Le Comité sénatorial permanent des pêches a l'honneur de déposer son
Troisième rapport
Votre comité, qui a été autorisé par le mercredi 19 novembre 1997 à examiner, afin d'en faire rapport, les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada, dépose maintenant son rapport intitulé: Privatisation et permis à quotas dans les pêches canadiennnes.
Respectueusement soumis
Le président
Gerald J. Comeau
Privatisation et permis à quotas dans les pêches canadiennes
Rapport du Comité sénatorial permanent des pêches
Première session : Trente-sixième législature
Le président du Comité : L'honorable Gerald J. Comeau
Le vice-président : L'honorable Raymond J. Perrault, c.p.
Décembre 1998
MEMBRES
LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES
Président : L'honorable Gerald J. Comeau
Vice-président : L'honorable Raymond J. Perrault, c.p.
et
Les honorables sénateurs : |
Adams |
Butts |
|
Cook |
|
*Graham (ou Carstairs) |
|
*Lynch-Staunton (ou Kinsella) |
|
Mahovlich |
|
Meighen |
|
Robertson |
|
Robichaud, c.p. (Saint-Louis de Kent) |
|
Stewart |
*Membres d'office
Les sénateurs suivants ont aussi participé aux travaux du Comité lors de son étude :
Les honorables sénateurs Carney, Petten, Rossiter, Jessiman et Gill.
ORDRE DE RENVOI
Extrait des Journaux du Sénat du mercredi 19 novembre 1997 :
« Lhonorable sénateur Comeau propose, appuyé par lhonorable sénateur Doyle,
QUE le Comité sénatorial permanent des Pêches soit autorisé à examiner, afin den faire rapport, les questions de privatisation et dattribution de permis à quota dans lindustrie des pêches au Canada;
QUE les documents et témoignages recueillis à ce sujet au cours de la deuxième session de la trente-cinquième législature et tout autre document parlementaire et témoignage pertinents concernant ledit sujet soient renvoyés à ce Comité;
QUE le Comité soit habilité à permettre le reportage de ses délibérations publiques par les médias dinformation électroniques, en dérangeant le moins possible ses travaux; et
QUE le Comité présente son rapport final au plus tard le 10 décembre 1998. »
Le greffier du Sénat,
Paul C. Bélisle
QU'ESTCE QU'UN PERMIS À QUOTA INDIVIDUEL?
A. La Nouvelle-Zélande
B. L'Islande
C. Les États-Unis
LA SITUATION AU CANADA : UNE INDUSTRIE DIVISÉE
A. Principes classiques
B. La pêche à la morue charbonnière
A. Les quotas privés sont-ils des biens?
B. Rationalisation, concentration et corporatisation
C. Conservation, surveillance et application de la loi
D. Équité sociale et distribution de la richesse
E. L'emploi et la survie des villages
« DROIT PUBLIC DE PÊCHER » UN QUOTA PRIVÉ?
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
La présente enquête visait à :
- Passer en revue la littérature sur les permis à quotas.
- Répertorier les avantages et les inconvénients théoriques des régimes de gestion fondés sur les permis à quotas individuels.
- Évaluer les effets sociaux, économiques et biologiques des permis à quotas individuels qui ont été mis en place jusqu'à maintenant dans les pêches canadiennes. De manière plus précise, cette enquête visait à cerner les conséquences, s'il y en a, que ces quotas pourraient avoir eues sur : les ressources, la rentabilité des activités de pêche, l'accès aux ressources halieutiques (p. ex., l'impact possible de la coexistence d'un régime à quotas individuels et d'un régime de pêche concurrentielle pour les détenteurs de permis qui ne sont pas à quotas), les revenus, l'emploi et les collectivités de pêcheurs, l'effort de pêche global (p. ex., capitaux mobilisés, nombre de bateaux, etc.), la structure de l'industrie et la concentration de la propriété, la surveillance, le contrôle, l'application et le respect de la réglementation, et les coûts de gestion.
- Déterminer si certains types de pêche sont plus adaptés que d'autres à une gestion par quotas individuels.
