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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 48 - Témoignages du 25 octobre 2018


OTTAWA, le jeudi 25 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 34, pour examiner, en vue d’en faire rapport, les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général, et à huis clos, pour considérer une ébauche d’ordre du jour (travaux à venir).

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous et bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Français]

Je suis la sénatrice Chantal Peticlerc, du Québec, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.

[Traduction]

Avant de céder la parole aux témoins, je demanderais à mes collègues de se présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, vice-présidente du comité. Je viens de Montréal, au Québec.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l’Ontario. Je vous souhaite la bienvenue.

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador. Bienvenue.

La sénatrice Dasko : Je m’appelle Donna Dasko, sénatrice de Toronto, en Ontario.

[Français]

La présidente : Aujourd’hui, nous continuons notre étude sur les jeunes et la santé mentale.

Nous avons le plaisir de recevoir la Dre Francine Lemire, directrice générale et chef de la direction du Collège des médecins de famille du Canada. Nous recevons aussi de Toronto, par vidéoconférence, la Dre Daphne Korczak, qui représente la Société canadienne de pédiatrie.

[Traduction]

Bienvenue à vous deux. Je vous remercie de prendre le temps de contribuer à notre étude.

Je demanderais à la Dre Korczak de présenter sa déclaration liminaire. N’oubliez-pas que vous avez sept minutes. Allez-y.

Dre Daphne Korczak, présidente, Groupe de travail stratégique sur la santé mentale, Société canadienne de pédiatrie : Je vous remercie. Bonjour. Je suis fière de représenter ici aujourd’hui la Société canadienne de pédiatrie à titre de présidente du groupe de travail stratégique sur la santé mentale. Je suis pédiatre, psychiatre de l’enfance et de l’adolescence et directrice du programme sur la dépression CLIMB à l’hôpital SickKids.

La Société canadienne de pédiatrie est une association nationale représentant plus de 3 300 pédiatres et experts en santé pédiatrique de l’enfance et de l’adolescence d’un bout à l’autre du pays. Nous avons forgé notre réputation en fournissant aux cliniciens, aux décideurs et aux parents des orientations fondées sur la science et réfléchies dans l’intérêt de la santé, des enfants et des jeunes.

Nos membres travaillent en première ligne des soins de santé pédiatrique partout au pays. Nous faisons partie de la vie des enfants en suivant leur croissance et leur développement et en apprenant à connaître leur famille. Nos expériences et nos connaissances cumulées sont extrêmement précieuses dans l’amélioration des soins et des services de santé mentale que reçoivent les enfants et les jeunes Canadiens. Une meilleure santé mentale chez les enfants constitue d’ailleurs une des cinq grandes priorités de notre cadre stratégique de 2017 à 2022.

Ma déclaration d’aujourd’hui portera principalement sur la disparité entre la façon dont nous percevons et traitons les conditions physiques et les conditions de santé mentale. J’aimerais vous soumettre quatre recommandations concrètes qui, je l’espère, nous aideront à renforncer la santé mentale et les services en santé mentale destinés aux jeunes et aux enfants à la grandeur du Canada.

Notre société traite très différemment les maladies mentales et les maladies physiques chez les jeunes. Par exemple, la dépression est une maladie mentale qui commence souvent à l’adolescence et qui cause beaucoup de souffrances aux enfants et aux familles, qui s’en trouvent désorientés. Les enfants et les adolescents atteints de dépression évitent les amis et la famille, ainsi que l’école et les activités en général. Ils ont du mal à se concentrer et à dormir et sont submergés de pensées négatives sur eux-mêmes. Ils peuvent sentir que leur vie n’a aucune valeur, deviennent désespérés et pensent à la mort ou à mettre fin à leurs jours à un très jeune âge.

Comme vous le savez, le suicide est la deuxième cause de mortalité en importance chez les enfants et les adolescents canadiens. En fait, la mortalité par suicide chez les adolescents au Canada est plus élevée que les 10 principales causesmédicales de mortalité réunies dans ce groupe d’âge. La majorité des jeunes qui meurent par suicide souffrent d’une maladie mentale, qui est la dépression dans la plupart des cas.

Malheureusement, les maladies physiques chroniques, graves ou même mortelles ne sont pas rares chez les jeunes, comme l’asthme, le diabète et le cancer. Par opposition aux maladies physiques, les jeunes atteints d’une maladie mentale, notamment la dépression, sont plus réticents à demander de l’aide. Ils trouvent difficile, voire embarrassant, de discuter de leurs symptômes. Dans certains cas, les adolescents et les familles choisiront de retarder le traitement ou même de le refuser. Nombreux sont ceux qui se demandent si le fait de recevoir de l’aide professionnelle ou de prendre une médication est un signe de faiblesse ou indique qu’ils sont déficients comme jeunes ou comme parents.

Je ne me rappelle pas avoir entendu des enfants ou des familles exprimer le même niveau de doute ou de honte ou hésiter autant à recevoir un traitement contre l’asthme, le diabète ou le cancer par rapport à un traitement contre la dépression. Il s’agit d’obstacles importants en matière de soins, et nous avons la responsabilité de faire mieux. C’est pourquoi je vous soumets les recommandations suivantes qui s’inscrivent dans un cadre de prévention, de détection précoce, d’intervention et de traitement.

Concernant la prévention, nous devons mettre fin à l’intimidation, à la cyberintimidation, aux agressions, à la négligence ainsi qu’à la frustration que développent les jeunes sur les bancs d’école en raison de troubles d’apprentissage non détectés ou non soutenus. Ces stresseurs vont fréquemment déclencher des troubles de santé mentale ou mener à des tentatives de suicide.

Concernant la détection précoce, nous devons éradiquer les préjugés sur les problèmes de santé mentale qui empêchent les enfants et les familles de demander de l’aide et de l’accepter dès les débuts de la condition.

Ces raisons m’amènent à vous présenter ma première recommandation qui consiste à sensibiliser la population et à investir dans des ressources publiques qui visent à soutenir les enfants, les jeunes et les familles aux prises avec des problèmes de santé mentale, notamment sur le plan académique, et à éradiquer l’intimidation, les agressions physiques, sexuelles ou émotionnelles de même que les préjugés.

