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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 109

Le mardi 28 mars 2023
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 28 mars 2023

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, en vertu de l’article 4-3(1) du Règlement, le représentant du gouvernement au Sénat a demandé que la période consacrée aux déclarations des sénateurs soit prolongée aujourd’hui afin que nous puissions rendre hommage à l’honorable Landon Pearson qui est décédée le 28 janvier 2023.

Est-il convenu de poursuivre les hommages dans les déclarations de sénateurs?

Des voix : D’accord.


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Michael Pearson, le fils de feue l’honorable sénatrice Pearson, de Hilary Pearson, sa fille, de Kerry Buck, sa belle-fille, de Maija Buckley-Pearson, sa petite-fille et de son fils de deux mois, ainsi que d’Euan Pearson, son petit-fils.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Hommages

Le décès de l’honorable Landon Pearson, O.C.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à l’ancienne sénatrice Landon Pearson, officière de l’Ordre du Canada. J’aimerais aussi souhaiter la bienvenue au Sénat aux membres de la famille de la sénatrice Pearson et leur transmettre mes plus sincères condoléances.

La sénatrice Pearson a été nommée au Sénat en septembre 1994 par Jean Chrétien, qui était premier ministre à l’époque. Elle a servi au Sénat pendant 11 ans. Elle était par-dessus tout une ardente défenseure des droits des enfants et une pionnière pour porter ces sujets à l’attention du public.

[Français]

Le travail inlassable de la sénatrice Pearson en faveur des droits des enfants a commencé bien avant sa nomination au Sénat. En 1974, elle a cofondé Children Learning for Living, un programme de prévention axé sur la santé mentale des enfants, situé à Ottawa. Elle a participé à des programmes communautaires tels que Mobile Creches for Working Mothers’ Children, un service de garde d’enfants pour les enfants de travailleurs nomades de la construction à New Delhi et Mumbai.

En 1979, elle a apporté une contribution importante à titre de vice-présidente de la Commission canadienne pour l’Année internationale de l’enfant et de rédactrice en chef du rapport de cette commission, intitulé Pour les enfants du Canada : Programme national d’action.

Encore, en 2006, après sa retraite du Sénat, elle a créé le Centre de ressources Landon Pearson pour l’étude de l’enfance et des droits des enfants.

[Traduction]

En repensant à son travail auprès des enfants au Mexique, en Inde et en Union soviétique, ainsi qu’à son expérience au sein du système scolaire d’Ottawa et en tant que mère de cinq enfants, la sénatrice Pearson a expliqué au Sénat comment ces expériences l’ont convaincue « de l’indivisibilité de l’enfance et des questions liées à la nature globale des enfants ».

Dans le cadre de leurs efforts, nos collègues les sénatrices Moodie et Miville-Dechêne perpétuent cette tradition « pearsonnienne ». Toutefois, comme vous le savez, de nombreux problèmes demeurent urgents. Selon Amnistie internationale, plus de 61 millions d’enfants ne vont pas à l’école primaire, environ 150 millions d’enfants sont victimes d’agression sexuelle chaque année et au moins 330 000 enfants sont maintenus dans des centres de détention pour immigrants dans 80 pays chaque année.

Alors que nous rendons hommage à la sénatrice Pearson, n’oublions pas qu’il faut continuer à rendre ces questions plus visibles et que — je cite encore une fois la sénatrice Pearson — « nous avons tous un rôle à jouer dans le bien-être des enfants du monde ». Merci, chers collègues.

L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à citer l’une de mes prédécesseures, la sénatrice Joyce Fairbairn. Elle a déclaré ceci au Sénat :

[...] il est des époques dans l’histoire où les étoiles et les planètes s’alignent pour produire des effets spectaculaires. Je dirais que c’est ce qui s’est passé lorsque Landon Pearson a été appelée à siéger au Sénat, le 15 septembre 1994.

(1410)

Chers collègues, le Canada a perdu l’une de ses plus ardentes défenseures des droits des jeunes, l’honorable Landon Mackenzie Pearson. Pendant son mandat, le fait d’avoir défendu sans relâche les droits et le bien-être des jeunes au Canada et à l’étranger lui a valu le titre prestigieux de « sénatrice des enfants ».

Elle a été coprésidente du Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants, qui a publié Pour l’amour des enfants, un rapport qui fournissait un nouveau point de vue sur les ruptures familiales et leurs conséquences, celui des enfants. Elle a représenté le Canada au Sommet mondial pour les enfants des Nations unies et à la Session extraordinaire des Nations unies consacrée aux enfants, et ce, sous deux premiers ministres de partis différents. Elle a également été conseillère du ministre des Affaires étrangères au Comité des droits de l’enfant des Nations unies.

Pendant les 11 ans où elle a été sénatrice, on l’a décrite comme une femme perspicace, clairvoyante, au grand cœur, et sachant observer et apprendre. Sa passion pour les enfants a été qualifiée de constante, persistante et souvent opiniâtre. Elle disait souvent : « Quand une porte se ferme, une autre s’ouvre », ce qui témoigne de son engagement et de son dévouement.

Nous présentons nos sincères condoléances à ses enfants, ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants et à tous les enfants du Canada.

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, c’est un honneur de prendre la parole afin de rendre hommage à notre ancienne collègue la sénatrice Landon Pearson, décédée le 28 janvier à l’âge de 92 ans.

Au Sénat, il est souvent question de grandes idées et, parfois, nous devons étudier des projets de loi compliqués, complexes et détaillés. Nous avons tous pu développer notre capacité à examiner de tels projets de loi grâce aux bases obtenues pendant notre enfance. La sénatrice Pearson considérait que les bases obtenues pendant l’enfance sont importantes pour la formation d’adultes aptes, intéressés et dotés de bonnes capacités d’analyse. Les enfants ont besoin de notre soutien et ils devraient avoir des occasions pour exprimer leurs idées et leurs opinions sur les enjeux qui ont un impact direct sur leur vie. C’est un principe auquel la sénatrice Pearson croyait fermement et qu’elle défendait au nom des enfants.

De 1984 à 1990, Landon a assumé la présidence puis la direction du Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse. De 1989 à 1994, elle a été l’un des membres fondateurs de la Coalition canadienne des droits de l’enfance, qui a milité en vue de la ratification, en 1991, et de la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies. En septembre 1994, l’ex-premier ministre Jean Chrétien a eu la sagesse de nommer Landon sénatrice. Comme l’a souligné le sénateur Tannas, il n’a pas fallu beaucoup de temps avant que la sénatrice Pearson soit connue sur la Colline en tant que sénatrice des enfants. En 1998, le premier ministre Chrétien en a fait sa représentante personnelle à la Session extraordinaire des Nations unies consacrée aux enfants.

Seuls quelques-uns d’entre nous ayant siégé au Sénat à ses côtés sont toujours en fonction, et je peux vous dire, honorables sénateurs, qu’il est impossible d’oublier sa compassion et son amour pour les enfants. La sénatrice Pearson était le fer de lance de l’initiative du Sénat d’organiser un événement annuel pour célébrer la Journée nationale de l’enfant. Au fil des ans, des centaines d’enfants ont eu la chance d’assister à ces célébrations annuelles spéciales, qui ont lieu dans cette salle, et auxquelles tant les sénateurs que les enfants prennent plaisir à participer. Lorsque Landon a pris sa retraite, les anciens sénateurs Terry Mercer et Jim Munson ont pris la relève en tant qu’organisateurs, et ils se plaisaient à souligner qu’il fallait deux sénateurs pour tenter de la remplacer. Elle a siégé 11 ans au Sénat et a pris sa retraite en 2005. Toutefois, l’œuvre de Landon Pearson auprès des enfants n’a pas pris fin lorsqu’elle a pris sa retraite du Sénat. En 2006, elle a contribué à l’établissement du Centre de ressources Landon Pearson pour l’étude de l’enfance et des droits de l’enfant de l’Université Carleton.

Chers collègues, la sénatrice Pearson a défendu avec passion l’intérêt des enfants et des jeunes durant toute sa vie. C’est véritablement l’œuvre de sa vie. Lorsqu’ils ont appris la nouvelle de son décès, les anciens sénateurs Munson et Mercer ont tous deux communiqué avec moi pour exprimer leurs condoléances à la famille Pearson.

Le sénateur Munson a écrit :

Terry Mercer et moi étions ses disciples. C’est d’ailleurs Landon Pearson qui m’a fait entrer au Sénat lorsque j’ai prêté serment. Sous son égide, Terry et moi avons pris le relais pour organiser la Journée nationale de l’enfant après son départ à la retraite. Nous avions l’habitude de lui dire, en plaisantant à moitié, qu’il fallait bien deux personnes pour faire son travail. Elle était mon héroïne au Sénat.

Le sénateur Mercer a exprimé des sentiments similaires. Voici ce qu’il a écrit :

Le Canada a perdu une véritable héroïne. Landon Pearson nous a légué un magnifique héritage. Lorsque j’ai été nommé au Sénat, Landon Pearson a été l’une des premières à me prendre sous son aile. Elle m’a guidé et encadré, en particulier dans notre travail en faveur des enfants. C’était vraiment une grande dame.

Honorables sénateurs, joignez-vous à moi pour célébrer une grande Canadienne, une Canadienne bien-aimée, qui a mené une vie longue et bien remplie et qui a tant fait pour faire entendre la voix souvent négligée des enfants et des jeunes. Ce fut un honneur et un privilège de travailler avec elle.

En mon nom et au nom du Groupe progressiste du Sénat, je souhaite exprimer nos plus sincères condoléances à la famille et aux amis de mon ancienne collègue et amie Landon Pearson. Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à une personne remarquable et ancienne sénatrice, feu l’honorable Landon Pearson, que bien des gens appelaient « la sénatrice des enfants ». De 1994 à 2005, elle a siégé au Sénat du Canada, où elle représentait l’Ontario. En 1996, elle a été nommée conseillère sur les droits des enfants auprès du ministre des Affaires étrangères et, en 1998, elle est devenue la représentante personnelle du premier ministre Chrétien à la Session extraordinaire des Nations unies consacrée aux enfants, qui a eu lieu en 2002.

Son dévouement et son travail inlassable lui ont valu d’être reconnue au Canada et partout dans le monde. Elle a reçu le prix Bénévolat Canada et des doctorats honorifiques. De plus, elle comptait parmi les 1 000 femmes dans le monde à être en lice pour le prix Nobel de la paix, en raison de son travail au nom des enfants. En 2008, Landon Pearson a été nommée officière de l’Ordre du Canada pour le travail exceptionnel qu’elle a fait en vue de soutenir les enfants et les jeunes et de défendre leurs droits. À titre de sénatrice, elle est à l’origine de la Journée nationale de l’enfant sur la Colline du Parlement, une journée célébrant les enfants ainsi que les organismes et les intervenants défendant leurs droits.

Nos anciens collègues les sénateurs Mercer, Munson et Cochrane ont repris la tradition qu’elle avait instituée en parrainant cet important événement annuel que j’ai eu l’honneur de coparrainer après le départ à la retraite de la sénatrice Cochrane. À l’heure actuelle, c’est la sénatrice Moodie qui parraine l’événement. La Journée nationale de l’enfant sur la Colline est un formidable élément du legs de la sénatrice Pearson. Cet événement continue de témoigner de la conviction de la sénatrice que les enfants méritent d’avoir la possibilité de s’épanouir, de vivre leur enfance et de se faire entendre. La sénatrice Pearson faisait véritablement figure de cheffe de file dans la défense des enfants et des jeunes et demeurera à tout jamais « la sénatrice des enfants » au Canada.

La sénatrice laisse également en héritage le Centre de ressources Landon Pearson pour l’étude de l’enfance et des droits de l’enfant, qui a ouvert ses portes en 2006. Le centre abrite la plus grande collection cataloguée au Canada de matériel sur les droits des enfants, notamment la bibliothèque personnelle de Landon Pearson, qui compte plus de 14 000 documents liés à sa longue carrière de militante pour la défense des droits des enfants. La sénatrice Pearson avait elle-même déclaré que chaque enfant donne une nouvelle chance à l’ensemble de l’humanité.

J’assure à la famille de la sénatrice que l’héritage de cette dernière se perpétue et que l’influence qu’elle a eue et qu’elle continuera d’avoir sur la vie de nombreux enfants et familles fait également partie de son legs. Au nom du caucus conservateur, en l’occurrence l’opposition officielle au Sénat, j’offre mes plus sincères condoléances.

Honorables sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour rendre hommage à la vie de la regrettée Landon Pearson. Qu’elle repose en paix.

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour rendre hommage à une remarquable Canadienne, en l’occurrence l’ancienne sénatrice Landon Pearson.

L’ancienne sénatrice Pearson, considérée comme « la sénatrice des enfants », a consacré sa vie à la défense des droits des enfants et des jeunes au Canada comme ailleurs dans le monde. Pendant près de sept décennies, elle a fait figure de cheffe de file dans la défense des droits des enfants et elle a transformé l’image qu’on se fait de ce segment de la population, pas uniquement au Canada, mais aussi à l’échelle mondiale. Landon Pearson s’était engagée dans la défense des enfants bien longtemps avant d’être nommée au Sénat. Comme vous l’avez entendu, elle a agi à titre de vice-présidente de la Commission canadienne pour l’Année internationale de l’enfant des Nations unies et elle a présidé le Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse. Elle a été membre fondatrice et présidente de la Coalition canadienne pour les droits des enfants de 1989 à 1994, année où elle a été nommée au Sénat.

(1420)

En tant que sénatrice, elle a cherché de plus en plus à fournir aux enfants l’espace pour se défendre eux-mêmes, puis elle a conseillé les gouvernements Chrétien et Martin en matière de droits des enfants au Canada et à l’étranger.

Comme il a déjà été dit, sa retraite n’a pas signifié la fin de sa vie professionnelle, mais plutôt un nouveau chapitre. Peu après avoir pris sa retraite du Sénat et fondé le Centre de ressources Landon Pearson pour l’étude de l’enfance et des droits de l’enfant, elle a poursuivi son travail. Elle a joué le rôle de conseillère et de mentore pour moi et beaucoup d’autres au Sénat.

Chers collègues, vous êtes au courant d’une bonne partie de ce que je viens de dire, et je suis loin d’avoir tout dit. Je peux toutefois témoigner personnellement de sa gentillesse, de sa sagesse et de son éthique de travail. Même au-delà de 90 ans, elle était toujours aussi dévouée envers les enfants du Canada. Récemment, nous avons participé ensemble à un programme où elle était une intervenante. Elle a arraché son masque à oxygène pour prendre la parole, et nous avons dû lui dire : « Non, remettez-le s’il vous plaît. »

Tout au long de sa carrière, l’ancienne sénatrice Pearson était une voix fiable au Canada. Elle était souvent celle qui rassemblait des acteurs de partout au Canada pour travailler à la défense des droits des enfants, un domaine qui peut être notoirement fragmenté. Elle y a apporté sa crédibilité et sa réputation. Elle était très influente parce que tout le monde savait qu’elle était sincère et authentique.

Cette grande sénatrice et grande Canadienne laisse un héritage considérable. Puisse-t-il être dit de chacun de nous qui siégeons au Sénat que nous nous sommes efforcés de donner de notre temps et de prêter notre voix à ceux qui en avaient le plus besoin et que, à l’instar de notre chère collègue Landon, nous avons fait preuve d’un véritable dévouement envers tous les Canadiens.

Nous offrons nos plus sincères condoléances à ses enfants Hilary, Michael et Patricia, ainsi qu’à sa famille, ses amis et sa communauté. Sachez que vous ne pleurez pas seuls sa perte. Merci.

L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de rendre hommage à une sénatrice légendaire : l’honorable Landon Pearson.

Je suis heureux que nous puissions entendre son arrière-petite-fille, qui, comme son arrière-grand-mère, se fera entendre quand elle le voudra.

J’ai eu la chance que Landon Pearson soit à la fois mon amie et ma mentore.

Pendant de nombreuses années, j’ai parlé d’elle comme d’une sénatrice exceptionnelle qui s’est servi de son rôle dans cette enceinte pour faire avancer la cause de sa vie, les droits de l’enfant, et qui, ce faisant, a fait grand honneur au Sénat.

Je me permets de vous faire part de mes souvenirs.

Il y a une dizaine d’années, alors que certains d’entre nous voulaient créer le Centre Pearson, nous sommes allés la rencontrer pour solliciter le soutien de la famille afin de donner au groupe de réflexion le nom de son beau-père, Lester B. Pearson, l’un de nos premiers ministres les plus marquants. Dès le premier jour, elle nous a beaucoup soutenus, en plus de nous conseiller et de participer à nos travaux. Je souhaite parler d’une facette de notre amitié.

Chers collègues, vous avez tous regardé la série télévisée The Crown, dans laquelle la reine rencontre régulièrement les premiers ministres britanniques. Je considérais Landon Pearson comme une sorte de gouverneure générale du Centre Pearson, car elle était la gardienne principale de la flamme allumée par Lester B. Pearson. Nous nous rencontrions régulièrement, même si nos réunions n’étaient jamais aussi croustillantes que celles entre la reine et Margaret Thatcher.

Les rencontres que nous avons eues au fil des années commençaient par une discussion sur le Centre Pearson et sur nos priorités du moment, et la conversation finissait par porter sur les actualités nationales et mondiales. Parfois, elle sortait un article récent qu’elle avait découpé dans un journal, et elle me donnait son opinion sur le sujet ou me demandait ce que j’en pensais. À d’autres occasions, elle pouvait me montrer un artéfact important de l’ère Pearson dont elle allait faire don comme il se doit à Bibliothèque et Archives Canada ou au Musée canadien de l’histoire.

J’ai toujours été émerveillé par ces conversations, parce qu’elle pouvait aborder divers sujets selon une perspective tout à fait contemporaine, mais aussi d’un point de vue historique, ayant elle‑même été témoin de l’histoire du pays tout au long de sa vie adulte.

Honorables collègues, j’aimerais attirer votre attention sur deux formidables webinaires qui se trouvent sur la chaîne YouTube du Centre Pearson, appelée « Pearson TV ». Dans l’un de ces webinaires, enregistré en avril dernier à l’occasion du 125e anniversaire de Lester B. Pearson, Landon Pearson discute avec l’ambassadeur du Canada aux Nations unies, Bob Rae.

L’autre webinaire a été enregistré à l’occasion du 90e anniversaire de Mme Pearson, il y a trois ans. Il s’agit d’une conversation avec deux de ses petites-filles, Lucy et Rachel, qui mènent toutes deux une brillante carrière. On peut y suivre une discussion formidable et chaleureuse sur la famille, les droits des enfants, les affaires nationales et mondiales et le Canada. Vous serez émerveillés par cette famille canadienne des plus formidables qui a le service public profondément à cœur.

[Français]

Chers collègues, je pense que ses nombreux amis partageront mon point de vue : nous avons tous énormément bénéficié de l’amitié d’une grande fonctionnaire et d’une sénatrice exceptionnelle.

[Traduction]

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, parents et amis, ce fut un grand honneur, une grande responsabilité et un incroyable privilège que d’avoir pu compter parmi les milliers de personnes ayant eu la chance d’être un ami, un protégé ou un collaborateur de la sénatrice exceptionnelle à qui nous rendons tous hommage aujourd’hui.

Je ne répéterai pas aujourd’hui mes hommages précédents ni les vôtres. Au contraire, comme Landon nous l’a si bien appris, je veux profiter de cette occasion pour donner la parole à ceux qui la connaissaient le mieux, ceux qui ont inspiré sa curiosité intellectuelle, sa rigueur incomparable et son insistance à promouvoir et à représenter les droits et les intérêts des enfants : ses enfants adorés, Hilary, Anne, Michael et Patricia.

Je suis honorée d’être leur messagère dans cette enceinte. Voici leurs paroles :

La nomination de maman au Sénat est arrivée exactement au bon moment. Elle avait accumulé de nombreuses années d’éducation, de recherche, de militantisme bénévole et d’expérience de travail avec les enfants et les jeunes au Canada et dans d’autres parties du monde. Elle était prête à mettre en pratique toutes ces connaissances et cette expérience [...] pour mobiliser un engagement concerté au Canada afin de protéger les enfants et les jeunes et leur donner une voix dans la sphère des droits de la personne [...] les droits de l’enfant.

Il va sans dire qu’elle avait des intentions précises!

Elle croyait au rôle du Sénat en tant que deuxième organe législatif du Canada, qui a l’occasion de réfléchir, et de réviser et d’améliorer les cadres législatifs et juridiques du Canada en matière de protection des droits.

Le Sénat lui a donné une tribune, et elle en a fait un usage unique et productif.

Et elle a bien enseigné à beaucoup d’entre nous.

Elle a parlé au nom des enfants [...]

 — elle a parlé au nom de tous les enfants —

[...] et les a amenés au Sénat pour s’entretenir avec elle. Elle était d’avis qu’il fallait permettre aux enfants et aux jeunes de s’exprimer sur les décisions et les lois qui les concernaient directement. En cela, elle était très en avance sur son temps.

Et elle a laissé de nombreux admirateurs dans son sillage [...] des admirateurs de son tact, de son intelligence, de sa discipline, de sa volonté d’actionner tous les leviers possibles au nom des enfants et des jeunes, qui lui tenaient tant à cœur. Elle était un modèle pour les futurs sénateurs, des femmes comme elle, déterminées, engagées, courageuses et motivées pour faire changer les choses en faveur de la justice sociale.

Elle a pratiqué la justice sociale et elle a encouragé d’autres personnes à faire de même et à déployer des efforts pour la justice sociale.

Merci de votre message. Merci d’avoir inspiré chacun d’entre nous à prendre exemple sur la luminosité, la vie et l’héritage de votre mère.

Mais surtout, merci à chacun d’entre vous et à vos enfants, ses petits-enfants, arrière-petits-enfants, nièces, neveux et tous ceux qui sont liés à votre famille d’avoir partagé cette femme incroyable — la doyenne, en fait, et pas seulement la « sénatrice des enfants », mais un exemple pour nous tous dans cette enceinte. Nous sommes extrêmement reconnaissants et comblés par les contributions et les souvenirs que nous laisse l’honorable Landon Pearson, la « sénatrice des enfants » du Canada. Merci.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à notre ancienne collègue et amie la sénatrice Landon Pearson et exprimer mes condoléances à sa famille.

(1430)

Toute sa vie, elle a été une ardente défenseure des droits des enfants, et on l’a appelée affectueusement « la sénatrice des enfants » pendant son mandat au Sénat de 1994 à 2005.

L’ancien premier ministre Jean Chrétien a décrit la sénatrice Pearson comme étant l’une des meilleures nominations qu’il ait faites de sa vie. Il a dit qu’elle :

[...] avait fait de l’excellent travail en tant que sénatrice et qu’elle s’était spécialisée dans un domaine qui était négligé par tout le monde, du moins, à ce moment-là.

Honorables sénateurs, je garde de la sénatrice Landon le souvenir d’une personne très intelligente et débrouillarde qui était aussi extrêmement humble. Sa nièce, Landon MacKenzie, a souligné cette humilité lorsqu’elle l’a décrite :

[...] « la tante la plus ordinaire que l’on puisse avoir », dont le désintérêt pour la cuisine était une légende familiale et l’absence d’égo signifiait probablement que bien des gens qui l’ont rencontrée n’avaient aucune idée de ses réalisations.

Au Sénat, elle s’est efforcée de mettre fin aux châtiments corporels pour corriger les enfants et à l’exploitation sexuelle de ces derniers. Elle a dénoncé à maintes reprises le taux élevé d’itinérance chez les jeunes qui ne sont plus pris en charge par l’État et la triste réalité des enfants et des familles autochtones dans les collectivités éloignées.

La sénatrice Pearson a également représenté le Canada sur la scène internationale. En 1996, elle a été nommée conseillère auprès du ministre des Affaires étrangères pour les droits des enfants. En 1998, elle est devenue représentante personnelle du premier ministre lors de la Session extraordinaire des Nations unies consacrée aux enfants de 2002.

Landon n’a jamais arrêté de travailler. En tant qu’envoyée spéciale du Canada pour la paix, j’ai vu à quel point elle a travaillé fort, même après avoir pris sa retraite. Lorsqu’elle était sénatrice, et par la suite, j’ai collaboré avec elle au sein de nombreux groupes d’experts. J’étais émerveillée par sa rigueur au travail et sa passion pour les enfants.

La sénatrice Pearson était le parfait exemple de ce que la Chambre haute peut représenter et de ce que nous pouvons faire pour défendre les plus vulnérables de notre société. Elle excellait à cette tâche.

Aujourd’hui, d’innombrables enfants ont une meilleure qualité de vie grâce aux efforts déployés par Landon. Je n’oublierai jamais son zèle pour venir en aide aux enfants. Je serai à jamais reconnaissante du temps que j’ai eu le privilège de passer en sa compagnie.

Landon, vous avez été une amie formidable et une collègue inspirante. Que votre âme repose en paix, chère amie.

[Français]

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous demanderais de bien vouloir vous lever et de vous joindre à moi pour observer une minute de silence.

(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Son Excellence Darius Skusevičius, ambassadeur de la République de Lituanie au Canada, de Son Excellence Kaspars Ozoliņš, ambassadeur de la République de Lettonie au Canada et de Son Excellence Margus Rava, ambassadeur de la République d’Estonie au Canada.

Je suis persuadé que tous les sénateurs seront d’accord avec moi pour dire que le Canada, à titre d’ami et d’allié, est solidaire de ses partenaires de la région baltique.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le ramadan

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia : Honorables sénateurs, mercredi dernier a marqué le début du ramadan, le neuvième mois du calendrier islamique et une importante fête religieuse célébrée par les musulmans au Canada et dans le monde entier. Le ramadan est une période de prière, d’introspection spirituelle, de retrouvailles avec les êtres chers et d’aide à la collectivité. Les traditions du ramadan honorent les valeurs qui sont au cœur de l’islam, comme la bienveillance, la générosité, la paix et le dévouement envers autrui.

Le ramadan nous rappelle qu’il est essentiel de prendre soin les uns des autres, malgré nos différences. Pendant le ramadan, les familles et les amis musulmans jeûnent pendant la journée et rompent le jeûne le soir avec un iftar. Le jeûne du ramadan est l’un des cinq piliers de l’islam. Ces piliers, ou devoirs, constituent la base de la pratique de la religion par les musulmans.

Honorables sénateurs, ce soir, j’ai l’honneur d’organiser un souper iftar dans le foyer du Sénat avec Son Excellence Fahad Saeed Al Raqbani, ambassadeur des Émirats arabes unis au Canada, à 19 heures. La rupture du jeûne commencera à 19 h 25 précises, au coucher du soleil. J’espère sincèrement que vous envisagerez de vous joindre à nous pour un authentique repas du ramadan.

À tous ceux qui observent le mois sacré dans ma province natale de Terre-Neuve-et-Labrador et ailleurs, je souhaite un heureux et paisible ramadan. Au nom de mes collègues sénateurs musulmans — les sénateurs Ataullahjan, Jaffer, Yussuff et Gerba — et en fait au nom de tous les sénateurs, je souhaite Ramadan Moubarak à tous les pratiquants. Je vous remercie. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Michael Spavor, de Yejin Kim, de Simon David Cockerell, de Linda Tung Yu et du petit Cyrus Rongxi Cockerell-Yu. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Woo.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L’honorable Larry W. Smith

Félicitations à l’occasion de son intronisation au Temple de la renommée du football canadien

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, voici l’histoire de Larry Smith, surnommé « Pretty Boy ». Selon ses amis, il était toujours le plus beau gars dans la pièce, et il en était plutôt conscient. J’ai dit qu’il n’a pas changé : ses cheveux sont parfaitement coiffés et il est élégant et charmant. Passons toutefois au football.

En 1972, « Pretty Boy » a été le premier choix du premier tour du repêchage de la Ligue canadienne de football, puis il a joué pendant neuf saisons, toujours en tant que demi-offensif, et a remporté deux championnats de la Coupe Grey en 1974 et 1977. L’année 1975 a toutefois été une autre histoire. Les Eskimos affrontaient les Alouettes à Calgary. Il faisait un froid glacial. Comme c’était la mode, une femme nue a fait irruption sur le terrain pendant la cérémonie d’ouverture. Beaucoup pensaient qu’elle cherchait simplement Larry.

Revenons toutefois au match. Le quart-arrière Jesse « Sonny » Wade fait une passe de 23 verges à Larry. Quelqu’un a entendu Larry dire que cela devrait suffire, mais Don Sweet a manqué un botté de placement et Edmonton a remporté la Coupe Grey par un point. Cependant, Larry avait fait son travail. Il l’a toujours fait. Et il a deux bagues pour le prouver.

Il détient un diplôme en économie et un autre en droit civil. Il a été éditeur de la Montreal Gazette avant de revenir à son sport favori en tant que commissaire de la Ligue canadienne de football en 1992. Étant donné que la ligue était en grande difficulté, il a tenté une expansion aux États-Unis. Cela n’a pas fonctionné, mais il a transféré les Stallions de Baltimore à Montréal, où ils sont devenus les Alouettes.

Sa vision a donné un nouveau souffle à un jeu qui avait auparavant été considéré un peu comme un passe-temps pour les anglophones et en a fait une passion pour toute une province.

Bien sûr, il est devenu par la suite président de cette équipe. Depuis, il est là tous les jours pour la conseiller et la guider et, même, pour l’aider à trouver un propriétaire disposant de gros moyens et lui étant profondément attaché.

Il possède donc un curriculum vitæ impressionnant, très impressionnant même, mais il est aussi aimé. J’ai appelé un ami de Larry l’autre jour. Les deux avaient des carrières presque en tandem, à titre de joueurs puis de présidents de leur organisation respective : les Roughriders de la Saskatchewan et les Alouettes de Montréal. Jim Hopson se souvient de la fois où sa fille et lui se sont rendus en avion à Montréal, à la demande de Larry, pour assister à une partie où ils seraient assis à côté du premier ministre. Montréal a gagné la partie, et le premier ministre a invité Jim et sa fille pour trinquer à la victoire de l’équipe. Larry n’a pas été invité.

Jim a compris par la suite que, comme pour le reste des choses en ce bas monde, il y avait peut-être un peu de considérations politiques en cause.

(1440)

Le premier ministre était Paul Martin. Larry tendait plutôt vers le bleu.

Larry s’est présenté aux élections et il a même songé à se présenter à la course à la direction du parti, mais, au bout du compte, il n’a pas pu résister au chant des sirènes du Sénat. Cependant, il est devenu leader du caucus du Parti conservateur avant de revenir à la raison pour se joindre à notre équipe. Comme l’a dit son ami Jim : « Peut-être qu’il a eu une plus grande carrière de joueur et qu’il était plus beau que moi, mais c’est moi qui a été intronisé le premier! »

Mieux vaut tard que jamais, Larry.

Merci pour votre amour du jeu, votre dévouement au pays, votre compétence, votre détermination, votre sens de l’humour et votre cœur bon et généreux. Nous sommes fiers d’être vos collègues et vos amis.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Craig Smith, président, et de Sean McCarthy, trésorier, de la St. John’s Fire Fighters Association. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Wells.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La vérificatrice générale

Dépôt des rapports du printemps 2023

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les rapports du printemps 2023 de la vérificatrice générale du Canada au Parlement du Canada, conformément à la Loi sur le vérificateur général, L.R.C. 1985, ch. A-17, par. 7(5).

Son Excellence Joe Biden, président des États-Unis d’Amérique

Allocution aux membres du Sénat et de la Chambre des communes—Adoption de la motion visant à imprimer les discours sous forme d’annexe

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que l’adresse de Son Excellence l’honorable Joseph R. Biden, Jr., président des États-Unis d’Amérique, prononcée le vendredi 24 mars 2023 devant les deux Chambres du Parlement, de même que les présentations et les observations qui s’y rapportent, soient imprimées sous forme d’annexe aux Débats du Sénat et constituent partie intégrante des archives de cette Chambre.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(Le texte des discours figure en annexe.)

La Loi de l’impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-241, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (déduction des frais de déplacement pour les gens de métier), accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)

[Traduction]

L’Union interparlementaire

Le Forum parlementaire à l’occasion du Forum politique de haut niveau des Nations unies sur le développement durable, tenu les 12 et 13 juillet 2022—Dépôt du rapport

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Union interparlementaire concernant le Forum parlementaire à l’occasion du Forum politique de haut niveau des Nations unies sur le développement durable, tenu à New York, dans l’État de New York, aux États-Unis, les 12 et 13 juillet 2022.

L’apport commercial et économique des entreprises autochtones à l’économie du Canada

Préavis d’interpellation

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur l’apport commercial et économique continu des entreprises autochtones à l’économie du Canada.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les affaires étrangères

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat et porte sur l’ingérence étrangère dans notre pays.

Sénateur Gold, Global News a rapporté la semaine dernière qu’un député de l’autre endroit :

[...] a conseillé en privé à un haut diplomate chinois en février 2021 que Pékin retarde la libération de Michael Kovrig et Michael Spavor, selon deux sources distinctes de la sécurité nationale.

Ce député a quitté le caucus libéral ce jour-là et, le lendemain, il a voté avec l’opposition afin d’adopter une motion portant que le gouvernement Trudeau lance une enquête publique.

Monsieur le leader, l’allégation visant ce député est très grave. Il est clair qu’une enquête publique doit avoir lieu. Cela ne fait aucun doute. Comment le premier ministre peut-il encore s’accrocher à l’idée qu’une telle enquête est facultative? Elle doit avoir lieu, monsieur le leader. Pourquoi est-il incapable de le voir? Pouvez‑vous le voir?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question.

Le premier ministre a mis en place divers mécanismes pour traiter cette question très importante portant sur des tentatives inacceptables d’autres pays visant à s’ingérer dans nos processus démocratiques. Le mandat accordé au rapporteur spécial, le très honorable David Johnston, lui permettra d’envisager toutes les options, y compris celle de l’enquête publique. Les Canadiens devraient avoir confiance dans la qualité de l’analyse et des conseils qu’il fournira au premier ministre.

Le sénateur Plett : La personne que nous remettons en question et qui ne nous inspire pas confiance n’est pas M. Johnston, mais le premier ministre. Le premier ministre et son Cabinet refusent de dire aux Canadiens ce qu’ils savaient au sujet de l’ingérence de Pékin; ils ont du mal à présenter des récits cohérents.

Toujours selon le reportage de mercredi dernier par Global News, le Cabinet du premier ministre a déclaré « avoir seulement appris qu’il y avait eu une conversation après en avoir été informé par M. Dong, à la suite de questions posées récemment par les médias ».

Vendredi dernier, le Globe and Mail a toutefois fait savoir qu’il avait communiqué avec le Cabinet du premier ministre le 3 mars au sujet de cette conversation, et que le Cabinet du premier ministre avait ensuite demandé au Service canadien du renseignement de sécurité de lui fournir une copie de la transcription de la conversation.

Quelle version est exacte, monsieur le leader : ce que le Cabinet du premier ministre a dit à Global News ou ce qu’il a dit au Globe and Mail? Ou est-ce que les deux versions sont incorrectes? Le Cabinet a déjà été plus habile pour présenter ses récits.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question.

Je crois que les déclarations qui ont été faites reflètent la position du gouvernement et qu’elles peuvent être cohérentes et exactes toutes les deux.

[Français]

La sécurité publique

La Gendarmerie royale du Canada

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. La semaine dernière, une enquête journalistique était publiée dans le cadre de l’émission Enquête de Radio-Canada, dans laquelle on apprenait que la firme de sécurité Neptune avait des contrats avec le gouvernement du Québec, plusieurs entités, de même que le gouvernement du Canada.

L’enquête a révélé les pratiques douteuses de son dirigeant, notamment le fait qu’il portait deux noms, l’un d’eux étant Robert Butler et l’autre étant Badreddine Ahmadoun. Le gouvernement du Québec a pris la chose très au sérieux. L’Autorité des marchés publics a suspendu cette firme pour les cinq prochaines années, puisqu’elle était déjà au fait du dossier.

Que fait le gouvernement du Canada pour les mandats confiés à la firme Neptune, notamment par la Gendarmerie royale du Canada et par le ministère de la Défense nationale?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question. Je devrai faire des recherches auprès du gouvernement et vous fournir une réponse sous peu.

(1450)

Le sénateur Carignan : Comment expliquez-vous que la GRC ait donné des mandats de sécurité à une personne qui utilise deux identités? Également, sous quel nom a-t-elle signé ces mandats avec la GRC?

Le sénateur Gold : Je vais ajouter cela à mes questions.

[Traduction]

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les étudiants étrangers

L’honorable Ratna Omidvar : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, j’aimerais attirer votre attention sur les cas de plus en plus nombreux d’étudiants étrangers subissant de mauvais traitements au Canada. Je crois que nous sommes tous reconnaissants de la contribution de près de 24 milliards de dollars qu’apportent les établissements d’enseignement postsecondaire à l’économie canadienne, mais le côté sombre que révèlent ces mauvais traitements entache notre réputation. J’espère que vous en convenez.

Je suis consciente que l’éducation est une responsabilité provinciale, mais l’octroi des visas d’étudiant relève entièrement du gouvernement fédéral. Pouvez-vous me dire si le gouvernement prend la situation au sérieux et ce qu’il fait, si tant est qu’il fait quelque chose, pour y remédier?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question et d’avoir souligné l’importance de la contribution des étudiants étrangers au Canada. Le gouvernement en est parfaitement conscient et déploie bien des efforts pour encourager et accroître cette contribution.

Comme nous le savons, le gouvernement collabore avec les universités et les collèges de l’ensemble du pays, de même qu’avec les provinces et les territoires, comme vous l’avez justement souligné, pour aider les étudiants étrangers à mieux s’intégrer et s’épanouir au Canada. En fait, l’intervention du gouvernement est encore plus tangible que cela. Elle comprend des investissements dans le cadre de la Stratégie en matière d’éducation internationale s’élevant à 147,9 millions de dollars pour faire en sorte, en collaboration avec les associations et les établissements des provinces et des territoires, que le Canada demeure l’une des meilleures destinations où étudier pour les étudiants étrangers.

En ce qui concerne les visas, le gouvernement, par l’entremise de ses organismes, est déterminé à protéger l’intégrité de notre système d’immigration. En effet, les fonctionnaires sont formés pour repérer la fraude. Ils travaillent fort pour protéger l’intégrité de notre système et continueront de le faire.

Un processus équitable est prévu pour les étudiants qui soupçonnent avoir été victimes de fraude, comme dans les cas faisant l’objet d’allégations dans les médias. Les étudiants auront l’occasion d’expliquer ce qui s’est produit, et les fonctionnaires tiendront évidemment compte de leur témoignage lorsqu’ils se prononceront.

La sénatrice Omidvar : Sénateur Gold, il existe une solution assez simple, soit que le gouvernement fédéral permette aux étudiants étrangers de se prévaloir des mesures de soutien à l’établissement. Ainsi, ils ne risqueraient plus de devenir victimes d’extorsion en ce qui concerne le logement ou d’autres types d’extorsions, qui, comme nous le savons, les ont amenés — il s’agit d’histoires, mais elles sont graves — au suicide, à la traite de personnes à des fins sexuelles, etc.

Le gouvernement envisagerait-il de permettre aux étudiants étrangers dans le besoin partout au pays d’accéder aux mesures de soutien à l’établissement?

Le sénateur Gold : Merci, madame la sénatrice. Je vais certainement porter cette suggestion à l’attention du gouvernement, puis je vous ferai part, si je le peux, de toute décision ou de toute réflexion à ce sujet.

La santé

Les Instituts de recherche en santé du Canada

L’honorable Stan Kutcher : Ma question s’adresse au sénateur Gold.

Sénateur Gold, il est bien connu que le financement fédéral de la recherche dans le domaine de la santé au Canada est en train de prendre du retard par rapport à nos concurrents mondiaux, et nous verrons si cette question sera abordée aujourd’hui dans le budget. À cause de ce retard, il deviendra de plus en plus improbable de pouvoir mener les recherches nécessaires pour maintenir et améliorer la santé des Canadiens.

Par exemple, le taux de réussite du concours de subventions de projets des Instituts de recherche en santé du Canada, ou IRSC, oscillait entre 15 et 20 % ces cinq dernières années, ce qui signifie que, dans le meilleur des cas, seul un candidat sur cinq a été retenu. Pourtant, au cours du processus de présélection des IRSC, au moins 50 % des demandes sont de grande qualité. Un tel décalage entre les taux de réussite et les efforts nécessaires pour obtenir ces subventions est extrêmement décourageant, en particulier pour nos jeunes chercheurs.

