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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 48 - Témoignages du 24 octobre 2018


OTTAWA, le mercredi 24 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour examiner, en vue d’en faire rapport, des questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général (sujet : étude sur la santé mentale des enfants et des adolescents).

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Français]

Je m'appelle Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec. Cela me fait plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.

[Traduction]

Avant de céder la parole à nos témoins, j’inviterais mes collègues à se présenter, en commençant par la vice-présidente, à ma droite.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de Toronto.

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de Toronto, en Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de Toronto.

[Français]

La présidente : Merci, chers collègues. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la santé mentale des enfants et des adolescents.

[Traduction]

J’aimerais présenter notre premier témoin. Nous sommes très heureux de recevoir, par vidéoconférence, Mme Elizabeth Newcombe, membre du conseil d’administration des Services de crises du Canada, de Nanaimo, en Colombie-Britannique.

Bienvenue, madame Newcombe. Nous sommes ravis d’entendre ce que vous avez à dire aujourd’hui. Je vous demanderais de bien vouloir présenter votre déclaration liminaire.

Elizabeth Newcombe, membre du conseil d’administration, Services de crises du Canada : Madame la présidente, et mesdames et messieurs, merci de m’avoir invitée à m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis heureuse d’être des vôtres à distance, depuis l’île de Vancouver, pour vous communiquer des renseignements au sujet du Service canadien de prévention du suicide. En plus d’être membre du conseil d’administration des Services de crises du Canada, je suis aussi directrice générale de la Vancouver Island Crisis Society, un des centres de crise qui répond aux interactions sur la ligne nationale.

Services de crises du Canada est une collaboration de centres de services de détresse et de crise à but non lucratif de partout au Canada. L’organisation a été constituée en société en 2017. Le réseau a officialisé sa structure organisationnelle et se concentre maintenant sur le renforcement de la prestation de services régionaux afin de combler les lacunes dans le service à l’échelle nationale.

Nous avons lancé le nouveau Service canadien de prévention du suicide le 28 novembre 2017. Ce service permet aux personnes qui appellent d’accéder à des services de prévention du suicide et il soutient l’utilisation de la technologie de leur choix, que ce soit par téléphone, clavardage ou texto, en français ou en anglais.

Le Service canadien de prévention du suicide ne va pas remplacer les services locaux existants de lignes de détresse et de crise ou les numéros de téléphone dans l’ensemble du Canada; il ne va que compléter le service local. Le Service canadien de prévention du suicide utilise une nouvelle plateforme multimédia de centres de contact pour relier des fournisseurs de services locaux et régionaux existants qui offrent déjà des services de soutien en cas de crise. Notre service est accessible à l’échelle nationale et offert à l’échelle régionale.

Le Service canadien de la prévention du suicide offre à quiconque envisage le suicide au Canada un soutien 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Pourquoi un service national? Un seul numéro pour l’ensemble du Canada, un accès facile pour les gens. Le but est de sauver des vies, pas de gagner du temps; donc, les conversations pourraient être beaucoup plus longues que celles d’autres centres de contact. En moyenne, une conversation téléphonique dure 20 minutes; par clavardage ou texto, une conversation peut durer jusqu’à 60 minutes. Nous fournissons une couverture dans des régions qui ne bénéficiaient auparavant d’aucun appui.

La technologie de routage permet un accès facile aux interventions des services 9-1-1 à l’échelle du pays. Nous tirons parti des pratiques exemplaires communes pour évaluer le risquede suicide, fournir du soutien, offrir des ressources et, fait encore plus important, élaborer un plan de sécurité et dépêcher une équipe d’intervention d’urgence, au besoin.

Nous évitons les visites inutiles et coûteuses aux services médicaux d’urgence en utilisant l’intervention la moins intrusive possible. Nous offrons des appels de suivi à des gens qui ont des pensées suicidaires et des appels de sensibilisation des tiers à ceux touchés par d’autres idées suicidaires.

Pour vous donner une idée de certaines des interactions reçues et des statistiques obtenues depuis notre lancement, de novembre 2017 jusqu’au 6 septembre 2018, nous avons reçu 17 878 communications de demande de soutien de la part de personnes ayant des besoins partout au Canada. Parmi celles-ci, 50 p. 100 ont été faites par téléphone, 24 p. 100 par clavardage et 26 p. 100 par texto. De plus, 3 965 utilisateurs de services ont confirmé avoir des idées suicidaires au moment de l’interaction, 47 suicides étaient en cours, 192 sauvetages actifs ont été réalisés et 110 appels de suivi ont été organisés.

Nous recevons des appels et des interactions de gens d’un bout à l’autre du spectre de l’âge, mais je tiens à souligner que 2 p. 100 des appels proviennent d’enfants de moins de 12 ans, et 26 p. 100 de nos interactions touchaient des enfants âgés de 13 à 18 ans. Au total, 86 p. 100 des utilisateurs de services âgés de moins de 19 ans ont choisi le clavardage et le texto comme moyen de communication de préférence, ce qui ne nous surprend pas.

Pour ce qui est de notre collaboration avec d’autres partenaires, nous sommes en faveur de l’approche « il n’y a pas de mauvaise porte » pour ce qui est d’accéder à du soutien. Le Service canadien de prévention du suicide est donc déterminé à travailler avec Jeunesse, J’écoute et avec la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être des Premières Nations et des Inuits afin de faire avancer la recherche, les connaissances, la communication et la défense des intérêts, de façon à ce que chaque personne au Canada puisse accéder au service de soutien de prévention du suicide dont elle a besoin, quand elle en a besoin et de la façon dont elle en a besoin. Nous continuons de collaborer avec des organisations provinciales et régionales.

J’aimerais terminer en racontant quelques brèves histoires. Il y a celle de la femme qui marchait sur les rails de chemin de fer avec des idées suicidaires. Elle a utilisé son téléphone pour appeler la ligne nationale. On lui a fourni du soutien, un plan de sécurité a été mis en place, et un appel de suivi a été offert. Plus tard ce jour-là, l’appel de suivi a été fait, et la femme a dit au répondant qu’elle ignorait qu’il y avait des gens qui se souciaient d’elle. C’est une vie qui n’a pas été enlevée ce jour-là.

Une autre histoire provient de notre propre centre de détresse ici, sur l’île de Vancouver, où une jeune marchait et textait par Facebook. Son amie a envoyé un message disant qu’elle allait s’enlever la vie. Elle a donc téléphoné au centre de détresse, et le répondant a dit à la jeune quoi dire à son amie par Facebook. En moins d’une heure, nous avons été en mesure de localiser cette jeune et de mettre en place des services de crise en santé mentale pour cette personne.

Je vous remercie de m’accueillir ici aujourd’hui et je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions.

[Français]

La présidente : Merci beaucoup, madame Newcombe, pour toutes ces informations.

[Traduction]

Nous voici arrivés à la période des questions. Vous en avez beaucoup à poser. J’aimerais rappeler à mes collègues que nous avons cinq minutes pour la question et la réponse. Nous allons commencer par notre vice-présidente.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de votre exposé, madame Newcombe. Lorsque vous avez décrit le service que vous offrez, vous avez dit qu’il utilise une nouvelle plateforme multimédia de centres de contact pour relier des fournisseurs de services locaux et régionaux existants qui fournissent du soutien en cas de crise. Puis, vous avez dit que vous avez une technologie de routage qui permet aux gens ayant besoin de soutien de le recevoir aussi rapidement que possible.

J’aimerais savoir si vous pourriez nous aider à comprendre ce qu’est cette nouvelle plateforme multimédia de centres de contact et ce que suppose cette technologie de routage et nous dire si vous utilisez un modèle intégré qui englobe une gamme complète de professionnels de la santé.

Mme Newcombe : Oui. La technologie de routage n’est pas nouvelle, mais on utilise la technologie infonuagique, si je peux l’appeler ainsi. Quand un appel est fait à ce numéro, la plateforme sait d’où il provient, puis, lorsque les répondants s’enregistrent, ils peuvent diriger cet appel au répondant le plus près. Par exemple, si l’appel vient de l’Ontario, il sera d’abord acheminé à un répondant en Ontario. Si celui-ci est occupé par un autre appel, l’appel sera acheminé au prochain répondant disponible. Les répondants se connectent à la plateforme, et les appels sont acheminés en conséquence.

Nous allons acheminer les appels en fonction d’un ensemble de compétences. Si la personne est francophone ou anglophone, nous pouvons acheminer les appels en fonction de cela. Si la personne est un militaire, nous pouvons acheminer l’appel en fonction de cette expertise particulière.

Bien que nous venions à peine de commencer à l’utiliser, la technologie a la capacité de faire encore plus de choses que ce pour quoi nous l’utilisons en ce moment.

L’autre chose qu’elle permet, c’est que plutôt que d’utiliser tous les centres de détresse au Canada qui font de l’excellent travail, nous pouvons l’exploiter de façon différente. Nous utilisons Northern911, par exemple, où nous n’avons qu’un centre à appeler si nous voulons joindre le 9-1-1, et il est connu partout au pays, plutôt que d’appeler nos services 9-1-1 locaux et de leur demander de découvrir où vit la personne au Canada. La technologie elle-même fait une bonne partie du travail pour intégrer les centres de détresse régionaux.