Mes dernières recommandations concernent letraitement. Comme pour la plupart des problèmes de santé, la détection précoce mène à de meilleurs résultats. Plus on attend avant de traiter les problèmes de santé mentale d’un enfant, plus ses symptômes et son handicap à la maison, à l’école et avec ses pairs risqueront de s’enraciner et d’être difficiles à traiter.

Comme vous l’avez entendu, de nombreux enfants et jeunes ayant des conditions de santé mentale ont du mal à accéder aux services. Ces derniers sont fragmentés et, souvent, ne profitent pas d’un financement public. Il est vrai que bien des enfants ne peuvent pas accéder aux traitements dont ils ont besoin, mais il arrive aussi que des enfants ne reçoivent pas le bon traitement, qu’il ne soit pas fondé sur la science ou qu’il ne soit pas efficace pour alléger leur détresse.

Ma deuxième recommandation vise donc à élargir l’accès au traitement fondé sur la science et financé à l’aide des fonds publics pour les enfants et les jeunes atteints de maladies mentales, y compris des traitements psychologiques et des services de santé mentale et de développement à l’école.

Troisièmement, je recommande dans la même veine que les services de santé mentale chez les enfants soient coordonnés et supervisés sur le plan clinique pour donner le bon traitement au bon enfant, en temps opportun et dans un contexte approprié. Pour ce faire, nous devons utiliser des approches graduelles et surveiller le bilan de santé mentale de l’enfant, grâce à des équipes multidisciplinaires qui collaborent pour offrir des soins intégrés fondés sur les connaissances et les preuves scientifiques.

Ma quatrième et dernière recommandation consiste à améliorer les mécanismes de couverture et de prestations des services, en particulier dans les régions éloignées et rurales pour les adolescents les plus à risque qui vivent dans des communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis et qui sont suivis par le système de protection de la jeunesse.

Les progrès réels en matière de santé mentale des enfants et des jeunes Canadiens seront inclusifs et accessibles et refléteront la diversité de la population et des communautés. Il faut avant tout combler l’écart entre les communautés autochtones et non autochtones, comme l’a demandé la Commission de vérité et réconciliation.

Je vous remercie de m’avoir permis de témoigner devant le comité aujourd’hui et de votre engagement dans cette étude importante sur la santé mentale des enfants et des jeunes. C’est avec plaisir que je répondrai aux questions que vous pourriez poser.

Dre Francine Lemire, directrice générale et chef de la direction, Collège des médecins de famille du Canada : Je vous remercie. Je n’ai pas répété mon discours. Comme vous pouvez l’entendre, je dois épargner ma voix. J’espère que je respecterai les temps impartis.

Comme vous l’avez mentionné, je suis directrice générale et chef de la direction du Collège des médecins de famille du Canada. J’ai pratiqué la médecine pendant près de 25 ans à Corner Brook, une petite ville de 20 000 habitants sur la côte Ouest de Terre-Neuve.

À titre de directrice générale et chef de la direction du collège, je représente 38 000 membres. Notre ordre professionnel estresponsable d’établir les normes de formation, d’accréditation et de maintien de l’accréditation des médecins de famille.

Une analyse de l’Unicef réalisée en 2016 classe le Canada 27e sur 29 pays au chapitre de la santé et du bien-être des enfants, malgré le fait que nous fassions meilleure figure en matière de logement et d’environnement, et de bien-être matériel, où nous nous classons aux 11e et 15e rangs, respectivement.

Les données de l’Institut canadien d’information sur la santé révèlent une tendance troublante : les visites à l’urgence des jeunes pour recevoir une évaluation et des services de santé mentale ont augmenté de 63 p. 100 depuis 10 ans. En Ontario, 12 000 enfants et jeunes attendent actuellement d’accéder à des services de santé mentale. Les délais d’attente s’élèvent dans certains cas à 18 mois. Je pense que nous pouvons tous convenir que ce n’est pas acceptable et qu’ensemble, nous devons faire mieux.

Les médecins de famille prennent soin de 60 à 70 p. 100 des enfants au Canada et sont souvent les premiers professionnels de la santé appelés à répondre aux questions ou aux préoccupations. Dans les cas les plus courants, les enfants présentent des troubles de comportement, d’apprentissage et de déficit d’attention, souffrent de dépression ou d’anxiété, ont de mauvaises habitudes alimentaires, sont endeuillés et posent des questions sur l’identité de genre et sexuelle, les premières relations sexuelles, les conflits avec les parents et les maladies récurrentes. Bien que les médecins de famille soient en mesure de gérer certains de ces enjeux, ils ont souvent besoin de l’aide d’autres fournisseurs de soins de santé, de ressources communautaires ou, dans les cas les plus aigus et complexes, de psychiatres et de pédopsychiatres.

Les outils d’évaluation normalisés jouent un rôle clé pour cerner les enjeux et permettre aux médecins de poser un diagnostic et d’offrir des solutions. Tous les médecins de famille reçoivent de la formation en soins de santé mentale et doivent maintenir leurs compétences à l’aide du perfectionnement professionnel continu et de l’apprentissage par l’expérience. Il est juste de dire que les médecins n’ont pas toujours la possibilité de bénéficier d’une exposition directe suffisante aux soins de santé mentale des enfants et des jeunes durant leur formation fondamentale en résidence. Cela dit, une dimension importante de la médecine et de la pratique familiales est l’adaptation à la communauté. Les médecins apprennent donc à demander l’aide d’autres fournisseurs.

Nous savons que les déterminants en amont, comme un environnement social positif, l’absence d’expériences négatives durant l’enfance, de saines habitudes alimentaires et de l’exercice peuvent contribuer considérablement au développement d’une bonne santé mentale ou prévenir des problèmes de santé mentale dans les premières années de la vie qui sont si importantes. Lorsqu’un enfant a accès à un médecin de famille et qu’il obtient des soins continus dans le temps, cela permet d’offrir des soins de prévention, de l’éducation et un appui en matière de santé mentale. Toutefois, ce type de relations fondées sur les soins sera difficile à établir si, en fait, on cherche à soigner les enfants de façon épisodique de sorte qu’ils rencontrent différents fournisseurs de soins de santé, comme on le voit parfois dans des cliniques sans rendez-vous. Ces cliniques ont un rôle à jouer, mais nous voulons promouvoir une relation continue avec un médecin de famille.

