Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 55 - Témoignages du 21 mars 2019
OTTAWA, le jeudi 21 mars 2019
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang), se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi, et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Bonjour à tous et à toutes, et merci d’être parmi nous aujourd’hui. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
Je suis Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec, et c’est un grand plaisir et un privilège pour moi de vous accueillir et de présider cette réunion.
[Traduction]
Avant de donner la parole à notre témoin, j’aimerais demander à mes collègues de se présenter.
La sénatrice Seidman : Judith G. Seidman, de Montréal, au Québec.
[Français]
La sénatrice Poirier : Bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Eaton : Merci d’être venus. Nicky Eaton, de l’Ontario.
Le sénateur Ravalia : Bonjour. Bienvenue. Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : Bonjour, et merci d’être ici. Josée Forest-Niesing, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, de l’Ontario.
[Français]
La présidente : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang). Si vous me le permettez, avant de céder la parole à nos témoins, j’aimerais préciser une chose.
[Traduction]
Il est toujours agréable de souligner le bon travail que fait notre comité et, si vous y avez prêté attention, vous vous souviendrez de l’étude intitulée Le rôle du gouvernement fédéral dans la création d’un fonds de financement social que nous avons faite au comité et vous serez heureux d’apprendre, si ce n’est déjà fait, que la somme de 700 millions de dollars a été annoncée dans le dernier budget pour un fonds de financement social.
Cette mesure témoigne du bon travail que fait notre comité et je tiens à souligner le travail de la sénatrice Omidvar, qui a eu l’idée de cette étude et l’a proposée. Commençons maintenant à entendre nos témoins. Nous sommes heureux de vous accueillir.
[Français]
Nous accueillons aujourd’hui, à titre personnel, la Dre Penny Ballem, ancienne présidente du Comité d’experts sur l’approvisionnement en produits d’immunoglobuline de Santé Canada et professeure de médecine clinique à l’Université de la Colombie-Britannique; d’Héma-Québec, le Dr Marc Germain, vice-président aux affaires médicales et à l’innovation; et, enfin, de la Société canadienne du sang, le Dr Graham D. Sher, chef de la direction.
[Traduction]
Merci d’être venus nous rencontrer. Je vous rappelle que vous disposez de sept minutes pour faire une déclaration préliminaire, qui sera suivie des questions des sénateurs.
[Français]
Dre Penny Ballem, ancienne présidente du Comité d’experts sur l’approvisionnement en produits d’immunoglobuline de Santé Canada, professeure de médecine clinique, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Madame la présidente et honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler de ce projet de loi. Je voudrais remercier mes éminents collègues, la vice-présidente, Francine Décary, et les deux conseillers spéciaux, le Dr Patrick Robert et le Dr Merlyn Sayers, de leur excellent travail et de leur contribution à notre rapport et dans ce dossier.
[Traduction]
Je suis hématologue clinicienne. J’ai grandi au Québec. J’ai reçu une formation en Colombie-Britannique et j’ai passé trois ans au Puget Sound Blood Center, où j’ai suivi une formation en médecine transfusionnelle après ma formation clinique au Canada.
Pendant six ans, j’ai été sous-ministre de la Santé de la Colombie-Britannique et, au cours de ces six années, de 2001 à 2006, j’ai été chargée de la liaison du Conseil fédéral-provincial-territorial des sous-ministres de la Santé pour le service transfusionnel. J’ai travaillé à l’époque avec le Dr Sher, qui venait d’arriver au poste de président de la Société canadienne du sang. Pendant près de sept ans, de 1985 à 1992, j’ai été Directrice médicale adjointe du Service transfusions sanguines de la Croix-Rouge canadienne, qui était responsable de la Colombie-Britannique et du Yukon.
Comme vous le savez bien, c’était une époque importante dans l’histoire de la médecine transfusionnelle, de sorte que mon travail durant ces années s’inscrivait dans le contexte plus vaste de la Commission Krever. Ce que je vous dirais, honorables sénateurs, c’est que l’ombre et la lumière de la Commission Krever ont été un facteur contextuel important dans les travaux de notre comité.
[Français]
Nos conclusions étaient fondées sur une vaste base de données probantes et sur les réflexions et les renseignements de nombreuses personnes représentant les groupes de patients, les professionnels de la santé, les décideurs, des fournisseurs de sang canadiens et internationaux et des fabricants et des organismes de collecte de plasma de partout dans le monde.
[Traduction]
Je pense que vous avez tous eu l’occasion de lire notre rapport, et j’ai pensé aborder quelques-unes des principales conclusions qui se rapportent au projet de loi que vous étudiez.
Comme je l’ai dit, la Commission Krever a été extrêmement importante. Elle a constitué un moment crucial pour ceux d’entre nous qui travaillent dans le domaine de la médecine transfusionnelle et du sang, de même que pour les patients qui dépendent de ces produits essentiels ainsi que leurs dispensateurs de soins et leurs familles.
Notre rapport portait principalement sur les immunoglobulines intraveineuses et d’autres immunoglobulines spécialisées, mais nous avons aussi mentionné bon nombre des produits dérivés du plasma qui font partie de la gamme des médicaments biologiques offerts aux patients au Canada. La demande pour ces produits continue d’augmenter et, pour les immunoglobulines seulement, elle augmente au rythme de 6 à 10 p. 100 par année au Canada. On observe aussi cette tendance dans le monde.
Au fil des ans, la Société canadienne du sang et Héma-Québec ont mis en place de nombreuses stratégies de pratiques exemplaires pour protéger notre approvisionnement et la question de l’autosuffisance est un sujet dont on discute au Canada depuis les années 1970, à l’époque où j’étais Directrice médicale adjointe du Service des transfusions de la Croix-Rouge canadienne en Colombie-Britannique et au Yukon, et que nous travaillions tous au pays à réaliser l’autosuffisance en plasma pour répondre à plusieurs des besoins dont on vous a parlé durant vos travaux.
Notre groupe d’experts, qui a rédigé le rapport, s’est longuement penché sur les schémas d’utilisation de ces produits et, en particulier, les immunoglobulines. Un certain nombre de témoins vous ont dit que le Canada utilise beaucoup les immunoglobulines et nous n’avons pas d’explication valable à ce sujet. Nous savons qu’avec des lignes directrices appropriées et une structure solide pour gérer l’utilisation, nous pourrions faire un pas vers l’autosuffisance en plasma sans recueillir davantage de plasma, car nous savons que nous pourrions réduire notre utilisation tout en continuant à assurer la sécurité des patients.
Ce n’est pas une chose facile à faire. Il faut beaucoup d’efforts, de structure et d’intérêt national pour faire ce travail. Je suis sûr qu’on en reparlera dans nos discussions par la suite.
Lorsque notre rapport est sorti, le Canada n’était en mesure de fournir qu’environ 17 p. 100 du plasma nécessaire à la fabrication des produits utilisés par les Canadiens.
La grande majorité de ces produits proviennent de plasma recueilli aux États-Unis.
Vous avez vu un certain nombre de ces chiffres. On estime que 74 p. 100 du plasma destiné au fractionnement, c’est-à-dire le plasma obtenu par plasmaphérèse, provenant de donneurs individuels, est recueilli aux États-Unis. Le reste est recueilli dans d’autres parties du monde.
Quatre-vingts pour cent du plasma destiné au fractionnement provient de donneurs rémunérés. Cette situation constitue une source de tension dans le dossier du plasma et des produits dérivés du plasma. Le problème tient au fait que ces produits sont nécessaires, mais que depuis des décennies, extrêmement peu de pays dans le monde ont réussi à répondre à leur propre demande en recourant à des pratiques exemplaires et à des dons de sang volontaires.
Il est extrêmement difficile d’atteindre l’autosuffisance. Néanmoins, je pense que mes collègues d’Héma-Québec et de la Société canadienne du sang diront qu’ils s’emploient, notamment dans le cadre d’activités planifiées, à aider le Canada à atteindre l’autosuffisance au moyen de dons volontaires de plasma, mais qu’il s’agit d’un défi de taille. Nous savons que cette approche coûte substantiellement plus cher.
Notre rapport révèle, à la suite de discussions avec la Société canadienne du sang et Héma-Québec de même qu’avec des fournisseurs de sang à l’échelle internationale, qu’il en coûte de deux à quatre fois plus cher pour obtenir un litre de plasma de donneurs volontaires. Nous pouvons nous pencher sur les nombreuses raisons qui expliquent cette situation.
Il importe également de se rappeler — comme vous le savez et l’avez entendu — qu’il y a au Canada des entreprises qui rémunèrent les donneurs de sang. La société Prometic établie à Winnipeg et créée par le Dr John Bowman était à l’origine une entreprise à but non lucratif. Elle recueille depuis longtemps — les années 1960 — des dons de sang de personnes ayant des anticorps particuliers, pour fabriquer du plasma spécialisé. Après de nombreux changements internes, cette société évolue maintenant dans le secteur privé. Elle fait appel à des donneurs rémunérés depuis de nombreuses années. J’imagine que vous savez déjà que le juge Krever a reconnu la contribution de l’entreprise et a estimé que ses activités sont sécuritaires et ne présentent aucune irrégularité.
À la lumière de certains témoignages présentés au comité, des préoccupations demeurent au sujet de l’innocuité à long terme du plasma provenant de sang de donneurs rémunérés. Par surcroît, il ne fait absolument aucun doute que tout le monde avait des préoccupations à cause de la crise liée à la contamination des réserves de sang au Canada, lorsque le juge Krever a rédigé son rapport. Les questions ont fusé de toutes parts, notamment du gouvernement, des centres de prélèvement de sang à but non lucratif et de la Croix-Rouge. Certains enjeux étaient liés au secteur privé. Néanmoins, il était impossible d’attribuer l’origine de la crise à un secteur en particulier. En fait, la crise était attribuable à une prise de décision trop lente et peu judicieuse et à la réticence à mettre en pratique en temps opportun les meilleurs résultats et pratiques des fournisseurs de sang. Comme j’ai vécu cette crise et que mon travail, comme celui de bien d’autres, a été examiné à la loupe à la télévision tous les soirs pendant quelques années, j’ai vraiment pris conscience de l’importance cruciale de la gouvernance, des politiques publiques et des responsabilités des représentants élus et de ceux d’entre nous qui briguent les suffrages, ainsi que des responsabilités de gouvernance des fournisseurs de sang. Je dirais que les choses ont considérablement changé depuis que le juge Krever a présenté son rapport.
Au cours des 25 dernières années à l’échelle mondiale, aucune infection transmise par des produits dérivés du plasma n’a été documentée. Il faut également noter une amélioration substantielle de la réglementation et des procédures d’exploitation normalisées des fournisseurs de sang au Canada et dans le monde ainsi que des programmes de contrôle de la qualité dans l’industrie elle-même, qui fractionne et recueille la plus grande partie du sang. Les activités de désactivation séquentielle dans la préparation des produits dérivés n’existaient pas à l’époque de la crise dans ce secteur. Le contexte actuel diffère totalement. Par conséquent, j’estime que s’il ne faut jamais oublier la Commission Krever, il faut également reconnaître que des progrès considérables ont été réalisés.
Pour ceux d’entre nous qui évoluent dans cette industrie, la rémunération des donneurs est maintenant une question non pertinente parce que cette formule permet de constituer les réserves de plasma dont nous avons besoin.
Comme vous pourrez le constater à la lecture de notre rapport, nous avons documenté le fait que la nature —
La présidente : Je vous demanderais de conclure, car nous avons besoin de plus de temps pour les questions.
Dre Ballem : Je conclus en disant qu’il s’agit d’une question complexe. Il est très important que le Canada en arrive à l’autosuffisance, mais la tâche ne sera pas facile et exigera beaucoup de travail. Nos collègues diront que la mesure législative risque de propager certains mythes au sujet du plasma. Pour ma part, j’estime qu’elle offre au Canada l’occasion d’envisager une approche législative et réglementaire plus complète en ce qui concerne l’autosuffisance en matière de plasma. Je m’arrête ici.
La présidente : Merci. Vous aurez certainement l’occasion de fournir plus de détails lors de la période réservée aux questions et observations.