La sénatrice Seidman : Cette technologie est-elle nouvelle, parce que vous dites que c’est une nouvelle plateforme multimédia de centres de contact?

Mme Newcombe : Oui. On a exploité une partie de la technologie. Rogers a fait beaucoup de travail. L’entreprise a joué un rôle essentiel pour écouter ce dont nous avions besoin et mettre au point cette technologie de routage.

Nous utilisons déjà une certaine technologie de routage dans diverses provinces. Par exemple, il y a APPELLE, au Québec; nous avons la technologie 1-800-SUICIDE en Colombie-Britannique. Le routage est très simple — par exemple, nous sommes déjà limités à quatre routes — tandis que la nouvelle technologie va au-delà de cela.

La sénatrice Seidman : Qui s’occupe des personnes qui appellent à l’autre bout de la ligne? Est-ce que ce sont des personnes qui font partie d’un système de professionnels de la santé formés, intégrés et alliés? Est-il possible de faire le tri pour savoir à quel type de professionnels une personne doit parler?

Mme Newcombe : Les répondants viennent des centres de détresse régionaux et reçoivent une formation intensive. Certains sont des employés; d’autres, des bénévoles. La formation est mise à profit. Elle repose sur les pratiques exemplaires et donne une accréditation. Nous nous inspirons de l’American Association of Suicidology, qui fournit l’accréditation pour beaucoup de centres de crise. La formation repose sur les pratiques exemplaires qui en sont issues.

Tous les répondants suivent cette formation intensive afin de pouvoir recevoir des appels de crise.

La sénatrice Seidman : Avez-vous fait partie du cadre du suicide élaboré en 2016 au Canada?

Mme Newcombe : Parlez-vous du plan directeur sur la prévention du suicide? Celui-ci est issu de l’ACPS, l’Association canadienne pour la prévention du suicide. Je suis membre de l’ACPS, à l’instar de beaucoup de centres de détresse. Quand ce plan est paru, l’information a circulé par l’intermédiaire des centres de détresse, et nous avons utilisé cela comme plateforme pour élaborer nos programmes futurs.

La sénatrice Eaton : Merci de votre touchant exposé — pas touchant dans le bon sens, mais plutôt dans le sens inquiétant.

Faites-vous des ventilations démographiques, où vous examinez la santé mentale, la dépendance et l’agression sexuelle? Classifiez-vous ces éléments?

Mme Newcombe : Nous ne faisons pas nécessairement de classification, mais nous utilisons la déclaration uniforme des appels. Donc, avec nos statistiques, nous savons que, par exemple, 47 p. 100 des appels sont associés à un aspect de santé mentale. Nous savons que de 10 à 15 p. 100 de notre volume d’appels comportent un élément de suicide. C’est pour les centres de détresse, de façon générale.

En ce qui concerne la ligne nationale, quand une personne appelle, nous savons si cet appel concerne une dépendance ou si c’est lié à la crise des opioïdes, par exemple. L’information concernant la raison de l’appel nous est donnée par l’appelant. Il pourrait vouloir obtenir du soutien parce qu’il est en instance de divorce.

La ligne nationale est une ligne de prévention du suicide, donc nous nous concentrons sur ce domaine. Nous posons des questions au sujet du suicide, parce que c’est une ligne nationale de prévention du suicide, mais le suicide est lié à de nombreux enjeux. C’est une longue trajectoire durant la vie d’une personne. Une personne pourrait composer avec un problème de santé mentale et des idées suicidaires ou non.

Nous conservons des statistiques sur les principales raisons pour lesquelles les gens communiquent avec nous.

La sénatrice Eaton : J’ai lu quelque part que l’éducation et des interventions plus rapides pouvaient éviter de nombreux suicides. Êtes-vous d’accord avec cela?

Mme Newcombe : Absolument. En ce qui concerne la mise à profit des centres de détresse dans le cadre de la ligne nationale, une des choses, c’est que nous pouvons aiguiller les gens vers leur ligne de crise régionale pour qu’ils puissent obtenir du soutien une fois que nous les avons aidés avec leurs idées suicidaires. Lorsque nous les aiguillons vers leur ligne de crise locale pour qu’ils obtiennent du soutien... beaucoup de ces centres de détresse offrent d’autres programmes au-delà de leur ligne de crise. Par exemple — je ne peux parler que pour mon centre de détresse —, nous offrons des programmes d’éducation communautaire dans les écoles. Lorsque nous présentons un exposé dans une école, nous renseignons les gens au sujet des services de ligne de crise. Parfois, nous simulons même un appel dans la classe pour qu’ils puissent voir que ce n’est pas effrayant. À quoi peuvent-ils s’attendre lorsque le répondant leur parle? Ils peuvent poser des questions en classe. Nous l’avons fait localement dans notre centre régional.

Lorsque vous communiquez de façon individuelle avec le jeune en classe, c’est là où se produit une bonne partie de l’éducation. Ce ne sont pas tous les centres de détresse qui offrent ces programmes dans les écoles, mais ils sont nombreux à le faire.

La sénatrice Eaton : Vous avez dit que, lorsqu’une personne appelle, vous l’aidez immédiatement, et on fait souvent un appel de suivi. Craignez-vous parfois que, après l’appel de suivi, une personne disparaisse complètement de votre radar? J’imagine que vos options sont limitées quant à ce que vous pouvez faire pour la personne, mais après l’appel de suivi, vous préoccupez-vous du fait que vous n’aurez plus de nouvelles de cette personne?

Mme Newcombe : Absolument. Si on fait un appel de suivi, c’est parce qu’on se soucie de cette personne. Des protocoles sont établis pour la planification d’un appel de suivi. Si nous ne sommes pas en mesure de désamorcer la situation et de mettre les personnes en communication avec des services de soutien ou si les personnes ne sont pas avec un membre de la famille, l’appel de suivi se veut un filet de sécurité. Il est peut-être fait une heure plus tard, et on va peut-être prévoir un autre appel de suivi après cette heure. Il pourrait y en avoir plusieurs. Nous cherchons à faire face au caractère immédiat de la situation. Donc, habituellement, il y a une tentative imminente, quelque chose qui se passe ici et maintenant, et nous devons planifier cet appel de suivi.

Disons qu’il est 3 heures du matin et que les services ne sont pas encore ouverts. Nous sommes ouverts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, donc nous sommes un peu le filet de sécurité qui va tout attraper. L’appel de suivi est fait en attendant que nous puissions mettre ces personnes en communication avec des services de soutien.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup et merci de ce que vous faites.

Le sénateur Ravalia : Merci, madame Newcombe. Ma question porte sur les données démographiques. Vous avez parlé de l’âge de la population que vous servez. Tenez-vous à jour des données démographiques géographiques? En particulier, êtes-vous en mesure de dire si vos appels viennent d’un groupe racialisé ou ethnique?

Mme Newcombe : Nous pouvons dire d’où viennent les appels — la ville, la province, le lieu. Nous ne pouvons pas dire si la personne est Autochtone ou non. Notre service est anonyme, donc cette information nous serait fournie par l’appelant. S’il se présente comme étant Autochtone et que nous devons l’aiguiller vers des ressources dans sa collectivité, nous aurions alors des statistiques concernant le fait que nous avons eu un appelant autochtone. Cependant, s’il ne le mentionne pas dans l’appel, nous ne le saurions pas.

La qualité des statistiques concernant les données démographiques précises de la population tient à la qualité de ce que les gens nous disent durant l’appel. Il y a beaucoup de variables inconnues, mais nous conservons les renseignements qu’on nous donne.

Le sénateur Ravalia : Y a-t-il une région particulière du pays où il semble y avoir une plus grande vulnérabilité ou un plus grand volume d’appels?

Mme Newcombe : Par rapport aux populations, je dirais les personnes LGBTQ, les populations autochtones et les hommes d’âge moyen ou ceux qui viennent de prendre leur retraite. Certains profils démographiques présentent un risque plus élevé de suicide. Nous essayons de tendre la main à la population masculine pour qu’elle demande de l’aide.

Nous obtenons un plus grand nombre d’appels de femmes. Il y a un ratio d’un tiers de femmes contre deux tiers d’hommes qui accèdent à des services. Nous savons que c’est tributaire d’un aspect sociétal : la volonté d’aller chercher de l’aide. Ce n’est pas un signe de faiblesse, ni de force. Nous fournissons cette éducation et éliminons certains des préjugés.

Nous continuons d’essayer d’éduquer certaines populations pour qu’elles aillent chercher de l’aide. Grâce à beaucoup d’études, nous savons que la population autochtone et que les personnes LGBTQ présentent un risque plus élevé, donc nous essayons de cibler ces populations pour qu’elles aillent chercher de l’aide.

À cette étape-ci, nous n’avons pas fait la promotion du nouveau service national, mais quand cette promotion commencera à se faire, nous ciblerons certaines populations qui présentent un risque plus élevé.

Le sénateur Ravalia : Merci.

La sénatrice Omidvar : J’ai un certain nombre de questions que j’aimerais poser. Je vous remercie de votre travail.