En dépit du fait que nos collègues spécialisés dans d’autres domaines peuvent traiter des problèmes de santé mentale pour des patients de tous âges, les temps d’attente pour rencontrer de tels spécialistes peuvent s’échelonner sur plus d’un an, ce qui est trop long peu importe l’âge du patient. De même, la disponibilité de soutien communautaire en santé mentale peut varier énormément. Le fait que les régimes d’assurance provinciaux ne couvrent pas toujours les services de psychologue et de conseiller peut aussi contribuer à limiter l’accès. À cet égard, mon collègue et moi nous nous entendons. Du moins, nous sommes sur la même longueur d’onde à cet égard.

Il faut également tenir compte des problèmes de méconnaissance des soins et de la stigmatisation. Cette dernière peut faire en sorte qu’un particulier dans le besoin soit moins susceptible de chercher à obtenir de l’aide, et la méconnaissance des programmes offerts peut empêcher les patients d’obtenir de l’aide qui leur serait très profitable.

Nous allons également formuler des recommandations. D’abord, accroître l’accès aux services de counselling et de psychologues. Ces services permettent d’avoir de l’appui près du lieu de résidence sans devoir se rendre dans un milieu hospitalier très stressant. Il faut élargir la disponibilité de ces services de façon équitable, accroître la couverture des régimes provinciaux et améliorer les communications entre les ressources communautaires et les cliniques de soins primaires. Le gouvernement fédéral a fait des progrès dans ce sens en annonçant du financement supplémentaire pour la santé mentale dans le cadre d’une série d’accords bilatéraux avec les provinces. Cela est utile, et il faut continuer dans cette voie.

Ensuite, il faut investir dans l’éducation et les outils de dépistage de grande qualité. Le gouvernement fédéral peut en faire une priorité sur les plans de l’éducation et du financement. Il sera important d’inclure le financement en recherche pour l’éducation des médecins de famille, la mise au point d’instruments de validation normalisés pour le dépistage, le financement des cas et du diagnostic des enfants ayant des problèmes de santé mentale, il faudra aussi des fonds pour permettre le recours aux méthodes d’apprentissage électronique à distance ainsi que pour les soins. Par exemple, l’an dernier, le Centre for Effective Practice a diffusé un outil de dépistage de l’anxiété et de la dépression chez les jeunes. En favorisant la création de tels outils, nous aiderions à préparer nos membres à mieux traiter ces problèmes chez le patient, et nous serons heureux de participer à la diffusion de ces outils.

Finalement, il faut encourager les méthodes et les pratiques de rémunération interprofessionnelles qui facilitent la prestation de soins pour traiter le patient. Il faut du temps pour offrir des soins aux enfants et aux jeunes qui font face à de sérieux problèmes et pour tisser des liens avec leurs parents de façon appropriée ainsi que pour coordonner les soins. En généralisant le recours aux méthodes de rémunération de rechange, comme le paiement par patient ou les modèles mixtes de financement nous pourrions favoriser une prestation de soins plus en profondeur. Des équipes interprofessionnelles très performantes réduiraient la fragmentation des soins et les rendraient plus accessibles. Nous savons que cela ne relève pas strictement du gouvernement fédéral, néanmoins votre voix pourrait contribuer à l’adoption de ces modèles de rémunération. Notre organisation a créé le centre de soins du patient et s’en est fait le champion. C’est une vision futuriste de la médecine familiale prodiguée par des équipes interprofessionnelles, qui est centrée sur les besoins des patients, de leurs familles et des collectivités.

Nous venons tout juste de publier un guide en santé mentale et nous en avons apporté des exemplaires pour vous. Ce guide contient des suggestions applicables à tous les patients, peu importe leur âge. Cet ouvrage a été réalisé en collaboration avec la Commission de la santé mentale du Canada, et je vous invite à en prendre connaissance dans le cadre de votre étude. Le guide comprend plusieurs recommandations, et j’apprécie plus particulièrement celles qui présentent des stratégies simples dans le cadre du traitement des patients en vue de réduire la stigmatisation comme : comment organiser la réception pour assurer de l’intimité aux patients qui viennent pour des problèmes de santé mentale; placer des affiches dans la salle d’attente expliquant que la santé mentale fait partie de la santé en général et que les patients ne devraient pas craindre de soulever ces problèmes avec des professionnels de la santé; et, finalement, envoyer des textos aux patients pour leur rappeler la date et l’heure de leurs examens de suivi surtout pour ceux qui ont de la difficulté à respecter leurs rendez-vous. Voilà une idée des stratégies qui sont présentées dans ce document.

Nous recommandons aussi l’élaboration de solutions novatrices pour améliorer l’accès des patients aux spécialistes. La Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé met à l’essai des projets novateurs en vue de permettre d’établir rapidement des liens entre les fournisseurs de soins primaires et les spécialistes qu’ils consultent dans divers domaines. Prenons pour exemple les consultations électroniques, qui permet d’établir des communications électroniques entre le médecin généraliste et divers spécialistes, un autre exemple, RACE, dont le nom signifie accès rapide à des consultations auprès de spécialistes. Ces deux modèles ont montré qu’ils facilitaient l’accès des médecins généralistes à des spécialistes.

Les médecins de famille excellent dans la détection précoce de tous les problèmes de santé, y compris les problèmes de santé mentale pour lesquels ils peuvent offrir leur appui et de l’orientation tout au long du processus de traitement du patient, ils offrent aussi des soins médicaux exhaustifs en faisant preuve de compassion à l’égard de leurs patients. Nous espérons que le gouvernement adoptera certaines de ces recommandations et que nous pourrons collaborer avec lui à améliorer l’accès aux soins de santé mentale de grande qualité pour les enfants et les jeunes au Canada. Nous nous réjouissons à l’avance de travailler conjointement à l’atteinte de ces objectifs.