[Français]
Dr Marc Germain, vice-président aux affaires médicales et à l’innovation, Héma-Québec : Honorables sénateurs, merci beaucoup de me donner l’occasion de vous faire part de certaines réflexions et commentaires au nom d’Héma-Québec, qui est l’organisation que je représente, au sujet du projet de loi dont nous discutons. J'aimerais aussi profiter de l’occasion pour vous expliquer la stratégie d’Héma-Québec sur l’enjeu que la Dre Ballem vient d’exposer de brillante façon, qui est celui de la suffisance en plasma destiné à la préparation de produits thérapeutiques.
Tout d’abord, en ce qui concerne le projet de loi lui-même, je voudrais expliquer brièvement que, au Québec, le prélèvement du sang et du plasma est sous la responsabilité exclusive de Héma-Québec. Ces activités sont faites dans le respect des lois et des règlements qui s’appliquent sur notre territoire, et en particulier le Code civil, dont l’article 25 stipule que l’aliénation que fait une personne d’une partie ou de produit de son corps doit être gratuite.
En d’autres termes, au Québec, à l’heure actuelle, il n’est pas possible de prélever des dons de sang ou de plasma contre rémunération, de sorte que l’adoption du projet de loi n’aurait, dans l’immédiat, aucun impact sur la situation au Québec en ce qui concerne le prélèvement de produits sanguins. La Dre Ballem vous l’a bien expliqué, et je ne veux pas aller dans les détails, mais je répète que je pense qu’il est important de se rappeler que le plasma est prélevé pour produire certaines protéines thérapeutiques, y compris l’immunoglobuline. C’est au cœur de nos discussions aujourd’hui. Ces protéines sont dérivées de plasma humain. Elles sont essentielles pour préserver la santé des patients et, dans certains cas, c’est même une question de survie. Les patients ont besoin de ces produits pour vivre une vie normale et espérer survivre à leur maladie.
Héma-Québec, en plus de fournir les produits sanguins labiles aux hôpitaux, c’est-à-dire les culots, les plaquettes et le plasma de transfusion, a aussi la responsabilité d’approvisionner la province en produits dérivés du plasma, ce qu’on appelle aussi les produits stables.
Tout le plasma qu’on obtient gratuitement chez les donneurs du Québec est utilisé pour la préparation de ces produits lorsqu’il n’est pas transfusé au chevet du malade. Tous les produits qui sont dérivés du plasma prélevé chez les donneurs du Québec sont transfusés et mis à la disposition des patients du Québec.
Il y a déjà plusieurs années, notre entreprise a entrepris un ambitieux programme pour augmenter la quantité de plasma prélevé chez ses donneurs volontaires. À titre d’illustration, entre 2013 et 2017, le succès du programme a été tel qu’on a pu doubler la quantité de plasma prélevé au Québec, pour passer de 50 000 à 100 000 litres par année.
Cela a été rendu possible par des investissements importants en termes de mise en place de centres de prélèvement dans plusieurs régions de la province et par l’augmentation de ce type de prélèvement dans les centres déjà existants. Pourquoi avons-nous fait de tels efforts? Vous l’avez entendu de la part de la Dre Ballem, à l’échelle du Canada, les besoins en immunoglobuline — et c’est vrai pour le Québec aussi — sont largement supérieurs à notre capacité de fournir ces produits à partir de plasma prélevé chez des donneurs canadiens.
Donc, une proportion importante des produits est obtenue de donneurs qui proviennent des États-Unis et qui sont rémunérés. Cette grande dépendance au marché américain pour le plasma destiné au fractionnement représente un risque pour la sécurité des patients et l’approvisionnement. Je pense que tous conviennent qu’il faut viser à réduire cette dépendance et, dans le rapport mentionné par la Dre Ballem, on recommande notamment d’aller dans ce sens. Selon le rapport, et cela revient à ce qu’on mentionnait tout à l'heure, les patients qui reçoivent les immunoglobulines, on peut les départager en deux groupes, ceux dont la vie dépend littéralement de ces produits et ceux pour qui la maladie peut être traitée grâce à l’utilisation de ces produits, mais pour qui il existe d’autres solutions thérapeutiques. C’est un point important à préciser.
En se basant sur ces mêmes considérations, Héma-Québec s’est fixé pour objectif d’assurer un approvisionnement en plasma prélevé au Québec pour permettre de couvrir les besoins des patients dont la survie dépend de ces produits, c’est-à-dire les patients qui sont atteints de conditions qu’on appelle des immunodéficiences primaires ou secondaires. Cela correspond à environ 30 p. 100 de la demande globale en immunoglobuline sur le territoire du Québec et du Canada.
Avec les efforts que nous avons déployés au cours des dernières années, l’augmentation des prélèvements de plasma chez les donneurs québécois nous a permis de rehausser notre niveau d’autosuffisance. Il y a quelques années à peine, nous étions autour de 15 p. 100 et, dans un passé plus lointain, autour de 12 p. 100. Nous en sommes maintenant à 21 p. 100 et nous sommes donc sur bonne voie d’atteindre l’objectif de 30 p. 100.
Je passe rapidement sur le point suivant, parce que la Dre Ballem l’a bien expliqué. Vous comprendrez que, à 30 p. 100, nous resterons quand même très dépendants des produits obtenus de plasma prélevé chez des donneurs rémunérés, principalement des donneurs américains. Encore une fois, je pense qu’on l’a très bien expliqué, et nous souscrivons tout à fait à cette interprétation des données scientifiques.
Les produits dérivés de plasma de donneurs rémunérés sont tout aussi sécuritaires que les produits obtenus de donneurs volontaires. Cet argument de sécurité ne devrait pas constituer un argument pour justifier le projet de loi dont nous discutons actuellement.
En passant, dans le libellé actuel du projet de loi, on mentionne l’exception qui s’appliquerait au centre de phénotypes rares. Nous vous soumettons respectueusement que l’énoncé manque de précision et qu’il pourrait être sujet à interprétation. Par exemple, on pourrait dire que les globules rouges de type O- sont rares, et c’est vrai. Seulement 7 p. 100 de la population a le groupe sanguin O-, et il y a un besoin important pour ce sang. Est-ce que le projet viserait à faire exception de ce type de situation? Nous ne le pensons pas. Le libellé mériterait peut-être des précisions à cet égard.
En terminant, il est clair que le don de sang non rémunéré représente un objectif noble et louable auquel notre organisation souscrit pleinement. Les efforts devraient se poursuivre en vue d’augmenter notre niveau d’autosuffisance en plasma prélevé chez les donneurs canadiens, et ce, idéalement, sans rémunération. L’expérience de Héma-Québec au cours des dernières années démontre que de tels efforts peuvent porter leurs fruits.
Par ailleurs, d’un point de vue pragmatique, il n’est pas inconcevable que, dans un avenir plus ou moins proche, l’atteinte d’un plus haut niveau d’autosuffisance au-delà de la cible de 30 p. 100 devienne souhaitable et peut-être même nécessaire. Cela pourrait se produire, par exemple, en cas de pénurie importante à l’échelle mondiale. Il y a déjà eu de telles situations par le passé. Il n’y a pas de preuve d’une telle pénurie à l’heure actuelle, mais, comme l’a dit la Dre Ballem, il y a une augmentation constante de la demande à l’échelle mondiale et rien n’indique que cette hausse va s’atténuer dans un avenir proche. Si on veut aller au-delà du 30 p. 100 visé à l’heure actuelle, il faudra peut-être mettre en place d’autres mesures incitatives pour convaincre les donneurs potentiels de donner du plasma.
Je cite encore une fois le rapport de la Dre Ballem, qui mentionne, et je cite :
[...] les seules administrations qui ont atteint l’autosuffisance à 100 % pour la collecte du plasma sont celles qui ont autorisé la rémunération des donneurs de plasma.
Dans un tel contexte, une discussion sur la question de la rémunération des donneurs de plasma nous apparaît tout à fait pertinente et liée aux efforts réalisés à travers le Canada pour atteindre l’autosuffisance en plasma destiné au fractionnement.
Je vous remercie. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
[Traduction]
Dr Graham D. Sher, chef de la direction, Société canadienne du sang : Madame la présidente et honorables sénateurs, je vous remercie. Je suis ravi d’avoir accepté l’invitation du Comité qui examine l’importante question de la rémunération des donneurs, considérée comme un enjeu de politique publique. À l’instar de mes collègues, je suis reconnaissant d’avoir l’occasion d’exprimer mon point de vue sur le risque mondial lié à l’autosuffisance en plasma et de faire part des mesures que prend la Société canadienne du sang, organisation que je dirige, pour faire face à ce risque.
Nous avons adopté une stratégie de croissance progressive et rentable axée sur un modèle de dons volontaires non rémunérés pour l’obtention au Canada de plasma destiné au fractionnement. Ce modèle correspond à celui proposé dans la mesure législative que le comité examine actuellement et dans des mesures similaires présentées en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique. Nous sommes reconnaissants que le projet de loi prévoie des exemptions qui permettent à la Société canadienne du sang d’agir comme protecteur des réserves de sang au Canada et, à ce titre, de surveiller les réserves de plasma et de réagir en cas de risque de pénurie.
La Société canadienne du sang a été créée en 1998 dans le cadre d’un protocole d’entente entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, dans la foulée de la Commission d’enquête Krever sur la crise du sang contaminé. À titre d’organisme de régie au Canada, à l’exclusion du Québec, la Société canadienne du sang est un fournisseur de produits et de services de santé qui rend des comptes aux ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé pour assurer l’innocuité et la sécurité des réserves de sang et des produits sanguins, y compris le plasma.
En concluant l’entente qui a entraîné la fondation de la Société canadienne du sang, les ministres ont adopté les principes suivants pour régir le système d’approvisionnement en sang : la sécurité du système d’approvisionnement en sang doit être primordiale; le principe de don volontaire doit être maintenu et protégé; l’autosuffisance nationale en matière de collecte de sang et de plasma doit être encouragée; la suffisance et l’innocuité de l’approvisionnement en sang, en plaquettes et en plasma nécessaires aux Canadiens doivent être assurées; et un système national d’approvisionnement en sang doit être maintenu.
En outre, les ministres ont décidé que, au titre de cet accord, la Régie nationale du sang serait responsable de la gestion de tous les aspects du système : le recrutement des donneurs, la collecte de sang total et de plasma, les analyses, le stockage, la distribution et la gestion des stocks de façon pleinement intégrée.
Pour ce qui est du plasma, nous le recueillons auprès de donneurs volontaires et non rémunérés au Canada à deux fins : pour répondre aux besoins transfusionnels des patients dans les hôpitaux et pour acheminer le plasma à des fractionneurs, qui le transforment ensuite en thérapies biologiques appelées protéines plasmatiques.
Aujourd’hui, ce projet de loi et vos délibérations portent sur un type de produit plasmatique, à savoir l’immunoglobuline, ou Ig, et sur le concept de suffisance en plasma pour garantir qu’il y ait suffisamment d’Ig pour les patients.
La suffisance correspond au pourcentage des besoins du Canada en Ig qui sont comblés par la quantité de plasma qu’on arrive à recueillir au pays. La Société canadienne du sang a la responsabilité d’assurer un niveau de suffisance approprié pour répondre aux besoins des patients qu’elle sert. Le point le plus important pour aujourd’hui et pour le débat que vous tenez est le suivant : où en est cette suffisance? Elle diminue. À l’heure actuelle, au Canada, en excluant le Québec, la suffisance est de 14 p. 100. Cela signifie que, pour répondre à 86 p. 100 des besoins en Ig des patients canadiens, il faut acheter des produits d’immunoglobuline sur le marché mondial.
Soyons clairs : nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. Des pays du monde entier achètent ces produits sur le marché commercial afin d’assurer aux patients un accès aux médicaments pouvant leur sauver la vie.
Nous savons que nous devons recueillir davantage de plasma. Le niveau de suffisance actuel dépasse les limites de notre tolérance au risque.
C’est pourquoi, depuis cinq ans, nous informons les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux des nouveaux risques qui menacent la sécurité mondiale de l’approvisionnement. Comme vous venez de l’entendre, la réaction de Santé Canada a été de créer, en 2017, un groupe d’experts présidé par la Dre Ballem. Nous avons collaboré avec le groupe d’experts en lui fournissant de nombreux documents et en discutant des questions à l’étude. Nous avons déterminé que certaines des conclusions du groupe d’experts, notamment les principales — que le Canada doit recueillir davantage de plasma, réduire sa dépendance à l’égard des États-Unis et prendre des mesures pour atténuer le risque de pénurie d’Ig —, correspondaient aux données que nous avions analysées.
