Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 190

Le mardi 27 mars 2018
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 27 mars 2018

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le système de justice pénale

L’honorable Dan Christmas : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui en tant que membre de la nation mi’kmaq. Je trouve encourageant le désir apparemment réel du gouvernement du Canada d’aller de l’avant dans un esprit de réconciliation. Je trouve toutefois troublants certains exemples récents qui nous rappellent que, dans bien des cas, les Autochtones n’ont pas véritablement accès à la justice au sein de notre société.

Rappelons-nous le meurtre de Tina Fontaine, une adolescente de 15 ans qui était membre de la nation Sagkeeng, au Manitoba, et l’acquittement de son présumé meurtrier.

Ce verdict est tombé et ses conséquences ont commencé à se faire sentir seulement deux semaines après que Gerald Stanley, un fermier de la Saskatchewan, a été acquitté du meurtre par balle de Colten Boushie, un Cri de 22 ans.

On débat largement du racisme, de la perception d’ingérence de la part de politiciens dans le processus judiciaire et du fait qu’il faut accepter la volonté des tribunaux, qui s’exprime en conformité avec l’application régulière de la loi et, espérons-le, en toute impartialité. Des commentaires semblables ont été exprimés récemment au Sénat. C’est une bonne chose, puisque, en tant que législateurs, nous avons la responsabilité de faire en sorte que l’administration de la justice, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des tribunaux, fasse vraiment abstraction de la race, de la couleur de la peau, des croyances religieuses et de tout autre facteur du genre.

Cependant, la réalité, c’est que nous n’en sommes pas encore là. Notre société doit reconnaître et avouer qu’elle doit faire mieux à cet égard et lutter contre le racisme dont sont victimes les Autochtones.

J’aimerais vous faire part d’un exemple d’une tragédie survenue dans ma localité, Membertou, en Nouvelle-Écosse, et à l’égard de laquelle justice n’a pas été rendue.

Un soir, un jeune homme de Membertou, accompagné de deux adolescents, a été témoin d’un meurtre dans un parc de Sydney. L’auteur de ce meurtre était un homme de 59 ans en état d’ébriété, qui était imprévisible et qui avait une propension à la violence.

Cinq jours plus tard, un jeune homme de 17 ans s’est fait arrêter pour meurtre. Le sergent-détective avait formulé l’hypothèse que le jeune homme avait poignardé la victime, et il a cherché des éléments de preuve pour la confirmer.

Le procès, qui a duré à peine trois jours, en novembre 1971, a été bâclé. Malheureusement, le jeune homme de 17 ans a été reconnu coupable et condamné à une peine de prison à vie, et il est resté emprisonné pendant les 11 années qui ont suivi. Il a été en mesure de faire rouvrir son dossier quand on a appris que l’auteur du crime avait avoué le meurtre.

Ce jeune homme, qui a perdu 11 ans de sa vie à cause de cette erreur judiciaire préjudiciable, était Donald Marshall Jr.

La commission royale a conclu que Junior, comme on l’appelait, avait été victime du racisme et de l’incompétence de la police, des juges, des avocats et des fonctionnaires, déclarant que :

Le système de justice criminelle a failli à son devoir envers Donald Marshall Jr. pratiquement à toutes les étapes, de son arrestation et sa déclaration de culpabilité erronnée pour meurtre en 1971, jusqu’à son acquittement par la Cour d’appel […]

Tina Fontaine, Colten Boushie et Donald Marshall Jr. méritent qu’on rende hommage à leur mémoire et qu’on la chérisse. En tant que société, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour nous débarrasser du redoutable fléau du racisme qui, dans son sillage de destruction, a empêché ces victimes et leur famille d’obtenir justice et de tourner la page dignement et paisiblement.

En terminant, souvenons-nous des magnifiques paroles de Martin Luther King Jr. et reconnaissons la dure réalité selon laquelle « une injustice, où qu’elle se produise, est une menace pour la justice partout ailleurs ».

Wela’lioq. Merci.

Des voix : Bravo!

Félicitations à Kaetlyn Osmond et à l’équipe Gushue

L’honorable Norman E. Doyle : Honorables collègues, je tiens une fois de plus à attirer votre attention sur Kaetlyn Osmond et l’équipe Gushue, qui ont remporté une médaille d’or en patinage artistique et en curling, respectivement, et qui sont toutes deux originaires de la petite province de Terre-Neuve-et-Labrador.

Commençons par Kaetlyn Osmond. Le grand titre du journal local l’a très bien dit : « La perfection ou à peu près : Kaetlyn Osmond, championne du monde » À 22 ans, cette jeune femme de Marystown, à Terre-Neuve, est ainsi devenue la première Canadienne depuis 45 ans à remporter les Championnats mondiaux de patinage artistique, la dernière à avoir décroché l’or étant Karen Magnussen, en 1973.

Pour tout dire, Mme Osmond est seulement la quatrième Canadienne à remporter le grand prix mondial de patinage artistique. Mme Magnussen et elle ont été précédées de Petra Burka, en 1965, et de Barbara Ann Scott, qui a obtenu deux titres d’affilée en 1947 et 1948. La victoire de Kaetlyn la semaine dernière en Italie est d’autant plus spectaculaire que, avec une quatrième place après le programme court, elle tirait de l’arrière.

Une question nous vient tout de suite à l’esprit : comment la jeune fille qui a grandi dans une petite ville d’une province peu peuplée a-t-elle pu devenir la championne du monde qu’elle est aujourd’hui? De toute évidence, le talent inné, le labeur incessant et le soutien des proches ont tous contribué à son succès.

J’ai toutefois la nette impression que c’est surtout sa détermination infaillible qui l’a menée au sommet. Malgré les coups durs et les blessures, Kaetlyn n’a jamais cessé de tout faire pour s’améliorer. Rien ne pouvait l’arrêter et voilà qu’aujourd’hui, elle fait l’envie de la province, du pays et du monde entier.

Parlant de détermination, que dire de notre autre sujet de fierté nationale, Brad Gushue, et son équipe de curleurs d’élite? À voir aller ces quatre types, ça semble tellement facile de gagner, même si je suis convaincu que c’est loin d’être le cas. Comme vous le savez, l’équipe de M. Gushue a remporté le championnat canadien de curling Brier de 2018 il y a quelques semaines. C’était la deuxième année de suite qu’elle accédait à la plus haute marche du podium.

Grâce à sa victoire de l’an dernier, Brad Gushue a réalisé un rêve qui lui échappait depuis le début de sa carrière. En effet, depuis qu’il a remporté les Championnats canadiens et mondiaux junior de curling, en 2001, il avait réussi à gagner tous les types de tournois de curling, y compris la médaille d’or aux Jeux olympiques de 2006, sauf le trophée Brier, qui lui filait sans cesse entre les doigts. Je peux seulement imaginer comment il a dû se sentir en le faisant sien deux années de suite.

Chers collègues, ce fut évidemment très difficile pour Kaetlyn Osmond et pour l’équipe de Brad Gushue de remporter de tels honneurs et de s’élever au-dessus du lot dans le bassin sportif d’un pays de 35 millions d’habitants comme le Canada. Toutefois, je n’arrive pas à imaginer comment ces champions ont pu se hisser au sommet dans les compétitions internationales, contre des athlètes issus d’un bassin de 140 millions de Russes, 326 millions d'Américains et 1,3 milliard de Chinois.

Pourtant, nous y arrivons très bien. Notre petite province, Terre-Neuve-et-Labrador, a l’honneur de compter parmi ses filles et ses fils la championne du monde de patinage artistique et l’équipe de curling classée au premier rang mondial. Félicitations à Kaetlyn Osmond et à l’équipe Gushue.

Des voix : Bravo!

(1410)

[Français]

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de la nouvelle poète officielle du Parlement, Mme Georgette LeBlanc.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Remerciements

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour remercier du fond du cœur Son Honneur le Président du Sénat, mes collègues sénateurs et le personnel chargé de la sécurité et de l’Administration du Sénat pour leurs encouragements, leurs cartes et leurs fleurs. À la vue de vos belles attentions, je me suis dit que j’étais vraiment chanceuse de pouvoir travailler en compagnie de personnes aussi gentilles et bienveillantes.

[Français]

Comme certains d’entre vous le savent déjà, je me suis absentée à l’automne pour subir une opération de remplacement de la hanche. Depuis plusieurs années, ma hanche me faisait souffrir. Or, depuis cette opération, je me sens beaucoup mieux. Je profite donc de l’occasion pour remercier mes médecins, les Drs Jetha, Garbuz, Reid et Chapman, pour leurs soins. J’aimerais également remercier ma thérapeute, Farah Valimohamed Webber, et mon physiothérapeute, Jason Luce.

[Traduction]

Nous avons tous des familles. Au Sénat, ma famille est composée des sénateurs libéraux indépendants, qui m’ont toujours solidement appuyée dans mon travail de sénatrice et qui étaient là aussi pour me soutenir au cours de ma maladie et de ma convalescence. Je tiens à dire merci au sénateur Day, notre leader, au sénateur Mercer, notre leader adjoint, et au sénateur Downe, notre whip. Merci pour votre soutien indéfectible. Chaque fois que j’ai téléphoné au sénateur Downe pour l’informer sur mon retour, il m’a rappelé de prendre soin de ma santé. Je croyais, mesdames et messieurs les sénateurs, que le travail d’un whip était de s’assurer que je sois présente au Sénat, mais il m’a plutôt encouragée à rester chez moi pour que je me rétablisse. Merci à vous, monsieur le sénateur Downe.

Nous pouvons tous compter sur un personnel formidable, mais je crois que ceux qui travaillent pour moi sont les meilleurs qui soient. Gavin Jeffray, mon homme de confiance, n’a ménagé aucun effort pour me tenir au courant à distance de ce qui se passait au Sénat. Seema Rampersad et Melina Bouchard nous ont sans cesse aidés, Gavin et moi. Je ne pourrais pas faire mon travail de sénatrice sans leur aide. Merci.

Je ne pourrais pas non plus faire mon travail sans l’aide de mon mari, Nuralla Jeraj, qui sait faire preuve de patience et d’altruisme. Je suis chanceuse d’avoir un conjoint formidable. Mes frères et sœurs, leurs conjoints et leurs enfants ne cessent de m’encourager. Ma sœur, Nimet, m’a envoyé un repas nutritif à l’hôpital et à la maison tous les jours, sans exception.

Aujourd’hui, je me remets très bien grâce à mes incroyables enfants, Azool, Shaleena, Farzana et Craig, qui ont pris soin de moi jour et nuit. Ma chère Farzana est restée à mon chevet de nombreuses nuits.

Honorables sénateurs, je vous prie de trouver un équilibre dans la vie, car il n’y a rien de plus précieux que la famille. Pendant les moments difficiles de mon rétablissement, mes deux petits-enfants, Ayaan et Almeera, m’ont serrée dans leurs bras. Je garderai toujours au fond de mon cœur ce que m’a dit ma petite-fille de quatre ans, Almeera, alors qu’elle me peignait les cheveux: « Dadima — grand-mère —, ne t’inquiète pas. Je te protège. »

Honorables sénateurs, je vous demande de bien prendre soin de votre santé et de passer du temps avec votre famille. Je vous remercie de l’accueil chaleureux que j’ai reçu. Je suis vraiment heureuse d’être de retour au Sénat.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de membres du Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee). Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Dyck.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Saskatchewan

L’honorable Pamela Wallin : Au début du mois, l’Association des municipalités rurales de la Saskatchewan a tenu son congrès annuel à Regina pour discuter des véritables problèmes auxquels sont confrontées les régions rurales. Le premier ministre provincial, Scott Moe, a participé au congrès et a écouté les discussions sur les questions prioritaires, notamment l’arriéré dans le transport du grain qui touche les agriculteurs et les problèmes des services policiers en milieu rural. En d’autres mots, voilà deux domaines où l’action — ou l’inaction — du gouvernement fédéral nuit aux régions rurales de la Saskatchewan.

Les membres de l’association ont encore expliqué qu’ils ne peuvent pas acheminer leurs céréales vers les marchés, car le gouvernement a décidé d’inclure la question du transport dans un projet de loi omnibus et il refuse d’examiner d’autres solutions, comme un décret, pour faciliter le transport plus rapide des produits. Les agriculteurs ont déjà de la difficulté à rembourser leur hypothèque, les prêts engagés sur les terres et les intrants. Ils injectent chaque année des milliards de dollars dans l’économie du Canada et ils méritent mieux.

En ce qui concerne les services policiers en milieu rural, les gens doivent attendre trop longtemps l’arrivée des policiers — s’ils arrivent. C’est un tel problème que la province a prévu d’armer un certain nombre d’agents de conservation pour aider la GRC. Or, ce n’est pas une solution.

Le gouvernement fédéral ne fait rien pour aider les services de police comme la GRC qui manquent de ressources. Les habitants des régions rurales sont donc mal desservis et mal protégés. De plus, l’impatience du gouvernement à faire légaliser le cannabis crée de réels problèmes pour les services de police. Rien que le fait de devoir anticiper les changements possibles mobilise énormément de ressources humaines et financières. C’est trop de pression, selon les chefs de police.

Les habitants des régions rurales de la Saskatchewan croient, à juste titre, que le gouvernement mène une attaque massive contre eux sur plusieurs fronts, sans parler du projet de loi sur les armes à feu.

Les villes en subissent également les conséquences. Evraz, producteur d’acier soucieux de l’environnement et principal producteur de tuyaux pour Trans Mountain, craint de devoir mettre à pied des métallurgistes si le projet est arrêté. Le gouvernement fédéral se traîne les pieds. Il demande à la Colombie-Britannique et à l’Alberta de régler le problème elles-mêmes alors qu’il devrait intervenir dès maintenant et faire avancer les choses. Cela relève de ses compétences.

Je remercie l’Association des municipalités rurales de la Saskatchewan et ses membres de leur passion. J’invite ses membres et tous les gens de la Saskatchewan à continuer de faire part de leurs inquiétudes à leurs députés fédéraux et aux sénateurs. Envoyez-nous des courriels, appelez-nous et continuez de réclamer que le gouvernement fédéral réponde mieux à vos besoins. Merci.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Roy et d’Yvonne Careen. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Manning.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

La poète officielle du Parlement

Georgette LeBlanc

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs et sénatrices, je désire profiter de la Journée internationale du théâtre pour saluer d’abord les femmes et les hommes de théâtre qui transforment notre quotidien par leur art et leur regard unique sur le monde. De plus, c’est avec une très grande fierté que je prends la parole aujourd’hui pour saluer notre nouvelle poète du Parlement, l’artiste acadienne Georgette LeBlanc.

Née à Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec, elle a grandi dans la baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, une région acadienne cartographiée par Samuel de Champlain en 1604. Titulaire d’un doctorat en études francophones de l’Université de la Louisiane à Lafayette, Georgette LeBlanc s’est imposée comme poète avec ses recueils Alma et Amédé, pour lesquels elle a reçu le prix Félix-Leclerc, le prix Antonine-Maillet-Acadie-Vie, le prix littéraire Émile-Ollivier et le Lieutenant Governor of Nova Scotia Masterworks Arts Award.

En 2013, Georgette LeBlanc nous offrait Prudent, finaliste du prix littéraire du gouverneur général du Canada dans la catégorie « Poésie », dans lequel elle nous transporte dans un univers tumultueux qui s’étend de la Louisiane au Grand Texas, une histoire où la musique et la chair ne font qu’un.

Plus récemment, elle nous donnait Le Grand Feu, qui relate l’histoire du Grand Feu de 1820 à la baie Sainte-Marie, qu’elle raconte brillamment dans un roman en vers libres.

Une des figures majeures de la poésie acadienne et canadienne contemporaine, Georgette LeBlanc a collaboré et contribué à la scène théâtrale, télévisuelle et musicale, incroyables enfants, autres à la scénarisation du feuilleton dramatique Belle-Baie, de la réalisatrice Renée Blanchar, ainsi qu’aux albums de nombreux artistes de sa région, y compris Havre de Grâce, du populaire groupe musical Radio Radio, Deuxième nation, du groupe Cy, et 3/4, d’Arthur Comeau.

La lumière qui jaillit de la poésie de Georgette LeBlanc éclaire Baie-Sainte-Marie et le monde entier avec sensualité, beauté et profondeur. Le rapport intime qu’elle entretient avec ses personnages nous fait presque regretter de ne pas faire partie de son œuvre. Grâce à sa poésie, elle nous donne accès à notre propre intériorité et à nos aspirations les plus grandes. Dans une langue riche, colorée, inventée et inspirée de son pays natal, l’œuvre de Georgette LeBlanc nous élève l’âme et nous permet d’accéder au meilleur de nous-mêmes.

Honorables collègues, la présence de cette artiste dans notre enceinte et au Parlement du Canada sera certainement une source d’inspiration pour nous tous et toutes. La poésie de Georgette LeBlanc saura, j’en suis sûr, contribuer à nous aider à maintenir ici cette part d’humanisme et de sensibilité si nécessaire à la réalisation de nos travaux. Je vous invite à lire ses livres, qui ont été publiés aux Éditions Perce-Neige.

Bienvenue au Parlement du Canada, chère Georgette LeBlanc.

[Traduction]

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mme Olivia Monton, fondatrice de l’initiative Live pour la cause et lauréate d’une médaille commémorative du 150e anniversaire du Sénat du Canada. Elle est l’invitée de l’honorable sénatrice Seidman.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

(1420)


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La Commission canadienne des droits de la personne

Dépôt du rapport annuel de 2017

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la Commission canadienne des droits de la personne pour l’année 2017, conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, par. 61(4), et à la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44, art. 32.

[Traduction]

Régie interne, budgets et administration

Dépôt du vingt-septième rapport du comité

L’honorable Larry W. Campbell : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le vingt-septième rapport (intérimaire) du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration intitulé Services de traduction parlementaire.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion du sénateur Campbell, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Projet de loi sur l’accord concernant la gouvernance de la nation crie d’Eeyou Istchee

Présentation du dixième rapport du Comité des peuples autochtones

L’honorable Lillian Eva Dyck,présidente du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, présente le rapport suivant :

Le mardi 27 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a l’honneur de présenter son

DIXIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-70, Loi portant mise en vigueur de l’Entente sur la gouvernance de la nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada, modifiant la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, a, conformément à l’ordre de renvoi du 1er mars 2018, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis,

La présidente,

LILLIAN EVA DYCK

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

La sénatrice Dyck : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que la troisième lecture du projet de loi soit inscrite à l’ordre du jour de la présente séance.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Sur la motion de la sénatrice Dyck, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la présente séance.)

[Français]

Projet de loi de crédits no 5 pour 2017-2018

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-72, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2018, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(La deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Projet de loi de crédits no 1 pour 2018-2019

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-73, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2019, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(La deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Énergie, environnement et ressources naturelles

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable Rosa Galvez : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat, au plus tard le 6 avril 2018, son rapport provisoire sur la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Sécurité nationale et défense

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du dépôt de son rapport final sur les questions relatives à la création d’un système professionnel, cohérent et défini pour les anciens combattants lorsqu’ils quittent les Forces armées canadiennes

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant les ordres du Sénat adoptés le mardi 7 mars 2017, le mardi 20 juin 2017, et le jeudi 26 octobre 2017, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense concernant son étude sur les questions relatives à la création d’un système professionnel, cohérent et défini pour les anciens combattants lorsqu’ils quittent les Forces armées canadiennes soit reportée du 31 mars 2018 au 30 juin 2018.

[Traduction]

Agriculture et forêts

Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat

L’honorable Diane F. Griffin : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5a) du Règlement, je propose :

Que le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts soit autorisé à se réunir le mardi 27 mars 2018, à 18 heures, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Par conséquent, l’honorable sénatrice Griffin, avec l’appui de l’honorable sénatrice Dupuis, propose que le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts… Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Nous n’en avons pas parlé au caucus aujourd’hui. Je me demande si cette question a fait l’objet de discussion avec le vice-président du comité.

La sénatrice Griffin : Oui, elle l’a fait. Nous n’avons pas discuté du fait de présenter la motion elle-même, mais nous avons bel et bien parlé de tenir une réunion aujourd’hui. Cette rencontre n’a rien à voir avec le projet de loi C-45, mais elle portera sur la marijuana et les résidus du cannabis, c’est-à-dire les résidus biologiques compostables. Nous accueillerons donc quelques témoins qui s’y connaissent.

La réunion commencera à 18 heures au lieu de 17 heures. Nous espérons que la séance du Sénat sera alors levée. Nous tentons de ne pas occasionner d’inconvénients pour ces invités tout en perturbant le moins possible les activités de cette enceinte.

(1430)

À l'origine, votre caucus a présenté la motion dans le but d’examiner la question. Il s’agit d’un enjeu environnemental très important, mais qui n’a rien à voir avec le projet de loi C-45. Il concerne plutôt des résidus agricoles.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Les travailleurs saisonniers au Nouveau-Brunswick

Les défis continus—Préavis d’interpellation

L’honorable Rose-May Poirier : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur les défis continus auxquels font face les travailleurs saisonniers au Nouveau-Brunswick.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Conformément à la motion adoptée le jeudi 22 mars 2018, la période des questions aura lieu à 15 h 30.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur l’accord concernant la gouvernance de la nation crie d’Eeyou Istchee

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-70, Loi portant mise en vigueur de l’Entente sur la gouvernance de la nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada, modifiant la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, soit lu pour la troisième fois.

― D’entrée de jeu, je remercie les sénateurs d’avoir permis que nous nous penchions aujourd’hui sur cet important dossier. J’exprime particulièrement ma gratitude à la sénatrice Dyck et au comité qu’elle préside qui, plus tôt aujourd’hui, a tenu une excellente séance en vue d’étudier cette mesure législative.

J’interviens à la place de la marraine du projet de loi, la sénatrice Pate, qui est actuellement en déplacement avec le Comité sénatorial permanent des droits de la personne. La sénatrice s’occupe également d’autres dossiers, mais je la remercie d’avoir parrainé cette mesure législative.

Grâce au projet de loi C-70, les Cris et les Naskapis seront en bien meilleure position pour répondre aux besoins particuliers de leurs communautés et en assurer le bien-être. Je souhaite la bienvenue aux représentants de cette communauté qui sont parmi nous pour suivre cet important débat. Je suis ravi de leur présence. Cette mesure législative jouit de l’appui de la nation crie d’Eeyou Istchee et de la nation naskapie de Kawawachikamach.

Le gouvernement du Canada réalise ainsi son engagement en vue de de rétablir une relation de nation à nation avec les peuples autochtones, une relation fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat. La ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord a travaillé en partenariat avec les membres de ces Premières Nations. Ensemble, ils ont convenu de plusieurs changements importants liés à la gouvernance des Cris et des Naskapis.

L’Entente sur la gouvernance de la Nation crie a été cosignée le 18 juillet 2017 par Matthew Coon Come, l’ancien grand chef du Grand conseil des Cris, et la ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord.

Les chefs des Cris d’Eeyou Istchee ont également donné leur accord à l’Entente sur la gouvernance. La nation crie se compose de plus de 18 000 résidants qui vivent principalement dans neuf communautés. Des consultations exhaustives ont eu lieu auprès de ces communautés avant la signature de l’entente. Les membres des neuf Premières Nations cries et du gouvernement de la nation crie ont formellement approuvé, par les résolutions du conseil de bande, l’Entente sur la gouvernance ainsi qu’une nouvelle constitution crie le printemps dernier.

Dans le cadre d’un processus distinct, la nation naskapie de Kawawachikamach et le Canada ont négocié des améliorations à la gouvernance interne de la nation naskapie en vertu de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, rebaptisée « Loi sur les Naskapis et la commission Crie-Naskapie ».

Le projet de loi joue un rôle déterminant dans le processus de réconciliation du Canada avec les nations crie et naskapie. C’est un processus qui modernisera la gouvernance de ces Premières Nations du Nord du Québec et qui favorisera l’autodétermination de leurs citoyens. L’entente représente un véritable effort de nation à nation, fondé sur le partenariat, le respect du mode de vie traditionnel des Cris et le développement durable. L’autodétermination jette les bases d’une relation renouvelée entre le Canada et les peuples autochtones, et améliore la qualité de vie des résidents des communautés autochtones.

Le projet de loi met en œuvre l’Entente sur la gouvernance de la Nation crie. Il modifie également la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec afin de moderniser le régime de gouvernance de la Première Nation naskapi du Nord du Québec. L’Entente sur la gouvernance confère à la Première Nation crie et au gouvernement de la nation crie le pouvoir d’adopter des lois, plutôt que des règlements, au sein des communautés cries. Ces lois seront conformes à la culture, aux priorités et aux aspirations des Cris.

En vertu de l’Entente sur la gouvernance, la nation crie et le gouvernement de la nation crie seront entièrement responsables de leur autonomie gouvernementale. Élément tout aussi important, l’Entente sur la gouvernance exige l’élaboration et l’adoption d’une constitution crie par les Cris. Le projet de loi dont nous sommes saisis modifie la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec de façon à la rendre inapplicable aux Cris et à donner plus de pouvoir aux Naskapis. Ces modifications faciliteront les décisions et les processus politiques et administratifs de la nation naskapie. De plus, elles répondront à un engagement exceptionnel pris dans le cadre de la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations, qui a été adoptée en juin 2000. Cet engagement vise à corriger certaines dispositions de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec afin que la Charte canadienne des droits et libertés soit respectée.

Comme je l’ai déjà dit à l’étape de la deuxième lecture, les Cris d’Eeyou Istchee voulaient que le Sénat adopte rapidement le projet de loi. Je suis d’ailleurs reconnaissant au Sénat d’avoir répondu à leur demande, car nous l’adoptons aujourd’hui. L’entente et le projet de loi qui a suivi ont fait l’objet de consultations rigoureuses.

Comme je l’ai dit, la ratification s’est faite, à la demande des Cris, après l’adoption de résolutions par les conseils de bande des neuf communautés touchées, le Grand conseil des Cris et le gouvernement de la nation crie.

Des séances d’information ont eu lieu dans toutes les communautés touchées. Pendant ces séances d’information, les membres de la communauté ont pu se procurer une copie de l’Entente sur la gouvernance et de la constitution crie.

Les résidants ont eu l’occasion de s’exprimer et d’obtenir des renseignements sur la teneur de l’entente et sur le processus d’homologation. Les dirigeants cris des neufs communautés touchées avaient pour mandat d’approuver l’Entente sur la gouvernance de la nation crie et la constitution crie au nom de leurs membres, ce qui a donné lieu au projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Je vous recommande ce projet de loi et je suis, encore une fois, reconnaissant au Sénat d’avoir accepté d’en faire l’étude d’une façon inhabituelle.

L’honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, j’aimerais dire quelques mots à propos de ce projet de loi très important, mais je tiens tout d’abord à remercier le Sénat d’avoir adopté la motion qui nous permet d’en débattre aujourd’hui. Comme l’a dit le sénateur Harder, nous devons nous prononcer d’ici la fin du mois.

Ce matin, le Comité des peuples autochtones a tenu des audiences sur le projet de loi. Nous y avons entendu des représentants du ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Nous avons entendu le témoignage de Perry Billingsley, sous-ministre adjoint délégué, Traités et gouvernement autochtone, et de Sylvain Ouellet, directeur général, Traités et gouvernement autochtone. Du ministère de la Justice Canada, nous avons aussi entendu Geneviève Thériault, avocate-conseil principale. Ce panel nous a donné le point de vue du gouvernement.

Dans le second panel, nous avons entendu Abel Bosum, grand chef, Mandy Gull, grand chef adjoint, Matthew Coon Come, ancien grand chef et Bill Namagoose, directeur exécutif, qui représentaient le Grand conseil des Cris d’Eeyou Istchee, ainsi que Paul John Murdoch, avocat, et Kaitlyn Hester-Moses, grande chef des jeunes. Nous avons aussi entendu John Hurley, associé de la filiale canadienne de Gowling WLG.

Je dois dire que les sénateurs ont posé des questions intéressantes auxquelles les témoins ont répondu de façon détaillée. Je tiens à dire quelques mots à propos de l’entente elle-même, à partir des notes que le grand chef nous a fournies ce matin.

Comme l’a affirmé le sénateur Harder, la nation des Cris d’Eeyou Istchee comprend plus de 18 000 personnes qui vivent sur leur territoire traditionnel qui couvre une superficie d’environ 400 000 kilomètres carrés et qui est situé à l’est et au sud de la baie James et de la baie d’Hudson.

L’entente était en cours de négociation depuis quelque temps et, comme le grand chef nous l’a déclaré ce matin, pour en apprécier pleinement l’importance, il fallait dire quelques mots sur la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, pour laquelle les membres de sa communauté se sont battus bec et ongles et qu’ils ont signée en 1975. L’un des signataires était d’ailleurs notre ancien collègue, le sénateur Watt.

(1440)

Même si je me réjouis qu’il soit désormais président de Makivik, c’est un peu triste qu’il ne soit pas présent aujourd’hui pour assister à l’adoption de ce projet de loi précis.

La convention a été signée en 1975. Même si elle était considérée comme un partenariat pour la gouvernance et le développement entre le Canada et le Québec, son application n’a pas été sans quelques difficultés et différends. Il y a eu des débuts de litiges, mais l’impasse s’est réglée quand, probablement en 2008, les fonctionnaires ont finalement décidé que le traité prévalait sur la politique. À partir de ce moment, de 2008 à 2018, des négociations ont été en cours et, aujourd’hui, nous nous trouvons devant le produit de ces négociations.

Félicitations aux Cris, qui se sont battus longtemps et énergiquement et qui ont fait participer les membres de leur collectivité à toutes les étapes.

Le projet de loi C-70 prévoit l’adoption de la Loi sur l’Entente sur la gouvernance de la nation crie d’Eeyou Istchee. Cette nouvelle loi mettra en vigueur tant l’Entente sur la gouvernance que la constitution crie.

Soit dit en passant, lorsque notre comité était en déplacement la semaine dernière dans le cadre d’une relation de nation à nation, plusieurs collectivités nous ont dit à quel point il est important pour chaque nation d’avoir sa propre constitution. Manifestement, les Cris ont servi d’exemple. Ils sont l’exemple que d’autres nations nous trouvons suivre.

On nous a dit aujourd’hui que presque la moitié de leurs chefs élus sont des femmes — et nous avons vu deux femmes chefs, le grand chef adjoint et le grand chef des jeunes. Ils sont donc certainement arrivés à un équilibre entre les sexes dans le cadre de leur développement. Je les félicite à cet égard. J’étais très contente de le constater.

Tout ce que je souhaite, c’est de les féliciter. Je suis heureuse qu’ils soient en mesure d’être présents à la troisième lecture, de savoir que la sanction royale sera reçue durant les prochains jours et que leur travail exceptionnel a été très fructueux. Merci.

L’honorable Carolyn Stewart Olsen : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénatrice?

La sénatrice Dyck : Oui.

La sénatrice Stewart Olsen : La route a été longue pour les Cris. Je me souviens — et cela trahit mon âge — lorsque Matthew Coon Come s’est fait connaître du grand public. J’ai le plus grand respect pour cet homme.

Quoi qu’il en soit, comme je suis terriblement ignorante de beaucoup de ces choses, pourrait-on me dire ce qui arrive concernant la loi et l’ordre? Qui est responsable de la loi et de l’ordre dans la nation et comment la façon de faire de la nation concorde-t-elle avec les lois canadiennes, qui sont observées dans le reste du pays?

La sénatrice Dyck : Merci. Je ne prétends pas être une experte. Je ne suis pas avocate, mais, d’après ce que je comprends, ils ont adopté leurs propres lois, qui s’appliquent sur leurs propres territoires.

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole, à l’étape de la troisième lecture, en qualité de porte-parole de l’opposition officielle pour ce projet de loi. D’entrée de jeu, je tiens à dire que je vais parler en faveur de son adoption, mais, auparavant, j’aimerais expliquer pourquoi je ne suis pas tout à fait prêt à parler de ce projet de loi cet après-midi.

J’étais très conscient du fait que ce projet de loi, qui honore une entente conclue en 2008, comporte un versement de 200 millions de dollars une fois la mesure législative adoptée, et il semble que ce versement sera payé rapidement à même les fonds de l’exercice en cours, disponibles avant le 31 mars 2018. Donc, après avoir lu le projet de loi et n’ayant aucune question à son sujet et, même, étant disposé à lui donner mon appui entier et celui de l’opposition officielle au Sénat, je ne voudrais, bien entendu, d’aucune façon empêcher son adoption avant le 31 mars.

Signalons, toutefois, que nous avions convenu d’utiliser le plumitif et de reporter la troisième lecture du projet de loi à la prochaine séance. La marraine du projet de loi ne peut malheureusement pas être ici aujourd’hui et, à titre de porte-parole, je préparais mes notes en vue de prendre la parole demain.

Cela dit, je suis ravi que des représentants des Cris aient été invités au Sénat cet après-midi et qu’ils aient participé aux travaux de notre comité ce matin. Je sais qu’on leur avait promis que la troisième lecture du projet de loi se ferait en une seule journée. En signe de respect, je serais donc prêt à présenter mes observations dès maintenant et à recommander que le projet de loi soit adopté cet après-midi.

