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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 7 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-243, Loi visant l’élaboration d’une stratégie relative au programme national d’aide à la maternité, se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, afin d’étudier ce texte de loi.

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m’appelle Chantal Petitclerc.

[Français]

C’est avec plaisir que je préside cette réunion du comité.

Nous entamons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-243, Loi visant l’élaboration d’une stratégie relative au programme national d’aide à la maternité.

[Traduction]

Avant d’entendre nos témoins, j’aimerais demander à mes collègues de se présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, du Québec. Je suis également vice-présidente du comité.

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.

La présidente : J’aimerais remercier nos témoins d’être ici aujourd’hui. Nous sommes très heureux d’accueillir Marc Gerretsen, député de Kingston et les Îles et parrain du projet de loi. Nous accueillons également Melodie Ballard, à titre personnel. Je vous remercie beaucoup d’être ici aujourd’hui.

Nous entendrons d’abord M. Gerretsen.

Mark Gerretsen, député, Kingston et les Îles, parrain du projet de loi, à titre personnel : Merci beaucoup, honorables sénateurs. Vous avez un greffier et du personnel de recherche exceptionnels qui nous ont divertis pendant que nous attendions la fin de vos délibérations à la Chambre. J’ai appris beaucoup de choses que j’ignorais au sujet du Sénat , car je viens de l’autre endroit. J’ai bien aimé vous attendre ici.

J’aimerais particulièrement remercier la sénatrice Mégie de parrainer ce projet de loi au Sénat. C’est un projet de loi que j’ai lancé peu après mon élection en 2015. Je l’ai présenté de notre côté de la Chambre. J’ai maintenant le très grand honneur de voir la sénatrice Mégie accompagner ce projet de loi au Sénat. Ce projet de loi a été inspiré par Melodie, une électrice de ma collectivité. C’est là où tout a commencé. J’aimerais vous rappeler brièvement son histoire, car elle a attiré l’attention sur une lacune de notre système d’assurance-emploi et, au bout du compte, m’a inspiré à présenter ce projet de loi.

Melodie est, ou plutôt était à l’époque, une soudeuse de ma collectivité. Au milieu de l’année 2014, elle est tombée enceinte. Comme un grand nombre de futures mamans, elle a consulté son médecin pour veiller à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir une grossesse en santé. Lorsqu’elle a décrit la nature dangereuse de son travail à son médecin, on lui a dit qu’elle ne pouvait plus continuer à travailler comme soudeuse pendant sa grossesse, car les tâches liées à son emploi ne seraient pas sécuritaires et présenteraient un risque important pour l’enfant à naître.

Elle a communiqué avec son employeur, une entreprise de construction navale bien établie et très réputée dans ma circonscription de Kingston et les Îles, mais au bout du compte, l’entreprise n’a pas été en mesure de la réaffecter ailleurs ou de modifier ses tâches de façon à réduire le risque. Obligée de cesser de travailler, Melodie a fait une demande de prestations de maladie de l’assurance-emploi, qu’elle a obtenues. Il y a quelques problèmes à cet égard, le premier étant que Melodie était enceinte; elle n’était pas malade.

Le deuxième problème, c’est que ces 15 semaines de prestations se sont terminées bien avant que Melodie puisse commencer officiellement son congé de maternité. Donc, pendant deux mois et demi, Melodie a attendu de recevoir les prestations de maternité auxquelles elle avait droit.

Cette période sans revenu a entraîné des difficultés financières et, au bout du compte, la perte de son logement, tout en lui causant une détresse personnelle importante. Lorsque Melodie a communiqué avec mon bureau au début de 2016, nous avons mené des recherches sur la question et nous avons conclu que la source principale du problème était liée à un règlement de l’article 22 de la Loi sur l’assurance-emploi qui exige qu’une femme, peu importe ses circonstances, attende jusqu’à huit semaines avant la date présumée de son accouchement avant de pouvoir commencer à recevoir des prestations de maternité.

Pour les femmes comme Melodie qui occupent un emploi dans lequel il n’est pas sécuritaire de travailler pendant les premiers mois de la grossesse, cette restriction peut déboucher sur de longues périodes sans revenu. L’histoire de Melodie est la raison pour laquelle j’ai présenté ce projet de loi. Je crois fermement qu’aucune femme ne devrait se retrouver dans la situation qu’a vécue Melodie.

Au Canada, en 2018, aucune femme ne devrait avoir à choisir entre occuper son emploi idéal et fonder une famille. Les données démontrent que les femmes sont toujours extrêmement sous-représentées dans les métiers spécialisés et dans les secteurs de la construction, de l’ingénierie, des sciences, des forces policières et dans de nombreux autres métiers qui seraient touchés par ce projet de loi. Par l’entremise de ce projet de loi, je tente donc de m’attaquer à l’un des obstacles auxquels font face les femmes qui souhaitent occuper ces emplois soi-disant non traditionnels. Nous devons réfléchir à la façon de rendre les règles du jeu équitables, afin que les femmes puissent avoir une chance égale de participer à tous les secteurs de la main-d’œuvre.

C’est l’objectif de ce projet de loi. Dans sa forme actuelle, il vise à lancer une discussion d’un bout à l’autre du pays, une discussion menée par la ministre responsable de l’emploi, afin de déterminer à quoi ressemblerait un programme fédéral d’aide à la maternité, afin qu’il soit mis en œuvre à l’échelle du pays. Nous n’avons pas à chercher loin pour trouver des exemples de chefs de file lorsqu’il s’agit de veiller à ce que les femmes reçoivent les soins appropriés pendant leur grossesse.

Nous n’avons pas à chercher plus loin que le Québec pour un exemple d’une telle province ou plus loin que des pays d’Europe qui sont vraiment des chefs de file dans ce domaine. Nous n’avons pas à réinventer la roue.