Je vous remercie beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup à nos deux témoins.

Nous allons maintenant passer aux questions. Je vous rappelle, chers collègues, que nous avons cinq minutes pour les questions et réponses, et n’oubliez pas d’adresser vos questions au témoin dont vous aimeriez obtenir une réponse en premier. Surtout s’il témoigne par vidéoconférence, cela facilitera les choses.

La sénatrice Seidman : Merci à nos deux témoins pour leurs exposés ce matin. J’ai tellement de questions que je vais devoir essayer de bien les organiser. Vous avez provoqué et suscité beaucoup d’émotions, quand on songe à certaines des choses que vous nous avez dites ce matin.

J’ai été surprise d’entendre que le Canada se classait 27e sur 29 pays au chapitre du bien-être et de la santé des enfants dans une analyse faite par l’UNICEF en 2016. Je trouve cela très difficile à comprendre. Je suis également surprise par les statistiques concernant les temps d’attente avant d’obtenir des soins. Docteure Korczak et docteure Lemire, vous avez parlé de prévention et de la nécessité d’investir dans l’éducation, le dépistage de haute qualité et des solutions novatrices pour faire face à ce problème.

Pouvez-vous me parler des services ou d’un problème particulier portant sur la période de transition, lorsque les jeunes quittent la pédiatrie pour se tourner vers des médecins pour adultes. C’est aux alentours de l’âge de 18 ans, lorsqu’ils s’apprêtent à terminer le secondaire. On nous a dit que l’accessibilité aux services pour ces jeunes comprenait d’immenses lacunes. D’abord, leurs problèmes sont peut-être un peu différents, mais par ailleurs les services pédiatriques et ceux offerts pour les enfants ne leur sont plus accessibles. Lorsque je songe à ce groupe de jeunes en particulier et aux problèmes que vous nous avez présentés, je pense qu’il faut se tourner vers la prévention et qu’il faut le faire le plus rapidement possible.

Pouvez-vous me parler de ce problème particulier de notre système, en ce qui touche cette période de transition? J’aimerais que vous répondiez en premier, docteure Korczak.

Dre Korczak : C’est une bonne question, et ce groupe d’âge en période de transition présente un important problème. C’est, bien sûr, le groupe ayant été recensé pour avoir des problèmes de santé mentale et qui est déjà suivi par un médecin et, néanmoins,nous savons qu’ils seront nombreux dans ce groupe d’âge à avoir une mauvaise transition. Près de la moitié d’entre eux n’auront pas une bonne transition vers le système pour adultes.

Il y a des différences culturelles entre ces deux systèmes, celui pour les adolescents met l’accent sur la famille et l’enfant, tandis que le système pour adultes est axé sur l’autonomie et l’indépendance. Ce sont des différences culturelles qui peuvent être difficiles à naviguer.

Il y a aussi des différences dans la prestation des services. Il peut s’agir de coordination, de critères ou de populations desservies. Toutes sortes de barrières peuvent voir le jour entre les systèmes de soins pédiatriques et celui pour les adultes, c’est pour cette raison qu’il nous faut innover dans ce domaine.

On considère de plus en plus que les enfants et les jeunes — les jeunes allant jusqu’à l’âge de 25 ans et non pas uniquement jusqu’à 18 ans — forment un groupe d’âge de transition qui nécessite probablement plus de soins de transition et de doigté chez les fournisseurs de santé.

Les pédiatres sont particulièrement sensibilisés à ce type de services et de problèmes, et je pense que quiconque pratique en pédiatrie générale aimerait voir plus de solutions centrées sur ce groupe des 18 à 25 ans. J’insiste pour dire que chez les jeunes ayant des problèmes de santé mentale, cette transition est perturbatrice, et il ne s’agit ici que des enfants ayant été recensés puisque, comme nous le savons, seul environ un enfant sur cinq est dépisté.

La sénatrice Seidman : J’aimerais aussi entendre votre avis, docteure Lemire, surtout parce que vous représentez les médecins de famille qui ont beaucoup de contacts, et même peut-être davantage, avec les jeunes gens.

Dre Lemire : Le collège participe à un comité mixte avec la Société canadienne de pédiatrie qui existe depuis de nombreuses années, et le problème que vous évoquez fait l’objet de discussions chaque fois que nous nous rencontrons. Je ne prétends pas avoir de réponse ici aujourd’hui, mais il ne fait aucun doute que c’est un problème. Il s’agit d’un problème de santé mentale au même titre que toute maladie chronique que pourrait développer un enfant. Que se passe-t-il chez un enfant qui est suivi par un pédiatre ou un pédopsychiatre lorsqu’il atteint l’âge de transition entre 18 ans et 25 ans? Cela ne s’applique pas uniquement à la santé mentale, mais bien à toutes les maladies chroniques.

Il y a des preuves qui montrent qu’un enfant ayant un médecin de famille qui offre un suivi auprès de cette famille, tend à naviguer le système plus facilement lors des périodes de transition. Cette relation avec le médecin de famille est quelque fois rompue en raison de l’ampleur des problèmes de santé mentale qui font en sorte que l’enfant doive être suivi de façon plus régulière par un psychiatre; il faut donc favoriser le maintien de cette relation et s’assurer que le médecin de famille soit tenu au courant afin qu’il puisse aider l’enfant à s’orienter dans le cadre de cette transition.

Nous faisons aussi la promotion d’une approche collaborative dans la prestation des soins en santé mentale, soit des soins de santé mentale partagés, dans le cadre desquels les psychiatres se rendent dans les cliniques de médecine familiale ou les médecins de famille et les autres prestataires de soins peuvent leur référer, en soins primaires, les patients qui leur posent plus de problèmes. Je dirais aussi que les approches préconisant les soins partagés facilitent également la transition. Ce sont des pistes de solutions potentielles que nous devrions examiner.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie toutes les deux, vos exposés étaient excellents. Moi, j’aborde la question du point de vue d’un sénateur, mais aussi d’un médecin de famille ayant pratiqué dans une localité rurale.