Nous avons constaté que plusieurs des conclusions du groupe d’experts étaient problématiques ou incomplètes et qu’elles ne reflétaient pas entièrement les données disponibles. Les conclusions du rapport qui ne correspondaient pas aux renseignements dont nous disposions sont notamment les suivantes : aucune urgence d’agir en dépit du long délai pour ce faire; aucune donnée montrant que le marché américain du plasma est sur le point d’atteindre sa capacité ou le point de saturation; qu’une meilleure utilisation de l’Ig peut régler efficacement les problèmes de suffisance; et aucune préoccupation concernant le phénomène de l’éviction.
Toutefois, nous pouvons tous convenir que la situation évolue, étant donné que de nouveaux renseignements nous proviennent des forums mondiaux en ce moment même. À l’échelle internationale, on craint constamment que le marché commercial américain du plasma risque d’atteindre sa capacité. Même les plus grandes entreprises commerciales de collecte aux États-Unis exhortent tous les pays à recueillir davantage de plasma.
Lors du Symposium international sur la gestion de l’approvisionnement en plasma de janvier 2019 de la Direction européenne de la qualité du médicament et des soins de santé, des pays ont parlé du risque croissant de dépendance au marché américain du plasma — ce qui a été confirmé à nouveau, cette semaine, à Amsterdam, lors du Congrès international des protéines plasmatiques. De nombreux pays font état de tensions et d’instabilité entourant l’approvisionnement ou d’un approvisionnement insuffisant par moments pour répondre à leurs besoins, notamment le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas, la Roumanie, Chypre, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Pologne et la Lituanie.
Par conséquent, la question n’est pas de savoir s’il y aura une pénurie de produits, mais bien quand elle aura lieu. La question n’est pas de savoir si le prix courant augmentera, mais bien de combien il augmentera. Il faut agir maintenant pour protéger l’approvisionnement essentiel pour les patients canadiens.
Alors, que faisons-nous à ce sujet? Nous avons maximisé la quantité de plasma que nous recueillons au sein de l’infrastructure actuelle et nous mettons en œuvre un programme spécial de collecte de plasma-aphérèse destiné au fractionnement en ouvrant d’abord trois centres de collecte de plasma à compter de l’exercice 2019-2020.
Depuis que nous avons cerné le risque, nos plans ont évolué considérablement. Nous avons beaucoup appris de l’expertise de l’industrie internationale de la collecte de plasma et d’organismes partenaires en Australie, au Québec et aux Pays-Bas. Comme l’a mentionné la Dre Ballem, conscients de la complexité de la situation, nous mettons en place un modèle de collecte de plasma-aphérèse destiné au fractionnement qui exploite le meilleur des deux mondes. Il s’appuiera sur notre propre expérience de recrutement de donneurs non rémunérés et sur celle d’autres organismes, et il tirera parti de l’expertise du secteur performant de la collecte de plasma à grande échelle. Cette mesure permettra à nos activités d’être rentables, efficientes et à proximité du marché commercial du plasma, d’assurer une sécurité d’approvisionnement équilibrée et de diviser les risques en atteignant un niveau de suffisance de 50 p. 100 pour le Canada.
Enfin, je tiens à parler de la collecte de plasma à des fins commerciales au Canada. Nous avons toujours soutenu que, au Canada, une ou deux petites entreprises de collecte peuvent sans doute coexister avec le Système national d’approvisionnement en sang. C’est l’émergence de grandes entreprises commerciales de collecte de plasma à but lucratif qui constitue et qui demeure une préoccupation. Tant la Société canadienne du sang que les dirigeants du système de santé doivent examiner soigneusement et de façon responsable les conséquences et les répercussions de cette situation. Je pense notamment aux discussions sur la capacité du système d’approvisionnement en sang sans but lucratif d’atteindre ses objectifs de collecte dans le contexte de l’expansion rapide de l’industrie à but lucratif des dons de plasma rémunérés. Particulièrement pour le Canada, le fait de céder le contrôle des dons de plasma à des entreprises commerciales à but lucratif ne dissipe pas les inquiétudes liées à la sécurité de l’approvisionnement au pays.
La plupart des organismes de collecte de plasma dans le monde sont intégrés verticalement à l’industrie du fractionnement. Ils font partie d’une chaîne d’approvisionnement mondiale et n’assurent pas la sécurité d’approvisionnement de leur pays. Même si un organisme commercial de collecte signe un contrat avec la Société canadienne du sang, à la fin de celui-ci, il pourrait réacheminer le plasma qu’il a recueilli à d’autres acheteurs. Ils ne sont pas tenus de conserver au Canada le plasma recueilli auprès de donneurs canadiens et ils n’ont aucun compte à rendre aux gouvernements, aux systèmes de santé et aux patients, comme nous, au titre du mandat qu’on nous a confié.
Il s’agit du système expressément conçu par les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé, qui, je le répète, ont insisté sur la nécessité de maintenir un système national d’approvisionnement en sang et sur le fait que la Régie nationale du sang est responsable de la gestion de tous les aspects de ce système de façon pleinement intégrée. Cela comprend une approche fondée sur les systèmes pour déterminer quand, où et comment il faut prélever du sang et du plasma afin de répondre aux besoins actuels et futurs des patients canadiens d’une façon qui n’a aucune incidence sur les programmes et qui ne leur nuit pas.
Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Commençons par les questions de la vice-présidente.
La sénatrice Seidman : Je remercie tous les témoins de leur présence aujourd’hui et de leur précieuse contribution à l’étude de ce projet de loi. J’aimerais commencer par vous, docteur Germain, car je pense que votre déclaration a dissipé certains mythes. Même si d’autres témoins en ont déjà parlé auparavant, je crois qu’il est important de tenir compte de vos propos qui corroborent des témoignages entendus précédemment. En effet, vous avez dit que les dérivés provenant de donneurs rémunérés sont tout aussi sûrs que ceux provenant de donneurs volontaires. Vous avez dit que ce n’est pas une question de sûreté, mais qu’il s’agit plutôt de se prémunir contre les risques de pénurie ou d’insuffisance. Vous avez peut-être fait écho à ces propos, docteur Sher.
Dr Sher : Je suis tout à fait d’accord.
La sénatrice Seidman : Il faut que ce soit bien établi. Des témoins ont parlé de problème de sûreté et ont dit que les systèmes de collecte de sang contre rémunération ne sont pas sûrs. Selon eux, ce modèle présente un plus grand risque de propagation des pathogènes et des infections au sein de la population. Je crois qu’il faut parler très clairement des problèmes de sûreté. Je suis heureuse que les faits soient corroborés de nouveau.
Docteur Germain, nous savons que le Québec a appuyé le projet de Green Cross d’établir une usine de fractionnement du sang qui ouvrira ses portes en 2020. Si j’ai bien compris, l’usine va fournir et exporter des dérivés du plasma sur les marchés nationaux et internationaux, y compris aux États-Unis et en Chine, tout en établissant une source d’approvisionnement pour la clientèle locale. Étant donné que le Québec interdit la rémunération des donneurs de plasma, je crois que cette usine importera du plasma des États-Unis. Héma-Québec a accepté d’acheter des produits d’immunoglobuline fabriqués par cette usine.
Si nous ne pouvons pas justifier la rémunération des dons de plasma ici même, au Canada et au Québec, comment peut-on continuer d’acheter du plasma aux États-Unis, où les donneurs sont rémunérés? Vous avez entendu des gens soulever l’argument de l’hypocrisie de cette façon. Si vous pouviez nous éclairer à ce sujet, j’en serais ravie.
[Français]
Dr Germain : D’un point de vue strictement légal, le Code civil du Québec nous interdit, en tant qu’agence qui a l’exclusivité pour collecter le plasma et le sang, de rémunérer les donneurs au Québec. En revanche, la loi n’interdit pas qu’on achète des produits obtenus ou fabriqués ailleurs qu’au Québec, avec du plasma obtenu de donneurs rémunérés. Donc, d’un point de vue strictement légal, il n’y a pas de contradiction. J’accepte tout à fait votre énoncé quant au fait qu’il y a peut-être un « double standard » relativement aux règles que l’on se donne pour combler les besoins des patients du Québec.
Je reviens à l’argument de base, qui est celui de la sécurité; les produits sont également sécuritaires et efficaces. Donc, ce n’est pas un enjeu pour les patients qui en bénéficient. En revanche, cela soulève la question, comme vous le faites observer, du « double standard » quant aux règles qu’on désire appliquer pour la collecte de sang et de plasma.
Idéalement, je l’ai dit dans mon exposé, je pense que nous souhaiterions tous que 100 p. 100 des produits sanguins et du plasma soient prélevés gratuitement. De façon purement pragmatique, ce n’est pas possible à l’heure actuelle, et cela risque de ne pas être possible pour encore plusieurs années à l’échelle mondiale. Ce n’est pas seulement un problème québécois ou canadien. Je crois que c’est une réalité avec laquelle il faut composer.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Si vous me le permettez, docteur Sher, j’aurais une autre question à laquelle vous pourriez également répondre.
Le chef de la direction de Canadian Plasma Resources nous a dit ceci :
On a beaucoup parlé du fait que notre plasma ne profitait pas aux patients canadiens. Notre premier choix est d’approvisionner les patients canadiens. Nous sommes une entreprise canadienne, et les besoins les plus importants sont ici. Nous avons fait de nombreuses offres tant à la Société canadienne du sang qu’à Héma-Québec pour leur fournir notre plasma destiné au fractionnement à une fraction de ce qu’il leur en coûte pour en prélever eux-mêmes, mais ces offres ont été refusées.
Qu’est-ce qui explique cela? Comment expliqueriez-vous cette situation?
Dr Sher : Merci, sénatrice. J’ai fourni une partie de l’explication dans ma déclaration. Confier le contrôle de la collecte de plasma à une société commerciale à but lucratif qui est libre de vendre son plasma n’importe où dans le monde n’est pas une façon d’assurer l’approvisionnement à long terme. L’approvisionnement ne durera que le temps d’un contrat. Lors de nos discussions avec Canadian Plasma Resources, nous n’avons pas vu d'avantages à acheter le plasma de l’entreprise pour assurer l’approvisionnement national. Ce n’est pas un jugement sur l’innocuité. Cette entreprise est assujettie à la réglementation établie par Santé Canada.
Selon nous, le problème est de faire augmenter la base de donneurs selon le modèle des dons non rémunérés. C’est un modèle qui respecte les principes et le mandat de la Société canadienne du sang. Nous n’achetons pas de plasma sur le marché des dons rémunérés. Nous achetons des produits finis, ce qui nous ramène à votre question au Dr Germain, à laquelle je peux également répondre en fournissant un autre point de vue.
À notre avis, il s’agit d’assurer l’approvisionnement à long terme. Canadian Plasma Resources, qui a des stocks limités dans des marchés très restreints, ne peut garantir l’approvisionnement national. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas acheter son plasma.
La sénatrice Seidman : J’aimerais que vous répondiez également à mon autre question.
Dr Sher : Je trouve que vous avez posé une question très importante sur l’argument de l’hypocrisie. J’irais encore plus loin que le Dr Germain en disant qu’il n’y a pas deux poids, deux mesures. Nous ne voyons même pas la situation de cette façon. Si nous sommes tous d’accord — comme vous l’avez reconnu vous-même — pour dire que le problème concernant le plasma n’est pas une question d’innocuité, alors on ne pose aucun jugement indiquant qu’une gamme de produits serait plus sûre qu’une autre. Ce que nous voulons, c’est répartir les risques sur le marché. Nous croyons que la meilleure façon de le faire est de se procurer une partie des matières premières à l’échelle nationale et une partie des produits finis à l’étranger. Comme la Dre Ballem l’a souligné, ce qui nous pose problème, ce n’est pas le fait que les produits finis de l’étranger proviennent de donneurs rémunérés. Ce que nous ne voulons pas — car nous considérons que c’est une stratégie risquée —, c’est que le pays vise l’autosuffisance complète. Premièrement, nous ne pensons pas pouvoir y parvenir selon le modèle des dons non rémunérés. Deuxièmement, le Royaume-Uni a déjà adopté cette approche, mais lorsque la maladie de la vache folle — la vMCJ — a frappé, il ne pouvait plus utiliser son plasma.
