne sais pas ce qui se passe dans toutes les provinces en ce qui a trait à l’accès aux soins dans les régions rurales. Je sais que, en Ontario, par exemple, les responsables ont récemment mis en place des services de soins de santé mentale à l’intention des Autochtones dans les réserves. Ces services sont gérés par les Autochtones et leur sont destinés. C’est un pas dans la bonne direction.

D’un autre côté, il y a eu de récents changements qui ont fait en sorte que les choses sont plus difficiles. Je ne crois pas que l’Ontario est nécessairement une province à imiter, même s’il est évident qu’elle offre de bons programmes.

Mme Cohen : Je pense qu’on a beaucoup parlé d’étendre les programmes qui fonctionnent d’une administration à l’autre. Pendant un certain temps, le Conseil de la fédération s’est penché sur la question des soins offerts par des équipes qui se sont répandues dans toutes les administrations.

Je crois que chaque administration a ses propres besoins uniques. Il n’est pas évident que quelque chose qui fonctionne à un endroit aura du succès dans un autre.

La Commission de la santé mentale possède un groupe consultatif sur les soins de santé mentale en ligne dont nous sommes membres. Je pense qu’on accorde beaucoup d’attention à l’heure actuelle dans les régions éloignées à la possibilité de fournir des soins autrement qu’en personne. Il y a des services pour les enfants et les jeunes qui misent beaucoup sur les nouvelles technologies pour assurer la prestation des services et fournir du soutien. Je crois que ce sont des choses prometteuses. Selon moi, il faut tout de même que ces approches soient fondées sur des données probantes et que les services soient offerts ou supervisés par des personnes accréditées pour fournir de tels soins.

Je suis bien sûr tout à fait d’accord avec Mme Barnett quant à l’importance des compétences culturelles dans le cadre de la prestation des soins. Tout fournisseur de soins doit comprendre les enjeux propres à la population ou aux personnes qu’il sert.

En 2016, nous avons fait une déclaration pour nous opposer à l’utilisation de la thérapie réparatrice, soulignant qu’elle fait plus de tort que de bien et qu’elle a des résultats négatifs. Dans la déclaration, nous avons affirmé l’importance pour les enfants et les jeunes d’avoir accès — lorsqu’ils ont des problèmes de santé mentale, qu’ils soient ou non liés à un quelconque enjeu LGBTQ — à un thérapeute qui s’affirme et qui aborde ces questions de façon positive.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup. Ma première question est destinée à Mme Cohen. Encore une fois, je viens d’une petite collectivité de Terre-Neuve-et-Labrador. Dans notre système scolaire, nous avons dû nous appuyer de façon disproportionnée sur le travail des conseillers en orientation pour gérer ces problèmes. Ce sont eux qui déterminent si un enfant aura un rendez-vous avec un psychologue ou quel enfant doit être aiguillé vers des soins primaires, parce que l’accès à des services psychiatriques est quasiment inexistant.

Avez-vous des données probantes qui laissent entendre que le modèle des conseillers en orientation fonctionne? Ces intervenants ont-ils besoin de formation précise supplémentaire en raison de leur propre vulnérabilité et du risque d’épuisement professionnel? Croyez-vous qu’il pourrait s’agir d’un modèle susceptible, d’une manière cohérente et relativement neutre sur le plan financier, d’améliorer l’accès pour ces enfants vulnérables?

Mme Cohen : C’est une autre question intéressante. Il y a plusieurs façons d’aborder cette situation.

L’une des choses dont nous avons parlé, c’est qu’il est important, d’entrée de jeu, de réaliser une évaluation fiable, de façon à ce qu’on fournisse au bon enfant ou à la bonne personne les soins dont l’intéressé a besoin. On peut y arriver en plaçant les ressources les mieux formées au début du processus. On n’a pas tendance à procéder de cette façon, mais c’est une façon de faire. On peut ainsi faire un bon tri, de façon à ce qu’un trouble anxieux ne soit pas mal diagnostiqué ou qu’on ne passe pas à côté d’un trouble d’apprentissage.

Cela dit, dans les programmes comme ceux du Royaume-Uni, les gens qui assurent la prestation des programmes et qui procèdent aux évaluations connexes sont très supervisés et ils ont beaucoup de soutien dans le cadre de leur travail. Je crois qu’on pourrait probablement avoir recours aux conseillers en orientation tant que, dans leur travail, ils bénéficient d’une formation et d’encadrement suffisants pour gérer les problèmes qu’ils rencontrent.

Vous allez accueillir l’Association canadienne pour la santé mentale plus tard aujourd’hui. Elle offre un programme appelé Retrouver son entrain. Vous devriez peut-être poser des questions à M. Smith à ce sujet. Je crois que c’est un modèle dans le cadre duquel les fournisseurs offrent le service, mais pour ce qui est du dépistage et des interventions, ils ont accès à des professionnels plus spécialisés, comme des psychologues.

Le sénateur Ravalia : Avez-vous accès à certains documents britanniques que vous pourriez nous fournir, s’il vous plaît?

Mme Cohen : Oui, je peux me pencher là-dessus.

La présidente : Avez-vous quelque chose à ajouter, madame Barnett?

Mme Barnett : Non.

Le sénateur Ravalia : J’ai une question pour Mme Barnett aussi.

Dans un même ordre d’idées, nous avons constaté une augmentation de la vulnérabilité des enfants LGBTQ dans les collectivités rurales. Non seulement ces jeunes risquent d’être ostracisés au sein de leur propre famille, mais ils peuvent aussi l’être dans leur groupe confessionnel et ailleurs. Les médias se sont attardés à une collectivité de Terre-Neuve-et-Labrador qui a vécu une telle crise.

Plus particulièrement, les enfants les plus vulnérables sont les enfants transsexuels. Dans notre propre milieu, parce que nous avons eu d’excellents conseillers, nous avons créé cette notion d’un espace sécuritaire où les enfants ont la possibilité de bénéficier d’un counselling en tête-à-tête. Ils peuvent aussi être aiguillés vers des services appropriés.

Avez-vous des exemples de services similaires offerts à grande échelle ou y a-t-il une occasion pour nous de protéger ces jeunes extrêmement vulnérables?

Mme Barnett : Les espaces sûrs sont chose assez courante partout. On parle d’endroits plus sécuritaires et d’« espaces des braves ». Aucun endroit n’est sécuritaire à 100 p. 100, parce que quelqu’un peut toujours dire quelque chose qu’il ne devrait pas dire. C’est vraiment un très bon concept, surtout pour les jeunes enfants transsexuels. À l’école secondaire, la situation peut être différente pour ces jeunes. Ils peuvent ne pas faire confiance à de telles initiatives même si elles existent.

Selon moi, ça me semble une excellente idée. Je ne sais pas exactement ce qui est offert dans les autres écoles. J’aime cette idée. Cependant, je recommanderais que ces conseillers reçoivent une formation liée à la sensibilisation aux enjeux des LGBT et aux problèmes d’intersectionnalité auxquels les jeunes LGBT sont confrontés. Et ce que je veux dire ici, c’est qu’on peut avoir une jeune personne de couleur qui est aussi une femme transsexuelle et qui devra composer avec un ensemble complètement différent d’enjeux comparativement à une femme transsexuelle blanche, par exemple. Les gens doivent être formés pour qu’une telle initiative soit vraiment efficace.

Il faudrait aussi leur fournir une formation sur les paroles sécurisantes. On parle ici de formations de base. Dans le cas de la formation sur les paroles sécurisantes, il s’agit d’aider à déterminer si une personne est suicidaire ou non. C’est une formation fournie par nos coordonnateurs de programmes du CCDGS. Il faut fournir certaines connaissances de base aux gens qui occupent ces postes afin qu’ils puissent soutenir de façon appropriée les jeunes qui viennent les voir, de façon à ce que ces derniers puissent se présenter et dire tout ce qu’ils pensent, qu’ils puissent se vider le cœur sans être jugés. Ensuite, qu’est-ce qu’on fait? Elle est là, la prochaine étape.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup d’être là.

Parfois, lorsque je viens participer à ces réunions, je dis à mon adjoint : « Je ne vais pas poser de questions aujourd’hui. Je vais seulement écouter ». Puis, un témoin dit quelque chose qui m’interpelle. Vous avez dit qu’il faut « interdire les camps de thérapie de conversion et l’enseignement hétérosexuel pour les gens ». Je suis étonné... Peut-être devrais-je le savoir. Dans ce pays, pouvez-vous me dire où de tels camps sont situés? Qui fait ça à des enfants canadiens en ce moment?

Mme Barnett : Eh bien, il y a eu des camps, mais ils n’existent peut-être plus. Je sais qu’il y en avait un près de Toronto. Il n’est plus là, maintenant, en raison de l’interdiction imposée en Ontario. C’est quelque chose qui se produit dans les églises et au sein d’autres organisations religieuses. Ce ne sont pas toutes les églises. Certaines églises sont particulièrement accueillantes, tandis que d’autres essaient encore de s’y retrouver et que d’autres préfèrent encore aider les gens à ne pas être gais.