Le gouvernement du Canada veillera-t-il à ce que le financement de la recherche en santé par l’intermédiaire des IRSC soit considérablement augmenté afin de maintenir, mais aussi de développer la recherche dans le domaine de la santé? Si le gouvernement ne compte pas le faire maintenant, quand pouvons‑nous espérer qu’il le fera?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Le gouvernement est conscient qu’il est important d’investir dans la recherche fondamentale et de soutenir la communauté des chercheurs canadiens. C’est essentiel pour relever tous les défis auxquels le Canada est confronté, en particulier les défis en matière de santé, qui sont devenus très évidents avec la pandémie. C’est pourquoi, en fait, au cours des cinq dernières années, ces investissements ont connu une augmentation sans précédent.

Dans le seul budget de 2018, le gouvernement a engagé près de 4 milliards de dollars sur une période de cinq ans pour soutenir la prochaine génération de chercheurs canadiens. Dans le budget de 2018 — je passe sous silence un certain nombre d’initiatives et de mesures qui ont été prises entre ces deux budgets —, le gouvernement a annoncé l’octroi de 20 millions de dollars pour étudier les effets à long terme de la COVID et de 20 millions de dollars pour accroître nos connaissances sur la démence et la santé du cerveau. Ces fonds seront versés sur une période de cinq ans par l’entremise des IRSC.

Le gouvernement prend cette question très au sérieux. Il travaille avec les provinces, les territoires et les institutions pour s’assurer que les chercheurs de renommée mondiale reçoivent le soutien qu’ils méritent.

Le sénateur Kutcher : Sénateur Gold, je vous remercie de votre réponse. Toutefois, le problème demeure : les taux d’obtention de financement sont terriblement bas pour les chercheurs canadiens. C’est un énorme problème.

De plus, le Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada a aidé un certain nombre de centres de recherche de renommée internationale à s’établir au pays, mais aucun d’entre eux n’est en mesure d’obtenir des fonds fédéraux pour couvrir les coûts de fonctionnement courants. Par ailleurs, ces centres n’ont accès à aucun programme fédéral, ce qui pourrait les pousser à fermer leurs portes même après avoir fait preuve d’excellence sur la scène internationale.

Que prévoit le gouvernement du Canada pour faire en sorte que les centres de recherche, qui ont été établis grâce à un programme fédéral et qui ont déjà clairement fait preuve d’excellence sur la scène internationale, continuent de recevoir un soutien adéquat afin que le Canada ne perde pas les investissements qu’il a faits?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question, qui est importante. Je n’ai pas la réponse exacte, mais je rappelle aux sénateurs que le gouvernement, en reconnaissant le besoin de soutenir les institutions et les chercheurs, a mis sur pied en octobre dernier le Comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche. Ce comité a été établi pour fournir des conseils d’experts au gouvernement sur la façon de maximiser les retombées de la recherche et de l’innovation en aval qui peuvent en découler.

Le Conseil privé

Réponses aux questions

L’honorable Jim Quinn : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, je comprends la position dans laquelle vous vous trouvez en tant que leader du gouvernement qui doit répondre aux questions posées au Sénat. De surcroît, étant donné la myriade de questions que l’on vous pose, il est déraisonnable de s’attendre à ce que vous ayez toute l’information à portée de main pour tout le gouvernement du Canada. À mon avis, il est tout à fait raisonnable que vous vous renseigniez et que vous fassiez un suivi au sujet des documents parlementaires.

Ce qui me préoccupe, c’est le temps qu’il faut régulièrement pour recevoir des réponses aux questions écrites et des réponses différées. Par exemple, ces dernières semaines, des réponses ont été déposées pour des questions écrites remontant à 2021 et pour plusieurs autres questions qui ont été posées il y a plusieurs mois.

Sénateur Gold, convenez-vous que ces longs délais ont une incidence sur la capacité des sénateurs à s’acquitter de leurs fonctions de parlementaires en les empêchant d’obtenir rapidement des informations sur les politiques du gouvernement?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question.

J’ai dit à maintes reprises dans cette enceinte que le gouvernement prend au sérieux la présentation de réponses à des questions écrites et de réponses différées, et je fais tous les efforts pour que les sénateurs obtiennent des réponses à leurs questions importantes en temps opportun. D’ailleurs, depuis notre retour, en janvier, j’ai présenté des réponses à 21 questions écrites et 61 réponses différées, et il me tarde de pouvoir présenter d’autres réponses au moment opportun.

Je pense que l’aspect qui sous-tend votre question, c’est la façon dont nous pouvons mieux faire les choses. Évidemment, on peut toujours mieux faire. Je dirais que c’est une question que nous pourrions avoir avantage à soumettre au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Il pourrait bien être le mieux placé pour étudier cette question, s’il le souhaite, et pour faire des recommandations que tout le Sénat pourrait prendre en considération.

Le sénateur Quinn : Merci de votre réponse, sénateur Gold. Comme vous l’avez dit dans la deuxième partie de votre réponse, je conviens que nous devrions demander au Comité du Règlement de se pencher là-dessus afin qu’en tant que parlementaires, nous puissions, en quelque sorte, être sur un pied d’égalité avec les gens de l’autre Chambre, qui reçoivent des réponses dans un délai de 45 jours. Il me semble que nous devrions jouir de ce même privilège en tant que parlementaires. Je suis donc heureux d’entendre que vous appuyez l’idée de soumettre cette question au Comité du Règlement. C’était la nature de ma question. Donc, seriez-vous d’accord pour transmettre la question au Comité du Règlement?

(1500)

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question.

De prime abord, je pense qu’il revient au Comité du Règlement de décider si c’est une question qu’il veut examiner et, bien sûr, que le Sénat dans son ensemble doit aussi se pencher là-dessus. Je serai très heureux de participer au nom du gouvernement à de telles discussions pour améliorer le Règlement et le travail que nous effectuons au nom des Canadiens.

Les finances

Le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Tous les sénateurs se souviendront des prêts consentis aux petites entreprises au titre du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes pour les aider à se maintenir à flot lors de la pandémie. Quand le gouvernement Trudeau a dit aux Canadiens que ce programme de prêts était administré par Exportation et développement Canada, nous pensions que c’était le cas. Personne n’avait de raison de croire le contraire.

Le mois dernier, des documents transmis au Globe and Mail à la suite d’une demande d’accès à l’information ont révélé autre chose. En fait, le gouvernement Trudeau a versé à la société d’experts‑conseils Accenture au moins 61 millions de dollars pour administrer ce programme et il ne l’a jamais divulgué.

Monsieur le leader, qu’est-il advenu de la promesse de votre gouvernement d’être ouvert par défaut? Pourquoi a-t-il confié le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes à un sous‑traitant et gardé cette information secrète?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Les programmes gouvernementaux qui ont été mis en place pour aider les Canadiens ont réussi en grande partie à les aider à traverser la pandémie. Le gouvernement a eu recours à l’expertise de la fonction publique, qui a travaillé extrêmement efficacement et avec une diligence sans précédent pour fournir ce qu’elle pouvait. En raison des circonstances extraordinaires entourant la pandémie mondiale ainsi que des exigences et des attentes envers le gouvernement pour qu’il agisse comme il l’a fait, celui-ci a aussi eu recours à des fournisseurs extérieurs pour s’assurer que les Canadiens reçoivent les prestations dont ils avaient besoin.

La sénatrice Martin : Le gouvernement Trudeau n’a jamais révélé de façon proactive qu’Accenture administrait le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes. Il n’a pas transmis cette information aux parlementaires et aux contribuables. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a dit au Globe and Mail qu’elle avait des milliers de contrats avec le gouvernement Trudeau visant divers aspects des prêts consentis au titre de ce programme et qu’elle n’avait aucune idée du rôle prépondérant joué par Accenture. Exportation et développement Canada a reconnu que cette entente se poursuit. Nous avons donc des raisons de croire que le gouvernement Trudeau a remis plus de 61 millions de dollars à Accenture.

Monsieur le leader, quelle est la valeur totale des contrats octroyés jusqu’à maintenant à Accenture pour administrer les prêts au titre du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes et quelle somme supplémentaire l’entreprise recevra-t-elle?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je n’ai pas cette information, mais je vais m’informer.

Les affaires étrangères

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, en 2016, à peu près au moment où le premier ministre organisait des activités de collecte de fonds payantes avec de riches donateurs liés au Parti communiste chinois à Pékin, son autobiographie a été republiée par une entreprise d’État qui fait office de service de propagande pour le régime communiste chinois. Lorsque les médias ont révélé cette affaire en 2021, l’ancien conseiller à la sécurité nationale du premier ministre, Richard Fadden, a indiqué qu’il aurait fortement recommandé au premier ministre de refuser, car il s’agissait d’un stratagème classique pour se rapprocher de lui.

J’ai une question écrite au Feuilleton depuis novembre 2021, monsieur le leader, à savoir si le Cabinet du premier ministre ou le Bureau du Conseil privé ont reçu des avertissements en matière de sécurité concernant la republication de l’autobiographie du premier ministre. J’ai également demandé si Affaires mondiales Canada avait fourni des conseils à ce sujet.

Monsieur le leader, pourquoi le gouvernement Trudeau ne veut-il pas répondre à mes questions? Voudrait-il aussi que le Comité du Règlement s’en occupe?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Je regrette que vous n’ayez pas encore reçu de réponse. Je ne manquerai pas de me renseigner pour voir si je peux accélérer les choses.

Le sénateur Plett : Eh bien, au moins la réponse est brève.

En septembre 2021, le Globe and Mail a rapporté que dans le texte promotionnel du livre publié en Chine, on mentionnait qu’au début du premier mandat de M. Trudeau, il avait fait adhérer le Canada à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, qui est dirigée par Pékin, et ce malgré les objections des États-Unis. Il est intéressant que Pékin ait choisi cet exemple dans la publicité de l’ouvrage du premier ministre, alors que le gouvernement Trudeau reste très discret au sujet de cette banque.

Il y a deux questions inscrites à mon nom au Feuilleton du Sénat à ce sujet. L’une d’entre elles, qui y figure depuis près d’un an, demande si le gouvernement Trudeau effectuera d’autres versements à cette banque. L’autre question figure au Feuilleton depuis deux ans, monsieur le leader. Quel est l’intérêt pour nous de soumettre des questions écrites si elles doivent demeurer au Feuilleton deux ans — depuis mars 2021? La question demande combien d’emplois de la classe moyenne ont été créés ici au Canada en envoyant l’argent des contribuables à cette banque. Il s’agit d’une question simple.

Pourquoi le gouvernement Trudeau ne veut-il pas répondre à ces questions, monsieur le leader? Pourquoi ne voulez-vous pas répondre à ces questions? Vous avez certainement les ressources nécessaires pour faire des recherches et obtenir ces réponses.

Le sénateur Gold : En effet, merci de votre question. Je dispose de ressources et je les utilise. Je vais m’efforcer de vous rapporter les réponses que vous cherchez.

Les objectifs de développement durable des Nations unies

L’honorable Marilou McPhedran : Sénateur Gold, hier, la vérificatrice générale du Canada a publié un rapport qui souligne qu’Affaires mondiales Canada n’est pas parvenu à démontrer comment l’aide bilatérale au développement totalisant environ 3,5 milliards de dollars qu’il accorde chaque année aux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire a permis d’améliorer les résultats pour les femmes et les filles. La vérificatrice générale n’a pas critiqué la Politique d’aide internationale féministe du gouvernement, mais elle a noté de graves lacunes en ce qui concerne la production de rapports et la reddition de comptes qui visent à faire un suivi des progrès réalisés vers l’atteinte des objectifs de la politique.

Les recherches démontrent clairement que les cheffes de file locales ont un effet multiplicateur crucial en matière de développement social, économique et démocratique, parce que les femmes investissent généralement une plus grande partie de leurs revenus dans leurs enfants et leur famille et parce qu’elles n’abandonnent jamais.

Il est essentiel d’investir dans l’autonomisation des femmes pour réduire la pauvreté, mettre un terme à la faim, promouvoir la démocratie et atteindre les engagements à l’égard des objectifs de développement durable des Nations unies. Les conclusions du rapport de la vérificatrice générale montrent malheureusement qu’Affaires mondiales Canada a raté une occasion de recueillir des données probantes qui démontreraient la valeur de la Politique d’aide internationale féministe du Canada et dynamiseraient le travail vers l’atteinte de ces objectifs internationaux essentiels.

Sénateur Gold, que fait le gouvernement pour corriger les lacunes constatées dans les pratiques d’Affaires mondiales?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Le gouvernement accorde une grande importance au travail de la vérificatrice générale. Il prend ses recommandations au sérieux et il déploie les efforts requis pour améliorer l’efficacité et l’incidence de ses processus.

Le gouvernement a mis en œuvre un programme ambitieux — car il s’agit réellement d’un programme ambitieux —, mais le défi n’est pas seulement de recueillir les données sur chaque élément du programme, mais aussi de les ventiler aux fins d’analyse. Pour tous les projets que nous finançons, il est primordial d’évaluer le résultat des efforts déployés sur le terrain pour améliorer la vie des femmes et des enfants.

Le gouvernement a investi des sommes considérables. En fait, en 2021-2022, 99 % de l’aide bilatérale au développement versée par le Canada ciblait ou intégrait des résultats en matière d’égalité entre les sexes. C’est plus élevé que la cible de 95 % que le gouvernement s’était lui-même imposée pour 2022.

Le calendrier est aussi un facteur à prendre en considération. Quand les programmes sont mis en œuvre, les fonds sont transférés. Ainsi, les écoles, les installations d’approvisionnement en eau potable et les autres installations du genre sont construites, mais la collecte de données et leur analyse nécessitent plus de temps.

Le gouvernement est déterminé et il pense qu’il commence à avoir en sa possession suffisamment de données pour pouvoir les regrouper et les analyser adéquatement. Il veut s’assurer que l’argent des contribuables est dépensé judicieusement et qu’il donne les résultats recherchés pour changer les choses.

La sénatrice McPhedran : Sénateur Gold, la vérificatrice générale a soulevé des points très précis dans son rapport. Puis-je demander explicitement, dans le cadre de ma question, si les réponses à ces préoccupations qui nous seront données mettront précisément l’accent sur l’autonomisation des femmes et des filles, et les résultats concrets qui leur permettent d’améliorer leurs conditions de vie?

(1510)

Le sénateur Gold : Je vais certainement me renseigner, sénatrice, mais, comme j’ai essayé de le dire dans ma réponse, le fait est que, comme l’a constaté la vérificatrice générale, les données n’ont pas encore été entièrement recueillies et analysées. Le gouvernement s’engage à le faire, il lui faudra simplement du temps. Je ferai de mon mieux pour obtenir au moins un rapport d’étape pour que nous puissions savoir si nous allons dans la bonne direction. Je suis fermement convaincu que c’est le cas.

Les pêches et les océans

La protection des cétacés

L’honorable Marty Klyne : Sénateur Gold, des gens du monde entier sont attristés par la mort récente de Kiska, l’orque la plus solitaire du monde et la dernière orque en captivité du Canada. Capturée en 1979, elle a eu cinq petits qui sont morts en bas âge et a vécu seule à Marineland, à Niagara Falls, pendant plus d’une décennie.

Kiska a également inspiré l’interdiction au Canada de toute nouvelle mise en captivité de baleines et de dauphins. Cependant, Marineland détient toujours plus de 30 bélugas et 5 dauphins en captivité et prévoit vendre le parc. De nombreux Canadiens espèrent que les baleines restantes seront transférées dans un sanctuaire dont l’aménagement est prévu en Nouvelle-Écosse ou, sinon, dans les meilleurs endroits possible.

Le gouvernement du Canada soutient-il cet objectif? Comment le public peut-il collaborer avec le gouvernement pour établir des priorités et accélérer l’aide apportée à ces baleines?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Le bien-être des espèces marines est une priorité du gouvernement, qui reste, par l’entremise de Pêches et Océans Canada, engagé à protéger le bien-être des cétacés en fonction des pouvoirs qui lui sont conférés.

Comme vous le savez, le projet de loi S-203 a reçu la sanction royale. Par conséquent, il est désormais interdit de détenir des cétacés en captivité au Canada au titre de la Loi sur les pêches et du Code criminel.

Il y a des amendements et des exemptions — je ne les répéterai pas. Si le ministère reçoit une demande de déplacement d’un cétacé vers une autre installation, il examinera la demande et s’appuiera sur les politiques en place afin de prendre une décision quant à la délivrance ou non du permis approprié exigé par la Loi sur les pêches.

Comme vous le savez, au Canada, les parcs aquatiques et les zoos, les lois sur les soins aux animaux et la propriété privée d’animaux — comme Kiska — sont de compétence provinciale. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer et il le remplira de manière responsable.

L’environnement et le changement climatique

Les cibles du Canada en matière de réduction des émissions

L’honorable Mary Coyle : Ma question s’adresse au sénateur Gold et elle porte un peu plus sur les données probantes et scientifiques.

La semaine dernière, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GEIC, a publié un résumé des données scientifiques des huit dernières années sur les changements climatiques à l’intention des décideurs. Selon le document, bien que les températures mondiales aient déjà augmenté de 1,5 degré Celsius, il est encore possible, quoique de plus en plus difficile, de les maintenir en deçà de la cible de 1,5 degré si des mesures sont prises en toute urgence.

Au cours de l’annonce du rapport, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a présenté son programme d’accélération, un plan global axé sur le rapport du GEIC qui demande aux pays développés de s’engager à atteindre la carboneutralité d’ici à 2040.

Comme nous le savons, le Canada s’est engagé à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, l’objectif convenu précédemment, et dispose de cibles et d’un plan pour atteindre cet objectif.

Ma question, sénateur Gold, est la suivante : le Canada va-t-il rajuster ses cibles et ses plans nationaux de réduction des émissions en fonction de ces nouvelles données scientifiques et reverra-t-il à la hausse ses ambitions et accélérera-t-il son programme afin d’atteindre la carboneutralité d’ici 2040?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Depuis 2015, le gouvernement s’est engagé à dépenser plus de 120 milliards de dollars et a mis en place plus d’une centaine de mesures à l’appui de la protection de l’environnement et de l’atténuation des changements climatiques, notamment l’interdiction des plastiques à usage unique, la tarification de la pollution et la réduction du prix des véhicules zéro émission pour qu’ils soient plus abordables. Toutes ces mesures découlent simplement du fait scientifique brut que la lutte contre les changements climatiques ne peut pas être arrêtée.

En ce qui concerne le rapport dont vous avez parlé, le ministre Guilbeault a répondu très clairement qu’il allait examiner de très près — je crois que c’est ce qu’il a dit — s’il nous est possible d’atteindre nos cibles à long terme en matière d’émissions de gaz à effet de serre 10 ans plus tôt que prévu. Cette question est actuellement à l’étude par le ministre, et lui et son équipe examineront très attentivement le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.


ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : la deuxième lecture du projet de loi C-18, suivie de l’étude de la motion no 91, suivie de la deuxième lecture du projet de loi C-43, suivie de la deuxième lecture du projet de loi C-44, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.

Projet de loi sur les nouvelles en ligne

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Harder, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Bellemare, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-18, qui vise à renforcer l’équité sur le marché des nouvelles et qui est parrainé par le sénateur Harder.

Ce projet de loi est un outil nécessaire afin d’uniformiser les règles du jeu pour les éditeurs canadiens. Depuis des années, l’industrie de l’édition se fait éclipser sans que le gouvernement intervienne. Les gouvernements sont restés les bras croisés pendant que l’industrie, qui était autrefois composée de journaux locaux qui appartenaient à des propriétaires locaux et qui avaient à cœur les histoires locales, a été supplantée par des conglomérats et les géants du Web. Ces grandes sociétés ont fait disparaître des journaux communautaires, consolidé de grands journaux et mis en place des plateformes en ligne qui sont devenues la source d’information la plus importante.

Les grandes entreprises technologiques comme Google et Facebook ont supplanté l’industrie canadienne de l’édition et elles sont loin de payer aux éditeurs un prix juste pour obtenir le droit de diffuser le fruit de leur travail. Le journalisme est un pilier de notre démocratie, et nous devons corriger cette situation. Le projet de loi C-18 est un début prometteur.

Le débat sur le projet de loi C-18 s’est concentré sur Google, le moteur de recherche le plus populaire au monde, et sur Meta, l’entreprise qui possède Facebook. Les deux plateformes sont utilisées par des millions de Canadiens et elles offrent des outils qui leur permettent de communiquer avec leurs amis et leur famille et d’accéder à de l’information.

Elles sont devenues des passerelles reliant les gens et les nouvelles, surtout les nouvelles locales. Malheureusement, aucune des entreprises ne s’est acquittée de la responsabilité inhérente à ce nouveau rôle, notamment en ce qui concerne la protection et la promotion de la liberté d’expression, et le traitement équitable des éditeurs canadiens lorsqu’elles diffusent le fruit de leur travail.

Ces géants du Web monétisent pour leur profit le travail de ceux qui publient du contenu en ligne, récoltent des données sur les lecteurs et cherchent à dominer le secteur de la publicité en ligne.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi, j’ai mis à profit mon expérience d’ancien éditeur et PDG de deux quotidiens importants de Saskatchewan. C’est à cette époque que j’ai pu constater de première main ce qu’impliquait la gestion d’un journal à l’ère numérique. Le modèle d’affaires est simple : les éditeurs — qu’il s’agisse de publications en ligne ou de journaux au format papier — dépendent des revenus de la publicité et des abonnements pour financer leurs activités.

Les publicités servent à financer la salle de rédaction, le matériel et le salaire de tous ceux qui contribuent au miracle de la publication d’un quotidien, comme cela se fait depuis plus d’un siècle.

Ce système a bien fonctionné pendant des années, même lorsqu’Internet est arrivé et qu’il a chamboulé l’industrie. Or, de nos jours, la situation n’est plus la même et les éditeurs n’arrivent plus à obtenir une juste rémunération pour leur travail.

Permettez-moi de déboulonner certains mythes au sujet de ce projet de loi et de l’industrie de l’édition. Premièrement, j’aimerais réfuter l’idée voulant que les éditeurs aient fait peu d’effort pour adapter leurs produits lorsqu’Internet a commencé à s’implanter dans le secteur de l’édition. C’est une fausseté. Les éditeurs ont déployé énormément d’efforts pour présenter leurs produits sur de nombreuses plateformes. Ils ont adapté leur contenu de nouvelles et leur publicité, en fonction de la plateforme utilisée par le lecteur, soit l’ordinateur portable, le téléphone cellulaire, la tablette ou le journal. Malheureusement, ces efforts ont été contrecarrés par les pratiques publicitaires déloyales de Google, dont je parlerai plus en détail dans un moment.

Deuxièmement, je me penche sur les affirmations voulant que ce projet de loi serve à subventionner les médias traditionnels. Voilà encore une fausseté. Le projet de loi C-18 ne vise pas à préserver les vieux modèles, il vise à s’assurer que les éditeurs canadiens soient convenablement rémunérés pour leur travail. Le projet de loi C-18 n’a nullement pour but de soutenir les médias traditionnels.

Enfin, je tiens à ce qu’il soit clair que le partage du contenu de nouvelles d’une autre entreprise sans indemnisation adéquate ne constitue pas une bonne pratique commerciale. En fait, c’est une pratique injuste qui nuit à la liberté de presse. Priver les créateurs de contenu d’une rémunération adéquate nuit à la création. Bref, cela signifie qu’il y aura moins de contenu sur les plateformes et moins de nouvelles crédibles pour les Canadiens.

Évidemment, l’utilisation du travail d’une autre personne sans réciprocité n’est pas une nouveauté dans l’industrie de l’édition. Les stations de radio ont raffiné la pratique de la reprise laconique de l’information depuis des décennies. Cependant, avec l’avènement de plateformes comme Google et Facebook, cette pratique a atteint de nouveaux sommets.

Google n’est pas uniquement le principal moteur de recherche mondial, l’entreprise est devenue l’agence de publicité en ligne qui tient le haut du pavé numérique. Cette affirmation n’est pas exagérée. Google a effectivement la mainmise sur le marché du placement de la publicité en ligne et ses pratiques anticoncurrentielles font qu’il est difficile pour les éditeurs d’obtenir leur juste part du placement de la publicité et, partant, de prospérer et de payer leurs activités publicitaires.

(1520)

Chers collègues, permettez-moi de présenter rapidement l’historique du volet publicitaire de Google et, du même coup, de définir en partie le problème à l’étude. Au début des années 2000, Google a commencé à accroître sa présence dans le monde de la publicité en ligne. Il semble que son objectif n’était pas seulement d’être concurrentiel dans ce domaine, mais bien de le dominer. Comme un article publié récemment dans le National Post le souligne : « Google n’avait pas pour stratégie de demeurer un moteur de recherche, mais plutôt de prendre de l’expansion et de contrôler toute la publicité en ligne. »

Atteindre cet objectif n’avait toutefois rien de simple. Pour contrôler la publicité en ligne, Google devait tout d’abord prendre le contrôle de ses concurrents. Au début des années 2000, Google a donc acquis DoubleClick, qui détenait une part de marché de 60 % dans le logiciel que les diffuseurs utilisaient pour vendre des publicités sur les sites Web. De prime abord, l’achat de DoubleClick par Google avait peut-être l’air d’une simple transaction d’affaires, mais il a changé à tout jamais la façon d’acheter et de vendre des publicités numériques. Grâce à l’achat de DoubleClick, Google possédait le marché : il avait désormais une énorme liste d’annonceurs et était propriétaire d’une grande partie de l’espace publicitaire en ligne.

Google était aussi propriétaire de AdX, un réseau d’échange de publicités qui créait des ponts entre acheteurs et vendeurs. L’entreprise avait donc pratiquement le monopole de la publicité en ligne; on pourrait peut-être parler d’un quasi-monopole. C’est encore le cas aujourd’hui, et les diffuseurs canadiens ont essayé en vain d’être compétitifs dans un monde numérique où les acheteurs, les vendeurs et les courtiers en publicité font tous affaire avec un petit nombre d’entreprises chapeautées par la même organisation.

Les chiffres ne mentent pas. Selon le département de la Justice des États-Unis, Google détient 90 % de l’inventaire du côté de la vente sur le marché de la publicité numérique. Autrement dit, Google contrôle la quasi-totalité de l’espace de marché que les éditeurs utilisent pour vendre des publicités sur leurs sites Web. Selon ses propres estimations, Google recueille « [...] en moyenne plus de 30 % des recettes publicitaires qui transitent par ses produits technologiques de publicité numérique [...] ». Je ne comprends pas pourquoi la Commission fédérale du commerce des États-Unis n’a pas bloqué l’acquisition de DoubleClick par Google en 2007, mais c’est la réalité avec laquelle les éditeurs doivent vivre.

La situation est devenue si grave que le procureur général des États-Unis a récemment intenté une poursuite antitrust contre Google pour avoir monopolisé les technologies de la publicité numérique. Le Royaume-Uni a lancé une poursuite semblable. La poursuite intentée par les États-Unis soutient que Google s’est engagée dans « [...] une campagne systématique pour prendre le contrôle [...] » du marché de la publicité en ligne, et estime en outre :

[...] qu’une concurrence accrue entre (sa plateforme publicitaire) AdX et les éditeurs [...] augmenterait les revenus des éditeurs de 30 % à 40 %.

Ces statistiques soulignent un fait simple : les éditeurs canadiens sont obligés de faire affaire avec Google, parce que Google est pratiquement le seul joueur sur le marché. Ainsi, Google peut fixer les conditions et elle refuse d’accorder aux éditeurs leur juste part depuis des années.

Certains ont critiqué le projet de loi C-18 en disant qu’on s’en sert pour soutenir des éditeurs qui n’ont pas su s’adapter. Cela ne tient pas la route. Je le sais, parce que j’ai travaillé dans ce domaine à l’époque où les Canadiens ont fait leur entrée dans l’ère numérique. Les éditeurs traditionnels ont fait énormément d’efforts pour assurer la transition vers le Web, et on a vu apparaître bon nombre de nouveaux éditeurs privilégiant le numérique. Les éditeurs traditionnels et les nouvelles entreprises ont fait de leur mieux, mais ils ne pouvaient tout simplement pas et ne peuvent toujours pas soutenir la concurrence dans un domaine où on les empêche d’être rémunérés de manière équitable. Ce n’est pas que les éditeurs canadiens ne peuvent pas ou ne veulent pas s’adapter, et ils ne laissent pas entendre que l’argent de Google leur revient de droit. Ils demandent simplement à recevoir un montant équitable.

J’aimerais aussi parler de la façon dont Google a réagi publiquement au projet de loi C-18, et faire part de mes préoccupations à l’égard des mesures prises récemment par l’entreprise. En février, Google a pris la décision de restreindre l’accès des utilisateurs canadiens au contenu journalistique qui se trouve sur son moteur de recherche, et l’entreprise a expliqué que cela faisait partie des tests qu’elle effectuait en réponse au projet de loi. Lorsque Google a témoigné au Comité du patrimoine canadien de la Chambre des communes, le 10 mars, nous avons appris que les tests touchaient « [...] moins de 4 % des utilisateurs canadiens ». Ce chiffre peut sembler modeste, mais quand on sait que Google compte plus de 30 millions d’utilisateurs au pays, cela représente plus de 1 million de Canadiens dont on restreint l’accès à du contenu journalistique.

Google a le droit d’apporter des changements à ses produits, de procéder à des tests et de modifier ses services. Rien de tout cela n’est remis en question. Toutefois, quand Google décide d’empêcher des Canadiens de voir des articles publiés par leurs éditeurs locaux, cela équivaut à de l’intimidation sur la place publique. Nous avons la responsabilité de dénoncer ce comportement.

Nous avons observé ce type d’agression de la part de Google et de Meta auparavant. En décembre 2020, le gouvernement australien a présenté une mesure législative qui obligeait Facebook et Google à payer les médias locaux pour avoir le droit de diffuser leur contenu. Entre le moment où la mesure législative a été présentée et le moment où elle a été adoptée, les deux entreprises ont déployé des efforts considérables en Australie pour résister à la loi. Google a menacé de retirer sa fonction de recherche du pays, et Facebook a empêché temporairement les nouvelles et les publications australiennes d’être diffusées sur sa plateforme. Selon des messages internes de l’entreprise qui ont fait l’objet d’une fuite, pendant cette période, Facebook est allé jusqu’à bloquer des pages des services de police locaux et du gouvernement qui contenaient de l’information sur la santé publique.

Les récentes actions de Google semblent indiquer que l’entreprise cherche la bagarre. Et maintenant, comme elle l’a fait en Australie, Facebook menace de bloquer les contenus de nouvelles au Canada si le projet de loi C-18 est adopté. Nous avons déjà une idée de la façon dont cela se passera : Google a finalement renoncé à sa menace de retirer son moteur de recherche de l’Australie, et Facebook a rétabli la fonction permettant de partager des articles d’actualité dans ce pays après quelques jours. J’espérais que ces deux entreprises tireraient des leçons de leurs expériences et qu’elles adopteraient une approche plus responsable au Canada, mais cela ne semble pas être le cas.

En menaçant de bloquer l’accès des Canadiens aux informations locales avant même la tenue du vote au Sénat, Google et Facebook ont fait ressortir la nécessité du projet de loi. Ces entreprises ont un pouvoir énorme sur ce que les Canadiens voient en ligne. En choisissant de restreindre l’accès des Canadiens, elles ont rappelé à ces mêmes Canadiens la valeur des nouvelles locales pour les collectivités. Elles leur ont rappelé qu’il leur est vital d’avoir accès à des nouvelles et à des informations locales qui sont éclairantes, intéressantes et divertissantes, et que des sociétés privées semblent s’attaquer à ce qui leur fournit non seulement des informations sur l’actualité, mais aussi, à bien des égards, un répit. Ces sociétés pourraient se rendre compte qu’une baisse de l’audience entraîne une baisse des recettes publicitaires.

Dans une mise à jour de son rapport de 2017 intitulé Le miroir éclaté, le Forum des politiques publiques indique :

Au Canada, chaque communauté continue de s’intéresser à ce qui se passe chez elle. Google et Facebook n’ont pas supprimé la soif de nouvelles locales. Mais les deux géants américains ont drainé la publicité qui était le pilier économique de la nouvelle locale.

Quand on examine les recettes publicitaires des journaux communautaires, on constate que ces mots sonnent juste. Médias d’Info Canada estime que les recettes publicitaires des journaux communautaires ont diminué de 66 %, passant de 1,21 milliard de dollars en 2011 à 411 millions de dollars en 2020.

Nous savons que cette mesure législative peut fonctionner; c’est ce que l’on a constaté en Australie. Depuis que ce pays a adopté sa mesure législative, Google et Facebook ont en effet conclu des ententes avec des éditeurs d’une valeur de 200 millions de dollars australiens par année. Le Canada a besoin du projet de loi C-18 pour que les éditeurs d’ici puissent continuer à faire ce qu’ils font le mieux : demander des comptes aux gens influents, ce qui, à toutes fins utiles, constitue un pilier de la démocratie.

Chers collègues, le journalisme crédible est la pierre angulaire de notre démocratie. J’appuie le projet de loi C-18, car il vise à soutenir le rôle du journalisme d’enquête dans notre société démocratique. Le journalisme joue un rôle important en exigeant des comptes des tenants du pouvoir. Il contribue à faire en sorte que les citoyens soient bien informés afin qu’ils puissent prendre des décisions éclairées au sujet des politiques qui affectent leur vie. Dans une société complexe et de plus en plus mondialisée, il est plus important que jamais d’être en mesure de filtrer les parasites afin de pouvoir trouver des sources d’information fiables. À cette fin, il faut exiger que des géants du Web comme Google et Facebook traitent de manière équitable les éditeurs canadiens et, par conséquent, le travail utile des journalistes d’enquête. Le Parlement peut faire en sorte que cela se réalise. En tant que sénateur, j’ai le devoir d’appuyer le projet de loi C-18. Je crois dans le renforcement de cette pierre angulaire de notre démocratie, et c’est pourquoi j’ai créé une bourse d’études en journalisme à l’Université de Regina. Chers collègues de tous les groupes, je vous prie de renvoyer rapidement ce projet de loi au comité.

Merci, hiy kitatamihin.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le Sénat

Adoption de la motion concernant la séance du mercredi 29 mars 2023 et tendant à autoriser les comités à siéger en même temps que le Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 23 mars 2023, propose :

Que, nonobstant l’ordre adopté par le Sénat le 21 septembre 2022, la séance du mercredi 29 mars 2023 continue au-delà de 16 heures, si les affaires du gouvernement ne sont pas encore terminées, et soit levée à la fin des affaires du gouvernement ou à minuit, selon la première éventualité;

Que l’application de l’article 3-3(1) du Règlement soit suspendue ce jour-là;

Que les comités sénatoriaux devant se réunir ce jour-là afin d’étudier la législation du gouvernement soient autorisés à se réunir après 16 heures, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(1530)

Projet de loi de crédits no 5 pour 2022-2023

Deuxième lecture

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-43, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2023, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-43, qui met en œuvre le Budget supplémentaire des dépenses (C) de 2022-2023.

Dans le cadre de mon intervention de demain, à l’étape de la troisième lecture, j’ai l’intention de parler plus longuement des postes de dépenses qui figurent dans le projet de loi C-43.

Si elles sont approuvées par le Parlement, les dépenses budgétaires votées pour l’exercice en cours augmenteront de 4,7 milliards de dollars, soit 2,1 %, pour atteindre un total de 224,6 milliards de dollars. Une grande partie des nouvelles dépenses votées vise à fournir une aide militaire à l’Ukraine, à aider les pays en développement à atténuer les effets des changements climatiques, à rembourser les Premières Nations et les fournisseurs de services de gestion des urgences pour les interventions et les opérations de rétablissement dans les réserves, à radier les prêts irrécouvrables aux étudiants et aux apprentis, et à préserver la capacité et les niveaux de service actuels des centres d’appels de l’Agence du revenu du Canada.

À titre d’information, le budget montre également les modifications aux dépenses législatives prévues. Les dépenses budgétaires législatives devraient augmenter de 5,6 milliards de dollars, soit 2,6 %, pour atteindre un total de 218,7 milliards de dollars.

Avant de conclure mes brèves observations, je profite de l’occasion pour remercier le Comité sénatorial permanent des finances nationales de son étude et remercier à l’avance la sénatrice Marshall de son travail en tant que porte-parole pour le projet de loi. Merci. Meegwetch.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les oui l’emportent.

Je vois deux sénateurs se lever.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente intérimaire : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Une voix : Trente minutes.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Convoquez les sénateurs pour un vote à 16 h 3.

(1600)

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois :

POUR
Les honorables sénateurs

Arnot Jaffer
Audette Klyne
Bellemare Kutcher
Bernard LaBoucane-Benson
Black Lankin
Boehm Loffreda
Boniface Marwah
Bovey Massicotte
Boyer McCallum
Brazeau McPhedran
Burey Mégie
Cardozo Miville-Dechêne
Clement Moncion
Cordy Moodie
Cormier Omidvar
Cotter Osler
Coyle Pate
Dagenais Patterson (Nunavut)
Dalphond Patterson (Ontario)
Dasko Petitclerc
Deacon (Nouvelle-Écosse) Quinn
Deacon (Ontario) Ravalia
Dean Ringuette
Downe Saint-Germain
Duncan Shugart
Dupuis Simons
Forest Smith
Francis Sorensen
Gagné Tannas
Gold Verner
Greenwood Wallin
Harder Woo
Hartling Yussuff—66

CONTRE
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Marshall
Batters Martin
Boisvenu Plett
Carignan Poirier
Housakos Richards
MacDonald Seidman
Manning Wells—14

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Gagné, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

Projet de loi de crédits no 1 pour 2023-2024

Deuxième lecture

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-44, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2024, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénatrices et sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui, même si ce n’est que brièvement, au sujet du projet de loi C-44, le projet de loi de crédits no 1 pour 2023-2024. Le financement du Budget principal des dépenses de 2023-2024 est demandé au moyen de ce projet de loi de crédits provisoires et du projet de loi visant la totalité des crédits qui sera mis au vote en juin.

Le projet de loi C-44, portant sur des crédits provisoires, vise à affecter des fonds aux organisations fédérales pour les trois premiers mois de l’exercice financier. Il vise à retirer 89,7 milliards de dollars de fonds du Trésor.

Je tiens encore une fois à remercier les membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales de leur travail acharné et minutieux, et ce, dans un délai relativement serré. Le comité a entendu les témoins de plus de huit ministères. Des représentants d’Infrastructure Canada, d’Emploi et Développement social Canada, d’Affaires mondiales Canada et du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ont notamment comparu devant le comité.

Je donnerai plus de détails sur le projet de loi à l’étape de la troisième lecture.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Une voix : Quinze minutes.

Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 16 h 28.

Convoquez les sénateurs.

(1620)

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois :

POUR
Les honorables sénateurs

Arnot Jaffer
Audette Klyne
Bellemare Kutcher
Bernard LaBoucane-Benson
Black Lankin
Boehm Loffreda
Boniface Marwah
Bovey Massicotte
Boyer McCallum
Brazeau McPhedran
Burey Mégie
Cardozo Miville-Dechêne
Clement Moncion
Cordy Moodie
Cormier Omidvar
Cotter Osler
Coyle Pate
Dagenais Patterson (Nunavut)
Dalphond Patterson (Ontario)
Dasko Petitclerc
Deacon (Nouvelle-Écosse) Quinn
Deacon (Ontario) Ravalia
Dean Ringuette
Downe Saint-Germain
Duncan Shugart
Dupuis Simons
Forest Smith
Francis Sorensen
Gagné Tannas
Galvez Verner
Gold Wallin
Greenwood Woo
Harder Yussuff—67
Hartling

CONTRE
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Marshall
Batters Martin
Boisvenu Plett
Carignan Poirier
Housakos Richards
MacDonald Seidman
Manning Wells—14

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Gagné, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1630)

Régie interne, budgets et administration

Adoption de la motion concernant la composition des sous-comités

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 23 mars 2023, propose :

Que, nonobstant les dispositions de l’article 12-12(1) du Règlement, le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration soit autorisé à nommer des sénateurs qui ne sont pas membres du comité à ses sous‑comités, sous réserve qu’il soit entendu qu’aucun membre du Comité permanent de l’audit et de la surveillance ne peut être nommé à un sous-comité en vertu du présent ordre.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Français]

Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie

Troisième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Julie Miville-Dechêne propose que le projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-210 sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie. Je suis la marraine de cette initiative depuis deux ans et demi et c’est la deuxième fois que le Sénat tient un débat à l’étape de la troisième lecture. Le projet de loi que nous étudions a été amélioré grâce à ce processus.