Nous avons entendu des témoins relativement à notre étude, principalement des fournisseurs de services de santé ou des associations. Ils m’ont donné l’impression que le système est fragmenté, qu’il n’est pas coordonné et qu’il est différent d’une administration à l’autre. Ils ont recommandé l’amélioration de l’accès aux services de santé mentale au moyen d’une proposition de point d’entrée unique. Cela aiderait à faire face à la fragmentation et à la nature incohérente des services. Ils ont dit que le point d’entrée unique découlerait d’un aiguillage fait par une école ou un intervenant en soins primaires.

Toutefois, vous avez dit que vous employez une approche où « il n’y a pas de mauvaise porte ». D’une part, nous avons des spécialistes et des défenseurs des droits qui proposent un point d’entrée unique, et d’autre part, vous avez un processus beaucoup plus ouvert où il n’y a pas de mauvaise porte. Pouvez-vous nous aider à comprendre la tension entre les deux approches?

Mme Newcombe : Oui. Je ne crois pas que ce soit une tension, ou un choix entre une approche ou l’autre. Je pense qu’elles se complètent. Il y a beaucoup de fragmentation, et je crois que, pour l’utilisateur de services ou quiconque essaie d’obtenir de l’aide, un point d’accès peut aider. Il y a un numéro où appeler ou un endroit où aller, puis cette personne ou ce lieu peut aiguiller la personne à partir de là.

Toutefois, vous ne voulez pas avoir un seul accès, car qu’arrive-t-il s’il y a un problème avec cet accès? Disons que vous n’aimez pas un conseiller et que vous en voulez un autre, ou qu’une personne autochtone veut parler précisément à une personne de sa collectivité, mais qu’une autre personne ne veut peut-être pas, pour des raisons différentes. L’approche où « il n’y a pas de mauvaise porte » offre des choix et plusieurs points d’accès. Ce n’est pas fragmenté, mais cela permet à plusieurs lieux de communiquer.

La sénatrice Omidvar : Une porte unique mais beaucoup d’autres portes dans le corridor? Je crois que c’est ce que vous dites, une porte d’entrée unique, mais ensuite vous franchissez d’autres portes.

Mme Newcombe : Oui. Je pense que le fait d’avoir un point d’accès unique fait en sorte que la personne n’a pas à penser ou n’est pas confuse, ou qu’elle n’a pas à appeler ce bureau-ci ou ce bureau-là. Il y a des règles pour ce bureau — moins de 19 ans ici ou plus de 18 ans pour celui-là, ce genre de choses. Les gens n’ont pas besoin de penser à ça. Ils peuvent avoir un numéro qui donne des renseignements où on leur dit à quelle personne ou bureau de santé mentale ils doivent téléphoner. Ce numéro contient plus de renseignements, mais un point d’accès central qui offre tout, c’est assez difficile à faire. Il y a aussi des différences au pays et dans les provinces dans le but de respecter les différences culturelles.

La sénatrice Omidvar : Vous avez dit que vous aviez reçu 17 878 communications. Par communications, j’imagine que vous voulez dire les personnes en détresse, qui ont envisagé le suicide. Tenez-vous un registre des principales causes de leur dépression ou de leur anxiété, peu importe comment vous souhaitez appeler cela? Est-ce une dépendance, l’intimidation, les médias sociaux ou le dysfonctionnement familial? Avez-vous une idée des causes?

Mme Newcombe : Je ne dirais pas que nous tenons un registre de ce qui a causé les idées suicidaires ou a amené les personnes à contempler le suicide, mais nous conservons la raison de l’appel ou du clavardage. Si la personne appelle car elle vit une situation de violence familiale, nous posséderions ce renseignement et saurions qu’elle a des idées suicidaires. Je ne peux pas dire que cette violence familiale soit la cause des idées suicidaires, mais la raison de l’appel était la violence familiale et comportait un élément suicidaire. Nous ne pouvons déterminer s’il y a une relation de cause à effet. Nous faisons le suivi des raisons principales pour lesquelles les gens communiquent avec nous.

La sénatrice Omidvar : Pouvez-vous nous en faire part?

Mme Newcombe : Oui. En ce moment, nous fournissons ces données à l’Agence de la santé publique du Canada, qui est devenu un de nos bailleurs de fonds. Nous avons fourni ces rapports tous les trimestres depuis notre lancement. Ceux-ci seraient probablement rendus publics à certains moments dans un rapport annuel, ou bien le nombre d’appels que vous avez reçus par rapport à un sujet particulier. Oui, ces données seraient fournies.

La sénatrice Omidvar : Merci.

La sénatrice Marshall : Merci, madame Newcombe, de cet exposé très intéressant.

Êtes-vous en mesure de nous donner des renseignements sur les sources de financement de votre organisation? J’aimerais connaître les sources et l’importance du financement, si c’est adéquat ou non, et savoir quelle sera, à votre avis, la tendance dans l’avenir. Quand on parle aux gens, on entend dire que c’est une tendance à la hausse. Pourriez-vous établir le contexte avec ces renseignements? Nous vous en serions reconnaissants.

Mme Newcombe : L’Agence de la santé publique du Canada a investi environ 3 millions de dollars au cours des quelques dernières années pour lancer cette initiative. Nous avons aussi obtenu quelques fonds de la Commission de la santé mentale du Canada. Nous sommes maintenant bien placés pour rechercher des initiatives publiques et privées et faire des campagnes de financement pour obtenir un financement durable.

Puisque nous mettons à profit des services locaux de ligne de crise, mon centre, par exemple, est financé de multiples façons : Centraide, différentes subventions et des contrats avec l’autorité sanitaire. Chaque centre de détresse au Canada est financé différemment en fonction de sa région. Si nous voulons tirer parti de son soutien en recevant des appels sur une ligne nationale, c’est ce que nous examinons. Quel serait l’avantage pour une personne de répondre à des appels sur une ligne nationale? Quelle est la rémunération? Comment pouvons-nous soutenir les lignes locales de crise? Nous sommes donc maintenant en mesure d’examiner le financement afin d’inviter plus de centres à participer et d’augmenter notre capacité. Pour ce faire, nous avons besoin d’argent; nous essayons donc de renseigner le plus grand nombre de gens possible au sujet de notre existence. Le financement est assurément important et essentiel en ce moment.

La sénatrice Marshall : Lorsque vous parlez de 17 000 communications, vous avez aussi mentionné 3 millions de dollars. Ça ne m’apparaît pas comme beaucoup d’argent, mais ce financement a été utilisé pour les 17 000 communications; est-ce exact?

Mme Newcombe : Les 3 millions de dollars ont été principalement utilisés pour bâtir la technologie, d’abord, pour le centre de communications multiples et pour tout installer. Le financement a principalement servi à le bâtir et à inviter des centres à participer pour lancer le projet. C’était l’argent de départ. Nous cherchons maintenant un modèle où nous avons besoin de financement durable pour poursuivre ses activités.

La sénatrice Marshall : Les membres du personnel dont on a parlé dans une conversation précédente sont-ils rémunérés? Je crois comprendre qu’ils reçoivent une formation professionnelle. Sont-ils rémunérés?

Mme Newcombe : Services de crises Canada ne compte que quatre employés qui dirigent maintenant ce service national. Ensuite, nous avons un conseil d’administration qui met à profit les centres de détresse.

Chaque centre de détresse est un peu différent. Par exemple, en Ontario, on utilise principalement des bénévoles formés, mais on a besoin d’un coordonnateur de la formation du personnel rémunéré afin de former ces bénévoles. Chaque centre de crise a besoin d’argent pour la formation, que ce soit de bénévoles ou de membres du personnel.

Mon centre est hybride. J’ai 13 intervenants de ligne de crise rémunérés ainsi que des bénévoles. Mes répondants rémunérés sont payés grâce à un contrat avec l’autorité sanitaire, car nous offrons un service local de ligne de crise. Avec l’argent supplémentaire qui nous est fourni par le service national, je peux tirer profit des personnes qui répondent à des appels sur notre ligne locale, mais aussi sur la ligne nationale; donc l’argent provient de deux sources.

La sénatrice Marshall : Concernant les services de suivi dont vous avez parlé, les gens communiquent avec vous la première fois, et la plupart sont en crise. Quel type de services pouvez-vous fournir avec les fonds limités dont vous disposez?

Mme Newcombe : Le service de suivi est offert par nous. Nous communiquons avec l’appelant des centres de détresse régionaux qui sont financés par leur propre collectivité locale et la ligne nationale. Les appels de suivi sont faits par nous sur la ligne nationale. Si autre chose est nécessaire au-delà de ça, nous avons une base de données de ressources et nous les y rattachons. Par exemple, si un appel venant de Victoria était envoyé au service national et que nous finissions par le recevoir, nous avons une base de données et nous aiguillerions la personne vers les services de santé mentale à Victoria afin qu’elle y reçoive du soutien supplémentaire.

Nous ne fournissons pas d’autres éléments mis à part l’appel de suivi — la communication téléphonique — afin que les personnes puissent maintenir le cap jusqu’à ce qu’elles soient mises en communication dans leurs collectivité avec une personne.