Le projet de loi à l’étude vise à mettre en vigueur l’Entente sur la gouvernance de la nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada, à modifier la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et à apporter des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Comme vous le savez, à titre de sénateur et de membre du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, j’ai eu le grand privilège de participer à des moments d’importance historique au cours des dernières années. Ainsi, j’ai eu la chance de prendre la parole au Sénat pour appuyer publiquement la nouvelle autonomie gouvernementale de Premières Nations. J’ai pris part à des débats qui élargissaient la liste des droits que les lois canadiennes reconnaissent aux Autochtones, et j’ai contribué avec mes collègues au rétablissement de droits et de privilèges dont les Autochtones avaient été privés en raison d’anciennes lois racistes et paternalistes.

La journée d’aujourd’hui ne fait pas exception, chers collègues. Après avoir mené une lutte longue et assidue à la Couronne, lutte dont l’origine précède la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, et après s’être malheureusement sentie forcée de faire appel aux tribunaux pour faire respecter cette convention, la nation crie se trouve aujourd’hui à l’aube d’une nouvelle ère d’autonomie. C’est vraiment un moment qu'il faut célébrer.

L’adoption du projet de loi C-70 permettra d’éliminer le dernier élément de surveillance exercée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones sur certains aspects des règlements administratifs et de l’administration financière des Cris. Cette mesure législative met en place un mécanisme de financement stable à long terme avec le Canada qui est essentiel pour faire en sorte que le précieux temps et les précieuses ressources soient consacrés à la mise en œuvre des projets et à la prestation des programmes plutôt qu’aux formulaires de demande de fonds et aux rapports.

Comme je l’ai mentionné, l’adoption de ce projet de loi permettra de verser directement aux Cris les derniers 200 millions de dollars réservés après la signature en 2008 de l’Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Canada et les Cris d’Eeyou Istchee.

Je pense qu’il est, en outre, important de souligner que ce projet de loi représente un exemple d’une approche axée sur la collaboration de l’établissement de lois avec un partenaire autochtone. Pour en arriver à cette entente — ce qui a demandé 10 longues années —, les Cris ont dû sortir d’une impasse qui a duré des années, à l’époque où on tentait de remplacer l’accord solennel prévu dans l’entente par des politiques gouvernementales en matière d’autonomie administrative.

(1450)

Nous avons éprouvé la même difficulté dans les travaux qui ont mené à la création du Nunavut. Les représentants fédéraux nous ont dit que la politique d’autonomie gouvernementale empêcherait les Inuits de discuter de la création d’un nouveau gouvernement conjointement avec le règlement de la revendication territoriale du Nunavut.

Je sympathise donc avec les Cris et les félicite d’avoir persisté et attendu pour obtenir un véritable accord d’autonomie gouvernementale qui leur confère les pouvoirs, l’intégrité et l’indépendance qu’ils ont prouvé qu’ils méritent.

Je tiens à mentionner que j’ai été très impressionné, en examinant le projet de loi et en entendant les Cris au comité ce matin, par le niveau de consultation et de communication tout au long du processus. Il est important que nous continuions de faire participer les Autochtones à la rédaction des projets de loi, plutôt que de leur parler après le fait accompli. Ainsi, leurs préoccupations et leur voix seront entendues et il en sera tenu compte dans l’élaboration des projets de loi, et ce, dès le départ. Cela montre que les gouvernements ne peuvent pas continuer d’imposer des lois aux Autochtones et prétendre en même temps qu’ils souhaitent établir une nouvelle relation avec eux.

Je félicite les Cris de tout cœur. Ils sont, je crois, un modèle d’inspiration pour les Autochtones du Canada. Ils sont les premiers à avoir élaboré un accord complet, et, de concert avec les Inuits du Nunavik, ils ont été des pionniers relativement aux ententes sur des revendications territoriales globales au pays. Ils ont profité des occasions économiques découlant de cette entente sur des revendications territoriales, tout en préservant et en améliorant leur langue et leurs pratiques traditionnelles et spirituelles ainsi que leur lien étroit avec la terre et leur économie fondée sur les ressources renouvelables.

Les Cris ont prouvé que le développement économique est un moyen de renforcer la langue, la culture et l’autonomie, ce dont je les félicite encore une fois. J’espère qu’ils continueront d’inspirer d’autres peuples autochtones au Canada à trouver ce juste équilibre entre le développement économique et la préservation de leur langue et de leur culture. Les deux peuvent aller de pair. L’un n’empêche pas l’autre.

Honorables sénateurs, je vous implore tous d’appuyer le projet de loi C-70. En guise de conclusion, voici ce que le grand chef Abel Bosum a affirmé aujourd’hui au comité :

Cette année marque le 350e anniversaire de l’arrivée des Européens à Eeyou Istchee. Quand ils sont arrivés, nous étions déjà là, organisés en nations autochtones qui se gouvernaient elles-mêmes depuis des millénaires.

L’autonomie gouvernementale des Cris n’a pas été inventée aujourd’hui par l’Entente sur la gouvernance de la nation crie, son document d’accompagnement, la constitution crie, ainsi que leur loi de mise en œuvre, le projet de loi C-70, tout aussi importants qu’ils puissent être.

Alors, quelle est leur importance pour nous aujourd’hui? Leur importance est capitale, pour deux raisons. D’abord, ils s’appuient sur la Convention de la Baie-James et du Nord québécois et ramènent la gouvernance de la nation crie là où il se doit, chez nous. Ensuite, ce faisant, ils favorisent la réconciliation entre la nation crie et le gouvernement du Canada.

Je vous implore donc d’adopter ce projet de loi. Merci. Meegwetch.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Le Code criminel
La Loi sur le ministère de la Justice

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Sinclair, appuyée par l’honorable sénateur Mitchell, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi.

L’honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi. Ce projet de loi comprend différentes modifications du Code criminel en matière d’agression sexuelle et d’autres modifications visant à abroger les dispositions désuètes, dépassées, inconstitutionnelles ou contraires à la Charte des droits et libertés. Le sénateur Sinclair, le parrain du projet de loi, a décrit en détail les dispositions du projet de loi C-51 dans son discours.

Au début de son discours, il a également déclaré ce qui suit :

Je vous avoue que je songeais à proposer un amendement au projet de loi pour faire retirer du Code criminel la disposition sur les récusations péremptoires en raison du débat qui a actuellement cours dans la société, mais, à la lumière de ce qui a été annoncé hier par le premier ministre et des discussions que j’ai eues avec la ministre qui, me dit-on, songe à faire un tel changement, je vais m’abstenir pour voir ce que fera le gouvernement.

Toutefois, je veux qu’on comprenne bien que je considère toujours comme un énorme problème auquel il faut remédier la question de la sélection des jurés et les dispositions du Code criminel à ce sujet.

La question m’inquiète aussi. Le reste de mon intervention vise à convaincre le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles de se pencher sur les récusations péremptoires dans le cadre de son étude du projet de loi C-51. Il serait justifié d’amender le projet de loi dès maintenant plutôt que d’attendre un an ou plus pour que la ministre le fasse.

On sait depuis longtemps qu’il est possible d’abuser des récusations péremptoires, comme l’a indiqué le récent procès de Gerald Stanley en Saskatchewan, qui en a préoccupé plus d’un. Au moment de la sélection du jury, l’avocat de M. Stanley s’est servi de la procédure de récusation péremptoire pour exclure délibérément les candidats jurés qui étaient visiblement d’origine autochtone. Le résultat fut le suivant : un jury totalement blanc, alors que la victime est un Autochtone.

Beaucoup de personnes ont réagi à l’affaire. Le verdict de non-culpabilité et le fait que la Couronne ne fasse pas appel de la décision a créé une controverse et divisé les Canadiens au sujet de l’équité du système judiciaire envers les Autochtones.

Chers collègues, nous savons depuis des décennies qu’on peut avoir recours aux récusations péremptoires pour déséquilibrer la composition d’un jury. Il y a environ 30 ans, au milieu des années 1980, les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni ont tous les deux éliminé l’usage des récusations péremptoires.

Voici ce que dit la juge L’Heureux-Dubé dans la décision que la Cour suprême du Canada a rendue en 1991 dans l’affaire R. c. Sherratt :

Le jury moderne n’était pas destiné à servir d’outil au ministère public ou à l’accusé, ni à être endoctriné à cette fin au moyen de la procédure de récusation. On le concevait plutôt comme un échantillon représentatif de la société, constitué honnêtement et équitablement.

Dans le rapport de la commission d’enquête du Manitoba sur la justice publié la même année, en 1991, notre collègue, le sénateur Sinclair, et le juge en chef adjoint Alvin Hamilton ont recommandé ceci :

Que le Code criminel du Canada soit modifié de manière à ce que seules les récusations motivées soient permises pour les candidats jurés, et que l’on mette fin aux mises à l’écart et aux récusations péremptoires.

Douze ans plus tard, en 2013, le juge Frank Iacobucci a recommandé que le Code criminel soit modifié de manière à éviter que la procédure de récusation péremptoire soit employée de façon discriminatoire contre des jurés autochtones.

Pas plus tard que le mois dernier, après le verdict de non-culpabilité rendu au terme du procès de Gerald Stanley, le ministre des Relations avec les Autochtones de l’Alberta, Richard Feehan, a écrit à la ministre de la Justice du Canada, Jody Wilson-Raybould, pour lui demander d’agir sans tarder afin de réformer les dispositions sur la récusation péremptoire.

Chers collègues, avec le projet de loi C-51, le Sénat a l’occasion d’agir avec célérité. Nous pouvons agir dès maintenant en incluant les récusations péremptoires dans l’étude du projet de loi au comité.

(1500)

Je crois qu’il est important que le Sénat agisse maintenant au lieu d’attendre que la ministre s’attaque aux problèmes concernant le recours aux récusations péremptoires.

Il y a des raisons impérieuses d’envisager l’élimination immédiate des récusations péremptoires, surtout pour les Saskatchewanais. En effet, bon nombre de sondages et de données de Statistique Canada révèlent le traitement extrêmement injuste qui est réservé aux Autochtones en Saskatchewan. Par rapport au reste du Canada, les Autochtones habitant dans cette province sont plus susceptibles d’être victimes de racisme, d’être assassinés, d’être accusés de meurtre, d’être incarcérés et de purger des peines d’emprisonnement plus longues que les résidents non autochtones.

Au cours des 30 dernières années, selon Statistique Canada, le taux national d’homicides a diminué. Cependant, dans les Prairies, surtout en Saskatchewan et au Manitoba, ce taux a augmenté. Autrement dit, la Saskatchewan et le Manitoba affichent depuis longtemps un taux élevé d’homicides.

En me servant des données de Statistique Canada, j’ai calculé le taux d’homicides sur une période de 10 ans, soit de 2005 à 2014. Le taux d’homicides est équivalent au nombre d’homicides par 100 000 habitants. Le taux d’homicides en Saskatchewan est deux fois plus élevé que le taux national. À l’échelle nationale, il s’élève à 2,07 p. 100, tandis qu’il s’élève à 4,09 p. 100 en Saskatchewan.

Les villes de Regina, de Saskatoon, d’Edmonton et de Winnipeg figurent en tête de liste pour les taux d’homicides depuis de nombreuses années. Il convient toutefois de signaler que, d’après Statistique Canada, 62 p. 100 des homicides d’Autochtones sont survenus à l’extérieur de ces régions métropolitaines de recensement.

Chers collègues, au cours des trois dernières années, Statistique Canada a identifié les Autochtones victimes d’homicide ou accusés d’homicide. J’ai été choquée par l’ampleur des problèmes liés à l’identité autochtone en Saskatchewan par rapport au reste du pays.

Par rapport à la moyenne nationale, non seulement les Autochtones de la Saskatchewan étaient plus souvent accusés d’homicide que les non-Autochtones, ils en étaient aussi plus souvent victimes qu’eux. Au Canada, les Autochtones étaient 6 fois plus souvent victimes d’un homicide que les non-Autochtones, et ils étaient 10 fois plus souvent accusés d’un tel crime qu’eux, mais la situation était encore pire en Saskatchewan, où ils étaient 8 fois plus souvent victimes d’un homicide que les non-Autochtones et 16 fois plus souvent accusés d’un tel crime qu’eux.

Comme si ce n’était pas suffisant, les peines infligées aux Autochtones étaient plus sévères. Un avocat de la défense de la Saskatchewan, James Scott, a, en effet, comparé les peines infligées aux Autochtones avec celles infligées aux non-Autochtones sur une période de 16 ans soit de 1996 à 2014. Il a calculé que, en moyenne, les peines d’incarcération infligées aux Autochtones étaient plus de deux fois plus longues que celles infligées aux non-Autochtones.

Chers collègues, ces données permettent de conclure à l’existence de préjugés systématiques à l’endroit des Autochtones dans l’appareil judiciaire, à moins qu’on regarde les choses de l’autre sens, auquel cas, on pourrait croire que ce même appareil judiciaire est plus clément envers les non-Autochtones.

La surincarcération des Autochtones est bien connue et bien documentée. En 2016, par exemple, en Saskatchewan, environ 15 p. 100 de la population était autochtone, mais en milieu carcéral, c’est plutôt 80 p. 10 de la population qui était autochtone. De 4 à 5 p. 100 de la population canadienne est autochtone, mais cette proportion atteint plutôt 25 p. 100 dans les prisons du pays.

Comme le sénateur Christmas le disait plus tôt, pendant son voyage dans l’Ouest, le comité a constaté, lorsqu’il s’est rendu au pénitencier de Prince Albert, que de 80 à 90 p. 100 des détenus étaient des Autochtones.

Chers collègues, outre les déterminants sociaux comme la pauvreté et la toxicomanie, le racisme contribue lui aussi à la surreprésentation des Autochtones autant parmi les victimes d’actes criminels que parmi les délinquants. Au fil des ans, de nombreux sondages ont montré que le racisme contre les Autochtones est plus présent en Saskatchewan et au Manitoba que dans le reste du pays.

En 2007, selon un sondage réalisé par le Saskatchewan Anti-Racism Network, les Autochtones étaient deux fois plus susceptibles d’être victimes de racisme que d’autres minorités ethniques, comme les personnes d’origine chinoise ou asiatique orientale.

En 2010, on pouvait lire ce qui suit dans le rapport d’une étude sur les peuples autochtones en milieu urbain :

Si on pouvait résumer l’expérience des Autochtones en milieu urbain par un seul élément, ce serait l’impression qu’ont en général les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits de faire l’objet de préjugés négatifs.

Quatre-vingt-dix pour cent des participants à l’enquête estimaient être systématiquement vus de façon négative par les non-Autochtones. Cette perception était particulièrement forte à Saskatoon. Qui plus est, 70 p. 100 des participants ont dit avoir été traités de manière injuste en raison de leur race.

En 2014, un sondage mené par Environics pour CBC a révélé que les habitants des Prairies étaient moins tolérants que les autres Canadiens à l’égard des Autochtones. En 2016, 46 p. 100 des participants de la Saskatchewan à un sondage réalisé par le NRG Research Group estimaient que le racisme constituait un problème important. Cette année-là, d’ailleurs, les commentaires publiés en ligne à la suite de la mort par balle de Colten Boushie étaient tellement haineux et racistes que l’ancien premier ministre Brad Wall est intervenu pour demander aux gens d’arrêter. Des commentaires du même genre ont été de nouveau publiés cette année pendant et après le procès Stanley.

Fait intéressant, selon un sondage réalisé par Global News le mois dernier, si 32 p. 100 des Canadiens jugeaient que le verdict rendu dans le procès Stanley était imparfait et erroné, en Saskatchewan, 17 p. 100 seulement, soit la moitié, étaient de cet avis. Comparativement à la moyenne nationale et à l’Est du Canada, les gens de la Saskatchewan étaient beaucoup moins susceptibles de considérer que le verdict était erroné. Cette disparité cadre avec le taux de racisme plus élevé envers les Autochtones qu’on relève dans cette province.

Chers collègues, comme je l’ai souligné il y a quelques minutes, toutes ces données révèlent le traitement extrêmement injuste qui est réservé aux Autochtones en Saskatchewan. Comparativement à l’ensemble du reste du Canada, dans cette province, les Autochtones sont plus susceptibles que les non-Autochtones d’être victimes de racisme, assassinés, accusés de meurtre, emprisonnés ou visés par des peines plus longues.

Compte tenu de la surreprésentation de longue date des Autochtones comme victimes d’homicide ou accusés d’un tel crime au Canada, particulièrement en Saskatchewan, il est crucial que les Autochtones qui pourraient agir comme jurés ne soient pas éliminés par le recours constant à la récusation péremptoire.

Le procès Stanley n’est qu’un cas d’homicide dans lequel la victime était Autochtone. Selon des données de Statistique Canada, de 2014 à 2016 à l’échelle du Canada, 407 Autochtones ont été victimes d’homicide, dont 77 en Saskatchewan, et 479 Autochtones ont été accusés d’homicide, dont 97 en Saskatchewan.

Chaque année, des centaines d’Autochtones continuent d’être accusés d’homicide ou d’en être victimes. Ces statistiques indiquent qu’il faut éliminer la récusation péremptoire immédiatement plutôt que d’attendre une autre année. Le risque d’iniquité est réel et considérable.

Chers collègues, les données statistiques qui révèlent un haut niveau de racisme à l’égard des Autochtones et l’énorme surreprésentation des Autochtones au nombre des contrevenants, des victimes et des détenus devraient nous inciter à agir maintenant plutôt qu’à attendre que la ministre poursuive l’étude de la sélection des jurés. Le Sénat devrait certainement agir maintenant et se concentrer exclusivement sur le recours à la récusation péremptoire. On sait que cette pratique pose problème depuis 1991.

On a déjà attendu 27 ans pour remédier au problème; c’est trop long. Il faut agir maintenant plutôt qu’attendre une autre année, voire davantage, pendant que le ministère de la Justice poursuit ses recherches. Il faut éviter qu’un jury entièrement composé de Blancs ne fasse sciemment pencher la balance de la justice en faveur des non-Autochtones au détriment des Autochtones.

(1510)

L’élimination des récusations péremptoires pourrait améliorer les chances de procès équitable, pas seulement pour les Autochtones, mais aussi pour tous les Canadiens. Cela renforcerait la confiance du public dans le système de justice et dans le verdict des jurés.

Chers collègues, je vous ai soumis des statistiques et des chiffres qui témoignent de l’urgente nécessité de changement et de la possibilité qu’a dès maintenant le Sénat d’amender le projet de loi C-51 afin qu’il prévoie l’élimination des récusations péremptoires du Code criminel.

Le Sénat peut se montrer à l’écoute des préoccupations et faire preuve de leadership dans ce dossier important en prévoyant une étude des récusations péremptoires à l’occasion de l’examen du projet de loi C-51.

J’exhorte le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles à inclure le recours aux récusations péremptoires dans son examen du projet de loi C-51 afin de déterminer s’il convient de l’éliminer, comme cela a été fait aux États-Unis et au Royaume-Uni, et comme cela a été recommandé à quelques reprises depuis 1991.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénatrice, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Dyck : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Une telle étude irait dans le sens du projet de loi, qui vise à débarrasser le Code criminel des dispositions désuètes, dépassées, inconstitutionnelles ou contraires à la Charte des droits et libertés qu’il contient.

Merci beaucoup.

Des voix : Bravo!

L’honorable Donald Neil Plett : Puisque nous venons d’accorder cinq minutes de plus à la sénatrice Dyck, celle-ci accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Dyck : Oui.

Le sénateur Plett : Je n’étais pas dans la salle d’audience lors du procès Stanley en Saskatchewan. Je suppose que personne ici présent ne s’y trouvait, ni d’ailleurs la ministre de la Justice ni le premier ministre.

Bien sûr, tout le monde a estimé que justice n’avait pas été rendue dans ce procès. Je pose donc les questions suivantes à la sénatrice Dyck : connaissez-vous la composition du jury dans ce procès? Savez-vous s’il y a eu des récusations? Savez-vous si des Autochtones ont été récusés et, en l’occurrence, combien?

La sénatrice Dyck : Cinq jurés potentiels qui étaient visiblement Autochtones ont été éliminés. Le jury était composé uniquement de Blancs. Il y avait cinq jurés autochtones qui auraient pu faire partie du jury, mais ils ont été éliminés par l’avocat de M. Stanley.

(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, au nom de la sénatrice Pate, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cormier, appuyée par l’honorable sénatrice Petitclerc, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-66, Loi établissant une procédure de radiation de certaines condamnations constituant des injustices historiques et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Cormier, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des droits de la personne.)

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Ron Phillips, Dave Phillips, Marcel Carrière et Desiree Streit. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice McCallum.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Discours du Trône

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Jaffer, appuyée par l’honorable sénatrice Cordy,

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Son Excellence le Gouverneur général du Canada :

À Son Excellence le très honorable David Johnston, Chancelier et Compagnon principal de l’Ordre du Canada, Chancelier et Commandeur de l’Ordre du mérite militaire, Chancelier et Commandeur de l’Ordre du mérite des corps policiers, Gouverneur général et Commandant en chef du Canada.

QU’IL PLAISE À VOTRE EXCELLENCE :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Sa Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’elle a adressé aux deux Chambres du Parlement.

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, c’est avec humilité que je prends la parole pour la première fois dans cette enceinte. J’aimerais vous raconter une histoire qui contient une leçon importante et utile. L’extrait qui suit est tiré de l’ouvrage intitulé Quite an Undertaking: The Story of Violet Guymer, Canada’s First Female Licensed Funeral Director :

Le corps de la jeune femme avait été transporté à la morgue et placé sur la table. Elle était décédée depuis peu, alors qu’elle était en train d’accoucher à l’hôpital. Comme aucun membre de sa famille n’avait réclamé son corps, celui-ci avait été transporté immédiatement au salon funéraire en prévision de l’inhumation réservée aux indigents. Violet enfile son long tablier et commence à préparer le matériel d’embaumement. Elle ne s’habituait pas à recevoir le corps de personnes décédées aussi jeunes. Cette fois-ci, elle a le cœur brisé : la femme porte toujours son enfant.

Le regard triste, Violet entreprend la procédure, plaçant sa main sur l’abdomen gonflé de la défunte. Qu’est-ce que cela? Elle a senti quelque chose — un petit coup de pied! Elle fait glisser sa main sur le ventre arrondi. Oui, elle en est sûre : le bébé est encore en vie! Même si elle a perdu beaucoup de sang et qu’elle est inconsciente, la mère est probablement toujours vivante! Le médecin doit venir rapidement pour sauver la mère et son bébé.

Se précipitant sur le téléphone, elle décroche le combiné et tourne la manivelle comme une forcenée pour attirer l’attention de la téléphoniste.

D’un ton monocorde, Millie répond :« Le numéro, s’il vous plaît. »

« Millie, passe-moi le coroner! C’est Vi. Dépêche-toi! »

C’est le genre d’appel qui capte l’intérêt de Millie. Après avoir appelé l’hôpital pour transmettre le message, elle reste en ligne pour suivre la situation qui s’annonce intéressante au salon funéraire.

Le coroner répond d’un ton brusque : « Oui? »

« C’est Vi. Vous devez venir immédiatement. Cette femme est encore vivante. Je pense que le bébé l’est aussi! »

Elle raccroche, puis, posant le regard sur le joli visage tout jeune de la mère et les mains sur son ventre arrondi, elle prie pour que le coroner arrive avant qu’il ne soit trop tard. La grossesse est à terme, et les chances de survie du bébé sont excellentes.

Arrivé sur les lieux, le médecin palpe la carotide, fronce les sourcils, puis prend un stéthoscope dans sa trousse médicale. Plaçant d’abord le pavillon sur le cœur de la mère, puis sur l’utérus, il est à l’affût du moindre battement de cœur. Il hoche gravement la tête et dit : « On peut faire quelque chose. » Violet respire; il est arrivé à temps.

Le coroner fouille dans sa trousse et se retourne vers la femme étendue sur la table d’embaumement. Violet écarquille les yeux avec horreur, car, au lieu de tenir un scalpel pour faire une césarienne, il a une seringue hypodermique à la main. Il plonge l’aiguille dans l’utérus, injecte le contenu de la seringue, puis retire lentement l’aiguille avec un sourire de satisfaction. Il attend un instant, ausculte la femme de nouveau, puis confirme qu’il n’y a aucun battement de cœur ni signe de mouvement. La mère et l’enfant sont morts.

Vi porte la main à sa bouche pour réprimer son envie de crier. Elle voudrait hurler, pleurer et frapper l’homme à coups de poing. Comment peut-il être aussi froid, insensible et cruel? Elle se souvient de son propre bébé, qui, peu de temps auparavant, n’a pas survécu à l’accouchement, survenu quatre mois trop tôt. Elle se rappelle que les contractions et l’accouchement étaient pires que tout ce qu’elle avait enduré pendant la naissance de ses cinq autres enfants. Ces souvenirs ravivent son chagrin. Prise de nausée, elle se retient pour ne pas vomir. Ce n’est pas le temps de donner signe de faiblesse.

Elle réussit à se ressaisir, mais le choc et la colère se lisent sur son visage lorsqu’elle se tourne vers lui. Il ne fait pas attention à elle pendant qu’il range les instruments dans sa trousse médicale et qu’il se prépare à partir. Lorsqu’il lève enfin les yeux vers elle, il remarque sa réaction.

(1520)

Pour lui, « le problème » n’a été qu’un léger inconvénient qu’il a su régler rapidement et efficacement. Il avait momentanément oublié qu’il avait un public. De toute façon, il n’avait pas pensé que celui-ci pourrait être bouleversé. « Après tout, se dit-il, ce n’était qu’une Indienne. »

Il se rapproche de Violet. Se penchant vers sa frêle silhouette, il la fixe de ses yeux gris avec un air condescendant.

« Qu’est-ce qui se passe, Vi? On dirait que vous avez vu un fantôme… J’aurais cru que vous étiez habituée depuis le temps. »

Elle se mord la lèvre et lui répond avec un tremblement dans la voix : « Je pensais… je pensais que vous essayeriez de sauver le bébé, et non… ». Elle s’arrête un instant pour prendre une grande respiration : « … et non… faire ce que vous avez fait! » Elle détourne le regard pour cacher ses larmes.

Il soupire. « Bon sang! Allez-vous en faire tout un plat? J’ai fait ce que tout le monde aurait fait. C’est fini. De toute façon, ils n’avaient aucune chance. Vi, regardez-moi. »

D’un ton mesuré, il répète sa pensée à voix haute : « Ce n’était qu’une Indienne. Oubliez ça. »

Il se rapproche et, en lui donnant une petite tape sur l’épaule, il lui dit d’un ton paternaliste : « Je ne pensais pas que vous pourriez faire ce travail. C’est un travail d’hommes, Vi. Vous ne devriez pas être ici. Retournez à la maison pour prendre soin de vos enfants. » Il ajoute avec un petit sourire : « Ou bien venez chez moi. »

Il lui fait un clin d’œil et lui pince la joue.

Le regard en furie, elle le repousse avec force et lui dit  :« Ne me touchez plus jamais! Sortez d’ici! »

Il hausse les épaules, saisit sa trousse et lui lance en partant : « En passant, vous feriez mieux de ne pas parler de ce qui vient de se passer pour votre propre bien. Si vous dites quoi que ce soit, vous devrez fermer boutique, Vi Guymer. Ne l’oubliez jamais. »

Certes, la morte connaissait la vérité, tout comme Violet. Mais Violet savait aussi que le docteur avait raison : personne ne la croirait. Elle n’avait personne à qui raconter ce qui venait de se passer. Même si quelqu’un la croyait, il ne se passerait rien. Il avait encore raison. Ce n’était « qu’une Indienne ».

C’était en 1920, et le coroner avait beaucoup trop de pouvoir en ville. Elle était accablée par le fardeau de savoir qu’on avait commis un crime et que le criminel resterait impuni.

Je le répète, il s’agit d’une histoire vraie tirée du livre Quite an Undertaking :The Story of Violet Guymer, écrit par Elizabeth Lycar. Cette histoire s’est déroulée à The Pas, au Manitoba.

Honorables sénateurs, mon univers, un univers façonné par d’autres à l’aide de politiques gouvernementales et sans le consentement véritable des citoyens autochtones, a été déterminé avant même ma naissance.

Je suis née à The Pas en 1952, la ville où s’est déroulée cette horrible histoire vraie. En 1957, à l'âge de cinq ans à peine, j’ai été placée au Pensionnat indien de Guy Hill, aussi situé à The Pas. Je n’avais pas encore compris que l’expression « ce n’est qu’une Indienne » fixerait mon sort pendant de nombreuses années.

Aujourd’hui, cette expression continue d’influencer les actions de certaines personnes que je rencontre. Lorsqu’on est Indien de naissance au Canada, on développe une sensibilité aiguë à l’égard du racisme, des autres qui se permettent de vous dénigrer, qui disent ce qu’ils veulent, quand ils le veulent, qui continuent de vous enlever la vie sans subir de conséquences, qui agissent comme ils le souhaitent sans subir de conséquences et, parfois, sous le couvert du droit à la liberté d’expression.

Le racisme existe au Canada, c’est vrai. Toutefois, le racisme envers les Premières Nations est unique.

Honorables sénateurs, il est fondamentalement difficile d’être témoin de sa propre vie, de continuer de prendre conscience des façons dont la vie d’une personne issue des Premières Nations a été et continue d’être subtilement contrôlée et stigmatisée par le racisme. Même aujourd’hui, lorsque je suis victime d’oppression, cela évoque en moi une forte émotion, allant de la culpabilité et de la honte à la colère et au désespoir. La façon dont je gère ces émotions est déterminante pour favoriser ou empêcher le passage du déni et de la résistance à la colère, à l’affirmation et au changement.

Lors de ma lecture du Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada en vue d’une conférence à laquelle j’ai assisté à Thompson la semaine dernière, j’ai ressenti un mélange de rage et de colère malsaine pour la première fois en 50 ans. Cet incident m’a effrayée. Cette colère malsaine a été alimentée par les lettres affichées sur le site web d’une sénatrice.

Chers collègues, j’ai ressenti de la peur et de la honte en les lisant. Ces lettres ont été affichées et mises à la disposition du public pendant plus d’un an sans avoir d’autre objectif que d’encourager un sentiment de racisme envers les Premières Nations. Je n’ai d’autre choix que de tirer cette conclusion, puisqu’aucun effort n’a été fait par la sénatrice pour étudier de façon sérieuse et constructive les questions énoncées dans ces lettres, qui vont bien au-delà des pensionnats indiens.

Honorables sénateurs, les pratiques humiliantes telles que l’affichage de ces lettres sur le site web détournent l’attention du public des réalités sociales et des politiques troublantes pour attirer celle-ci sur des victimes servant de boucs émissaires; elles proposent des solutions simplistes, dramatiques et chargées d’émotions à des enjeux complexes. Cependant, la honte peut être un outil puissant. Si elle est cultivée correctement, elle peut être employée pour permettre aux Autochtones et aux sénateurs de devenir des agents de changement, et aux institutions de devenir des lieux de transformation.

Chers collègues, comme la plupart des gens, j’ai tendance à me cantonner dans mon point de vue à l’occasion, à me limiter à ma façon d’interagir avec les autres. Je peux m’habituer à percevoir le monde à ma façon et conclure que je le vois tel qu’il est. Je peux perdre un peu de mon objectivité.

Ce n’est qu’à la suite de ce problème persistant relatif aux lettres publiées que je suis sortie de ma zone de confort et que j’ai réalisé que je devais écouter les autres et avoir des conversations franches avec des Canadiens. Cette situation m’a aidée à surmonter la vulnérabilité que m’inspirent les rencontres difficiles, ce qui, parfois, me pousse à les éviter.

Honorables sénateurs, lorsqu’une relation fait resurgir de vieux malaises au Sénat comme aujourd’hui, j’ai peur et je me réfugie derrière ma carapace. J’ai d’abord envie de réagir impulsivement. Cela dit, c’est dans ces moments que je cherche une façon d’agir en harmonie avec mon cœur et mon esprit. Comme l’enseigne un aîné, il ne faut jamais laisser le moi dominer son esprit. C’est un enseignement qui m’est cher.

Chers collègues, Richard Wagamese, dans son livre intitulé A Quality of Light, explique ce qui suit :

Si nous, en tant que peuple autochtone…

— et j’inclus aussi les sénateurs —

… permettons à ces plaies de rester ouvertes, si nous permettons que l’érosion de notre culture, de notre langue, de nos enseignements, de nos communautés et de notre peuple se poursuive, si nous permettons à notre colère, à notre douleur et à notre déni de continuer à nous gruger, nous disons : honte à nous. Nous devrions avoir honte de les perpétuer, malgré ce que nous savons.