- Présenter les avantages ou inconvénients d'un élargissement des permis à quotas individuels à d'autres secteurs de la pêche au Canada en s'appuyant sur l'expérience vécue ici au pays et ailleurs au monde.
Les audiences du Comité sénatorial ont permis de prendre connaissance de tout un éventail d'opinions recueillies auprès de plusieurs autorités reconnues à l'échelle nationale et internationale. Soucieux des coûts qu'une telle entreprise entraîne, le Comité a eu recours abondamment aux vidéoconférences ? une première pour un comité sénatorial. Au cours de la première phase de cette étude, nous avons principalement entendu le témoignage de plusieurs experts canadiens et porte-parole de groupes représentatifs. Au cours de la deuxième phase, le Comité a acquis une perspective mondiale en s'informant des régimes de gestion par quotas en vigueur en Nouvelle-Zélande et en Islande.
Un examen de la littérature sur les permis à quotas individuels a été entrepris en décembre 1996. Afin de mieux informer le public et les intervenants sur ses travaux et activités, et afin de favoriser une meilleure compréhension et connaissance des problèmes sur lesquels il se penchait, le Comité a créé un site Internet. C'est la première fois qu'un comité sénatorial agit ainsi. De cette façon, toutes les parties intéressées ont pu facilement prendre connaissance des transcriptions des témoignages et de la documentation disponible.
...[Dans] le cadre de l'étude à laquelle procède actuellement son comité, le Sénat sacquitte fort bien de son rôle traditionnel et capital. ? Lhonorable David Anderson, C.P., député, ministre des Pêches et des Océans, 26 novembre 1998
Je suis ravi d'apprendre que votre comité enquête sur toute la question des droits quantitatifs des pêcheurs, dans le cadre de la politique des pêches. D'entrée de jeu, je devrais mentionner que je suis en quelque sorte le parrain de cette idée, dans le monde de la recherche. Dr. Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, 5 mai 1998
Ce débat comporte bien des points de vue. ... Je ne crois pas qu'il y ait d'autres tribunes où on peut avoir ce genre de discussion. ... Une discussion portant sur la structure de l'industrie est certainement la bienvenue aujourd'hui. Brian Giroux, directeur exécutif, Scotia-Fundy Mobile Gear Fishermen's Association, 21 mai 1998
Chose certaine, vous étudiez ce qui, à mon avis, est l'une des questions cruciales qui se posent dans la pêche partout au Canada. Dr Anthony T. Charles, professeur de gestion, Université Saint Mary's, 30 avril 1998
Je tiens à vous remercier de votre intérêt et du temps que vous avez consacré à réunir ces informations et à faire le travail que vous faites. Je pense qu'il arrive bien à propos. John Radosevic, président, United Fishermen and Allied Workers Union, 5 mai 1998
C'est [les pêches fondées sur les droits de propriété] l'un des principaux sujets d'étude pour le Comité à l'heure actuelle et je l'appuie très fortement car je pense que c'est une initiative très importante. Marshall Moffat, directeur, Analyses économiques, Direction générale des politiques et des analyses économiques, ministère des Pêches et des Océans, 19 mars 1998
Les pêches canadiennes sont à un tournant important. Il m'a semblé utile d'apporter une perspective différente de celle que l'on vous donne habituellement. On a tendance à parler positivement de l'expérience néo-zélandaise et d'occulter les défauts. Si vous vous engagez sur la même voie, il est bon que vous soyez mis au courant de certains problèmes dans le système néo-zélandais. Hamish Rennie, chargé de cours, département de géographie, Université de Waikato, Nouvelle-Zélande, 4 juin 1998
Merci pour votre étude qui est des plus exhaustive. Ce que vous faites contraste avec ce que notre administration fait. Je suis très impressionnée. Catherine Wallace, chargée de cours principale en politique et économie publique, School of Business and Public Management, Université Victoria de Wellington, 27 octobre 1998
Le fait que le comité prenne le temps de creuser cette question me réjouit. ... Je crois vraiment que vos travaux auront une incidence déterminante sur ce que le MPO va faire dans les prochaines années. Philip Saunders, professeur agrégé, École de droit de l'Université Dalhousie, 1er octobre 1998
Il était impérieux d'entreprendre une étude sur la question de la privatisation et des permis à quotas.