La sénatrice M. Deacon : Merci de participer par téléconférence cet après-midi.

Vous êtes aux premières loges lorsqu’ils téléphonent et vous êtes la première étape pour certains de nos jeunes en crise. J’ai parlé à un très grand nombre de jeunes au cours des 10 et 15 dernières années et je constate qu’ils attendent moins, maintenant, pour faire l’appel. J’ai l’impression qu’ils sont plus sensibilisés. C’est là, c’est quelque chose et ils l’ont. Ils ont aussi leur téléphone cellulaire, qui, durant les pires crises, devient un outil incroyable pour qu’on les trouve, très franchement, lorsque la situation s’aggrave, que la police intervient, et cetera.

Pour beaucoup, le cycle est enclenché et ils ont peut-être déjà été amenés à l’hôpital pour leur propre sécurité ou celle des autres, et ils sont maintenant dans un milieu médical. Pour beaucoup de nos jeunes, c’est presque devenu cyclique. Ils viennent, on les stabilise, puis ils retournent chez eux. Puis, ils reviennent, on les stabilise et la famille a du répit. Tout le monde cherche du soutien, l’étape suivante qui les aidera à être plus en santé et plus forts et à sortir de ce cercle vicieux dans lequel ils perdent espoir, ce qui est un autre facteur.

De votre point de vue, vous êtes la première étape. À la lumière de ce que vous avez vu et entendu, de ce que vous avez utilisé comme base de référence au fil des ans, en êtes-vous venu à un jugement ou à un point de vue sur ce qui doit venir après? Vous avez vu ces jeunes et vous pouvez peut-être en suivre quelques-uns. Avez-vous des idées sur le cycle? Vous savez que cela se répète. De quelle façon pouvons-nous mieux travailler pour briser le cercle vicieux faisant en sorte qu’ils vous rappellent toujours?

Mme Newcombe : Il est évident que nous constatons ce syndrome de la porte tournante.

La plupart du temps, on ne se limite pas à un seul contact lorsqu’une personne est en crise. La crise peut durer six mois. C’est parfois permanent. Si nous pouvons établir ce premier contact, nous essayons d’encourager le jeune et de tisser des liens. Nous essayons de lui donner les moyens d’avoir recours à nous.

Les jeunes sont peut-être déjà en counselling et ont peut-être déjà des liens avec le système de santé mentale, mais ces intervenants ne sont pas là à 2 heures du matin lorsque les mauvaises pensées arrivent. S’ils ont notre numéro de téléphone, ils peuvent l’utiliser, au besoin, dans le cadre de leur plan de sécurité.

Leur plan de sécurité peut inclure de nombreuses composantes visant à les garder à l’extérieur de l’hôpital. Ce peut être d’appeler leur conseiller durant la journée ou de voir un conseiller à l’école. Le fait d’avoir ce numéro national — ce numéro de texto — à portée de main... Ils peuvent l’utiliser lorsqu’ils en ont besoin.

L’autre aspect, c’est que les centres de détresse réalisent beaucoup de programmes de sensibilisation communautaire dans les écoles. C’est quelque chose qui va au-delà de la ligne nationale.

Pour ce qui est de mettre les gens en contact avec leurs systèmes de soutien local — et je peux seulement parler de ce qui se passe dans ma région —, nous travaillons beaucoup en collaboration avec les écoles. Nous avons entendu des histoires de jeunes qui se présentent après que nous avons présenté nos programmes dans les écoles. Nous avons un programme intitulé GRASP, soit l’acronyme anglophone pour croissance, résilience, reconnaissance, sensibilisation au suicide, prévention et planification personnelle. C’est un programme de 12 heures. Durant ce temps, nous tentons de transmettre des compétences aux jeunes afin qu’ils puissent avoir accès à l’aide, mais ce n’est pas tout, nous voulons aussi les aider à composer avec leur vie. La vie est difficile, il y a des hauts et des bas. Il s’agit de leur donner des outils et des habiletés d’adaptation pour qu’ils s’en sortent.

C’est ce que nous faisons en tête-à-tête en classe. Il y a des jeunes qui sont venus nous voir pour nous dire : « je n’utilise plus l’automutilation comme outil d’adaptation malsain, j’utilise autre chose maintenant. » C’est réconfortant d’entendre ce genre de témoignage.

Nous considérons qu’il faut y aller un jeune à la fois. Seulement une personne à la fois. Si on peut créer ce lien, on a établi une relation. Une personne peut parfois voir quelqu’un d’autre deux ou trois fois sans créer ce lien ou encore voir une personne une seule fois et avoir un lien fort. Il s’agit de créer ces liens.

Nos jeunes participants appartiennent au monde des médias sociaux, ils sont habitués aux liens en ligne et le sont parfois moins pour ce qui est des liens personnels. Il faut essayer de bâtir ce pont.

Il faut faire les choses en personne. L’école est un bon endroit pour y arriver. Beaucoup de centres de détresse offrent ces programmes supplémentaires. C’est quelque chose qui va au-delà de la composante nationale, mais nous pouvons aiguiller les jeunes vers les services régionaux.

La sénatrice M. Deacon : Je viens de l’Ontario, de la région de Waterloo. Au cours des trois dernières années, nous avons accueilli au sein de notre collectivité ce qui est considéré comme le pourcentage le plus élevé de nouveaux Canadiens, de réfugiés syriens.

Vous avez parlé de base de référence, de données démographiques et de collecte de données. J’aimerais savoir si, en ce moment, il y a une base de référence ou un point de repère relativement à nos réfugiés, nos nouveaux Canadiens, afin de savoir où ils se situent relativement à ce besoin d’aide importante.

Mme Newcombe : C’est un groupe démographique auquel nous nous intéressons. Nous avons accès aux services de LanguageLine, qui compte plus de 300 langues différentes. Si, par exemple, une personne parle espagnol, punjabi ou une autre langue, nous pouvons avoir accès, grâce à la ligne nationale, à un interprète qui nous aide à communiquer. C’est une mesure qui permet d’aider un réfugié dont l’anglais n’est pas la langue maternelle.

Ensuite, beaucoup de collectivités ont mis en place des programmes pour les réfugiés. Le fait d’avoir tout ça dans une base de données nous permettant d’aiguiller les gens... il y a peut-être un programme qu’ils ne connaissent pas, et nous pouvons les informer à ce sujet.

À partir de la ligne nationale, nous tirons parti des centres de détresse et créons des liens à ce niveau supérieur afin que les gens puissent découvrir s’il y a des programmes qui peuvent les aider dans leur collectivité.

La sénatrice Dasko : Merci de votre exposé. C’est très intéressant. J’ai deux ou trois questions sur la façon dont les gens prennent connaissance de votre service.

En réponse à la question du sénateur Ravalia, vous avez commencé à parler d’un plan ou d’un programme ou encore d’un financement dont vous bénéficiez pour promouvoir votre service. C’est quelque chose qui m’intéresse, parce que je crois vraiment à la promotion de la santé et aux activités connexes dans quasiment tous les domaines.

J’aimerais comprendre de quelle façon vous y arriverez. De quelle façon avez-vous conçu ce programme? Quelles en seront les cibles? Qui est ciblé? Vous allez clairement vouloir cibler des groupes, des régions, des secteurs — où qu’ils soient — avec lesquels vous n’êtes pas déjà en contact.

Quelles sont vos réflexions et vos recherches qui sous-tendent votre campagne de promotion?

Mme Newcombe : À l’heure actuelle, nous n’avons pas fait de marketing. C’est parce que nous venons tout juste de lancer le programme et que nous avons des problèmes de capacité. Nous ne voulions pas être inondés sans pouvoir fournir de service. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas fait de publicité. Nous attendons encore.

Il y a beaucoup de personnes qui attendent d’utiliser notre numéro. Par exemple, l’Association canadienne de prévention du suicide, durant les premières semaines, a mis le numéro sur son site web. Nous avons été pris de cours et nous lui avons demandé de le retirer.

Nous étions dans la première année suivant le lancement. Nous devions mettre à l’essai la technologie et nous assurer quedes protocoles étaient en place. Nous avions beaucoup de travail à faire. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas annoncé le numéro.

Cependant, même sans publicité, les gens en entendent parler, tout simplement par l’intermédiaire des médias sociaux. L’information est communiquée aux centres de détresse locaux. Même sans publicité, on peut voir combien d’interactions nous avons sans même dire aux gens que le numéro existe.

À l’avenir, un financement durable sera une priorité. Puis, il faudra intégrer des centres, renforcer la capacité, puis communiquer le numéro. On le fera grâce au personnel de la ligue nationale. Il s’agit d’un personnel limité, mais l’Agence de la santé publique du Canada et d’autres agences nous aideraient assurément à nous faire connaître, à établir les messages, les affiches.

Pour l’instant, l’ensemble du plan de marketing n’est pas défini. Un financement et des capacités durables sont les deux principaux enjeux qu’il faut régler avant, parce que, même sans publicité, nous fonctionnons déjà à plein rendement. Il nous faut plus de centres.