Je tiens à remercier chaleureusement tous les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et particulièrement sa présidente de l’époque, la sénatrice Mobina Jaffer. Je remercie également la porte-parole du projet de loi S-210, la sénatrice Yonah Martin, notre légiste, Marc-André Roy, et le personnel de mon bureau, les juristes To-Yen Tran et Jérôme Lussier, de leur travail inestimable. Ils y ont cru.

J’ai porté ce projet de loi avec conviction parce qu’il a fait appel à mes identités multiples.

Je suis mère, et mes deux enfants sont de la génération qui a eu accès aux premiers sites pornographiques gratuits. Alors que, jusqu’alors, les contenus sexuellement explicites étaient réservés aux adultes, soudain, plus rien n’empêchait les enfants d’avoir accès à de la pornographie sur Internet. À l’époque comme aujourd’hui, les parents sont impuissants face à cette extrême accessibilité et une totale absence de contrôle.

Je suis aussi féministe et je crains que l’exposition des jeunes à la pornographie ne menace l’égalité femmes-hommes dans l’intimité. Trop souvent, la porno encourage et normalise des pratiques sexistes de domination qui contredisent directement les valeurs que nous souhaitons inculquer aux jeunes hommes et aux jeunes femmes. Selon un rapport publié la semaine dernière par la commissaire à l’enfance du Royaume-Uni, 47 % des jeunes Anglais estiment que les filles s’attendent à ce que les rapports sexuels impliquent une agression physique, et 42 % pensent que la plupart des filles apprécient les actes d’agression sexuelle.

Enfin, pour moi qui ai toujours cru à l’importance d’une éducation à la sexualité égalitaire et complète à l’école, il est clair que l’avalanche de pornographie en ligne a des effets néfastes pour les jeunes. Entre autres problèmes, les adolescents et les adolescentes qui consomment de la pornographie développent des attentes irréalistes quant à leur corps, à ce qui est attendu d’eux et d’elles et à ce qu’ils ou elles sont censés rechercher dans l’amour.

(1640)

À la base, le projet de loi S-210 repose sur une idée simple : protéger les enfants de la pornographie dans le monde virtuel comme nous les protégeons de la pornographie dans le monde réel.

Il y a une vingtaine d’années, la pornographie était encore largement réservée aux adultes, et ce, même sur Internet. Or, l’arrivée massive de sites pornos gratuits a tout changé. Ces entreprises cherchent à maximiser leur auditoire et ne contrôlent d’aucune façon l’âge des utilisateurs. On estime par exemple que la clientèle de Pornhub, une entreprise basée à Montréal, est composée à 14 % de mineurs qui peuvent avoir accès, sans limites, à des millions et des millions de vidéos pornos, souvent violentes et dégradantes.

C’est une question pressante de santé publique, parce que toute une génération fait son éducation sexuelle en regardant ces vidéos. Les études montrent les risques de traumatismes, de dépendance, de distorsions du consentement et de ses propres désirs, de fausses conceptions des jeunes filles et même de dysfonction érectile. Il est urgent d’agir.

La principale innovation du projet de loi S-210 serait d’obliger les sites pornographiques à vérifier l’âge de leurs utilisateurs, à défaut de quoi ils seront passibles d’une infraction criminelle. Surtout, les sites pornographiques délinquants, même s’ils sont basés à l’étranger, pourront faire l’objet d’une ordonnance de blocage au Canada.

Je rappelle que, pour les adultes, le projet de loi S-210 ne change absolument rien : tout le contenu légalement disponible aujourd’hui continuera de l’être, au terme d’une vérification d’âge qui ne prendra que quelques minutes. À la recommandation d’un témoin, j’ai proposé, lors de l’étude au comité, un amendement qui renforce le respect de la vie privée des utilisateurs et la protection de leurs renseignements personnels dans les mécanismes de vérification d’âge qui seront précisés dans la réglementation. Cet amendement a été adopté.

[Traduction]

Sur les 30 témoins et mémoires que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a entendus ou reçus, 25 étaient favorables au projet de loi, ce qui comprenait la majorité des juristes qui ont témoigné.

Le projet de loi est appuyé par des pédiatres, des psychiatres et des sexologues, mais également par de nombreux parents qui ont besoin d’aide afin de protéger leurs enfants. Des études réalisées au Royaume-Uni et en Australie indiquent qu’environ 80 % des parents sont favorables à la vérification de l’âge pour empêcher les enfants de regarder de la pornographie.

Le projet de loi a été adopté à l’unanimité au comité. Cependant, les mesures proposées ont fait l’objet de débats intéressants et parfois difficiles quant à leur efficacité.

Bien entendu, ce ne sera pas facile. En effet, il s’agit d’un nouveau domaine législatif, la technologie évolue constamment et certains semblent penser qu’Internet devrait être à l’abri des lois et des règlements qui s’appliquent dans le monde réel.

Cela dit, ce n’est pas une raison pour baisser les bras. D’autres pays ont pris des mesures ou sont en train de le faire. L’Allemagne et la France ont déjà adopté des lois comparables au projet de loi S-210. Le gouvernement britannique envisage également une mesure législative qui imposerait aux sites pornographiques d’effectuer une vérification de l’âge. Il s’agit d’un problème mondial, et le Canada doit faire sa part. Plus il y aura de pays qui responsabilisent les sites pornographiques, plus les mesures qu’ils prendront seront efficaces.

Voici comment le Centre canadien de protection de l’enfance résume son soutien au projet de loi :

La nature numérique de la pornographie en ligne ne signifie pas et ne doit pas signifier que la société abdique ses responsabilités envers les enfants et les jeunes. Il n’est pas logique qu’une jeune de 14 ans ne puisse pas voir au cinéma un film classé R simulant un rapport sexuel, mais qu’elle puisse facilement voir de la pornographie sur son téléphone. Nous ne pouvons pas laisser les sites Web pour adultes dicter l’éducation sexuelle des enfants du Canada.

Comme les autres membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, je suis consciente que le projet de loi S-210 fait partie d’un ensemble plus vaste et plus complexe. Il en va de même pour l’alcool, les drogues, les jeux d’argent et autres contenus ou activités préjudiciables contre lesquels nous voulons protéger les enfants. Les parents, l’éducation et la législation ont chacun un rôle à jouer. La vérification de l’âge fait partie de la solution, mais n’est pas la solution miracle.

En 2020, le Comité permanent australien de la politique sociale et des affaires juridiques a publié un rapport intitulé Protecting the age of innocence, ou Protéger l’âge de l’innocence, qui portait sur la vérification de l’âge concernant la pornographie en ligne. Voici l’une des principales conclusions de ce rapport :

Le Comité reconnaît que la vérification de l’âge n’est pas une solution miracle — certains sites Web contenant du matériel pornographique peuvent ne pas être détectés, et certains jeunes déterminés peuvent trouver des moyens de contourner le système. Toutefois, lorsqu’il s’agit de protéger les enfants contre les dommages très réels liés à l’exposition à la pornographie en ligne, le Comité est fermement convaincu que le mieux ne doit pas être l’ennemi du bien.

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que je suis entièrement d’accord avec nos collègues australiens.

Pour cette raison, je crois que le projet de loi S-210 doit être renvoyé à la Chambre des communes, où le débat peut se poursuivre et s’enrichir. Je vous exhorte tous à voter en faveur de cette mesure législative.

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : La sénatrice acceptera-t-elle de répondre à une question de la sénatrice Simons?

La sénatrice Miville-Dechêne : Certainement.

L’honorable Paula Simons : Quand j’ai eu le privilège de siéger au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles durant l’évolution du projet de loi, j’ai exprimé des préoccupations au sujet de l’utilisation de logiciels de reconnaissance faciale comme méthode de vérification de l’âge. Pouvez-vous me dire si le projet de loi propose des méthodes de vérification de l’âge qui seraient peut-être moins intrusives?

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de votre question, sénatrice Simons.

Pour être extrêmement claire, le projet de loi ne donne aucune solution ni aucun choix pour vérifier l’âge; tout cela va se retrouver dans la réglementation. Pourquoi en avons-nous décidé ainsi? C’est parce que la technologie évolue très rapidement, et l’idée d’imposer des solutions spécifiques sur le fait qu’il faudra telle carte ou telle forme d’identification ne peut pas figurer dans un projet de loi, parce que tout cela sera dépassé très rapidement. Donc, ce que nous avons fait, c’est d’établir des balises pour s’assurer que la vie privée des personnes et des clients est respectée. La suite appartiendra à la réglementation.

Toutefois, sachez que la réglementation la plus sérieuse dans ce domaine exige que ce soit des compagnies qui sont de tierces parties qui fassent cette vérification. On parle de compagnies qui seraient approuvées par le gouvernement. Donc, il y aurait des compagnies qui respecteraient les règles liées à la vie privée et qui ne seraient pas les plateformes pornographiques elles-mêmes, parce qu’il n’est pas question de confier à ces dernières le soin de vérifier l’âge. Ces plateformes ont déjà beaucoup d’information sur ce que font les clients — elles en ont plus que les banques. On ne veut pas leur donner encore plus de pouvoir.

La question que vous soulevez sur la reconnaissance faciale est effectivement très controversée. Il serait très possible de préciser dans la réglementation quelles sont les méthodes approuvées et quelles sont celles qui ne le sont pas. Cela se fait déjà en Allemagne et cela se fera bientôt en France et en Grande-Bretagne. Merci.

L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends moi aussi la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-210.

Tout d’abord, permettez-moi de remercier chaleureusement la sénatrice Miville-Dechêne de sa persévérance, sa rigueur et son travail sur cet enjeu important.

[Traduction]

Chers collègues, j’aimerais vous poser une question. Selon vous, quelle serait la priorité d’un propriétaire d’un site pornographique commercial : protéger les jeunes contre les dangers de l’exposition à la pornographie ou accroître le nombre de visites sur sa plateforme en ligne? Que choisirait-il entre les profits découlant d’une hausse de l’achalandage et la santé et la sécurité des enfants? La réponse est assez facile à deviner. À mon humble avis, le fait que la réponse soit évidente confirme la pertinence du projet de loi et justifie son renvoi le plus rapidement possible à l’autre endroit pour accroître ses chances d’être adopté.

Il importe de souligner que nous sommes saisis d’un problème contre lequel la nécessité d’agir fait pratiquement l’unanimité. Que ce soit au Sénat, au comité, parmi les experts ou dans les familles, tout le monde s’entend pour dire que les enfants ne devraient jamais avoir accès à du contenu sexuellement explicite.

(1650)

Ce projet de loi vise à combler un vide, ce qui est essentiel compte tenu de la place de plus en plus importante qu’occupe la technologie dans nos foyers et nos écoles. Les écrans sont omniprésents dans nos milieux de vie et de travail. Plus que jamais, nous passons du temps en ligne, et ce phénomène ne fera que s’accentuer. On vend, on achète, et on fait du commerce en ligne. Les enfants apprennent, s’amusent, interagissent, communiquent et jouent à des jeux vidéo en ligne. Ils sont de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes à posséder leurs propres téléphones intelligents, tablettes et ordinateurs portables, et à avoir accès au WiFi ou à une connexion Internet mobile. De plus, des experts mettent au point des techniques sophistiquées pour les garder occupés et connectés le plus longtemps possible.

C’est une préoccupation que l’on entend de la part de parents de partout et de tous les milieux socioéconomiques, et qui s’accentue davantage chaque année. La gestion des écrans, qui sont de plus en plus omniprésents, est le grand défi des parents du XXIe siècle, tout particulièrement après la pandémie de COVID-19.

[Français]

Dans ce monde qui change sous nos yeux à une vitesse que l’humanité n’a pas encore expérimentée jusqu’ici, il faudra donner plus d’outils aux parents qui en ont réellement besoin pour qu’ils jouent pleinement leur rôle et qu’ils puissent éprouver une plus grande tranquillité d’esprit. Certains diront que c’est la responsabilité des parents, pas de l’État. D’une part, c’est, à mon avis, une responsabilité partagée. D’autre part, il faut réaliser que quand il s’agit de l’accès à du contenu illicite, éduquer et encadrer un enfant en 2023, c’est un défi autrement plus prenant qu’à mon époque, avec une seule télévision dans la maison et mon Walkman comme source de divertissement quand je sortais.

Nos enfants sont bombardés de toutes parts, ils sont curieux, ils subissent de la pression des autres et ils veulent transgresser les limites, ce qui est bien normal. Ils sont passionnés par le numérique. Est-ce que nous les outillons adéquatement? Il faut également les aider pour qu’ils se protègent eux-mêmes des contenus en ligne nocifs pour leur équilibre psychologique et émotionnel.

Une fois ce projet de loi adopté, les entreprises qui diffusent de la pornographie commerciale seront obligées de mettre en place un mécanisme de vérification de l’âge avant de donner accès à leur contenu.

De cette manière, comme c’est le cas dans le monde réel, seuls les adultes pourraient légalement avoir accès à ce contenu, qui doit être tenu loin de nos enfants pour différentes raisons sur lesquelles je reviendrai dans mon intervention.

Je tiens à souligner l’amendement apporté au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, lequel assure un meilleur respect de la vie privée des utilisateurs et protège leurs renseignements personnels. Les sénatrices Jaffer et Miville‑Dechêne nous l’ont décrit en détail au moment de leurs interventions à l’étape du rapport.

[Traduction]

Chers collègues, certaines restrictions existent déjà pour limiter l’accès des jeunes à la pornographie, et ces restrictions sont largement acceptées par notre société, comme les mesures destinées à empêcher les enfants de moins de 18 ans d’avoir accès à des magazines et à des films pour adultes, ainsi qu’à des boutiques érotiques, et qui consistent à exiger une preuve d’âge. Si quelque chose est interdit dans un contexte réel, ne sommes-nous pas tous d’accord pour dire que cela devrait également l’être dans un contexte virtuel?

Pour citer la sénatrice Martin :

Les mêmes règles devraient s’appliquer en ligne et dans le monde réel. Par exemple, il est illégal pour un mineur d’accéder à du matériel sexuellement explicite dans un magasin, et les propriétaires de magasin appliquent cette règle rigoureusement en exigeant une preuve d’identité.

[Français]

L’achat de boissons alcoolisées est autorisé pour les adultes. À la Société des alcools du Québec, la logique qui est appliquée en magasin, qui est de vérifier si nécessaire l’âge de l’acheteur, est appliquée pour les ventes en ligne, pour lesquelles une preuve d’âge est exigée lors de la livraison d’un produit acheté sur le site Web. J’ai vérifié, pour les fins de ce discours, et constaté que le site de vente en ligne de la Société québécoise du cannabis applique le même principe à la livraison des produits. Aucune livraison ne peut être faite à une personne âgée de moins de 21 ans, même si les produits ont été préalablement payés.

Comment nous y prendre avec le monde en ligne, qui a fini par se confondre avec le monde physique pour lequel l’essentiel de nos lois a été conçu? Ces deux mondes cohabitent et nos lois et règlements doivent en tenir compte, le refléter et évoluer.

Chers collègues, en ratifiant la Convention relative aux droits de l’enfant, le Canada s’est engagé, comme le prévoit l’article 19, et je cite, à prendre :

[...] toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle [...]

Les experts sont clairs là-dessus et je suis bien d’accord : autoriser l’accès à la pornographie par des enfants, c’est de la maltraitance, ni plus ni moins. Les impacts psychologiques négatifs sont documentés depuis des années, et les conclusions, toutes les mêmes. Dans cette Chambre comme en comité, nous avons entendu des arguments solides sur les effets négatifs à court et à long terme d’une exposition à la pornographie, qui, on le sait, s’accompagne souvent d’images violentes.

Béatrice Copper-Royer, une psychologue spécialisée dans l’enfance et l’adolescence, est sans équivoque. Elle a dit ceci :

Que le jeune ait pu accéder à ces images ou vidéos par hasard… C’est catastrophique. C’est comme une effraction dans leur imaginaire… Ça les déstabilise et ils choisissent de ne pas en parler parce qu’ils ont l’impression que c’est très très mal.

Mme Copper-Royer continue ainsi, toujours à propos des jeunes :

Les plus vieux choisissent de visionner ce contenu pour rigoler ou transgresser dans un monde où il n’y a plus grand-chose à transgresser; c’est également catastrophique dans la mesure où ces images leur renvoient de la sexualité une image violente et dégradée et banalisent des comportements sexuels violents.

Lors de l’étude d’une précédente version de ce projet de loi au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, Mme Laila Mickelwait, fondatrice de #Traffickinghub et du Justice Defense Fund, nous a affirmé ce qui suit :

[...] nous avons plus de 40 années d’études ayant fait l’objet d’un examen par les pairs qui montrent le préjudice que subissent les enfants qui sont exposés à ce genre de contenu pornographique. Il y a le voir et le faire. Une étude a montré que plus de 88 % des films pornographiques populaires contenaient de la violence sexuelle. Selon cette étude, quand les enfants sont exposés à ce genre de contenu, il se passe quelque chose dans leur cerveau qui leur fait croire que c’est permis, et le résultat est qu’il est donc plus facile pour eux d’agir d’une façon sexuellement violente.

C’est pour le moins troublant. Ce qui est plus troublant encore, c’est le fait que toutes les études vont dans ce sens, c’est-à-dire la certitude qu’il y a des risques sérieux pour les enfants.

[Traduction]

L’exposition à ce type de contenu à un jeune âge constitue incontestablement une forme de violence, d’abus. Cela déforme profondément la représentation qu’un enfant a de lui dans le cadre de ses rapports aux autres, dans la création de son identité sexuelle, ainsi que dans la nature de ses relations avec autrui. Puis, une telle exposition contribue, évidemment, à une banalisation de la sexualité et de la violence, de même qu’à une hypersexualisation de la société.

Honorables sénateurs, mon intervention ne vise certes pas à porter un jugement moral sur la pornographie. Ce qu’un adulte fait légalement dans son temps libre ne me regarde certainement pas. Cependant, ce qui nous regarde, ce que nous avons la responsabilité de faire, c’est de veiller à ce que nos enfants soient protégés et qu’ils aient les meilleures chances possibles de grandir dans des environnements sains. C’est une responsabilité qui nous incombe à tous, en tant que parents, membres de la société, citoyens canadiens et sénateurs. Nous devons agir. Nous devons légiférer.

Pour conclure, je pense que si nous ne faisons rien à cet égard, c’est comme si nous disions que nous ne voyons aucun problème à ce que nos jeunes aient accès à la pornographie, même si nous savons qu’un tel accès a de graves conséquences. Je suppose qu’on peut donc se demander s’il est tellement logique d’intervenir, pourquoi ne l’avons-nous pas encore fait? Nous ne pouvons pas justifier notre inaction en prétendant que c’est trop compliqué. Nous sommes maintenant en mesure de faire quelque chose à cet égard. Nous en sommes capables, alors, faisons-le.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

(1700)

[Français]

Projet de loi sur la protection des pensions

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Martin, au nom de l’honorable sénateur Wells, appuyée par l’honorable sénateur Housakos, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.

L’honorable Diane Bellemare : Je prends la parole aujourd’hui en faveur du projet de loi C-228.

Il était plus que temps que l’on reconnaisse l’injustice sociale qui perdure pour les pensionnés et futurs retraités d’un régime de pension agréé à prestations déterminées lors d’une faillite d’entreprise.

Le projet de loi C-228 répond à cette importante préoccupation qui fait l’unanimité chez les parlementaires de l’autre endroit.

Néanmoins, notre travail au Sénat est d’entreprendre une réflexion de deuxième niveau. C’est pourquoi, comme membre du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie, je tiens à partager avec tous ceux et celles qui n’ont pas participé à l’étude du comité les réflexions de plusieurs témoins sur ce projet de loi et les raisons qui justifient mon vote.

Nous avons reçu de nombreux courriels concernant ce projet de loi, nous invitant à l’appuyer rapidement. Comme moi, vous avez compris que ce projet de loi répond aux besoins et réduit l’incertitude de milliers de pensionnés — pour ne pas dire de millions —, puisque ce projet de loi couvre environ 1,1 million d’employés du secteur privé et d’encore plus de personnes qui sont déjà retraitées.

Certains témoignages et mémoires soutiennent qu’il ne faut pas agir avec précipitation. Mes propos visent à faire le point sur ces témoignages.

Premièrement, ce projet de loi ne réglera malheureusement pas tous les problèmes pour les pensionnés et futurs pensionnés du secteur privé. En d’autres mots, le projet de loi C-228 n’est pas la panacée ou le remède universel.

Le projet de loi C-228 vise à empêcher que ne se produisent des cas médiatisés comme la faillite de Sears et d’autres entreprises qui ont entraîné dans la pauvreté les pensionnés et travailleurs âgés qui ont misé sur leur régime d’entreprise pour assurer leurs vieux jours et qui ont subi jusqu’à 30 % de réduction de leur pension.

Le moyen choisi par la marraine de ce projet de loi, la députée Gladu, est de modifier la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies afin de donner, en cas de faillite, la priorité aux pensions de retraite. Je pense à la sénatrice Moncion, la semaine dernière, qui a assez bien expliqué le contexte légal de ce projet de loi.

Toutefois, la protection n’est pas garantie. Comprenons-nous bien : ce n’est pas une assurance de prestations de retraite comme il en existe ailleurs dans le monde. La priorité aux fonds de pension de retraite lors d’une faillite ne garantit pas que la liquidation de l’entreprise permettra le versement intégral des pensions promises.

Une entreprise qui voit venir une faillite pourrait agir en conséquence et faire des paiements spéciaux qui réduiront la valeur recouvrable par le fonds de pension. Le projet de loi C-228 ne prévient pas ces comportements. Le mémoire du Conseil sur le vieillissement d’Ottawa, composé d’une variété d’experts, souligne ce qui suit :

Un problème éthique et financier peut être créé si les entreprises qui approchent de la faillite décident d’épuiser les actifs restants en versant des paiements spéciaux aux dirigeants, aux administrateurs et aux actionnaires. Tout paiement « spécial » ou « inhabituel » à l’un de ces groupes devrait être recouvrable par le fonds de pension s’il est effectué dans un délai spécifié avant la demande de déclaration d’insolvabilité.

Le projet de loi ne prévoit pas cette option.

Par ailleurs, ce projet de loi n’aura d’effets concrets que dans quatre ans. Ce délai est souhaitable par plusieurs gestionnaires des pensions qui auraient souhaité un délai encore plus long — on parle même de 10 ans dans certains mémoires. D’ici là, en cas de récession ou de faillite, les pensionnés et les travailleurs ne seront pas prioritaires avant quatre ans, quand le projet de loi aura reçu la sanction royale. Il faut prévoir un délai de quatre ans avant que cela n’entre en vigueur.

Deuxièmement, la portée du projet de loi C-228 touche peu de personnes par rapport à l’ensemble de l’enjeu relatif aux régimes de pension agréés du secteur privé. Il y a plus de 12 millions de Canadiens qui sont employés dans le secteur privé, mais il y en a peu qui sont touchés par des régimes de pension à prestations déterminées.

Selon les données de Statistique Canada, la proportion des travailleurs qui participent à un régime de pension agréé diminue constamment, passant de 46,1 % en 1977 à 37,1 % en 2019. Cette proportion est restée stable dans le secteur public : 88 % des employés du secteur public ont un régime de pension agréé, alors que la proportion diminue constamment dans le secteur privé pour atteindre aujourd’hui 22,4 %. Deux employés sur dix, dans le secteur privé, bénéficient d’un régime de pension agréé.

Par ailleurs, la proportion de travailleurs qui participent à un régime de pension agréé à prestations déterminées a diminué de manière significative, passant de 34,5 % en 1999 à 24,7 %, au profit des régimes à cotisations déterminées, qui ont augmenté leur couverture de 0,7 % à 5,5 % en 20 ans.

La couverture des régimes de pension agréés à prestations déterminées, comme notre régime de retraite, comme le régime de retraite que le projet de loi C-228 tente de protéger, est restée assez stable dans le secteur public. Elle est passée de 83 % à 80 % en 20 ans. Elle a diminué drastiquement dans le secteur privé, passant de 21,3 % à 8,8 %. Moins d’un travailleur sur dix du secteur privé bénéficie d’un régime de pension agréé à prestations déterminées. Le projet de loi C-228 vise à protéger ces travailleurs et les pensionnés de ces régimes.

Je cite de nouveau le mémoire déposé par le Conseil sur le vieillissement d’Ottawa, qui souligne ce qui suit :

Le système de revenu de retraite du Canada a été conçu en supposant que les régimes de retraite d’employeur joueraient un rôle important pour aider les personnes de revenu moyen à élevé à maintenir leur niveau de vie à la retraite. Le succès dans l’atteinte de cet objectif a été modeste et les tendances récentes sont inquiétantes.

De plus, comme nous l’apprend le mémoire de la Fédération canadienne des retraités, les régimes de pension agréés à prestations déterminées du secteur privé seraient quasiment aux soins palliatifs. Je cite le concept comme suit :

La réalité est qu’aucune institution ne collige les données sur les régimes de retraite privés à prestations déterminées à employeur unique.

La Fédération canadienne des retraités indique également ce qui suit :

Ce que nous savons, selon un sondage de 2022 auprès des organisations membres de la Fédération Canadienne des Retraités, c’est que tous les régimes de nos membres sont « fermés ». Cela signifie que les nouveaux membres ne sont pas autorisés à s’inscrire. En fait, la plupart de ces régimes sont fermés depuis une vingtaine d’années. Notre enquête a également montré qu’il y a beaucoup plus de participants retraités que de participants actifs à ces régimes. Pour 6 retraités, il n’y a qu’un seul membre actif (c’est-à-dire à l’emploi).

D’autres mémoires provenant du milieu des gestionnaires de fonds de pension affirment que le projet de loi C-228 pourrait avoir comme effet d’accélérer la disparition des régimes de pension agréés à prestations déterminées dans les entreprises. Cela semble déjà fait. Ils soutiennent également que d’autres moyens existent pour protéger ces pensions.

(1710)

En résumé, l’enjeu des régimes de retraite est complexe et, pour ajouter à la complexité, les enjeux financiers sont énormes. Cela m’a fait sursauter quand j’ai vu ces chiffres. Selon Statistique Canada, en 2019, les cotisations totales des employeurs et des employés à un régime de pension agréé, ou RPA, qui n’est pas un régime public, ont atteint 71,1 milliards de dollars. En 2019 également, la valeur marchande de tous les actifs des régimes de pension agréés a dépassé 2 100 milliards de dollars, soit 2,1 billions de dollars. C’est la valeur du PIB du Canada. Bien évidemment, ces enjeux soulèvent beaucoup de questions.

Pourquoi voter rapidement en faveur du projet de loi C-228 si les enjeux sont si complexes et si d’autres solutions existent?

Certains mémoires du Conseil sur le vieillissement d’Ottawa, dont les membres sont composés d’experts et d’anciens syndicalistes, recommandent que nous prenions notre temps afin de proposer des solutions durables. Voici ce qu’ils ont dit :

[...] le projet de loi C-228 crée un véritable dilemme. D’une part, les participants survivants aux régimes à prestations déterminées bénéficieront d’une protection accrue — mais pas complète — lorsque l’employeur/promoteur de leur régime à prestations déterminées deviendra insolvable. D’un autre côté, comme les membres du Comité en ont été avertis, il y a aussi les raisons de croire que le projet de loi C-228 pourrait contribuer à réduire davantage la couverture des régimes à prestations déterminées.

Chers collègues, peut-être vous demandez-vous si cette menace est vraiment possible. Le raisonnement est simple. Une fois le projet de loi en vigueur, la priorité accordée aux prestations de retraite ferait augmenter le coût d’emprunt des entreprises auprès des institutions financières, puisque le risque financier pour les institutions financières de ne pouvoir récupérer leur mise en cas de faillite augmente, parce qu’elles ne sont plus prioritaires. Bref, si les coûts d’emprunt augmentent, les entreprises vont mettre fin, comme plusieurs le font actuellement, aux régimes à prestations déterminées au profit de régimes à cotisations déterminées, qui ne présentent pas les mêmes contraintes pour les prêteurs.

Selon les experts du Conseil sur le vieillissement d’Ottawa, les parlementaires doivent faire un choix politique difficile. Voici ce qu’ils ont affirmé :

Ce choix politique serait difficile en toutes circonstances. Mais ce choix est particulièrement difficile étant donné qu’à notre connaissance, il n’existe aucune analyse dans le domaine public qui aiderait à comprendre les conséquences du choix. Les projets de loi importants, comme le projet de loi C-228, ne devraient pas atteindre le stade d’adoption atteint par le projet de loi C-228, sans qu’il y ait eu un soutien analytique substantiel dans le domaine public afin que les députés et le grand public puissent comprendre leurs conséquences.

Pour ajouter à la difficulté de nos décisions, d’autres témoignages ont affirmé que le projet de loi C-228 pourrait nuire aux investissements étrangers ainsi qu’à la restructuration des entreprises canadiennes. Ce sont des scénarios qui ont été invoqués.

La Fédération canadienne des retraités, qui est en faveur du projet de loi C-228, a affirmé ce qui suit dans son mémoire :

Le Canada compte 11 juridictions différentes en matière de régimes de retraite, chacune ayant des exigences, des règles et des normes d’application différentes. La super-priorité en vertu du projet de loi C-228 est le meilleur moyen d’assurer une protection juste et équitable à tous les retraités à prestations déterminées dans le cadre très complexe de la réglementation des régimes de retraite au Canada.

C’est un peu là que se joue la partie, et l’Association canadienne des administrateurs de régime de retraite, qui est très critique à l’égard de ce projet de loi, remarque que le Canada serait le seul pays membre de l’OCDE, à l’exception de la Corée du Sud, à répondre à la situation problématique des régimes de pension agréés en cas de faillite d’entreprises au moyen d’une loi qui fonctionne par l’intermédiaire de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Alors que faire? Le Canada est très en retard par rapport aux autres pays, qui protègent leurs pensionnés et les futurs retraités du secteur privé. Ils préfèrent les régimes d’assurance pour les prestations. Les États-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Ontario ont adopté un tel régime. Il faut aller vers cette solution, mais comme vous le comprendrez, elle serait difficile à adopter, compte tenu du nombre de juridictions que nous avons au Canada.

Pour ma part, je pense qu’il est stratégique de voter en faveur de ce projet de loi actuellement, parce que cela nous obligera à réfléchir au cours des quatre prochaines années pour pouvoir en discuter plus en détail. Comme nous le demande le Conseil sur le vieillissement d’Ottawa, si nous votons en faveur de ce projet de loi, nous devrons effectuer des analyses subséquentes pour faire avancer ce dossier.

Le dossier de la retraite est très mauvaise posture au Canada. Nous avons des régimes publics qui donnent un minimum, ce qui est bien. Toutefois, les régimes de pension agréés sont nettement insuffisants.

J’espère que le Sénat fera bouger les choses. C’est sa mission et son devoir. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Projet de loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boniface, appuyée par l’honorable sénatrice Hartling, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-232, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence.

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui, alors que nous célébrons les premiers jours du printemps ici, sur les terres traditionnelles et non cédées du peuple algonquin anishinabe, en cette période de renouveau et d’espoir, pour soutenir le projet de loi S-232, parrainé par notre collègue, la sénatrice Gwen Boniface.

Le projet de loi S-232 porte sur le renouveau et l’espoir : le renouveau dans la manière dont notre société perçoit les substances illicites, les personnes qui en consomment et les systèmes qui les entourent, et l’espoir que nous puissions regarder avec clarté et ouverture d’esprit l’abondance de données probantes qui existent pour nous guider à travers ce moment important où le changement est nécessaire.

La sénatrice Boniface nous a rappelé dans son discours que ce projet de loi permet deux choses. Premièrement :

Il oblige le gouvernement fédéral, les provinces, les territoires et d’autres intervenants à se parler, pour que le gouvernement fédéral présente au Parlement une stratégie nationale s’attaquant à l’épidémie de toxicomanie. Le projet de loi vise aussi à modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances afin d’abroger les dispositions qui prévoient que la possession de certaines substances constitue une infraction — autrement dit, la décriminalisation.

Le titre abrégé, Loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances, signale le changement d’approche. Nos collègues, les sénateurs Pate, Campbell, White, Busson, Dean et Ravalia, ont fait part de leur expérience de première ligne en soutenant ce projet de loi et le précédent projet de loi de la sénatrice Boniface, c’est-à-dire le projet de loi S-229.

(1720)

Mon intention aujourd’hui est de contribuer au débat en parlant d’abord de la consommation de substances en général et des enjeux liés à la santé, puis des limites et des effets néfastes de la criminalisation — qu’on appelle également la prohibition — en mettant en relief des recommandations tirées d’études produites dans les 50 dernières années et les opinions énoncées dans le cadre de la session de la Commission des stupéfiants des Nations unies tenue à Vienne, la semaine dernière, et finalement, j’inciterai les sénateurs à renvoyer au comité ce projet de loi important et attendu de puis longtemps afin qu’il soit étudié en profondeur comme il le mérite.

Honorables sénateurs, dans un article sur les aspects historiques et culturels de la relation de l’homme avec les drogues toxicomanogènes, le Dr Marc-Antoine Crocq mentionne ceci :

Notre appétit pour les substances psychoactives toxicomanogènes est attesté dans les plus anciens textes de l’humanité. Historiquement, les substances psychoactives ont été utilisées par i) des prêtres lors de cérémonies religieuses [...] ii) par des guérisseurs à des fins médicales [...] ou iii) par la population générale dans des contextes approuvés par la société [...] La consommation pathologique de substances était déjà décrite dans les textes de l’Antiquité classique.

Il souligne également que, dans la pièce Othello, de Shakespeare, deux façons de voir la consommation de substances sont présentées lorsque, d’abord, Cassio déclare ceci :

Ô toi, invisible esprit du vin, si tu n’as pas de nom dont on te désigne, laisse-nous t’appeler démon.

Puis, c’est Iago qui affirme : « Allons, allons, le bon vin est un bon être familier quand on en use convenablement. »

Chers collègues, l’Association communautaire d’entraide des pairs contre les addictions, dans son document intitulé Comprendre la santé liée à l’utilisation de substances : Une question d’équité, souligne que l’expression « utilisation — ou consommation— de substances » est souvent employée à tort comme synonyme de dépendance ou de trouble lié à la consommation de substances. Elle indique qu’à l’instar de la santé physique et mentale, la santé liée à la consommation de substances s’inscrit dans un continuum.

L’Association communautaire d’entraide des pairs contre les addictions et Santé publique Ottawa proposent une illustration visuelle de ce phénomène, qui comprend cinq points le long d’un spectre. Imaginez le spectre. À l’une des extrémités, nous avons l’absence de consommation, puis il y a la consommation bénéfique, qui a des effets positifs sur la santé ou la vie sociale. Au milieu, il y a un faible risque lié à une consommation occasionnelle ayant des effets négligeables sur la santé ou la vie sociale. Ensuite, nous observons les problèmes liés à la consommation de substances, qui ont des conséquences négatives sur les personnes, les familles ou les collectivités. Enfin, nous avons le trouble de consommation de substances, un problème de santé chronique pouvant être diagnostiqué sur la base de 11 critères énumérés dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM-5.

Dans ce même document, l’Association communautaire d’entraide des pairs contre les addictions souligne que toutes sortes de personnes au Canada consomment toutes sortes de substances. Par exemple, en 2017, 78 % d’entre nous — je dis bien « nous » —, soit 23,3 millions des personnes vivant au Canada âgées de 15 ans et plus, avons déclaré avoir consommé de l’alcool. Au Canada, en 2020, 6 000 personnes sont mortes à cause des opioïdes, 14 800 personnes sont mortes de maladies liées à l’alcool et 37 000 personnes sont mortes de causes liées au tabagisme.

Chers collègues, la plupart des substances que les Canadiens consomment sont légales et réglementées, comme l’alcool, le tabac et maintenant le cannabis. L’Association communautaire d’entraide des pairs contre les addictions privilégie une approche axée sur la santé et sur les forces en matière de consommation de substances, qui est assortie d’une gamme de services pour les différents types de consommation — légale et illégale —, ce qui inclut tout le monde, et pas seulement les personnes qui sont atteintes d’un trouble. C’est absolument essentiel pour réduire la stigmatisation.

Le projet de loi dont nous débattons à l’étape de la deuxième lecture, la Loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances, met l’accent sur les substances illégales et, en particulier, sur la crise des opioïdes, dont mes collègues ont fait une description frappante. Chers collègues, la criminalisation — l’interdiction de consommer des substances — ne permet pas d’atteindre l’objectif d’améliorer la santé et la sécurité dans nos collectivités.

Selon Mark Thornton, de l’Université d’Auburn, l’interdiction de l’alcool aux États-Unis a été un échec. Je le cite :

La prohibition nationale de l’alcool (de 1920 à 1933) — la « noble expérience » — a été lancée pour réduire la criminalité et la corruption, résoudre des problèmes sociaux, alléger le fardeau fiscal créé par les prisons et les refuges pour les pauvres et améliorer la santé et l’hygiène [...]

Au début de la prohibition, le révérend Billy Sunday a galvanisé les foules avec cette prédiction optimiste :

« Le règne des pleurs est terminé. Les bas quartiers seront bientôt chose du passé. Nous transformerons nos prisons en usines et [...] en cribs à maïs. Les hommes marcheront droit, les femmes souriront et les enfants riront. Les portes de l’enfer se refermeront pour toujours. »

Même si la consommation d’alcool a chuté au début de la prohibition, elle a ensuite augmenté. Il est devenu plus dangereux de consommer de l’alcool...

Il était frelaté.

la criminalité a augmenté et des organisations criminelles sont apparues; les systèmes judiciaire et pénitentiaire ont été poussés jusqu’au point de rupture; [...] Aucun gain mesurable n’a été réalisé du point de vue de la productivité ou de la réduction de l’absentéisme.

La prohibition, qui n’a pas réussi à améliorer la santé et la vertu en Amérique, peut apporter des leçons inestimables [...] et offrir une perspective sur la crise actuelle de la prohibition des drogues : un effort de 75 ans qui est de plus en plus considéré comme un échec.

Chers collègues, en 1973, la commission Le Dain a publié son rapport final sur l’enquête relative à l’usage non médical des drogues au Canada, recommandant, entre autres, qu’un traitement médical soit proposé aux personnes dépendantes des opioïdes, au lieu d’une sanction pénale.

L’honorable Larry Campbell, notre collègue qui a pris sa retraite récemment, nous a rappelé que son prédécesseur, le coroner en chef de la Colombie-Britannique, John Vincent Cain, avait recommandé, dans un rapport de 1994 sur les décès par surdose de narcotiques illicites, que le ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique :

Entame des discussions avec les ministres fédéraux de la Justice et de la Santé pour voir s’il serait approprié et faisable de décriminaliser la possession et l’usage de substances spécifiques par des personnes qui ont une dépendance reconnue envers ces substances.

Aujourd’hui, près de 30 ans plus tard, nous disposons enfin d’une exemption pilote en Colombie-Britannique, et la Ville de Toronto a renouvelé la semaine dernière sa demande d’exemption à cet égard.

Le rapport de 2011 de la Commission mondiale pour la politique des drogues indique que :

La guerre mondiale contre la drogue a échoué [...]

Les dépenses considérables engagées pour la criminalisation et la mise en place de mesures répressives visant les producteurs, les trafiquants et les consommateurs de drogues illicites ne sont visiblement pas parvenues à freiner efficacement ni l’approvisionnement ni la consommation.

La commission recommande de :

Mettre un terme à la criminalisation, à la marginalisation et à la stigmatisation des consommateurs de drogues qui ne causent pas de préjudice à autrui. Rejeter les idées préconçues sur le trafic, la consommation et la dépendance au lieu de les renforcer.

Chers collègues, la 66e session de la Commission des stupéfiants des Nations unies s’est tenue à Vienne au début du mois. Dans son discours d’introduction, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, a déclaré :

La consommation de drogues à des fins non médicales est à l’origine d’au moins 600 000 décès par année dans le monde, principalement dus à l’hépatite virale, au VIH et à des surdoses. Les personnes qui consomment de la drogue sont souvent victimes de la criminalisation, de la stigmatisation et de la discrimination et se voient refuser l’accès aux services de santé, ce qui ne fait qu’aggraver les effets néfastes de leur consommation.