Honorables sénateurs, nous sommes un peuple tribal. Nous recherchons de façon instinctive la sécurité, la survie, la communauté, l’amour et la justice, que ce soit à titre individuel ou collectif. Nous devrions peut-être nous rappeler plus souvent que nous avons ces anciens désirs en commun.

Aujourd’hui, je demande à mes collègues, aux honorables sénateurs, de pratiquer la réconciliation, d’en être un exemple au Sénat, dans nos bureaux, dans nos relations les uns avec les autres, dans nos institutions publiques et dans l’ensemble du Canada. Le discours du Trône dit ce qui suit :

J’invite tous les parlementaires à travailler ensemble dans un nouvel esprit d’innovation, d’ouverture et de collaboration [...] Le Canada prospère en grande partie parce que les diverses perspectives et opinions y sont célébrées, et non tues.

(1530)

Son Honneur le Président : Je m’excuse, sénatrice, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus pour terminer? Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Avant que vous ne poursuiviez, sénatrice, il est 15 h 30. Normalement, nous devrions nous interrompre maintenant pour la période des questions. Je tiens toutefois à informer le Sénat que le ministre a été retardé par les affaires de l’autre endroit. Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour continuer le débat jusqu’à l’arrivée du ministre?

Des voix : D’accord.

La sénatrice McCallum : Les diverses perspectives incluent celle des peuples autochtones. En tant que sénateurs ayant une base en matière de second examen objectif, nous ne pouvons pas ignorer les graves questions soulevées dans les lettres et continuer ainsi à les réduire au silence. Il faut faciliter une discussion ouverte, honnête et constructive sur le contenu des lettres.

Honorables sénateurs, nous ne pouvons pas participer à réduire au silence les signataires des autres lettres qui n’ont pas été affichées. Celles-ci reflètent sans doute l’autre côté de l’expérience.

Il y a plusieurs options qui pourraient nous permettre de remédier à la situation. Il faudrait d’abord mettre en œuvre l’appel à l’action no 46 de la Commission de vérité et réconciliation, qui dit en partie ce qui suit :

Les gouvernements à tous les niveaux de la société canadienne doivent également s’engager envers un nouveau cadre pour la réconciliation pour guider leurs relations avec les peuples autochtones.

En plus de mettre en œuvre cet appel à l’action et d’autres appels à l’action semblables, nous pouvons peut-être envisager d’adopter une motion visant à renvoyer la question à un comité sénatorial permanent aux fins d’étude. En outre, il serait peut-être prudent d’envisager de modifier le Règlement du Sénat afin de mettre un terme à ce type d’abus.

Il s’agit d’options viables que nous pouvons poursuivre. J’étudierai et j’examinerai chacune d’entre elles pendant les jours et les semaines à venir. J’exhorte mes collègues du Sénat à faire de même. Nous devons prendre des mesures pour remédier de façon appropriée à la situation et prendre la décision collective de faire ce qui s’impose, ce qui est moral et ce qui est juste.

Honorables sénateurs, on ne peut pas changer l’histoire. Ce n’est d’ailleurs pas ce que nous voulons. Nous voulons seulement apprendre des erreurs de l’histoire et transformer les blessures, les souvenirs délétères et les souffrances qui y sont associés pour que nous puissions nous renforcer, aller de l’avant et élaborer un cadre de réconciliation qui rende le Canada plus fort et qui permette à chacun de guérir de ses blessures. Je vous remercie.

(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, le débat est ajourné.)

Les travaux du Sénat

L’honorable Michael L. MacDonald : Votre Honneur, avant de prendre la parole, je rappelle que, à l’étape de la deuxième lecture, mon allocution avait été interrompue par la comparution d’un ministre. Je pense que la même chose se produira encore aujourd’hui.

Je préfèrerais reporter mon intervention après la participation du ministre. Nous pourrions peut-être revenir à mon allocution après la période des questions.

Son Honneur le Président : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Vingtième rapport du Comité des banques et du commerce—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Stewart Olsen, appuyée par l’honorable sénatrice Eaton, tendant à l’adoption du vingtième rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce (Projet de loi S-237, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel), avec des amendements), présenté au Sénat le 13 février 2018.

L’honorable Douglas Black : Je vous remercie, honorables sénateurs. Mon intervention porte sur le projet de loi S-237. Je prends la parole conformément à l’article 12-23(4) du Règlement, c’est-à-dire sur la nécessité d’expliquer les amendements.

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, que je préside, a étudié le projet de loi S-237, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel) pendant quatre séances. Il prévoyait faire passer le taux criminel de 60 p. 100 au taux de financement à un jour de la Banque du Canada majoré de 20 p. 100 si le capital est prêté à des fins personnelles, familiales ou ménagères, et exempter du taux criminel les capitaux qui égalent ou excèdent 1 million de dollars et qui sont destinés à des fins professionnelles ou commerciales.

Des représentants de la communauté, de groupes de lutte contre la pauvreté, d’institutions de prêt et d’autres prêteurs ainsi que des conseillers budgétaires et des universitaires ont fourni au comité un point de vue équilibré des conséquences possibles du projet de loi.

Les questions soulevées par les témoins portaient sur les finances personnelles et l’importance de la littératie financière pour les consommateurs, le problème des prêts à court terme et à taux d’intérêt trop élevé, et les liens qui existent entre le taux d’intérêt criminel et le crédit offert par les banques, les coopératives de crédit, d’autres prêteurs et le secteur du prêt sur salaire.

Honorables sénateurs, deux amendements ont été adoptés en comité. Le comité a amendé le projet de loi pour que le taux d’intérêt criminel sur le crédit avancé pour des fins personnelles, familiales ou ménagères soit le même que le taux de financement à un jour de la Banque du Canada, plus 45 p. 100. Ce taux a été basé sur les témoignages formulés par les prêteurs ne relevant pas d’une institution classique.

Étant donné la complexité des questions liées au taux d’intérêt criminel, le comité a aussi amendé le projet de loi pour prévoir un examen parlementaire de ce taux aux trois ans.

Son Honneur le Président : Avez-vous terminé, sénateur Black?

Le sénateur Black : Je croyais que oui, mais, apparemment, ce n’est pas le cas. J’aimerais proposer l’adoption du rapport.

Son Honneur le Président : L’adoption en est déjà proposée. Je crois que la sénatrice Martin voulait ajourner le débat, mais elle n’est pas à sa place.

Le sénateur Plett : Je voudrais que le rapport soit ajourné à mon nom.

La sénatrice Ringuette : Votre Honneur, le rapport est ajourné au nom de la sénatrice Moncion.

Son Honneur le Président : Désirez-vous que le rapport soit ajourné à son nom? Est-ce ce que vous voulez dire?

La sénatrice Ringuette : Oui.

(Sur la motion de la sénatrice Ringuette, au nom de la sénatrice Moncion, le débat est ajourné.)

La Loi sur l’Agence du revenu du Canada

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Downe, appuyée par l’honorable sénateur Eggleton, C.P., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé).

L’honorable Paul E. McIntyre : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada.

D’abord et avant tout, j’aimerais remercier le sénateur Downe d’avoir présenté ce projet de loi ainsi que pour tout le travail qu’il a accompli au fil des ans dans ce dossier.

Le projet de loi S-243 modifie la Loi sur l’Agence du revenu du Canada afin d’exiger que l’Agence du revenu du Canada fasse état de toutes les condamnations pour évasion fiscale, notamment celles pour évasion fiscale internationale, dans un rapport annuel déposé au Parlement. De même, il exigerait du ministre du Revenu national qu’il fasse rapport annuellement au Parlement sur le « manque à gagner fiscal », c’est-à-dire sur la différence entre le montant des cotisations établies et le montant des impôts perçus.

Le projet de loi exige aussi du ministre qu’il fournisse au directeur parlementaire du budget des données sur le manque à gagner fiscal. La Loi sur le Parlement du Canada exige de l’Agence du revenu qu’elle fournisse toutes les données financières et économiques qu’elle a en sa possession et dont le directeur parlementaire du budget a besoin pour remplir son mandat.

(1540)

Rappelons que, si le manque à gagner fiscal attribuable à l’évasion fiscale a fait les manchettes, c’est en raison des fuites de documents, qu’on a appelés les Panama Papers et les Paradise Papers. Ces fuites ont révélé que 3 000 sociétés, fiducies et fondations canadiennes, de même que des particuliers canadiens, utilisent des comptes à l’étranger comme paradis fiscaux.

Cela fait des années que le directeur parlementaire du budget demande de l’information sur l’évasion fiscale et le manque à gagner fiscal, allant même jusqu’à menacer de recourir aux tribunaux pour l’obtenir. L’Agence du revenu a refusé à plusieurs reprises d’accéder à cette demande, invoquant la confidentialité des dossiers fiscaux. Par le passé, l’agence a refusé de calculer le manque à gagner fiscal, disant que ce calcul n’était pas fiable. Pendant ce temps, des dizaines d’autres pays occidentaux font des estimations de leur manque à gagner fiscal depuis des années, mais, jusqu’à maintenant, le Canada a refusé d’emboîter le pas.

Le mois dernier, après des années d’acharnement du directeur parlementaire du budget pour obtenir l’information, le gouvernement fédéral a annoncé que l’Agence du revenu lui fournirait les données agrégées utilisées pour calculer le manque à gagner fiscal du Canada. Selon le gouvernement, les données seront fournies de manière à préserver les renseignements personnels des Canadiens. C’était l’un des principaux arguments contre la communication de données fiscales brutes au chien de garde parlementaire.

Cette annonce fait suite à une mise à jour du programme de divulgation volontaire de l’Agence du revenu. Les modifications au programme sont entrées en vigueur le 1er mars 2018. À partir de maintenant, l’agence fédérale limitera les incitatifs offerts aux contribuables qui produisent tardivement leur déclaration dans le cadre du programme de divulgation volontaire. Cette mise à jour du programme semble faire partie des efforts du gouvernement en vue de concevoir une « approche canadienne » de la lutte contre l’évasion fiscale.

Cela dit, l’agence étudie la composante internationale du manque à gagner fiscal et publiera une étude en 2018. Dans le cadre de cet engagement, la ministre du Revenu national s’est récemment rendue à Paris, en France, pour rencontrer les partenaires internationaux de l’agence afin de lutter contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal abusif. Bien que ces efforts aient été encourageants, il faut en faire davantage, comme améliorer la transparence de l’agence. Les Canadiens doivent être mis au courant du fait qu’elle tente activement de récupérer toutes les recettes fiscales perdues en raison de l’évitement et de l’évasion.

Au cours des dernières années, le gouvernement a accordé un plus grand financement à l’agence pour améliorer l’application des lois fiscales et pour faire enquête sur l’évasion et l’évitement fiscaux, mais nous savons, grâce aux discours du sénateur Downe au Sénat, que l’agence n’a dépensé qu’une infime partie de cet argent.

Honorables sénateurs, les informations sur le manque à gagner fiscal sont importantes et pourraient nous aider à obliger l’agence à rendre compte des mesures qu’elle prend pour lutter contre l’évasion fiscale au Canada et à l’étranger. Le Conference Board du Canada a récemment tenté de déterminer la taille du manque à gagner fiscal au Canada. Selon la méthodologie utilisée, il estime que les pertes annuelles, rien que pour le gouvernement fédéral, pourraient aller de 8,9 à 47,8 milliards de dollars. Les gouvernements provinciaux ont leurs propres écarts fiscaux.

L’évasion fiscale et les milliards de dollars perdus dans les paradis fiscaux sont des facteurs dont il faut tenir compte, mais il y en a d’autres, comme l’économie clandestine. Des milliards de dollars de recettes provenant de la TPS et de la TVH ont été perdus en raison de la non-observation de la loi. Selon le directeur parlementaire du budget, Jean-Denis Fréchette, il faudra des mois pour examiner et analyser les données et avoir une estimation du manque à gagner fiscal.

Évidemment, la durée de l’examen et de l’analyse dépend de la qualité de l’information fournie. Nous espérons que le directeur parlementaire du budget sera maintenant en mesure de faire le travail qu’il veut faire depuis longtemps, à savoir une analyse indépendante des recettes que le gouvernement fédéral perd chaque année aux paradis fiscaux et à d’autres stratagèmes d’évitement fiscal.

Permettre au directeur parlementaire du budget de fournir une estimation indépendante du manque à gagner fiscal est une mesure qui aurait dû être prise il y a longtemps. Tous les parlementaires, peu importe leur affiliation politique, devraient s’unir sur la question des paradis fiscaux et de l’évitement fiscal. La raison en est simple : ce sont des deniers publics qui se volatilisent avec l’évasion et l’évitement fiscaux et dont on aurait grandement besoin pour financer notamment la santé, l’éducation, la justice, les services de garde d’enfant, le logement.

Honorables sénateurs, l’Agence du revenu du Canada a le mandat d’assurer « une administration de l’impôt et des prestations de calibre mondial, réceptive, efficace et fiable ». Bien que les efforts consentis dernièrement par le gouvernement soient prometteurs, nous devons nous assurer qu’ils sont maintenus. Il doit y avoir plus de transparence, et l’agence doit être plus assidue lorsque vient le temps de rendre des comptes aux Canadiens. Voilà pourquoi le cadre législatif prévu dans le projet de loi S-243, du sénateur Downe, a une grande importance. C’est exactement l’effet qu’aura le projet de loi : il nous aidera à obliger l’agence à rendre des comptes aux Canadiens.

(Sur la motion de la sénatrice Bovey, le débat est ajourné.)

Les travaux du Sénat

L’honorable Douglas Black : Je me retrouve dans une position identique à celle de mon collègue, le sénateur MacDonald. J’ai des observations très importantes à faire à mes collègues relativement au projet de loi S-245, Loi sur le projet de pipeline Trans Mountain, mais, franchement, je voudrais qu’on reçoive le ministre avant.

Son Honneur le Président : On dirait que nous sommes en train de remanier l’ordre du jour. À la suite de la période des questions, à moins que nous ayons eu à interrompre un sénateur et que nous lui permettions de continuer tout de suite après, nous céderons la parole au sénateur MacDonald, puis au sénateur Black, de l’Alberta.

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : D’accord.

[Français]

Projet de loi sur la responsabilité judiciaire par la formation en matière de droit relatif aux agressions sexuelles

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Andreychuk, appuyée par l’honorable sénatrice Seidman, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-337, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel (agression sexuelle).

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-337, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel. Je tiens d’abord à remercier l’honorable Rona Ambrose, qui a proposé ce projet de loi à l’autre endroit, la sénatrice Andreychuk, marraine du projet de loi au Sénat, ainsi que tous les autres sénateurs qui ont contribué à ce débat intéressant et édifiant.

Mes propos s’ajoutent à ceux du représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Harder, qui a indiqué que ce projet de loi jouit de l’appui du gouvernement. Il a même indiqué que le projet de loi C-337 est une priorité pour le gouvernement.

Au total, neuf sénateurs ont pris la parole à l’étape de la deuxième lecture. Tous ces sénateurs s’entendent pour dire qu’ils souscrivent aux objectifs du projet de loi C-337, qui, pour reprendre les mots du sénateur Pratte, et je cite :

[...] souhaite faire en sorte que les juges qui instruisent les procès pour agression sexuelle comprennent mieux les subtilités juridiques de cette infraction criminelle, soient plus sensibles aux situations difficiles que vivent les victimes, et soient sensibilisés aux stéréotypes et aux fausses croyances qui colorent encore trop souvent notre perception de ces plaignants.

[Traduction]

Honorables collègues, certains d’entre vous ont soulevé des questions importantes dans leurs observations. Ils ont notamment parlé des champs de compétence fédéraux et provinciaux et de l’indépendance de la magistrature. D’autres questions d’ordre plus pratique ont aussi été soulevées concernant la formation des juges, en particulier comment cette formation serait fournie, par quelle autorité elle le serait et à quel moment il faudrait qu’elle le soit.

[Français]

Ce projet de loi a suscité de l’intérêt à l’étape de la deuxième lecture. Je demande aujourd’hui que nous passions à la prochaine étape, soit son renvoi à un comité, où les questions qui ont été soulevées feront l’objet d’une étude approfondie.

(1550)

Même s’il y a divergence d’opinions concernant certaines questions soulevées en cette Chambre, il y a unanimité quant à l’objectif du projet de loi, qui consiste à trouver un équilibre entre l’indépendance du système judiciaire et les droits des victimes d’agression sexuelle à l’intérieur de ce système.

[Traduction]

Nous devons trouver un juste équilibre entre l’indépendance du système de justice et les droits des victimes d’agression sexuelle qui interagissent avec ce système.

Selon moi, chaque projet de loi adopté par la Chambre des communes devrait être étudié par un comité du Sénat. Tout manquement à cet égard m’apparaît contraire à la démocratie. La même chose vaut dans le cas des projets de loi présentés d’abord au Sénat, à moins que leurs principes mêmes ne bafouent complètement nos valeurs démocratiques fondamentales.

Pour ce qui est du projet de loi C-337, nous savons que de nombreuses victimes d’agression sexuelle préfèrent garder le silence au lieu de porter plainte. Nous savons que certaines personnes refusent de témoigner par crainte de représailles. D’autres craignent d’avoir à souffrir des comportements de certains membres des forces policières et du système judiciaire, empreints de sexisme, de stéréotypes et de préjugés.

[Français]

Ces craintes peuvent expliquer pourquoi il y a sous-dénonciation de ces crimes, notamment un écart entre le nombre de crimes rapportés aux forces de l’ordre et le nombre de cas qui évoluent dans le système de justice pénale. Si on ne rapporte pas les crimes d’agression sexuelle par peur de dédoublement d’injustices, on perpétue cet état d’ignorance qui nous empêche d’améliorer les choses.

Honorables sénateurs, il est temps que le projet de loi C-337 progresse. Apportons-y notre contribution en le renvoyant à un comité. C’est la moindre des choses que l’on puisse faire pour aider ceux et celles qui ont besoin d’un système judiciaire crédible et pour veiller à ce que le Canada traite équitablement les victimes d’agression sexuelle.

Je tiens à m’excuser auprès de la sénatrice Cools, car, au départ, j’avais demandé de prendre la parole au sujet de ce projet de loi. C’est pourquoi je demande le consentement du Sénat pour que le débat demeure ajourné au nom de la sénatrice Cools.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : Oui.

(Sur la motion de la sénatrice Cools, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Modernisation du Sénat

Sixième rapport du comité spécial—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Tannas, appuyée par l’honorable sénateur Wells, tendant à l’adoption du sixième rapport (intérimaire) du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, intitulé La modernisation du Sénat : Aller de l’avant (Présidence), présenté au Sénat le 5 octobre 2016.

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, je constate que cet article en est à son 14e jour. Il est ajourné au nom du sénateur Mercer. Celui-ci m’a confirmé qu’il souhaitait intervenir mais, comme vous le savez, il ne peut être ici en ce moment. Avec le consentement du Sénat, je demanderais donc que cet article soit ajourné au nom du sénateur Mercer jusqu’à la prochaine séance.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(Sur la motion du sénateur Day, au nom du sénateur Mercer, le débat est ajourné.)

Régie interne, budgets et administration

Vingt et unième rapport du comité—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Massicotte, appuyée par l’honorable sénateur Tannas, tendant à l’adoption du vingt et unième rapport (intérimaire) du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, intitulé Audit et surveillance, présenté au Sénat le 28 novembre 2017.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs se rappelleront que, lorsque nous avons interrompu le débat la dernière fois, il restait cinq minutes au sénateur Wells pour répondre à des questions. Quelques sénateurs ont manifesté le désir de l’interroger.

Sénateur Wells, acceptez-vous de répondre à quelques questions?

L’honorable David M. Wells : Je répondrai volontiers à toute question, Votre Honneur.

[Français]

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Sénateur Wells, je suis d’accord avec les principaux éléments que vous avez énoncés dans votre discours, notamment le fait que le statu quo ne soit pas une option et qu’il soit important, pour favoriser une plus grande indépendance, que nous séparions le comité sur l’audit du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

En ce qui concerne le volet consacré à la surveillance du comité projeté, pourriez-vous me donner des exemples concrets du mandat de surveillance que pourrait assumer ce nouveau comité?

[Traduction]

Le sénateur Wells : Merci, sénatrice Saint-Germain. C’est une bonne question. Bien entendu, toute tâche entreprise par le comité serait décidée par le comité en entier et je me plierais à sa volonté.

Vous vous souviendrez que, durant mon discours, j’ai parlé de trois volets qui seraient regroupés sous un même chapeau. Tout d’abord, il s’agirait d’étudier en profondeur une question importante liée aux dépenses du Sénat, comme la façon dont le régime de retraite est établi. Je sais que le Conseil du Trésor utilise un taux de rendement de 1,9 p. 100 pour le fonds de pension du Sénat, comparativement à un taux de 12,8 p. 100 pour celui de la fonction publique. Cet écart est considérable et représente des coûts élevés pour le Sénat. C’est ce genre de choses que j’étudierais.

Ensuite, pour le deuxième volet, c’est-à-dire l’audit et la surveillance des directions comme la Direction des finances et de l’approvisionnement, nous nous pencherions sur le processus d’approvisionnement. Est-ce qu’il se déroule de façon efficiente? Utilise-t-on des pratiques exemplaires? Obtient-on trois soumissions? Dans les cas d’attribution de contrat à un fournisseur unique, où il n’y a pas de soumissions multiples, a-t-on prévu un processus de préqualification convenable? Fait-on les choses correctement? C’est le genre de questions que nous nous poserions. Il ne s’agit pas tant d’un audit des directions, même s’il est possible d’en effectuer un, que d’une surveillance et d’un audit des systèmes que nous utilisons.

Finalement, dans le cadre du troisième volet, que je considérerais comme faisant partie des travaux courants du comité, on recueillerait des échantillons des dépenses des sénateurs : les frais de déplacement, les frais de subsistance et les dépenses de bureau. On procéderait à des audits. Je demanderais des conseils à cet égard à des personnes qui s’y connaissent mieux que moi. Nous pourrions nous servir de cinq échantillons par année, puis les soumettre à un audit afin de ne pas nous heurter au même problème qu’il y a trois ans. Tout d’abord, il faut se demander si des systèmes sont mis en place. Dans l’affirmative, sont-ils mis en application correctement? S’y conforme-t-on? Si des demandes de fonds ou de remboursement sont rejetées, il faut déterminer s’il y a un nombre élevé de rejets dans une catégorie et s’il y a lieu de donner de la formation supplémentaire à un sénateur en particulier, à tous les sénateurs ou aux membres de leur personnel.

Les audits des frais de déplacement, des frais de subsistance et des dépenses de bureau des sénateurs se feraient de façon continue et en alternance. Nous nous rappellerons que la plus grande difficulté que nous avons éprouvée lors de la vérification menée par le vérificateur général, c’est que, en plus de ne pas examiner 88 p. 100 des éléments que nous lui avions demandé d’examiner, il n’a pas fait un seul commentaire sur les 12 p. 100 des éléments sur lesquels il s’est penché qui se rapportaient aux dépenses de bureau des sénateurs, et cela comprenait 8 p. 100 du budget total du Sénat. Pas un seul commentaire. Le vérificateur général a essentiellement étudié les frais de déplacement, qui constituent 4 p. 100 des dépenses, et les frais de subsistance, qui en représentent 2 p. 100.

Nous examinerions tous les aspects des budgets des sénateurs, mais, madame la sénatrice, il ne s’agirait que d’une partie du travail confié au comité de l’audit et de la surveillance. Cette fonction servirait surtout à prévenir certaines choses plutôt qu’à déceler ce qui cloche et à corriger la situation.

[Français]

Son Honneur le Président : Je m’excuse, sénatrice Saint-Germain, mais le ministre est arrivé. Après la période des questions, il restera deux minutes au sénateur Wells pour répondre à d’autres questions.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les travaux du Sénat

Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 10 décembre 2015, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Jim Carr, ministre des Ressources naturelles, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous avons avec nous aujourd’hui, pour la période des questions, l’honorable Jim Carr, ministre des Ressources naturelles.

Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre.

(1600)

Le ministère des Ressources naturelles

L’oléoduc Trans Mountain

L’honorable Larry W. Smith (leader de l'opposition) : Bienvenue. J’aimerais poser une question au sujet de Trans Mountain. Elle est très simple. Je ne me lancerai pas dans une litanie de commentaires préliminaires. Nous savons tous que la Cour fédérale a récemment rendu une décision concernant l’un des principaux obstacles à l’avancement du projet de pipeline et, apparemment, cette décision est favorable à Kinder Morgan.

Au cours des dernières semaines, le premier ministre et vous-même avez affirmé soutenir le projet d’expansion du pipeline Trans Mountain. Je ne suis pas certain que nous ayons bien compris comment vous entendiez le faire.

Ma question est simple : quel rôle jouez-vous pour assurer l’avancement du projet de pipeline Trans Mountain jusqu’à son achèvement?

L’honorable Jim Carr, C.P., député, ministre des Ressources naturelles : Merci, honorable sénateur. Je m’excuse de mon retard. Il y avait un vote à la Chambre des communes. C’est arrivé souvent au cours des derniers jours. Je dois dire que je préfère voter à 15 h 30 plutôt qu’à 3 h 30, mais quand on vous demande de voter, il faut y aller.

Le gouvernement a approuvé le pipeline Trans Mountain, parce qu’il était d’avis — il l’est toujours, d’ailleurs — qu’il s’agit d’un projet bénéfique pour le Canada en raison des emplois qui seront créés, de l’activité économique qui sera générée, de l’importance d’accroître nos marchés d’exportation, de la nécessité d’obtenir un meilleur prix pour notre pétrole et de la nécessité d’envoyer les bons signaux aux investisseurs quant aux avantages que présente le Canada en matière d’investissement dans des projets énergétiques d’envergure.

Pour toutes ces raisons, nous avons décidé, il y a plus d’un an, d’approuver le projet. Depuis, rien n’a changé notre volonté ou les conclusions auxquelles nous en étions arrivés.

Le gouvernement de Colombie-Britannique a décidé de consulter la population. Il a le pouvoir et la responsabilité de consulter qui il veut.

Le Canada a déjà consulté des dizaines de milliers de Canadiens. Étant donné l’échec des promoteurs du projet Northern Gateway devant la Cour d’appel fédérale, nous savions que les consultations faites par le gouvernement précédent ne suffisaient pas. Alors, nous avons ajouté d’autres consultations, qui se sont déroulées sur plusieurs mois. Nous avons nommé un comité d’experts qui a parcouru le tracé de l’oléoduc. Après avoir tenu des réunions locales et recueilli des dizaines de milliers d’opinions, le gouvernement du Canada a pris la décision de dire oui au pipeline, parce que ce projet est dans l’intérêt du pays.

Le sénateur Smith : Merci beaucoup pour la réponse.

Manifestement, il continue d’y avoir de l’opposition au projet. Si d’autres obstacles apparaissent et que vous pensez pouvoir les surmonter, y a-t-il un plan pour faciliter l’avancement des travaux, de manière à ce qu’il n’y ait pas de retards indus pouvant créer un environnement désagréable pour les investisseurs, qui risqueraient alors d’abandonner le projet?

M. Carr : Oui, monsieur le sénateur, et nous nous en sommes déjà occupés. Nous avons déposé une motion à l’Office national de l’énergie, qui l’a acceptée. Elle établit un comité permanent d’experts qui veillera à ce qu’il n’y ait pas de retards indus.

Nous pouvons dire que la délivrance des permis se fait rapidement en Alberta et en Colombie-Britannique et que la construction a commencé.

Le rythme de la construction dépendra, en fin de compte, de l’attitude du promoteur dans la résolution des problèmes d’application de la réglementation. Toutefois, le gouvernement du Canada est bien conscient de la nécessité d’affirmer la compétence fédérale dans un domaine où il a indubitablement la compétence exclusive, ce qui a été démontré à plusieurs reprises devant les tribunaux. La Cour suprême du Canada l’a confirmé, et nous croyons que ce projet d’oléoduc relève entièrement de la compétence bien connue du gouvernement fédéral.

Les tribunaux seront de nouveau sollicités d’ici la fin du processus, à n’en pas douter. Ils l’ont, par exemple, été vendredi dernier, comme vous le disiez vous-même, et ils ont refusé d’autoriser l’appel d’une décision de l’Office national de l’énergie.

Le gouvernement du Canada suit donc la situation de près pour voir comment elle va évoluer, mais je le répète : il y a eu du progrès. Le processus d’attribution des permis suit son cours. En ce qui concerne le gouvernement du Canada, ce pipeline de ressort fédéral a été approuvé et il doit être construit.

L’honorable David Tkachuk : La semaine dernière, le Sénat a adopté à l’unanimité la motion du sénateur Neufeld, qui presse le premier ministre, son Cabinet et le gouvernement du Canada d’exercer tous leurs pouvoirs pour veiller à ce que l’expansion du pipeline Trans Mountain soit terminée dans le délai prévu.

Êtes-vous satisfaits — vous et le premier ministre — de la décision et du travail de l’Office national de l’énergie? Le premier ministre a-t-il formellement invité le gouvernement de la Colombie-Britannique à mettre fin à ses contestations et à laisser libre cours à la construction du pipeline? S’il a fait parvenir une lettre — idéalement officielle — au premier ministre de la Colombie-Britannique, vous serait-il possible de la communiquer au Sénat?

M. Carr : Sénateur, chaque fois que le premier ministre se fait poser la question à la Chambre des communes, tout près d’ici, et chaque fois que je me la fais poser, ce qui arrive plusieurs fois par semaine, nous répondons que ce pipeline a l’appui du gouvernement et que, en cas de retards — par exemple en raison de formalités administratives — ou d’interventions auprès de l’Office national de l’énergie, le gouvernement du Canada répondra « présent ».

Nous tenons le même discours, que nous soyons à St. John’s, à Terre-Neuve, à Chicoutimi, à Calgary ou à Edmonton. Nous n’en changeons pas selon l’endroit où nous nous trouvons.

Il y a maintenant un froid entre le gouvernement de l’Alberta et celui de la Colombie-Britannique à cause de ce pipeline. Le gouvernement de l’Alberta défend les intérêts des habitants de l’Alberta, comme il en a la responsabilité, et le gouvernement de la Colombie-Britannique fait la même chose pour les habitants de la Colombie-Britannique. Il n’y a qu’un seul gouvernement canadien, et c’est notre responsabilité à nous de voir aux intérêts du Canada. Or, en l’occurrence, nous avons conclu que ce pipeline sert les intérêts du Canada.

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Monsieur le ministre, je vous remercie d’être ici.

Lors de votre dernier passage ici, j’ai posé une question au sujet du projet d’oléoduc Énergie Est. Nous savons ce qui s’est produit lorsque l’Office national de l’énergie a modifié les critères d’évaluation au milieu du processus. TransCanada a mis un terme au projet en raison de l’incertitude relative à la réglementation. Manifestement, ce n’est pas un bon message à communiquer aux investisseurs éventuels, comme vous venez de le souligner.

Monsieur le ministre, le problème demeure. Nous avons du mal à transporter le pétrole de l’Alberta vers l’ouest, de l’autre côté des montagnes, au moyen d’un pipeline, et le pétrole ne peut être acheminé vers l’est que par train. En conséquence, l’Est du Canada importe plus de 750 000 barils de pétrole par jour aux fins de transformation, alors que nous avons du pétrole dans le Sud de l’Alberta et de la Saskatchewan que nous n’arrivons pas à acheminer.

Énergie Est aurait acheminé chaque jour 1,1 million de barils de pétrole vers le Canada atlantique, et ce, à un coût inférieur que le pétrole importé, qui est transporté par pétrolier. Cela aurait eu d’importantes répercussions financières sur le Canada atlantique, sur le Nouveau-Brunswick, sur Saint John, au Nouveau-Brunswick, ainsi que sur l’ensemble du Canada.

Le gouvernement a manifesté son appui sans équivoque à l’égard du projet Keystone et du projet d’expansion du réseau Trans Mountain. J’appuie ces projets sans réserve, monsieur le ministre. Le gouvernement appuie-t-il sans équivoque la construction d’un pipeline qui servirait à transporter le pétrole de l’Ouest canadien vers l’Est?

Le gouvernement du Canada est-il disposé à affirmer que le projet d’oléoduc Énergie Est serait dans l’intérêt national? Vous avez participé à une entrevue télévisée hier et vous avez utilisé ce terme à plusieurs reprises, c’est-à-dire que ce projet est dans l’intérêt national et que vous allez vous en tenir à la décision qui a été prise.

Lorsqu’Énergie Est a participé au débat, je n’ai pas entendu le même discours. Le gouvernement fédéral n’a jamais manifesté pour le projet d’oléoduc Énergie Est l’appui nécessaire pour qu’on y donne suite.

(1610)

M. Carr : Sénateur, le gouvernement du Canada n’a pas manifesté de soutien pour Énergie Est parce que ce projet n’avait pas été approuvé par l’Office national de l’énergie. Donc, ce que vous me demandez, et, par mon intermédiaire, ce que vous demandez au gouvernement du Canada, c’est d’approuver un oléoduc avant que le projet n’ait franchi les étapes du processus réglementaire. Comment pourrions-nous faire cela?