Dans le centre de Terre-Neuve, nous avons créé un modèle de partage des soins dans le cadre duquel les médecins de famille travaillent en étroite collaboration avec les psychologues cliniciens, les orienteurs dans les écoles et les psychiatres, et ce, afin d’accroître l’accessibilité et le suivi.

J’estime que, de façon générale, le système ne fonctionne pas. Vous avez présenté aujourd’hui d’excellentes suggestions.

Y a-t-il des modèles de soins partagés ailleurs dans le monde qui mériteraient d’être explorés et adaptés à notre situation canadienne? Ma question s’adresse à vous deux. Voulez-vous commencer, docteure Korczak?

Dre Korczak : Je pense que le modèle des soins partagés est un exemple de collaboration. C’est un exemple de collaboration qui peut donner d’excellents résultats. Il existe au Canada et ailleurs dans le monde.

Toutefois, les modèles ne sont pas tous identiques. Dans certains cas, les différents professionnels de la santé mentale, que ce soit les psychologues, les psychiatres ou les autres spécialistes, partagent le même bureau ou sont colocalisés dans la même région. C’est le modèle de colocation. Il y a aussi le modèle intégré dont les participants ne partagent pas nécessairement les locaux, mais tiennent régulièrement des réunions pour discuter des cas.

Il existe donc différents modèles. Le Royaume-Uni et l’Australie envisagent différentes approches. En général, ces initiatives sont positives et mènent à ce qu’on appelle parfois le modèle des soins en étapes, à savoir une approche échelonnée de prestation des services de sorte que, au fur et à mesure que les problèmes s’aggravent, on accroît l’intensité des services et des soins.

Je pense que le gouvernement fédéral peut soutenir ces stratégies par des initiatives en matière d’infrastructure, notamment. Il faut s’assurer de bien mesurer les résultats de ces initiatives et de déterminer si les solutions qui portent fruit dans une localité urbaine, par exemple, sont adaptées aux communautés, aux cultures ou aux milieux où on veut les mettre en œuvre. L’étape de l’évaluation est très importante.

De façon générale, on veut s’assurer que tous les Canadiens ont accès aux mêmes informations, aux mêmes interventions de prévention et aux mêmes modèles de soins échelonnés, et que ces modèles sont bien coordonnés tout en restant souples. J’estime que ce sont parfois les modèles de soins intégrés, axés sur la collaboration, qui donnent les modèles de soins les plus flexibles et les mieux coordonnés.

Le sénateur Ravalia : Merci.

Dre Lemire : Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Je ne pourrais pas vous décrire les modèles employés à l’étranger, mais je sais que le document produit par notre collège et l’Association canadienne de psychiatrie en 2011 se fondait sur les modèles d’autres pays, dont l’Australie et le Royaume-Uni.

Les modèles étrangers peuvent nous inspirer, mais nous pouvons aussi nous baser sur l’innovation qui a cours ici même, au moment où nous nous parlons. Le défi est d’étendre au reste du pays ces petits projets novateurs qui existent, qui ont donné de bons résultats et qui ont été évalués. Comment pouvons-nous réaliser ces projets à plus grande échelle?

Je vous donne deux exemples. Un pédopsychiatre d’Ottawa a créé un modèle de soins partagés pour les enfants et les adolescents qui a été fructueux. Si nous en savions plus sur ce projet, pourrions-nous le reproduire ailleurs?

Également, à Ottawa encore une fois, des médecins de famille et des psychologues travaillent ensemble à la prestation de soins primaires.

La présidente : Si je peux me permettre, quel est le nom de ce docteur?

Dre Lemire : Il faudrait que je fouille dans ma mémoire. Quand j’aurai retrouvé son nom, je vous l’enverrai.

La présidente : Nous recommuniquerons avec vous. Merci.

Dre Lemire : Ce n’est pas dans mes notes. Il y a aussi une équipe de médecine familiale qui compte des médecins de famille travaillant en collaboration avec des psychologues. Un projet pilote mené pendant la période du fonds de transition a donné des résultats positifs et une évaluation positive. Pouvons-nous reprendre cette initiative à plus grande échelle? Cela signifierait de meilleurs soins, de meilleurs résultats et des coûts moindres.

La présidente : Merci.

La sénatrice Eaton : Merci à vous deux de votre témoignage.

J’aimerais parler de la participation de la famille. Hier, j’ai entendu parler d’une histoire horrible, celle d’une enfant qui a tenté de se suicider dans la douche et qui, renvoyée à l’école par ses parents le lendemain, s’est finalement suicidée dans le boisé derrière l’école. Ma question est peut-être un peu directe, mais les familles ont-elles besoin de soutien et de formation? Si mon enfant souffre d’une maladie mentale, disons de dépression, que me faut-il, comme mère, pour soutenir les professionnels qui prennent soin de mon enfant? Docteure Korczak, voulez-vous commencer?

Dre Korczak : C’est une question très importante, une question cruciale.

Je dirais d’abord que le suicide est un problème très difficile à résoudre. Des études ont indiqué que l’on obtient des résultats positifs, à savoir une baisse des idées suicidaires et des comportements autodestructeurs quand les familles participent activement au traitement. Dans les rapports d’étude, la participation de la famille semble être un élément clé de toute stratégie efficace de prévention du suicide chez les jeunes.

Au Canada, aucun essai clinique contrôlé aléatoire des interventions de prévention du suicide chez les adolescents n’a été mené à bien. Nous venons de lancer le premier essai à l’hôpital SickKids. Il est financé par l’hôpital et le CTCM. Comme vous l’avez souligné, selon nous, l’un des principaux facteurs d’amélioration est l’élimination des conflits au sein de la famille, qui semble beaucoup contribuer à la détresse chez les enfants et les adolescents. Nous venons à peine de lancer cette étude. Il s’agit d’une brève thérapie intensive individuelle et familiale, dispensée chaque semaine pendant six semaines, pour les enfants qui présentent un risque élevé d’auto-mutilation ou de suicide se présentant à l’urgence. Nous devons maintenant attendre les résultats.