Le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a ajouté, à la même commission :

Le paradigme de la « guerre aux drogues » est préjudiciable à la santé publique. La peur de l’arrestation et la stigmatisation généralisée de la consommation de drogue empêchent les toxicomanes d’accéder aux soins de santé, aux services de réduction des méfaits et aux services de traitement volontaire. La criminalité liée à la drogue est l’une des principales raisons pour lesquelles plus de 2 millions de personnes sont incarcérées partout dans le monde.

Si la drogue détruit des vies, il en va parfois de même pour les politiques relatives à la drogue.

Lorsqu’elle a représenté le Canada devant la Commission des stupéfiants des Nations unies, Jennifer Saxe, directrice générale des substances contrôlées et du cannabis, à Santé Canada, a parlé de la réponse du Canada à la crise de surdoses. Elle a affirmé que « le Canada continue de promouvoir une politique sur les drogues qui respecte les droits de la personne [...] » Elle a déclaré qu’il « fa[llait] en faire plus », mais elle n’a pas parlé de la décriminalisation.

Finalement, et surtout, dans un mémoire soumis à la ministre de la Santé du Canada avant la Commission des stupéfiants, le Groupe de travail mixte Canada-société civile chargé de la politique sur les drogues des Nations unies a dit — et je vais le citer exhaustivement :

La criminalisation de la possession de drogue s’est avérée inefficace pour réduire la consommation de drogue et n’a fait que perpétuer des violations à grande échelle des droits de la personne et la discrimination à l’égard des groupes marginalisés comme les Autochtones, les communautés racisées, les femmes, les personnes de diverses identités de genre et expressions de l’identité de genre que ainsi les personnes qui souffrent de troubles mentaux.

La criminalisation, qui est l’un des principaux vecteurs de stigmatisation et de discrimination, empêche les gens d’avoir recours à des services de traitement et de réduction des méfaits. Les décès liés aux drogues continuent de se multiplier.

En raison de la criminalisation de la possession de drogue, des ressources sont affectées au système de justice pénale plutôt qu’à des services sociaux et à des services de santé.

Au Canada, des groupes de la société civile et des organisations professionnelles militent pour la décriminalisation depuis des années. En 2021, le Groupe d’experts fédéral sur la consommation de substances l’a recommandée, lui aussi. La même année, 112 organismes œuvrant dans les secteurs des droits de la personne et de la santé publique ont dévoilé une plateforme qui préconise la décriminalisation de toutes les drogues à des fins de consommation personnelle, ainsi que l’élimination de sanctions pour des activités connexes telles que le fait de partager ou de vendre de la drogue pour payer sa consommation personnelle ou pour fournir un approvisionnement sûr. Les autorités provinciales et municipales appuient ces demandes, les forces de l’ordre aussi.

Pour arriver à une décriminalisation efficace, il faudra tout un éventail de politiques et de pratiques fondées sur des données probantes et adaptées à la situation. Il est essentiel de ne pas remplacer les peines criminelles par des sanctions administratives telles que des amendes, l’orientation obligatoire vers un service de traitement ou la confiscation de la drogue, car les forces de l’ordre pourraient ainsi continuer d’exercer une surveillance policière à l’égard des consommateurs de drogue, ce qui toucherait probablement de manière disproportionnée, une fois de plus, les Autochtones, les personnes noires et d’autres communautés marginalisées.

(1730)

Chers collègues, avant de conclure mon discours, je souhaite insister sur trois points importants.

Premièrement, la criminalisation des personnes qui consomment de la drogue est inefficace. Je vais répéter ce qu’a dit Volker Türk, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme : « [...] si la drogue détruit des vies, on peut en dire autant des politiques en matière de drogue. » Chers collègues, je sais que nous souhaitons tous que nos politiques améliorent la qualité de vie, mais certainement pas qu’elles causent davantage de méfaits.

Deuxièmement, la santé est le lien commun qui rallie les Canadiens. Intégrer la santé liée à la consommation de substances dans le cadre de notre approche globale en matière de santé physique et mentale, et veiller à ce que la santé — tant en amont qu’en aval — soit l’élément central sera la clé pour nous libérer de ce paradigme alambiqué, stigmatisant, inefficace, coûteux et dangereux dans lequel nous sommes pris en ce moment.

Troisièmement, afin d’élaborer une stratégie nationale fructueuse fondée sur un nouveau paradigme axé sur la santé, il est essentiel que des personnes ayant vécu ou vivant une expérience avec la consommation de drogue soient au cœur du processus, et cela inclut des Autochtones et des Canadiens d’ascendance africaine.

Honorables collègues, notre société est à une importante croisée des chemins, car nous avons l’occasion de sauver des vies tout en bâtissant un Canada plus sûr et plus sain pour tous.

Honorables sénateurs, faisons preuve du leadership dont cette Chambre est capable et renvoyons au comité le projet de loi S-232, l’important projet de loi de changement de paradigme de la sénatrice Boniface. Merci. Wela’lioq.

(Sur la motion du sénateur Woo, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l’autisme

Message des Communes

Son Honneur la Présidente intérimaire annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi S-203, Loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l’autisme, accompagné d’un message informant le Sénat qu’elle a adopté ce projet de loi sans amendement.

[Traduction]

Projet de loi de Jane Goodall

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux).

L’honorable Scott Tannas : Avant de parler du projet de loi S-241, je souhaite présenter mes excuses, chers collègues, pour mon absence où moment où j’étais censé intervenir concernant le projet de loi S-201. J’étais en réunion, au sous-comité, et trois sénateurs qui devaient prendre la parole aujourd’hui ne l’ont pas fait. Je n’étais pas là. Je me suis excusé auprès de la sénatrice McPhedran, qui s’attendait à ce que je fasse ce discours, ainsi qu’auprès de la sénatrice McCallum, qui était également prête à s’exprimer aujourd’hui sur ce sujet. Nous y reviendrons.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi S-241, Loi de Jane Goodall. Puisqu’une personnalité aussi éminente, reconnue dans le monde entier, a accepté d’y apposer son nom, je dirais que ce projet de loi suscite certainement de grandes attentes.

En parlant de personnalités éminentes, l’illustre ex-sénateur Sinclair était l’ancien parrain de ce projet de loi. Je tiens à le remercier de l’avoir présenté. Je tiens également à remercier le sénateur Klyne d’avoir repris le flambeau après le départ à la retraite du sénateur Sinclair.

Le comité finira par tenir des audiences à ce sujet. Je sais que d’autres intervenants se sont exprimés sur le projet de loi S-241 avant le vote à l’étape de la deuxième lecture. J’espère que le comité examinera attentivement le projet de loi et les amendements potentiels, s’ils sont nécessaires.

J’ai deux préoccupations sur lesquelles le comité, je l’espère, se penchera. Elles concernent les conséquences imprévues du projet de loi.

Ma première préoccupation concerne la transition des animaux actuellement visés par ce projet de loi, particulièrement dans le contexte des restrictions qui seront imposées dans l’immédiat à certaines activités qui pourraient servir à financer les soins et l’alimentation de ces animaux.

Au cours des enquêtes préliminaires que j’ai effectuées, il n’a jamais été question des efforts consacrés à l’élaboration d’un plan concret visant à s’occuper des milliers d’animaux dont la vie sera affectée par les restrictions qui entreront en vigueur immédiatement, sans parler du fait que les propriétaires de ces animaux bénéficient de droits acquis. Dans certains cas, je crains que les restrictions visant les activités futures de ces animaux faisant l’objet de droits acquis n’empêchent leurs propriétaires d’avoir les moyens de les nourrir et de s’en occuper.

Le comité doit s’assurer de l’existence d’un plan, de la nature de ce plan, de l’identité de ceux qui se chargeront de son exécution, et de la manière dont il sera financé. Il y a un certain nombre de choses que j’aimerais voir pour être certain que le comité fait bien le nécessaire à ce sujet.

La meilleure chose serait que le comité présente, dans le rapport qu’il nous remettra, ses estimations concernant la transition des animaux vers les zoos et les sanctuaires. Combien d’animaux pourront finir leurs jours au même endroit, parce que les finances de leur propriétaire ne dépendent pas des spectacles, et combien d’animaux seront euthanasiés? Si nous voulons adopter ce projet de loi, nous aurions avantage à connaître toutes ces réponses, en plus du plan concernant la façon d’envoyer les animaux vers les zoos et les sanctuaires, de nous assurer que ces animaux seront traités sans cruauté et qu’ils pourront être nourris, et de savoir ce qui arrivera des animaux dont les propriétaires n’ont pas les moyens de les garder, n’arrivent pas à les vendre ou à les échanger et n’ont d’autre choix que de les euthanasier. Nous avons le devoir d’obtenir ces réponses. Je crois que cela nous aidera également à prévenir ce qui pourrait constituer une horrible tragédie pendant la période de transition et qui choquerait beaucoup de Canadiens, notamment ceux qui tiennent le plus à ce que nous adoptions ce projet de loi. Je pense que nous devons nous assurer que nous avons examiné, à tête reposée, cette conséquence involontaire.

(1740)

Ma deuxième préoccupation, qui a déjà été évoquée, concerne le statut juridique de défenseur des animaux que le projet de loi confère dans certaines circonstances. Certains groupes et certaines personnes craignent à juste titre que cela puisse constituer un premier pas vers le contrôle ou l’ingérence dans le domaine des animaux destinés à l’alimentation. C’est une préoccupation légitime, et le comité devrait écouter ces groupes et essayer de trouver des moyens de répondre à cette préoccupation plutôt que de la rejeter purement et simplement.

Ces deux points que sont le plan de transition et le statut de défenseur sont des conséquences involontaires potentielles sur lesquelles nous devrions prendre le temps de travailler si nous voulons proposer ce projet de loi et l’envoyer à la Chambre du peuple, qui pourrait ou non passer autant de temps à y réfléchir que nous si les rôles étaient inversés. Merci, chers collègues.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur l’édiction d’engagements climatiques

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Galvez, appuyée par l’honorable sénateur Gignac, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Wallin, appuyée par l’honorable sénateur Tannas, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-248, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-248, dans lequel la sénatrice Wallin nous propose de permettre les demandes anticipées d’aide médicale à mourir. La sénatrice Seidman, le sénateur Kutcher et le sénateur Ravalia ont déjà très bien fait connaître les questions qui méritent notre attention dans le présent débat, et je souhaite ajouter ma voix aux leurs.

[Français]

Permettez-moi d’abord de faire un retour en arrière. En reconnaissant le droit d’obtenir l’aide médicale à mourir aux personnes, au moment de leur choix, la Cour suprême du Canada n’a pas seulement renversé sa position sur la prohibition criminelle de l’aide médicale à mourir. Avec l’arrêt Carter, la cour a invité les instances législatives et réglementaires, fédérales comme provinciales, à assumer la responsabilité d’une importante réforme sociétale qu’elle a reconnue comme étant difficile et complexe.

[Traduction]

Par pure coïncidence, j’ai été nommée au Sénat au moment il étudiait le projet de loi C-14, le premier projet de loi pénal sur l’aide médicale à mourir. Les positions prises étaient variées et les débats, animés. Certains amendements proposés par le Sénat ont été acceptés, d’autres ont été rejetés, et plusieurs autres questions sont restées irrésolues ou allaient être examinées par un comité parlementaire qui devait être créé. À l’époque, nous comprenions qu’un chapitre venait d’être ouvert, le premier de plusieurs autres qui devaient suivre; les mesures législatives régissant l’aide médicale à mourir évolueraient. La mise en œuvre de lignes directrices réglementaires se ferait de manière progressive.

[Français]

En statuant à son tour, en 2019, que le critère de la mort raisonnablement prévisible était contraire à la Charte, la Cour supérieure du Québec nous a rappelé cette responsabilité et nous a demandé de poursuivre ce que nous avions commencé. D’ailleurs, c’est ce que nous avons fait avec le projet de loi C-7 en révisant les critères d’accessibilité, en créant un nouveau volet de sauvegarde et en élargissant l’accès aux personnes souffrant d’un trouble mental lorsqu’il s’agit du seul problème médical.

Après l’adoption du projet de loi C-7, nous savions aussi qu’en soumettant encore une fois à un examen parlementaire les questions d’accès aux mineurs matures, des demandes anticipées, de la situation des soins palliatifs au Canada et de la protection des Canadiens en situation de handicap, ce débat allait revenir devant le comité.

Ce qui m’amène au projet de loi qui est devant nous.

[Traduction]

À l’étape de l’examen du projet de loi C-7, dont j’étais la marraine, je considérais qu’il était plus prudent de s’en tenir aux dispositions à adopter pour se conformer à la décision Truchon. Le Comité des affaires juridiques ne s’était pas penché sur les demandes anticipées, à raison, car elles ne faisaient pas partie du projet de loi. À l’époque, je jugeais qu’il était prématuré d’examiner cet aspect de l’aide médicale à mourir. Même si j’étais d’accord sur le fond, je me suis abstenue de voter sur l’amendement de la sénatrice Wallin à propos des demandes anticipées.

[Français]

Dans le cadre du projet de loi qui est devant nous, je tiens à souligner le travail de la sénatrice Wallin, qui nous a informés, après avoir pris le temps nécessaire pour consulter des experts, des organisations, des intervenants ainsi que des individus ayant l’expérience de cas vécus. Ce travail en profondeur et celui qui se fera en comité se reflètent positivement dès maintenant dans le texte qu’elle nous propose.

En vertu du projet de loi S-248, les demandes anticipées ne seraient permises qu’aux personnes qui sont déjà gravement malades. L’examen parlementaire par le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, que plusieurs jugeaient comme une condition préalable importante avant de permettre les demandes anticipées, s’est terminé le mois dernier par une conclusion semblable.

En 2021, lorsque je suis intervenue au sujet de l’amendement de la sénatrice Wallin au projet de loi C-7, je pensais qu’il fallait obtenir plus d’éclaircissements lorsque la personne n’aurait plus la capacité de prendre des décisions en matière de soins de santé et qu’il incombait à d’autres personnes, telles qu’un membre de la famille, de déterminer à quel moment et de quelle façon la demande anticipée serait invoquée et le prestataire de l’aide médicale à mourir serait contacté.

Je suis rassurée par le libellé du projet de loi S-248 selon lequel toute demande anticipée écrite devra inclure un ensemble de conditions médicales définies par le demandeur en étroite collaboration avec son médecin. Ces conditions doivent être clairement déterminées et observables par un médecin ou un infirmier praticien. Lorsque la personne aura perdu ses capacités, ces critères serviront de guide pour définir le moment où elle souhaiterait partir.

[Traduction]

Cette disposition protège les personnes, comme l’a souligné la professeure Downie lors de son témoignage devant le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir :

Il n’y a pas de place pour la procuration dans ce contexte. C’est la personne qui a précisé ce qu’il fallait faire au moment où elle perdrait sa capacité de prendre des décisions, et le clinicien évalue objectivement les divers facteurs parce que la personne a donné toutes les précisions dans sa demande écrite. Elle a décrit comment les choses se passeraient. Les cliniciens peuvent faire une évaluation et décider si les conditions sont respectées ou non.

Aucun subrogé ne prend de décision.

(1750)

[Français]

Est-ce que les mesures de sauvegarde déjà existantes, combinées à celles qui sont inscrites dans ce projet de loi, sont assez solides pour empêcher une personne en situation de vulnérabilité de faire une demande anticipée contre son gré? Il me semble que oui. Comme je l’ai mentionné, c’est la personne concernée elle-même qui, en toute lucidité, définit dans sa demande initiale les critères qui seront à considérer. De plus, plusieurs autres personnes interviennent dans ce processus, parmi lesquelles se trouvent deux témoins indépendants dont le rôle est de confirmer que la demande écrite du bénéficiaire a été faite de manière volontaire et sans pression extérieure. Ne l’oublions pas, c’est un crime d’inspirer ou de forcer une personne à opter pour l’aide médicale à mourir.

L’autre filet de sécurité, c’est que la demande écrite d’avance doit être mise à jour tous les cinq ans par la personne concernée, tant et aussi longtemps qu’elle en a les capacités.

L’autre question à laquelle nous n’avions pas de réponse en 2021, c’est la complexité qui risquait de survenir lorsque les lois provinciales et territoriales devraient être harmonisées. Les choses ont évolué et continuent d’évoluer, puisqu’au moment où nous nous parlons, l’Assemblée nationale du Québec étudie les modalités d’un cadre provincial pour faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir. Ce cadre québécois, une fois adopté, ne sera toutefois pas applicable sans que l’on fasse au Code criminel une modification semblable à celle que nous propose actuellement la sénatrice Wallin.

Comme vous le savez, dans l’état actuel du droit pénal, la renonciation au consentement final tout juste avant de recevoir l’aide médicale à mourir n’est possible que dans des cas très limités. Un patient dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible peut prendre des dispositions avec son médecin pour renoncer à ce consentement, parce qu’il risque de perdre sa capacité décisionnelle avant la date choisie.

Un autre cas de figure concerne tout patient qui a permis à un médecin de poursuivre la procédure d’auto-administration si celle‑ci devait entraîner des complications et lui faire perdre sa capacité décisionnelle.

Le projet de loi S-248 prévoit qu’il serait aussi possible d’administrer l’aide médicale à mourir sans avoir obtenu le consentement final du bénéficiaire, sous réserve, comme je l’ai déjà indiqué, que les problèmes causant sa souffrance soient clairement indiqués dans sa demande écrite, et que ces problèmes puissent être facilement observés par le médecin ou l’infirmier praticien. Cet amendement proposé au Code criminel libérerait les personnes ayant reçu un diagnostic de démence ou de maladie d’Alzheimer d’une situation quasi intenable, soit celle de se voir imposer, lorsque les souffrances seront intenables, de prendre une décision alors qu’il est évident que la progression de la maladie affectera de manière irréversible la capacité de choisir et de décider.

Honorables sénatrices et sénateurs, il nous faut aussi écouter les Canadiens qui, année après année, sont de plus en plus nombreux à nous faire part de leur fort soutien aux demandes anticipées. Selon un sondage Ipsos effectué en avril 2022, 85 % des Canadiens appuient une demande anticipée pour une personne atteinte d’une maladie grave et irrémédiable et 77 % sont en faveur d’une demande anticipée sans diagnostic.

Il n’est pas toujours nécessaire d’attendre que les tribunaux demandent au Parlement d’intervenir pour agir. Les personnes qui sont obligées de recourir aux tribunaux portent déjà le lourd fardeau de leur maladie. Respecte-t-on leur dignité en leur laissant cette responsabilité, alors que la Cour suprême du Canada a déjà statué qu’elle nous incombait?

Je vais conclure cette intervention en soulignant à quel point, pour plusieurs personnes qui sont au centre de ce débat sur l’aide médicale à mourir, il y a une grande prise de position par rapport à la place de l’autonomie et de notre droit individuel de choisir. Déjà en 2019, la décision Truchon a provoqué cette réflexion en précisant d’entrée de jeu qu’il est essentiel de bien comprendre la condition d’un individu sur la base de son expérience personnelle, et non en tant que membre d’un groupe vulnérable.

On pouvait lire ce qui suit dans le jugement :

[Traduction]

La vulnérabilité d’une personne qui demande l’aide médicale à mourir doit exclusivement s’apprécier de manière individuelle, en fonction des caractéristiques qui lui sont propres et non pas en fonction d’un groupe de référence dit « de personnes vulnérables ». Au-delà de divers facteurs de vulnérabilité que les médecins sont en mesure d’objectiver ou de déceler, c’est l’aptitude du patient lui-même à comprendre et à consentir qui s’avère somme toute déterminante en sus des autres critères prévus à la loi.

Voilà des paroles qui résonnent fortement en moi. Cette réflexion sur l’autonomie a toujours été présente au sujet de l’aide médicale à mourir, et je crois qu’il en sera toujours ainsi. Le sénateur Woo y a aussi fait allusion dans son récent discours sur le projet de loi C-39 :

[J]e signale à l’ensemble des sénateurs qu’il y a un changement de paradigme perceptible dans l’argumentaire pour l’aide médicale à mourir — on a d’abord parlé de mort raisonnablement prévisible, puis de problèmes de santé graves et irrémédiables et, enfin, d’autonomie.

Je ne suis pas en désaccord avec vous, sénateur Woo. J’ai aussi apprécié la finesse de vos réflexions et la force de vos arguments en appui à cette observation.

Moi aussi, j’ai remarqué que cette transition vers l’autonomie est un facteur clé de l’élaboration des politiques. Je le constate dans cette conversation au sujet de l’aide médicale à mourir, mais aussi dans d’autres domaines de notre société. Je trouve cela rassurant. C’est lorsqu’on se retrouve soudainement en grande perte d’autonomie qu’on réalise à quel point cette autonomie est importante et qu’il vaut la peine de lutter pour l’autodétermination.

Les personnes en situation de vulnérabilité vivent dans un monde où de nombreuses décisions sont prises en leur nom, et lorsque cela se produit, on constate encore davantage à quel point il est primordial d’avoir le droit de faire ses propres choix.

[Français]

Le droit de choisir reste pour moi un droit non négociable, quand on en a, bien sûr, les capacités et quand des balises raisonnables et sécuritaires ont été établies.

Les demandes anticipées auxquelles ce projet de loi nous demande de réfléchir représentent un prolongement de notre capacité à prendre des décisions pendant qu’on est en mesure de le faire.

Me Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades, disait, et je cite : « Il est question de l’autonomie, du libre arbitre de la personne. » C’est simple, mais pour moi, ces propos résument tout.

En espérant que nous aurons bientôt le privilège d’étudier ce projet de loi en comité, je tiens à conclure en soulignant le travail sérieux, rigoureux et important que cette Chambre fait à chacune des étapes dans nos réflexions et dans nos décisions au sujet de l’aide médicale à mourir.

[Traduction]

Sénatrice Wallin, votre point de vue dans ce débat est essentiel. Votre travail et votre persévérance pour rendre possibles les demandes anticipées sont remarquables. Chère sénatrice, je vous en remercie.

Meegwetch. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin , le débat est ajourné avec dissidence.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, comme il est maintenant presque 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure? Le consentement est refusé.

[Français]

En conséquence, honorables sénateurs, le consentement n’étant pas accordé, la séance est suspendue, et je quitte le fauteuil jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

[Traduction]

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

Projet de loi sur la stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Manning, appuyée par l’honorable sénatrice Batters, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je prends la parole en appui au projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale, parrainé par le sénateur Manning. Il s’agit d’un enjeu qui me tient à cœur, et je crois que le projet de loi devrait être renvoyé au comité au plus vite.

Le projet de loi exigerait du ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse qu’il élabore une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.

Je parlerai de trois éléments relatifs au projet de loi, un peu à la manière du sénateur Cotter : son origine, son objectif et sa pertinence.

D’abord, en ce qui concerne l’origine du projet de loi, le sénateur Manning avait présenté essentiellement le même projet de loi en 2018 et c’est d’ailleurs le même numéro qui lui avait été attribué. Les sénatrices McPhedran, Hartling et Pate avaient apporté leur contribution lors du débat, et les sénateurs avaient renvoyé à l’unanimité le projet de loi S-249 au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Malheureusement, le projet de loi ne s’est pas rendu plus loin parce que des élections ont été déclenchées.

Cependant, entre sa version d’origine et sa mouture actuelle, le projet de loi s’est développé et a été amélioré. À l’étape de la deuxième lecture, en 2018, la sénatrice Hartling avait affirmé qu’il était évident que le projet de loi était nécessaire, mais qu’il devait être étudié en profondeur par le comité avec l’apport de la ministre et des intervenants concernés. Elle avait proposé d’impliquer les groupes de femmes de partout au pays dans les consultations requises au sujet du projet de loi.

En juin dernier, lorsque le sénateur Manning a présenté de nouveau le projet de loi, il a tenu compte des préoccupations de la sénatrice Hartling en mettant à jour le paragraphe 3(2) de la version de 2022 du projet de loi afin d’inclure la consultation de « [...] représentants de groupes qui fournissent des services aux victimes de violence conjugale ou qui défendent les intérêts de celles-ci [...] »

Quant à l’objet du projet de loi, l’histoire déchirante de Mme Georgina McGrath racontée par le sénateur Manning à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi m’a certainement marqué. Le fait d’avoir une ancienne victime de violence conjugale qui appuie ce projet de loi renforce son importance.

En 2018, la sénatrice McPhedran s’est dite inquiète de ce que la stratégie nationale proposée inclue une disposition obligeant les professionnels de la santé à faire un signalement à la police s’ils soupçonnent qu’un patient est victime de violence conjugale. La sénatrice McPhedran craignait que cela ne serve pas l’intérêt de toutes les victimes et compromette leur droit à la sécurité de leur personne protégé par la Charte. Les délinquants mis en probation ou condamnés à une peine d’emprisonnement de courte durée pourraient rapidement circuler de nouveau dans les rues et terroriser leurs victimes, si tant est qu’ils soient reconnus coupables. La sénatrice a cité une statistique. Selon la publication Juristat, seulement 40 % des causes de violence conjugale mènent à un verdict de culpabilité.

Il s’agit là d’une préoccupation légitime. Toutefois, le projet de loi lui-même n’exige pas le signalement obligatoire. L’alinéa 3(2)d) demande seulement la tenue de consultations sur l’obligation de signaler à la police les actes de violence conjugale. Il ouvre le débat sur cette mesure sans pour autant l’imposer. Ces consultations devraient inclure des groupes de défense des victimes et prendre en considération les recommandations d’un rapport mentionné par la sénatrice McPhedran, à savoir le Plan d’action national sur la violence faite aux femmes et la violence fondée sur le genre, rédigé par un groupe pancanadien composé de spécialistes en matière de lutte contre la violence, dont des survivants, des organisations communautaires, des universitaires et des avocats.

Comme l’a dit le sénateur Manning dans son discours de novembre dernier :

[J]’ai appris que la vie privée de la victime et sa crainte de ce qui peut arriver si un rapport de police est fait sont des facteurs importants qui doivent être discutés en profondeur. [M]ais afin de trouver des solutions possibles à ce problème croissant de violence entre partenaires intimes dans notre pays, nous devons commencer à explorer des pistes pour trouver un moyen d’aider ceux qui ont si désespérément besoin de notre aide.

Je suis d’accord avec le sénateur Manning sur le fait que :

Le secret qui entoure la violence conjugale a donné lieu à un simulacre de justice qui règne à cause de la peur, des préjugés et de l’absence d’une loi qui protège les personnes vulnérables de la société.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi permettra de bien prendre en compte les préoccupations de la sénatrice McPhedran concernant la protection de la vie privée des victimes et le processus de consultation, tant durant l’étude en comité que durant les consultations une fois que le projet de loi entrera en vigueur.

Je veux souligner deux éléments importants du projet de loi S-249 : l’obligation pour le ministre d’élaborer une stratégie nationale dans chaque Chambre du Parlement dans un délai de deux ans, et l’obligation d’effectuer un examen de l’état d’avancement des travaux, qui contient des recommandations et des conclusions, deux ans après le dépôt du rapport initial par le ministre. Cette approche assure la reddition de comptes. Les délais stricts et l’examen obligatoire signifient que le ministre peut adapter la stratégie nationale plus facilement afin que nous puissions tirer des leçons de ce qui fonctionne bien et de ce qui peut être amélioré à l’avenir. Le projet de loi vise à créer une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale, mais nous voulons que celle‑ci soit efficace. Ces mesures contribueront à atteindre cet objectif.

Quant à mon dernier point, c’est-à-dire la pertinence du projet de loi, malheureusement, il est plus pertinent que jamais. En effet, selon un rapport de 2018 publié sur le site Web de Statistique Canada, plus de 12 % des femmes avaient été victimes de violence conjugale durant l’année précédant l’enquête. Ce pourcentage s’élève à 29 % chez les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans, soit plus du double.

En outre, au Canada, plus de 127 000 actes de violence au foyer ont été signalés à la police en 2021; les femmes et les filles représentant 69 % de toutes les victimes selon Statistique Canada. Or, nous savons que les personnes qui s’adressent à la police ne représentent qu’une petite partie des victimes.

[Français]

Dans ma province, le portrait n’est pas plus rose. SOS violence conjugale, une organisation qui vient en aide aux victimes de violence conjugale, rapporte que, depuis sa fondation en 1987, elle a reçu pas moins de 800 000 demandes d’aide. Cela représente, en moyenne, 23 000 appels par année, un chiffre qui est en croissance en réalité, puisque les moyennes trahissent le fait que même si le nombre augmente, cela n’est pas représenté dans une moyenne.

(2010)

Qui plus est, cette violence a résulté en 17 féminicides en 2021, un triste record pour le Québec. En 2022, il y a eu 13 autres féminicides, en plus du meurtre de six enfants. Qu’a fait le gouvernement du Québec devant cette situation totalement inacceptable? Il a adopté la Stratégie gouvernementale intégrée pour la période de 2022-2027, qu’il a intitulée Contrer la violence sexuelle, la violence conjugale et Rebâtir la confiance.

Dans le document du gouvernement du Québec qui décrit la stratégie intégrée, on souligne qu’elle est le fruit d’un travail de concertation entre plusieurs ministères et organismes gouvernementaux et qu’elle est le produit de nombreuses consultations avec les intervenants du milieu. Les principaux éléments de cette stratégie sont les suivants.

En premier lieu, des investissements importants répartis sur cinq ans pour soutenir les organismes sur le terrain, dont les refuges pour femmes violentées et les centres d’aide aux conjoints violents.

Deuxièmement, des campagnes de sensibilisation à la violence conjugale, aux agressions sexuelles et à l’exploitation sexuelle. Pour ceux qui l’ont vue à la télévision de Radio-Canada ou à d’autres stations francophones et même en anglais, cette publicité est assez choquante et nous interpelle. On y voit notamment comment s’exerce le contrôle entre conjoints, avec le conjoint dominant qui appelle sa conjointe constamment et lui demande : « Où es-tu, que fais-tu? », et qui lui envoie des textos constamment. Et là, on lui dit : « Arrête, tu as besoin d’aide. » La campagne de sensibilisation est à la fois suffisamment dramatique et bien cernée, et j’espère qu’elle sera efficace.

Troisièmement, la mise en place d’un tribunal spécialisé en violence sexuelle et conjugale situé dans des centres où l’on trouve non seulement des salles d’audience, des procureurs de la Couronne et des policiers, mais aussi des services de soutien et d’accompagnement fournis par des spécialistes en matière de violence sexuelle et de violence conjugale.

Quatrièmement, l’indemnisation des victimes de violence sexuelle et de violence familiale.

Cinquièmement, un service de consultation juridique accessible par téléphone et par Internet pour les victimes.

Enfin, la mise en place d’un système de fourniture de bracelets de géolocalisation électronique des prévenus et des délinquants remis en liberté lorsque le juge ou la commission l’ordonne.

C’est une stratégie gouvernementale intégrée à l’échelle fédérale dont nous avons maintenant besoin. Je me réjouis que le sénateur Manning, avec son projet de loi, propose d’adopter cette approche.

[Traduction]

Le projet de loi donne aussi suite au travail de la sénatrice Audette s’appuyant sur les appels à la justice du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. L’appel à la justice no 5.3 se lit comme suit :

Nous demandons au gouvernement fédéral d’examiner et de réformer les lois portant sur la violence sexuelle et sur la violence de la part d’un partenaire intime en tenant compte des perspectives féministes et de celles des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones.

Le projet de loi S-249 répond également à l’appel d’un grand nombre d’organismes, de rapports et d’intervenants qui réclament des consultations et des réformes touchant la prévention de la violence entre partenaires intimes. Il rapprochera les ministres et les représentants du gouvernement des groupes de défense des victimes. Il sera le premier pas vers l’établissement de solutions pour un très grand nombre de concitoyens canadiens, qui auront finalement un choix. Ce qui est arrivé à Mme McGrath et à beaucoup d’autres ne doit jamais se reproduire.

Chers collègues, je vous demande de vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi S-249 à l’étape de la deuxième lecture afin de le renvoyer au comité, où il fera l’objet d’un examen minutieux et d’amendements, si nécessaire.

Merci. Meegwetch.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Est-ce que le sénateur Dalphond accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Dalphond : Bien sûr.

La sénatrice Dupuis : Sénateur Dalphond, merci pour votre discours. Pensez-vous que ce projet de loi, qui comporte de multiples facettes, devrait être étudié en même temps par plusieurs comités, que ce soit le Comité des affaires juridiques, le Comité des affaires sociales ou le Comité des peuples autochtones?

Le sénateur Dalphond : Je remercie la sénatrice Dupuis, car c’est une excellente question. En fait, je pense que c’est même une suggestion qu’elle fait indirectement à la Chambre, parce que la violence varie. Elle comporte un aspect juridique, sans aucun doute; il y a aussi un aspect social et une dimension liée aux femmes autochtones puisque, comme on le sait, le nombre de plaintes est deux fois plus élevé et le risque est encore plus élevé dans les communautés éloignées. Les besoins varient en fonction de certains groupes spécifiques, et les comités pourraient effectivement étudier ces différentes caractéristiques de la violence familiale.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boyer, appuyée par l’honorable sénateur Marwah, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).

L’honorable David M. Wells : Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation). Dans mon allocution, je remettrai en question les arguments soulevés par les détracteurs du projet de loi et j’exprimerai l’importance de la mesure législative proposée.

Chers collègues, comme vous vous en souvenez peut-être dans le discours de la sénatrice Boyer, ce projet de loi propose de modifier l’article 268 du Code criminel — qui traite des infractions liées aux voies de fait graves — pour y ajouter une nouvelle infraction punissant la stérilisation forcée. Cela signifierait que toute personne impliquée dans des mesures coercitives visant à stériliser ou à tenter de stériliser une personne contre son gré ou sans avoir obtenu son consentement éclairé serait coupable d’un acte criminel passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans.

Comme vous le savez, ce projet de loi est issu du travail inlassable effectué par la sénatrice Boyer tout au long de sa carrière, et aussi par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, qui a réalisé deux études, une en 2019 et l’autre en 2022, sur la stérilisation forcée au Canada. J’ai siégé au Comité des droits de la personne pour les deux études, et nous y avons entendu plusieurs témoins, notamment des experts médicaux et juridiques, des survivantes de la stérilisation forcée ou contrainte, ainsi que d’autres experts, qui ont tous livré un témoignage inestimable sur un sujet extrêmement difficile, douloureux et, franchement, incroyable.

Quand le comité a entrepris sa première étude, je croyais que la stérilisation forcée était chose du passé, un fait historique important que le comité souhaitait étudier. Quand j’ai appris que cette pratique existait encore, qu’il y avait même eu des stérilisations forcées en 2019, j’ai été bouleversé. Comment un pays comme le Canada, qui se targue d’être progressiste et de défendre avec ardeur les droits de la personne, avait-il pu permettre non seulement que ces actes déplorables commencent à être pratiqués, mais qu’ils se poursuivent ensuite pendant des années, et même jusqu’à maintenant?

Plus je me renseignais, que ce soit en discutant avec la sénatrice Boyer, en écoutant des survivantes parler courageusement de leur expérience ou en examinant les nombreux documents qui portent sur la stérilisation forcée pratiquée au Canada, plus j’avais à cœur de contribuer à changer les choses.

Parmi les recommandations formulées par les témoins en vue de décourager et d’éliminer les actes de stérilisation forcée, plusieurs survivantes ont dit au comité souhaiter la création d’une nouvelle infraction criminelle qui aurait un effet dissuasif et favoriserait une reddition de comptes. Des détracteurs du projet de loi affirment que celui-ci n’est pas nécessaire, puisque la victime d’une stérilisation forcée pourrait se servir de dispositions actuelles du Code criminel aux fins d’une procédure judiciaire. C’est notamment le cas des articles 265, qui porte sur les voies de fait, 267, sur l’infliction de lésions corporelles et 268, sur les voies de fait graves. Ces articles pourraient tous s’appliquer à un contexte médical dans lequel le patient n’a pas donné son consentement éclairé à une intervention.

De plus, le gouvernement fédéral a modifié le Code criminel en 1997 pour inclure dans les voies de fait graves la mutilation des organes génitaux féminins, et on pourrait considérer que la stérilisation forcée s’y apparente, compte tenu du sectionnement, de la ligature ou de la cautérisation qui est pratiquée à l’égard des trompes de Fallope, des ovaires ou de l’utérus. Si la procédure est imposée de force, elle pourrait constituer une forme de mutilation génitale.

(2020)

Pourtant, malgré toutes ces lois, plus de 12 000 femmes ont subi cette procédure sans qu’une seule personne impliquée dans cette pratique ne soit accusée de voies de fait, condamnée ou autrement tenue responsable de ses actes. Si les dispositions de la loi ne servent pas à sévir contre un crime aussi flagrant que la stérilisation forcée, alors pourquoi existent-elles? S’il n’y a aucune enquête, donc pas d’accusation ni de condamnation, alors il n’y a pas de conséquences. Les survivantes n’obtiennent jamais justice. L’obligation de protéger les citoyens n’est pas remplie.

Il est inacceptable qu’on ne se serve pas des dispositions législatives déjà en place pour combattre la stérilisation forcée. Si les dispositions en vigueur à l’égard des voies de fait étaient suffisantes, elles entraîneraient au moins des dizaines de milliers d’accusations, ou alors elles auraient un effet dissuasif qui réduirait considérablement le nombre de cas.

J’aimerais aussi souligner qu’il s’agit là des chiffres qui ont été consignés, et qu’il y a probablement des milliers d’autres cas qui n’ont jamais été révélés.

Je tiens encore à souligner à quel point il est grave qu’aucune accusation n’ait été portée à l’égard de cette pratique épouvantable. Quelles que soient les circonstances, il est insensé de ne pas criminaliser la stérilisation forcée.

Certains ont émis des critiques en disant que cela ne fera pas grand-chose pour résoudre le problème systématique plus vaste, mais je ne suis pas du tout de cet avis, car cette étape est cruciale pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la criminalisation de la pratique envoie un message clair selon lequel le gouvernement reconnaît que la stérilisation forcée viole les droits de la personne et qu’elle ne doit en aucun cas être tolérée. La menace de poursuites pénales aurait également un effet dissuasif sur les prestataires de soins de santé et les établissements qui pourraient envisager de recourir à de telles pratiques comme forme de contrôle, sachant qu’il y a des conséquences juridiques explicites et sérieuses. Pour ceux qui posent les gestes eux-mêmes, la criminalisation permettra de tenir les contrevenants responsables de leurs actes.

Certes, le projet de loi n’efface pas les préjudices du passé, mais il préviendra les violations futures et pourra apporter un certain réconfort aux survivantes. La loi est destinée à protéger la société, à dissuader les actions illégales et à créer un précédent. La stérilisation forcée ou contrainte n’est pas seulement une agression, dans le langage courant, contre une citoyenne, mais aussi, et surtout, contre les groupes et les personnes les plus vulnérables du Canada. Cette pratique vise de manière disproportionnée les femmes autochtones, les femmes de couleur, les femmes handicapées et les femmes appartenant à d’autres groupes marginalisés.

Dans de nombreux cas, les femmes contraintes à la stérilisation viennent d’accoucher, ont fait une fausse couche ou se sont fait avorter, et sont donc dans un état d’extrême vulnérabilité physique et mentale. Une survivante, Sylvia Tuckanow, a raconté au comité qu’elle a été emmenée de force dans une salle d’opération immédiatement après la naissance de son fils, où on lui a administré une péridurale et où elle a été stérilisée malgré ses protestations. Lors de son témoignage, elle a déclaré :

[...] j’étais encore désorientée par l’accouchement et les effets des analgésiques [...]

J’ai ressenti de la terreur, une frayeur sans nom lorsque j’ai été introduite dans cette pièce [...] J’avais déjà une péridurale dans le dos après avoir accouché, alors je me suis demandé pourquoi ils devaient recommencer. [...] Pendant tout ce temps, je n’arrêtais pas de dire « Non, je ne veux pas faire ça » et de pleurer de façon incontrôlable, mais personne ne m’écoutait.

[...] ils m’ont attachée au lit.

Mme Tuckanow a déclaré qu’encore aujourd’hui, elle se souvient de l’odeur de chair brûlée.