En terminant, je crois qu’il est très important d’avoir ce débat et d’élaborer une stratégie. En effet, de nombreuses discussions sur l’égalité entre les sexes au sein de la main-d’œuvre ont plutôt été axées sur les façons d’augmenter le nombre de femmes médecins, d’avocates, de femmes d’affaires, de politiciennes et de sénatrices. Même si cette discussion a de bonnes intentions, je crois qu’elle a souvent tendance à négliger le fait que de nombreuses femmes, comme Melodie, souhaitent devenir notamment travailleuses de la construction, électriciennes, mécaniciennes, maçonnes, charpentières, machinistes, chaudronnières ou soudeuses. C’est la raison pour laquelle la stratégie nationale proposée dans le cadre du projet de loi C-243 représente une occasion d’inclure davantage les femmes dans la conversation sur le renforcement de l’égalité entre les sexes à l’échelle du pays.

Merci beaucoup.

Melodie Ballard, à titre personnel : J’ai choisi d’occuper un métier spécialisé en raison des possibilités d’emplois stables. Je croyais que ces métiers pouvaient me fournir le temps et l’argent nécessaires pour élever et nourrir une famille. J’avais tort. En 2014, lorsque je suis tombée inopinément enceinte, les effets combinés d’un emploi dangereux, de l’impossibilité d’un compromis avec mon employeur et, le point important d’aujourd’hui, de prestations de maternité pour les femmes enceintes qui travaillent dans des milieux dangereux ont eu de graves répercussions sur ma situation. Étant donné la nature de mon emploi, je ne pouvais pas travailler pendant que j’étais enceinte, même pendant mon premier trimestre. En effet, ma sage-femme et mon médecin de famille m’ont conseillée de ne pas exposer ma grossesse aux dangers de mon milieu de travail, car ils représentaient un risque important pour ma vie et la vie de mon enfant. J’aimerais vous énumérer certains des dangers auxquels je faisais face au travail, mais étant donné le temps limité, je les décrirai en réponse à une question, si elle est posée.

En l’absence d’un programme d’aide à la maternité, comme par exemple le retrait préventif au Québec, je me suis retrouvée sans ressource tout au long de ce processus. J’ai demandé un travail différent à mon employeur et ma demande a été refusée. En effet, mon employeur n’était pas en mesure de me fournir un emploi approprié pendant ma grossesse. J’ai dû prendre un congé de maladie pendant lequel je recevais 55 p. 100 de mon salaire moyen, et ce, seulement pendant 15 semaines. Il est important de souligner que j’étais enceinte, et non malade. Service Canada n’avait tout simplement pas d’autres façons de gérer mes prestations pendant mon congé.

Après mon congé de maladie, je n’ai eu aucun revenu jusqu’à ce que je sois admissible au congé de maternité, pendant mon troisième trimestre. Cela signifie deux mois sans prestation ou sans revenu.

Lorsque j’ai ouvert un dossier avec Service Canada, on ne m’a pas prévenue qu’il y aurait une période sans revenu. De plus, on ne m’a pas prévenue que les 15 semaines de congé de maladie et les deux mois sans revenu seraient déduits de mon congé parental. La fin de mon congé parental se terminerait donc lorsqu’Ezra, mon fils, avait seulement quatre mois.

Accablée par ces circonstances, j’ai déposé une plainte à Service Canada au sujet de la déduction. On m’a accordé une prolongation de trois mois. Cela signifiait tout de même que je n’aurais aucune prestation parentale lorsque mon fils aurait sept mois. Pendant mon congé de maladie de 15 semaines, j’étais assujettie aux règlements du régime d’assurance-emploi. Je n’avais notamment pas le droit de gagner de l’argent. Encore une fois, je recevais seulement 55 p. 100 de mon salaire moyen, j’étais sur le point de faire face à deux mois sans revenu tout en me préparant pour l’arrivée de mon bébé et on ne me permettait pas d’améliorer ma situation financière. Le programme de congé de maladie n’est pas un programme approprié pour les femmes enceintes et en santé.

Pendant les deux mois où je n’avais aucun revenu ou aucune prestation, j’ai vainement tenté de trouver de l’aide pour ma situation. J’ai fait plus d’une centaine d’appels téléphoniques à différents échelons du gouvernement, j’ai écrit à plusieurs ministres et j’ai même fait appel aux organismes de bienfaisance communautaires. J’ai suivi toutes les suggestions qu’on m’a faites, j’ai exploré tous les mécanismes et j’ai essayé toutes les idées proposées. Je peux vous dire en toute confiance qu’il n’existe absolument rien, actuellement, pour aider une femme enceinte qui doit se prévaloir d’un retrait hâtif en raison d’un emploi dangereux.

J’ai présenté une demande à la 41e législature par l’entremise de mon député précédent et je n’ai pas reçu de réponse. J’ai assuré le suivi de ce dossier avec M. Mark Gerretsen, mon député, qui a réussi à porter cet enjeu beaucoup plus loin que je n’aurais pu le faire seule.

Tout cela me ramène à mon congé de maternité écourté. À titre de Canadienne, je m’attendais à pouvoir passer la première année de la vie de mon enfant avec lui. À l’âge de sept mois, je n’étais pas prête à le confier aux soins de quelqu’un d’autre. Il était si petit et notre temps ensemble avait été troublé par un stress accablant créé par la pauvreté que cette lacune du système avait créée dans nos vies. Je n’ai pas l’impression que j’ai eu suffisamment de temps pour me préparer émotionnellement ou concrètement à la fin de ma période de prestations, car je n’ai pas reçu d’avertissement préalable adéquat pour les changements qui se sont produits dans mon dossier.

Mon travail de soudeuse aurait exigé des journées de travail de 10 heures. C’est une bonne journée de travail, oui, mais cela signifie aussi beaucoup de temps en garderie. J’allaitais encore mon enfant. À sept mois, nous n’étions pas prêts. J’ai eu recours au programme Ontario au travail. J’espérais que ce programme pourrait m’aider pendant les cinq prochains mois, jusqu’à la date de mon retour au travail garantie par la province, qui tombait le jour du premier anniversaire de naissance de mon fils, en mai 2016. Toutefois, j’ai dû faire face à d’autres problèmes. En effet, j’avais un budget de subsistance de 1 250 $ par mois, ce qui représentait mes prestations d’assurance-emploi. Dans le cadre du programme Ontario au travail, je recevais 847 $ par mois. À titre d’information, une somme de 847 $ par mois ne permet même pas de payer la location d’un logement dans la ville de Kingston. Pour vous donner le contexte, pour vivre à Kingston, il faut au minimum un salaire d’emploi à plein temps de 2 700 $ par mois, et la location d’un modeste appartement coûte 990 $ par mois. Encore une fois, dans le cadre du programme Ontario au travail, je recevais 847 $ par mois.