Ce programme a été conçu par la clinique interne de psychiatrie de l’hôpital SickKids précisément pour la raison que vous avez évoquée, à savoir que les parents ignorent souvent que leur enfant est aussi en détresse, sont choqués de recevoir un appel de l’école, du conseiller en orientation, d’un ami ou du camp et sont alors tout aussi anxieux, effrayés et dépassés par les événements que leur enfant ou leur adolescent. Nous les avons donc inclus dans nos interventions. Je crois que vous avez tout à fait raison.

Dre Lemire : Il n’y a pas de solution magique. Je conviens avec ma collègue que c’est certainement un problème. Quand nous traitons un enfant souffrant de troubles mentaux, nous traitons en fait toute une famille, et nous devons en être conscients. Cela nécessite du temps, de l’énergie et une attention à cette réalité.

J'ajouterais que la situation que vous avez décrite — nous ne pouvons manifestement pas entrer dans les détails — est très troublante. Les déterminants sociaux de la santé sont souvent un facteur. Si l’environnement socioéconomique de la famille de l’enfant qui a des problèmes de santé mentale est tel que la famille a du mal à joindre les deux bouts, cela a des conséquences.

La sénatrice Eaton : Les enfants et les familles qui souffrent de troubles mentaux ont-ils des points en commun?

Dre Lemire : Je ne pourrais vous en dire plus que ce dont je viens de faire mention. Je pense que les déterminants sociaux de la santé dont on tient compte quand on pose un diagnostic et qu’on dispense le traitement aux enfants et aux familles présentant ces problèmes ajoutent un niveau de difficulté.

La sénatrice Eaton : Qu’en est-il, dans les écoles, du phénomène des suicides qu’on veut copier? Quand un enfant se suicide, les autres estiment-ils avoir la permission d’en faire autant? Ou si une célébrité comme Robin Williams ou Anthony Bourdain s’enlève la vie, le suicide devient-il respectable?

Dre Korczak : Je ne suis pas certaine de vouloir vous dire beaucoup de choses à ce sujet. C’est un enjeu complexe que ces suicides qu’on imite ou ces grappes de suicides. Nous savons que nous devons être prudents dans la façon dont nous signalons les suicides aux médias, et il existe des recommandations à ce sujet.

Les jeunes qui éprouvent une détresse profonde, qui sont désespérés et ne savent plus vers qui se tourner ont parfois des comportements extrêmes. Malheureusement, il est parfois trop tard quand nous prenons conscience de leur niveau de détresse. C’est à cela que servent les campagnes publiques de sensibilisation, et à réduire la stigmatisation. C’est là que nous devons agir afin que les jeunes et les gens en général qui voient autour d’eux des gens en détresse, désespérés et dans des situations sans issue sachent où trouver de l’aide et quoi faire qui ne soit pas si risqué et effrayant.

La sénatrice Eaton : Merci.

La présidente : Merci. Vouliez-vous ajouter quelque chose?

Dre Lemire : Je dirais seulement — et c’est ce dont on a été témoin lors des événements malheureux qui se sont produits aux États-Unis ces derniers mois, non pas relativement au suicide, mais à d’autres causes de mortalité — que s’il y a un suicide dans une école, aussi tragique que ce soit, il est crucial d’intervenir sur le champ de façon proactive auprès des autres enfants de l’école. Le partenariat entre les prestataires de soins primaires et les autres services communautaires comme les conseillers en orientation des écoles revêt alors une grande importance pour la prévention.

La sénatrice Omidvar : Je suis désolée d’avoir raté une partie de votre exposé, docteure Korczak. Merci beaucoup à vous deux d’être venues.

Le suicide n’est certainement pas normal, mais les taux sont maintenant si élevés qu’il semble le devenir de plus en plus.

J’aimerais vous poser une question sur les variations entre les sexes quant aux taux de suicide dans un groupe d’âge donné. Chez les plus jeunes, de 10 à 14 ans, les filles semblent être plus nombreuses à choisir le suicide, alors que chez les 15 à 24 ans, ce sont les garçons. Comment expliquez-vous cette différence? Est-ce que vos membres ou les professionnels de la santé de façon générale offrent des programmes tenant compte des différences entre les sexes dans ces groupes d’âge?

Dre Lemire : Je ne peux pas vous répondre. Je m’en remets à ma collègue.

Dre Korczak : Soyons clairs. Bien que les jeunes filles en général soient plus susceptibles d’avoir des comportements d’autodestruction, de se dire suicidaires et de faire des tentatives de suicide, dans tous les groupes d’âge, les adolescents sont plus susceptibles de mourir à la suite d’un suicide. De plus, les filles sont plus susceptibles que les garçons de rechercher de l’aide quand elles sont suicidaires. On en parle parfois comme du paradoxe du genre. Les filles sont plus susceptibles de faire des tentatives de suicide, mais les garçons sont plus susceptibles de mourir des suites d’un suicide. C’est vrai au fil du temps et dans tous les groupes d’âge.

Quelques études portent sur la différence selon le genre aux programmes communautaires ou scolaires de prévention du suicide chez les jeunes ou d’intervention. Autant chez les filles que chez les garçons, quand des enfants sont admis à l’hôpital à la suite d’une tentative de suicide, c’est dévastateur, mais c’est aussi l’occasion de pratiquer ce qu’on appelle une prévention secondaire, c’est-à-dire d’intervenir à ce stade. Pour les enfants qui meurent — et ce sont plus souvent les garçons que les filles qui meurent dans la communauté sans avoir recherché de l’aide —, ce qu’il nous faut, ce sont des approches de prévention primaire ou alors de prévention pour des groupes universels, ciblant éventuellement des groupes à haut risque, notamment les enfants qui n’ont pas recherché d’aide.

Quelques études se sont penchées sur la réaction selon le genre. Elles tendent à constater que les filles sont également plus susceptibles que les garçons de réagir de façon positive à ces interventions. En ce qui concerne les interventions communautaires et scolaires, les filles ont tendance à rapporter l’expérience comme plus positive et plus utile; les garçons, à réagir de façon plus négative. Toutefois, les études sont rares et aucune n’est canadienne, pour autant que je sache.