Préférant l’anonymat, une autre survivante a raconté qu’elle attendait de subir une césarienne pour son bébé en détresse, risquant un choc septique. Elle sentait que la vie de son fils était entre ses mains si elle ne signait pas le formulaire de consentement à la stérilisation, qu’on lui a présenté avant l’opération. Voici ce qu’elle a dit :

[...] la ligature des trompes a été évoquée. Comme ils allaient déjà m’opérer, ils ont dit que ce serait un processus rapide [...] À ce moment-là, je n’ai pas remis en question ma décision, car la seule chose que j’avais à l’esprit était de survivre et d’assurer la survie de mon enfant à naître.

D’autres survivantes ont raconté que des médecins ont pris l’initiative d’effectuer ces interventions à l’insu des patientes, qui l’ont seulement découvert des années plus tard lorsqu’elles ont essayé d’avoir des enfants. Beaucoup d’entre elles ont été délibérément induites en erreur par leurs fournisseurs de soins médicaux quant au caractère permanent de l’intervention et à ses risques. Sinon, elles ont été fortement encouragées à accepter alors qu’elles éprouvaient de vives émotions et des douleurs intenses et qu’elles étaient désorientées.

Chers collègues, toutes les femmes qui se sont exprimées devant le comité ont fait preuve de courage. Certaines n’avaient pas d’objection à montrer leur visage et à divulguer leur nom. D’autres s’y sont opposées pour des raisons que je ne peux même pas imaginer. Certaines de ces survivantes ont témoigné sous des pseudonymes et en silhouette.

Chers collègues, je vous fais part de ces détails afin d’illustrer l’ampleur des préjudices que la stérilisation forcée a causés à des milliers de femmes. Dans de nombreux cas, ils sont si graves qu’elles ne veulent pas être identifiées. Elles en ont honte.

Certaines survivantes ont dit avoir enfoui ce mauvais souvenir au fond de leur mémoire jusqu’à ce qu’elles entendent d’autres femmes parler d’expériences traumatisantes similaires.

De nombreuses femmes sur lesquelles ces opérations ont été pratiquées sous la contrainte en sont restées marquées au point où le système de santé les terrifie. Elles évitent d’obtenir des soins alors qu’elles en auraient besoin. L’isolement, le sentiment de culpabilité et d’autres réactions induites par le traumatisme font boule de neige et s’ajoutent aux préjudices physiques et aux conséquences des opérations. C’est sans compter l’effet que les opérations ont eu et continuent d’avoir sur la vie familiale des victimes et de leurs partenaires.

Après avoir entendu tout cela, il est extrêmement malheureux que nous débattions toujours de la nécessité d’une telle loi. La réalité est que la stérilisation forcée constitue une violation flagrante des droits de la personne, et il est grand temps que nous prenions des mesures décisives pour baliser le recours à cette opération afin de protéger les membres vulnérables de notre société.

J’aimerais prendre quelques instants de mon intervention pour féliciter la sénatrice Boyer de ses efforts pour mettre en lumière l’enjeu de la stérilisation forcée au Canada. C’est tout un exploit, car cette dure réalité n’a jamais été étudiée à l’échelle nationale auparavant. Les mots ne suffisent pas à décrire la souffrance et le traumatisme que vivent les victimes de la stérilisation forcée. Se faire priver de la capacité et du choix de porter un enfant est une violation extrême de l’intégrité du corps humain. Notre collègue la sénatrice Boyer a beaucoup de mérite, et nous lui devons le plus grand respect, car elle est un superhéros pour les victimes de cette violation.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Wells : Honorables sénateurs, étant donné que le droit pénal est de compétence fédérale, nous devrions nous demander si le gouvernement fédéral devrait indemniser les victimes ou financer la fécondation in vitro lorsqu’elle est encore possible ou souhaitée par les victimes. Le gouvernement n’ayant rien fait pour mettre fin à cette pratique, cela revient à dire qu’il l’a cautionnée.

Qu’on ne s’y trompe pas : en tant que porte-parole pour ce projet de loi, je suis favorable au projet de loi non amendé, à moins qu’il y ait des moyens de le renforcer encore davantage en s’appuyant sur le travail que la sénatrice Boyer a accompli, et pas seulement lors de l’étude en comité, mais tout au long de sa carrière.

Bien que je sois le porte-parole et que mon travail consiste à trouver des faiblesses dans le projet de loi afin de l’améliorer, je n’en ai trouvé aucune. Ce que j’ai constaté, c’est l’inaction des gouvernements au fil des ans face à ce qui est clairement une violation des droits de la personne et un manquement à une obligation clé des professionnels de la santé, dont le premier devoir est de veiller à la santé et au bien-être du patient, et non d’avoir un comportement dicté par leur mentalité et à leurs préjugés sociétaux.

La stérilisation forcée est une forme de violence et une violation flagrante de l’autonomie corporelle, et il est inacceptable qu’une telle pratique ait été autorisée au Canada. Nous disposons de lois qui auraient pu empêcher cette pratique et y remédier. Pourtant, le gouvernement a choisi de ne pas utiliser les dispositions sur les agressions qui lui auraient permis de porter des accusations.

La criminalisation de la stérilisation forcée permettrait non seulement de dissuader les contrevenants et d’obliger les responsables à rendre des comptes, mais aussi d’offrir un recours juridique aux victimes. Il est grand temps que le Canada prenne des mesures décisives pour criminaliser la stérilisation forcée. Nous devons veiller à ce que chaque femme ait le droit de prendre des décisions éclairées sur son propre corps et qu’elle ne soit pas soumise à la coercition ni à la force sous quelque forme que ce soit.

Le projet de loi S-250 est la prochaine étape à franchir. Merci, chers collègues.

(Sur la motion de la sénatrice Gagné, au nom de la sénatrice LaBoucane-Benson, le débat est ajourné.)

(2030)

[Français]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu propose que le projet de loi S-255, Loi modifiant le Code criminel (meurtre d’un partenaire intime, de son propre enfant ou de l’enfant d’un partenaire intime), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-255, Loi modifiant le Code criminel (meurtre d’un partenaire intime, de son propre enfant ou de l’enfant d’un partenaire intime), que j’ai déposé le 2 novembre 2022.

Je tiens à entamer mon discours en vous relatant l’histoire tragique d’une victime de violence conjugale, soit celle de Mme Cheryl Bau-Tremblay, une jeune femme de 29 ans qui a été tragiquement assassinée par son conjoint le 1er août 2015 alors qu’elle était enceinte de quatre mois.

J’aimerais vous citer un passage de ce que Nicole, la mère de Cheryl, m’a transmis à son sujet. Je la cite :

Je la fais revivre à travers moi, du mieux que je peux. Elle m’a appris que l’audace bien dosée est porteuse de belles découvertes, que de porter des jugements peut être un blocage à l’affirmation d’autrui et de commentaires désobligeants. Son dynamisme lui valait de belles rencontres. Tel un pur-sang indomptable, elle était d’une loyauté inébranlable lorsque la confiance était établie. Quelquefois téméraire, elle évaluait peut-être mal le danger, car l’aventure et la découverte l’emportaient. Amoureuse de la nature, aucune souffrance animale n’était permise, d’où son végétarisme. Peu conventionnelle, certains événements faisaient ressortir son côté rebelle. Voyant toujours le bon dans l’humain, une deuxième chance était toujours permise…. Discrète, elle s’est endormie avec plusieurs secrets. Sur son étoile, elle s’occupe de son petit bébé devenu plus grand. Elle nous envoie de la lumière et à moi, et à la famille, et beaucoup de douceurs également.

Cheryl était également une victime de violence conjugale. Comme un grand nombre de femmes assassinées par leur conjoint au Canada, Cheryl a subi des épisodes de violence répétés aux mains du sien. Une semaine avant le drame, elle s’était enfermée dans sa salle de bain et avait contacté le 911 pour demander de l’aide. Je tiens à vous citer un passage des communications entre Cheryl et le centre d’appel du 911 rapportées par le journal La Presse, et je cite :

Je suis avec mon conjoint et ça se passe pas bien. S’il vous plaît, envoyez-moi quelqu’un. Ça dégénère! Il est agressif.

Après l’appel, Cheryl s’est rendue chez sa sœur pour se protéger des violences de son conjoint. Elle lui avait posé un ultimatum afin qu’il cesse d’être violent et qu’il arrête de boire. Malheureusement, à son retour au domicile conjugal le 1er août 2015, Cheryl, qui, je le rappelle, était enceinte de quatre mois, a été étranglée par son conjoint, qui l’a cachée sous le lit dans leur chambre. Ce n’est que cinq jours plus tard que la police a découvert son corps, alors que le meurtrier était interrogé par la Sûreté du Québec et qu’il prétendait n’avoir aucune nouvelle de Cheryl, qui était soi-disant partie depuis plusieurs jours.

Depuis ce jour, cet homme n’a cessé de blâmer sa conjointe, maintenant sa victime, en la qualifiant de « jalouse » et de « colérique ». Malgré sa condamnation pour meurtre au second degré, il a tenté de faire appel de la décision auprès de la Cour d’appel du Québec, qui a rejeté sa demande. Il plaidait la légitime défense.

J’aimerais vous faire part du message de la mère de Cheryl, qui souhaitait que je le porte à votre attention. Elle a dit ce qui suit :

La perte d’un être cher, en soi, provoque indéniablement un tsunami dans notre quotidien et notre vie entière. Les responsables de ces actes immondes sont jugés de différentes manières, considérant un paquet de conditions atténuantes et autres qui, au bout du compte, ne changent rien au drame pour ceux qui en subissent les contrecoups. Considérant la gravité, les impacts et toutes les conséquences pour les proches, je ne peux qu’appuyer le projet de loi du sénateur Boisvenu qui ne peut que contribuer, à sa manière, à des fins de prévention et de dissuasion et inciter à une réflexion sur les homicides familiaux.

Honorables sénateurs et sénatrices, j’aimerais également vous faire part de l’histoire de Mme Geneviève Caumartin, qui soutient le projet de loi S-255. Sa mère a été victime d’un assassinat par strangulation aux mains de son conjoint en juin 2016. Mme Caumartin déplore des procédures judiciaires beaucoup trop longues et fastidieuses, qui se sont malheureusement soldées par une négociation entre la Couronne et la défense pour prononcer une peine plus clémente. Tout cela s’est produit malgré le fait qu’on lui avait assuré dès le départ que la preuve était assez forte et qu’il y avait tous les éléments requis pour prouver un meurtre au deuxième degré. On lui a dit qu’il y avait même des chances, selon certains éléments qui se trouvaient sur la scène de crime, de prouver qu’il s’agissait bien d’un meurtre prémédité.

Quel choc pour Mme Caumartin, la fille de la victime, d’apprendre que les accusations seraient réduites à un homicide involontaire! Cela signifie que le meurtrier a obtenu une sentence plus courte et la possibilité de sortir de prison au tiers de la peine. Encore pire, il n’a pas écopé d’une sentence à vie, donc il n’y aura pas de suivi à vie pour ce crime odieux. Il n’y a pas eu de procès ni de sentence assez sévère. Pour Mme Caumartin et les siens, justice n’a jamais été rendue.

Le meurtrier a pu sortir du pénitencier en 2022, soit cinq ans après l’établissement de la peine, et bénéficier d’une libération conditionnelle.

J’aimerais vous transmettre un passage de quelques mots que Mme Caumartin m’a envoyés au sujet de sa mère, Francine Bissonnette, qui la décrit très bien :

Ma mère était mon ancrage, ma fondation. Quand j’étais enfant, c’était le pilier de la maison, le centre de ma vie. Je ne suis pratiquement jamais allée en service de garde de ma vie, sauf quelques rares exceptions. Je marchais de chez moi à l’école et je revenais pour le dîner. Ma mère m’attendait avec un repas préparé. Je regardais les Pierrafeu en mangeant, puis je retournais à l’école en après-midi.

Quand j’étais malade, c’est elle qui prenait soin de moi. J’allais systématiquement vers elle lorsque quelque chose n’allait pas. Elle avait une grande patience. C’était une maman modèle; impossible d’imaginer ce qui allait lui arriver plus tard.

Par la suite, elle a travaillé pour la Commission scolaire des patriotes pour plus de 20 ans. Elle aimait les enfants, elle a accumulé différents emplois et a longtemps été préposée aux enfants ayant un handicap; sa responsabilité était de les aider quotidiennement en classe.

C’était une femme avec de multiples talents : couturière, adepte du tricot et du macramé, elle a même fabriqué et vendu des articles d’artisanat. Ses passions étaient sans équivoque ses chats, les plantes et la mode. C’était important pour elle que tout soit beau, en ordre et à sa place.

C’était également une grand-mère gâteau. Elle était très généreuse, malgré ses moyens modestes, et déployait tout pour faire le bonheur de sa petite-fille. J’ai tellement de beaux souvenirs avec elle et ma fille. C’était une personne dynamique, qui adorait la musique et la danse et qui prenait soit d’elle-même. À 62 ans, elle avait encore de belles années devant elle : en bonne santé, très active et bien entourée.

Chers collègues, une réflexion réelle sur la gravité des homicides conjugaux dans notre pays est le but du projet de loi S-255. Au Canada, une femme est assassinée tous les deux jours et la majorité d’entre elles le sont dans un contexte conjugal. Ces meurtres surviennent de plus en plus fréquemment et tristement, nous finissons par nous y habituer, ce qui n’est pas normal. C’est même inacceptable, en tant que société. Ces femmes assassinées deviennent, au fil du temps, des statistiques évoquées dans des rapports produits par des organismes nationaux.

Nous ne devons pas oublier ces victimes et leurs mémoires ne devraient pas qu’être un chiffre. Ces femmes représentent des vies arrachées qui auraient pu être sauvées, des avenirs volés, des enfants et des parents dans le deuil et trop souvent des familles brisées. Les 641 femmes assassinées depuis quatre ans avaient un avenir devant elles, des enfants à élever, des familles, des amis, des emplois et des rêves, et elles contribuaient à la société au quotidien.

J’ai beaucoup de noms et d’histoires de femmes qui avaient la vie devant elles, mais qui ne sont plus parmi nous. Prenons le cas de Romane Bonnier, une jeune femme d’à peine 24 ans qui a été assassinée sur un trottoir de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, à Montréal, en 2021. Elle était une artiste musicale connue pour son charisme, sa joie de vivre et sa gentillesse. Elle était une jeune femme heureuse qui aimait chanter et réinventer des mélodies du passé. Romane était une amoureuse de la vie qui avait plein de projets à réaliser.

Elle vit désormais dans le cœur et la mémoire de ses proches et à travers sa voix et la musique qu’elle nous a laissée.

Honorables sénateurs, enlever la vie de quelqu’un entraîne des conséquences irrémédiables et définitives. Le meurtre constitue le crime le plus grave commis au sein de notre société. Il est donc important que nous légiférions, afin de punir plus sévèrement les criminels qui commettent l’irréparable, ce qui, dans trop de cas, arrive dans les cas de meurtres conjugaux.

(2040)

Le projet de loi S-255 est une réponse claire à la réprobation sociale de plus en plus forte envers les meurtres familiaux. Il représente également un signal fort de la volonté des législateurs de condamner plus sévèrement les auteurs de ces crimes, afin de rendre justice aux victimes et de renforcer l’objectif de la lutte contre la violence familiale et la violence faite aux femmes.

Déterminer l’ampleur des cas de violence conjugale est difficile à faire avec précision, compte tenu du fait qu’une grande part des gestes de violence commis par un conjoint ou un ex-conjoint ne sera jamais dénoncée aux autorités par les victimes.

La violence entre partenaires intimes se manifeste sous différentes formes. Du point de vue criminel, plusieurs infractions sont susceptibles d’être considérées comme ayant été perpétrées dans un contexte conjugal, en particulier les crimes contre la personne comprenant, entre autres, les voies de fait, les agressions sexuelles, les tentatives de meurtre et diverses violences physiques pouvant aller jusqu’au crime le plus grave, soit le meurtre.

Cela dit, grâce aux statistiques que nous avons à notre disposition, nous sommes en mesure d’avoir une bonne idée de l’ampleur de la violence conjugale au Canada ainsi que des homicides qui en découlent. En voici quelques-unes : en 2022, 185 féminicides ont été recensés, et dans 55 % des cas, ces femmes ont été assassinées dans un contexte de violence conjugale.

En 2021, c’est 537 femmes par tranche de 100 000 personnes qui ont déclaré avoir été victimes de violence conjugale, donc cette forme de violence est en augmentation constante depuis les sept dernières années. De plus, en 2021, les services de police ont dénombré 114 132 victimes de violence commise par un partenaire intime, une hausse de 2 % par rapport à 2020.

De 2019 à 2021, il y a eu une augmentation de 36 % du nombre de femmes et de filles tuées violemment au Canada, sans compter leurs enfants.

En 2021, le Québec a connu une hausse de 28 % de la violence entre partenaires intimes.

En 2022, selon la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes du Québec, 300 femmes ont été victimes de tentative de meurtre, seulement au Québec.

Honorables sénateurs, dans l’objectif législatif de punir plus sévèrement les auteurs d’homicides conjugaux et dans un objectif de dissuasion, le projet de loi S-255 prévoit l’ajout d’un paragraphe à l’article 231 du Code criminel. Cet article prévoit qu’un meurtre perpétré dans un contexte familial soit automatiquement assimilé à un meurtre au premier degré.

Actuellement, le Code criminel prévoit déjà, à l’article 231, la qualification automatique de certains meurtres au premier degré, tel qu’un meurtre perpétré à la suite d’une agression sexuelle, d’un harcèlement criminel ou d’une intimidation. C’est également le cas lorsqu’un meurtre est perpétré dans un contexte terroriste et mafieux, ou qu’il est commis contre un agent de la paix.

Grâce au projet de loi S-255, un nouveau paragraphe serait ajouté à l’article 231 et cela signifierait que toute personne reconnue coupable du meurtre de son partenaire intime, de ses enfants ou des enfants du partenaire intime serait automatiquement condamnée pour meurtre au premier degré, si elle est reconnue coupable.

Je précise, par ailleurs, que le projet de loi ne change rien au déroulement ni à la tenue d’un procès criminel. Les procureurs de la Couronne ainsi que ceux de la défense tiendront toujours le même rôle, et les avocats de la défense seront toujours libres de plaider la défense qu’ils souhaitent, comme la légitime défense.

Ce qui changera, ce sera la peine infligée à une personne reconnue coupable du meurtre de son partenaire intime ou de ses enfants. Si ce projet de loi est adopté, le criminel sera condamné automatiquement à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, et ce, malgré l’absence de preuve de préméditation liée à l’actuelle définition du meurtre au premier degré.

Il est d’ailleurs souvent difficile pour le poursuivant de prouver l’élément de préméditation requis pour qu’un accusé puisse être trouvé coupable de meurtre au premier degré.

Dans un contexte de violence conjugale, il est courant d’apprendre qu’un meurtre survient à la suite d’un excès soudain de colère, même s’il s’agit d’un geste impulsif sans qu’il y ait nécessairement d’élément de planification, et malgré le fait que des gestes de violence conjugale et des comportements coercitifs fassent partie du quotidien de la victime depuis une période significative.

Pour créer ce projet de loi, je me suis inspiré de certaines législations étrangères semblables ou qui s’en rapprochent. Prenons par exemple la France, qui punit sévèrement les homicides conjugaux. L’article 221-4 du Code pénal français prévoit la réclusion criminelle à perpétuité et une peine de sûreté allant de 18 à 22 ans lorsqu’il s’agit d’un meurtre commis par le conjoint ou le concubin de la victime, ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. La réclusion criminelle à perpétuité est l’équivalent du meurtre au premier degré dans notre Code criminel et la période de sûreté est, en droit pénal français, une durée associée à une peine de réclusion ou d’emprisonnement durant laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucun aménagement de peine, comme un placement en semi-liberté ou une libération conditionnelle.

Aux États-Unis, dans l’État du Minnesota, tout délinquant ayant des antécédents de violence conjugale sur son partenaire intime ou sur un partenaire intime antérieur et qui commet un homicide conjugal serait automatiquement condamné pour meurtre au premier degré s’il était reconnu coupable. Je rappelle que la punition du meurtre au premier degré, au Minnesota, est la peine la plus sévère prévue par la loi de cet État, soit une peine d’emprisonnement à perpétuité.

Enfin, aux États-Unis encore, le Sénat de la Caroline du Nord a fait entrer en vigueur, le 1er décembre 2017, la Britny’s Law en mémoire de Britny Puryear, qui a été tuée par son conjoint en 2014. Britny n’avait que 22 ans et leur bébé de cinq mois était présent lors du meurtre. Cette loi a été inspirée de celle du Minnesota et remplit donc les mêmes objectifs, soit de condamner au premier degré tout délinquant ayant des antécédents de violence conjugale reconnu coupable du meurtre de son partenaire intime.

Honorables sénatrices et sénateurs, la violence conjugale ne doit plus être considérée comme un simple acte de violence à l’endroit de son partenaire. Il s’agit d’un processus relationnel complexe de contrôle et de domination d’un partenaire sur un autre, une évolution qui, progressivement, se transforme en épisodes de violences répétés et qui peut, dans certains cas, entraîner la mort.

D’un point de vue constitutionnel, la Cour suprême du Canada a déjà indiqué, dans certaines de ses décisions, qu’un meurtre commis par une personne qui exploite une situation de domination face à sa victime justifie une punition plus sévère pour ce crime.

Par ailleurs, la Cour suprême du Canada s’est déjà prononcée sur la constitutionnalité de certains paragraphes de l’article 231 du Code criminel, lesquels sont semblables, à certains égards, au nouveau paragraphe proposé dans le projet de loi S-255.

Notamment, en 1990, dans la décision R. c. Arkell, une jeune femme, Lisa Clark, a été assassinée et brûlée pendant que son meurtrier l’a agressée sexuellement. La Cour suprême du Canada a établi que le fait de qualifier automatiquement une agression sexuelle suivie d’un meurtre de meurtre au premier degré ne violait pas les droits garantis à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La cour faisait alors état du principe directeur établissant qu’un meurtre commis alors que « son auteur domine illégalement une autre personne est plus grave qu’un autre meurtre » et justifie ainsi la peine plus sévère imposée pour les meurtres au premier degré.

J’aimerais d’ailleurs citer un passage de cette décision, qui se lit comme suit :

Le paragraphe est fondé sur un principe directeur qui considère que le meurtre commis pendant que son auteur domine illégalement une autre personne est plus grave qu’un autre meurtre. De plus, il y a nettement un rapport entre la classification et la culpabilité morale du délinquant. L’article 214 n’entre en jeu que lorsque l’existence d’un meurtre a été établie hors de tout doute raisonnable. Compte tenu de l’arrêt Martineau, cela signifie qu’on doit démontrer que le délinquant avait prévu subjectivement la mort. La décision du Parlement de traiter plus sévèrement les meurtres commis pendant que leur auteur exploitait une situation de puissance par la domination illégale de la victime est conforme au principe qu’il doit y avoir proportionnalité entre une peine et la culpabilité morale du délinquant, ainsi qu’à d’autres considérations comme la dissuasion et la réprobation sociale des actes du délinquant.

(2050)

Toujours en 1990, dans une autre décision de la Cour suprême du Canada, l’arrêt R. c. Luxton, on évoquait Charmayne Manke, une chauffeuse de taxi qui a été séquestrée dans son taxi par un de ses clients et brutalement assassinée de plusieurs coups de couteau. La Cour suprême du Canada a estimé qu’aucun droit fondamental n’avait été violé par l’alinéa 214(5)e) du Code criminel.

Honorables sénateurs, je considère, devant les nombreux exemples que je viens de partager avec vous, que le projet de loi S-255 va dans le sens du raisonnement de la Cour suprême du Canada et qu’un contexte de violence conjugale qui conduit à un meurtre découle inévitablement d’une domination illégale de la victime par le délinquant. Par conséquent, il est justifié pour nous, en tant que législateurs, de légiférer afin qu’il y ait une proportionnalité entre la peine et la culpabilité du délinquant dans un contexte de domination qu’engendre la violence entre partenaires intimes, et ce, afin de rendre justice aux victimes.

J’aimerais poursuivre mon discours en précisant que ce projet de loi concerne aussi bien le meurtre envers un partenaire intime que le meurtre envers son propre enfant ou l’enfant du partenaire intime. Nous sommes, j’en suis persuadé, tous sensibles au bonheur et à l’épanouissement de nos enfants. Nous souhaitons également que nos enfants puissent grandir dans une société sûre qui veille sur eux et les protège.

Malheureusement, trop souvent, beaucoup d’enfants au Canada subissent, que ce soit de manière passive ou active, de la violence conjugale au sein de leurs foyers. Ils se retrouvent, bien malgré eux, au cœur d’un environnement malsain et violent dans lequel les parents se déchirent. Certains de ces enfants n’y survivront pas. Il n’est pas rare d’apprendre par les médias que lorsqu’un féminicide se produit, le conjoint a également assassiné ses enfants.

J’aimerais vous parler d’une autre famille de victimes qui soutient ce projet de loi, une famille profondément meurtrie par le destin tragique qui l’a frappée de plein fouet dans la nuit du 10 au 11 octobre 2020. Un drame terrible s’est produit dans une résidence de Wendake, près de Québec, alors que deux enfants, Olivier, 5 ans, et Alex, 2 ans, ont été assassinés par leur propre père. Après avoir commis l’irréparable, celui-ci a photographié les deux corps inanimés de ses enfants avant d’envoyer une photo à sa propre mère et à son ex-conjointe, la mère des deux victimes.

Chers collègues, je prends ici une courte pause pour vous poser la question suivante : pouvez-vous imaginer, le temps de quelques secondes, la souffrance qu’un drame aussi violent inflige à une famille entière? Depuis l’assassinat de ma fille Julie en 2002, je ne compte plus le nombre de drames dans lesquels je me suis impliqué, mais il y en a toujours qui sont plus difficiles à évoquer que d’autres.

Le juge François Huot, qui a présidé le procès de ce terrible drame, a fait la déclaration suivante au meurtrier — je partage son opinion et je suis convaincu que vous aussi —, en disant ce qui suit :

J’en ai marre de voir ces personnes lâches qui s’en prennent à des personnes sans défense pour faire progresser leurs idées et assouvir leur soif de vengeance.

Pourtant, malgré l’horreur de ces deux meurtres et le mode opératoire utilisé, le meurtrier a été condamné pour meurtre au deuxième degré et sera admissible à une libération conditionnelle dans 16 ans. Selon l’opinion de la famille des victimes, cette peine n’est pas proportionnelle à la gravité du crime commis, et selon moi, elle ne reflète pas non plus la culpabilité morale de cet acte odieux. J’aimerais vous citer le message du grand-père des deux enfants, qui s’est exprimé sur ce projet de loi, et je le cite :

Je soutiens pleinement l’objectif de ce projet de loi. Selon moi, la justice n’effectue pas son travail en qualifiant les meurtres de mes deux petits-enfants de meurtre au second degré. Le meurtrier a filmé ses actes et a envoyé un message texte à ma fille en lui disant que c’était à son tour de souffrir. Il est navrant de croire qu’il ne savait pas ce qu’il faisait, et qu’il se protège désormais derrière la maladie mentale. Ces meurtres devraient être automatiquement qualifiés de meurtres au premier degré.

Honorables sénateurs, je suis convaincu que le fait d’assimiler tous les meurtres commis contre un partenaire intime ou contre ses enfants à des meurtres au premier degré serait une réponse législative qui comblerait le besoin de protéger les personnes victimes de domination dans un contexte de violence conjugale.

Au surplus, cette modification législative produirait un effet dissuasif à l’encontre de la violence faite à un partenaire intime et à des enfants, compte tenu de la gravité accrue associée à l’inculpation de meurtre au premier degré.

Chers collègues, lançons un message clair en tant que société responsable devant l’ampleur que prend la violence entre partenaires intimes, en statuant que les homicides conjugaux sont socialement inacceptables au Canada et que les conséquences judiciaires doivent être proportionnelles à la gravité de l’acte odieux qui a été commis. Enlever la vie à sa femme ou à ses enfants n’est aucunement acceptable et ces meurtres, trop souvent prévisibles, doivent dorénavant être punis plus sévèrement.

Il est temps que le Canada prenne les décisions nécessaires et devienne un chef de file afin d’être cité en exemple lorsque d’autres pays feront les mêmes démarches que nous. Trop de vies d’innocentes victimes ont été arrachées dans le silence et l’ignorance. C’est ensemble, en tant que membres de cette Chambre et d’une société qui se responsabilise, que nous pourrons faire bouger les choses.

Je vous remercie.

L’honorable Michèle Audette : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Boisvenu : Oui.

La sénatrice Audette : Je vous remercie, sénateur, de tout ce que vous faites. La liste est longue, et il y a beaucoup de connexions.

Vous le savez, j’ai traversé le pays pour recueillir des témoignages parfois accablants et qui rejoignent ce que vous nous avez raconté. Il est arrivé par moment que j’entende dire que si le système avait réagi auprès de ces personnes, hommes ou femmes — la DPJ, les services sociaux, etc. —, on aurait peut-être pu prévenir ce genre d’acte inacceptable. Pourra-t-on retrouver, dans le projet de loi S-255, des mesures assurant une certaine prise en charge de ces personnes avant d’en arriver à ce stade? Je ne sais pas si vous comprenez ma question.

Le sénateur Boisvenu : Ma réponse sera très claire : le projet de loi S-205 prévoit de protéger les femmes grâce au bracelet électronique, et il obligera les hommes à suivre une thérapie. Je pense que les deux projets de loi vont ensemble. Lorsqu’on traitera du projet de loi S-205 et qu’il sera étudié en comité, des amendements seront apportés. Je suis de l’école de pensée du Minnesota, un État qui croit que lorsqu’un homme a déjà agressé deux, trois ou quatre femmes dans sa vie et qu’il finit par en assassiner une, cela montre une certaine forme de préméditation.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

Régie interne, budgets et administration

Adoption du sixième rapport du comité

Le Sénat passe à l’étude du sixième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, intitulé Modifications au Règlement administratif du Sénat, présenté au Sénat le 1er décembre 2022.

L’honorable Lucie Moncion propose que le rapport soit adopté.

— Honorables sénateurs, je suis certaine que vous avez lu religieusement ce rapport. Pour ceux qui auraient peut-être manqué cette occasion, j’aimerais vous en souligner les grandes lignes.

(2100)

[Traduction]

Le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration a soigneusement examiné le Règlement administratif du Sénat en tenant compte du nouveau Comité permanent de l’audit et de la surveillance et recommande quelques modifications non substantielles au Règlement administratif du Sénat. En d’autres termes, le présent rapport a pour objet d’harmoniser le Règlement administratif du Sénat avec le mandat et le rôle du Comité permanent de l’audit et de la surveillance. J’ai donc le plaisir de proposer l’adoption du sixième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

[Français]

Règlement, procédure et droits du Parlement

Quatrième rapport du comité—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l’étude du quatrième rapport (provisoire) du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, intitulé Modifications au Règlement, présenté au Sénat le 7 février 2023.

L’honorable Diane Bellemare propose que le rapport soit adopté.

— Honorables sénateurs, je ne sais pas si vous avez lu le rapport; certains l’ont regardé attentivement, j’en suis certaine. Il reste néanmoins qu’il est assez hermétique dans sa forme, puisqu’il propose des changements. Je vais donc brièvement vous parler un peu ce qu’il contient.

[Traduction]

En avril dernier, le Comité du Règlement a écrit au greffier du Sénat pour inviter l’Administration du Sénat à proposer des changements au Règlement du Sénat sur lesquels le comité pourrait se pencher. Durant deux réunions, l’une le 14 juin 2022 et l’autre le 27 septembre 2022, le greffier et d’autres représentants du Sénat qui l’accompagnaient ont soulevé un certain nombre de problèmes potentiels. Après un examen plus approfondi, le comité a rédigé le rapport que vous avez devant vous aujourd’hui qui contient les changements sur lesquels les membres se sont entendus.

Un grand nombre de changements ne sont que des corrections mineures, des erreurs de traduction ou des éléments qui ne sont plus pertinents à la suite de modifications législatives. Je n’entrerai pas dans les détails, mais parmi celles-ci, on compte le retrait de l’interdiction de fumer lors des séances du Sénat et des comités. En effet, depuis 1988, la Loi sur la santé des non-fumeurs interdit de fumer dans les milieux de travail fédéraux, alors ces dispositions du Règlement sont devenues obsolètes.

Toutefois, certains éléments requièrent quelques explications, et je vais les passer en revue un à la fois.

[Français]

L’article 10-10 dans sa forme actuelle porte sur la préparation et l’impression des projets de loi du Sénat. Il n’a pas été revu de manière notable depuis l’adoption de l’article qui l’a précédé, en 1923. Par conséquent, il n’a pas suivi le rythme des pratiques modernes, en particulier le nouveau format de projet de loi mis en œuvre en 2016 par les trois entités fédérales qui rédigent les lois, soit le Sénat, la Chambre des communes et le ministère de la Justice.

Le Bureau du légiste et conseiller parlementaire a recommandé que l’article soit abrogé dans son intégralité, car ses éléments constitutifs — la forme des projets de loi modificatifs, les indications typographiques des amendements, les notes explicatives sur les projets de loi modificatifs et la réimpression des projets de loi du Sénat — n’ont pas été strictement respectés depuis de nombreuses années et reflètent une époque où l’information législative pouvait être difficile à obtenir.

En lieu et place, le légiste a proposé un nouvel article 10-10, qui permettrait au légiste et conseiller parlementaire d’apporter des corrections administratives et typographiques aux projets de loi. Cela simplifierait l’étude article par article, réduirait le risque d’erreurs dans les textes législatifs et minimiserait le risque de devoir adopter des amendements supplémentaires pour corriger les erreurs ajoutées aux projets de loi tout au long du processus législatif devant les deux Chambres du Parlement. Le libellé proposé est semblable à celui de l’article 154 du Règlement de la Chambre des communes.

[Traduction]

L’article 12-23(6) du Règlement exige actuellement qu’un rapport d’un comité qui recommande des amendements à un projet de loi soit accompagné d’un :

[...] exemplaire du projet de loi sur lequel ceux-ci sont clairement inscrits. Cet exemplaire et tous les amendements sont revêtus de la signature ou des initiales du président ou du vice-président du comité.

En pratique, cela s’est traduit par un processus fastidieux où les amendements étaient physiquement découpés et collés dans un exemplaire du projet de loi. Le comité a appris qu’au cours des dernières années, ce processus a été remplacé par l’annexion d’un exemplaire du rapport du comité au projet de loi. Toutefois, comme cet exemplaire n’est requis à aucun stade ultérieur du processus législatif, il ne sert à rien et il n’est pas nécessaire de le conserver.

L’article 12-26 exige que les comités déposent des rapports sur les dépenses de la session précédente. Les changements progressifs apportés aux exigences de divulgation proactive du Sénat, conformément aux dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, ont rendu ces exigences redondantes étant donné que les comités sont déjà tenus de produire un rapport public sur ces renseignements au moins une fois par trimestre, conformément à la loi.

Comme les rapports exigés par l’article 12-26 concernent une session plutôt qu’un trimestre ou un exercice financier, ils peuvent prêter à confusion, car les mêmes données sont présentées de différentes façons. Par conséquent, le comité recommande que les articles 12-26(2) à 12-26(4) soient supprimés. Comme je l’ai indiqué, cette pratique de reddition de comptes a été remplacée par d’autres exigences, de sorte qu’elle est devenue redondante. Cette suppression ne réduira en rien la transparence entourant les dépenses des comités.

[Français]

L’article 14-1(6) prévoit que lorsqu’une règle, une loi ou une ordonnance exige qu’un rapport ou un autre document soit déposé devant le Sénat, celui-ci peut être déposé auprès du greffier. Ainsi, les fonctionnaires des ministères et des agences gouvernementales doivent se rendre au bureau du greffier pour fournir des exemplaires physiques de centaines de rapports annuels et d’autres documents devant être déposés au Sénat.

Dans le cadre de la réponse du Sénat à la pandémie de COVID-19, des ordres sessionnels autorisant le dépôt de ces documents auprès du greffe par voie électronique ont été adoptés. Bien que cette mesure ait d’abord été prise en raison de la COVID-19 pour limiter le nombre de personnes qui devaient entrer dans l’édifice du Sénat du Canada, on a rapidement constaté qu’elle présentait des avantages qui dépassaient le contexte de la pandémie. Le dépôt électronique de ces documents facilite leur compilation, leur diffusion auprès des sénateurs et du public en cas de besoin et leur archivage, en plus de contribuer à la réduction de la consommation de papier, conformément aux objectifs environnementaux du Sénat.

Il existe actuellement un ordre sessionnel autorisant la poursuite de cette pratique, mais le comité recommande qu’elle soit inscrite dans le Règlement au moyen d’un amendement.

[Traduction]

Enfin, le comité propose d’ajouter l’article 1-1(3) au Règlement, qui permettrait au Président du Sénat ou au président d’un comité d’autoriser des modifications raisonnables à l’application d’une règle ou d’une pratique afin de faciliter la participation pleine et égale d’un sénateur aux délibérations du Sénat. Cet article inscrit dans le Règlement une pratique de longue date, mais informelle, où le Président et les sénateurs exercent une certaine discrétion et font preuve de compassion et de gros bon sens pour permettre aux sénateurs de continuer à participer même s’ils ne peuvent peut-être pas se conformer strictement à certaines dispositions du Règlement.

(2110)

Il est à noter que ce nouvel article vise à autoriser de petits écarts pour permettre aux sénateurs de continuer à participer aux délibérations dans le contexte actuel. Pour apporter des modifications importantes à ce contexte, il faut absolument proposer celles-ci au moyen d’une motion de fond adoptée par le Sénat.

Avant de conclure, je vais souligner un élément de la proposition du greffier qui n’est pas inclus dans le rapport. Il porte sur l’examen des rapports du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.

Le greffier a relevé des difficultés potentielles au sujet des échéances à respecter pour l’examen d’un rapport sur un sénateur et de la possibilité qu’un vote sur le rapport doive avoir lieu avant que le sénateur en question ait eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet. Avant de se pencher sur cet aspect des échéances, le comité a voulu consulter le Comité sur l’éthique. Voilà pourquoi ce point n’est pas inclus dans le rapport. Cependant, des consultations ont été menées, et des modifications potentielles au Règlement à cet égard seront soumises à l’examen de notre comité. Si les modifications sont adoptées, un autre rapport suivra.

Sur ce, je vous remercie et j’espère que vous adopterez ce rapport en temps opportun.

L’honorable Percy E. Downe : Sénatrice Bellemare, je me préoccupe du nouvel article 1-1(3) du Règlement et de la raison pour laquelle l’article dit « peut » au lieu de « doit ». Chers collègues, je vais prendre un moment pour le lire tout haut, comme il est court. Voici ce qu’il dit :

Si une disposition du Règlement ou une pratique du Sénat constitue un obstacle à la participation pleine et égale d’un sénateur aux délibérations uniquement en raison d’un handicap, au sens de la Loi canadienne sur l’accessibilité, le Président du Sénat ou le président d’un comité peut autoriser des modifications raisonnables à l’application du Règlement ou de la pratique.

Pourquoi n’y lit-on pas « doit » afin que le sénateur puisse profiter d’une participation pleine et égale?

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci de cette question, sénateur Downe.

En français, on utilise le mot « le Président du Sénat ou le président d’un comité peut autoriser ». Ma compréhension de la proposition qui a été écrite par les greffiers est qu’actuellement, c’est à la discrétion totale du Président que des ajustements mineurs sont faits. Il le fait, mais ce n’est pas inscrit dans le Règlement. Compte tenu des débats que nous avons tenus dans le cadre du projet de loi sur l’accessibilité, nous avons cru bon d’inclure dans le Règlement que le Président a la permission ou l’autorité de prendre des dispositions et de s’ajuster pour assurer la participation. On a utilisé le mot « peut » dans le contexte que c’est ce qu’il fait maintenant. On n’est pas allé plus loin que cela. C’est la réponse que je peux donner.

Je ne peux pas demander au greffier pourquoi ils ont utilisé « shall » en anglais, qui signifie la même chose que « peut ». Ce n’est pas la même chose? Cela signifie « doit ». C’est une bonne question si ce n’est pas la même chose qu’en anglais, bien sûr. J’ai ici la copie en français des changements au Règlement. On vous reviendra là-dessus.

[Traduction]

Le sénateur Downe : Merci. Je suis sûr que l’intention est louable, mais je suis certain que mes collègues conviendront que la question de savoir si les sénateurs atteints d’un handicap peuvent participer pleinement aux délibérations ne devrait être laissée à la discrétion de qui que ce soit. Par le passé, il y a eu des personnes au Sénat qui avaient des problèmes de vision, et des modifications ont été apportées. Tous les sénateurs devraient automatiquement participer pleinement aux délibérations. J’appuie cet objectif, mais je ne pense pas que ce soit la bonne méthode pour y parvenir.