J’ai proposé au propriétaire d’un immeuble de logements de faire des travaux d’entretien dans l’immeuble en échange d’une réduction du prix du loyer, mais le prix était toujours trop élevé. Dans une autre tentative de joindre les deux bouts, j’ai fondé une garderie en milieu familial dans mon appartement. J’ai dû abandonner ce projet lorsque j’ai perdu mon appartement. Je ne pouvais tout simplement pas payer le loyer. Lorsque j’ai perdu mes prestations d’assurance-emploi pendant mon congé de maternité, mes outils se sont retrouvés bloqués dans une unité de stockage que je ne pouvais plus payer, et je ne pouvais plus me payer un logement dans lequel j’aurais pu les garder. De plus, je ne pouvais pas être employée sans mes outils.

Ce cycle de pauvreté s’alimente lui-même et s’aggrave au fil du temps. J’ai déménagé 11 fois depuis que j’ai appris que j’étais enceinte, en septembre 2014. Tout cela a commencé avec la période sans revenu. Je n’avais pas le contrôle des modalités de la résidence partagée temporaire dans laquelle nous vivions. Par conséquent, je ne pouvais pas être le type de parent que je souhaitais être pour mon fils et j’ai été obligée de l’encadrer énormément dans des endroits qui n’étaient pas conçus pour assurer sa sécurité. Cela a nécessité une énergie émotionnelle déraisonnable de notre relation et de moi-même pendant que je tentais de nous soustraire à la pauvreté.

Le refuge pour familles sans abri de ma ville a une liste d’attente de plusieurs mois. Notre situation était plus urgente que le calendrier de disponibilité des refuges. Puisque je paniquais à l’idée de devoir vivre dans la rue, j’ai acheté une caravane de voyage de 14 pieds pour quelques centaines de dollars. J’ai trouvé des rebuts pour la réparer et j’ai utilisé mes compétences.

Ce n’était pas la situation idéale. Toutefois, c’était mieux que rien et c’était le mieux que je pouvais faire. Je l’ai fait parce que peu importe combien d’institutions ne répondaient pas à mes besoins, je pouvais fournir un toit à mon fils. J’aimerais préciser, sénateurs et sénatrices, que j’ai fait cela parce que je ne fais plus confiance à notre système, un système qui n’a pas de programme de prestations de maternité et qui force les femmes qui travaillent dans des milieux dangereux à choisir entre leur carrière et une famille.

Je ne m’attendais pas à tomber dans une lacune de l’aide fédérale. Je ne savais pas qu’une telle lacune existait et personne ne semblait être au courant. Je ne m’attendais pas à avoir recours au programme Ontario au travail. Je ne pensais jamais que ses prestations étaient tellement en dessous du coût de la vie. Avant le projet de loi C-243, la plupart des gens auxquels j’expliquais ma situation, y compris des employés du gouvernement, semblaient certains que j’avais oublié d’explorer une option. Ce n’était pas le cas.

J’aimerais parler du coût total d’un programme de maternité plus inclusif. Même si aucun programme précis n’est prescrit dans le projet de loi C-243, je parle de la préoccupation anecdotique. En effet, au bout du compte, la situation que j’ai vécue a coûté plus cher que si j’avais reçu des prestations d’assurance-emploi pendant 20 mois consécutifs au taux actuel de 55 p. 100 de mon salaire moyen. En effet, il est plus dispendieux de laisser la situation d’une personne se déstabiliser, car elle aura ensuite besoin de soutien pour redevenir stable. Lorsqu’on se retrouve dans le cycle de la pauvreté, les circonstances et les occasions doivent s’aligner pour nous permettre d’en sortir. Pour moi, cela s’est produit peu après le deuxième anniversaire de naissance de mon fils.

J’ai une mise à jour que j’aimerais vous communiquer. Il y a quelques semaines, Cassandra Grisewood, de la Colombie-Britannique, a communiqué avec moi. Cassandra et moi ne nous connaissons pas. Nous sommes des étrangères. Elle occupe également un emploi dangereux et est actuellement enceinte. Elle a communiqué avec moi après avoir tenté de déterminer comment elle allait gérer sa grossesse et son congé de maternité. Ses recherches l’ont mené à ce projet de loi et elle a communiqué avec moi. Comme moi, elle n’a pas pu trouver une stratégie appropriée à la fois sécuritaire et réalisable sur le plan financier. Prenez un moment pour réfléchir à la situation d’une femme qui habite dans une autre province et qui tente désespérément de demander conseil à une autre citoyenne, à une étrangère, car le gouvernement ne peut pas répondre à ses besoins. Malgré ma grande expérience de cette situation, je n’ai pas pu lui offrir de solution. Elle devra se débrouiller toute seule, comme moi.

Je me demande combien de femmes ont vécu ou sont sur le point de vivre cette situation. Pendant tout ce parcours, j’ai travaillé avec acharnement, j’ai fait preuve de créativité et de débrouillardise et j’ai mis mes compétences à profit, mais je n’ai pas réussi. Je serai toujours reconnaissante aux merveilleux amis et étrangers qui m’ont offert de l’aide.

Certains d’entre eux ont admis que c’était ma capacité à exprimer clairement ma situation qui les a convaincus de m’offrir de l’aide. J’espère que je me suis exprimée clairement aujourd’hui. Si c’est le cas, j’espère que vous serez convaincus de m’aider et, encore plus important, d’aider les nombreuses personnes qui ne peuvent pas exprimer clairement la situation difficile dans laquelle elles se trouvent. Les femmes qui occupent des emplois dangereux ne devraient pas devoir vivre des grossesses dangereuses et des congés de maternité écourtés. Elles ne devraient pas avoir à se contenter de moins de temps avec leurs nouveau-nés.