La sénatrice Dasko : Êtes-vous en train de dire que le marketing se fera principalement par l’intermédiaire des agences locales qui en parleront?

Mme Newcombe : Actuellement, je réponds à une ligne provinciale 1-800 de prévention du suicide en Colombie-Britannique. J’ajoute ce numéro sur mes cartes. Un médecin peut inscrire ce numéro sur sa carte si jamais un patient doit faire un appel après les heures d’ouverture. D’autres personnes vont communiquer le numéro national et le diffuseront. Ce sera l’une des façons. Les médias sociaux seront aussi une autre méthode importante.

Nous allons probablement essayer de tirer parti du plus grand nombre de débouchés gratuits, mais on consacrera aussi certains fonds, à l’avenir, au marketing. Nous allons probablement trouver une solution. Je n’ai pas encore vu de plan détaillé pour l’instant. Le personnel au siège social national se penche sur ces questions.

La sénatrice Dasko : Merci.

Le sénateur Munson : Merci d’être là. Vous nous fournissez des renseignements importants.

J’ai une question rapide et une observation, parce que nous commençons à manquer de temps. La question est liée à celle de la sénatrice Omidvar concernant les motifs pour lesquels une personne fait un appel à une ligne d’aide en cas de suicide. Vous avez mentionné que les données sont envoyées à Santé Canada. Pouvons-nous avoir accès à cette information? Ou est-ce possible que les sénateurs aient accès à l’information — ou le public — afin que nous puissions mieux comprendre la nature de ces appels et connaître la direction à emprunter tandis que nous réalisons notre étude sur le suicide chez les jeunes?

Mme Newcombe : Je peux poser cette question à notre conseil. Nous rencontrons chaque semaine l’Agence de la santé publique du Canada. Pour ce qui est de la façon dont l’information est communiquée au comité et le genre de rapports produits, je peux soulever la question par l’intermédiaire de l’Agence de la santé publique du Canada, ou peu importe le processus, tout dépendant du rapport qui est requis. J’encouragerais qu’on communique ces renseignements.

Le sénateur Munson : Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je travaille beaucoup dans le domaine de la santé et avec les enfants qui ont des déficiences intellectuelles, entre autres. Vous avez dit : « nous cherchons plus de financement ». Combien de fois avons-nous entendu cela? « Nous avons une subvention. Nous avons un partenaire public, un partenaire privé, différentes subventions ».

Pouvez-vous demander un budget au gouvernement actuel, puisque vous êtes un centre national de crise? C’est le moment de le faire, soit dit en passant. Si un représentant du gouvernement regarde la réunion, j’ai quelque chose à proposer au gouvernement fédéral, afin que vous puissiez faire tout ce qui est en votre pouvoir, pour atténuer certaines des choses qui vous causent des soucis... Partout au pays, il y a tellement de bonnes organisations qui doivent chercher dans tous les coins de leur collectivité pour trouver des fonds.

C’est bien de compter sur la participation de la collectivité, mais, selon moi, le gouvernement fédéral a une responsabilité fondamentale dans le domaine de la santé, surtout en ce qui concerne une ligne nationale d’écoute.

Mme Newcombe : C’est quelque chose sur quoi on travaille actuellement. Nous venons d’obtenir du soutien de l’Agence de la santé publique du Canada afin d’embaucher un directeur général pour la ligne nationale. L’une des premières tâches consiste à préciser tout ça, à obtenir les renseignements détaillés concernant une telle demande adressée au gouvernement fédéral. Nous travaillons là-dessus actuellement.

Le sénateur Munson : Je voulais que cela figure au compte rendu. Merci beaucoup.

La présidente : À ce sujet, je tiens à vous remercier beaucoup, madame Newcombe, d’avoir pris le temps de nous faire part de votre expérience. Nous vous souhaitons la meilleure des chances dans la poursuite de l’important travail que vous faites.

[Français]

Nous poursuivons cette réunion sur la santé mentale des enfants et des adolescents avec notre deuxième témoin.

[Traduction]

Notre prochain témoin, qui comparaît aussi par vidéoconférence est Mme Nancy Moreau Battaglia, de Toronto, en Ontario. Bienvenue devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

Vous êtes membre du conseil d’administration de l’Association canadienne pour la prévention du suicide. Je vous demanderais de nous présenter votre déclaration préliminaire, puis nous passerons aux questions.

Nancy Moreau Battaglia, membre du conseil d’administration, Association canadienne pour la prévention du suicide : Bonjour, madame la présidente, et bonjour aux membres du comité. Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui. Je suis heureuse de participer à distance de Toronto au nom de l’Association canadienne pour la prévention du suicide.

Comme on l’a mentionné, je suis membre du conseil d’administration de l’Association et une psychothérapeute agréée qui travaille en première ligne auprès des enfants, des jeunes et des personnes qui ont perdu des êtres chers par suicide.

L’Association canadienne pour la prévention du suicide, qu’on appelle plus couramment l’ACPS, est une organisation nationale créée il y a des dizaines d’années et dont la mission est de réduire l’impact du suicide sur la vie des gens au pays. Nous nous concentrons entre autres sur la prévention du suicide, l’intervention, la « post-vention » et la promotion de la vie. Comme beaucoup d’autres organisations sans but lucratif dans le secteur, nous faisons des pieds et des mains pour avoir du financement et avons seulement l’équivalent d’un employé à temps plein. Malgré tout, nous nous efforçons de réaliser les priorités stratégiques de l’ACPS en matière de leadership, de partenariat et de collaboration, de création de liens et de soutien aux collectivités.

Nos membres sont des gens qui ont certaines expériences vécues, des organismes de service, des professionnels de la santé mentale, des chercheurs et des décideurs qui représentent les collectivités et les régions des quatre coins du Canada.

Comme nous le reconnaissons tous, le suicide est un grave problème de santé publique au Canada. Les taux augmentent depuis 60 ans, et le suicide est l’une de nos principales causes de décès.

Aujourd’hui, au Canada, 10 personnes se suicideront et jusqu’à 200 autres tenteront de le faire. Nous devons nous poser beaucoup de questions à ce sujet et, plus particulièrement, pour combien de ces personnes la douleur les ayant menées à poser cet acte remonte-t-elle à l’enfance? Il est possible que, depuis vos discussions de la semaine dernière, le 18 octobre, environ 60 Canadiens se soient suicidés, dont huit jeunes.

Pour chaque décès de cette nature, plus de 100 personnes sont touchées, des dizaines étant touchées par l’événement pendant une grande partie, sinon la totalité de leur vie. En fait, à la suite d’un suicide, les survivants sont eux-mêmes plus à risque de mourir de façon prématurée par suicide. Je vous dis tout cela afin de souligner l’impact important que le suicide peut avoir sur les enfants et les adolescents qui ont malheureusement vécu cette expérience.

Le suicide est la deuxième cause de décès chez les enfants, les jeunes et les jeunes adultes, et peu importe à quel point cette statistique est alarmante, le nombre réel de suicides de jeunes dans nos collectivités autochtones est tout simplement tragique.

Lorsque nos jeunes se présentent à l’hôpital avec des idées suicidaires ou après avoir tenté de se suicider, il arrive trop souvent qu’on leur donne un congé de l’hôpital en leur remettant un comprimé anxiolytique et, peut-être, un renvoi vers un organisme débordé où il faudra peut-être attendre des semaines ou des mois avant d’obtenir des services.

Trop souvent, on les dirige vers des soignants épuisés et mal outillés qui n’ont pas les connaissances, les compétences et les renseignements et les ressources nécessaires pour soutenir leurs êtres chers et se soutenir eux-mêmes durant cette crise.

Nous sommes généralement une société qui nie la mort. Le suicide fait peur, et cette combinaison de facteurs fait en sorte qu’une grande majorité de personnes ne veulent pas en parler. On croit souvent à tort que, si on n’en parle pas, les gens ne se suicideront pas. Cependant, il faut en parler. Il faut parler du suicide, et il faut parler de santé mentale et de bien-être. Ces conversations sont cruciales, puisque 90 p. 100 des personnes qui se suicident étaient aux prises avec des problèmes de santé mentale et de bien-être, qu’ils aient été diagnostiqués officiellement ou non.

L’ACPS a axé sa mission sur la lutte au suicide, mais nos travaux sont inextricablement liés aux services, aux organisations officielles et aux groupes locaux qui s’occupent de la santé mentale et du bien-être. Dans notre secteur, de vastes recherches ont été réalisées, et on comprend que les liens entre la santé mentale et les déterminants sociaux de la santé sont cruciaux pour qui veut comprendre le continuum des problèmes menant au suicide et interagir en conséquence.

Étant donné qu’un Canadien sur cinq sera aux prises avec des problèmes de santé mentale à un moment ou à un autre de sa vie, nous devons comprendre que, lorsque nous regardons notre crise de la santé mentale, il est évident que le suicide doit être inclus dans n’importe quelle discussion sur le bien-être mental. On ne peut pas parler de l’un, sans l’autre.