Personne ne le fait par malice ou méchanceté. Les gens le font parce qu’ils pensent aider. Vous êtes devant un groupe communautaire auquel vous appartenez, un groupe dont les membres ont dit vous aimer et, tout d’un coup, ce que vous êtes est mal, et vous êtes dans le tort. J’adopte ici le point de vue d’un enfant. On ne peut pas s’en sortir. On est coincé. Ce n’est même pas un camp, c’est votre famille, votre église et votre école. Tout le monde se rassemble pour vous dire que vous avez tort, mais qu’ils vous aiment. De tels messages contradictoires peuvent créer des problèmes.

Le sénateur Munson : C’est un enjeu de santé mentale. Avons-nous des psychologues qui ont l’empathie nécessaire et qui peuvent comprendre ce qu’un jeune de 15 ans peut vivre, un jeune qui serait allé innocemment dans un camp religieux et qui a entendu toutes les choses que vous venez de décrire, afin de pouvoir, par lui-même, avoir le courage de dire : « Voici ce qui m’est arrivé. Je ne me sens pas de cette façon. » Est-ce un problème avec lequel nous composons en ce moment même au pays?

Mme Barnett : Il n’y a pas d’efforts concertés. Il y a des efforts de défense des droits, et certaines provinces imposent des interdictions. Je ne suis pas sûre de ce qu’on fait du côté de la santé mentale et du point de vue de la formation. Peut-être que Mme Cohen pourrait en parler.

Nous essayons. Nous nous adressons à toutes les provinces, parce que ce sont les provinces qui ont les mandats. J’imagine que c’est la raison aussi pour laquelle nous sommes ici. Une position fédérale en matière de thérapie de conversion, une position énoncée par Santé Canada, pourrait être utile. Une telle position serait peut-être aussi à même de convaincre les provinces d’adopter des lois à ce sujet.

Quant à ce que font les professionnels de la santé mentale, je vais laisser Mme Cohen vous en parler.

Mme Cohen : Je peux seulement vous parler de nos membres. Nous sommes une association nationale de psychologues, et nos membres sont divisés en sections. Nous en avons une sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Il y a des chercheurs et des praticiens au sein de la profession qui se spécialisent dans ce domaine et qui participent à l’élaboration de programmes de formation et la formulation de recommandations quant aux pratiques exemplaires pour le traitement. Ce ne sont pas tous les psychologues qui travaillent dans le domaine, tout comme ce ne sont pas tous les psychologues qui travaillent auprès d’adultes ou de personnes handicapées, entre autres. Ce peut être un domaine très spécialisé.

Je pense qu’il y a de la sagesse, des conseils et de la recherche dans ce domaine : il faut œuvrer d’une manière fondée sur des données probantes. Ce sont les données probantes qui montrent très clairement que les thérapies réparatrices ne font pas de bien. Elles font plus de mal que de bien.

Le sénateur Munson : Il est question ici d’autisme et de santé mentale. Si nous avons l’occasion de faire un deuxième tour, je vais peut-être aborder toute la question des problèmes de santé mentale des personnes qui ont une déficience intellectuelle. C’est là aussi un problème grave.

La présidente : Nous allons vous inscrire pour le deuxième tour.

[Français]

La sénatrice Mégie : J’ai une question qui s’adresse à Mme Cohen. Est-ce que cette pénurie s’explique par le fait que les psychologues ne choisissent pas de travailler avec les enfants ayant des problèmes de santé mentale? Est-ce que c’est le nombre absolu des psychologues qui est bas ou est-ce un manque de volonté politique de la part des milieux d’enseignement? Vous avez dit qu’il faut des professionnels qui côtoient les enfants en bas âge dans leur milieu. Le milieu scolaire est tout indiqué pour aller vers ces jeunes, mais il n’y a pas assez de psychologues. Quelles sont les causes possibles de cette pénurie de spécialistes?

Mme Cohen : J’ai très bien compris votre question, mais je vais m’exprimer en anglais.

[Traduction]

Je pense qu’il y a beaucoup de facteurs qui expliquent pourquoi les psychologues qui travaillent dans les écoles éprouvent des difficultés sur le plan des ressources humaines. Tout ça est complexe. Je ne crois pas qu’il y a un seul facteur. Il y a quatre fois plus de psychologues que de psychiatres au pays, mais l’accès est problématique, parce que les services de psychiatrie sont couverts par les régimes de santé des provinces, mais pas les services de psychologie.

Tandis que les institutions publiques font face à des pressions budgétaires et réduisent leurs ressources salariées, des professionnels, comme des psychologues, des physiothérapeutes ou des ergothérapeutes se tournent vers le secteur privé et ne reviennent pas parce qu’ils s’en tirent bien. Il n’y a pas d’incitatifs pour les ramener dans le giron du secteur public, même si les institutions publiques pourraient les réembaucher.

L’autre élément concerne les conditions de travail. Dans ma déclaration, j’ai dit qu’on ne peut pas donner 10 cents à quelqu’un pour aller acheter du pain. Si vous voulez avoir des ressources suffisantes dans une école, il ne peut pas y avoir un psychologue pour 5 000 étudiants, parce qu’il ne réussira pas à vraiment changer les choses.

[Français]

La sénatrice Mégie : Hier, parmi nos invités, on a entendu parler d’une plateforme web qui pourrait aider à pallier le manque de ressources. Les jeunes qui se sentent déprimés peuvent consulter cette plateforme pour obtenir des conseils. Avez-vous déjà consulté ces plateformes, et dans quelle mesure sont-elles efficaces? Y a-t-il une facette néfaste pour les jeunes qui les consulteront?

Mme Barnett : Je ne connais pas la plateforme. Je ne savais pas qu’elle existait. Cet outil donne aux jeunes la possibilité d’aller chercher de l’aide. Ce qui me préoccupe, c’est que sans la présence d’une personne, on ne voit pas toujours les problèmes que les jeunes cachent. Prenons par exemple un jeune de 13 ans qui affirme se sentir déprimé. On lui propose la plateforme web. Par contre, ce jeune ne souffre pas de dépression, il a plutôt un trouble bipolaire. On ne sait pas toujours ce qui se passe dans la tête d’un jeune. Cet outil peut aider à trouver des ressources et à déterminer qui a besoin d’aide en personne. Cela peut donner un son de cloche, même si on n’a pas de réponse comme telle.

[Traduction]

Mme Cohen : Je crois qu’il y a un chercheur à l’Université de Regina, si je ne m’abuse, qui s’intéresse à la prestation des thérapies sur le Web. Il y a beaucoup de données probantes selon lesquelles elles sont efficaces auprès de quelques personnes, des gens qui ont des problèmes à certains moments. Je pourrais me faire l’écho de ce que Calla a dit : il n’y a pas de solution universelle. Ces services ont-ils une utilité? Absolument. Vont-ils être appropriés pour tout le monde un jour? Non, ça n’arrivera pas.

La sénatrice Omidvar : J’ai plusieurs questions. Par souci de brièveté, je vais poser la première, et on verra bien où on en sera.

Madame Barnett, je suis comme le sénateur Munson. J’imagine que je vais rester assise, à imbiber tout ce qui est dit et à apprendre, puis quelqu’un pose une question qui pique ma curiosité et qui suscite mon intérêt. Je m’intéresse à la question des thérapies de conversion dont vous avez parlé. J’ai regardé en ligne et constaté que le Manitoba, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse les ont interdites. Même chose à Vancouver, et l’Alberta envisage de le faire.

Malte a une interdiction nationale assortie d’une amende de 15 000 $ et d’une peine d’emprisonnement de un an. Le Royaume-Uni envisage une interdiction. Le gouvernement fédéral canadien devrait-il envisager une interdiction des thérapies de conversion et devrait-on formuler une recommandation à ce sujet dans notre rapport? N’oubliez pas que le gouvernement fédéral n’assure en fait pas la prestation de ces services.

Mme Barnett : Oui. C’est une question de droits de la personne. Ça me semble assez clair pour tous les gens ici présents. C’est une question de droits de la personne. Je le crois, parce qu’une thérapie de conversion et le fait de forcer les enfants à y participer est une violation des droits à la sécurité des enfants visés. Oui, je crois que le gouvernement fédéral peut appliquer une interdiction. Je crois que ce devrait être une des recommandations du comité.

La sénatrice Omidvar : Je suis tout à fait d’accord pour dire que la prestation des soins primaires aux enfants et aux jeunes dans les écoles est une façon optimale de procéder à l’avenir. Le défi devient une question de ressources. Je ne viens peut-être pas d’une petite collectivité rurale comme certains de mes collègues — je viens de Toronto —, mais je peux vous dire de façon anecdotique que je connais des parents dont les enfants attendent sur une liste depuis 18 mois pour subir une évaluation. Les parents choisissent alors de payer eux-mêmes. Je sais à quel point ce peut être coûteux, jusqu’à 3 000 $, pour une évaluation qui ne règle rien, qui ne fait qu’évaluer. Puis, il faut aller plus loin et trouver un psychologue et ainsi de suite. Les règles du jeu ne sont équitables pour personne.

Est-il possible grâce, au nouveau financement que le gouvernement fédéral a fourni pour les services de santé mentale dont le sénateur Manning a parlé, de cibler particulièrement les dépenses dans le système scolaire, les soins primaires? Le gouvernement fédéral peut le faire s’il est convaincu du bien-fondé de la démarche. Il a le pouvoir de dire que tel montant doit être dépensé de telle façon, sans se perdre dans les dédales des paiements de transfert.