La présidente : J’aimerais remercier nos deux témoins. Madame Ballard, vous vous êtes effectivement très bien exprimée. En fait, votre témoignage était sincère, clair et détaillé. Je crois que cela met vraiment le projet de loi en perspective, ce qui nous sera utile pendant la série de questions.

J’aimerais rappeler à mes collègues que nous avons cinq minutes pour les questions et les réponses et que nous aurons, nous l’espérons, une deuxième série de questions. Nous entendrons d’abord la vice-présidente.

La sénatrice Seidman : Merci de nous avoir raconté votre histoire, Melodie. C’est tout à fait inacceptable. Cela m’attriste, car vous n’avez fait qu’agir en parent responsable en ne voulant pas vous exposer à ce type de situation dangereuse pour votre grossesse et votre enfant à naître.

Si je comprends bien, le droit au retrait préventif des travailleuses enceintes est en application au Québec depuis 1981. Il est établi dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Il est unique en Amérique du Nord. Nous avons donc un modèle canadien qui existe depuis longtemps.

Monsieur Gerretsen, vous êtes peut-être mieux placé pour répondre à ma question étant donné que vous avez élaboré le projet de loi. Essentiellement, on demande au ministre de tenir des consultations afin de discuter de l’élaboration d’une stratégie de mise en œuvre d’un programme national d’aide à la maternité. Le ministre est responsable de déposer un rapport devant le Parlement dans les trois ans suivant la date d’entrée en vigueur. Rien n’est mentionné sur la mise en œuvre du programme.

Quelles sont les mesures? Ne devrait-on pas exiger que le projet de loi mène à des mesures visant à mettre en œuvre un programme? Il ne s’agit que d’une consultation.

M. Gerretsen : C’est une excellente question. Si j’avais pu entièrement présenter ce que je voulais à la Chambre, c’est ce que j’aurais fait. La réalité, comme bon nombre d’entre vous, honorables sénateurs, le savent certainement, c’est qu’un projet de loi d’initiative parlementaire ne peut engager le gouvernement à dépenser de l’argent. Si j’avais inclus une telle disposition dans le projet de loi, il aurait fallu qu’il soit accompagné d’une recommandation royale, ce qui se concrétise rarement à la Chambre.

Ce que j’ai essayé de faire en présentant le projet de loi, dans sa forme actuelle, c’est de lancer un débat pour que les gens en discutent et se demandent pourquoi cette situation est traitée aussi différemment au Québec par rapport à l’Ontario ou à la Colombie-Britannique et d’amener le ministre à en parler. Lorsque le ministre aura présenté son rapport, si j’ai encore la chance d’être ici, j’aurai alors les munitions qu’il faut pour demander pourquoi nous n’agissons pas à cet égard. Puisque nous aurons alors les éléments de preuve et la stratégie, pourquoi ne pas aller de l’avant? Si je n’ai pas inclus de dispositions quant à la mise en œuvre, c’est en raison de l’aspect financier ainsi que des limites d’un projet de loi d’initiative parlementaire.

La sénatrice Seidman : Tout s’explique. Pour tout dire, je présenterais un amendement, mais le Sénat est dans la même situation, car nous ne pouvons pas non plus présenter un projet de loi qui exige des dépenses. Espérez-vous d’une certaine façon que cela mettra de la pression? Je veux dire que vous obtiendrez un rapport et en discuterez et les discussions mettront une certaine pression sur le gouvernement.

M. Gerretsen : Je suis un député du parti au pouvoir. Je ne voudrais jamais exercer de pressions sur lui. Toutefois, c’est une occasion de tenir des discussions et d’élaborer une stratégie. Ensuite, je suis sûr que le gouvernement verra qu’il est avantageux d’aller de l’avant.

La sénatrice Seidman : Merci.

[Français]

La sénatrice Mégie : J’ai une question qui s’adresse à Mme Ballard. Combien d’enfants avez-vous maintenant?

[Traduction]

Mme Ballard : J’ai un enfant.

[Français]

La sénatrice Mégie : Avez-vous pensé avoir d’autres enfants, compte tenu de ce que vous avez vécu?

[Traduction]

Mme Ballard : Au départ, j’envisageais d’avoir deux ou trois enfants. En raison de ce que j’ai vécu avec mon premier enfant, je n’en aurai pas d’autres. La situation était trop stressante. Je ne reviendrai pas sur ma décision.

[Français]

La sénatrice Mégie : Avez-vous dû changer le parcours de votre carrière? Vous êtes-vous orientée dans un tout autre domaine?

[Traduction]

Mme Ballard : C’est une autre chose qui a changé. Je ne voulais pas reprendre le métier de soudeuse. Je ne veux plus revivre cela. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour ne pas y retourner. Mon emploi actuel n’est même pas dangereux. Je suis dans la modélisation 3D et les dessins d’atelier, les dessins mécaniques pour la fabrication. Voilà ce que je fais maintenant. C’est un emploi en informatique. Je ne veux plus jamais me retrouver dans cette situation vulnérable. C’est ce que cela a changé.

[Français]

La sénatrice Mégie : Quel conseil pourriez-vous donner aux employeurs qui œuvrent dans les métiers de la construction ou dans le genre de métier que vous avez pratiqué, afin d’aider d’autres femmes qui n’ont pas pu changer de carrière comme vous l’avez fait?

[Traduction]

Mme Ballard : Pour bon nombre de ces emplois, on parle de milieux de travail à prédominance masculine. Je pense qu’à un moment donné, j’ai fini par en parler avec eux lorsque j’essayais de voir si je pouvais réintégrer mon emploi. L’une des choses que j’ai remarquées, parce que c’est un secteur à prédominance masculine, c’est que lorsque j’essayais d’expliquer ma situation — il s’agissait de journées de travail de 10 heures et je me demandais si l’on pouvait raccourcir ma journée de travail parce que je n’étais pas à l’aise de laisser un bébé de sept mois à l’extérieur de sa famille 11 heures par jour, car je trouvais que c’était trop —, on me répondait « eh bien, aucun autre employé n’a besoin de ce type d’accommodement ».