Selon nous, l’approche n’a rien d’hypocrite. C’est une stratégie judicieuse de répartition des risques. Nous allons prélever suffisamment de plasma au pays pour répondre aux besoins des patients canadiens — notre estimation se situe davantage aux alentours de 50 p. 100, mais les données ne sont pas tout à fait précises — et acheter les autres produits sur le marché commercial. Nous allons ainsi atténuer les risques, et nous n’y voyons aucune hypocrisie.
Le sénateur Ravalia : Ma première question s’adresse à la Dre Ballem. Vous avez parlé notamment de l’utilisation appropriée des dérivés du plasma, de la possibilité que ces produits soient surutilisés au Canada et de l’importance d’adopter des lignes directrices fondées sur les données probantes. Savez-vous s’il existe des données probantes de sources étrangères qui tendent à indiquer des façons plus prudentes d’utiliser ces produits? Pourrions-nous intégrer ces pratiques à la médecine canadienne?
Dre Ballem : Merci de votre question, sénateur. Le groupe s’est beaucoup penché sur la question de l'utilisation. Le Canada affiche le plus haut taux d’utilisation de gammaglobuline intraveineuse par habitant, derrière les États-Unis, et il en utilise beaucoup plus que bien d’autres pays du G8.
Il existe nombre de programmes de gestion de l’utilisation au pays. Au Canada, le problème est l’absence de lignes directrices nationales. Chaque province a ses propres lignes directrices. Nous savons également que la mise en œuvre et l’application de ces lignes directrices sont très difficiles à gérer.
Lorsque nous avons discuté avec les spécialistes de la médecine transfusionnelle, qui sont essentiellement ceux qui sont chargés de gérer l’utilisation, ils ont dit qu’il leur est extrêmement difficile de composer avec leurs collègues de la neurologie, de la rhumatologie, de la médecine interne et de la pédiatrie, qui ont tous des avis différents sur la question.
L’approche la plus rigoureuse est celle du Royaume-Uni, et elle découle des événements dont le Dr Sher a parlé. Ce pays a connu une grave crise d’approvisionnement lorsqu’il a été frappé par une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il a créé un modèle rigoureux et un comité d’appel. Il s’est aussi doté d’un très bon mécanisme pour que l’utilisation suive les lignes directrices nationales, qui sont fondées sur des données probantes, et il y a des possibilités d’appel dans certaines circonstances particulières.
Un tel programme pourrait être mis en place au Canada. Ce serait certainement possible. Comme les provinces et les territoires ont tous leur propre système de soins de santé, il est rare qu’ils travaillent ensemble à l’élaboration d’un programme national. Nous avons deux organismes responsables du sang, et je suis convaincue que nous pouvons améliorer notre utilisation.
Je dirais, en me fondant sur les observations du Dr Sher, qu’à mon avis, le groupe d’experts n’a jamais pensé que la gestion de l’utilisation suffirait à régler le problème. Ce n’est pas du tout le cas. Cependant, elle contribuera grandement à la solution. L’atteinte de l’autosuffisance nécessite une stratégie à plusieurs volets. Il faut augmenter la collecte de plasma et employer les produits de manière plus judicieuse. Aussi, de petites entreprises canadiennes travaillent sur des techniques de fabrication de produits biologiques beaucoup plus productives que les techniques traditionnelles de fractionnement. Elles peuvent accroître la productivité et la production de chaque unité de plasma par 20 p. 100, ce qui aura aussi une incidence. Le groupe d’experts croyait qu’une stratégie à plusieurs volets était nécessaire. Il s’agit d’un dossier complexe et il n’existe pas de solution miracle; il faut examiner toutes les différentes possibilités, pour chacun des échelons relatifs à la production de plasma.
Le sénateur Ravalia : Docteur Sher, vous avez fait allusion à plusieurs reprises au problème concernant la durabilité à long terme de l’approvisionnement et à la possibilité que nous devenions dépendants des États-Unis sur le plan de l’approvisionnement. Nous pourrions être retenus en otage, en quelque sorte.
L’adoption d’un modèle de rémunération pour la collecte de plasma au Canada ne pourrait-elle pas contribuer, dans une certaine mesure, à assurer l’approvisionnement au pays?
Dr Sher : D’après moi, monsieur le sénateur, là n’est pas la question fondamentale. Vous avez raison lorsque vous dites que nous avons exprimé des préoccupations par rapport à la possibilité que le marché américain finisse par atteindre un point de saturation. Nous ne sommes pas les seuls à le craindre. Aujourd’hui, l’industrie américaine du plasma elle-même se dit préoccupée et elle recommande à tous les pays d’augmenter leur collecte de plasma.
En augmentant la collecte dans l’ensemble des pays, on réduit le risque qu’il y ait un manque de plasma à l’échelle mondiale, plasma nécessaire à la production d’immunoglobulines. Nous devons tous en faire plus. Or, la question est : le Canada peut-il en faire plus en employant un modèle de dons non rémunérés ou doit-il absolument adopter un modèle de dons contre rémunération? Vous avez écouté le témoignage du Dr Germain. Sa société déploie des efforts depuis plusieurs années, et ses efforts ont été couronnés de succès : elle est passée de 15 à 21 p. 100 sans rémunérer les donneurs. L’Australie, qui utilise aussi un modèle de dons non rémunérés, a atteint un taux d’autosuffisance de 55 p. 100; sa cible est de 70 p. 100. Nous nous sommes fixé un objectif très ambitieux et nous en sommes très loin, mais nous n’avons pas l’intention de rémunérer les donneurs. Réussirons-nous à atteindre notre objectif sans adopter un modèle de rémunération des donneurs? Comme le Dr Germain l’a dit, nous devrons continuer à évaluer la situation à mesure que nous progressons.
Nous devons augmenter la collecte de plasma au pays. Nous avons de l’expérience dans le recrutement de donneurs non rémunérés. Nous tirons parti de l’expertise de l’industrie du plasma pour comprendre comment elle mène ses activités de manière efficace, mais nous n’avons pas besoin d’imiter sa stratégie de recrutement de donneurs, qui est une stratégie de rémunération.
Je pense que vous avez raison. Tous les pays, y compris le Canada, doivent augmenter leur collecte de plasma afin d’atténuer les préoccupations à l’échelle mondiale. Nous croyons pouvoir y arriver en employant un modèle de dons non rémunérés, du moins au départ, et c’est notre objectif. Nous pouvons suivre l’exemple du Québec, de l’Australie et d’autres qui sont plus avancés que nous. Nous sommes convaincus que nous pouvons atteindre notre objectif.
La sénatrice Eaton : Pour poursuivre dans la même veine que le sénateur Ravalia, docteure Ballem, il existe différents types de rémunération. Plusieurs pays qui prétendent avoir un système volontaire offrent des mesures incitatives très généreuses, par exemple, un congé d’un jour ou deux.
Comment définiriez-vous la rémunération? Qu’en est-il des mesures incitatives, comme un congé d’un jour ou deux, ou encore une carte Visa? Le donneur ne reçoit pas d’argent pour son litre de sang, mais on s’assure que son employeur s’inquiète de sa santé et lui accorde un ou deux jours de congé.
Si nous voulons procéder de la manière proposée par le Dr Sher, c’est-à-dire n’offrir aucune rémunération, nous devons veiller à ce qu’aucun congé ne soit offert, aucune carte Visa, aucune récompense. Le donneur doit agir de manière strictement volontaire.
Pouvez-vous réagir à cela? Par ailleurs, le groupe d’experts a constaté que les systèmes volontaires coûtent deux à quatre fois plus cher que les systèmes commerciaux. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi? Compte tenu du besoin élevé de fonds dans le domaine des soins de santé, est-ce une bonne façon d’utiliser nos ressources? Je suis désolée, je ne veux pas vous accabler de questions.
Dre Ballem : Merci beaucoup pour vos questions, madame la sénatrice. La question de la rémunération, de la compensation et des mesures incitatives est complexe. Je pense que le groupe d’experts a été surpris de constater que même dans les pays du Conseil européen, où des lois en vigueur interdisent de rémunérer les donneurs, les donneurs reçoivent une compensation. Dans certains pays, il y a aussi des dispositions législatives qui permettent d’offrir aux donneurs une certaine somme pour les dédommager de leur temps et de leurs efforts. En fait, comme vous l’avez dit, il existe toute une gamme de mesures compensatoires. On offre, par exemple, un jour ou deux de congé, dans le secteur public ou privé; une somme fixée, qui varie habituellement entre 30 et 50 euros; ou encore, des cartes-cadeaux. Je pense qu’on peut dire que la majorité des donneurs de sang aiment recevoir une boisson lorsqu’ils viennent faire un don.
Ainsi, comme nous l’avons souligné dans notre rapport, il est indubitable que les critères de ce qui constitue un donneur volontaire changent. Au moment où nous tenions nos discussions, le système national d’approvisionnement en sang des Pays-Bas, qui vise depuis longtemps un régime volontaire, envisageait de devoir mettre en place de nouvelles mesures incitatives pour attirer non seulement des donneurs de plasma, mais aussi des donneurs de sang.
Le monde change. Les générations se succèdent, et je suis ravie que le Dr Sher soit convaincu qu’il atteindra son objectif d’un taux d’autosuffisance de 50 p. 100.
D’après le groupe d’experts, les expériences vécues ailleurs dans le monde montrent que ce sera très difficile pour le Canada de réussir. Le Canada parle de l’autosuffisance et se fixe des objectifs à cet égard depuis les années 1970. Notre rapport contient les différents engagements pris par la SCS et Héma-Québec, qui ont dû être révisés même au cours des 20 dernières années.
C’est très difficile, et les données montrent clairement qu’on peut augmenter la collecte en offrant une certaine compensation.
Je pense qu’en réalité, ce que nous tentons d’établir, c’est : qui prendra les décisions? Le Dr Sher a mentionné le principe selon lequel tous les produits dérivés du plasma prélevé au Canada devraient être mis à la disposition de la population canadienne. Ce principe est-il acceptable? D’une certaine façon, c’est là la question fondamentale.
Le groupe d’experts s’est penché sur cette question et il a écrit dans son rapport qu’il y aurait probablement moyen d’imposer cette exigence. On pourrait faire en sorte que lorsqu’on prélève du plasma au Canada, soit il faudrait qu’il soit vendu à la SCS et à Héma-Québec selon un modèle d’affaires raisonnable, soit il faudrait se servir de certains mécanismes pour montrer que le plasma serait utilisé pour répondre aux besoins de la population canadienne.
Pour toutes ces questions, il y a deux poids, deux mesures, et l’on peut se demander si c’est juste. Or, ce que nous tentons de faire, c’est d’utiliser un mécanisme de compensation afin d’appliquer les principes de la marche à suivre pour veiller à ce que suffisamment de plasma soit prélevé au Canada et à ce qu’il serve à fabriquer des produits biologiques destinés à la population canadienne.
D’après moi, le groupe d’experts ne croit pas qu’il s’agisse d’une question de compensation. À l’échelle internationale, la compensation semble être une mesure incitative utilisée pour accroître l’autosuffisance et la contribution à la fabrication des médicaments dont nous avons besoin.
Selon moi, en réalité, la question que nous devons nous poser, c’est : quelle est la meilleure façon d’arriver à cette fin? Il s’agit d’une question très complexe, et il ne suffit pas de déclarer simplement qu’on ne peut pas rémunérer les donneurs. C’est vrai que l’industrie du fractionnement et les fournisseurs de sang affirment tous que nous devons devenir plus autosuffisants. Nous ne pouvons pas tous dépendre des États-Unis.
La sénatrice Eaton : Les États-Unis rémunèrent leurs donneurs.
Dre Ballem : Oui. Ils fournissent 75 p. 100 du plasma destiné au fractionnement, et 80 p. 100 de ce plasma provient de donneurs rémunérés. C’est un fait.
C’est difficile de comprendre que nous pourrions réussir. Il faudra travailler très fort. Je pense que les provinces et les territoires, qui sont responsables de financer le système, craignent de ne pas en avoir pour leur argent.