L’ACPS interagit régulièrement avec différents intervenants et, par conséquent, elle a pu cerner un certain nombre de problèmes que des membres de la collectivité ont décrits comme étant des obstacles à une prévention efficace du suicide ou des occasions de prévention du suicide, notamment un système de soins de santé mentale fragmentaire et non coordonné dans lequel il est difficile, voire impossible, de se retrouver, le sous-financement des ressources communautaires assorti de longues listes d’attente et de fermetures imprévues, les lacunes en matière de service dans les collectivités rurales et suburbaines, le manque de renseignements accessibles présentés dans une langue simple, le besoin de sensibiliser les gardiens et les gens ordinaires à la santé mentale et la prévention du suicide, un accent mis sur la gestion du stress et le renforcement de la résilience, le besoin d’offrir des services selon une approche englobante, l’importance de compter sur des gens qui ont une expérience vécue à la table lorsque les décisions sont prises en matière de politiques ou de financement, le besoin d’offrir une formation sur les compétences culturelles, le besoin d’accroître le soutien par les pairs et les ressources communautaires pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale et de bien-être — ceux qui sont à risque élevé, les fournisseurs de soins primaires et les personnes qui ont perdu des êtres chers par suicide — et notre besoin de reconnaître que la stigmatisation des problèmes de santé mentale et du suicide restent marqués et qu’elles empêchent souvent de cerner les besoins tout en constituant un obstacle important à la recherche d’aide.

L’ACPS, en tant qu’organisation nationale, demande ardemment une stratégie nationale de prévention du suicide en vertu de laquelle un cadre complet et coordonné d’intervention peut être mis en œuvre grâce à un financement durable. Merci.

La présidente : Merci beaucoup de votre exposé. Il met en lumière tous les défis et tout ce qu’il reste à faire lorsqu’il est question des jeunes et de la maladie mentale. Nous avons des questions à vous poser.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de votre exposé et de votre comparution aujourd’hui pour parler d’un enjeu vraiment important.

J’aimerais comprendre votre organisation. Je crois que vous avez dit que vos membres sont des associations. Y a-t-il aussi des personnes qui ont une expérience vécue?

Mme Moreau Battaglia : Oui. La grande majorité de nos membres sont des gens qui ont une expérience vécue.

La sénatrice Seidman : Qu'en est-il des associations à l’échelle du pays? Qui fournit les services? Font-elles partie de votre organisation elles aussi?

Mme Moreau Battaglia : Nous comptons des représentants d’organismes locaux de santé mentale. La grande majorité de nos membres sont des personnes passionnées par la cause parce que leur vie a été touchée par le suicide ou des problèmes de santé mentale. Il y a vraiment beaucoup d’organisations communautaires vraiment formidables qui font de l’excellent travail et qui comptent aussi parmi nos membres. Le problème, c’est de relier tout ce monde.

La sénatrice Seidman : Votre organisation existe depuis environ 10 ans?

Mme Moreau Battaglia : Non. Depuis environ 40 ans.

La sénatrice Seidman : Quatre fois plus. C’est encore mieux.

Le Canada possède un Cadre fédéral de prévention du suicide.

Mme Moreau Battaglia : Oui.

La sénatrice Seidman : J’aimerais savoir si vous avez participé à son élaboration et si vous avez participé à une évaluation continue de là où il s’en va et de la mesure dans laquelle il réussit à réaliser sa mission.

Mme Moreau Battaglia : Tana Nash, la directrice exécutive de l’ACPS à l’époque était l’une des personnes qui avaient une expérience vécue et qui a joué un rôle fondamental, voire un rôle déterminant — peu importe le mot que vous préférez utiliser — dans la rédaction et la promotion de ce cadre précis.

À ma connaissance, jusqu’à présent, il n’y a pas de système de mesure permettant de déterminer comment les choses se passent. Ce qui nous manque dans tout ça, encore, c’est une stratégie en tant que telle. Nous sommes l’un des rares pays industrialisés à ne pas en avoir une.

La sénatrice Seidman : Si j’ai bien lu, le cadre compte trois objectifs stratégiques : réduire la stigmatisation et sensibiliser davantage le public, relier les Canadiens, l’information et les ressources et encourager l’utilisation de la recherche et de l’innovation dans les activités de prévention du suicide. Ce que vous dites, c’est que nous n’avons pas vraiment une façon d’évaluer si on atteint ces objectifs. C’est bien ça?

Mme Moreau Battaglia : D’après mon expérience, ça ne repose sur aucune base solide.

La sénatrice Seidman : Avez-vous des suggestions ou des recommandations sur la façon dont nous pourrions créer cette base solide, comme vous dites?

Mme Moreau Battaglia : Nous pourrions nous tourner vers ces organisations communautaires et de première ligne, voir ce qu’elles font et demander aux personnes qui sont directement aux premières lignes de nous dire ce dont elles ont besoin. Un des éléments vraiment nécessaires qu’on nous demande toujours, c’est un dépôt central d’outils et de ressources. Nous n’en avons toujours pas.

Il y a bel et bien une ligne d’aide nationale, mais elle est confrontée à ses propres défis. L’ACPS reçoit beaucoup d’appels de familles en période de crise qui n’ont nulle par ailleurs où aller. Nous ne fournissons pas de service de crise, mais il n’y a pas de matériel facilement accessible.

La sénatrice Seidman : Pas de programme de sensibilisation publique afin que les gens sachent vers qui se tourner.

Mme Moreau Battaglia : Exactement. C’est le genre de choses dont nous parlons.

Par les commentaires que j’ai formulés sur le fait de se rendre à l’urgence et de se voir remettre une ordonnance et un renvoi, je ne sous-entends d’aucune façon que nos professionnels de la santé sont négligents. C’est qu’il n’y a pas de soutien. Il n’y a pas de dépliants ou de documents disant quoi faire ou quoi regarder. Il n’y a pas de filet de sécurité, et c’est quelque chose que ces professionnels de la santé cherchent constamment.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup de votre exposé qui suscite beaucoup la réflexion.

Nous avons eu plusieurs discussions à ce sujet. Je crois que nous reconnaissons tous que le modèle de soins de santé traditionnel ne fonctionne pas. Nous avons parlé d’innovations perturbatrices. Êtes-vous au courant de recherches ou d’innovations de pointe qui, selon vous, pourraient jouer un rôle tandis que nous tentons de régler ces problèmes à une étape précoce, rapidement, chez nos jeunes et nos enfants, afin de réduire le fardeau du suicide?

Mme Moreau Battaglia : C’est un enjeu fort complexe. Nous traitons les symptômes tandis que nous tentons de comprendre les causes.

L’une des solutions faciles, du point de vue de la gestion des symptômes, c’est le dépistage génétique qui existe et qui permet de comprendre à quelle famille d’antidépresseurs une personne réagira. À une époque, lorsque l’étude était encouragée au Canada, les personnes pouvaient s’inscrire pour participer. J’ai récemment formulé une telle suggestion à deux familles avec lesquelles je travaille et j’ai appris d’eux que le coût du test, du moins en Ontario, s’élève à 400 $. Je comprends qu’il y a des coûts connexes, mais quel est le coût si un jeune ou un enfant se présente à l’urgence parce que ses antidépresseurs n’étaient pas efficaces?

Je comprends qu’il y a des responsabilités provinciales, et d’autres, fédérales. Selon moi, c’est une solution tellement facile à mes yeux, alors, si nous pouvions intégrer tout ça dans le bon cadre...

L’une des choses que la recherche nous a apprises, c’est qu’il y a un décalage d’environ quatre ans entre les premières idées suicidaires d’une personne et la première tentative. Encore une fois, c’est une moyenne, mais nous avons une longue période pour intervenir si nous pouvons créer un environnement où l’on peut parler directement et d’entrée de jeu des idées suicidaires.

Je ne suis pas sûre d’avoir bien répondu à votre question.

Le sénateur Ravalia : Vous avez parfaitement répondu. Merci beaucoup.

La sénatrice Eaton : Vous avez parlé de prévention et d’intervention dans votre exposé, n’est-ce pas, les quatre étapes? Le sénateur Ravalia parlait d’innovation.

Des psychologues nous ont dit l’autre jour que, s’il y avait des psychologues dans toutes les écoles, nous pourrions cerner les enfants qui ont des problèmes ou qui sont intimidés, ceux dont la situation est très difficile à la maison. Si on pouvait commencer à travailler avec un enfant à l’école, là où il joue, là où il travaille, ce serait très efficace. Qu’en pensez-vous?

Mme Moreau Battaglia : À la blague, je dirais que les psychologues coûtent beaucoup d’argent. Est-ce que je crois que nous avons besoin de cercles de soins? Oui.

La semaine dernière, j’ai assisté à une conférence sur les traumatismes et j’ai entendu une travailleuse sociale du conseil scolaire du Manitoba. Elle est responsable de 1 800 enfants. C’est tout simplement impossible. Comme on pourrait le dire familièrement, « cela ne tient pas la route ».

Je suis absolument convaincue qu’il est possible de résoudre quelques problèmes au sein de notre système d’éducation. Une solution est une formation accrue pour les enseignants et les administrateurs de l’école. Je vois souvent que tout le monde est concentré sur le comportement sans comprendre que les gens communiquent au moyen de comportements. Il y a une raison pour laquelle un enfant peut être considéré comme un fauteur de troubles en classe ou un intimidateur ou encore être étiqueté comme présentant un trouble des conduites. C’est généralement parce qu’il y a de la souffrance.