Ma deuxième question porte sur l’article 2-8a) du Règlement, qui précise ceci :

Au cours d’une séance, il est interdit :

a) aux sénateurs d’avoir des entretiens privés en deçà de la barre et, le cas échéant, le Président doit leur ordonner d’aller au-delà de la barre;

En cas de perturbation, par exemple si une personne fait trop de bruit — et je me suis moi-même rendu coupable de ce genre de chose —, les gens froncent les sourcils, et la présidence intervient au besoin. C’est une tradition de longue date. Or, d’après cet article du Règlement, si je parle à mon voisin de banquette, j’enfreins le Règlement. Est-ce que j’ai bien compris?

[Français]

La sénatrice Bellemare : Vous avez probablement tout à fait raison et c’est la règle actuelle. Rien n’a changé. Pour ce qui est de l’article 2-8a), ce n’est pas cela qui a été changé, mais dans l’article 2-8, on a supprimé la référence à l’interdiction de fumer. Les articles 2-8a) et b) se trouvent dans la règle actuelle. Il n’y a pas de changement proposé dans ce cas. On ne peut pas se mettre à parler au Sénat et à déranger les autres, mais on n’a pas fait de modification à ce point, qui est resté tel quel.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Le Sénat

Motion tendant à reconnaître que les changements climatiques constituent une urgence—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Galvez, appuyée par l’honorable sénateur Forest,

Que le Sénat du Canada reconnaisse que :

a)les changements climatiques constituent une urgence qui exige une réponse immédiate et ambitieuse;

b)l’activité humaine est, sans équivoque, responsable du réchauffement de l’atmosphère, de l’océan et de la terre à un rythme sans précédent, et est en train de provoquer des extrêmes météorologiques et climatiques dans toutes les régions du globe, incluant l’Arctique, qui se réchauffe à un rythme plus de deux fois supérieur au taux global;

c)l’incapacité de répondre aux changements climatiques a des conséquences catastrophiques, surtout pour les jeunes Canadiens, les peuples autochtones et les générations futures;

d)les changements climatiques ont un effet négatif sur la santé et la sécurité des Canadiens et la stabilité financière du Canada;

Que le Sénat déclare que le Canada est en période d’urgence climatique nationale, qui requiert que le Canada maintienne ses obligations internationales par rapport aux changements climatiques et augmente ses actions climatiques conformément à l’objectif de l’Accord de Paris de maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de deux degrés Celsius et de poursuivre les efforts afin de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 degré Celsius;

Que le Sénat s’engage à prendre des mesures d’atténuation et d’adaptation en réponse à l’urgence climatique et qu’il tienne compte de cette urgence d’agir dans le cadre de ses travaux parlementaires.

(Sur la motion du sénateur Housakos, le débat est ajourné.)

Motion tendant à autoriser une modification à la Loi constitutionnelle de 1867 (qualifications des sénateurs en matière de propriété) par proclamation de Son Excellence la gouverneure générale—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Patterson (Nunavut), appuyée par l’honorable sénateur Greene,

Attendu :

que le Sénat défend les intérêts de groupes souvent sous‑représentés au Parlement, tels les Autochtones, les minorités visibles et les femmes;

que le point 3 de l’article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit qu’une personne doit, pour être nommée au Sénat et y conserver son siège, posséder des terres d’une valeur nette minimale de quatre mille dollars situées dans la province pour laquelle elle est nommée;

qu’il se peut que des circonstances personnelles ou le marché immobilier d’une région donnée empêchent une personne de posséder la propriété requise;

que chacun devrait être admissible à une nomination au Sénat, indépendamment de la valeur nette de ses biens immobiliers;

que la qualification en matière de propriété immobilière n’est pas conforme aux valeurs démocratiques de la société canadienne moderne et qu’elle ne constitue plus une garantie adéquate ou valable de l’aptitude d’une personne à siéger au Sénat;

que chacun des vingt-quatre sénateurs du Québec est nommé pour un collège électoral donné et doit remplir la qualification en matière de propriété immobilière dans ce collège électoral ou y résider;

que les dispositions de la Constitution du Canada applicables à certaines provinces seulement ne peuvent être modifiées que par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de chaque province concernée;

que la Cour suprême du Canada a déclaré que l’abrogation complète du point 3 de l’article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant la qualification des sénateurs en matière de propriété immobilière requiert une résolution de l’Assemblée nationale du Québec conformément à l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982,

Le Sénat a résolu d’autoriser la modification de la Constitution du Canada par proclamation de Son Excellence la gouverneure générale sous le grand sceau du Canada, en conformité avec l’annexe ci-jointe.

ANNEXE

MODIFICATION À LA CONSTITUTION DU CANADA

1.(1) Le point 3 de l’article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867 est abrogé.

(2) L’article 23 de la même loi est modifié par remplacement du point-virgule à la fin du point 5 par un point et par abrogation du point 6.

2. La Déclaration des qualifications exigées figurant à la cinquième annexe de la même loi est remplacée par ce qui suit :

Je, A.B., déclare et atteste que j’ai les qualifications exigées par la loi pour être nommé membre du Sénat du Canada.

3.Titre de la présente modification : « Modification constitutionnelle de (année de proclamation) (qualification des sénateurs en matière de propriété immobilière) ».

(Sur la motion du sénateur Housakos, le débat est ajourné.)

Motion concernant les minimums applicables aux projets de loi du gouvernement—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Tannas, appuyée par l’honorable sénateur Black,

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle :

1.sauf disposition contraire du présent ordre, la motion d’adoption à l’étape de la troisième lecture d’un projet de loi du gouvernement ne soit pas mise aux voix à moins que les ordres pour la reprise du débat aux étapes des deuxième et troisième lectures aient été appelés au moins trois fois au total, exclusion faite des séances au cours desquelles ont été proposées les motions d’adoption à ces étapes;

2.après la première lecture d’un projet de loi du gouvernement, et avant que soit proposée la motion fixant la date de la deuxième lecture, le leader du gouvernement au Sénat ou le leader adjoint du gouvernement au Sénat puisse proposer, sans préavis, que le projet de loi soit réputé une affaire urgente et que les dispositions du paragraphe 1 du présent ordre ne s’appliquent pas aux délibérations le concernant;

3.les dispositions ci-après s’appliquent à une motion proposée conformément au paragraphe 2 du présent ordre :

a)le débat doit uniquement porter sur la question de savoir si le projet de loi devrait être considéré comme une question urgente ou non;

b)le débat ne peut être ajourné;

c)le débat dure un maximum de 20 minutes;

d)le temps de parole de chaque sénateur est limité à 5 minutes;

e)les sénateurs ne peuvent prendre la parole qu’une seule fois;

f)le débat ne peut être interrompu pour quelque raison que ce soit, sauf pour la lecture d’un message de la Couronne ou le déroulement d’un événement annoncé dans un tel message;

g)si nécessaire, le débat peut continuer au-delà de l’heure fixée pour la clôture de la séance jusqu’à ce qu’il soit terminé et que soient terminés également les travaux qui en découlent;

h)le temps consacré au débat et à tout vote n’est pas compris dans la durée des affaires courantes;

i)sont irrecevables les amendements et autres motions, sauf la motion visant à donner la parole à tel sénateur;

j)la motion est mise aux voix à la fin du débat ou à l’expiration du temps alloué pour celui-ci;

k)si le vote par appel nominal est demandé, il ne peut être reporté et la sonnerie ne se fait entendre que pendant 15 minutes.

(Sur la motion du sénateur Housakos, le débat est ajourné.)

Les défis et possibilités auxquels font face les municipalités canadiennes

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Simons, attirant l’attention du Sénat sur les défis et possibilités auxquels font face les municipalités canadiennes, et sur l’importance de comprendre et de redéfinir les relations entre les municipalités du Canada et le gouvernement fédéral.

L’honorable Bernadette Clement : Honorables sénateurs, le soleil n’était pas encore levé le 30 septembre 2021 lorsque les gens ont commencé à se rassembler dans la zone portuaire. Si vous aviez regardé depuis une certaine distance, vous auriez vu quelque chose de capital se produire sans bruit au lever du soleil.

Le Conseil des Mohawks d’Akwesasne a accueilli le conseil municipal, des membres du personnel, le Service de police de Cornwall et d’autres dirigeants locaux pour une cérémonie du tabac. Nous étions une quarantaine de personnes, vêtus d’orange pour la plupart, tous silencieux dans la lumière de l’aube.

Il est difficile pour moi d’exprimer l’émotion de ce matin-là. Le rassemblement était un symbole de promesse. Cette réunion historique était une promesse comme quoi nous nous engageons tous à réaliser ce projet ensemble, nous nous entraiderons et ne laisserons personne pour compte alors que nous établissons un précédent à titre de partenaires égaux.

J’aimerais vous parler de l’avenir de la zone portuaire et de son potentiel, mais d’abord, je donne un peu de contexte.

[Français]

Le port de Cornwall a ouvert ses portes en 1967 et a servi d’espace pour décharger des matières premières comme le charbon, le cotonv et des matériaux utilisés par des usines comme Courtaulds et Domtar, l’épine dorsale de notre économie locale pendant de nombreuses années.

(2120)

[Traduction]

En 1987, Transports Canada a commencé à exploiter le port de Cornwall. En 2016, il avait commencé à s’en départir, et la Ville de Cornwall et la Première Nation d’Akwesasne avaient signé une entente historique en vue de devenir copropriétaires d’un terrain de 16 acres. Ce partenariat n’est pas le fruit du hasard. En effet, le gouvernement fédéral avait insisté pour qu’il y ait un partenariat égal et il n’acceptait de se départir des terres que si elles allaient à ces deux communautés. Ajoutons que Transports Canada a versé un financement de 5 millions de dollars pour la réhabilitation de la propriété.

En 2020, les deux conseils ont cassé la croûte ensemble pour la première fois depuis 10 ans. En tant que mairesse, j’avais pour priorité absolue de rapprocher nos deux communautés. Je suis reconnaissante envers le grand chef Abram Benedict d’Akwesasne pour nos liens d’amitié et pour son leadership dans le cadre de ce projet ambitieux.

En 2021, nous avions déjà entrepris, en partenariat, de démolir un immeuble désaffecté et de créer un espace de verdure temporaire qui inviterait les gens des deux côtés de la rivière à profiter de la zone portuaire. Nous avons lancé une consultation publique pour voir comment les résidants des deux communautés envisageaient la croissance de cet espace. Peu après, j’ai été nommée au Sénat et j’ai démissionné de mon poste de mairesse. Malgré ces changements, le succès de la zone portuaire me tient toujours autant à cœur. En ce moment, un appel de propositions invite les gens à proposer des événements communautaires mobilisateurs qui pourront se dérouler dans la zone portuaire cet été, et les évaluations environnementales progressent.

Pourtant, il a été difficile de réaliser des progrès dans la zone portuaire au cours de la dernière année. Nous avons toujours su que ce serait difficile et que les solutions pour aller de l’avant nécessiteraient des compromis. Il faudra du temps, des efforts et de l’argent. Il faut déployer des efforts pour tisser des liens d’amitié. Il faut du temps pour sensibiliser les communautés à la vérité. Il faut un financement adéquat pour élaborer un cadre pour ce nouveau partenariat.

Cependant, les difficultés inhérentes au développement de la zone portuaire représentent aussi des occasions incroyables de tisser des liens d’amitié entre les dirigeants et les résidents de Cornwall et d’Akwesasne, de montrer au reste du Canada qu’un développement économique partagé est possible et de montrer au gouvernement fédéral que les municipalités peuvent être des acteurs du changement en matière de vérité et de réconciliation.

[Français]

Cette déclaration fait suite à l’interpellation lancée par mon amie la sénatrice Simons. Son objectif est d’attirer l’attention du Sénat sur les défis et les possibilités auxquels font face les municipalités canadiennes, et sur l’importance de comprendre et de redéfinir les relations entre nos municipalités et le gouvernement fédéral.

[Traduction]

Je ne vois pas de meilleur exemple, plus pertinent, que celui de la zone portuaire, car la politique porte avant tout sur des enjeux locaux. Rien n’a plus d’incidence sur la vie quotidienne des Canadiens que leur municipalité. Si nous voulons accomplir de véritables progrès en matière de réconciliation, les municipalités doivent être présentes à la table de négociation. Les municipalités ne sont pas les seules à vouloir être reconnues. Les communautés autochtones doivent également avoir leur place à la table de négociation.

Je vais d’ailleurs, à ce sujet, raconter une histoire : en 2020, les passagers d’un navire de croisière ont été mis en quarantaine dans un centre de congrès de Cornwall. Cela remonte à l’époque où l’on parlait encore de « coronavirus » et non de « COVID-19 ». La collectivité a été prise au dépourvu. C’était bien avant que nous ne comprenions ce qu’était la COVID-19, et les citoyens souhaitaient obtenir des informations et des réponses. Après une conférence de presse, j’ai rencontré une dirigeante autochtone et je lui ai dit que j’avais le sentiment que le gouvernement fédéral me manquait de respect, ce à quoi elle m’a répondu : « Bienvenue dans ma réalité ».

En lançant cette interpellation, la sénatrice Simons a fait valoir que les municipalités ont un besoin urgent de ressources budgétaires et politiques pour nous guider vers un avenir plus juste, plus prospère et plus innovant. Son interpellation a suscité des interventions de la part de mes distingués collègues.

[Français]

Le sénateur Éric Forest a laissé entendre qu’une évolution de la relation fédérale-municipale est possible, et que d’autres changements sont nécessaires.

La sénatrice Omidvar a montré comment les villes sont idéalement positionnées pour créer des solutions innovantes et locales aux problèmes à l’échelle nationale et mondiale.

[Traduction]

Le sénateur Cotter nous a dit que les collectivités sont le point de départ de notre identité. Nous sommes fiers d’où nous venons. La santé et la prospérité des villes et des villages sont aujourd’hui plus importantes que jamais.

La sénatrice Sorensen, qui a aussi déjà été mairesse, a parlé de l’écart entre ce qu’on attend des municipalités et le financement auquel elles ont accès pour répondre aux besoins.

[Français]

Le sénateur Ravalia a souligné le statut unique des municipalités de Terre-Neuve-et-Labrador et la lutte en vue de soutenir les villes croulant sous des fardeaux administratifs et financiers.

Le sénateur Cormier a abordé un thème qui nous intéresse tous : le rôle des municipalités dans la protection et la promotion de nos langues officielles.

[Traduction]

Je suis tout à fait d’accord avec eux. Les municipalités sont souvent petites, elles manquent de ressources et elles s’occupent des tâches quotidiennes comme le déneigement, l’horaire des patinoires, les transports en commun et la gestion des fientes de bernaches le long du fleuve Saint-Laurent. Vous seriez surpris d’apprendre combien de temps j’ai passé, lorsque j’étais mairesse, à discuter des fientes de bernaches et d’un million d’autres sujets. Pourtant, chaque jour, tous les jours, les municipalités sont des leaders, et il faudrait les reconnaître, les financer et les soutenir en conséquence.

Ce que Cornwall et Akwesasne tentent de faire ensemble sur les terres portuaires est du jamais vu au Canada. Cette copropriété de terrains riverains par une Première Nation et une municipalité constitue une approche unique qui devrait être source de retombées économiques et sociales pour les deux communautés. La population a fait preuve d’une imagination débordante pendant les consultations, et il était clair qu’elle souhaitait s’approprier cet espace. Les gens voulaient un lieu accessible comprenant des promenades, des espaces verts et la possibilité, pour les artistes et les commerçants, de rassembler la population. Il a beaucoup été question de tout ce qui est en lien avec l’eau : la pêche, le nautisme, la baignade, le canotage, une jetée, un quai et une autre marina. La plupart étaient d’avis que le projet était extrêmement important pour Cornwall et Akwesasne, et que le projet des terres portuaires pourrait ajouter du dynamisme à notre région, attirer les touristes et permettre un accès accru aux rives du fleuve.

Il y a beaucoup de travail à faire — non seulement pour donner vie à la vision des résidants, mais aussi pour finir d’établir la manière dont ce partenariat fonctionnera au quotidien. Des tâches telles que l’installation d’un panneau, la coordination du paiement des taxes et la réalisation d’une évaluation environnementale peuvent être difficiles. Heureusement, Akwesasne et Cornwall sont prêts à relever le défi. En cédant des terrains portuaires à ces collectivités, le gouvernement fédéral nous a confié une énorme responsabilité. C’est comme s’il nous disait : « Voyons maintenant ce que vous pouvez faire. »

Je suis fière que l’on ait fait confiance à Akwesasne et à Cornwall pour franchir une étape importante en matière de développement économique et, plus important encore, de réconciliation. J’espère qu’ensemble, ces municipalités jetteront les bases qui permettront à davantage de municipalités de jouer un rôle de chef de file.

[Français]

Si je pouvais redéfinir la relation entre les municipalités et le gouvernement fédéral, si je pouvais agiter ma baguette magique, je ferais deux vœux : premièrement, que le Canada fasse confiance à ses municipalités pour faire de grands pas dans des domaines tels que les changements climatiques, l’immigration et les questions sociales, mais surtout dans la réconciliation, et qu’il fournisse des ressources adéquates aux municipalités et offre des occasions comme celles que j’ai décrites aujourd’hui, pour réaliser cet objectif d’établir des relations et un dialogue avec les communautés autochtones.

[Traduction]

Deuxièmement, il importe que le Canada soit là pour offrir son soutien lorsque les choses se compliquent — parce qu’elles finissent toujours par se compliquer. Les municipalités veulent être traitées comme des partenaires égales, elles veulent être consultées et elles veulent qu’on tienne compte de leur avis pour la planification stratégique, la mise en œuvre, et au-delà. Les municipalités veulent qu’il y ait de la communication. Elles veulent qu’on leur parle. Elles veulent avoir leur place à la table, et nous pourrions être surpris de la contribution qu’elles peuvent apporter.

Merci. Nia:wen.

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de prendre la parole au sujet de l’interpellation de la sénatrice Simons, qui demande à notre assemblée d’explorer les difficultés et les possibilités auxquelles doivent faire face les municipalités canadiennes, et sur l’importance de comprendre et de redéfinir les relations entre les municipalités du Canada et le gouvernement fédéral. J’aimerais également remercier mon honorable collègue d’avoir lancé cette interpellation très importante. Les municipalités jouent un rôle essentiel dans la vie de chacun d’entre nous. S’il y a une chose que je connais, c’est bien le monde rural. J’ai passé ma vie en milieu rural à défendre les intérêts des habitants de ces régions. Cela étant dit, j’espère mettre en lumière le rôle des municipalités rurales, les difficultés et les possibilités uniques auxquelles elles sont confrontées et l’importance d’un soutien fédéral continu pour tout ce qui touche à la ruralité aujourd’hui.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, j’ai toujours vécu à Fergus, en Ontario. C’est là que mes ancêtres se sont installés en 1834 et que je réside encore aujourd’hui. Fergus est une communauté rurale célèbre pour ses vues pittoresques sur la rivière, ses chutes d’eau, ses gorges calcaires et le festival écossais annuel de Fergus.

Voici une petite leçon d’histoire : Fergus a de profondes racines écossaises qui remontent à 1833, lorsque les colons l’appelaient « Little Falls » en raison de ses chutes d’eau pittoresques.

(2130)

En 1858, avec une population de 1 000 habitants, la ville a été incorporée et renommée « Fergus » en l’honneur de l’un de ses fondateurs écossais, Adam Fergusson. Vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai voulu partager cette information avec vous aujourd’hui, mais je crois qu’il est important de montrer que l’histoire des collectivités rurales fait partie intégrante de l’histoire de notre pays, car nombre d’entre elles sont antérieures à la Confédération. Malheureusement, les municipalités qui composent le Canada rural sont parfois oubliées lorsque les gouvernements élaborent des politiques qui ont un effet sur les Canadiens aux quatre coins du pays.

En tant que sénateur, j’ai rencontré d’innombrables dirigeants de collectivités rurales dans tout le Canada pour en savoir plus sur leurs préoccupations et leurs besoins. Les habitants et les dirigeants des régions rurales que j’ai rencontrés ont toujours la même chose en tête, quel que soit l’endroit où ils vivent ou travaillent : ils savent exactement ce dont leurs collectivités ont besoin pour prospérer et pour s’épanouir. En règle générale, ils attendent de leur province et du gouvernement fédéral qu’ils les aident à atteindre leurs objectifs et à réaliser des projets liés aux infrastructures, au développement communautaire et à l’accès aux services. Leurs histoires et leurs idées m’ont à la fois inspiré et éclairé dans la manière dont j’aborde les enjeux ici, à la Chambre rouge.

Les municipalités rurales présentent un ensemble unique de problèmes et de possibilités, et elles doivent être traitées en tant que telles. Bien que la croissance de la population rurale ait ralenti dans de nombreuses régions, ces administrations jouent toujours un rôle essentiel dans notre économie en fournissant de la nourriture, de l’eau douce, des loisirs et des ressources à ceux qui vivent à l’intérieur et à l’extérieur de leurs limites. Elles ont toutes une histoire à raconter et j’espère que l’on en fera plus pour combler le fossé entre les villes et les campagnes dans les années à venir.

Si l’histoire de nos localités est importante pour comprendre ceux qui y vivent, il est également important de prendre du recul et de réfléchir au rôle de la gouvernance des municipalités qui contribue à la construction et au développement de ces régions rurales. Chaque municipalité, qu’elle soit grande ou petite, rurale ou urbaine, est dotée d’un organe de direction.

Nos administrations locales jouent un rôle essentiel dans la vie quotidienne de leurs habitants. Qu’il s’agisse de la gestion des déchets, des transports en commun, des services d’incendie, de la police, des centres communautaires ou des bibliothèques, les administrations municipales sont responsables de tout.

Le village de Fergus est situé dans le canton de Centre Wellington, qui fait partie du comté de Wellington. À ce titre, Fergus bénéficie du soutien du conseil de Centre Wellington et du conseil du comté de Wellington. Ces deux conseils, ainsi que toutes les administrations municipales d’un océan à l’autre, fournissent aux résidants le soutien dont ils ont besoin pour vivre, travailler et se divertir dans leur communauté.

Je suis fier d’avoir été représentant du secteur no 5 au sein du conseil du comté de Wellington avant d’être nommé au Sénat. Cela m’a donné l’occasion de vraiment comprendre le fonctionnement des municipalités et l’incidence importante qu’elles ont sur chacun d’entre nous.

J’en profite pour saluer le bon travail des conseils de Centre Wellington et du comté de Wellington et féliciter ceux qui ont été élus lors des élections municipales de l’automne dernier. Je suis impatient de voir ce qui peut être réalisé au cours de l’actuel mandat et j’adresse mes meilleurs vœux à tous les conseillers pour le soutien qu’ils offrent aux collectivités.

Aujourd’hui, les administrations municipales des localités rurales et urbaines jouent un rôle complexe dans la vie de leurs habitants. Les environnements dans lesquels elles opèrent sont devenus beaucoup plus complexes et exigeants. Les défis qu’elles doivent surmonter sont donc plus corsés. Nombre de collectivités rurales butent contre des défis qu’elles ne peuvent se permettre de relever seules.

J’aimerais maintenant remercier l’Association des municipalités de l’Ontario et l’Association des municipalités rurales de l’Ontario pour les efforts qu’elles déploient pour appuyer les municipalités de l’Ontario afin qu’à leur tour elles intensifient et améliorent les efforts qu’elles déploient pour appuyer leurs résidants.

L’Association des municipalités de l’Ontario s’efforce de rendre les administrations municipales plus fortes et plus efficaces. Grâce à cet organisme, les 444 municipalités de l’Ontario, rurales et urbaines, travaillent de concert pour atteindre des objectifs communs et relever des défis communs.

Je crois que les municipalités tirent de grands avantages du soutien de ces organisations et de tant d’autres à l’échelle de l’Ontario et du Canada. Il ne fait aucun doute que l’Association des municipalités de l’Ontario et l’Association des municipalités rurales de l’Ontario, ainsi que toutes les autres merveilleuses organisations que mes collègues ont mentionnées dans leur discours, sont d’un apport inestimable pour les municipalités, peu importe la région de notre pays.

Vers la fin de l’année dernière, nous avons invité la ministre du Développement économique rural à venir participer à une période des questions. Au fil des questions, un grand nombre de problèmes que vivent les Canadiens des régions rurales ont été abordés, ainsi que des possibilités pour le gouvernement fédéral de leur offrir du soutien, notamment en leur donnant accès à des services à large bande fiables, en développant et en améliorant les services de transport dans les régions rurales, en élargissant l’accès à des services de santé et en instaurant des programmes axés sur l’immigration, le logement et l’édification des collectivités.

Afin de mieux aider les municipalités rurales, j’exhorte les sénateurs et le gouvernement fédéral à examiner dans une perspective rurale les défis que doivent relever les municipalités et les possibilités qui s’offrent à elles.

Le vieillissement des infrastructures, les priorités concurrentes et l’accès à des services essentiels ne sont que quelques exemples des défis que doivent relever les municipalités. Toutefois, celles-ci ne pourront tout simplement pas y arriver seules. Je vous donne l’exemple de ma collectivité, Centre Wellington : elle compte 113 ponts, mais les trois quarts d’entre eux doivent être remplacés ou devront l’être sous peu. J’ai bon espoir que cette interpellation encouragera le gouvernement fédéral à réévaluer et à redéfinir sa relation avec les municipalités.

De toute évidence, que ce soit en milieu rural ou urbain, les municipalités ont besoin d’un soutien financier et stratégique à long terme pour stimuler les changements durables et positifs.

Le Fonds pour le développement des collectivités du Canada, qui était anciennement le Fonds de la taxe sur l’essence, apporte un soutien à certaines municipalités. Cependant, il est clair qu’un soutien plus conséquent est nécessaire, surtout pour les collectivités mal servies.

Une autre source de soutien pour les collectivités rurales de l’Ontario, le Rural Ontario Institute est un organisme caritatif sans but lucratif qui offre des programmes visant à former des chefs de file efficaces et en mesure d’exprimer des points de vue décisifs sur les possibilités et les principaux problèmes qui se présentent dans les régions rurales et le Nord de l’Ontario. C’est une organisation qui me tient particulièrement à cœur, car j’en ai été le directeur général, alors je sais à quel point son personnel travaille fort pour soutenir les communautés rurales de toute la province.

J’aimerais également prendre quelques instants pour mettre en lumière une initiative de l’Université de Guelph, à savoir les Archives populaires de l’Ontario rural. Cet organisme accomplit un travail remarquable pour mettre en lumière la résilience et le renouveau de l’Ontario rural en consignant en un seul et même endroit l’histoire de nombreuses communautés et de nombreuses personnes, ainsi que de nombreuses expériences vécues. Si vous n’avez jamais entendu parler de cet organisme, je vous invite à consulter son site web à l’adresse www.ruralontario.org pour en apprendre davantage.

Bien que je sois très fier des initiatives de ce type, qui contribuent à combler le fossé entre les régions rurales et urbaines du Canada, il reste encore beaucoup à faire.

Honorables collègues, nous devons reconnaître que les municipalités rurales nécessitent autant d’attention que leurs pendants urbains. Traiter ces collectivités comme une considération secondaire ne suffit pas. Elles sont tout aussi importantes que les municipalités urbaines, et j’espère que cette interpellation et les futures politiques fédérales refléteront cette réalité.

Merci. Meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Petitclerc, le débat est ajourné.)

[Français]

Un avenir à zéro émission nette

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Coyle, attirant l’attention du Sénat sur l’importance de trouver des solutions pour faire la transition de la société, de l’économie et de l’utilisation des ressources du Canada dans la poursuite d’un avenir juste, prospère, durable et paisible à zéro émission nette pour notre pays et la planète.

L’honorable Rosa Galvez : Chers collègues, je prends la parole au sujet de l’interpellation de la sénatrice Coyle, en vue de trouver des solutions pour assurer la transition de la société, de l’économie et de l’utilisation des ressources du Canada dans la poursuite d’un avenir juste, prospère, durable et paisible à zéro émission nette pour notre pays et la planète.

En 2022, le Jour du dépassement du Canada, c’est-à-dire le jour où notre pays a utilisé sa part de toutes les ressources que la Terre peut régénérer pendant une année entière, était le 13 mars. Malgré ses imperfections, cet indicateur est facile à comprendre et reflète le caractère non durable de notre système socioéconomique. Le Canada épuise les ressources d’une année en seulement deux mois et demi. Pourtant, nous avions l’habitude de gaspiller beaucoup moins. Au début des années 1970, le Jour du dépassement du Canada se situait à la fin du mois de décembre, là où il devrait être.

Dans notre propre intérêt, nous devons devenir une nation durable : nous devons être plus efficaces et attentifs lorsque nous utilisons les ressources naturelles.

[Traduction]

Notre mode de vie et nos comportements poussent le système actuel à ses limites. Dans l’ensemble, il existe une corrélation positive entre la génération de déchets et le niveau de revenu. Par conséquent, en tant que pays riche et développé, il est de notre devoir de rectifier la situation et de donner l’exemple.

On s’attend à ce que la demande mondiale en ressources matérielles double d’ici 2060. Si nous ne trouvons pas de solutions rapides, ingénieuses et durables, si nous ne changeons pas le paradigme pour que les citoyens ne soient plus considérés uniquement comme des consommateurs au sein d’un système économique linéaire qui exploite, fabrique et gaspille, cela causera des dommages à l’environnement, notamment une hausse des émissions de gaz à effet de serre, du volume de déchets et de la pollution connexe.

(2140)

L’essoufflement du système climatique planétaire est observé par les scientifiques depuis des décennies, et ce sont les émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité humaine qui, sans équivoque, sont la cause du réchauffement planétaire. Les températures moyennes planétaires sont actuellement près de 1,2 degré au-dessus du niveau préindustriel alors que, au Canada, le réchauffement est deux fois pire et que, dans l’Arctique, il est trois fois pire. Ces changements causent les événements météorologiques extrêmes qu’ont connus les Canadiens et qui entraînent la destruction des infrastructures de base. Les changements climatiques représentent un risque systémique parce que leurs effets sont ressentis par tout le monde, partout. Nous subissons au Canada des vagues de chaleur intense, la fonte du pergélisol, la montée du niveau de la mer, l’érosion des berges, des feux de forêt, des tornades et des ouragans, des rivières atmosphériques, une perte de biodiversité et l’extinction d’espèces. On se souviendra de l’année 2022 comme l’année où les événements météorologiques extrêmes sont devenus la norme et où le coût des dommages causés par chaque événement aura atteint des milliards de dollars.

J’ai récemment vu le film intitulé Au bout du rouleau — une histoire d’amour boréale, de Michael Zelniker. Je vous invite à le regarder. On y montre les liens directs entre nos habitudes de consommation, la destruction du capital naturel et la brutalité de notre inaction. Il faut comprendre une chose : plus de 5 000 espèces sauvages sont menacées d’extinction à différents degrés au Canada. Par exemple, malgré leur statut d’espèces protégées, les trois familles de caribou au pays sont menacées d’extinction, y compris les troupeaux autrefois imposants de George River et de Leaf River, au Labrador et au Québec. La sénatrice Audette pourrait vous parler davantage de la disparition de cette espèce et de l’importance de cette dernière pour les Autochtones.

Cependant, je suis ici pour parler de solutions et dire que les Canadiens souhaitent et attendent que le Sénat joue son rôle de Chambre de second examen objectif en tenant un débat constructif sur la question, ainsi qu’en proposant des solutions efficaces aux multiples crises interreliées que nous traversons tous, sans laisser personne pour compte.

Une première solution serait de laisser les marchés s’attaquer à la pollution et à ses conséquences. Les sociétés responsables doivent à ce titre lutter contre les externalités négatives, tout comme des citoyens responsables. Elles ont créé ces externalités négatives en prévoyant des moyens efficaces de les gérer. Il est urgent de mettre en place d’autres modèles de production et de consommation, tout en remédiant aux lacunes de notre système linéaire. Nous devons passer à une économie circulaire où les sous-produits, tels que les déchets et d’autres matières sans valeur, sont réintégrés dans le système.

Les grands principes sont, en fait, fort simples : utiliser moins de ressources; assurer une conception plus durable; interdire l’obsolescence programmée; fournir des boucles de services, comme les réparations, qui s’étendent durant le cycle de vie des produits; ralentir le rythme d’extraction; employer des substances moins toxiques ou polluantes; et améliorer la récupération et la gestion des déchets, ainsi que le retraitement des matières, pour en tirer le maximum en créant de la valeur à chaque stade de la réutilisation. En somme, si on ne peut pas réduire, réutiliser, réparer, reconstruire, remettre en état, revendre, recycler ou altérer un produit, il faudrait en restreindre l’utilisation, le reconcevoir ou cesser de le fabriquer.

Une deuxième solution qui s’imposerait grandement si le Canada devait choisir de demeurer concurrentiel durant l’actuelle troisième révolution industrielle et dans l’économie du savoir, c’est la transition vers les sources d’énergie renouvelables pour la production d’électricité.

Aujourd’hui, j’ai participé au huis clos sur le budget. J’ai publié un communiqué. Le budget prévoit de l’argent pour l’électrification — j’en suis très heureuse —, mais nous pouvons faire mieux.

Le secteur canadien des énergies renouvelables, même s’il est florissant dans des provinces comme l’Alberta, accuse en général un retard par rapport au reste du monde. Nous ne remplaçons tout simplement pas assez rapidement les combustibles fossiles par des sources d’énergie renouvelable. La plupart des pays du G7 ont réussi à dissocier la croissance de l’émission de gaz à effet de serre parce qu’ils ont mis au point et mis en œuvre des énergies propres. Contrairement aux combustibles fossiles, l’électricité produite à partir de sources renouvelables suit des courbes d’apprentissage où les coûts de production chutent constamment de façon marquée. En ce moment, les énergies renouvelables sont les solutions les plus sûres, les plus propres et les plus abordables, et le Canada dispose des ressources nécessaires pour être un chef de file mondial dans le domaine. La côte Est à elle seule a d’un potentiel d’énergie houlomotrice suffisant pour doubler nos capacités actuelles de production d’électricité.

Chers collègues, pourquoi — malgré le fait que nous ayons le plus long littoral, les plus fortes marées et certaines des plus grosses vagues du monde — n’avons-nous pas recours à l’énergie houlomotrice ou à l’énergie marémotrice?

Mon bureau a publié un livre blanc sur les meilleures politiques pour une relance propre après la pandémie de COVID-19 et un autre livre blanc sur les finances durables visant l’atteinte de la carboneutralité avant 2050. En mettant en œuvre des approches semblables à celles qui ont donné des résultats partout dans le monde, nous pouvons non seulement accélérer la transformation, mais aussi rendre l’économie canadienne plus durable, au diapason de notre réalité et de nos besoins pressants.

Parmi ces approches, nous avons relevé les suivantes.

On peut proposer des projets de loi qui tiennent compte à la fois du climat, c’est-à-dire des conséquences pour les générations futures, et de la justice sociale afin de veiller à répartir équitablement les avantages et les coûts de la transition.

Les mesures d’aide financière liées à la transition peuvent servir à aider la population d’abord et les entreprises par la suite. Lorsqu’une aide financière est offerte aux entreprises, elle devrait s’accompagner de mesures de reddition de comptes et d’application ainsi que d’objectifs vérifiables qui contribuent au bien-être de l’humanité et de l’écosystème.

Nous pouvons demander si l’aide financière offerte par le gouvernement pour des projets de développement contribue à protéger et à régénérer le capital naturel et les écosystèmes. Nous pouvons demander si les communautés autochtones ont été consultées et si on peut les aider à remplir leur rôle de gardiens des terres autochtones et de la biodiversité.

Les pêches, la foresterie et l’agriculture sont des secteurs qui emploient encore des approches non durables. Plusieurs populations de poissons sont en voie de disparition, des forêts boréales sont coupées à blanc, des terres agricoles sont appauvries en raison de la surutilisation de procédés lourdement mécanisés qui servent notamment à l’épandage d’engrais synthétique et de pesticides. Ces secteurs doivent revoir et optimiser leurs pratiques.

Nous pouvons encourager des pratiques qui permettent aux municipalités de s’adapter dès maintenant aux changements climatiques, notamment en construisant des infrastructures essentielles et durables et en veillant dès le départ à construire de la bonne façon et au bon endroit, et nous pouvons nous servir des infrastructures naturelles comme d’une première ligne de défense contre les inondations et l’érosion.

Tous les investissements du gouvernement pourraient servir à mieux bâtir pour l’avenir, ce qui nécessite de réaliser des projets de manière efficace sur le plan économique et environnemental pour recouvrer les coûts tout en réduisant les inégalités.

[Français]

Chers collègues, il existe de nombreuses solutions aux problèmes qui se posent à nous et que nous ne pouvons plus ignorer; ce dont nous avons besoin, c’est de la volonté et de l’intention, l’intention de protéger nos enfants et les générations actuelles et futures.

[Traduction]

Comme l’a dit le président Biden la semaine dernière :

[U]n avenir où nous comprenons que le succès économique n’est pas en conflit avec les droits et la dignité des travailleurs ni avec notre responsabilité d’investir dans la lutte contre la crise climatique, mais plutôt que ces choses en dépendent, à vrai dire.

Chers collègues, vous savez que l’Inflation Reduction Act des États-Unis change la donne, et nous devons intensifier nos efforts si nous ne voulons pas nous laisser nous distancer.

[Français]

Pour conclure, nous entendons des arguments sur le coût de l’action. Je vous mets au défi de justifier le coût économique, financier, sociétal et moral de l’inaction. En 2011, la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie a prédit que le coût de l’inaction pourrait atteindre 91 milliards de dollars par an au Canada d’ici 2050. L’Institut climatique du Canada estime que, d’ici 2025, soit demain, notre PIB national aura diminué de 25 milliards de dollars. D’ici 2055, il sera inférieur de 80 à 103 milliards de dollars. L’inaction ou le maintien du statu quo entraîne la destruction de notre capital naturel, qui représente une part importante de notre PIB.

(2150)

Je vous demande de réfléchir à ce que vous faites pour protéger la subsistance des Canadiens et l’économie canadienne des impacts des crises interconnectées du changement climatique, de la perte de la biodiversité et de la crise financière. Je vous demande de songer à ce que vous faites pour ouvrir la voie à une économie à zéro émission nette et prospère.

Merci, meegwetch.

[Traduction]

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, j’interviens une fois de plus ce soir, cette fois-ci dans le cadre de l’interpellation de l’honorable sénatrice Coyle attirant l’attention du Sénat sur l’importance de trouver des solutions pour faire la transition de la société, de l’économie et de l’utilisation des ressources du Canada dans la poursuite d’un avenir juste, prospère, durable et paisible à zéro émission nette pour notre pays et la planète.

Je suis et je serai toujours un ardent défenseur de l’agriculture. J’ai travaillé dans le domaine de l’agriculture presque toute ma vie. C’est ce que je connais le mieux, et ce domaine restera mon principal centre d’intérêt tant que je représenterai les Canadiens au Sénat.

Je me concentrerai donc ce soir sur le rôle de l’agriculture dans la lutte contre les changements climatiques et l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre pour appuyer les efforts du Canada en vue d’atteindre la carboneutralité.

Selon l’OCDE, l’agriculture était responsable d’environ 17 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale en 2016, et ce pourcentage n’inclut pas une part additionnelle allant de 7 à 14 % occasionnée par les nouveaux usages des terres. Selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, 10 % des émissions de gaz à effet de serre au Canada proviennent de la production agricole et de l’élevage de bétail. Cela n’inclut pas les émissions issues de l’utilisation de combustibles fossiles et de la production d’engrais.

Ces chiffres sont élevés et nous devons les réduire. Toutefois, cette responsabilité ne doit pas seulement reposer sur les épaules des agriculteurs et de l’industrie agricole, qui travaillent très fort pour produire nos denrées alimentaires, sans compter que la majorité d’entre eux sont de très bons gardiens des terres. Voilà pourquoi les agriculteurs sont profondément engagés dans la lutte contre les changements climatiques et l’atténuation de leurs effets.