Ensuite — et je suis heureux que vous m’ayez posé la question —, combien de pipelines avaient été approuvés au moment où TransCanada a présenté sa demande pour le projet Énergie Est? Le pipeline Keystone XL avait-il été approuvé? Non. La canalisation 3 d’Enbridge avait-elle été approuvée? Non. Le projet d’expansion du réseau Trans Mountain avait-il été approuvé? Non.

Entre le moment où TransCanada a présenté sa demande et celui où il l’a retirée, trois pipelines ont été approuvés, ce qui a forcément des répercussions sur les conditions du marché.

Quel était le prix du pétrole quand le promoteur d’Énergie Est a pris contact avec l’Office national de l’énergie? Quel était le prix du pétrole lorsqu’il a retiré sa demande? Nous faisons valoir que les décisions d’affaires étaient très différentes.

En ce qui concerne le deuxième point, nous avons dit clairement au promoteur, tout comme aux Canadiens qui s’intéressaient au dossier, que les principes provisoires qui auraient été employés pour évaluer Énergie Est si le projet avait franchi les différentes étapes du processus réglementaire auraient été exactement les mêmes que ceux qui ont servi à l’approbation du projet Trans Mountain. Le promoteur a décidé de retirer sa demande pour des raisons qui lui appartiennent.

Le sénateur Day : Monsieur le ministre, le gouvernement ne peut-il pas montrer qu’il soutient l’idée du transport du pétrole d’ouest en est par un moyen autre que le chemin de fer en disant : « Un pipeline serait dans l’intérêt du Canada et le gouvernement est prêt à investir en ce qui concerne l’infrastructure »?

M. Carr : Encore une fois, sénateur, vous me demandez un commentaire sur un oléoduc hypothétique.

Je vous poserais la question suivante : combien d’Autochtones ont été consultés? L’oléoduc va-t-il traverser des rivières et des cours d’eau? Un organisme de réglementation a-t-il évalué le projet par rapport à la gérance de l’environnement?

Il est donc impossible pour le gouvernement de faire un commentaire sur un oléoduc mythique. Voilà pourquoi nous avons créé une agence de l’énergie et un organisme de réglementation, afin qu’ils déterminent tous les facteurs et fassent une recommandation au gouvernement. Le gouvernement examine alors toutes les données probantes, le degré de consultation et la jurisprudence qui lui permettra de déterminer si les consultations ont été suffisantes et il prend une décision dans l’intérêt du public. Lorsque la décision est prise et que le gouvernement fédéral décide que le projet est bon pour le Canada, je prends la parole devant le Sénat pour lui en expliquer les raisons. Je fais des discours dans tout le pays, donne des interviews aux journalistes et interviens à la télévision, et ce sont des choses que je fais tout le temps. Toutefois, il y a une différence entre un oléoduc approuvé et un oléoduc mythique.

Les crises qui sévissent à Churchill, au Manitoba

L’honorable Patricia Bovey : Merci d’avoir accepté notre invitation, monsieur le ministre. Vous ne serez pas surpris de l’objet de ma question, qui concerne Churchill, au Manitoba. Comme vous, j’ai visité Churchill à diverses reprises et, la dernière fois que j’ai voulu m’y rendre, à la fin du mois de janvier, l’avion n’a pas pu atterrir à cause d’une panne de véhicule d’avitaillement en carburant, à l’aéroport. La ville de Churchill est vraiment isolée. Elle n’est pas accessible par voie terrestre ou par voie ferroviaire. Il y a une route de glace temporaire pour l’hiver, mais, sans avitailleur, il n’y a pas de liaison aérienne. Je dirais que c’est un coup dur pour la population de la localité, mais ce n’est pas tout.

Un reportage du 13 mars de CBC portait le titre suivant : « Au bout du rouleau, Churchill vit un hiver de mécontentement alors que le conflit se poursuit au sujet de la voie ferrée endommagée ». Churchill est une localité isolée où la vie est insupportable, les prix élevés et l’économie en régression. Cependant, ce qui est peut-être le plus inquiétant, c’est que les familles quittent la ville pour chercher un peu de stabilité dans le Sud. La collectivité a besoin du lien vital que lui procure le chemin de fer, sans lequel la situation ne peut qu’empirer. Seul le rétablissement du chemin de fer lui permettra de retrouver la situation d’avant 2017. Une solution à long terme s’impose.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, dire au Sénat quels plans prévoit le gouvernement fédéral pour offrir un avenir stable à Churchill, au Manitoba?

L’honorable Jim Carr, C.P., député, ministre des Ressources naturelles : Merci, madame la sénatrice. Je sais que vous avez une relation spéciale avec le Nord, et particulièrement avec Churchill. Je pense même connaître certaines des raisons de cette relation particulière : la beauté de la région et son importance stratégique.

Certaines personnes commettent l’erreur de penser qu’il s’agit d’une question concernant une communauté de 850 à 900 habitants. Ce n’est pas le cas. Il s’agit d’une question qui a des répercussions non seulement sur tout le Manitoba, mais aussi sur tout le Canada. La question porte sur un port en eau profonde. Il y a des voies commerciales internationales que nous pouvons ouvrir. Le port de Churchill recèle un énorme potentiel et il existe une grande possibilité que Churchill joue un rôle important dans une stratégie canadienne pour l’Arctique.

Ce sont des questions immédiates. Il y a aussi des questions à moyen et à long termes. À l’heure actuelle, comme les sénateurs le savent, le programme Nutrition Nord s’applique à Churchill, ce qui est important, et le ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest canadien a investi 7,6 millions de dollars dans des initiatives de développement économique de rechange. Vous avez peut-être appris dans ce même reportage de CBC ou dans un reportage précédent qu’il y a des agriculteurs qui cultivent des légumes frais à Churchill, ce qui est une réalisation remarquable. Nous achèterons peut-être nos légumes de Churchill, mais il s’agit seulement d’un développement à court terme.

À long terme, il y a les voies de communication. Comme vous le savez, nous avons demandé à Wayne Wouters, qui est bien connu par de nombreux sénateurs des deux côtés du Sénat à titre d'ancien greffier du Conseil privé à Ottawa, de faciliter une discussion entre toutes les parties, dont les communautés autochtones du Nord et les acheteurs potentiels du port et du chemin de fer. Nous comprenons que ces discussions se déroulent bien. Nous espérons vivement trouver une solution le plus rapidement possible. Nous comprenons que les voies de communication sont essentielles, de même que la possibilité que Churchill devienne une partie importante de la Stratégie pour le Nord du Canada.

L’oléoduc Trans Mountain

L’honorable Pamela Wallin : Merci, monsieur le ministre, d’être venu au Sénat aujourd’hui. Encore une fois, ma question porte sur l’oléoduc Trans Mountain.

Je pense que le projet d’expansion du réseau Trans Mountain est au cœur de la frustration que vous pouvez déceler dans les propos de certaines personnes. La décision ne concerne pas que l’Alberta et la Colombie-Britannique. C’est un projet national qui touche l’économie de tout le pays. Ma province est touchée de près également, car, comme vous le savez, le secteur pétrolier et gazier est, pour elle, d’une importance capitale.

Bien d’autres secteurs et emplois sont également touchés. Nous n’avons qu’à penser à EVRAZ, qui exploite une aciérie respectueuse de l’environnement à Regina. Puisqu’elle fabrique des conduites d’oléoduc, l’entreprise a dit que, si on met fin au projet, cela mettra des emplois en péril dans son aciérie de Regina, où travaillent plus de 1 000 personnes. Bien des gens pourraient donc se retrouver sans travail.

Comme on l’a déjà souligné ici la semaine dernière, les sénateurs ont adopté à l’unanimité une résolution pour demander au premier ministre d’intervenir dans ce dossier en utilisant le pouvoir que lui confère sa charge afin d’assurer l’achèvement du projet.

J’ai deux questions. Premièrement, êtes-vous conscients du rôle d’EVRAZ dans ce projet? J’aimerais connaître la réponse. Deuxièmement, je suppose que nous aimerions savoir jusqu’où vous êtes prêts à aller. Quel est votre échéancier? Quelles sont vos limites? Pendant combien de temps allez-vous attendre que la Colombie-Britannique et l’Alberta trouvent un terrain d’entente avant d’exercer votre pouvoir constitutionnel, de trancher la question et d’exiger que ce projet aille de l’avant, parce que les enjeux sont trop importants?

L’honorable Jim Carr, C.P., député, ministre des Ressources naturelles : Oui, sénatrice, je connais l’entreprise EVRAZ. Son aciérie très productive de Regina est un fournisseur essentiel de conduites. La construction d’oléoducs est au cœur de ses activités. J’ai rencontré le PDG de l’entreprise à maintes reprises, et nous demeurons en étroite discussion au fil de l’évolution du dossier.

Vous aimeriez savoir jusqu’où nous sommes prêts à aller. Le gouvernement fédéral est prêt à aller jusqu’au bout dans ce dossier. Si le gouvernement de la Colombie-Britannique fait autre chose que dire qu’il va consulter les gens, s’il précise sa position, le gouvernement réagira en conséquence.

Compte tenu de l’objectif de notre politique — et je pense que nous devrions en discuter pendant un instant — et du fait que ce projet a déjà été approuvé par le gouvernement fédéral et qu’il ira de l’avant, le contexte est le suivant : alors que le monde entier cherche des façons d’assurer la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, nous pensons qu’il est logique que le Canada utilise les ressources dont il dispose pour aider à financer cette transition.

(1620)

Voilà pourquoi nous pouvons à la fois approuver un projet d’expansion nous donnant accès aux marchés étrangers, dépenser 1,5 milliard de dollars sur un plan de protection des océans qui sera reconnu mondialement, investir dans le secteur privé pour trouver des sources d’énergie renouvelables et voir comment les innovateurs canadiens peuvent nous faire progresser, tout en exploitant les sources d’énergie conventionnelle de façon de plus en plus durable. Selon nous, il s’agit d’une politique sensée.

Partout où je vais dans le monde, mesdames et messieurs les sénateurs, que ce soit en Asie, ou lors de discussions avec des ministres du G7, à l’Agence internationale de l’énergie, à Paris, ou en Amérique latine, la conversation reste la même. Grâce à l’abondance de ressources du Canada et à l’innovation dont le pays a fait preuve — c’est grâce à l’innovation qu’on a commencé à extraire les sables bitumineux et à développer cette industrie —, les Canadiens sont bien placés pour jouer un rôle de chef de file mondial dans cette transition.

Personne ne peut nous dire combien de temps la transition prendra, mais la trajectoire est claire. Le Canada devrait être le fer de lance de ces changements.

L’honorable Betty Unger : Monsieur le ministre, la question que je souhaite vous poser aujourd’hui porte aussi sur le projet d’expansion du réseau Trans Mountain.

En plus des obstacles érigés par le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique — et, monsieur le ministre, j’estime qu’il s’agit d’un problème entre Ottawa et la Colombie-Britannique —, il s’agit d’un dossier fédéral. Par ailleurs, Trans Mountain a aussi été la cible de protestations illégales encouragées en partie par des groupes financés à l’étranger, comme le rapportait le Vancouver Sun plus tôt ce mois-ci. La semaine dernière, trois agents de la GRC ont été blessés alors qu’ils arrêtaient des personnes manifestant de façon illégale sur le site de Kinder Morgan; un agent a notamment subi une grave blessure à la tête après avoir reçu un coup de pied. Dimanche soir, la violence a encore éclaté lors de l’arrestation d’un protestataire, et un autre policier a été blessé.

Monsieur le ministre, quand le premier ministre cessera-t-il de manifester un intérêt de pure forme pour le projet d’expansion du réseau Trans Mountain pour enfin faire quelque chose, comme je l’ai dit plus tôt, avec le premier ministre de la Colombie-Britannique afin de faciliter la réalisation de ce projet? De plus, le gouvernement s’engagera-t-il à aller jusqu’au fond de l’affaire du financement étranger de l’opposition au pipeline et de l’ingérence dans la construction du pipeline dans notre pays?

M. Carr : Sénatrice, si, par « intérêt de pure forme », vous voulez dire que le gouvernement du Canada continue de dire aux Canadiens qu’il appuie le projet, un projet qui relève de la compétence fédérale et qui a l’appui total du gouvernement du Canada, c’est intéressant. J’étais à la Chambre des communes l’autre jour, et un député néo-démocrate a pris la parole pour dire que personne n’appuie le projet d’expansion du réseau Trans Mountain. En réalité, le gouvernement du Canada l’appuie, l’opposition officielle l’appuie, le gouvernement néo-démocrate de l’Alberta l’appuie et je pense qu’une majorité de Canadiens l’appuient.

Alors, lorsque le premier ministre parle au nom du gouvernement du Canada, je crois qu’il parle au nom de bien des Canadiens qui, pour toutes les raisons que j’ai mentionnées et d’autres que je pourrais donner si j’avais plus de temps, estiment que ce projet est bon pour le Canada, non seulement à court terme, mais aussi pour atteindre des objectifs stratégiques à long terme. Une proportion de 99 p. 100 du pétrole et du gaz canadiens exportés part à destination d’un seul pays : les États-Unis. De même, 99 p. 100 des exportations de bois d’œuvre du Québec prennent la direction des États-Unis.

C’est pour cette raison que nous devons trouver des marchés d’exportation. C’est ce que je fais de temps à autre, comme ministre responsable des forêts, en tentant d’ouvrir des marchés asiatiques. En juin dernier, j’ai amené une délégation de 50 cadres supérieurs en Chine afin de tenter de tirer parti de certaines ouvertures en Asie pour vendre plus de bois d’œuvre. De la même façon, le projet d’expansion du réseau Trans Mountain pourrait nous aider à élargir nos marchés d’exportation de pétrole et de gaz. C’est une très bonne chose.

Je suis convaincu que les sénateurs savent que le gouvernement du Canada appuie complètement l’industrie du gaz naturel liquéfié. Nous croyons qu’elle offre un potentiel énorme. Depuis quelques années, nous sommes aux prises avec une surproduction mondiale et des prix très faibles, mais ceux qui sont dans le domaine pour le long terme savent que ces circonstances vont changer. Nous avons bon espoir que de très importants investissements seront effectués dans le gaz naturel liquéfié et que le Canada deviendra un joueur sérieux sur la scène internationale.

Ce ne sont pas que de belles paroles, sénatrice. Ce sont des promesses du gouvernement du Canada.

L’énergie propre pour les régions rurales et éloignées

L’honorable Dennis Glen Patterson : Merci, monsieur le ministre, d’être ici. Votre lettre de mandat dit que vous devez :

Travailler en collaboration étroite avec les provinces et les territoires afin d’élaborer une stratégie énergétique canadienne pour assurer la sécurité énergétique du Canada; encourager l’économie d’énergie; et faire en sorte que des énergies propres et renouvelables fassent leur apparition sur un réseau électrique intelligent.

Comme vous le savez, le Nunavut pourrait se voir imposer une taxe sur le carbone d’ici la fin de l’année. J’ai demandé au gouvernement de reconnaître la situation unique du Nunavut, dont 25 collectivités uniquement accessibles par avion dépendent entièrement du diesel. Je n’ai toujours pas vu le moindre accommodement pour mon territoire.

De plus, en tant que principal importateur de produits pétroliers du territoire, le gouvernement du Nunavut écopera plus que toute autre entité si une taxe sur le carbone est instaurée dans le territoire. J’ai donc été heureux d’entendre votre annonce concernant un programme d’énergie propre pour les collectivités rurales et éloignées en février. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien avait un programme de 53 millions de dollars répartis sur 10 ans qui était nettement insuffisant.

Ce fonds sera-t-il disponible pour aider le Nunavut à composer avec le dilemme que représente sa dépendance totale à l’égard des combustibles fossiles? Le cas échéant, le gouvernement peut-il retarder l’imposition d’une taxe sur le carbone au Nunavut, laquelle ne fera qu’augmenter notre coût de la vie déjà faramineux, du moins jusqu’à ce que nous ayons en place des projets relativement à d’autres sources d’énergie partout au Nunavut?

L’honorable Jim Carr, C.P., député, ministre des Ressources naturelles : Merci, sénateur. Tout d’abord, je me réjouis de vous entendre mentionner la Stratégie canadienne de l’énergie, qui fait partie du mandat que m’a confié le premier ministre. C’est une façon très intéressante d’élaborer des politiques publiques. L’initiative n’est pas venue du gouvernement, mais du secteur privé. En effet, des conseils de chefs d’entreprise et des groupes de réflexion de partout au pays ont voulu établir une stratégie canadienne de l’énergie après que le président Obama, lors de sa première visite officielle à l’étranger, à Ottawa, ait proposé au premier ministre Harper de créer conjointement une stratégie nord-américaine de l’énergie. Quelques personnes au Canada se sont demandé, perplexes, quelle était au juste la stratégie canadienne de l’énergie. Croyez-le ou non, il n’en existait pas.

La tâche de la créer a été confiée aux premiers ministres des provinces et des territoires, ce qu’ils ont fait avec beaucoup d’efficacité. En 2015, ils ont publié un document en vue de définir une stratégie nationale de l’énergie. Celle-ci consiste à intégrer nos abondantes ressources dans un projet national, qui consisterait, par exemple, en des interconnexions électriques entre ma province, le Manitoba, la Saskatchewan et peut-être un jour la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Nord et le Canada atlantique.

Par ailleurs, vous savez sans doute que, dans le budget de 2018, mon ministère est appelé à investir 220 millions de dollars pour éliminer le recours au diesel dans les communautés éloignées et isolées. Des fonds supplémentaires seront rendus disponibles par l’entremise du ministère des Affaires autochtones et du Nord.

Le préambule de votre question correspond à ce que le gouvernement du Canada a déjà annoncé et espère réaliser.

L’oléoduc Trans Mountain

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence au Sénat aujourd’hui. Je viens de la Colombie-Britannique. J’habite sur la rive nord, où je peux jouir de la beauté et des attributs de ma magnifique province, comme le font tous les Britanno-Colombiens. Nous nous inquiétons du sort de la province et de ses lacs et, surtout, nous nous soucions de l’héritage que nous laisserons à nos petits-enfants.

Vendredi dernier, Elizabeth May, députée et chef du Parti vert, a été arrêtée à Burnaby au cours d’une manifestation contre l’oléoduc Trans Mountain. Tandis qu’on l’emmenait, elle a posé certaines questions qui expliquent sa présence à la manifestation.

(1630)

De nombreuses personnes de la Colombie-Britannique m’ont appelée pour me demander d’obtenir du gouvernement des réponses aux questions qu’elle a posées. J’ai maintenant la chance de vous avoir devant moi au Sénat.

Voici les questions qu’elle a posées. J’aimerais que vous y répondiez et que vous nous fassiez part de ce que le gouvernement a à dire à ce sujet. Je vous ai remis mes questions pour que vous les ayez sous les yeux.

Premièrement, elle demande pourquoi le bitume doit être transporté sans être d’abord raffiné en Alberta. En raffinant d’abord le bitume, on pourrait sauver des centaines de lacs.

Deuxièmement, elle estime que les permis n’ont pas été délivrés à Kinder Morgan conformément à la procédure normale. Selon elle, ces permis ne respectent pas les droits des intervenants ni ceux des peuples autochtones des territoires touchés. Elle estime que le projet de construction d’un pipeline en 2018, alors que nous sommes en pleine crise climatique, est un crime contre les prochaines générations.

Monsieur le ministre, voici ma question : que doit-on répondre aux questions d’Elizabeth May et, surtout, comment peut-on dire aux Britanno-Colombiens que ce projet de pipeline est dans leur intérêt?

L’honorable Jim Carr, C.P., député, ministre des Ressources naturelles : Il est dans l’intérêt de tous les Canadiens, y compris des Britanno-Colombiens, et ce, pour les raisons que j’ai données.

La sénatrice sait peut-être que du bitume dilué circule dans ce pipeline depuis 30 ans et qu’il a été construit en 1953.

La sénatrice est peut-être aussi au courant de l’augmentation de la circulation maritime dans la baie Burrard. Certains aiment dire qu’il s’agit d’une augmentation de 700 p. 100. Ce pourcentage est exact : nous sommes passés de 5 pétroliers par mois à 35. Il s’agit d’une augmentation d’un pétrolier à double coque par jour, accompagné par des escortes sûres dans le cadre d’un régime de calibre mondial qui représente un investissement de 1,5 milliard pour l’ensemble des côtes canadiennes, pas seulement celles de la Colombie-Britannique.

C’est très important pour moi d’insister — et je suis heureux d’avoir l’occasion de le faire devant les sénateurs aujourd’hui — sur le fait que, au Canada ou ailleurs dans le monde, il est devenu impossible de parler de l’exploitation des ressources sans penser à la gérance de l’environnement aux plus hauts niveaux et, j’ajouterais même, sans consulter sérieusement les Autochtones.

Nous croyons qu’il s’agit des trois piliers d’une politique réussie pour le Canada. Nous sommes d’avis que nous les respectons tous les trois.

Que puis-je ajouter au sujet d’Elizabeth May? Ma réponse vous suffit-elle?

Les manifestations non violentes

L’honorable Marilou McPhedran : En ce qui a trait aux moqueries au Sénat concernant Elizabeth May, laissez-moi vous dire que je ne partage ni les opinions ni les critiques à son égard.

C’est bon de vous revoir ici. Merci.

Je ne fais pas partie des sénateurs qui ont voté à l’unanimité le 20 mars au sujet de l’oléoduc Trans Mountain.

Par l’intermédiaire du premier ministre, le gouvernement du Canada a tenu les propos suivants :

Aucune autre relation n’est plus importante pour le Canada que la relation que nous entretenons avec les peuples autochtones.

En tant qu’État membre des Nations Unies, nous sommes publiquement déterminés à mettre en application la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui comprend les articles 10, 28, 29 et 32, concernant le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause pour des projets qui touchent les droits ancestraux et les droits des Autochtones.

Cependant, comme vous le savez probablement, un grand nombre de collectivités et de dirigeants autochtones touchés par l’expansion du projet Trans Mountain de Kinder Morgan n’ont pas donné leur consentement. Ils sont même tout à fait contre et ils manifestent en conséquence, notamment avec des barrages.

Au cours des 10 derniers jours, quelque 100 personnes ont été arrêtées, dont plus de 30, samedi dernier, aux portes de l’installation de l’entreprise texane Kinder Morgan, à Burnaby, en Colombie-Britannique.

Des allégations de violence ont été faites de tous les côtés. La situation semble s’aggraver.

Voici ma question, monsieur le ministre : pouvez-vous nous assurer que les gestes posés par les représentants de l’ordre respecteront les engagements internationaux et que l’État n’emploiera pas la violence pour répondre aux manifestations non violentes menées par les jeunes Autochtones et les alliés de l’environnement — bref, par ceux qui s’opposent au prolongement de l’oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan?

L’honorable Jim Carr, C.P., député, ministre des Ressources naturelles : Madame la sénatrice, il y a eu un moment très intense pendant un discours que j’ai prononcé devant la Chambre de commerce de Vancouver, il y a environ deux mois. C’était le même jour où Ian Anderson, chef de la direction de Kinder Morgan, et la première ministre provinciale, Rachel Notley, ont parlé à la Chambre de commerce de Vancouver du prolongement de l’oléoduc Trans Mountain.

Je parlais depuis peut-être cinq minutes quand un manifestant bruyant à l’arrière de la salle a déployé une bannière et s’est mis à crier des grossièretés. Lorsqu’il a cessé de crier pendant un moment, j’ai dit : « Monsieur, vous êtes la raison pour laquelle mes grands-parents sont venus au Canada en 1906 — parce qu’ils ne pouvaient pas faire ce que vous faites, là où ils habitaient avant. »

Donc, la liberté des Canadiens de faire connaître leurs divergences d’opinions pacifiquement est un droit précieux qui nous distingue de beaucoup d’autres pays du monde. Nous encourageons les gens à exprimer leur désaccord, et les gens trouvent leur propre façon de protester contre ce sur quoi ils sont en désaccord.

Cependant, nous vivons aussi dans un État de droit, et, si une personne qui est en train de manifester enfreint la loi, quelqu’un l’arrêtera, fort probablement. Je ne peux pas imaginer que les Canadiens ne seraient pas d’accord avec cela.

Il s’agit de points de vue auxquels les gens croient fermement. Je connais Elizabeth May depuis 30 ans. Nous avons siégé ensemble au conseil d’administration de l’Institut international du développement durable, dont le siège est à Winnipeg. J’ai énormément de respect pour ses principes et pour sa vision du monde. Ce n’est pas la mienne, mais, heureusement, elle est libre de l’exprimer, et, si elle choisit de l’exprimer d’une manière qui enfreint les lois du Canada, elle sera traitée sur un pied d’égalité avec tous les autres citoyens.

Pour ce qui est de la participation des Autochtones, vous savez tous que, lorsque la Cour d’appel fédérale a rejeté l’oléoduc Northern Gateway, c’est au gouvernement Harper — et non à Enbridge, le promoteur, ou à l’Office national de l’énergie, l’autorité réglementaire — qu’elle a reproché de ne pas avoir mené des consultations suffisantes.

Nous nous sommes dit qu’il serait impossible de faire approuver des pipelines si on agissait de la même manière. Il ne serait décidément pas très brillant de répéter les erreurs que d’autres ont déjà commises.

Nous avons donc ajouté un autre groupe. Nous avons organisé beaucoup plus de consultations, surtout auprès des Autochtones. De plus, les communautés autochtones ont élaboré, conjointement avec le gouvernement du Canada, des comités de surveillance autochtone non seulement pour le projet Trans Mountain, mais aussi pour le programme de remplacement de la canalisation 3 d’Enbridge. Ainsi, les communautés touchées par la construction de l’oléoduc assureront une surveillance pour s’assurer que le projet demeure sûr pendant la construction et pendant tout son cycle de vie. Signalons qu’il s’agit d’une première dans l’histoire canadienne.

Aujourd’hui, j’ai, encore une fois, l’occasion de parler de ces piliers que sont le développement responsable de l’énergie et l’obligation de consulter et d’accommoder les Autochtones, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, un autre pilier important.

Les négociations de l’ALENA

L’honorable Frances Lankin : Je vous remercie d’être parmi nous, monsieur le ministre. Ma question porte sur l’ALENA.

Il y a actuellement des discussions, aux États-Unis, sur la possibilité d’ajouter à l’ALENA un chapitre sur la compétitivité. Cela peut sembler banal à première vue mais, quand on y regarde de plus près, on constate que quelques lobbyistes créatifs, dont l’un provient de l’industrie pétrolière et gazière, suggèrent de profiter de la Trade Promotion Authority, qui permet de demander qu’un dossier soit traité rapidement par le Congrès, sans que celui-ci puisse apporter des modifications ni faire de l’obstruction systématique. Il s’agit d’un simple vote, une façon de faire appropriée dans le cas d’un grand accord commercial. On comprend pourquoi cette méthode a su plaire à d’anciens présidents et au président actuel.

Ces lobbyistes ont cependant déterminé que, si un chapitre sur la compétitivité — nous verrons dans un instant de quoi il s’agit, on ne lui donne jamais le même nom — devait être inclus dans l’ALENA, de nombreux éléments de ce chapitre, qui pourrait ne jamais être adopté par le Congrès en raison des amendements qui y seraient proposés, des manœuvres dilatoires et des divergences d’opinions, pourraient être adoptés grâce à un simple vote.

C’est une très bonne idée et, honnêtement, je n’ai rien à redire sur ce que les États-Unis font aux États-Unis. Ce sont leurs règles et leurs lois, et ils font bien ce qu’ils veulent.

Cependant, dans le cadre d’un accord commercial, cela risque, d’une façon ou d’une autre, de restreindre les capacités du Canada ou de lui imposer des obligations s’il choisissait de ratifier l’accord.

Un chapitre sur la compétitivité viserait les activités à l’intérieur des États-Unis et n’aurait rien à voir avec des barrières commerciales ou des droits de douane. Son objectif serait de simplifier et de permettre le commerce. Il viserait la déréglementation et les questions environnementales en particulier.

(1640)

Le charbon, le transport de l’énergie et divers enjeux pétroliers et gaziers pourraient être inclus dans ce chapitre. Ce qui est réellement inquiétant dans tout cela, c’est que les États-Unis pourraient tenter de limiter les dépenses en matière de réglementation. À l’avenir, cette disposition de l’accord pourrait donc restreindre la capacité du Canada de faire ce qu’il juge être dans son intérêt en ce qui concerne la réglementation en matière d’environnement ou la protection de l’environnement.

Pouvez-vous nous informer de l’approche que le gouvernement prévoit adopter pour contrer le cheval de Troie que les États-Unis semblent vouloir introduire dans l’ALENA?

L’honorable Jim Carr, C.P., député, ministre des Ressources naturelles : Eh bien, sénatrice, vous me demandez de commenter des conjectures sur un chapitre qui pourrait faire l’objet de négociations dans le cadre d’un accord commercial dont la responsabilité relève d’un autre ministre. Vous m’excuserez donc si je ne peux pas vous donner une réponse précise.

Je peux vous fournir une réponse générale et je peux aussi parler un peu plus spécifiquement de ma relation avec le secrétaire Perry, mon homologue américain, avec qui j’ai noué, je dirais, une relation chaleureuse et respectueuse. Je pourrais également vous parler de l’intégration du marché nord-américain de l’énergie. Il y a très peu de gens qui croient que nous devrions rendre la frontière énergétique plus étanche entre le Canada et les États-Unis. À vrai dire, sénatrice, très peu de gens sont en faveur du resserrement des frontières entre ces deux pays, point, ou même de celles entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Nous sommes en train de négocier un chapitre de l’ALENA sur l’énergie qui reconnaît que l’intégration de cette économie est dans l’intérêt des trois pays. C’est la façon sensée de négocier un accord commercial multilatéral, quel qu’il soit. Le Canada ne peut pas se contenter de conclure un accord servant ses intérêts. Il doit aussi tenir compte des répercussions exactes que cet accord pourrait avoir sur ses partenaires.

Quand nous allons aux États-Unis — et cela arrive souvent, comme vous le savez —, il y a des discussions à tous les niveaux, entre maires, entre législateurs, entre provinces et États, mais aussi avec des membres du Congrès, des sénateurs, des dirigeants syndicaux, des PDG et des associations. Nous nous tournons vers toutes les personnes possibles et nous leur faisons comprendre que cet accord commercial est bon pour nos pays.

Affaires mondiales Canada a fait quelque chose de très judicieux. Le ministère a préparé une feuille distincte pour chaque État. Quand je vais au Texas, par exemple, cela me permet de montrer aux politiciens à l’aide de chiffres, notamment sur le PIB, l’emploi et le potentiel de croissance, combien leurs populations dépendent de leur relation commerciale avec le Canada. C’est très convaincant.

Je sais que les négociations sont dirigées par un excellent groupe de négociateurs. Le Canada jouit probablement des meilleurs négociateurs commerciaux du monde, et ils sont bien dirigés. J’espère que, au bout du compte, les trois pays se rendront compte qu’il est dans l’intérêt de tous de conclure cet accord.

Les crises qui sévissent à Churchill, au Manitoba

L’honorable Donald Neil Plett : Merci, monsieur le ministre. Je veux revenir sur ce que la sénatrice Bovey a dit plus tôt.

Monsieur le ministre, je viens de lire que Jane Philpott, la ministre des Services aux Autochtones, l’honorable Kathleen Wynne, la première ministre de l’Ontario, et le ministre de l’Énergie de l’Ontario ont annoncé un projet de financement fédéral de 1,6 milliard de dollars pour raccorder 16 Premières Nations de la province de l’Ontario au réseau électrique provincial. Je suis certain qu’il s’agit d’un projet très utile et je ne m’y oppose absolument pas.

La province du Manitoba a besoin de 20 à 30 millions de dollars du gouvernement fédéral pour réparer le chemin de fer à Churchill. Vous avez dit vous-même, à juste titre, que le problème ne se limite pas juste à la ville de Churchill, mais qu'il touche toute la province du Manitoba et très certainement les communautés autochtones qui longent le chemin de fer.

À maintes reprises, le gouvernement fédéral s’est interposé et a empêché qu’une entente soit conclue.

Monsieur le ministre, je ne veux pas vous entendre dire à quel point les gens de Churchill sont merveilleux. Nous le savons tous. Nous savons aussi qu’ils font de leur mieux, notamment en installant des serres. Quand le gouvernement fédéral fera-t-il ce qu’il peut pour les aider? Monsieur le ministre, l’inaction du gouvernement s’explique-t-elle par le fait qu’il y aura des élections le 7 juin en Ontario, province dirigée par un gouvernement libéral, alors que le Manitoba est dirigé par un gouvernement conservateur? Ce n’est sûrement pas la raison, monsieur le ministre.

Quand le gouvernement fédéral va-t-il assumer ses responsabilités et venir en aide au Manitoba, à la municipalité de Churchill et à toutes les localités situées le long de cette ligne ferroviaire?