Comme le Dr Sher l’a souligné, il faudra du temps pour prouver que nous pouvons y arriver. À mon avis, Héma-Québec est un bon exemple de ce qu’il est possible d’accomplir, mais le taux est passé de 15 à 21 p. 100 en 4 à 6 ans. C’est un long processus, et nous n’atteindrons pas notre objectif du jour au lendemain, peu importe ce que nous faisons avec nos donneurs. Selon moi, c’est le pragmatisme que nous devons considérer.
La sénatrice Eaton : Merci.
La présidente : Docteur Sher, voulez-vous ajouter quelque chose, brièvement?
Dr Sher : Oui, madame la présidente, j’aimerais ajouter quelque pour répondre à la question de la sénatrice Eaton.
Je suis d’accord avec la Dre Ballem : il s’agit d’une question extrêmement complexe. Nous sommes d’avis qu’il est possible de lancer le modèle en tirant parti, d’un côté, de notre expérience de la non-rémunération, et de l’autre côté, de l’efficacité opérationnelle du secteur commercial. Je ne pense pas que nous soyons obligés, au Canada, de rémunérer les donneurs dès le départ. Nous avons certainement travaillé avec —
La sénatrice Eaton : ... rémunérer les donneurs. Il y a plusieurs façons de rémunérer les donneurs. Vous voulez dire leur donner seulement un verre d’eau.
Dr Sher : Nous offrons des certificats et des épinglettes à nos donneurs pour chaque étape importante qu’ils franchissent. Comme la Dre Ballem l’a dit, il y a toute une gamme de mesures incitatives —
La sénatrice Eaton : Il s’agit d’une forme de compensation.
Dr Sher : Je pense que les éthiciens s’entendent tous sur le fait qu’offrir une épinglette à quelqu’un pour tous les 20 dons —
La sénatrice Eaton : C’est acceptable.
Dr Sher : Nous croyons qu’il est possible de commencer avec un modèle de dons non rémunérés. C’est le défi que nous devons relever.
La Dre Ballem a soulevé un point important et exact que je tiens à souligner. Nous devons démontrer que nous pouvons atteindre notre objectif au moyen d’un modèle rentable. Il n’est pas question de prélever du plasma à n’importe quel prix. Nous devons gérer les fonds de manière responsable.
Nous nous sommes engagés auprès de nos gouvernements bailleurs de fonds à mettre notre modèle à l’épreuve et à montrer que nous pouvons prélever un litre de sang environ au même prix que l’industrie commerciale à but lucratif. C’est ce que nous devons démontrer. Si nous n’y arrivons pas, nous devrons examiner toutes les autres stratégies possibles, y compris la rémunération des donneurs.
Le sénateur Oh : J’aimerais revenir sur les produits d’immunoglobuline. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi la demande d’immunoglobulines a augmenté durant les dernières années? Quelle est la cause de cette augmentation? Pensez-vous que la demande continuera à augmenter?
Dre Ballem : Merci, monsieur le sénateur. La demande d’immunoglobulines a augmenté en raison de ce qu’on appelle les modificateurs de la réponse biologique. Ces médicaments, qui font plus que remplacer les anticorps, sont utilisés pour soigner les personnes immunodéficitaires, un groupe de patients assez restreint. La croissance de la demande est due principalement à l’utilisation des immunoglobulines comme modificateurs de la réponse biologique, qui règlent le système immunitaire du patient et qui peuvent être utilisés pour traiter une vaste gamme de maladies auto-immunes.
La croissance la plus élevée touche le secteur neurologique, où les immunoglobulines sont utilisées pour traiter plusieurs troubles neurologiques complexes comportant une dégénérescence du cerveau et du système nerveux périphérique causée par le fait que le corps s’attaque à lui-même. De grandes doses de gammaglobulines intraveineuses peuvent avoir une incidence sur ces troubles.
Au début de ma carrière de praticienne, il s’agissait d’un produit utilisé par les hématologues pour traiter des troubles précis comme le PTI et l’immunodéficience. Aujourd’hui, il est utilisé en rhumatologie, en neurologie et plus abondamment en pédiatrie.
Des chercheurs sont toujours à l’affût de nouvelles utilisations qui pourraient en être faites. C’est pour cette raison que la demande continue à croître.
Par ailleurs, dans de nombreux pays, comme l’Indonésie, les Philippines, la Chine et en Asie du Sud-Est, où, avant, la population n’avait pas accès à des soins de santé universels comme c’est le cas dans de nombreux pays développés, la croissance de l’économie et des attentes de la population par rapport aux soins de santé créera de la demande pour certaines indications de base que nous soignons depuis longtemps. Il s’agit là d’une préoccupation pour l’avenir.
La demande mondiale croît pour cette raison et aussi parce que les indications sont de plus en plus nombreuses.
Le sénateur Oh : Y a-t-il un lien avec le cancer? Le nombre de personnes qui sont atteintes du cancer et qui ont besoin de traitements ayant recours à ces produits augmente-t-il?
Dre Ballem : Les immunoglobulines sont utilisées pour soigner certains types de cancer qui affaiblissent le système immunitaire. Elles sont utilisées dans de tels cas depuis longtemps. Il s’agit de la plupart des immunodéficiences secondaires dont nous avons parlé, où ce type de traitement est indiqué.
Je dirais que la grande majorité de la croissance se rapporte aux maladies dégénératives non liées au cancer.
Le sénateur Oh : J’ai visité votre clinique et je ne me souviens pas d’avoir vu des affiches au sujet de la collecte de plasma ou quoi que ce soit. Faites-vous de la promotion spéciale pour encourager les gens à donner?
Dr Sher : Monsieur le sénateur, je tiens à vous remercier de votre visite. Je me souviens que vous êtes déjà venu ici.
Ce centre en particulier ne recueille pas le plasma. Ce que nous recueillons, c’est ce que nous appelons du sang total, essentiellement une pinte de sang d’un donneur. Ce que nous faisons cependant, c’est que nous acheminons cette pinte de sang à notre laboratoire de fabrication et nous le séparons. Nous extrayons les globules rouges, qui sont en grande partie utilisés pour les patients qui ont subi des traumatismes et des interventions chirurgicales. Nous pouvons extraire les plaquettes, qui sont utilisées pour les patients en hémorragie.
Nous prélevons le plasma dans cette pinte — ce que nous appelons le plasma récupéré — et nous le plaçons dans notre lot de plasma. C’est ainsi que nous obtenons environ 200 000 litres de plasma chaque année.
Même si je dis que nous ne recueillons pas le plasma à cette installation, nous récupérons le plasma dans chaque pinte de sang que nous prélevons.
Ce dont il est question ici, et si nous suivons le modèle du Québec et d’autres instances, c’est que nous mettons sur pied des centres de prélèvement du plasma autonomes où nous raccorderons les donneurs à des machines spéciales qui prélèvent seulement le plasma, et non pas les globules rouges. C’est la raison pour laquelle on peut recueillir du plasma plus souvent de ces donneurs, en quantité beaucoup plus importante.
Le sénateur Oh : Ces donneurs reviennent-ils chaque fois pour ce type de don particulier?
Dr Sher : À l’heure actuelle, nous avons des donneurs à Toronto, par exemple, qui viennent seulement donner du sang. Dans bon nombre de nos autres centres au pays, nous avons des donneurs qui viennent pour faire des dons de plaquettes et des dons de plasma, mais en ce moment, ils sont peu nombreux.
Le sénateur Oh : Si je veux faire un don de plasma, comment dois-je procéder?
Dr Sher : Vous vous rendez sur le site Sang.ca, et vous verrez divers emplacements au pays où vous pouvez faire un don de plasma aujourd’hui. Nous cherchons à élargir les possibilités de faire ce type de don, sénateurs, en mettant sur pied un plus grand nombre de ces centres de collecte de plasma.
Dr Germain : Si vous voulez faire un don aujourd’hui, vous pouvez vous rendre à notre centre de collecte de plasma à Gatineau. C’est tout près.
[Français]
La sénatrice Mégie : J’ai une question très terre à terre. Jusqu’ici, qu’est-ce qui se passe lorsqu’on a besoin de sang pour un patient avec un phénotype rare?
Dr Germain : Évidemment, on ne parle plus de plasma. Pour le sang de phénotype rare, on fait plutôt référence aux globules rouges. C’est un tout autre enjeu. Il y a la question de la diversité des donneurs qui se présentent sur les chaises de collecte de sang et là, on parle de collecte de sang total, et pas de sang de plasma. En ce qui concerne le plasma qui est utilisé pour la préparation des produits dérivés du plasma, il n’y a peut-être pas un besoin de chercher une diversité génétique afin d’offrir une plus grande gamme de phénotypes possibles. C’est plutôt une question de globules rouges.
La sénatrice Mégie : Pourquoi, dans ce projet de loi, puisqu’on parle de plasma et de produits sanguins dérivés, dit-on que la SCS est la seule qui est habilitée à faire les prélèvements de plasma ou les prélèvements de sang, sauf pour les phénotypes rares qu’on devrait rémunérer? Cela n’aurait pas dû avoir sa place dans le projet de loi, si je comprends bien.
Dr Germain : Sénatrice, je ne peux pas répondre à la place de ceux qui ont écrit le projet de loi. J’ai fait quelque peu allusion au fait que, pour nous, il y a une imprécision dans le libellé actuel parce que, quand on parle de phénotypes rares dans notre jargon, cela fait référence à ce que vous aviez évoqué, les globules rouges pour les communautés qui ont de la difficulté à obtenir un phénotype appareillé pour leur condition médicale. Je pense que l’intention du libellé du projet de loi est de faire une exception pour les centres existants de prélèvement du plasma destiné à la production de produits très spécifiques, de produits contre l’immunisation chez les femmes enceintes pour le facteur RH. Ces programmes existent déjà, et les donneurs sont rémunérés. Ce sont des sangs rares, car il faut recruter des donneurs avec des taux élevés d’anticorps et faire prélever souvent le sang. Il faudra demander à ceux qui ont rédigé le texte du projet de loi, mais j’ai l’impression que c’est cette exception que l’on visait. Encore une fois, je souligne que le libellé actuel manque peut-être un peu de précision.
La sénatrice Mégie : Je commence à me poser des questions sur l’utilité du projet de loi parce que, disons que nous votons contre, les choses restent telles quelles; c’est le statu quo. Si nous votons pour le projet de loi, les provinces qui l’ont déjà interdit seront des hors-la-loi fédérales, même si elles ont le pouvoir de le faire, comme le Québec.
Cela va se jouer par rapport aux provinces qui ne l’ont pas encore interdit et qui l’ont permis. Quel sera l’impact pour les provinces telles que l’Ontario, le Québec et les autres qui l’ont interdit si nous votons pour ce projet de loi? Y aurait-il des impacts? Devront-elles changer leur fusil d’épaule ou simplement dire de respecter leur décision?
Dr Germain : Premièrement, comme je le mentionnais dans mon introduction, au Québec, c’est déjà un état de fait qu’on ne peut pas rémunérer les donneurs, donc la loi fédérale, si elle est adoptée, ne changera rien. En ce qui concerne les autres provinces, je préfère m’abstenir de commenter.
[Traduction]
Dr Sher : Je dirais, monsieur le sénateur, qu’étant donné que nous avons des centres dans toutes les autres provinces et que c’est un point litigieux parmi les gouvernements qui sont membres de la Société canadienne du sang, la Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario ont des lois, comme vous le savez. Les autres provinces n’en ont pas et, dans deux de ces provinces — la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick —, on a autorisé une entreprise qui rémunère les dons de plasma. C’est donc une importante source de discorde parmi nos gouvernements membres, à qui nous devons rendre des comptes.
Ce qui nous préoccupe à propos de la loi fédérale, c’est que rien dans ce projet de loi, s’il est adopté, ne devrait avoir une incidence sur notre capacité de mener nos opérations. Comme nous le voyons à l’heure actuelle avec les exemptions dont nous discutons, nous sommes contents de constater qu’elles ne nuisent pas à notre capacité de mener nos opérations. C’est très important pour nous.