Mme Cohen : C’est une question intéressante. À l’époque, lorsque nous avions rencontré l’Agence de la santé publique du Canada et Santé Canada, nous avions commandé une étude — c’était il y a un certain nombre d’années — sur la façon dont le Canada pourrait apprendre de ce qui avait été fait dans d’autres pays afin de mieux cibler les fonds et de rendre les soins psychologiques plus accessibles. Nous avions demandé une approche plus centralisée quant à la façon dont les fonds sont dépensés. La réalité constitutionnelle du pays est complexe, parce que les soins de santé sont de compétence provinciale et territoriale. Combien de paramètres peut-on imposer relativement à ces fonds ciblés?

Une façon réaliste de les dépenser serait dans les écoles, pour les enfants et les jeunes. Il serait aussi raisonnable de les consacrer aux soins primaires. J’imagine que ce serait difficile pour le gouvernement fédéral et les provinces de s’entendre sur la meilleure façon d’utiliser les fonds.

La sénatrice Omidvar : Je suis un peu préoccupée — vous pouvez peut-être m’aider, madame Cohen — par le fait qu’un meilleur accès aux soins est préférable, mais quand un tel accès mène à un recours malsain à la médication pour les enfants et aux problèmes de dépendance connexes... Encore une fois, c’est anecdotique, mais j’ai entendu des histoires... On va voir un psychologue, ce dernier nous donne des médicaments, et on peut perdre la carte.

Je veux être sûre que votre profession comprend la dépendance, les dangers des médicaments d’ordonnance et comprend aussi que, lorsque la dépendance commence tôt dans la vie, il est d’autant plus difficile de la combattre.

Mme Cohen : Les psychologues ont des doctorats et ne sont pas des médecins. Au Canada, nous ne pouvons pas prescrire de médicaments. Dans certaines administrations américaines, les psychologues ont un pouvoir d’ordonnance, mais pas au Canada. Je ne pourrais pas être plus d’accord avec vous. Il y a de nombreuses façons de s’attaquer aux problèmes de santé mentale. Les deux traitements phares, lorsqu’il est question de troubles mentaux, sont la médication et la psychologie. La psychothérapie, les thérapies cognitivocomportementales, les thérapies interpersonnelles sont toutes des types de thérapie fondés sur des données probantes. Au Canada, aucune de ces interventions n’est couverte. Nous n’avons pas un régime d’assurance-médicaments et nous ne couvrons pas les soins de psychothérapie, qui sont principalement fournis par des psychologues. Certains psychiatres font de la psychothérapie, mais ce travail revient principalement aux psychologues, aux travailleurs sociaux et à d’autres conseillers formés qui en assurent la prestation.

Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire qu’il y a d’autres choses à essayer en premier. D’autres méthodes fonctionnent. Les données probantes nous apprennent que, lorsqu’il est question de troubles anxieux, par exemple, les traitements psychologiques sont plus indiqués que la médication. Une partie du défi tient au fait que les gens se tournent vers les soins financés et que nos fournisseurs de soins de santé leur donnent ce à quoi ils ont accès.

La présidente : Madame Barnett, je veux vous poser une question rapidement. Pour ce qui est de la communauté que vous représentez, vous avez parlé des défis liés au fait d’avoir accès à des professionnels et des coûts lorsqu’il est question de santé, d’intervention et de traitement. Qu’en est-il de l’expertise lorsqu’une personne finit par se tourner vers des professionnels? Y a-t-il encore un écart en ce qui concerne leur éducation et leur capacité de fournir des services à la communauté que vous représentez?

Mme Barnett : Oui. Il y a définitivement un écart. Il existe bien sûr des travailleurs sociaux, des psychologues et des psychiatres qui ont une incroyable expertise leur permettant de soutenir les LGBTQ2SIA. Ils n’en ont pas tous la capacité. Certaines personnes croient à tort l’avoir, et certaines personnes savent qu’elles ne l’ont pas. C’est un peu comme un tirage au sort. Étant donné la situation actuelle des systèmes de financement, il est difficile de changer de psychiatre ou de psychologue une fois qu’on s’en voit attribuer un. Il n’y a pas de base de données des experts des enjeux LGBTQ2SIA en ce qui a trait à la psychiatrie, la psychologie, le travail social et le counseling. Un domaine précis concerne les jeunes de la rue. Il y a beaucoup de gens transgenres et d’enfants queers dans la rue. Ils vont voir un conseiller qui comprendra ou ne comprendra pas ce qu’ils vivent. Ils rencontrent tout simplement la personne qui était présente, ce jour-là, dans la clinique sans rendez-vous.

Il y a beaucoup de travail à faire.

Le sénateur Munson : Je vais laisser de côté la question de l’autisme. Je crois que nous pourrons aborder cet enjeu auprès d’autres témoins.

On parle toujours des enfants, mais les obstacles pour les parents sont importants aussi. Quels sont les obstacles pour eux? Quel est l’obstacle le plus courant qui empêche les enfants d’obtenir les soins dont ils ont besoin? Est-ce la stigmatisation, la situation financière, la pauvreté, la santé mentale des parents? Nous avons parlé des écoles et des millions de dollars du gouvernement et de tout ça. Tout commence avec le parent.

Mme Cohen : Lorsque nous avons effectué un peu de recherche auprès de nos membres pour préparer notre témoignage d’aujourd’hui, l’un des messages de nos membres qui sont des pédopsychiatres, c’est que vous avez absolument raison : il est extrêmement important de joindre les parents et de leur donner le soutien dont ils ont besoin. Il y a des programmes qui ont été adoptés au Canada. L’un que je connais, c’est le programme triple P sur les compétences parentales de l’Australie, un excellent programme lorsqu’il s’agit de donner aux parents les compétences dont ils ont besoin pour assurer le bien-être mental de leurs enfants. Ce sont des choses réalisées au niveau de la population qui, selon moi, relèvent du gouvernement fédéral et sont d’une importance cruciale.

Pour ce qui est des obstacles, peu importe les sommes que nous consacrons à la promotion de la santé et à la prévention des maladies, il y aura des personnes, des enfants et des adultes, qui ont besoin d’aide. Les obstacles à la prestation d’un soutien sont tout ce qu’on a déjà mentionné. Ce pourrait être une question démographique ou une question de ressources dans cette zone.

La sénatrice Seidman : J’aimerais parler d’une question qui, selon moi, préoccupe le comité. Nous représentons une compétence fédérale.

La santé mentale des jeunes est un domaine énorme et très complexe. Nous tentons de commencer notre étude par un peu de travail exploratoire, de façon à ce que nous puissions vraiment préciser nos travaux et mettre l’accent sur quelque chose à même de changer la donne dans ce domaine.

Nous voulons que nos témoins, comme vous, puissent cerner, si possible, des lacunes précises en matière de connaissances ou des aspects de l’enjeu de la santé mentale des jeunes que nous, en tant que parlementaires, nous pouvons approfondir et auxquels nous pouvons vraiment donner suite afin d’améliorer la santé mentale des enfants et des jeunes.

Vous avez beaucoup insisté sur l’accessibilité et la prestation des services. C’est frustrant en tant que parlementaire, parce que j’ai beaucoup d’empathie. C’est quelque chose que nous entendons sans cesse : l’accessibilité et la prestation de services dans le domaine de la santé mentale. J’essaie de trouver un angle qui, en ma qualité de législatrice fédérale, me permettrait de faire quelque chose.

Je sais que je vous pose là une question qui risque de biaiser votre propos, mais, s’il vous plaît, essayez de tenir compte du contexte plus général, ici. Si vous pouvez nous éclairer, ce serait formidable.

Je vais peut-être commencer par vous, madame Barnett.

Mme Barnett : Oui. J’y réfléchis depuis des jours. Pour ce qui est de l’accès, c’est probablement uniquement grâce à des recommandations à l’intention de Santé Canada que le législateur peut changer des choses sur le plan de l’accès et des finances, de ce qui est couvert et des déclarations sur les droits liés à l’accès aux soins de santé. Il serait vraiment important de considérer la santé mentale comme un élément des soins de santé réguliers au Canada.

Nous avons parlé des thérapies de conversion. Parfois, j’aimerais pouvoir m’en tenir à une loi fondée sur les droits permettant de mettre fin aux thérapies de conversion partout au pays.

La sénatrice Seidman : En fait, on parle d’inclure la santé mentale dans la Loi canadienne sur la santé, non? Parce que, actuellement, elle n’en fait pas partie. La santé mentale n’est pas...

Mme Barnett : Oui.

La sénatrice Seidman : C’est parfait.

Mme Cohen : J’ajouterais que, au niveau de la promotion de la santé ou de la santé de la population, il est probablement plus facile de fournir des ressources aux parents sur les programmes de compétences parentales et ces genres de choses à l’échelon fédéral. Cependant, je suis d’accord avec ce que vous dites au sujet de la Loi canadienne sur la santé. J’irais plus loin et je dirais que c’est difficile. On parle d’avoir un système public de soins de santé. Nous n’en avons pas vraiment un. Nous avons un système de soins médicaux publics. Nous payons certains fournisseurs qui offrent des soins à divers endroits. C’est ce que nous faisons.

Nous sommes au Canada, et les soins de santé ont évolué. Nous avons commencé par l’assurance-maladie. Nous avons des centaines de milliers de fournisseurs de soins de santé qui ne sont pas des médecins, et leurs services ne sont tout simplement pas couverts.