L’honorable Jim Carr, C.P., député, ministre des Ressources naturelles : Sénateurs, j’ai déjà parlé de l’engagement pris par le gouvernement du Canada non seulement envers les gens de Churchill, mais envers les habitants du Nord. J’ai parlé de cet engagement à court, à moyen et à long terme.

Comme le sénateur le sait, la décision qui a eu la plus grande incidence sur l’avenir du port de Churchill, c’est évidemment celle qu’a prise le gouvernement Harper de démanteler la Commission canadienne du blé.

Si vous ne me croyez pas sur parole, vous pouvez prendre connaissance des commentaires formulés à ce sujet par Merv Tweed, un ancien député fédéral qui a été membre d’un parti qui a décidé que la Commission canadienne n’était pas utile au Canada. Cette décision n’a certainement pas été bonne pour les gens de Churchill.

Le sénateur Plett : Vous rejetez le blâme sur les autres.

M. Carr : Encore une fois, je tiens à assurer aux sénateurs que le gouvernement du Canada est résolu à veiller à ce que Churchill joue un rôle dans l’avenir de la stratégie pour le Nord. Nous travaillons avec diligence pour favoriser l’ouverture éventuelle de la ligne ferroviaire et pour assurer un avenir plus brillant au port de Churchill.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la période des questions est maintenant terminée. Je suis convaincu que tous les sénateurs se joindront à moi pour remercier le ministre Carr de s’être déplacé aujourd’hui.


ORDRE DU JOUR

Régie interne, budgets et administration

Adoption du vingt et unième rapport du comité

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Massicotte, appuyée par l’honorable sénateur Tannas, tendant à l’adoption du vingt et unième rapport (intérimaire) du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, intitulé Audit et surveillance, présenté au Sénat le 28 novembre 2017.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, vous vous rappellerez que, avant la période des questions, le sénateur Wells était en train de répondre aux questions de ses collègues. Je lui ai alors indiqué qu’il lui restait deux minutes, mais les greffiers m’informent que le temps de parole du sénateur est, au contraire, écoulé.

Sénateur Wells, je sais qu’au moins deux autres sénateurs souhaitent vous poser une question. Demandez-vous cinq minutes de plus?

L’honorable David M. Wells : J’accepte de répondre à ces questions.

Son Honneur le Président : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

L’honorable Lucie Moncion : Lorsque vous avez pris la parole la semaine dernière, vous avez insisté sur l’examen des dépenses des sénateurs en disant qu’il fallait absolument que cet organe de surveillance voie le jour. Même si de nombreuses mesures ont été mises en œuvres pour éviter un autre scandale concernant les dépenses des sénateurs, la plupart d’entre nous voient d’un bon œil la mise sur pied d’un organe de surveillance composé de tiers et qui aurait pour mandat de surveiller les dépenses des sénateurs et de faire appliquer les règles et les politiques en vigueur.

La transparence et la reddition de comptes sont les deux mots d’ordre en l’occurrence. Le vingt et unième rapport du comité recommande que davantage de pouvoirs soient confiés à ce futur organe de surveillance, qu’il assume les responsabilités du sous-comité du Comité de la régie interne relativement aux audits et qu’il devienne un comité permanent à part entière disposant du pouvoir d’examiner à huis clos les travaux des autres comités, d’entreprendre des études de son propre chef, d’agir indépendamment du Comité de la régie interne et d’interpréter les règles du Règlement administratif du Sénat qui ont trait à ses travaux.

Le fait que le rapport recommande la création d’un comité permanent d’audit et de surveillance a créé deux situations. La première concerne la question de savoir si ce comité devrait être composé de membres internes ou externes. La seconde touche le mandat du comité.

Si des membres externes siègent à ce comité, faut-il combiner les fonctions d’audit et de surveillance, ou bien les garder séparées?

Le sénateur Wells : Je vous remercie de votre question, sénatrice Moncion. La question de savoir si le comité devrait être composé de membres internes ou externes a fait l’objet de longues discussions. Parmi tous les sujets, c’est probablement celui dont nous avons discuté le plus. Il y avait un certain nombre de sénateurs — il n’y a que cinq sénateurs qui siègent au sous-comité — qui voulaient que le comité ait des membres externes. En fait, après nos discussions et délibérations, nous avons conclu dans nos recommandations que si le comité proposé entend tous les témoignages devant les caméras, et non à huis clos, alors l’opinion publique indépendante sera assurée par les 35 millions de Canadiens qui pourront regarder les délibérations du comité. Nous avons donc abordé la question.

C’est une bonne question, et elle n’est toujours pas résolue, car j’ai entendu certaines personnes au Sénat dire qu’elles aimeraient quand même qu’il y ait des membres externes.

Alors, je laisserais la question pour un autre jour. S’il y a une recommandation disant que le Comité du Règlement devrait l’étudier, je laisserais à ce comité le soin d’en discuter et de faire des recommandations au Sénat.

Je sais que j’ai parlé plus tôt du besoin d’avoir un vérificateur interne, ce que le Sénat n’a pas actuellement. Dans son intervention, le sénateur Massicotte a dit que nous avions un vérificateur interne, ce qui n’est pas le cas, mais c’était l’objet de l’une des recommandations faites par le vérificateur général dans son rapport. Nous proposerions un vérificateur interne. Certes, il y a un vérificateur externe engagé par le Sénat.

(1650)

Ils ne feraient pas partie du comité, mais le conseilleraient à temps plein. Cela serait suffisant pour moi, s’il y a une ferme volonté de faire appel à des contributions externes.

Pour ce qui est de la surveillance et des vérifications qui pourraient se produire, j’ai indiqué, en réponse à la sénatrice Saint-Germain — encore une fois, je laisserais le comité en décider — que le comité ne se contenterait pas de surveiller les dépenses des sénateurs, mais aussi celles des 16 directions qui composent le Sénat. Cette surveillance permettrait d’apporter de la rigueur aux systèmes et des pratiques exemplaires, mais d’examiner aussi des échantillons des dépenses particulières des sénateurs — indemnités de déplacement et de séjour et frais de bureau. Ces fonctions seraient combinées plutôt que distinctes. Elles permettraient de surveiller les systèmes utilisés, mais aussi de procéder à des vérifications particulières qu’avait recommandées le vérificateur général. Il s’agirait en réalité d’empêcher que les erreurs du passé ne se reproduisent.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Wells?

Le sénateur Wells : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Plett : Seulement cette question.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Une question seulement. Les honorables sénateurs sont-ils d’accord?

Des voix : D’accord.

L’honorable Percy E. Downe : J’ai, au départ, appuyé l’idée que le vérificateur général procède à un audit. Avant ma nomination au Sénat, j’ai travaillé dans des ministères hiérarchiques au sein d’un gouvernement provincial, du gouvernement fédéral, d’organismes centraux et de bureaux politiques. J’ai participé à deux autres audits, dont l’un visant une section dont j’étais responsable. Toutefois, dire que j’ai été bouleversé et scandalisé d’apprendre que cet audit-ci a coûté 27 millions de dollars n’exprime pas l’ampleur de mes sentiments.

Je reviens aux restrictions financières qui se rapportent à l’audit. Je parle de l’audit dont ceux qui étaient ici à l’époque ont fait l’objet de la part du vérificateur général. Je signale encore une fois aux nouveaux sénateurs qui travaillaient dans divers ministères ou organismes du gouvernement qu’il y avait toutes sortes de règles au Sénat. Bien franchement, j’ai constaté qu’il y avait ici plus de restrictions dans divers domaines que ce que j’avais connu au sein de ministères fédéraux ou provinciaux.

Cela dit, avec le recul, je considère que le travail accompli par le vérificateur général relève carrément du cafouillis. On a examiné tous les frais de déplacement de chaque sénateur. Prenons par exemple la sénatrice Marshall. Vous ne le savez peut-être pas, mais la sénatrice Marshall est comptable agréée de formation, une ancienne vérificatrice générale de Terre-Neuve-et-Labrador, une ancienne députée provinciale et une ancienne ministre. On a vérifié le moindre de ses frais de déplacement, comme ils l’ont fait pour nous tous. Il s’agit d’un gaspillage de ressources, purement et simplement.

Je sais que le vérificateur général a fini par récupérer 600 000 $ sur 27 millions. Aucun Canadien ne considérerait cela comme un bon rendement sur un investissement.

Je pense à tous les projets à l’Île-du-Prince-Édouard qui ont désespérément besoin d’un financement du gouvernement fédéral, mais voilà que cette institution a consacré une somme faramineuse à un audit qui est devenu totalement incontrôlable sur le plan financier.

Avant d’approuver l’audit, je pense qu’il faut savoir quelles sont les restrictions établies et combien d’argent nous dépenserons. A-t-on prévu une mesure pour que les auditeurs soient automatiquement tenus de faire approuver des fonds supplémentaires par l’ensemble du Sénat s’ils dépassent le montant prévu?

Je ne veux pas apprendre par les journaux dans deux ans que nous avons encore dépensé plusieurs millions pour récupérer un montant important peut-être — 600 000 $ est un chiffre considérable, mais cela a coûté 27 millions de dollars.

Le sénateur Wells : Je vous remercie de votre question, sénateur Downe, et je vais tenter d’y répondre rapidement pour ne pas dépasser le temps de parole supplémentaire qui m’est attribué.

Vous avez raison : 27 millions de dollars est un chiffre aberrant. Si j’avais su qu’il en coûterait 27 millions de dollars pour récupérer moins de 600 000 $, je n’aurai pas été pour non plus.

Nous avons proposé un budget annuel de 500 000 $ pour ce comité d’audit et de surveillance. Nous pensons que ce serait une utilisation judicieuse de ces fonds. La majeure partie de ce montant, soit 472 000 $, serait consacrée au poste d’auditeur interne ou à la fonction d’audit interne; il y aurait donc un auditeur interne et son équipe. Un montant de 472 000 $ y serait affecté. Le solde servirait à payer les frais généraux normaux d’un comité.

Si des fonds supplémentaires étaient nécessaires, nous reviendrions devant le Comité de la régie interne, ou devant le Sénat certainement, pour présenter et justifier la demande. Il serait à espérer que la rigueur de ce comité en matière d’audit, et de surveillance plus précisément, permettrait de veiller à ce que nous ayons de bons systèmes reposant sur des pratiques exemplaires et, ainsi, que l’argent que les contribuables consacrent au Sénat du Canada représente une dépense judicieuse.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Projet de loi interdisant l’importation de nageoires de requin

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Michael L. MacDonald propose que le projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation de nageoires de requin), tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je suis ravi de prendre la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-238, Loi interdisant l’importation de nageoires de requin, que j’ai déposé au Sénat le printemps dernier.

Je tenterai d’être aussi bref que possible et de ne pas trop me répéter, étant donné que vous m’avez déjà entendu parler à ce sujet à l’étape de la deuxième lecture et à l’étape du rapport le mois dernier, et, pour certains d’entre vous, au comité également.

Pour les raisons que je présenterai, je crois que cette mesure législative arrive à un moment critique pour les espèces de requins, dont plusieurs sont à un point décisif, et je dirais même menacées d’extinction. La mesure législative dont nous sommes saisis aujourd’hui permettra au Canada d’assumer un rôle de chef de file en protégeant ces espèces vulnérables et extrêmement importantes.

Le projet de loi S-238 est court et simple. Il vise à interdire l’importation au Canada et l’exportation du Canada de nageoires de requin séparées de la carcasse du requin. Il prévoit évidemment certaines exceptions, par exemple si les nageoires sont destinées à la recherche scientifique ou à une activité favorable à la survie de l’espèce. Le ministre doit alors délivrer une licence. En inscrivant dans la loi qu’il est interdit d’enlever les nageoires de requin, le projet de loi officialisera cette interdiction.

Au Canada, l’enlèvement des nageoires de requin est interdit depuis 1994, parce que les permis de pêche délivrés par le ministère des Pêches et des Océans sont assortis de conditions l’interdisant. Malheureusement, l’importation des nageoires est toujours permise.

Comme plusieurs témoins nous l’ont dit en comité, cela offre une échappatoire légale énorme qui est facilement exploitée. Essentiellement, pourvu que les nageoires de requin entrent au pays à bord d’un navire de charge plutôt que d’un bateau de pêche, il est légal d’en faire le commerce au Canada même si elles proviennent de l’enlèvement des nageoires de requin.

Le Comité sénatorial des pêches et des océans a mené une étude approfondie de ce projet de loi. Je souhaite remercier le sénateur Manning et tous les sénateurs du comité de leurs travaux minutieux. En comité, nous avons entendu de nombreux experts, notamment des spécialistes en écologie marine, M. Boris Worm, de l’Université Dalhousie, et M. Dirk Steinke, de l’Université de Guelph, tous deux des scientifiques réputés dans leur domaine.

Nous avons aussi entendu le témoignage d’une gestionnaire du programme de la faune de la Humane Society International, Iris Ho, qui est née à Taïwan, et celui de la directrice de campagne d’Oceana Canada, Kim Elmslie. Elles ont toutes deux livré d’excellents témoignages. Ce fut formidable d’entendre les représentantes de ces organismes réputés.

Le comité a aussi entendu le témoignage d’une conseillère municipale de Toronto, Kristyn Wong-Tam, qui, dans sa ville, est une figure de proue de la lutte contre le commerce des nageoires de requin. C’est elle qui a présenté la motion en faveur du projet de loi S-238 que le conseil municipal de Toronto a adoptée. Le comité a aussi entendu le témoignage à titre personnel de Joanna Hui, qui milite pour la protection des requins depuis des années.

Nous avons aussi eu le privilège d’entendre le témoignage passionné de Brian et Sandra Stewart, les parents du regretté cinéaste Rob Stewart. Ils ont parlé de l’urgence de cette question et de ce que nous laisse leur fils. Le projet de loi s’inspire du travail de Rob. Son documentaire primé, Les seigneurs de la mer, a largement contribué à faire la lumière sur les effets néfastes de l’enlèvement des nageoires de requin sur l’espèce.

(1700)

Je dois aussi reconnaître l’appui de Sandra, Brian et Alexandra Stewart, la famille de Rob, qui poursuivent courageusement la mission de protéger les requins entamée par Rob. Lors de l’étude en comité, ce fut un honneur d’entendre Brian et Sandra témoigner presque un an jour pour jour après le décès de leur fils.

Comme vous vous en souviendrez, Rob est décédé de façon tragique en janvier 2017 pendant le tournage de la suite du documentaire Les seigneurs de la mer. Rob a consacré sa vie à sensibiliser le public non seulement aux dommages écologiques causés par la pratique, mais aussi à l’importance et à la véritable nature des requins dans les écosystèmes océaniques.

Finalement, nous avons entendu le témoignage de fonctionnaires fédéraux du ministère des Pêches et des Océans et d’Environnement et Changement climatique Canada, qui ont comparu à deux reprises afin de répondre à des questions supplémentaires du comité. Je remercie tous les témoins de leur témoignage éclairé et informé.

L’enlèvement des nageoires de requin est un phénomène mondial qui décime une des espèces les plus importantes de la planète. Les scientifiques estiment que plus de 100 millions de requins sont tués chaque année pour répondre à la demande mondiale croissante en soupe aux ailerons de requin. Il s’agit d’un désastre écologique en pleine progression. Comme M. Worm l’a souligné dans son témoignage au comité : « [...] deux espèces de requin sur trois visées par le commerce des ailerons sont soit menacées, soit presque menacées d’extinction [...] ». M. Worm a également fait remarquer ceci :

Il ne fait aucun doute que le commerce des ailerons menace d’extinction de nombreuses populations de requin.

La plupart de ces requins se feront couper les nageoires, généralement lorsqu’ils sont toujours en vie, et seront ensuite jetés par-dessus bord dans la mer, où ils se noieront ou mourront au bout de leur sang. Quatre-vingt-dix-huit pour cent de l’animal est jeté au rebut et gaspillé dans le cadre du processus. Imaginez le dégoût et le tollé des gens si nous faisions preuve d’une telle cruauté destructive à l’égard de grands prédateurs terrestres.

Comme je l’ai mentionné précédemment, si les pêcheurs utilisent largement la pratique de l’enlèvement des nageoires, c’est uniquement pour des raisons économiques. Compte tenu de la demande élevée et de la valeur au détail des ailerons, ceux-ci ont une valeur beaucoup plus grande que les autres parties de l’animal. En jetant la carcasse, les pêcheurs peuvent économiser de l’espace précieux à bord de leur bateau afin d’y entreposer une énorme quantité d’ailerons.

Le projet de loi S-238 vise à empêcher que les ailerons de requins qui, selon toute vraisemblance, sont le fruit de la pratique de l’enlèvement des nageoires ne franchissent nos frontières pour que l’on en fasse le commerce au Canada. Comme nous l’avons entendu au comité, en 2017 seulement, le Canada a importé plus de 170 000 kilogrammes d’ailerons de requin, soit une augmentation de 65 000 kilogrammes depuis 2012.

Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser ce que ne prévoit pas ce projet de loi, même avec les amendements proposés par le Comité sénatorial des pêches et des océans. Le projet de loi S-238 n’interdit pas la soupe d’ailerons de requin. Il n’interdit ni la vente ni la consommation d’ailerons de requin au Canada. En fait, on continuera d’importer et d’exporter des ailerons de requins, à condition qu’ils soient attachés à la carcasse.

Ce projet de loi vise uniquement les ailerons de requin qui ne sont pas attachés à la carcasse, parce qu’on ne peut pas déterminer efficacement à quelle espèce de requin les ailerons appartiennent, la durabilité de la pêche ou si les ailerons sont le fruit de la pratique de l’enlèvement des nageoires.

Je tiens aussi à répéter qu’il ne s’agit pas d’une question partisane. Lors de la dernière législature, le député néo-démocrate Fin Donnelly a présenté un projet de loi semblable. J’ai discuté avec des sénateurs et des députés de toutes les allégeances politiques, qui se sont montrés très favorables au projet de loi.

Le problème dont nous sommes saisis est simple : le commerce mondial des ailerons de requin est non durable, irresponsable, incroyablement cruel et écologiquement irresponsable. Il est en train de détruire une espèce essentielle à l’écosystème marin. Il n’est pas exagéré de dire que nous risquons l’extinction de l’espèce parce que c’est la seule issue possible si nous ne collaborons pas pour arrêter le carnage.

Les requins habitent les océans depuis au moins 420 millions d’années. Voici ce que disait à ce sujet M. Worm, lors de son témoignage devant le comité :

Les requins figurent parmi les vertébrés les plus anciens de la planète. Ils sont deux fois plus vieux que les dinosaures, pourtant, ils sont encore là. Ils ont survécu aux extinctions de masse, mais aujourd’hui, le commerce des ailerons est ce qui menace le plus d’existence de ce groupe.

Les grands prédateurs que sont les requins jouent un rôle vital pour maintenir la vigueur des océans. Nos océans couvrent les trois quarts de la surface de la Terre et contiennent 80 p. 100 des organismes vivants de la planète. Voici un extrait du témoignage de Kim Elmslie, de l’organisme Oceana Canada :

[…] plusieurs espèces de grands requins sont des prédateurs dominants et ont une incidence importante sur les écosystèmes marins. En effet, ces grands requins chassent les individus faibles ou malades, les éliminant ainsi de l’écosystème. Mais avant tout, en chassant certaines espèces comme les raies, les mammifères marins ou même de plus petites espèces de requins, les grands requins exercent un contrôle sur les populations [qui s’attaquent] aux espèces à valeur commerciale telles que les poissons, les mollusques et les crustacés […]

La plupart des requins ne pondent pas d’œufs. Ils donnent naissance à un jeune complètement constitué, et leurs portées sont habituellement peu nombreuses. Ils prennent du temps avant d’atteindre la maturité sexuelle, qui se situe entre 10 et 25 ans, alors leurs taux de reproduction sont extrêmement faibles. Certaines espèces auraient de la difficulté à se rétablir si leur population baissait trop. À part les épaulards, les grands requins n’ont pas de prédateur naturel, mais l’homme est en train de les éradiquer.

Le professeur Dirk Steinke, de l’Université de Guelph, a indiqué ceci au comité :

[…] à partir d’un certain point de bascule, il est presque impossible de rétablir les populations touchées, simplement parce que leur croissance est très lente.

Les requins sont des espèces remarquables, mais ils ont été malheureusement diabolisés dans notre société. On les présente comme de dangereuses créatures mangeuses d’homme qui menacent constamment la sécurité des gens, mais il est important de comprendre la vraie nature des requins et leur rôle crucial dans les océans.

Il est déplorable que des braconniers tuent des éléphants et des rhinocéros simplement parce que des personnes malavisées attachent du prestige à l’ivoire de leurs défenses et de leur corne. Nous sommes tous d’accord sur ce point, je crois. Les Canadiens s’indignent à juste titre devant le massacre de ces animaux et d’autres espèces en péril ou menacées. Par contre, la carcasse des requins tués pour leurs nageoires se retrouve au fond de l’eau, loin des regards et généralement loin de la conscience de la société. Voici ce que Brian Stewart a dit au comité à ce sujet :

Si le dernier panda meurt, éliminant l’espèce, l’homme ne cessera pas d’exister. Si le dernier éléphant meurt, l’homme ne s’éteindra pas avec lui. Si le dernier requin meurt, l’équilibre de l’océan est perturbé et nous sommes menacés.

Fait paradoxal, chers collègues, les nageoires de requin — qu’on appelle aussi des ailerons — n’ajoutent pratiquement aucune saveur à la soupe d’ailerons de requin. Ils ajoutent simplement un peu de texture, chose que d’autres substances peuvent accomplir facilement. De plus, la science moderne a démontré que les nageoires de requin n’ont aucune valeur nutritive ou médicinale, contrairement à certaines croyances. Au contraire, le requin a une teneur élevée en méthylmercure, une neurotoxine dont la consommation présente des dangers pour l’être humain.

Bien que le Canada et d’autres pays aient des règlements qui interdisent l’amputation des nageoires de requin dans leurs eaux, l’industrie demeure sous-réglementée, et la réglementation qui existe est peu cohérente et peu fiable. Comme l’ont souligné les témoins qui ont comparu devant le comité, les eaux internationales ont tout du Far West.

J’ai déjà mentionné que le Canada a importé plus de 170 000 kilogrammes de nageoires de requin en 2017. La plupart provenaient de Hong Kong et de la Chine continentale, qui sont les grands meneurs de ce marché à l’échelle mondiale et les principaux points d’importation et de réexportation. Les nageoires qui s’y trouvent sont, très souvent, le produit d’une amputation. Selon les témoignages entendus au comité, Hong Kong et la Chine recueillent des nageoires de requin provenant de plus de 80 pays, les traitent, puis les exportent de nouveau vers les quatre coins du monde, y compris vers le Canada.

Étant donné le manque de réglementation cohérente et la surveillance inégale dans le monde, il est impossible de déterminer si les nageoires de requins importées au Canada proviennent de requins ramenés entiers, et non de requins dont les nageoires ont été prélevées avant qu’ils soient rejetés à la mer. Autrement dit, il est impossible de déterminer si les ailerons admis au Canada découlent d’un prélèvement sur un requin vivant.

De plus, il n’y a aucun moyen fiable d’identifier l’espèce d’origine des ailerons importés pour s’assurer qu’ils ne viennent pas d’espèces vulnérables ou protégées. La seule façon de déterminer l’espèce de requin dont proviennent des nageoires qui entrent au Canada serait d’effectuer un test d’ADN coûteux et long sur tous les produits. C’est totalement irréaliste. Comme M. Worm l’a dit au comité :

Il est très difficile de déterminer l’espèce une fois que les ailerons ont été détachés, car la peau en est enlevée et ils sont blanchis et modifiés de bien des manières. Une fois l’aileron traité, on peut très difficilement déterminer l’espèce dont il provient. Il est donc presque impossible de faire la distinction entre les espèces menacées et non menacées à moins de recourir les techniques fortement axées sur l’ADN […]

Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que nos services frontaliers contrôlent les ailerons importés pour s’assurer qu’ils n’ont pas été prélevés sur un requin vivant. Ce ne serait vraiment pas réaliste. Bien que le Canada soit un intervenant de petite envergure dans le marché des nageoires de requins si on le compare à Hong Kong et à la Chine continentale, selon un rapport publié en 2015 par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, intitulé State of the Global Market for Shark Products, le Canada est le plus grand importateur de nageoires de requins à l’extérieur de l’Asie de l’Est, ce qui veut dire que le Canada est en partie responsable de l’état de certaines espèces de requins. Nous permettons ce massacre qui ne peut durer.

Toutefois, comme M. Stewart l’a proposé, nous avons le pouvoir de déclarer sur la scène mondiale que c’est répréhensible. Même si nous ne commettons que 2 p. 100 des actes répréhensibles, ils le sont quand même. Voilà ce que nous devons affirmer haut et fort. Nous devons dire que l’extermination d’une espèce est une pratique inacceptable et immorale.

(1710)

Les statistiques sur la chute des populations de requins sont renversantes. Dans le monde entier, le prélèvement des nageoires de requin est une pratique qui a complètement dévasté des populations, dont certaines ont baissé de plus de 80 p. 100 au cours des 50 dernières années. Par exemple, selon les estimations, dans l’Atlantique Nord-Ouest seulement, 89 p. 100 des requins-marteaux, 80 p. 100 des requins-renards, 79 p. 100 des grands requins blancs et 65 p. 100 des requins-tigres sont disparus. À cela s’ajoutent 87 p. 100 des requins bleus du Pacifique tropical, 90 p. 100 des requins soyeux et 99 p. 100 des requins à longues nageoires du golfe du Mexique. Il y a maintenant 74 espèces de requin sur la liste des espèces menacées, et 67 autres sont quasi menacées. Parmi les espèces les plus ciblées par le commerce des ailerons de requin, 14 sont sur la liste des espèces menacées.

Il existe plus de 450 espèces de requin, mais, malheureusement, moins d’une dizaine sont actuellement protégées à l’échelle internationale par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, ou CITES. Pourtant, selon la section canadienne de la Humane Society International:

[…] on applique très peu, voire pas du tout, les restrictions pertinentes en matière d’importation au Canada. Les ailerons de requin ne sont pas étiquetés en fonction de l’espèce ou du pays d’origine et de nombreuses espèces menacées de requins continuent d’être tuées pour leurs nageoires.

L’organisme ajoute ceci :

[…] À moins d’interdire l’importation d’ailerons de requin au Canada, il sera tout simplement impossible de garantir que des ailerons provenant d’espèces de requins vulnérables n’entreront pas au pays.

Cet organisme a raison, et les données le démontrent. Au comité, M. Steinke a présenté les résultats d’une étude qui l’a amené à analyser des échantillons d’ailerons de requins trouvés au marché de Vancouver. Parmi les échantillons que son collègue et lui ont prélevés, 80 provenaient d’espèces à risque — et on les trouve à l’intérieur de nos frontières.

Par ailleurs, le comité a appris que, d’après une enquête menée par Pêches et Océans Canada et Environnement Canada, le tiers des ailerons de requins trouvés sur les marchés de Calgary, Vancouver et Toronto proviennent d’espèces de requins visées par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Il s’agit des espèces les plus à risque et qui sont censées être à l’abri du commerce international. Et pourtant, on les trouve dans des villes canadiennes parce que, en vérité, nous n’avons aucune idée de ce qui traverse nos frontières.

Je suis convaincu que le Canada peut faire mieux et que les Canadiens s’attendent à ce que les autorités qui gouvernent le pays fassent un meilleur travail en matière de protection de la faune.

Certains se sont demandé s’il serait possible de limiter les importations aux États qui pratiquent une pêche soi-disant durable. Le problème, chers collègues, c’est que les requins se déplacent. Un requin peut tout aussi bien avoir été pêché dans un territoire recourant à des pratiques durables que dans un endroit où les pratiques ne le sont pas. Comme l’a fait remarquer M. Worm, bien que les pratiques durables de la pêche au requin existent, elles ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan. Les requins sont tout simplement trop vulnérables pour que les êtres humains les exploitent.

Depuis que j’ai présenté le projet de loi S-238 au Sénat, un nombre incroyable d’individus et d’organismes ont exprimé leur appui. Je n’ai reçu aucune correspondance de la part d’une personne ou d’une organisation qui s’y oppose. Le projet de loi jouit non seulement de l’appui du conseil municipal de Toronto, mais aussi de celui du conseil municipal de Montréal, qui a adopté une motion pratiquement identique à celle de Toronto. Je salue le travail du conseiller Marvin Rotrand, le parrain de la motion. Je remercie M. Rotrand et ses collègues de leur appui.

Honorables sénateurs, les deux principales villes du Canada ont tenu à exprimer au Parlement et au gouvernement leur appui envers le projet de loi. Il s’agit là d’un événement rare, sinon unique.

Beaucoup d’autres municipalités se joignent au mouvement : elles étaient pas moins de 17 aux dernières nouvelles. En fait, mon bureau a reçu une lettre ce mois-ci d’une jeune fille de 12 ans qui vit à Cochrane, en Alberta. Son nom est Belle Levisky. Elle a fondé la 7 Fins Forever Foundation et, l’automne dernier, elle a réussi à convaincre le conseil municipal d’adopter un règlement contre la vente et l’utilisation des nageoires de requin à Cochrane, en Alberta. Voilà qui serait un exploit remarquable et impressionnant pour tout Canadien, et ce l’est d’autant plus pour une personne aussi jeune.

Félicitations et merci, Belle, pour ton leadership et ta détermination à changer les choses.

Comme je l’ai dit lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, une pétition a été créée en ligne sur le site change.org pour appuyer le projet de loi S-238. Au moment de ce discours, elle comptait 15 000 signatures. Au début de l’étude en comité, le nombre a grimpé à 18 000 signatures. Aujourd’hui, au début de l’étape de la troisième lecture, plus de 58 000 personnes l’ont signée.

Je vous rappelle également, chers collègues, qu’un sondage réalisé en 2013 par Environics Research Group a révélé que 81 p. 100 des Canadiens appuient l’interdiction de l’importation de nageoires de requin au Canada. Il semble clair que la majorité des Canadiens trouvent que l’enlèvement des nageoires de requin est une pratique cruelle représentant un gaspillage inacceptable, et qu’ils veulent que nous agissions dans ce dossier.

Le problème n’est pas réglé, et je pense que nous, à titre de Canadiens, devons décider quel rôle nous voulons jouer dans l’histoire. Nous observons également une tendance ailleurs dans le monde. Selon les témoignages présentés au comité, 12 États américains et 3 territoires du Pacifique ont adopté des mesures pour interdire la vente des nageoires de requin. De plus, le Congrès américain est actuellement saisi d’un projet de loi qui propose l’interdiction de la vente et du commerce des nageoires à l’échelle fédérale aux États-Unis.

Plusieurs petits pays ont mis en œuvre des interdictions semblables, mais, comme Iris Ho, de la Humane Society, le disait devant le comité :

Le Canada a la possibilité de devenir le premier grand pays industrialisé à interdire l’importation de nageoires de requin […]

J’aimerais également souligner que, même si l’Asie orientale est certainement la plaque tournante du commerce des nageoires de requin, des progrès importants ont été réalisés dans la région au cours des dernières années en matière de sensibilisation aux impacts environnementaux de l’enlèvement des nageoires de requin. D’ailleurs, des organismes et des communautés asiatiques comptent parmi ceux qui ont le plus critiqué cette pratique au cours des dernières années.

Les projets de loi en cours d’adoption par différents ordres de gouvernement sont, en grande partie, parrainés par des personnes d’origine asiatique. Des projets de lois similaires sont également en voie d’être adoptés en Asie, ce qui est très encourageant. Par exemple, le gouvernement chinois a retiré la soupe aux ailerons de requin du menu de tous ses banquets officiels et, l’année dernière, Air China a annoncé qu’elle interdisait le transport des nageoires de requin, une première parmi les compagnies aériennes de la Chine continentale. Elle se joignait ainsi à 35 autres compagnies aériennes et à 17 compagnies de transport maritime mondiales qui ont également interdit le transport des nageoires de requin.

Les Canadiens doivent faire leur part. Le projet de loi S-238 permettra au Canada d’envoyer un message clair à la communauté internationale quant au caractère inacceptable du commerce actuel de nageoires de requin. Le Canada peut donner l’exemple en la matière. Nous avons l’occasion, honorables sénateurs, de devenir le premier grand pays industrialisé à interdire l’importation et l’exportation de nageoires de requin séparées de la carcasse du requin.

La solution pour enrayer le commerce des nageoires de requin devra certainement être appliquée à l’échelle internationale, mais le Canada a l’occasion de donner l’exemple. L’interdiction de l’importation et de l’exportation des nageoires nous permettra d’inciter les autres à faire de même et, compte tenu de la tendance observée, je crois fermement que les autres suivront notre exemple.

Chers collègues, comme je l’ai mentionné à l’étape du rapport, à la suite de l’étude approfondie menée par le Comité des pêches et des océans, plusieurs amendements ont été proposés et acceptés et, selon moi, ils renforcent le projet de loi. J’appuie tout à fait les amendements et je crois qu’il y avait consensus au sein du comité quant à la marche à suivre concernant ce projet de loi. Le groupe d’amendements déposés par le sénateur Gold avait deux objectifs.