J’avais le sentiment que la réponse résultait de la culture de genre. Aucun de ces hommes n’a donné naissance à un bébé. Il est vrai que certains d’entre eux sont des pères seuls. La plupart de leurs enfants vont à l’école ou la responsabilité parentale est partagée avec une autre personne. Ils n’ont pas les mêmes besoins que j’avais sur le plan de l’horaire.

Il faut que les employeurs soient sensibilisés à la situation des femmes, surtout lorsque ce sont des mères seules qui veulent retourner sur le marché du travail, et qu’ils évitent de les comparer avec leurs collègues masculins.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous les deux de votre présence. Melodie, je vous remercie de nous parler de certaines des difficultés auxquelles vous avez fait face. Je veux également vous féliciter d’avoir été forte tout au long de cette lutte. C’est la raison pour laquelle vous êtes ici aujourd’hui. Je vous félicite.

Ma première question s’adresse au député. À l’article 4 de votre projet de loi, vous indiquez que le rapport est déposé devant le Parlement dans les trois ans suivant la date d’entrée en vigueur de la loi. Au départ, vous aviez décidé que le ministre devait plutôt le faire déposer dans les deux ans suivant la date d’entrée en vigueur.

Pouvez-vous expliquer pourquoi vous aviez déterminé que ce serait deux ans et pourquoi, par la suite, la Chambre des communes a apporté un amendement au projet de loi pour que ce soit trois ans?

M. Gerretsen : L’amendement a été apporté à l’étape de l’étude en comité, soit au Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées. C’est ce comité qui a étudié le projet de loi.

C’est un amendement que le comité a proposé à ce moment-là. Je ne crois pas qu’il serait juste que ce soit moi qui vous explique les raisons données par les membres du comité à cet égard. Peut-être qu’ils ont suivi des conseils d’autres personnes qui leur ont recommandé de faire passer cette période à trois ans.

Dans ce processus, un certain nombre de choses allaient changer à l’occasion. Le projet de loi a changé quelque peu par rapport à sa version originale. Cela découle d’un grand nombre d’éléments changeants.

La sénatrice Poirier : Je comprends également pourquoi vous avez présenté ce type de projet de loi et votre situation. Vous ne pouviez pas présenter un projet de loi d’initiative parlementaire, comme ma collègue le disait, au Sénat, un projet de loi exigeant des dépenses. Il s’agit, au moins, d’une première étape vers le processus qui nous permettra de faire quelque chose.

Je sais que le Québec a mis en place le programme Pour une maternité sans danger. Vous avez également dit que d’autres pays ont adopté une stratégie nationale à long terme.

Pouvez-vous nous expliquer un peu comment ont fonctionné ces programmes? Y a-t-il quoi que ce soit quant à ce qui se passe dans d’autres pays et au Québec qui peut être reproduit ou communiqué? S’agit-il d’une mesure visant à reproduire une partie de ce qui a déjà été fait et à accélérer les choses, si possible?

M. Gerretsen : Un certain nombre de choses se font différemment. Au Québec, il y a le retrait préventif. L’employeur peut choisir d’éliminer le danger que pose le travail d’une employée ou lui confier d’autres tâches. Dans ce cas, au Québec, si l’employeur ne peut pas lui confier d’autres tâches, alors il y a l’option de retrait.

En Finlande, il y a un autre exemple. Des prestations spéciales de maternité sont offertes aux femmes lorsque leurs conditions de travail présentent un risque particulier pour leur grossesse et lorsque l’employeur ne peut pas éliminer le danger.

En Australie, si aucun emploi sécuritaire n’est disponible, l’employée peut prendre un congé payé pendant la période à risque. Des programmes semblables existent en France, en Hongrie, au Danemark et ailleurs.

Ce que j’ai cherché à éviter dans le cadre du projet de loi, c’est d’essayer de dire quelles sont les mesures à prendre. Je ne voulais pas aller aussi loin. Je voulais que le projet de loi porte sur l’accomplissement de ce travail.

Comme pour toute étude, si l’on commence à proposer des choses, on débattra de nombreuses raisons différentes pour lesquelles telle chose pourrait ne pas fonctionner ici ou là. La stratégie à cet égard a toujours consisté à communiquer avec le Québec et les autres pays, à trouver les pratiques exemplaires et à faire une recommandation quant à la forme que pourrait prendre cette stratégie au Canada.

La sénatrice Poirier : Chaque province est différente. Chacune a son propre programme. Avez-vous discuté avec les provinces pour déterminer s’il y a moyen de collaborer avec elles pour aider les gens qui sont dans une situation comme celle-là à joindre les deux bouts?

M. Gerretsen : Non, mais nous avons fait des recherches sur ce que faisait chaque province. Je sais que ce type de mesures législatives relèvent de la compétence des provinces, puisqu’elles portent sur l’emploi. Toutefois, nous pouvons en discuter et établir une norme nationale que les provinces pourront reprendre. L’Ontario a son propre code du bâtiment; cependant, il est calqué sur le Code national du bâtiment à 99 p. 100.

Bien que nous n’ayons pas cherché à discuter de la façon de procéder à ce chapitre, nous avons commencé à chercher et à comprendre les grandes différences entre les provinces.

La sénatrice Poirier : Merci.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie beaucoup, tous les deux. Je vous remercie en particulier, Melodie, d’avoir présenté un témoignage très touchant et sincère.

J’ai une question pour chacun de vous. Monsieur Gerretsen, concernant la question de la sénatrice Poirier, pensez-vous qu’il nous serait utile d’avoir un modèle qui illustrerait les types de programmes qui, selon vous, seraient avantageux? Si l’on pouvait obtenir un mélange de ce qui se fait en Finlande, en Australie et en France, par exemple, il serait peut-être plus facile pour nous de suivre une formule ou un concept à adopter comme modèle à utiliser partout au pays.