Je pense vraiment qu’il y a un problème systémique à régler. Par exemple, dans l’étude que nous avons commandée, nous avons constaté que les médecins de famille au Canada... il en coûte environ 356 millions de dollars pour que les médecins de famille offrent des services de counseling et de psychothérapie. Cela ne fait pas nécessairement partie de leurs compétences de base, mais c’est là où l’argent et les fonds sont accessibles. Certains vont suivre une formation spécialisée, et c’est merveilleux, mais nous avons des travailleurs sociaux, des psychothérapeutes et des psychologues qui sont formés pour faire ce genre de choses, et il y a une énorme lacune.

Je terminerai en disant que, lorsqu’il a été question de transfert ciblé pour la santé mentale — à la lumière de ce qui se fait au Royaume-Uni — il y avait une possibilité de faire quelque chose de centralisé, à l’échelle du pays, de recueillir des données de façon systématique afin de savoir que c’est efficace. C’est peut-être une autre façon de faire.

La sénatrice Seidman : Ces recommandations dans une étude que vous avez... Vous avez mentionné une étude.

Mme Cohen : Oui, c’est un rapport appelé An Imperative for Change. Nous l’avons commandé en 2013-2014. Je serai heureuse de vous le fournir.

La sénatrice Seidman : Ce serait formidable si vous pouviez l’envoyer au greffier du comité.

La présidente : Merci à nos deux témoins. La rencontre a été instructive et intéressante.

Nous allons maintenant accueillir notre deuxième groupe de témoins dans le cadre de notre étude sur la santé mentale des jeunes.

Pour ce qui est du prochain groupe de témoins, nous accueillons M. Patrick Smith, chef de la direction nationale de l’Association canadienne de la santé mentale, ainsi que M. Zul Merali, représentant, président et chef de la direction de l’Institut de recherche en santé mentale du Royal, de SoinsSantéCAN.

Nous allons commencer par vous, monsieur Merali.

Zul Merali, représentant, président et chef de la direction, Institut de recherche en santé mentale du Royal, SoinsSantéCAN : Bonjour, honorables sénateurs. Merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Je suis Zul Merali. Je suis président et chef de la direction de l’Institut de recherche en santé mentale du Royal, un centre affilié à l’Université d’Ottawa. Je comparais aujourd’hui en tant que représentant de SoinsSantéCAN, un porte-parole national des organisations de soins de santé et des hôpitaux de partout au Canada.

Nous savons que les maladies mentales comme la dépression peuvent apparaître à un très jeune âge. Plus de la moitié des cas de dépression chez les adultes se manifestent avant l’âge de 14 ans, et plus de 70 p. 100 des adultes atteints de dépression déclarent afficher des symptômes avant l’âge de 18 ans. Non seulement l’ampleur des maladies mentales est importante au pays, plus d’un Canadien sur quatre étant touché, mais en plus, le fait que la maladie mentale apparaît tôt et qu’elle est souvent chronique et récurrente signifie qu’il est extrêmement important d’accorder la priorité à la santé mentale des enfants et des jeunes.

C’est en mettant l’accent sur l’intervention et la prévention précoces qu’on pourrait en avoir le plus pour notre argent, pour ainsi dire. En ce qui concerne les investissements dans la santé mentale au pays, intervenir tôt permettrait non seulement d’améliorer la trajectoire de vie de nombreux jeunes, en ce qui concerne l’éducation et les liens sociaux, mais une telle intervention précoce aurait aussi un important effet bénéfique en aval sur l’ensemble de l’économie canadienne. Cette semaine seulement, par exemple, 500 000 Canadiens n’iront pas au travail en raison d’un problème lié à la santé mentale. Si nous pouvons commencer à prévenir de façon systématique les problèmes de santé mentale tôt dans la vie des gens, nous pouvons aider à réduire le fardeau social et financier de plus en plus lourd ainsi que le niveau de perte de productivité découlant de la maladie mentale qu’on constate en milieu de travail et dans l’économie canadienne.

Seulement une personne sur trois qui a besoin d’aide en obtiendra, mais, malgré tout, tandis que la stigmatisation entourant la maladie mentale continue de se dissiper, de plus en plus de personnes se présentent et demandent de l’aide. Actuellement, toutefois, le système de soins de santé de notre pays est très loin d’avoir les capacités nécessaires pour traiter le nombre de personnes qui ont des problèmes. En outre, près de la moitié des personnes qui demandent de l’aide ne réagissent pas adéquatement aux traitements que nous leur offrons.

Nous savons que, si nous pouvons détecter les maladies mentales rapidement, alors nous pouvons intervenir de façon précoce. Le fait que nos traitements actuels en matière de santé mentale ne fonctionnent pas très bien signifie que nous avons besoin d’investir beaucoup plus dans la recherche. Nous devons trouver des façons meilleures et plus novatrices de traiter la maladie mentale.

En réalité, il n’y aura jamais assez de ressources pour répondre à tous les besoins au pays, sauf si nous adoptons de nouvelles approches pour composer avec la demande. Tout comme on a mis l’accent sur la prévention et les stratégies d’intervention précoces fondées sur des recherches — c’est ce qu’on a fait pour la polio et le cancer — la même approche est nécessaire pour la santé mentale. Grâce à de telles stratégies, nous pouvons fournir un meilleur accès aux traitements et, ce qui est important, s’assurer que les traitements fournis sont fondés sur des données probantes.

À cet égard, au Royal, nous avons récemment créé un réseau international par l’intermédiaire du programme du Réseau des centres d’excellence du gouvernement du Canada, un programme appelé CADRE, qui vise à recueillir et communiquer des meilleures données probantes et des connaissances fondées sur la pratique concernant l’intégration des services à l’intention des jeunes et à intégrer ces apprentissages dans des modèles de soins plus efficaces.

Tandis que nous élaborons des soins fondés davantage sur des données probantes, nous voulons aussi nous assurer que nos traitements sont plus holistiques et facilement accessibles et que nos modèles de soins de santé accordent la même priorité à la santé physique qu’à la santé mentale.

Nous pouvons nous inspirer tout particulièrement du modèle du programme Foundry en Colombie-Britannique, dans le cadre duquel des centres fournissent un guichet unique à l’intention des jeunes âgés de 12 à 24 ans, des centres qui réunissent les soins en santé mentale, les soins primaires, les services sociaux et d’autres mesures de soutien.

Il est non seulement important de fournir aux jeunes l’accès à des traitements efficaces et à la fine pointe de la technologie lorsqu’ils tombent malades, mais il est tout aussi important d’essayer de les garder en bonne santé, en reconnaissant ceux qui sont à risque et en s’attaquant rapidement aux symptômes précoces de façon à prévenir d’entrée de jeu les effets néfastes associés à la maladie mentale.

Nous pouvons y parvenir en partie en exploitant certaines technologies de pointe et l’intelligence artificielle. Par exemple, il y a très peu d’antidépresseurs disponibles pour les jeunes. Il y a en beaucoup pour les adultes, mais pas pour les jeunes. Ceux qui sont prescrits sont souvent accompagnés d’effets secondaires indésirables que les jeunes n’aiment pas particulièrement, comme un gain de poids et des effets secondaires de nature sexuelle. Les recherches indiquent cependant que nous pouvons réussir à modifier l’activité cérébrale d’autres façons, aussi, en utilisant des technologies non invasives, comme la stimulation magnétique transcrânienne répétée, grâce à laquelle on peut modifier l’activité cérébrale de façon non invasive. Cette technologie s’est révélée efficace assez rapidement pour éliminer les symptômes de dépression, particulièrement chez les personnes qui résistent au traitement. Cependant, nos régimes provinciaux actuels ne couvrent pas de tels traitements.

Une autre approche à la fine pointe de la technologie en matière de prévention est dirigée par Zachary Kaminsky, qui est titulaire de la chaire DIFS-Mach Gaensslen en recherche sur la prévention du suicide au Royal. Il a élaboré des algorithmes qui utilisent l’intelligence artificielle pour prédire le risque de suicide en se fondant sur l’analyse des messages que les gens envoient sur Twitter.

Une telle approche peut être considérée comme une aide à la prise de décisions visant à identifier les personnes qui sont à risque très tôt, afin qu’on puisse intervenir et mettre en place des stratégies de prévention du suicide, surtout auprès des Canadiens âgés de 15 à 34 ans, dont le suicide est l’une des principales causes de décès.

Enfin, dans toutes nos approches en matière de prévention et de traitement, nous devons continuer de mettre l’accent sur des interventions personnalisées. Tout comme il existe de nombreux types de cancer, la recherche nous a appris qu’il y a plusieurs sous-types de maladies mentales comme la dépression.

À l’Institut de recherche en santé mentale du Royal, nous travaillons actuellement à l’établissement d’un premier centre de recherche et d’intervention sur les épisodes de dépression, qui exploitera certaines des plus récentes technologies d’imagerie cérébrale pour cerner les sous-types de dépression chez les personnes et déterminer quel traitement est le plus adapté pour elles en fonction du sous-type décelé. Nous voulons évaluer, par exemple, l’efficacité de la pharmacothérapie par opposition à la stimulation magnétique transcrânienne répétée et la thérapie par le dialogue. Nous voulons déterminer qui devrait obtenir ces traitements et qui y réagira le mieux.