Dans bien des cas, nos agriculteurs sont les premiers touchés par les conséquences des changements climatiques puisque l’industrie agricole canadienne en subit grandement l’impact. La fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes a doublé depuis les années 1990. On constate une augmentation des inondations, des sécheresses, des feux de forêt et des tempêtes, qui, sans surprise, nuisent aux récoltes et affectent de façon disproportionnée les exploitations agricoles de toutes tailles.

S’il faut reconnaître que l’agriculture fait partie du problème en ce qui concerne les changements climatiques, le secteur agricole n’a cessé de s’améliorer au fil des années, tandis que les émissions des autres secteurs ont augmenté. L’agriculture a le potentiel formidable de faire partie intégrante de la solution dans la lutte contre les changements climatiques.

En fait, de nombreux agriculteurs ont déjà pris des mesures au fil des ans pour faire de leurs terres une exploitation sans labour. Cette technique accroît la rétention de la matière organique et le cycle des nutriments, ce qui augmente le stockage du carbone. D’autres ont recours à des cultures fourragères vivaces et des cultures couvre‑sol, car il y a plus de carbone dans le sol sous les fourrages vivaces que sous les cultures annuelles, en partie parce que les premiers transfèrent mieux le carbone au sol.

En fait, la Fédération canadienne de l’agriculture a indiqué que les agriculteurs ont maintenu leurs émissions stables pendant 20 ans tout en doublant presque leur production, ce qui a permis de réduire de moitié l’intensité des émissions de gaz à effet de serre.

En outre, Agriculture et Agroalimentaire Canada reconnaît que l’agriculture contribue à ralentir les changements climatiques en stockant le carbone dans les terres cultivées. Le stockage — ou la séquestration — du carbone dans la matière organique du sol, la végétation pérenne et les arbres réduit la quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

De nouvelles percées technologiques et solutions innovatrices ont été mises de l’avant, comme l’agriculture de précision et le recours à l’intelligence artificielle et aux drones, ce qui contribue à diminuer les effets environnementaux négatifs tout en augmentant la rentabilité. Nous pourrions aussi envisager la possibilité d’accroître la portée des technologies qui ont déjà fait leurs preuves pour donner des résultats positifs sur le plan environnemental.

Les agriculteurs ont recours à de nombreuses autres solutions innovatrices pour protéger l’environnement sans sacrifier la rentabilité. À titre d’exemple, ils réintègrent le bétail et les cultures sur les fermes en ajoutant la gestion des pâturages, ce qui augmente l’apport de nutriments des animaux et la matière organique dans le sol. De plus, l’agriculture verticale et l’agriculture urbaine gagnent en popularité depuis quelques années.

Ces méthodes innovantes de production d’aliments permettent de faire pousser des végétaux dans les villes dans des espaces restreints.

Il y a aussi la culture hydroponique, autrement dit faire pousser des plantes directement dans de l’eau enrichie de nutriments plutôt que dans le sol.

Le défi que doit relever le secteur de l’agroalimentaire est de réduire ses émissions tout en s’adaptant aux changements climatiques sans mettre en péril la sécurité alimentaire.

Afin d’y arriver, les producteurs agricoles canadiens et les entreprises de transformation d’aliments auront besoin du soutien du gouvernement pour modifier leurs procédés de manière à les rendre plus écoresponsables. Le gouvernement devra aussi les aider à changer des pratiques et des procédures vieilles de très nombreuses décennies.

Au cours des dernières années, nombre d’organismes, y compris la Fédération canadienne de l’agriculture, la Fédération de l’agriculture de l’Ontario, la Canadian Cattlemen’s Association et le Conseil canadien du porc, entre autres, ont dit être déterminés à aider le Canada dans sa lutte contre les changements climatiques.

Chaque secteur a évidemment des préoccupations par rapport à certaines questions comme la tarification équitable du carbone, ainsi que d’autres facteurs pouvant avoir des effets sur la durabilité des industries, mais, dans l’ensemble, le secteur agricole canadien sait qu’il a un rôle crucial à jouer comme fiduciaire des terres, notamment lorsqu’il s’agit de préserver les écosystèmes et les ressources, comme les sols et l’eau, et de réduire les effets de ses activités sur l’environnement en adoptant de bonnes pratiques agricoles.

J’aimerais maintenant parler de la façon dont la santé des sols et des facteurs environnementaux peuvent avoir une incidence sur les changements climatiques. Dans cette enceinte et au Comité de l’agriculture et des forêts, j’ai parlé à plusieurs reprises de l’importance de la santé des sols.

Comme vous le savez peut-être, le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts entreprend une nouvelle étude sur la santé des sols. La conservation des sols, l’une des ressources naturelles les plus précieuses du Canada, est une question primordiale pour le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire. L’avenir du pays est intrinsèquement lié à la santé de son écosystème, qui est elle-même tributaire de la santé des sols. Dans l’optique de la présente interpellation, disons que les sols du Canada jouent un rôle essentiel pour le stockage du carbone et peuvent contribuer à la réalisation des objectifs du Canada en matière de carboneutralité.

Un sol sain est sans doute l’une des ressources les plus importantes pour la santé des écosystèmes naturels et agricoles, dont dépendent la production alimentaire et les services écosystémiques. Savoir comment gérer les sols et comprendre leur fonctionnement est essentiel pour leur productivité et leur viabilité à long terme.

Assurer la santé et la conservation des terres canadiennes est une responsabilité partagée qui nécessitera un leadership collectif ainsi qu’un engagement et une action soutenus de la part des personnes directement responsables de la gestion des sols dans l’ensemble du pays.

Cependant, il est inquiétant de penser que l’Ontario perd chaque jour 319 acres de terres agricoles. J’aimerais ici saluer la campagne « Home Grown » de la Fédération de l’agriculture de l’Ontario. Il est grand temps que nous travaillions ensemble pour protéger les exploitations agricoles locales de cette province et de tout le Canada contre l’étalement urbain. Lorsque nous perdons des terres agricoles, nous perdons aussi la nourriture qui y aurait été cultivée et les bienfaits des espaces verts. Cette perte nuit directement à notre capacité à maintenir une chaîne d’approvisionnement alimentaire solide et stable et entraîne la disparition d’écosystèmes.

En mars 2019, un rapport de l’Institut canadien des politiques agroalimentaires intitulé Croissance écologique en agriculture soulignait que :

L’agriculture canadienne… a régulièrement réduit l’intensité de ses émissions de gaz à effet de serre grâce à des changements technologiques radicaux. Les efforts déployés par les gouvernements, l’industrie et les universités continuent de permettre à l’industrie [non seulement]… de réduire ses émissions… de devenir un puits de carbone net et d’apporter des solutions au reste de l’économie.

La santé des sols et le changement climatique sont intrinsèquement liés. D’un côté, les sols sont les deuxièmes puits de carbone en importance après les océans. Ils stockent trois fois plus de carbone que la quantité de carbone qui se trouve dans l’atmosphère. D’un autre côté, la hausse des températures et l’évolution des cycles de précipitations peuvent entraîner l’érosion des sols, la diminution de leur fertilité et la réduction de leur capacité à fournir des services écosystémiques de base.

Nous savons que les sols ne sont pas une ressource renouvelable et qu’il nous reste peu de temps pour les sauver; moins de 50 ans selon certains experts. En outre, le coût de la dégradation des sols au Canada est estimé à plus de 3 milliards de dollars par an. Ce coût ne fera qu’augmenter si rien n’est fait.

(2200)

L’amélioration de la santé des sols n’est pas une entreprise universelle dans le paysage varié du Canada, mais il est clair qu’un sol sain a un rôle important à jouer dans notre économie, dans notre environnement et dans notre société, notamment en aidant notre pays à atteindre ses objectifs de carboneutralité.

Honorables collègues, nous savons que les changements climatiques sont l’un des plus graves problèmes que le monde doit affronter. De toute évidence, le secteur agricole comprend et soutient l’appel à l’action pour lutter contre les changements climatiques. Nous en demandons toutefois beaucoup aux agriculteurs. De nombreuses exploitations agricoles s’appuient sur des pratiques vieilles de plusieurs décennies, qui n’ont été que récemment considérées comme nuisibles à l’environnement. Je profite de cette occasion pour demander une fois de plus au gouvernement canadien de travailler en collaboration avec le secteur agricole, afin de faciliter un peu plus pour tout le monde le chemin menant à la viabilité environnementale.

Je suis convaincu que le secteur agricole, qui innove depuis toujours, continuera à relever le défi en contribuant à la lutte contre les changements climatiques. Bien entendu, les initiatives doivent provenir de tous les secteurs et être le fruit d’un effort auquel nous devons tous participer. Pour que nous puissions atteindre nos objectifs en matière de réduction des gaz à effet de serre, les gouvernements et l’industrie doivent travailler ensemble.

Je sais que nombre d’entre nous dans cette enceinte ont des enfants et des petits-enfants. Si nous ne travaillons pas ensemble pour lutter contre les effets des changements climatiques et les modifier, je crains qu’ils ne vivent dans un monde totalement différent de celui que nous connaissons aujourd’hui.

Je suis heureux d’avoir l’occasion d’apporter une perspective issue du monde agricole au Sénat. Je remercie mon honorable collègue d’avoir soulevé cette interpellation. Merci, meegwetch.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

La violence entre partenaires intimes

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Boniface, attirant l’attention du Sénat sur la violence entre partenaires intimes, en particulier en milieu rural dans tout le Canada, en réponse à l’enquête du coroner menée dans le comté de Renfrew, en Ontario.

L’honorable Yvonne Boyer : Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui sur l’interpellation no 10 présentée par la sénatrice Boniface, attirant l’attention du Sénat sur la violence entre partenaires intimes, en particulier en milieu rural dans tout le Canada, en réponse à l’enquête du coroner menée dans le comté de Renfrew, en Ontario.

Avant de commencer, je tiens à souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel non cédé des Algonquins anishinabes. Les membres de cette nation sont les premiers intendants de la terre. Il est important de faire preuve d’humilité, de gratitude et de respect envers leur intendance en reconnaissant celle-ci et en les remerciant. Quand nous rendons hommage aux ancêtres, nous réaffirmons les liens qui nous unissent. Ce faisant, nous participons activement à la réconciliation pendant que nous nous trouvons dans cette enceinte.

La violence entre partenaires intimes au Canada est un grave problème qui affecte de manière disproportionnée les femmes des Premières Nations, les femmes métisses et les Inuites, surtout dans les collectivités rurales. En fait, 61 % de toutes les femmes autochtones au Canada ont subi une forme de violence psychologique, physique ou sexuelle de la part d’un partenaire intime au cours de leur vie. Ce taux est de 44 % pour les femmes non autochtones.

Si mon discours d’aujourd’hui porte spécifiquement sur les femmes autochtones, je tiens à souligner que la violence entre partenaires intimes n’est pas limitée à la race, à l’orientation sexuelle ou au genre. Elle peut survenir — et survient — dans tous les groupes de la société et dans le cadre de toutes sortes de relations.

La surreprésentation des femmes métisses, inuites et membres des Premières Nations dans les chiffres sur la violence conjugale ne peut être considérée comme un phénomène isolé. Elle est le résultat des traumatismes intergénérationnels vécus par les peuples autochtones, du colonialisme, des inégalités structurelles et systémiques qui existent au sein de nos institutions, de la fragmentation des services et du profond sentiment de méfiance envers les institutions qui en découle.

L’un des principaux facteurs associés à la surreprésentation des femmes autochtones dans les cas de violence conjugale que j’aimerais mettre en évidence est l’éloignement. La violence vécue par de nombreuses femmes autochtones est exacerbée par l’isolement géographique de nombreuses communautés autochtones. Dans les communautés autochtones rurales, les services de police indiquent que les cas de violence conjugale sont 10 fois plus nombreux que dans les collectivités non autochtones. Il s’agit là d’une différence stupéfiante.

Outre le simple isolement géographique qui peut empêcher les femmes d’échapper à leur agresseur, les communautés isolées connaissent bien souvent un niveau de pauvreté élevé et un isolement psychosocial marqué, et les relations étroites entre les membres de ces communautés nuisent à la confidentialité. Il semble évident que l’éloignement est synonyme de manque de services. En effet, les foyers d’accueil, le logement, les services médicaux et les services d’aide juridique sont très limités dans les zones rurales.

La fragmentation de ces services d’une province à l’autre, les disparités entre les services offerts par les gouvernements fédéral et provinciaux et les problèmes liés à l’admissibilité dissuadent souvent les femmes métisses, inuites et membres des Premières Nations de chercher à obtenir de l’aide. Par ailleurs, lorsqu’elles demandent de l’aide, il leur est extrêmement difficile d’obtenir un soutien significatif.

En outre, les services de santé et les services sociaux auxquels ont accès les Autochtones ne tiennent souvent pas compte de leurs réalités culturelles ni des connaissances, des traditions et des lois autochtones. La prise en compte des pratiques traditionnelles et des connaissances et valeurs culturelles est essentielle à l’accessibilité, à la guérison et à l’efficacité des programmes. Des services adaptés à la culture sont essentiels pour combattre la violence entre partenaires intimes.

Même s’il reste beaucoup de travail à accomplir, j’espère être en mesure de vous parler aujourd’hui de certaines des importantes avancées réalisées par des Métis, des Inuits et des groupes des Premières Nations partout au pays.

Un organisme appelé Beendigen, associé à l’Anishinabe Women’s Crisis Home and Family Healing Agency de Thunder Bay, est l’un des nombreux centres d’aide dirigés par des Autochtones qui offrent une vaste gamme de services aux femmes autochtones victimes de violence de la part d’un partenaire intime. Je crois que Beendigen a réalisé que la fragmentation des services est l’un des principaux facteurs qui font que les femmes hésitent à aller chercher de l’aide. Ce centre offre des foyers d’accueil, des logements de transition, des services de counselling, du soutien aux enfants, des soins prénataux, du soutien familial et des services en toxicomanie et les connaissances culturelles et traditionnelles sont au cœur de son offre de services.

D’autres organismes dirigés par des Autochtones comme Warriors Against Violence, en Colombie-Britannique, développent des approches uniques pour lutter contre la violence entre partenaires intimes. Warriors Against Violence priorise les principes de la justice réparatrice et de la réinsertion sociale. L’organisme est conscient de la prévalence de la violence entre partenaires intimes dans les communautés autochtones et du fait qu’elle découle directement de la perte du sentiment d’appartenance et des valeurs qui se sont érodés avec le temps.

Warriors Against Violence travaille à aider les familles autochtones à désapprendre les comportements violents et à se réapproprier les valeurs traditionnelles de l’égalité, de l’honneur et du respect. Au moyen d’enseignements traditionnels, tels que le cercle de la vie, qui est au cœur de son programme de prévention, Warriors Against Violence mène ses activités selon le principe directeur voulant que la meilleure façon de mettre un terme à la violence entre partenaires intimes et la violence familiale est d’aider les hommes à guérir et de rompre le cycle de mauvais traitements. Son programme de prévention inclut des aînés, des donneuses de vie, des hommes et des jeunes.

Le programme de traitement RedPath – Living Without Violence est situé à Peterborough et sert de 400 à 700 personnes par année. Il a été créé en 2003 pour s’attaquer aux cycles persistants de mauvais traitements et de violence familiale, y compris la violence physique et l’exploitation sexuelle, qui n’ont jamais été systématiquement reconnus ni éliminés dans la plupart des collectivités autochtones. Au fil des ans, le programme a pris de l’expansion et est maintenant offert à des dizaines d’emplacements au Canada. Il améliore le sort de chaque personne qui y participe.

RedPath est un modèle ciblant les Autochtones qui, au départ, devait être un programme de gestion des émotions. À l’origine, il a été mis à l’essai et offert dans les pénitenciers fédéraux. Comme c’était une grande réussite, le modèle a ensuite été adapté pour en faire un programme de traitement des dépendances, un programme de préparation à l’emploi et un programme de vie sans violence, lequel peut être utilisé auprès des agresseurs et des victimes de mauvais traitements.

Le modèle sous-jacent de tous les programmes enseigne aux facilitateurs et aux travailleurs de première ligne l’importance fondamentale de la santé émotionnelle. Le programme RedPath est intégré aux programmes de santé et de bien-être actuels afin d’en garantir l’efficacité et le succès. Il s’agit d’un programme fondé sur une approche autochtone holistique et sur le bien-être pour traiter des aspects physiques, émotionnels, psychologiques et spirituels des participants.

La façon la plus efficace de réduire les problèmes qui conduisent à la violence de la part d’un partenaire intime est de renforcer l’identité de la personne et de la sensibiliser à la situation. L’élément central de l’intervention consiste à fournir habilement des outils dans une séance de groupe afin de faire comprendre aux participants que tous les événements et les comportements sont rattachés au passé, au présent et à l’avenir. Les concepts clés qui servent à faciliter l’action et le changement incluent la détermination, la communication et l’expérience des émotions, de même que la réflexion à leur sujet.

(2210)

J’aimerais citer Tracey Whiteye, facilitatrice du programme RedPath :

Un participant m’a dit que le programme RedPath est quelque chose qui lui est précieux parce qu’il lui a sauvé la vie. Il a affirmé qu’il n’y a pas d’autres programmes semblables. Il est allé dans des centres de traitement, et il s’est inscrit à des programmes d’accompagnement pendant le deuil, mais rien n’a amélioré sa vie comme RedPath. Il a même convaincu sa partenaire et ses deux enfants de suivre eux aussi le programme, ce qui a changé leur vie, d’après lui. Il a soutenu que ce programme l’avait fait explorer des facettes de lui‑même dont il ne soupçonnait même pas l’existence. Il l’a poussé à se pencher sur la cause de ces problèmes, sur ce qui s’était passé dans son enfance, et à mieux se comprendre. Ce n’est pas un programme superficiel. Il lui a permis de découvrir les causes profondes de ses problèmes et l’a forcé à mieux assumer ses responsabilités.

Surtout, le programme RedPath a aidé ces hommes autochtones à renouer avec leur culture, leur identité et leurs traditions. Cela a aidé les participants à reconnaître l’importance de leurs rôles et de leurs responsabilités dans le système familial, en tant que protecteurs et pourvoyeurs. Ce programme revêt de l’importance pour leur épouse, leurs enfants, leur famille et leur communauté parce qu’il a permis à ces hommes de reprendre sainement leurs rôles de pères, d’oncles, de frères et de grands-pères auprès de leur famille.

Le programme Redpath a aidé ces personnes à poursuivre leur processus de guérison et de mieux-être grâce à un ensemble de soins. Ce ne sont là que quelques exemples de programmes qui ont aidé à composer avec la violence conjugale, mais bien d’autres intervenants de partout au pays doivent être salués et remerciés pour leur excellent travail.

Honorables sénateurs, il reste encore beaucoup à faire à l’égard de la violence conjugale qui touche les femmes métisses, inuites et des Premières Nations, mais je suis heureuse que des initiatives novatrices et menées par des Autochtones permettent non seulement d’offrir du soutien et de faciliter l’accès à des services, mais aussi de mettre davantage l’accent sur la prévention et sur ce qui aide à briser le cycle de violence intergénérationnel.

J’aimerais conclure en présentant quelques points clés que des communautés autochtones et des fournisseurs de services ont mentionnés concernant les aspects essentiels à considérer en vue de mettre fin à la violence conjugale dans les communautés autochtones. Par exemple, on peut parfaire les méthodes d’aiguillage constructives pour les femmes autochtones qui ont besoin d’aide tout en facilitant l’accès à des refuges d’urgence et à des services d’hébergement, et on peut développer des services de guérison et de bien-être pour les hommes autochtones. La mise en œuvre d’une approche cohérente aidera à mettre fin à la fragmentation des services qui découragent les femmes de demander de l’aide dans les régions éloignées.

Enfin, ce qui est peut-être plus important encore, c’est de s’efforcer d’intégrer les enseignements autochtones à l’ensemble des services et des programmes d’aide en cas de violence conjugale afin d’offrir aux femmes autochtones qui ont besoin d’aide un environnement adapté à leur culture.

Comme l’a souligné mon honorable collègue la sénatrice Boniface, même si notre compréhension de la violence conjugale a évolué, il reste bien du chemin à faire, et il est impératif que nous nous rappelions les conséquences disproportionnées de ce problème sur les communautés autochtones. Merci, meegwetch, marsee, à toutes mes relations.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

Le centième anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Woo, attirant l’attention du Sénat sur le 100e anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois, sur les contributions que les Canadiens d’origine chinoise ont apportées à notre pays et sur la nécessité de combattre les formes contemporaines d’exclusion et de discrimination auxquelles sont confrontés les Canadiens d’origine asiatique.

L’honorable Paula Simons : J’ai l’honneur de prendre la parole aujourd’hui pour répondre à l’interpellation du sénateur Woo, qui attire notre attention sur les séquelles de la Loi d’exclusion des Chinois, promulguée le 1er juillet 1923, il y a 100 ans.

Cette loi a été conçue par le gouvernement de William Lyon Mackenzie King. Elle a mis fin à l’ancien système de taxe d’entrée. Au lieu de cela, elle fermait complètement la porte à l’immigration chinoise.

Les règles étaient strictes. Seules quatre catégories de Chinois étaient autorisées à entrer sur le territoire : les diplomates et les représentants du gouvernement; les enfants nés au Canada, mais qui avaient quitté le pays à des fins éducatives, mais seulement s’ils revenaient dans un délai de moins de deux ans; les étudiants qui fréquentaient une université ou un collège; et, dans de rares cas, les commerçants qui avaient reçu un statut spécial du ministre de l’Immigration et de la Colonisation.

Les navires transportant des immigrants chinois au Canada n’étaient autorisés à transporter qu’un Chinois par tranche de 250 tonnes du poids d’expédition. Ceux qui étaient nés ici devaient s’enregistrer et porter une pièce d’identité avec photo.

Le libellé de la loi de 1923 autorisait la police à détenir et à arrêter, sans mandat, toute personne d’origine ou d’ascendance chinoise qu’elle soupçonnait d’être entrée illégalement au pays. Les personnes arrêtées étaient détenues jusqu’à ce qu’elles puissent fournir la preuve légale qu’elles étaient autorisées à se trouver au Canada. Celles qui ne le pouvaient pas risquaient l’expulsion.

Ainsi, moins de 50 personnes — aussi peu de 15 selon certaines sources — ont pu émigrer au Canada depuis la Chine entre 1923 et 1947.

Pour mettre les choses en perspective, en 1921, le Canada a admis 2 707 immigrants chinois. En 1924, nous n’en avons admis que trois, et un seul en 1925.

Dans son discours initial, le mois dernier, le sénateur Woo a suggéré que la Loi d’exclusion n’aurait pas suscité autant d’intérêt que la taxe d’entrée parce que la plupart des victimes étaient hypothétiques et qu’il s’agissait d’immigrants qui auraient pu venir ici s’ils y avaient été autorisés.

Permettez-moi de ne pas être d’accord avec mon ami et collègue, car ce n’est pas totalement vrai. Les principales et très réelles victimes de la Loi d’exclusion de 1923 ont été les épouses et les enfants restés en Chine, qui n’ont pas été autorisés à venir ici pour y rejoindre leur mari et leur père. Et comme on estime que 80 % des Canadiens d’origine chinoise avaient une épouse et une famille en Chine, on peut conclure que de nombreuses familles ont été séparées.

En raison de la difficulté et du coût du voyage — rendu encore plus coûteux par la taxe d’entrée —, il était courant pour les travailleurs chinois de laisser leur épouse et leur famille derrière eux pour venir s’établir en Alberta ou en Colombie-Britannique dans l’espoir de les faire venir au Canada plus tard. Ils étaient maintenant privés de cette possibilité.

En 1931, on comptait à Toronto 15 fois plus d’hommes chinois que de femmes chinoises. À Calgary, les hommes étaient 12 fois plus nombreux que les femmes. À Vancouver, ils étaient 11 fois plus nombreux que les femmes.

Beaucoup de familles ont vécu une séparation permanente; des liens familiaux ont été rompus à tout jamais.

Les épouses qui étaient restées en Chine étaient souvent stigmatisées et subissaient un isolement culturel. Pendant ce temps, au Canada, les célibataires esseulés se tournaient souvent vers les maisons de jeu et les bordels pour passer le temps, au grand désarroi des dirigeants communautaires chinois. La Chinese Benevolent Association de Vancouver se plaignait que le manque de femmes et de liens familiaux au sein des communautés amenait les hommes à sombrer de manière indisciplinée dans les mauvaises habitudes et les divertissements.

Bien sûr, cette situation a encouragé des croyances racistes selon lesquelles les Chinois étaient immoraux du fait de leur culture, alors que leurs « mauvaises habitudes » étaient le résultat logique de la création d’une communauté artificielle et isolée formée de célibataires.

Les conséquences naturelles de la loi draconienne sur l’exclusion ont fini par devenir évidentes. La population chinoise installée au Canada a commencé à diminuer considérablement. Alors que l’on comptait 11 592 personnes d’origine chinoise à Vancouver en 1931, il n’y en avait plus que 5 973 en 1941.

Cet exode est d’autant plus troublant et renversant quand on pense que ceux qui sont retournés en Chine pendant ces 10 années arrivaient dans une zone de guerre et dans un pays qui risquait d’être occupé par le Japon.

Entre 1921 et 1951, la population chinoise du Canada a diminué de 25 %. Il s’agit très certainement d’une caractéristique et non d’un défaut de la loi d’exclusion. Conçue par le gouvernement raciste de Mackenzie King, cette loi visait non seulement à empêcher les immigrants chinois d’entrer au Canada, mais aussi à faire fuir ceux qui s’y trouvaient déjà.

Les Canadiens d’origine chinoise et ceux qui aspiraient à le devenir ne sont pas les seuls à avoir souffert de la loi d’exclusion. Le Canada a également fait les frais de sa xénophobie et de son sectarisme en perdant le talent et le dynamisme des personnes qui se sont vu refuser l’entrée au pays.

Dans ce contexte, je pense qu’il est instructif d’examiner certaines réalisations extraordinaires des Canadiens d’origine chinoise qui ont atteint la majorité à l’époque même où la loi d’exclusion était en vigueur.

La Dre Victoria Chung est née en 1897 à Victoria, la ville qui lui a donné son nom. Elle a été la première Canadienne d’origine chinoise à devenir médecin — non seulement la première femme médecin, mais aussi la première médecin sino-canadienne, tout court.

En 1923, l’année où la Loi d’exclusion des Chinois a été adoptée, la société missionnaire des femmes presbytériennes a parrainé la Dre Chung afin qu’elle puisse se rendre en Chine pour y travailler dans un hôpital. Cependant, quand elle a essayé de rentrer au Canada, on lui a dit qu’elle avait séjourné trop longtemps en Chine et qu’elle était de ce fait inadmissible. Elle ne pouvait plus retourner vivre dans son pays natal. Ses parents ont pris la décision de quitter le Canada pour vivre auprès d’elle, renonçant ainsi à leur droit de rentrer au pays où ils avaient vécu depuis des décennies. Elle aurait pu s’enfuir de la Chine quand le Japon l’a envahie. Au lieu de cela, elle a continué de travailler comme médecin et missionnaire durant la guerre et la révolution chinoise.

Peter Wing est né à Kamloops, en Colombie-Britannique, en 1914. Homme d’affaires prospère, il est devenu le membre le plus jeune de la chambre de commerce de Kamloops en 1934. Il a ensuite été maire de Kamloops pendant trois mandats, ce qui en a fait le premier Canadien d’origine chinoise à occuper les fonctions de maire au pays, et même la première personne d’origine chinoise à être élue à ce poste en Amérique du Nord.

(2220)

George Ho Lem est né à Calgary, en 1918. Sa mère, Mary, a été la première Canadienne d’origine chinoise à s’installer dans la ville selon les registres. Il a été nettoyeur, restaurateur et éleveur de chevaux réputé ayant remporté deux derbys de l’Alberta. Il a été membre du conseil d’administration du Stampede de Calgary pendant 18 ans. Il a été élu conseiller municipal de Calgary en 1959, puis il est devenu le premier Canadien d’origine chinoise à être élu à l’Assemblée législative de l’Alberta.

Gretta Wong Grant est née à London, en Ontario, en 1921. En 1946, un an avant la fin de la Loi d’exclusion des Chinois, elle a été admise au Barreau de Toronto en tant que première avocate canadienne d’origine chinoise du pays. Diplômée de la Faculté de droit Osgoode Hall, elle a occupé les fonctions d’avocate adjointe de la municipalité et de directrice de l’aide juridique de London, en plus d’avoir été la première femme à diriger l’association locale du Barreau. Cela dit, toute la famille de Gretta était extraordinaire. Elle pourrait bien avoir été le cancre de la famille. Ses deux sœurs aînées ont fait des études en médecine à l’Université Western Ontario, et sa sœur cadette a obtenu un doctorat en biochimie.

Douglas Jung est né à Victoria en 1924. Il a 20 ans lorsqu’il s’engage dans l’armée canadienne au sein d’un groupe de 13 Canadiens d’origine chinoise qui se portent volontaires pour l’opération Oblivion, une mission du Special Operations Executive britannique visant à envoyer des agents secrets dans la Chine occupée par les Japonais pour y servir d’espions et de saboteurs.

Après la guerre, Jung a suivi des études de droit et est devenu un avocat reconnu. En 1957, 10 ans après l’abrogation de la Loi d’exclusion des Chinois, il fut le premier député canadien d’origine chinoise à être élu au Parlement du Canada.

Norman Kwong est né à Calgary en 1929 et a grandi pendant les années les plus sombres de la Loi d’exclusion des Chinois, mais, en 1948, à l’âge de 18 ans, il a entamé une carrière extraordinaire dans le football. Pendant trois ans, il a joué pour les Stampeders de Calgary, et est devenu le premier joueur sino-canadien de la Ligue canadienne de football — et le plus jeune — à remporter la Coupe Grey. Il a passé 10 autres années glorieuses à jouer pour Edmonton, remportant la Coupe Grey à trois autres reprises, ce qui lui a valu le surnom de « China Clipper ». Il a remporté à deux reprises le prix Schenley du meilleur joueur canadien de la ligue et, en 1955, a été nommé athlète masculin de l’année au Canada. Il a ensuite poursuivi une brillante carrière dans les affaires et est devenu copropriétaire des Flames de Calgary, ce qui fait de lui la première personne — et peut-être la seule — à remporter à la fois la Coupe Stanley et la Coupe Grey. Après des années de service public dévoué, il a été nommé lieutenant-gouverneur de l’Alberta en 2005, un rôle qu’il a assumé avec distinction et qui lui a valu une énorme popularité auprès du public.

Je pourrais continuer à raconter de telles histoires, mais je pense que ces quelques exemples illustrent mon propos. Pensez aux obstacles extraordinaires que toutes ces personnes ont dû surmonter. Imaginez maintenant ce que nous, Canadiens, avons perdu avec notre racisme, qui a eu l’effet d’un autosabotage, étant donné tout le talent et l’énergie que nous avons rejetés ou fait fuir.

Nous devons maintenant faire très attention de ne pas répéter les erreurs du passé et de ne pas laisser les préjugés et la paranoïa obscurcir notre jugement ou nous mener à remettre en question le patriotisme et la loyauté des Canadiens sur la base de leur origine ethnique. Qu’il soit bien clair que les allégations sérieuses et fondées d’ingérence du gouvernement chinois dans la politique provinciale ou fédérale du Canada doivent faire l’objet d’une enquête appropriée, approfondie et rapide. Si ces allégations sont confirmées, nous devons prendre des mesures fermes pour préserver l’intégrité de nos élections et nous ne devons pas être naïfs quant aux intentions éventuelles d’autres pays.

Prenons bien garde de ne pas faire de suppositions paresseuses et dangereuses sur la loyauté de dizaines de milliers de Canadiens d’origine chinoise. Les Canadiens d’origine asiatique ont déjà été victimes d’un racisme odieux découlant de l’éclosion de la pandémie de COVID-19. Bien que ces attaques racistes soient en baisse, il serait tragique que des Canadiens d’origine chinoise, y compris des politiciens, soient calomniés à la suite d’allégations anonymes.

Nous ne pouvons et ne devons pas permettre à des gouvernements ou à des acteurs étrangers d’influencer nos élections, que cette influence vienne de Russie, de Chine, des États‑Unis, d’Inde ou d’ailleurs. Nous devons prendre au sérieux les rapports crédibles faisant état d’une telle influence étrangère. Or, dans notre hâte à protéger notre démocratie, nous ne devons pas sacrifier nos valeurs démocratiques fondamentales. Je crains que certains propos de plus en plus enflammés autour de cette question, même s’ils sont bien intentionnés, n’aient déjà pour résultat non seulement de diffamer certains Canadiens d’origine chinoise dans la sphère publique, mais aussi d’alimenter une méfiance destructrice à l’égard des Canadiens d’origine chinoise de manière plus générale. Il n’y a rien que nos divers adversaires et que les agents provocateurs aimeraient plus que de semer la méfiance et la discorde parmi les Canadiens, de nous voir nous retourner les uns contre les autres, de favoriser la division lorsque nous avons le plus besoin d’être unis. Ne leur facilitons pas la tâche.

Alors que nous approchons du 100e anniversaire d’un chapitre sombre et destructeur de notre histoire, veillons à tirer les leçons de notre passé, à nous rappeler et à célébrer l’extraordinaire héritage des Canadiens d’origine chinoise qui ont enrichi notre pays, ainsi que les réalisations et le leadership des Canadiens d’origine chinoise d’aujourd’hui, qui ont tant donné à ce pays que nous chérissons tous. Je vous remercie. Hiy hiy.

L’honorable Kim Pate : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénatrice Simons?

La sénatrice Simons : Je serais ravie de le faire.

La sénatrice Pate : Je m’en voudrais de ne pas vous demander si vous saviez que Gretta Wong, à qui vous avez fait référence, a des liens directs avec cette Chambre.

La sénatrice Simons : Je l’ignorais. Pourriez-vous nous éclairer sur la nature de ces liens?

La sénatrice Pate : Je suis heureuse d’ajouter que, en plus d’avoir ouvert certaines des premières cliniques d’aide juridique sino-canadiennes au pays, en grande partie parce qu’on ne lui a fourni aucune autre occasion ou aide juridique, Gretta Wong est également la grand-mère de la directrice des affaires parlementaires de mon bureau, Emily Grant, et l’arrière-grand-mère de la fille d’Emily, Isabel Gretta.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Simons : Je l’ignorais.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

(À 22 h 28, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

ANNEXE

Allocution

de

l’honorable Joe Biden

président des États-Unis d’Amérique

devant les

deux Chambres du Parlement

à la

Chambre des communes

à Ottawa

le vendredi 24 mars 2023

L’honorable Joe Biden est accueilli par le très honorable Justin Trudeau, premier ministre du Canada, l’honorable George J. Furey, Président du Sénat, et l’honorable Anthony Rota, Président de la Chambre des communes.

[Traduction]

L’hon. Anthony Rota (Président de la Chambre des communes, Lib.) : Monsieur le président, madame Biden, bienvenue au Canada et à la Chambre des communes.

[Français]

Monsieur le premier ministre, monsieur le Président Furey, madame et messieurs les chefs de parti, mesdames et messieurs les parlementaires, Vos Excellences et chers invités, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à cet événement extraordinaire.

[Traduction]

Mes collègues et moi sommes honorés de votre visite. Ensemble dans cette enceinte, nous pouvons prendre quelques instants pour célébrer l’amitié et les valeurs communes de nos pays. Nous célébrons nos peuples et l’histoire de la coopération entre le Canada et les États-Unis.

À North Bay, ma ville d’origine, dans la circonscription de Nipissing—Timiskaming, nous avons un excellent exemple de cette coopération. Des militaires canadiens et américains assurent ensemble notre sécurité au sein du NORAD en patrouillant le ciel de l’Amérique du Nord. Le NORAD est la preuve que, lorsque nous, les Canadiens et les Américains, entreprenons une mission ensemble, nous accomplissons de grandes choses et surtout, nous renforçons notre grande amitié. La visite actuelle nous rappelle que nous ne devons jamais tenir pour acquises notre amitié, notre coopération et nos valeurs communes.

[Français]

Permettez-moi maintenant d’inviter le très honorable premier ministre à prendre la parole.

[Traduction]

Le très hon. Justin Trudeau (premier ministre, Lib.) : Merci, monsieur le Président.

Aujourd’hui, nous accueillons au Parlement du Canada le 46e président des États-Unis d’Amérique, le président Joseph R. Biden Jr.

Monsieur le président, vous êtes un véritable ami du Canada, et c’est plus important que jamais en ce moment crucial. Nous traversons sans aucun doute une période difficile. À l’heure où les conséquences du réchauffement de la planète s’ajoutent aux séquelles d’une pandémie mondiale, où une guerre injustifiable en Europe choque la conscience du monde et révèle la vulnérabilité des marchés de l’énergie et des chaînes d’approvisionnement, où les familles subissent les pressions inflationnistes et la crise de l’abordabilité, où les gens s’inquiètent pour leur avenir et celui de leurs enfants un peu partout dans le monde, en cette heure, monsieur le président, nos deux pays sont unis comme il se doit pour trouver des solutions ensemble.

[Français]

Nous allons continuer de travailler ensemble pour créer des emplois, bâtir des économies et des sociétés plus saines et plus durables. L’économie, l’environnement et la sécurité sont interreliés et cela n’a jamais été aussi clair.

[Traduction]

Il n’a jamais été aussi clair que tout est interrelié : les politiques en matière d’économie, de climat et de sécurité vont de pair. Nos concitoyens ont besoin que nous réfléchissions de manière stratégique et que nous agissions sans délai, et c’est exactement pour cela que nous sommes réunis aujourd’hui.

Monsieur le président, tout au long de leur histoire, le Canada et les États-Unis, comme amis et comme alliés, ont traversé ensemble bien des tempêtes : des pandémies, des récessions, des guerres. Ici même à la Chambre des communes, en septembre 1939, les députés ont débattu de la possibilité de partir en guerre. Quelques années plus tard, les soldats canadiens et américains se battaient contre le fascisme, côte à côte. Et ils sont aujourd’hui enterrés dans des cimetières militaires aux quatre coins du monde, côte à côte.

La guerre a de nouveau éclaté en Europe. Comme vous le savez très bien, monsieur le président, le Canada continuera d’appuyer l’Ukraine indéfectiblement, coûte que coûte. Nos deux pays sont des partenaires sur lesquels l’Ukraine et le monde entier peuvent compter. Depuis que Vladimir Poutine a lancé son invasion brutale, le Canada, à l’instar des États-Unis, a fourni à l’Ukraine un important soutien militaire — dans notre cas, des pièces d’artillerie, des munitions, des véhicules blindés et des chars d’assaut. Depuis 2015, dans le cadre de l’opération Unifier, les Forces armées canadiennes ont entraîné quelque 35 000 valeureux militaires ukrainiens, et cette mission se poursuit.

De concert avec leurs partenaires et alliés, nos deux pays ont imposé des sanctions et des mesures économiques punitives pour continuer de vider le trésor de guerre du Kremlin. Après un printemps terrifiant, un été et un automne violents et un hiver épuisant, l’Ukraine est toujours debout.

[Français]

Il y a un an, notre ami le président Zelenski s’est adressé à la Chambre pour nous remercier de l’avoir soutenu dès le début. Aujourd’hui, ensemble, nous réitérons notre message pour le président Zelenski et pour les Ukrainiens : nous restons à vos côtés.

C’est en défendant les démocraties et l’ordre international fondé sur des règles que nous allons assurer la sécurité des Canadiens et des Américains. Vladimir Poutine a sous-estimé la détermination de l’Europe et des alliés de l’OTAN. Il a sous-estimé la force et le courage des Ukrainiens et leur volonté de défendre leur langue, leur culture, leur patrie.

[Traduction]

Monsieur le président, je veux vous présenter Natalia. Je l’ai rencontrée la semaine dernière. Natalia est arrivée au Canada de l’Ukraine il y a plus de 10 ans. Elle est en sécurité ici avec sa famille, mais bon nombre de ses proches se trouvent toujours en Ukraine. Chaque fois qu’elle pose son téléphone après avoir parlé à un cousin ou à un ami, elle ressent un pincement au cœur en se demandant si cette conversation était la dernière.

Monsieur le président, nous ne pouvons pas laisser tomber les êtres chers de Natalia. Les Ukrainiens comptent sur nous. Nous devons être à leurs côtés quoi qu’il en coûte et aussi longtemps qu’il le faudra. Si je parle de Natalia à ce moment-ci, ce n’est pas seulement à cause de ce qui se passe en Ukraine présentement, mais aussi parce qu’elle est la clé de ce que nous bâtissons ici maintenant et pour l’avenir.