M. Gerretsen : Absolument. Tel est l’objet de la stratégie; il s’agit d’élaborer un modèle, une référence et des pratiques exemplaires que les Canadiens souhaitent et qui peuvent servir de modèle aux provinces dans l’élaboration de leurs programmes respectifs.

Je ne veux pas que la discussion ne porte que sur l’idée que « les femmes veulent travailler dans certains domaines ». Elle devrait également porter sur les occasions. Nous savons que pour 40 p. 100 des postes dans les métiers spécialisés, les gens prendront leur retraite au cours des 5 à 10 années à venir. Nous avons une excellente occasion de pourvoir une grande partie de ces emplois, qui seront en forte demande, avec l’embauche de femmes comme Melodie, qui veulent pratiquer ces métiers. Il nous faudra créer les conditions propices à cela. Cela inclut le respect de la maternité.

En effet, il serait extrêmement avantageux d’avoir un modèle à l’échelle nationale dont les provinces et les territoires pourraient s’inspirer pour établir cette norme.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.

J’ai pratiqué la médecine. Nous avons fait face à une situation similaire dans mon milieu de travail. L’infirmière qui donnait les traitements de chimiothérapie et qui, par conséquent, devait faire le mélange de produits chimiques dangereux, s’est retrouvée dans une situation semblable. Heureusement, elle avait des ressources familiales. Nous nous sommes démenés pour essayer de lui trouver de l’aide. Au bout du compte, il n’y avait rien, ce qui inclut l’association des infirmières locale, ce qui m’a étonné.

Avez-vous dressé une liste des types de professions dangereuses? Souvent, elles ne font pas partie du marché du travail spécialisé traditionnel, si l’on prend les secteurs des soins infirmiers, de l’ingénierie, de la médecine nucléaire, et cetera.

M. Gerretsen : Les services policiers, la radiologie — il y en a beaucoup. Parce que, en présentant ce projet de loi, nous avons raconté l’histoire de Melodie, on parle surtout des métiers spécialisés, comme celui de soudeur et les métiers du domaine de la construction de façon générale. Il y a bien d’autres secteurs, comme les services policiers et l’ingénierie. Les femmes qui travaillent dans les sociétés d’ingénierie au Canada appuient ceci sans réserve, car il y a des situations dans leur domaine où des ingénieures doivent choisir entre fonder une famille ou poursuivre leur carrière. « Cela signifie que je serai limitée dans ma capacité de travailler sur le terrain, dans la mine ou peu importe l’endroit où cet emploi d’ingénieure m’amène. » Cela couvre une vaste gamme de professions différentes. Oui, nous avons dressé des listes après avoir consulté les diverses organisations au cours du processus.

Le sénateur Ravalia : Merci, Melodie. Voudriez-vous énumérer une partie des dangers auxquels vous étiez exposée et les vulnérabilités? J’espère que si le projet de loi est adopté, nous serons en mesure de lui donner votre nom. Vous êtes un témoin admirable.

Mme Ballard : Merci. Ce serait un honneur.

Voici certains des dangers auxquels j’étais exposée au cours d’une journée de travail normale: espaces clos, électrocution, épuisement par la chaleur, chute d’un endroit élevé, trébuchement en raison de câbles, forte exposition aux rayons UV, exposition au gaz de soudage, exposition à des vapeurs, solvants inflammables, poussière de métaux lourds, brûlures causées par la chaleur extrême, soulever fréquemment de lourdes charges, machines non protégées — c’était nécessaire et ce n’était pas parce que mon employeur était négligeant; c’était la seule façon de faire le travail —, exposition constante à des bruits forts, postes de travail mal ajustés, vibration, mauvaise posture pendant de longues périodes, recours à la force répété et coupures et abrasions causées par des bords coupants.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.

La présidente : Merci. C’est très utile.

La sénatrice Omidvar : Merci, madame la présidente. C’est une incroyable histoire de résilience qu’est la vôtre, Melodie. Je vous salue. Je ne vous félicite pas, parce que je sais que vous avez vécu une situation difficile.

Nous voulons tellement l’égalité des sexes au pays. Or, le métier que vous avez choisi — qui est toujours dominé par les hommes — n’a pas su répondre à vos besoins. Combien de temps et d’argent avez-vous investis dans vos études en soudure?

Mme Ballard : J’ai fait un programme de menuiserie au collège Saint-Laurent. J’ai terminé le programme en 2011. J’ai été engagée à titre de constructrice de bateau pour MetalCraft Marine environ un an après. L’entreprise aime engager des menuisiers et les former pour en faire des pourvoyeurs et des soudeurs. Ils trouvent que les ferblantiers traditionnels n’ont pas la même tolérance que les menuisiers. Pour la construction de bateau, il faut la même tolérance qu’en menuiserie. C’est plus facile de prendre un menuisier et de le former pour construire des bateaux que de faire la même chose avec un ferblantier. J’ai toujours envie d’apprendre de nouvelles choses. Je me suis portée volontaire auprès de l’entreprise.

J’ai investi mon argent dans une formation en menuiserie. Ma formation en soudure a été offerte par l’entreprise.

La sénatrice Omidvar : Elle a duré combien d’années, environ?

Mme Ballard : J’ai commencé à titre de pourvoyeuse. J’ai accepté de devenir soudeuse environ quatre mois avant mon départ. L’entreprise m’avait payée pour suivre une formation en soudure. Ensuite, je suis partie en congé. C’était environ quatre mois à temps plein. On m’a payée pour que j’apprenne à faire de la soudure; ensuite, l’entreprise m’a perdue.

Avant cela, j’ai passé un an et demi au Collège Saint-Laurent.

La sénatrice Omidvar : Donc, environ deux ans en tout. L’entreprise a investi dans votre formation de quatre mois, mais elle n’a pas pu répondre à votre demande, qui était tout à fait raisonnable.

Mme Ballard : Oui.

La sénatrice Omidvar : Je me pose des questions à ce sujet. J’aimerais savoir si les consultations que vous proposez permettraient d’examiner le rôle des employeurs en vue de s’adapter aux besoins des femmes enceintes qui font un travail dangereux.