Les pêches commerciales canadiennes sont en train de subir des changements radicaux et sans précédent. Les politiques qui les ont régies depuis des décennies sont en train d'être pratiquement réécrites au moment où les principaux services du ministère des Pêches et des Océans (MPO) sont redéfinis et que les divers programmes de ce ministère sont modifiés afin d'être davantage « axés sur la clientèle et la demande ». Alors qu'on réduit les dépenses consacrées à la gestion de la pêche, le gouvernement fédéral fait la promotion de la « cogestion » des pêches. De nouveaux pouvoirs sont ainsi proposés dans la Loi sur les pêches afin de permettre au ministre des Pêches et des Océans de conclure des « accords de partenariat » à long terme avec certains groupes de pêcheurs pour officialiser le rôle que ceux-ci joueront dans la prise de décisions sur la gestion de leur propre pêche, pour partager les coûts de cette gestion, et pour fournir davantage de garanties concernant la conservation des permis.
Même si un certain nombre de questions peuvent être soulevées dans le dossier de la « privatisation » (comme les subventions directes ou indirectes, l'assurance-emploi, l'imposition de frais d'utilisation des services, etc.), le débat porte avant tout sur la façon dont on pourrait céder à des intérêts privés, sous une forme ou une autre, la propriété de stocks de poissons au moyen de permis à quotas individuels qu'on appelle aussi au Canada QI, QIB, QIT et AE.
En raison de leur attrait sur le plan théorique, les permis à quotas individuels constituent un modèle de gestion des pêches bien défini qui soulève l'enthousiasme d'économistes classiques, de théoriciens néoconservateurs et de certains chroniqueurs et éditorialistes. L'Institut Fraser, de Vancouver, l'Atlantic Institute for Market Studies (AIMS), de Halifax, et d'autres groupes de réflexion ont fortement préconisé l'adoption des permis à quotas, et en particulier des QIT, comme outils de gestion par excellence. Les grandes entreprises de l'industrie de la pêche prônent également vivement le recours à ces permis, qui trouvent aussi depuis très longtemps d'ardents promoteurs au sein des fonctionnaires fédéraux s'occupant des pêches.
Au Canada, c'est au début des années 80 que s'est amorcé le mouvement de privatisation des droits de pêche. En grande partie mis en branle par les fonctionnaires, ce processus a été graduel puisqu'il a été réalisé par divers gouvernements et chapeauté par plusieurs ministres des Pêches. Les permis à quotas sont toujours considérés par de nombreux intervenants comme une panacée pour tous les problèmes de l'industrie de la pêche et comme un moyen de sauver des stocks de poissons, mais certains partisans des quotas individuels semblent maintenant être prêts à reconnaître que dans la pratique, au Canada et ailleurs, ces outils peuvent créer d'autres problèmes de gestion parfois même plus sérieux.
Les pêches fondées sur des droits de propriété suscitent habituellement des réactions assez vives et ce phénomène est compréhensible. Elles constituent non seulement une rupture fondamentale par rapport aux traditions de la pêche concurrentielle d'une ressource appartenant à tous, mais aussi une remise en question du coeur d'un système de valeurs auxquels sont très attachés les pêcheurs qui se sont toujours considérés indépendants. Au Canada, cette question a profondément divisé les pêcheurs et les collectivités de pêcheurs en deux camps, un pour, l'autre contre.
Cette question est peut-être celle qui a été soulevée le plus fréquemment par des témoins ou qui a donné lieu à l'expression de points de vue aussi contradictoires depuis la création du Comité sénatorial permanent des pêches en 1985. Ainsi, dans son rapport de juin 1993 sur la pêche côtière, le Comité sénatorial recommandait que le ministère des Pêches et des Océans étudie plus à fond les conséquences sociales, économiques et biologiques à court et à long terme des permis à quotas. Une autre recommandation proposait que le Sénat demande au Comité sénatorial permanent des pêches d'étudier la gestion des pêches en Islande, en Norvège et dans des pays comparables. En décembre 1995, dans son rapport sur l'avenir de la pêche du poisson de fond de l'Atlantique, le Comité recommandait au ministère des Pêches et des Océans d'examiner et d'évaluer l'efficacité de sa réglementation destinée à limiter la propriété des quotas privés.