Premièrement, le projet de loi a été amendé pour s’assurer que les parties de nageoires de requin et les produits qui en sont dérivés sont visés par la mesure législative. Par exemple, en comité, on a demandé si les nageoires de requin transformées pour être utilisées en tant qu’ingrédient étaient visées par le projet de loi dans sa formulation originale. Des témoins ont également recommandé des amendements à cet effet.

Deuxièmement, la portée du projet de loi a été élargie pour interdire l’exportation de nageoires de requin et pas seulement l’importation, comme à l’origine. Même si le comité a appris que, à l’heure actuelle, le Canada n’exporte pas de nageoires de requin, on a proposé cet amendement pour que le Canada se conforme entièrement à ses obligations commerciales en vertu de l’Organisation mondiale du commerce.

Le comité a pris cette décision à la suite du témoignage de représentants de Pêches et Océans Canada et d’Environnement Canada, qui appuient l’objectif du projet de loi, mais qui avaient des inquiétudes au sujet des obligations commerciales du Canada. Les représentants ont indiqué que l’inclusion de l’exportation dissiperait ces inquiétudes.

En somme, on a apporté l’amendement en vue d’ajouter l’exportation pour mettre sur un pied d’égalité les produits étrangers importés et tout produit canadien ayant le potentiel d’être exporté. Étant donné que le Canada n’exporte pas de nageoires de toute façon, cette disposition a très peu d’incidence, exception faite qu’elle garantit qu’il n’y a pas de perception de discrimination entre les produits étrangers et canadiens

Mon bureau a consulté des intervenants au sujet de ces amendements, et ils les appuyaient tous sans réserve.

Honorables collègues, en terminant, j’aimerais dire que je pense qu’il est évident que c’est ce que veulent les Canadiens. En effet, les sondages montrent constamment que les Canadiens sont en faveur d’une interdiction de l’importation. Les deux plus grandes villes du Canada, Toronto et Montréal, ont adopté une motion pour nous appuyer, et l’on voit des initiatives semblables dans d’autres municipalités partout au pays. Le comité a entendu des témoignages convaincants de la part des scientifiques les plus réputés au pays ainsi que d’activistes sur le terrain qui appuient le projet de loi et estiment que c’est la meilleure chose à faire.

(1720)

Nous avons également reçu plusieurs communications d’appui non sollicitées de la part d’organismes internationaux et d’experts, notamment du Center for Oceanic Awareness, Research and Education, en Californie, de Fins Attached Marine Research and Conservation, au Colorado, ainsi que du président de l’Association of Pacific Island Legislatures.

Le projet de loi est le seul moyen de faire en sorte que le Canada n’appuie pas le prélèvement des nageoires de requin.

J’estime qu’il est hypocrite, fourbe et inacceptable que le Canada interdise, d’une part, la pratique du prélèvement des nageoires de requin, mais permette, d’autre part, l’importation de nageoires de requin qui, selon toutes probabilités, proviennent du prélèvement des nageoires de requin.

Enfin, chers collègues, les Stewart ont décrit au comité ce qu’était la réponse de Rob lorsqu’on lui a demandé pourquoi il souhaitait tourner une suite au documentaire Les Seigneurs de la mer plutôt qu’embrasser une autre cause. Il a dit : « Il ne reste pas beaucoup de temps aux requins. Quand nous en aurons pris conscience, ils auront disparu. »

Chers collègues, il y a urgence. Rangeons-nous du bon côté de l’histoire. Montrons au monde que le Canada est prêt à donner l’exemple.

Merci, chers collègues, de votre temps et de votre attention.

[Français]

L’honorable Rosa Galvez : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, ou plus communément connu comme le projet de loi interdisant l’importation de nageoires de requin. Je suis en faveur de ce projet de loi, et je félicite le sénateur MacDonald de son initiative.

D’abord, je voudrais insister sur la reconnaissance des efforts d'un réalisateur de film, le regretté Rob Stewart, dont le documentaire Les Seigneurs de la mer a mis en lumière l’enjeu de la pêche aux nageoires de requin et son impact dévastateur sur les espèces de requin et sur tout l’écosystème marin. J’espère que, aujourd’hui, il y a davantage de professionnels du cinéma, du journalisme et des médias qui révèlent les atrocités perpétrées contre l’environnement et la biodiversité.

[Traduction]

J’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture que le projet de loi S-238 est un pas positif pour protéger les requins de la pratique mondiale du prélèvement des nageoires de requin, mais que cette initiative doit être le début pour ce qui est de protéger les espèces des pratiques qui, sans contrôle, risquent d’entraîner leur extinction. Le prélèvement des nageoires de requin est une pratique déplorable, d’autant plus que les requins ont besoin de se propulser dans l’eau afin de faire passer de l’eau dans leurs branchies pour respirer. Sénateurs, la pensée que des requins se fassent brutalement scier les branchies avant d’être rejetés dans l’océan, où ils calent au fond et meurent, nous rappelle la brutalité dont certains humains sont capables, un rappel qui fait froid dans le dos.

Il n’y a pas que les requins qui ont besoin de protection. D’autres espèces en ont aussi besoin. Vous avez peut-être vu aux nouvelles mardi dernier que le dernier rhinocéros blanc du Nord mâle est mort. Il ne reste que deux femelles vivantes. Cette sous-espèce est pratiquement disparue. Ces animaux ont été chassés jusqu’à l’extinction pour leurs cornes.

Notre collègue, la sénatrice Griffin, nous a rappelé que l’enlèvement des nageoires de requin, en déstabilisant le réseau alimentaire, a des conséquences dévastatrices non seulement sur les populations de requins, mais également sur l’ensemble de l’écosystème. La disparition de prédateurs alpha, comme les requins, en raison de l’activité humaine, nuit grandement à la santé des habitats marins et mondiaux. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, la biodiversité se perd à un taux 1 000 fois plus rapide que le taux normal. Les écosystèmes sont des réseaux délicats qui rythment la vie sur la planète — y compris pour nous. Si aucune action internationale coordonnée n’est prise, nos enfants ne pourront que voir certaines espèces que dans des livres ou dans des vidéos.

[Français]

Le projet de loi S-238 est un court projet de loi qui répond à certaines inquiétudes écologiques en interdisant l’importation au Canada de nageoires de requin qui ne sont pas attachées à la carcasse, sauf si l’importation est prévue à des fins de recherches scientifiques qui favoriseraient la survie de l’espèce. Le projet de loi représente pour le Canada l’occasion de jouer un rôle d’impulsion dans le cadre des efforts de conservation et de protection des populations mondiales de requins.

[Traduction]

Le parrain du projet de loi, le sénateur MacDonald, a parlé des amendements au projet de loi dans le rapport du comité. Tout d’abord, le libellé englobe maintenant les parties des nageoires de requin et les produits qui en sont dérivés et l’exportation a été ajoutée, en plus de l’importation dans l’interdiction. Je tiens à souligner de nouveau que, compte tenu du fait que le Canada n’exporte pas de nageoires de requin, cela a peu d’effet sur le projet de loi. Je conviens que les amendements améliorent le projet de loi. J’appuie les amendements et je remercie le comité de son travail.

Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi et à adopter le projet de loi au Sénat sans plus tarder.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur le projet de pipeline Trans Mountain

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Douglas Black propose que le projet de loi S-245, Loi prévoyant que le projet de pipeline Trans Mountain et les ouvrages connexes sont déclarés d'intérêt général pour le Canada, soit lu pour la deuxième fois.

—Votre Honneur, honorables sénateurs, c’est un plaisir pour moi cet après-midi, surtout après avoir entendu le ministre Carr, de prendre la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-245, Loi prévoyant que le projet de pipeline Trans Mountain et les ouvrages connexes sont déclarés d’intérêt général pour le Canada.

J’aborderai trois grands points, honorables sénateurs, en m’inspirant des questions que les gens m’ont posées quant à la légalité de ce projet de loi.

Premièrement, je veux croire qu’il constituera un point de départ pour que le gouvernement fédéral agisse. Jusqu’ici — et encore aujourd’hui —, le gouvernement du Canada a clairement fait connaître ses intentions, mais ce n’était rien d’autre que des mots. Nous voulons donc créer les conditions pour qu’il mette réellement ce projet en branle, car c’est un projet d’intérêt général pour le Canada. Il enverra également un message clair et sans équivoque : le Parlement du Canada appuie ce projet et reconnaît qu’il est dans l’intérêt du pays.

Les gens m’ont souvent demandé, y compris le ministre encore aujourd’hui, pourquoi nous avions besoin d’un projet de loi, puisque le gouvernement du Canada dispose déjà des pouvoirs nécessaires pour régir les pipelines interprovinciaux. La réponse à cette question comporte trois volets.

Primo, le droit constitutionnel prévoit — je vous renvoie à la cinquième édition de l’ouvrage Constitutional Law of Canada — que les déclarations doivent être explicites. On ne peut pas sous-entendre qu’un ouvrage donné est d’intérêt général pour le Canada, et il ne manque pas d’exemples de mesures législatives qui abondent en ce sens.

Le pouvoir déclaratoire a été invoqué environ 400 fois dans l’histoire du Canada. J’attire votre attention sur quatre mesures législatives en particulier, car je crois qu’elles se rapportent directement à notre cas : l’Acte pour incorporer la Compagnie du Pont du Canada et de la Rivière Détroit, en 1928, la Loi concernant l’Hudson Bay Mining and Smelting Co., Limited, en 1947, la Loi sur la Compagnie de chemin de fer du littoral nord de Québec et du Labrador, en 1947, et une loi datant de 1955 par laquelle sont amalgamées toutes les sociétés qui formeront dès lors le Canadien National. Ces quatre textes législatifs — il y en a bien d’autres, mais je n’en cite que quatre — contiennent une déclaration disant expressément que l’ouvrage ou le projet concerné est d’intérêt général pour le Canada.

(1730)

Pourquoi est-ce important? Pourquoi faut-il exercer un pouvoir déclaratoire pour indiquer qu’un projet est d’intérêt général pour le Canada?

La raison est la suivante : une fois que le Parlement a exercé ce pouvoir, tous les travaux accessoires sont considérés comme étant de compétence fédérale. Par conséquent, si nous adoptons ce projet de loi, les routes locales, les ponts, les connexions au réseau électrique, les entrepôts et tout ce qui est relié à la construction, l’exploitation ou la maintenance de l’oléoduc est désormais de compétence fédérale.

Évidemment, cela aura pour effet d’empêcher les autres pouvoirs publics de légiférer sur ce projet, notamment le gouvernement de la Colombie-Britannique et les municipalités de Burnaby et de Vancouver. Voilà pourquoi il faut déclarer que des travaux sont d’intérêt général pour le Canada.

Comme le ministre l’a dit, il sait bien que, en vertu de la Constitution, le projet est de compétence fédérale, parce que l’oléoduc reliera deux provinces. Néanmoins, le problème n’est pas là. Ce sont les interventions des autres pouvoirs publics concernant les travaux accessoires qui pourraient nuire à la réalisation du projet. Voilà la raison pour laquelle je dis aux sénateurs que, à mon avis, nous devons voir à ce que le Parlement exerce son pouvoir déclaratoire.

L’objet du projet de loi qui vous est soumis et que nous devons certainement adopter est d’assurer l’exécution du projet d’oléoduc Trans Mountain et des ouvrages connexes en conformité avec les permis délivrés par l’Office national de l’énergie et la législation fédérale. Après l’énoncé de l’objet se trouve l’article 4, le seul qui soit effectif. Il s’agit de la déclaration elle-même.

Pourquoi suis-je d’avis que ce projet de loi est nécessaire? Pour deux raisons principales. La première est le respect de la primauté du droit, et nous avons entendu le ministre nous en parler cet après-midi. La deuxième est la compétitivité du Canada et, par le fait même, sa prospérité.

En ce qui concerne la primauté du droit — et je reviendrai dans quelques moments à mes arguments plus détaillés —, il ne faut pas oublier le préambule de la Loi constitutionnelle de 1982, c’est-à-dire la Charte canadienne des droits et libertés, qui se lit comme suit :

Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit […]

Je dirais aux sénateurs que notre tâche première, en tant que législateurs, consiste à veiller à ce que les lois du Canada soient respectées.

Je serai bref, parce que je crois que la question a fait l’objet d’un débat suffisamment exhaustif. J’estime toutefois qu’il est important que les sénateurs aient une idée de la démarche suivie par Kinder Morgan pour développer le pipeline Trans Mountain. Dans son allocution la semaine dernière, le sénateur Neufeld a parlé d’un certain nombre de points. Je vais parler pendant quelques instants du parcours qui a été emprunté.

Le processus a été amorcé il y a sept ans, à l’automne 2011. Certaines questions préliminaires qui devaient être traitées pour que le projet puisse commencer ont été reportées à juin 2012. C’est à ce moment-là que les promoteurs du projet ont présenté leur première demande à l’Office national de l’énergie. Ils ont amorcé leurs activités d’engagement communautaire entre mai 2012 et juillet 2013, et il est important que le compte rendu indique ce qu’ils ont fait dans le cadre de ces activités d’engagement communautaire.

Il y a eu 63 ateliers et activités portes ouvertes le long du parcours du pipeline et du corridor maritime, et 2 761 personnes y ont participé. Il y a eu 527 rencontres auxquelles ont assisté l’équipe du projet et les groupes d’intervenants, et plus de 100 discussions ont eu lieu avec des communautés autochtones et d’autres groupes autochtones.

En juillet 2012, le gouvernement de la Colombie-Britannique a imposé cinq nouvelles conditions aux promoteurs du pipeline. Il a beaucoup été question à l’époque de la pertinence du projet, du moment choisi et ainsi de suite. Néanmoins, les cinq conditions ont été acceptées, et Kinder Morgan est allé de l’avant.

Entre le 15 juillet 2014 — c’était il y a quatre ans encore — et le 15 décembre, l’Office national de l’énergie a mené des processus exhaustifs relativement à cette audience. Malgré les audiences qui s’étaient tenues sur deux ans, les derniers arguments ayant été présentés en janvier 2016, comme le ministre nous en a informés aujourd’hui, son gouvernement — le nouveau gouvernement — a adopté de nouvelles mesures provisoires pour l’examen des projets de pipeline.

C’est très bien, il en a le droit, mais reconnaissez que bien des gens soutiendraient qu’il était trop tard.

Néanmoins, le gouvernement du Canada a imposé des mesures provisoires supplémentaires pour Trans Mountain, dont des consultations plus poussées auprès des peuples autochtones et l’évaluation des émissions de gaz à effet de serre en amont imputables au projet.

Trois mois plus tard, le gouvernement a imposé un nouvel obstacle à Trans Mountain. Le 17 mai 2016, il a présenté le soi-disant groupe d’experts ministériel dont le ministre a parlé cet après-midi, qui était chargé de mener des consultations supplémentaires. Je le mentionne simplement pour m’assurer que tout soit bien noté. L’entreprise ne s’est pas plainte. Trans Mountain a pris les mesures nécessaires pour mener les consultations exigées.

Elle a d’ailleurs poursuivi ses efforts activement à cet égard jusqu’au 29 novembre 2016 — il y a deux ans encore —, date à laquelle le premier ministre a annoncé que le projet avait obtenu l’approbation finale du gouvernement fédéral et a dit que le projet était dans l’intérêt national.

Deux mois plus tard, le gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé que le Bureau d’évaluation environnementale avait délivré un certificat d’évaluation environnementale au projet, étape qui relève du gouvernement provincial.

Mettez-vous à la place de Trans Mountain. Vous faites tout ce qu’il faut pour faire approuver un projet; vous y travaillez depuis sept ans. Vous avez obtenu les permis requis après des consultations exhaustives exigées par la loi et autres et vous avez l’approbation du gouvernement. Normalement, vous pourriez penser que le temps est maintenant venu de réaliser le projet, qui, selon le premier ministre du Canada, est dans l’intérêt national du pays. C’est exactement ce que la société a commencé à faire. Elle a entrepris les travaux nécessaires à la construction, ou plutôt à l’expansion du pipeline entre Edmonton et Burnaby.

Où en sommes-nous aujourd’hui?

Les poursuites judiciaires se font sur plusieurs fronts. La désobéissance civile a commencé. Il y a deux ou trois semaines, toute une série d’injonctions ont été accordées à Kinder Morgan et à Trans Mountain parce qu’elles n’ont pas pu effectuer les travaux nécessaires sur leur site de Burnaby.

Elles ont exercé leur droit de demander aux tribunaux de la Colombie-Britannique d’émettre des injonctions, ce qu’ils ont fait. Ces injonctions sont violées tous les jours. Jusqu’ici, les autorités ont arrêté 172 personnes qui avaient décidé de se faire justice elles-mêmes.

Comme la sénatrice Unger l’a souligné, trois agents de la GRC ont été blessés, dont un grièvement.

Il y a encore eu une flambée de violence dimanche soir.

Au cours du week-end, le conseil municipal de Burnaby a décidé, dans sa grande sagesse, de cesser de payer les heures supplémentaires effectuées par les policiers de cette ville. Pourtant, ces agents font respecter les lois canadiennes afin de protéger les actifs et les employés de Kinder Morgan.

Peu importe la définition qu’on en donne, ces gestes portent atteinte au droit de Kinder Morgan de réaliser son projet légitime. Chers collègues, je dirais qu’il s’agit d’une violation de la primauté du droit qui ne devrait pas être tolérée.

Si vous entretenez des doutes sur les intentions du gouvernement de la Colombie-Britannique à l’égard de ce projet, je tiens à dire clairement que je n’ai rien contre les gens qui défendent des intérêts légitimes. Nous avons tous le droit d’exprimer notre opinion. Toutefois, nous n’avons pas le droit d’enfreindre la loi pour faire valoir notre opinion.

Je veux parler d’une entrevue qu’Andrew Weaver a accordée à Evan Solomon le 25 février à l’émission Question Period de CTV. Qui est Andrew Weaver? Les sénateurs de la Colombie-Britannique le savent et ceux de l’Alberta commencent à le connaître.

(1740)

Andrew Weaver est le chef du Parti vert de la Colombie-Britannique. Le gouvernement de la Colombie-Britannique est un gouvernement néo-démocrate uniquement grâce au soutien de trois députés du Parti vert. Selon l’entente conclue, ils font partie du gouvernement. C’est normal dans un système démocratique.

M. Weaver est le chef du Parti vert, dont l’appui est essentiel pour le gouvernement néo-démocrate. L’interview qu’il a donnée à M. Solomon ne laisse aucun doute sur son programme et, je dirais même, sur le programme de la Colombie-Britannique.

M. Solomon lui cite la première ministre Notley, de l’Alberta, lui disant : « La Colombie-Britannique ne peut pas arrêter l’oléoduc. Selon elle, vos menaces sont ridicules. Qu’en pensez-vous? » Ce à quoi M. Weaver répond : « Le processus de sept ans devant l’Office national de l’énergie et les consultations sont une farce. »

Il poursuit en ces termes : « En fait, l’approbation de Kinder Morgan n’a rien à voir avec les données probantes, rien à voir avec la science et tout à voir avec les ambitions politiques de M. Trudeau. »

M. Solomon fait valoir que, selon M. Trudeau, l’Office national de l’énergie a approuvé l’oléoduc sous réserve de 157 conditions qui ont toutes été satisfaites, l’oléoduc relève du fédéral et Kinder Morgan a le droit, garanti par la Constitution, de le faire construire. M. Solomon demande à M. Weaver : « Est-ce que cet oléoduc sera construit? Pensez-vous qu’il sera construit? » M. Weaver répond que le pipeline ne sera jamais construit, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, le gouvernement de la Colombie-Britannique fait appel aux tribunaux pour ce qui est des processus environnementaux. Les tribunaux sont également saisis de plusieurs affaires associant les Premières Nations autochtones, et nous savons qu’il s’agit d’une stratégie. En tant qu’avocat, je peux vous dire que c’est une stratégie qui consiste à noyer les clients sous les litiges.

M. Solomon poursuit en disant : « D’accord. Je comprends la stratégie, mais que faites-vous si le tribunal ne tranche pas en votre faveur? » Soit dit en passant, c’est ce que nous voyons présentement.

M. Weaver répond ce qui suit : « Nous savons qu’une partie importante de la population de Vancouver et des autres régions de la Colombie-Britannique s’oppose à ce projet, et ce n’est pas difficile pour les gens de se rendre au site pour manifester. Vous savez déjà, d’après la dernière manifestation, que cela posera un problème. »

Il laisse entendre que les gens vont manifester contre l’oléoduc dans les rues. Encore une fois, je n’y ai aucune objection, tant que c’est fait conformément à la loi. M. Solomon poursuit : « La stratégie semble être que, si vous ne pouvez pas mettre fin au projet, alors vous allez le retarder jusqu’à ce que ce ne soit plus rentable de le mettre en œuvre. Est-ce la manière dont vous allez procéder, avec des procédures judiciaires, pour le retarder jusqu’à ce que Kinder Morgan abandonne, finalement? Est-ce votre stratégie? » Et M. Weaver de répondre: « Ce n’est pas faux. »

Donc, le monde entier devrait savoir que la stratégie du gouvernement de la Colombie-Britannique est d’épuiser Kinder Morgan. Or, nous avons aussi entendu le premier ministre, le ministre Carr et d’autres personnes nous assurer sans cesse que l’oléoduc sera construit. C’est dommage, mais l’oléoduc ne sera pas construit, à moins que le gouvernement fédéral ne prenne les mesures nécessaires pour le faire construire. Ce projet de loi devrait précisément lui permettre de le faire.

Ma deuxième raison a trait à une réalité que nous connaissons bien, honorables collègues, soit que la capacité concurrentielle du Canada se détériore. C’est, en grande partie, à cause du sentiment qui s’est installé selon lequel le Canada est le pays où vont les projets pour mourir. Je suis désolé de devoir dire cela, mais, comme l’a signalé récemment le Financial Post, il y a eu 29 projets au cours des dernières années — évalués à environ 129 milliards de dollars — qui ont tout simplement été arrêtés ou qui ont été réalisés ailleurs à cause des consultations exigées par le gouvernement actuel.

Actuellement, le Canada envoie le message qu’il ne veut pas d’investissements, et nous ne pouvons pas permettre une telle chose parce que, sans prospérité, sans les fonds nécessaires, il nous sera impossible de renforcer les secteurs du pays que nous souhaitons renforcer, de tenir les consultations dont on parle, ou de construire les prisons, les écoles et les aéroports dont on a besoin.

On sait aussi que, à l’heure actuelle, le Canada est en train de perdre son avantage concurrentiel par rapport aux États-Unis. Je ne veux pas tirer de conclusions hâtives. Peut-être que nous trouverons un certain équilibre entre les mesures fiscales et les autres enjeux. Peut-être que nous conclurons un accord relativement à l’ALENA. Tâchons quand même de garder espoir, mais le fait est que nous haussons le fardeau fiscal et adoptons des règlements plus stricts au moment même où notre principal client et concurrent fait exactement l’inverse.

Les investissements commerciaux au Canada ont cessé. Les nouveaux investissements commerciaux au Canada ont cessé. En fait, Statistique Canada indique non seulement que les investissements ne cessent de chuter, mais qu’ils chutent tous les ans depuis maintenant quatre ans. C’est loin d’être une situation souhaitable; c’est même une situation intolérable.

Le projet Trans Mountain ne réglera pas à lui seul tous nos problèmes, mais il démontrera au monde entier qu’il est possible de mener à bien un projet au Canada quand on a le pouvoir de le faire.

La Banque Scotia, dans le rapport qu’elle a publié le mois dernier sur son examen de la situation, a déclaré que notre incapacité à mener à bien le projet d’expansion du réseau Trans Mountain était un choix volontaire. Elle estime que, à cause de l’écart de prix — je n’entrerai pas dans les détails, parce que je sais que mes collègues comprennent ce concept —, nous perdons 15 milliards de dollars par année.

Avec cet argent, nous aurions pu construire 15 hôpitaux d’une valeur de 1 milliard de dollars par an, 750 écoles par an ou 30 000 kilomètres de routes par an. À l’exception du Canada, il n’y a aucun pays au monde qui n’appuie pas vigoureusement ses marchés d’exportation, aucun. De plus, personne ne suggère que nous agissions autrement que conformément aux valeurs canadiennes, c’est-à-dire dans le respect des règles, des règlements et du processus consultatif. Tout cela a déjà été fait.

En terminant, je veux citer rapidement un extrait d’un article de Martha Hall Findlay publié le 20 février dans le Globe and Mail. Bon nombre d’entre vous la connaissent peut-être. Elle a été députée à Ottawa pendant un certain temps. À l’heure actuelle, elle s’acquitte avec grande distinction de ses fonctions de présidente-directrice générale de la Canada West Foundation, un grand groupe de réflexion établi à Calgary. Voici ce qu’elle a dit sur la question :

Le Canada dépend des investissements nationaux et étrangers. Nous ne pouvons pas survivre sans investissement. Nous souffrons tous si nous ne réussissons pas à attirer des investissements et que des investisseurs potentiels décident d’investir ailleurs […] Or, les investisseurs ont besoin d’une chose fondamentale: ils doivent avoir l’assurance qu’ils obtiendront un rendement dans un délai raisonnable […] Quant aux choses indépendantes de leur volonté — le milieu politique et l’environnement juridique —, elles doivent être stables […] Les investisseurs ont besoin avant tout de certitude. L’une des principales raisons de la prospérité du Canada vient de ce qu’il est un pays attrayant pour les investisseurs, qu’il est stable et qu’il respecte la primauté du droit.

Malheureusement, le Canada est en train de perdre cette réputation […] Si l’engagement d’un gouvernement au Canada ne vaut plus rien quand un autre lui succède, quel être sain d’esprit investirait des années et des sommes d’argent énormes sans avoir le moindrement la certitude que, du moment qu’il respecte toutes les règles, il sera en mesure de construire ce qu’il souhaite construire?

(1750)

Il s’agit de l’exacte situation dans laquelle Kinder Morgan et Trans Mountain se trouvent aujourd’hui. Les pétrolières ont dépensé des centaines de millions de dollars et ont respecté toutes les règles qui leur ont été présentées. Elles ne se sont jamais plaintes des obstacles qui ont été dressés contre elles. Elles sont maintenant confrontées à la désobéissance civile à l’égard du développement de projets légitimes, et la Ville de Burnaby n’est pas disposée à payer des heures supplémentaires aux policiers. Que devrait penser une entreprise?

Martha Hall Findlay a ajouté ceci :

Cela rend certains militants heureux. Les pétrolières américaines sont certainement très heureuses d’acheter du pétrole canadien à moitié prix puisque nous ne pouvons pas l’acheminer à d’autres marchés. Cependant, la plupart des Canadiens devraient être furieux du fait qu’un petit nombre de personnes compromet une partie si importante de notre prospérité économique — notre intérêt national.

Honorables sénateurs, je vous demande tout simplement d’envisager d’appuyer le projet de loi. Nous devons l’adopter au Sénat aussi rapidement que possible et ensuite l’envoyer à la Chambre. Nous verrons alors si le gouvernement passera de la parole aux actes. Le Canada a besoin du projet. Notre prospérité l’exige et nous ne pouvons pas rester les bras croisés pendant que le principe de la primauté du droit est enfreint. Nous ne pouvons pas et ne devrions pas agir de la sorte. Je demande à tous les sénateurs de se joindre à moi pour essayer de faire adopter le projet de loi et de l’envoyer au bout du couloir.

Merci, honorables sénateurs.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le Sénat

Motion tendant à modifier le Règlement du Sénat afin que les rapports législatifs des comités sénatoriaux respectent une méthodologie transparente, intelligible et non partisane—Motion d’amendement—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Bellemare, appuyée par l’honorable sénateur Harder, C.P.,

Que le Règlement du Sénat soit modifié, afin que les rapports législatifs des comités du Sénat respectent une méthodologie transparente, intelligible et non partisane, par substitution de l’article 12-23(1) par ce qui suit : 

« Obligation de faire rapport d’un projet de loi

12-23. (1) Le comité saisi d’un projet de loi doit en faire rapport au Sénat; ce rapport fait état de tout amendement recommandé par le comité et doit inclure en annexe les observations de celui-ci sur les sujets suivants :

a) la conformité, de manière générale, du projet de loi à la Constitution du Canada, notamment :

(i) la Charte canadienne des droits et libertés;

(ii) le partage des compétences législatives entre le Parlement et les législatures provinciales et territoriales;

b) la conformité du projet de loi aux traités et accords internationaux signés ou ratifiés par le Canada;

c) le fait que le projet de loi porte ou non atteinte indûment aux minorités ou aux groupes défavorisés sur le plan économique;

d) le fait que le projet de loi a des impacts sur des provinces ou territoires;

e) le fait que les consultations appropriées ont été tenues;

f) toutes erreurs manifestes de rédaction;

g) les amendements au projet de loi présentés au comité qui n’ont pas été adoptés par celui-ci, de même que le texte de ces amendements;

h) toute autre question qui, de l’avis du comité, doit être portée à l’attention du Sénat. »

Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénatrice Nancy Ruth, appuyée par l’honorable sénateur Tkachuk,

Que la motion ne soit pas maintenant adoptée, mais qu’elle soit modifiée par :

1.adjonction du nouveau paragraphe suivant après le paragraphe c) proposé :

« d) le fait que le projet de loi a fait l’objet d’une analyse comparative entre les sexes approfondie; »;

2.modification de la désignation des paragraphes d) à h) proposés à e) à i).

L’honorable Anne C. Cools : J’aimerais que l’on reprenne le compte des jours à zéro pour cet article.

Son Honneur le Président : Demandez-vous l’ajournement, sénatrice Cools?

La sénatrice Cools : Oui.

Son Honneur le Président : L’honorable sénatrice Cools, avec l’appui de l’honorable sénateur Day, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(Sur la motion de la sénatrice Cools, le débat est ajourné.)

Sécurité nationale et défense

Motion tendant à autoriser le comité à entendre des témoins au sujet des enjeux découlant de la visite du premier ministre en Inde—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dagenais, appuyée par l’honorable sénateur Oh,

Que, compte tenu des conséquences potentielles graves pour les relations du Canada avec l’Inde et pour la sécurité nationale du Canada résultant de la récente visite du premier ministre dans ce pays, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à :

a)inviter M. Daniel Jean, conseiller du premier ministre à la sécurité nationale, à comparaître devant le comité afin de répondre aux questions concernant les enjeux découlant de la récente visite du premier ministre en Inde;

b)inviter d’autres témoins de la Gendarmerie royale du Canada, du Service canadien du renseignement de sécurité, d’Affaires mondiales Canada et de toute autre organisation pertinente afin d’expliquer comment un individu reconnu coupable de délits criminels graves fut autorisé à assister à des événements officiels où étaient présents le premier ministre, des ministres et des hauts fonctionnaires canadiens;

c)faire des recommandations qu’il estime justifiées à la suite de cet incident;

Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 1er juin 2018 et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, cet article est inscrit à mon nom. Je comprends que mes collègues souhaitent prendre la parole à son sujet et je demande le consentement pour prendre la parole moi aussi.

Son Honneur le Président : Demandez-vous le consentement…

La sénatrice Omidvar : Je demande qu’on ajourne de nouveau le débat à mon nom après l’intervention de mes collègues. Je vous prie de m’excuser.

Son Honneur le Président : Le sénateur Boisvenu souhaite prendre la parole. La sénatrice Omidvar demande que le débat demeure ajourné à son nom après que le sénateur Boisvenu ait parlé, ainsi que tous les sénateurs qui souhaitent intervenir.

Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : J’entends un « non », ce qui signifie que vous devrez intervenir aujourd’hui, sénatrice Omidvar.

La sénatrice Omidvar : Je craignais que cela ne se produise. J’ai donc gribouillé des notes. Je ne suis pas aussi bien préparée que je le voudrais. Je suis tout de même reconnaissante d’avoir l’occasion de prendre part au débat.

Je parle aujourd’hui en tant que Canadienne et membre d’une communauté de 1,4 million d’Indo-Canadiens. J’ai été une citoyenne canadienne naturalisée beaucoup plus longtemps que j’ai été citoyenne indienne. J’espère que vous comprendrez les liens que créent notre lieu de naissance et notre langue maternelle et que vous apprécierez la perspective que j’apporte, laquelle est inspirée par ici et là-bas.

Tout d’abord, je veux remercier le sénateur Dagenais de la motion à l’étude, dont je ne discuterai pas les motifs, car il m’a donné une tribune pour exprimer non seulement mes réserves, mais aussi celles de nombreux Indo-Canadiens qui ont communiqué avec moi par téléphone ou par courriel, ou qui m’ont rendu visite, afin de m’exhorter à agir.

Permettez-moi de réitérer pourquoi l’Inde a beaucoup d’importance pour nous. L’Inde constitue un immense marché que le Canada n’exploite pas encore. Ce pays de 1,3 milliard d’habitants offre un marché de consommation et une classe moyenne en pleine expansion, ainsi qu’un taux de croissance de 7 p. 100. L’incertitude qui entoure l’ALENA montre clairement que le Canada doit se montrer stratégique et développer rapidement de nouveaux marchés.