Selon moi, ce qu’il faut c’est intervenir plus tôt. En tout cas, il faut intervenir plus tôt pour les garçons, sans doute bien plus tôt au cours de l’enfance. Les modèles qu’ont les garçons à l’heure actuelle pour apprendre comment exprimer leurs émotions et comment traiter des émotions fortes, qu’il s’agisse de modèles à la maison ou à l’école, ne concourent pas à l’obtention d’une bonne santé mentale dans l’ensemble. Il nous faut des traitements qui fonctionnent, des stratégies de prévention qui fonctionnent et de meilleures façons d’identifier les individus qui en ont besoin. À cet effet, nous devrions accorder une priorité à la recherche et aux programmes de prévention du suicide chez les jeunes.

La sénatrice Omidvar : Habituellement, nous posons souvent des questions sur ce que font des pays similaires au nôtre et sur les leçons que nous sommes susceptibles d’en tirer. Je vais modifier un peu cette approche. Savez-vous quel pays dans le monde a le plus faible taux de suicide chez les jeunes? Si vous pouvez nous donner ces renseignements, nous serons ensuite en mesure de voir ce que fait ce pays et d’en tirer des leçons.

La présidente : Avez-vous ces renseignements?

Dre Lemire : Je l’ignore, mais il y a de fortes probabilités pour que le professeur Google puisse nous aider.

La présidente : Nous allons nous renseigner.

La sénatrice Omidvar : Dre Korczak a quelque chose à dire.

Dre Korczak : À brûle-pourpoint, je ne suis pas en mesure de vous le dire. Par contre, je sais que le Canada est dans la moyenne, par rapport aux autres pays dans le monde, et que les différences en fonction du genre sont assez similaires partout, à l’exception de la Chine rurale où, sauf erreur de ma part, le phénomène est inversé. Quant à savoir dans quel pays le taux de suicide est le plus faible, je l’ignore. N’oublions pas non plus que les taux de suicide reposent sur les rapports quant aux circonstances des décès. Ce sont des facteurs importants aussi.

La sénatrice Omidvar : Laissez-moi poser la question autrement, alors. Comment nous positionnons-nous par rapport aux pays ayant une même approche et une organisation similaire? Je pense au Royaume-Uni, à l’Australie, aux États-Unis, à l’Europe et à la Nouvelle-Zélande. Sommes-nous encore au milieu du peloton?

Dre Korczak : Oui.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie. Nous devrions nous procurer cette liste.

La présidente : Nous le ferons.

La sénatrice Dasko : Merci pour vos commentaires, l’une et l’autre.

J’ai une question pour la Dre Lemire. Vous avez mentionné que la Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé avait établi des partenariats avec certaines entités et découvert des façons d’améliorer l’accès. Qu’est-ce qui est nécessaire pour passer à la vitesse supérieure? Vous avez dit que passer à la vitesse supérieure présenterait des difficultés. Quelles sont les innovations qui ont été découvertes, qui ont fait l’objet des faits dans les partenariats et qui se sont avérées efficaces? Serait-il bon d’accorder plus de subventions à cette fondation, afin qu’elle poursuive ses partenariats avec différents organismes de soins de santé de par le pays, ou faut-il que les professionnels de la santé adoptent ces idées? Quels sont les obstacles à passer à la vitesse supérieure, à adopter les leçons tirées des partenariats et à s’en servir comme point de départ?

Dre Lemire : Je dirais que tout ceci serait bon. Pour ce qui est des consultations électroniques, la Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé, s’occupe actuellement d’essayer d’élargir la pratique. Les consultations électroniques ont commencé dans le RLISS Champlain; elles sont maintenant élargies à l’Ontario, au Québec et à d’autres provinces. La Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé a créé l’environnement et fourni des fonds pour permettre une liaison entre les régies régionales de la santé, les provinces et certains champions dans chacun de ces domaines pour faire du projet une réalité.

Dans certains cas, il faut un financement. Une partie du financement va à la création de l’infrastructure permettant la création des liens, ainsi qu’au développement de ceux dont on parle parfois comme partenaires du pentagramme. Je désigne ainsi les praticiens, les décideurs, les régies régionales de la santé, les universités, les patients et les collectivités. Pour que l’innovation soit intensifiée, il faut une collaboration de tous ces partenaires. Pour les consultations électroniques, c’est en cours à l’heure actuelle au Canada.

La sénatrice Dasko : Nous cherchons parfois à déterminer quel est le rôle du gouvernement fédéral. Là, il s’agit d’une organisation financée par le gouvernement fédéral qui promeut l’innovation en matière de santé. Pensez-vous que c’est un modèle qui peut être utilisé avec succès?

Dre Lemire : Nous avons une impression plutôt positive des activités de la Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé, dans ce domaine et dans certains autres, dont les soins palliatifs. Je dirais que c’est une approche importante.

La sénatrice Dasko : Merci.

Le sénateur Mockler : Permettez-moi d’enchaîner sur la question de la sénatrice Omidvar concernant les autres pays. Quelles seraient les statistiques en fonction des différentes régions du Canada? Si elles existent, pourriez-vous nous les fournir par l’intermédiaire de la greffière?

[Français]

En 2017-2018, les ministres de la Santé des territoires, des provinces et du gouvernement fédéral se sont entendus sur un énoncé de principe commun, partagé avec les intervenants de la santé, en vue d’améliorer l’accès aux services de prise en charge de la maladie mentale et de la toxicomanie.

[Traduction]

Nous nous faisons dire que le système est brisé, que nous devrions y investir plus d’argent. Nous nous faisons dire qu’il y a des professionnels qualifiés dans tous les domaines et d’un bout à l’autre du pays, ce que confirme mon expérience à moi, qui viens du Nouveau-Brunswick.