Si cette mesure législative est adoptée, je ne peux pas parler pour les gouvernements de la Saskatchewan ou du Nouveau-Brunswick. Ce serait une discussion que les gouvernements fédéral et provinciaux devraient tenir, mais je vais parler de façon plus détaillée de certains problèmes auxquels nous sommes confrontés avec les gouvernements qui nous financent, car les provinces qui constituent la Société canadienne du sang ont des points de vue différents à l’heure actuelle. Je ne pense pas que ce sera sans conséquence. Je pense que c’est important. Du point de vue de mon organisation, si cette mesure législative fédérale est adoptée, nous voudrions avoir toutes les garanties possibles — et je pense que nous avons réussi à les obtenir — que le projet de loi n’aura pas d’incidence sur notre capacité de mener nos opérations, maintenant ou à l’avenir. C’est la raison pour laquelle ce problème d’exemptions potentielles est si important.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci.
La sénatrice Forest-Niesing : Merci d’être ici et de nous aider à comprendre un projet de loi qui, malgré le fait qu’il soit très court, a des répercussions qui nous portent à beaucoup de réflexion. Je vous écoutais, docteur Germain, et vous nous indiquez que votre objectif a été calculé à 30 p. 100 de dons, en tenant compte de la première tranche de patients qui en dépendent pour leur survie, et que l’objectif correspondait, selon vos calculs, aux besoins pour les patients du Québec.
Je serais intéressée à vous entendre, soit la Dre Ballem ou le Dr Sher, en ce qui concerne le pourcentage. Vous avez un objectif, si je comprends bien, de 50 p. 100 qu’on souhaite atteindre en 2024. Comment avez-vous calculé ce pourcentage, et est-ce une analyse semblable qui correspond aux besoins identifiés pour les patients dont la survie dépend de l’utilisation de ces produits dérivés?
[Traduction]
Dr Sher : Merci, sénateur. Nous avons adopté une approche semblable, et ce que le Dr Germain vous a dit, c’est que la cible de 30 p. 100 vise à répondre aux besoins des patients souffrant de déficit immunitaire primaire et secondaire pour qui c’est une thérapie vitale et pour qui il n’y a pas de solution de rechange. C’est certainement une approche que l’on adopte.
La Dre Ballem vous a dit il y a quelques minutes, en réponse à une question du sénateur Oh au sujet de la croissance, qu’il y a d’autres indications pour lesquelles c’est une thérapie essentielle. Citons notamment le trouble neurologique dont l’acronyme est PDIC, un important trouble neurologique pour lequel les Ig sont de loin la meilleure thérapie. Nous avons tenu compte de cela dans nos calculs et, comme la Dre Ballem l’a dit, c’est probablement l’indication qui connaît la plus forte croissance pour les IG.
Si l’on prend en considération les déficits immunitaires et autres troubles pour lesquels le clinicien nous dit que c’est une thérapie à laquelle les patients doivent avoir accès, on doit à tout le moins protéger cette part du marché. Donc, si l’on ajoute les déficits immunitaires et les troubles neurologiques, on arrive à un niveau d’autosuffisance de 50 p. 100. C’est ainsi qu’on fait les calculs.
Pour arriver à 50 p. 100, il faut passer par 30, 40 et 45 p. 100, si bien qu’il faut évaluer la situation en cours de route, et ce sera un programme pluriannuel. Nous devons constamment réévaluer la situation. La pratique clinique peut changer dans quelques années, et il faudra avoir une marge de manœuvre pour faire des ajustements à la hausse ou à la baisse. Ce taux de 50 p. 100 est-il coulé dans le béton? Non. Toutefois, nous croyons que c’est un juste équilibre entre les risques et la sécurité des approvisionnements que nous devrions aspirer à atteindre au pays.
La sénatrice Forest-Niesing : Étant donné que la route est longue — et nous pouvons tous en convenir —, et à la lumière de certains des témoignages que nous avons entendus de groupes de patients qui ont exprimé de vives inquiétudes concernant les répercussions, si ce projet de loi est adopté, il empêchera essentiellement les établissements provinciaux qui existent déjà au Canada de poursuivre leurs activités. C’est une conclusion que l’on peut tirer.
Ce faisant, je m’inquiète au sujet des délais. Comment pouvons-nous apaiser les préoccupations des patients dont la vie ou la capacité de mener une vie quasi normale malgré leur maladie sont compromises durant la période où nous tentons d’atteindre cette cible?
Dr Sher : C’est une question extrêmement importante, madame la sénatrice, et je suis certain que mes collègues peuvent apporter d’autres points de vue. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, nous exprimons cette inquiétude depuis plusieurs années en raison du délai d’intervention très long. Nous ne pouvons pas prendre conscience soudainement en 2023 qu’il y a une pénurie d’Ig et être incapables d’agir. Nous devons pouvoir intervenir. Nous devrions déjà prendre des mesures. C’est un point important.
J’ai lu les témoignages de certains patients — Mme Whitney Goulstone et M. David Page. Nous connaissons très bien ces intervenants. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux en permanence. Ils vous ont dit que vous devriez torpiller ce projet de loi, car il sera préjudiciable aux patients.
Nous ne sommes pas tout à fait de cet avis, mais je pense que nous voulons garantir à ces patients au pays — et je vais parler au nom de la Société canadienne du sang, et Marc pourra parler pour Héma-Québec — qu’ils pourront avoir accès aux IG en tout temps. Nous croyons que pour y parvenir, nous devons atténuer les risques auxquels nous sommes actuellement confrontés. Le risque à l’heure actuelle, c’est notre dépendance à l’égard du marché commercial aux États-Unis.
Ce n’est pas une question de rémunérer ou non les donneurs; il faut recueillir plus de plasma au pays et garantir aux patients que nous pouvons répondre à leurs besoins. C’est la raison pour laquelle notre modèle vise à atteindre une autosuffisance de 50 p. 100.
C’est également la raison pour laquelle notre modèle met à profit le meilleur des deux mondes. Dans le cadre de notre travail avec les donneurs non rémunérés et des leçons que nous tirons du secteur commercial à propos de son efficacité opérationnelle, comment les intervenants mènent-ils leurs activités aussi efficacement et rapidement qu’ils le font?
Si nous pouvons appliquer les deux leçons que nous avons tirées de ce secteur et l’expérience que nous avons acquise auprès des donneurs non rémunérés, nous aurons un modèle qui nous permettra d’aller de l’avant de la manière la plus rapide et rentable possible, mais nous ne pouvons pas régler le problème du jour au lendemain. C’est là où le bât blesse. Nous le répétons depuis plusieurs années.
Dre Ballem : Cela soulève un autre problème. Le Dr Sher a mentionné que les immunodéficiences et les troubles neurologiques constituent le secteur qui connaît la croissance la plus rapide. Au Canada, nous n’avons pas d’entente sur les priorités. Si nous avons une pénurie, comment distribuerons-nous les immunoglobulines disponibles? Nous devons absolument tenir une discussion axée sur des données probantes avec les cliniciens experts au pays pour nous entendre sur les priorités.
Dans une certaine mesure, ces discussions dicteront les priorités quant aux progrès que nous réalisons pour atteindre un niveau d’autosuffisance. Je voulais profiter de l’occasion pour aborder ce point. C’est une lacune dans notre système. On pourrait facilement combler cette lacune avec très peu de ressources. J’ajouterais aussi que c’est très urgent.
Le sénateur Munson : Merci beaucoup d’être ici. J’aime que les choses restent simples. Il y a de nombreuses questions complexes, et nous avons entendu de nombreuses réponses complexes. Nous sommes assis ici et vous êtes assis là. Lorsque ce projet de loi a été présenté pour la première fois, quelle a été votre réaction immédiate? Pensiez-vous qu’il était nécessaire?
Je suis certain que la sénatrice Wallin avait des objectifs louables — l’idée de payer pour obtenir quelque chose qui fait partie du corps humain. Tout le monde l’a dit ici, et nous débattons de la question. C’est une question aussi difficile que ce projet de loi peut être simple, et certains groupes ont dit que nous devrions le torpiller et d’autres soutiennent qu’il doit être maintenu, car nous avons besoin de cet approvisionnement.
J’aimerais vous entendre tous les trois pour connaître quelle a été votre réaction immédiate à ce projet de loi.
[Français]
Dr Germain : Sénateur, la réponse simple et évasive à votre question est que, dans la perspective d’Héma-Québec, notre réaction a été complètement neutre, puisque ce n’est pas un enjeu au Québec à l’heure actuelle en vertu de l’article du Code civil. J’ai déjà fait part de mes réactions plus profondes au-delà des enjeux particuliers d’Héma-Québec.
L’enjeu de la rémunération est complexe et de nature internationale. Ce n’est pas un enjeu strictement canadien. Il faut regarder cela dans un contexte qui va au-delà du Québec et du Canada et prendre acte de la situation internationale. Il faut y aller de façon très prudente quant aux moyens que nous voulons nous donner pour en arriver à une plus grande autosuffisance à l’échelle internationale. Tout le monde est d’accord là-dessus.
Je me permets au passage de renchérir sur ce que mon collègue, le Dr Sher, a dit plus tôt, à savoir que la communauté internationale reconnaît que nous devons tous faire des efforts. Un des intérêts de pousser le projet de l’autosuffisance, que ce soit un pourcentage de 30 ou 50 p. 100 au Canada, c’est de donner l’exemple. Nous ne sommes peut-être pas à l’arrière de la classe sur la scène internationale, mais nous ne sommes pas non plus dans les tout premiers. Il est important de montrer à nos collègues internationaux qu’il est possible d’augmenter l’autosuffisance. Cela ne peut qu’améliorer la situation à l’échelle internationale, car d’autres parties pourront tirer parti de nos actions. C’est beaucoup plus important que l’enjeu de la rémunération, qui m’apparaît secondaire pour les raisons qui ont déjà été expliquées.
[Traduction]
Dr Sher : C’est la quatrième occasion que nous avons de faire part de notre réaction. Nous avons pu le faire en Alberta, en Ontario et en Colombie-Britannique. Nous ne croyons pas que c’est le rôle de notre organisation de dire aux gouvernements comment légiférer. Cela dit, nous devions comprendre la portée et le mandat de ce projet de loi. Comme je l’ai dit plus tôt, aurait-il des répercussions sur notre capacité de faire ce que nous devons faire, ce qui pourrait inclure d’envisager de rémunérer les donneurs en cours de route? C’était extrêmement important pour nous.
Nous devions nous assurer que les faits derrière cette mesure législative sont exacts. C’est pourquoi nous avons expliqué très clairement la question de la sécurité. Nous posons la question suivante : cela fait-il partie du mandat du gouvernement fédéral et de son rôle de surveillance à l’égard de la Loi sur les aliments et drogues? Je ne suis ni un législateur ni un avocat, alors je ne peux pas me prononcer là-dessus.
En ce qui nous concerne, nous devons nous assurer qui si cette mesure législative est adoptée, elle ne nuira pas à la capacité de notre organisation de faire progresser sa stratégie.
Dre Ballem : Sénateur Munson, cette mesure législative a été présentée après que le comité en a débattu et a déposé son rapport. Dans le cadre de conversations officielles, je dirais certainement que c’est un enjeu très complexe. C’est une mesure législative très simple qui ne reflète pas la complexité dont vous ont parlé les témoins aujourd’hui et d’autres témoins.
Il risque de causer du tort à des opérations existantes au pays qui fabriquent avec succès d’importants produits. Nous pourrions faire mieux en adoptant une approche plus réfléchie à l’égard de notre objectif d’autosuffisance et de la façon dont nous aborderons les questions plus importantes pour déterminer où le plasma que nous recueillons au pays ira. Nous savons que dans le cadre des régimes actuels, le processus sera sécuritaire, peu importe si nous offrons une rémunération aux donneurs ou non. Cependant, il faut se pencher sur notre rentabilité dans nos efforts en vue d’atteindre les objectifs fixés par Héma-Québec et la SCS. Ce n’est pas une question de rémunération. C’est une question de marché, des intervenants sur ce marché, de ce que nous voulons pour les Canadiens et de la façon dont nos deux organismes fournisseurs de sang canadiens peuvent maintenir un approvisionnement.