Comme vous l’avez dit, s’il n’y a pas de personnes, là où les enfants vont à l’école et là où les adolescents pourraient travailler, qui peuvent réagir, alors nous laissons passer une occasion.

Les lacunes sont énormes. Je ne veux pas répéter ce que tout le monde a dit, mais que se passe-t-il une fois que cet enfant est identifié? Je ne suis pas une fervente des étiquettes, mais je dis « identifié » comme ayant un besoin. S’il est inscrit sur une liste d’attente pour la prestation de services dans une collectivité, c’est là que nous pouvons voir ces énormes décalages.

Le programme de la DGSPNI, la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, de Santé Canada fait en sorte que des personnes postulent comme fournisseurs de services. À ce titre, les personnes s’inscrivent ensuite dans un registre. Les personnes d’ascendance autochtone qui ont besoin de soutien peuvent entrer en contact avec des personnes inscrites sur ce registre — excusez-moi si vous le savez déjà — et bénéficient de 10 à 15 heures de counseling payées par le gouvernement fédéral en vertu de la loi sur les soins de santé en général. Serait-ce une dépense pour les gouvernements provinciaux? Absolument. Cependant, pourquoi ne pourrions-nous pas avoir quelque chose du genre, un service intermédiaire, pour les familles qui ne peuvent pas avoir accès à certaines des plus grandes organisations ontariennes comme Kinark, l’ACSM, l’Association canadienne pour la santé mentale, ou New Path? Trouvons un endroit où ces familles peuvent emmener leurs enfants sans avoir à dépenser des centaines et peut-être des milliers de dollars.

La sénatrice Eaton : Des semaines et des semaines et des mois et des mois.

Mme Moreau Battaglia : Tout à fait.

La sénatrice Eaton : Y a-t-il des pays desquels nous pourrions tirer des leçons?

Mme Moreau Battaglia : D’après ce que j’ai compris, l’Australie dispose d’un excellent modèle, qui est présenté comme le pays duquel s’inspirer — « j’aimerais que notre pays soit comme l’Australie ». Je n’ai pas tous les détails pratiques de son modèle.

La sénatrice Eaton : Nous pouvons faire des recherches à ce sujet maintenant que vous nous en avez parlé.

Mme Moreau Battaglia : Oui, je regarderais le modèle en Australie. Pour autant que je sache, c’est le meilleur, selon les gens.

La sénatrice M. Deacon : Nous apprécions tous que vous abordiez ces vrais problèmes cet après-midi — la fragmentation, la connaissance, les points d’accès, les lacunes dans les sources. C’est le service intermédiaire que vous avez évoqué qui me garde éveillée la nuit. C’est le super gros défi en raison de beaucoup d’autres éléments et de petites choses.

En Ontario, en 2012, dans notre système d’éducation dirigé par une ministre, l’élaboration d’un cadre et d’une stratégie en matière de santé mentale était obligatoire. Les fonds devaient être transférés. Vous deviez trouver des moyens de faire en sorte que chaque élève, enseignant et parent soit sensibilisé à des indicateurs, à des révélations, à tous ces éléments qui ont contribué au volet de l’enseignement.

Nous traversons le pont à cette extrémité, mais nous souffrons toujours de la stigmatisation de ce côté-ci. Maintenant, nous avons la sensibilisation, la compréhension voulues et suffisamment de renseignements — ce ne sont pas des médecins — pour être cette première personne de confiance.

Nous travaillons sur ce problème de stigmatisation, qui est toujours paralysant au-delà de l’âge de 10 ans. Je me demande si cela vous dérangerait d’aborder cet aspect en fonction de votre point de vue, ce qui est incroyable compte tenu du travail que vous effectuez.

Mme Moreau Battaglia : Merci.

Je ne sais pas qui a organisé la campagne contre le harcèlement — « See Something, Say Something » —, mais je pensais à cela. J’ai beaucoup réfléchi à la possibilité de prendre la parole devant vous aujourd’hui. La campagne « Cause pour la cause » de Bell a fait des merveilles en matière de sensibilisation et pour trouver des personnalités dans tout le pays auxquelles les gens peuvent s’identifier. J’ai dû faire une pause et me dire : « Pourquoi ne pouvons-nous pas faire cela? Pourquoi ne pouvons-nous pas entreprendre une campagne “See Something, Say Something” lorsqu’on regarde des gens qui se démènent? »

Pour les adolescents, il y a la meute, le groupe dans lequel ils évoluent. C’est comme une meute de loups. Il y a là un aspect où nous devons, tant bien que mal, enraciner l’idée selon laquelle « je n’ai pas de problème avec le fait que tu ne m’aimes pas, pourvu que tu sois toujours vivant ». Comme c’est souvent le cas, lorsque les parents reviennent et ont la possibilité de parler avec des pairs, ceux-ci ont des connaissances que les parents et les fournisseurs de soins n’ont pas.

Nous avons fait du bon travail contre l’intimidation. Nous savons que c’est toujours un problème, mais il y a une prise de conscience. Les gens en parlent.

La sénatrice M. Deacon : Il y a des leçons à tirer.

Nous entendons parler de financement tous les jours, à toutes les tables, partout. Je sais que c’est important, et c’est déchirant. Cependant, si nous faisons abstraction du financement, nous savons également que nous pouvons apporter des améliorations qui ne sont pas fondées sur l’argent.

Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? « Nous n’avons pas besoin de beaucoup de financement pour faire ce qui suit, mais c’est quelque chose que nous devrions envisager. »

Mme Moreau Battaglia : Oui. Je reviendrais sur quelques points. Je ne pense pas que nous ayons besoin de beaucoup de fonds pour aller dans les écoles de médecine et les encourager à mettre en place une base plus complète d’études universitaires d’un point de vue psychologique, en dehors des quelques heures qu’obtiennent les étudiants — et éventuellement exiger qu’ils le fassent. Honnêtement, j’estime qu’inviter des médecins à effectuer des rotations en dehors des hôpitaux est un concept intéressant. Placez-les dans des cliniques communautaires de santé mentale. À partir du moment où une personne est hospitalisée, la plupart des gens, formés ou non, pourraient reconnaître qu’il existe un grave problème de santé mentale. Le problème, c’est que nous ne sommes pas en mesure de le reconnaître suffisamment tôt. Cela tient en partie au fait qu’ils ne sont pas toujours formés à reconnaître ce qu’il faut rechercher. Par exemple, la dépression chez les hommes ne se manifeste pas de la même manière que chez les femmes; vous ne verrez donc pas certains de ces symptômes classiques.

Je ne sais pas combien coûterait un répertoire central, un site web du gouvernement qui contient des listes de ressources et, comme nous l’avons dit, des documents à mettre à la disposition des profanes. Ces documents existent. L’organisation de prévention du suicide de Kitchener-Waterloo ou le comté — je ne suis pas sûre, veuillez m’excuser — a d’excellents documents, mais comment une personne à Victoria, en Colombie-Britannique, peut-elle savoir que ces ressources existent?

La sénatrice Omidvar : Vous êtes vraiment un témoin excellent et convaincant. Je suis plutôt sidérée par certaines choses que vous nous avez dites au sujet du nombre élevé et de la hausse des taux de suicide. Je ne peux penser à rien de plus tragique qu’un parent face à la mort d’un enfant, puis le suicide d’un enfant. Je ne peux tout simplement pas comprendre cela.

Je veux vous demander s’il existe des services pour les parents. Je suis sûre qu’il y en a, qu’ils sont fragmentés et qu’ils sont insuffisants. Je suis curieuse de savoir si vous encouragez la création de groupes de soutien composés de parents et si les idées suicidaires ont des effets secondaires sur des membres de la fratrie et la famille. Je m’inquiète de savoir s’il s’agit d’un effet d’entraînement, qui n’est pas positif.

Mme Moreau Battaglia : Oui, il existe certains programmes destinés aux personnes qui s’identifieraient comme endeuillées par suicide. Il y en a un qui provient du centre de crise de Toronto. C’est le programme le plus important du genre au pays. Il offre un modèle de soutien par les pairs. D’après mon expérience, les parents endeuillés se feront des relations, s’ils ont de la chance — je suis désolée d’utiliser cette expression — et peuvent trouver un réseau. Il existe des organisations qui sont principalement destinées aux mères endeuillées, et parfois, ces organisations ne se consacrent pas exclusivement à la perte par suicide.

La sénatrice Omidvar : Je sais.