En conclusion, il a été incroyablement encourageant au cours des dernières années de voir le discours public et les politiques gouvernementales promouvoir un meilleur accès aux soins de santé mentale, particulièrement pour les groupes vulnérables comme les enfants et les jeunes.

Et maintenant, si nous pouvons aiguiller des investissements accrus vers la recherche en santé mentale, nous pourrions garantir que les stratégies et les ressources utilisées le sont de façon efficace et conformément aux données probantes. En outre, on pourra, dans de nombreux cas, prévenir les crises en santé mentale avant même qu’elles ne se produisent. Merci.

Patrick Smith, chef de la direction national, Association canadienne pour la santé mentale : Merci, madame la présidente, de m’avoir invité ici aujourd’hui. Je suis Patrick Smith, chef de la direction national de l’Association canadienne pour la santé mentale. La CMHA/ACSM est une organisation pancanadienne qui dessert directement plus de 1,3 million de Canadiens. Nous servons tous les Canadiens, parce que tous les Canadiens ont une santé mentale. Nous sommes présents, sur place, dans plus de 330 emplacements au pays et depuis ces endroits nous desservons des collectivités rurales et éloignées et les résidants de très nombreuses autres collectivités partout au Canada.

L’ACSM est l’organisme de santé mentale communautaire le plus établi et le plus important au Canada; il vise à prévenir la maladie mentale, à soutenir le rétablissement et la résilience et à promouvoir l’épanouissement.

Durant ma déclaration aujourd’hui, je vais mettre l’accent sur ce que nous considérons comme les principaux défis et les principales possibilités d’action liées à la santé mentale des enfants et des jeunes.

Il ne fait aucun doute que l’attention croissante portée à la santé mentale commence à ébranler la stigmatisation liée à la maladie mentale. Le gouvernement du Canada a fait preuve d’un solide leadership à cet égard, affectant 5 milliards de dollars à la santé mentale au cours des 10 prochaines années. Cependant, il est important de reconnaître que, malgré un tel investissement, le Canada est le pays qui dépense le plus faible pourcentage de son budget consacré aux soins de santé à la maladie mentale. Nous en sommes à 7,2 p. 100. Malgré les 5 milliards de dollars, nous restons au bas du classement. Des pays comme le Royaume-Uni consacrent 13 p. 100 de leur budget de la santé à la santé mentale.

Il est important de reconnaître que tout cela a des répercussions réelles. Ce n’est pas seulement une année, c’est une année après l’autre. Les écarts sont importants. Je suis un psychologue clinique formé aux États-Unis, un Américain en convalescence qui est ici depuis plus de 20 ans et qui n’a pas l’intention de repartir là-bas. Je suis stupéfait de savoir que les travailleurs sociaux, les psychologues, les travailleurs spécialisés en entraide... Ils sont tous ici, au Canada, mais nous restons sur les lignes de côté, exclus du système de soins de santé financé par l’État.

Je dirige le programme de psychiatrie des toxicomanies à l’Université de la Colombie-Britannique et à l’Université de Toronto, et je peux confirmer qu’il faut investir dans plus de recherches. Il y a déjà beaucoup trop de choses dont nous connaissons l’efficacité et qui ne sont pas appliquées au Canada. Selon moi, c’est là où il faut mettre l’accent. Je suis convaincu que nous sommes tous ici aujourd’hui parce que nous sommes conscients de cette situation.

Pour 70 p. 100 des personnes qui vivent avec une maladie mentale, l’apparition s’est produite entre 14 et 24 ans. En 2006, 12 000 jeunes de l’Ontario ont attendu 18 mois pour avoir accès à un psychiatre. Ils sont beaucoup plus nombreux à attendre de voir des psychologues et des travailleurs sociaux, et beaucoup ne font même pas la queue parce qu’il faut payer de sa poche ou avoir une assurance privée.

Le suicide est la deuxième cause de décès chez les jeunes et la principale cause de décès chez les jeunes Autochtones. Ces chiffres montrent la profondeur et l’ampleur du défi auquel nous sommes confrontés.

Nous devons trouver des solutions efficaces en matière de financement, de ressources et de programmes. Pour que nos efforts donnent des résultats à court terme et soient durables à long terme, nous devons aussi éliminer les inégalités qui ont une incidence négative sur la santé mentale des enfants et des jeunes au pays. Je vais vous donner quelques exemples.

Selon les rapports les plus récents sur la pauvreté infantile, la pauvreté touche plus de 1,2 million d’enfants. Ces taux sont beaucoup plus élevés chez les enfants autochtones, dont 50 p. 100 vivent dans la pauvreté. Plusieurs études récentes dans des collectivités à faible revenu de différentes régions canadiennes révèlent un lien entre la pauvreté et des choses comme l’anxiété et la dépression.

Les inégalités persistantes en matière de genre, y compris la violence sexuelle, ont une incidence importante sur la santé mentale des filles. Au Canada, les taux d’agression sexuelle sont 10 fois plus élevés chez les filles et les femmes âgées de 15 à 24 ans que chez les personnes âgées de 55 ans et plus. Les filles qui sont victimes de violence sexuelle affichent des taux plus élevés de dépression, d’automutilation, d’anxiété et de troubles de l’alimentation.

Nous savons aussi que les jeunes LGBTQ et transgenres, en particulier, doivent composer avec des disparités en matière de santé mentale. Les jeunes Autochtones constituent le segment de la population qui affiche la croissance démographique la plus marquée, mais c’est aussi eux qui affichent les plus hauts taux de mortalité. En plus de présenter des taux de décès par suicide plus élevés, les jeunes Autochtones du Canada affichent des taux supérieurs de consommation de substances problématiques et de toxicomanie en raison des répercussions des traumatismes durant la petite enfance, des traumatismes générationnels et de la séparation des familles.

L’impact des médias sociaux sur les enfants et les jeunes a également été mis en évidence. Une récente recherche sur la psychologie des enfants et des adolescents a révélé que les médias sociaux peuvent avoir un effet négatif sur le bien-être psychologique et le développement. En effet, des études internationales révèlent que 23 p. 100 des jeunes qui sont victimes de cyberintimidation ont une moins bonne estime de soi et des taux plus élevés de repli sur soi, d’anxiété et de dépression. En plus de ces défis, les enfants et les jeunes du Canada doivent s’y retrouver parmi la gamme complexe de fournisseurs de soins et de services disponibles, et les jeunes doivent souvent faire l’objet de plusieurs évaluations, lorsqu’ils réussissent à avoir accès à des soins, bien sûr. Cette complexité peut être problématique pour n’importe quelle famille occupée et elle l’est encore plus dans le cas des familles qui vivent des inégalités raciales, sociales et liées au revenu.

Pour aller de l’avant en ce qui a trait à la santé mentale des jeunes et des enfants, il faut adopter une approche transsectorielle et multidisciplinaire qui augmente les investissements publics tout en misant sur la capacité du Canada dans le domaine de la recherche et de l’innovation.

En premier lieu, le Canada doit s’attaquer aux inégalités chroniques et au sous-financement dans le domaine de la santé mentale. La réalité, c’est qu’on ne pourra pas rattraper le retard causé par ce financement déficient en un seul budget ni même en une seule législature. Nous devons nous attaquer aux inégalités et nous devons faire comme l’a fait l’honorable Norman Lambin, au Royaume-Uni, lorsqu’il a présenté une loi sur l’égale considération : il a dit que la première chose qu’il faut faire, c’est arrêter de justifier l’injustifiable. Il s’agit simplement de reconnaître à quel point la lacune est importante.

Imaginez si nous découvrions que, au Canada, dans une collectivité, à Kamloops, en raison de la façon dont les choses ont évolué naturellement, il y avait seulement des classes de cinquième et de sixième année, alors que, 30 kilomètres plus loin, il y avait une collectivité où il y avait seulement des classes de maternelle et de premier cycle du secondaire. Nous ne serions pas là à nous gratter la tête et à créer un groupe de travail pour essayer de déterminer ce qu’il faut faire. S’il en est ainsi à l’échelle du Canada — vu tout ce que le monde industrialisé sait au sujet des besoins du modèle de développement de Piaget pour l’éducation —, nous intégrerions tout simplement ce modèle de développement en nous assurant que les enfants ont accès à une éducation de deuxième, troisième, quatrième année et ainsi de suite.

C’est la situation actuelle au Canada, pas seulement pour les enfants, mais surtout pour eux. Ce qui est accessible dans les collectivités est aussi diversifié que l’exemple précédent l’était pour le domaine de l’éducation. Ce que nous devons faire, c’est de régler le problème en tenant compte des compétences fédérales, provinciales et territoriales.

L’autre chose importante à souligner, c’est que le gouvernement fédéral peut — et je suis d’accord avec ce qu’ont dit tous les témoins aujourd’hui lorsqu’ils ont souligné l’enjeu de la promotion de la santé mentale et de la prévention de la maladie mentale — adopter une approche fondée sur le contexte. Où les gens passent-ils le plus de temps? Nous avons vu des résultats merveilleux lorsque le milieu des affaires canadien s’est mobilisé et a investi dans la santé mentale en milieu de travail. L’heure est venue de faire cela à une échelle spectaculaire dans les écoles.