Alors que notre relation avec l’Inde a d’abord été une relation d’aide, je crois qu’il est temps de la réorienter pour mettre l’accent sur le commerce.

Je tiens aussi à parler des préoccupations des 1,4 million de Canadiens d’origine indienne. On peut probablement dire sans exagérer, chers collègues, que les Canadiens, particulièrement les Indo-Canadiens, espéraient que ce voyage renforcerait les liens commerciaux, culturels, sociaux et interpersonnels entre nos deux pays. Malheureusement, nous avons tous été déçus, pour employer un mot qui peut sembler faible. Je souhaite vous signaler l’incrédulité, la consternation et même la colère de bon nombre de mes amis et concitoyens. Je crois que, au lieu de resserrer nos liens avec l’Inde, nous les avons gravement affaiblis.

Les relations commerciales et bilatérales pourront se rétablir au fil du temps, selon moi, mais ce voyage a eu des conséquences encore plus graves : il a créé un déséquilibre parmi les Indo-Canadiens. Il s’agit d’une communauté très nombreuse. Ses membres, originaires de diverses régions de l’Inde, ont aussi une grande diversité de langues et de religions. Rappelons que l’Inde compte près de 365 langues et de nombreuses religions. En fait, beaucoup d’Indiens viennent s’installer au Canada pour se libérer des identités et des cases dans lesquelles ils étaient enfermés. Comme c’est le cas pour tous les immigrants, ces différences s’atténuent au fil du temps, et nous nous intégrons à la grande mosaïque canadienne.

Ces divisions semblent toutefois avoir été mises à vif. Les Indo-Canadiens se sentent critiqués; ils ont l’impression qu’on les considère tous comme des personnes obsédées par la politique de la diaspora. Je sais que c’est faux, et j’espère que vous le savez aussi. Les sikhs modérés et les Canadiens modérés se sentent particulièrement ciblés, je tiens à le souligner.

Je vais maintenant parler de ce qui a créé une grande angoisse chez moi : les répercussions du voyage. Elles ont causé un nouveau traumatisme chez les victimes de l’attentat terroriste le plus meurtrier ciblant des Canadiens. Le 23 juin 1985, 329 personnes, dont 268 Canadiens, ont été tuées lorsqu’une bombe a fait exploser un avion d’Air India au-dessus de l’océan Atlantique. Nous formions alors une communauté beaucoup plus petite. Il y avait moins de six degrés de séparation entre nous. Je me souviens encore de l’appel que j’ai reçu à 5 heures ce matin-là — et j’étais loin d’être la seule personne dans cette situation. Je ne pouvais pas y croire. J’ai ressenti de l’horreur et de la consternation.

Depuis ce jour, il y a eu une enquête et des excuses par rapport au cafouillage des procédures. Nous avons même obtenu réparation. Toutefois, comme le journaliste de la CBC, Terry Milewski, l’a fait remarquer, justice n’a pas été rendue pour les victimes d’Air India.

Aujourd’hui, 33 ans plus tard, les blessures ont été rouvertes parce nous savons maintenant, comme tout le monde, que nos chefs politiques, nos parlementaires de tous les ordres — et, je vous dirais à tous, de toutes les allégeances politiques…

Son Honneur le Président : Excusez-moi, sénatrice Omidvar. Je suis désolé de vous interrompre, mais, comme il est maintenant 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, nous devons ajourner la séance jusqu’à 20 heures, à moins que nous nous entendions pour ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l’heure?

Des voix : D’accord.

(1800)

La sénatrice Omidvar : Des politiciens et des chefs politiques de toutes les allégeances se retrouvent aux mêmes événements et aux mêmes endroits que deux personnes reconnues coupables d’un acte criminel dont l’image est glorifiée sur des affiches et des photos. Chers collègues, je respecte la liberté d’expression et d’association, mais je sais que nous avons aussi la liberté de choisir de ne pas participer à de tels événements. Si justice n’a pas été rendue aux victimes de la tragédie d’Air India, veillons au moins à ne pas leur manquer de respect.

Que devrions-nous faire? Je vais présenter quelques-unes de mes idées avant de parler de celles du sénateur Dagenais.

Je crois que nous devrions faire tout en notre pouvoir pour améliorer et développer notre relation commerciale avec l’Inde. Pour ce faire, nous devrions miser non pas sur des voyages extravagants, mais sur des efforts constants, disciplinés et progressifs. Je crois que le premier ministre doit comprendre que les Canadiens d’origine indienne ont tous une place importante dans notre pays. J’espère que le premier ministre fera une déclaration le 23 juin prochain, jour où le Canada honore la mémoire des victimes de terrorisme, et qu’il fera un effort particulier pour rendre hommage aux victimes de la tragédie d’Air India, car j’ai peur qu’elles ne tombent dans l’oubli.

J’espère que des députés de tous les partis rendront hommage aux victimes de la tragédie d’Air India et exerceront leur liberté de choisir où ils iront.

Enfin, j’aimerais parler plus précisément de la motion du sénateur Dagenais. Encore une fois, honorables sénateurs, j’aurais aimé avoir plus de temps pour me préparer, mais, quoi qu’il en soit, je ne suis pas sûre qu’une interpellation du Sénat permettra de dévoiler la vérité. Une bonne partie de l’information que le conseiller à la sécurité nationale pourrait révéler est confidentielle, et je crois que la question est trop importante pour qu’on s’en serve à des fins politiques. J’invite les sénateurs à ne pas oublier qu’ils sont à la Chambre de second examen objectif. Nous ne sommes pas à la Chambre des communes; nous n’avons pas à faire comme à l’autre endroit.

Il existe déjà un mécanisme, en passant, et c’est le Comité de la sécurité nationale et de la défense. Trois de nos sénateurs en font partie. Il est appuyé par les organismes de sécurité nationale. Ce sont là les lieux où il est approprié de poser votre question et y répondre.

Je crois, sénateur Dagenais, qu’il convient de tenter d’obtenir la vérité, mais que l’obtenir de la façon qui convient est peut-être tout aussi important.

L’honorable Carolyn Stewart Olsen : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar : Bien sûr.

La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends ce que vous dites et je partage votre point de vue concernant les victimes de l’écrasement d’avion d’Air India. Pour moi, le nœud de l’affaire, d’après les nouvelles, semble être que le conseiller à la sécurité nationale a accepté de parler aux médias, mais a refusé d’offrir la même séance d’information aux parlementaires.

C’est le problème que j’ai. Si les choses s’étaient passées autrement, tout aurait été correct. Je comprends le fait qu’il s’agit d’une question de sécurité nationale. Toutefois, on ne peut jouer sur deux tableaux. On ne peut pas parler aux médias et refuser de parler aux parlementaires qui demandent de savoir ce qui s’est passé.

Saisissez-vous la différence dans ce qui se dit?

La sénatrice Omidvar : Je comprends le point que vous faites valoir, honorable sénatrice, et je vous remercie beaucoup. Si j’avais eu du temps, je me serais préparée et j’aurais fait mes recherches. Malheureusement, je n’en ai pas eu.

Je maintiens mes conclusions, soit que nous avons une institution et un comité parfaitement valides. Trois sénateurs font partie du comité. Ils sont tenus à la confidentialité, mais ils en sont membres. Je suis d’avis qu’il s’agit du lieu approprié où poser ces questions et y répondre.

L’honorable Leo Housakos : La sénatrice Omidvar accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar : Bien sûr.

Le sénateur Housakos : Ma question fait suite à celle de la sénatrice Stewart Olsen. Cela ne met pas en cause votre état de préparation. Vous avez dit dans votre discours que la responsabilité ne revient pas au Sénat. Ce n’est pas le rôle du Sénat d’exiger du gouvernement du Canada qu’il rende des comptes et de le rappeler à l’ordre. Cette responsabilité revient à l’autre endroit.

C’est faux. Cette Chambre a les mêmes droits, privilèges et pouvoirs que l’autre endroit. Comme le montre la jurisprudence, le Sénat est un lieu de reddition de comptes où nous exigeons des comptes des gens et les soumettons à un examen rigoureux. Malheureusement, l’autre endroit néglige parfois ses responsabilités publiques. Voilà pourquoi nous avons un lieu de second examen objectif, pour que nous puissions remédier aux éventuelles lacunes de l’autre endroit.

Une grave atteinte a été portée à notre droit qui n’a rien à voir avec les aspects dont vous avez parlé dans votre discours. Nous reconnaissons tous la nature délicate de la question. Qu’importe s’il est question de l’Inde, des États-Unis ou d’un autre pays. Ne croyez-vous pas que, lorsque le conseiller à la sécurité nationale, un haut fonctionnaire, est dépêché pour parler aux médias et décrire une position afin de justifier un fiasco du gouvernement, le Parlement a le droit de convoquer ce haut fonctionnaire devant un comité dans une séance à huis clos ou publique pour comprendre pourquoi le cabinet du premier ministre a pris cette mesure sans précédent?

La sénatrice Omidvar : Merci, sénateur Housakos, de votre question. Encore une fois, si j’avais eu le temps, j’aurais demandé à mon bureau de faire des recherches pour déterminer s’il existe un précédent, si, dans d’autres cas, nous avons lancé une enquête. Je n’ai pas eu le temps. Je maintiens ma réponse. Je crois que la question est importante. Je crois que le Comité de la sécurité nationale et de la défense est l’endroit désigné pour poser cette question et y répondre. Merci.

[Français]

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, à mon avis, la présente motion est de la plus grande importance, compte tenu du fait que la crédibilité du Canada et de son gouvernement est ici en jeu.

Depuis quelques semaines, nous sommes devant une situation internationale qui mérite la plus grande attention de la part de tous les parlementaires canadiens. Selon les prétentions du gouvernement canadien, le gouvernement indien aurait piégé notre premier ministre lors de sa visite particulièrement ratée en Inde. Sommes-nous devant une fausse vérité, inacceptable et condamnable, de la part de l’un des plus grands responsables de la sécurité nationale de notre pays, M. Daniel Jean?

Si un tel incident s’était produit aux États-Unis, nous serions tous rivés à la chaîne CNN afin de chercher la vérité. Au Canada, cette situation très préoccupante ne semble inquiéter personne. Nous sommes au Canada. Nous avons un gouvernement qui prône la nécessité d’être transparent. Cependant, ce même gouvernement est loin de prêcher par l’exemple dans ce dossier, comme dans bien d’autres, d’ailleurs.

Depuis plus de deux semaines, il est impossible de connaître la vérité sur l’invitation de M. Jaspal Atwal, l’ami du premier ministre, au gala officiel qui s’est tenu en Inde. Faut-il vous rappeler, honorables sénateurs, que cet invité a été reconnu coupable de tentative de meurtre sur la personne d’un ministre indien? Un invité plutôt embarrassant, n’est-ce pas?

La seule chose dont nous sommes sûrs, c’est qu’il y a quelqu’un qui ment ou qui cache volontairement la vérité. Chaque fois que le premier ministre Trudeau a été interpellé sur le sujet, il a esquivé les questions par des réponses indignes d’une personne qui comprend la question. Jamais ses réponses ne nous ont permis de voir clair dans la participation de ce gouvernement à ce qui a l’apparence d’un « Indiagate ». Qui est responsable de la présence d’un ancien sympathisant de groupes terroristes dans l’entourage du premier ministre Trudeau en Inde? Là est la question.

On peut bien oublier, pour le moment, la garde-robe loufoque qu’ont exhibée le premier ministre et sa famille durant ce voyage afin d’épater les photographes, mais on ne peut balayer sous le tapis une gaffe aussi importante.

Cette Chambre a la capacité de chercher la vérité, malgré des prétentions contraires, et c’est ce que cette motion devrait nous permettre de faire. Fermer les yeux, c’est cautionner le mensonge, peu importe son auteur. À moins d’être complètement désintéressé de la politique, chacun d’entre nous devrait vouloir connaître la vérité et faire en sorte que les Canadiens et les Canadiennes la connaissent aussi.

Pourquoi Daniel Jean, celui que le premier ministre a choisi comme conseiller en matière de sécurité nationale, est-il soudainement apparu dans le décor à la suite de la diffusion d’informations sur la présence de M. Atwal en Inde? Sur quoi a-t-il basé son affirmation pour dire que le gouvernement indien était derrière cette affaire? Qu’a-t-il à dire sur la réponse du gouvernement indien à ces allégations qui ont été qualifiées comme étant « sans fondement » et « inacceptables » de la part du gouvernement indien? A-t-on demandé à Daniel Jean de mentir pour dissimuler une bourde de nos services de sécurité ou une amitié douteuse du premier ministre?

(1810)

Je pourrais poser des questions encore longtemps, mais, comme le premier ministre n’est pas ici pour y répondre, ce serait complètement inutile et une perte de temps. Cependant, il existe au Sénat un Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense qui devrait recevoir l’approbation de tout un chacun ici présent pour chercher la vérité et faire le travail dont on lui a confié le mandat.

Le Canada ne peut pas se permettre d’être en brouille avec l’Inde, un pays dont l’économie est en émergence et avec lequel nous devons avoir d’excellents rapports. Loin de les solidifier, le premier ministre les a ébranlés sérieusement. L’Inde n’a pas hésité à exercer des représailles qui toucheront bon nombre de travailleurs canadiens. Il faut donc rapidement mettre un terme aux doutes et convoquer Daniel Jean à notre comité afin de chercher à établir les faits. Quand quelqu’un se cache, c’est qu’il est incapable de soutenir ce qu’il a avancé, ou, pire, on lui a dit de garder cela secret en souhaitant que la poussière retombe sur cette histoire sans qu’il y ait de dégât politique pour son véritable auteur. Puisqu'il sait que nous voulons l’interroger, il devrait lui-même venir s’expliquer s’il est à la hauteur du poste important que le premier ministre lui a confié. C’est une question d’honneur, de crédibilité et de respect à l’égard des parlementaires que nous sommes et de nos fonctions.

Ne pas voter en faveur de cette motion, c’est tout simplement participer à un camouflage qui n’est pas digne des fonctions que nous occupons en cette Chambre. Honorables sénateurs, la crédibilité de ce gouvernement a été fortement ébranlée au cours des dernières semaines, et les Canadiens méritent mieux que le silence. Ils espèrent la vérité. À vous d’en être maintenant les juges. Le Sénat a toutes les capacités et l’autonomie voulues pour découvrir la vérité. Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Je propose l’ajournement du débat.

Son Honneur le Président : Avant d’ajourner le débat, sénateur Dagenais, avez-vous une question?

[Français]

L’honorable Jean-Guy Dagenais : J’aimerais poser une question au sénateur Boisvenu.

Le sénateur Boisvenu : D’accord.

Le sénateur Dagenais : Je voudrais simplement clarifier votre discours, sénateur Boisvenu. Si j’ai bien compris, sans vouloir manquer de respect aux honorables sénateurs de cette Chambre, il va sans dire que le fait de voter contre cette motion signifierait que l'on participe à une opération de camouflage, qui met en cause un extrémiste qui a sciemment participé à une tentative d’assassinat sur un ministre indien. C’est ce que j’ai compris de votre discours.

Le sénateur Boisvenu : L’image qui illustrerait le mieux la situation, c’est l’exemple d’une personne dans cette Chambre qui serait témoin d’un crime. Si ce qui s’est passé dans ce dossier est un mensonge, il s’apparente à un crime. Si on ferme les yeux sur ce crime, on devient complice. Il y a des versions contradictoires qui méritent que l’on établisse la vérité. À l’heure actuelle, le Canada est presque accusé par l’Inde d’avoir fait un montage. Je pense que nous devons au moins être honnêtes dans nos rapports avec l’Inde pour savoir ce qui s’est passé dans nos structures politiques pour en arriver à cette situation.

L’honorable André Pratte : J’aimerais poser une question.

Le sénateur Boisvenu : Oui.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Sénateur Harder, le sénateur Tkachuk souhaite participer au débat avant l’adoption de la motion d’ajournement.

Vous avez une question, sénateur Pratte?

[Français]

Le sénateur Pratte : Sénateur Boisvenu, pourquoi, dans votre motion ou celle du sénateur Dagenais, que vous semblez très bien connaître, propose-t-on d’inviter toutes sortes de personnes? Je vous aurais suivi si vous aviez invité M. Jean. C’est logique. C’est lui qui a été cité dans les médias. Pourquoi, ensuite, proposer d’inviter la Gendarmerie royale du Canada, le Service canadien du renseignement de sécurité et Affaires mondiales Canada? Vous proposez une commission royale d’enquête sur cet incident. Je ne vous suis pas. On dirait un jeu politique pour étirer la sauce. Si vous aviez invité M. Jean, je vous aurais suivi, mais, pour tout le reste, je trouve que c’est exagéré.

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pratte, depuis votre arrivée au Sénat, vous avez l’expérience des comités. Lorsqu’on amorce une étude dans le cadre d’un comité, on établit une liste de témoins, et cette liste peut toujours faire l’objet de discussions.

La personne au cœur de ce débat est M. Jean. Quant aux invités qui pourraient suivre, il s’agirait des gens qui seraient directement impliqués dans la sécurité publique. À ce moment-là, c’est une question de discussions avec les divers partis pour déterminer qui est au cœur de ce débat et qui sera invité. M. Jean doit être présent à ce débat.

[Traduction]

L’honorable David Tkachuk : Je souhaite parler de la motion no 309, déposée par notre collègue, le sénateur Dagenais.

La motion porte sur une question très importante liée à la politique étrangère du Canada, à ses relations avec l’Inde et à la sécurité nationale.

Tous les efforts pour tenter d’obtenir la vérité sur ce qui s’est réellement passé lors de ce voyage ont été contrés à la Chambre, alors il s’agit d’une occasion importante pour le Sénat.

Je sais que certains considèrent que les tentatives de l’opposition officielle à l’autre endroit pour obtenir le fin mot de l’histoire — notamment sa manœuvre dilatoire la semaine dernière et la place qu’elle accorde à cette affaire pendant la période des questions — ne sont que de la politicaillerie, mais tout le monde ici devrait s’inquiéter de ce qui s’est passé en Inde, peu importe les allégeances, ou l’absence d’allégeance, de chacun.

Voyons les faits. La source du problème est l’invitation faite à un certain Jaspal Atwal, reconnu coupable de terrorisme, pour participer à un souper officiel auquel le premier ministre Trudeau assistait lors de son récent voyage en Inde. L’homme en question avait déjà participé à un événement semblable plus tôt au cours de la semaine et s’était fait prendre en photo avec l’épouse du premier ministre.

Comment un homme reconnu coupable de terrorisme et de tentative de meurtre a-t-il pu se retrouver sur la liste des invitations? La voilà, la question.

Jaspal Atwal était membre d’un groupe extrémiste, la Fondation internationale des jeunesses sikhes, que le Canada a inscrit sur la liste des entités terroristes connues en 2003.

Ses antécédents sont assez impressionnants.

En 1985, il a été accusé d’avoir agressé l’ex-premier ministre de la Colombie-Britannique et ex-député libéral Ujjal Dosanjh.

En 1986, sur l’île de Vancouver, il a pris part à une fusillade dans le cadre de laquelle il a blessé un ministre indien, Malkiat Singh Sidhu.

Même s’il a été acquitté des chefs d’accusation dans l’attaque contre M. Dosanjh — qui maintient encore aujourd’hui que son agresseur était M. Atwal —, il a, par la suite, été reconnu coupable de tentative de meurtre sur la personne du ministre indien et il a été condamné à 20 ans de prison. On dirait bien qu’il a purgé seulement une partie de sa peine.

Bref, on voit tout de suite que Jaspal Atwal a trempé dans toutes sortes d’activités extrémistes et terroristes. Or, sa carrière criminelle ne s’arrête pas là.

En 2010, il a été reconnu coupable d’avoir fait partie d’un réseau de fraudeurs de l’assurance qui déclaraient que des véhicules avaient été volés, mais qui en modifiaient les numéros d’identification avant de les revendre.

À la même époque, M. Atwal a été associé pendant un temps au Parti libéral. Rien ne sert de le nier, c’est un fait.

En 2012, il aurait, en effet, fait partie du bureau de direction de l’association de circonscription libérale de Fleetwood—Port Kells. Sur différentes photos qui circulent sur les médias sociaux, on peut le voir aux côtés du premier ministre Trudeau, de Michael Ignatieff et de Bob Rae.

Ce qui est alarmant dans tout cela, c’est la facilité apparente avec laquelle M. Atwal s’est greffé à l’itinéraire du premier ministre en Inde. Les échanges entre des gros bonnets du Parti libéral du Canada et lui n’ont pas seulement porté sur la visite du premier ministre en Inde, mais sur le pays même visé par le passé criminel de M. Atwal.

Andrew Coyne résume très bien le caractère choquant de cette affaire dans l’un de ses derniers articles :

Supposons que le président de la France vienne au Canada et que, parmi les membres de son parti, il y ait des gens favorables à la sécession du Québec. Supposons maintenant que la visite du président ait entre autres pour but de rassurer les Canadiens qui croient que le gouvernement de la France ne se montre pas assez favorable à l’unité et à l’intégrité du Canada.

(1820)

Supposons maintenant que l’ambassade de France ait organisé un banquet officiel pour le président et que Paul Rose (s’il était encore vivant), le terroriste du FLQ déclaré coupable du meurtre de Pierre Laporte, ait été parmi les invités. Supposons qu’il ait également été présent à un événement officiel précédent, au cours du voyage, où il aurait posé pour les photographes en compagnie de ministres français tout sourire.

Je crois que la comparaison employée par M. Coyne est très utile pour bien saisir la gravité de ce qui s’est produit en Inde. Je ne pense pas qu’il soit difficile pour le moindre sénateur d’imaginer ce qu’aurait été la réaction des autorités canadiennes si un chef d’État étranger en visite au Canada se commettait avec d’anciens membres du FLQ. C’est un euphémisme de dire que ce n’est pas ainsi que le Canada devrait gérer sa politique étrangère. Ce n’est pas non plus ainsi que le Canada devrait soigner ses relations avec l’Inde.

Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les explications contradictoires qui ont été fournies au sujet de ce qui s’est passé. On a commencé par dire que c’était la faute du Haut-commissariat du Canada en Inde et que, dès que le cabinet du premier ministre s’était aperçu que l’homme avait été invité par le haut-commissariat, l’invitation avait été immédiatement annulée.

La deuxième explication, qui nous a été fournie par le premier ministre, a consisté à dire que le député libéral Randeep Sarai était celui qui avait invité M. Atwal. Le premier ministre le tenait entièrement responsable et il avait l’intention de s’occuper de son cas une fois de retour au pays. M. Sarai a été subséquemment démis de ses fonctions de président du caucus libéral de la Colombie-Britannique. Il s’est sagement plié à la décision en acceptant la pleine responsabilité de ce qui s’était passé.

Cependant, l’affaire n’était pas terminée. Sous le couvert de l’anonymat, un haut responsable a tenu une séance d’information à l’intention des médias, qui s’étaient engagés par serment à garder son identité secrète, et il a mis la faute sur des éléments perturbateurs du gouvernement ou des forces de sécurité de l’Inde, qui auraient fait en sorte que M. Atwal soit invité pour embarrasser le gouvernement Trudeau. Il s’agit d’une affirmation incroyable, et elle est sans précédent parce que son auteur n’était pas un simple fonctionnaire. C’était le conseiller à la sécurité nationale du premier ministre lui-même, ce que nous avons découvert plus tard grâce à l’initiative d’un journaliste canadien, Brian Lilley, qui n’était ni présent lorsque le conseiller s’est adressé aux médias ni tenu au secret. Soit dit en passant, les journalistes qui étaient présents ont trouvé que le conseiller à la sécurité nationale avait fait une affirmation ridicule, et cette affirmation a causé un tort immense aux relations bilatérales du Canada avec l’Inde. Nous devons comprendre pourquoi elle a été faite.

Le ministre indien des Affaires étrangères n’a pas tardé à réagir en apprenant que l’histoire du fonctionnaire canadien était appuyée par le premier ministre. Il a publié un communiqué dans lequel il qualifie de manière non équivoque ces affirmations d’injustifiées et d’inacceptables. Récemment, la ministre Freeland semble avoir rapporté à son homologue indien que l’invitation était une erreur involontaire.

Il s’agit là d’un incident diplomatique grave qui doit être élucidé. Le Sénat doit faire ce que la Chambre n’est pas capable de faire. C’est pour cette raison que nous sommes ici. Nous devons démêler ces histoires, dont l’une pourrait facilement nous conduire, si nous n’avons pas l’information nécessaire pour la réfuter, à la conclusion que le député libéral Randeep Sarai est, consciemment ou non, un agent d’éléments perturbateurs au sein du gouvernement indien.

L’affaire est grave et la partisanerie devrait être laissée de côté. Pour ces raisons, j’estime nécessaire d’en saisir le Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense. La motion formule clairement le point central nécessitant une enquête plus poussée.

Je tiens à assurer mes collègues que cette enquête ne vise pas à lancer une attaque partisane contre le gouvernement. D’éminents libéraux ont d’ailleurs laissé entendre que l’affaire doit être examinée de plus près.

L’ancien premier ministre provincial et ancien député libéral Ujjal Dosanjh pense que trois questions restent en suspens concernant le rôle joué par les institutions canadiennes. La première porte sur ce que la GRC savait ou ignorait et sur les avis qu’elle a fournis au gouvernement concernant la participation de Jasper Atwal au déjeuner du premier ministre. La seconde porte sur les raisons qui ont poussé le cabinet du premier ministre à prendre la décision qu’il a prise. La troisième porte sur le rôle joué par le Haut-commissariat du Canada en Inde dans cette affaire. Une quatrième question pourrait se poser : qu’est-ce qui a poussé le conseiller à la sécurité nationale à organiser une séance d’information à l’intention des journalistes, et qu’y a-t-il de vrai dans son affirmation selon laquelle des éléments perturbateurs du gouvernement indien sont mêlés à l’affaire?

Voilà des questions que, il me semble, le comité du Sénat serait justifié d’approfondir. Voilà des questions qui, en fait, doivent être examinées. Il est essentiel que le comité entende le conseiller à la sécurité nationale du premier ministre. C’est essentiel parce que nous sommes en présence de versions des faits contradictoires. Ces versions sont aussi bizarres que contradictoires, et il est important de connaître les faits exacts. Il est important de comprendre ce qui s’est passé en Inde en raison des répercussions que cette visite a eues non seulement sur les relations bilatérales entre le Canada et l’Inde, mais aussi sur la réputation du Canada dans le monde.

L’ancien premier ministre de la Colombie-Britannique, Ujjal Dosanjh, a déclaré que les relations entre le Canada et l’Inde étaient tombées au plus bas. David Mulroney, un ancien haut fonctionnaire très respecté du ministère des Affaires étrangères, a dit que la politique étrangère du Canada était sur la mauvaise voie. Honorables sénateurs, ce n’est pas moi qui le dis; ce sont les paroles d’un ancien premier ministre provincial et ancien député libéral, et d’un spécialiste impartial de la politique étrangère.

Je crois que l’examen de cette question par le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense ne peut qu’aider à faire en sorte que les prochaines visites à l’étranger soient organisées soigneusement et qu’elles visent totalement à défendre les intérêts nationaux du Canada dans le pays visé. Le comité pourra formuler des recommandations pour éviter que les erreurs qui ont été faites au cours du voyage en question ne se reproduisent.

Sénateurs, je crois que nous avons un rôle important à jouer en aidant le Canada à rétablir la crédibilité de sa politique étrangère. J’exhorte tous les sénateurs à appuyer cette motion, afin que les problèmes à l’origine de ce fiasco puissent être réglés et qu’ils ne se répètent jamais. Montrez aux Canadiens que vous êtes vraiment ce que vous prétendez être.

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je propose que le débat soit ajourné à mon nom.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Sommes-nous d’accord pour que la sonnerie retentisse pendant 30 minutes? Le vote aura lieu à 18 h 57.

Convoquez les sénateurs.

(1900)

La motion, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Bellemare Harder
Black (Alberta) Jaffer
Black (Centre Wellington) Marwah
Boniface McPhedran
Bovey Mégie
Boyer Mitchell
Cormier Moncion
Coyle Munson
Day Omidvar
Dean Petitclerc
Dupuis Pratte
Eggleton Saint-Germain
Gagné Wetston
Gold Woo—28

CONTRE
Les honorables sénateurs

Andreychuk McIntyre
Batters Mockler
Beyak Ngo
Boisvenu Oh
Carignan Patterson
Dagenais Plett
Doyle Poirier
Eaton Raine
Greene Seidman
Griffin Smith
Housakos Stewart Olsen
MacDonald Tannas
Maltais Tkachuk
Manning Unger
Marshall Verner
Martin Wells—33
McInnis

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Downe Lankin—2

Son Honneur le Président : Nous reprenons le débat avec le sénateur Harder.

Le sénateur Harder : Chers collègues, avec le consentement du Sénat, je demande à prendre la parole.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Harder : Chers collègues, je vous remercie. Je prends la parole pour consigner au compte rendu quelques observations au sujet de la motion no 309, que je ne vais pas appuyer.

Premièrement, j’aimerais souligner que cette motion nous a été présentée sans préavis et que nous avons été pris de court. Les sénateurs n’ont donc pas eu l’occasion d’examiner comme il se doit la proposition. Nous n’avons été informés que cet après-midi par le sénateur Boisvenu du raisonnement qui sous-tend cette motion. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé l’ajournement, parce que je voulais tenir compte dans mon allocution de la justification présentée.

Deuxièmement, la direction n’a pas été consultée. Troisièmement, la présidente du comité visé n’a pas été consultée ou même avisée avant la présentation de la motion. Enfin, compte tenu du contexte dans lequel la motion a été présentée, je crains que cette motion ne soit motivée non pas par le mandat de notre institution, mais plutôt par des raisons purement partisanes. Une telle approche n’est pas conforme à l’esprit de second examen objectif, tout particulièrement en ce qui concerne des questions aussi délicates que le renseignement et la sécurité nationale. Il suffit de traverser le couloir pour constater l’esprit de partisanerie qui règne de l’autre côté.

Il importe également de tenir compte du fait que le Sénat a adopté récemment le projet de loi C-22, qui a constitué le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Le Parlement a créé ce comité pour diverses raisons. Oui, le Canada devait se mettre au diapason de ses alliés et de ses partenaires, qui avaient tous déjà prévu une surveillance parlementaire pour leurs activités liées à la sécurité et au renseignement. Ce comité de parlementaires a aussi été créé parce qu’il est nécessaire d’offrir aux fonctionnaires du secteur du renseignement et de la sécurité un forum dans le cadre duquel ils peuvent fournir ouvertement des renseignements, de sorte que les parlementaires puissent être au courant des besoins opérationnels et, surtout, qu’ils puissent répondre aux questions auxquelles ils ne peuvent pas habituellement répondre en public ou qu’ils puissent parler de ces questions avec des personnes avec lesquelles ils ne pourraient pas habituellement en parler parce qu’elles ne disposent pas de l’autorisation de sécurité voulue.

Si cette motion est adoptée, les sénateurs doivent bien comprendre qu’un grand nombre, et peut-être même la majorité, de leurs questions resteront sans réponse, parce que l’information dont il s’agit est presque certainement classifiée et exige une autorisation de sécurité — pour de bonnes raisons — afin de protéger les intérêts primordiaux du Canada et de ses alliés en matière de sécurité et de renseignement.

Comme le Comité de la sécurité nationale et de la défense n’a ni protocole ni autorisation de sécurité, aucun des témoins proposés dans cette motion n’aurait la liberté de divulguer de l’information de nature classifiée au sujet ou provenant d’un gouvernement étranger, de ses opérations frontalières, de son administration aéroportuaire ou de son service de contrôle des passeports. Essentiellement, c’est exactement ce qu’on demande dans cette motion.

À bien des égards, on pourrait dire que c’est là précisément pour ce genre de raison que le comité des parlementaires a été mis sur pied et dispose de l’autorisation de sécurité requise pour poser toutes les questions qu’il souhaite aux représentants de notre appareil de sécurité nationale et de renseignement. Trois de nos collègues sont membres de ce comité. Je pense qu’il convient de souligner qu’ils se sont tous abstenus lorsqu’est venu le moment du vote sur l’ajournement de la motion no 309 la semaine dernière, et que ceux qui sont présents se sont abstenus aujourd’hui.

La mise sur pied du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement a été recommandée dans plusieurs rapports de comités du Sénat au cours des dernières années. La création d’un tel organe de surveillance a été recommandée à deux reprises par le Comité sénatorial spécial sur l’antiterrorisme et le texte du projet de loi C-22 comme tel se rapproche beaucoup du projet de loi d’intérêt privé présenté par les anciens sénateurs Dallaire et Segal en 2014.