[Français]

J’ai rencontré Natalia la semaine passée en Nouvelle-Écosse, où elle vit actuellement près de Bridgewater, une petite ville de 9 000 personnes. Depuis plus de 50 ans, l’usine de pneus Michelin à Bridgewater est l’une des plus performantes du monde. C’est grâce à la force des travailleurs que Michelin vient d’annoncer des investissements majeurs pour moderniser ses installations afin de répondre à la demande croissante de véhicules électriques. De bons emplois stables comme ceux qu’on trouve dans cette usine comptent vraiment pour Natalia et sa famille. Ils comptent aussi pour nos petites et grandes communautés.

[Traduction]

Pendant ce déplacement en Nouvelle-Écosse, où j’ai fait la connaissance de personnes comme Natalia, j’ai par ailleurs rencontré des gens qui représentent la troisième génération de leur famille à travailler à cette usine Michelin. Grâce à ce que nous accomplissons ensemble et à nos investissements d’avenir, l’emploi là-bas rayonnera des générations durant. Les retombées ne se limiteront pas à Bridgewater, d’ailleurs, puisque les supermarchés californiens continueront à s’approvisionner en marchandises, et les hôpitaux pennsylvaniens, en fournitures médicales, tout cela au moyen de camions roulant sur des pneus fabriqués en Nouvelle‑Écosse, bien entendu.

Monsieur le président, en 1987, au moment du sprint final de négociation du premier Accord de libre-échange nord-américain, Ronald Reagan a souligné, dans un discours prononcé ici, que la frontière entre les États-Unis et le Canada constitue un lieu de rencontre plutôt qu’une ligne de démarcation. Plus de 30 ans plus tard, ce lieu de rencontre nous ouvre la voie du succès vers un avenir qui nous réserve non seulement de bons emplois, mais aussi des carrières stimulantes et stables, pour le plus grand bien des générations à venir.

Nous comptons aussi parmi nous aujourd’hui des métallurgistes de l’aciérie Dofasco, à Hamilton. L’un d’entre eux s’appelle Neil. Sa mère a travaillé à Dofasco dans les années 1970. Son père y a assuré le parachèvement de l’acier durant 37 ans. Aujourd’hui, grâce à nos investissements destinés à aider Dofasco à abandonner les hauts fourneaux au charbon au profit de fours électriques à arc, les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants de Neil auront le choix de faire carrière en sidérurgie pour fabriquer l’acier vert nécessaire pour fabriquer des véhicules électriques, des bâtiments et des ponts dans le monde entier. L’acier vert sera la pierre angulaire de l’industrie de demain, et les travailleurs comme Neil, à l’instar de ceux d’hier et de demain, demeurent encore et toujours au cœur de l’économie que nous développons pour la classe moyenne.

Les politiques en matière d’économie, de climat et de sécurité vont de pair. Vu l’intensification de la concurrence, y compris en provenance d’une Chine de plus en plus impérieuse, nous devons absolument concerter nos efforts pour faire rayonner le marché nord-américain dans tous les domaines, de la fabrication des semi‑conducteurs à celle des cellules photovoltaïques.

Monsieur le président, l’Inflation Reduction Act vous permet de créer les emplois d’aujourd’hui et de demain pour la classe moyenne américaine, mais cette loi se traduira aussi par l’élargissement de la clientèle de l’industrie canadienne de la transformation des minéraux critiques, des entreprises d’ici qui révolutionnent le domaine de l’énergie propre et des travailleurs intégrés de l’automobile de chez nous, sans compter les agriculteurs, serriculteurs, maraîchers et producteurs canadiens, et tant d’autres encore. Voilà qui montre en quoi notre partenariat contribue à l’essor de notre pays respectif.

[Français]

Pour soutenir des bons emplois de l’économie de demain, le Canada a l’un des réseaux électriques les plus propres au monde. Environ 83 % de notre électricité est déjà carboneutre, et nous sommes en voie d’atteindre 100 % d’ici 2035. Pour y parvenir, nous travaillons avec les communautés locales, y compris pour des projets dirigés par des Autochtones partout au pays, que ce soit pour des panneaux solaires ou des turbines éoliennes. Toutes nos exportations d’électricité propre sont destinées aux États-Unis. Partout dans le monde, nous devons tous accélérer notre transition vers les énergies renouvelables.

Cette semaine, le groupe d’experts des Nations unies sur l’évolution du climat a publié un nouveau rapport qui indique que notre planète va atteindre un seuil critique en matière de réchauffement climatique au cours de la prochaine décennie. Cela veut dire plus de vagues de chaleur, plus de sécheresses, plus d’inondations et plus d’espèces en péril.

[Traduction]

Lorsque je songe aux familles de la côte atlantique que j’ai rencontrées l’automne dernier après que leur demeure eut été détruite par l’ouragan Fiona, ou encore aux Britanno-Colombiens dont la ville a été réduite en cendres par le feu de forêt qui s’est déclenché pendant une vague de chaleur sans précédent, je sais que faire preuve de leadership responsable signifie en faire davantage pour lutter contre les changements climatiques et pour protéger ces familles. Les politiques en matière de climat, d’économie et de sécurité vont de pair.

[Français]

En tant que dirigeants, notre priorité est d’assurer la sécurité des gens. Non seulement nous devons continuer notre travail, mais nous devons en faire plus et plus rapidement.

Je sais que vous êtes d’accord, monsieur le président. Je me souviens de la discussion que nous avons eue en 2016, vous et moi, sur la lutte contre les changements climatiques, alors que vous étiez en visite au Canada en tant que vice-président. Vous aviez rencontré les premiers ministres des provinces et des territoires et des dirigeants autochtones. Ce même jour, pendant la réunion des premiers ministres, notre gouvernement a adopté le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, dont la base était de mettre un prix sur la pollution à l’échelle du pays. Je suis donc très heureux de vous accueillir à nouveau aujourd’hui, sachant que la protection de l’environnement demeure l’une de vos priorités principales.

[Traduction]

Monsieur le président, ce qui rend le moment présent aussi important, c’est que notre monde et notre mode de vie sont la cible de multiples menaces simultanées. Si les politiques en matière de climat, d’économie et de sécurité vont de pair, c’est parce que les changements climatiques, l’inflation, la guerre, les pénuries d’énergie, l’ingérence étrangère, la désinformation et les attaques constantes contre nos valeurs et nos institutions s’additionnent.

À l’instar d’autres démocraties dans le monde, les démocraties comme les nôtres ne sont pas le fruit du hasard, et elles ne perdureront pas sans effort.

[Français]

Nous devons être là l’un pour l’autre. Nous devons continuer de nous opposer aux menaces autoritaires, chez nous comme à l’étranger, et continuer de défendre ce qui est juste.

[Traduction]

L’heure n’est pas à transiger sur nos valeurs. Plus que jamais, nous devons nous efforcer de les défendre. Nous devons continuer de faire preuve de résilience, de persévérance et de force.

La résilience, la persévérance et la force sont des mots qui décrivent parfaitement deux hommes qui sont parmi nous aujourd’hui : Michael Kovrig et Michael Spavor.

Monsieur le président, quand l’avion transportant les deux Michael s’est posé en sol canadien, après que ceux-ci aient été détenus de façon arbitraire pendant plus de 1 000 jours en Chine, on a vu que pour les Canadiens la résilience, la persévérance et la force sont plus que de nobles idéaux. Ce sont des principes qui motivent nos actions et forgent notre caractère.

Le Canada a rapatrié les deux Michael, et il l’a fait de la bonne façon, non seulement en respectant la primauté du droit, mais aussi en insistant sur celle-ci. Nous n’avons pas cédé devant les fortes pressions nous incitant à renier notre engagement à l’égard de nos ententes, de nos traités et de la primauté du droit. Nous n’avons pas tourné le dos à nos valeurs. Nous avons redoublé d’efforts et rallié nos alliés contre la détention arbitraire et ainsi, grâce à votre soutien et votre leadership, monsieur le président, la primauté du droit a prévalu et les deux Michael sont rentrés à la maison.

[Français]

Avec nos alliés et nos partenaires, les Canadiens et les Américains doivent rester une source d’inspiration pour le reste du monde, mais, surtout, nous devons poursuivre notre travail. Chaque jour, nous devons faire les efforts nécessaires pour bâtir un avenir meilleur pour gens comme Neil et Natalia, pour leurs enfants et leurs petits-enfants.

[Traduction]

Nous devons et nous allons y parvenir.

Monsieur le président, lors de votre récent et poignant discours sur l’état de l’Union, vous avez encouragé le peuple américain à demeurer optimiste, à garder espoir et à se tourner vers l’avenir. C’est une vision à laquelle les Canadiens adhèrent eux aussi. Par conséquent, continuons à travailler fort et, ensemble, continuons à bâtir un meilleur avenir pour nos peuples.

Bienvenue au Canada, mon ami.

Mesdames et messieurs, le président des États-Unis d’Amérique, Joe Biden.

L’hon. Joseph Biden, Jr. (président des États-Unis d’Amérique) : Bon après-midi. Merci, merci, merci.

Bonjour, Canada. Je dois vous avouer que j’ai appris le français pendant quatre ans à l’école, mais la première fois que j’ai tenté de prononcer un discours en français, on a ri de moi, alors je m’en tiendrai là. Sérieusement, merci beaucoup.

Monsieur le Président de la Chambre des communes, monsieur le Président du Sénat, députés, merci de l’accueil chaleureux que vous nous avez réservé, à mon épouse et à moi.

Monsieur le premier ministre Trudeau, vous êtes le premier chef d’État étranger que j’ai rencontré, un mois après mon élection, au plus fort de la pandémie de COVID-19. Nous avons dû faire cette rencontre par vidéoconférence, mais depuis, nous avons parcouru le monde afin d’affronter certains des plus grands défis que nos pays ont eu à affronter depuis très longtemps. Je tiens à vous remercier pour votre partenariat et pour votre amitié personnelle. Merci beaucoup. Jill et moi vous remercions, Sophie et vous, de votre hospitalité.

Mesdames et messieurs, c’est un honneur pour moi d’avoir l’occasion de poursuivre la tradition, perpétuée par bon nombre de mes prédécesseurs, de prendre la parole dans cette vénérable enceinte de la démocratie canadienne, bien que l’endroit ait changé. Vous avez fait un travail remarquable. C’est absolument magnifique.

Cette coutume est un symbole de l’étroitesse de nos relations. Les Américains et les Canadiens sont deux peuples, deux pays qui, selon moi, sont unis par une grande amitié. Nos deux peuples sont intimement liés. Nulle part ailleurs sur terre peut-on trouver deux nations qui entretiennent des relations amicales, familiales, commerciales et culturelles aussi étroites. Nos syndicats œuvrent des deux côtés de la frontière, tout comme nos ligues de baseball, de basketball et de hockey.

Parlant de hockey, je dois préciser que j’aime bien vos équipes, mais pas les Maple Leafs. Laissez-moi vous expliquer pourquoi. Ils ont battu les Flyers en janvier dernier, voilà pourquoi. J’ai marié une fille de Philadelphie, alors c’est ce que je dois dire si je ne veux pas dormir seul ce soir. Mes chers amis, je vous aime bien, mais il y a des limites.

Il peut être facile de tenir pour acquis un partenariat comme celui qu’entretiennent le Canada et les États-Unis, mais quand on y pense, il y a de quoi être impressionné. Nous partageons une frontière longue de 5 552 milles, soit plus de 8 800 kilomètres, et nos rapports sont caractérisés par des échanges commerciaux pacifiques d’une valeur de plus de 2,5 milliards de dollars par jour. Chaque jour, que ce soit pour le travail ou pour le plaisir, des centaines de milliers de personnes traversent la frontière dans un sens ou dans l’autre tout en sachant qu’ils seront chaleureusement accueillis de l’autre côté de la frontière.

Les Américains adorent les Canadiens. Ce n’est pas une hyperbole, c’est un fait. En début de semaine, l’institut de sondage Gallup a réalisé un nouveau sondage sur l’opinion des Américains à l’égard de divers pays du monde. C’est un fait : le Canada se classe au premier rang, avec 88 % d’opinions favorables parmi les Américains, comparativement à 87 % l’an dernier. Je m’attribue le mérite de ce point de pourcentage.

Je suppose que tous les politiciens présents dans la salle se donneraient beaucoup de mal pour obtenir de tels chiffres. Mais on peut les expliquer. Les mêmes aspirations fondamentales animent nos deux nations, de l’Atlantique au Pacifique : vivre librement — non seulement librement, mais aussi dignement; explorer sans relâche les possibilités de demain; et laisser à nos enfants et à nos petits-enfants un avenir meilleur grâce à nos efforts, à ceux des personnes présentes dans cette salle et dans une salle semblable aux États-Unis.

Le président Kennedy a déclaré, lorsqu’il s’est exprimé ici en 1961, que nous avons « en partage l’unité propre à des nations égales et indépendantes, colocataires du même continent, héritières d’un même patrimoine, et associées pleinement souveraines dans la poursuite du même but historique : celui de préserver notre liberté et celle de tous ceux qui la désirent. » Pendant plus d’un siècle de cette entreprise historique, le Canada et les États-Unis se sont soutenus mutuellement. En temps de guerre comme en temps de paix, nous avons été un bastion de la liberté et le gardien des libertés fondamentales qui donnent un sens véritable à notre vie. Nous n’avons pas hésité à accepter les responsabilités afférentes à un leadership mondial, car nous comprenons tout ce qui est en jeu pour les Canadiens comme pour les Américains lorsque l’on attaque la liberté n’importe où dans le monde.

Aujourd’hui, nos destins sont liés et inséparables, non pas parce que notre proximité géographique le rend inévitable, mais parce qu’il s’agit d’un choix que nous faisons constamment. Les États‑Unis choisissent de lier leur avenir à celui du Canada parce qu’ils savent qu’ils ne trouveront pas de meilleur partenaire — et je le pense du fond du cœur —, pas d’allié plus fiable ni d’ami plus fidèle, et je vous dis aujourd’hui, à vous et à tout le peuple canadien, que vous pourrez toujours compter sur les États-Unis d’Amérique. Je vous le garantis.

Ensemble, nous avons bâti un partenariat qui constitue un avantage incroyable pour nos deux pays. Cela ne signifie pas que nous ne sommes jamais en désaccord, comme tous les pays le sont de temps à autre. Par contre, lorsque nous sommes en désaccord, nous réglons nos différends dans l’amitié et la bonne volonté, car nous comprenons que nos intérêts sont fondamentalement alignés.

Nous nous trouvons à un point d’inflexion de l’histoire. Un de mes professeurs m’a un jour expliqué ce qu’était un point d’inflexion. Lorsque vous roulez sur une autoroute à 60 miles à l’heure et que vous tournez rapidement de cinq degrés dans une direction, vous ne reviendrez jamais sur le même chemin; vous êtes sur une trajectoire différente. Les décisions que nous prendrons dans les prochaines années détermineront le destin de notre monde pour les décennies à venir. Cela se produit toutes les cinq ou six générations, mais nous en sommes là. Rien ne me donne plus confiance en l’avenir que de savoir que le Canada et les États-Unis restent unis.

Aujourd’hui, je voudrais parler un peu de l’avenir, si vous me le permettez; c’est un avenir qu’il nous appartient de saisir. On me critique parfois dans mon pays lorsque je dis cela. Le président Obama se moquait toujours de moi parce que je lui disais toujours, lors de nos réunions privées, qu’un pays n’est jamais plus optimiste que son président ou ses dirigeants. Je n’ai jamais été aussi optimiste de ma vie quant à nos perspectives, et je le pense vraiment du fond du cœur. Nous sommes en très bonne position pour un avenir reposant sur nos responsabilités, notre prospérité, notre sécurité et nos valeurs communes.

Premièrement, il s’agit d’un avenir fondé sur la prospérité partagée, où le Canada et les États-Unis continuent de constituer la région économique la plus concurrentielle, prospère et résiliente du monde. C’est un fait. Nos chaînes d’approvisionnement sont sûres et fiables de bout en bout parce que nous créons de la valeur à chaque étape, ici même en Amérique du Nord. Nous extrayons des minéraux essentiels, nous fabriquons et conditionnons les semi‑conducteurs les plus avancés au monde et nous produisons ensemble des véhicules électriques et des technologies d’énergie propre. C’est un avenir où nous comprenons que le succès économique n’est pas en conflit avec les droits et la dignité des travailleurs ni avec notre responsabilité d’investir dans la lutte contre la crise climatique, mais plutôt que ces choses en dépendent, à vrai dire.

Depuis que je suis président, je me suis concentré sur la reconstruction de l’économie américaine à partir de la base et du milieu. Bien peu de choses décidées d’en haut ont eu des retombées concrètes à la table de cuisine de mon père. D’ailleurs, lorsque la classe moyenne se porte bien, les riches se portent très bien. Personne n’est lésé.

Les États-Unis ont réalisé des investissements historiques et approuvés par les deux partis — au grand dam de certains détracteurs dans la presse — dans les infrastructures et l’innovation, ce qui a déjà comme effet de rassembler le peuple américain et de lui procurer des avantages concrets. La mise en œuvre de ces réalisations en matière législative offre au Canada et aux États-Unis d’énormes possibilités de collaborer encore plus étroitement afin de créer des emplois bien rémunérés dans les deux pays.

L’Inflation Reduction Act, qui n’avait pas les faveurs de tous les partis mais qui suscite soudainement davantage d’adhésion, représente l’engagement le plus important de notre histoire en matière de lutte contre les changements climatiques. En fait, c’est l’investissement le plus important de toute l’histoire de l’humanité. Cette loi va stimuler les investissements dans les énergies propres partout dans le monde. Elle prévoit explicitement des crédits d’impôt pour des véhicules électriques assemblés au Canada, reconnaissant ainsi l’interconnexion de nos industries automobiles et de nos travailleurs. Je suis le président le plus favorable aux syndicats que les États-Unis aient jamais eu, et je parle à un grand nombre de syndiqués canadiens. Il s’agit d’un modèle de coopération future, où nos deux pays investissent chez eux pour renforcer leurs bases industrielles, en veillant à ce que les produits fabriqués en Amérique du Nord soient non seulement fabriqués en Amérique du Nord, mais aussi les meilleurs au monde. Nous allons renforcer notre engagement commun en faveur de l’action climatique tout en développant nos économies.

Permettez-moi de m’arrêter un instant pour vous dire que lorsque j’ai posé ma candidature au poste de président, j’étais considéré comme un démocrate vert, comme les républicains. Devinez quoi? Je n’ai pas annoncé de plan environnemental, et on n’a pas manqué de me le rappeler : « Pourquoi ce changement soudain chez Biden? » C’est parce que j’ai réuni tous les syndicats à la Maison‑Blanche — sans blague —, car ils prétendaient tous qu’ils allaient perdre leurs emplois. Je leur ai dit que la moindre initiative liée à l’environnement crée des emplois syndiqués, qu’elle crée des milliers d’emplois.

Par exemple, j’ai rencontré des représentants de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité et je leur ai dit que nous allions construire 5 500 bornes de recharge pour véhicules électriques. Devinez qui les construit? Des employés syndiqués. Nous coordonnons une offensive en faveur des véhicules électriques et des bornes de recharge afin que les Américains et les Canadiens puissent traverser facilement la frontière sans jamais tomber en panne dans leur véhicule zéro émission construit aux États-Unis ou au Canada. De plus, nous allons construire ensemble les batteries et les technologies qui équipent ces véhicules.

La pandémie nous aura appris à nos dépens que les chaînes d’approvisionnement juste-à-temps qui font le tour du globe sont particulièrement vulnérables aux perturbations et aux retards, ce qui entraîne des hausses des coûts au Canada et aux États-Unis. Il existe toutefois une meilleure façon de faire. Nos deux pays ont la chance d’avoir des ressources naturelles incroyables. Le Canada, en particulier, a dans son sous-sol d’importantes quantités de minéraux critiques qui sont essentiels pour notre avenir — et celui du monde entier — misant sur l’énergie propre. Je crois qu’une occasion exceptionnelle s’offre à nous de travailler ensemble afin que le Canada et les États-Unis puissent produire et fournir, ici même en Amérique du Nord, tout ce dont nous avons besoin pour créer des chaînes d’approvisionnement fiables et résilientes.

Mes amis, pour que notre chaîne d’approvisionnement en minéraux critiques fasse l’envie du monde entier, les États-Unis prévoient du financement au titre de la Defense Production Act afin d’inciter les entreprises américaines et canadiennes à extraire et à transformer de manière responsable les minéraux critiques qui entrent dans la fabrication des véhicules électriques et des accumulateurs stationnaires. Nous établissons également des chaînes d’approvisionnement intégrées pour les semiconducteurs, une puce d’ordinateur essentielle qui a été inventée aux États-Unis et dont nous avons perdu le contrôle — pas seulement le contrôle, mais la capacité de production. C’est d’ailleurs le cas pour beaucoup de choses que nous utilisons au quotidien.

L’usine IBM de Bromont, au Québec, est la plus grande installation d’encapsulation et de test de semi-conducteurs en Amérique du Nord. Les puces fabriquées au Vermont et dans le Nord de l’État de New York sont expédiées à Bromont pour être transformées en composants électroniques, et l’usine de Bromont connaît aujourd’hui une expansion grâce au soutien du gouvernement canadien.

Il y aura encore beaucoup de travail à faire. Grâce à la CHIPS and Science Act, une loi bipartisane que j’ai promulguée l’an dernier, des entreprises commencent à construire de nouvelles usines de semi-conducteurs partout aux États-Unis, ce qui représente des milliards de dollars de nouveaux investissements dans l’industrie américaine de la haute technologie : 12 milliards de dollars pour la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company en Arizona; 20 milliards de dollars et plus pour Intel en Ohio; et 100 milliards de dollars dans l’État de New York. C’est le plus grand investissement de ce type jamais réalisé dans le monde.

Lorsque les puces commenceront à émerger de ces nouvelles lignes de production aux États-Unis, un grand nombre d’entre elles seront expédiées au Canada pour y être encapsulées. Cela représente beaucoup d’emplois, des emplois bien rémunérés. Aujourd’hui, en vertu de la Defense Production Act, je débloque également 50 millions de dollars pour inciter davantage d’entreprises américaines et canadiennes à investir dans le conditionnement des semi-conducteurs et des cartes de circuits imprimés.

Cela m’amène à un deuxième pilier de notre avenir, en partant du principe que notre prospérité commune est intimement liée à notre sécurité commune. Ces dernières années ont prouvé que le Canada et les États-Unis ne sont pas à l’abri des difficultés qui secouent le reste du monde. Le monde a besoin que le Canada et les États-Unis collaborent avec leurs partenaires dans le monde entier pour rallier une action mondiale forte et efficace. Cette nécessité de collaboration n’est nulle part plus évidente que dans notre réplique commune à l’agression brutale de la Russie contre l’Ukraine. Nous nous sommes unis pour défendre la souveraineté, la démocratie et la liberté pour nous-mêmes et pour tous ceux qui y aspirent. Comme je l’ai dit au président Zelenski lors de ma visite à Kiev le mois dernier, le monde entier est solidaire du courageux peuple ukrainien. N’êtes-vous pas impressionnés par la bravoure dont les Ukrainiens font tous preuve? C’est incroyable.

Je sais qu’il y a une importante diaspora ukrainienne au Canada — et pas seulement la charmante dame que l’on nous a présentée il y a un instant — qui pense la même chose. Le Canada et les États-Unis, ainsi qu’une coalition de 50 pays que nous avons formée ensemble, veillent à ce que l’Ukraine puisse se défendre. Nous fournissons des systèmes de défense aérienne, des systèmes d’artillerie, des munitions, des véhicules blindés, des chars et bien d’autres choses encore. L’aide offerte jusqu’à présent se chiffre à des dizaines de milliards de dollars. Avec nos partenaires du G7, nous obligeons la Russie à payer un prix important en la privant d’intrants essentiels à sa machine de guerre. Nous tenons la Russie pour responsable des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qu’elle continue de commettre au moment même où je vous parle.

Le Canada et les États-Unis ont accueilli les réfugiés ukrainiens à bras ouverts. Nos concitoyens connaissent bien le prix élevé de la liberté. Votre tour de la Paix témoigne des sacrifices de plus de 60 000 Canadiens courageux qui ont péri pendant la Première Guerre mondiale et ont fait à jamais de ce pays un défenseur de la liberté. Les vers d’un poème canadien du lieutenant-colonel John McCrae nous interpellent encore depuis le champ d’honneur, leur écho se propageant à travers les âges :

À vous, jeunes désabusés, à vous de porter l’oriflamme;

Et de garder au fond de l’âme le goût de vivre en liberté.

Aujourd’hui, affirmons une fois de plus que nous allons maintenir vive la flamme de la liberté et soutenir le peuple ukrainien. Nous ne faiblirons pas.

Poutine était persuadé qu’il aurait divisé l’OTAN à l’heure qu’il est. Il en était certain, mais vous savez quoi? Sa soif de conquête et de pouvoir demeure inassouvie. L’amour du peuple ukrainien pour son pays l’emportera. Face à l’agression du président Poutine contre l’Ukraine, le Canada et les États-Unis affirment clairement leur engagement envers leurs alliés de l’OTAN. Nous maintiendrons une alliance forte et unie. Nous défendrons chaque centimètre carré du territoire de l’OTAN. Une attaque contre un des membres de l’organisation est une attaque contre tous ses membres.

À l’approche du 75e anniversaire de l’OTAN, l’année prochaine, le Canada et les États-Unis partagent la responsabilité et l’engagement de veiller à ce que l’OTAN puisse exercer la dissuasion nécessaire contre n’importe quelle menace ou agression. C’est le fondement de la sécurité de nos deux pays.

Le Canada et les États-Unis ne sont pas seulement partenaires pour la sécurité transatlantique. Nous sommes des pays riverains du Pacifique également. En mars, les États-Unis et le Canada ont tenu leur premier dialogue indopacifique afin de renforcer leur coopération dans cette région vitale et de promouvoir la liberté, l’ouverture, la prospérité et la sécurité de la région indopacifique.

Nous sommes aussi un pays de l’Arctique. Nos deux pays connaissent l’importance cruciale de cette région pour notre sécurité collective, et nous voyons l’intérêt que suscite tout à coup l’Arctique dans d’autres pays. Nous collaborons étroitement pour gérer et protéger les confins nordiques de notre monde. Nous sommes des pays d’Amérique et nous nous investissons pleinement dans la paix, la prospérité, la démocratie et la sécurité de l’hémisphère occidental. Nos efforts en ce sens commencent par notre engagement à défendre nos peuples et nos territoires souverains.

Le NORAD est le seul commandement militaire binational au monde, ce qui montre bien encore une fois que notre partenariat est exceptionnel. C’est un symbole incroyable de la foi de nos deux pays l’un envers l’autre et de la confiance réciproque que nous avons en nos capacités. Le NORAD disposera bientôt d’un radar transhorizon de nouvelle génération pour améliorer sa capacité d’alerte lointaine. Ses systèmes de surveillance sous-marine seront améliorés aussi, et son infrastructure sera modernisée de manière à pouvoir accueillir les aéronefs les plus perfectionnés. Je me réjouis en songeant à la collaboration étroite qui se poursuivra avec le Canada pour répondre à ces besoins. Nos peuples seront rassurés en sachant que le NORAD veille au grain.

Nous allons également coordonner étroitement nos efforts pour relever le défi de la sécurité humaine dans toute la région. Nous collaborons avec le peuple d’Haïti pour trouver des moyens d’améliorer sa sécurité et pour lui fournir de l’aide humanitaire. Nous voulons également l’aider à renforcer la stabilité d’Haïti.

Nous combattons le fléau des drogues de synthèse, qui fait des ravages au Canada et aux États-Unis, surtout parmi les jeunes. Le fentanyl tue. Presque tout le monde connaît quelqu’un dont il a bouleversé la vie, à qui il a arraché un enfant ou un ami. Le Canada et les États-Unis collaborent de près avec notre autre partenaire, le Mexique, pour enrayer le problème à tous les stades, depuis les produits chimiques précurseurs qui sont importés jusqu’à la poudre, aux comprimés et aux trafiquants qui franchissent nos frontières. Nous savons tous que la crise des opioïdes de synthèse s’est enracinée, ici comme dans le reste du monde. En conséquence, nous nous engageons aujourd’hui à rassembler les pays eux aussi désireux de juguler l’épidémie dans une nouvelle coalition dirigée par le Canada et les États-Unis. C’est une question de santé publique. Il en va de notre avenir économique et de notre sécurité nationale à tous.

Nous concertons par ailleurs nos efforts relativement à la migration sans précédent qui s’observe dans l’hémisphère nord et qui représente aussi bien un défi qu’une réalité. À ce chapitre, la Déclaration de Los Angeles sur la migration et la protection, que les États-Unis, le Canada et 19 autres États ont signée en juin dernier, constitue une nouvelle approche intégrée qui mise sur des politiques à visage humain pour protéger les frontières tout en venant en aide aux migrants. Les États-Unis proposent de nouvelles avenues légales aux personnes qui cherchent refuge pour des motifs humanitaires tout en dissuadant l’immigration clandestine, qui alimente l’exploitation et la traite des personnes.

Aujourd’hui, je félicite le Canada de mettre en place de nouveaux programmes du même ordre afin que 1 500 migrants en provenance de l’Occident puissent s’y établir en toute régularité. Parallèlement, les États-Unis et le Canada feront front commun pour décourager les passages clandestins à la frontière et appliquer intégralement la version revue et modifiée de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Cela dit, dans le parcours vers notre prospérité et notre sécurité communes, ne perdons jamais de vue les valeurs que nous partageons, car elles sont rien de moins que la clé de voûte de nos sociétés.

Accueillir des réfugiés et des demandeurs d’asile fait partie de l’identité des Canadiens et des Américains. De fait, les États-Unis ont récemment lancé un nouveau programme de parrainage privé pour les réfugiés, le Welcome Corps. Ce programme s’inspire de décennies de leadership canadien en matière de réinstallation des réfugiés, dans le cadre duquel, des deux côtés de la frontière, nous nous sommes appuyés sur les relations de nation à nation que nous avons bâties avec les Autochtones et les Premières Nations.

Nos deux pays ont été influencés et renforcés par les contributions de générations d’immigrants. Nous croyons fermement que tout le monde mérite de vivre dans la dignité et en sécurité et d’avoir une vie à la hauteur de ses rêves. Nous travaillons à défendre les droits de la personne, à faire avancer l’égalité des personnes et des genres, à promouvoir la justice et à assurer la primauté du droit.

Je tiens à souligner le travail remarquable du Canada dans la mise sur pied d’une coalition de près de 70 pays appuyant la Déclaration contre la détention arbitraire dans les relations d’État à État. Ce n’est pas seulement un énoncé de valeurs. Nos citoyens ne doivent pas servir de monnaie d’échange. Ils ne doivent pas être utilisés pour exercer des pressions diplomatiques. Ce sont des êtres humains qui ont une vie et une famille, et il faut les respecter.

Je suis très heureux de voir que les deux Michael, Michael Spavor et Michael Kovrig, ont pu retrouver leur famille sains et saufs après plus de 1 000 jours passés en détention. Si ma mère était ici, elle vous dirait : « Que Dieu vous bénisse tous les deux. » Merci d’être ici et de m’avoir permis de vous rencontrer en personne plus tôt aujourd’hui.

L’incroyable diversité qui caractérise nos deux pays fait notre force. Monsieur le premier ministre, je sais que nous sommes d’accord là-dessus. Nous avons tous les deux bâti des administrations qui ressemblent à notre pays respectif. Je suis très fier que nos deux Cabinets comptent 50 % de femmes pour la première fois de l’histoire.

Nous avons pris exemple sur vous, parce que la chose à retenir est la suivante : si nous faisons en sorte qu’il soit plus facile pour les communautés historiquement sous-représentées de rêver, de créer et de s’épanouir, nous bâtissons un avenir meilleur pour tous. Alors continuons le travail. Tout paraît mieux lorsqu’il n’y a pas d’obstacles. Lorsqu’il y a des obstacles à l’égalité des chances, nous devons les éliminer. Lorsque l’inégalité étouffe le potentiel, lorsque règne l’injustice, libérons la pleine puissance de nos populations et insistons pour que justice soit faite. Voilà quelles sont les valeurs communes qui imprègnent tous nos efforts, notre démocratie, notre vitalité et notre dynamisme.

Voilà l’esprit qui semble tous nous animer. À certains endroits et parmi certaines personnes, on semble oublier ce qu’est l’essence de la démocratie. C’est ce qui permet aux êtres humains de se dépasser.

Permettez-moi de terminer en vous rappelant quelques paroles du président Kenedy. L’année après qu’il s’est adressé au Parlement du Canada, il a prononcé un célèbre discours à l’Université Rice. Il a alors lancé aux Américains le défi d’aller sur la Lune dans les dix prochaines années. Rappelez-vous ce qu’il a dit à ce moment-là. Vous vous en souvenez probablement parce que nous avons dû l’apprendre à l’école :

Nous avons choisi d’aller sur la Lune au cours de cette décennie et d’accomplir d’autres choses encore, non pas parce que c’est facile, mais justement parce que c’est difficile [...] parce que c’est le défi que nous sommes prêts à relever, celui que nous refusons de remettre à plus tard, celui que nous avons la ferme intention de remporter.

Ces paroles sont l’expression d’un trait de caractère fondamental des États-Unis, une grande force, une conviction profonde que nous pouvons réaliser de grandes choses. Pensons-y bien. Quand on regarde ce qui s’est dit la télévision au cours des deux dernières années, dans votre pays et dans le mien, on s’aperçoit que les gens ont commencé à se demander si, après deux années de COVID, nous sommes encore capables de grandes réalisations. Bien sûr que nous en sommes capables.

Je suis absolument convaincu qu’avec un tel optimisme, on peut concrétiser les rêves les plus fous. Moins de sept ans après le discours de M. Kennedy, le monde entier a regardé l’humanité marquer une contrée lointaine de ses premiers pas, catalysant ainsi toute une génération et la balayant du souffle créateur auquel nous devons une bonne part des progrès technologiques qui font la beauté de la vie moderne.

Une fois de plus, le monde se trouve à l’aube de percées et de nouvelles perspectives encore jamais imaginées.

Avec leur force d’impulsion, le Canada et les États-Unis continueront de jouer un rôle moteur. Dans quelques jours à peine, la NASA annoncera le nom des astronautes, trois Étatsuniens et un Canadien, qui composeront l’équipage de la mission Artemis II, la première à ramener l’humain sur la Lune depuis la conclusion de la mission Apollo, il y a plus d’un demi-siècle.

C’est ensemble que nous choisissons de retourner sur la Lune. Depuis la Lune, c’est aussi ensemble que nous conquerrons Mars et que nous explorerons les innombrables possibilités que nous réserve l’infini. Ici, sur Terre, nos enfants, les yeux rivés sur la navette, connaîtront le nom des nouveaux pionniers qui seront à bord. C’est à eux qu’appartiendra l’avenir que nous espérons bâtir; ils formeront la génération Artemis.

Mesdames et messieurs, nous vivons une ère où tout est possible.

Lorsque nous nous trouvions sur le plateau tibétain, Xi Jinping m’a demandé si je pouvais définir les États-Unis d’Amérique. J’aurais pu dire la même chose s’il m’avait posé la question au sujet du Canada. J’ai répondu oui, je peux le faire, et en un seul mot : possibilités.

Rien n’est à notre épreuve. Nous pouvons tout accomplir. Ne l’oublions jamais. Ne doutons jamais de nos capacités. Le Canada et les États-Unis peuvent faire de grandes choses, se tenir debout et grandir, ensemble. Nous allons bâtir l’avenir ensemble, je vous le promets.

Que Dieu vous bénisse et que Dieu bénisse nos troupes. Merci, merci, merci.

[Applaudissements]

Le Président Rota : Merci, monsieur le président.

J’invite maintenant l’honorable George Furey, Président du Sénat, à dire quelques mots.

L’hon. George J. Furey (Président du Sénat) : Monsieur le président, madame Biden, monsieur le premier ministre, madame Grégoire Trudeau, distingués invités, consœurs et confrères parlementaires.

[Français]

Au nom de tous les parlementaires et de tous les invités présents à la Chambre, j’ai le grand honneur, monsieur le président, de vous remercier de votre présence et de votre discours devant le Parlement du Canada.

[Traduction]

C’est un honneur de vous recevoir dans notre Parlement. Au nom de tous les parlementaires et au nom de tous les Canadiens, je voudrais vous exprimer notre gratitude pour les paroles très puissantes que vous avez prononcées ici aujourd’hui.

J’affirme, monsieur le président, avec une entière certitude, que vos propos ont touché les Canadiens partout dans le monde. Votre message d’espoir, d’unité et de partenariat reflète les valeurs et les idéaux communs qui nous unissent.

En mai 1961, lors d’une séance conjointe des deux Chambres du Parlement, l’ancien président Kennedy a déclaré : « La géographie a fait de nous des voisins; l’histoire a fait de nous des amis. » Votre visite d’aujourd’hui, monsieur le président, s’inscrit dans le prolongement de ce témoignage éloquent des liens solides qui unissent nos deux pays et constitue un rappel précieux de nos profondes amitiés.

Avec le retour de la guerre en Europe, avec l’assaut croissant contre les fondements mêmes de la démocratie dans le monde et avec les menaces accrues contre l’ordre international fondé sur des règles, nous vivons une période de grande force, une période où le monde se tourne vers de grands dirigeants tels que vous, monsieur le président, pour rétablir le calme, renforcer les principes de la démocratie qui nous unissent et faire en sorte que le monde soit un meilleur endroit pour nos enfants et les enfants de nos enfants. Je sais que je parle en notre nom à tous en disant que votre appel à une collaboration et à une coopération renouvelées en matière de sécurité mondiale, de changement climatique et de reprise économique ne restera pas lettre morte.

Votre vie, monsieur le président, entièrement consacrée au service public avec un sens aigu du devoir en tant que sénateur, vice-président et, maintenant, président, est une source d’inspiration pour nous tous qui nous efforçons chaque jour de refléter, avec honnêteté et fierté, les divers points de vue de ceux que nous représentons. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons apporter de la lumière au cœur du conflit, du chaos et du désespoir. Nous devons tous, malgré nos divergences d’opinions et d’idéologies, nous rassembler pour améliorer le sort de nos concitoyens.

Je crois que vous avez bien résumé la situation, monsieur le président, lorsque vous avez écrit dans votre livre Tenir ses promesses : « Si vous faites de la politique de la bonne manière, vous pouvez réellement améliorer la vie des gens. » Améliorer la vie des gens est en effet une voie que nous devons tous suivre dans la vie publique. Il est juste et approprié que nous entreprenions ce voyage ensemble, le Canada et les États-Unis d’Amérique, car la grande tâche qui nous attend tous est de faire de ce monde un endroit plus pacifique et plus prospère pour tous.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le Président Rota : Monsieur le président, Madame Biden, que ce soit dans le Bureau ovale, au Sénat ou dans les salles de classe, vous vous êtes consacrés au service public, au rapprochement des personnes pour le bien commun et à l’élévation des autres dans un but collectif.

On a dit, monsieur le président, que l’empathie est votre plus grand superpouvoir, et quel superpouvoir!

[Français]

Cela vous a permis d’aider les gens à développer des objectifs communs et à mettre de côté leurs différences.

[Traduction]

Vous incarnez les paroles de l’un de vos illustres prédécesseurs, l’ancien président Jimmy Carter, qui a déclaré : « Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, plus que jamais, c’est d’un leadership qui nous éloigne de la peur et qui favorise une plus grande confiance dans la bonté et l’ingéniosité inhérentes à l’humanité. »

[Français]

Permettez-moi de prendre un moment pour dire que nos pensées et nos prières accompagnent le président Carter et sa famille pendant cette période difficile.

[Traduction]

Monsieur le président, Madame Biden, vous avez tous deux montré au monde que le dévouement à sa famille et le dévouement à son pays ne s’excluent pas l’un l’autre. Les événements de votre vie, dont certains sont tragiques et bouleversants, témoignent qu’une vie consacrée à notre famille nous nourrit et nous renforce afin que nous puissions mieux servir les autres.

En vérité, monsieur le président, vous avez montré, par l’exemple, le pouvoir transformateur d’un leadership qui vient du cœur. Nous vous en remercions chaleureusement.

Merci d’être avec nous aujourd’hui.

[Applaudissements]

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