Des programmes comme Je ne me reconnais pas et le programme sur l’apprentissage social et émotionnel — tous deux adaptés pour les écoles — sont des initiatives que le gouvernement fédéral peut réaliser immédiatement et qui auront un impact majeur sur la santé mentale des enfants et des jeunes au Canada. Merci.

La présidente : Nous avons une liste de sénateurs qui veulent poser des questions. Nous allons commencer par la vice-présidente, Judith Seidman.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie de vos exposés instructifs. Monsieur Merali, le Canada possède un cadre fédéral en matière de prévention du suicide qui a été mis en œuvre en 2016. Le cadre mise sur trois objectifs stratégiques : réduire la stigmatisation et sensibiliser davantage le public, relier les Canadiens, l’information et les ressources et encourager l’utilisation de la recherche et de l’innovation dans les activités de prévention du suicide. Étant donné ce que vous nous avez dit, je veux vous parler en premier.

Je sais que vous êtes associé à deux organisations dans votre vie professionnelle actuelle, l’Institut de recherche en santé mentale du Royal et SoinsSantéCAN. J’aimerais savoir si l’une de ces deux organisations a participé à l’élaboration du Cadre de prévention du suicide et si elles continuent d’être des partenaires dans le cadre de sa mise en œuvre? Selon vous, croyez-vous qu’il y a un engagement suffisant pour répondre aux objectifs? Et dans la négative, quel rôle le gouvernement fédéral pourrait-il jouer pour favoriser l’atteinte de ces objectifs?

M. Merali : Nous avons des scientifiques qui ont participé à l’élaboration de la stratégie nationale, mais pour ce qui est de votre deuxième question, sur la mise en œuvre du cadre, c’est là, selon moi, qu’on pourrait en faire plus, dans la mesure où nous pouvons mettre en place des cadres pour faciliter la mobilisation et la participation des gens afin d’atteindre ces objectifs stratégiques.

Cependant, puisque, au Canada, la question de la mise en œuvre relève beaucoup des provinces, on perd des choses en cours de route.

Je me consacre beaucoup à la recherche. Selon moi, nous devons découvrir une meilleure façon de faire. Ce que j’ai appris vient de ce que nous avons fait dans le cadre des crises majeures du passé. Prenons la polio, dont nous n’entendons plus beaucoup parler ces jours-ci. Dans les années 1950, lorsque l’accès aux soins était différent, nous voulions trouver une façon de construire des services assez grands pour héberger les poumons d’acier nécessaires pour garder les gens en vie. C’était notre façon d’offrir des soins de crise. La solution n’était pas de créer plus de services avec des poumons d’acier. La solution, c’était un vaccin qui a permis d’éliminer complètement le problème.

Nous devons sortir des sentiers battus et trouver d’autres moyens d’offrir des traitements efficaces. Nous n’utilisons peut-être pas actuellement les traitements les plus efficaces, mais même dans ce cas-là, c’est un processus progressif. Il faut apporter un changement important, et on peut seulement le faire grâce à la recherche.

Pour ce qui est de notre cadre national, il n’y a pas de mécanisme pour dynamiser et mobiliser les gens au sujet des trois piliers dont nous avons parlé.

La sénatrice Seidman : Monsieur Smith, j’aimerais aussi savoir ce que vous en pensez. J’aimerais en entendre davantage au sujet du dernier commentaire de M. Merali. Vous avez hoché la tête.

M. Smith : Le mécanisme en fait partie. Nous avons présenté au Comité des finances une recommandation précise à ce sujet. Nous comptons 87 filiales, divisions et régions et 336 emplacements qui ont pignon sur rue à l’échelle canadienne, dont plus de 220 sont actifs dans les collectivités, à l’échelle locale, sur le terrain, pour promouvoir la prévention du suicide dans les écoles et les collectivités.

Nous travaillons en collaboration avec la Commission de la santé mentale du Canada. Nous connaissons le programme Racines de l’empathie et certaines des recommandations formulées par ces gens. Les mécanismes sont là, s’ils sont financés. Notre seul centre d’excellence à Calgary est le Centre for Suicide Prevention. C’est un centre national. Il s’agit d’une filiale de l’ACSM qui travaille efficacement avec les succursales de partout au Canada auprès des écoles et des collectivités. C’est la raison pour laquelle nous avons formulé la recommandation. Ces filiales travaillent déjà dans ces collectivités depuis des années. Selon nous, il ne s’agit pas de l’approche des Racines de l’empathie, de choisir cinq ou six sites pilotes et d’essayer de déterminer ce qu’il faut en faire.

Nous avons travaillé en collaboration avec l’Association canadienne pour la prévention du suicide, l’ACPS. Les trois derniers présidents sont actuellement des employés de l’Association canadienne pour la santé mentale un peu partout au pays. Nous avons un plan, nous savons ce que nous devons faire. Il faut mettre l’accent sur la sensibilisation.

Si on regarde ce qui se fait dans d’autres administrations, comme le Royaume-Uni et la campagne Time to Change, qui visait à accroître la sensibilisation du public, le gouvernement fédéral britannique a investi 34 millions de dollars canadiens durant les quatre premières années seulement pour mesurer les attitudes de segments précis de la population et en faire le suivi. Comme vous le savez, nous avons mené notre campagne de la Semaine de la santé mentale, notre campagne #Parlerhautetfort. C’est quelque chose que nous faisons sans financement depuis 67 ans. C’est là une autre composante de la solution intégrée relativement à laquelle nous avons mis de l’avant, pour la première fois, une recommandation afin d’obtenir un financement nominal pour nous aider à poursuivre le travail.

La sénatrice Eaton : Messieurs, la santé mentale s’aggrave-t-elle? Y a-t-il des éléments déclencheurs communs apparus au cours des 20 dernières années qui n’étaient pas là avant ou est-ce simplement que nous ne conservions pas les statistiques et les données?

M. Smith : La situation est complexe, mais je crois que c’est un peu des deux. En réalité, si on possède une résidence dont le toit fuit et que cela cause des dommages dans le sous-sol, on a beau avoir pompé l’eau qui s’accumulait au sous-sol, si on n’a jamais réalisé l’entretien requis en cours de route, au fil du temps, les coûts de réparation augmenteront.

Quand je dis que, d’une année à l’autre, avec 7,2 p. 100, nous sommes au dernier rang des pays du G7, cela signifie qu’il y a un élément fondamental de la prestation des soins de santé mentale des autres pays dont nous ne bénéficions pas au pays. Lorsqu’on ne traite pas un cancer de stade 1, il passe au stade 2, puis au stade 3. Il s’aggrave et devient plus difficile à traiter.

La sénatrice Eaton : Je pense que la santé mentale est principalement une compétence provinciale, n’est-ce pas?

M. Smith : Oui.

La sénatrice Eaton : Je crois que le gouvernement fédéral a déboursé 100 millions de dollars sur les 500 millions de dollars promis. Devrait-il préciser ce à quoi doit servir le financement? Devrait-il dire : « Voici ce que vous devriez faire »?

M. Smith : Depuis le début, nous répondons oui. Il faut financer des services précis, et je peux imaginer les provinces dire : « Non, nous savons ce dont nous avons besoin. » Toutes les disciplines du domaine de la santé mentale, à part la psychiatrie, ne sont pas financées et ne sont pas incluses dans le programme financé par le système public. On ne peut pas laisser la tâche aux provinces en espérant qu’elles feront la bonne chose. Il s’agit d’un problème fondamental et systémique à l’échelle du Canada. Les gens qui viennent ici d’autres pays ne comprennent tout simplement pas. La Nouvelle-Zélande, l’Australie et tous les pays du G7 se demandent de quelle façon ils pourraient relever les défis en matière de santé mentale dans leur pays si les travailleurs sociaux, les psychologues, les conseillers en toxicomanie, les travailleurs spécialisés en entraide et des cliniciens des soins primaires ayant reçu une formation très précise sur ce qu’ils doivent faire n’étaient pas financés par l’État. Ils se demandent de quelle façon le Canada a réussi à se rendre là où il est rendu.

La sénatrice Eaton : Les fonds devraient être affectés à des fins précises?

M. Smith : Oui, absolument.

M. Merali : Il faut absolument que ce soit le cas. Nous devons trouver des façons plus efficaces de favoriser un tel partenariat. La pièce brisée du système, c’est que, même si nous affectons des ressources, le gouvernement fédéral veut investir dans la santé mentale, mais l’adhésion des provinces n’est pas uniforme à l’échelle du pays, et c’est un défi.

On commence à voir certains intervenants se rallier, dans la mesure où, à l’heure actuelle, par exemple, certaines provinces ont accepté de fournir des services de psychologie, la TCC, par l’intermédiaire de ce mécanisme de financement fédéral accru. Même si j’aurais espéré constater un engagement beaucoup plus marqué des provinces, je crois qu’il faut continuer à exercer de la pression. C’est un problème national à l’heure actuelle.

La sénatrice Eaton : Vous n’avez, tous les deux, pas répondu à la question. Il n’y a peut-être pas de réponse, ici. Y a-t-il des éléments déclencheurs communs?

M. Smith : Oui.

La sénatrice Eaton : Le logement, la violence... Y a-t-il des éléments déclencheurs communs faisant en sorte qu’un enfant qui grandit de telle ou telle façon est plus susceptible de présenter une maladie mentale en raison de son environnement?