M. Gerretsen : Tout à fait. Il faut que cela fasse partie de la discussion. Je ne crois pas qu’on puisse tout simplement adopter une loi et l’imposer aux entreprises et aux employeurs. Il faut que les employeurs prennent part à la discussion. L’employeur est tenu — dans la mesure du possible — de réaffecter la personne à d’autres tâches pendant la période de risque, afin qu’elle puisse continuer de travailler pour l’entreprise jusqu’à ce qu’elle puisse retrouver son poste.

J’ai dit plus tôt que cette entreprise en particulier était bien connue et reconnue dans notre communauté; elle est en place depuis très longtemps et a une conscience sociale.

Avant les élections, les propriétaires de l’entreprise invitent les candidats à parler à leurs employés, pour les encourager à voter. Ils sont très bien vus. Ils ont fait ce qu’ils ont pu, mais ne pouvaient tout simplement pas affecter Melodie à un autre poste; c’est pourquoi elle s’est retrouvée dans cette situation.

La sénatrice Omidvar : Melodie, je suppose que vous avez reçu des prestations pour enfants.

Mme Ballard : La prestation fiscale pour enfants? Oui.

La sénatrice Omidvar : À combien d’argent avez-vous droit?

Mme Ballard : Je n’ai pas le montant exact. J’ai droit au montant maximal de 640$ ou quelque chose comme cela.

La sénatrice Omidvar : Lorsque j’additionne vos prestations d’Ontario au travail à la prestation pour enfants, je constate que vous dépassez la limite de l’assurance-emploi. Lorsque vous travaillez... Je veux comprendre le volet financier. Le gouvernement a pris d’importantes mesures pour donner de l’argent directement aux enfants, je dirais, par l’entremise de leurs parents.

Mme Ballard : Oui. Ma prestation pour enfants est demeurée la même depuis que j’ai eu Ezra. J’ai fait la demande dès sa naissance. J’avais droit au montant maximal immédiatement. C’est demeuré ainsi depuis.

Ce que je dis, c’est que si j’avais pu continuer d’avancer dans ma carrière, j’aurais fini par avoir droit à moins de prestations, ce qui permettrait au gouvernement d’économiser. C’est l’un des éléments secondaires dont il faut tenir compte en ce qui a trait aux coûts.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Le sénateur Munson : Merci, madame la présidente. Merci de votre présence, madame. Quel est le nom de votre enfant?

Mme Ballard : Ezra.

Le sénateur Munson : Nous parlons des droits des enfants en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Nous avons célébré la Journée nationale de l’enfant dans le foyer du Sénat deux semaines à l’avance. Nous parlions de ces droits. Le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, mais n’a pas mis en œuvre tous les préambules. L’un d’entre eux dit:

Reconnaissant que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension [...]

Dans certains cas, l’État dresse certains obstacles, qui sont peut-être non intentionnels. C’est l’un d’entre eux. Nous devons examiner la convention parce qu’Ezra a le droit à ce dont on parle dans tous les articles. Je crois que les droits des enfants sont importants et doivent être mis de l’avant.

Combien de femmes au pays vivent la même situation que vous, à votre avis? Des centaines, des milliers ou des dizaines de milliers de femmes qui font face à ce vide ou à cette lacune en matière de droit des enfants.

Mme Ballard : C’est une bonne question. À ce que je sache, nous n’avons pas de statistiques. Je ne sais pas si ces données sont quantifiables.

Le sénateur Munson : C’est ce qu’il faudrait.

M. Gerretsen : Même si nous avions les chiffres exacts, nous ne saurions pas combien de femmes souhaitaient réaliser leur passion, mais ne l’ont pas fait parce qu’elles ont choisi un autre emploi qui s’harmoniserait mieux à un autre souhait : celui de fonder une famille.

Même si nous pouvions connaître le nombre de personnes qui sont dans la même situation que Melodie, nous ne pourrions pas nécessairement savoir combien d’entre elles auraient pu avancer sur le plan professionnel comme elles l’auraient souhaité.

Le sénateur Munson : J’ai déjà siégé au caucus national. Il y a de nombreuses pressions à l’interne. Je comprends les projets de loi d’initiative parlementaire; nous en avons tous présenté, et l’un des miens a été adopté. Il y a des gens intelligents au gouvernement et de bons bureaucrates dans la fonction publique qui essaient de bien faire les choses. Pourquoi le gouvernement ne présenterait-il pas votre idée au ministre? Cela me semble évident, pour le bien des enfants, des mères et des familles.

M. Gerretsen : C’est une bonne question. Je ne sais pas si je suis le mieux placé pour y répondre. Ma réponse serait tout au mieux anecdotique. J’ai fait référence au projet de loi selon sa forme actuelle. Lorsqu’il a été présenté pour la première fois, il contenait des dispositions visant à modifier la Loi sur l’assurance-emploi, à titre de point de départ pour accorder aux femmes qui occupent un emploi dangereux des prestations de l’assurance-emploi avant la naissance, alors qu’elles sont habituellement versées après la naissance de l’enfant.

Alors que le projet de loi faisait son chemin à la Chambre, le gouvernement a trouvé qu’il s’agissait d’une bonne idée et a ajouté cela à l’un de ses budgets. Lorsque le projet de loi a été présenté au comité des ressources humaines, il a supprimé cette partie, parce qu’elle était devenue redondante. Le gouvernement l’avait intégrée à la Loi d’exécution du budget. J’aimerais croire que c’est grâce à l’histoire de Melodie, mais personne ne me l’a confirmé.

Le sénateur Munson : Si le modèle du Québec fonctionne, pourquoi le gouvernement fédéral ne l’utiliserait-il pas? Parfois, nous vivons en cloisons. Nous parlons des administrations provinciales. En ce qui a trait aux droits de l’enfant, nous ne pouvons rien mettre en œuvre, parce que cela relève des provinces. Il n’y a pas de frontières lorsqu’on parle des enfants. Je ne comprends pas, parfois. Pourtant, je suis ici depuis un bon moment.