Mme Moreau Battaglia : Dans une seconde, je vous raconterai une histoire, si vous le permettez. Ce que nous constatons, c’est que le suicide, le chagrin éprouvé après le suicide et la tentative d’intégration et de réintégration dans la société sont très différents pour les parents endeuillés — pour tout endeuillé par suicide, mais pour les parents en particulier. Il y a tellement de facteurs, mais il y a une stigmatisation : « Si vous aviez été un meilleur parent... »

J’animais des groupes dans un organisme sans but lucratif à Barrie, en Ontario. Il n’y en a que deux au Canada : un à Barrie, et l’autre à Oakville. Ils offrent un soutien à long terme aux enfants et aux jeunes endeuillés. À notre établissement de Barrie, nous avions un groupe d’enfants et un groupe d’adolescents à l’intention spécifiquement des endeuillés par suicide. Nous nous sommes retrouvés avec le groupe d’adolescents — et je ne veux pas le dire de cette manière — parce que j’ai élaboré puis administré le seul programme à long terme de survivants du suicide chez les adolescents au Canada. Je l’ai fait parce que je travaillais avec un groupe d’adolescents ayant vécu diverses pertes. Dans sa souffrance, une jeune femme ayant perdu sa mère a regardé un autre participant et a dit : « Oui, mais ma mère n’a pas choisi de mourir, mais ton père, oui. » L’immense chagrin que j’ai ressenti et le silence dans la pièce m’a fait prendre conscience du fait que, même à un si jeune âge, ils voient la différence.

La plupart de mes clients en pratique privée sont des parents dont l’enfant s’est suicidé, et des enfants, même des enfants adultes, qui ont perdu un membre de leur fratrie. Il arrive malheureusement parfois que, lorsque nous n’offrons pas de soutien à ces parents, ils deviennent incapables d’éduquer leurs enfants encore vivants. C’est là où nous avons l’effet multiplicateur ou l’effet de débordement dont vous parlez.

L’autre élément est que — tragédie après tragédie — bon nombre des jeunes avec qui je travaille vivent le traumatisme, le traumatisme indirect puis le traumatisme auquel ils sont confrontés parce qu’ils ont trouvé la personne décédée.

Je n’ai pas encore rencontré un enfant endeuillé, par suicide ou en raison d’autres circonstances, qui ne présente pas un retard de développement quelconque, que ce soit physique, psychologique, scolaire ou social. Ces enfants et ces adolescents touchés par le suicide d’un parent, d’un membre de la fratrie ou d’une personne de leur cercle social peuvent souvent présenter une déficience terrible.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Mme Moreau Battaglia : Je vous en prie.

La sénatrice Dasko : Merci de votre exposé très convaincant. Je suis d’accord avec ce que la sénatrice Omidvar a dit au sujet de certains des exemples que vous avez donnés et des histoires que vous avez racontées.

Ma question est fondamentale et pratique. Vers la fin de votre exposé, vous avez présenté une liste de problèmes et de besoins. Comme nous vivons dans un monde où nous n’aurons jamais de fonds pour tout — même si, en tant que pays, nous ne réussissons pas très bien dans ce domaine —, d’après la liste que vous avez fournie, qu’est-ce qui influencerait le plus le cours des choses au chapitre du financement? Selon vous, quel domaine, besoin, service ou problème profiterait le plus des fonds dont nous disposons ou que nous pourrions fournir, sachant que nous ne pouvons pas tout financer?

Mme Moreau Battaglia : Puis-je demander, en plaisantant, à combien s’élève le budget? Quel est le budget que vous m’accorderez?

La sénatrice Dasko : Non, je n’ai pas de budget. Je vous demande simplement d’être une personne pratique, sachant que nous ne vivons pas dans un monde parfait pour ce qui est du financement.

Mme Moreau Battaglia : Je comprends.

La sénatrice Dasko : Qu’est-ce qui modifierait le plus le cours des événements?

Mme Moreau Battaglia : Je pense que c’est ce dont nous parlions plus tôt : si vous voyez quelque chose, ne gardez pas le silence, de façon à lancer le débat. Nous avons besoin de personnes très en vue dans nos collectivités et nos pays qui possèdent l’expérience requise pour en parler. Je serai diplomate et m’abstiendrai de citer quelques-unes de ces personnes auxquelles je pense au sein de notre système gouvernemental, mais ce genre de chose peut avoir des effets réels.

Un de vos honorables collègues a parlé d’éducation dans les écoles il y a six ans. Voilà le problème : c’était il y a six ans. Les enseignants et les étudiants sont passés à autre chose. Tout le monde n’a pas compris comment reconnaître les indicateurs et participer à cette discussion.

Je pense à deux choses qui ne seraient pas difficiles à intégrer dans notre programme scolaire. Je pense que nous pourrions commencer par donner aux enfants, dès leur plus jeune âge, la possibilité d’apprendre le langage des émotions et de découvrir qu’il y a bien plus que la joie ou la tristesse.

Il existe un programme particulier appelé Skills for Safer Living, mis au point par Yvonne Bergmans, une de mes collègues. Le programme s’adresse à des personnes qui ont fait plus de deux tentatives de suicide. Ce sont de jeunes adultes tout au long de leur vie. Une des choses sur lesquelles elle doit revenir est de leur apprendre le langage des sentiments, car si vous ne l’apprenez pas dans votre collectivité ou à la maison, vous ne savez pas comment les exprimer. Si vous ne pouvez pas communiquer ce que vous ressentez, alors c’est un obstacle systématique.

Le deuxième élément consiste à intégrer la gestion du stress dans les programmes d’études et les éléments essentiels du renforcement de la résilience et à expliquer ce qu’est la résilience et à quoi elle ressemble.

Je suis consciente du temps, car vous tous avez probablement faim. Nous devons nous occuper des besoins de base.

La sénatrice Dasko : Merci.

La présidente : Merci. Vos propos sont très pertinents.

Nous avons le temps pour une dernière question.

La sénatrice Marshall : J’aimerais revenir sur le financement de votre organisation, qui ressemble à une petite organisation. Je pense que vous avez dit que vous aviez un membre du personnel rémunéré. De quelle façon votre organisation aborde-t-elle le financement? Êtes-vous satisfaite de ce que vous obtenez? Quelle est votre source de financement et qu’aimeriez-vous voirpour votre organisation? Je sais que nous avons parlé des écoles et du financement en ce qui concerne les parents endeuillés, mais pour votre organisation, dites-nous simplement ce qu’il en est à ce chapitre.

Mme Moreau Battaglia : C’est littéralement un miracle que nous puissions exercer nos activités. Nous avons une directrice générale à mi-temps, un administrateur huit heures par semaine puis une personne qui nous fournit un soutien web.

Une partie de notre financement provient de notre conférence nationale, qui se tiendra la semaine prochaine à Terre-Neuve. Nous voyons de plus en plus de dons de personnes qui parlent de la mort d’un enfant, d’un conjoint ou d’un père; nous recevons des dons commémoratifs de cette façon. Lors de la Journée mondiale de la prévention du suicide, un festival de musique est organisé dans tout le pays. Notre argent provient de petits dons, d’organisations locales et de campagnes de financement individuelles.

Je suis sûre que l’ACPS aimerait jouer le rôle de répertoire central et servir d’élément de transition pour ces documents et ressources dont nous parlions. De quoi avons-nous besoin? Nous avons besoin d’un directeur général à temps plein. Nous avons besoin de quelques personnes capables de répondre aux préoccupations soulevées et de faciliter notre processus. Nous ne demanderions pas la lune, mais nous apprécierions certainement de recevoir de l’argent afin de donner aux collectivités cette possibilité de se réunir, car c’est de loin le message le plus important que nous recevons.

La sénatrice Marshall : Votre organisation est-elle un organisme de bienfaisance enregistré?

Mme Moreau Battaglia : Oui.

La sénatrice Marshall : Ce serait utile.

Mme Moreau Battaglia : Oui, nous sommes un organisme sans but lucratif.

La sénatrice Marshall : À mon avis, il s’agit vraiment d’un problème de santé.

Mme Moreau Battaglia : Oui.

La sénatrice Marshall : Les services sont très fragmentés, et beaucoup d’organisations comme la vôtre fonctionnent avec presque rien, mais les gouvernements doivent se rendre compte que c’est là un gros problème et qu’il faut affecter des ressources.

Vous vous réunissez à Terre-Neuve, avez-vous dit, ce mois-ci.

Mme Moreau Battaglia : Oui.

La sénatrice Marshall : Voulez-vous en discuter? Il semble que tout le monde essaie de faire des miracles. Y a-t-il une personne responsable qui essaie de tout rassembler et d’avoir une approche intégrée face à ce problème?

Mme Moreau Battaglia : Je pense qu’il y a plusieurs organisations. La triste réalité, c’est que certains manœuvrent pour obtenir des fonds et être bien placés. L’ACPS tente d’y arriver. Cela se passe lentement. Avec divers intervenants, nous commençons maintenant à comprendre ce dont ils ont réellement besoin et ce qu’ils veulent. Certes, notre intention est d’y arriver. Peut-on y arriver assez vite? Qu’est-ce qui est assez rapide?

La sénatrice Marshall : C’est juste. Peut-être avons-nous déjà dépassé ce stade. Je vous remercie beaucoup.

Mme Moreau Battaglia : Merci.

La présidente : Merci beaucoup, madame Moreau Battaglia. Je sais que nous devons vous laisser partir, mais nous avons vraiment apprécié non seulement le temps que vous avez pris, mais la pertinence de votre exposé au comité.

[Français]

Merci, chers collègues. C’est ainsi que se termine notre réunion.

(La séance est levée.)

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