M. Merali : Oui, il, il est évident qu’il y en a. Vous en avez déjà mentionné une partie, surtout les problèmes de négligence et de mauvais traitements pendant l’enfance, qui sont d’une importance cruciale dans la genèse de la maladie. Il y a aussi des facteurs communs liés aux stress et aux changements auxquels les jeunes sont confrontés tôt dans la vie et qui ont des répercussions à long terme. Ce sont des choses qui sont là, selon moi.

Vous avez demandé tantôt s’il y avait une augmentation de la prévalence des problèmes de santé mentale. Si on regarde la trajectoire de notre taux de suicide au Canada, le taux de prévalence tel que nous le mesurons aujourd’hui n’a pas beaucoup changé. Si on regarde le cancer, on note une diminution, tout comme pour les maladies cardiaques et même le sida. Si on regarde le suicide, c’est non seulement une ligne droite, mais, en plus, elle monte, ce qui signifie qu’il y a quelque chose qui ne va pas. C’est un peu comme le canari dans la mine.

Le suicide, c’est l’incarnation même des choses qui ne vont pas, mais il y a tout un iceberg en dessous, un paquet de choses auxquelles il faut s’attaquer. Même si les taux de prévalence n’augmentent pas nécessairement, il est clair que certaines des choses sous-jacentes dont vous parlez, les stress précoces dans la vie et toutes ces choses augmentent. De plus, les technologies jouent un rôle en raison du fait que les gens sont connectés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sur leur iPhone et leur iPad... Le manque de sommeil et le manque de temps chez les jeunes, trop de temps passé devant l’écran... Il est évident que tout cela a une incidence, entre autres choses.

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup.

Le sénateur Munson : J’ai une question différente à poser aux deux témoins.

Monsieur Smith, vous avez dit que notre système a aussi de la difficulté à soutenir la santé mentale des jeunes lorsque ceux-ci passent à l’âge adulte. Je dirais qu’il y a un système de santé mentale à deux vitesses au pays. Je connais un jeune homme de 15 ou 16 ans qui a vu un psychologue. Les choses se passaient bien, et il avait donc cette option qui s’offrait à lui lorsqu’il avait 22 ou 23 ans. Ce jeune homme voulait aller voir un psychologue. Il avait l’argent, il avait les moyens. Il avait les 100 ou les 150 $ pour la première séance, et, après trois ou quatre séances, il se sentait bien et il avait les outils liés à la santé mentale nécessaires pour composer avec ses problèmes. Cependant, je dirais qu’il y a des dizaines de milliers de Canadiens qui n’ont pas les moyens de faire la même chose.

Je vous pose cette question, puis je poserai une question au témoin sur les algorithmes et l’intelligence artificielle. Même si l’autre témoin répondra à cette question, vous pouvez peut-être nous donner une idée de la façon dont les choses fonctionnent au Royal et dans quelle mesure on peut prédire le risque de suicide à la lumière des messages sur Twitter. Je trouve l’idée fascinante.

M. Smith : Je suis d’accord avec vous : c’est un système à deux vitesses. Il est créé ainsi, encore une fois, si les seuls cliniciens que nous soutenons, ce sont les médecins et le personnel infirmier. Ce ne sont pas les intervenants les plus efficaces, et c’est eux-mêmes qui nous le disent : « Il y a 25 personnes dans la salle d’attente. Nous ne devrions pas avoir à nous occuper de psychothérapie, à appliquer la thérapie cognitivo-comportementale, TCC. D’autres pays misent là-dessus ».

Si une personne gagne à la loterie et obtient un emploi chez Starbucks Canada, où la couverture est passée de 400 $ à 5 000 $ par employé, alors, oui, elle peut avoir accès à du counselling et à une psychothérapie. La couverture ne devrait pas dépendre de notre emploi.

Tandis que nous nous efforçons de trouver une façon de combler cet écart — il faut bien commencer quelque part —, je crois que le gouvernement fédéral est le plus à même de changer la situation afin qu’on mette vraiment l’accent sur l’apprentissage social et émotionnel et qu’on adopte une approche fondée sur le contexte dans les écoles. C’est quelque chose qui pourrait relever du gouvernement fédéral. Il pourrait investir, et comme on peut le voir dans le cadre de l’initiative « Je ne me reconnais pas » dans les milieux de travail, ça fonctionne. Le ministère des Finances du gouvernement fédéral utilise ce programme, tout comme Santé Canada et l’Agence de la santé publique du Canada. Mettons un tel programme en place dans nos écoles pour les enseignants et les enfants. On pourrait ainsi avoir un impact majeur et immédiat.

M. Merali : Pour ce qui est de l’analyse prédictive fondée sur les conversations sur Twitter, je pense que l’objectif était de voir si on peut obtenir un signalement rapidement, afin de savoir si une personne va être en proie à de fortes idées suicidaires. À l’aide de l’intelligence artificielle et en examinant ces conversations, notre chercheur, Zachary Kaminsky, a réussi à mettre au point des algorithmes qui permettent de détecter très rapidement — des semaines d’avance — si une personne est en train d’avoir des idées de plus en plus suicidaires. Partant, pouvons-nous utiliser cette technologie pour essayer de déterminer qui est peut-être à risque et ce que nous pouvons y faire? C’est un défi, parce qu’il y a des questions de protection de la vie privée ici, et il y a aussi la question de la compétence et celle de savoir à qui on peut parler.

Essentiellement, tout comme on reçoit des messages ciblés lorsqu’on va sur un site web — par exemple, si on regarde une publicité pour une Alfa Romeo, souvent, lorsqu’on ouvre un autre site web, on verra une publicité d’Alfa Romeo —, eh bien, de la même façon, si on peut identifier rapidement les gens à risque, on peut leur envoyer des messages ciblés pour les aider, leur dire où aller et ce qu’ils peuvent faire, plutôt que leur montrer ces types de publicités commerciales.

Selon moi, les fournisseurs — les Google de ce monde — sont intéressés à transmettre des messages positifs, des messages d’aide par l’intermédiaire d’une telle plateforme. Si on peut trouver des façons de tirer parti de tout ça et peut-être aussi d’informer les thérapeutes de ces gens, afin qu’ils puissent intervenir, ce pourrait être là une façon unique de faire les choses.

Le recours à l’analyse prédictive et à l’intelligence artificielle évolue de plus en plus. Par exemple, on pourrait faire la même chose en milieu de travail. On pourrait remplir un court questionnaire — en cinq minutes — de façon anonyme. Nous avons mis au point un calculateur du risque pouvant dire aux gens dans quelle mesure ils sont à risque de souffrir d’une dépression au cours des quatre prochaines années.

Le sénateur Munson : Mon temps de parole est écoulé, mais j’imagine qu’il faudrait que les psychologues gagnent la confiance du jeune afin de pouvoir regarder son compte Twitter.

M. Merali : C’est public. Les conversations Twitter sont publiques.

Le sénateur Munson : Les conversations le sont, c’est vrai. Merci.

Le sénateur Ravalia : Merci de nous avoir présenté des exposés très éclairants.

Ma première question est destinée à M. Smith. Si nous augmentions notre financement à 13 p. 100, que faudrait-il faire pour garder les psychologues dans le système public, là où nous avons vraiment besoin d’eux, plutôt que de les laisser se diriger vers le secteur privé? Est-ce qu’un barème de frais ou quelque chose de similaire au sein du système d’assurance-maladie public aiderait tous nos professionnels de la santé qui participent à la prestation de services de santé mentale?

M. Smith : Nous regardons souvent ce qui se passe dans d’autres administrations pour voir ce qui s’est produit lorsqu’ils ont procédé ainsi. Le Royaume-Uni n’a pas toujours consacré 13 ou 14 p. 100 de son budget à la santé mentale. C’est quelque chose de récent. Ils ont tout simplement changé les règles et dit : « Nous avons seulement remboursé les médecins et le personnel infirmier. Prenons un risque et remboursons les psychologues et les travailleurs sociaux. »

Ce sont les mêmes fonds. Moins d’omnipraticiens facturent des taux élevés. Les Britanniques ont constaté qu’il y avait des économies à long terme liées au fait que les omnipraticiens faisaient du travail plus ciblé. Ces omnipraticiens faisaient ce qu’ils ont été formés pour faire. Ils ont aussi découvert — et Norman Lamb participera à notre conférence la semaine prochaine et il en parlera — qu’on fermait des unités dans les prisons, des unités qui hébergeaient des clients ayant des troubles de santé mentale. Ce que nous pouvons vous dire, c’est ce qui pourrait se produire, mais nous pouvons aussi nous demander ce qui s’est produit dans d’autres administrations lorsqu’elles ont apporté ces changements simples. C’est habituellement un meilleur prédicteur de ce qui se produira, notamment, ce qui est arrivé dans leur cas. Qu’est-ce qui est arrivé à Victoria, en Australie, lorsque cette décision a été prise? Qu’est-ce qui est arrivé au Royaume-Uni lorsqu’on a procédé de cette façon?

Lorsque nous ne traitons pas un cancer de stade 1, nous savons qu’il passe au stade 2, puis au stade 3. Arrivé au stade 4, ce n’est pas aussi facile à traiter et c’est plus coûteux. C’est la même chose pour les poumons d’acier. On peut faire des économies. Des problèmes de santé mentale non traités font probablement peser un fardeau financier plus lourd sur le Canada, et pas seulement au sein du système de santé.