Nous espérons que les divers intervenants de l'industrie jugeront notre étude instructive et constructive. Pour notre part, nous considérerons que nos efforts auront donné des résultats s'ils contribuent à sensibiliser davantage le public et les contribuables canadiens à cette importante question.
Le Comité tient à souligner laide reçue des deux greffières de comité, Marie Danielle Vachon et Barbara Reynolds. Il remercie aussi Claude Emery, attaché de recherche à la Direction de la recherche parlementaire, pour ses compétences considérables en recherche et son habileté à condenser de nombreuses heures de témoignage en un rapport clair et concis. Nous lui sommes reconnaissants de sa contribution utile à notre travail.
Le président,
Gerald J. Comeau
1. Le Comité recommande que le gouvernement du Canada fasse par écrit une déclaration publique claire et sans équivoque dans laquelle il décrira la nature des quotas individuels et le rôle quils sont appelés à jouer dans la pêche de lavenir.
2. Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans fasse par écrit une déclaration publique claire et sans équivoque sur ce que lon entend par « partenariats pluriannuels liant le gouvernement et lindustrie » (ou « accords de partenariat ») et quil précise si ces accords visent à annuler le « droit public de pêcher » qui existe en common law. Le Ministère devrait indiquer les dispositions de lactuelle Loi sur les pêches qui empêchent le ministre de conclure de tels accords avec les divers groupes de lindustrie.
3. Le Comité recommande que la question de la privatisation des pêches canadiennes et des permis à quotas individuels fassent lobjet dun débat au Parlement canadien.
4. Le Comité recommande quaucun nouveau permis à quotas individuels transférable ou non ne soit délivré au Canada jusquà ce que des déclarations publiques écrites sur les quotas individuels et sur les accords de partenariat (recommandations 1 et 2) aient été faites par le ministère des Pêches et des Océans, et quun débat parlementaire (recommandation 3) ait eu lieu.
5. Le Comité exhorte le ministère des Pêches et des Océans à étudier de manière plus approfondie les répercussions sociales et économiques à long terme que les permis à quotas individuels, en particulier ceux qui sont transférables, ont sur les collectivités côtières autochtones ou autres du Canada, et quil nélargisse pas le régime des quotas individuels avant quon aie évalué à fond les besoins de ces collectivités côtières autochtones ou autres.
6. Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans fasse par écrit une déclaration publique claire et sans équivoque, précisant sil considère les pêches commerciales du Canada sur une base avant tout industrielle ou plutôt comme le fondement économique dun mode de vie canadien traditionnel.
7. Le Comité recommande que le Sénat renvoie le Budget des dépenses du ministère des Pêches et des Océans au Comité sénatorial permanent des pêches pour examen.
8. Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans commence immédiatement à appliquer la politique sur la séparation de la flottille de lAtlantique. Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans commence immédiatement à appliquer la politique sur la séparation de la flottille de lAtlantique cest-à-dire la réglementation visant à empêcher lintégration verticale des transformateurs, ce qui leur permettrait de récolter le poisson et les politiques destinées à restreindre la propriété des quotas individuels en fonction de certaines limites maximales. le Ministère devrait continuer à appliquer les règlements restreignant la propriété des permis de pêche détenus par des intérêts étrangers.
9.Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans répartisse plus équitablement la ressource afin que les petits pêcheurs puissent jouer un rôle plus important au sein de lindustrie de la pêche.
10. Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans cesse de citer en exemple le système de gestion des quotas individuels de la Nouvelle-Zélande et de lIslande tant quil naura pas tenu pleinement compte des critiques qui viennent de ces pays à légard de ce système.