Le gouvernement a une initiative qu’il s’est engagé à financer à hauteur de 5 milliards de dollars sur 10 ans. Elle a été lancée en 2017-2018. Les ministres du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires qui en sont le moteur ont adopté à cet effet l’énoncé de principes communs sur les priorités partagées en santé. Vous avez certainement vu ce programme, qui mène aux 10 prochaines années. Dans le cadre de la distribution initiale de ces 5 milliards de dollars sur 10 ans, promise par le gouvernement fédéral et acceptée par les ministres et provinces et des territoires, 100 millions de dollars ont été distribués partout au Canada, aux provinces et aux territoires, en fonction de leurs populations, conformément à la Constitution du Canada. Toutefois, ce montant représente seulement 2 p. 100 des 5 milliards de dollars au total. Selon vous, qui êtes des professionnels en la matière, ce niveau de financement pour le programme est-il approprié comme investissement de départ? Si oui ou si non, pourquoi? Selon vous, quels sont les domaines prioritaires auxquels devrait aller le restant des fonds, si nous voulons influencer les parties prenantes et les prestataires de notre régime de soins de santé, afin qu’ils s’attaquent aux problèmes dont nous discutons ce matin?

La présidente : À qui adressez-vous votre question?

Le sénateur Mockler : Aux deux professionnelles.

La présidente : Peut-être que la Dre Korczak peut commencer.

Dre Korczak : Je suis désolée. J’essaie de comprendre. La question était de savoir si le financement pour la santé mentale des enfants est suffisant et quels sont les domaines de priorité? C'est exact?

Le sénateur Mockler : Oui. Cela fait partie d’un énoncé de principe commun qui a été partagé par les autorités de santé et les fournisseurs de soins de santé au Canada à travers leurs ministres de la Santé fédéral, provinciaux et territoriaux.

Dre Korczak : Oui, je comprends. La plupart d’entre nous sommes d’accord pour dire que, comparativement à d’autres problèmes de santé, la santé mentale des enfants a été sous-financée de façon chronique. La recherche sur la santé mentale des enfants, qui est nécessaire pour faire avancer nos connaissances, a souffert de sous-financement de façon exceptionnelle comparativement à d’autres domaines de la recherche en santé. De ce point de vue, plusieurs organismes, chercheurs et cliniciens pourraient se mettre d’accord.

En ce qui concerne les domaines de priorité, il en existe plusieurs. Il est important de regarder le système de prestation de soins de santé dans son ensemble, comme je l’ai mentionné. Il faut l’observer en pensant à la prévention, la détection et le traitement. Le système serait plus efficace s’il était mieux coordonné. Il y a bien sûr des coûts rattachés à l’offre de services psychologiques financés publiquement, mais on peut économiser des coûts en empêchant des problèmes de santé aigus par la suite. Nous n’avons pas de stratégie nationale de prévention du suicide. Nous avons parlé du suicide à quelques reprises.

Il est également vrai que nous observons de meilleurs résultats dans les essais de recherche que ce qu’on observe avec les mêmes méthodes ou interventions lorsqu’elles sont disséminées dans la communauté et mises en place de façon générale. Pourquoi est-ce le cas? Nous savons que les traitements peuvent fonctionner, mais lorsqu’ils sont disséminés, ils ne fonctionnent pas aussi bien. Nous devons nous assurer que les bons enfants reçoivent les bons traitements, et nous devons nous assurer que les bons traitements soient surveillés et que les enfants qui ne répondent pas bien soient transférés à l’échelon de soins suivant. Il est possible de faire preuve d’efficacité lorsque les traitements sont coordonnés et flexibles, lorsqu’il y a surveillance, et lorsqu’il y a une formation rigoureuse et des mesures des résultats.

Cela dit, je crois que mettre l’accent davantage sur la santé mentale des enfants, la recherche et le financement amènera probablement des avantages par rapport à la réduction des coûts à long terme et de ceux des soins actifs.

Dre Lemire : J’aimerais ajouter quelques points supplémentaires à ce qu’a dit la Dre Korczak. En termes de statistiques sur le suicide, il existe certains rapports qui ont été publiés par la Commission de la santé mentale du Canada, et je crois que le taux le plus élevé se trouve assurément dans nos communautés autochtones. Il n’y a aucun doute. Vous pouvez aussi trouver la ventilation par province dans ces rapports. Je ne les connais pas par cœur, mais vous trouverez cette information dans les documents de la Commission de la santé mentale du Canada.

Je dirais que je ne suis pas certaine si ce montant d’argent est suffisant. Ce que je trouve bien, en fait, c’est que de l’argent soit alloué aux soins en santé mentale de façon spécifique avec des attentes disant que chaque province ou territoire devrait faire quelque chose en ce sens. Est-ce que le montant est suffisant? Je n’en suis pas certaine. Le fait que de l’argent ait été réservé à cette fin est important selon moi.

Le genre d’investissements qui sont nécessaires sont, encore une fois, mentionnés dans les documents de la Commission de la santé mentale du Canada. Le travail nécessaire autour des investissements qui doivent être faits a été solide. Je faisais partie de la Commission de la santé mentale du Canada à l’époque. Je vous renvoie donc à ces documents.

Je suggérerais, pour ajouter à ce qu’a dit la Dre Korckaz, que nous devons faire des investissements dans les soins de santé communautaires. C’est là où nombre de problèmes trouvent leur source. Pour avancer, il est primordial d’investir dans la coordination des soins et dans les transitions, non seulement entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte, mais aussi entre les soins primaires, secondaires et tertiaires, les transitions qui se font à l’intérieur de la communauté, ce partenariat entre les soins offerts dans les écoles et ceux qui sont offerts dans la communauté, les transitions entre les soins primaires et les ressources communautaires.

La présidente : Merci. La réunion tire à sa fin, mais, docteure Lemire, vous avez mentionné deux programmes dans votre présentation, les consultations électroniques et l’accès rapide à l’expertise consultative. S’il y a quoi que ce soit que vous pouvez partager avec notre greffière, nous vous en saurions gré. Je vous remercie toutes les deux pour le temps et l’expertise que vous avez partagés avec nous. Ils nous ont été vraiment précieux.

[Français]

Sur ce, honorables sénateurs, nous allons poursuivre notre réunion à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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