Hier, j’ai présenté un exposé dans le cadre de la conférence annuelle sur la justice et la santé mentale. Les responsables du système de justice pénale disent être la salle d’urgence des gens qui ont des problèmes de santé mentale au Canada, parce que nous n’avons pas de soins de santé mentale primaires financés publiquement ici, comme Mme Cohen l’a dit précédemment.

Les psychologues travailleront au sein du système public tant qu’on les rémunère. Ils n’ont pas besoin de beaucoup d’argent, seulement certains remboursements.

Le sénateur Ravalia : Ma question pour M. Merali porte précisément sur la recherche. Vous avez parlé de stimulation magnétique transcrânienne. Des études ont-elles été réalisées sur les jeunes et les enfants relativement à cette technique? Si on avait accès à une telle thérapie, y aurait-il des préoccupations au sujet des effets indésirables?

M. Merali : La réponse à votre première question, c’est oui.

La technique a été testée auprès de jeunes, et elle est efficace. Je ne suis pas aussi sûr pour ce qui est des enfants, mais pour les jeunes, certainement.

En ce qui concerne les effets négatifs, il n’y a pas d’effets secondaires déclarés associés à cette modalité de traitement, sauf pour des choses comme des maux de tête. Sinon, il y a peu d’effets secondaires, voire aucun, associé à cette modalité de traitement. C’est un domaine de traitement intéressant. Souvent, les jeunes, comme je l’ai dit, ne veulent pas prendre de médication en raison des effets secondaires. Ils accepteraient peut-être d’essayer quelque chose d’autre.

Dans le passé, la stimulation magnétique transcrânienne répétée exigeait des séances de 30 ou 40 minutes durant lesquelles des bobines étaient posées sur le crâne du patient, pour procéder au traitement. Nous en sommes maintenant arrivés au point où la séance dure seulement trois minutes. C’est quasiment comme prendre une tasse de café, puis c’est fini, mais il faut le faire de façon répétée.

La sénatrice Dasko : Merci de vos exposés. Monsieur Smith, je veux vous poser une question au sujet des 7,2 p. 100 de financement destinés aux soins de santé. Les Américains dépensent moins, n’est-ce pas, au titre des soins publics?

M. Smith : Non. Même les Américains, dans le cadre de leur système public, les hôpitaux d’État et ainsi de suite, consacrent plus d’argent à la santé mentale qu’on le fait au Canada.

La sénatrice Dasko : En ce qui concerne les dépenses par habitant par opposition au pourcentage de la part des soins de santé, sommes-nous encore au bas de la liste lorsqu’il est question des dépenses par habitant ou nous trouvons-nous en milieu de liste?

M. Smith : Non. Je dirais que nous sommes encore là, au bas de la liste. On reconnaît notre leadership. Vous savez sans doute que l’honorable Ginette Petitpas Taylor a récemment accepté la présidence de l’Alliance des défenseurs de la santé mentale et du bien-être. Les gens se tournent vers le Canada, parce qu’il y a de très bons exemples de leadership au pays. Ils reconnaissent également les lacunes particulières en ce qui concerne les soins de santé mentale primaires, ici, des lacunes qui n’existent dans aucun autre pays industrialisé.

La sénatrice Dasko : Les dépenses par habitant sont aussi très faibles. Selon moi, c’est la mesure clé, soit combien nous dépensons par habitant.

M. Smith : Oui.

La sénatrice Dasko : J’aime beaucoup les commentaires que vous avez formulés lorsque vous parliez du rôle pour le gouvernement fédéral. Votre organisation met l’accent sur la prévention. Je crois que c’est un rôle important pour le gouvernement fédéral.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre idée de financer des programmes dans les écoles? Lorsque je pense au gouvernement fédéral... On ne pense pas aux écoles, parce que le gouvernement fédéral est tellement loin du système d’éducation, une compétence provinciale et locale. Comment peut-on le faire? Comment procéderait-on?

M. Smith : Encore une fois, à l’échelle internationale, les gens sont vraiment conscients du fait que renforcer les compétences de résilience des enfants aura une incidence plus grande au niveau de la population que de répondre aux besoins des gens une fois qu’ils présentent tous ces problèmes de santé mentale.

La sénatrice Dasko : Bien sûr.

M. Smith : L’Agence de la santé publique du Canada a mené un projet pilote de financement de certaines choses qui sont applicables de façon plus généralisée dans d’autres pays, comme l’apprentissage social et émotionnel et la sensibilisation des enfants aux aspects socioémotionnels. L’Agence de la santé publique du Canada nous finance en Nouvelle-Écosse, par exemple, pour que nous élaborions de telles choses. C’est une initiative qui est reprise un peu partout dans le Canada atlantique. Ce sont des choses que nous pourrions réaliser dans toutes les administrations, toutes les provinces et tous les territoires. Selon moi, cela exigerait un financement ciblé de l’Agence de la santé publique du Canada, qui dirait ainsi qu’elle croit à une telle démarche. Nous avons déjà vu les résultats, et nous y croyons assez pour en accroître l’échelle et faire en sorte que ce soit accessible aux enfants partout.

Je suis un psychologue clinicien. J’ai été formé pour traiter des gens qui ont des problèmes. J’ai travaillé au CTSM. J’ai été vice-président fondateur là-bas. D’un point de vue clinique, il s’agit du plus grand hôpital de santé mentale du Canada. Je connais aussi le pouvoir de la promotion de la santé mentale de la population et je sais que nous devons endiguer le problème. Nous n’allons jamais passer par-dessus la crise de la santé mentale actuelle seulement en traitant les malades, surtout vu toutes les années où nous n’avons pas investi dans les services.

Je crois vraiment que, du point de vue de l’optimisation des ressources, pour ainsi dire, ces programmes ont fait leurs preuves et transformé des lieux de travail. Les écoles sont des lieux de travail aussi. La transformation vise les gens qui y travaillent, mais aussi les étudiants.

Soit dit en passant, c’est la norme touchant la santé psychologique et la sécurité dans les milieux de travail qui est à l’origine de cette demande dans les milieux de travail partout au Canada. On élabore actuellement des normes similaires pour les campus universitaires, pour les étudiants et les enseignants. Nous adaptons actuellement notre programme Je ne me reconnais pas pour les campus universitaires.

Le sénateur Ravalia : J’ai une question précise liée à la recherche. Vous avez fait allusion à la dépression résistante aux traitements, qui représente un énorme défi. Je sais que, aux États-Unis, particulièrement dans les États de l’Ouest, il y a eu des directives de recherche sur l’utilisation des hallucinogènes dans le traitement de la dépression résistante aux traitements. Réalisons-nous ce genre de travail au Canada?

M. Merali : C’est une très bonne question. Oui, nous le faisons, mais pas nécessairement avec les hallucinogènes. Selon moi, le médicament que nous avons commencé à utiliser au Royal dans le contexte canadien, c’est la kétamine, qui était auparavant reconnue comme un agent anesthésique sécuritaire. Si on l’utilise à de très faibles niveaux, elle s’est révélée efficace chez 60 p. 100 des personnes pour qui cinq traitements médicamenteux différents n’ont pas fonctionné dans le passé. Ce sont des cas d’affections résistantes au traitement, cela ne fait aucun doute. Une faible dose de kétamine, qui doit être administrée par perfusion, élimine rapidement les symptômes de la dépression. Ce qui est unique au sujet de cette approche, c’est que plutôt que d’attendre des semaines ou des mois — le temps qu’il faut habituellement pour que les antidépresseurs fassent effet — la kétamine fonctionne en quelques heures.

Ce qui est encore plus excitant, c’est que la kétamine élimine non seulement les symptômes de la dépression générale, mais, en particulier, les idées suicidaires. Nous réalisons actuellement des essais pour voir si les gens qui arrivent et qui ont d’importantes idées suicidaires... Nous ne les laissons pas repartir chez elles. Essentiellement, elles seront hospitalisées et on les aiguillera vers une thérapie électroconvulsive. Et là, plutôt, lorsque les gens viennent, nous tentons de leur administrer de la kétamine pour obtenir le même résultat, et ça fonctionne.

Nous lancerons un essai clinique multicentrique pour comparer la thérapie électroconvulsive et la kétamine. Ce sera beaucoup plus efficace. Les gens pourront probablement retourner chez eux le jour même. Bien sûr, tout ça doit être accompagné d’autres plans de traitement de rechange.

Les façons nouvelles et novatrices de mettre à l’essai des traitements sont importantes parce que, depuis si longtemps, il fallait attendre longtemps pour que les antidépresseurs fassent effet, et ce n’est pas tout le monde qui réagissait. Plus de la moitié ne réagissait pas. En fait, seulement 33 p. 100 des gens réagissent bien actuellement aux antidépresseurs. Nous devons faire des percées à cet égard.

Le sénateur Ravalia : Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Je tiens à remercier nos deux témoins. Votre témoignage a été précieux dans le cadre de notre recherche tandis que nous entreprenons notre étude sur la santé mentale des jeunes. Merci d’avoir été là et de nous avoir fait part de vos connaissances et de votre expertise.

(La séance est levée.)

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