Je n’étais pas au Sénat à l’époque, mais nos collègues qui proposent cette motion l’étaient et savent pourquoi on recommandait la mise sur pied d’un organe de surveillance ayant accès aux renseignements classifiés et à des personnes qui travaillent avec de tels renseignements.

En interrogeant le conseiller à la sécurité nationale et les dirigeants des services de renseignement et des corps policiers relativement à cette affaire, comme nous savons qu’ils ne peuvent donner des réponses exhaustives ou détaillées — ou peut-être même donner une réponse tout court —, on risque de mettre ces témoins dans une situation difficile. Si un comité du Sénat était autorisé, par le biais de cette motion, à effectuer une étude, celle-ci aboutirait probablement à un rapport étrange et incomplet, renfermant plus de questions que de réponses. On risquerait, en outre, de mettre des membres de la fonction publique du Canada dans une situation difficile.

(1910)

De plus, la motivation derrière une telle audience, qui risquerait de se transformer en véritable spectacle, mènerait à se servir, en toute franchise, du Sénat comme d’une plateforme pour exprimer une partisanerie effrénée. Le tout se déroulerait dans le contexte de questions cruciales en matière de sécurité nationale et de renseignement pour le Canada.

Selon moi — et je suis certain que beaucoup partagent mon opinion ici —, cette motion ne reflète donc pas le rôle du Sénat.

La Cour suprême l’a indiqué très clairement dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat en 2014, lorsqu’elle a précisé ce qui suit, et je cite:

Les rédacteurs [de la Confédération] ont cherché à soustraire le Sénat au processus électoral auquel participaient les députés de la Chambre des communes, afin d’écarter les sénateurs d’une arène politique partisane toujours soumise aux impératifs des objectifs politiques à court terme.

Honorables sénateurs, y a-t-il meilleur exemple d’objectif partisan à court terme que le fait d’utiliser la sécurité nationale du Canada comme un ballon politique? Je m’opposerai à cette motion, et j’espère que la majorité des sénateurs feront de même. Compte tenu des raisons que j’ai expliquées, il y a très peu à gagner en autorisant une étude aussi irresponsable par un comité sénatorial. Il existe un forum où les questions de ce type peuvent et doivent être posées, et où il est possible d’obtenir des réponses. Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense n’est pas cette plateforme.

Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, s’il décidait de se pencher sur la question — et le Sénat ne peut pas lui dicter les sujets à étudier —, est bien mieux outillé pour s’y attaquer. Je suis convaincu qu’il traiterait le dossier avec le sérieux et la retenue qu’il exige.

Motion d’amendement

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que la motion ne soit pas maintenant adoptée, mais qu’elle soit modifiée par substitution de tous les mots suivant le mot « pays, » par ce qui suit :

« le Sénat prenne note que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement peut être un forum approprié pour examiner les procédures opérationnelles de sécurité et de renseignement relatives aux visites diplomatiques et à l’étranger auxquelles participe le gouvernement du Canada, y compris pour l’examen des témoins pertinents qui fourniraient des renseignements classifiés, et qu’il prenne aussi note que ledit Comité peut présenter ses conclusions et recommandations résultant d’un tel examen, le cas échéant, dans son rapport annuel ou dans un rapport spécial qui serait déposé au Parlement et renvoyé d’office au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, conformément aux paragraphes 21(6) et (7) de la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. ».

L’honorable Carolyn Stewart Olsen : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Harder?

Le sénateur Harder : Oui.

La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends ce que vous dites et, bien franchement, j’ai des réserves à l’égard de certaines parties de la motion. Par contre, je n’arrive pas à comprendre comment vous pouvez prétendre que les renseignements transmis par le conseiller à la sécurité nationale, qui parle avec le premier ministre, qui a tenu une rencontre à huis clos avec les médias et qui leur a communiqué des renseignements, ne peuvent pas être transmis aux parlementaires.

Selon moi, le Sénat est l’endroit pour transmettre ce genre de renseignements. Je peux comprendre. Il ne s’agit pas d’une question partisane. Il s’agit d’un très grave problème. Il compromet notre bureaucratie. C’est une compromission de nos valeurs, et cela semble tout simplement louche.

Je suis d’accord avec vous au sujet du Comité de la sécurité. Cependant, je n’ai jamais soutenu ce comité parce qu’il s’agit d’un lieu de secrets, et non d’un endroit d’ouverture. Par contre, dans le cas présent, un haut fonctionnaire s’est présenté devant les médias et a transmis des renseignements confidentiels, mais vous affirmez maintenant que les parlementaires ne peuvent pas poser les mêmes questions. Le gouvernement abdique vraiment toute responsabilité dans ce dossier, et nous devons faire la lumière sur cette question parce qu’une telle chose ne peut pas se produire. Je crois que le Sénat est l’endroit où nous devrions débattre de cette question.

Des voix : Absolument.

Le sénateur Harder : Je n’ai pas réussi à distinguer la question du reste de la déclaration. Je me contenterai de dire que ma motion parle d’elle-même.

L’honorable Leo Housakos : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Dans votre motion, vous indiquez que, à la Chambre haute, l’opposition se montre quelque peu partisane. À mon avis, les seuls comportements partisans des derniers jours ont eu lieu à l’autre endroit. Un groupe de députés libéraux empêchent la Chambre de prendre une décision unanime qui renverrait ce dossier à leur comité, où il pourrait faire l’objet de l’examen attentif que nécessite le grave problème qui s’est produit.

Par ailleurs, il est décevant d’entendre un membre du Conseil privé, un leader du gouvernement, déclarer à la Chambre haute, au Sénat du Canada, que nous n’avons pas pour tâche de demander des comptes au gouvernement. C’est très grave.

Voici plus précisément ma question, monsieur le leader. Croyez-vous qu’il est normal qu’un conseiller à la sécurité nationale présente aux médias une séance d’information sur des enjeux de sécurité nationale, et qu’il refuse de comparaître devant une institution parlementaire telle que le Sénat pour défendre la supposition absurde selon laquelle le gouvernement indien aurait comploté dans le but de mettre dans l’embarras une délégation dirigée par le premier ministre du Canada?

Les médias et la population trouvent tout à fait ridicule cette affirmation du conseiller à la sécurité nationale du premier ministre. Nous souhaitons simplement en connaître l’origine. Est-elle guidée par des motivations politiques? Si oui, le public a le droit de le savoir. Si le conseiller à la sécurité nationale a simplement fait preuve d’incompétence, il est encore plus important que les parlementaires fassent la lumière sur la question. N’êtes-vous pas d’accord, vous qui êtes une personne renommée et un ancien membre très éminent du Service extérieur du Canada?

Le sénateur Harder : Je vous remercie encore une fois de votre question, sénateur. Je soutiens que ma motion n’a rien de partisan. J’ai soulevé certains points durant mon intervention. Selon moi, il serait très inhabituel que le Sénat du Canada tolère qu’un comité tienne une séance dans un contexte où on ne permettrait pas à un témoin membre du personnel chargé de la sécurité nationale, par exemple, de parler de manière franche ou appropriée. Par conséquent, ce serait trahir la raison d’être du comité de parlementaires que nous avons établi récemment par un vote.

L’honorable Marc Gold : Votre Honneur, je propose l’ajournement du débat à mon nom.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Le sénateur Mitchell : Trente minutes.

Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 19 h 48. Convoquez les sénateurs.

(1950)

La motion, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Bellemare Harder
Black (Centre Wellington) Jaffer
Boniface Marwah
Bovey McPhedran
Boyer Mégie
Cormier Mitchell
Coyle Moncion
Day Omidvar
Dean Petitclerc
Dupuis Pratte
Eggleton Saint-Germain
Gagné Wetston
Gold Woo—26

CONTRE
Les honorables sénateurs

Andreychuk McInnis
Batters McIntyre
Beyak Mockler
Boisvenu Ngo
Carignan Oh
Dagenais Patterson
Doyle Plett
Eaton Poirier
Frum Raine
Griffin Seidman
Housakos Smith
MacDonald Stewart Olsen
Maltais Tannas
Manning Tkachuk
Marshall Unger
Martin Wells—32

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Downe White—3
Lankin

Son Honneur le Président : Nous poursuivons le débat sur la motion d’amendement.

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : En amendement, l’honorable sénateur Harder propose, avec l'appui de l’honorable sénateur Mitchell, que la motion ne soit pas maintenant adoptée, mais qu’elle soit modifiée par substitution de tous les mots… Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Suffit!

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Des voix : Maintenant.

Des voix : Oh, oh!

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme il en a le droit, le sénateur Mitchell reporte le vote à demain, à 17 h 30.

Honorables sénateurs, conformément à l’article 9-10 du Règlement, le vote est reporté à la prochaine séance, à 17 h 30, et la sonnerie retentira à compter de 17 h 15 pour convoquer les sénateurs.

[Français]

La pertinence de l’objectif du plein-emploi

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Bellemare, attirant l’attention du Sénat sur la pertinence du plein-emploi au XXIe siècle dans une économie globalisée.

L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénateurs et sénatrices, je tiens à prendre la parole en cette fin de journée.

[Traduction]

Je prends la parole aujourd’hui dans le cadre du débat sur le plein-emploi que la sénatrice Bellemare a lancé en octobre 2016. Lorsqu’il est question de la réalité professionnelle des Canadiens handicapés, il faut avouer qu’il s’agit d’un potentiel encore sous-exploité.

Contrairement à ce que le terme laisse entendre, « plein-emploi » ne signifie pas une absence de chômage. Dans une situation de plein-emploi, la demande d’emploi équivaut presque aux emplois offerts. Presque tout le monde trouve un emploi, de sorte que le taux de chômage ne renvoie qu’aux travailleurs qui changent de poste ou qui entrent sur le marché du travail.

Selon certains économistes, le plein-emploi, c’est lorsque le taux de chômage est inférieur à 5 p. 100 ou à 6 p. 100. Pour d’autres, le taux doit être inférieur ou égal à 3 p. 100. Je puis vous assurer, honorables sénateurs, que je ne m’aventurerai pas dans ce débat, que je suis heureuse de laisser aux experts.

[Français]

À travers son interpellation, la sénatrice Bellemare souhaitait nous rappeler que la poursuite du plein-emploi est l’une des options à privilégier pour assurer notre prospérité. D’ailleurs, la sénatrice avait déjà exprimé cette conviction dans son livre intitulé Créer et partager la prospérité : Sortir l’économie canadienne de l’impasse.

Le plein-emploi est, effectivement, dans la mire de plusieurs gouvernements. La Belgique a envisagé de l’atteindre en 2025. L’Allemagne s’est fixé un objectif similaire. À l’instar de 192 autres pays, le Canada s’est engagé à atteindre les objectifs de développement durable de l’ONU. L’une de ces cibles est de parvenir d’ici 2030 à un plein-emploi productif et à un travail décent pour tous, y compris les jeunes et les personnes handicapées.

François Fontaine, professeur à l’École d’économie de Paris, croit que « fixer le plein-emploi comme un objectif absolu n’est pas sans effet pervers. Cela ne donne qu’une vision parcellaire du marché du travail ». Selon lui, d’autres problèmes peuvent se poser en situation de plein-emploi, comme la qualité des emplois ou l’inactivité de personnes découragées qui ont arrêté de chercher du travail, mais qui aimeraient tout de même en trouver. C’est ce que M. Fontaine perçoit comme la face cachée du plein-emploi.

[Traduction]

Ces dernières années, l’économie canadienne s’est renforcée. Le taux de chômage est à 5,8 p. 100 et diminue continuellement. Le taux n’a pas été si bas depuis 1974. Pas plus tard que la semaine dernière, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante rapportait que le problème de la pénurie de main-d’œuvre au Canada s’accentue.

(2000)

Malheureusement, ce progrès économique ne profite pas à toutes les strates de la société canadienne. Nous constatons, année après année, que le taux de chômage des personnes handicapées est beaucoup plus élevé que celui de la population générale. Seulement 49 p. 100 des Canadiens ayant un handicap et âgés de 25 à 65 ans ont un emploi, comparativement à 79 p. 100 chez les Canadiens sans handicap.

De plus, Statistique Canada relève régulièrement des écarts de salaire entre les employés ayant un handicap et leurs collègues pour un travail similaire. Par exemple, les hommes ayant une déficience légère ou moyenne gagnent en moyenne 11 000 $ de moins que ceux qui n’ont pas de handicap.

Près de la moitié des employés potentiels ayant une déficience ont suivi des études secondaires, mais ils peinent pourtant à accéder au marché du travail. Bon nombre d’entre eux occupent un emploi à temps partiel alors qu’ils voudraient trouver un travail à temps plein. D’autres qui ont la capacité physique de travailler finissent par sortir de la population active en raison des lieux de travail inaccessibles, du manque de mesures d’adaptation ou de pratiques d’embauche discriminatoires.

[Français]

Dans un guide très éducatif, le Service d’aide aux étudiants de l’Université Laval décrit le handicap comme un préjudice qui empêche une personne d’accomplir un rôle considéré comme normal dans la société. Ces limitations ne sont pas forcément le résultat de la déficience ou de l’incapacité même de la personne. La situation de handicap survient lorsque cette personne rencontre des barrières physiques ou sociales qui l’empêchent d’accéder aux ressources de la société et à prendre part à la vie de la communauté au même titre que les autres.

Le handicap devient secondaire lorsque les conditions sont réunies pour permettre à l’individu d’évoluer normalement dans son environnement et, entre autres, dans son environnement de travail. Par exemple, je peux moi-même exercer pleinement mon rôle de sénatrice, parce que le Parlement du Canada est un environnement accessible. Les conditions sont réunies pour que je puisse évoluer dans mon milieu de travail sans difficulté.

Les consultations publiques menées dans le cadre de la rédaction de la première loi fédérale sur l’accessibilité ont mis en relief plusieurs des barrières qui jonchent le chemin vers l’emploi à plus d’un million de Canadiens qui vivent avec un handicap.

La ministre Qualtrough a tout à fait raison d’affirmer ce qui suit, et je cite :

Si vous n’avez pas un édifice qui compte un environnement accessible, vous ne pouvez pas y travailler. Si le transport n’est pas offert pour s’y rendre, vous ne pouvez pas y travailler. Si la technologie n’est pas accessible, vous ne pouvez pas y travailler.

De nombreux efforts ont été faits jusqu’ici par les pouvoirs publics. Les bordures de trottoirs rabaissées, les rampes d’accès appropriées, les ouvre-portes automatiques s’érigent lentement comme étant la norme.

[Traduction]

Les organismes non gouvernementaux sont également très actifs. Ils contribuent à accroître notre capacité à créer des collectivités et des milieux de travail vraiment inclusifs. La Fondation Rick Hansen, par son projet de certification, travaille à rendre les collectivités plus accessibles physiquement.

Un des autres obstacles majeurs à l’intégration des personnes handicapées au marché du travail vient de la discrimination et des comportements sociaux. Il existe toujours un préjugé voulant que ces personnes n’aient pas les compétences requises.

Dans une étude menée en 2017, le professeur Charles Bellemare, de l’Université Laval, a révélé que, à compétence, expérience et formation égales, une personne en fauteuil roulant avait 54 p. 100 moins de chances d’être convoquée en entrevue qu’une personne sans handicap.

[Français]

Les mesures pour accommoder un employé handicapé ne sont pourtant ni coûteuses ni encombrantes. En 2012, le gouvernement du Canada a créé le Groupe de travail spécial sur les possibilités d’emploi des personnes handicapées.

[Traduction]

Dans son rapport, le groupe de travail a mentionné que, dans 57 p. 100 de la plupart des cas, aucun accommodement n’est nécessaire pour un nouvel employé handicapé.

Dans 37 p. 100 des cas, une seule dépense était requise pour des accommodements et elle s’élevait en moyenne à 500 $. Permettez-moi de souligner que ce sont là des dépenses minimes qui représentent, à vrai dire, des investissements puisqu’elles aident des gens à sortir de l’isolement, à gagner leur vie et à payer des impôts.

[Français]

Le rapport du groupe de travail, auquel j’ai fait référence plus tôt, foisonne d’idées novatrices et de solutions ingénieuses élaborées par des entreprises au pays.

Je peux citer l’exemple de cet hôtel-restaurant de luxe qui a mis en place des moyens simples pour favoriser la communication entre les clients et les autres employés avec les personnes handicapées du personnel. Des notes placées dans les chambres avertissent les clients que l’employé responsable du ménage est malentendant et les invitent à s’adresser à la réception s’ils souhaitent communiquer avec lui. Ce n’est pas plus compliqué que cela. L’aménagement de la buanderie de cet hôtel est effectué de manière à ne pas nuire au travail de l’employé malvoyant, dont le chien guide reste dans une pièce adjacente avec un lit et un bol d’eau. La direction de cet hôtel attribue par ailleurs le haut niveau d’engagement de son personnel à son effectif diversifié, où les employés se préoccupent les uns des autres.

Permettez-moi aussi de citer l’exemple de cette petite entreprise de technologie qui conçoit, développe et soutient des réseaux informatiques. Voici un extrait du rapport :

[...] l’entreprise a créé un produit qui a été commercialisé de façon virtuelle par un employé ayant une incapacité motrice qui utilisait un ordinateur à l’aide d’une baguette buccale. Cet employé a présenté le produit à un groupe cible sans être présent physiquement. Une fois la présentation terminée, on a demandé aux membres de l’auditoire, qui n’avaient pas tari d’éloges à l’égard du produit, s’ils désiraient rencontrer le présentateur. Ils ont été stupéfaits de découvrir qu’il s’agissait d’une personne quadriplégique .

[Traduction]

Il y a d’innombrables exemples qui montrent que le fait d’embaucher des personnes handicapées ne nuit pas à l’entreprise. Les sociétés d’informatique le comprennent depuis un certain temps, recrutant des personnes autistes pour programmer et vérifier des logiciels parce que certaines d’entre elles ont une grande facilité à se concentrer et à déceler les erreurs de codage. Les banques utilisent aussi leurs capacités à déceler les répétitions pour l’analyse de données et d’entreprises.

Honorables sénateurs, les employeurs ont beaucoup à gagner en changeant d’opinion à propos des personnes handicapées.

Je remercie la sénatrice Bellemare de m’avoir donné la possibilité de souligner que, en plus d’être un objectif économique, le plein-emploi est un objectif social. Comme elle l’a déjà mentionné : « Fondamentalement, c’est un enjeu qui est toujours synonyme d’intégration sociale. C’est rehausser le bien-être de tous les citoyens et chercher à mieux répartir les revenus. »

Bien des employés potentiels handicapés ont la formation, le désir et les compétences nécessaires pour ne pas être un fardeau, mais être des citoyens actifs et productifs. En poursuivant les efforts pour éliminer les obstacles auxquels ils sont confrontés, nous pourrons inverser la courbe du chômage pour ce groupe de Canadiens en particulier.

En conclusion, en créant les conditions nécessaires pour que les personnes handicapées puissent participer pleinement au monde du travail, nous leur permettrons de participer à la croissance et à la prospérité d’aujourd’hui et de demain, montrant ainsi que, au Canada, la diversité est toujours une force et jamais une faiblesse.

(2010)

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : J’aimerais ajourner le débat à mon nom afin d’exercer mon droit de dernière réplique.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, si le débat est ajourné au nom de la sénatrice Bellemare et que celle-ci prend la parole, elle sera la dernière personne à se prononcer dans ce débat.

(Sur la motion de la sénatrice Bellemare, le débat est ajourné.)

La proposition intitulée « Second examen objectif »

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Wallin, attirant l’attention du Sénat sur la proposition du sénateur Harder, intitulée « Second examen objectif »,  qui passe en revue le rendement du Sénat depuis la nomination des sénateurs indépendants et qui recommande la création d’un nouveau comité des travaux du Sénat.

L’honorable André Pratte : Le débat est ajourné au nom de la sénatrice Cools. Je m’attends à ce qu’il reste ajourné à son nom après mon intervention.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Pratte : Je sais qu’il est tard. Mon intervention ne durera qu’à peu près 10 minutes. Je vous demande d’être patients avec moi.

Le vendredi 15 novembre 1867, à 15 heures, lorsque le Sénat du Canada a ouvert sa septième séance seulement depuis ses tout débuts, le sénateur David Christie a présenté une motion pour que le Sénat s’ajourne jusqu’au jeudi d’après, car « il y [avait] peu de questions à discuter ». Le sénateur David Lewis Macpherson s’y est opposé en affirmant que le Sénat « devrait prendre grand soin de ne pas créer l’impression que sa présence est inutile ».

Ainsi, le Sénat a, depuis sa naissance, fréquemment été forcé de justifier son rôle auprès d’une population canadienne sceptique. La réalité d’il y a 151 ans est toujours vraie aujourd’hui. Cependant, en 2018, nous nous retrouvons non seulement au milieu d’une évolution sans précédent dans l’histoire de notre institution, mais à la veille d’un moment décisif. L’automne prochain, lorsque nous emménagerons dans notre salle provisoire dotée de caméras, les Canadiens pourront nous regarder en direct tous les après-midi. Que verront-ils? Ils verront que, pour la plupart des articles au Feuilleton, tout ce qui se passe est quelques « Reporté! » fastidieux. Ils verront des discours intéressants, mais isolés, souvent hors contexte, relativement à des dossiers dont ils ne savent pratiquement rien. Ils entendront de longs discours qui dépassent souvent la limite de 15 minutes, sans parler de ceux qui dépassent la limite de 45 minutes qui s’applique aux discours des parrains et des porte-parole, une période horriblement longue à l’ère des publicités de 15 secondes et des gazouillis de 280 caractères.

Ils verront des affaires parfois ajournées pour la simple raison qu’un groupe de sénateurs est fâché contre un autre — et pourquoi? Ils ne le sauront pas. Ils verront que la sonnerie retentira pendant une heure avant un vote — une heure, encore une fois, pour aucune autre raison que pour faire payer un groupe de sénateur pour un quelconque péché parlementaire. Ils verront une période des questions quotidienne, où toutes les questions sont adressées à la même personne, qui lit les réponses fournies par les représentants du gouvernement pour la raison compréhensible qu’il est impossible pour quelque homme ou quelque femme que ce soit de connaître les réponses à toutes les questions concernant tous les ministères du gouvernement.

Les Canadiens verront cela pour ce que c’est : une version diluée de la véritable chose — une version peu utile, voire inutile. Les Canadiens concluront rapidement que beaucoup de temps est gaspillé au Sénat. Ils se demanderont s’il vaut vraiment la peine de dépenser 100 millions de dollars de leurs deniers publics pour que nous prononcions des discours dans une enceinte quasi vide, que nous attendions pendant que la sonnerie retentit pendant une heure et que nous écoutions des période des questions futiles, nos yeux rivés sur nos téléphones intelligents. Nous faisons beaucoup plus que cela, bien sûr, mais c’est là tout ce que les Canadiens verront sur leur écran.

[Français]

Chers collègues, c’est ce que verront les Canadiens sur leur écran d’ici quelques mois, à moins que nous changions au plus vite nos façons de faire.

Le document rédigé par le sénateur Harder soulève la question des retards dans l’adoption des projets de loi du gouvernement. Je suis en grande partie d’accord avec le diagnostic du représentant du gouvernement, et je trouve très intéressante la solution qu’il met de l’avant. Cependant, je crois que les problèmes du Sénat moderne sont autant, sinon plus culturels que structurels.

Par conséquent, la solution ne se trouve pas tant dans la mise sur pied d’un comité de gestion ou dans la modification des règlements, quoique ces mesures soient certainement nécessaires, mais dans un changement d’attitude. Or, on sait que changer les attitudes est bien plus difficile que modifier les structures.

Permettez-moi de dire quelques mots au sujet de la partisanerie. La partisanerie va contre ma nature. Je ne dis pas qu’il est préférable de ne pas être partisan, je dis simplement que, pendant toute ma vie professionnelle, j’ai été obsédé par la quête de l’objectivité, par le besoin non seulement de connaître, mais de comprendre les deux côtés de la médaille.

Cela dit, je sais pertinemment que les partis politiques sont essentiels en démocratie. J’ai un immense respect pour les gens qui s’impliquent en politique active, et je comprends que la partisanerie est l’irremplaçable carburant de la vie politique.

[Traduction]

Le Sénat est un organe politique. Par conséquent, il est inévitable que des partisans siègent à la Chambre haute. Même si le processus de nomination actuel survit à un changement de gouvernement, j’ai tendance à penser qu’une forme de partisanerie continuera d’exister d’une manière ou d’une autre. De plus, la partisanerie à proprement parler n’a pas besoin d’être un problème. Comme le sénateur Greene l’a fait valoir, il s’agit d’un problème seulement lorsque la partisanerie entre en conflit avec notre mission de second examen objectif.

Si on remonte au lundi 11 novembre 1867, à savoir le troisième jour de séance de l’histoire du Sénat, l’honorable Donald McDonald a réfléchi au rôle de la nouvelle Chambre et dit ceci :

[...] l’exercice de leurs fonctions peut être des plus utiles—non comme une simple chambre d’enregistrement du pouvoir exécutif ou des échos serviles d’un sentiment populaire fugitif mais plutôt comme le régulateur du gouvernement, qui guide toujours, n’entrave jamais et qui est en toutes choses au-dessus des instigations d’un esprit de parti en colère.

« Un esprit de parti en colère ». Chers collègues, il me semble qu’il y a beaucoup de colère dans le Sénat d’aujourd’hui. Certains sénateurs sont en colère parce que les libéraux ont remporté les élections de 2015. D’autres, y compris moi, sont irrités par le grand rôle que joue la politique partisane à la Chambre de second examen objectif. Il y a d’autres sénateurs qui sont mécontents d’avoir été expulsés du caucus libéral par M. Trudeau. Il y en a qui sont en colère parce que le premier ministre a modifié le processus de nomination, perturbant ainsi la façon dont les choses ont toujours été faites au Sénat. Il y a aussi des sénateurs qui en veulent à l’opposition parce que des projets de loi d’initiative ministérielle ne sont pas adoptés assez rapidement.

À mon avis, ce mécontentement chronique, conjugué à une grande loyauté envers le groupe et ses intérêts, contribue beaucoup aux problèmes qui affligent actuellement le Sénat. Le résultat est que notre institution n’est pas aussi efficace et productive qu’elle pourrait l’être.

Lorsque je parle d’efficacité et de productivité du Sénat, je ne parle pas simplement de la vitesse à laquelle il adopte les projets de loi du gouvernement. Selon son bilan législatif, je constate que, en date d’aujourd’hui, depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement a présenté 72 mesures législatives à la Chambre des communes, dont 45 se sont rendues jusqu’ici. Sur les 45 projets de loi dont le Sénat a été saisi, 36 ont été adoptés. Cela revient à 80 p. 100. Ce n’est pas mal comme moyenne. Je n’ai aucun doute que le gouvernement souhaiterait que ses mesures soient adoptées plus rapidement et, après les événements de ce matin, avec moins d’amendements; pour notre part, nous préférerions éviter les séances de marchandage intense auxquelles on s’adonne en décembre et en juin, mais, au bout du compte, nous parvenons à des résultats.

Les neuf projets de loi qui n’ont pas encore été adoptés ont été présentés au Sénat à partir de novembre dernier. Un de ceux-ci a progressé bien trop lentement — le projet de loi C-25, qui était inscrit au Feuilleton depuis l’été dernier. Comme vous le savez bien, il a finalement été adopté la semaine dernière. En conséquence, je trouve que le Sénat s’est montré plutôt efficace pour ce qui est d’adopter les projets de loi du gouvernement.

Quand je dis que le Sénat devrait être plus efficace et productif, je veux dire que nous pourrions accomplir bien plus pendant le temps que nous avons. Nous pourrions tenir des débats plus approfondis, entendre un plus grand nombre de témoins sur chaque projet de loi, étudier davantage de mesures d’initiative parlementaire, aborder un plus grand nombre de questions en comité, organiser une période des questions qui en vaut la peine et rencontrer plus de Canadiens — surtout rencontrer plus de Canadiens — si nous ne perdions pas autant de temps en manœuvres futiles et dilatoires.

(2020)

C’est avec fierté que nous nous rappelons les débats sur le projet de loi C-14, sur l’aide médicale à mourir. Pourquoi donc les intervenants habituels ne sont-ils pas arrivés à négocier une façon d’adopter une approche semblable pour tous les projets de loi importants, voire tous les projets de loi d’initiative ministérielle? Tout le monde est sorti gagnant de ces débats — le Sénat, l’opposition, le gouvernement, les sénateurs à titre particulier et les Canadiens. Où donc le bât blesse-t-il?

Il semble qu’une partie du problème vient du fait que l’opposition redoute que de tels arrangements lui retirent le pouvoir de retarder l’adoption du programme gouvernemental, qui constitue l’un des principaux moyens de pression de l’opposition au Parlement. Je le comprends bien. Cependant, il n’a pas nécessairement à en être ainsi. Si nous pouvions arriver à nous entendre sur une version de la proposition du sénateur Greene concernant les réunions hebdomadaires préparatoires, par exemple, l’opposition conserverait ce pouvoir.

Les droits et privilèges de l’opposition constituent sans doute l’une des questions les plus délicates que nous abordons ces temps-ci. Certains d’entre nous préconisent le statu quo, soit une opposition officielle qui entretient des liens naturels avec un caucus national et dont le but ultime est de l’emporter sur le parti au pouvoir. Il y en a d’autres qui trouvent que, depuis que les sénateurs non partisans occupent une pluralité des sièges au Sénat, cette conception traditionnelle de l’opposition n’a plus grand sens.

Ma position se trouve en quelque sorte à mi-chemin. Je suis convaincu que, tant et aussi longtemps que le gouvernement libéral actuel sera au pouvoir, les sénateurs conservateurs auront intérêt à former l’opposition et à profiter des droits et privilèges que leur confère ce statut. J’adopte cette position malgré le fait que je m’offusque des affirmations quasi quotidiennes de nos amis d’en face selon lesquelles les membres du Groupe des sénateurs indépendants sont des libéraux qui ne s’assument pas. J’estime que, individuellement et collectivement, les membres du Groupe des sénateurs indépendants ont montré à maintes reprises leur indépendance par rapport au parti au pouvoir et à tout autre parti. En fait, lorsque nous le faisons, nos collègues conservateurs nous reprochent d’être désorganisés. Décidez-vous. On ne peut pas être à la fois fidèle libéral et farouchement individualiste. C’est l’un ou l’autre.

Je vais vous dire ce que nous sommes. Nous sommes des indépendants organisés.

Quoi qu’il en soit, il est absolument essentiel que les gens qui s’opposent fondamentalement à la vision du monde du gouvernement soient représentés vivement et en tout temps au Parlement.

Cela dit, il faut penser à l’avenir. À un moment donné, ce sont les conservateurs qui seront au pouvoir, et ensuite, il va de soi que nos amis conservateurs deviendront le parti au pouvoir au Sénat. Qui formera l’opposition au Sénat, où les libéraux seront peu nombreux et coupés du caucus national libéral, et où le Groupe des sénateurs indépendants constituera le groupe le plus important?

Nous aurions tous intérêt à réfléchir ensemble à ce que l’avenir nous réserve en concevant un nouveau modèle sans crainte de perdre nos droits et privilèges actuels; à mon avis, il n’y a pas lieu de remettre ceux-ci en question. Les conservateurs forment l’opposition officielle au Sénat tant et aussi longtemps que les libéraux sont au pouvoir à l’autre endroit.

Honorables sénateurs, l’automne prochain, lorsque nous allumerons les lumières dans notre nouvelle enceinte, nous n’aurons qu’une seule chance de laisser une première impression favorable de notre institution. Nous risquons fort de gaspiller cette chance si nous ne changeons aucune de nos pratiques.

Il existe une autre solution, cependant. Si, de toutes parts, la confiance, l’optimisme et l’imagination l’emportent sur la partisanerie rageuse, la peur et la résistance au changement, la proposition du sénateur Harder pourrait très bien servir de point de départ pour une discussion sur les moyens de parvenir à une gestion plus efficace des affaires du Sénat. Avant toute chose, cependant, il faut que nous partagions une priorité commune.

[Français]

Si nous ne nous entendons pas pour mettre cette question au premier plan de notre programme collectif et de nos ordres du jour personnels chaque jour, peu importe les circonstances, nous serons incapables d’apporter les changements nécessaires.

[Traduction]

Chers collègues, cette priorité commune que nous devons avoir est on ne peut plus évidente. Nous sentons sa présence lorsque nous pénétrons dans cette splendide enceinte et en admirons les tableaux inspirants. Elle repose sur des décennies d’histoire, de discours et de décisions remontant aux débuts de notre institution, en novembre 1867. Il est de notre devoir d’en renforcer les fondations et de lui assurer un avenir reluisant. Cette cause, qui devrait nous unir au-delà de nos affiliations politiques et organisationnelles, est celle du succès de notre institution. C’est le succès du Sénat du Canada qui importe, et pas notre gloire personnelle ou collective.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme convenu, le débat demeure ajourné au nom de la sénatrice Cools.

(Sur la motion de la sénatrice Cools, le débat est ajourné.)

(À 20 h 26, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

Haut de page