M. Gerretsen : Je suis un député de l’Ontario. Je suis fier de ma province et d’avoir l’honneur d’en représenter une petite partie.

Je suis aussi réaliste. À mon avis, le Québec réussit beaucoup mieux à reconnaître le rôle de la société dans le développement des enfants. Je crois que le reste du pays peut prendre exemple sur le Québec à cet égard.

Certains diront que cela coûte plus cher ou donneront d’autres raisons pour lesquelles cela ne pourrait pas fonctionner en Ontario. C’est pourquoi nous avons l’occasion d’établir une norme nationale, dont les provinces pourront se servir à titre de référence.

Le sénateur Munson : Faisons-le pour Ezra.

M. Gerretsen : Faisons-le pour Ezra.

La sénatrice Dasko : Nous vous remercions d’être ici aujourd’hui pour aborder ce sujet.

Je ne comprends pas encore tout à fait le volet sur l’assurance-emploi. À mon avis, et selon ce qu’a dit le sénateur Munson, le congé de paternité devrait être associé au programme d’assurance-emploi; ce serait naturel. Expliquez-moi pourquoi il ne s’y trouve pas. Est-ce que vous avez présenté cette idée et elle a été refusée? Est-ce que je me trompe?

M. Gerretsen : La réalité — et vous avez entendu l’intervention de Melodie —, c’est que cela n’existe tout simplement pas. Melodie a dit à son employeur qu’elle ne pouvait plus travailler pour lui, selon les recommandations de son médecin. Lorsqu’elle a fait une demande à l’assurance-emploi, on lui a dit qu’elle aurait droit à un congé de maladie, puisqu’elle était visée par une exception. C’est ce qu’on lui a répondu. Mais Melodie n’était pas malade. Elle était enceinte.

La sénatrice Dasko : Je parle du congé parental de l’assurance-emploi. C’est ce qui entre en jeu. Vous pouvez profiter du programme avant...

M. Gerretsen : Le congé de maternité est en premier.

La sénatrice Dasko : Et le congé parental vient après. Vous pouvez en bénéficier avant la naissance.

M. Gerretsen : Vous pouvez obtenir 15 semaines de congé de maternité, que vous pouvez utiliser 12 semaines avant la naissance.

La sénatrice Dasko : D’accord. Vous dites que 12 semaines ne suffisent pas.

M. Gerretsen : Non, parce qu’on a dit à Melodie...

Mme Ballard : Il me restait quand même un mois à combler.

M. Gerretsen : Et c’est si l’on tient compte des 15 semaines de congé de maladie que vous avez prises.

Mme Ballard : Tout cela était déduit de mon congé parental.

M. Gerretsen : Oui. C’est déduit du congé parental.

La sénatrice Dasko : Est-ce qu’on ne peut pas modifier le programme pour aborder ce genre de situation?

M. Gerretsen : Oui. C’est ce que je veux faire.

La sénatrice Dasko : C’est ce que vous voulez faire. Je croyais que vous vouliez une enquête.

M. Gerretsen : Le but ultime est de trouver une façon de moderniser le régime d’assurance-emploi, si c’est le moyen utilisé. Comment peut-on travailler avec les provinces pour que le modèle conjoint — comme celui du Québec — fonctionne dans des cas comme celui-ci? J’hésite beaucoup à donner une réponse exacte. Je crois qu’il faut une discussion nationale à ce sujet et examiner les pratiques exemplaires de partout dans le monde.

Je crois que la solution réside dans ce que vous avez dit, madame la sénatrice. Je crois aussi qu’il faut tenir une discussion pour que les solutions passent par les canaux appropriés.

La sénatrice Dasko : Vous avez un processus, mais vous avez déjà la réponse.

M. Gerretsen : Je crois que oui. Mais pour répondre...

La sénatrice Dasko : Pour étoffer ce que vous dites.

M. Gerretsen : Pour répondre à la première question, je ne peux pas proposer ce que vous suggérez, parce qu’il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire. Il faudrait dépenser plus d’argent et c’est au-delà de ce que je peux présenter dans une mesure législative. C’était la seule façon dont je pouvais parler de l’histoire de Melodie pour demander au gouvernement d’élaborer une stratégie nationale, dont nous pourrons ensuite discuter en vue de la mettre en œuvre.

La sénatrice Dasko : Je suis certaine qu’il y a bien des façons de faire les choses. Vous semblez avoir une bonne idée.

L’autre idée serait d’avoir un groupe d’experts. Par exemple, le gouvernement a lancé une enquête sur le régime d’assurance-médicaments. Il a mis sur pied un groupe d’experts, qu’il consulte. On pourrait créer un groupe d’experts de haut, de moyen ou de faible niveau. N’est-ce pas...

M. Gerretsen : Ce serait une façon de faire. Au cours du processus de création de la loi, on a beaucoup échangé avec la Bibliothèque du Parlement au sujet de ce qui constituerait une dépense ou non. Je crois que les membres du groupe d’experts sur le régime d’assurance-médicaments sont payés. Ainsi, on dépenserait de l’argent; est-ce qu’on irait au-delà de ce que j’ai le droit de présenter? Ce serait extraordinaire si une telle chose pouvait se produire.

La sénatrice Dasko : Ce serait au-delà de votre portée, mais pas de celle du gouvernement. Il peut faire cela.

M. Gerretsen : C’est exact.

La sénatrice Dasko : Pourquoi ne voudrait-il pas créer un groupe d’experts?

M. Gerretsen : Je ne peux pas répondre à cette question. Je ne peux pas parler au nom du gouvernement.

La présidente : Merci, sénatrice Dasko. Nous n’avons plus beaucoup de temps. Je tenais à vous remercier tous les deux, monsieur Gerretsen et madame Ballard, pour votre présence. Votre témoignage nous a été très utile. C’est notre première réunion au sujet du projet de loi C-243; nous poursuivrons les travaux demain. Nous vous sommes très reconnaissants pour la valeur que vous ajoutez à notre réflexion et à notre travail.

[Français]

Je vous remercie beaucoup.

(La séance est levée.)

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