Le sénateur Munson : Cependant, cela a suscité un débat public que nous n’avions pas tenu depuis un bon moment. Peu importe quelles sont les positions, il y a des gens qui, espérons-le, portent attention à ce qui a été dit au cours du dernier mois et demi sur un projet de loi simple pour lequel il faut une solution plus vaste. Dieu merci, on nous rappelle le rapport du juge Krever, l’orientation que nous devrions prendre et ce que nous devrions faire. D’une certaine façon, il y a des aspects positifs à ce débat qui, si je ne m’abuse, a lieu dans toutes vos collectivités. Merci.
La sénatrice Poirier : Je suis d’accord. Même si le projet de loi est court et simple, c’est un problème complexe d’éducation. Durant le processus, nous avons beaucoup appris, et je suis certaine que ceux qui suivent les délibérations du comité conviendront également que nous, en tant que Canadiens, avons beaucoup appris au sujet des dons de plasma au fil du temps.
J’ai quelques questions. Bon nombre des questions que je voulais poser ont été abordées, mais je veux revenir sur le projet de loi. Au paragraphe (1.1), on peut lire ceci :
L’établissement, autre que la Société canadienne du sang, ne peut prélever du sang d’un donneur faisant un don allogénique contre rémunération ou indemnisation, sauf s’il s’agit de sang de phénotype rare.
Je sais, après avoir entendu la position de la SCS à ce sujet, que votre objectif serait de pouvoir recueillir les quantités dont nous avons besoin sans devoir rémunérer les donneurs. Si je comprends bien, le projet de loi vous donnerait la capacité d’être le seul groupe qui pourrait rémunérer les donneurs si vous en décidez ainsi à l'avenir. Je crois que l’organisation à Winnipeg, en raison de ce qu’elle recueille, ne serait pas touchée par ce projet de loi, mais il pourrait avoir une incidence sur la fermeture de celle au Nouveau-Brunswick.
Pourriez-vous confirmer si j’ai raison? Pensez-vous que ce projet de loi pourrait vous donner la capacité à l'avenir de rémunérer en tant qu’incitatifs certaines personnes?
Dr Sher : Vos conclusions sont exactes, madame la sénatrice, et rejoignent notre raisonnement. Cela nous ramène à ce que le juge Krever a qualifié de paiement dans des circonstances spéciales et rares. C’est ce que l’installation de Winnipeg fait depuis des décennies, et nous croyons qu’elle se verrait accorder cette exemption en vertu de ce projet de loi. Je ne suis donc pas certain qu’il aurait l’incidence décrite par la Dre Ballem, car il nous accorde cette exemption si nous décidons d’un point de vue stratégique d’opter pour la rémunération. Comme de nombreux autres témoins l’ont dit ici, y compris des avocats hier et d’autres groupes, si des entités doivent rémunérer les donneurs au pays, ce devrait être le secteur public et la Société canadienne du sang.
Ce n’est pas notre position. Nous avons créé un modèle axé sur la non-rémunération, mais nous nous réservons le droit de rémunérer les donneurs si nous ne parvenons pas à nos fins autrement, et c’est ainsi que j’interprète le projet de loi.
La sénatrice Poirier : Étant donné que la province du Nouveau-Brunswick ou toutes les autres provinces ont la capacité en vertu de leur propre loi de permettre à une entreprise de participer à ce secteur — et le Nouveau-Brunswick a pris cette décision —, je me demande si ce projet de loi adopté dans sa forme actuelle entraînera la fermeture de l’installation au Nouveau-Brunswick. On a soulevé de nombreuses préoccupations à ce propos. Comment la loi provinciale s’appliquerait-elle ici? C’est une loi provinciale qui confère le pouvoir à l’entreprise d’œuvrer au Nouveau-Brunswick, mais ce projet de loi stipulerait qu’elle ne le peut pas. Je me questionne à ce propos, et je suis certaine qu’aucun de vous a la réponse à cela.
Dr Sher : Je ne peux pas répondre à cela.
La sénatrice Poirier : Ce serait une question à poser à l’avenir.
Dans les documents fournis au comité, on dit que la Société canadienne du sang a soumis un plan d’affaires qui décrit le risque imminent pour la sécurité de l’approvisionnement en plasma aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Pourriez-vous nous donner plus de précisions au sujet de ce plan? Est-ce que vous allez collaborer avec Héma-Québec, qui a déjà un centre de collecte de plasma dans la province? Est-ce que cela fait également partie du plan? Pouvez-vous nous donner des détails là-dessus?
Dr Sher : En 2017, nous avons soumis aux gouvernements provinciaux et territoriaux un plan d’affaires détaillé portant sur la solution complète, soit la construction de centres multiples à l’échelle du pays. La difficulté que nous avions à ce moment-là était que nous utilisions notre structure de coûts actuelle et notre modèle existant. Quand la Dre Ballem et le comité ont souligné, avec raison, que selon la preuve qu’ils avaient devant eux, le coût de fonctionnement du système public misant sur des donneurs non rémunérés serait de deux à quatre fois plus élevé que celui du secteur privé, cette observation se fondait sur notre plan d’affaires. Nous sommes donc d’accord avec cela.
Comme je l’ai dit dans mon exposé, nous avons repris notre travail. Nous avons collaboré non seulement avec Héma-Québec, mais également avec des collègues de l’Australie qui avaient mis sur pied de multiples centres, et avec des collègues des Pays-Bas et d’autres endroits où ils faisaient la même chose. Nous essayons de miser sur les leçons apprises et sur l’expertise du secteur commercial. Nous croyons fermement que les trois centres que nous commençons à exploiter maintenant, à compter de l’exercice à venir, vont montrer que nous sommes capables d’obtenir un litre de plasma pour ce qu’ils appellent un prix proche du prix courant, correspondant essentiellement au prix commercial du plasma sur le marché mondial aujourd’hui. C’est ce qui importe le plus, car les gouvernements qui nous financent n’ont pas des ressources infinies. On ne peut pas faire cela à tout prix. Nous sommes tout à fait d’accord.
La sénatrice Poirier : Combien de temps pensez-vous qu’il vous faudra pour que vos centres soient prêts à fonctionner?
Dr Sher : Nous nous sommes engagés envers les gouvernements provinciaux qui nous financent à ouvrir ces trois emplacements. Au cours des trois à cinq prochaines années, nous démontrerons le volume qu’ils permettent d’obtenir et le coût correspondant, et si nous sommes en mesure de démontrer cela, nous croyons qu’il s’agit d’un modèle que nous pouvons appliquer à plus grande échelle jusqu’à ce que nous en arrivions à un approvisionnement suffisant.
La sénatrice Poirier : Combien de temps croyez-vous qu’il faudra pour en arriver aux 50 p. 100?
Dr Sher : Je crois que c’est la sénatrice Forest-Niesing qui a dit précédemment que ce serait en 2024. C’est ce que disait le plan d’activités initial. Il faudra probablement plusieurs années de plus.
La sénatrice Omidvar : L’un des avantages de poser des questions à la toute fin, c’est que les questions importantes ont toutes été posées et ont reçu des réponses. Je vous remercie beaucoup de votre présence.
J’ai cependant une question qui n’a pas encore été abordée. Je crois que nous avons tous compris, à écouter les témoignages et à mener notre étude, qu’il s’agit d’un enjeu très sérieux, mais également d’un enjeu incroyablement complexe qui s’accompagne de graves conséquences. Je comprends que vous disiez qu’il ne s’agit pas d’une question de sécurité, même si lors de réunions antérieures, nous avons entendu qu’il s’agissait d’un enjeu de sécurité. Ce que nous avons entendu de votre part, c’est qu’il s’agit d’une question urgente de sécurité de l’approvisionnement, de demandes croissantes, de questions de vie ou de mort pour les patients que nous avons écoutés avec beaucoup d’attention. Nous savons aussi qu’il existe deux poids, deux mesures. La sénatrice Seidman vous a posé une question sur l’ambiguïté morale, et même sur l’hypocrisie morale qui est en jeu. Il y a peut-être une dissonance provinciale.
Croyez-vous qu’un projet de loi d’une telle complexité, qui comporte des conséquences aussi sérieuses, devrait être déposé à la Chambre des communes par la ministre de la Santé?
Dre Ballem : Pourriez-vous préciser votre question? Est-ce à savoir s’il serait préférable que ce soit déposé par la ministre de la Santé?
La sénatrice Omidvar : Je vous demande votre opinion, à savoir s’il vaudrait mieux qu’un projet de loi d’une telle complexité et aux conséquences si vastes pour la santé et la sécurité des Canadiens soit déposé par la ministre de la Santé à la Chambre des communes.
Dre Ballem : Je dirais qu’en effet c’est un enjeu très complexe, comme je l’ai dit, et le problème que nous essayons de résoudre est celui de la sécurité de l’approvisionnement et de la contribution du Canada à cela au nom de nos propres patients, ce qui est complexe. Je crois qu’il faut plus qu’une simple solution comme celle-là. Il me paraît sensé que cela relève de la responsabilité de la ministre de la Santé.
Dr Sher : Sénatrice, je n’en sais pas assez sur la procédure parlementaire pour répondre à cela.
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec Santé Canada, avec le cabinet de la ministre et avec le ministère de la Santé, quand ils ont mis sur pied le comité et même par la suite, afin de veiller à ce que la ministre et son ministère comprennent l’enjeu crucial de la sécurité de l’approvisionnement dans ce pays.
Nous avons veillé à bien tenir le ministère et le cabinet de la ministre au courant des faits qui sont une constante pour nous et de l’urgence pour ce pays de prendre des mesures afin de collecter plus de plasma.
La sénatrice Omidvar : Ma question s’adresse à vous, docteur Germain, et ensuite à vous, docteur Sher. Au Québec, et dans votre cas en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, savez-vous si les projets de loi émanaient du gouvernement ou si c’était des projets de loi d’intérêt privé émanant de députés particuliers? La différence est très grande, en ce qui concerne la rigueur du travail de fond, le libellé du projet de loi et la discussion.
[Français]
Dr Germain : Je vais vous répondre sous toute réserve, car c’est une question qui dépasse mes compétences. Selon ma compréhension, la disposition dans le Code civil actuel date de l’adoption du Code civil; je pense que c’était en 1991, donc bien avant la création d’Héma-Québec, et je crois que ce n’était pas du tout pour des considérations liées au don de sang. C’étaient des considérations générales sur le don d’une partie de sa personne contre rémunération et, lorsque Héma-Québec a été créé, il a fallu prendre acte de cette réalité législative au Québec. Cependant, ce n’était pas dans le cadre d’un débat comme ce que nous avons aujourd’hui.
En passant, je tiens à faire une remarque sur ce qui a été discuté par la sénatrice Poirier, concernant l’exception qui est faite à Héma-Québec dans le projet loi en ce qui concerne l’exception se rapportant à la Société canadienne du sang. Je crois comprendre qu’un amendement a été déposé pour inclure Héma-Québec également dans les exceptions à la règle de non-rémunération. Je pense que c’est tout à fait approprié. Même si la loi au Québec ne le permet pas actuellement, elle pourrait changer.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : J’aimerais revenir à ma question relative au fondement des projets de loi qui ont été adoptés ailleurs.
Dr Sher : Pour les trois autres administrations, c’est le gouvernement au pouvoir qui a adopté le projet de loi.
La sénatrice Omidvar : Merci.
La sénatrice Dasko : Docteur Sher, ma question porte sur les méthodes que vous allez utiliser pour accroître l’autosuffisance dans le cadre d’un modèle axé sur les dons volontaires afin d’atteindre votre objectif qui est de passer de 14 p. 100 à 50 p. 100. Vous avez parlé d’ouvrir des centres. Au Québec, combien de centres y a-t-il?
Dr Germain : Nous avons ouvert quatre centres, et il s’en ajoute deux cette année. C’est donc six centres. La plupart des centres sont dédiés au plasma.
La sénatrice Dasko : Docteur Sher, vous avez parlé de trois centres canadiens. Est-ce que c’est la somme des efforts qui sont censés nous faire passer de 14 p. 100 à 50 p. 100?
Dr Sher : Certainement pas, sénatrice. Pour passer de la situation actuelle au niveau anticipé de 50 p. 100, il nous faudra environ 600 000 litres de plasma. Pour cela, il faudrait environ 30 centres qui collecteraient 20 000 litres chacun par année. Les trois centres vont servir à démontrer que le modèle fonctionne. Il fonctionne pour les donneurs non rémunérés, et ce, de façon rentable. Une fois que nous pourrons démontrer cela, le modèle pourra rapidement être appliqué à grande échelle.
La sénatrice Dasko : Dites-moi comment vous allez mobiliser les Canadiens, en particulier avec un modèle axé sur les dons volontaires. Comment seront-ils encouragés à le faire, car il ne s’agit pas simplement d’ouvrir des centres?
Dr Sher : C’est une excellente question. Je vais répondre brièvement parce qu’il reste peu de temps. Nous reconnaissons — et c’est ce que nous avons appris des Australiens, qui possèdent la plus vaste expérience, ainsi que du Québec — qu’il faut environ un an pour ouvrir les portes, après avoir établi votre base de donneurs dans la ville où vous installez votre premier centre.
Nous commençons déjà à établir une base de donneurs engagés. C’est une activité d’éducation importante. Ce sont des particuliers qui s’engagent à faire de multiples dons par année. Vous voulez un minimum de 6 dons, et de préférence 8 à 10 dons par année. Nous devons offrir aux donneurs une expérience attrayante qui leur donnera le goût de revenir et de faire ces dons. Ce sont les attributs d’un système axé sur les dons volontaires qui mise sur l’expérience du donneur. Dans un système où les donneurs sont rémunérés, c’est plutôt la rémunération qui les attire.
Nous avons beaucoup d’expérience à ce sujet, dans le contexte des dons de sang. Nous ouvrons des centres de collecte de sang régulièrement, et ce qu’il faut, c’est créer un environnement attrayant où l’expérience est positive pour le donneur. L’Australie a d’excellentes études de cas à ce sujet. Nous appliquons ce que nous apprenons. Héma-Québec a des pratiques exceptionnelles, et c’est ce que nous allons mettre en œuvre. Cependant, il ne suffit pas de mettre une annonce dans le journal et de s’attendre à ce que les donneurs se présentent au centre le lendemain.
La seule autre chose que je dirais, c’est qu’aucun centre ne peut aller de zéro à 100 p. 100 de volume en un an. Il faut au moins trois ans. Donc, si notre objectif est de 20 000 litres par centre, il faudra environ trois ans pour en arriver à cela à compter de l’ouverture. Il faut de l’activation communautaire et un engagement soutenu de la part des donneurs.
La sénatrice Dasko : Pouvez-vous me parler du marketing social qui sous-tend cela? Qui est ciblé? Quels véhicules de communication utilisez-vous? Quels messages utilisez-vous?
Dr Sher : Nous menons de vastes études de recherche afin de connaître la démographie sociale et de comprendre le public cible. Nous utilisons de multiples véhicules pour joindre les gens, y compris les médias sociaux et l’éducation, et nous avons une stratégie complète de marketing et de recrutement de donneurs pour soutenir cela. Il s’agit de prendre contact avec les collectivités afin de comprendre quels sont les besoins. Il y a un modèle très raffiné de sélection des emplacements. Vous devez être très prudents dans le choix de votre emplacement, qui doit être attrayant et pratique pour les donneurs. Le contact avec les donneurs comporte énormément d’éléments, sénatrice.
La sénatrice Dasko : Oui. Je sais que cela demande un effort énorme. J’ai travaillé dans le passé avec des agences fédérales et provinciales qui essayaient de faire la promotion des dons de tissus et d’organes par exemple — et de très nombreux Canadiens ont travaillé à ce dossier. Malgré cela, j’ai vu un rapport, il y a environ un mois, qui confirme que les résultats de nos efforts pour promouvoir les dons d’organes et de tissus sont loin de répondre aux attentes. Bien entendu, il s’agit de dons, dans ce pays.
Dr Sher : Si vous me le permettez, j’aimerais souligner une autre chose.
La sénatrice Dasko : Le modèle axé sur les dons est terriblement coûteux à réaliser, mais nous avons maintenant un modèle de rémunération partielle, avec certains des fournisseurs —
Dr Sher : Il faut que j’apporte une précision très importante, sénatrice. Même dans l’industrie privée à but lucratif du plasma, il faut au moins un an pour établir une base de donneurs et pour ouvrir les portes, à compter du moment où l’emplacement est précisé. Ce n’est donc pas différent pour le modèle des dons rémunérés, par rapport à celui des dons non rémunérés. Établir une base de donneurs est un processus complexe. Utiliser la rémunération comme outil de maintien et de recrutement est différent de ce que nous faisons, mais même dans ce secteur, les choses ne se font pas instantanément. Il est vraiment important de comprendre cela.
La sénatrice M. Deacon : Pour accélérer les choses, je vais passer. Le sénateur Munson a couvert la question du projet de loi et du libellé. Je vous remercie.
La sénatrice Moodie : Ma question porte sur le risque, en particulier concernant les mécanismes qui existent pour la réglementation et le contrôle de l’approvisionnement. Il n’est pas question de sécurité. Il n’est pas même question des dons rémunérés. C’est à propos du risque, de l’atteinte de notre capacité, de la sécurité de notre approvisionnement et de la diversification.
Nous l’avons entendu hier, en matière de bioéthique, et la Dre Ballem l’a dit aujourd’hui : des mécanismes peuvent être mis en place pour réglementer efficacement les entités commerciales privées qui collectent du plasma.
Docteur Sher, vous nous avez aussi dit que vous vous concentrez davantage sur la vulnérabilité à la fin du contrat comme étant un problème qui peut surgir. Il faut que vous nous fassiez part des faits précis que vous possédez et que vous avez vérifiés comme étant des ramifications réglementaires ou légales qui constitueraient des entraves pour vous.
Dr Sher : Encore une fois, pour être bref, sénatrice, je ne vais dire que deux choses. Cela revient à la question de savoir pourquoi nous n’achetons pas le plasma de Canadian Plasma Resources. Il est important de comprendre que le volume qu’ils ont est essentiellement une erreur d’arrondissement des quantités dont il est question ici, concernant un approvisionnement national suffisant en plasma. C’est la première chose.
Si nous devions conclure un contrat avec eux pour l’achat de leur plasma, le contrat n’est valable que pour sa durée. L’industrie mondiale du plasma s’est entièrement intégrée verticalement. Les très grandes entreprises de fractionnement de plasma ont acheté toutes les petites entreprises de collecte de plasma.
Donc, quand je regarde l’industrie du point de vue de la tendance et des orientations de l’industrie à l’échelle mondiale, je doute fort que cette entreprise privée de collecte soit là durablement pour fournir des volumes suffisants de plasma et pour assurer la sécurité de l’approvisionnement. De plus, je ne suis au fait d’aucun cadre légal ou législatif qui pourrait les obliger à me vendre le plasma à un prix donné et les empêcher d’exiger le prix qu’ils veulent sans faire face à une loi anticoncurrentielle. Ce concept s’accompagne d’enjeux multiples, notamment obliger une entreprise privée à vendre sa matière brute à une entité publique, sans qu’elle puisse faire des affaires où elle veut. Ce que nous disons, c’est que nous sommes l’autorité qui a le mandat de gérer le système au Canada, à l’exception du Québec. Nous avons un mandat clair qui nous a été donné par les gouvernements provinciaux et territoriaux et qui est approuvé par le gouvernement fédéral dans notre protocole d’entente.
Nous nous acquittons de nos responsabilités en application de ce mandat et nous pouvons contrôler les effets du marché, les endroits où nous faisons la collecte de sang et les endroits où nous devons faire la collecte de plasma. Nous ne pouvons pas exercer ce contrôle s’il y a un intervenant indépendant sur lequel nous ne pouvons pas exercer ce contrôle.
La sénatrice Moodie : Merci.
Le sénateur Kutcher : J’aimerais souligner que la vulnérabilité relative au contrat ne touche pas que les fournisseurs canadiens.
J’ai une question à propos du problème que constituerait la sécurité de l’approvisionnement. Vous avez parlé de tensions croissantes sur le plan de l’approvisionnement, vous avez dit qu’il y a une approche d’approvisionnement mondiale en produits du plasma, et vous avez dit que la capacité du Canada de répondre aux besoins des personnes dont la vie dépend de ces produits est en partie fonction de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Je comprends vos préoccupations et je suis très d’accord avec vous concernant les tensions relatives à l’approvisionnement qui semblent s’accroître.
Ce projet de loi empêcherait les Canadiens de faire leur entrée sur le marché mondial, ce qui aurait pour effet d’éliminer les éléments additionnels qui servent d’amortisseurs dans l’offre mondiale. Aucun Canadien ne pourrait accéder au marché de l’approvisionnement mondial. Donc, s’il y a des préoccupations à propos des tensions relatives à l’approvisionnement sur le marché mondial, ce projet de loi mettrait fin à cela. Pouvez-vous m’aider à comprendre cela?
Dr Sher : Sénateur, mes collègues ont peut-être des points de vue différents. Je ne suis pas sûr d’être d’accord avec cette conclusion. Le projet de loi, s’il est adopté, aurait simplement pour effet que le plasma collecté au pays devrait venir de donneurs non rémunérés et servirait à augmenter le volume menant à un approvisionnement suffisant au pays.
Si nous collectons plus de plasma dans ce pays, il y a plus de plasma pour le reste du monde, car nous n’achetons pas le produit fini ailleurs dans le monde. C’est l’effet que cela produit. Plus nous collectons de plasma au pays, plus nous réduisons notre dépendance actuelle aux États-Unis. C’est pourquoi chaque pays doit en collecter davantage — l’Europe, l’Australie, le Canada, le Royaume-Uni. Nous devons tous collecter plus de plasma.
Le sénateur Kutcher : Docteure Ballem, quelle est votre opinion?
Dre Ballem : Je vous remercie, sénateur. Dans notre rapport, il est très évident qu’il y a un lien entre le succès démontré de la création de la capacité nécessaire pour collecter du plasma et la façon dont vous pouvez gérer le donneur. Pour un donneur de plasma, dans le secteur commercial, ce qui constitue la grande majorité de la collecte de plasma destiné à la fabrication de produits, l’engagement est un enjeu très différent. En fait, les plans d’Héma-Québec et de la Société canadienne du sang ont des approches très différentes. On recourt moins fréquemment au donneur pour les dons de plasma. Je pense que nous n’avons pas vraiment parlé de ces choses.
Nous adoptons une approche très modeste par rapport à la norme pour la grande majorité du plasma destiné au fractionnement qui est collecté dans le monde. Je crois simplement que cela contredit la preuve accumulée sur des décennies et selon laquelle nous serons en mesure d’atteindre notre objectif au moment opportun. Nous travaillons depuis des années à essayer de mettre sur pied une industrie du fractionnement dans ce pays. Ce qui est intéressant, c’est que nous avons en fait quatre ou cinq — si vous comptez Green Cross — nouvelles entreprises de fractionnement, et qu’il y en a qui existaient avant et qui continuent de croître et d’étendre leur portée par leurs propres efforts.
Nous avions comme objectif au Canada, depuis les années 1970, d’avoir une industrie du fractionnement. Nous sommes un petit pays du point de vue de notre population, mais nous sommes quand même un pays équivalent sinon un peu plus gros que l’Australie. Ce n’est donc pas impossible. Je pense que c’est compliqué. Je pense que nous aurons énormément de difficultés à atteindre nos objectifs. Nous ne pourrons pas contribuer autant que ce serait possible à l’approvisionnement mondial.
Je crois que nous fermons des portes prématurément, sans réfléchir comme il se doit à d’autres options possibles.
[Français]
La présidente : Docteur Germain, est-ce que vous vouliez ajouter quelque chose? Non? Très bien.
Nous n’aurons pas le temps nécessaire pour une deuxième série de questions; je m’en excuse.
J’aimerais remercier nos témoins d’aujourd’hui, le Dr Germain, le Dr Sher et la Dre Ballem. Merci beaucoup de la pertinence de vos réponses. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous avez consacré afin de nous aider à faire l’étude de ce projet de loi.
[Traduction]
Je vais demander aux sénateurs de rester, et je veux avoir votre accord pour la tenue d’une courte réunion à huis clos où nous discuterons d’autres travaux du comité.
Êtes-vous d’accord?
Des voix : D’accord.
La présidente : Nous allons poursuivre à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)